Vie du jeune Dominique Savio p. 133-170

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Vie du jeune Dominique Savio,

Elève de l'Oratoire

Saint François de Sales 1




CHRONOLOGIE


A) L'enfant dans sa famille.


1842Naissance de Dominique (2 avril) à Riva San Giovanni, près de Chieri (Piémont), de Charles et Brigitte Gaiato (26 et 22 ans). Il est baptisé ce même jour. /133/

1843Pour des raisons de travail, les Savio vont habiter au ha­meau de Morialdo, tout près de la maison natale de Don Bosco.

1848Dominique commence l'école chez le chapelain Don Zucca.

1849A Pâques (8 avril), première communion de Dominique,dans l'église paroissiale de Castelnuovo d'Asti.

1852Dominique fréquente l'école de Castelnuovo, chez Don Allora (inscription le 21 juin)

1853 La famille Savio va s'établir à 4 km plus loin, à Mondo­nio, où Dominique est l'élève de Don Cugliero, qui l'ini­tie au latin. Il est confirmé à Castelnuovo le 13 avril.


B) L'adolescent chez Don Bosco


1854 Première rencontre avec Don Bosco aux Becchi (2 oc­tobre). Entrée à l'Oratoire de Valdocco à Turin (29 oc­tobre).


Année scolaire 1854-1855 : Dominique suit les 1ère 2ème cours de latin en ville chez le professeur Bonzanino. Le 8 décembre, jour de la proclamation du dogme de l'Im­maculée Conception, il se consacre à Marie.


1855Sermon décisif de Don Bosco (mars) : Dominique « veut se faire saint ».


Année scolaire 1855-1856 : 3è année de latin à l'Oratoire même, avec le jeune professeur Francesia.


1856Mai-juin : Dominique fonde la Compagnie de l'Imma­culée. Il est miné par la phtisie.


Année scolaire 1856-1857: classe d'humanités en ville, chez Don Picco.


1857Le 1er mars, très malade, il quitte l'Oratoire. Le 9 mars, il meurt à Mondonio Funérailles le 11.

1859Don Bosco publie sa vie (janvier).

1950Béatification (5 mars).

1954Canonisation (12 juin), en même temps que celle de saint Pierre Chanel, mariste martyr. /134/



28. Préface. Voici un modèle « merveilleux »




Mes chers garçons.

Vous m'avez plusieurs fois demandé de vous écrire quel­que chose sur votre camarade Dominique Savio, et j'ai fait mon possible pour satisfaire votre bon désir. Voici sa vie, que j'ai écrite brève et simple, comme vous aimez, je le sais bien.



Difficultés particulières de cette publication



Il y avait deux obstacles à la publication de ce travail ; le premier, ce sont les critiques que s'attire d'habitude celui qui écrit sur les événements dont il reste une multitude de té­moins vivants. Cette difficulté, je crois l'avoir surmontée en m'imposant de ne raconter que les faits vus par vous ou par moi, et dont je garde pour presque tous des relations écrites et signées de votre main.

L'autre obstacle, c'était de devoir souvent parler de moi, puisque ce garçon a vécu à peu près trois ans dans cette mai­son et qu'il me faut fréquemment rapporter des événements auxquels j'ai été mêlé. Cet obstacle-là aussi, je crois l'avoir surmonté, car je m'en suis tenu à mon devoir d'historien qui décrit les faits réels sans s'inquiéter des personnes. Toute­fois, si vous trouvez quelque fait où je parle de moi-même avec une certaine complaisance, attribuez cela à la grande affection que je témoignais à votre ami disparu et que je vous témoigne à vous tous. Cette affection me porte à vous ouvrir le plus profond de mon coeur, comme ferait un père en parlant à ses enfants bien aimés.



Raison du choix de Dominique



L'un ou l'autre parmi vous me demandera pourquoi j'ai écrit la vie de Dominique Savio, et non pas celle d'autres garçons qui ont vécu parmi nous, laissant la réputation /135/ d'une vertu exemplaire. C'est vrai, mes amis, la divine Pro­vidence a daigné nous envoyer plusieurs modèles de vertu, tels que Gabriel Fascio, Louis Rua, Camille Gavio, Jean Massaglia et d'autres 2. Mais leurs actions n'ont pas été aussi belles ni aussi remarquées que celles de Savio, dont la vie fut si évidemment extraordinaire. D'ailleurs, si Dieu m'accorde grâce et santé, je pense recueillir les actions de vos vertueux camarades, pour pouvoir satisfaire votre désir et le mien en vous les donnant à lire et à imiter en ce qui s'ac­corde avec votre situation actuelle.

De plus, dans cette cinquième édition, j'ai ajouté quel­ques traits qui, je l'espère, la rendront intéressante même à ceux qui ont déjà lu les éditions antérieures.



Un modèle à imiter



En attendant, mes chers garçons, commencez à profiter de ce que je vais vous raconter ; et dites-vous comme saint Augustin : « Si ille, cur non ego ? ». Si l'un de mes camara­des, un garçon de mon âge, dans la même maison, exposé aux mêmes dangers que moi, et pires peut-être, a cependant trouvé le temps et le moyen de se garder disciple fidèle du Christ Jésus, pourquoi ne pourrais-je pas en faire autant moi aussi ? Rappelez-vous bien que la religion véritable ne consiste pas seulement en paroles, il faut passer aux actes.

Par conséquent, si vous trouvez des choses admirables, ne vous contentez pas de dire : « C'est beau, ça me plaît ». Dites plutôt : « Je veux m'efforcer d'accomplir moi-même /136/ ce que je lis à propos d'un autre garçon et qui provoque mon étonnement ».

Que Dieu vous donne, ainsi qu'à tous les lecteurs de cet­te brochure, santé et grâce pour profiter de ce que vous y li­rez. Et que la très sainte Vierge, envers laquelle le jeune Sa­vio avait un culte si fervent, nous obtienne de pouvoir for­mer un seul coeur et une seule âme pour aimer notre Créa­teur, seul digne d'être aimé par-dessus tout et fidèlement servi tous les jours de notre vie 3.



(éd. Caviglia, 3-4)



29. A sept ans. Première rencontre décisive : le Christ dans l'eucharistie 4



Chap. IIICe jour, il ne l'oubliera jamais. On peut l'appeler le véritable début ou mieux la suite naturelle d'une vie qui peut servir de modèle à tout bon chrétien. Des années après, quand on le faisait parler de sa première communion, on voyait une joie très vive éclairer son visage. « Oh ! celui-là, disait-il souvent, ce fut pour moi le plus beau jour et un grand jour. »

II écrivit quelques résolutions qu'il conservait jalouse­ment dans un livre de prières et relisait souvent. J'ai pu les /137/ avoir en mains et je les transcris ici dans leur simplicité origi­nale. Elles étaient ainsi conçues :

« Résolutions prises par moi, Dominique Savio, en 1849, quand j'ai fait ma première communion à sept ans.

1. - Je me confesserai très souvent et je communierai toutes les fois que mon confesseur me le permettra.

2. - Je veux sanctifier les jours de fête.

3. - Mes amis seront Jésus et Marie.

4. - La mort, mais pas de péchés » 5.

Ces résolutions, qu'il répétait souvent, furent pour ainsi dire la règle de ses actions jusqu'à la fin de sa vie 6.



Importance de la première communion



Si, parmi ceux qui liront ce petit livre, il en est qui doi­vent encore faire leur première communion, je voudrais leur recommander vivement de prendre pour modèle le jeune Sa­vio. Et je recommande aussi de toutes mes forces aux pères et aux mères de famille, et à tous ceux qui exercent quelque autorité sur la jeunesse, de donner la plus grande importan­ce à cet acte religieux. Soyez persuadés qu'une première communion bien faite constitue un solide fondement moral pour toute la vie. Et il est rare de trouver quelqu'un /138/ qui, ayant bien accompli ce devoir solennel, n'ait pas mené en­suite une vie bonne et vertueuse. Au contraire, il y a des mil­liers de garçons pervertis qui désolent leurs parents et ceux qui s'occupent d'eux. Cherchez la racine du mal, vous ver­rez que le début de leur mauvaise conduite coïncide avec une première communion peu ou aucunement préparée. Il vaut mieux la renvoyer à plus tard ou même ne pas la faire du tout que de la mal faire 7.



(Ed. Caviglia, 10-12)



30. A douze ans et demi. Deuxième rencontre déci­sive : Don Bosco 8



Chap. VIIC'était le premier lundi d'octobre, de bon matin, quand je vis un enfant, accompagné de son père, qui s'approchait pour me parler. Son visage joyeux, son air souriant mais respectueux, attirèrent sur lui mon regard.

- Qui es-tu, lui dis-je, d'où viens-tu ?

- Je suis Dominique Savio, répondit-il, celui dont vous a parlé mon maître Don Cugliero, et nous arrivons de Mon­donio.

Je le pris alors à part, et, nous étant mis à parler de ses études et de la vie qu'il avait connue jusqu'alors, nous som­mes aussitôt entrés en pleine confiance, lui avec moi, moi avec lui. /139/



Je reconnus en ce garçon une âme tout entière selon l'Esprit de Dieu et je ne restai pas peu stupéfait en décou­vrant l'oeuvre que la grâce divine avait déjà accomplie en un garçon si jeune 9.

