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1.INTRODUCTION |
1 La théologie de la mission |
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La théologie de la mission telle qu'elle se renouvelle aujourd'hui naît de la rencontre des trois idées de la mission suivantes
L'idée de la mission, telle qu'elle s'enracine dans la pratique de l'Église occidentale et les perspectives dans lesquels cette mission a été située ont évolué depuis Europe, pays de mission jusqu'à la « nouvelle évangélisation » en passant par tous les efforts missionnaires venant des pays européens. Il s'agit toujours de vivre concrètement l'idée que la mission est constitutive de l'être même de l'Église, ce que Vatican II a clairement mis en relief.
L'idée de la mission qui s'enracine dans la dynamique missionnaire des derniers siècles, même si la mission Ad Gentes, si vigoureuse au XIXe siècle, a été mise en cause par les bouleversements de l'histoire de nos sociétés au XXe siècle, et par la nouvelle conscience que l'Église a prise d'elle-même avec le Concile de Vatican II. Et pourtant, cette idée de mission Ad Gentes resurgit avec force aujourd'hui.
L'idée de la mission qui est maintenant pensée par les jeunes Églises ; elles, qui se pensaient issues de la mission, commencent à se penser comme acteurs de la mission et réévaluent ainsi l'acte missionnaire qui leur a donné naissance.
Comment retrouvons-nous cela dans l'histoire de la théologie de la mission ?
Pendant les années 1960, peu après le concile de Vatican II, des réflexions sur la mission s'élaborent dans l'Église. Elles veulent donner une base théologique à « l'entreprise missionnaire » qui se déploie, depuis trois siècles, à partir d'Églises particulières, au moment où elle fait l'objet de fortes critiques. La réflexion porte donc sur l'ensemble « de l'action spécifique de ceux qui sont chargés de la diffusion de la foi au-delà des frontières de la chrétienté »; et ce, depuis le XVIIe siècle. Depuis les années 1600, en effet, cette action est désignée par le terme de « mission » par Ignace de Loyola (Vœu de la mission) et par Vincent de Paul (Congrégation de la mission). Cependant, malgré l'abondance et la diversité des « oeuvres missionnaires » il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que s'ébauche une « théologie de la mission ».
En 1991, D. Bosch nous offre une « somme théologique » de la mission : Dynamique de la mission chrétienne - Histoire et avenir des modèles missionnaires. La perspective s'est profondément transformée ; les modèles missionnaires décrits ne concernent plus directement une activité de diffusion de la foi, mais ils désignent avant tout des manières de vivre et d'agir de l'Église - saisie dans toute sa complexité et toutes ses composantes - à l'intérieur de sociétés déterminées. La thèse de cet ouvrage, c'est que c'est l'Église tout entière qui est, par sa nature même, missionnaire.
Comment, aux divers moments de son existence, l'Église a-t-elle vécu sa dimension missionnaire ? Selon quels modèles ? (ces modèles qui ne sont, bien sûr que des constructions a posteriori des données qui nous sont parvenues). On pourrait ainsi repérer, avant le temps des réformes, au XVIe siècle,
- Le modèle de l'Église primitive qui vit en distinguant très nettement le temps présent et le temps à venir, Église des martyrs portant témoignage à Celui qui vient et Église des missionnaires itinérants.
- Aux IIIe, IVe et Ve siècles, le modèle d'une Église qui s'inscrit dans la culture gréco-latine de son temps, l'habite, tend à la transformer de l'intérieur, et trouve dans la tradition monastique le point d'appui nécessaire pour ne pas se fondre dans la société. Puis, au cours des siècles suivants, une lente osmose s'instaure entre les réalisations d'une Église civilisatrice et les apports de ceux qu'on appelait barbares.
Le XIIIe siècle correspond sans doute à un nouveau modèle : il s'agit, simultanément, d'évangéliser en profondeur une chrétienté qui s'installe, tout en faisant face à deux défis, celui d'une culture philosophique et scientifique nouvelle, et celui de la mise en place d'une tout autre organisation de la société, non plus une société féodale mais une société organisée autour des « communes ». On peut voir émerger ce modèle dans les ordres mendiants, dominicains et franciscains.
Cette succession de modèles missionnaires nous indique notre point de départ : réfléchir à la mission, c'est réfléchir à la manière dont l'Église est appelée à témoigner de l'Évangile dans la diversité des contextes humains. Cela est développé dans le premier chapitre et surtout dans le cours Dialogue culturel et interreligieux.
Dans notre cours, nous n'aborderons pas directement le point de vue historique de l’activité missionnaire. Ce à quoi il convient de réfléchir en second lieu, c'est, de toute évidence, à cette mission Ad Gentes, c'est-à-dire à cette dimension spécifique de l’œuvre missionnaire, qui est le témoignage porté auprès des peuples et des sociétés qui ne connaissent pas encore Jésus-Christ, et qui implique de la part des acteurs de la mission de quitter, quitter un lieu quelque part et d'une certaine manière, quitter son pays, sa culture, son environnement social etc. Le renouveau proposé à la mission par Ad Gentes - d'ailleurs encouragé par la lettre apostolique Redemptoris missio de Jean-Paul II - ne se présente pas comme un retour à ce qui aurait été oublié ou occulté pendant un certain temps. Il s'agit bien plutôt de comprendre la mission Ad Gentes selon la problématique nouvelle, celle qui résulte de la modification de la conception chrétienne du rapport entre l'Église et l'Humanité, depuis le concile de Vatican II.
L'Évangile est une parole qui attend la réponse la plus libre possible, une parole destinée à susciter une décision de foi. Comment comprendre ce qu'est la mission à la lumière de la déclaration du concile de Vatican II sur la liberté religieuse, qui nous habitue peu à peu à respecter le sanctuaire intime de l'homme, lieu d'accueil de l'Évangile ? Rendre compte d'une annonce de l'Évangile qui non seulement respecte la liberté humaine, mais lui permet d'aller jusqu'au bout d'elle-même (évangélisation en profondeur). Comment entendre la mission là où l'Évangile doit s'efforcer de rejoindre une liberté humaine beaucoup plus menacée par la violence des régimes politiques et des guerres (mission et réconciliation), celle des échanges économiques et culturels (mission et mondialisation), ou celle des nouveaux moyens de communication (mission et Internet) ? Comment annoncer l’Evangile en des situations frontières ? Ce sera là notre troisième axe de réflexion.
2 Chapitre I |
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3 LA MISSION À L'ÉPREUVE DU DIALOGUE |
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Ce chapitre débutera par la lecture des principaux documents du Concile de Vatican II et de documents du Magistère plus récents ; cette lecture sera guidée par le fil rouge du dialogue. En effet, la question du dialogue constitue la remise en cause la plus profonde de la problématique classique de la mission; elle appelle à refonder la réalité missionnaire qui fait corps avec l'Église.
3.1 A. De 1962 à 2000, documents ecclésiaux |
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Avec le décret sur l'activité missionnaire de l'Église Ad Gentes (1965), s'ouvre une nouvelle perspective sur la mission qui est inséparable de la transformation profonde de la conscience que l'Église a d'elle-même: « l'Église n'est pas à elle-même sa propre fin, car elle est ordonnée au Royaume de Dieu dont elle est germe, signe et instrument »(RM 2): il lui faut donc faire l'apprentissage du dialogue pour se comprendre elle-même et se mettre au service de la vocation originelle de l'humanité.
L'expérience du dialogue que l'Église catholique a entretenu avec les autres confessions chrétiennes tout au long du XXe siècle, l'a conduite à un changement profond : elle reconnaît que ces communautés chrétiennes séparées du catholicisme n'en sont pas moins porteuses d'un vrai rapport au Christ. Cette expérience du dialogue de Léon XIII à Pie XII, l'Église l'a élargi aux traditions religieuses ; elle a découvert des valeurs qui lui étaient inconnues. Nous allons chercher à repérer dans un certain nombre de documents d'Église cette transformation progressive, qui renouvelle les perspectives et confronte l'Église à des défis inédits.
3.1.1 1. Un premier jalon : Ecclesiam suam de Paul VI |
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Cette encyclique est adressée par Paul VI à ses frères évêques réunis en Concile. Si on a pu appeler cette lettre « l'encyclique du dialogue » (M. Vidal), c'est dans la mesure où les trois attitudes que Paul VI propose pour définir la vie ecclésiale (conscience que l'Église prend d'elle-même, de sa relation à sa source qu'est le Christ ; réforme et renouvellement ; dialogue avec l'humanité de notre temps) ne sont pas juxtaposées. Il apparaît à une lecture attentive que les deux premières parties sont pensées en fonction de la troisième sur le dialogue, qui est le but et le fruit de la conscience de soi de l'Église et de son renouvellement.
La troisième partie d'Ecclesiam suam est consacrée au dialogue entre l'Église et l'humanité, dialogue qui l'oblige à sortir d'elle-même, à ne pas s'occuper seulement d'elle et de ses affaires, mais aussi de celles de la famille humaine ; elle entre ainsi dans le dialogue avec les hommes. Paul VI situe avec clarté ce qui fonde ce dialogue : celui de l'Alliance de Dieu avec l'humanité, dialogue qui dure au long des âges.
De la contemplation de l'amour de Dieu pour l'humanité naît dans l'Église l'appel à entrer dans une dynamique de dialogue qui sollicite la liberté d'un amour. Dieu, en se révélant par une parole dans laquelle il se livre lui-même, appelle l'Église à un véritable dialogue. C'est pourquoi celle-ci ne peut transmettre la révélation que sur le mode du dialogue et de la conversation.
Ainsi la lettre situe le dialogue dans la perspective pédagogique de l'Alliance. De ce fait, comme le note M. Vidal, le dialogue ressemble davantage à une annonce et à un enseignement faits avec amour et pédagogie qu'à une véritable recherche commune où l'Église recevrait en même temps qu'elle donnerait. Il apparaît pourtant que, dans sa pratique, Paul VI va plus loin, il va à la rencontre de l'humanité ; il cherche autant à l'écouter qu'à lui parler « en communiquant avec l'homme partout où il cherche à se comprendre lui-même et à comprendre le monde » (n° 101), il va « s'asseoir au milieu des peuples ».
3.1.2 2. Parmi les documents de Vatican II. |
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Dans la suite d'Ecclesiam Suam, les documents du Concile antérieurs au décret sur l'activité missionnaire contribueront à transformer la manière de penser les rapports de l'Église au reste de l'humanité.
Au cœur de ce changement d'attitude de l'Église dans le monde, se trouve l'affirmation de l'unique vocation de tous les hommes à entrer dans le dialogue d'amour qui est le dessein de Dieu. Et Gaudium et spes en donne le fondement : leur vocation divine mais aussi leur origine commune fondent la fraternité universelle de tous les hommes. « La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (GS § 1). D'où la nécessité pour l'Église de vérifier et de rectifier son regard sur le monde, et de centrer son souci sur « l'homme qu'il s'agit de sauver, la société qu'il s'agit de renouveler »(GS § 3, 1). L'Église ne se comprend plus à partir d'elle-même mais à partir de cette humanité que Dieu crée et veut sauver, et à laquelle elle appartient.
Toute une série de déclarations et de décrets vont ainsi conduire l'Église à repenser ses relations avec les autres chrétiens, avec les religions non chrétiennes, avec la société civile et les États. Ce sont en particulier le décret sur l’œcuménisme Unitatis Redintegratio (relation avec les frères chrétiens), la déclaration sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes, Nostra Aetate, et la déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanae (dans laquelle est exprimé le fondement que l'Église se donne dans sa relation à la société civile). Dans ces divers documents se met peu à peu en place l'idée de dialogue appliquée à la relation de l'Église et de l'humanité.
La nouvelle compréhension qui en ressort à propos de la vocation et de la mission de l'Église sera formulée par Lumen Gentium où l'on peut lire : « L'Église est dans le Christ comme le sacrement ou le signe et l'instrument de l'union intime avec Dieu et de l'unité du genre humain »(§ 1). Cette affirmation sera reprise : elle ne met pas en cause la nécessité de l'Église, mais elle la resitue dans une autre perspective que celle de l'arche de Noé dans laquelle il faudrait entrer pour échapper à la perdition. L'Église est ainsi située par rapport à une réalité qui la dépasse, le salut, l'Évangile, le Royaume. Cette réalité est, en elle, un germe qui la travaille. L'Église n'occupe pas tout l'espace, n'englobe pas la totalité du Royaume et n'a pas le monopole du salut.
La densité de cette affirmation tellement nouvelle va ouvrir toute une série de questions : l'Église est-elle simple signe extérieur à la réalité qu'elle désigne ou bien en est-elle le germe ? Sa tâche se concentre-t-elle dans le service de l'homme et de l'humanité ou dans l'annonce du mystère de la foi ? Nous faut-il vraiment choisir entre le service de l'unité du genre humain et le service de l'union à Dieu ? etc.
En fait, ce qui est engagé, c'est une nouvelle manière de poser la relation de l'Église à la vérité ainsi que l'énonce Dei Verbum : « L'Église, tandis que les siècles s'écoulent, tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu'à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu » (§ 8). Cette phrase introduit une distance entre l'Église et la Vérité ; grâce à cette distance, l'Église peut se penser autrement que saturée par la Révélation, ce qui laisse une place aux multiples relations dans lesquelles l'Église est appelée à s'engager, et la possibilité d'y entrer sans se poser en possesseur de la vérité.
L'ensemble de ces documents dit ainsi les transformations que l'Église est appelée à vivre. C'est dans ce contexte que s'élabore le décret Ad Gentes.
3.1.3 3. Le décret sur l'activité missionnaire de l'Église Ad Gentes |
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De la même façon que d'autres textes conciliaires, il a pu être présenté comme porteur de plusieurs théologies non cohérentes entre elles. Cela vient de la nature même du travail conciliaire : tenir ensemble des éléments que la pente de notre intelligence humaine nous conduit à disjoindre alors que la foi nous incite à les harmoniser. Quelles réalités devons-nous « tenir ensemble » dans notre vision de la mission sans réduire son mystère et en en sauvegardant toute la dynamique d'ouverture ?
L'élément premier déjà rencontré est le retour de la mission au coeur même de l'Église : « de sa nature, l'Église est missionnaire, puisque elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint Esprit selon le dessein de Dieu le Père ». La dynamique missionnaire y trouve sa source. Tout, dans l'Église, peut être qualifié de missionnaire.
Le décret affirme en même temps la spécificité de la vocation des instituts missionnaires appelés par le Christ à assumer la mission Ad Gentes par « office propre ». N'y a-t-il pas là le risque d'oublier l'universalité de l'appel à la mission? Les deux aspects sont affirmés ensemble dans la phrase conciliaire « le Christ inspire la vocation missionnaire dans le coeur d'individus et suscite en même temps, dans l'Église, des instituts qui se chargent comme d'un office propre de la mission d'évangélisation qui appartient à toute l'Église »(§ 23).
Une autre forme de tension apparaît entre la responsabilité collégiale de l'épiscopat et le rôle réaffirmé de la Congrégation pour la Propagation de la foi. « La charge d'annoncer l'Évangile par toute la terre étant en premier lieu l'affaire du corps épiscopal, le Synode des évêques... doit avoir... un souci spécial de l'activité missionnaire » : la mission rapatriée au coeur de l'Église est donc reliée à la charge épiscopale et n'est plus le domaine réservé du Saint Siège. Le rôle de coordinateur de l’œuvre et de la coopération missionnaire de la « Propagation de la foi » est ainsi réaffirmé tout en étant profondément transformé.
Quant à la finalité de l’œuvre missionnaire, le décret, poursuivant une réflexion engagée avant le concile, en propose deux expressions : l'évangélisation et l'implantation de l'Église. La théologie du « salut des infidèles » avait déjà modifié profondément les motivations missionnaires au XXe siècle : l'affirmation de la volonté universelle de salut de la part de Dieu implique que personne dans l'humanité ne soit laissé sans le secours de la grâce nécessaire au salut ; la mission de l'Église ne peut alors se fonder sur sa nécessité pour le salut des infidèles. Peu après un autre objectif de la mission s'est développé : implanter une église locale dans chaque peuple, comme signe du salut universel voulu par le dessein du Père. Le décret reprend ce motif tout en y ajoutant celui de l'Évangélisation. L'idée de « salut des infidèles » est reprise, non plus seulement à partir de la dimension subjective de l'individu, mais aussi de la dimension théocentrique de l'Évangile de Dieu qui s'adresse à tout l'homme et à tout homme : le salut n'est plus pensé comme sauvetage d'individus en perdition, mais comme la pleine participation à l'amour de Dieu tel qu'il s'est manifesté en Jésus Christ.
Une tension proche de la précédente apparaît dans les paragraphes consacrés à la mise en oeuvre de l'activité missionnaire. L’œuvre missionnaire appelle l'engagement profond des chrétiens qui annoncent l'Évangile dans la rencontre de ceux auxquels ils sont envoyés ; rendre témoignage au Christ nécessite de « se joindre à ces hommes par l'estime et la charité, se reconnaître comme des membres du groupement dans lequel ils vivent... être familiers avec les traditions... découvrir avec respect les semences du Verbe... » (§ 11). Mais il faut maintenir aussi la réalité organique qu'est l'Église, de par ses éléments de croissance que sont la diversité des ministères, le presbytérat local, la vie religieuse, l'apostolat des laïcs, l'éveil à la vocation missionnaire, les engagements dans les tâches de justice et de promotion humaine... (§ 15).
3.1.4 4. La réception du Concile |
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La richesse que représentent les documents conciliaires habite désormais la conscience ecclésiale. Alors commence le long travail de réception du Concile. Quelle relecture peut-on en faire à l'aube du troisième millénaire ?
- Dans un premier temps (1969-1989), se pose de façon plus précise la question de l'évangélisation. Qu'est-ce que l'Évangélisation ? Quelles en sont les formes ? Comment équilibrer les éléments qui la composent ? Qu'en est-il de la réalité du salut, du rapport entre promotion humaine et annonce de l'Évangile ? Cette période pourrait être caractérisée de christologique: l'Église s'y pense « sacrement du salut » et s'interroge sur le contenu du kérygme. Dans ce cadre paraît l'encyclique Evangelii nuntiandi sur l'Évangélisation dans le monde moderne.
- Dans un deuxième temps (1985-2000) s'ouvre la question du dialogue interreligieux qui relance, de façon neuve, la réflexion missionnaire. C'est l'époque où des conflits graves, naissant en divers points du globe, semblent s'enraciner dans des affrontements religieux ; et c'est l'époque où sont prises des initiatives de dialogue interreligieux appelées à des répercussions profondes. L'Église se découvre, au regard du mystère trinitaire, « sacrement de l'union intime avec Dieu et de l'unité du genre humain ». C'est en cette période qu'est publié Dialogue et annonce.
Des débats et du combat pour le développement, la justice et la libération
Dans les vingt années qui ont suivi le Concile, la mission et l'annonce de l'Évangile sont mises à l'épreuve des débats et du combat pour le développement, la justice et la libération. Dans Populorum Progressio comme au Synode de 1971, on affirme que la promotion humaine fait partie de la mission.
Le texte le plus riche et le plus fort est celui du Synode de 1971, où l'on peut lire : « L'activité en faveur de la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l'Évangile ou, en d'autres mots, de la mission de l'Église pour la rédemption du genre humain et sa libération de toute situation oppressive ». (Cf. AAS 63, 1971, p. 924)
Les débats autour de la théologie de la libération se prolongeront, jusqu'à la publication du document sur « La liberté chrétienne et la libération. ».
En septembre-octobre 1974, le IVe Synode des évêques mène une réflexion sur le thème de l'évangélisation. Le document que Paul VI en tirera sera symboliquement publié pour le dixième anniversaire de la clôture du Concile Vatican II, le 8 décembre 1975. Ce document reste un texte majeur : il s'agit de l'exhortation Evangelii Nuntiandi sur l'Évangélisation dans le monde moderne.
Cette exhortation, qui garde aujourd'hui toute sa force, a été bien accueillie pour les éléments qu'elle mettait en relief :
Elle interprète la mission comme annonce de l'Évangile mais souligne que c'est dans la mesure où elle se laisse transformer par l'Évangile qu'elle annonce que l'Église est évangélisatrice.
Elle affirme la complexité de l'évangélisation ; elle appelle à ne sacrifier aucun des éléments divers qui la composent ; elle développe longuement l'articulation nécessaire entre accueil de l'Évangile, réception du salut, promotion humaine, libération, etc., sans confusion ni séparation.
Elle amorce un thème plein d'avenir : celui de l'évangélisation des cultures en affirmant: « Il importe d'évangéliser - non pas de façon décorative, comme par un vernis superficiel - mais de façon vitale, en profondeur et jusque dans leurs racines la culture et les cultures de l'homme… la rupture entre Évangile et culture est sans doute le drame de notre époque. »(n° 20).
Une réflexion autour du thème de l'inculturation
L'exhortation amorce une réflexion autour du thème de l'inculturation qui va se poursuivre avec la lettre sur l'inculturation du P. Pedro Arrupe (1978), la conclusion du Synode africain de 1994 et l'exhortation de Jean-Paul II sur l'Église en Afrique (14 septembre 1995).
À cette époque, le phénomène du dialogue n'apparaît pas comme central dans la théologie de la mission. Cependant, cette période a été celle des premiers apprentissages pratiques de l'engagement de l'Église dans le dialogue.
Notons en premier lieu ce mouvement de fond de l'Église découvrant les enjeux de la lutte pour le développement, la justice, et la libération ; elle se découvre obligée de sortir d'elle-même. Alors surgissent les questions : qui interprète le mieux ces réalités humaines ? À qui donner la parole ? Qu'attendre de la parole des « non chrétiens » ? À qui, de fait, donne-t-on la parole en Amérique latine pour mieux saisir la libération nécessaire et en Afrique pour promouvoir les transformations culturelles ? Avec qui avoir des actions communes ? etc.
L'Église apprend ainsi à reconnaître des interlocuteurs nouveaux et à écouter des paroles venant d'un horizon autre que celui des chrétiens.
L'Église est renvoyée à elle-même pour se renouveler, se réformer et ainsi se transformer en véritable partenaire de tout homme. La demande adressée par Paul VI à l'ensemble des congrégations religieuses symbolise cette nouvelle démarche : chercher à mieux comprendre et interpréter le monde où elles vivent (fraternité nouvelle qui doit se traduire dans la manière de vivre les vœux de pauvreté, d'obéissance et de chasteté), en restant fidèles à leur charisme fondateur.
Un autre aspect important est l'amorce du dialogue interreligieux. Au début, non intégré directement à la perspective de la mission, il prend des formes diverses : gestes symboliques ; engagements communs, « dialogues dans la vie », dialogues théologiques avec les diverses traditions religieuses (hindoue, bouddhiste, musulmane, etc.). Il faudra attendre 1984 pour trouver un premier document, où dialogue et mission soient explicitement liés comme c'est le cas d'un texte du Secrétariat pour les non-chrétiens « Attitude de l'Église catholique devant les croyants des autres religions - orientations concernant le dialogue et la mission ». Le Secrétariat y répond aux difficultés suscitées par la mise en valeur de la rencontre des religions qui risque d'affaiblir le sens de la mission.
Le document traite de cette question. Auparavant, on ne parlait du dialogue qu'en termes d'exigences spirituelles, d'approfondissement éthique et de réflexion anthropologique. On se disposait au dialogue, mais on accentuait le caractère absolu de la vérité, etc. Ici déjà s'amorcent d'autres questions plus spécifiquement théologiques sur les enjeux du dialogue dans la proposition de la foi et l'activité missionnaire de l'Église.
1. La rencontre d’Assise 1986
La première période avait été marquée par des rencontres, des engagements divers en direction des « grandes religions », les voyages de Paul VI à Jérusalem, Bombay ou Kyoto. Mais tout ceci était encore sans impact direct sur la mission. Le geste symbolique d'Assise, en 1986, marque un tournant : le dialogue interreligieux fait partie intégrante de la mission et conduit à une toute nouvelle réflexion sur les dimensions du dialogue.
Des croyants de traditions religieuses diverses viennent de tous les continents et se retrouvent avec Jean-Paul II, le 27 octobre 1986. La rencontre d’Assise est un des actes les plus marquants du pontificat de Jean-Paul II. Elle a surpris bien des observateurs et donné un souffle au dialogue interreligieux. Cette rencontre a réuni à Assise des représentants de nombreuses religions : boudhisme, hindouisme, jaïnsme, zoroastrisme, islam, judaïsme, religions traditionnelles africaines et de nombreuses délégations chrétiennes. S’y associent de nombreux chefs d’Etat. Plusieurs pays en guerre, en réponse à un appel du Pape, marquèrent l’intérêt qu’ils portaient à cette rencontre par une trêve des armes. C'est « un événement qui n'a pas de référence historique à l'échelle universelle, unique dans son originalité et son exemplarité. » (Cardinal Etchegaray) Cet événement dépasse aussi bien ceux qui l'ont proposé que ceux qui ont accepté d'y participer. Les retombées de cette rencontre sont telles qu'il est encore difficile d'en saisir toute l'ampleur. Pour l'heure, Jean-Paul Il est contraint de répondre aux critiques qui s'élèvent de toutes parts face à cet événement.
Quelle interprétation donner de cet événement dans une perspective de foi chrétienne ? Que mettre en relief aujourd'hui ?
Tout d'abord la rupture avec la pensée et la pratique antérieures en matière de rencontre des religions :jusque là, elles n'étaient vécues que sur le mode de recherche de dialogues et d'actions communes. Que dire de plus ? Que faire ensemble au service de l'humanité ? Se réunir pour la prière ? La rencontre d'Assise marque une double rupture :
D'une part, l'invitation d'Assise propose « d'être ensemble pour prier »; chacun priera de son côté, en des lieux différents. Le témoignage est porté en commun tout en sauvegardant ce qui constitue le cœur de chaque tradition et les sources profondes qui l'inspirent En quoi y a-t-il rupture ? Sans doute dans la manière de comprendre le dialogue à son simple niveau humain, comme tâche que l'homme se donne. On se réapproprie ainsi ce que Paul VI proposait dans son encyclique comme source de tout dialogue: « l'impulsion de charité » de Dieu qui se révèle et se communique dans un partenariat d'amour. Sans cet enracinement dans le mode de révélation de Dieu, les membres des diverses traditions religieuses pourraient bien vivre le dialogue comme syncrétisme, compromission, vision surplombante du dessein de Dieu à la manière humaine (tel le rêve de Babel d'un parlement des religions).
D'autre part, tous sont invités à ne pas séparer cette rencontre du service de la paix. Il ne s'agit pas d'une action commune (seule une trêve symbolique des combats a été proposée), mais d'un témoignage porté aux sources de la paix. « Notre réunion atteste que dans la grande bataille pour la paix, l'humanité, dans sa diversité même, doit puiser aux sources les plus profondes et les plus vivifiantes où la conscience se forme et sur lesquelles se fonde l'agir moral des hommes. » (Jean-Paul II)
L'orientation théologique fondamentale de cette interprétation est la suivante : le dessein de Dieu concerne l'humanité tout entière ; l'unique vocation de l'humanité est l'horizon dernier donné à ce dessein. Et c'est sur cet horizon que se comprend le salut en Jésus-Christ. L'Église ne peut reconnaître le mystère du salut et en témoigner que dans la mesure où elle se met activement au service de l'unité du genre humain : elle va en pèlerinage à la source de l'unité entre les hommes et les femmes de ce monde, en dialoguant avec les chercheurs de transcendance, et, avec eux, elle se met ainsi au service de la paix. L'Église se reconnaît ainsi comme le « sacrement de l'union intime avec Dieu et de l'unité du genre humain ».
2. Redemptoris missio
La lettre encyclique Redemptoris missio est accueil et prolongement du décret Ad Gentes (cf. la date choisie pour sa publication, le 7 décembre 1990, 25e anniversaire du décret). Elle est une synthèse et un rééquilibrage de l'ensemble de la théologie missionnaire des dernières années. Elle invite à vérifier si la théologie missionnaire a bien « tenu ensemble » ce que le Concile nous proposait comme éléments constitutifs de la mission.
La force de cette lettre lui vient en particulier de la source qu'elle donne à la mission : Dieu veut se faire connaître en plénitude, dire à l'humanité qui Il est, faire découvrir la profondeur de son amour, s'adresser aux hommes, non comme à des serviteurs, mais comme à des amis. La mission n'est pas au service d'un salut au rabais, mais d'un dessein d'alliance qui naît au cœur même de Dieu. Dans l'Église, la mission est « un problème de foi,... la mesure de notre foi en Jésus-Christ et en son amour pour nous »(n° 11), elle découle de l'exigence de la vie de Dieu en nous et de notre accueil de la radicale nouveauté de l'Évangile, qui est oeuvre de l'Esprit Saint en tous les hommes.
La lettre rappelle, d'autre part, la nécessité de l'Église pour le salut en ces termes : elle-même est la première bénéficiaire du salut, elle est en quelque sorte le champ d'expérience du Royaume de Dieu, c'est-à-dire de la plénitude de l'amour de Dieu, et a donc un rôle spécifique à jouer dans la communication du salut et de l'amour de Dieu à tous les hommes.
En affirmant que l'Église est tout entière missionnaire, la lettre rappelle cependant la spécificité de la mission Ad Gentes. Elle souligne déjà les nouveaux espaces que cette activité doit se donner. Si toutes les églises sont désormais appelées à devenir responsables de la mission, de nouveaux espaces s'ouvrent, pas seulement géographiques, mais humains, sociaux, culturels, politiques : les grandes cités, les migrations, les pauvres, les lieux de la culture moderne, etc. (n° 37). Et elle interprète ainsi le Ad Gentes : un mouvement qui mène l'Église au cœur de la société. Elle ne peut s'en tenir à une pure extériorité vis-à-vis de la société, même si sa présence active doit y être signifiante, efficace et créer la différence.
Ainsi se trouvent déployées les diverses implications et exigences de la mission : relier témoignage - évangélisation et implantation de l'Église, développement intégral de l'homme et attention préférentielle aux pauvres, dialogue et annonce, promotion de l'homme et annonce de l'Évangile, responsabilité du collège des évêques et rôle de la congrégation pour l'Évangélisation des peuples. Au coeur de ce « tenir ensemble » se situe « la charité source et critère de la mission ».
3. « Dialogue et annonce »
Deux dicastères du Vatican, le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux et la Congrégation pour l'Évangélisation des peuples publient un document intitulé « Dialogue et annonce » le 19 mai 1991, jour de la Pentecôte. La première mouture de ce texte avait été lancée en 1986 lors d'une très large consultation des conférences épiscopales. Le quatrième schéma amendé deviendra notre document. Précisons brièvement la théologie du dialogue contenue dans ce document.
On y trouve d'abord et essentiellement l'affirmation que le dialogue est un élément constitutif et déterminant de la mission de l'Église. Toute la première partie du document fonde cette affirmation, à la fois sur des éléments anthropologiques et théologiques. Le document reprend et prolonge par-là ce que disait Paul VI dans Ecclesiam suam : il met en relief ce que le dialogue, modelé sur la manière de Dieu, est appelé à transformer en profondeur dans l'engagement missionnaire de l'Église.
Autre élément fort du document, la manière dont il fonde le rapport entre l'Église et les autres ; ce qui s'amorçait dans la pratique de Paul VI trouve ici son fondement théologique. Il n'est plus question de comprendre « les autres », les autres traditions religieuses… par rapport à l'Église, mais par rapport au dessein de Dieu, à la réalité du salut, au Royaume, etc. Ceci s'exprime par exemple par une des deux définitions qui y sont données de la conversion, comprise alors comme « conversion plus profonde de tous à Dieu » « mouvement de tout l'être vers Dieu, retour d'un cœur humble et contrit à Dieu, avec le désir de lui soumettre plus pleinement sa propre vie » (n° 11).
Ceci, loin de diminuer le rôle de l'Église, l'approfondit, même s'il le transforme. L'Église est appelée à s'engager dans le dialogue, parce qu'elle y trouvera le lieu d'une réforme ; grâce à une conversion et une rénovation continuelles, elle pourra devenir plus lisiblement le sacrement du salut qu'elle accueille déjà dans sa propre vie.
