À tous les chrétiens p. 243-269

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I


A TOUS LES CHRÉTIENS





73. Dieu est un Amour miséricordieux

Exercice de dévotion à la Miséricorde de Dieu (1846)

La marquise de Barolo-Colbert avait pris à coeur de diffuser, dans ses communautés de Ste Anne et de Ste Marie-Madeleine, puis dans les églises publiques, une dévotion qui lui était chère l'invocation à la miséricorde de Dieu, pratiquée sous la forme d'un « dévôt exercice » de six jours de prière et de pratiques charita­bles. Elle cherchait aussi une bonne plume qui propageât ladite dé­votion au moyen d'un petit livre solide et fervent. Silvio Pellico, alors secrétaire de la marquise et ami de Don Bosco, suggéra à celui-ci d'écrire cet ouvrage. Don Bosco accepta, bien qu'à ce moment il se trouvât en froid avec la marquise, pour les raisons exposées plus haut à propos des Mémorie dell'Oratorio 1. Il fit /243/ imprimer, à ses frais et sans nom d'auteur, par délicatesse envers celle qui refusait d'être sa débitrice, un livret de 112 pages inti­tulé : Esercizio di devozione alla Misericordia di Dio 2.

Cet ouvrage de jeunesse (Don Bosco n'a alors que trente et un ans) est plein d'intérêt : il nous révèle sans doute la vision de Dieu fondamentale de celui qui devait donner encore quarante ans de sa vie à pratiquer auprès de ses jeunes les « oeuvres de miséricorde ». Certes, la pensée n'est pas entièrement originale .° Don Bosco a puisé chez saint Alphonse 3 et ailleurs 4. Mais il était maître de ses choix et de son style. Les six méditations sur la miséricorde de Dieu créateur et sauveur sont d'une seule coulée, sans l'ombre d'intention polémique, pleines de sève biblique. Elles nous permet­tent de comprendre à quelle source le père de la jeunesse abandon­née a puisé son amour patient et de quel Dieu il s'est fait le témoin et l'instrument.

Deuxième Jour. - Gestes particuliers de Dieu envers les pécheurs selon la Sainte Ecriture (exemples de David, de Madeleine...)

Rien d'étonnant que les Pères appliquent les paroles sui­vantes à notre divin Sauveur comme s'il allait répétant à l'homme pécheur : Laboravi clamans, raucae factae sunt fauces meae (Psaume 68). « Mon fils, j'ai presque perdu la /244/ voix à force de t'appeler ». « Rendez-vous compte, ô pé­cheurs, dit sainte Thérèse, qu'il est en train de vous appeler, ce Seigneur que vous avez tant offensé. Ah ! ne vous obsti­nez donc plus à déplaire à ce Père céleste si aimant ! Il frap­pe à votre coeur, il dit à votre âme : « Ame très chère, ou­vre-moi. Soror mea, aperi mihi (Cant. 5,2) ». Cessons donc de nous éloigner de lui, écoutons ce qu'il nous dit : « In­grats, ne fuyez plus loin de moi. Dites-moi, pourquoi fuyez­vous ? Je désire votre bien et je ne veux rien d'autre que vous rendre heureux : pourquoi voulez-vous vous per­dre ? » Mais que faites-vous, Seigneur ? Pourquoi tant de patience et tant d'amour envers ces rebelles ? O Dieu si bon, vous me répondez toujours que vous ne voulez pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive... (pp. 132-134).



Troisième Jour. - Gestes particuliers de miséricorde du divin Sauveur envers les pécheurs durant sa passion 5.

Toutes les actions de notre Sauveur bien-aimé sont une série continue de gestes de bonté généreuse, spécialement ce fait de n'avoir jamais rejeté ni traité durement les plus grands pécheurs. Toutefois cette bonté s'est manifestée de façon plus lumineuse dans sa passion, et plus encore en fa­veur des pécheurs qui le faisaient mourir. Judas, après avoir reçu des marques de particulière affection et confiance, commet le sacrilège de le vendre à ses ennemis, et à la tête d'une troupe de sbires le livre entre leurs mains. Et Jésus ne dit rien d'autre que ces paroles pleines d'amour : « Ami, pourquoi es-tu venu ici ? Amice, ad quid venisti ? » Pierre, /245/ transporté d'un zèle immodéré tranche l'oreille d'un de ces gredins. Avec le même amour Jésus ordonne qu'elle lui soit restituée, et par un miracle guérit complètement le serviteur. Pierre le renie par trois fois : lui le regarde d'un regard de compassion, le fait rentrer en lui-même et le reçoit de nou­veau en sa grâce.

En vertu de la plus injuste et ignoble sentence, il est fla­gellé, couronné d'épines, transpercé de clous : pas une paro­le de plainte ! Et bien qu'il lui serait possible de tirer la plus terrible vengeance de ses juges et de ses bourreaux, il accepte sa condamnation, il se tait, il souffre, il pardonne à tous. Et voici un excès de bonté et d'-amour : cloué sur une croix, transpercé de clous, blasphémé et insulté de mille façons par ces mêmes ennemis, que fait-il ? Il aurait pu commander justement au feu du ciel de les réduire tous en cendres, ou faire s'ouvrir la terre sous leurs pieds, et tous auraient été engloutis dans ses abîmes. Mais ce n'est pas cela que voulait la bonté d'un Dieu sauveur. Il ne fait rien d'autre que de le­ver le regard vers son Père céleste : « Père, lui dit-il, par­donnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ». Adorables paroles, que seul un Dieu pouvait prononcer ! Sur la croix il se trouve élevé entre deux voleurs ; l'un d'eux, se tournant vers lui, le prie d'avoir pitié de lui. Tout de suite le Sauveur, malgré sa souffrance, l'assure avec amour qu'en ce même jour il sera avec lui dans le paradis. Enfin à l'heure suprême de sa vie, au milieu des douleurs les plus aiguës, il profère la dernière parole : Sitio, et comme l'explique saint Bernard, elle fait connaître quelle charité et quelle immense miséri­corde a brûlé en son coeur jusqu'au dernier soupir.

Peut-on imaginer un amour plus grand et une plus gran­de miséricorde ? « Que dirai-je de vous, mon Dieu, s'excla­me comme hors de lui de stupeur le saint archevêque Tho­mas de Villeneuve (sem. de dom. 2 adv.). Je dirai avec l'Apôtre des nations que votre amour et votre miséricorde /246/ sont allés à l'excès. Je dirai que vous m'avez aimé sans aucu­ne mesure. Je dirai que vous, qui faites toute chose « avec nombre, poids et mesure » (Sag 11,20), dans votre amour pour moi vous avez dépassé tout poids et toute mesure : in diligendo me modum, pondus atque mensuram excessisti ». Courage donc, âmes éprouvées, et vous pauvres pécheurs, courage et confiance dans la bonté d'un tel Dieu ! Le nom­bre de vos péchés sera grand, mais sachez que sa miséricor­de, si vous vous repentez, les surpasse. Lui-même vous dit : « La paix soit avec vous ! Ne craignez pas, c'est moi qui vous parle ». Ces grandes promesses pourraient-elles dispa­raître ? Jamais : le ciel et la terre passeront, tous les élé­ments retourneront au néant, mais le Dieu qui parle ainsi ne cessera d'exister, il ne manquera jamais à ses promesses, il sera toujours bon et miséricordieux, et comme un père plein d'amour il nous accueillera chaquetfois que nous retourne­rons à lui...