Après une assez longue conversation, avant que je fasse venir son père, il me dit textuellement : « Alors, qu'est-ce que vous en pensez ? Vous me conduirez à Turin pour étu­dier ?

- Eh ! je pense qu'il y a là de la bonne étoffe.

- A quoi peut-elle servir, cette étoffe ?

- A faire un bel habit que nous offrirons au Seigneur. •

- Je suis donc l'étoffe. Vous, soyez le tailleur. Prenez-­moi donc avec vous et vous ferez un bel habit pour le Sei­gneur.

- J'ai peur que ta petite santé ne résiste pas à l'étude.

- N'ayez pas peur pour cela. Le Seigneur, qui m'a don­né jusqu'à présent la santé et la grâce, m'aidera encore à l'avenir.

- Mais quand tu auras fini d'étudier le latin, qu'est-ce que tu comptes faire ?

- Si le Seigneur me fait une pareille grâce, je désire ar­demment devenir prêtre.

- Bon ! Maintenant, je veux me rendre compte si tu as ce qu'il faut pour étudier. Prends ce petit livre (c'était un /140/ fascicule des Lectures Catholiques), étudie aujourd'hui cet­te page, demain tu reviendras me la réciter.

Sur ces mots, je le laissai libre d'aller s'amuser avec les autres et me mis à parler avec son père. Huit minutes au plus s'étaient écoulées, quand Dominique, souriant, s'avance et me dit :

- Si vous voulez, je récite ma page tout de suite.

Je pris le livre et, à ma surprise, je me rendis compte que, non seulement il avait appris mot à mot la page en question, mais qu'il en comprenait parfaitement le sens.

- Bravo, lui dis-je, tu as devancé l'étude de ta leçon, moi je devance ma réponse. Oui, je t'emmènerai à Turin et, dès maintenant, tu fais partie de mes chers enfants. Com­mence donc tout de suite à prier Dieu qu'il nous aide tous les deux à faire sa sainte volonté.

Ne sachant comment mieux exprimer son bonheur et sa reconnaissance, il me saisit la main, la serra, la baisa plu­sieurs fois et me dit enfin :

- J'espère me conduire si bien que jamais vous n'aurez à vous plaindre de moi.



(Ed. Caviglia, 18-19)





31. Troisième rencontre décisive : Marie imma­culée 10



Chap. VIIIChez nous aussi on faisait tout son /141/ possible pour célébrer avec éclat cette solennité, dont nous attendions des fruits spirituels pour nos garçons.

Savio était de ceux qui brûlaient de la célébrer sainte­ment. Il écrivit neuf bouquets spirituels, c'est-à-dire neuf actions vertueuses à mettre en pratique. Il devait en tirer une au sort tous les jours.

Il se prépara et fit, à la grande joie de son âme, sa con­fession générale, puis il s'approcha de l'eucharistie avec un extrême recueillement.

Le soir de ce 8 décembre, après les cérémonies religieu­ses, avec le conseil de son confesseur, Dominique se rendit devant l'autel de Marie, renouvela les promesses qu'il avait faites à sa première communion, puis répéta plusieurs fois textuellement les phrases suivantes :

- Marie, je vous donne mon coeur, faites qu'il soit tou­jours vôtre. Jésus et Marie, soyez toujours mes amis. Mais, de grâce, faites-moi mourir plutôt que d'avoir le malheur de commettre un seul péché 11.

Lorsqu'il eut pris ainsi Marie comme soutien de sa fer­veur, sa vie morale apparut tellement édifiante et tissée de /142/ tels actes de vertu que je me mis dès lors à en prendre note pour ne pas les oublier 12.



(Ed. Caviglia, 21)



32. A treize ans. « La grande décision : se faire saint »



Chap. X. - Après ces renseignements sommaires sur ses classes de latin, nous allons maintenant parler de la grande décision qu'il prit de se faire saint.

Savio était à l'Oratoire depuis six mois quand on y fit un sermon sur la manière facile de « se faire saint ». Le prédi­cateur développa surtout trois idées qui impressionnèrent profondément l'esprit de Dominique : « C'est la volonté de Dieu que nous nous fassions tous saints ; il est très facile d'y arriver ; une grande récompense attend au ciel celui qui par­vient à se faire saint. »

Pour Dominique, ce sermon fut pour ainsi dire l'étincel­le qui embrasa son coeur d'amour de Dieu 13. Pendant /143/ quelques jours, il ne dit rien, mais il était moins enjoué que d'habitude, si bien que ses camarades s'en aperçurent et moi aussi. Je supposais qu'il avait de nouveau des ennuis avec sa santé, et je lui demandai s'il souffrait de quelque malaise.

- Au contraire, me répondit-il, je souffre plutôt d'un bien.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Je veux dire que je sens en moi le désir et le besoin de « me faire saint »: je ne croyais pas que c'était si facile ; mais, maintenant que j'ai compris que l'on pouvait y arriver même en restant joyeux, j'y tiens absolument, et j'ai absolu­ment besoin de me faire saint. Pites-moi donc comment je dois m'y prendre pour me lancer dans cette entreprise.

Je le félicitai pour sa résolution, mais je lui demandai de ne pas s'emballer, parce que l'on ne reconnaît pas la voix du Seigneur quand l'âme est inquiète. Au contraire, je voulais avant tout une gaîté habituelle et contenue. Et, tout en lui conseillant de persévérer à faire son devoir, qu'il s'agisse d'étude ou de piété, je lui recommandai de ne jamais se dis­penser de prendre part à la récréation avec ses camara­des 14.

Je lui dis un jour que je voulais lui faire un cadeau de son goût, mais que je voulais le laisser choisir.

- Le cadeau que je vous demande, déclara-t-il sponta­nément, c'est de faire de moi un saint. Je veux me donner au Seigneur tout entier, au Seigneur pour toujours, et je sens le /144/ besoin de me faire saint, et, si je ne me fais pas saint, je ne fais rien. Dieu me veut saint et je dois y arriver.

En une certaine circonstance, le directeur voulait donner une preuve de son affection spéciale aux enfants de la mai­son. Il permit à chacun de lui demander sur un billet une chose qu'il lui serait possible d'offrir, en promettant de l'ac­corder. On imagine facilement les souhaits ridicules et extra­vagants qui lui furent adressés. Savio lui, prit un morceau de papier et n'écrivit que ces mots :

- Je demande que vous sauviez mon âme et que vous fassiez de moi un saint.

Un jour, on expliquait des mots par leur étymologie. - Et Dominique, dit-il, qu'est-ce que cela veut dire ? On lui répondit : « Dominique veut dire du Seigneur ».

- Vous voyez, poursuivit-il, si je n'ai pas raison de vous demander de faire de moi un saint ; jusqu'à mon nom qui dit que je suis du Seigneur. Je dois donc et je veux être tout entier de lui, et je veux me faire saint et je serai malheureux tant que je ne serai pas un saint 15.

Cette frénésie de sainteté ne provenait nullement de ce que sa conduite ne fût pas celle d'un vrai saint. Il parlait ainsi parce qu'il voulait s'imposer de rudes pénitences, pas­ser de longues heures en prière, toutes choses que lui interdi­sait son directeur, comme incompatibles avec son âge, sa santé et ses occupations 16.



(Ed. Caviglia, 25-26) /145/



33. « Pour se faire saint, travailler à gagner des âmes à Dieu »



Chap. XI. - La première chose qui lui fut conseillée pour se faire saint, fut de travailler à gagner des âmes à Dieu, car il n'y a rien de plus saint au monde que de coopé­rer au bien des âmes, pour le salut desquelles Jésus Christ a répandu jusqu'à la dernière goutte de son sang pré­cieux17. Dominique reconnut l'importance de cette consi­gne, et plusieurs fois on l'entendit dire :

- Si je pouvais gagner à Dieu tous mes camarades, comme je serais content ! /146/

En attendant, il ne laissait échapper aucune occasion de donner de bons conseils et de faire des remarques à ceux qui, par leurs paroles ou leurs actions, désobéissaient à la sainte loi de Dieu.



Esprit missionnaire



... Il lisait de préférence les vies des saints qui ont spécia­lement travaillé au salut des âmes. Volontiers il parlait des missionnaires qui se dépensent tellement pour leur bien dans les pays lointains. Comme il ne pouvait pas leur envoyer de secours matériels, il offrait chaque jour une prière au Sei­gneur à leur intention, et communiait pour eux au moins une fois par semaine.

Plusieurs fois je l'ai entendu s'écrier :

- Combien d'âmes attendent en Angleterre que nous les aidions ! Oh ! si j'étais plus solide et plus vertueux, je m'en irais bien tout de suite ; et, par mes sermons et mon bon exemple, je tâcherais de les gagner toutes au Sei­gneur 18.



Catéchiste en désir et en acte

Il déplorait souvent en son for intérieur, et souvent avec ses camarades, le peu de zèle d'un grand nombre pour en­seigner aux enfants les vérités de la foi. « Dès que je serai clerc, disait-il, j'irai à Mondonio, je rassemblerai tous les enfants sous un hangar et je leur ferai le catéchisme, je leur raconterai des tas d'histoires et je ferai de tous des saints. /147/

Combien de pauvres enfants vont peut-être se perdre, faute de quelqu'un pour leur enseigner la foi ! » 19.

