Le développement du point de vue de l’évangélisation et du charisme salésien |
(P.
F. Alencherry)
1 1. Introduction |
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Nous sommes ici réunis dans ce Séminaire comme disciples du Christ et comme Salésiens. Pour la plupart, nous sommes Salésiens en vertu de la profession religieuse, tandis que d’autres le sont pour leur participation active à la mission salésienne. C’est pourquoi, pour introduire notre réflexion sur le thème des Bureaux de Planification et de Développement, il est opportun de commencer par les racines chrétiennes et salésiennes de notre activité.
C’est pour cette raison que je voudrais rappeler brièvement les principes qui inspirent nos programmes et nos projets et qui devraient toujours accompagner le service de nos Bureaux de Planification et de Développement.
Dans beaucoup de documents importants, le Magistère de l’Église traite des questions inhérentes à la promotion humaine et au développement intégral. Il n’est pas nécessaire de les rappeler tous maintenant, puisqu’ils se présentent sur une ligne de croissance constante, et chacun d’eux confirme, renforce et développe ce que les autres ont dit précédemment.
Comme Salésiens, nous devons prendre connaissance de l’enseignement de l’Église sur la nature de l’évangélisation et du développement à partir du point de vue du charisme salésien. Notre prédication évangélique a des caractéristiques et des qualités spécifiques que nous devons conserver, si nous voulons être fidèles à notre vocation et à notre mission.
Au début de cette présentation synthétique, j’estime qu’il est utile de rappeler un principe fondamental que l’actuel Recteur Majeur, Don Pascual Chávez, ne cesse de répéter : nous ne sommes pas de simples opérateurs sociaux ni de simples philanthropes ; nous sommes avant tout « signes et porteurs de l’amour de Dieu pour les jeunes, spécialement les plus pauvres ». Nous sommes des évangélisateurs et des pasteurs qui veulent conduire au Royaume de Dieu, dans les cieux nouveaux et dans la nouvelle terre. C’est une tâche apostolique qui veut traduire en pratique l’Évangile de notre temps. Toutes nos activités sont ainsi guidées par ce principe fondamental. (Dans ce document c’est nous qui soulignons les points les plus importants)
2 2. Les Documents de l’Église |
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Comme nous avons dit plus haut, nous ne voulons pas reprendre en détail tous les documents de l’Église relatifs au thème de développement et de promotion humaine; nous nous limiterons plutôt à quelques idées essentielles, qui nous semblent plus directement liées au thème de ce Séminaire. Nous nous référerons surtout aux encycliques Evangelii Nuntiandi (= EN) de 1975 et Redemptoris Missio (= RM) de 1990. Leurs thèmes fondamentaux se retrouvent aussi dans plusieurs autres documents.
2.1 2.1. Evangelii Nuntiandi |
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Quand il aborde le thème important de l’évangélisation dans l’EN, le Pape Paul VI développe son lien intime avec la promotion et la libération de l’homme. L’Église, affirme-t-il, « a le devoir d’annoncer la libération de millions d’êtres humains, beaucoup d’entre eux étant ses propres enfants ; le devoir d’aider cette libération à naître, de témoigner pour elle, de faire qu’elle soit totale. Cela n’est pas étranger à l’évangélisation » (EN 30). « Entre évangélisation et promotion humaine – développement, libération – il y a en effet des liens profonds » (ibid., 31). Pour cela justement les problèmes de justice, de développement et de paix revêtent une grande importance dans le discours sur l’évangélisation.
Juste après cette affirmation importante, Paul VI fait allusion à la tentation diffuse chez beaucoup de gens, même des chrétiens généreux, de réduire la mission de l’Église à des dimensions d’ordre simplement temporel, et montre combien cela la priverait de son élément le plus important : le but religieux et spirituel de l’évangélisation. On trouve un aperçu de la pensée du Pape à ce propos surtout dans deux paragraphes du document:
« De la libération que l’évangélisation annonce et s’efforce de mettre en œuvre, il faut dire plutôt :
- elle ne peut pas se cantonner dans la simple et restreinte dimension économique, politique, sociale ou culturelle, mais elle doit viser l’homme tout entier, dans toutes ses dimensions, jusque et y compris dans son ouverture vers l’absolu, même l’Absolu de Dieu ;
- elle est donc rattachée à une certaine conception de l’homme, à une anthropologie qu’elle ne peut jamais sacrifier aux exigences d’une quelconque stratégie, d’une praxis ou d’une efficacité à court terme » (EN 33).