Pleins de confiance donc, approchons-nous tous de cette croix où meurt l'auteur même de la vie. Tandis qu'il verse jusqu'à la dernière goutte de son sang très précieux, tandis qu'il connaît à l'avance toutes nos rechutes et nos mépris, il ne cesse de nous appeler : « Venez tous à moi, venite ad me omnes ! ».

(pp. 136-143).



Quatrième Jour. - Le « tendre amour » avec lequel Dieu accueille le pécheur est le premier motif de notre devoir de le remercier.

... Durant les trois jours qui nous restent encore de ce saint exercice, nous nous emploierons dans toute la mesure du possible à remercier la divine bonté des miséricordes et des bienfaits qu'elle nous a accordés. Bien que les motifs qui nous poussent à remercier Dieu soient innombrables, il /247/ semble toutefois qu'il mérite une action de grâces toute spé­ciale pour le tendre amour avec lequel il accueille le pé­cheur6. Celui-ci pourra donc se présenter avec une plus grande confiance au Seigneur qu'il a offensé et qui amou­reusement l'appelle.

Les princes de la terre n'acceptent pas toujours d'écou­ter leurs sujets rebelles qui viennent leur demander pardon et, en dépit des marques les plus vives de repentir, ils exigent qu'ils payent leur rébellion de leur vie. Dieu n'agit pas ainsi avec nous. Il nous assure qu'il ne détournera jamais de nous son visage lorsque nous retournerons à lui, non, car c'est lui-même qui nous invite et• nous promet l'accueil le plus empressé et le plus tendre. « Revertere ad me et suscipiam te : Reviens à moi, ô pécheur, et je t'accueillerai » (Jer 3,11). « Convertimini ad me, et convertar ad vos, ait Dominus : pour peu que vous veuillez revenir à moi, moi je courrai à votre rencontre » (Zac 1,3). Ah ! avec quel amour, avec quelle tendresse Dieu embrasse le pécheur qui revient à lui ! Rappelons de nouveau la parabole de la brebis perdue. Le bon pasteur la retrouve, la met sur ses épaules, la reporte à la maison et appelle ses amis à se réjouir avec lui en criant :« Réjouissez-vous avec moi parce que j'ai retrouvé la brebis que j'avais perdue. Congratulamini mihi quia inveni ovem quae perierat ». Avec plus de clarté encore le Rédempteur a expliqué cela par la parabole de l'enfant prodigue, disant qu'il est lui-même ce père qui, voyant reve­nir son fils perdu, court à sa rencontre et, avant même qu'il /248/ ait parlé l'embrasse, le baise tendrement et s'évanouit pres­que de tendresse tant est grande la consolation qu'il éprouve (Lc 15,20).

Une chose qui pourrait empêcher les pécheurs de revenir ainsi, c'est la crainte que Dieu leur reproche en face les of­fenses qu'ils lui ont faites, comme il arrive chez les humains, lesquels oublient pour quelque temps les offenses reçues, mais à la moindre occasion les font de nouveau présentes. Avec le Seigneur il n'en va pas ainsi : il va jusqu'à dire que, si le pécheur se repent, il accepte d'oublier ses péchés com­me s'il ne l'avait jamais offensé. Ecoutez ses paroles préci­ses :« Si l'impie fait pénitence, il obtiendra le pardon, et je ne me souviendrai absolument 'plus de ses iniquités : Si ini­quis egerit poenitentiam vita vivet ; omnium iniquitatum ejus non recordabor » (Ez 18,22). Mieux encore (et il sem­ble que la miséricorde divine ne puisse aller plus loin) : « Venite et arguite me, dicit Dominus : si fuerint peccata vostra ut coccinum, quasi nix dealbabuntur » (Is 1,18). Ce qui veut dire : « Venez, ô pécheurs, et faites la preuve : quand bien même votre âme serait noire de mille iniquités, si je ne vous pardonne pas, arguite me, reprenez-moi et traitez-moi d'infidèle ». Non, Dieu ne sait pas mépriser un coeur contrit et humilié ; bienn plutôt il trouve sa gloire à faire miséricorde et à pardonner : exaltabitur parcens vobis (Is 30,18). Et ce qui doit le plus consoler le pécheur, c'est qu'il n'aura pas longtemps à pleurer : à la première larme, au premier « je me repens », le Seigneur sera ému de pitié. « Statim ut audierit, respondebit tibi » : à peine te repens-tu et demandes pardon, tout de suite il te pardonne... Jésus­Christ est venu pour sauver les pécheurs :« Veni salvum facere quod perierat ».

(pp. 146-150).

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74. Le Christ est notre vivant modèle La Clef du Paradis (1856)

Une dizaine d'années après le Giovane provveduto, Don Bosco éditait un manuel analogue pour les adultes des milieux populai­res : à la fois synthèse de doctrine, méthode de vie et formulaire de prières. Il était intitulé : La Chiave del Paradiso in mano al cattoli­co che pratica i Doveri di Buon Cristiano. Il eut une large diffu­sion :pas moins de quarante-quatre éditions du vivant de l'auteur.

Ici encore Don Bosco a compilé « les auteurs les plus renom­més », comme il le dit lui-même dans la préface. Tout n'a donc pas la même valeur. Nous citons les pages les plus significatives, celles qui centrent vigoureusement la vie chrétienne sur la personne même du Christ et sur l'imitation de ses vertus. Nous souligne­rions davantage aujourd'hui certains traits de la figure de Jésus, ici seulement esquissés : sa liberté en face de toute pression, sa for­ce audacieuse, sa fidélité sans défaillance, son amour privilégié des pauvres et des petits... Et cela en conformité même avec la règle d'or ici indiquée : faire vivre en soi Jésus Christ. Ce texte nous fait entrevoir la qualité profondément évangélique de l'âme de Don Bosco et de sa spiritualité. On se souviendra que, séminariste, il avait « découvert » avec émerveillement « L'Imitation de Jésus­Christ » (supra, texte n ° 12) 7.

Portrait du vrai chrétien.