Dialogue et annonce ne sont pas deux éléments extérieurs l'un à l'autre, mais deux formes spécifiques imbriquées l'une dans l'autre. « Le vrai dialogue interreligieux suppose de la part du chrétien le désir de faire connaître et aimer toujours plus Jésus-Christ et l'annonce de Jésus-Christ doit se faire dans l'Esprit évangélique du dialogue » (n° 77). Comment rendre compte de cette imbrication ? C'est la question que nous retrouvons dans le cours « Dialogue culturel et interreligieux ».
3.2 B. La mission en contexte |
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Au terme de ce bref parcours théologique sur l'évolution de la réflexion sur la mission et le dialogue, posons-nous la question suivante : quelle unité y a-t-il entre toutes les formes de la mission que sont le dialogue, la libération, l'inculturation, etc. ?
Si nous pouvons relier chaque forme de la mission à un continent en priorité, et en même temps mesuré ses retombées sur d'autres continents il n'y a là rien d'arbitraire. Ceci correspond à l’œuvre d'Églises en acte de discernement face à cette genèse de l'homme. Ce travail pourrait s'approfondir et s'affiner par l'étude de zones d'humanité plus restreintes, pays, sociétés, façonnés par les événements de leur histoire et leurs traditions.
En Amérique latine, la dynamique de la libération est protestation contre la violence spécifique à ce continent : elle libère des dépendances tant externes (forces économiques, modèles de développement économique, modèles culturels) qu'internes (divisions sociales). Et elle est initiation à une vie humaine où chacun peut apprendre à faire fructifier sa double origine américaine et latine, elle est initiation à une vie sociale dont la réalité s'éclaire à partir de la parole donnée aux plus pauvres.
En Afrique, le processus d'inculturation est lié à la réappropriation par chacun et par tous d'une personnalité individuelle et sociale. La personnalité sociale se construit dans la recherche d'une nouvelle forme de cohésion culturelle et sociale : il s'agit alors de quitter une forme de cohésion trop basée sur la peur, peur des ancêtres, peur des forces de mort, peur de l'autre vécu comme un danger. La personnalité individuelle s'édifie dans la résistance aux séductions d'une modernité qui risque de penser l'individu comme consommateur. En tout cela, c'est de la genèse de l'humain qu'il s'agit.
En Asie comme en Europe, le dialogue peut être mis en relief, mais ce n'est pas dans la même perspective.
En Asie : C'est une chose que de vouloir accueillir dans cette genèse de l'humain le trésor de valeurs religieuses et culturelles inscrites dans les sagesses orientales anciennes, fortes et structurantes.
En Europe : Cela en est une autre que de vouloir relever le défi de la modernité occidentale, avec son double système de valeurs: un pluralisme qu'il ne s'agit pas seulement d'accepter comme inéluctable mais qu'il faut transformer en chance, et un individualisme qui doit être libéré de ce qu'il comporte de volonté de puissance pour devenir « recherche inquiète de découverte et de réalisation de soi, mais aussi... quête de sociabilité et de responsabilité dans laquelle l'altérité est au travail »2.
Nous comprenons mieux alors à quel niveau peut se situer aujourd'hui l'exigence d'une mission en contexte. Lorsque l'expression de contextualisation apparaît pour caractériser la mission (vers les années 70) puis s'impose progressivement, ce qui est mis en relief, ce n'est pas seulement l'idée que l’œuvre missionnaire doit tenir compte du contexte social ou culturel pour s'y adapter. Il s'agit aussi de chercher le point de rencontre entre l'Évangile et l'âme d'un peuple, comme le dit une Lettre de la conférence épiscopale du Vietnam :« L'inculturation ne consiste pas à suivre une mode ou à faire preuve de nostalgie pour un passé révolu, mais à trouver un point de rencontre entre l'Évangile et l'âme d'un peuple, pour édifier un mode de vie qui exprime une foi de plus en plus adaptée à la culture d'un peuple »3. La contextualisation de la mission implique ainsi la prise en compte du contexte non pas seulement comme condition extérieure de la mission, mais comme processus historique, social et culturel dans lequel l’œuvre missionnaire prend corps.
Cette mission en contexte doit affronter une triple ambiguïté.
En premier lieu, lorsque l’œuvre missionnaire et la théologie qui l'accompagne veulent faire oublier leur relativité alors qu'elles sont marquées par le contexte dans lequel elles se sont élaborées ; en ce cas on absolutise le contexte de celui qui annonce et sa théologie prétend pouvoir s'appliquer à tout le monde.
Une autre ambiguïté peut naître de la juxtaposition de diverses théologies en contexte : chacun la sienne propre. Or toute oeuvre théologique contextuelle porte en elle une visée universelle ; et celle-ci s'éclaire d'autant plus que la confrontation des théologies contraint chacune d'entre elles à dévoiler et à reconnaître sa propre particularité.
Dernière ambiguïté, celle d'une théologie qui identifierait l’œuvre missionnaire au processus historique dans lequel elle s'engage, aux réalités humaines engagées dans ce processus, mouvements sociaux, peuples, traditions culturelles, etc., avec la tentation de sacraliser les forces sociologiques de l'histoire. L’œuvre missionnaire y perdrait alors tout ce qui fait sa force prophétique.
Dans ce premier chapitre, nous avons travaillé sur ces formes de la mission qui se font service de la vérité de l'homme, service de la genèse de l'humanité dans une durée que l'espérance permet de vivre positivement. Nous retrouvons là l'idée d'une mission pensée comme prophétie4 ; c'est dans la prophétie que se nouent la vérité de Dieu et la vérité de l'homme. L’œuvre missionnaire ne s'identifie ni à la libération, ni à l'inculturation, ni à la solidarité. Elle apporte un « plus ». Mais comment penser ce « plus » autrement que comme quelque chose de surajouté, d'apporté par le « missionnaire », de l'extérieur. C'est là qu'intervient la dimension prophétique de la mission : la nouveauté missionnaire est « dans la profondeur, dans le processus de la mort et de la résurrection » où chacun s'engage par la conversion : « La mission est un appel à la conversion, une interpellation à changer, une invitation à réaliser le Royaume de Dieu, une exhortation à entrer dans le dynamisme créatif de l'action divine dans le monde faisant toute chose nouvelle. C'est là le cœur de la mission que Je cherche à cerner en l'appelant prophétie. »5 Et cette oeuvre s'accomplit là où le « missionnaire » entre dans l'aventure humaine comme partenaire actif, appelant à la conversion là où lui-même reçoit de l'Évangile cet appel à la conversion.
1. M. Bellet, Le Sauveur du monde in Christus 86, p. 147.
2. J. M. Donegani, « Une désignation sociologique du présent comme chance », in Sur la proposition de la foi, Éditions de l'Atelier, Paris, 1999, p. 47.
3. 17 octobre 1998, Documentation Catholique 1999, p. 96.
4. Expression mise en relief en particulier par M. Amaladoss, « La mission comme prophétie » in Spiritus, n° 128.
5. M. Amaladoss, op. cit, p. 270.
4 Chapître II |
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4.1 Défis actuels à la mission "ad gentes" |
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4.2 A. Que devient la mission "ad gentes " ? |
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L’Encyclique du pape Jean-Paul II "Redemptoris Missio", sous-titrée "Validité permanente du mandat missionnaire de l’Église", était un éloquent appel à rénover la ferveur missionnaire dans l’Église. Dans cette encyclique, le Saint-Père présente, une fois de plus, le fondement théologique de la mission tel qu’il avait été établi au Second Concile du Vatican : en fait, près du quart des références dans l’encyclique en appellent au Décret "Ad gentes " sur l’activité missionnaire de l’Église. Il continue en exposant les horizons de la mission de nos jours et les moyens de la réaliser, et il termine par une réflexion sur la spiritualité missionnaire. C’était la première encyclique sur l’activité missionnaire depuis le Concile, et elle laissait entendre qu’il était urgent de recentrer les efforts de l’Église vers la mission.
Un thème sous jacent dans l’encyclique, et qui réapparaît de temps en temps dans le texte, c’est que la motivation missionnaire a fléchi, et l’activité missionnaire elle-même a diminué. De fait, ceux qui sont au courant des discussions durant les trente dernières années sur la théologie et l’orientation de la mission y reconnaissent le souci du Pape à ce sujet. S’il y a eu besoin d’une encyclique comme "Redemptoris Missio", c’est qu’il y avait un problème. Après le Concile, on s’était en effet posé avec acuité des questions sur le but de la mission, même chez les missionnaires. La crise des années 1960 et 1970 n’était pas seulement théologique : la décolonisation et l’accès à un nouveau statut de nombreux territoires de mission avait provoqué des appels à un "moratoire" sur la mission, particulièrement en Afrique. Pour la missiologie catholique, telle qu’elle était pratiquée par les instituts religieux qui envoyaient des missionnaires, le symposium du SEDOS de 1981 a représenté un tournant dans la discussion. Avec cette réunion, on a pu constater qu’on avait changé : on ne mettait plus du tout en question le but de la mission, mais on se concentrait sur la façon dont la mission devait se réaliser.
Pourtant, même avec ce genre de réorientation, les questions sur la mission, et donc obligatoirement sur la mission ad gentes, demeuraient comme une menace sous la surface des discussions. Que "Redemptoris Missio" ait paru une dizaine d’années après cette réunion en est la preuve. Et maintenant, il est bon que nous revenions nous-mêmes sur la question : où en est la mission, et que devient-elle ? et particulièrement la mission Ad gentes.
Dans ce deuxième chapitre du cours, nous entreprenons la recherche des défis à venir pour la mission Ad gentes. Il est évident qu’on ne connaît pas l’avenir. Mais en nous basant sur ce que nous savons maintenant, nous pouvons présenter des propositions prudentes et réfléchies sur ce que l’avenir pourrait être. Et pour ce faire, nous devons regarder d’abord d’où vient cette question : pourquoi pensons-nous que la mission ad gentes pourrait avoir désormais une orientation quelque peu différente de celle qui était suivie jusqu’ici ?
Dans la première partie, je rechercherai donc les facteurs qui créent ce climat de doute et font poser la question de défis auxquels la mission ad gentes aurait à s’affronter. Sur la base de ces facteurs, je voudrais ensuite considérer les conditions qui ont contribué à donner une forme particulière à la mission ad gentes dans le passé récent. Certaines de ces conditions sont en effet en train de changer, ce qui aura naturellement un impact sur la mission Ad gentes. À partir de là, nous passons à une troisième et dernière partie qui suggère quelle direction va prendre la mission Ad gentes. Tout ceci est donné pour orienter en quelque sorte la discussion et fournir une façon — et il y en aura certainement d’autres — d’envisager la situation de la mission, actuellement et à l’avenir.
Réf. : Robert Schreiter, C.PP.S, Missions étrangères de Paris, n. 358, Avril 2001.
4.2.1 1. Pourquoi nous posons-nous la question ? |
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Pour commencer cette discussion, demandons-nous d’abord pourquoi cette question au sujet de défis à la mission Ad gentes. À mon avis, nous avons connu trois types de changements qui nous ont amenés à penser que la mission ad gentes allait peut-être dans une direction différente de celle qu’elle avait prise auparavant. Changements dans la théologie de la mission, changements dans le monde où la mission est à l’œuvre, et changements dans les agents de la mission. Voyons-les un à un.
Dans les cinquante dernières années, il y a eu dans la théologie des changements de point de vue significatifs qui se sont répercutés sur les idées au sujet de la mission ad gentes. Ces changements ont, d’une façon ou d’une autre, leur origine dans la théologie de la mission qu’on trouve en différents endroits dans les documents de Vatican II. Il est important de noter ici que l’origine de ces variations se trouve dans Vatican II, mais que les directions prises par ces théologies pourraient ne pas exprimer ce que les documents originaux voulaient faire entendre. Et de fait, face aux positions théologiques qui en sont finalement sorties, Paul VI comme Jean-Paul II ont demandé bien des fois qu’on relise avec plus d’attention ces documents.
Trois de ces variations méritent notre attention. La première variante est la tendance à regarder l’Église entière comme missionnaire, comme dans la mission Ad gentes. Cela aboutissait à ne plus considérer l’action missionnaire comme spéciale parmi les autres activités de l’Église. La base théologique qui fait voir la mission comme une action qui touche toute l’Église, c’est qu’on comprend la mission comme l’action de la Sainte Trinité sur le monde : la mission est alors confiée à l’Église, en tant que l’Église participe à l’œuvre salvifique de Dieu. Le but même de l’existence de l’Église, c’est donc la mission.
Cette théologie en elle-même ne pose pas de problème. Et, en effet, elle a été accueillie comme donnant un fondement plus large à la mission dans l’Église. Le problème n’est pas au niveau de la théologie, mais au niveau de la compréhension et de la stratégie. Si toute l’Église est pour la mission, quel est donc le rôle spécifique des instituts missionnaires ou celui des missionnaires envoyés ad gentes ? On a fait bien des essais de réponse à ce problème, et, pourtant, la question ne semble pas résolue. Bien sûr, on peut dire que cela vient d’une compréhension insuffisante de la théologie exposée dans "ad gentes ", mais on doit s’interroger : pourquoi cette incompréhension continue-t-elle ? Et comment affecte-t-elle l’identité et la spécificité de ceux qui ont une vocation de missionnaire ad gentes ?
Le deuxième changement concerne les formes d’évangélisation. Le plus important, c’est l’introduction du dialogue avec la proclamation. Redemptoris Missio tente d’établir une relation entre dialogue et proclamation. Le document Dialogue et Proclamation, présenté à la fois par la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples et par le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, juste quelques mois après Redemptoris Missio, essaie d’aller encore plus loin. La mission signifiait la proclamation de l’Évangile à ceux qui ne l’avaient pas entendu : c’était assez clair. Mais l’importance donnée au dialogue par le document Nostra aetate à Vatican II montrait qu’elle n’était pas seulement cela, et nombre de questions se posèrent. En témoignant du respect pour les autres traditions religieuses, et en ouvrant avec elles un dialogue au lieu d’une apologétique pour prouver leurs erreurs, il devient problématique de joindre ensemble le but de la proclamation et celui du dialogue. Les documents ecclésiastiques et les publications théologiques ont bien cherché à expliquer et à clarifier les relations entre les deux, mais tout reste encore confus. Si le dialogue (ou du moins un certain type de dialogue qui vise à respecter l’autre) est vraiment un but en soi, que devient alors la proclamation telle qu’on l’entendait traditionnellement, et a fortiori la mission Ad gentes ?
Le troisième changement théologique découle du précédent. Le respect accordé aux autres religions présuppose en elles quelque élément ou caractère salvifique. Ceci est quelque chose que Lumen Gentium, Nostra aetate, et Ad gentes ont tous reconnu. Dans chacun de ces documents, cet élément de salut a été posé et affirmé, mais pas vraiment expliqué. À chaque fois, l’action salvifique complète et ultime de Jésus Christ était aussi affirmée. Comment relier ces deux réalités — le salut dans les autres religions et le salut dans le Christ — a été le sujet d’un intense débat théologique dans la deuxième partie du XXe siècle. Et ce débat n’est pas encore parvenu à sa conclusion. C’est certainement un point très délicat, mais il a une importance fondamentale pour la mission. Et si l’Église catholique a résolument pris une position qu’on a appelée "inclusiviste", cela ne clôt pas la discussion. Les catégories mêmes qu’on utilise pour caractériser les diverses positions sont toujours objet de débat.
À ce point de la discussion, une clarification des valeurs à conserver, les catégories du discours à employer, et la signification des diverses trajectoires d’argumentation sont encore à discerner. Et alors même qu’on en parle, le problème de ce qu’on appelle la théologie des religions continue à soulever des discussions passionnées.
Il est d’importance cruciale pour la mission ad gentes de déterminer comment le salut par le Christ doit être compris face aux religions du monde. Si, en effet, le salut peut être obtenu de Dieu dans les autres religions, quel est donc le but de l’action missionnaire chrétienne ? Pourquoi devrions-nous alors aller ad gentes, prêcher aux nations ? Selon ces idées théologiques, est-il seulement légitime de le faire ?
Ces problèmes, tous trois issus de la théologie de la mission exprimée dans les documents de Vatican II, continuent à être débattus. Entre-temps, ils soulèvent d’incessantes questions pour la mission ad gentes, au sujet de sa spécificité, de ses buts et même de sa légitimité. On peut dire que la compréhension véritable de la relation entre les idées théologiques de Vatican II sur la nature de la mission, la relation entre dialogue et proclamation, et la théologie des religions finira bien par apparaître. Mais les incertitudes demeureront tant que ces relations n’auront pas été clairement définies.
En plus des changements en théologie, les changements dans le monde où les missions travaillent ont un effet sur notre façon de voir les futurs défis à la mission ad gentes. Je voudrais souligner ici deux de ces changements dans le monde.
Le principal de ces changements, c’est l’arrivée de la globalisation. Bien qu’elle comporte bon nombre de similitudes avec l’expansion coloniale de l’Europe du quinzième au dix-neuvième siècle, la globalisation, qui commença dans les dix dernières années du vingtième siècle, diffère par l’extension qu’elle a prise, l’intensité des liens qu’elle a créés entre les peuples, la rapidité avec laquelle l’information et les capitaux circulent, et par son impact. Une première chose que la globalisation est en train de changer (nous parlerons des autres à la fin de ce chapitre) porte sur la notion de territoire et d’État-nation. Du fait des techniques de communication, information et capitaux circulent et les frontières des États nationaux, qui avaient servi de trame à l’économie politique depuis le Traité de Westphalie en 1648, ont perdu de plus en plus d’importance. Avec les déplacements et migrations de peuples, et aussi l’irruption de forces culturelles globales sur des communautés particulières, une "culture" signifie de moins en moins un territoire. Même si l’État national et le territoire culturel ne vont jamais disparaître totalement (comme on le craignait dans les premiers stades de la globalisation), leur importance a largement diminué. Que signifie cela pour une mission qui se dit ad gentes, si le monde n’est plus nettement divisé en groupes culturels et ethniques ? Les Instituts missionnaires ad gentes ont essayé de redéfinir les termes ad gentes et ad extra (qui signifient simplement qu’on sort de chez soi), ou plus récemment comme ad altera (c’est-à-dire qu’on va à ceux qui sont vus comme "autres"). Le déplacement des frontières qui définissent "les nations" et "les autres" soulève des problèmes aussi bien au sujet de l’action missionnaire que de sa base rationnelle.
De quelque façon qu’on juge ces changements dans l’environnement du monde dans lequel la mission ad gentes s’applique, ils posent vraiment des problèmes d’une particulière importance pour notre discussion. Et il faut en tenir compte lorsque nous nous tournons vers l’avenir et ses défis.
Il nous faut aussi voir les changements chez les missionnaires, acteurs de la mission. Je songe ici spécialement aux Instituts missionnaires, même s’il faut, pour être complet, tenir compte des missionnaires laïcs et des volontaires qui s’offrent à la mission pour de courtes périodes limitées.
Les Instituts missionnaires établis au dix-neuvième et au début du vingtième siècle comme des sociétés nationales qui envoyaient des missionnaires ont vu chuter le nombre de leurs membres. La moyenne d’âge est supérieure, et les nouveaux sont très peu nombreux. Qu’en sera-t-il à long terme ? Pour les Instituts qui accueillent maintenant des membres des régions où ils ont commencé leur action missionnaire, la plupart des nouveaux membres viennent de ces anciennes missions, tandis que les ressources financières pour soutenir l’action ad gentes viennent des pays qui envoyaient autrefois du monde.
Les Instituts de mission ad gentes sont désormais confrontés à deux autres changements. Dans certaines régions où ils avaient d’abord été évangéliser, ils se trouvent maintenant dans l’Église locale comme une partie, un groupuscule, et, de ce fait, n’ont plus réellement de rôle dans la première évangélisation. Pour diverses raisons, ils n’arrivent pas à s’extirper de ces situations.
Un second facteur, c’est l’émergence de nouveaux Instituts de mission ad gentes dans des pays qui, encore récemment, étaient eux-mêmes territoires de mission. Quels seront les attitudes et les points de vue de ces missionnaires qui viennent de régions d’Afrique ou de Corée du Sud ?
4.2.2 Tous ces changements, dans la théologie, l’environnement et dans les Instituts missionnaires eux-mêmes, jouent un rôle au moins sous-jacent dans la façon de formuler les questions sur la mission ad gentes aujourd’hui, et surtout dans la façon dont la mission se fera demain. Je reviendrai sur ce sujet dans la troisième partie. Mais il nous faut cependant continuer d’abord la seconde partie, en portant notre regard sur le passé récent qui a formé notre vision de la mission ad gentes. Il est important de combiner cela à ce qui vient d’être dit au sujet des changements, de manière à présenter quelques idées bien élaborées au sujet de l’avenir. |
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4.2.3 2. Les conditions qui façonnent la mission ad gentes |
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Dans le premier point de ce chapitre, nous avons considéré trois groupes de facteurs supposés indiquer les directions que pourrait prendre la mission ad gentes dans la période qui vient. Dans ce second point, je voudrais centrer l’attention sur un élément qui a contribué à donner forme à la mission ad gentes durant les deux derniers siècles. Ce facteur particulier n’est pas nouveau pour nous, mais j’espère qu’en y appliquant notre réflexion nous pourrions avoir quelques idées utiles pour préparer la route à suivre.
L’engagement de l’Église dans la mission ad gentes n’a pas été une activité continue le long des deux millénaires de l’existence de l’Église. Il y a eu de longues périodes où il n’y avait guère d’activité missionnaire. En réalité le passage de la fin de l’Évangile de Saint Matthieu (28,18-19), où le Christ envoie ses disciples aux nations n’est devenu un vibrant appel à la mission qu’au dix-septième siècle.
De plus, l’action missionnaire a rarement commencé toute seule ou séparée des conditions concrètes des sociétés d’où elle est apparue et où elle s’est appliquée. Elle s’est servi des infrastructures qui existaient selon les époques et les lieux. Déjà les voyages missionnaires de l’Apôtre Paul tels que les racontent les Actes des Apôtres ont suivi le tracé des routes commerciales et des voies impériales romaines.
On ne devrait donc pas s’étonner que l’action missionnaire qui a soudainement démarré avec les voyages d’Européens hors d’Europe à la fin du quinzième siècle ait été intimement liée aux plans d’expansion de l’Espagne et du Portugal, puis de la France, de la Hollande et de l’Angleterre.
L’histoire conjuguée de la colonisation et de la mission a été souvent racontée autant par les adversaires que par les défenseurs de la mission. Je n’ai pas l’intention d’y revenir. Je voudrais plutôt insister sur un aspect de cette histoire, à savoir que les visions expansionnistes de l’Europe ont fourni l’infrastructure pour une mission ad gentes organisée et concertée.
L’empire colonial a non seulement fourni l’infrastructure nécessaire pour le transport, la protection et même l’appui financier aux missionnaires, mais il est indubitable qu’il a aussi donné forme à un type de pensée sur l’organisation de la mission, tant à la base de départ que dans les pays lointains. On peut reconnaître les efforts personnels des missionnaires par l’histoire. Mais la mobilisation des instituts religieux — et plus tard la fondation d’instituts spécialisés pour la mission — ont suivi les traces et même ont utilisé la rhétorique militaire des bâtisseurs d’empires.
En disant cela, je ne désire pas réduire la mission ad gentes à un sous-produit de la colonisation. Ce serait simpliste et inexact. Souvent des missionnaires sont devenus des adversaires de la colonisation, se mettant du côté des populations locales face aux colons. Des missionnaires ont sauvé les cultures locales en écrivant les langues parlées indigènes, alors que la colonisation les affaiblissait ou même les détruisait. Ce que j’essaie de faire ici, c’est indiquer quelques facteurs issus de cette convergence entre colonisation et mission ad gentes qui pourraient être instructifs pour notre temps.
La mission ne peut être réduite à la colonisation, mais on doit tenir compte de trois choses que cette convergence entre colonisation et mission a créées et qui sont toujours d’actualité.
• La convergence de la mission avec la colonisation a été à l’origine d’un puissant mouvement de pensée qui associait la notion de mission ad gentes à celle de territoire. On le vit dès la fondation de la Propaganda Fide à Rome au dix-septième siècle, et jusqu’à l’établissement d’un "jus commissionis" au vingtième siècle. Plutôt que des modèles où la mission ad gentes signifiait aller tout droit au souverain local pour le convertir, la mission était conçue comme la christianisation d’un territoire.
• La convergence de la colonisation et de la mission fournissait des modèles de mission dérivés de l’impérialisme colonial et de ses méthodes. Pendant toute la période des Empires coloniaux européens, ce qui était le plus évident était le modèle de civilisation, ce qui voulait dire apporter aux populations l’éducation, la formation technique et les soins médicaux à l’européenne. En termes d’aujourd’hui, promotion humaine et mission marchaient la main dans la main. De nos jours, nous avons tendance à parler plutôt de justice sociale et de défense des droits de l’homme. Mais dans les deux modèles, l’ancien et l’actuel, ce qui est l’évangélisation elle-même devient comme une infrastructure qui sous-tend la mission.
• La convergence entre colonisation et mission a aussi fourni le modèle de relations entre les missionnaires et les populations, et même des métaphores pour parler de la mission : gagner des âmes au Christ, les arracher aux griffes de Satan, étendre le règne de l’Église : autant d’expressions qui s’inspiraient beaucoup des métaphores militaires du même genre utilisées par les bâtisseurs d’empire. Les métaphores deviennent des moyens importants pour structurer l’imagination collective, et la mission en a, elle aussi, utilisé d’autres dans le cours de son histoire.
Y a-t-il à tirer de cette convergence entre la colonisation et la mission des leçons qui puissent nous aider à mieux percevoir l’avenir de la mission ad gentes ?
• Comment l’avenir de la mission ad gentes dépend-il des structures géopolitiques et macro-économiques du monde actuel ? Ce ne peut être une pure coïncidence si la crise missionnaire au milieu du vingtième siècle est apparue au même moment que la dissolution des empires coloniaux européens. Comme nous l’avons remarqué dans la première partie, une des caractéristiques des aspects géopolitiques et macro-économiques du monde actuel est la globalisation. Elle comporte bien des ressemblances avec la création des empires coloniaux, particulièrement la construction d’empires à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle, même si elle a aussi des différences notables. Un exemple de son influence sur la mission, c’est le développement des volontaires pour une courte période en mission. Les voyages relativement rapides et peu coûteux ont permis d’envisager comme possibles ces missionnaires à temps limité. Auparavant, il était typique que les missionnaires quittent leur patrie pour la vie, et rares étaient leurs visites au pays. Chez un missionnaire à temps limité, l’idée même de l’engagement pour un temps vient d’une organisation économique où l’on peut envisager de changer d’occupation plusieurs fois au cours de la vie, plutôt que de choisir dès l’âge adulte une profession qu’on continuera jusqu’à la retraite ou la mort.
• De même que l’époque de la colonisation faisait penser à la mission en termes de territoire, la compression de l’espace créée par la globalisation pourrait nous faire voir d’une autre façon la mission ad gentes aujourd’hui. Nous avons déjà noté que les instituts missionnaires y songent : ils interprètent ad gentes comme ad extra ou ad altera. Si la conception de la mission ad gentes en termes de territoire n’est apparue qu’au milieu du deuxième millénaire du Christianisme, cela signifie qu’en entrant dans le troisième millénaire, nous devrions nous préparer à penser différemment.
• Quelles seront les métaphores qui vont donner forme à l’idée populaire de mission ? Si des métaphores d’expansion et de conquête militaire ont marqué l’âge de la colonisation, quelles seront celles de la mission ad gentes au vingt-et-unième siècle ? J’ai suggéré ailleurs que l’expression d’accompagnement est apparue au sujet de la mission dans la dernière partie du vingtième siècle pour remplacer celles d’expansion et de conquête. La mission comme insertion, comme marche avec les pauvres, comme dialogue (spécialement dialogue de vie), comme solidarité : tous ces termes exprimaient un sentiment fort de mission, impliquant un puissant attachement et une identification avec la population desservie par le missionnaire. Mais peut-être cette métaphore a-t-elle contribué à rendre plus difficile maintenant aux instituts missionnaires ad gentes de se lancer dans de nouveaux secteurs. Où nous mène cette nouvelle situation ?
4.2.4 3. Les défis à la mission ad gentes au troisième millénaire |
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Nous voici à la troisième et dernière partie de cet exposé qui tente de montrer quels pourraient être les défis à la mission ad gentes au troisième millénaire. Jusqu’ici j’ai essayé de présenter certains facteurs qui nous amènent à attendre des changements, suivis d’un examen de quelques-unes des conditions qui influent sur l’organisation de la mission ad gentes. Comment tous ces facteurs convergent-ils ?
L’élément le plus important dans cet ensemble est l’émergence de la globalisation comme nouvel ordre du monde. Cette globalisation est un phénomène profondément ambivalent, qui fait violence à une bonne partie de la population du monde, particulièrement aux pauvres. En même temps qu’elle rend possibles de nouveaux types de communication et de relation, elle exclut des masses de gens et les empêche de sortir de leur misère. Le pape Jean-Paul II a bien parlé de "Globalisation de la solidarité, globalisation sans marginalisation" en 1997 dans son Message pour la Journée mondiale de la Paix.
Mais tout en nous insurgeant contre les méfaits de la globalisation pour les pauvres, il nous faut cependant reconnaître que c’est probablement aujourd’hui le type d’ordre mondial auquel nous avons à faire face. Il n’y a pour le moment pas d’autre alternative, même si nous ne savons pas combien de temps cet ordre va durer. La relation du christianisme avec l’organisation du monde a toujours été une lutte, un accommodement difficile à chaque période de son existence, et ce l’est encore cette fois.
Il y a deux caractéristiques de la globalisation actuelle qui ont pour nous une particulière importance : une puissance d’homogénéisation, par laquelle monde se trouve relié et communique le même message à travers sa toile informatique, son network, et une puissance de fragmentation, qui, dans des groupes localisés, brise les équilibres sociaux, provoque des résistances et accentue le sentiment d’être localement différent. Comment mettre cet aspect de la globalisation en lien avec la mission ad gentes ?
• Pour répondre au phénomène d’homogénéisation provoqué par l’intercommunication, les instituts missionnaires et l’Église elle-même devraient utiliser leurs ressources en tant qu’organisations transnationales et non gouvernementales pour rapprocher les peuples dans la solidarité de la famille humaine et tisser des liens pour l’aide matérielle et le soutien moral. Les instituts missionnaires devraient montrer par leur façon de vivre et d’agir que les organisations transnationales ne sont pas nécessairement oppressives, mais peuvent conjuguer les ressources humaines et matérielles pour une amélioration de vie de toute l’humanité. Ils devraient utiliser leurs ressources pour atteindre les gentes maintenant dispersés à travers le monde comme migrants au statut de réfugiés, ces gentes poussés en dérive dans nos immenses cités où ils perdent du coup leur identité. En tant que missionnaires et missiologues, nous devons nous demander comment les facteurs d’homogénéisation dans le monde d’aujourd’hui influent sur notre façon de penser et sur nos relations.
• La globalisation brise aussi le monde en fragments. Il me semble donc que la mission ad gentes est appelée à s’intéresser aux conséquences de cette fragmentation, où des gens prennent une nouvelle forme et se font une nouvelle identité pour résister aux attaques de la globalisation, et où réfugiés et personnes déplacées ont à reconstruire leurs vies et à guérir leurs mémoires. Dans ces cas le travail missionnaire est un travail de réconciliation : il s’agit, en effet, de restaurer la dignité humaine et de guérir une société brisée. Il s’agit de dire la vérité, de rechercher la justice et de créer une nouvelle vision morale. Vraiment, il me semble que la réconciliation pourrait être la métaphore, le mot d’ordre pour la mission en ce début du vingt-et-unième siècle. Dans un monde caractérisé à la fois par une interconnexion plus serrée et une plus grande fragmention, nous avons les moyens de "briser le mur de la haine qui nous sépare" comme il est dit dans la Lettre aux Éphésiens (2 : 14).
Où donc situons-nous la mission ad gentes en ce changement de siècle ? Voici résumé en cinq points ce que je pense sur ce que nous sommes et ce que nous allons être.