« C’est pourquoi, en prêchant la libération et en s’associant à ceux qui œuvrent et souffrent pour elle, l’Église – sans accepter de circonscrire sa mission au seul domaine du religieux, en se désintéressant des problèmes temporels de l’homme – réaffirme la primauté de sa vocation spirituelle, elle refuse de remplacer l’annonce du Règne par la proclamation des libérations humaines, et elle proclame que même sa contribution à la libération est incomplète si elle néglige d’annoncer le salut en Jésus Christ » (EN 34).
Malgré ces affirmations, l’engagement de l’Église pour la construction d’une société meilleure en contribuant au développement de tous les peuples n’est pas du tout en question.
« L’Église tient certes comme important et urgent de bâtir des structures plus humaines, plus justes, plus respectueuses des droits de la personne, moins oppressives et moins asservissantes, mais elle est consciente que les meilleures structures, les systèmes les mieux conçus deviennent vite inhumains si les pentes inhumaines du cœur de l’homme ne sont pas assainies, s’il n’y a pas une conversion du cœur et du regard de ceux qui vivent dans ces structures ou les commandent » (EN 36).
2.2 2.2. Redemptoris Missio |
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Aux paragraphes 58-59 de ce document fondamental publié 15 ans après l’EN, le Pape Jean-Paul II parle du thème de développement: « Aujourd’hui, plus que dans le passé, les gouvernements et les experts internationaux reconnaissent que les missionnaires sont aussi des promoteurs du développement et ils admirent les remarquables résultats obtenus avec très peu de moyens » (RM 58). Travailler pour le développement intégral des personnes est devenu, pour ainsi dire, partie intégrante de toute action missionnaire.
Le concept de développement y est défini comme suit : c’est avant tout à travers la proclamation de l’Évangile que l’Église s’engage pour le développement des peuples. En effet, la mission de l’Église « consiste essentiellement à offrir aux peuples non pas "plus d’avoir", mais "plus d’être", en réveillant les consciences par l’Évangile. "Le développement humain authentique doit se fonder sur une évangélisation toujours plus profonde" » (ibid., 58).
Même si l’Église s’engage dans le développement en prenant soin de l’éducation, la santé et d’autres initiatives analogues, elle affirme que « le développement d’un peuple ne vient pas d’abord de l’argent, ni des aides matérielles, ni des structures techniques, mais bien plutôt de la formation des consciences, du mûrissement des mentalités et des comportements. C’est l’homme qui est le protagoniste du développement, et non pas l’argent ni la technique » (ibid., 58).
La formation des consciences est faite essentiellement à travers la proclamation de l’Évangile.
« Par le message évangélique, l’Église apporte une force qui libère et qui agit en faveur du développement, précisément parce qu’il amène à la conversion du cœur et de l’esprit, parce qu’il fait reconnaître la dignité de chacun, parce qu’il dispose à la solidarité, à l’engagement, au service d’autrui et qu’il insère l’homme dans le projet de Dieu, qui est de construire un Royaume de paix et de justice dès cette vie cette vie. C’est la perspective biblique des "cieux nouveaux et de la terre nouvelle" (cf. Is 65, 17 ; 2 Pt 3, 13 ; Ap 21, 1), qui a été dans l’histoire le stimulant et le but de la marche en avant de l’humanité. Le développement de l’homme vient de Dieu, du modèle qu’est Jésus homme-Dieu, et il doit conduire à Dieu. C’est la raison pour laquelle il y a un lien étroit entre l’annonce de l’Evangile et la promotion de l’homme » (RM 59).
