Dominique, Francois, Michel: Trois figuires typiques p 127-132

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II


DOMINIQUE, MICHEL, FRANÇOIS

TROIS FIGURES TYPIQUES

D'ADOLESCENTS




Avant de citer des textes choisis de chacune 'des biogra­phies, il convient de jeter un rapide regard sur les trois visa­ges pour en discerner les ressemblances et les différences, et mieux saisir la voie spirituelle par laquelle le même maître les a personnellement conduits.

Notons d'abord avec soin que ce sont trois adolescents, « giovanetti » dit Don Bosco, et non pas encore des « gio­vani » : Savio meurt à quinze ans, Magone à treize, Besucco à quatorze. Ils ont donc en eux à la fois cette inquiétude, cette capacité de réflexion sur soi, cette ouverture métaphy­sique, cet élan des forces nouvelles, et cette propension à la générosité qui caractérisent la psychologie de l'adolescence, cette « seconde naissance », disait déjà Rousseau au /127/ li­vre IV de l'Emile. Quant à Don Bosco, il pensait que c'est l'âge qui offre le plus de ressources d'efficacité à l'action de l'éducateur 1.

Aucun des trois garçons n'est d'origine citadine. Deux viennent de la campagne d'Asti, Savio de Mondonio et Ma­gone de Carmagnola (à une trentaine de kilomètres de Tu­rin) ; le troisième vient d'un petit village alpestre, Argen­tera, le dernier avant la frontière française (à une soixantai­ne de kilomètres au-delà de Cuneo). Tous les trois sont d'origine populaire, issus d'une famille pauvre, mais pro­fondément croyante ; et tous les trois ont reçu non seule­ment de leurs parents, mais de leur curé ou de quelque prê­tre instituteur, les premiers éléments d'une bonne éducation chrétienne. Les fondements sont donc déjà posés : Don Bosco n'aura qu'à poursuivre la construction.

Et même tous les trois ont entendu l'appel du Seigneur au sacerdoce. Sur ce point toutefois, Savio et Besucco se rapprochent et Magone tient sa place originale. Dès avant leur entrée chez Don Bosco, Savio et Besucco sont des âmes privilégiées, au point que Don Bosco, quand il les accueille, s'étonne du travail de la grâce déjà opéré en eux ; ils vien­nent à l'Oratoire précisément pour pouvoir entreprendre les études sacerdotales. Magone est un garçon sain et généreux mais turbulent et d'une vigueur inquiétante ; orphelin de pè­re, il ne sait pas ce que sera son avenir : l'idée du sacerdoce /128/ jaillira en lui dès les premières semaines de son séjour à Val­docco.

Don Bosco est, déjà alors, en pleine possession de ses principes et de sa méthode d'éducation spirituelle. Mais il est évident qu'il refuse l'uniformité et la standardisation, qui n'ont rien à voir en ce domaine spirituel : il respectera en chacun les dons providentiels et les aspirations personnel­les. Il conduira chacun sur son propre sentier. Il aidera cha­cun à trouver sa figure originale de sainteté, toujours atten­tif au mystérieux travail de la grâce et aux appels de la liber­té de chacun de ces fils de Dieu. Aussi le même maître, dans le même milieu de l'Oratoire, produit trois chefs-d'oeuvre fort différents, même si des traits de famille évidents les rapprochent.

A cette ceuvre de personnalisation contribue, pour une bonne part, le moment et la durée du séjour de chacun au­près de Don Bosco. Dominique est, sans aucun doute, de ce point de vue, le plus favorisé : arrivé chez Don Bosco à dou­ze ans et demi, il demeure avec lui deux ans et demi (exacte­ment vingt-huit mois, du 29 octobre 1854 au 1er mars 1857), à l'heure où l'internat de l'Oratoire n'est pas encore très nombreux et où Don Bosco en personne imprègne forte­ment de son esprit le groupe d'étudiants dont va surgir le noyau de la Congrégation salésienne. Michel, à douze ans, prend la relève de Dominique, entrant à l'Oratoire sept mois après sa mort. Il y restera un peu plus d'un an (exactement quinze mois, d'octobre.1857 au 21 janvier 1859) ; et dans cet intervalle, il faut compter deux mois d'absence de Don Bosco (à Rome du 18 février au 16 avril 1858). Enfin quatre ans plus tard, François, treize ans et demi, arrive dans une maison de l'Oratoire surchargée (plus de 600 garçons) : son séjour sera bref: cinq mois (du 2 août 1863 au 9 janvier 1864) ; mais son âme généreuse est assez préparée pour pro­fiter, en ce peu de temps, de toutes les richesses spirituelles de l'Oratoire. /129/

Trois visages exquis, mais divers. Le plus beau, c'est évi­demment Dominique Savio, que l'Eglise a canonisé le 12 juin 1954 : quiconque l'étudie d'un peu près ne peut manquer de reconnaître en lui une étonnante merveille de la grâce, un très grand saint de quinze ans, « petit, non, grand géant de l'esprit », a dit de lui Pie XI le 9 juillet 1933. Mi­chel Magone est peut-être plus immédiatement sympathi­que, parce que plus « nature » et formé plus exclusivement par Don Bosco (sans Don Bosco, Savio, et Besucco seraient restés des garçons d'exceptionnelle qualité ; mais sans Don Bosco, Magone se serait perdu) : « C'est une figure debout, désinvolte, un caractère vif et prompt, gai et jovial, un peu crâneur, sans pourtant se distinguer particulièrement parmi ses camarades sinon par le fait qu'il accomplit très bien ce qu'il a à faire »2. Quant à François Besucco, il offre une autre physionomie de sainteté : âme simple et limpide com­me les cimes neigeuses de ses Alpes (dit Don Caviglia), il est, dès sa petite enfance, prévenu de grâces particulières ; et il avance vers les sommets d'un pas égal, sans drame, accélé­rant sa marche les derniers mois, à la voix de Don Bosco.