Ces paroles, il les confirmait par des actes, car, dans la mesure où son âge et son instruction le lui permettaient, il faisait volontiers le catéchisme à l'église de l'Oratoire et, en cas de besoin, donnait des cours particuliers de catéchisme à n'importe quelle heure de la journée et à n'importe quel jour de la semaine. Et cela uniquement pour pouvoir parler de choses spirituelles, et faire comprendre à ses auditeurs combien il est important de sauver son âme.

Un jour, un camarade sans gêne l'interrompit au milieu d'une histoire édifiante en récréation :

- Qu'est-ce que ça peut te faire ces choses-là ? lui dit-il.

- Ce que ça peut me faire ? répondit-il. Ça me fait par­ce que l'âme de mes camarades a été rachetée par le sang de Jésus-Christ ; ça me fait parce que nous sommes tous frères, et que, par conséquent, nous devons aimer notre âme les uns des autres ; ça me fait parce que Dieu nous demande de nous aider entre nous à nous sauver ; ça me fait parce que si je réussis à sauver une âme, je mets le salut de la mienne en sûreté 20.



En vacances à Mondonio



Cette préoccupation de Dominique pour le bien des /148/ âmes ne diminuait pas pendant ses courtes vacances en fa­mille. Toutes les images, les médailles, les crucifix, les bro­chures, tous les objets qu'il gagnait en classe ou au catéchis­me, il les mettait de côté pour les utiliser en vacances. Mieux encore, avant de quitter l'Oratoire, il avait l'habitude d'aller demander à ses supérieurs de bien vouloir lui donner des ob­jets de ce genre, pour garder en bonne humeur, comme il di­sait, ses camarades de jeu.

Sitôt arrivé dans son village, il se trouvait immédiate­ment entouré de garçons de son âge, de plus petits, et aussi de plus grands, qui prenaient un réel plaisir à bavarder avec lui. Par des distributions de récompenses aux bons mo­ments, il les engageait à écouter attentivement les questions qu'il leur posait, soit sur le catéchisme, soit sur leurs de­voirs.

Ces gentillesses lui permettaient d'en emmener plusieurs avec lui au catéchisme, à la prière, à la messe et à diverses pratiques pieuses.

...En plus de son travail, dont il s'acquittait avec une mi­nutieuse exactitude, Dominique avait aussi pris en charge deux petits frères 21, à qui il apprenait à lire, à écrire, à ré­citer le catéchisme. Il disait avec eux les prières du matin et du soir. Il les menait à l'église, leur présentait l'eau bénite et leur montrait comment on fait un beau signe de croix.



L'apostolat du sourire et du service



Chap. XII. - Le souci de gagner des âmes à Dieu ne le /149/ quittait pas. Pendant les temps libres, il était l'âme de la ré­création ; mais toutes ses paroles, tous ses gestes visaient à faire du bien soit à son âme, soit à celle des autres.

Il n'oubliait jamais la règle de bonne éducation, qui de­mande de ne pas interrompre les autres quand ils parlent. Si pourtant ses camarades se taisaient, il lançait vivement dans la conversation des questions de classe, d'histoire, d'arith­métique et il avait toujours mille petites histoires toutes prê­tes qui donnaient de l'agrément à sa compagnie. Quelqu'un amenait-il la conversation sur des sujets qui prêtaient à la critique, il l'interrompait et lançait quelques plaisanteries ou bien une anecdote ou quelque chose pour faire rire. Ainsi, plus de mauvais esprit dans la conversation et Dominique avait empêché l'offense de Dieu parmi ses camarades.

Son air joyeux et son tempérament plein de vie le ren­daient sympathique à ceux-là mêmes qui ne raffolaient pas de piété 22. Si bien que tout le monde était heureux de pouvoir s'entretenir avec lui et acceptait de bon gré les re­marques qu'il lui arrivait de glisser de temps en temps.

...Dans les groupes de garçons, il y en a généralement un certain nombre qui, un peu lourdauds, un peu ignorants, sans éducation, ou bien affligés par quelque chagrin, sont le plus souvent abandonnés par les autres. Etre ainsi délaissés leur pèse cruellement, alors qu'ils auraient justement le plus grand besoin du réconfort d'un ami. Ceux-là devenaient im­médiatement les amis de Dominique. Il les recherchait, les faisait rire avec ses belles histoires et leur donnait de bons conseils. C'est pourquoi il est souvent arrivé que des /150/ gar­çons décidés à se dissiper, une fois remontés par les aimables paroles de Savio, soient revenus à de meilleurs sentiments.

Pour la même raison, tous les garçons qui avaient quel­que embarras de santé voulaient Dominique comme infir­mier, et ceux qui avaient des chagrins trouvaient du soulage­ment à les lui raconter. C'est ainsi qu'il pouvait librement exercer sans trêve sa charité envers le prochain et augmenter ses mérites devant Dieu.

Du chap. XIV- ...Cirer les chaussures, brosser les vête­ments de ses camarades, rendre aux malades les plus hum­bles services, balayer et s'acquitter de diverses besognes du même genre, c'était pour lui d'agréables passe-temps. « Chacun doit faire ce qu'il peut, répétait-il. Je ne suis pas capable de faire de grandes choses, mais ce que je peux, je veux le faire pour la plus grande gloire de Dieu ; j'espère que, dans son infinie bonté, Dieu voudra bien agréer ces pauvres actions que je lui offre ».



(éd. Caviglia, 26-30, 32, 41)



34. Les sacrements, sources de force et de joie



Chap. XIV. - L'expérience prouve que les plus solides soutiens de la jeunesse sont les deux sacrements de la confes­sion et de la communion. Donnez-moi un jeune garçon qui fréquente ces sacrements, vous le verrez grandir, devenir homme et, s'il plaît à Dieu, devenir très vieux, gardant une conduite exemplaire pour tous 23. Ce principe, je souhaite /151/ que les jeunes garçons le comprennent pour le pratiquer, je souhaite que tous ceux qui s'emploient à leur éducation le comprennent pour le leur inculquer.

Avant de venir à l'Oratoire, Savio se confessait et com­muniait une fois par mois, selon l'usage des écoles. Dans la suite, beaucoup plus fréquemment... 24.

Savio était heureux : « Quand j'ai du chagrin, disait-il, je vais trouver mon confesseur et il me donne un conseil conforme à la volonté de Dieu, puisque Jésus Christ a dit que, pour nous, la voix d'un confesseur c'est comme la voix de Dieu. Puis, si je désire quelque chose de grand, je vais re­cevoir la sainte hostie dans laquelle se trouve corpus quod pro nobis traditum est, c'est-à-dire le même corps, avec le sang, l'âme et la divinité, que Jésus-Christ a offert pour nous sur la croix à son Père éternel. Qu'est-ce qui me man­que pour être heureux ? Rien sur cette terre ; il me manque seulement de pouvoir jouir au ciel face à face de Celui que je vois dans la foi et que j'adore aujourd'hui sur l'autel » 25. /152/

Ces sentiments permettaient à Dominique de couler des jours profondément heureux. C'est de là que provenaient l'allégresse et la joie céleste qui transparaissaient dans tous ses actes. N'allons pas nous imaginer qu'il ne réalisait pas l'importance de ce qu'il faisait et qu'il n'avait pas la condui­te chrétienne réclamée de ceux qui communient fréquem­ment...

Quand il recevait la sainte eucharistie, sa préparation était pieuse et édifiante. La veille au soir, avant de se cou­cher, il faisait une prière à cette intention et il l'achevait tou­jours ainsi :« Loué et remercié soit à chaque instant le très saint et divin sacrement ! » Le matin, il se préparait normalement, mais son action de grâces, elle, n'en finissait plus. La plupart du temps, si personne ne l'appelait, il oubliait le déjeuner, la récréation et parfois jusqu'à la classe. Il restait en oraison, ou mieux en contemplation de la bonté de Dieu, qui communique ineffablement aux hommes les trésors de son infinie miséricorde 26.

C'était un vrai délice pour lui de passer des heures de­vant Jésus au saint sacrement... Il était transporté de joie quand il prenait part aux diverses cérémonies en l'honneur du très saint sacrement...

(éd. Caviglia, 34-36)

/153/

35. La meilleure pénitence : obéir et accepter les épreuves quotidiennes



Chap. XVAlors il lui fut absolument interdit de se livrer à n'importe quelle mortification 27, sans en avoir demandé d'abord la permission expresse. II se soumit, avec peine d'ailleurs, à cet ordre formel. Je l'ai rencontré un jour, tout triste, qui s'écriait :

- Pauvre de moi ! je suis bien ennuyé. Le Christ me dit que, si je ne fais pas pénitence, je n'entrerai pas au paradis, et à moi on me le défend. Qu'est-ce que va être mon para­dis ?

- La pénitence que le Seigneur te demande, lui dis-je, c'est d'obéir. Obéis, et pour toi ça suffira 28.

- Vous ne pourriez pas me permettre de faire d'autres pénitences ?

