Let petit berger des Alpes ...

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Le petit berger des Alpes
ou vie du jeune
Besucco François
d'Argentera 1









Chronologie



1850 Naissance de François Besucco à Argentera (leC mars), avant-dernier de six frères et soeurs. Le curé, Don Fran­çois Peppino, est son parrain de baptême.

1856II fréquente l'école rurale (de novembre à mars). Même régime de vie durant cinq ans.

1858Première communion à huit ans et demi. Il est le petit berger du troupeau communal.

1861Le curé lui donne des leçons privées pour le préparer à l'école secondaire. /190/

1862 Il lit avec enthousiasme la vie de Dominique Savio, puis celle de Michel Magone. Il manifeste le désir d'entrer lui aussi à l'Oratoire de Turin.

1863 Il entre à l'Oratoire (2 août), qui compte alors environ 700 garçons. Il suit la première année de latin durant les mois d'été ; en novembre il entre en deuxième année.

1864 Il tombe malade (2 janvier). Une pneumonie l'épuise en sept jours. Il meurt le 9 janvier à onze heures du soir. Le 11, il est enterré au cimetière communal de Turin. Sept mois plus tard, Don Bosco a déjà écrit et fait paraî­tre sa biographie.



Nous laissons de côté les quinze premiers chapitres relatifs à l'enfance de François, pour une raison ainsi exprimée par Don Bosco dans la préface : « Pour la période que le petit Besucco a vécue dans son village, je m'en suis tenu à la relation que m'ont transmise son curé, son maître d'école et ses parents et amis. On peut dire que je me suis contenté de mettre en ordre et de transcrire les souvenirs qui m'ont été envoyés ». Lorsque François arrive à l'Oratoire, à treize ans, c'est un garçon en qui l'Esprit-Saint a déjà opéré profondément : sens de la prière, ccrur bon et généreux, esprit de devoir et de mortification par amour, disponibilité à sui­vre les bons conseils reçus, désir du sacerdoce. Don Bosco portera toutes ces richesses à un épanouissement merveilleux. Et cela, sim­plement, par la seule mise en oeuvre de ses principes d'éducation.



49. « Le grand programme » en trois points



Chap. XVII. - La joie. Dans son humilité François ju­eeait ses camarades meilleurs que lui, et il avait l'impression que sa conduite était indigne de la leur. Aussi peu de jours après notre première rencontre, je le vis de nouveau venir vers moi le visage inquiet.

- Qu'y a-t-il, lui dis-je, mon cher Besucco ?

- Je me trouve ici au milieu de tant d'excellents cama­rades ! Je voudrais devenir bon autant qu'eux, mais je ne ~ais comment faire. J'ai besoin que vous m'aidiez. /191/

- Je t'aiderai par tous les moyens possibles. Si tu veux devenir meilleur, mets en pratique trois choses, et tout ira bien.

- Quelles sont ces trois choses ?

- Ecoute : Joie, Etude, Piété. Voilà le grand pro­gramme. En l'appliquant, tu pourras vivre heureux et faire progresser ton âme 2.

- La joie... la joie... Joyeux, je ne le suis que trop ! Si être joyeux suffit pour devenir meilleur, j'irai m'amuser du matin au soir. Est-ce cela qu'il faut faire ?

- Non pas du matin au soir, mais bien aux heures où in­tervient la récréation...

(éd. Caviglia, 53-54)





50. La chance d'un confesseur « guide sur » et médecin bien informé 3.



Chap. XIX. - La confession. Qu'on dise ce que l'on veut sur les diverses méthodes d'éducation, quant à moi je ne trouve de base solide que dans la fréquente confession et communion, et je pense ne pas exagérer en disant qu'en l'absence de ces deux éléments la moralité devient /192/ impossi­ble. Besucco, je l'ai dit, fut éduqué et orienté de bonne heu­re à la pratique fréquente de ces deux sacrements. Arrivé ici à l'Oratoire il fut encôre plus empressé et plus fervent à s'en approcher...