• De même que la colonisation a été, en bien ou en mal, l’infrastructure de l’organisation de la mission ad gentes dont nous sommes les héritiers, de même l’ordre mondial qui apparaît actuellement du fait de la globalisation formera, pour le meilleur ou pour le pire, l’infrastructure par où devra passer la mission ad gentes.
• Les gentes à qui s’adresse la mission ne prendront pas tellement la forme de territoires que celle d’identités dont le caractère et la structure seront soumises à la globalisation. Et ces identités seront bien plus fluides.
• Deux des défis théologiques — le dialogue et la théologie des religions — affectent le but et la légitimité de la mission ad gentes et ils devront être considérés à la lumière de cette nouvelle réorganisation du monde. Dans un monde où la fragmentation menace constamment la qualité de la vie en commun, le dialogue devient spécialement important non seulement pour comprendre l’autre, mais pour créer l’atmosphère de confiance qui rendra la communication et la coopération possibles. L’action religieuse crée les liens de paix qui peuvent être rapidement mis en jeu dans les périodes de conflit et elle devient de plus en plus importante. Le pluralisme exacerbé que crée la globalisation par l’interconnexion nous obligera à avoir un nouveau regard sur le pluralisme lui-même, et cela nous aidera à formuler plus clairement une théologie des religions adéquate et solide.
• La réconciliation pourrait être le mot d’ordre pour la mission ad gentes dans la période qui vient. Elle apparaît déjà urgente face au nouveau thème du travail du développement dans le monde entier, quand des travailleurs se lancent dans la solution de conflits et la reconstruction de communautés et de groupes sociaux. Cette réconciliation n’est pas une paix facile : elle n’est pas un palliatif pour remplacer le dur travail de faire la justice et de dire la vérité.
• Ce que tout cela signifie pour la réorganisation des instituts missionnaires est encore à explorer. Cela signifie certainement une analyse de la réalité qui reconnaisse combien les choses sont en train de changer, et ensuite le développement de stratégies et de relations pour atteindre les "gentes ". Cela signifie qu’il faut développer pour soutenir notre travail une spiritualité qui insiste sur l’interconnexion, la sincérité et la création d’une nouvelle vision morale pour les groupes sociaux. Cela signifie un combat pour la justice et l’établissement de relations basées sur la confiance, qui développeront une mémoire et une espérance communes.
5 Chapitre III |
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6 La source de la mission |
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7 2.L’initiation au Salut |
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Où s'enracine la nécessité profonde de la mission ? Quelle est la fin qui suscite de manière déterminante la visée missionnaire ? À cette question qui va nous occuper maintenant, les textes conciliaires semblent avoir apporté une réponse toute nouvelle ; nous l'avons vu, Lumen Gentium et Ad fientes inscrivent le mouvement missionnaire dans le dynamisme même de la Trinité. Mais comment comprendre ces expressions sans faire de la mission une vérité intemporelle ? On y reviendra, nous n'avons pas d'autre accès au mystère trinitaire que le mystère pascal. Autrement dit si nous pouvons affirmer que la source de la mission réside dans la vie trinitaire de Dieu, c'est uniquement à partir de la venue, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, comme tournant décisif dans le destin de l'humanité et de l'univers. Mais, avant de développer ce point, il nous faut aborder ce qui le conditionne : une profonde transformation dans la manière dont la théologie articule salut et mission.
7.1 1. Interprétations réductrices de l'idée de salut |
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Il n'est pas question ici de reprendre toute l'histoire théologique des relations entre le salut et la mission, mais seulement d'en repérer certaines visions réductrices heureusement dépassées aujourd'hui sous l'influence de novateurs tels que François-Xavier, Libermann ou Thérèse de Lisieux et bien d'autres.
Dans toute l'histoire de la mission catholique, proposition du salut et service de l'homme ont toujours été associés, dans la pratique du moins. Mais au XIXe siècle, notamment, ce que les pratiques missionnaires unissaient, la théologie tendait à les disjoindre, incapable de saisir la cohérence interne qui reliait prédication, sacrements d'une part et de l'autre, activités sociales et caritatives (en langage catholique) ou providentielles (en langage réformé) : services d'éducation, de santé, de lutte contre les diverses formes de misère. Dans cette perspective, seules les activités au service de la foi chrétienne sont dites proprement missionnaires. L'idée de salut se déconnecte alors des réalités de la vie humaine et sociale, elle s'étiole, se rabougrit, avec toutes les répercussions que cela a sur l'image du Sauveur.
Un autre type de réduction est lié plus directement à la pensée réformée et au jansénisme dans le catholicisme ; la libération et le salut sont compris essentiellement à partir de la situation pécheresse de l'humanité. Le Christ est rédempteur car il subit le châtiment à notre place et compense par sa mort ce qui aurait dû être notre sort. Faire oeuvre missionnaire, c'est donc se battre pour faire échapper l'humanité à la malédiction qui la menace. Là où la Genèse nous montre la bénédiction de Dieu jusque dans les pires moments de l'humanité, cette pensée réductrice ne voit plus, dans les premiers chapitres de la Genèse, que la naissance de la violence et de la malédiction et les projette sur les peuples païens. On comprend alors quel souffle libérateur a apporté la constitution conciliaire Gaudium et Spes, avec le regard positif qu'elle posait sur l'humanité.
En réaction apparaît progressivement au XXe siècle l'idée d'un salut touchant la vie terrestre elle-même. Le salut n'est plus dans un ailleurs, dans un au-delà, il est délivrance de toutes les formes de servitude que l'humanité rencontre. Nous l'avons noté, la mission tend alors à être identifiée au développement ou à la libération sociale, économique ou politique.
Il nous faut mettre ici en relief la déformation que cette perspective du salut entraîne dans la conception de la mission : le risque était grand de vivre la mission comme si l'Église avait des réponses toutes faites aux besoins de la société, comme si elle pouvait faire advenir elle-même le salut : à travers les responsabilités qu'assumaient les chrétiens, à travers les initiatives qu'ils prenaient, le salut était en marche.
Ne plus penser le salut dans sa dimension eschatologique, mais le mesurer à l'aune des réalités terrestres est encore une forme de réduction, déjà présente dans le traditionalisme du XIXe siècle : la grâce et le surnaturel sont supposés en apporter la perfection à la société, la famille, l'État etc.. Ils font espérer la venue d'un monde où toute injustice, toute forme d'esclavage, toute misère appartiendraient au passé.
7.2 2. Redécouverte de vérités oubliées sur le mystère du salut |
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Ces diverses réductions ont conduit à une considérable concentration théologique sur la mission comme initiation au mystère du salut, qui a permis la résurgence récente de certaines « vérités oubliées » de la foi chrétienne. Évoquons en quelques-unes.
a. Le salut comme mystère personnel de Jésus
Ce trait est fondamental pour l'intelligence renouvelée du mystère du salut
Alors que salut et rédemption étaient essentiellement liés la mort du Christ (pour nos péchés), on a redonné sa place au mystère de la Résurrection : celui qui nous sauve, c'est le Christ ressuscité. Là où le salut était pensé comme ce que le Christ nous avait obtenu, on a redécouvert qu'il était ce que le Christ lui-même a vécu.
Un des artisans de ces redécouvertes s'exprime ainsi : « Au mois d'août 1939, je compris que la Résurrection est l'effusion de la plénitude de l'Esprit Saint dans cet homme, Jésus, offert sur la croix à son Père. L'Esprit, sainteté de Dieu, rémission de tous les péchés du monde, force créatrice de ce monde et du monde nouveau... a fait irruption en cet homme, l'a vivifié, l'a « établi Fils de Dieu puissant par la résurrection des morts » (Rm 1, 4)... Pour moi, ce fut alors un émerveillement.. Une question se posait à moi... quel est le rapport entre la mort et cette résurrection, effusion de l'Esprit ?... J'ai compris... que la rédemption est accomplie dans le Christ, qu'elle fut pour lui un drame personnel... On m'avait appris que le Christ a obtenu le salut pour nous... Non seulement le salut a été obtenu par lui, il fut réalisé en lui. La rédemption n'est autre que le mystère personnel, filial de Jésus. »1
Le salut se comprend ainsi d'abord à partir de la résurrection du Christ, non pas au sens où cette résurrection donnerait sens à la mort du Christ : celle-ci est déjà porteuse de sens parce que le Christ l'a vécue comme un acte d'amour total, pour Dieu et pour les hommes, mais au sens où la résurrection du Christ fait de Jésus le Christ ressuscité qui intercède pour nous aujourd'hui auprès du Père, qui est source de vie aujourd'hui, et qui par l'Esprit nous relie à cette puissance de vie indestructible. La résurrection du Christ fait du salut une réalité à accueillir jour après jour.
L'articulation interne de la mort et de la résurrection apparaît mieux. D'un côté la résurrection du Christ nous dit l'actualité du salut, « don de l'esprit et rémission des péchés », avec la transformation radicale de notre être le plus profond (de notre sensibilité, notre intelligence et notre volonté, de ces puissances conscientes et inconscientes qui nous habitent en profondeur). D'un autre, la mort du Christ en dit le sens : dans la mort de Jésus nous est révélé qui est Dieu pour nous. « Jésus n'apparaît plus simplement, dans sa résurrection, comme le bénéficiaire le plus éminent du salut de Dieu ; mais il n'apparaît plus simplement, non plus, comme l'annonciateur, l'exécuteur d'un plan de salut dont il ne serait que l'instrument [...]. Il est révélé, en tant que Jésus, membre de notre histoire, mourant dans notre histoire une mort humaine, comme accomplisseur, dans notre destin d'homme, du salut des hommes. »2
Témoignage porté à la puissance du Christ ressuscité, la mission est tout entière au service d'une pratique d'espérance. « Il y a peut-être en arrière-plan de cette mise en valeur de l'espérance.., une plus grande prise au sérieux de la foi dans le salut apporté par le Christ et dans la puissance restauratrice de l'Esprit. Parce que le Christ nous a libérés et que l'Esprit nous est donné, il doit y avoir quelque chose à faire en ce monde. La liberté de l'homme est au service de la construction d'un monde racheté, et la foi devrait porter sur le fait qu'il n'y a pas de situation, si négative qu'elle puisse sembler, qui puisse s'opposer victorieusement à la puissance salvifique déployée par le Christ. »3
Nous pouvons ainsi comprendre où s'enracinent les formes de la mission décrites dans notre première partie : libération, inculturation, dialogue n'ont de sens que fondés dans le don que Jésus fait de sa vie, dans cette liberté, cet amour, cet appel au pardon recréateur du Père avec lesquels il avance vers sa mort, et qui deviennent le fondement d'un univers et d'une histoire renouvelés. On retrouve là la perspective des écrits pauliniens, proclamant un Christ crucifié : l'Évangile est l'annonce de l'irruption dans le monde de la nouveauté du Christ ressuscité : Paul voit en Jésus-Christ le Nouvel Adam dont l’œuvre pascale a une ampleur universelle. Ainsi Saül, le persécuteur, devient-il l'ambassadeur du Christ ressuscité : il annonce cette réalité nouvelle qui bouleverse toutes les données de l'histoire et concerne également les juifs et les païens.
b. La puissance de miséricorde du salut et le pardon créateur
On ne souligne jamais assez l'importance du changement de perspective qui s'est faite au XXe siècle sous l'influence décisive de la « petite voie » de Thérèse de Lisieux : en invitant à passer d'une perspective de justice pénale à une perspective de miséricorde, qui fait oeuvre de « colère » et de justice, c'est-à-dire capable d'atteindre jusqu'à la racine toutes les formes de mal. Le salut vient du pardon, initiative créatrice de Dieu. Le pardon apporte du nouveau sur le lieu même du péché et de ses conséquences. C'est déjà une victoire sur les puissances du mal ; plus encore, il vient créer de l'amour là où le péché a abondé. Le salut ne se contente pas de compenser ce que le mal aurait produit. Il n'y a pas d'égalité entre le péché qui abonde et l'amour de Dieu qui surabonde (cf. Rm, 5). La mission est alors l'expression d'une dynamique d'accomplissement de l'homme par le mystère de l'amour de Dieu.
Ainsi, plus que oubli du péché et de ses conséquences, le pardon est oeuvre créatrice et recréatrice qui fait mémoire de toutes les conséquences du péché, du mal et de la violence dans l'histoire et les cultures, pour en faire le lieu d'un amour fécondant. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre l'Évangile de Luc lorsqu'il nous donne les axes de constitution d'une communauté missionnaire.
Si le témoignage des missionnaires a pour but la repentance et le pardon qui mènent au salut (Lc 24, 48)... la conversion ne se limite cependant pas à un acte individuel ; elle introduit le croyant dans la communauté des croyants pour que cette communauté puisse témoigner dans sa conduite de la puissance du salut dont elle vit.
C'est là un élément majeur du modèle missionnaire de Luc, « l'Évangéliste des riches ». Dans cet Évangile, Jésus annonce le Jubilé qui inaugurera un renversement du triste destin des dépossédés, des opprimés, des malades, et il appelle les riches et les bien-portants à partager avec les victimes de l'exploitation et des événements tragiques. Et il met le doigt sur les mécanismes qui laissent le champ libre au désir insatiable qu'ont les privilégiés de s'élever socialement et économiquement et les invite à observer un style de vie impliquant le sacrifice, la sobriété et la solidarité.
Luc met dans la bouche de Jésus la prophétie d'Isaïe 61 (Lc 4) mais tronque la citation ; en effet, si Isaïe prédisait le jour de la vengeance de notre Dieu, pour Jésus, il s'agit de construire la paix, de résister sans violence au mal, de tenir éloignés la haine et la vengeance avec leurs effets autodestructeurs.
c. La mission comme combat pour le salut du monde
La vie du Christ, la vie chrétienne, la mission sont placées sous le signe du combat. Le livre de l'Apocalypse imprime le sceau du combat sur l'ensemble de la vie de l'Église et de la vie de l'humanité. « Désormais la victoire, la puissance et la royauté sont acquises à notre Dieu, et la domination à son Christ, puisqu'on a jeté bas l'accusateur de nos frères, celui qui les accusait jour et nuit devant Dieu. Eux-mêmes l'ont vaincu grâce au sang de l'Agneau et au témoignage de leur martyr »(12, 10-11). La mission est donc un combat mais en quel sens ?
On ne peut dissocier le combat vécu comme libération, développement, inculturation à l'intérieur d'un peuple, d'une culture ou d'une société, du combat spirituel que chaque chrétien et témoin est appelé à vivre à l'intérieur de sa propre vie.
Ce combat, est d'abord un combat dans et pour la vérité et la vie. Le dernier combat du Christ, son agonie, est combat avec la volonté de Dieu :« non pas ma volonté, mais ta volonté » ; Jésus demande que sa volonté soit façonnée radicalement par la volonté de son Père, et c'est là l'extrême pointe de son agonie. Le combat est service de la bonté de Dieu, afin que celle-ci gagne du terrain dans notre humanité. Si le combat contre l'adversaire, contre les puissances du mal apparaît souvent en premier, cet aspect n'est pas le plus déterminant. Le combat capital en effet est celui qui fait entrer l'homme dans la vie selon l'Esprit.
Si la mission est un combat, l'annonce de l'Évangile ne peut pas ne pas diviser. Encore faut-il être clair sur la signification de ce terme. Dans la logique missionnaire de Paul par exemple, l'annonce de l'Évangile divise déjà l'homme d'avec lui-même, elle sépare l'homme nouveau du vieil homme :« Comme le péché avait régné pour la mort, ainsi par la justice, la grâce règne pour la vie éternelle par Jésus-Christ notre Seigneur » (Rm 5, 20). L'Évangile s'accueille ainsi dans la dynamique de réconciliation instaurée par l'amour de Dieu et la mort de son Fils (Rm 5, 1-11). C'est ce dont nous devons nous prévaloir, ce en quoi en nous devons mettre notre orgueil, ce dont nous devons témoigner.
L'annonce de l'Évangile ne peut pas ne pas diviser les hommes entre eux, comme le découvre Paul avec Israël et les païens. Sans entrer dans la complexité de cette question, qu'en dire cependant qui éclaire le sens de la mission ? Si l'Évangile divise, ce ne sont pas les juifs et les non juifs ; il sépare plutôt ceux qui se repentent et ceux qui le refusent; l'Évangile ne s'inscrit pas dans le monde en créant un nouvel Israël, mais en appelant Israël à élargir sa manière de porter témoignage à la fidélité de Dieu ;l'Évangile divise car tous ne peuvent reconnaître que la fidélité de Dieu se dit désormais non plus dans la Loi (qui séparait les juifs des non juifs), mais dans le baptême (qui introduit au mystère de la mort et de la résurrection du Christ, bonne nouvelle de celui « qui m'a aimé et s'est livré pour moi » (Ga 2, 20). Paul voit alors son envoi auprès des païens comme l'appel à découvrir « la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit »; et dans un choc en retour, cet Évangile à l’œuvre parmi les nations provoquera la « jalousie » des juifs qui n'ont pas accueilli l'Évangile et les introduira dans la miséricorde de Dieu, « car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde » (Rm 11, 32).
d. Dieu sauveur et Dieu créateur
Cette dernière résurgence porte sur la relation entre salut et création. Confesser Dieu comme créateur, c'est affirmer que l'amour de Dieu pose face à lui une humanité libre et capable d'entrer en relation avec Lui. C'est affirmer ainsi une certaine consistance de l'humain : le devenir humain, les chemins d'humanisation sont les bases à partir desquelles le salut va pouvoir rejoindre l'homme sujet, capable de participation à cette oeuvre de salut Le salut des hommes appelle une réponse de tout leur être, et cette réponse se construit et se vit dans notre univers.
Il est donc important qu'aujourd'hui la théologie de la création ouvre la possibilité de penser une certaine autonomie de l'homme dans l'univers ; cela ne signifie pas que la vie terrestre ait sa fin propre, pleinement indépendante, mais bien plutôt qu'elle est cette vie dans laquelle l'homme apprend à devenir plus homme, par la connaissance et la liberté. Là se vérifie la qualité de la réponse que l'homme donne à Dieu. Face à la tentation de tout absorber dans le langage de la foi et du salut, la théologie de la création permet de maintenir un écart fructueux entre la foi et la raison ; face à la tentation d'une absorption de toutes choses dans la transcendance divine, elle maintient l'union sans confusion ni séparation entre l'humain et le divin. « Chaque fois que l'Église a eu peur de l'humain, de ses manifestations, de son développement ou, ce qui revient au même, chaque fois qu'elle s'est dérobée au devoir de penser et a empêché ses fidèles de se livrer à celui-ci, elle a travaillé contre l'Évangile qu'elle devait répandre. Certes, dans les moments de tentation, elle a continué de penser et d'agir, mais l'homme réel n'était plus exactement à la même place pour l'entendre et continuer avec son aide un travail de conversion dans les nouveaux espaces qu'il abordait [...]. La raison la plus profonde, mais pas la seule évidemment, de la déchristianisation réside probablement ici. »4
Notes
1. Collectif : La Pâque du Christ, mystère de salut, Mélanges en l'honneur de F. Durwell, Le Cerf, Paris, 1983, p. 11.
2. Mgr J. Doré Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, (Assemblée des évêques de Lourdes, 1999) DC 1999, p. 1039.
3. G. Lafont, Histoire théologique de l'Église catholique, Le Cerf, Paris, 1994, p. 434.
4. G. Lafont, op. cit, p. 457.
8 3.Une pédagogie de Filiation |
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Le concile de Vatican II a ouvert pour nous cette voie : la possibilité de penser l'Église et la mission à partir d'une même source : le mystère trinitaire. Par son engagement dans le dialogue oecuménique et dans le dialogue interreligieux l'Église catholique a poursuivi cette avancée. Et pourtant, nous n'en sommes qu'aux premiers balbutiements en ce domaine.
Nombre de théologies chrétiennes contemporaines ont introduit la catégorie de « mission de Dieu ». C'est leur manière d'affirmer que « la mission découle de la nature même de Dieu », qu'elle est « replacée au cœur de la doctrine de la Trinité », que « notre mission n'a pas d'existence propre : elle ne peut vraiment être appelée mission que dans les mains du Dieu qui envoie », que « prendre part à la mission, c'est prendre part au mouvement d'amour de Dieu pour les hommes », qu'« il y a mission parce que Dieu aime l'humanité ». (Ces expressions sont tirées de D. Bosch, Dynamique de la mission chrétienne, p. 526-530).
Il s'agit donc bien d'enraciner la mission dans la doctrine trinitaire. Mais plutôt que de mission de Dieu, nous parlerons de « mission du Fils » et de « mission de l'Esprit Saint ». Cette expression en effet est déjà dans la tradition. Comment écouter et prendre part au mouvement d'amour de Dieu pour les hommes sinon par l’œuvre du Christ et celle de l'Esprit. Cependant D. Bosch met en garde contre un élargissement indu de l'interprétation pneumatologique de la mission : il peut y avoir une certaine ambiguïté à parler de l'activité secrète de l'Esprit dans l'humanité et il n'est pas toujours facile de bien articuler l’œuvre du Christ et celle de l'Esprit, de les penser dans leur unité première. Or, il est important de comprendre la manière dont Dieu se tourne vers le monde par Jésus-Christ et la manière dont il oeuvre dans l'univers par son Esprit.
Nous ne connaissons le Dieu trinitaire qu'à partir de ses paroles et de ses actes dans l'histoire ; ceux-ci sont des symboles réels de son amour qui se communique à nous en toute liberté. La lente préparation à la manifestation du mystère trinitaire qui se fait dans l'Ancien Testament nous est précieuse ; pour reprendre l'expression de saint Irénée, Dieu nous accoutume à lui comme il s'accoutume à nous. Dans le Christ la Révélation est manifestée en plénitude et le Père nous ouvre au mystère trinitaire ; et l'acte par excellence dans lequel Dieu se dévoile comme Père, Fils et Esprit, est la Passion et Résurrection du Christ.
Seule l’œuvre tout entière traversée par l'action de Dieu nous communiquant sa vie peut être missionnaire. Lorsque nous voulons rendre compte du fondement de la mission, c'est dans cette perspective qu'il faut nous placer. Il ne s'agit pas alors pour nous de justifier la mission, ou d'en prouver la nécessité ; mais plutôt de reconnaître ce qui nous constitue en tant que chrétiens, et acteurs de la vie ecclésiale, dans un effort permanent pour ajuster manières de faire, de parler et d'être dans la mission, à la manière même dont Dieu vient à nous : que la manière d'annoncer l'Évangile ne contredise pas l'Évangile qui est annoncé.
Cette pédagogie missionnaire, reflet de la pédagogie divine, est à la fois pédagogie de filiation et pédagogie du salut.
8.1 1. La pédagogie missionnaire : une pédagogie de filiation |
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Pourquoi qualifier la pédagogie missionnaire de pédagogie de filiation ? D'abord parce que la condition humaine peut se comprendre aujourd'hui comme condition filiale : seul devient autonome l'homme qui reconnaît qu'il n'est pas à lui-même sa propre origine ; seul devient responsable l'homme qui reconnaît qu'il doit répondre de sa vie devant quelqu'un ; seul entre dans une véritable fraternité l'homme qui apprend à devenir fils1. De plus, et avant tout, parler d'une pédagogie de filiation exprime le cœur du mystère chrétien : au cœur du mystère pascal, qui récapitule toute la vie du Christ, il y a la révélation du mystère trinitaire ; la filiation divine du Christ et la paternité de Dieu en effet, ne s'interprètent dans l'Église qu'à la lumière du mystère pascal. Nombre de textes du Nouveau Testament le montrent : la construction de l'Évangile de Luc autour de la phrase du Christ en croix : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23, 46), le thème de la filiation du Christ et de la nôtre dans l'épître aux Hébreux : « Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré » (He 1,5) et bien d'autres écrits du Nouveau Testament. Tout ce vers quoi tend l'aventure humaine est interprété dans le mystère pascal en termes de filiation; l'humanité tout entière est attirée dans l'orbite de la relation filiale du Christ à son Père ; l’œuvre rédemptrice est définie dans les lettres de Paul comme accès à la condition filiale, à la liberté du Fils.
Nous introduisons ainsi l'idée de pédagogie missionnaire pour mettre en relief la mission comme participation à la « pédagogie divine », pédagogie par laquelle Dieu vient à nous. Au cœur de cette pédagogie, il y a la Parole de Dieu qu'est le Fils, Parole de Dieu qui se livre à nous dans la manière dont Jésus se manifeste sa relation au Père, sa filiation divine. C'est ce qui nous amène à parler de la pédagogie missionnaire comme d'une initiation à la participation à la filialité de Jésus. Reprenons cela.
La pédagogie missionnaire est d'abord témoignage porté à l'acte par lequel Dieu ressuscite Jésus : là, sa paternité se manifeste, comme il est dit dans l'épître aux Hébreux « Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré… moi, je serai pour lui un père et lui sera pour moi un fils » (He 1,5). Pour l'Évangile de Matthieu, toute l’œuvre de Jésus est reconnaissance de l’œuvre du Père ; le sermon sur la Montagne campe le cadre dans lequel se déploie l'action de Jésus, et sa vie tout entière, vécue comme relation au Père, qui voit dans le secret, et en qui les hommes deviennent des frères, et apprennent à prier Dieu en disant « Notre Père ». Dans ce cadre se donne à reconnaître la bonté paternelle qui s'exprime à travers les gestes et les paroles de Jésus, à travers les paraboles et les miracles, à travers les conversions de ceux qui viennent au Christ. Agissant ainsi, Jésus se présente implicitement comme le Fils. Dans l'amour qu'Il manifeste, c'est l'amour même de Dieu qui devient événement. C'est en tant que Fils par excellence qu'Il fait de ceux qui l'accueillent des fils adoptifs. Et l'acte de la Résurrection le constitue comme tel, Seigneur qui fait participer à la puissance divine. Tel est le premier axe de la pédagogie missionnaire : mettre en oeuvre ce qui permet de reconnaître l'amour du Père et de le faire non pas à partir de notre imagination, mais selon les traits précis et déterminés que son action revêt aujourd'hui.
Insistons encore : pour la mission, il ne s'agit pas d'affirmer l'existence de Dieu, de le justifier vis-à-vis de ceux qui le refusent; elle veut le faire reconnaître comme Père là où il se manifeste aujourd'hui. « Nous n'avons donc plus, nous chrétiens, à justifier de l'identité de Dieu ; au contraire tout ce qui passe pour l’œuvre de Dieu en ce monde doit être soumis à une intransigeante vérification d'identité,... à la lumière de ce que Dieu a révélé de lui-même en Jésus-Christ2. De cette reconnaissance peut jaillir l'action de grâces, non pas comme une eau usée, mais comme une source jaillissante. L’œuvre missionnaire est là pour montrer la bonté paternelle de Dieu aujourd'hui ; si elle n'avait rien à montrer, il vaudrait mieux qu'elle se taise.
Mais que voulons-nous dire quand nous parlons de montrer, de reconnaître ? Il ne s'agit pas d'un simple constat, d'une simple observation. Il s'agit de comprendre la réalité à partir de l'acte dans lequel Dieu se découvre comme Père : la résurrection de Jésus-Christ.
Cet acte n'est pas un acte que le déroulement du temps éloignerait de nous ; c'est un acte permanent qui fait aujourd'hui du Christ celui en qui tout se fonde, c'est un acte eschatologique, qui vient de la fin des temps, qui ne s'accueille qu'à l'extrême limite du langage humain. Montrer alors, c'est « pressentir un événement qu'en apparence rien n'annonce ; c'est détecter par pure intuition une source complètement cachée dans le désert ; c'est appréhender la moindre chose comme recelant de secrètes merveilles, chaque individu comme détenant de grandes promesses dont lui-même souvent ne décèle pas la présence »3 ; c'est l'espérance qui permet de voir un avenir là où à vues humaines rien ne semble possible ; ce sont les actes de foi que Thérèse de Lisieux multiplie alors qu'elle est dans les ténèbres.
Cet acte fait irruption dans l'histoire, à l'intérieur de l'espace et du temps humains, et la manière de vivre dans le temps et dans l'espace en est modifiée. Pourquoi, par exemple, le livre des Actes et les lettres de Paul mettent-ils si souvent les apôtres en scène à l'intérieur d'une prison ? C'est que la relation des apôtres au Christ ressuscité fait d'eux des hommes libres, dont les chaînes tombent, qui parlent avec assurance de l'Évangile et qui libèrent leurs geôliers de leur esclavage et de leurs peurs : il y a là un renversement de la manière dont la société avait structuré les relations humaines, une annonce symbolique des fruits de l’œuvre missionnaire, victoire de l'amour du Père.
Cet acte porte en son cœur la mystérieuse invocation par laquelle Dieu nomme Jésus le Christ comme son Fils, fait de l'humanité du Christ le lieu de la relation du Père au Fils. Le Christ y reçoit tout pouvoir, mais son autorité n'est pas une délégation, elle est le fruit de sa relation au Père. II n'y a d'autre fin à la pédagogie missionnaire que l'action de grâces.
Cet acte, enfin, ne concerne pas le Christ indépendamment de l'ensemble de l'humanité. Il le fait Seigneur, Tête de l'univers, Premier Né de toutes créatures : ces expressions viennent dire la mystérieuse solidarité qui naît de la résurrection. Cet événement ouvre dans l'humanité une chaîne de fraternité, et d'abord entre ceux qui portent témoignage à l'Évangile et ceux qui l'accueillent. La mission naît de la communion à l'amour du Père ; mais elle approfondit aussi la communion entre frères.
La pédagogie missionnaire s'enracine dans l'interprétation que la Passion du Christ nous donne de la filiation divine de Jésus. Le récit pascal porte ce lien entre la reconnaissance de la paternité divine et la dynamique de la filiation. La Passion de Jésus, et toute sa vie humaine qu'elle éclaire témoigne de son attitude de fils du Père. Par son humanité, dans son humanité nous sommes entraînés dans la même direction.
La dynamique infinie de filiation, le rassemblement de tout l'être dans l'invocation du nom du Père, c'est ce que Luc désigne comme le cœur de la Passion et que les lettres de Paul déploient ; dans sa souffrance, ce dernier évoque ses frères juifs pour les appeler de manière pressante à reconnaître avec lui ce qu'il a découvert dans le Christ crucifié : la liberté et l'espérance du Fils que rien ne peut séparer de l'amour du Père. Lorsqu'il s'adresse aux païens pour leur apprendre à recevoir l'Évangile à la manière dont lui-même le reçoit, c'est le langage de la croix que Paul ne cesse d'explorer; il y cherche comment Dieu nous a « destinés d'avance à devenir conformes à l'Image de son Fils » (Rm 8, 29).
Au cœur de la mission, il y a donc une initiation : il faut apprendre à tourner l'ensemble de notre vie vers Dieu, apprendre la supplication et la louange, apprendre la prière du Notre Père, la prière missionnaire par excellence.
Pour parler avec justesse de cette pédagogie de filiation, il importe de savoir parler de l’œuvre de l'Esprit. Que peut-on en dire ?
L'Esprit Saint est moins celui dont on parle que celui en qui l'on parle. II est celui en qui l’œuvre de Dieu peut être reconnue pour ce qu'elle est, en qui Dieu peut être appelé Père, en qui le chrétien peut prier Dieu comme Père, en qui l’œuvre du Christ est accueillie en vérité et non pas à la manière dont le monde du péché le reçoit Dire par exemple des Écritures qu'elles sont inspirées, ce n'est pas seulement qualifier l'écriture de la Bible, mais aussi sa lecture : c'est dans l'Esprit, en lequel Elles sont écrites qu'Elles sont lues. (cf. Dei Verbum, § 12)
L’œuvre de l'Esprit ne se juxtapose pas à l’œuvre du Christ. L'action de l'Esprit dans la mission n'est pas une action nouvelle, qui s'ajouterait à l'action du Christ ; l'Esprit est la puissance de la Parole, son efficacité pour nous et en nous ; par l'Esprit la Parole ne reste pas lettre morte. Il nous faut insister sur cet aspect car l’œuvre de l'Esprit est parfois instrumentalisée et on la voit comme remplaçant l’œuvre du Christ, ce qui justifie alors l'existence de voies de salut parallèles à la Voie qu'est le Christ. L’œuvre de l'Esprit n'est pas identifiable à des réalités précises dans l'univers et l'humanité. Il n'y a pas un temps de l'Esprit qui soit distinct de celui du Christ « L'Esprit est le sujet de la Parole et pas seulement son entrée en vigueur... L'Esprit fait accéder les hommes à un nouveau commencement de la vie, et en fait les sujets véritables de leur vie nouvelle dans la communion du Christ »4.