- Si, on te permet de faire pénitence en supportant les injures à l'occasion, en endurant patiemment le chaud, le froid, le vent, la pluie, la fatigue et tous les embarras de san­té qu'il plaira à Dieu de t'envoyer.

- Mais cela, on le souffre par force.

- Ce que tu devrais souffrir par force, offre-le à Dieu. /154/

Ça se transformera en vertu et en mérite pour ton âme 29. A ces mots, content et résigné, Dominique s'en fut tran­quillisé.

(éd. Caviglia, 38)



36. A quatorze ans. Il entraîne un groupe d'amis à vivre son idéal : la Compagnie de l'Immaculée.



Chap. XVII. - On peut dire que la vie entière de Domi­nique fut un acte de dévotion à la très sainte Vierge. Il ne manquait pas une seule occasion de faire quelque chose pour lui rendre hommage.

En 1854, le chef suprême de l'Eglise définit le dogme de l'Immaculée Conception. Savio voulait ardemment rendre vivant et durable parmi nous le souvenir de ce titre auguste donné par l'Eglise à la reine des cieux.

- Je voudrais, répétait-il, faire quelque chose en l'hon­neur de Marie, mais le faire vite parce que j'ai peur de ne pas avoir le temps.

Guidé comme d'habitude par son industrieuse charité, il choisit donc quelques-uns de ses meilleurs camarades et les invita à s'unir à lui pour constituer une compagnie qui s'ap­pellerait « de l'Immaculée Conception » 30. /155/

...D'accord avec ses amis, il composa un règlement et, après s'être donné beaucoup de mal, le 8 juin 1856, neuf mois avant sa mort, il le lut avec eux devant l'autel de la très sainte Vierge 31. Je le transcris volontiers dans l'espoir qu'il pourra servir de modèle à d'autres. En voici donc le texte :

« Nous, Dominique Savio, etc. (suivent les noms des autres compagnons), pour nous assurer durant la vie et à la mort la protection de la bienheureuse Vierge immaculée et pour nous consacrer entièrement à son saint service, en ce huitième jour de juin, après avoir tous reçu les sacrements de pénitence et d'eucharistie, résolus à professer envers no­tre Mère une filiale et persévérante dévotion, devant son au­tel et avec le consentement de notre directeur spirituel, pro­testons vouloir imiter, dans la mesure de nos forces, Louis Comollo 32. En conséquence, nous prenons l'engage­ment : /156/

I. - D'observer rigoureusement le règlement de la mai­son.

II. - D'édifier nos condisciples en les avertissant chari­tablement et en les stimulant au bien par nos paroles, mais beaucoup plus par notre bon exemple.

III. - D'employer parfaitement notre temps... »33.

(éd. Caviglia, 42)



37. Merveilles d'amitié entre adolescents



Chap. XVIII. - Tout le monde était ami de Domini­que : ceux qui ne l'aimaient pas le respectaient pour ses ver­tus. Il savait s'y prendre avec tous. Sa vertu était si solide qu'on lui demanda de fréquenter certains garçons plutôt difficiles pour tenter de les gagner au Seigneur. Pour le bien des âmes, il savait tirer parti des récréations, des jeux, des conversations même indifférentes. Cependant, les membres de la Compagnie de l'Immaculée étaient ses amis particu­liers. C'est avec eux, nous l'avons dit, qu'il se retrouvait, soit pour des réunions spirituelles, soit pour des exercices de piété. Ces réunions se tenaient avec l'autorisation des supé­rieurs, mais étaient dirigées et organisées par les garçons eux-mêmes. /157/

...Savio était des plus actifs ; on peut dire que dans ces réunions, il « faisait son docteur ».



Il serait possible de citer plusieurs camarades de Savio ayant participé à ces réunions et qui ont été en relations étroites avec lui. Mais comme ils sont encore vivants, il semble prudent de n'en pas parler. J'en citerai seulement deux que Dieu a déjà rappelés dans la patrie céleste : Camil­le Gavio, de Tortona, et Jean Massaglia, de Marmo­rito 34.



A vec. Gavio :sainteté et joie

...Sache qu'ici, nous faisons consister la sainteté à vivre très joyeux. Nous tâcherons seulement de ne pas faire de péchés, c'est un grand ennemi qui nous vole la grâce de Dieu et la paix du coeur. Nous tâcherons de faire minutieusement notre devoir et nos pratiques de piété. Commence dès au­jourd'hui à écrire et à t'appliquer cette résolution : Servite Domino in laetitia, servez le Seigneur dans une sainte allé­gresse 35. /158/



Avec Massaglia : « Aidons-nous à nous faire du bien »



Chap. XIX. - Les relations de Savio avec Massaglia, qui était de Marmorito, village proche de Mondonio, durè­rent plus longtemps et furent plus intimes.

Ils étaient arrivés ensemble à la maison de l'Oratoire, leurs pays les rapprochaient, ils avaient tous deux le même désir de devenir prêtres et la ferme volonté de se faire saints 36.

Le temps pascal arriva. Avec les autres garçons, ils suivi­rent la retraite spirituelle de manière fort édifiante. A la fin de la retraite, Dominique dit à son camarade :

- Je veux que nous soyons de vrais amis, de vrais amis pour ce qui regarde notre âme. Mon désir est donc que doré­navant nous soyons le moniteur l'un de l'autre pour tout ce qui peut contribuer à notre bien spirituel. Par conséquent, quand tu remarqueras chez moi quelque défaut, dis-le moi tout de suite pour que je puisse m'en corriger, ou, si tu trou­ves quelque chose de bien que je puisse faire, n'oublie pas de m'en avertir.

- Volontiers, pour ce qui te regarde, quoique tu n'en aies pas besoin. Mais c'est toi plutôt qui dois le faire pour moi et beaucoup plus, car tu le sais bien, à cause de mon âge, de mon travail et de mon école, je suis plus exposé que toi.

- Pas tant de compliments et aidons-nous l'un l'autre à nous faire du bien spirituellement.

A partir de cette date, Savio et Massaglia devinrent de vrais amis. Et leur amitié persista, parce qu'elle était fondée /159/ sur la vertu. A ce point qu'ils rivalisaient d'exemples et de conseils pour s'aider à fuir le mal et à faire le bien.

...Savio ressentit très douloureusement la disparition de son ami, et, quoique résigné à la volonté divine, il le pleura pendant plusieurs jours. C'était la première fois que je vo­yais cette figure angélique s'attrister et pleurer de chagrin. Son seul réconfort fut de prier et de faire prier pour son ami défunt. Plusieurs fois, on l'entendit s'écrier :

- Mon cher Massaglia, tu es mort, et j'espère que tu es déjà en paradis en compagnie de Gavio. Et moi, quand irai­-je vous rejoindre dans l'immense bonheur du ciel ?

Tout le temps que Dominique survécut à son ami, il l'eut sans cesse présent durant ses pratiques de piété. Il disait vo­lontiers qu'il ne pouvait entendre la sainte messe ni assister à un exercice religieux sans recommander à Dieu l'âme de ce­lui qui pendant sa vie s'était tant dépensé pour son bien. Cette perte fut très douloureuse au tendre coeur de Do.nini­que et sa santé elle-même en subit un sérieux contrecoup.



(éd. Caviglia, 46-49, 53)





38. La vie mystique et charismatique d'un adolescent



Chap. XX. - Jusqu'ici, j'ai raconté des faits qui ne pré­sentent rien d'extraordinaire, à moins de vouloir appeler extraordinaire la conduite constamment irréprochable de Dominique, qui se perfectionna toujours par l'innocence de sa vie, ses mortifications et sa piété. On pourrait également trouver extraordinaire la vivacité de sa foi, sa ferme espé­rance, sa charité brûlante et sa constance à bien agir jusqu'à son dernier souffle. Mais ici je pense relever des grâces spé­ciales et quelques faits inhabituels, qui peut-être feront l'ob­jet de quelque critique. C'est pour ce motif que je crois bon /160/ de faire remarquer au lecteur que ce que je rapporte ici res­semble pleinement aux faits enregistrés dans la Bible et dans la vie des saints. Je rapporte des choses vues de mes yeux, j'affirme avoir le scrupule de n'écrire que la vérité. Pour le reste, je m'abandonne entièrement aux réflexions de mon sage lecteur37. Et j'en viens au récit.

Il advint plusieurs fois que Dominique, surtout les jours où il communiait ou quand le saint sacrement était exposé, demeurât comme ravi à l'église, et il restait là, même long­temps après l'heure, s'il n'était pas appelé et envoyé à ses occupations ordinaires.

Il manqua un jour le petit déjeuner, la classe, jusqu'au repas de midi lui-même, et personne ne savait où il était : il n'était pas à l'étude, au lit pas davantage. On en parla au di­recteur, qui soupçonna ce qui était arrivé : il devait être à l'église, comme cela s'était déjà plusieurs fois produit. Le directeur entre à l'église, va dans le choeur et y trouve Domi­nique immobile comme une pierre.

Il avait un pied sur l'autre, une main appuyée sur le pu­pitre de l'antiphonaire, l'autre sur la poitrine, le visage fixe et tourné vers le tabernacle. Il ne remuait pas les paupières. Le directeur l'appelle, pas de réponse. Il le secoue, et obtient alors un regard et ces mots :

- Oh ! la messe est déjà finie ? /161/

Regarde, lui dit le directeur en lui présentant sa mon­tre, il est deux heures.