Je félicite grandement Besucco pour ce fait, et j'en prends occasion pour recommander avec toute l'ardeur de mon coeur, à tous, mais plus spécialement à la jeunesse, de se décider à temps à choisir un confesseur stable, et de ne ja­mais en changer, hors le cas de nécessité. On évite ainsi le défaut de ceux qui changent de confesseur presque chaque fois qu'ils vont se confesser, ou alors vont à un autre confes­seur lorsqu'ils ont à accuser des choses importantes, pour retourner ensuite au confesseur habituel. Certes ceux qui agissent ainsi ne commettent aucun péché, mais ils n'auront jamais un guide sûr qui connaisse comme il se devrait l'état de leur conscience. Ils se trouvent dans la situation d'un malade qui irait chaque fois se faire visiter par un nouveau médecin : difficilement celui-ci arriverait à connaître la maladie, et il serait dans l'incertitude sur les remèdes oppor­tuns à prescrire.

S'il arrivait que ce petit livre fût lu par quelque personne ~ qui la divine Providence a confié la tâche de l'éducation de la jeunesse, je lui recommanderais chaudement trois choses dans le Seigneur. Premièrement,-mettre tout son zèle à con­vaincre que la confession fréquente est le soutien de la fai­blesse de cet âge, et offrir tous les moyens capables de favo­riser l'assiduité à ce sacrement. En second lieu, insister sur le grand profit qu'il y a à choisir un confesseur stable, dont on /193/ ne change pas sans nécessité, et qu'on assure la présence de nombreux confesseurs parmi lesquels chacun puisse choisir celui qui lui semblera plus adapté au bien de son âme. Par ailleurs, qu'on fasse toujours bien remarquer que changer de confesseur ne constitue aucunement un péché, et qu'il vaut mieux en changer mille fois plutôt que de cacher un péché en confession.

Enfin ne pas manquer de rappeler aussi très souvent le grand secret de la confession. Qu'on dise explicitement que le confesseur est tenu par un secret naturel, ecclésiastique, (de dr,oit) divin et civil... qu'il ne s'étonne nullement ni ne diminue son affection lorsqu'il entend accuser des choses même graves, qu'il donne au contraire toute son estime au pénitent. De même que le médecin lorsqu'il découvre l'en­tière gravité du mal de son patient se réjouit de pouvoir lui appliquer le remède qui convient, de même le confesseur, médecin de notre âme, qui au nom de Dieu guérit par l'ab­solution toutes les plaies spirituelles.

Je suis persuadé que si ces choses sont recommandées et expliquées comme il convient, on obtiendra de grands résul­tats sur le plan moral parmi les adolescents, et l'on pourra constater par les faits quel merveilleux instrument de pro­grès moral possède la religion catholique dans le sacrement de la pénitence.



(éd. Caviglia, 57-59)



51. Il faut donner à l'âme le pain dont elle a faim.



Chap. XX. - La sainte communion. Le deuxième soutien de la jeunesse est la sainte communion. Heureux les adoles­cents qui commencent de bonne heure à s'approcher de ce sacrement avec fréquence et dans les dispositions /194/ vou­lues ! 4. Besucco avait été encouragé sur ce point par ses parents et son curé, et éduqué par eux sur la façon de com­munier souvent et avec fruit. Lorsqu'il était encore dans son village, il le faisait une fois par semaine, puis tous les jours de fête, et même quelques fois en cours de semaine. Entré à l'Oratoire, il continua pendant quelque temps à communier selon la même fréquence, puis plusieurs fois la semaine, et tous les jours durant certaines neuvaines.

Bien que sa candeur et sa conduite exemplaire lui eussent permis de communier fréquemment, lui-même ne s'en trou­vait pas digne. Ses craintes augmentèrent après qu'une per­sonne venue dans cette maison lui eût dit qu'il valait mieux le faire plus rarement pour pouvoir communier après une plus longue préparation et avec une plus grande ferveur.

Un jour il se présenta à l'un de ses supérieurs et lui expo­sa /195/ toutes ses inquiétudes. Le supérieur essaya de l'apaiser en lui disant :

- Est-ce que tu ne donnes pas à ton corps le pain maté­riel avec une grande fréquence ?

- Oui, certainement.