Quand nous disons que l'Esprit Saint inaugure la mission, nous affirmons que c'est par Lui que la pédagogie missionnaire devient écoute et réception filiale de ce qui vient du Père et que communiquent témoins et auditeurs de l'Évangile ; l'Esprit Saint travaille les témoins, les façonne, les sanctifie pour que leur témoignage devienne parole vive, qui puisse atteindre le cœur des hommes ; et l'Esprit Saint travaille les auditeurs pour les préparer à accueillir et à écouter l'Évangile, et parfois plus justement et plus profondément qu'il n'est annoncé.
On comprend alors ce qu'il y a d'ambigu lorsque l’œuvre de l'Esprit est évoquée comme un substitut de l’œuvre du Christ dans certaines traditions religieuses ou chez des hommes de bonne volonté ; elle est davantage le travail d'accoutumance à la manière dont Dieu vient à l'homme, à sa venue dans le Christ. Et la pédagogie missionnaire doit respecter cela.
Comment qualifier la pédagogie missionnaire à la lumière de l’œuvre de l'Esprit Saint ? Et comment déjà caractériser une oeuvre de l'Esprit qui ne se substitue pas à celle du Christ ? L’œuvre de l'Esprit fait de nous de véritables sujets dans la foi ; elle nous permet de participer par anticipation aux réalités du monde à venir ; elle introduit dans l'universalité du dessein de Dieu.
Comment comprendre tout cela ?
L'Esprit Saint amène le don de Dieu au témoin, il ouvre en lui la possibilité d'une pleine responsabilité, d'une pleine liberté et d'une pleine assurance dans l'annonce de l'Évangile « Notre évangile ne vous a pas été prêché en paroles seulement, mais avec puissance, avec l'Esprit Saint et avec une pleine persuasion » (I Th 1, 5) ; il ne cesse de conformer le témoin à l'Évangile qu'il annonce. L'Esprit Saint ne donne pas seulement la chiquenaude de départ de la mission, mais il agit dans la rencontre de ceux auprès de qui le témoignage est porté. « Ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment, car ce n'est pas vous qui parlerez, mais l'Esprit de votre Père qui parlera en vous » (Mt 10, 20). Dans l'Esprit le chrétien se laisse façonner en témoin du Christ Ressuscité. L'Esprit Saint amène aussi le don de Dieu à celui qui reçoit le témoignage, et le fait adhérer à l'Évangile qui dépasse de toutes parts celui qui en est le témoin.
L'Esprit Saint est le don eschatologique par excellence, il permet de participer par anticipation à cette réalité de la fin des temps, à ce qui fait de nous déjà des vivants d'une vie d'au-delà de la mort, à ce qui nous permet déjà de vivre de la charité divine, de son pardon, à ce qui nous permet de vivre effectivement d'une communion avec ceux que nous commençons à appeler frères. L'Esprit Saint donne ainsi aux hommes le temps de la mission : il les fait entrer dans la grande patience de la mission. Il n'y a d'urgence que dans la charité, dans l'accueil de l'Évangile, dans la conversion à l'Évangile lorsque l'Évangile, le Royaume de Dieu se font proches de nous, à l'heure fixée par Dieu. Tout le reste peut attendre : et le reste est cette lente et patiente transformation du corps de l'humanité dans l'accueil de l'Évangile et dans les douleurs de son enfantement; l'Esprit Saint donne son orientation dynamique à cette transformation, il ouvre dans le temps de la mission aussi bien la louange (« Rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ » - Rm 8, 39) que la supplication (« Nous qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l'adoption, la délivrance pour notre corps... l'Esprit lui-même intercède pour nous en gémissements inexprimables » - Rm 8, 23-26). Il ne nous appartient pas « de connaître les temps et les moments que le Père a disposés en sa toute-puissance » (Ac 1, 7), mais d'entrer dans le temps de la mission au rythme de l'Esprit qui mène vers « la vérité tout entière » (Jo 16, 13).
L’œuvre de l'Esprit peut-être qualifiée d'universel. Ce terme universel est plus délicat à bien saisir. Il dit la recherche de l'esprit humain pour penser, dans leur unité et leur cohérence l'ensemble de tout ce qui existe dans le monde et l'humanité. Mais cette idée d'universalité a été chargée d'ambiguïté tant dans la recherche philosophique des derniers siècles que par la manière dont la pensée chrétienne a pu rendre compte de la catholicité de l'Église (nous retrouverons cette question dans notre dernière partie). Qu'en est-il donc de l'universalité de l’œuvre de l'Esprit Saint ?
L’œuvre de l'Esprit Saint est universelle à deux niveaux :
Le premier, c'est celui des grandes énigmes de la condition humaine, la mort, le mal ou la souffrance, l'amour humain ou le lien social, l'origine ou la fin de la vie. Ces énigmes provoquent l'ouverture toujours renouvelée de l'esprit humain à la recherche de la vérité et de la sagesse ; elles provoquent ainsi l'inépuisable créativité de l'esprit humain. Et sans doute peut-on parler, là déjà, de l'universalité de l’œuvre de l'Esprit.
Le second, c'est celui de l'exploration des profondeurs du mystère de Dieu. L'Esprit Saint est en effet celui qui ouvre la foi dans l'intelligence qu'elle prend du mystère de Dieu manifesté dans le Christ. L'Esprit Saint est celui qui mène à la vérité tout entière, qui contraint l'esprit croyant à ne pas ramener le mystère de Dieu à ce qu'il en a déjà accueilli, à ne pas ramener la Vérité à ce que l'Église en a déjà formulé.
À ces deux niveaux l'Esprit Saint maintient la pédagogie missionnaire ouverte à l'universalité du dessein de Dieu. Nous pourrions le dire aujourd'hui en termes d'amour de la vie : l'Esprit Saint maintient dans notre humanité le goût de la vie, il apprend à dire oui à la vie. Aujourd'hui, nous sommes entraînés dans une spirale de violence et de consommation qui étourdissent l'homme. Or, on ne peut pas réagir en se contentant de lutter contre cette spirale. Seule l'initiation à la vie, à l'amour de la vie permet de se battre vraiment contre la peur de la mort et ses conséquences.
Cette oeuvre de l'Esprit est anticipée dans les écrits de Sagesse de l'Ancien Testament. L'Esprit rend les témoins du Christ capables d'accueillir les fruits de la créativité de l'esprit humain face aux énigmes de la vie, comme les livres de Job, Proverbes, Siracide... ont accueilli les sagesses de leur temps. Et l'Esprit maintient ces témoins dans la connaissance inépuisable du mystère du dessein de Dieu, à la manière dont les livres de sagesse portaient en eux le renouvellement de l'intelligence de l'alliance.
8.2 2. La pédagogie missionnaire : une pédagogie salvatrice |
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Au cœur de l'annonce de l'Évangile, il y a l'annonce de la rémission des péchés: le Christ ressuscité est d'abord celui qui vient rendre proche de chacun la réalité du pardon de Dieu « Dieu l'a ressuscité... il lui a donné de se manifester... le pardon des péchés est accordé par son Nom à quiconque met sa foi en lui » (Ac 10, 39-43). Et là où le baptême de Jean le Baptiste était un baptême de repentir, dans le baptême au Nom de Jésus-Christ, l'Esprit vient inscrire la réalité du pardon de Dieu dans le cœur des pécheurs. Là est la source du lien constant entre mission et salut des hommes pécheurs. L’œuvre missionnaire amène à la reconnaissance du Sauveur, à la possibilité de faire du péché le lieu même de la transfiguration du pécheur et d'une relation d'amour avec le Père qui pardonne. Dieu ne nous sauve pas sans nous.
Dès le récit des Actes, don de l'Esprit Saint et pardon des péchés sont traditionnellement liés et mis au cœur de l'annonce de l'Évangile.
Précisons d'abord cette expression de « pardon de Dieu »5.
Le pardon de Dieu n'abolit pas le péché, qui demeure inscrit, avec toutes ses conséquences, dans l'histoire et dans la mémoire. Le pardon de Dieu transfigure le pécheur ; il inscrit dans le pécheur comme une réalité nouvelle de l'amour de Dieu, comme une capacité nouvelle, plus radicale, de répondre à l'amour de Dieu. Ce pardon de Dieu implique ainsi un acte de foi en l'homme et en sa capacité de vivre au-delà de son mal et de sa violence. Nous saisissons déjà là le lien entre l'Esprit et la rémission des péchés : ce pardon est un événement, une réalité nouvelle en l'homme à laquelle celui-ci doit répondre, une nouvelle forme de présence de Dieu en lui, il est l’œuvre de l'Esprit, par qui le don de Dieu s'inscrit en l'homme.
Le pardon de Dieu n'est pas oubli du péché ; il conduit au contraire à la pleine reconnaissance du péché. L'Esprit Saint permet d'aller jusqu'au bout de la reconnaissance du péché dans le mouvement même où il établit l'homme dans sa relation filiale à Dieu. Il fait ainsi découvrir le péché comme refus d'une filiation bien assumée, tentation d'être à soi-même sa propre origine et sa propre fin, en refusant de se recevoir de Dieu et se tourner vers lui, dans l'invocation, dans l'obéissance de la foi et l'attente.
Sans doute l'humanité est-elle déjà prise dans la dynamique du salut par l’œuvre de l'Esprit. La mission permet alors l'ajustement à cette dynamique à partir de l'événement du Christ pleinement accueilli et reconnu. Elle donne la possibilité d'entrer de manière plus effective dans cette dynamique, de pouvoir se reconnaître pécheur sans en être écrasé, de pouvoir apprendre à vivre comme fils capable d'amour sur le lieu même du péché.
Il n'y a pas d'entrée effective dans le pardon de Dieu sans un discernement progressif du monde du péché et de la faute. L'accueil de l'Évangile passe par ce discernement.
Il va permettre, sans être écrasé, de repérer les idolâtries, c'est-à-dire la quête de réalités que l'homme aurait à sa disposition et qui lui procureraient une pseudo toute-puissance ou le remplissement du vide par des sacralisations, de repérer les ruptures de relations, la peur réciproque de l'homme et de la femme, des communautés humaines, la violence et le dévoiement de la sensualité ; repérer la régression dans le temps, la tristesse du fixisme, les peurs devant l'avenir et le manque de souffle : tout cela et bien d'autres discernements, constituent la mission comme prophétie.
La faute, c'est le mal évalué non plus à partir de la relation au Dieu vivant, mais à partir de ce qui est humanisant ou déshumanisant pour l'homme. Si péché et faute ne sont pas dissociables, partir de la faute nous renvoie aussi bien à ce qu'il y a d'autonomie dans la recherche humaine d'une vie juste (nous parlons alors de morale, d'éthique) qu'à ce qui est la recherche commune des êtres humains, quelle que soit leur tradition spirituelle.
Dire de ce discernement opéré dans le monde du péché et de la faute qu'il se fait dans l'Esprit qui donne la vie, c'est dire qu'il n'opère qu'à partir de ce qui déjà est participation au don de la vie. Seul celui qui est entré dans un chemin effectif de fraternité peut nommer justement ce qui est rupture de fraternité. Seul celui qui vit dans l'intimité du Père peut dire « et moi je vous dis », dans les interpellations du Sermon sur la Montagne qui introduisent de manière radicale le glaive du discernement dans le cœur de chacun. Lorsque se découvrent dans l'humanité la violence, la perversion du pouvoir ou la perversion du désir, la tentation est grande d'installer cette violence ou cette perversion à l'origine, de dire « au commencement était la violence... ». L'Esprit permet d'aller jusqu'à la reconnaissance de ce que, à l'origine, il y a la bonté de Dieu et le don de la vie. Et ce parcours intérieur est au cœur de la mission.
La mission comme initiation au salut permet à chacun d'entrer plus directement dans la solidarité, dans la fraternité. Cette dimension de la mission se comprend à la lumière de la médiation du Christ, que nous pouvons accueillir de deux manières :
Le Christ nous sauve par sa Croix, qui, d'instrument de haine, devient symbole d'amour : des hommes ont crucifié Jésus par haine, vengeance, inconscience, refus de se reconnaître pécheurs... Sa mort liée au péché, le Christ la transforme par la relation à son Père qu'il maintient jusqu'au bout même à travers ce qui semble le séparer de son amour. Il ouvre ainsi une voie là où il n'y en avait pas.
Le Christ sauve les hommes en les libérant : il libère leur parole et il les libère pour l'accomplissement de leur tâche. Il ne sauve pas les hommes à leur place. Le Christ qui sauve est celui qui, aujourd'hui vivant, intercède auprès du Père et permet ainsi à chacun de participer à sa puissance de vie. Il ne laisse pas les hommes à leur faiblesse, il leur permet d'être forts dans leur faiblesse.
L'épître aux Hébreux dit cette médiation comme l’œuvre que le Christ accomplit aujourd'hui : Il est Le vivant et Il intercède auprès du Père ; à cette oeuvre de médiation, nous sommes reliés par la foi qui nous aide à accueillir les fruits de cette intercession. Et ce que le Christ réalise en nous, c'est la capacité à recevoir les dons de Dieu comme des fils, comme lui-même a été Fils jusque dans sa Passion. Nous entrons alors dans une filiation qui pour nous est adoptive.
Le Christ réalise le salut par la persévérance dans la relation à son Père ; dans le même temps, il amène, par son Esprit et jusqu'au cœur de chacun, cette présence du Dieu qui pardonne. Les témoins sont des ambassadeurs de cette parole de salut ; ils lui permettent de se rendre proche de chacun et de requérir de lui une réponse qui l'engagera dans la dynamique du salut.
Par son oeuvre médiatrice, « le Fils unique désire totalement communiquer à d'autres, à tous les autres, à toute l'humanité cela même qui le constitue dans sa condition de Fils, « non point certes qu'il puisse communiquer l'événement de son éternelle génération [...] mais il offre à toute créature humaine de se laisser à son tour engendrer par Dieu et de partager avec lui la condition de fils [...]. La kénose du Fils consiste essentiellement de ce point de vue, en ce qu'il renonce de toute éternité à garder pour lui seul la filiation divine »7.
1. Pour ces thèmes, cf. D. Bourdin, J: L. Souletie, Dieu le Père. Tout simplement, Éditions de l'Atelier, Paris, 1999.
2. M. Splindler, La mission, combat pour le salut du monde, Delachaux Niestlé, Suisse, 1967,p.119.
3. Sylvie Germain, Etty Hillesum, Pygmalion, Paris, 1999, p. 189.
4. J. Moltmann, L Esprit qui donne la vie, Le Cerf, Paris, 1998, p. 18.
5. Cf. Y. Chabert, R. Philibert, Vivre le pardon, Éditions de l'Atelier, Tout simplement,
Paris, 1995.
6. Cette question prend beaucoup d'envergure aujourd'hui dans la confrontation avec les voies de sagesse orientale qui s'affirment, comme la foi chrétienne, profondément assimilatrices.
7. M. Fédou, Regards asiatiques sur le Christ, Desclée, Paris, 1998, p. 270.
Le chapitre III est basé sur Maurice Pivot, Un souffle pour la mission, Les éditions de l’Atelier, Paris, 2000.
Autres publications recommandées sur la théologie de la mission :
Sebastian Karotemprel, Suivre le Christ en mission, Manuel de Missiologie, Urbaniana University Press, Vatican City, 1999.
Michael Amaladoss, Les nouveaux visages de la mission, dans La documentation catholique 2112 (1995) 289-295.
Jean-Marc Ela, Repenser la théologie africaine, Karthala, 2003.
9 4.Une dynamique de communion |
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« De sa nature, l'Église est missionnaire, puisqu'elle tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein du Père » (Ad Gentes § 2). Si l'Église et la mission ont ainsi même source et même fondement, la manière dont l'Église se rassemble, vit et se disperse à la surface de la terre éclaire d'une manière nouvelle la réalité de la mission. Cette mission, nous l'avons déjà compris, ne naît pas d'abord du besoin des hommes ; elle naît de la nécessité interne de l'amour de Dieu, de la nécessité interne au dessein du Père de communiquer sa propre vie à tous les hommes, dans une relation d'Alliance. Et cette nécessité se communique à la vie missionnaire et à la vie ecclésiale.
Il n'y a pas de vie missionnaire sans un sentiment de nécessité interne : le témoin est entraîné à aller témoigner, à engager sa vie pour que l'Évangile soit annoncé jusqu'aux extrémités de la terre, « pour la gloire de Dieu et le salut des hommes ». Cette nécessité est liée à ce que je deviens comme chrétien ; « Malheur à moi si je n'évangélise pas »: c'est la conviction d'un apôtre qui se renierait lui-même s'il n'entrait pas dans cette dynamique. Mais cette nécessité s'impose à toute l'Église qui se renierait si elle se repliait sur elle-même, parce que ce qu'elle vit concerne l'humanité tout entière. À tel moment de l'histoire, l'Église, telle Église locale, a pu mal se situer dans la société, et perdre le sens de sa mission : il y a alors des moments de pause, où s'effectue un travail de purification et dont l'Église ressort avec un nouvel élan missionnaire, d'autant plus vigoureux que le travail de réforme a été important.
9.1 Quelques réductions de la mission1 |
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Un long
processus de réception du Concile de Vatican II s’est mis en route
dès la fin du Concile. C’est vrai de tout Concile, mais plus
encore de celui-ci, étant donné la nature des documents qu’il a
produits, spécialement le document ‘Ad Gentes’. Nous
cherchons à repérer comment une conscience ecclésiale a pu réduire
ce qui se proposait à elle dans cette réception.
Première
réduction - L’annonce de l’Évangile réduite à sa dimension
prophétique de discernement des réalités humaines à la lumière
de l’Evangile.
À la sortie du Concile, la dimension prophétique
de toutes les réalités ecclésiales est fortement mise en relief:
c’est à la lumière de la Parole de Dieu, que toutes les réalités
de l’univers doivent être relues; la Parole de Dieu en manifeste
les ambiguïtés, elle en fait apparaître le mal et le péché, elle
y éclaire le dessein de Dieu et les appels qui en découlent; la
mission de l’Eglise y devient oeuvre de discernement des esprits et
des signes des temps. C’est dans cette perspective qu’elle se
fait, libération, inculturation, dialogue, qu’elle est accueillie
comme « Promesse » qui, sans cesse, relance l’espérance, ou
comme « Procès », qui met notre monde en jugement.
Mise en relief heureuse, mais en même temps, oubli possible de la dimension spécifique de la nature missionnaire de l’Eglise: une Église sans cesse appelée à se laisser reconstituer par l’événement fondateur du Christ, « Église locale » au sens théologique de l’expression. Il faudra attendre une nouvelle réception du Concile (cf. synode extraordinaire de 1985) pour que soient surmontées l’opposition entre le culte et l’évangélisation ou la réduction des sacrements à une pure célébration de la vie et à une expression militante.
Tenir ensemble la dimension fondatrice de l’Évangile et sa dimension prophétique ne va pas de soi. La dérive aujourd’hui s’est inversée. L’accueil de l’événement fondateur est accueil d’une dynamique qui, s’ouvre à tout ce qui, dans l’humanité, est en même temps accueil des traces de l’Esprit et combat contre les puissances du mal; la dérive se produit lorsque la dynamique sacramentelle laisse l’Église centrée sur elle-même en devenant pure autocélébration. S’installe ainsi « une certaine dichotomie entre l’engagement et le service d’une part et la recherche d’intériorité et de silence d’autre part. Expression d’une certaine immaturité spirituelle, cette dichotomie se rencontre facilement chez ceux qui n’ont pas atteint une authentique maturité évangélique. D’un côté, l’attention aux besoins humains de justice et de paix [...] de l’autre, les sociétés qui ayant dans une large mesure, satisfait leurs besoins primaires, voient s’affirmer en leur sein une quête de sens et un besoin de Dieu toujours plus grand. Cette dichotomie doit être affrontée».
Deuxième
réduction - Le rabattement de la dimension missionnaire de I’Eglise
sur la réalité pastorale
Cette réduction s’est greffée sur une interprétation ambiguë de la nature de l’Église constitutivement missionnaire. C’est en partant de cette expression que s’est répandue l’idée d’une vie ecclésiale dont toutes les activités étaient missionnaires; c’est ce qu’écrit Mgr. V.G. Stellin : « J’ai pu constater le risque permanent pour la mission Ad Gentes d’être dissoute dans l’activité pastorale commune, nécessaire, de nos églises particulières.» Où se situe alors l’ambiguïté? La formule de Ad Gentes nous renvoie à la nature de l’Église en tant qu’elle naît de la mission du Fils et de la mission de l’Esprit selon le dessein du Père. De cette nature missionnaire naissent trois sortes d’activités et de tâches: la tâche pastorale est au service de l’accueil, de la réception par l’Église de ce qui la fonde, le mystère pascal et le mystère trinitaire; pas seulement de « l’entretien » d’une vie chrétienne et ecclésiale, mais de l’accueil de l’Evangile dans sa nouveauté; il s’agit de la découverte de la pertinence anthropologique et sociale de la vie chrétienne, du service d’un art de vivre aujourd’hui selon l’Évangile dans toutes les composantes d’une vie humaine. La tâche oecuménique se greffe sur la blessure de la division entre disciples du Christ qui ne peuvent plus témoigner ensemble de l’unité qui vient de Dieu, d’où l’affaiblissement de ce témoignage. La tâche missionnaire se greffe sur ce qui manque à l’humanité et, par contre coup, à l’Église dans leur relation à l’Évangile; absence de Dieu, absence de l’Évangile dans l’humanité et dans l’Église, dont l’Église est appelée à être le témoin par une perpétuelle sortie d’elle-même, un décentrement d’elle-même, une acceptation de donner de sa pauvreté et de recevoir de la pauvreté des autres. La tâche missionnaire renforce ainsi constamment la dimension eschatologique de l’Église tendant vers la plénitude de la Vérité.
Troisième
réduction - L’affirmation identitaire de l’Eglise
Une autre réduction plus récente naît d’une mise en relief dans l’Église d’une affirmation identitaire qui, paradoxalement, est négation de « l’identité chrétienne et ecclésiale » qui ne peut se comprendre que dans la relation à l’autre. Si nous disons de l’Église qu’elle est sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain, l’Église se renierait elle-même si elle ne se comprenait que par rapport à elle-même, si elle ne se faisait pas dialogue, y compris en direction de ceux qui ne sont pas prêts à entrer en dialogue. Cette réduction prend forme aujourd’hui en particulier là où l’Église se doit de relever ce que Andrea Ricardi (fondateur de la communauté romaine de San Egidio) appelle le défi majeur pour l’Église en ce début du XXIe siècle: « L’expérience de notre communauté, présente dans plus de vingt-cinq pays africains et aussi en Amérique latine, nous fait percevoir que le défi premier peut-être celui de l’avenir — est celui du nouveau Christianisme néoprotestant et charismatique, individualiste, sans Église, mais aussi nationaliste... Il ne s’agit pas d’une concurrence confessionnelle... Il s’agit de la façon de vivre le christianisme lui-même. Cela met en cause des dimensions importantes comme l’universalité et la solidarité... Le sens de l’individu, typique du marché capitaliste, est passé en force dans le monde religieux à l’échelle universelle, avec la figure du néochrétien consommateur2.»
Cette réduction porte ainsi sur le cœur même du témoignage tel qu’il peut être porté par les communautés chrétiennes, témoignage désagrégé par cette figure ainsi donnée de la vie chrétienne.
Quatrième réduction - L’hypertrophie de l’Église locale et de l’unité de l’Eglise.
Cette réduction concerne plus directement l’Église comme sujet de la mission. L’expérience du Concile avait initié une vie ecclésiale portée par une collégialité épiscopale vécue sous des formes diverses, une synodalité ecclésiale vécue à différents niveaux, au détriment parfois de la responsabilité de chaque église locale. Cela a été le fruit des dernières décades de donner toute sa place, théologique et pastorale, à l’Église locale en laquelle subsiste l’Église catholique, jusqu’à une certaine hypertrophie tant de l’Église locale que de l’Église de Rome. Cela a été le rôle de tant de débats théologiques qui ont précédé le récent conclave que des interventions cardinalices qui ont précédé et accompagné le conclave, de réagir contre ces hypertrophies.
9.2 La dynamique de communion ecclésiale comme sujet de la mission |
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Si la dynamique Ad Gentes est un mouvement de sortie de soi, cela nous demande de mieux préciser en quel sens l’Église est sujet de la mission. Nous partirons du débat déjà évoqué entre W. Kasper et J. Ratzinger, repris et interprété par M. Ndongala3. Ce débat portait sur la nature de la relation entre Église universelle et Église locale. W. Kasper, voulant maintenir l’ancrage historique du mystère de l’Église (« Ce qu’elle est s’interprète dans son histoire conduite par l’Esprit de Dieu »), insiste sur l’inclusion mutuelle, l’intériorité réciproque des deux entités ecclésiales de l’Église universelle et des Églises particulières: « L’unité dans la communion avec l’Église universelle n’aliène pas les traditions particulières, mais les promet au service de la catholicité. » J. Ratzinger, dans un contexte différent, celui où des communautés nouvelles ou de nouveaux Instituts peuvent avoir tendance à se prendre pour le tout de l’Église, affirme la priorité ontologique de l’Église universelle comme l’expression de l’intime priorité de l’unité attestée par l’histoire du salut. J. Ngondala nous propose de garder ces deux positions comme indicatives d’une double polarité, mais dans un réaménagement de perspective: une plus grande prise au sérieux de la priorité du sacramentel sur le juridique et, ceci, dans un rapport d’inhabitation réciproque des Églises locales et de l’Église universelle, qui se vit dans l’expérience concrète de la communication des Églises locales et des échanges entre elles; il y a alors trois termes inséparables: Églises locales, Église universelle, communion des Églises locales entre elles (que J. Ngondala voit prendre forme plus concrète dans les Églises régionales).
Ceci n’est pas sans lien avec ce qui se vit autour de la naissance des communautés nouvelles dans l’Église. Après un temps d’émergence de ces communautés, comme autant de dons divers que l’Esprit Saint fait à l’Église (I Cor 12) vient un temps où l’Esprit apprend à chacun à se mettre au service de tous (I Cor 14). Ces communautés ont à apprendre à ne pas vivre comme étant le tout de l’Église, pour devenir un lieu d’apprentissage d’une dynamique de communion ecclésiale, et ainsi « prendre en charge l’individualisme du monde occidental actuel, en le sortant du narcissisme. Le développement personnel ne signifie pas “enflure du moi” mais décentrement.»
9.3 Imbrication de la dynamique de communion et de la mission |
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Donnons-nous quelques points de repère pour penser cette imbrication.
L'Église est un champ d'expérience de ce que l'Esprit et l'Évangile rendent possible dans une société et un temps donné, champ d'expérience de la manière dont les hommes deviennent participants de cette oeuvre divine. Si la réflexion sur l'Église locale prend autant d'importance aujourd'hui, c'est que l'Évangile, l'amour de Dieu, ne sont pas intemporels ; l'Évangile s'inscrit toujours dans un lieu déterminé pour y produire ses fruits ; et l'amour de Dieu s'adresse toujours à des hommes et des peuples singuliers qu'Il appelle à entrer dans un échange réciproque. C'est ce que signifient ces expressions mises en relief dans le cadre d'une ecclésiologie de communion : « synergie » (conjugaison des énergies), « symbiose », « synodalité » (échanges entre ceux qui avancent sur un même chemin)4.
Comme l'écrivait en 1945, le Père de Lubac « l'objet propre des missions est d'apporter aux hommes la présence visible de l'Église au milieu des hommes, c'est-à-dire de fonder ou, comme s'exprime la liturgie, de planter l'Église dans tous les pays où elle n'est pas encore établie »5. Implanter, c'est donner une forme particulière à « la plénitude des moyens de salut », c'est ainsi qu'une communauté chrétienne peut devenir sacrement de la charité de Dieu dans la terre concrète où elle prend racine.
Avec l'ecclésiologie de communion, nous avons vu se développer les deux symboliques de la communauté et de la famille ; aujourd'hui, ces réflexions se prolongent en direction d'une Église-fraternité6. L'idée de l'Église-communauté privilégie aussi bien l'égalité entre les membres que la libre adhésion de chacun à cette communauté.
L'idée d'Église-famille privilégie l'appartenance de chacun à un groupe humain qui l'enracine dans une tradition et l'inscrit dans une société hiérarchique. Cette vie communautaire des chrétiens est exprimée dans la longue histoire de l’Eglise comme participation à la communion trinitaire et trouve une expression riche dans l’image de l’Eglise-Famille de Dieu, développée par le Synode africain. Le concept d’Eglise-Famille de Dieu est le résultat « de la préoccupation d’une évangélisation inculturée pour une Eglise tout autant inculturée. Et le modèle de cette Eglise est celui d’une Eglise-communion, exprimée de manière exemplaire, dans le contexte africain, comme Eglise-Famille de Dieu. C’est autour de cette idée centrale qu’est vécue et est en train de se structurer la proclamation de l’Evangile en Afrique et à Madagascar (…). Tous les baptisés sont nés d’en haut et forment une famille où Dieu est le Père et le grand Ancêtre. Ainsi Dieu devient le point de référence absolue et dernière pour le chrétien africain. » Dès lors, « la nouvelle évangélisation visera à édifier l’Eglise-famille » en Afrique et à Madagascar, rappelle Jean-Paul II dans l’Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa.7
Dans le symbole de la fraternité, communauté et famille sont assumées et réorientées dans une nouvelle perspective.
On ne choisit pas d'être frères : on l'est, qu'on le veuille ou non. Chaque homme est inscrit dans une solidarité qu'il peut refuser mais qu'il ne peut nier.
Le plus souvent cette fraternité est blessée par les rivalités et violences comme celle de Caïn et Abel, ou celle du fils prodigue avec son frère aîné. Il s'agit alors de transformer cette relation de fraternité à partir de celui qui est « le Premier-né d'une multitude de frères » (Rm 8, 28-30).
Cette symbolique de la fraternité est profondément intégrée dans la vie ecclésiale ; les chrétiens se nomment entre eux « frères », c'est le qualificatif normal de la vie chrétienne ; la vie religieuse sous toutes ses formes est elle-même un champ d'expérience de la fraternité au service de la vie ecclésiale ; la vie des prêtres exige d'eux une fraternité sacerdotale. Mais tout cela n'a de sens que par rapport à la paternité de Dieu : il n'y a de frères que fils d'un même Père. Notre manière de vivre en frères témoigne de la paternité de Dieu.
Dans une Église tissée par cette fraternité, la catholicité devient une dimension de la vie ecclésiale. Et par elle l'Église devient un champ d'expérience de ce que toute société est appelée à devenir, en travaillant à endiguer les rivalités, la haine et la violence. Ainsi, l'Église devient sacrement de l'Évangile, sans chercher à attirer le regard des hommes sur elle, mais en les appelant à découvrir des pratiques d'espérance dans nos vies humaines et dans la vie des peuples.
M. Pivot, Les tensions constitutives de la mission dans « Ad Gentes » dans Ad Gentes 40 ans après (Spiritus hors série 2005).
Cette réduction porte ainsi sur le cœur même du témoignage tel qu’il peut être porté par les communautés chrétiennes, témoignage désagrégé par cette figure ainsi donnée de la vie chrétienne. Aimer l’Église, aimer le monde, Cerf, 2005, p. 52.
Cf. M. Ndongala dans Revue africaine de théologie — avril 2004, p. 2 1-29.
J. M. Tillard, L Église locale, Le Cerf, Paris, 1975.
H. de Lubac, Le fondement théologique des missions, Éditions du Seuil, Paris, 1945, p. 46.
Cf. pour ce thème : M. Dujarier, L Église fraternité, Le Cerf, Paris, 1991 ; B. Ndiaye, Jésus, premier né d'une multitude de frères, Étude de Rom. 8, 28-30, Paris, Thèse de doctorat Ngoudala Maduko, Pour des Églises régionales en Afrique, Karthala 1999.