L’engagement de l’Église pour le développement s’intéresse non seulement à ceux qui vivent dans des régions pauvres et sous-développées, mais aussi et surtout à ceux qui sont exposés « à la misère morale et spirituelle engendrée par le "sur-développement" » (ibid., 59). Dans de tels milieux, l’Église s’efforce de promouvoir le développement à travers la proclamation de l’Évangile. D’où le thème de la « Nouvelle évangélisation ».
Le document résume ainsi ce double aspect du développement:
« L’activité missionnaire apporte aux pauvres lumière et encouragement pour leur véritable développement. La nouvelle évangélisation devra entre autres faire prendre conscience aux riches que l’heure est venue de se montrer réellement frères des pauvres, grâce à une conversion commune au "développement intégral", ouvert sur l’Absolu » (ibid., 59).
3 3. Les documents salésiens |
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Les documents de la Congrégation s’inspirent des documents de l’Église et en développent les thèmes, tout en tirant les conséquences pratiques des principes généraux.
3.1 3.1. Les Constitutions |
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L’art. 31 des Constitutions SDB est le premier du chapitre dédié à “Notre service éducatif et pastoral” ; c’est pourquoi il indique les principes fondamentaux selon lesquels on peut organiser et évaluer le service rendu par les Salésiens. On peut dire que cet article résume tous ceux qui suivent ; ainsi est-il opportun de le citer en entier :
Notre mission participe de celle de l’Église qui réalise le dessein de salut de Dieu et l’avènement de son Règne, en apportant aux hommes le message de l’Évangile, étroitement lié au développement de l’ordre temporel.
Nous éduquons et nous évangélisons selon un projet de promotion intégrale de l’homme, orienté vers le Christ, homme parfait. Fidèles aux intentions de notre Fondateur, nous cherchons à former « d’honnêtes citoyens et de bons chrétiens ».
L’art. 33 développe les implications de cet engagement charismatique. L’action éducative a nécessairement une implication sociale, d’autant plus que, fidèles à notre charisme, « nous travaillons dans les milieux populaires et pour les jeunes pauvres […], et nous contribuons à la promotion de leurs groupes et de leurs milieux » en collaborant à l’éducation des jeunes « aux responsabilités morales, professionnelles et sociales ». Cet article affirme en outre : « Indépendants de toute idéologie et de toute politique de parti, nous rejetons tout ce qui favorise la misère, l’injustice et la violence, et coopérons avec tous ceux qui bâtissent une société plus digne de l’homme ». Le même article 33 se termine en rappelant le but primordial de nos activités en matière d’éducation et de développement : « La promotion à laquelle nous travaillons selon l’esprit de l’Évangile, réalise l’amour libérateur du Christ et constitue un signe de la présence du Royaume de Dieu ».
3.2 3.2. Père Luigi Ricceri |
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Ce qui est dit dans les Constitutions peut être considéré comme la synthèse des réflexions faites par le Chapitre Général Spécial (= CGS) et exprimées dans les années qui l’ont immédiatement précédé ou suivi. En effet, déjà en juillet 1970, le P. Luigi Ricceri, Recteur Majeur, aborda le thème du « sous- développement » (cf. ACS 261). Écrivant dans la foulée des réflexions de l’Assemblée des évêques Latino-américains tenue à Medellín, il déclara sur un ton solennel : « La lutte contre le sous-développement appartient à l’essence même de la Congrégation salésienne. Elle se sent engagée à fond dans cette lutte. Cet engagement, elle doit l’accomplir selon son charisme, c’est-à-dire dans la ligne, dans le style, dans l’esprit de Don Bosco, et donc avec courage, avec intelligence, avec réalisme, et toujours avec charité » (ACS 261, pp. 17-18). Il releva ensuite les diverses implications découlant de ce devoir qui incombe à tous les Salésiens, et souligna combien l’« éducation libératrice », qui forme des « libérateurs », soit la réponse la plus appropriée aux problèmes liés au sous-développement » (cf. ACS 261, p. 29).