- Si donc nous donnons si souvent le pain matériel à notre corps qui doit vivre seulement pour un temps en ce monde, pourquoi ne devons-nous pas donner souvent, et même chaque jour, à l'âme son pain spirituel, qui est la sainte communion ? (saint Augustin).

- Mais il me semble que je ne suis pas assez bon pour communier aussi souvent.-

- Précisément pour devenir meilleur il est bon de com­munier souvent. Ce ne sont pas les saints que Jésus a invités à se nourrir de son corps, mais les faibles, les fatigués, c'est­à-dire ceux qui, tout en ayant le péché en horreur, sont en grand danger d'y retomber à cause de leur faiblesse. « Ve­nez tous à moi, dit-il, vous qui êtes affligés et épuisés, et je referai vos forces ».

- Il me semble qu'en communiant plus rarement on le fait avec une plus grande dévotion.

- Peut-être. Ce qui en tout cas est certain, c'est que le bon usage des choses nous est enseigné par leur pratique. Qui fait souvent une chose apprend la juste façon de la fai­re. Ainsi celui qui communie fréquemment apprend com­ment bien communier.

- Mais celui qui mange plus rarement mange de meil­leur appétit.

- Celui qui mange très rarement et passe plusieurs jours sans manger, ou bien tombe de faiblesse ou bien meurt de faim, ou bien lorsqu'il se remet à manger court le danger de faire une indigestion catastrophique.

- S'il en est ainsi, j'aurai soin à l'avenir de communier très souvent, car je vois vraiment que c'est un puissant mo­yen de devenir meilleur. /196/

- Va communier selon la fréquence que ton confesseur t'indiquera.

- Il me dit d'y aller toutes les fois que je suis sans in­quiétude de conscience.

- Très bien. Suis ce conseil. Quoi qu'il en soit, je veux te faire remarquer que notre Seigneur Jésus-Christ nous in­vite à manger son Corps et à boire son Sang toutes les fois que nous nous trouvons en quelque besoin spirituel, et en ce monde nous vivons en un besoin continuel. Il est allé jus­qu'à dire :« Si vous ne mangez mon Corps et si vous ne bu­vez mon Sang, vous n'aurez pas la vie en vous ». Pour cette raison, au temps des apôtres, les chrétiens étaient assidus à la prière et au repas du pain eucharistique. Dans les pre­miers siècles, quiconque allait écouter la sainte messe y fai­sait la sainte communion. Et celui qui écoutait la messe cha­que jour y communiait aussi chaque jour. Enfin, l'Eglise catholique, parlant officiellement au Concile de Trente, recommande aux chrétiens d'assister aussi souvent qu'il leur est possible au très saint sacrifice de la messe, et use entre autres de ces expressions remarquables : « Le saint Concile désire souverainement qu'à toutes les messes les fidèles pré­sents fassent la communion non seulement spirituelle, mais aussi sacramentelle, afin qu'ils retirent un fruit plus abon­dant de cet auguste sacrifice » (session 22, chap. 6).

Chap. XXI. - Dévotion envers le Saint Sacrement. Il té­moignait son grand amour envers le Saint Sacrement non seulement par la communion fréquente, mais en toutes les occasions qui se présentaient... Ici à l'Oratoire, il prit la très louable habitude de faire chaque jour une brève visite au Très Saint Sacrement...



(éd. Caviglia, 59-61)

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52. Deux grâces particulières : le goût de la prière et de l'union au Christ souffrant



Chap. XXII. - Esprit de prière. C'est une chose fort dif­ficile de faire prendre aux adolescents le goût de la prière. L'inconstance de leur âge les amène à trouver ennuyeux et terriblement pesant tout ce qui requiert une attention sérieu­se de l'esprit. C'est donc une grande fortune pour un chré­tien d'être initié dès son adolescence à la prière, au point d'y prendre goût. Pour lui la source des bénédictions divines de­meure toujours ouverte.

François fut du nombre de ces chrétiens fortunés. L'aide que lui apportèrent ses parents dès sa tendre enfance, et le soin que prirent de lui son maître d'école et spécialement son curé produisirent dans notre adolescent ce fruit désira­ble...