M. Cheza, Le Synode africain. Histoire et textes. Paris, Karthala, 1996, p.182 dans Frank Ginneberge, La pénétration de l’évangile au cœur des cultures, Lubumbashi, 2003.
10 Chapitre IV |
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11 La mission de l’Eglise dans l’humanité |
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La dynamique du don de Dieu prend forme dans le mystère de l’Eglise et ainsi parvient jusqu’à nous. A la lumière de l’Evangile porté dans la tradition ecclésiale, nous avons cherché à mieux comprendre la mission dans l’Eglise comme le service de cette dynamique du don. Il nous faut maintenant reprendre cette réflexion à partir de la pratique ecclésiale récente sous l’angle où elle détermine le rapport Eglise-monde et l’universalité concrète de sa mission.
12 La visée du royaume dans l’humanité 1 |
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La mission est service d'humanité, service de la vie du monde. Mais la manière dont l'Église a pensé son rapport au monde et à l'humanité mérite d'être examinée : l'idée même de mission en est affectée, comme nous allons le voir.
12.1 L'Église dans le monde |
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La dynamique missionnaire situe l'Église dans l'humanité. Mais la manière dont l'Église pense son rapport à l'humanité a des conséquences sur la conscience qu'elle prend de la mission. Abordons maintenant ce rapport entre Église et humanité et son évolution, dont on peut rendre compte dans la succession des trois modèles suivants.
Le premier modèle nous invite à penser le rapport de l'Église à l'humanité sur le mode d'une relation entre deux réalités sociales de même ordre, deux « sociétés parfaites, » l'Église et l'État. Ce modèle apparaît à l'époque où se met en place un système d'État qui se veut indépendant de l'Église (en particulier au XIXe siècle et début du XXe siècle).
Face au développement de cette forme d'État, l'Église se définit comme une « société parfaite », et pouvant comme un État prétendre à sa propre souveraineté. Il s'agit là en quelque sorte d'une doctrine de combat, à partir de laquelle l'Église fonde sa résistance aux ingérences de l'État en même temps qu'elle justifie ses propres interventions. Elle doit vivre pour elle-même et proposer au monde un programme surnaturel, une vie surnaturelle située « ailleurs », hors de la vie humaine et sociale... Ce qui ne l'empêche pas, à côté de ce programme, d'inspirer un certain nombre d'activités providentielles, destinées à soulager la vie humaine actuelle. Dans ce contexte, le contenu de la mission est une juxtaposition d'activités salvifiques et d'activités sociales et caritatives.
Dans la période conciliaire de Vatican II, va s'opérer un renversement de cette figure sans que les termes en soient changés. Là où l'Église avait sa consistance propre et définissait son programme à partir d'elle-même, c'est le monde qui acquiert cette consistance ; parler en termes d'« Église et Monde », c'est reconnaître alors le monde avec ses dynamismes propres. Ce modèle reflète une vision du monde et de l'humanité extrêmement optimiste où le monde dicte son programme à l'Église. La mission y devient alors essentiellement une mission d'humanisation, qu'elle se dise en termes de développement, de justice ou de libération.
Ce nouveau modèle prend forme dans la période conciliaire ; le vis-à-vis de l'Église et de l'État n'est plus l'horizon de la réflexion mais bien plutôt le rapport entre l'Église et la société civile. Cela suppose la distinction entre État et société ; l'État se définissant comme l'organisation juridico-politique qu'une société civile se donne pour pouvoir organiser, réguler et structurer sa vie. L'Église ne cherche plus à avoir une relation privilégiée avec l'État et le pouvoir politique, mais à situer son action et ses relations dans le cadre de la société civile.
Dans un premier temps, ce modèle s'est situé dans la perspective d'une Église pour les autres. L'Église veut se décentrer d'elle-même, se penser dans un rapport aux autres qui devient constitutif de sa propre vie. Mais, en arrière-plan, reste l'idée d'une Église qui apporte aux autres, qui sait ce qui est bon pour les autres et la société. D'où cette progressive transformation d'une Église pour les autres à une Église avec les autres ; et ceci entraîne à préciser ce qui s'échange entre l'Église et les autres, entre l'Église et la société.
Cette relation d'échanges se fait entre deux réalités dont chacune a sa consistance propre, dans une autonomie relative - chacune s'impose à l'autre d'abord par son existence propre, son histoire, sa vitalité actuelle, ses orientations ; la société et l'Église se contraignent ainsi mutuellement à tenir compte l'une de l'autre.
La société s'impose à l'Église au nom même de la véritable autonomie que nous avons à lui reconnaître. L'Église ne peut prétendre « ecclésialiser » toutes les réalités humaines. Elle y apprend le chemin du service et de la gratuité dans le service. Et la société contraint l'Église dans la mesure où les dons de Dieu sont déjà présents en elle d'une manière que Dieu seul connaît car l'Esprit Saint associe chaque homme au Mystère Pascal. L'Église y est obligée à une attitude d'écoute et de découverte de ces dons de Dieu.
L'Église, elle, est présente dans la société avec la relation singulière qu'elle a avec le Royaume de Dieu, réalité eschatologique; elle introduit dans le monde une réalité nouvelle par laquelle la société est contrainte de se laisser déterminer.
Ainsi conçu, ce modèle permet de penser la dynamique missionnaire comme une dynamique d'échange, un processus interactif qui appelle chacun des pôles de l'échange à s'approfondir dans sa ligne propre. Ce modèle cependant porte en lui le risque d'une dérive dans la mesure où il invite à penser Église et société comme deux groupes placés en vis-à-vis. Or, un chrétien est membre vivant à la fois du corps ecclésial et du corps social. Si nous gardons ce modèle, nous devons penser la frontière entre Église et société comme une frontière qui passe à l'intérieur de chacun d'entre nous. La tentation est grande de se situer en Église face à la société, en faisant comme si les vicissitudes de cette société n'étaient pas celles auxquelles tout chrétien est affronté à l'intérieur de lui-même. Et inversement une tentation plus subtile conduit des chrétiens à se situer dans la société et face à l'Église dès lors rejetée comme à l'extérieur d'eux-mêmes.
Cette tentation conduit alors à mépriser les Églises telles qu'elles existent dans l'histoire : un masochisme ecclésial, une forme d'ingratitude par rapport à l'oeuvre de Dieu dans la vie ecclésiale. Paul, qui en savait si long sur la faiblesse des Églises auxquelles il écrivait ses lettres, commençait presque toujours par remercier Dieu de leur existence, de leur foi et de leur charité.
Ce modèle cherche à dépasser les ambiguïtés des modèles précédents. Il se met en place à un moment où le dialogue met la mission à l'épreuve et il s'élabore autour de deux axes.
1. L'Église, petite part de l'humanité
L'Église ne peut se concevoir autrement que comme une partie pleinement prenante de la vie humaine, partie prenante d'une « conscience d'humanité »: chaque homme y est appelé à une mystérieuse solidarité avec tous les êtres humains car l'humain est créé homme et femme à l'image de Dieu ; or ce qui est image de Dieu, ce n'est pas l'homme ou la femme, mais cette dynamique d'échange par laquelle l'homme et la femme deviennent ce qu'ils sont vraiment appelés à être ; et là est le symbole qui désigne à l'humanité son chemin d'accomplissement
L'Église, d'autre part, est appelée à situer la dynamique missionnaire qui l'anime dans la perspective du dessein de Dieu qui concerne l'ensemble de l'humanité ; elle est appelée à reconnaître l'unique vocation de l'humanité. Toute idée de vocation, toute idée de bénédiction de Dieu impliquent cette dimension d'universalité du dessein de Dieu. La vocation de chaque chrétien à la sainteté, qu'ouvre en lui le baptême, et l'unique vocation à l'humanité se renvoient l'une à l'autre ; tout chrétien qui découvre progressivement la forme que prend pour lui la vocation à la sainteté contribue à réduire le déficit de sens et de vocation de nos sociétés. Et inversement tout chrétien découvre ce à quoi il est appelé là où il reconnaît ce que l'amour passionné de Dieu pour l'humanité comporte comme appel pressant adressé à notre humanité.
L'Église, enfin, est appelée à se situer dans un monde blessé. Il lui faut échapper à une double tentation : idéaliser ce monde, ne le voir que sous un angle positif, ou au contraire voir ce monde comme soumis à la corruption, enfermé dans ses insuffisances et ses faiblesses. Là aussi le travail de la foi apprend au chrétien à se situer dans le monde, à le reconnaître comme blessé, partagé entre, d'une part ce qui est de l'ordre de l'inachèvement, du processus de transformation et, d'autre part ce qui est de l'ordre de la blessure, des conséquences du péché, du poids des puissances du mal.
L'Église est appelée ainsi à se reconnaître et à s'inscrire dans un processus d'humanité, dans un mouvement de perpétuel décentrement par rapport à elle-même. Elle est au service de l'avenir de l'humanité, elle ouvre en elle de nouvelles formes d'espérance, qui s'inscrivent dans le concret Et elle le fait dans la mesure où elle reste partie organique et intégrante de la communauté humaine, où elle ne tente pas de concevoir sa vie indépendamment de cette communauté.
2. L'Église, sacrement de l'Évangile
L'Église est cette petite part de l'humanité qui est en relation avec l'Évangile dans l'événement du Christ, ce qui reste irréductible à ce qui se passe dans l'humanité. C'est là le deuxième axe du processus dans lequel se constitue l'Église. Pleinement partie prenante de cette humanité appelée et blessée, elle est au sein du monde le champ d'expérience de l'Esprit qui la relie à l'oeuvre du Christ ; elle est ce champ d'expérience dans lequel est introduite jour après jour la nouveauté de l'Évangile, par rapport à laquelle l'humanité entière est appelée à se laisser déterminer.
Ici intervient l'idée de sacrement, et dans cette idée, il y a le signe et la réalité. La réalité, c'est celle de l'Évangile, du mystère pascal, manifestation en plénitude de l'amour du Père qui se révèle et nous libère. Le signe c'est celui de l'Église lorsqu'elle relie la réalité de l'Évangile aujourd'hui, à la manifestation en plénitude dans le Christ ; elle est ainsi « sacrement de l'union intime avec Dieu et de l'unité du genre humain ». L'Église, ainsi reliée organiquement au monde, doit dans le même temps rester visiblement différente de ce monde, manifester le mystère de la visite de Dieu et de sa présence dans le monde.
Dans cette idée d'Église, il y a celle d'un processus vivant, d'une dynamique structurée, d'une dynamique de communion : la dimension d'institution n'y est pas séparée de la puissance de vie. L'Église, en tant que réalité sociale et historique, est le champ d'expérience de la puissance de l'Esprit et de l'Évangile ; cette réalité sociale avec ses dynamismes, ses faiblesses et ses vicissitudes est attirée par la force de l'Esprit pour devenir le corps vivant du Christ Dans ce processus la vie ecclésiale devient dynamisme missionnaire.
12.2 L'Église dans l'humanité, pour y faire quoi ? Église et Royaume |
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Après avoir présenté la relation de l'Église à l'ensemble de l'humanité, ce qu'elle avait à y vivre, les responsabilités qui étaient les siennes, il nous reste à situer celles-ci dans le dessein de Dieu, dessein de la venue du Dieu Sauveur dans l'Église et l'humanité. Ce dessein de salut, cette venue de Dieu c'est le Royaume de Dieu, le règne de Dieu : « le Royaume de Dieu se fait proche », c'est la première expression que l'on trouve dans la bouche de Jésus à l'aube de sa mission (Mc 1, 15 ; Mt 4 Lc 4) ; le terme de « Royaume » est proche de celui d'« Évangile », mais désigne plus directement la manière dont, dans l'Évangile, Dieu lui-même vient à l'homme. Et les paraboles du Royaume jouent ce rôle : préparer l'homme à la manière dont Dieu vient à lui, apprendre à reconnaître ses pas, à découvrir le rythme de sa démarche, à reconnaître les fruits de sa venue et sa manière de traiter la réalité du mal…
Comment la venue de Dieu, le Royaume de Dieu qui se fait proche transforme-t-il la relation entre Église et humanité, et donc le service de la mission ?
La distinction entre Église et Royaume souligne que le Royaume est cette réalité qui s'approche de l'Église, dont l'Église n'a pas l'initiative, qui s'accueille dans l'écoute et la reconnaissance ; la première parabole du Royaume dans l'Évangile de Marc est centrée sur cette écoute. La question est posée dans la vie ecclésiale : comment te mets-tu en attitude d'écoute et de reconnaissance ? Tout ce qui est de l'ordre de la vie ecclésiale, prédication et sacrements, lectio divina et mouvements ecclésiaux, vie monastique et apostolique, structuration d'une vie ecclésiale et ministères ordonnés, tout cela doit contribuer à faire grandir cette capacité d'accueil des merveilles de Dieu. La distinction Église-Royaume renvoie à la dynamique de croissance de cette capacité : « celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux églises » (Ap 2, 7-11-17, 29, 36, 13, 22). Si la question est bien celle d'une Église appelée à se situer dans l'humanité par le dialogue, encore faut-il qu'elle puisse être apte à écouter. Il s'agit donc moins d'affirmer que le Royaume de Dieu est présent dans d'autres traditions spirituelles que de chercher comment devenir capable de découvrir ces traces de l'action d'un Dieu qui vient. La conversion à l'écoute n'est jamais terminée, le Royaume de Dieu ne cesse de se rendre proche de l'Église comme de chaque homme : ce sont les traces du Royaume découvertes dans l'Église qui aident celle-ci à reconnaître ces traces dans l'humanité et inversement.
Le Royaume de Dieu est le règne du Père tel qu'il se manifeste dans le Christ. Le Christ, Royaume de Dieu en personne, nous apprend à dire au Père « que ton règne vienne ». Ce règne de Dieu est sa volonté universelle de salut, elle concerne tous les hommes, l'humanité et l'univers et elle s'enracine déjà dans la victoire de la puissance de Dieu qui fait de Jésus le Christ Vivant. Il y a une vocation unique de l'humanité, une vocation eschatologique qui déjà s'inscrit dans la vie terrestre ; cette vocation nous contraint à espérer pour tous les hommes, à refuser l'enfermement de qui que ce soit dans la condamnation, et d'agir en conséquence avec ce parti pris d'espérance. Il y a là la source d'un décentrement continuel de l'Église : elle n'est pas là pour elle-même, mais au service du Royaume dans l'humanité, dans les peuples et dans les sociétés ; elle n'est pas inquiète pour son avenir mais est au service d'une pratique d'espérance des peuples et de l'humanité. « On ne peut disjoindre le Royaume et l'Église. Certes, l'Église n'est pas à elle-même sa propre fin, car elle est ordonnée au Royaume de Dieu dont elle est germe, signe et instrument […] Distincte du Christ et du Royaume, l'Église est unie indissolublement à l'un et à l'autre »2.
Si pourtant elle s'intéresse à sa propre vie, c'est dans la mesure où elle a à mettre au service de l'humanité son expérience du règne de Dieu. C'est en ce sens là que « l'Église n'est pas d'abord ses difficultés, mais la puissance qui agit en elle. Et si cette puissance est en nous, nous sommes capables d'affronter et de porter les problèmes les plus durs, et de les porter sur le long terme… (l'Église, c'est) le corps plutôt que ses maladies, la substance vive, plutôt que les péripéties »3.
L'Église se situe dans l'humanité comme celle qui annonce le Royaume. Sacrement du Royaume, elle donne de le reconnaître. Encore faut-il qu'il lui soit donné de l'annoncer, et de l'annoncer dans la forme qui correspond à sa venue. Là encore, nous sommes devant la question suivante : comment faire en sorte que les temps et les moments, les formes et les styles de l'annonce n'en fassent pas une oeuvre trop humaine ? L'Église est appelée à s'engager résolument dans l'annonce et le témoignage ; au fur et à mesure de cet engagement, elle se laissera transformer pour annoncer le Royaume à la manière du Dieu qui vient ; c'est ainsi qu'elle apprend à ne pas s'annoncer elle-même : non pas dire « venez à moi », mais intercéder dans l'humanité « que ton règne vienne ».
12.3 3. Une communauté de mémoire et d’espérance pour annoncer en paroles et en actes le message de la réconciliation 4 |
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Le monde, et spécialement le continent africain, est confronté avec un nombre de situations de guerre, de violence. Mais depuis quelque temps, on s’efforce d’assumer un passé de violence, on ressent la nécessité de mettre fin à la haine et on s’est lancé dans la longue tâche consistant à reconstruire des sociétés brisées. C’est ainsi que la réconciliation s’est imposée à l’esprit de beaucoup de chrétiens comme nouveau paradigme ou modèle de la mission. De la part des missiologues une réflexion sur la mission comme chemin de réconciliation se ressource dans la tradition chrétienne. Le pardon est oeuvre créatrice et recréatrice qui fait mémoire de toutes les conséquences du péché, du mal et de la violence dans l'histoire et les cultures, pour en faire le lieu d'un amour fécondant. Ainsi la mission devient avant tout être témoin de la bonté du Père qui nous invite à une réconciliation avec Lui et entre les peuples, les groupes et les personnes.
A partir de la Bible, on pourrait résumer la réconciliation en cinq brèves thèses:
Dieu est l'auteur de toute réconciliation authentique ; nous ne faisons que participer à l'oeuvre réconciliatrice de Dieu. Pour reprendre les termes de saint Paul, nous sommes «en ambassade» au nom du Christ (2 Co 5,20).
La principale préoccupation de Dieu dans le processus de réconciliation, c'est la guérison des victimes. Cela ressort de deux constatations : premièrement, le Dieu des grands prophètes des Écritures hébraïques, qui est le Dieu de Jésus Christ, fait preuve d'une sollicitude particulière pour les pauvres et les opprimés. Deuxièmement, trop souvent, l'offenseur ne se repent pas, et la guérison de la victime ne peut être suspendue à la décision d'un offenseur qui ne se repent pas.
Dans la réconciliation, Dieu fait de la victime comme de l'offenseur une «nouvelle créature» (2 Co 5,17). Cela signifie deux choses : d'une part, lorsque le mal commis est particulièrement grave, il est impossible de revenir à l'état antérieur ; ce serait banaliser la gravité de ce qui a été commis. Nous ne pouvons qu'avancer vers un état nouveau. D'autre part, Dieu veut à la fois la guérison de la victime et la repentance de l'offenseur; aucun d'entre eux ne doit être annihilé : tous deux doivent être amenés à un état nouveau, dans une «création nouvelle».
Les chrétiens donnent un sens à leur souffrance en la situant dans la souffrance, la mort et la résurrection du Christ. C'est cette référence à la souffrance du Christ qui nous aide à échapper à la puissance destructrice de notre souffrance. Et c'est cela aussi qui, en nous, donne naissance à l'espérance.
La réconciliation ne sera complète que lorsque «l'univers entier» sera réuni dans le Christ (Eph 1,10). En attendant, nous ne pouvons connaître qu'une réconciliation partielle, mais nous vivons dans l'espérance.
Comment l'Eglise participe-t-elle à cette réconciliation ? Quelles formes concrètes cette dernière prend elle ? Dans le monde actuel, de plus en plus de gens s'intéressent à la réconciliation - ce n'est pas une préoccupation des seuls chrétiens - et, souvent, la manière dont on en parle n'est pas très claire. Ce terme est parfois manipulé et déformé pour être mis au service d'autres fins. Nous, chrétiens, devons présenter une conception aussi claire que possible de la réconciliation et préciser ce que nous entendons lorsque nous parlons du ministère de réconciliation.
Pour commencer, la réconciliation est à la fois un processus et un objectif. C'est à la fois une oeuvre qui est en cours, à laquelle nous participons, et un but auquel nous espérons parvenir. L'Eglise participe à la dimension verticale par ses sacrements, et à la dimension cosmique à la fois dans sa liturgie et dans son souci de l'ensemble de la création. Participer à la dimension horizontale de la réconciliation, c'est participer à la guérison que Dieu veut pour des sociétés qui ont été profondément blessées et brisées par l'oppression, l'injustice, la discrimination, la guerre et la destruction aveugle. Ces deux dimensions sont inhérentes à la réconciliation considérée comme modèle de mission.
Pour aller vers cette guérison, il faut commencer par dire la vérité, briser les codes de silence qui cachent le mal commis à l'encontre des membres pauvres et vulnérables de la société. Dire la vérité, c'est aussi dépasser et corriger les mensonges et les distorsions qui, en vue d'imposer une hégémonie sur la société, accablent les innocents d'une honte imméritée et isolent les gens les uns des autres. Dire la vérité, cela implique que l'on s'efforce en permanence de dire toute la vérité, à propos des victimes et à propos des offenseurs. Pour un chrétien, dire la vérité, ce n'est pas seulement rapporter des faits d'une manière crédible ; c'est aussi y impliquer Dieu, qui est l'auteur de toute vérité. En hébreu, la vérité est un attribut de Dieu : elle est fiable, elle est durable, elle est solide et elle est fidèle. Donc, pour guérir une société brisée, c'est à ce niveau théologique profond qu'il faut concevoir de dire la vérité. En pratique, cela signifie que l'Église doit s'efforcer de créer des lieux sûrs et accueillants où l'on pourra dire et entendre la vérité, où l'on pourra briser le silence, où l'on pourra démonter et dénoncer les mensonges pernicieux.
Cette recherche de la vérité s'accompagne de la quête de la justice. A rechercher la justice sans essayer d'établir la vérité, on risque de remplacer la véritable justice par la vengeance. La lutte pour la justice (et c'est vraiment une lutte : le mal ne cède pas facilement) se présente sous de multiples facettes. Elle implique la justice punitive, qui châtie, d'une manière légale, les auteurs d'un mal pour bien marquer qu'une société renouvelée reconnaît le mal qui a été commis et qu'elle ne le tolérera pas à l'avenir. En second lieu, elle implique la justice réparatrice, qui restaure la dignité et les droits de la victime. En troisième lieu, elle exige la justice distributive, car la guérison et la création d'une société juste sont quasiment impassibles si la victime se voit injustement dépossédée de son bien. Enfin, il faut une justice structurelle, c'est-à-dire une restructuration des institutions et des processus de la société de telle manière que l’action juste fera naturellement partie de la société reconstruite. Pour créer une société juste, il faudra notamment prévoir une redistribution des ressources, l'équité en matière de droits, un accès garanti aux soins de santé, au logement, à l'alimentation, à l'éducation et à l'emploi.
Un troisième aspect de la réconciliation considérée comme processus, c'est la reconstruction des relations afin de tendre vers le pardon. Si les relations ne sont pas fondées sur l'équité et la confiance, la société retombera vite dans la violence. Il faut améliorer ces relations, et cela à de nombreux niveaux. Pour les victimes, cela implique la guérison de la mémoire, afin que l'on ne reste pas prisonnier ou otage du passé ; il s'agit d'éliminer la toxine que contiennent les souvenirs de violence, d'oppression et de marginalisation. Cela implique la repentance et la conversion de la part de ceux qui ont commis le mal : ils doivent reconnaître qu'ils ont mal agi et prendre des initiatives à l'égard de la victime : présenter leurs excuses et faire réparation. C'est, en fait, s'engager sur le difficile chemin du pardon. Ici, le processus de reconstruction des relations est souvent court circuité. L'amnistie ou l'impunité sont accordées aux offenseurs avant même que les victimes ont pu se faire entendre ; on tire un voile d'oubli sur le passé, on l'occulte. Pardonner, ce n'est pas oublier ; c'est se souvenir d'une manière différente, ce qui permet d'éliminer la toxine du vécu de la victime et de créer un espace dans lequel l'offenseur pourra se repentir et présenter ses excuses. Pardonner, c'est se rappeler le passé, mais se le rappeler d'une manière qui rend possible un avenir différent, tant pour la victime que pour l'offenseur.
Dire la vérité, lutter pour la justice, tendre vers le pardon - telles sont les trois dimensions essentielles du processus de réconciliation sociale. Dans la plupart des cas la situation est faussée au départ : les effets de l'oppression, de la violence et de la guerre ne favorisent pas naturellement l'honnêteté, la justice ni même les bonnes intentions de toutes les parties. Et ces processus ne se réalisent en général pas de manière ordonnée ; en outre, ils ne semblent jamais terminés. En fait, nous constatons qu’en réalité ils sont inachevés, prématurément clos, détournés par les puissants. Que faire, alors ?
Cela nous amène à une autre conception de la réconciliation, à savoir la réconciliation considérée comme un objectif. Quand on parle de réconciliation, on a facilement tendance à croire que, la violence manifeste ayant disparu, on va directement passer à une paix qui n'existe que dans notre imagination. Ce faisant, on esquive les processus douloureux et complexes que nous avons mentionnés précédemment : dire la vérité, rechercher la justice et tendre vers le pardon. Nous nous imaginons que, après une longue période de guerre, la paix refleurira et s'imposera ; nous croyons que, à l'instar du phénix, la démocratie renaîtra des cendres de la dictature et du despotisme. Mais ce n'est pas ainsi que les choses se passent : on peut se retrouver à accepter des demi-mesures, des demi-vérités et des solutions de compromis.
En matière de réconciliation, il est important de ne pas confondre ce qui est le processus et ce qui est l'objectif. Pour que le processus se poursuive, il faut que nous gardions les yeux fixés sur l'objectif. Pour les chrétiens, c'est Dieu qui opère la réconciliation ; nous, nous ne sommes que des agents de ce processus, nous ne faisons que participer à ce que Dieu fait. Dieu est notre force ; Dieu est notre espérance. C'est par Dieu que cela se passe. C'est ici que nous prenons conscience de la distinction entre l'optimisme et l'espérance. L'optimisme, c'est ce qui découle de la confiance que nous avons en nos capacités et ressources propres ; c'est en nous qu'il a sa source. Mais l'énormité du mal et du péché auxquels nous sommes confrontés au cours de longues périodes de guerre et d'oppression est hors de proportion avec ce que nous sommes capables d'accomplir. En revanche, l'espérance vient de Dieu. C'est Dieu qui nous fait avancer, comme il l'a fait avec Abraham et Sarah. Nous vivons dans la foi, dans la certitude des choses en lesquelles nous espérons (He 11, 1). Lorsque nous avons les yeux fixés sur Dieu et sur ses promesses, nous pouvons garder la force du coeur, de l'esprit et de la volonté qui nous permet de continuer à participer à ce que Dieu fait pour le monde.
Dans tout cela, quelle est la place de l'Eglise ? Sa participation à la missio Dei, ici comprise comme l'oeuvre divine de réconciliation du monde avec Dieu, se caractérise plus particulièrement par trois éléments. Le ministère de réconciliation fait de l'Église, d'abord, une communauté de mémoire et ensuite une communauté d'espérance. Sa mission, qui est d'annoncer en paroles et en actes le message de la réconciliation, rend possible ce qui, pour beaucoup peut-être, est l'expérience de Dieu la plus intense possible dans notre monde troublé et brisé.
L'Eglise est avant tout une communauté de mémoire. Elle ne pratique pas l'oubli comme les puissants veulent l'imposer aux vulnérables et aux pauvres : oublier leurs souffrances, effacer de leur mémoire ce qui leur a été fait, faire comme si aucun mal n'avait été commis. En tant qu'elle est communauté de mémoire, l'Église crée les espaces de sécurité où l'on peut parler haut et fort des souvenirs et s'engager dans le long et difficile processus consistant à surmonter la juste colère qui, si elle n'est pas reconnue comme telle, risque d'empoisonner toute perspective d'avenir. Les espaces de sécurité offrent la possibilité que renaissent la confiance qui a été brisée, la dignité qui a été refusée ou votée. Une communauté de mémoire veut aussi que la mémoire soit fidèle : elle refuse les mensonges déformants qui servent les intérêts de l'offenseur au détriment de la victime. Tout en poursuivant l'objectif de la justice dans toutes ses dimensions - punitive, réparatrice. distributive, structurelle - une communauté de mémoire reste focalisée sur la mémoire. Si l'on refuse de rechercher la justice et de lutter pour son établissement, dire la vérité ne servira de rien et les espaces de sécurité ne produiront rien. Une communauté de mémoire s'intéresse aussi à l'avenir de la mémoire, c'est-à-dire aux perspectives de pardon et à ce qui est au-delà. Le difficile ministère de la mémoire, si on peut l'appeler ainsi, est possible parce qu'il est ancré dans le souvenir de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus Christ : celui qui était sans péché et qui s'est, pour nous, identifié au péché, « afin que, par lui, nous devenions justice de Dieu » (2 Co 5,21).
Vivre dans le souvenir de ce que le Christ a subi - lui qui a souffert, est mort et qui pourtant n'a pas été oublié mais, au contraire, a été ressuscité par Dieu - telle est la source de notre espérance. L'espérance nous permet de conserver vivante la perspective d'un monde réconcilié, non pas à la manière d'une facile utopie mais en tant que cette perspective se fonde sur le souvenir de ce que Dieu a fait en Jésus Christ. Paul résume très bien cela dans un autre passage de la seconde épître aux Corinthiens : «Mais ce trésor, nous le portons dans des vases d'argile, pour que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous. Pressés de toute part, nous ne sommes pas écrasés ; dans des impasses, mais nous arrivons à passer ; pourchassés mais non rejoints ; terrassés mais non achevés ; sans cesse nous portons dans notre corps l'agonie de Jésus afin que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dans notre corps» (2 Co 4,7 10).
La réconciliation appartient à Dieu, pas à nous. Malgré tout ce que nous subissons, nous ne perdons pas courage parce que nous portons dans notre corps la mort de Jésus afin que, au travers de nous, sa vie puisse être rendue visible. Telle est la vocation de l'Église, sa vocation au ministère de réconciliation, sa proclamation de la mort et de la résurrection du Christ dans le corps même de l'Église. Si nous annonçons ainsi la Bonne Nouvelle, nous pourrons faire connaître à un monde brisé l'oeuvre divine de réconciliation. Notre action, ce n'est pas seulement une action politique ou une action pour la justice (bien qu'elle soit aussi cela). C'est une participation à quelque chose qui est bien plus grand que nous : l'oeuvre du Dieu Trinitaire, dont le dessein est de guérir le monde.
Notes
1. M. Pivot, Un nouveau souffle pour la mission, pp. 165-175.
2. Jean-Paul II, - Redemptoris Missio, Chap. 2. Documentation Catholique 1991, pp. 157-160.
3. M. Bellet, L Église, morte ou vive, DDB, Paris, 1991, p. 161.
4. Robert Schreiter, La réconciliation, nouveau paradigme de la mission, Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation (Athènes 9-16 mai 2005), Chicago, Etats-Unis.
13 B. L’universalité de la mission |
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« Vous avez dit catholique » ? Dans l'usage courant du terme, le mot catholique est utilisé pour désigner un groupe particulier de chrétiens par opposition aux autres chrétiens. Ce sens est à l'inverse du sens du terme grec ; celui-ci (KAT'OLOU) signifie « selon l'ensemble, selon le tout » ; il exprime une référence à l'ensemble (de l'humanité, de l'univers...). C'est dans la période récente que l'on a cherché à réhabiliter le sens du mot, et cela dans une double direction :
- en tant que qualification de l'Église, le terme de « catholique » désigne un don et une tâche. Il ne se comprend pas d'abord à partir de l'Église, mais à partir du dessein de Dieu pour l'humanité ; la qualification de « catholique » est alors attribuée au don de Dieu à l'Église. La « puissance d'en-haut » qui repose sur l'Église, la puissance de l'Esprit à l’œuvre dans l'Église porte en elle cette dimension de catholicité. À ce don correspond une tâche confiée à l'Église ; et la responsabilité de l'Église, c'est de mettre en oeuvre, dans sa manière d'être et d'agir, le service qu'appelle le don qui lui est fait ;
- au niveau de la définition de la catholicité, la recherche a essentiellement porté sur l'articulation des deux dimensions externe et interne. Il fallait en effet sortir de l'idée d'une catholicité mesurée d'abord en termes quantitatifs expansion géographique, recensement des chrétiens, juxtaposition des diversités humaines dans l'Église. La catholicité externe, en effet, c'est ce mouvement qui porte l'Église vers les extrémités de la terre, vers l'achèvement des siècles et la fin du monde. L'Église n'a pas pour tâche de rassembler les hommes de manière superficielle et artificielle : il lui faut donner force et visibilité à l'appel de Dieu qui se constitue un peuple de fils grâce à la conversion de chacun et de tous au mystère de la volonté de Dieu sur chacun et sur tous. Cette catholicité externe se fonde sur la catholicité interne qui s'enracine avec l'Église, dans le mystère pascal ; l'Église participe en effet à l'intégralité des biens du salut, à la plénitude du don de Dieu et c'est ainsi que l'Église se fait un cœur, une pensée et un corps catholiques2.