Les trois biographies se complètent donc heureusement. On peut faire entière confiance à leur vérité historique. Don Bosco a été le témoin direct d'une bonne partie des faits qu'il raconte, et des centaines de garçons étaient là pour ap­puyer leur authenticité. Pour le reste, il s'est documenté fort sérieusement auprès des parents, des curés, des professeurs, des camarades de ses héros (pendant deux ans pour Savio et presque trois pour Magone). Il a recueilli plusieurs de leurs lettres et leurs notes personnelles. Certes, comme le lui per­mettait la mentalité de l'époque, il a agencé ces matériaux avec souplesse, il les a enrichis de réflexions morales et pé­dagogiques ; il a parfois dramatisé les dialogues. Mais /130/ l'in­tention d'édifier n'aboutit jamais à déformer les faits ; elle s'appuie au contraire fermement sur eux : c'est réellement la sainteté vécue par ces garçons que Don Bosco a voulu mon­trer.

Le plan suivi dans chaque biographie est sensiblement le même. Une première partie raconte la vie du jeune saint jus­qu'à son arrivée et son installation à Valdocco. Un deuxiè­me groupe de chapitres, où la préoccupation didactique l'emporte sur le souci de la chronologie, décrit ses principa­les vertus. Une troisième partie retrouve l'ordre historique des faits pour raconter les derniers jours, la mort, et parfois le rayonnement de l'après-mort. Du point de vue qui nous intéresse, c'est donc la deuxième partie qui fournira les tex­tes les plus intéressants.

Toutefois cette unité de plan laisse à chaque oeuvre son allure particulière. La vie de Michel Magone fournit le récit le plus court et le plus simple (en seize chapitres), celle de Dominique Savio le récit le plus riche en contenu historique et spirituel (vingt-sept chapitres), celle de François Besucco, le récit le plus systématique et le plus minutieux (trente­quatre chapitres). Cette troisième biographie diffère sensi­blement des deux autres : Don Bosco y est beaucoup moins intervenu personnellement (il a beaucoup exploité les longs rapports fournis par le curé Don Peppino et par le respon­sable scolaire de Valdocco, Don Ruffino, et s'est fait aider, pour la rédaction même, par Don Giuseppe Bongiovanni) ; d'autre part, il a plus ou moins transformé le récit en une réflexion systématique sur sa méthode d'éducation spirituel­le : les digressions didactiques sont plus nombreuses et le style se fait lourd. C'est la moins populaire des trois bio­graphies. Mais elle a ce grand intérêt de synthétiser plus di­rectement la pensée spirituelle de Don Bosco.

Evidemment, il faut lire ces textes avec le sens historique nécessaire. Nous ne sommes pas obligés d'admirer dans leur /131/ matérialité tous les comportements de ces jeunes saints : c'est leur signification spirituelle qui compte avant tout. Don Bosco a dû payer son tribut aux conceptions spirituel­les de son époque, souvent rigides, et aux formules de sa lit­térature ascétique, souvent trop « pieuse » ou sentimentale (que l'on songe au style de sainte Thérèse de Lisieux). Mais qui est à la recherche des vraies valeurs de sainteté saura ici les trouver.

Notre choix de textes utilise l'édition scientifiquement établie par le professeur Don Alberto Caviglia aux vo­lumes IV, V, VI delle Opere e Scritti di Don Bosco et cha­que fois accompagnée d'une étude pédagogique et spiri­tuelle du plus haut intérêt :

- Vita di Savio Domenico, vol IV, Turin, SEI 1943, pp. 1-92 (5e édition de 1878 ; 27 chapitres) ; introduction à la lecture, pp. IX-XLIII, étude : Savio Domenico e Don Bos­co, pp. 1-609.

Vita di Magone Michele, vol. V, SEI, 1965, pp. 201-252. (4e édition de 1893 ; 16 chapitres) ; étude : Il « Magone Michele ». Una classica esperienza educativa, pp. 131-200.

- Vita di Besucco Francesco, vol. VI, SEI, 1965, pp. 21-106 (2e édition, de 1878 ; 34 chapitres) ; introduction à la lecture pp. 7-19 ; étude : La « vita di Besucco Francesco » scritta de Don Bosco e il suo contenuto spirituale, pp. 107­-262.


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1 Dans le premier Plan de Règlement pour la Maison adjointe à l'Ora­toire (le foyer), élaboré eri 1852-54, Don Bosco avait écrit :« Condition d'acceptation : âge de douze ans accomplis, et qui ne dépasse pas les dix­-huit. L'expérience a fait voir qu'ordinairement les jeunes avant douze ans ne sont pas capables de faire ni grand bien ni grand mal, et après dix-huit ans ont une très grande difficulté à abandonner les habitudes reçues ailleurs pour s'accorder à un nouveau règlement de vie » (MB IV,736). En fait, Don Bosco a aussi accepté à Valdocco et dans ses maisons des jeunes d'une vingtaine d'années.


2 A. Caviglia, Il « Magone Michele », étude, in Don Bosco, Opere e scritti, V, p. 193.