Il avait un amour particulier pour la très sainte Vierge Marie... Il voulut connaître l'endroit précis où Dominique Savio se mettait à genoux pour prier devant l'autel de Ma­rie. Là il se recueillait pour prier, et son cceur en éprouvait une grande consolation. Il disait : « ... Il me semble que Dominique lui-même est là à prier avec moi, et qu'il répond aussi à mes prières, et sa ferveur se répand dans mon coeur... ».

Chaque vendredi, lorsque cela lui était possible, il faisait ou au moins lisait le Chemin de la croix, sa pratique préfé­rée. « Le Chemin de la croix, disait-il, est pour moi une étin­celle de feu : elle m'invite à prier, elle me pousse à supporter quelque chose pour l'amour de Dieu »...

Chap. XXIII. - Ses pénitences. Parler de pénitence aux adolescents, c'est généralement les effrayer. Mais quand l'amour de Dieu prend possession d'un coeur, aucune chose /198/ au monde, aucune souffrance ne les attriste, au contraire chaque peine de la vie finit par se transformer en consola­tion 5... François ayant reçu l'interdiction de faire des pé­nitences corporelles,'il obtint d'en faire d'un autre genre, de se charger des services les plus humbles de la maison... Mais ces petites mortifications contentèrent notre François seule­ment pour peu de temps. Il désirait se mortifier davan­tage... 6



(éd. Caviglia, 62-66)

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53. Paroles de qui se prépare à entrer au paradis



A la brève maladie et à la mort de François, Don Bosco a con­sacré pas moins de quatre chapitres (XXVIII-XXXI). La raison en est simple : ce sont des jours et des heures de plénitude spirituelle, où l'on voit François manifester la force de son amour et joindre à une souffrance aiguë une «admirable patience », et même une joie étonnante. Ce sont aussi des jours, ne l'oublions pas, durant les­quels Don Bosco lui-même fut très proche de son petit François : il a vu et entendu. Ne pouvant citer ici ces longues pages, nous choi­sissons les dernières paroles les plus significatives de l'adolescent.



«*François, tu souffres beaucoup ?

- Oui, je souffre un peu, mais qu'est-ce que cela en comparaison de ce que je devrais endurer pour mes péchés ? Mais je dois aussi vous assurer que je suis tellement content que je ne me serais ja­mais imaginé qu'on puisse éprouver tant de joie à souffrir par amour pour le Seigneur » 7.

A l'infirmier : « Que le Seigneur vous paye à ma place ! Et si je vais en paradis, je le prierai de tout mon coeur pour vous, qu'il vous aide et vous bénisse ».

Don Bosco : « Supposons que tu puisses choisir entre guérir et aller tout de suite en paradis, que choisirais-tu ?

- Ce sont deux choses différentes : vivre pour le Seigneur ou /200/ mourir pour aller vivre avec le Seigneur. La première me plaît, mais plus encore la deuxième » 8.

Don Bosco : « Et à moi, que dis-tu ?

- A vous je de­mande, reprit-il tout ému, de m'aider à sauver mon âme. Depuis longtemps je prie le Seigneur de me faire mourir en­tre vos bras. S'il vous plaît faites-moi cet acte de charité et assistez-moi jusqu'aux derniers moments de ma vie » (chap. XXVIII, 77-79).

Se préparant à recevoir le viatique : « Quelle belle provi­sion je prends avec moi en recevant le pain des anges pour la route que je vais entreprendre ! ... Oui, Jésus est mon ami et mon compagnon, je n'ai plus rien à craindre, au contraire j'ai tout à espérer de sa grande miséricorde ».

Don Bosco :« As-tu quelque commission à me laisser pour le curé de ton pays ? -- Il m'a fait beaucoup de bien ; il a fait tout ce qu'il a pu pour me sauver. Faites-lui savoir que je n'ai jamais oublié ses conseils. Je n'aurai plus la joie de le voir en ce monde, mais j'espère aller en paradis et prier la très sainte Vierge de l'aider à faire persévérer dans le bien tous mes camarades, et ainsi je pourrai le revoir en paradis avec tous ses paroissiens ». A ces paroles il était tellement ému qu'il ne put continuer à parler.