13.1 1. De l'universalité du dessein de Dieu à la catholicité de l'Église1 |
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L'Église est appelée à être porteuse de la volonté de Dieu qui veut se communiquer pleinement à l'humanité, et rassembler tous les hommes dans une unique vocation. Elle ne dit pas « venez à moi ; rassemblez-vous en mon sein »; elle dit « regardez avec moi Celui qui vient ; écoutez avec moi la force de son appel ; laissez-vous réconcilier avec lui... ». Dans le Christ est offerte à l'humanité tout entière une puissance de réconciliation, de fraternité, de solidarité, de communion qui n'a pas de limites; l'Église est sacrement de cette puissance de catholicité ; elle l'accueille, elle la propose, elle la reconnaît déjà à l’œuvre, elle la découvre au fur et à mesure qu'elle la propose. D'où l'importance pour notre réflexion de bien comprendre ce qu'est l'universalité du dessein de Dieu.
Déjà dans l'Ancien Testament, nous découvrons ce que peut avoir de spécifique l'universalité du dessein divin :
D'une part, l'authentique unité de l'humanité demeure au cœur de ce dessein ; comme l'indique déjà le récit de la genèse de l'humanité (Gn 1, 11), Dieu veut une humanité une, mais d'une unité qui intègre diversités et différences, qui les fasse jouer ensemble ; c'est là ce que porte la puissance divine de bénédiction qui accompagne tout le récit.
- D'autre part, l'universalité du dessein de Dieu se manifeste toujours à travers la médiation d'appels que Dieu adresse à des hommes et à des femmes situés dans le temps et dans l'espace, c'est-à-dire à l'intérieur de la particularité d'une situation et d'un lieu. Dieu est le « Dieu de nos pères », le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, c'est-à-dire le Dieu de ces hommes qu'Il a lui-même choisis pour se révéler comme le Dieu qui veut bénir toutes les nations. Dieu se choisit un peuple librement, par amour, mais Il se manifeste à lui non pas comme un « Dieu local », un « Dieu national », mais comme Celui qui est Dieu et Père de tous les peuples, créateur de tous les peuples et les introduisant à un unique dessein.
Abraham est cet homme qui, par élection, devient père, d'une paternité concrète : mais il doit sacrifier cette paternité, par le sacrifice de son fils Isaac, pour qu'elle lui soit rendue comme paternité d'adoption par celui qui est le Père de tous les peuples. Le Serviteur de Dieu du second Isaïe manifeste l'universalité du dessein de Dieu parce qu'à travers ses épreuves et son écoute de la Parole de Dieu il apprend à parler à chacun au cœur de son épreuve, à le réconforter et à intercéder pour chacun et pour tous. L'universalité du dessein de Dieu s'inscrit ainsi toujours en notre terre par la transformation d'hommes et de femmes arrachés aux particularismes dans lesquels ils sont enfermés.
Ce qui, dans l'Ancien Testament, était promesse toujours ouverte sur l'universalité, devient pleine réalité dans le Nouveau Testament. Comment l'universalité du dessein de Dieu se manifeste-t-elle dans le Christ ? De deux façons :
- Au cœur de l’œuvre du Christ, il y a la capacité de reconnaître le don du Père où qu'il apparaisse. Sa manière de manifester l'universalité du don de Dieu, c'est de le reconnaître à l’œuvre là où il agit. Le Christ est celui qui discerne dans les « tout-petits » l’œuvre de Dieu: « Je te loue, Père, de ce que tu as révélé ces choses aux petits (...). Tout m'a été remis par le Père » (Mt 11, 25). Ce qui a été ainsi remis au Fils, c'est la capacité de discerner et de manifester tout ce qui est don de Dieu. Le Christ ne loue pas Dieu, comme le faisait Daniel, de lui avoir donné sagesse et intelligence (Dn 2, 23) mais de se révéler aux tout-petits. Le Christ se manifeste comme le Fils là où il reconnaît, dans la foi de la cananéenne (15, 28) ou dans le don que la veuve tire de sa misère (Lc 21, 4), des dons venant du Père.
- L'autre manière dont l'universalité du dessein de Dieu se manifeste dans le Christ, c'est la récapitulation que le Christ opère dans sa Passion lorsqu'il brise le mur de la haine et fait de nous un seul corps. En lui, nous avons la vie, nous sommes sauvés. Il est notre paix, il a détruit le mur de la division, il nous a réconciliés en un seul corps (Éph 2, 4-17). Dans le Christ se trouve offerte à l'humanité tout entière une puissance de réconciliation, d'unité et de solidarité qui ne connaît pas de limites. Le témoignage porté à cette récapitulation de toutes choses dans le Christ se réalise dans la vie ecclésiale elle-même. C'est à cette lumière que nous comprenons l'insistance des auteurs du NT sur la vie des communautés : il en va de la vérité de l'annonce de l'Évangile. D'où par exemple la véhémence de Paul quand il s'adresse à ces communautés. Elles se constituent dans un monde divisé, religieusement (juifs et non juifs), culturellement (grecs et barbares), socialement (esclaves et hommes libres, hommes et femmes...), économiquement (riches et pauvres). Si dans toutes ses lettres, Paul ne prend jamais son parti de quelque division que ce soit, c'est que pour lui l'enjeu est radical : il en va de l'identité même de l'Évangile, de sa réalité la plus profonde. Les hommes et femmes qui constituent l'Église ne peuvent plus se comprendre autrement qu'à partir de leur baptême qui les incorpore à ce qui déjà est l'avant-garde de la nouvelle création qui réoriente l'ensemble des valeurs de ce monde et qui inaugure un nouveau type de rapports humains.
Toute forme de ségrégation n'est pas seulement un phénomène malheureux qui affaiblit la vie ecclésiale, elle est la négation de ce qui en constitue le cœur, la négation de l'Évangile, elle détruit la vie intérieure la plus intime des chrétiens, puisqu'elle les sépare de la mort du Christ
Comment l'Église peut-elle témoigner de cette universalité du dessein de Dieu ? Le risque est grand en effet d'imaginer la vie ecclésiale sous le signe d'un universel déjà réalisé et d'occulter ainsi la véritable universalité divine. Or l'Église se relie d'une double manière à cet universel divin:
- d'une part, dans un geste de renoncement à l'universel. Il faut refuser de s'approprier cet universel au détriment des autres car Dieu n'est pas le Dieu de telle nation, de tel peuple, de tel groupe humain. D'autre part, ce geste de renoncement est aussi la reconnaissance de la particularité de la situation dans laquelle se trouve l'église : elle est toujours église locale, avec les limites et la précarité liées à un lieu précis, avec les faiblesses reliées aux conséquences de son péché dans l'histoire et aujourd'hui. Il faut donc faire un travail de deuil sur les représentations qu'une église locale, ou toute forme de communauté ecclésiale, pouvait avoir d'elle-même. Cette mort à soi-même se réalise dans toute vraie rencontre de l'autre, car elle amène à dire « je ne suis pas l'universel, je ne suis pas l'absolu »;
- d'autre part, dans un geste d'initiation qui donne à l'Église les moyens de s'ouvrir à la visée universelle que l'action de Dieu veut inscrire dans tous ses actes. Il s'agit en quelque sorte de permettre à cet « universel divin » de gagner du terrain dans l'Église, d'y ouvrir de nouveaux chantiers, de permettre à la vie ecclésiale de se laisser initier à cet universel de l'amour divin, non pas pour elle-même, mais comme champ d'expérience dans l'humanité.
Reprenons cela en termes de « fraternité universelle ». Comment l'Église-fraternité peut-elle être sacrement de la fraternité universelle ? Comment ne pas identifier trop vite l'état actuel de l'Église avec la fraternité déjà réalisée ? La distinction entre les deux types de fraternité que l'Église s'éclaire dans la double interprétation possible de Mt 25. Le Christ s'identifie « aux plus petits qui sont nos frères »; qui sont ces plus petits ? Ses disciples, qui se sont faits petits pour accueillir les dons de Dieu ? Ses frères en humanité dont il se fait solidaire ? Ou bien plutôt ne serait-ce pas les uns et les autres ?
Disciples du Christ, les chrétiens doivent vivre ensemble du don de Dieu qui les rassemble en frères au cœur même de leurs diversités et de leurs divisions ; toute forme de vie doit vérifier la qualité de sa dimension fraternelle ; la vie religieuse, type même de la vie chrétienne, se construit d'ailleurs justement autour de cette vie fraternelle qui naît de l'écoute de la Parole de Dieu. Cette fraternité est une fraternité sacramentelle qui ne renferme pas l'Église sur elle-même, mais la met au service de la fraternité entre les hommes.
La fraternité en humanité sera dévoilée à la fin des temps et, déjà, se cherche sous des formes les plus diverses. Elle apparaît par exemple dans les différentes actions et collaborations auxquelles participent les chrétiens.
Pourtant ces deux fraternités ne se recouvrent pas ; dans notre vie terrestre, elles restent en tension. Mais l'Église ne peut devenir Église sans qu'elles n'interfèrent l'une avec l'autre et il n'y a de processus de vie ecclésiale sans une interaction. L'Église est appelée à être « sacrement de l'union intime avec Dieu et de l'unité du genre humain ». Pour cela, il lui faut d'abord faire l'expérience dans sa propre vie de la fraternité des disciples du Christ (fraternité des baptisés, fraternité sacramentelle des prêtres, fraternité religieuse). Par ailleurs, des chrétiens, personnellement ou en groupes s'engagent dans une recherche de fraternité avec « les plus petits », fraternité concrète qui a ses exigences propres. Le lien entre ces deux formes de fraternité ne va pas de soi, il est source de heurts, de tensions, d'incompréhension mutuelle ; et il est incontournable dans toute vie ecclésiale2.
Contempler l'universalité du dessein de Dieu, c'est contempler l’œuvre de l'Esprit Saint dans l'Église et dans l'humanité. Comment comprendre ce travail de l'Esprit à partir de la distinction entre Église et humanité ? Il peut être ambigu de le faire, comme si l'Église, c'était nous, et l'humanité, les autres : et comme si l’œuvre de l'Esprit dans l'Église et son oeuvre dans l'humanité étaient deux oeuvres distinctes. L'Esprit est bien plutôt Celui en qui tout ce qui est oeuvre de Dieu communique: l'Esprit agit dans l'Église à laquelle nous appartenons comme il agit dans l'humanité dont nous faisons partie. De même que le Christ est la Tête de son corps mais aussi la Tête de l'univers, de même l'Esprit est à l’œuvre en l'Église mais aussi en l'univers. Il est celui en qui communiquent ce qui se passe dans l'Église et ce qui se passe dans l'univers. L'Esprit Saint fait de la vie ecclésiale un apprentissage de la communion aux dons de Dieu, source de fraternité, prémices de la communion des saints et de la vie éternelle. L'Esprit Saint ouvre dans l'humanité l'apprentissage de ce qu'elle a à vivre pendant cette vie terrestre, l'apprentissage de la solidarité entre des frères en humanité. L'Esprit est celui en qui se vit ce double apprentissage, il est à la jonction de ces deux fraternités.
13.2 2. La dynamique de catholicité dans l'Église |
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Que nous apprend la vie ecclésiale aujourd'hui ? Quelle dynamique de catholicité se fraye-t-elle un chemin dans l'Église ?
La coopération entre Églises locales prend des formes variées selon les initiatives de chaque communauté. Une des plus fortes symboliquement a été la mise en place d'échanges de prêtres entre églises. De quoi s'agit-il ? Le 21 avril 1957, le Pape Pie XII envoie une lettre aux évêques du monde entier pour leur rappeler qu'ils ne peuvent garder pour eux le « don de la foi » qu'ils ont reçu ; il leur propose comme forme de partage possible l'envoi de prêtres de leurs diocèses dans d'autres églises du monde ; il souligne en même temps que ce qui est en jeu, ce n'est pas seulement une entraide entre églises mais qu'il y va de la nature même de l'Église dont la vie « se présente comme un échange de vie et d'énergie entre tous les membres du corps mystique du Christ sur la terre » et de la nature de l'épiscopat qui fait de chaque évêque celui qui doit prendre part à« la sollicitude de toutes les Églises ». Le Concile de Vatican II relaie cet appel en le mettant en relation avec le ministère presbytéral : même s'il ne peut y avoir d'ordination sacerdotale sinon reliée à l'incardination dans un diocèse, « le don spirituel que les prêtres ont reçu à l'ordination les prépare, non pas à une mission limitée et restreinte, mais à une mission de salut d'ampleur universelle... Ainsi les prêtres... se tiendront prêts à partir volontiers... pour exercer leur ministère dans des pays... »3. Le 25 mars 1980, le document Postquam Apostoli précise les directives concernant la collaboration des Églises particulières entre elles ; et la base de ces échanges est commentée par Jean-Paul II en 1993.
« Après une large consultation, a ensuite été promulgué le document Postquam Apostoli (25 mars 1980), destiné à préciser les directives pour la collaboration des Églises particulières entre elles, et spécialement pour une meilleure répartition du clergé dans le monde.
Ces initiatives « d'échange » entre les diocèses répondent à une exigence primordiale de la communion ecclésiale. Réalisée par l'Esprit et exprimée de façon plénière dans la célébration eucharistique « légitime », cette communion a besoin de se manifester dans la vie concrète, par des personnes qui prennent effectivement en charge les souffrances et les besoins de leurs frères. N'était-ce pas la manière de faire des premières communautés chrétiennes ? Toujours disposés à se réjouir de la foi de leurs frères (Rm 1,8 ; Th 1,7), ses membres se montraient prompts à souffrir de leurs tribulations (2 Th 1, 4) et à subvenir à leurs besoins par l'envoi de personnel (Ac 13,3) et d'aides matérielles (Rm 12,25-28).
Le même style de vie doit caractériser les communautés chrétiennes d'aujourd'hui : il ne s'agit pas d'une collaboration à sens unique, mais d'un échange. En effet, comme le précise le document Postquam Apostoli, « il existe une véritable réciprocité entre les deux Églises (celle qui donne et celle qui reçoit), car la pauvreté d'une Église qui reçoit de l'aide enrichit l'Église qui se prive en donnant, et elle le fait en rendant plus vigoureux le zèle apostolique de la communauté plus riche, et surtout, en communiquant ses expériences pastorales, souvent très utiles »4.
Cet échange de prêtres fidei donum entraîne avec lui bien d'autres formes d'échanges : ceux de volontaires laïcs, ceux qui se font entre communautés religieuses, les collaborations entre églises locales, avec le jumelage de diocèses ou autrement C'est bien d'échanges qu'il s'agit alors et non pas d'aides unilatérales ; c'est bien d'une coopération qu'il s'agit, d'une synergie, même si l'échange n'est pas à égalité et si certains ont à donner de leurs richesses et d'autres de leur pauvreté. Cela se traduit jusque dans le vocabulaire, puisqu'on ne parle plus d'« Église mère, et d'"Église fille", mais d'"Églises sœurs" ».
Dans le cadre de ces coopérations il faut signaler la croissance très rapide des «envois en mission» venant des jeunes églises, qu'il s'agisse d'échanges entre Églises d'un même continent, ou bien d'échanges intercontinentaux, sans que l'on puisse encore percevoir nettement les fruits qui vont jaillir de ces échanges.
L'éveil missionnaire de l'Église vécu dans les églises locales a pu fragiliser pendant un temps le rôle des instituts missionnaires : ils ont pu paraître dépossédés de ce qui était leur charge propre dans la vie ecclésiale. Certains instituts ont pu vivre dans la perspective d'une « mort annoncée ». Et pourtant certaines nouvelles « vocations missionnaires » sont venues ; et parallèlement, les instituts ont été amenés à réévaluer leur situation dans l'Église, tant dans leur finalité que dans les moyens à prendre pour tenir compte de ce changement radical de la donne missionnaire. Que dire de ces transformations ?
Notons d'abord ce qu'exprime le choix de ceux qui s'engagent ainsi dans ces instituts : « il est tout à fait exact de dire que là-bas et ici, c'est la même mission ; il n'est pas exact de dire qu'être missionnaire chez soi et être missionnaire à l'étranger, c'est la même chose… Ce serait oublier qu'aujourd'hui encore, le départ d'un missionnaire est une démarche qui engage toute une vie, une aventure humaine et spirituelle, entreprise avec l'Église et au nom de l'Église »5. Il ne s'agit pas là d'un simple appel au départ, il s'agit d'une vocation qui se reçoit tout au long de la vie et la mène patiemment à son unification.
Quant aux instituts dans lesquels s'inscrivent ces démarches missionnaires, comment vivent-ils leurs nouvelles relations aux Églises locales dont le Concile de Vatican II avait mis en relief l'importance dans le mystère de l'Église: « c'est dans les Églises particulières et à partir d'elles qu'existe l'Église catholique une et unique »6 ? Pendant tout un temps une valorisation unilatérale de l'Église locale a ouvert la voie à une certaine autosuffisance de ces églises: « Malheur à l'église qui, à force d'être locale, perdrait sa distance prophétique… l'Église ne se définit pas par un lieu, mais par sa puissance de communion, par ce mouvement vers l'autre… Elle sort continuellement de toutes ses incarnations et inculturations… L'homme biblique est à la fois le citoyen d'un Royaume et l'étranger en route »7.
Dans cette perspective, se profile le double rôle des instituts. Tout d'abord ils sont appelés à maintenir le dynamisme de l'Église qu'exprime le départ d'ouvriers de l'Évangile. Ils le font aujourd'hui non seulement et d'abord en lançant l'appel au départ, mais en accompagnant l'aventure du déracinement et de l'enfouissement, de l'engagement dans un environnement culturel, social, ecclésial autre que celui de la société d'origine. En effet la manière même de se déraciner et de s'engager dans ce nouveau contexte est déjà témoignage donné à l'Évangile. Par ailleurs les églises locales accueillent des hommes et des femmes façonnés par la mission Ad Gentes ; et ceux-ci vont apporter quelque chose de spécifique à ces églises, les provoquer à entrer elles-mêmes dans cette dynamique apostolique. Le rôle des instituts peut alors se concevoir comme l'accompagnement de cette spécificité missionnaire. « Il faudrait sans doute appliquer, à l'intérieur des Instituts missionnaires, le principe qui sous-tend toute l'argumentation de Redemptoris missio relative à la vocation spécifiquement missionnaire… pour qu'un Institut missionnaire soit fidèle à sa vocation spécifique, il est nécessaire qu'à l'intérieur même de l'Institut certains soient engagés dans des tâches qui représentent ce qu'on pourrait appeler la fine pointe du charisme de l'Institut, à savoir une activité spécifiquement missionnaire Ad Gentes »8.
1 Maurice Pivot, Op. Cit, pp. 177-188.
2 Cf. J-M. Tillard, L’Eglise locale.
3 Cf. C. Royon et R. Philibert, Les pauvres, un défi pour l’Eglise, Editions de l’Atelier, Paris, 1994, 461-468 et 529-548.
4.Presbyterorum ordinis, § 10.
5. Documentation Catholique, n°15 (1993), p. 306.
6. R. Rossignol, in Spiritus 127, p. 216.
7. Lumen Gentium, § 23
8. L. Legrand, Spiritus 102, pp. 66-67.
13.3 3. Les horizons immenses de la mission 1 |
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Voyons maintenant certaines des pratiques de ces dernières années, avec une attention pour l’ouverture des formes nouvelles de mission à travers le document Redemptoris Missio (R.M.).
1. Les trois catégories en rapport avec la foi.
En premier lieu, il y a ceux qui ont reçu l’évangile et qui participent à la vie de l’Eglise. L’Eglise exerce parmi ceux-là son évangélisation pastorale. Elle consiste à soigner, nourrir et approfondir l’identité chrétienne et l’esprit missionnaire.
En second lieu, il existe des nations et des groupes qui n’ont jamais reçu la Bonne Nouvelle et l’Eglise n’a pas encore pris racine chez eux. Ils forment la grande majorité de la population de la terre. La mission de l’Eglise envers ce second groupe s’effectue à travers l’Evangélisation ad gentes. Elle s’appelle aussi la première proclamation, ou l’évangélisation primaire ou encore l’évangélisation de base. Il y en a encore d’autres qui préfèrent l’appeler évangélisation missionnaire. Et bien d’autres encore l’appellerait simplement évangélisation.
En troisième lieu, il y en a qui sont des chrétiens baptisés, mais qui, aujourd’hui vivent comme si la Bonne Nouvelle n’ a aucun impact sur eux. La mission évangélisatrice de l’Eglise auprès de ce troisième groupe s’appelle la Nouvelle Évangélisation. Cependant, le terme ‘Nouvelle Evangélisation’, contient tout un programme de vie chrétienne dans le monde d’aujourd’hui et il est riche de signification.
Les trois activités- le soin pastoral, la mission ad gentes ou première proclamation et la Nouvelle Évangélisation – ne sont pas des compartiments cloisonnés. Elles se complètent et elles sont interdépendantes. Parmi elles, la mission ad gentes est pour l’Eglise la priorité numéro un. Cela signifie que si l’Eglise fait face à cent et une occasions pour remplir sa mission et que si l’une de ces missions se trouve être la mission ad gentes, alors l’Eglise abandonnera certainement les nonante-neuf (si nécessaire) et choisira d’abord la mission ad gentes, parce que par nature, l’Eglise a un Amour préférentiel pour la mission ad gentes.
2. Les trois catégories en rapport avec le type d’évangélisation ad gentes.
Premièrement, l’aspect territorial ou géographique du ministère ad gentes. Des contrées immenses dans tous les continents doivent encore recevoir la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.
Deuxièmement, l’aspect social. Parce que maintenant il y a des changements rapides qui s’opèrent en société et plusieurs défis s’élèvent contre la mission ad gentes. Des centres urbains qui se développent rapidement, plusieurs situations nouvelles et complexes sous d’innombrables étiquettes, une pauvreté galopante, un monde de jeune en plein essor etc., tout cela constitue le contexte social de la mission ad gentes.
Et troisièmement, l’espace sans frontières vu dans la nouvelle aérophagie ou de nouvelles contrées qui offrent d’immenses possibilités à la mission ad gentes. Parmi ces mouvements ou ces milieux culturels modernes qui exigent la mission, nous pensons particulièrement au monde de la communication sociale qui transforme profondément la vie post-moderne, à la culture scientifique et technique, à l’Internet, à l’engagement pour la paix, les droits de l’homme, la libération, la sauvegarde de la création…
3. Les critères ethniques et culturels.
Pour s’assurer des contours du monde de la mission ad gentes de plus en plus en expansion, la R.M. applique les critères ethniques et culturels aux trois différents contextes de mission qu’elle cite en rapport avec la foi, et en rapport avec le type d’évangélisation ad gentes. Evidemment, elle met son accent non pas sur des individus comme tel mais sur des groupes ethniques et culturels. A ce stade, nous pouvons ajouter que le mot ‘culture’ est entendu non pas dans son sens anthropologique mais dans ses aspects intellectuel, scientifique, technique et ceux liés au développement moderne.
Les trois contextes en rapport avec la foi (ceux qui ont accepté La Bonne Nouvelle, ceux qui l’attendent encore, et ceux qui vivent comme s’ils n’étaient pas des chrétiens baptisés) peuvent être vérifiés dans les trois autres contextes, notamment en rapport avec le type d’évangélisation ad gentes. Par exemple, on peut trouver des gens qui n’ont pas reçu l’Evangile ou qui ont besoin d’un suivi pastoral ou qui sont objet d’une nouvelle évangélisation soit dans la même contrée géographique, ou dans la même situation sociale (comme l’urbanisation), ou dans la nouvelle aérophagie du monde de la communication. Ce n’est pas facile de trouver des lignes de démarcation pour ces trois catégories et situations dans un monde qui, rapidement, est en train de devenir un monde multiculturel.
1. Le contexte géographique ou territorial
Il y a des pays au monde où la grande majorité de la population est non-chrétienne. C’est le cas, par exemple, de presque tous les pays d’Asie, sauf les Philippines et dernièrement aussi Le Timor oriental. Cela est aussi vrai pour l’Afrique, l’Amérique Latine et l’Océanie- où des vastes régions sont encore non-évangélisées et prête pour la mission ad gentes.
En appliquant à ce contexte géographique ci-haut, la RM a établi deux principes supplémentaires importants.
La présence dans les groupes ethniques : D’abord, ce n’est pas assez que l’Eglise soit présente seulement dans un pays ou une unité géographique, elle doit être aussi présente dans les différentes composantes ethniques de cette unité.
« La mission ad gentes se distingue des autres activités de l’Eglise par le fait qu’elle s’adresse à des groupes et à des milieux non chrétiens parce que l’annonce de l’Evangile et la présence de l’Eglise y ont fait défaut ou ont été insuffisantes. » (R.M 37)
L’Inde, le Soudan, … sont des exemples de ce premier principe supplémentaire. Même si l’Eglise a des institutions et autres structures dans ces deux pays, des populations entières et groupes ethniques n’ont jamais été évangélisés, ou même si quelques-uns ont été évangélisés, la présence de l’Eglise reste encore inefficace sur les cultures dominantes.
La capacité à rendre témoignage : Le deuxième principe supplémentaire concerne la capacité des communautés ecclésiales elles-mêmes à rendre témoignage. En rapport avec ceci, quatre éléments doivent être considérés :
L’absence du caractère indigène de l’Eglise : C’est le cas dans certains pays musulmans de l’Afrique du Nord. Il y a des paroisses et des structures diocésaines. Mais les communautés chrétiennes là bas sont composées d’un personnel étranger. La mission ad gentes peut s’appliquer dans un tel contexte.
Des communautés numériquement très petites :même là où il y a de présences chrétiennes, le nombre des catholiques peut être très petit ou insignifiant. De telles présences aussi s’inscrivent sous la mission ad gentes. En plus du fait qu’ils sont réduits numériquement, bon nombre de catholiques là bas sont des immigrants venus d’autres parties du pays.
Manque de dynamisme : Il y a des communautés qui peuvent être numériquement grandes mais n’ayant aucun zèle ou enthousiasme pour proclamer la Bonne Nouvelle. De telles communautés aussi offrent des cadres pour la mission ad gentes.
Présence minime et dispersée : Il y a des exemples des communautés où le nombre des catholiques est tellement minime et ils sont tellement dispersés sur l’ensemble du pays que l’impact chrétien est également minime et dispersé sans efficacité. Telles sont par exemple les communautés chrétiennes de Laos, Bangladesh, Pakistan et Thaïlande. Celles-ci aussi doivent figurer sur la liste de la mission ad gentes de l’Eglise.
2. Des contextes sociaux nouveaux et complexes
Des changements incroyables sont en train de s’opérer dans la société partout au monde. Par conséquent, des contextes sociaux nouveaux et complexes voient le jour. Un nombre grandissant de villes, pauvreté galopante, une migration des populations, une jeunesse grandissante, des réfugiés, de nouveaux styles de vie et les coutumes et comportements, pathologies de toute sorte, etc. lancent de nouveaux défis à la mission ad gentes de l’Eglise.
Les Emigrants et les Réfugiés
Le nombre croissant des émigrants et des réfugiés exige des moyens innovateurs pour leur apporter la lumière de l’évangile. Le nombre des non chrétiens parmi eux devient plus grand dans plusieurs pays de tradition chrétienne. L’Eglise là-bas doit faire face à un défi pour répondre d’une manière innovatrice à des telles situations de la mission ad gentes.
A cet égard, la conscience de vivre dans un monde toujours plus globalisé, mais en même temps toujours plus "traversé" par les diversités, - culturelles, sociales, économiques, politiques et religieuses – présente de nouveaux défis à la formation humaine, dont la principale est l’éducation à la coexistence dans les milieux pluriculturels et religieux. C’est pourquoi il faut trouver les clefs de solutions au difficile problème de l’harmonisation de l’unité – indubitable - de l’humanité, avec la diversité des peuples, des ethnies, des cultures, et des religions qui la composent. Cela implique de pratiquer l’accueil de l’autre, ainsi que la culture du dialogue et de la réciprocité, de la solidarité et de la paix. Cela sera possible dans la mesure où nous découvrirons des valeurs culturelles communes valides partout. Catholicité, universalité, multi-ethnicité et pluralisme culturel sont donc les caractéristiques que l’Eglise assume, avec discernement.
Témoins de l'amour de Dieu auprès d'enfants et de jeunes à risque 2
Dans un pays en guerre comme la République Démocratique du Congo, nous sommes tous les jours confrontés avec les plus faibles de ce monde, les premières victimes de la pauvreté et de la violence : les enfants de la rue, appelés de préférence "enfants à risque".
L'annonce du salut aux enfants et jeunes à risque dans le contexte congolais au début de ce nouveau siècle pose ses exigences. L'enfant est victime d'une situation de famille en crise où certains membres ont fui leur responsabilité; il se trouve en contact avec des éléments de plusieurs cultures qui se présentent à lui sans explication de sens et il cherche des solutions à des problèmes concrets, spécialement à la pauvreté de chaque jour.
1. Le défi de la pauvreté
Etre des témoins de Jésus qui a fait un choix pour l’homme le plus faible
Tous ceux qui sont en contact direct avec les enfants à risque sont avant tout touchés par le cri de la pauvreté de ces jeunes et ils constatent que leur horizon de vie se limite à la recherche de l'immédiat pour survivre en se rendant compte de la manière dont cette misère détruit beaucoup d’entre eux. Ils manquent le plus essentiel de la vie : la nourriture, les vêtements, les soins de santé. En observant avec les yeux de Don Bosco la situation de ces jeunes vivant dans les rues des villes africaines, nous nous sentons interpellés pour rendre plus consistante et qualifiée la présence parmi les pauvres.
L’Evangile, spécialement dans la parabole du bon Samaritain (Lc 10,31-32) appelle chaque chrétien, spécialement nous qui sommes engagés dans l’éducation, à s’occuper sérieusement de ces jeunes vivant dans la rue en évitant l’attitude du prêtre et du lévite. Au lieu de "passer à bonne distance" d'une humanité "à moitié morte" et laissée en bordure du monde, il s'agit ici de se souvenir de la prévenance de Dieu qui, comme le suggère le samaritain de l'Evangile (Lc 10, 34), s'est approché de tout être humain en tissant définitivement des liens d'alliance (Is 54, 15) avec lui en Jésus-Christ (Jn 1, 14). Sur ce fondement suprême, nous sommes appelés de nous solidariser avec la lutte des jeunes à risque qui aspirent à passer des situations de mort à des situations de vie. Ce qui est en cause, c'est l'utopie de Dieu en Jésus-Christ au milieu de ceux qui sont les exclus du festin de la vie. Il s'agit d'assumer le rêve qui travaille le Dieu de la révélation qui "se tient à la droite du pauvre" (Ps 109, 31). Dans cette perspective, il nous faut revendiquer la prétention de prendre l'Evangile au sérieux en investissant son potentiel libérateur dans notre expérience de la mission en terre africaine. L'enjeu de cette recherche, c'est la réponse à l'Esprit qui nous envoie pour être témoins de l'amour de Dieu auprès de ceux qui sont méprisés, précarisés et marginalisés. Chacun de ces jeunes qui nous entourent dans les centres d’accueil et de formation est ainsi un visage de Jésus-Christ qui nous interpelle. Il s'agit ici d'avoir des yeux qui lisent au fond des êtres. Pour cela, il faut apprendre à se taire, laissant Dieu agir et l'Esprit nous pénétrer afin de se laisser accueillir et écouter en sachant qu'on est pris au sérieux seulement au moment où l'homme laissé au bord du chemin découvre que ces éducateurs, laïcs et religieux(es), ce sont des signes concrets de Jésus-Christ qui a fait un choix pour l’homme le plus faible, l'exploité, à travers ses disciples et ses envoyés qui acceptent de voir les choses de ce point de vue et de descendre dans l'arène pour que la vie de ces jeunes change.I
C’est dans ce sens que "le Chapitre Général 23 des Salésiens a désigné la pauvreté comme un des principaux défis pour notre mission spécifique en rapport avec l'éducation des jeunes à la foi." II "L'action salésienne, quel que soit le milieu où elle s'exerce, comprend toujours l'annonce du Christ, la sollicitude pour le salut éternel de la personne. Dans chaque initiative de prévention, formation ou récupération, cela constitue toujours l'intention et le but principal, même si peut-être son explicitation progressive s'effectue au fur et à mesure que les destinataires deviennent capables de l'accueillir."III Notre approche comme évangélisateur commence avant tout avec "la rencontre, capable d'assumer la souffrance et l'espérance du jeune, de soutenir sa volonté de conversion, d'approche aux signes de Dieu et de l'Eglise. Le salut est annoncé et réalisé quand on crée une situation dans laquelle le jeune est libéré de ce qui conditionnait négativement ce qu'il y a de mieux dans sa vie; quand au contact avec les personnes qui lui témoignent un amour désintéressé, il découvre la valeur et les possibilités d'épanouissement."IV L’éducation de ces jeunes ne s’arrête pas à donner le minimum de vivre, mais doit donner un sens au travail, créer un sens de solidarité avec les autres autour de lui. Ainsi on développe en lui un sentiment de dignité humaine en prenant sa propre vie en main avec une force de vie et avec une espérance que Dieu appelle chacun parmi eux pour être un signe de son amour pour tous les hommes.