Humblement, il demanda pardon d'avoir manqué au règlement de la maison.

Le directeur l'envoya manger, en lui disant : « Si quel­qu'un te demande d'où tu viens, tu répondras que tu viens de faire ce que je t'avais commandé. »

Ceci pour éviter les questions inopportunes que ses ca­marades auraient pu lui poser.

Un autre jour, ayant achevé mon action de grâces habi­tuelle après la messe, j'allais sortir de la sacristie, quand j'entendis dans le choeur comme la voix de quelqu'un qui discutait. Je vais voir et je trouve Savio qui parlait, puis s'arrêtait, comme pour donner le temps de répondre. Entre autres, je distinguai nettement ces mots : « Oui, mon Dieu, je vous l'ai dit et je vous le redis : je vous aime et je veux vous aimer jusqu'à la mort. Si vous voyez que je vais vous offenser, faites-moi mourir. Oui, plutôt la mort, mais ne pas pécher. »38 . /162/

Je lui ai parfois demandé ce qu'il faisait quand il était ainsi en retard, et il me répondait en toute simplicité :

-- Pauvre de moi, j'ai une distraction, et alors, je perds le fil de ma prière, et il me semble voir des choses si belles que les heures passent comme une seconde.

... J'ai voulu un jour demander à Savio comment il avait pu savoir qu'il y avait un malade dans cette maison. Il me jeta un regard douloureux et se mit à pleurer. Je n'ai plus re­nouvelé ma demande.

L'innocence de la vie de Dominique, son amour de Dieu, son désir du ciel avaient transporté son esprit au point qu'on pouvait le dire absorbé habituellement en Dieu.

... Ces ravissements spirituels lui arrivaient en étude, à l'aller et au retour de l'école, en classe même 39.

(éd. Caviglia, 53-55)





39. Le dernier dialogue entre le maître et le disciple.



Dominique est malade. Sur le conseil des médecins, Don Bosco l'envoie refaire ses forces à Mondonio. Mais Dominique sait qu'il ne reviendra plus. Le dialogue suivant se situe le 28 février 1857.



Chap. XXIILe soir qui précédait son départ, je ne pouvais plus m'en défaire : il avait toujours quelque cho­se à me demander. Par exemple ceci :

- Qu'est-ce qu'un malade peut faire de mieux pour gagner des mérites ? /163/

- Offrir souvent ses souffrances à Dieu.

- Qu'est-ce qu'il peut encore faire ?

- Offrir sa vie au Seigneur.

- Je puis être sûr que mes péchés m'ont été pardon­nés ?

- Je t'assure au nom de Dieu que tes péchés t'ont été pardonnés.

- Je puis être certain d'être sauvé ?

- Oui, avec la miséricorde de Dieu qui ne te fait pas dé­faut, tu es certain de te sauver.

- Et si le démon venait me tenter, qu'est-ce que je de­vrais lui répondre ?

- Tu lui répondrais que tu as vendu ton âme à Jésus-christ, et qu'il l'a achetée avec son sang. Si le démon conti­nuait de t'ennuyer, tu lui demanderais ce qu'il a fait pour ton âme. Au contraire, Jésus Christ a versé tout son sang pour la délivrer de l'enfer et l'emmener avec lui au paradis.

- Du paradis, est-ce que je pourrai voir mes camarades de l'Oratoire, et aussi mes parents ?

- Oui, du paradis tu verras tout ce qui se passe à l'Ora­toire. Tu verras tes parents, ce qui les concerne, et d'autres choses encore mille fois plus belles.

- Est-ce que je pourrai venir leur rendre visite ?

- Oui, si c'est pour la plus grande gloire de Dieu 40.

Il posait ces questions et une foule d'autres : on aurait dit quelqu'un ayant déjà un pied sur le seuil du paradis et /164/ qui, avant d'y pénétrer, aurait tenu à bien s'informer sur ce qui se passait à l'intérieur.

(éd. Caviglia, 59)





40. « Avec Jésus, on n'a pas peur de mourir »



Le médecin, venu dans la chambrette de Dominique à Mondo­nio, s'apprête à lui faire des saignées.



Chap. XXIV-XXVD'instinct, les enfants redou­tent beaucoup les saignées. Lorsqu'il commença l'opéra­tion, le médecin demanda donc à Dominique de détourner la tête, de prendre patience et d'avoir du courage. Il se mit à rire et dit :

- Mais qu'est-ce donc qu'une petite piqûre à côté des clous enfoncés dans les mains et dans les pieds de notre Sau­veur innocent ?

Et, tout à fait calme, en plaisantant et sans donner le moindre signe d'émotion, il regarda le sang couler de ses veines pendant toute la durée de l'opération. Après un cer­tain nombre de saignées, le mal sembla reculer. Le médecin l'assurait, ses parents le croyaient, mais Dominique n'était pas du même avis 41.

Estimant qu'il vaut mieux recevoir les sacrements d'avance que pas du tout, il appela son père : « Papa, lui /155/ dit-il, il faudrait consulter le médecin du ciel. Je désire me confesser et recevoir la sainte communion. »

Ses parents, qui croyaient eux aussi à une amélioration, eurent de la peine en l'entendant. C'est seulement pour lui faire plaisir qu'on appela le curé pour le confesser. Il vint sans tarder, puis, toujours pour lui faire plaisir, lui apporta le saint viatique. On peut imaginer la dévotion et le recueil­lement avec lesquels il communia. Toutes les fois qu'il s'approchait des sacrements, on eût dit un nouveau saint Louis. Maintenant qu'il croyait vraiment communier pour la dernière fois de sa vie, qui pourrait dire la ferveur et les élans de tendresse qui s'échappèrent de ce coeur innocent vers son Jésus bien-aimé ?

Il se rappela alors les promesses de sa première commu­nion et dit plusieurs fois :« Oui, oui, ô Jésus, ô Marie, vous serez maintenant et toujours les amis de mon âme. Je le répète et je le dis mille fois : Mourir, mais pas de péchés ».

Après son action de grâces, très paisible, il dit : « Main­tenant, je suis content : il est vrai que je dois faire le long voyage de l'éternité, mais j'ai Jésus avec moi, je n'ai peur de rien. Ah ! dites-le toujours, dites-le à tout le monde : celui qui a Jésus pour ami et pour compagnon n'a plus peur de rien, même pas de mourir. »42 . /166/

Il avait été d'une patience exemplaire dans toutes les souffrances qu'il supporta au cours de sa vie ; mais, pen­dant cette dernière maladie, il fut un vrai modèle de sain­teté.



Dans la journée du 9 mars, Dominique demanda et reçut le sacrement des malades.



... On lui donna la bénédiction papale. Il récita lui-même le « Confiteor » et répondit aux paroles du prêtre. Quand il apprit que par ce geste sacré le pape lui accordait la bénédic­tion apostolique avec l'indulgence plénière, il ressentit une très grande joie. « Deo gratias, disait-il, et semper Deo gra­tias ». Ensuite il se tourna vers le crucifix et récita ces vers qui lui étaient très familiers pendant sa vie :

Seigneur, ma liberté tout entière je vous donne,

Voici mes forces, voici mon corps,

Je donne tout, car tout, ô Dieu, est vôtre.

A votre volonté, mon Dieu, je m'abandonne. 43

... On peut dire de la mort de Savio que ce fut un som­meil plus qu'une mort.

... Il s'endormit alors et se reposa une demi-heure. Puis il se réveilla et regarda ses parents. /167/

- Papa, dit-il, nous y sommes.

- Je suis là, mon petit garçon, qu'est-ce que tu veux ? - Mon cher papa, c'est le moment. Prenez ma « Jeu­nesse Instruite » et lisez-moi les prières de la bonne mort.

A ces mots, sa mère éclata en sanglots et sortit de la chambre du malade. Quant à son père, son coeur se brisait de douleur et ses larmes étouffaient sa voix. Malgré tout, il s'arma de courage et se mit à lire la prière. Dominique re­prenait attentivement et distinctement tous les mots. Mais, après chaque verset, il voulait dire tout seul :« Miséricor­dieux Jésus, ayez pitié de moi ! »

Arrivé aux paroles : « Quand enfin mon âme paraîtra devant vous, et verra pour la première fois l'immortelle splendeur de Votre Majesté, ne la rejetez pas loin de votre présence, mais daignez m'accueillir dans l'étreinte amoureu­se de votre miséricorde, afin que je chante éternellement vos louanges », oui, poursuivit-il, c'est bien cela que je désire. Ah ! mon cher papa, chanter éternellement les louanges du Seigneur ! »

Puis il sembla prendre à nouveau un peu de sommeil dans l'attitude de celui qui applique sérieusement son esprit à une chose très importante. Peu après, il se réveilla et, d'une voix claire et joyeuse, il dit :

- Adieu, mon cher papa, adieu ! Monsieur le curé vou­lait encore me dire autre chose, et je n'arrive plus à me la rappeler... Oh ! que c'est beau ce que je vois...