3.3 3.3. Le Chapitre Général Spécial (CGS) |
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Le CGS développa et propagea ultérieurement les idées présentées dans sa lettre sur le sous-développement par le P. Ricceri, et leur conféra une autorité capitulaire. Il affirma : « L’un des problèmes les plus brûlants de notre monde aussi bien par ses aspects qualitatifs et quantitatifs que par les tensions sociales extrêmement graves qu’il provoque est celui du sous-développement et de l’inégalité entre les hommes » (CGS, 32). Le CGS observa aussi que cette situation est « le fruit de structures économiques, sociales et politiques de domination » et que « l’oppression et l’exploitation des pauvres sont le résultat de décisions conscientes de ceux qui détiennent la richesse et le pouvoir » (ibid., 32). Le Chapitre suggéra que pour remédier à cette situation l’Église, et ensuite la Congrégation, ont besoin d’« une attitude plus fermement évangélique en faveur des pauvres : le refus de tout “ce qui serait compromission avec quelque forme d’injustice sociale que ce soit”, le devoir positif d’“éveiller les consciences au drame de la misère et aux exigences de justice sociale de l’Évangile et de l’Église”, un amour concret et privilégié pour les pauvres eux-mêmes, sous forme d’aide directe, mais plus encore sous forme d’éducation au sens de leur dignité, enfin le témoignage de son propre détachement vis-à-vis des biens terrestres.
Tout cela doit atteindre au plus profond d’elle-même une Congrégation qui s’adresse en priorité aux jeunes les plus pauvres (et aux adultes du milieu populaire) en vue d’une aide “spirituelle et corporelle”, et dont les membres, consacrés à Dieu par la pauvreté évangélique, sont invités à entendre “le cri des pauvres” comme un appel urgent à l’action » (ibid., 32).
Le CGS remarqua que, pour éduquer les jeunes pauvres, il est important de travailler (aussi) sur le milieu d’où ils proviennent : « En de nombreux cas, l’éducation des jeunes est tellement liée aux conditions concrètes du milieu familial, social et politique qu’on ne peut faire quelque chose de valable pour eux sans travailler aussi au progrès collectif de ce milieu, et donc auprès des adultes » (CGS, 53, n.3). Des personnes, dont le nombre sera le plus grand possible, doivent être mobilisées dans cet effort pour atteindre les jeunes. Il est souvent nécessaire de travailler avec les adultes et avec les organisations qui ont à cœur le bien de la jeunesse. C’est ainsi que le CGS répondit sur un ton solennel : « Oui ! » à la question de savoir s’il est nécessaire de travailler avec les adultes dans le service des jeunes (cf. CGS, de 53, n.4 à 55). Il appert que cela a de notables répercussions sur notre discours à propos du développement intégral des jeunes, et ne manque pas d’influence directe et indirecte sur l’action missionnaire de la Congrégation, puisqu’il s’agit là de l’un de ses aspects essentiels qui remontent au temps de Don Bosco (cf. CGS, 56 ; Const. 30).
Le CGS reprend le Préambule de la Déclaration sur l’éducation chrétienne Gravissimum Educationis Momentum et affirme : « L’Église doit prendre soin de la totalité de la vie de l’homme y compris de ses préoccupations terrestres, dans la mesure où elles sont liées à sa vocation surnaturelle » (GEM, Préambule ; cf. CGS, 60). Ce disant, il est clair que nous devons nous engager dans la promotion du salut intégral des jeunes et des pauvres (cf. CGS, 60). Pour exprimer cette idée, le Chapitre Général Spécial utilise deux expressions complémentaires : « Promotion intégrale chrétienne », qui a trait aussi bien à l’ordre temporel qu’à l’ordre spirituel, et l’« éducation libératrice chrétienne », qui est le moyen incontournable pour promouvoir le développement total et intégral (cf. CGS, 61).