2. Le défi des enfants en rupture familiale
Témoigner d’un Dieu qui les aime et les appelle à être l’ami de son Fils
Le document de l’Episcopat congolais pour une nouvelle évangélisation au Congo nous montre bien que l’évangélisation des jeunes se passe avant tout dans la famille. Etant le premier milieu vital où grandit tout homme, celle-ci doit être transfigurée par la Bonne Nouvelle du Christ. La famille chrétienne voulue par Dieu est le fruit d'un lien d'amour indissoluble entre l'homme et la femme. Elle est le lieu où toute vie humaine est accueillie et respectée comme un don de Dieu à l'humanité. Mais en contact avec les enfants à risque nous nous réalisons qu'un bon nombre de familles chrétiennes ne reflètent pas toujours les attitudes conformes à leur vocation. Perturbées par la désarticulation de la société traditionnelle, la parenté et la solidarité clanique ont beaucoup perdu de ces éléments positifs. il en est résulté des comportements de parasitisme et l'esprit de profit, de paresse et d'oisiveté, d'égocentrisme et d'exploitation de parents qui ont travaillé et sont aisés, de népotisme et d'esprit de coterie, de tribalisme et d'ethnocentrisme exacerbés, d'irresponsabilité dans la gestion des biens communautaires. Tous ces éléments négatifs ont ces derniers temps contribué ici et là à l'abandon des vieillards, vus comme mauvais sorciers, à la brutalité contre des veuves et des orphelins ainsi qu'à leur dépouillement, au phénomène des enfants de la rue.V
Devant nos destinataires, parfois définis comme des enfants en rupture familiale, nous sommes confrontés à une double réalité. Celle de la famille comme espace naturel de croissance, d’éducation, d’insertion sociale, et celle de la famille comme ensemble de relations qui ont mené d’une manière ou d’une autre l’enfant à une situation de rue, ou encore comme réalité qu’on refuse, qui menace, qui fait peur.VI L’enfant est sans famille suite à des événements divers : aucun des liens de sang n'implique une relation de responsabilité. Il nous arrive de constater la dissolution de tout lien familial original ou, à un moindre degré, l’incapacité de ces liens à assumer une quelconque responsabilité éducative vis-à-vis de l’enfant.VII
Parler de la famille comme premier lieu d'évangélisation pose des problèmes dans le milieu des enfants à risque. Nous devons être conscients de l'expérience personnelle et de l'image négative de la famille chez ces enfants à risque. Présenter l'Eglise comme Famille de Dieu dans la prédication ou la catéchèse peut faire surgir des difficultés de compréhension et engendrer des sentiments négatifs chez ces jeunes. Mais l'expérience d'une atmosphère de famille, un climat d'attention, d'accueil et de dialogue peut apprendre à l'enfant et au jeune dans nos centres le vrai sens chrétien d'une famille de Dieu. Cette expérience de communauté dans les centres d'accueil et de formation et la participation aux CEV’s (communautés d'Eglise Vivante) et aux mouvements doivent aider les jeunes à dépasser leur expérience négative de la famille et à adopter une attitude ouverte à un esprit de famille comme signe d'une communauté des croyants qui cherche le partage, la solidarité et la communion.
L’image d'une Eglise-Fraternité peut certainement nous aider à mieux expliquer aux jeunes à risque le sens de l'Eglise comme lieu de communion. Au sein de l’Oeuvre Maman Marguerite, les expériences de fraternité et de solidarité des jeunes entre eux et de confiance reçue de la part de leurs éducateurs les aident à comprendre le sens profond d'être Eglise, de vivre comme frères et sœurs dans un esprit d'amour et de joie. C'est cette expérience d'être aimé qui est le fondement de notre mission éducative chez les jeunes, spécialement les plus pauvres, qui sont nos frères et nos amis. Don Juan E. Vecchi nous l'écrivait : "Chaque jeune porte personnellement les signes de l'amour de Dieu dans la volonté de vivre, dans l'intelligence et dans le cœur. La pauvreté, qui empêche les jeunes de croître comme personnes et fils de Dieu, est un appel et un défi pour leur restituer la conscience de leur propre valeur et pour faire émerger les dons dont le Seigneur les a comblés. Les jeunes pauvres ont donc été et sont encore un don aux Salésiens. Le retour vers eux nous fera récupérer la caractéristique essentielle de notre spiritualité et de notre praxis pédagogique: le rapport d'amitié qui crée la correspondance et le désir de grandir." VIII Cette attention pour des rapports d’amitié et de fraternité avec les jeunes aide à créer une atmosphère de famille où une expérience de communion, de joie et d’optimisme peut les aider à mieux comprendre le sens concret d’une Eglise Famille de Dieu. Ces relations d’amitié parmi les jeunes entre eux et avec leurs éducateurs étaient pour Don Bosco l’expression d’une relation plus profonde du jeune avec Jésus, l’ami des jeunes.
3. Le défi de la sorcellerie
Témoigner de la puissance du Ressuscité comme force de transformation dans la vie
Un bon nombre d’enfants à risque a été victime de sorciers, a été accusé de pratiques de sorcellerie ou en a régulièrement entendu parler à travers des récits. L'approche de ce problème de la sorcellerie dans certains milieux protestants, spécialement dans des églises pentecôtistes, a accentué l'importance et le danger de la sorcellerie et de certaines pratiques de la tradition africaine dans la région.
Une vraie évangélisation en profondeur dans le milieu des enfants de la rue en Afrique exige une analyse critique de la croyance à la sorcellerie. L'analyse, qui est un préalable nécessaire à l'inculturation de la Parole de Dieu, doit s'efforcer de démonter les mécanismes de cette croyance qu'engendrent le subconscient collectif et les structures mentales de pensée et de vie. C'est dans cet ordre d'idées que nous signalons ici quelques champs d'évangélisation qui sont des lieux de lutte et de domination entre individus et groupes humains, des lieux d'interaction des forces hostiles à l'épanouissement de la vie.
Le langage et l'idéologie de la sorcellerie sont pleins de significations. Leur analyse révèle des zones de frustration, des foyers de tensions et de conflits latents et réels dans les relations sociales. Le poids du rêve et de l'imaginaire onirique joue un rôle important dans les croyances à la sorcellerie et à l'action des forces du mal. La vision nocturne, croit-on, est un séjour dans le monde invisible; elle provoque la peur et la suspicion. Le message onirique reçu se laisse interpréter sous forme d'avertissement. Alors, la relation entre le décès, la maladie, l'échec, la peur de l'agression et la sorcellerie se fait authentique. L'omniprésence de la mort demeure dans le subconscient. Dans ce même cadre, le rêve est aussi un langage à comprendre. Il révèle des schèmes de pensée, des structures de vie et de société. Et puisqu'il exerce un pouvoir réel sur les mentalités et les croyances, il importe de le soumettre à la critique pour mieux atteindre les structures mentales à évangéliser.IX L'homme congolais croit à l'existence de la force vitale qui vient de Dieu par l'intermédiaire des esprits et des ancêtres. Aussi tient-il la vie pour une valeur hautement sacrée qu'il faut accroître et renforcer en communiant aux forces invisibles. C'est un bien très précieux qu'il faut conserver avec des fétiches et toutes sortes de protections. Les décès, les maladies, les échecs proviennent des forces du mal incarnées dans les sorciers. C'est pourquoi la croyance à la sorcellerie et au fétichisme surgit préférentiellement en temps de détresse. Ce sont des moments qui ne doivent pas échapper à l'évangélisation en profondeur, car ils manifestent, outre les catégories mentales, le milieu culturel, l'état des forces productives et les conditions matérielles de survie qui ne permettent pas à la population congolaise de maîtriser la vie.X
En travaillant chez des enfants à risque nous devenons conscients qu’ils ne sont pas venus de nulle part. Ils sont nés dans un foyer et dans un milieu social où la religiosité populaire a une grande influence. Dans la religion populaire cohabitent le fondamentalisme et le concordisme qui sont à la base d'erreurs et de fausses croyances dans les esprits des pauvres gens. Il faut analyser le langage et les expressions de cette religiosité pour y découvrir l'imaginaire social produit des structures de vie et de société. Il sera également nécessaire de dresser, dans une analyse critique, le portrait psychosocial des enfants qu'on dit initiés à la sorcellerie par des adultes et d'étudier en même temps le contexte social. Les motifs de la peur des sorciers sont dans le subconscient, dans les structures mentales et sociales qu'il faut discerner, analyser et évangéliser. Si ces structures ne changent pas, la croyance à la sorcellerie et au fétichisme ne disparaîtra jamais. L'éclairage de la science et de la foi démontre en même temps que cette croyance empêche l'homme de s'épanouir et d'accroître la vie.
Une évangélisation en profondeur doit tenir compte du contexte socioculturel. Nous sommes dans un contexte différent de celui du temps de Jésus et différent de celui du missionnaire du siècle passé. Aujourd'hui notre tâche s'accomplira dans la perspective d'une conversion, d'une transformation des mentalités, dans le but de toucher les critères de jugement, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie dont les enfants sont tant de fois victimes.
En outre, dans le processus d'inculturation, il faut éviter la surenchère ritualiste, soi-disant pour renforcer l'efficacité symbolique des sacrements, des sacramentaux et des exorcismes. En réalité, ce glissement ne fait que confirmer les gens dans leurs croyances et dans les structures de la peur. Une évangélisation libératrice doit, au contraire, aider notre peuple, spécialement les enfants et les membres de son milieu social, à approfondir sa foi, en lui apprenant à chasser par la conversion, la prière et la pratique de la charité les vrais démons incarnés dans son cœur, dans ses structures mentales et sociales. Libérer les gens de la croyance à la sorcellerie, c'est aussi les aider à discerner les signes des temps, à discerner ce qui plaît à Dieu, et à distinguer ce qui est conforme à l'Evangile de ce qui ne l'est pas.XI
Dans cette perspective nous sommes appelés à la prédication et à une catéchèse permanente et systématique de la foi chrétienne. Une catéchèse basée sur un choix de thèmes bibliques dicté par le souci d'un dialogue avec les valeurs centrales de la culture africaine et les éléments importants de la situation actuelle du milieu urbain dans lequel vit le jeune à risque. Un des thèmes importants est l'existence d'un seul Dieu, Etre Suprême, Créateur, Tout-puissant et Source de la vie. Selon la mentalité de la tradition congolaise, le monde invisible est peuplé d'esprits bons et mauvais qui exercent leur influence sur la vie des hommes. Grâce à l'histoire du salut révélé en plénitude en Jésus-Christ, on montrera aux jeunes à risque la souveraineté du Dieu de Jésus-Christ vis-à-vis de toutes les divinités. On insistera en particulier sur la victoire qu'il assure en définitive sur toutes les puissances du mal. On les formera à adresser directement - et avec confiance - leurs prières à cet unique vrai Dieu. Les jeunes doivent être invités à abandonner les pratiques objectivement médiocres au nom du Christ. Jésus est venu pour les sauver des puissances des ténèbres. Il est le Chef de la grande famille de Dieu. Il est venu établir un monde nouveau qui intègre et dépasse en même temps le monde des ancêtres.XII
Plus important encore est la présentation du Christ, ressuscité et vivant parmi nous. Sa puissance se trouve dans l'amour qui dépasse toute force du mal, tout danger, toute violence. La Bible souligne le fait que le mal ne vient pas de l'extérieur de l'homme, mais de son cœur: Jésus est catégorique à cet égard (Mt.15,11). Or nous avons constaté que les causes profondes des accusations de sorcellerie sont précisément "le cœur mauvais", le non-amour, la jalousie, l'envie, l'orgueil, la haine. L'homme est créé à l'image de Dieu: libre, responsable, chargé de gérer le monde (Gn. 1,26-29; 2,15) ; il peut dire "oui" au bien, mais il peut également dire "non" à Dieu (Gn 3, 6). Le péché des origines est un refus d'amour. Nos péchés actuels sont des refus d'amour. L'accusation de sorcellerie est un refus d'amour.XIII
Dès lors, quel message fondamental la Bible nous présente-t-elle à cet égard? Nous le dirons en un mot : c'est l'amour. L'amour est l'antidote qui nous permettra d'éviter les accusations de sorcellerie. Malgré notre péché, Dieu continue à nous aimer; il est un Père miséricordieux. Il est "pris aux entrailles", dit l'évangile de Luc (15,20). Son amour manifeste des connotations maternelles. En effet, les entrailles font allusion à la maman qui porte son bébé en elle. Les enfants sont les privilégiés de Jésus qui les accueille et les prend comme modèles du Royaume : "On présenta des enfants à Jésus pour qu'il leur impose les mains en priant. Mais les disciples les écartaient vivement. Jésus leur dit : "Laissez les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le Royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent." Il leur imposa les mains, puis il partit de là" (Mt 19,13-15; Mc 10, 13-1). Dans la mentalité juive, l'enfant était considéré comme un être insignifiant. C'est ainsi que les apôtres rabrouent "les gosses"! Mais Jésus n'est pas de cet avis. Pour lui un enfant, ça compte, c'est quelqu'un. Jésus donne même les enfants en exemple aux grandes personnes : ils ont l'Esprit Saint en eux et ne sont nullement sorciers. Cette parole de Jésus garde toute son actualité. C'est pourquoi l'expérience de vivre dans un milieu éducatif où l'enfant a l'expérience d'être respecté et aimé comme personne est la meilleure base d'une évangélisation en profondeur. Une telle façon de vivre parle plus fort que des mots.
4. Le défi de la violence
Annoncer un Christ souffrant sous la violence du monde, comme un ami qui a mal du mal de son ami
Un bon nombre d'enfants à risque est régulièrement victime, témoin ou acteur d'actes violents. Des expériences de violence se trouvent à plusieurs niveaux: dans la famille proche, entre les camarades du quartier, dans les rues en contact avec d'autres enfants à risque, par les images de violence à la télévision et enfin dans des expériences de situation de guerre ou comme enfants-soldats. Il ne s'agit pas d'une simple expérience du mal corporel, mais d’une blessure de l'homme au fond du cœur. Ce mal est appelé dans un sens plus large "la violence".
L'expérience de la violence peut être le point de départ d'un dialogue sur la souffrance, la douleur et le manque d'affection. "La violence naît souvent lorsqu'on a l'impression de ne pas être écouté, que la communication ne fonctionne pas, dans la famille ou dans le groupe. Lutter contre la violence, c'est apprendre à s'écouter mutuellement, à permettre à l'autre de dire ce qu'il ressent. Chaque fois que l'on développe un climat d'écoute, on fait reculer la violence. L'important, pour faire reculer la violence, c'est de savoir être à l'écoute de la souffrance de l'autre." XIV
Nous devons faire nôtre l'image du Christ qui accueille, regarde et écoute tous ceux qui souffrent, qui leur donne le pain et le poisson, et qui, souffrant avec eux, prenant sur lui le poids de leur croix, devient le pain vivant. Aller vers les enfants à risque qui ont l'expérience de violence dans cette attitude d'écoute et d'accueil, peut devenir ainsi un premier pas vers l'annonce du Christ solidaire avec ceux qui souffrent et qui sont victimes du monde africain dans lequel ils vivent aujourd'hui. Dans ce monde qui dans la tradition accueillait l'enfant comme un don, un signe de vie, la richesse de l'homme, la sécurité d'une vraie solidarité de famille, nous trouvons tant d'enfants victimes de violence, de jalousie, de haine. Dans leur faiblesse, ils sont victimes des accusations de tant de maux, exprimés par des actes physiques, des paroles et des signes qui ne les condamnent pas seulement en les chassant dans la rue, mais même en menaçant leur vie. Ils sont ainsi victimes de différentes formes de violence et deviennent à leur tour acteurs de violence se trouvant dans l'incapacité de s'exprimer autrement. Ils sont encore poussés dans cette direction en les confirmant comme dangereux, menaçant la sécurité des gens. Ils deviennent les boucs-émissaires d'une société en crise, sur qui certaines personnes jettent la responsabilité de tout le mal-vivre de la société africaine.
Heureusement, nous constatons aussi des signes positifs venant des chrétiens dans les Communautés de base, et dans les paroisses qui prennent la protection de ces enfants. Et si nos oeuvres de Don Bosco à Goma sont restées protégées contre le danger de la lave venant du volcan, les gens ont dit que c'est Dieu qui les avait protégées pour tout le bien qu'on y faisait pour les enfants. Y a-t-il un meilleur témoignage de la Bonne Nouvelle du Christ ressuscité? Dans ce monde de violence, dans la famille et dans la société souffrant de la violence de guerre et des forces de la nature, la mission est avant tout la présence proche de ceux qui en sont victimes ou témoins. C'est un signe libérateur d'un autre monde que nous devons re-créer ensemble en le transformant par nos actes d'amour pour les jeunes qui souffrent de toute forme de violence. C'est le premier pas vers une vraie mission.
Dans ce sens nous pouvons dire avec Jean- Marc Ela que "l'Eglise ne peut se contenter d'une attente pieuse et passive du retour du Christ dans la gloire. Elle doit travailler à bâtir le Royaume en se redéfinissant elle-même comme force de renouvellement et de transformation de l'humanité. C'est ce qui se cherche là où les chrétiens participent à la mission libératrice de Jésus dans un monde marqué par la violence et les forces d'iniquité où la Croix est la présence anticipée de l'avenir de Dieu? La prise de conscience de cet avenir incite à lutter pour un monde nouveau. Dès lors, la mission s'accomplit lorsque l'Eglise partage le destin de Jésus lui-même à partir de sa solidarité avec les pauvres. Il nous faut donc revenir au pied de la Croix pour redéfinir la mission comme prophétie selon le modèle de Jésus de Nazareth (Lc. 4,18-21). Dans les sociétés africaines où beaucoup de chrétiens investissent trop d'énergie dans le "divin" et dans la religiosité qui s'expriment sous des formes variées, peut-être doit-on retrouver l'actualité de ce modèle en prenant en compte les situations dramatiques qui éveillent un sentiment évangélique d'urgence eschatologique face aux problèmes d'injustice et d'oppression. Dans ce contexte, le Nouveau Testament nous révèle que la mission, c'est d'abord le Dieu qui vient. En d'autres termes, à partir de ce qui porte atteinte à la dignité de chaque être humain, en particulier des pauvres et des opprimés, ce qui est en cause, c'est la gloire de Dieu."XV
La question se pose alors de savoir "Comment pouvons-nous approcher les victimes, les témoins et les acteurs de la violence pour les conduire vers ce Christ, victime de la violence des hommes de son temps? Il ne suffit pas d'accompagner l'enfant-victime de la violence, mais il s’agit de s’occuper aussi des parents et du milieu social où il vit. Nous savons bien que la violence fait souffrir les trois groupes. Tous posent des questions comme "Qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce que j'ai fait pour que ce mal-là m'arrive?" Ce sont des questions posées par des personnes que la violence effraie, mais en même temps par celles qui l’ont produite. Il y a aussi un mélange entre peur et satisfaction, jouissance parfois. Présente partout dans le monde des hommes et certainement dans le contexte des enfants à risque, la violence n'en demeure pas moins incompréhensible pour qui pense que le vœu profond de l'humain fragile est de connaître le bonheur et la paix, durant le temps de vie qui est le sien. D'où vient, en effet, que l'homme, qui désire si intensément être heureux, s'acharne avec tant de constance à se rendre lui-même malheureux, ou à désespérer son semblable dans son attente légitime du bonheur? Cette violence est telle une force, sans mesure et sans loi, qui frappe et blesse l'âme aussi bien que le corps, et elle tue aussi bien en privant un homme de sa vie qu'en détruisant ses raisons de vivre.
Toute la Bible parle de cette violence dans la vie de chacun, dans l'histoire du peuple de Dieu.XVI L'Evangile indique une autre voie, celle du Christ: conversion vers la bonne violence, celle de la douceur, par la douleur. Non plus la violence de la perversion, de la négation de l'autre comme autre et pourtant mon proche, mais celle qui ouvre à la douceur persévérante, active, de la bonté. Car Dieu, en Christ, est un Dieu bouleversé, touché, un Dieu aux entrailles maternelles. Le Christ prend sur lui la douleur et la peine. Douleur provoquée par la violence, douleur provoquée par les méchants, douleur provoquée par les mémoires de l'absurde en nos vies. C'est aussi la douleur de Jésus devant ses disciples, ses amis pourtant, qui ne comprennent rien et vont s'enfuir quand il aurait fallu demeurer une heure avec lui.XVII Devant les enfants et les jeunes qui sont confrontés avec la souffrance et la douleur de la violence, le Christ sur la croix peut devenir l'homme qui leur fait comprendre et sentir que l'inespéré de l'amour est plus réel que la violence. La croix est une critique de la fascination de l'absolu de l'amour tout-puissant, triomphant de tout. Ce deuil de l'amour absolu est salutaire. Il rappelle que l'absolu n'est pas de ce monde, ni sous la forme de la morale, ni sous la forme du messianisme, ni davantage sous celle du politique. La croix joue comme un dévoilement de l'amour vrai et non telle la résolution de l'énigme de la violence. Que Dieu soit maltraité, que Jésus soit l'innocent assassiné, demeure aussi énigmatique que la violence subie par la victime, qui est ici l'enfant innocent que nous trouvons dans les rues de nos villes africaines d'aujourd'hui. Ce qui est exemplaire dans la passion de Jésus, ce n'est pas la souffrance en tant que telle, mais la passion de l'amour de Jésus pour ceux qui souffrent : il a donné sa vie pour nous parce qu'il nous aime tous. La mort sur la croix n'est pas, d'abord, un lieu sanglant, mais un lieu aimant, le sommet d'une vie. Douleur d'avoir aimé jusque-là, de ne rien en regretter, joie imprenable car, d'après le temps de la douleur provoquée par la puissance de l'amour offert, librement.XVIII
Il y a aussi un deuxième aspect dans cette mort du Christ qui peut donner une vie nouvelle et un monde transformé à ceux qui connaissent la souffrance. C'est la descente aux enfers. Les enfers sont, pour les contemporains de Jésus, et pour nous pareillement, le lieu du néant, de la désolation, qui n'en finit pas de finir et où il n'y a plus rien à attendre. Non pas tant la fournaise que l'extrême abandon esseulé. Descendre dans la mort, jusqu'en son fond, vient alors évoquer le mal de la violence, de ces désespoirs et chagrins. La douceur de l'amour de Dieu en son Fils descend jusqu'en ce lieu où il est enseveli. "Des profondeurs, j'ai crié vers toi Seigneur", prie le psaume 129. Comme s'il avait fallu que le Christ lui-même appelât, depuis ces abîmes, pour tous ceux, celles, qui, enfouis sous la peine, ne peuvent plus ni prier ni crier. Face au fardeau qui cherche toujours à entraîner vers la ruine, la descente aux enfers du Fils de l'homme affirme que, là non plus, il n'y a pas de fatalité. Dieu s'est mis là, s'est installé jusque-là. Devant les puissances de violence qui insinuent la mort dans la vie, qui cherchent à la placer, il extirpe chacun de son infernale fatalité. En face de la souffrance et la mort par la violence, Dieu pose la force de la douceur. Le Christ l'a exprimée en ne nous appelant plus serviteurs, mais amis. Bouleversante nouvelle, un Dieu ami des hommes, de tout homme, car c'est lui, pour confirmer cette extrême amitié, qui s'est dépouillé, ne nous demandant aucune sorte de salaire. Comme l'ami qui a mal du mal de son ami peut consentir à, désirer d'un grand désir, perdre sa vie, mais aussi la trouver, afin que son ami vive.XIX
La question se pose :"Comment mettre en pratique de manière ajustée, respectueuse et responsable cet excès que Dieu nous a confié?" Nous savons seulement qu'il faut le mettre en pratique, maintenant. Le choix entre la mauvaise violence de la mort insinuée dans la vie et la douceur de Dieu doit être fait dans nos manières précaires mais réelles, fragiles mais présentes, d'aimer, de croire, d'espérer, comme Lui. Comme éducateurs, à l'exemple de Don Bosco, nous sommes appelés à être témoins de cette douceur de Dieu en opposition avec la violence du monde dans lequel se trouvent les jeunes. Notre mission se trouve là où Dieu fait place aux hommes en nous donnant son esprit, un esprit d'amour. Don Bosco avait bien compris qu'être envoyé aux jeunes pauvres voulait dire remplir son cœur de bonté et de douceur pour que le jeune puisse vivre, aimer, espérer.
5. Le défi de la réconciliation
Proclamer la réconciliation que Dieu nous offre dans le Christ
Parler de la mission dans le milieu des jeunes à risque congolais n'est pas seulement leur annoncer la Bonne Nouvelle à eux, mais c’est le faire aussi à leur famille d'origine. Dans le travail avec les jeunes de l’œuvre Maman Marguerite, nous sommes confrontés avec le problème de la réconciliation avec les parents et les membres de famille qui les ont rejetés, qui les ont poussés vers une vie dans la rue, qui les ont parfois accusés d'être enfants-sorciers. Au-delà de l'aspect juridique et social, la réconciliation de Dieu va bien au-delà de tout forme de réparation, de satisfaction ou de correction de ceux qui ont fait le mal. Elle seule peut guérir les vies blessées et restaurer la dignité du blessé. Ayant reçu l'amour infini et incommensurable de Dieu, le chrétien peut se rendre compte que la grâce est plus grande que la loi des hommes. Annoncer la Bonne Nouvelle dans le monde des jeunes à risque est ainsi aider les jeunes et les responsables (parents, famille, éducateurs) à comprendre que le Dieu de la Bible est un Dieu de miséricorde. Ce message est une "Bonne Nouvelle" pour les pauvres, un message qui leur donne de la force pour affronter l'avenir. Dieu leur donne la possibilité de commencer une vie nouvelle.
Dans le Nouveau Testament, les termes que l'on traduit par "réconciliation" ou par "réconcilier" proviennent du grec populaire de l'époque et veulent indiquer la transformation d'une relation perturbée par un renouvellement de la communication et de la rencontre. L'usage du terme sous-entend donc que la réconciliation est un processus de transformation qui engage une interaction réciproque entre les deux partenaires. Elle demande une véritable rencontre. Dans le Sermon sur la montagne (Mt 5,24) le terme est utilisé pour le règlement des querelles entre membres de la communauté avant d'aller devant l'autel. Si la réconciliation des relations humaines est une démarche qui engage deux partenaires en conflit, toute réflexion sur une compréhension chrétienne de ce thème doit partir de la reconnaissance que la réconciliation est offerte unilatéralement par Dieu. La relation entre Dieu et l'humanité, déformée et brisée par le péché, a été restaurée à travers le Christ. Nous sommes appelés et invités à accepter la réconciliation que Dieu nous offre dans le Christ et à la proclamer au monde. A travers lui, de nouvelles relations s'établissent avec ceux qui acceptent son offre: les étrangers et les hôtes deviennent des concitoyens et des membres de la maison de Dieu (Ep. 2,19). Ce n'est pas par de simples négociations ou médiations que des divisions de famille, des conflits entre les parents et les enfants, de fausses accusations, etc. seront résolus. C'est quand tous les membres de la communauté, de la famille de l'enfant maltraité, accusé, renvoyé se tourneront ensemble vers Jésus-Christ que les relations à l'intérieur de la famille et du groupe pourront être restaurées. C'est l'amour de Dieu qui guide le chrétien vers le repentir et prépare la voie de la réconciliation. "C'est seulement quand nous sommes prêts à nommer nos fautes et nos omissions, seulement quand nous sommes capables d'admettre la souffrance causée par les injustices, que nous pouvons espérer nous libérer les uns les autres de ces fardeaux et trouver des chemins nouveaux pour l'avenir. La réconciliation qui vient de Dieu nous conduit dans la large vallée de la vie réconciliée après être passés par la porte étroite du repentir."XX
Annoncer la Bonne Nouvelle de la réconciliation et du pardon à des jeunes qui vivent dans un monde dont ils sont victimes, un monde ou les autres sont expérimentés comme concurrents, comme ennemis, comme exploiteurs n'est pas facile, mais c'est un pas nécessaire pour faire comprendre que Dieu se trouve toujours à côté de ceux qui souffrent, qu’il invite toujours le faible à recommencer quand il est tombé.
La réconciliation se réalise aussi sur un niveau plus large de la société et du globe. Les enfants sont aussi des victimes d'une mondialisation qui a brisé la société africaine. Les déplacés de guerre des cinq dernières années au Congo se trouvent dans les camps et dans les rues des grandes villes et des centres urbains. Le travail missionnaire parmi eux est un travail de réconciliation: il s'agit, en effet, de restaurer la dignité humaine et de guérir une société brisée. Il s'agit de dire la vérité, de rechercher la justice et de créer une nouvelle vision morale. Vraiment, il nous semble que la réconciliation pourrait être une métaphore, un mot d'ordre pour la mission en ce début du vingt-et-unième siècle. Dans un monde caractérisé à la fois par une interconnexion de plus en plus serrée par les moyens de communication comme l'Internet, et par une plus grande fragmentation à cause des conflits dans la région des Grands Lacs, nous avons les moyens de "briser le mur de la haine qui nous sépare" (Ephésiens 2,14).XXI
L’aérophagie moderne
Les secteurs culturels modernes offrent de vastes domaines d’application pour la mission ad gentes. Contrairement aux critères géographiques et territoriaux qui sont plus faciles à identifier, les critères culturels sont plus complexe et plus engageants. Comme Saint Paul qui en arrivant à Athènes avait visité l’aérophagie ou la municipalité qui était très influente là bas (Voir Actes 17 : 22-31), Jean Paul II invite l’Eglise à visiter plusieurs formes de l’Aérophagie moderne qui exercent beaucoup d’influences sur le peuple aujourd’hui.
Quelques-unes sont le monde de média, les gens travaillant pour la cause de la paix, le développement, la promotion de la liberté et des droits des individus et des communautés. Les domaines de la culture, de la recherche scientifique, des relations nationales et internationales qui promeuvent le dialogue, le monde politique, le monde de ceux qui sont à la recherche d’un sens à la vie, etc. sont aussi des contextes culturels qui exercent une influence remarquable sur la société. Ils sont sans frontière. Ils exercent une influence considérable de persuasion sur les peuples et ils modifient les cultures partout dans le monde.