- Dieu dit un jour à Moïse : « Souviens-toi bien d'exécuter mes ordres, et fais touteschoses selon le modèle que je t'ai montré sur la montagne. » Dieu dit la même chose aux chrétiens. Le modèle que cha­que chrétien doit copier est Jésus Christ. Nul ne peut se van­ter d'appartenir à Jésus Christ s'il ne s'emploie à l'imiter. Dans la vie et les actions d'un chrétien, on doit donc retrou­ver la vie et les actions de Jésus Christ lui-même. Le chrétien /250/ doit prier comme Jésus Christ a prié sur la montagne, c'est­à-dire avec recueillement, humilité et confiance. Le chrétien doit être, comme l'était Jésus Christ, accessible aux pau­vres, aux ignorants et aux enfants. Il ne doit pas être or­gueilleux, prétentieux ni arrogant. Il se fait tout à tous pour les gagner tous à Jésus Christ.

Le chrétien doit traiter avec son prochain comme Jésus traitait avec ses disciples : ses entretiens doivent donc être édifiants, charitables, pleins de gravité, de douceur et de simplicité.

Le chrétien doit être humble comme le fut Jésus Christ, qui lava à genoux les pieds de ses apôtres, même ceux de Ju­das, alors qu'il savait que ce perfide devait le trahir. Le vrai chrétien se considère comme le plus petit et comme le servi­teur de tous.

Le chrétien doit obéir comme obéit Jésus Christ, qui fut soumis à Marie et à saint Joseph, et obéit à son Père céleste jusqu'à la mort et à la mort de la croix. Le vrai chrétien obéit à ses parents, à ses patrons et à ses supérieurs, parce qu'il reconnaît en eux Dieu lui-même, dont ils tiennent la place.

Quand il boit et mange, le.vrai chrétien doit être comme Jésus Christ aux noces de Cana de Galilée et de Béthanie, c'est-à-dire sobre, tempérant, attentif aux besoins d'autrui, et plus préoccupé de la nourriture spirituelle que des ali­ments dont il nourrit son corps.

Le bon chrétien doit être avec ses amis comme était Jésus Christ avec saint Jean et saint Lazare. Il doit les aimer dans le Seigneur et par amour de Dieu. Il leur confie cordia­lement les secrets de son coeur et, s'ils tombent dans le mal, met en oeuvre toute sa sollicitude pour leur faire retrouver l'état de grâce. /251/

Le vrai chrétien doit souffrir avec résignation les priva­tions et la pauvreté comme Jésus Christ les a souffertes, lui qui n'avait même pas où reposer sa tête. Il sait supporter les contradictions et les calomnies, comme Jésus Christ a sup­porté celles des scribes et des pharisiens, en laissant à Dieu le soin de le justifier. Il sait supporter les affronts et les outra­ges, comme fit Jésus-Christ quand on lui donna un soufflet, qu'on lui cracha au visage et qu'on l'insulta de mille maniè­res dans le prétoire.

Le vrai chrétien doit être prêt à endurer les peines de l'esprit comme Jésus Christ, quand il fut trahi par l'un de ses disciples, renié par un autre et abandonné par tous.

Le bon chrétien doit être disposé à accueillir avec patience toutes les persécutions, les maladies et même la mort, comme le fit Jésus Christ, qui, la tête couronnée d'épines acérées, le corps strié de meurtrissures, les pieds et les mains transpercés par les clous, remit son âme en paix entre les mains de son Père céleste.

En sorte que le vrai chrétien doit dire avec l'apôtre saint Paul : « Ce n'est plus moi qui vis, mais c'est Jésus Christ qui vit en moi. » Celui qui suivra Jésus Christ selon le mo­dèle ici décrit est certain d'être un jour glorifié avec Jésus Christ dans le ciel et de régner avec lui pour l'éternité.

(pp. 20-23)



Le Mois de mai consacré à Marie (1858)



Diffusée depuis plus d'un siècle en Italie, la pratique du « mois de mai » était l'un des meilleurs moyens de toucher le peuple chré­tien. Don Bosco ne pouvait manquer de l'utiliser pour son ceuvre de défense et d'éducation de la foi populaire. En 1858, les Lectures Catholiques publiaient en leur numéro d'avril (VIe année, fasc. II) /252/

Il Mese di maggio consacrato a Maria SS. Immacolata ad uso del popolo, per cura del sacerdote Bosco Giovanni, Turin, Paravia, 192 pages.

C'est l'un de ses meilleurs opuscules, visant à la fois à éclairer les esprits, à toucher les coeurs et à conduire les lecteurs à la prière, aux sacrements et à l'amendement de la vie. Pour les trente-trois exposés doctrinaux que comportait le mois (du 30 avril au 1er juin), Don Bosco a suivi le courant de l'époque qui, aux thèmes spécifiquement mariaux, préférait les thèmes généraux de la foi et de la vie chrétienne, plus goûtés du peuple. Son Mois de mai nous offre donc en fait une rapide synthèse doctrinale, écrite « avec cet­te exquise simplicité qui est la marque propre de ce prêtre dans ses opuscules pour la jeunesse et pour le peuple », comme s'exprimait le journal L'Unita Cattolica 8.

Ici encore, Don Bosco a consulté les bons auteurs, en particu­lier saint Alphonse (Apparecchio alla morte et Glorie di Maria) ; mais sa marque personnelle est très ferme, notamment dans les quatre extraits que nous avons choisis, relatifs à la dévotion ma­riale (premier et dernier jour), à la dignité du chrétien et aux exi­gences de charité active qui en découlent (9e et 29e jour) 9.





75. Marie est la Mère qui nous conduit à son Fils



Dernier Jour d'avril. - Motifs de confiance en Marie. Viens avec moi, chrétien, et considèrè les innombrables motifs qui doivent nous encourager à mettre notre confian­ce en Marie et à nous faire pratiquer avec constance envers elle une dévotion véritable. Je commencerai par indiquer les /253/ trois principaux, qui sont : Marie est la plus sainte de toutes les créatures ; Marie est mère de Dieu ; Marie est notre mère.

...2° Marie a été exempte de toute tache de péché origi­nel et actuel, ornée de toutes les vertus que nous pouvons imaginer, comblée de grâce par Dieu plus que toute autre créature : toutes ces prérogatives expliquent qu'elle ait été choisie parmi toutes les femmes pour être élevée à la dignité de mère de Dieu. C'est là ce que l'ange lui a annoncé ; c'est là ce que lui a répété sainte Elisabeth lorsqu'elle reçut la visite de la Vierge sainte ; c'est là la salutation que lui adres­sent chaque jour les chrétiens quand ils disent : « Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous ». Devant ce nom glo­rieux de « Mère de Dieu », l'esprit humain perd pied ; aussi nous inclinant en signe de profonde vénération, nous nous bornons à dire qu'aucune créature ne peut être élevée à une dignité plus sublime, aucune créature ne peut arriver à plus haut degré de gloire, et par conséquent aucune créature ne peut être plus puissante que Marie auprès de Dieu. Quelle confiance donc n'aurons-nous pas en une protectrice aussi puissante ?