Cet engagement est étroitement lié à notre tâche de promotion de la justice dans le monde d’une part, et d’autre part il est en rapport avec nos méthodes de développement. Il faut par conséquent citer en entier ce que le Chapitre Général Spécial nous dit à ce propos:
« Le sous-développement, l’analphabétisme, la misère et la faim ont une telle ampleur et gravité dans le monde d’aujourd’hui qu’un secours immédiat s’avère insuffisant : il faut agir sur les causes profondes d’une semblable situation. De fait il s’agit de structures qui fréquemment constituent pour la prédication et la pratique de l’évangile en sa substance même un grave obstacle ou un empêchement direct : elles ne permettent pas aux pauvres et aux opprimés de découvrir en eux l’image de Dieu ni de croire que le Règne est arrivé en ce monde ni de s’acheminer vers le salut intégral. Ce sont des structures de péché.
Par ailleurs la promotion humaine des pauvres, pour être réelle, requiert qu’ils prennent conscience de leur propre situation et que les changements soient opérés par eux collectivement unis. […] Ici, un rôle de première importance revient aux communautés chrétiennes. […]
La réponse que nous donnons aujourd’hui à l’engagement pour la justice dans le monde se fait dans un contexte culturel nouveau : elle est sollicitée non pas par des motifs contingents de partis politiques ou d’idéologies passagères, mais par les exigences mêmes que pose aujourd’hui à l’éducateur chrétien la formation intégrale « du parfait chrétien et de l’honnête citoyen » : ce sont l’Église et la société qui nous demandent de former des hommes capables d’apporter plus de justice dans un monde chargé de graves problèmes » (CGS, 67).
Le CGS ajoute que dans la lutte contre le sous-développement la Congrégation doit agir en cohérence avec son charisme: « La lutte contre le sous-développement appartient à l’essence même de la Congrégation salésienne. Elle se sent donc engagée à fond dans cette lutte. Mais elle doit le faire conformément à son charisme, c’est-à-dire dans la ligne, le style, l’esprit de Don Bosco, avec courage, intelligence, réalisme et toujours avec charité » (CGS, 72). Même si elles remontent à une trentaine d’années, les observations du Chapitre Général Spécial sur les conditions du sous-développement et de la pauvreté dans le monde ne sont pas aujourd’hui moins actuelles qu’hier. Sous plusieurs aspects, la situation des pauvres a même empiré : le phénomène de la pauvreté et du sous-développement s’est accru en proportion de la croissance démographique dans les Pays en voie de Développement et des effets pervers de la mondialisation économique. Ainsi n’est-il même pas besoin de souligner que l’engagement des Salésiens pour le développement intégral des pauvres, et en particulier des jeunes, est nécessaire aujourd’hui comme il y a 33 ans et comme au temps de Don Bosco.
Nous avons longuement insisté sur l’enseignement du CGS au sujet de notre thème, parce que les documents successifs (aussi bien des CG que des Recteurs Majeurs) s’y réfèrent constamment et s’en inspirent. Malgré cela, il faut tout de même rappeler brièvement l’enseignement des Chapitres Généraux et des Recteurs Majeurs.
3.4 3.4. Le Chapitre Général XXI (CG21) |
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Le CG21 se réfère aux documents de l’Église et spécialement à l’EN quand il affirme: « Une évangélisation authentique se fait à l’intérieur d’un projet qui vise à la promotion totale de l’homme, au développement intégral des individus et des groupes » (CG21, 81). Le CG21 note en outre que les deux expressions « promotion intégrale chrétienne » et « éducation libératrice chrétienne » dont on a parlé ci-dessus, corroborent le désir de Don Bosco de former de « bons chrétiens et honnêtes citoyens » (cf. ibid., 81). En effet, il ne peut y avoir de séparation entre l’évangélisation et la promotion humaine, parce dans la pensée et dans l’action de la Congrégation, à partir de Don Bosco lui-même, elles forment « un unique mouvement de charité » (CG21, 140, b).
Quant au style salésien d’action missionnaire, le CG21 souligne, entre autres, « le lien profond entre l’engagement d’évangélisation et celui de promotion humaine ; l’attention préférentielle aux jeunes pauvres et aux classes populaires » (CG21, 146, n. 4.2.3).