Internet
Nous sommes en présence d’un outil de communication aux multiples possibilités et proprement révolutionnaire. Avec l’Internet nous assistons à une démocratisation sans précédent d’un outil de communication, grâce à son économie d’utilisation et sa facilité d’accès. Un médium qui conjugue à la fois l’art épistolaire, le journal, le bulletin, le magazine, la vidéo, l’audio, la place publique via les forums, la communication en direct via le « chat » ou même la téléphonie. Dans la suite des moyens de communication tels que l’imprimerie, la radio, et la télévision, l’Internet à son tour constitue un rendez-vous à ne pas manquer pour l’Église.
Essayons de voir qui est l’internaute qui se présente sur les sites Internet et, dans le cas qui nous intéresse, qui se présente sur les sites chrétiens. Tout d’abord, ce visiteur inconnu n’est pas sans visage, sans nom, sans histoire, ni dépourvu d’une recherche de sens.
Les sites chrétiens sur Internet sont parfois comme des cathédrales virtuelles. Pour certains visiteurs ils sont l’occasion de s’approcher, anonymement, de la vie de l’Église. Une occasion de poser des questions sur un forum ou service d’accompagnement spirituel. Des questions qu’ils n’oseraient jamais poser à leur curé! Le site leur offre une occasion soit de lire des textes sacrés, de fureter dans des livres religieux sans être vus ou même de laisser un graffiti injurieux sur la page d’un livre d’or. C’est déjà un premier pas vers un dialogue éventuel. Le visiteur a pu s’exprimer. Il a pu satisfaire une certaine curiosité, trouver réponse à certaines questions, avoir fait la connaissance d’un accompagnateur dans son cheminement ou même avoir laissé une prière.
Il est important que la communauté chrétienne considère tous les moyens pratiques d’aider ceux qui ont leur premier contact avec le message chrétien à travers Internet à passer du monde virtuel du « cyberespace » au monde réel de la communauté chrétienne.
Les sites Internet, en plus d’être des mines d’information, des lieux de regroupement pour des associations, peuvent aussi être des lieux de ressourcement, et tout particulièrement pour des chrétiens isolés. Je pense à cette chrétienne de Tunisie, seule en milieu musulman, me disant trouver sa principale nourriture spirituelle sur certains sites Internet.
Internet peut ainsi fournir le genre suivi que requiert l’évangélisation. En particulier dans une culture qui n’apporte pas un grand soutien, la vie chrétienne exige une instruction et une catéchèse constantes. Internet peut être ici d’une grande aide. Les sites peuvent ainsi être des lieux de catéchèse, de formation théologique : par exemple ce projet d’université sur Internet, DOMUNI (http://www.domuni.org), qu’ont mis au point les dominicains de Toulouse. Selon Pierre Babin, il est capital pour l’Eglise de mettre dans le réseau, non seulement sa doctrine, mais avant tout – à travers le son, l’image, le graphisme et l’interactivité-, la présence vivifiante du Christ. Si l’Eglise n’était pas dans l’Internet, elle se couperait du sens de l’histoire, elle renierait son esprit qui est celui de la communion universelle.
Les sites d’Internet peuvent ainsi être des lieux de solidarité et d’engagement pour des personnes partageant une même cause. Je pense à une amie au Canada qui gère un site Internet pour venir en aide aux enfants d’Haïti, un projet virtuel qui s’enracine au cœur même de sa propre famille de cinq enfants, dont une jeune haïtienne adoptée, un projet qui s’étend maintenant à quinze classes d’étudiants dans les écoles de sa ville et qui commence à intéresser amis et voisins. Voilà un projet Internet qui rapproche des gens et qui devient une occasion d’engagement à l’endroit des plus démunis. Le fait qu’à travers Internet, les personnes multiplient leurs contacts de façons jusqu’à présent inconcevables, ouvre de merveilleuses possibilités de diffuser l’Evangile. Mais il est également vrai que les relations établies de façon électronique ne peuvent jamais remplacer le contact humain direct, nécessaire pour une véritable évangélisation. Car l’évangélisation dépend toujours du témoignage personnel de celui qui est envoyé pour évangéliser.
Dans son message du 24 janvier 2002 à la 36ème Journée mondiale de la Communication Sociale, le Pape Jean-Paul II souligne que pour l’Eglise, le nouveau monde du « Cyberespace » est une exhortation à la grande aventure d’utiliser son potentiel pour proclamer le message de l’Evangile. Ce défi est au cœur de ce que signifie, au début du millénaire, suivre le commandement du Seigneur d’avancer au large, le « Duc in altum » (Luc 5,4).
Mgr John Foley, le président du Conseil pontifical pour les communications sociales, soutient que l’Internet est un moyen pour annoncer le message de salut du Christ, dans des contextes où la présence de prêtres et de religieux au service de l’annonce du salut n’est pas suffisante. Il dit encore que l’Internet peut être un « moyen merveilleux d’évangélisation et de service pastoral », en particulier là où la réalité sociale est hostile à la présence de chrétiens. Pour lui en effet, l’avantage le plus clair apporté par l’Internet est qu’il permet de franchir tous les types de frontières. Il rend possible la communication de l’Evangile sans obstacle.
La mondialisation 3
Le pape Jean-Paul II a, pour la première fois, parlé de mondialisation à l’occasion de la Journée mondiale de la Paix en 1998. Afin de créer une société plus équitable et de favoriser la paix dans le monde, il a avancé deux principes : premièrement, avoir un plus grand sens de de la responsabilité du bien commun, et, deuxièmement, ne pas jamais perdre de vue la personne humaine qui doit être au centre de tout projet social. En bref, il dit que relever le défi consiste à assurer une mondialisation de la solidarité, une mondialisation sans marginalisation.
A la lumière de ces paroles du Saint-Père, nous proposons de nous concentrer sur deux tâches qui pourraient définir la Mission de l’Eglise à l’heure de la mondialisation et permettre d’identifier deux types de ressources que l’Eglise pourrait proposer pour mener à bien ces deux tâches.
Proclamer et défendre la personne humaine : A la base même d’une mondialisation juste et équitable, se trouve la dignité de la personne humaine. Tout projet de société est voué à s’égarer et à réduire à l’esclavage, plutôt qu’à libérer. Nous devons faire de la proclamation de la vérité sur la personne humaine le centre de notre proclamation missionnaire dans un univers mondialisé. La Rédemption que nous avons reçue en Jésus Christ témoigne de la manière dont Dieu perçoit et aime chaque être humain.
Créer une culture de vie : Notre attitude vis-à-vis de la dignité humaine étant profondément influencée par les valeurs contenues dans la culture de chacun, la seconde tâche majeure d’une Eglise est la conversion de la culture. Les cultures touchées par la mondialisation doivent être guidées par une vision morale de la ‘dignité humaine, de la solidarité et de la subsidiarité’. Cette transformation pousse à la fois à inculquer ces valeurs positives dans chaque culture et en interaction entre les nations, ainsi qu’à réduire de façon concomitante les effets négatifs de la mondialisation sur les pauvres et les faibles. L’impact de la Mondialisation économique peut être fatal pour les pauvres. Il peut pousser les pauvres à se marginaliser dans les domaines des relations internationales, économiques et politiques.
La conversion mondialisée de la culture implique également soutenir les organisations internationales qui s’efforcent de créer et de soutenir une culture de vie. La Mondialisation culturelle conduit à une culture de la consommation qui est séculariste et matérialiste. Les jeunes sont les premières victimes. Le résultat c’est l’érosion de la famille traditionnelle et de valeurs sociales qui jusqu’ici ont été la base des peuples et sociétés. Les valeurs de l’évangile sont nécessaires pour renforcer l’étoffe éthique et morale de la société qui se détériore rapidement. C’est ici que le rôle de mission ad gentes devient beaucoup plus urgent. La mission ad gentes ne peut jamais déclarer « nous avons fait notre travail ».
Les deux types de ressources que l’Eglise pourrait proposer pour mener à bien ces deux tâches sont :
- La catholicité de l’Eglise à une époque de mondialisation : L'une des grandes ressources qu'apporte l'Église catholique à la Mission de l'évangélisation à l'heure de la mondialisation, c'est sa catholicité. J'entends ici catholicité sous ses deux dimensions théologiques : son épanouissement dans le monde entier et la plénitude de Vérité qu'elle apporte à la famille humaine.
En tant qu'Église présente dans le monde entier, l'Église catholique est elle-même une institution transnationale qui apporte des ressources particulières à un univers mondialisé. À une époque où les institutions transnationales (telles que les ONG) peuvent rendre à l'humanité un service spécial que ne peut rendre aucune nation, l'Église dispose de réseaux de communication permettant de créer de la solidarité entre les nations et au sein de toute la communauté humaine. En tant qu'Église, nous avons un défi à relever : utiliser le réseau dont nous disposons déjà de façon encore plus efficace. Les instituts et les organisations missionnaires ont ici un rôle particulier à jouer. La communion entre les Églises locales doit être le levain de la solidarité entre les peuples.
Le message de foi prêché par l'Église offre une vision morale et spirituelle pour une société juste et équitable à une époque de mondialisation. Les vérités, qu'elle a reçues du Christ, encouragent l'Église à proclamer la dignité de la personne humaine, le caractère central de la personne humaine pour tout projet social, l'appel à la solidarité parmi tous les membres de la famille humaine, la présence à la fois du bien et du mal dans chaque culture et la mission de réconciliation de Jésus Christ pour rassembler toutes choses sur terre en une offrande à Dieu (cf. Ep 1, 10 ; Co 1, 20).
- L’appel à une nouvelle évangélisation : La nouvelle évangélisation, à laquelle notre Saint-Père a appelé pour la première fois lors d'une visite à Haïti, prend en compte la manière dont le monde a changé et s'interroge sur la façon dont le message de salut de Jésus Christ peut être entendu par ceux qui vivent dans un ordre mondial où les anciens repères ne permettent plus de s'orienter. Notre Mission est biblique, universelle dans son service auprès de tous les peuples, dialogale dans son respect de la liberté de conscience, culturellement adaptée tout en transformant les sociétés, innovatrices dans son utilisation des nouveaux moyens de communication, et elle relève de la responsabilité de tous les membres de l'Église.
La nouvelle évangélisation présuppose un dialogue à la fois œcuménique et interconfessionnel. Le Christ et son Église n'étant qu'un, la désunion ecclésiale est un scandale qui affaiblit la prédication de la Bible. Les économies, les sociétés, les cultures mondialisées ne répondront qu'à une Église réellement unifiée. Alors que, au cours du nouveau millénaire, les communautés de foi redeviendront les principaux artisans et levain de la culture, le dialogue interconfessionnel est d'autant plus impératif. Particulièrement crucial est le dialogue entre le catholicisme et l'islam, tous deux en expansion. Les relations entre les catholiques et les musulmans détermineront la mondialisation plus profondément qu'aucun accord économique ou politique.
Conclusion : Le monde, sous toutes ses dimensions, vient de Dieu. C'est la création de Dieu et elle porte l'empreinte de sa propre image. Il a donc une dignité, une bonté et une beauté indéniables, peu importe combien les péchés ont défiguré le visage du monde. Le monde est parti pour un voyage au-delà de ses ruptures et de ses divisions, vers une nouvelle harmonie et communion avec Dieu, un voyage que les Lettres de saint Paul aux Éphésiens et aux Colossiens appellent réconciliation. En pleine fracture, que le monde ressent plus vivement à cause de la mondialisation, le message de réconciliation de toutes choses dans le Christ est une vérité que notre monde brûle d'entendre.
Le monde politique
C’est une aérophagie qui exerce une influence remarquable. La politique, c’est là que les jeunes peuvent soit faire ou détruire leur carrière future. C’est là que les décisions politiques sont formulées et le sort des pauvres est décidé. Nous devons apprendre aux gens à influencer les décisions politiques dans la lumière de la Bonne Nouvelle. La mission ad gentes a un champ très large dans le monde politique.
14 C. Une spiritualité missionnaire de communion et d’harmonie |
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Dans le séminaire sur la mission des salésiens et des sœurs FMA (Kinshasa en 2004), l’attention était tirée sur le la figure du missionnaire qui devient un agent d’unité ensemble avec la communauté qui est appelé à la réconciliation et l’harmonie.
14.1 Apôtres de l’unité dans le monde d’aujourd’hui4 |
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Tandis que, d'une part, il existe un mouvement vers un type de société globalisée dans le monde d'aujourd'hui, il est aussi vrai que les divisions entre gens deviennent de plus en plus évidentes au fur et à mesure que les années passent. Dans le monde d'aujourd'hui on trouve des divisions basées sur toutes sortes de causes : ethnique, racial, économique, social, politique, religieuse, etc. Néanmoins à la base de toutes les divisions joue l'un ou l'autre des facteurs suivants si pas tous :
la recherche du bien être économique;
la recherche du pouvoir politique le plus souvent au dépens des minorités ;
la volonté de répandre ses propres idéologies ou croyances d'une manière exclusive sans tenir compte du droit des autres à la liberté d'expression.
Confronté à une telle situation le travail du missionnaire est de devenir un agent d'unité à l'imitation du Christ qui est venu comme l'Envoyé du Père pour que tous aient la vie et l'aient en abondance ; pour que tous soient unis comme un seul troupeau, comme le Père, le Fils et l'Esprit sont un.
Devenir des apôtres de l'unité dans le monde d'aujourd'hui comporte de nombreuses implications. Ici je voudrais relever quelques unes d'entre elles que je considère plus importantes :
cela exige du missionnaire qu'il soit ouvert à tous les groupes, travaillant à la promotion de toutes les personnes et de tous les groupes avec l'Évangile comme seul point de référence. Cela implique qu'il soit lui-même imprégné de l'esprit de l'Évangile. Il est impossible de promouvoir ce dont on n'est pas convaincu.
promouvoir l'unité exige de s'efforcer de faire advenir une compréhension commune de la nécessité d'un style de vie évangélique dans toutes les cultures et tous les milieux. Ceci n'est pas facile étant donné que chacun a sa propre manière d'interpréter l'Évangile à sa façon. C'est uniquement dans un esprit de vrai dialogue et de reconnaissance mutuelle que le missionnaire parvient à ce type d'unité dans le peuple avec qui et pour qui il travaille.
Pour s'assurer que l'unité basée sur l'Évangile devient une réalité dans un milieu donné, il est nécessaire que le missionnaire ait le souci de niveler les différences qui existent chez les gens et qui sont dues au statut social et au bien être économique. L'engagement pour le développement global du peuple, particulièrement du plus pauvre, du défavorisé et des sections les plus vulnérables de la société est indispensable dans cet effort de promouvoir l'unité.
Le missionnaire qui promeut l'unité est celui qui a une vision de la vie qui n'est pas limitée à ce qui est immédiat et le plus urgent. II est quelqu'un dont la vision de la vie est suffisamment large et qui embrasse tout pour conduire son peuple jusqu'à la plénitude de la vie : « que tous aient la vie et l'aient abondamment » dans tous les sens de l'expression. Les considérations de race, d'appartenance ethnique, de langue ou de culture sont bien contenues dans la nécessité urgente de créer une nouvelle humanité dans laquelle tous sont frères et soeurs les uns des autres, enfants du même Père du ciel, frères et soeurs de Jésus Christ, qui ont part au même Esprit qui les sanctifie et les unit tous dans l'unique famille de Dieu.
C'est la personne du missionnaire, d'abord et avant tout, qui promeut cette unité et qui devient un instrument dans la création d'un type idéal de communauté chrétienne basée sur les authentiques valeurs évangéliques. Il ou elle est un témoin d'unité et de fraternité dans la communauté dans laquelle il ou elle vit et travaille et dans la communauté plus large des jeunes et des fidèles dans laquelle il ou elle est inséré(e).
14.2 Des communautés en mission ou communauté pour le Royaume5 |
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Parmi la richesse de propositions, d'expériences et de défis de la mission ad gentes en Afrique et Madagascar nous voulons partager et souligner le perspective communautaire (SDB/FMA et d'autres groupes de la FS) :
qui ont comme source d'inspiration les premières communautés chrétiennes, avec le dynamisme prophétique et missionnaire du charisme salésien, ici et maintenant ;
ouvertes, proches de la vie des gens, à l'écoute des questions existentielles des jeunes les plus en danger, sur tout ceux qui n'ont pas encore reçu l'annonce et le témoignage du Christ ;
non centrées sur elles-mêmes, toujours en attitude d'exode, comme les «minorité! » prêtes à accomplir le mandat de Jésus ... allez.
le style de vie et la recherche passionnée du Christ avec tous ceux qui le cherchent d'un coeur sincère ;
la joie d'avoir trouvé, rencontré Jésus qui l'appelle à être signe d'une humanité réconciliée, renouvelée par sa Pâque ;
la responsabilité de construire, en réseau, un monde différent. . .Les cieux nouveaux et la terre nouvelle Une nouvelle Pentecôte ;
La mission éducative comme lieu théologique dans lequel Dieu se manifeste et appelle.
De présence qui crée la rencontre éducative interculturel ;
Qui en continuité et en harmonie susurre et proclame l'Évangile, la figure séduisante du Christ dans sa simplicité, sa sincérité et sa proximité des jeunes les plus pauvres,les victimes ;
En dialogue avec la culture et la religion de ces mêmes jeunes ;
De réconciliation et d'harmonie.
1 Ce texte est une traduction d’une partie de Joseph Puthenpurakal, The widest ever horizons of Ad Gentes Mission Today, in Rencontre des Missiologues salésiens, Rome, 14-17 septembre 2003.
2 Frank Ginneberge, Etre témoins de l’amour de Dieu auprès d’enfants et de jeunes qui sont méprisés, précarisés et marginalisés dans les villes congolaises, in Séminaire pour la Famille Salésienne de l’Afrique francophone et lusophone sur « Missio ad gentes » , Kinshasa, 7-12 novembre 2004.
3 Card. Francis George, L’Eglise et la mondialisation, Rome, 2006.
4 P. Francis Alencherry, Homélie du 12 novembre, Séminaire « Missio ad gentes » , Kinshasa, 2004.
5 Sr. Ciri Hernândez, Paroles de conclusion : Des communautés en mission ou communauté pour le Royaume, in Séminaire « Missio ad gentes » , Kinshasa, 2004
14.2.1 Document |
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14.2.2 Missio ad gentes: conclusion du séminaire Kinshasa – 12 novembre 04 |
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P. Francis Alencherry
Ce séminaire a été très riche en incitations et en réflexions surgies lors des discussions. On nous a donné plus de matériaux qu'il ne faut pour notre réflexion et notre action. Des nombreuses choses que nous avons découvertes au cours des jours écoulées, nous avons choisi des trois priorités communes; qui nous serviront d'ossature pour la planification en vue d'une mission plus efficace dans nos différentes provinces et nos différents pays. Maintenant il revient à chaque province d'articuler ces priorités en autant d'objectifs, de stratégies et de lignes d'action, de telle sorte qu'un renouveau dynamique puisse se produire dans chaque province dans les années qui viennent. Cela signifie que ce séminaire est seulement le début d'un processus de réflexion, d'évaluation, de planification et d'action qui aura lieu dans chaque province. Chaque province aura maintenant à élargir et approfondir les vues reçues dans ce séminaire et à les appliquer dans les situations concrètes existant en elle comme province et comme pays.
Même si beaucoup de choses qui ont été dites ces jours ci ne nous ont pas paru nouvelles, j'ose affirmer que certaines vues ont été accueillies pas nous avec une plus grande force, provoquant en nous un plus grand engagement et une plus grande fidélité. En guise de souvenir, je voudrais mettre en évidence certains des points qui ont été plusieurs fois accentués au cours de nos réflexions. Mon unique objectif est d'assurer que ces idées ne soient pas perdues de vue. La plupart d'entre elles peuvent inclues comme parties des priorités que nous avons choisies.
1. L'urgence de la Missio ad gentes
Où que nous soyons, quoique nous fassions, nous sommes des missionnaires : évangélisateurs, signes et porteurs de l'amour de Dieu pour le jeune. Cela signifie que chacune de nos présences devrait être une présence évangélisatrice.
Nous devons tenir présent que parmi nos destinataires il y a ceux qui :
•N'ont pas encore entendu l'Évangile
•Ceux qui ont entendu l'Évangile et ont été baptisés, mais doivent encore être évangélisés
•Ceux qui ont été évangélisés et qui ont besoin d'être aidés à vivre une vie chrétienne authentique.
Notre activité évangélisatrice doit atteindre toutes ces catégories de personnes.
Nous sommes tous des missionnaires - les confrères, soeurs, coopérateurs autochtones aussi bien que les missionnaires expatriés. Nous ne pouvons nous considérer nousmêmes comme missionnaires que si nous témoignons et proclamons la Bonne nouvelle du salut à la fois comme individus* et-comme communautés.
2. A travers notre charisme concentré sur la jeunesse, comme missionnaires nous devons atteindre toutes les catégories de personnes
Nous ne pouvons éduquer les jeunes hors de leurs familles et de la société plus large dont ils font parte. En vue de rendre notre action éducative auprès des jeunes plus efficace et de lui donner plus de poids il nous faut travailler à l'éducation globale de tous les autres secteurs de la société - parents, adultes, chefs de village, etc.
L'accent mis sur la jeunesse ne doit pas nous conduire à négliger ou à traiter comme une tâche de deuxième rang notre travail auprès d'autres groupes qui ont besoin de notre attention et de nos soins.
Dans une situation de mission et de sous-développement, notre charisme pour les jeunes doit être la porte par laquelle nous rejoignons tout le peuple de Dieu pour apporter une transformation réelle de la société par les moyens de l'Évangile.
3. Nous avons besoin de communautés qui témoignent et qui promeuvent la communion ad intra et ad extra
La communauté est centrée sur le Christ, qui unit et envoie en mission.
L'unité d'esprit et d'action au sein de la même communauté est le point de départ de toute mission. L'attitude de « mon travail », de « mon argent » doit céder la place à « notre travail », « notre argent ». Quelle• que soit notre tâche, il nous l'accomplir au nom de la communauté ou de la congrégation, comme ses représentants et non comme une capacité personnelle.
Nous devons être des agents qui créent l'unité et la cohésion dans la communauté chrétienne comme un tout. La communauté religieuse a besoin d'être insérée et intégrée à l'intérieur de la communauté chrétienne locale.
Nous devons travailler en réseau pour la mission comme membres de la même famille (Famille salésienne) inspirés par les mêmes idéaux, unis par la même mission.
La spiritualité de la communion soit caractériser notre style de vie et de travail.
4. L'Évangélisation implique un changement de mentalité et un effort d'apporter la vie aux gens selon les exigences de l'Évangile
Ceci est facilité par le contact direct avec la Parole de Dieu. Dans notre prédication et notre enseignement, ne laissons pas la Parole de Dieu être trop facilement remplacée par la parole de l'homme. La Parole de Dieu est un moyen puissant de transformation de la société.
Nous devons donner la préférence aux stratégies et aux lignes d'action qui apportent de nouvelles mentalités en conformité avec l'Évangile.
5. Les méthodes que nous employons pour introduire le processus de l'évangélisation devraient être celles qui promeuvent l'auto-critique, la réflexion et la croissance
Nous-mêmes nous devons avoir des attitudes telles que la sympathie, l'amitié, l'optimisme et le désir d'apprendre des gens autant que de les enseigner.
Il nous faut donner la préférence à ces activités et méthodes qui renforcent la capacité du jeune et des gens en général d'apporter le développement et le progrès intégrés. Au lieu d'être de bienfaiteurs du jeune et des gens, nous devons apprendre à être des animateurs qui facilitent le processus du développement et du changement.
Il est urgent d'impliquer les gens dans leur propre développement et formation.
6. Comme missionnaires nous devons adopter une attitude plus positive et constructive à l'égard des gens et de leur culture
Nous acceptons les gens tels qu'il sont et leur apportons l'Évangile.
Nous ne condamnons jamais les gens ni ne nous décourageons vis-à-vis d'eux. On nous. demande d'être les architectes d'une société nouvelle, et non les juges de ce qui aurait pu être un passé obscur.
Cultiver des relations amicales et fraternelles avec les gens est le moyen le plus efficace d'évangélisation.
7. La formation du personnel, aussi bien religieux que laïc est d'une importance capitale pour nous aujourd'hui
De cela dépend le futur de notre charisme, de nos communautés et de l'Église.
Il est important de cultiver et de former des intellectuels parmi les laïcs qui soient loyaux par rapport à la foi et à l'Église.
La formation d'un grand nombre de leaders laïcs dans chacune de nos présences est un moyen indispensable pour approfondir la foi des gens et pour multiplier notre présence dans les territoires où nous travaillons.
8. Dans nos efforts pour évangéliser et éduquer nous devons prêter une attention particulière
Aux différentes catégories de jeunes et d'enfants marginalisés, particulièrement aux enfants de la rue et aux enfants soldats.
Aux calamités causées par le VIH/SIIDA parmi les jeunes et les gens en général exige une attention spéciale et une réponse concertée de notre part.
Le développement intégral des personnes vivant dans la misère et la pauvreté ne devrait pas nous laisser indifférents.
Il nous faut accorder une priorité à l'éducation à la paix et à la réconciliation dans le contexte de l'Afrique d'aujourd'hui.
Former des mentalités en accord avec une manière de vie démocratique devrait faire partie de notre bagage éducatif. Éduquer le jeune à une manière correcte de participer à la vie sociale et politique est très important et nécessaire.
9. Plus d'attention à l'éducation et à la promotion de la fille et de la femme
Comme famille salésienne, il est nécessaire d'accorder plus d'attention à cet important aspect de la transformation sociale.
Nous devons renforcer les capacités des femmes à devenir protagonistes de leur vie et à prendre la place qui leur est due dans la société.
Il est à rappeler que les femmes ne sauraient être assurées de leur juste place dans la société sans une éducation adéquate des hommes à ce sujet.
10. Les moyens de communication sociale doivent être employés d'une manière plus intensive dans notre travail d'évangélisation et d'éducation
L'usage opportun des médias pourrait nous aider à atteindre mille fois plus de gens en même temps que nous sommes capables de le faire dans nos institutions.
Que le jour puisse arriver rapidement où l'Afrique salésienne francophone possédera un centre de coordination bien organisé pour la production et la distribution de différents produits de moyens de communication, au service de l'Évangile et de l'éducation.
1.INTRODUCTION1
LA MISSION À L'ÉPREUVE DU DIALOGUE3
A. De 1962 à 2000, documents ecclésiaux3
1. Un premier jalon : Ecclesiam suam de Paul VI3
2. Parmi les documents de Vatican II.4
3. Le décret sur l'activité missionnaire de l'Église Ad Gentes4
a.Premier temps : (1965-1985) - Évangélisation et Église5
b. Deuxième temps: (1985-2000) - Évangélisation et Dialogue7
Défis actuels à la mission "ad gentes"12
A. Que devient la mission "ad gentes " ?12
1. Pourquoi nous posons-nous la question ?13
a. Changements dans la théologie de la mission13
b. Les changements dans le monde où la mission est en activité14
c. Changements chez les missionnaires14
2. Les conditions qui façonnent la mission ad gentes15
a. L’influence de la colonisation15
b. Mission ad gentes au 21ème siècle16
3. Les défis à la mission ad gentes au troisième millénaire17
A.L’initiation au Salut19
1. Interprétations réductrices de l'idée de salut19
a. Dissociation des activités salvifques et des activités sociales19
b. Le salut comme lutte contre les effets dévastateurs du péché19
c. Le salut à portée de la main19
2. Redécouverte de vérités oubliées sur le mystère du salut20
a. Le salut comme mystère personnel de Jésus20
b. La puissance de miséricorde du salut et le pardon créateur21
c. La mission comme combat pour le salut du monde21
d. Dieu sauveur et Dieu créateur22
B.Une pédagogie de Filiation23
1. La pédagogie missionnaire : une pédagogie de filiation23
a. Ouverture à la paternité de Dieu24
1.Un témoignage porté à l'acte par lequel Dieu ressuscite Jésus24
2.Comprendre la réalité à partir de cette acte24
b.Entrée dans la dynamique de filiation25
c.Dans la mission de l'Esprit25
1.L'Esprit inaugure la mission25
2.La pédagogie missionnaire à la lumière de l’œuvre de l'Esprit Saint26
2. La pédagogie missionnaire : une pédagogie salvatrice27
a. Don de l'Esprit et pardon des péchés27
1.Pardon des péchés et relation filiale27
2.Discernement dans l'Esprit et discernement des péchés28
b. La médiation du Christ : Dieu ne nous sauve pas sans nous28
C.Une dynamique de communion30
1.Quelques réductions de la mission130
2.La dynamique de communion ecclésiale comme sujet de la mission32
3.Imbrication de la dynamique de communion et de la mission32
a.L'Église comme processus vivant d'accueil de l'Évangile32
La mission de l’Eglise dans l’humanité34
A.La visée du royaume dans l’humanité 134
1.L'Église dans le monde34
a. Du rapport « Église et État » au rapport « Église et monde »34
b. Église et société - l'Église et les autres34
1. L'Église, petite part de l'humanité35
2. L'Église, sacrement de l'Évangile36
2.L'Église dans l'humanité, pour y faire quoi ? Église et Royaume36
a. L'écoute et la reconnaissance du Royaume36
b. Le dessein de Salut pour l'humanité37
a. La réconciliation, nouveau paradigme de la mission38
b. Le ministère de la réconciliation, un processus38
c. La réconciliation, un objectif39
d. L'Église, communauté de mémoire et d'espérance40
B. L’universalité de la mission42
1. De l'universalité du dessein de Dieu à la catholicité de l'Église142
a. Manifestation de l'universalité du dessein de Dieu dans la Bible42
b. Mise en oeuvre de l'universalité du dessein de Dieu dans l'Église43
2. La dynamique de catholicité dans l'Église44
a. Les formes de coopérations missionnaires liées aux Églises locales.44
b. Les instituts missionnaires45
3. Les horizons immenses de la mission 147
a. Les différents domaines de la mission47
1. Les trois catégories en rapport avec la foi.47
2. Les trois catégories en rapport avec le type d’évangélisation ad gentes.47
3. Les critères ethniques et culturels.47
1. Le contexte géographique ou territorial48
2. Des contextes sociaux nouveaux et complexes48
C. Une spiritualité missionnaire de communion et d’harmonie59
1.Apôtres de l’unité dans le monde d’aujourd’hui459
2.Des communautés en mission ou communauté pour le Royaume560
b. Une Communauté qui partage60
Document: Missio ad gentes: conclusion du séminaire Kinshasa – 12 novembre 0461
I Cf. Jean-Marc Ela, Repenser la Théologie Africaine, pp. 239-240.
II CG 23, § 80.
III Juan E. Vecchi, Nouvelles pauvretés, mission salésienne et signifiance, dans JMS 2003, p. 11.
IV Ibid.
V Conférence Episcopale Nationale du Congo, NEC (Nouvelle évangélisation et catéchèse dans la perspective de l'Eglise Famille de Dieu en Afrique), 2002, n° 135-136.
VI Xec Marquès, op. cit., p. 14.
VII Cf. Xec Marquès, op. cit., p. 5.
VIII Juan E. Vecchi, op.cit., p.11.
IX Cf. Partage Pastoral/Spécial, Sorcellerie et Fétichisme. Rapport général et recommandations finales. Centre Pastoral Diocésain, Boma, 67, 13°année, décembre 1998-mars 1999, p.55.
X Ibid.
XI Ibid. p. 57.
XII Ibid et NEC n° 166-167.
XIII cf. Frank Ginneberge, Les enfants accusés de sorcellerie dans les villes du Congo, Lubumbashi, 2003, pp. 21-23.
XIV Jean-Marie Petitclerc, La violence et les jeunes, dans Semaines sociales de France, La Violence. Comment vivre ensemble, Paris, Bayard, 2003, pp. 80-81.
XV Jean-Marc Ela, Repenser la Théologie Africaine, Paris, Karthala, 2003, p. 211-212.
XVI Cf. Véronique Margron, La violence et le message chrétien, dans Semaines sociales de France, La Violence. Comment vivre ensemble, pp. 124-132.
XVII Ibid., p. 136.
XVIII Cf. Ibid, pp.137-138.
XIX Cf. Ibid., pp. 140-141.
XX Konrad Raiser, Une culture de la vie, Paris, Cerf, 2003, p. 148.
XXI Cf. Robert Schreiter, Défis actuels à la mission "ad gentes", dans Missions étrangères de Paris, n° 358, avril 2001.