6. CONCLUSION : SE CONCENTRER EN DIEU
Dans sa réflexion sur la vie communautaire, Dorothée de Gaza, un classique de la doctrine
monastique du VIe siècle, se sert de façon très efficace et imagée de deux symboles : le corps et le
cercle.
Le premier est plus compréhensible à cause de ses résonances pauliniennes. Le deuxième est plus
original, presque plus universel, suggestif et moderne à la fois, pour unir en même temps l`amour de
Dieu et l`amour du prochain.
Il s`agit d`une métaphore tirée des Pères et remontant peut-être aux Apôtres. À travers cette image,
Dorothée veut faire voir que nous marchons tous ensemble vers Dieu comme les rayons du cercle
convergent vers leur centre. Avec cette caractéristique que plus ils se rapprochent du centre, plus ils
se rapprochent aussi entre eux, et que plus ils se rapprochent entre eux, plus ils convergent vers le
centre.
C`est une métaphore très limpide : diverses sont les voies qui mènent à Dieu, comme diverses et
uniques sont les personnes et les vocations et diverses sont les voies qui convergent vers le centre.
Au-delà de la froide figure géométrique, le cercle représente un style de vie, le style des saints qui
marchent avec décision vers leur centre, Dieu. Ils proviennent de points de la circonférence, même
distants entre eux, et peut-être parfois opposés, attirés mystérieusement par la force d`attraction du
centre. Le regard et le visage convergent dans un mouvement centripète, qui unit les uns aux autres.
Au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de Dieu, centre idéal, il se rapprochent aussi entre eux de
façon beaucoup plus profonde. C`est le merveilleux pèlerinage vers la communion en Dieu.
Mais est implicite aussi l`autre face de la métaphore : celle de la séparation et du mouvement
centrifuge vers l`éloignement ou le refus réciproques. Plus les personnes s`éloignent de Dieu, plus
elles s`éloignent aussi les unes des autres ; et plus elles s`éloignent les unes des autres, plus elles
s`éloignent de Dieu.
C`est un dynamisme qui décrit bien la logique interne de la communion/désagrégation. En marchant
vers le centre, les visages convergent, se rencontrent, se centrent les uns vers les autres et se
communiquent. En reculant et en s`éloignant, en refusant la communion avec Dieu, on perd aussi la
communion entre les personnes, on creuse la distance réciproque, chacun reste enfermé dans son
propre égoïsme, bloqué dans sa propre solitude, éclairé ni par l`amour qui vient de Dieu ni par le
reflet de lumière qui vient de l`amour du prochain.
Plus nous sommes loin d’une référence à Dieu, plus nous devenons distants aussi de notre prochain
(cf. 1 Jn 4, 19-21). Mais il est tout aussi vrai que plus nous rapprochons de notre prochain, plus
nous rapprochons de Dieu, qui sera présent dans l`homme au point de s`identifier au plus petit
d`entre eux, comme nous l’affirme Jésus lui-même : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces
petits qui sont mes frère, c`est à moi que vous l`avez fait » (Mt 25, 40).
Les deux symboles proposés semblent adaptés pour inspirer aujourd`hui la marche de la spiritualité
des communautés religieuses, surtout par rapport à l’approfondissement du processus de réalisation
de la communion en leur sein. Mais ces symboles peuvent se référer aussi à la vie de communion
des familles.
Et pour donner corps à sa métaphore, Dorothée rapporte un mot de l’abbé Zosime qui se demande :
« Qui, s’il a une blessure à la main ou au pied ou à un autre membre, éprouve de la répugnance pour
lui-même ou s’ampute de ses propres membres, même si la blessure tourne à la putréfaction ? Que
ne fait-il pas ? Il le nettoie, le lave, y met des emplâtres, le bande, l’oint avec de l’huile sainte, prie,
invoque les saints pour qu`ils prient pour lui ! En somme, il n’abandonne ni ne rejette pas son
propre membre, ni sa puanteur, mais il fait tout pour le soigner et le guérir ! »
Ne trouvons-nous peut-être pas dans ces paroles un écho de la doctrine de Saint-Paul sur la charité ?
« Ainsi, poursuit Dorothée, nous devons aussi avoir compassion les uns des autres, prendre soin de
nous-mêmes ou directement ou à travers les autres plus capables, et penser et faire tout pour nous
aider nous-mêmes et nous aider les uns les autres. Nous sommes, en effet, membres les uns des
autres, comme dit l’Apôtre (Rm 12,5). Si donc nous sommes tous un seul corps, et singulièrement