3° Mais si le titre de mère de Dieu est glorieux pour Ma­rie, il est aussi glorieux et utile pour nous-mêmes, qui ayant été rachetés par Jésus Christ devenons les fils de Marie et les frères de son divin Fils. Car en devenant la mère de Jésus vrai Dieu et vrai homme, elle devint aussi notre mère 10. /254/

Jésus Christ dans sa grande miséricorde a voulu nous appe­ler ses frères, et par ce nom il nous a tous constitués les fils adoptifs de Marie. L'Evangile confirme ce que nous avan­çons là. Le divin Sauveur était en croix et souffrait les dou­leurs de la plus affreuse agonie. Sa très sainte mère et l'apô­tre saint Jean se tenaient à ses pieds, plongés dans une pro­fonde douleur, lorsque Jésus ouvrant les yeux - peut-être pour la dernière fois en cette vie mortelle - vit le disciple bien-aimé et sa mère très chère. De ses lèvres d'agonisant : « Femme, dit-il à Marie, voici Jean ton fils ». Puis il dit à Jean : « Voici Marie ta mère » : « Mulier, ecce filius tuus. Ecce mater tua ». Les Pères unanimement reconnaissent en ce fait une volonté du divin Sauveur : avant de quitter le monde, nous donner Marie comme notre mère pleine d'amour, et nous constituer tous ses enfants.

En outre, Marie est notre mère parce qu'elle nous a en­gendrés par Jésus Christ dans la grâce. Car de même qu'Eve est appelée mère des vivants, de même Marie est mère de tous les fidèles par grâce (Richard de s. Laurent). A ce sujet saint Guillaume abbé s'exprime ainsi : Marie est mère de la Tête, donc elle est aussi mère des membres que nous som­mes : Nos sumus membra Christi. Marie en mettant Jésus au monde nous a engendrés nous aussi spirituellement. C'est donc avec raison qu'elle reçoit de tous le nom de mère, et elle mérite d'être honorée cômme telle (Guillaume abbé, cant. 4).

Voilà, chrétiens, la personne que je propose à votre vénération au cours de ce mois... Elle-même nous dit : « J'habite au plus haut des cieux pour combler de grâces et de bénédictions ceux qui m'honorent »... 11.

(pp. 19-23)

/255/

...Elle n'est pas seulement le secours des chrétiens, mais aussi le soutien de l'Eglise universelle. Tous les titres que nous lui donnons rappellent une de ses faveurs ; toutes les solennités qui se célèbrent dans l'Eglise ont pour origine quelque grand miracle, quelque grâce extraordinaire que Marie a obtenue pour le bien de l'Eglise universelle. Que d'hérétiques réfutés ! Que d'hérésies extirpées ! L'Eglise exprime sa gratitude envers Marie en lui disant :« Toi seule, Vierge si grande, as pu déraciner toutes les hérésies : Cunetas haereses sola interemisti in universo mundo ».

(p. 182)



Premier jour de juin.

- Moyen de s'assurer la protec­tion de Marie.

Maintenant que nous avons terminé le mois de Marie, il me semble opportun de vous offrir, en guise de conclusion, quelques souvenirs qui puissent servir à vous assurer la pro­tection de cette auguste mère durant la vie et à la mort. Ma­rie notre mère doit certainement avoir en horreur les outra­ges que l'on fait à son fils Jésus. Celui donc qui désire obte­nir son patronage durant sa vie et à sa mort doit renoncer au péché 12. Il serait vain pour nous d'espérer la protection /256/ de Marie en continuant d'offenser son fils Jésus qu'elle aime par dessus tout. Et nous devons non seulement nous garder d'offenser Jésus, mais encore porter toute l'attention de notre coeur à méditer les divins mystères de sa passion et le suivre dans la pénitence. Marie elle-même a dit un jour à sainte Brigitte : « Ma fille, si tu veux me faire chose agréa­ble, aime de tout ton coeur mon Fils Jésus ».

Marie est le refuge des pécheurs. Nous devons donc nous soucier d'accroître le nombre de ses fils au moyen de bons conseils, de services, de prières, de bons livres et autres ma­nières de conduire les âmes à Jésus. Celui-ci ne désire rien tant que le salut des âmes ; et donc Marie, qui aime tendre­ment son Fils, ne peut recevoir hommage plus agréable que de nous voir lui en gagner quelqu'une.

Nous devons en outre nous efforcer de l'honorer en lui offrant notre triomphe sur l'une ou l'autre de nos passions. Par exemple si l'un de nous est de tempérament coléreux, éclate souvent en actes d'impatience, en imprécations et blasphèmes, ou a pris l'habitude de mal parler ou de parler sans respect des choses religieuses, il lui faudra, s'il veut ho­norer la Vierge, apprendre à réfréner sa langue. En un mot, il faut que chacun ait à coeur de manifester son amour en­vers Marie en fuyant le mal et en faisant le bien...

(pp. 190-191)

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76. Etre fils de Dieu signifie aimer activement ses frères

Neuvième Jour.

- Dignité du chrétien

1. Par dignité du chrétien, je n'entends pas désigner les biens matériels ni les capacités corporelles, ni même les pré­cieuses qualités de l'âme créée à l'image et ressemblance du Créateur. J'entends parler uniquement de la grande dignité que tu as acquise quand par le baptême tu as été reçu dans le sein de notre sainte mère l'Eglise. Avant d'être régénéré dans les eaux saintes du baptême, tu étais l'esclave du dé­mon, l'ennemi de Dieu, exclu à jamais du paradis. Mais, dans l'acte même où ce grand sacrement t'a ouvert la porte de la véritable Eglise, se sont brisées les chaînes avec lesquel­les l'ennemi de ton âme te retenait lié ; l'enfer pour toi s'est fermé, et s'est ouvert le paradis. A ce moment tu es devenu l'objet d'un amour privilégié de la part de Dieu ; en toi ont été infusées les vertus de la foi, de l'espérance et de la cha­rité. Ainsi devenu chrétien, tu as pu lever tes regards vers le ciel et dire :« Le Dieu créateur du ciel et de la terre est aussi mon Dieu. Il est mon père, il m'aime, il me demande de l'appeler par ce nom : Notre Père qui es aux cieux. Jésus sauveur m'appelle son frère, et comme frère je lui appar­tiens, je partage ses mérites, sa passion, sa mort, sa gloire, sa dignité. Les sacrements, institués par ce sauveur plein d'amour, ont été institués pour moi. Le paradis que Jésus a ouvert par sa mort, il l'a ouvert pour moi et il me le tient préparé. Et pour que j'aie quelqu'un qui m'éclaire, il a voulu me donner Dieu même pour père, l'Eglise pour mère, la Parole divine pour guide » 13. /258/

Reconnais donc, ô chrétien, ta grande dignité : Agnosce, christiane, dignitatem tuam. Et tandis que je t'invite à te réjouir en ton cceur du grand bienfait qui t'a été accordé de devenir chrétien, je te prie de reporter ta pensée sur tant d'hommes qui ont été eux aussi rachetés par le sang précieux de Jésus Christ, mais qui malheureusement vivent encore plongés ou dans l'idolâtrie ou dans l'hérésie, et sont donc hors de la voie du salut. Beaucoup d'entre eux béniraient à chaque instant le Créateur s'ils pouvaient avoir les grâces, les faveurs, les bénédictions dont tu jouis. Mais à la grande bonté dont Dieu a usé envers toi, dis-moi, comment as-tu correspondu ?...