3.5 3.5. Le Chapitre Général XXIII (CG23) |
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Le CG23 traita d’une façon approfondie les thèmes de pauvreté et de développement : en remarquant que la « tragédie des pauvres » constitue un « défi […] continuel », le Chapitre Général 23 prit conscience que « la pauvreté matérielle semble s’étendre démesurément dans beaucoup de pays », et que l’on assiste à l’explosion de « nouvelles et tragiques formes de pauvreté : la déviance, la marginalisation, l’exploitation des personnes et la drogue » (CG23, 203). Le Chapitre Général 23 note comment le problème va au-delà de la pauvreté simplement matérielle et requiert ainsi de « préparer une génération capable de construire un ordre social plus humain pour tous » (CG23, 204). « La dimension sociale de la charité se présente alors comme la “manifestation d’une foi crédible” » (ibid., 204).
Le défi pour les éducateurs devient, en ce cas, celui d’« éduquer à la valeur de la solidarité contre la pratique de la concurrence exacerbée et du profit individuel » (CG23, 205). Il est important que les gens ne se laissent pas aller à la mentalité du « chacun s’occupe de ses affaires » en négligeant de se préoccuper du reste de l’humanité, surtout des pauvres et des défavorisés.
Un tel défi, souligne encore le Chapitre Général 23, touche surtout les éducateurs « de ceux qui vivent dans une situation de pauvreté et de sous-développement. Ici l’espérance est déçue chaque jour d’autant plus qu’ils ont conscience des mécanismes pervers de l’exploitation. La corruption à tous les niveaux engendre de nouvelles et de tragiques situations de pauvreté » (CG23, 206). La réponse à cette situation en continuelle détérioration ne se trouve pas dans la « violence, l’utopie ni dans des formes de religiosité intimiste que les sectes offrent en abondance et à bon marché » (cf. ibid., 206). En même temps, il est nécessaire de protéger les jeunes du risque de céder « aux tentations de consommation effrénée et à l’exploitation de leurs frères » (ibid., 206).
Le CG23 fait remarquer ceci : en suivant l’exemple de Don Bosco, la communauté salésienne est consciente que « la lutte contre la pauvreté, l’injustice et le sous-développement fait partie de sa mission » (CG23, 208). Réaliser cette mission rend avant tout témoignage à la justice et à la paix comme moyens de communication de la foi. En particulier là où ils travaillent dans un contexte de pauvreté, les Salésiens ne ménagent aucun effort pour « motiver par l’éducation les jeunes et les gens du peuple pour qu’ils travaillent activement à leur libération personnelle » (ibid., 208). Les Salésiens « feront en sorte que les jeunes et le peuple deviennent responsables de leur développement : qu’ils secouent leur résignation, deviennent vivement conscients de leur dignité et prennent en charge leur misère personnelle, mais aussi celle qui est à leurs côtés.
Par contre, pour les communautés qui travaillent dans des pays de bien-être, il s’agira d’introduire physiquement les jeunes dans l’univers de ces hommes et de ces femmes qui ont besoin de solidarité et d’aide » (CG23, 211) ; et cela doit être fait avec des attitudes spontanées de partage dans la lutte en faveur des pauvres, il n’est pas question de satisfaire une pure curiosité ni d’acquérir une connaissance ou une expérience (cf. ibid., 211). C’est ainsi que se réalise l’éducation à la solidarité dans le sens chrétien (cf. CG23, 213).
3.6 3.6. Père Juan E. Vecchi |
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En mars 1997, le Recteur Majeur de l’époque, le P. Juan E. Vecchi, écrivit une lettre intitulée « Il fut pris de pitié pour eux (Mc 6,34). Nouvelles pauvretés, mission salésienne et signifiance » (ACG 359). Dans cette lettre, le Recteur Majeur aborda certaines questions touchées ci-dessus, et souligna de nouveau la nécessité de traiter des problèmes de la pauvreté et de la marginalisation de manière plus systématique.