A ces mots et toujours en riant, le visage céleste, il expira les mains jointes et croisées sur la poitrine, sans le moindre mouvement.

Pars, âme fidèle à ton Créateur, le ciel s'ouvre pour toi, les anges et les saints t'ont préparé une grande fête. Ce Jésus que tu as tant aimé t'invite et t'appelle : « Viens, bon et fi­dèle serviteur, viens, tu as combattu, tu as été victorieux, /168/ maintenant viens posséder la joie qui plus jamais ne te man­quera : Intra in gaudium Domini tui » 44.

(éd. Caviglia, 61-65)



41. Conclusion pratique : « Confie-toi au prêtre, ministre du Seigneur, et ton ami ».



Chap. XXVIIEt maintenant, ami lecteur, puis­que tu as bien voulu lire tout ce qui a été écrit sur ce ver­tueux enfant, je voudrais que tu en viennes avec moi à une conclusion vraiment utile pour moi, pour toi et pour tous ceux à qui il arrivera de lire cette brochure... N'oublions pas d'imiter Savio dans la pratique de la confession ; c'est elle qui le soutint dans son effort constant de vertu, et qui l'achemina en toute sécurité au terme si glorieux de son exis­tence. Au cours de la nôtre, approchons-nous fréquemment et dans les dispositions requises de ce bain salutaire. Mais à chaque fois n'oublions pas de jeter un regard sur les confes­sions précédentes pour nous assurer qu'elles ont été bien fai­tes ; si alors nous en sentons le besoin, sachons remédier aux défauts qui par aventure s'y seraient glissés. Il me semble à moi que c'est là le moyen le plus sûr pour vivre des jours heureux parmi les tristesses de cette vie et pour la terminer en voyant, nous aussi, avec calme s'approcher le moment de la mort 45. Alors, la joie sur le visage, la paix dans le /169/ coeur, nous irons à la rencontre de Notre Seigneur Jésus-christ, qui nous accueillera avec bonté pour nous juger se­lon sa grande miséricorde et nous mener, je l'espère pour moi et pour toi, cher lecteur, des épreuves de cette vie à la bienheureuse éternité, afin de le louer et de le bénir dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

(éd. Caviglia, 71-72)




/170/

1 La première édition sortit en janvier 1859, imprimée chez Paravia (Turin), dans la collection des Lectures Catholiques, septième année, fasc. XI, 144 pages (prix 0,20 lire). On peut la lire en reproduction anasta­tique en Opere edite, vol. XI, pp. 150-292 (Centro Studi Don Bosco, Rome 1976). La cinquième édition « augmentée » ici utilisée, sortit en 1878 de la « Typographie et librairie Salésienne », 156 pages. Très tôt des traductions françaises ont paru. La plus récente et plus sérieuse est celle du P.F. Desra­maut Saint Dominique Savio, Marseille 1955, 2° éd. Le Puy, Mappus 1957, 3e éd. revue 1965, traduction établie sur la 5° éd. italienne utilisée et com­mentée par Don Caviglia, mais revue sur la 6e éd. de 1880 (la dernière pa­rue du vivant de Don Bosco). C'est cette excellente traduction que nous uti­lisons. Les titres des chapitres sont de Don Bosco. Les autres titres et sous­titres sont en partie du P. Desramaut, en partie de nous.


2 Gabriel Fascio mourut en 1851 ; c'était un apprenti mécanicien d'environ 13 ans (Don Bosco avait prédit sa mort, voir MB IV, 401). Luigi Rua, jeune frère de Michel, futur successeur de Don Bosco, qui fréquentait régulièrement l'Oratoire dominical mourut le 29 mars 1851, âgé de 15 ans. Gavio et Massaglia étaient les deux meilleurs amis de Dominique : il sera question d'eux plus loin.


3 Don Bosco apparaît tout entier dans cette préface : comme « histo­rien » soucieux de sa documentation et de la vérité des faits ; comme « pè­re » plein d'affection pour ses fils et qui mettra dans la rédaction de ses pa­ges autant d'amour que de science ; enfin comme « pasteur » qui invite ses lecteur à l'imitation pratique.

4 L'habitude était alors d'admettre les enfants à la première commu­nion à onze ou douze ans. Il faut savoir gré au chapelain de Morialdo, Don Zucca, d'avoir tenu compte de l'instruction précoce et de la faim eucharis­tique de Dominique pour l'admettre à sept ans, lui ouvrant ainsi le chemin vers la sainteté.


5 Cette dernière formule a probablement été inspirée à Dominique par l'acte de contrition en usage dans le diocèse de Turin :« Je voudrais être mort avant de vous avoir offensé ». Mais c'est Dominique qui lui a trouvé sa frappe particulière. Son vrai sens s'éclaire à la lumière de la résolution précédente : la fuite absolue du péché n'est rien d'autre que l'absolu de l'amour personnel pour le Seigneur et sa Mère.

6 A ces résolutions, étonnantes de profondeur et de force pour un en­fant de sept ans, Don Bosco lui-même reconnaît une valeur de programme pour toute la vie. De fait, le 8 décembre 1854, Dominique reprendra les deux dernières dans sa consécration à Marie. Et il redira la troisième, la plus intime et décisive, sur son lit de mort. Don Bosco lui-même n'aurait pas inspiré à Dominique des résolutions plus pertinentes.

7 La sévérité de cette formule finale montre à quel point Don Bosco, quand il parle des sacrements et en recommande avec insistance la pratique précoce et fréquente, ne cède jamais au laxisme : il entend qu'ils soient reçus avec le plus grand soin, grâce à la responsabilité conjuguée des éducateurs et des jeunes eux-mêmes.

8 La rencontre eut lieu non pas à Turin, mais aux Becchi, où chaque année, fin septembre, Don Bosco emmenait un certain nombre de garçons : détente, vie familiale, célébration fervente du Rosaire (voir MB V, 348­352). Don Bosco avait alors trente-neuf ans. Il y aurait une étude à faire sur les rencontres les plus typiques de Don Bosco avec les adolescents : Barto­lomeo Garelli, Michel Rua, Dominique Savio, Michel Magone... Autant de conquêtes cordiales et spirituelles.


9 Don Bosco trouve donc un Dominique qui a déjà sa personnalité spirituelle. Il s'étonne du travail de la grâce dans cet enfant de douze ans et demi... Deux saints se rencontrent ! L’étoffe et le tailleur. Et vient la phrase étonnante : « Nous sommes aussitôt entrés en pleine confiance, lui avec moi, moi avec lui ». Principe nécessaire et suffisant du travail éducatif effi­cace.


10 Coïncidence providentielle : Dominique, entré à l'Oratoire le 29 octobre 1854, commence un mois plus tard la neuvaine préparatoire à la fête du 8 décembre toujours célébrée avec un soin particulier chez Don Bosco, mais marquée cette année-là par un événement d'Eglise exception­nel, la définition du dogme de ]'Immaculée Conception. Dominique en sera profondément marqué.

11 « Avec le conseil de son confesseur... textuellement les phrases sui­vantes... »: Don Bosco a donc été informé avec précision de l'engagement de Dominique et même de sa formulation. Dans l'esprit du garçon, c'est à la fois une continuation du passé, mais aussi le franchissement d'un seuil, l'entrée dans une période nouvelle (la confession générale signifie cette volonté de renouveau) : les résolutions 3 et 4 de la première communion étaient prises par un enfant, elles sont reprises aujourd'hui de façon beau­coup plus consciente par un adolescent. Cet avenir de ferveur est mis sous le signe de Marie immaculée, et le péché dont il veut d'abord se garder est celui de l'impureté (voir chap. XIII ; et une « bonne nuit » de Don Bosco le 28 novembre 1876, MB XII,572). Nul doute que Dominique ait fait, à son niveau d'adolescent, une profonde expérience de vie mariale.

12 La réalité a donc correspondu à l'intention. La consécration de soi à Marie a vraiment ouvert pour Dominique une période de générosité toute nouvelle. Don Bosco s'en aperçoit, s'étonne, et commence de prendre des notes !


13 Le prédicateur était Don Bosco. Les idées développées sont bien les siennes (il s'est inspiré de 1 Tes 4,13). Notons l'expression choisie par Don Bosco : « l'étincelle qui embrasa son coeur d'amour de Dieu », car elle éclaire le vrai sens de l'expression « se faire saint ». La suite du texte dira que Dominique, au début, s'est trompé sur certains moyens ou expressions de la sainteté, mais nullement sur son orientation foncière : aimer Dieu d'un amour vivant comme le feu, donner tout, et le plus possible, et le plus vite possible. La psychologie de l'âge adolescent vient ici en aide à cette soif d'absolu orientée vers Dieu :« Je veux absolument ». Mais elle y ajoute aussi cette inquiétude et ce risque de repli sur soi que Don Bosco va s'em­ployer à corriger.