Viens donc, ô chrétien, et prends la ferme résolution de mieux correspondre désormais à la dignité à laquelle tu as été élevé...

(pp. 68-71)



Vingt-neuvième Jour.

- Moyen efficace de s'assurer le paradis.

1. Un moyen très efficace, mais aussi très négligé des hommes, pour gagner le paradis, c'est l'aumône. J'entends par aumône toute oeuvre de miséricorde exercée envers le prochain par amour de Dieu 14. Dieu dit dans la Sainte Ecriture que l'aumône obtient le pardon des péchés, même très nombreux : Charitas operit multitudinem peccatorum. Et le divin Sauveur s'exprime ainsi dans l'Evangile : « Quod /259/ superest date pauperibus. Ce qui est au-delà de vos besoins, donnez-le aux pauvres. Qui a deux vêtements en donne un à qui en a besoin, et qui a plus que le nécessaire partage avec qui a faim » (Luc 3). Dieu nous assure que tout ce que nous faisons pour les pauvres, il le considère comme fait à lui­même. « Tout ce que vous ferez à l'un de mes frères plus malheureux, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mat 25). Voulez-vous encore que Dieu vous pardonne vos péchés et vous délivre de la mort éternelle ? Faites l'aumône. Elee­mosyna ab omni peccato et a morte liberat. Voulez-vous empêcher votre âme d'aller dans les ténèbres de l'enfer ? Faites l'aumône. Eleemosyna non patietur animam ire ad tenebras (Tob 4). En somme Dieu nous assure que l'aumône est un moyen très efficace pour obtenir le pardon des pé­chés, nous faire trouver miséricorde devant Dieu et nous conduire à la vie éternelle. Eleemosyna est quae purgat a peccato, facit invenire misericordiam et vitam aeternam.



2. Si donc tu désires que Dieu use de miséricorde à ton égard, commence toi par user de miséricorde envers les pauvres. Tu diras : « Je fais ce que je peux ». Mais fais bien attention que le Seigneur te demande de donner aux pauvres tout ton superflu : « Quod superest date pauperibus ». Je précise donc que sont du superflu ces acquisitions et ces ac­croissements de richesses que tu fais d'année en année. Su­perflue est cette recherche que tu as dans les services de ta­ble, dans les repas, les tapis, les vêtements, qui pourraient servir à qui a faim, à qui a soif, à couvrir qui est nu. Super­flu est ce luxe dans les voyages, dans les théâtres, les bals et autres divertissements où l'on peut dire que va finir ce qui appartient aux pauvres.

Il est vrai, il en est qui disent que donner son superflu aux pauvres est un simple conseil, non un précepte 15. Ne croyez pas à de telles paroles. La Sauveur a parlé sous forme /260/ impérative et non de conseil ; mieux encore, afin que per­sonne ne se fasse illusion et se dispense de prendre ses paro­les au sérieux ou invente des prétextes pour refuser de faire de ses richesses l'usage qui convient, il a ajouté qu'il est plus facile de faire passer un câble ou une grosse corde par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux. Non qu'il soit impossible aux riches de se sauver, mais il a voulu indiquer combien ils sont en danger de se perdre par le mauvais usage de leurs richesses.

Quelqu'un dira : « Je dois maintenir mon rang et mon prestíge social, et il ne me reste rien en superflu pour faire l'aumône ». Bien. Conserve le décorum de ta condition, mais n'oublie pas que les pauvres sont tes frères. Ces bijoux précieux que tu gardes inutilement dans ton coffre-fort, ce tas de costumes et habits qui finissent par être rongés des mites, le luxe immodéré dans le mobilier, dans les soirées, dans les bals, dans les théâtres et choses semblables, toutes ces dépenses sont en grande partie superflues, elles semblent incompatibles avec l'existence des pauvres, tes frères, qui souffrent parfois la faim, la soif, le froid. Incompatibles avec la triste fin de beaucoup, qu'avec un peu d'aide tu pourrais sauver de la ruine de l'âme et du corps.

Tu diras peut-être : « Je ne suis pas riche ». Si tu n'as pas de richesses, donne ce que tu"peux. D'ailleurs les mo­yens et manières de faire l'aumône ne te manquent pas. N'y a-t-il pas des malades à visiter, à assister, à veiller ? N'y a-t­-il /261/ pas de jeunes abandonnés à recueillir, instruire, accueillir en ta maison si tu le peux, ou au moins à conduire là où ils pourront apprendre la science du salut ? N'y a-t-il pas des pécheurs à avertir, des assaillis par le doute à conseiller, des affligés à consoler, des querelles à apaiser, des injures à par­donner ? Tu vois de combien de façons tu peux faire l'au­mône et mériter la vie éternelle ! Et encore, ne peux-tu faire quelque prière, aller te confesser, communier, réciter un ro­saire, assister à une messe pour le soulagement des âmes du purgatoire, pour la conversion des pécheurs, ou pour que les infidèles soient éclairés et parviennent à la foi ? N'est-ce pas aussi une belle aumône que d'envoyer aux flammes les livres pervers, diffuser les bons livres et parler en toute occasion favorable de notre sainte religion catholique ?...

(pp. 175-178)



77. Portrait d'apôtre : appui sur Dieu seul, zèle, amabilité



Panégyrique de saint Philippe Néri (mai 1868)

Parmi le petit nombre de prédications écrites de la main de Don Bosco, nous avons la chance de posséder en entier un panégy­rique de saint Philippe Néri. Cet infatigable et joyeux apôtre de la Rome du XVIe siècle (1515-1595), ami des jeunes et créateur d'oratoires lui aussi, fut l'un de ses modèles préférés. Il se plaisait à citer certaines de ses phrases typiques. A fin mai 1868, il fut invité par l'évêque d'Alba Torinese à venir prêcher le panégyrique du saint devant un auditoire sacerdotal. Il choisit de montrer en Philippe Néri l'apôtre des jeunes, totalement voué à leur salut et confiant dans la seule force de Dieu. Inconsciemment, c'est sa pro­pre figure d'apôtre qu'il traça, et celle de l'apôtre salésien idéal 16. /262/

Je n'ai pas l'intention de vous exposer à loisir toutes les actions et vertus de Philippe, car vous-mêmes mieux que moi les avez déjà lues, méditées et imitées. Je me limiterai à vous donner un aperçu de ce qui est en quelque sorte le pivot autour duquel se sont ordonnées toutes ses autres vertus : le zèle pour le salut des âmes. C'est le zèle recommandé par le divin Sauveur lorsqu'il dit : « Je suis venu porter un feu sur la terre, et que désiré-je sinon qu'il s'allume ? Ignem veni mittere et quid volo nisi ut accendatur ? » (Luc 12,49). Zèle qui faisait souhaiter à l'apôtre Paul d'être anathème pour ses frères : Optabam me esse anathema pro fratribus meis (Rom 9,3) 17...