- Peut-être as-tu quelque commission pour ta maman ?

... O mon Dieu, bénissez ma maman, rendez-la coura­geuse à supporter avec soumission la nouvelle de ma mort ; /201/ faites que je puisse la revoir avec toute ma famille en paradis pour jouir ensemble de votre gloire ».



Don Bosco, avant de lui administrer la dernière onc­tion :­

- N'as-tu rien sur la conscience qui te fasse quelque peine ?

- Ah si, j'ai une chose qui me tourmente et un remords qui pèse beaucoup sur ma conscience.

- Quoi donc ? Veux-tu la dire en confession, ou autre­ment ?

- C'est une chose à laquelle j'ai toujours pensé pendant ma vie, mais jamais je ne me serais imaginé qu'elle provo­que tant de regret au moment de la mort.

- Qu'est-ce donc qui te fait tant de peine et de re­mords ?

- Le regret le plus amer que j'éprouve, c'est pendant ma vie de n'avoir pas aimé le Seigneur autant qu'il le mérite 9.

- Reste en paix sur cela, car en ce monde nous ne pour­rons jamais aimer le Seigneur comme il le mérite. Ici-bas, nous devons faire ce que nous pouvons. Le lieu où nous aimerons autant que nous le devons, c'est l'autre vie, c'est le paradis » (chap. XXIX, 79-81)

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54. « Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi » (Jn 17, 24).



Chap. XXXI. - Un fait merveilleux. Sa précieuse mort. 10 ... Vers les dix heures et demie du soir, il semblait ne plus avoir que quelques minutes à vivre lorsqu'il sortit les mains essayant de les élever vers le haut. Je lui pris les mains et les lui joignis pour les lui faire appuyer de nouveau sur le lit. Mais il les sépara pour les élever de nouveau vers le haut, l'air souriant, les yeux fixés comme s'il voyait quelque chose qui le comblait de bonheur... A cet instant son visage appa­rut plus frais et coloré qu'il n'était en période de pleine san­té, brillant d'une beauté et d'une splendeur qui fit disparaî­tre l'éclat des lampes de l'infirmerie, rayonnant d'une lu­mière vive comme le soleil. Tous les assistants - ils étaient dix personnes - restèrent effrayés et abasourdis ; en pro­fond silence, ils fixaient tous, mais avec peine, le visage de François. Mais leur étonnement grandit encore lorsque le malade, levant un peu la tête et avançant les mains autant qu'il pouvait dans le geste de quelqu'un qui va serrer la /203/ main à un ami, se mit à chanter d'une voix joyeuse et sono­re 11...

Puis il se laissa retomber sur le lit. La lumière merveil­leuse s'éteignit, son visage redevint comme à l'ordinaire, les lampes réapparurent. Il ne donnait plus signe de vie. Mais s'apercevant qu'on ne priait plus et qu'on ne lui suggérait plus d'invocation, il se tourna vers moi et me dit : - Aidez­moi, prions. Jésus, Marie, Joseph, assistez-moi dans mon agonie. Jésus, Marie, Joseph, faites que j'expire en paix en votre compagnie !

Je lui recommandai de ne plus parler, mais il continua sans autre :« Jésus dans mon esprit, Jésus dans ma bouche, Jésus dans mon coeur. Jésus et Marie, je vous donne mon âme »... A onze heures et quart, François me regarda, s'ef­força de me faire un sourire en guise de salut, puis il leva les yeux vers le ciel indiquant par là qu'il s'en allait. Peu après, son âme laissait le corps et s'envolait vers la gloire céleste...



(éd. Caviglia, 84-85)



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1 La première édition parut dans les Lectures Catholiques, douzième année, fase. V-VI, Turin, Typographie de l'Oratoire Saint-François-de­Sales, juillet-août 1864, 192 pages. On peut la lire en reproduction anastati­que en Opere edite XV 242-435. Nous utilisons pour notre traduction le texte choisi par Don A. Caviglia pour l'édition des Opere e Scritti : une deuxième édition revue et augmentée, de 1877, corrigée sur épreuves par Don Bosco lui-même et demeurée inchangée dans les éditions suivantes. Les titres de chapitres sont de Don Bosco, les autres sont de nous. Les nom­breux textes cités des deux biographies précédentes nous permettent d'être plus bref pour celle-ci, et aussi d'éviter les répétitions.