14 Travail, prière, le tout enveloppé d'une allégresse constante au mi­lieu des compagnons. Ce paragraphe renferme les données essentielles de la spiritualité proposée par la sagesse de Don Bosco à ses jeunes. C'est en y obéissant que Dominique deviendra en toute vérité, et rapidement, le saint qu'il voulait être. On notera avec soin le chemin jusqu'ici parcouru : l'obéissance (remise de soi à Don Bosco) et la pureté (remise de soi à Marie) ouvrent à l'adolescent les voies de l'amour véritable

15 Etonnante formule dans la bouche d'un adolescent de treize ans. Aussi étonnante que la précédente :« Si je ne me fais pas saint, je ne fais rien ». « Me faire saint » devient le principe de son effort pour les deux ans qui lui restent à vivre ». Jusque dans son nom il lit cet appel à la sainteté et le sens même de son existence. On aura noté les perceptions conjuguées : ,< Dieu me veut saint... Je dois, je peux, je veux me faire saint ».

16 Pour Dominique se faire saint est nécessairement renouveler les exploits des grands pénitents, ou ceux qu'il pouvait lire dans les biographies de Comollo ou de saint Louis de Gonzague. Don Bosco reviendra, au cha­pitre XV, sur son désir de souffrir en union à Jésus crucifié. Mais il lui in­terdit toutes les pénitences afflictives corporelles, les jugeant « incompati­bles avec son âge, sa santé, et ses occupations ». En revanche, il va lui tra­cer une nouvelle voie d'effort exactement adaptée à sa situation : l'aposto­lat.

17 Voici sans aucun doute l'une des phrases les plus « importantes » de la biographie de Dominique et l'un des principes centraux de la spiritua­lité de Don Bosco. Il faut noter avec soin les trois affirmations ici présen­tes, liées entre elles :- l'apostolat est une voie de sainteté, et pour un salé­sien il est la voie principale de sainteté ;- l'apostolat est la chose la plus sainte du monde : Don Bosco reviendra sans cesse, et sous diverses formes, sur cette pensée ;- la raison des deux affirmations précédentes est le mys­tère même de la rédemption : les âmes à gagner valent le sang de Jésus­Christ qui les a sauvées.

Don Bosco infuse donc à son disciple quelque chose de son âme aposto­lique : Dominique devient un salésien avant l'heure, vivant déjà le « Sei­gneur, donne-moi des âmes ». Durant les deux dernières années de sa vie, il déploiera un zèle extraordinaire dans l'apostolat individuel autant qu'orga­nisé, et sans le savoir, il coopérera à la naissance de la Congrégation salé­sienne. Les salésiens ne pourront jamais oublier qu'à la source de leur Congrégation, Dieu a voulu placer non seulement la sainteté du fondateur, mais celle d'un adolescent de quatorze ans.

Ce copieux chapitre XI présente quatre aspects principaux de l'aposto­lat de Dominique. Un autre chapitre présentera son activité au sein de la Compagnie de !'Immaculée Conception

18 Les esprits étaient travaillés entre 1850 et 1860 par les symptômes .ncourageants d'un redressement catholique en Angleterre (Newman, .Manning...) ; la hiérarchie catholique y avait été rétablie (bref du 29 sept. 1850). Don Bosco, préoccupé d'actualité et fervent de tout ce qui regardait l'Eglise, ne manquait pas d'en entretenir ses enfants (voir Caviglia, Studio, pp. 412-417). D'autres épisodes de la vie de Dominique montrent que la conversion de l'Angleterre préoccupait cet adolescent.

19 Dominique a assimilé les idées de Don Bosco ! et peut-être entendu parler de ce que Don Bosco jeune garçon avait fait au milieu de ses camara­des.

20 Dominique a-t-il réellement tenu ce discours ? Probablement Don Bosco ici synthétise ce que Dominique avait coutume de dire en semblables occasions avec ses propres formules. Les quatre raisons apportées situent les perspectives apostoliques du maître et du disciple. Invitent à l'aposto­lat : l'amour du Christ rédempteur, l'amour du prochain, l'amour de Dieu Père, enfin l'amour de soi-même. Chez Dominique, ce n'étaient pas que belles formules, mais convictions.


21 Dominique, à l'été de 1855, avait deux petites soeurs, Raymonde, dix ans et Marie, huit ans, et deux petits frères, Jean, cinq ans et Guillau­me, deux ans et demi (qui mourra à douze ans). II ira auprès de sa maman pour l'heureuse naissance de Catherine le 12 septembre 1856 (il sera son parrain). Deux autres petits frères étaient morts à peine nés. Et deux autres petites soeurs naîtront après sa mort, dont Thérèse (1859) qui apportera son témoignage au procès de béatification.

22 Noter ce témoignage et celui du paragraphe précédent :« il était l'âme de la récréation ». Dominique n'était nullement « l'enfant sage » qu'on a cru parfois, un peu endormi ou peu dégourdi, mais bien le camara­de « plein de vie » et sympathique qui savait ne pas rendre pesantes les in­terventions de son zèle.


23 Conformément à la perspective de l'époque, Don Bosco insiste d'abord sur l'efficacité des sacrements dans le domaine de la conduite mo­rale : ils font progresser dans les vertus. Mais ne nous y trompons pas : il a bel et bien perçu leur dimension mystique : ils font progresser aussi et d'abord dans la communion d'amour avec Dieu. Dominique le sait depuis sa première communion. Et la suite nous dira jusqu'à quels sommets le Seigneur l'a conduit

24 Don Bosco dit un peu plus loin : a Il commença par se confesser tous les quinze jours, puis tous les huit jours, et il communiait avec la même fréquence. Son confesseur ayant remarqué ses grands progrès dans la vie spirituelle lui conseilla de communier trois fois par semaine, puis au bout d'une année il lui permit de communier même tous les jours ». Selon la doctrine liguorienne appuyée sur un décret d'Innocent XI (12 février 1679), « l'usage de la communion fréquente était remis tout entier à la pru­dence du confesseur » (S. Alphonse, Praxis confessarii, éd. Gaudé, Rome 1912, § 149). Le confesseur devait fonder ses conseils sur le désir de l'eucharistie manifesté par le pénitent et sur son « progrès spirituel grâce à la communion » (ib. § 155). Don Bosco suivait ici les directives de son maî­tre, apprises au Convitto de Turin.

25 La petite Thérèse de Lisieux dira, le 15 mai 1897 : « Je ne vois pas très bien ce que j'aurai de plus, après la mort, que je n'aie déjà en cette vie. Je verrai le bon Dieu, c'est vrai ! mais pour être avec lui, j'y suis déjà tout à `ait sur la terre » (Derniers entretiens avec ses soeurs, Paris 1971, p. 208). ,'Noter l'insistance sur la joie : Don Bosco semble heureux de pouvoir apporter un si clair exemple de sa conception de la vie chrétienne : le Dieu .i'amour apporte une joie ineffable à qui adhère à lui en vérité.






26 Ici apparaît en toute clarté l'aspect « unitif » et « contemplatif » de l'eucharistie dans la vie de Dominique. Ce serait un phénomène à creu­,er : l'eucharistie source de vie mystique chez un adolescent. Don Bosco reviendra sur ce thème au chapitre XX.

27 Nous savons déjà, par la fin du chapitre X, que Dominique cher­chait des pénitences afflictives, par souci à la fois de prévenir les tentations et de s'unir au Christ souffrant. Mais Don Bosco impose ses directives : pour ses jeunes il y a un autre type, plus sûr et plus adapté, d'accomplir la mortification qui reste une des lois de toute vie chrétienne. La page qui suit est l'une des plus typiques en fait de sagesse salésienne.

28 C'est la doctrine de saint François de Sales :« Assez meurt martyr qui bien se mortifie ; c'est, d'aventure, un plus grand martyre de persévérer toute sa vie en obéissance, que non pas de mourir tout d'un coup par un glaive » (Entretiens spirituels, éd. Ravier, Paris 1969, p. 1155). Don Bosco ne dira pas autre chose à ses salésiens religieux.


29 L'acceptation des épreuves physiques et morales, celles qu'on ne choisit pas, mais qui viennent des circonstances quotidiennes, a toujours constitué l'un des points essentiels de l'ascèse salésienne. C'est la « patien­ce » surnaturelle, qui transforme les difficultés de la vie en abandon à la tendresse de Dieu.

30 Nous avons ici une nouvelle preuve que l'élan de Dominique vers la sainteté est effectivement parti de sa consécration à Marie le 8 décembre 1854. Mais la course s'est accomplie en deux étapes. Dans la première, Do­minique tend à réaliser sa propre sainteté, dans une générosité personnelle croissante. Dans la seconde il communique son désir à ses meilleurs amis, en particulier Michel Rua (alors clerc) et Joseph Bongiovanni, étudiant (tous deux de dix-neuf ans) : ils vont vivre ensemble, dans une sainte ému­lation, ce que Dominique avait jusque-là vécu personnellement. On ne sau­rait oublier que l'adolescent Dominique de quatorze ans a entraîné dans son sillage le futur bienheureux Michel Rua, son aîné de cinq ans...

L'année suivante, après la mort de Dominique, Bongiovanni créera deux autres « compagnies » : celles du Saint Sacrement et celle du Petit Clergé.