La vertu la plus grande : le zèle appuyé sur Dieu

Pour venir au sujet proposé, écoutez une curieuse his­toire : celle d'un jeune garçon d'à peine vingt ans, qui, mû par le désir de la gloire de Dieu, abandonne ses propres parents, dont il était le fils unique, renonce à la fortune somptueuse de son père et d'un oncle riche qui veut faire de lui son héritier, et, seul, à l'insu de tous, sans aucune res­source, appuyé sur la seule divine Providence, quitte Flo­rence et va à Rome. Voyez-le maintenant : il est /263/ charitable­ment accueilli par un compatriote, il s'arrête dans un coin de la cour de la maison et se tient là, le regard tourné vers la cité et absorbé dans de graves pensées.

Approchons-nous et interrogeons-le 18.

- Jeune homme, qui êtes-vous et que contemplez-vous avec tant d'inquiétude ?

- Je suis un pauvre jeune étranger, je regarde cette grande ville et une pensée me remplit l'esprit, mais je crains qu'elle ne soit une folie et une témérité.

- Laquelle ?

- Me consacrer au bien de tant de pauvres âmes, de tant de pauvres enfants qui, faute d'instruction religieuse, cheminent sur la route de la perdition.

- Avez-vous la science ?

- J'ai tout juste suivi des cours primaires.

- Avez-vous des ressources matérielles ?

- Aucune : je n'ai pas un morceau de pain, hormis ce­lui que mon logeur me donne chaque jour par charité.

- Avez-vous des églises, avez-vous des maisons ?

- Je n'ai qu'une chambre étroite et basse, dont l'usage m'est concédé par charité. Mes garde-robes se réduisent à une simple corde entre un mur et un autre, sur laquelle je dispose mes habits et tout mon linge.

- Mais comment donc voulez-vous, sans nom, sans sa­voir, sans ressources et sans logis, entreprendre une tâche aussi gigantesque ?

- C'est vrai : c'est bien l'absence de ressources et de mérites qui me rend pensif. Mais Dieu qui m'en inspire le /264/ courage, Dieu qui, des pierres, suscite des fils à Abraham, ce Dieu est celui que...

Ce pauvre jeune homme, Messieurs, c'est Philippe Néri, qui médite la réforme des moeurs de Rome. Il contemple cet­te cité, mais, hélas, comment la voit-il ? Il la voit esclave de l'étranger depuis de nombreuses années, il la voit horrible­ment affligée par les pestes, par la misère, il la voit après un siège de trois mois, combattue, saccagée et, si l'on peut dire, détruite.

L'oeuvre la plus urgente :évangéliser

Cette cité doit être le champ où le jeune Philippe recueil­lera des fruits extrêmement abondants. Voyons comment il se met à l'oeuvre. Avec l'aide de la seule divine Providence, il reprend le cours de ses études, il fait sa philosophie et sa théologie et, suivant le conseil de son directeur, se consacre à Dieu dans l'état sacerdotal. Avec l'ordination, son zèle pour la gloire de Dieu redouble. Devenu prêtre, Philippe se persuade avec saint Ambroise que : la foi s'acquiert par le zèle et que, par le zèle, l'homme est conduit à la possession de la justice. Zelo fides acquiritur, zelo iustitia possidetur (S. Ambroise, Sur le psaume 118). Philippe est persuadé que nul sacrifice n'est aussi agréable à Dieu que le zèle pour le salut des âmes. Nullum Deo gratius sacrificium offerri potest quam zelus animarum (Grégoire le Grand, sur Ezé­chiel) 19. Mû par ces pensées, il lui semblait que des foules de chrétiens, en particulier de pauvres enfants, criaient sans /265/ arrêt avec le prophète contre lui : Parvuli petierunt panem et non erat qui frangeret eis20. Mais, quand il put fré­quenter les ateliers publics, pénétrer dans les hôpitaux et les prisons et qu'il vit des gens de tout âge et de toute condition se livrer aux rixes, aux blasphèmes et aux vols, et vivre escla­ves du péché, quand il eut commencé de se dire que beau­coup outrageaient Dieu, leur créateur, sans presque le con­naître, qu'ils n'observaient pas la loi divine parce qu'ils l'ignoraient, alors les plaintes d'Osée lui revinrent à l'es­prit : Parce que le peuple ne connaît pas les choses du salut éternel, les crimes les plus grands et les plus abominables ont inondé la terre (4, I-2). Mais combien son coeur innocent ne fut-il pas attristé, quand il s'aperçut qu'une grande partie de ces pauvres âmes se perdaient misérablement, parce qu'elles n'étaient pas instruites dans les vérités de la foi ! Ce peuple, s'écriait-il avec Isaïe, n'a pas eu l'intelligence des choses du salut, c'est pourquoi l'enfer a dilaté son sein, il a ouvert ses immenses abîmes et leurs héros, le peuple, les grands et les puissants y tomberont : Populus meus non habuit scien­tiam, propterea... infernus aperuit os suum absque ullo ter­mino, et descendent fortes eius, et populus eius, et sublimes, gloriosique eius ad eum (Isaïe, 5, 13-14).

A la vue de ces maux toujours croissants, Philippe, selon l'exemple du divin rédempteur qui, au début de sa prédica­tion, ne possédait rien au monde que le grand feu de divine charité, qui le poussa à venir du ciel sur la terre ; selon l'exemple des apôtres, qui étaient dénués de toute ressource humaine, quand ils furent envoyés prêcher l'évangile aux nations de la terre, toutes misérablement enfoncées dans /266/ l'idolâtrie, dans tous les vices et, d'après la phrase de la Bi­ble, ensevelies dans les ténèbres de la mort, Philippe se fait tout à tous dans les rues, sur les places, dans les ateliers ; il pénètre dans les établissements publics et privés, et, avec ces procédés agréables, doux, amènes, que la véritable charité inspire envers le prochain, il commence à parler de vertu et de religion à celui qui ne voulait rien savoir ni de l'une ni de l'autre. Imaginez les propos qui se répandaient sur son compte ! Qui le dit stupide, qui le dit ignorant. D'autres le traitent d'ivrogne, et il y en eut pour le proclamer fou.