Après avoir passé en revue les défis de la pauvreté existant dans le monde d’aujourd’hui, le P. Vecchi affirma: « Le cœur de la nouvelle évangélisation est l’Évangile de la charité. Celui-ci assume les problèmes et les situations humaines qui ont besoin de la force transformante de l’amour. Il est une charité qui s’exprime dans l’immédiat, mais surtout qui s’engage dans un projet social et culturel de vaste et longue portée où la personne est toujours considérée selon sa vocation et sa dignité, à la lumière de ce qui a été révélé dans le Christ » (ACG 359, p. 12).
Aux dires du P. Vecchi, pour éduquer il faut prendre conscience du monde où nous vivons. Une idée qui nous dérange et qui nous appelle à une sérieuse réflexion tient au fait que « depuis plusieurs années, on répète que nous nous trouvons devant un phénomène d’appauvrissement plutôt que de simple pauvreté. Il ne s’agit pas là d’une étape transitoire ni d’un incident de parcours résultant du passé, mais d’une conséquence des structures économiques, sociales et politiques. Mais il faut reconnaître que d’autres facteurs agissent aussi pour étendre la pauvreté » (ACG 359, p. 22).
Il est important de rappeler que les diverses formes de pauvreté « naissent et se développent dans un monde où tout est en intercommunication et en interdépendance » (ACG 359, p. 32) ; dans ce monde où même la pauvreté est mondialisée,
« la lutte contre la marginalité est d’autant plus efficace qu’elle pénètre et transforme l’ensemble des perceptions et des sentiments qui modèlent la pensée et la conduite d’une société ou des groupes qui l’influencent. Il ne suffit donc pas de travailler à aider et à assister des individus, même si cela est important.
Il faut un travail d’animation sociale, pour susciter des changements de critères et de points de vue par des gestes et des actions. Ceux-ci créent de nouvelles formes de relations et des modèles de conduite qui incarnent des valeurs différentes de celles qui régissent en grande partie nos mœurs, comme l’individualisme possessif, la satisfaction des intérêts personnels, la condamnation de ceux qui subissent des dépendances, l’abandon des plus faibles.
Il s’agit de promouvoir une culture de l’altruisme, […] de la justice entendue comme l’attention au droit de tous à la dignité de la vie et, plus directement, il s’agit d’associer des personnes et des institutions dans une œuvre de large prévention, d’accueil et de soutien pour qui en a besoin.
Nos milieux éducatifs peuvent être des centres d’élaboration de cette culture et la faire rayonner vers les familles, les groupes, le quartier, les cercles et les institutions qui se rattachent à nous et, par la communication sociale, vers la société en général » (ACG 359, p. 33).
Le P. Vecchi compte aussi sur le grand potentiel de la Congrégation salésienne pour contribuer à la création d’une nouvelle mentalité dans le domaine du développement, quand il affirme:
« C’est un terrain sur lequel nous les salésiens, organisation internationale, avec toutes nos ressources et notre riche patrimoine spirituel, nous avons de grandes possibilités ainsi qu’une importante responsabilité. Nous devons faire un effort de pédagogie collective pour offrir des voies et des projets concrets. Beaucoup de gens sont disposés à s’y associer et à assumer un style de vie solidaire et généreuse dans l’humble esprit de l’Evangile » (ACG 359, p. 34).
De la pensée du P. Vecchi, il appert qu’il est indispensable de mobiliser un vaste mouvement de personnes pour affronter le problème de la pauvreté. Les Salésiens ne peuvent plus imaginer de travailler comme de simples individus ou communautés, mais ils doivent devenir des promoteurs de mouvements plus amples de solidarité et d’aide mutuelle qui peuvent favoriser une vraie transformation de la réalité.
4 4. Conclusions et conséquences |
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De ce rappel rapide des enseignements de l’Église et de la Congrégation, nous pouvons tirer quelques conclusions qui ont une grande importance dans l’orientation du travail de nos Bureaux de Planification et de Développement.