31 Cet acte de fondation officielle a lieu dix-huit mois exactement après la consécration personnelle de Dominique à Marie, et devant le même autel de l'église Saint-François-de-Sales. Don Bosco le met en rapport aussi avec la date de sa mort, comme pour dire que Dominique, ayant accompli cette tâche décisive, peut maintenant préparer avec calme son grand dé­part : il a eu le temps d'élever le « souvenir vivant et durable » qu'il voulait laisser. On reste frappé de la place tenue par Marie dans l'ascension spiri­tuelle de Dominique. Avec raison Don Bosco affirme :« On peut dire que sa vie entière fut un acte de dévotion à Marie ».


32 Les Mémoires de l'Oratoire nous ont fait connaître ce compagnon de collège et de séminaire de Don Bosco. Don Caviglia note judicieusement que dans la Vie de Comollo (réécrite pour la deuxième édition de janvier 1854), Don Bosco avait projeté son propre idéal de sainteté, de sorte qu'en la lisant, les membres de la Compagnie de l'Immaculée s'imprégnaient de l'esprit de Don Bosco lui-même (Studio p. 453).

33 Suit un Plan de vie en 21 points, qui fut approuvé et complété par Don Bosco. Par cette ardeur au devoir quotidien et le souci de l'entraide iraternelle, la Compagnie faisait croître le niveau spirituel de toute la Mai­~on de l'Oratoire et remplissait une fonction hautement apostolique. C'est dans ce climat, et avec les Compagnons eux-mêmes, que put naître la Con­grégation salésienne le 18 décembre 1859.

34 Il y aurait tout un livre à écrire sur « Don Bosco et l'amitié ». Lui­même a fait une extraordinaire expérience d'amitié avec Comollo et plu­sieurs autres compagnons d'études. Et s'il recommandait à ses jeunes de fuir les mauvais compagnons, c'était pour souligner qu'il fallait fréquenter les meilleurs. Dans cette optique, il louait les inappréciables bienfaits de l'amitié fondée sur l'amour commun de Jésus-Christ. Il est significatif qu'il ait voulu consacrer à ce thème deux chapitres entiers de la Vie de Domini­que. Et ce furent de vraies amitiés, où le coeur vibrait aux sentiments les plus délicats, dans la lumière de la foi.

La place nous manque pour citer en entier le fameux dialogue où Domi­nique propose à Gavio (qui avait quinze ans) son programme de sainteté. Mais nous en citons le passage essentiel.


35 Joie, travail, piété : c'est la trilogie de la sainteté salésienne. Les trois éléments sont inséparables. Nous les retrouverons dans la Vie de Ma­gone et surtout de Besucco.

36 Cette amitié en effet dura presque deux ans. Jean Massaglia était né le ler mai 1838 : il avait donc quatre ans de plus que Dominique. C'est dire la maturité psychologique et spirituelle de celui-ci. Massaglia devait re­vêtir la soutane à l'automne 1855, et mourir peu après, le 20 mai 1856.


37 Prenons conscience de ce fait : Don Bosco, maître spirituel, eut à conduire certaines âmes dans les voies mystiques. Tâche d'autant plus déli­cate que ces âmes étaient celles d'adolescents ! En écrivant ce chapitre, il .nt bien qu'il risque de soulever des réactions de scepticisme. Aussi prévient-il :«.T'affirme avoir le scrupule de n'écrire que la vérité », et il invite le lecteur à la réflexion ! Nous pouvons lui faire confiance, et réflé­chir en effet sur les extraordinaires complaisances de Dieu pour un enfant de quatorze ans :« Père, tu as caché ces choses aux sages et aux savants et , les as révélées aux petits. Tel a été ton bon plaisir, et je t'en rends grâ­ce » (Lc 10,21).

38 II est intéressant de constater que la vie mystique de Dominique est comme l'aboutissement du chemin où il s'est engagé lors de sa première communion. L'amour de Jésus, et le refus corrélatif de tout ce qui s'y oppose, l'a envahi au point de l'entraîner de plus en plus vers ces mysté­rieux dialogues. Usant d'un langage humain, nous pourrions dire : Dieu ne craint pas de perdre son temps avec un adolescent, aussi important et pré­cieux à ses yeux qu'un grave chanoine ou un président de république.

Dans la suite du texte, Don Bosco rapporte un autre type de faits : Dominique fut gratifié de charismes de révélation, de prophétie et de mira­cle. Il guide une nuit Don Bosco chez un moribond inconnu ; il prévoit le renouveau catholique de l'Angleterre ; il sait sa propre mort. A la fin du chapitre, Don Bosco affirme :« Je passe sous silence bien d'autres faits similaires ». Les documents du procès relatent aussi l'épisode du voyage à Mondonio pour guérir sa mère qui allait accoucher d'une petite Catherine, le 12 septembre 1856 (voir Caviglia, Studio, pp. 426-432).

39 Il s'agit très probablement des derniers mois de sa vie. A l'automne 1856, il avait repris les cours en ville chez Don Picco. Et Don Bosco affirme que mai-juin 1856 (mois de Marie, fondation de la Compagnie, épreuve de maladie) avaient marqué une nouvelle étape de la ferveur de Dominique.


40 On pense à la réflexion de la petite Thérèse de Lisieux le 17 juillet 1897 :« Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre »(Derniers en­tretiens, Paris 1971, p. 270). Le 6 décembre 1876, Don Bosco vit en rêve son Dominique, qui lui parla longuement. Le 22 décembre, il racontait ce rêve à l'Oratoire. Les archives salésiennes en possèdent un récit autographe de Don Bosco lui-même (132/3). Récit de Don Lemoyne en MB XII, 586­595.

41 En ces derniers jours et heures de sa vie, Dominique a reçu la grâce insigne de la paix et de la joie, jointes à la certitude absolue de sa mort. Tous autour de lui se font illusion, médecin et parents. Lui domine la situa­tion et semble conduire les événements. Le curé de Mondonio, Don Grassi, Don Cagliero l'instituteur et le père Charles Savio, impressionnés par ses gestes et paroles, en informèrent Don Bosco par la suite. Les sources de ces chapitres sont donc directes et sûres.


42 Ce passage jette une vive lumière sur l'ensemble de la vie spirituelle de Dominique et sur la singulière cohérence de sa marche vers la sainteté : les paroles de la dernière communion répondent à celles de la première. La vie chrétienne conçue et vécue comme une amitié croissante avec le Christ vivant (« Jésus ami et compagnon ») et avec sa Mère : telle fut la perspecti­ve de Dominique. Le fruit le plus beau de cet amour d'amitié, c'est la joie, et c'est la force de voir venir la mort en souriant. « Dites-le à tous ». Toute cette biographie de Dominique est une hymne a la joie qu'apporte le Dieu vivant.

43 Ces quatre vers, inspirés de la célèbre prière de saint Ignace de Loyola :« Prenez et recevez, Seigneur, ma liberté entière », constituent la première partie d'une formule rythmée de consécration proposée pour l'action de grâces après la communion dans le recueil de dévotion Manuale di Filctea, de Giuseppe Riva, très répandu alors en Italie (Ir, éd. 1834). Mais Dominique les avait sans doute lus dans La Clé du paradis, manuel de doctrine et de piété pour les adultes composé par Don Bosco lui-même et édité en 1856. Ils se trouvaient ici dans la section des cantiques, p. 180 (Centro Studi Don Bosco, Opere edite, vol. VIII, p. 180). Dominique a-t-il introduit de lui-même la variante du deuxième vers qui disait dans l'origi­nal : « Voici mes forces, voici ma volonté » ?

44 « Entre dans la joie de ton maître », phrase extraite de la parabole des talents (Mt 25, 21-23). Selon l'acte de sépulture, Dominique mourut à dix heures du soir.

45 Don Bosco termine son livre sur une exhortation à se bien confes­ser. Conclusion qui peut paraître étroite pour une biographie dont les hori­zons, quelques pages plus haut, étaient autrement vastes ! Mais Don Cavi­glia fait à ce propos la juste remarque suivante : « Dans cette synthèse, Don Bosco laisse dans l'ombre sa propre personne, la part qui fut la sienne dans l'éducation de son élève à la sainteté. Mais nous, nous ne pouvons pas nous le permettre. La merveilleuse figure de Savio parvenu à la sainteté est le fruit d'une collaboration. Après la grâce de Dieu, évidemment teujours sous-jacente, l'adolescent et son maître y ont travaillé en parfaite corres­pondance et concordance, l'un en totale docilité, l'autre par son art et sa sagesse, et plus encore selon une étroite affinité spirituelle qui permit à l'élève de refléter l'esprit du maître : Dominique Savio était fait pour Don Bosco, et Don Bosco pour lui. Et cet éducateur de saints affirme que cette collaboration s'est accomplie essentiellement dans la confession : nous de­vons nous en tenir à sa parole, lui seul étant compétent pour le d.re... Il nous faut reconnaître que la sainteté de Savio fut guidée et soutenue par Don Bosco » (Studio, p. 589). La conclusion la plus claire est donc celle-ci : un adolescent, mn jeune homme qui veut vivre une vraie vie spirituelle et progresser en amour de Dieu et des autres doit mettre sa confiance en un prêtre. I u direction spiri­tuelle existe aussi pour les jeunes. Elle ne consiste certes pas en dialogues longs et fréquents, mais dans une confiance réciproque radicale, celle du père spirituel qui guide et stimule, celle du fils qui avec sécurité assume peu à peu sa personnalité de croyant.