Le courageux Philippe laisse chacun dire ce qu'il pense. Le blâme du monde l'assure même que ses oeuvres servent la gloire de Dieu, car la sagesse selon le monde est sottise au­près de Dieu. Il poursuivait donc avec intrépidité sa sainte entreprise 21...

Méthode : imiter la douceur du Seigneur

Mais Dieu avait envoyé Philippe spécialement pour la jeunesse, aussi est-ce vers elle qu'il porte sa sollicitude toute spéciale... Il allait partout s'exclamant : Mes fils, venez à moi, je vous indiquerai le moyen de devenir riches, mais riches des vraies richesses qui -ne s'évanouiront jamais ; je vous enseignerai la sainte crainte de Dieu. Venite, filü, audite me, timorem Domini docebo vos (Psaume 33,12).

Ces paroles, accompagnées de sa grande charité et d'une vie où se rencontraient toutes les vertus, avaient pour effet de faire accourir vers notre saint, de tous côtés, des foules d'enfants. Il adressait la parole à l'un, puis à un autre ; il se /267/ faisait homme lettré avec l'étudiant, forgeron avec l'apprenti forgeron, menuisier avec le menuisier, coiffeur avec le coiffeur, contremaître avec l'apprenti maçon, maître savetier avec le cordonnier. Ainsi se faisant tout à tous, il les gagnait tous à Jésus Christ 22. Et les garçons, enchantés par ces attitudes de charité et par ces paroles d'édification, se sentaient comme entraînés là où Philippe voulait...

Comment faire pour que des enfants dissipés, qui ne pensaient qu'à manger, à boire et à s'amuser, consentent à s'intéresser aux choses de l'église et de la piété ? Philippe dé­couvrit un secret. Ecoutez : imiter la douceur et la mansué­tude du Sauveur 23. Il les prenait par l'amabilité... Les dé­penses, les fatigues, les ennuis, les sacrifices sont peu de chose quand ils contribuent à gagner des âmes à Dieu... Ces dures fatigues, ces tapages et dérangements, qui à nous semblent peut-être à peine supportables pendant quelques instants, furent le labeur et les délices de saint Philippe au long de plus de soixante années durant toute sa vie sacerdo­tale, jusqu'à la vieillesse avancée, jusqu'à ce que Dieu l'ap­pelle à jouir du fruit de tant de longues fatigues.

Graves responsabilités pour tous

Y a-t-il quelque chose en ce serviteur fidèle que nous ne puissions pas imiter ? Non. Chacun de nous en sa situation est assez instruit et assez riche pour l'imiter, sinon en tout, /268/ du moins en partie. Ne nous laissons pas illusionner par ce vain prétexte qui parfois parvient à nos oreilles : « Je n'y suis pas obligé ; s'en soucie qui en a la responsabilité ! ». Lorsqu'on disait à Philippe que, puisqu'il n'avait pas char­ge d'âmes, il n'était pas tenu à tant travailler, il répondait : « Jésus mon aimable sauveur avait-il par hasard quelque obligation de répandre pour moi tout son sang ? Lui meurt sur une croix pour sauver les âmes, et moi son disciple je re­fuserais d'accepter quelque ennui, quelque fatigue pour cor­respondre à ce don ? » Mettons-nous à l'oeuvre. Les âmes sont en danger : Nous devons les sauver. Nous y sommes obligés comme simples chrétiens auxquels Dieu a comman­dé d'avoir soin du prochain : Et mandavit illis unicuique de proximo suo (Ecclésiastique 17,12). Nous y sommes obligés parce qu'il s'agit des âmes de nos frères, car nous sommes tous fils du même Père céleste. Nous devons encore nous sentir exceptionnellement stimulés à travailler au salut des âmes parce que c'est là la plus sainte des saintes entreprises : Divinorum divinissimum est cooperari Deo in salutem ani­marum (Denis l'Aréopage). Mais ce qui doit nous pousser de façon absolument décisive à accomplir cette tâche avec zèle, c'est le compte rigoureux qu'au titre de ministres de Jé­sus Christ nous aurons à rendre, à son divin tribunal, des âmes qui nous auront été confiées 24...

Et vous, ô glorieux saint Philippe... faites qu'à la fin de notre vie nous puissions nous entendre dire ces paroles de consolation : « Tu as sauvé des âmes, tu as sauvéla tienne. Animam salvasti, animam tuam praedestinasti ».

(Archives 132, Prediche F 4 ; voir MB IX, 215-221).

/269/

1 La marquise admirait sincèrement Don Bosco, mais elle ne lui avait pas pardonné son refus de continuer à travailler pour son oeuvre du Refuge 1 voir MB II, 546-553 ; et plus haut pp. 98-101).

2 Petit format 7 x 10,5. Imprimé à Turin, chez Eredi Botta, vers la fin de 1846. Nous citons cette édition selon la reproduction anastatique des Opere edite II, 71-181. Dans un testament de 1856, Don Bosco a revendi­qué explicitement la paternité de l'ouvrage (voir MB X, 1333).

3 Apparecchio alla morte 1758, Considerazione XVI : Della miseri­cordia di Dio, en trois points, qui inspirent les chap. 1, 2 et 4 de Don Bos­co.

4 En particulier le Tableau de la Miséricorde divine, tiré de l'Ecriture sainte, de Nicolas-Sylvestre Bergier, Besançon 1821 (voir P. Stella, Don Bosco nella storia II, 26, notes 35-36).

5 La pensée théologique est ici très ferme. C'est réellement dans la passion de Jésus qu'est donnée la révélation suprême de la miséricorde de Dieu, quand il offre son pardon et le salut à ceux-là mêmes qui le font mou­rir en son Fils.


6 Voici où Don Bosco met sa marque. Ses sources parlaient de la misé­ricorde, la tendresse, la patience... de Dieu. Mais lui parle de l' « amorevo­lezza », c'est-à-dire de l'« empressement affectueux » avec lequel Dieu ac­cueille le pécheur. C'est la première fois, à notre connaissance, que Don Bosco emploie ce mot « salésien ». Et il est typique qu'il l'emploie d'abord pour désigner une attitude de Dieu.


7 Nous citons la première édition, parue à Turin chez Paravia, pp. 192 (petit format 7 x 10,5).,In Opere edite VIII, pp. 1-192.


8 Présentant la quatrième édition, dans son numéro du 20 avril 1873.

9 Nous citons la quatrième édition (1873), la dernière que Don Bosco ait retouchée. On trouvera le texte de la première édition en Opere edite X, 295-486. Sur les sources et les caractéristiques de cet opuscule, cf. P. Stella, I tempi e gli scritti che prepararono il « Mese di Maggio » di Don Bosco, in« Salesianum » XX (1958), pp. 648-687.