2 La vie du jeune écolier François, qui ne passera que cinq mois chez Don Bosco, n'offre pas d'événements extérieurs particuliers. Don Bosco en profite pour présenter cette période en forme didactique, en suivant le plan des « trois seules choses » qui renferment tout le secret de la formation sa­lésienne profonde : Joie (chap. XVII), Travail ou étude (chap. XVIII), Pié­té (chap. XIX-XXII). Comme on le voit, le thème « Piété » est davantage développé, parce qu'il est à la base des deux autres, et parce que l'expérien­ce spirituelle de François est ici plus riche.

3 Un mois à peine après son arrivée, François choisit Don Bosco com­me confesseur. C'est un acte d'une importance décisive. Sans tarder, il lui manifeste son désir de faire une confession générale, non point que son passé comporte quelque faux pli ou soit cause de trouble à dissiper (comme c'était le cas pour Magone), mais il veut par là « remettre son âme dans les mains » de Don Bosco : c'est le signe de l'ouverture en totale confiance. Qu'on lise attentivement ce chapitre si l'on veut savoir ce que Don Bosco mettait sous l'expression « confession fréquente ». Voir aussi plus haut les notes 4, 5 et 6 des extraits de la biographie de Magone.


4 Notons les trois points qui préoccupent Don Bosco relativement à la communion eucharistique : il faut la recevoir 1) sans tarder, 2) fréquem­ment, 3) avec les dispositions voulues. Dans ce chapitre, Don Bosco traite uniquement du second point, nous offrant une fort belle synthèse de sa pensée. L'occasion lui en a été fournie par un trouble de conscience de François. Entre le courant rigoriste et le courant alphonsien, alors en lutte, Don Bosco choisit nettement celui-ci, et les solides arguments qu'il apporte sont ceux dont il s'est convaincu au Convitto de Turin. La première partie du dialogue reproduit sûrement l'échange entre Don Bosco (« un de ses su­périeurs ») et François. On peut croire que la finale (les arguments histori­ques moins à la portée d'un garçon) a été ajoutée dans un but didactique. - Sur le sens et les fruits de la communion fréquente, voir plus haut les no­tes 23, 24 et 26 des extraits de la biographie de Dominique Savio. Une autre excellente synthèse de la pensée de Don Bosco sur ce thème se trouvait déjà dans II Mese di maggio, 1858, réflexion du 24e jour. On peut lire un autre résumé de sa pensée sur la confession et la communion dans les conseils donnés aux jeunes dans le Règlement de l'Oratoire pour les externes, 1877 (MB II, 162-164). Ces deux textes en Opere edite. Sur la doctrine de Don Bosco relative à ces deux sacrements et l'évolution de sa pensée notamment sur le thème de la fréquence, voir l'exposé de F. Desramaut en Don Bosco et la vie spirituelle, Paris 1967, pp. 127-144.


5 C'est un fait que François a recherché la souffrance. Gardons-nous de soupçonner là quelque goût morbide ou la prétention à des exploits ascé­tiques. Ses paroles elles-mêmes et le clair témoignage de Don Bosco nous affirment que ce désir lui fut inspiré par l'amour, à la suite d'une réelle con­templation de Jésus crucifié. La raison à courtes vues ne peut comprendre. Seule la foi au mystère rédempteur, et au mystère des appels personnels de Dieu apporte l'explication valable et suscite l'admiration : François se rapproche ici de très grands saints : Louis de Gonzague, Marie-Madeleine de Pazzi, Thérèse de Lisieux, et son modèle plus immédiat Dominique Sa­vio.