1. L’évangélisation et la promotion humaine sont intimement liées et sont inséparables l’une de l’autre : elles forment ensemble ce que nous pouvons appeler le développement intégral des personnes pour et avec lesquelles nous travaillons. En effet, le développement économique et social peut être considéré comme la substance et l’aspect concret de l’évangélisation, qui ne sera jamais complète aussi longtemps que l’on ne fera pas suffisamment attention à la libération de l’homme du joug de toute sorte d’esclavage et d’oppression. L’Évangile guide et éclaire cet effort complexe.
2. Pour les Salésiens, travailler pour le développement n’est pas seulement s’adonner à l’œuvre sociale: c’est un travail qui a une âme, provenant de la proclamation active et courageuse de l’Évangile. On ne peut pas nier qu’il existe un risque constant de transformer nos activités en activisme ou en simple action sociale au détriment des contenus religieux et spirituels. Dans une intervention datée de 1998, le P. Luciano Odorico déclarait: « Dans notre pratique missionnaire se note parfois un déséquilibre dans les services d’intervention pastorale : d’une part, une assistance exagérée, une administration trop complexe et, de l’autre, trop peu d’attention à l’évangélisation explicite et à la nécessité d‘aller visiter les villages » (ACG 362, pp. 43-44).
3. Le charisme salésien doit être compris dans le contexte de l’activité complexe de l’évangélisation qui embrasse la réalité humaine entière. Les jeunes constituent nos principaux destinataires ; ils font objet de notre prédilection. De toute façon, il est vrai que les jeunes ne vivent pas en dehors de la société dans laquelle ils sont nés et ont grandi. Si nous voulons promouvoir le développement de la jeunesse, nous devons également nous intéresser au développement intégral de leurs familles et de leurs milieux sociaux. C’est pourquoi nous nous occupons aussi des adultes, soit en vue des jeunes soit à travers eux, de sorte que nous devenons capables de transformer la société entière. Sans cette approche éducative globalisante, toutes les années de soins et d’attentions, que nous portons aux jeunes dans les milieux éducatifs constitués à leur intention, risquent de ne pas obtenir l’impact escompté dans la croissance de la société.
4. La Congrégation est certainement engagée dans des activités de développement, mais c’est à partir de la perspective particulière de notre charisme : l’éducation est l’instrument principal à notre disposition ; les moyens de communication constituent aussi un grand instrument pour favoriser le développement. Dans tous les cas, notre système éducatif se tourne surtout vers la formation des jeunes engagés dans la cause de la justice, de la paix et de la création d’une société fraternellement égalitaire ; il libère non seulement les personnes, mais aussi suscite des « libérateurs » engagés dans la lutte contre l’injustice, pour un milieu plus humain et pour un ordre social plus juste.
5. Il ne peut pas y avoir de dichotomie entre l’organisation pour le développement et la pastorale des jeunes dans une province, et elles ne peuvent pas travailler sur des voies parallèles, parce que dans la vision salésienne, les jeunes constituent le centre unificateur de toutes les activités missionnaires et pastorales.
6. L’assistanat n’est pas l’expression de l’engagement salésien en faveur du développement intégral de ceux pour qui nous travaillons : nous cherchons des plans, des programmes et des projets avec des effets globaux et à long terme ; la coordination des efforts dans ce but et le travail en collaboration avec ceux qui ont la même mentalité et les mêmes objectifs, est quelque chose d’indispensable pour parvenir à les atteindre.
7. Nous impliquons et animons les gens pour leur propre développement : ils sont, eux mais pas nous, les protagonistes principaux. Nos centres ont à des centres d’animation et de coordination d’où naissent les programmes les plus divers. Dans la réalisation de ce projet, nous devons mettre sur pied un vaste mouvement de personnes qui travaillent consciemment avec nous pour la transformation de la société, l’éradication des causes de la pauvreté, de l’injustice et de l’inégalité. Notre rôle est essentiellement d’accompagner l’éclosion des nouvelles mentalités chez nos jeunes, chez les pauvres et dans la société en général, afin que le processus de transformation trouve sa propre voie d’expression. De même dans nos projets de développement, nous restons avant tout des éducateurs.
Pisana, Rome
30 Mars 2005