10 Ce paragraphe 3 est particulièrement intéressant. Don Bosco fonde la maternité spirituelle de Marie sur deux arguments complémentaires. Le premier part du Christ et de son action rédemptrice sur nous : frères du Christ, nous devenons d'emblée fils de Marie. Le second part de Marie et de son action maternelle sur Jésus : engendrant Jésus Tête, elle nous a spi­rituellement engendrés comme ses membres. Don Bosco est convaincu que la dévotion « filiale » à Marie n'a, de soi, rien de sentimental : elle est une « réponse » à la réalité maternelle objective de Marie.


11 Nous ajoutons immédiatement ici un paragraphe tiré du trentième jour pour montrer comment, dès 1858, la dévotion de Don Bosco à Marie immaculée (voir le titre complet de l'opuscule) était toute prête à devenir aussi dévotion à l'Auxiliatrice des chrétiens et de l'Eglise, aspect du mystère de Marie qu'il développera à partir de 1863. Notons qu'en 1868, il unira explicitement au titre d'Auxiliatrice celui de « Mère de 1 Eglise »:« Une expérience de dix-huit siècles nous fait voir de façon éclatante que Marie a continué, du ciel et avec le plus grand succès, d'exercer la mission de Mère de l'Eglise et d'Auxiliatrice des chrétiens qu'elle avait commencée sur la terre » (Meraviglie della Madre di Dio invocata sotto il titolo di Maria Ausiliatrice, Turin 1868, p. 45 ; in Opere edite XX, 237).

12 Nous citons seulement le premier des trois points de réflexion de ce dernier jour. Les deux points suivants suggèrent diverses pratiques de dévo­tion envers Marie : se préparer à une célébration attentive de ses fêtes, valo­riser spirituellement le samedi, réciter l'Angélus et le rosaire... (précisément les formes de culte marial sur lesquelles Paul VI a insisté en Marialis cultus, 2 février 1974). Notons l'ordre adopté : pour Don Bosco, honorer Marie est en tout premier lieu l'honorer par l'effort d'une vie « chrétienne », c'est-à-dire centrée sur Jésus-Christ. Les « pratiques » ne visent qu'à entre­tenir le sérieux de cet amour. C'est ce que montrent aussi les extraits sui­vants.




13 Rares sont les pages de l'oeuvre écrite de Don Bosco où la réalité de la personne chrétienne soit fondée aussi nettement qu'ici sur l'acte baptis­mal et sur les relations nouvelles qu'il instaure avec Dieu Père, avec Jésus Fils, avec l'Eglise mère et la multitude des frères chrétiens. Vivre en chré­ tien, c'est « correspondre » à son propre être, en devenant toujours plus conscient de son extraordinaire grandeur, et donc de ses exigences.




14 Don Bosco entend donc « l'aumône » au sens large de tout don au prochain par amour de Dieu (c'est là en fait le sens biblique et liturgique du terme), et pas seulement don d'argent ou d'objets matériels. En fait, dans son développement, il insiste d'abord longuement sur les dons matériels. Ensuite, à la fin du deuxième point, il signale diverses autres formes de cha­rité active, suscitées par tant d'autres formes de pauvreté.

15 Chose remarquable, ce paragraphe et le suivant étaient absents de la première édition. Don Bosco a donc jugé bon de préciser sa pensée et d'insister auprès des possédants. Il ne cessera jamais de soutenir avec force que « donner son superflu aux pauvres » est « un précepte », une stricte exigence de l'évangile, et qu'il faut se garder de chercher des prétextes pour y échapper. Par le ton employé ici et les exemples concrets apportés, Don Bosco retrouve l'accent des prophètes :« Les pauvres sont tes frères ». Il l'emploiera de nouveau dans les conférences aux Coopérateurs salésiens tvoir plus loin les textes nn. 83 et 84).


16 Tel fut bien le sentiment des auditeurs, au dire de Don Lemoyne (MB II, 46-48 ; IX, 213-221). Celui-ci raconte en outre que Don Bosco avait emporté avec lui le texte de son panégyrique ; mais assailli par des vi­sites jusqu'au dernier moment, il n'eut pas le temps de le relire et dut im­proviser le détail de sa prédication. Le texte nous est parvenu sous deux for­mes : une minute (23 pages) surchargée de corrections, et une copie de Don Berto (13 pages) où le texte précédent est simplifié et que Don Bosco a de nouveau corrigé de sa main (Archives 132, Prediche F 4). C'est ce dernier texte que nous citons (après Don Lemoyne, MB IX, 215-221). Les sous­titres sont de nous.


17 Don Bosco met au centre de l'âme et de la vie de saint Philippe Né­ri le zèle » pour le salut du prochain, et un zèle qui prend sa source dans celui même du Christ. Tel est aussi le thème précis du panégyrique : com­mentaire concret du Da mihi animas.

18 Le dialogue n'a évidemment rien d'historique. Don Bosco l'imagi­ne pour donner plus de relief à la situation de Philippe au début de sa mis­sion : pauvre de moyens humains, il s'appuie d'autant plus sur Dieu qui l'inspire. Ce passage donne une idée de ce style populaire et vivace qui ren­dait attrayants les sermons de Don Bosco.


19 Nouvel éloge du « zèle des âmes », au moyen d'une de ces formu­les superlatives que Don Bosco se plaît à utiliser quand il touche à cet argu­ment. Mais la pensée aussi vaut d'être remarquée : le service généreux du prochain est présenté ici comme un acte cultuel et sacrificiel, selon la pers­pective de Paul en Romains 15,16, et conformément au grand thème de la liturgie de la vie (remis en honneur par le Concile).

20 « Les enfants demandaient du pain, mais il n'y avait personne pour leur en donner ». Ici Don Bosco aborde le second thème fondamen­tal : la source principale de tant de malheurs est l'ignorance religieuse. Le peuple et les enfants ne sont pas évangélisés. L'oeuvre urgente à faire est donc d'annoncer et d expliquer la parole de Dieu.


21 Inconsciemment, Don Bosco interprète les épisodes et les orienta­tions de la vie de son héros en fonction de sa propre expérience. En mettant « Jean Bosco » là où est écrit « Philippe Néri », il y aurait bien peu de cho­se à changer au texte.

22 Admirable application « salésienne » de la parole de saint Paul en 1 Cor 9, 20-22 :« Je me suis fait juif avec les juifs pour gagner les juifs... faible avec les faibles pour gagner les faibles... tout à tous pour en sauver au moins quelques-uns ». Méthode d'incarnation, dictée par l'amour humble et patient.

23 La référence au Christ lui-même est constante. Plus haut, il s'agis­sait de participer à son zèle. Ici il s'agit de reproduire sa méthode.


24 Nous avons ici une synthèse des raisons et motivations qui justi­fient et alimentent le zèle apostolique selon Don Bosco : l'exemple du Christ, le commandement divin du soin d'autrui, le sens de la charité « fraternelle », l'éminente grandeur en soi de Papostolat, enfin le jugement final du Christ.