6 De sorte qu'il échappa à la vigilance de Don Bosco. Celui-ci, à la fin du chapitre XXVI, ne craindra pas de lui appliquer une parole de saint Paul : « Par ses paroles comme par ses actes, il manifestait en lui ce que dé­jà disait saint Paul :« J'ai le désir de m'en aller pour être avec mon Sei­gneur glorifié » (Phil 1, 23). Dieu voyait le grand amour dont pour lui était rempli ce jeune coeur, et afin que la malice du monde ne puisse corrompre son esprit, il voulut l'appeler à lui et permit qu'un désir excessif des péni­tences en fût en quelque façon l'occasion ». De fait, une nuit d'hiver, il re­nonce à se couvrir, pensant à Jésus sur la croix, et c'est d'un coup la pneu­monie. Don Bosco désapprouve, parle de « désordre » (chap. XXIII), d'« imprudence », de pénitence « déplacée » (chap. XXVII)... Certes on ne recommandera jamais à personne d'imiter François sur ce point. Mais avoir désiré souffrir par amour de Dieu jusqu'à en mourir, c'est là un secret sublime entre Dieu même et le petit François.

7 Rappelons ici les paroles de Thérèse de Lisieux sur son lit de mort le 31 juillet 1897 : « J'ai trouvé le bonheur et la joie sur la terre, mais unique­ment dans la souffrance... Depuis ma première communion... j'avais un perpétuel désir de souffrir. Je ne pensais pas cependant à en faire ma joie ; c'est une grâce qui ne m'a été accordée que plus tard »(Denriers entretiens, P. 294). « Je suis contente de souffrir puisque le Bon Dieu le veut »(ib. p. 348). Mais déjà au Ve siècle saint Augustin avait prononcé la phrase cëlè­bre : « Là où l'on aime, on ne souffre pas ou alors la souffrance est ai­mée »(« Nam in eo quod amatur, aut non laboratur, aut et labor ama­tur », De bono vid., XXI).

8 A la même demande, Michel Magon avait fait une réponse à peu près semblable (voir chap XIV). Toutefois, celle de François est plus nuan­cée et plus profonde, et elle évoque l'hésitation éprouvée par saint Paul lui­-même :« Je me sens pris dans cette alternative : d'une part j'ai le désir de m'en aller et d'être avec le Christ, ce qui serait, et de beaucoup, préférable ; mais de l'autre demeurer dans la chair est plus urgent pour votre bien » (Ph 1, 23-24).

9 Ce bref dialogue est le sommet de la biographie de François, parce qu'il est le sommet de sa vie spirituelle. Et la phrase sur son « plus amer regret » est la parole qui nous révèle le mieux sa sainteté. Toute sa vie s'illu­mine à cette lumière (« une chose à laquelle j'ai toujours pensé ») : Dieu ai­me tant les enfants et les adolescents que son Esprit peut inspirer déjà à cer­tains de chercher à travers tout à l'aimer comme il le mérite. A son tour, la réponse par laquelle Don Bosco essaie de rassurer François est l'une des phrases les plus révélatrices de son secret intérieur. La sainteté du fils pro­voque celle du père.

10 Don Bosco lui-même eut une mort très humble, « ordinaire » (nous le verrons à la fin de ce livre). Mais c'est un fait que bon nombre de ses jeu­nes eurent une mort « extraordinaire », et plus d'une fois accompagnée, sans aucun doute possible, de grâces toutes spéciales : Fascio, Gavio, Mas­saglia, Dominique Savio, Magone, Saccardi, Provera... Est-ce un privilège des adolescents et des jeunes, portés par l'élan de leur amour généreux ?... Nous rapportons ici la mort « lumineuse » et « joyeuse » de François telle que Don Bosco, témoin avec neuf autres, précise-t-il, l'a racontée au cha­pitre XXXI. Rappelons seulement que Thérèse de Lisieux, avant de rendre le dernier soupir, reprit son plus beau visage, et, « les yeux brillants de paix et de joie », eut une extase « à peu près l'espace d'un Credo »(Derniers entretiens, p. 384).

11 A cet endroit, Don Bosco rapporte des strophes de trois cantiques que chanta François, le premier de louange à Marie, les deux autres de sup­plication pénitente au Seigneur Jésus. Puis le chant continua par bribes entrecoupées, « comme s'il répondait à des demandes pleines d'amour ». Etonnant cantique ! François entre dans la joie de son Maître en chantant.