LE MESSAGE DU RECTEUR MAJEUR
Père Ángel Fernández Artime
APRÈS LE TSUNAMI
La pandémie a changé notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes. Nous devons nous reconstruire et renaître avec plus de solidarité et de prise de conscience pour nous remettre d'une calamité silencieuse, marquée par la douleur, le confinement, le deuil, la peur.
Que ferait Don Bosco aujourd'hui ?
Je commence par un petite histoire : Un funambule avait tendu une corde à une hauteur raisonnable au-dessus de la grande place du marché. Auparavant, des jongleurs s'étaient produits, mais leur spectacle avait duré plus longtemps que prévu et la place s’était retrouvée plongée dans l'obscurité. La prestation de l'équilibriste allait donc se dérouler nécessairement sous la lumière d'un projecteur. Dans la pénombre, l'artiste n'a pas remarqué qu'un jeune garçon l'avait tranquillement suivi en haut de l'échelle et ce n’est qu’à ses premiers pas sur la corde qu’il l’aperçoit derrière lui.
« Que fais-tu ici, lui demande-t-il ?
– Je veux venir avec toi sur la corde.
– Tu n'as pas peur ?
– Pas tant que je serai avec toi. »
Les spectateurs retenaient leur souffle. Le funambule prit l'enfant sur ses épaules et pour détourner son attention de la hauteur, de l'obscurité et du risque de vertige, il lui dit : « Regarde comme les étoiles sont belles là-haut ! Garde les yeux fixés sur les étoiles ! ». Et tant que le garçon regardait la lueur des étoiles scintillantes, il ne pensait pas au danger des pas hésitants sur la corde, au vide au-dessous d'eux, et avançait sur la corde sur toute la largeur de la place.
Don Bosco serait le premier à « monter sur la corde » avec les enfants et les jeunes. Il serait le premier à être présent, mettant à profit toute sa créativité, ses capacités et ses compétences pour amener les jeunes à se laisser habiter par l'espérance, à croire en eux-mêmes, le premier à leur offrir un rôle de premier plan, à parler à chacun de la joie de vivre et de grandir en harmonie, à les former à un engagement courageux avec et pour les autres, surtout les plus démunis.
Voici quelle est l'espérance actuelle : l'opportunité de grandir et d'apprendre ensemble, en équipes d'élèves, de familles, d'enseignants et de spécialistes. Nous devons mettre en valeur tout ce que cette crise nous a apporté (un meilleur environnement, une vie plus calme, le fait d'être ensemble en famille) ainsi que la créativité et l'innovation dont ont fait preuve de nombreux éducateurs pour réagir rapidement et efficacement, en utilisant, par exemple, le numérique.
Les choses seront différentes et nous voulons qu'elles soient différentes. Rien ne sera plus comme avant : la vie, les relations, l'espace et le temps. Nous ne voulons pas revenir au point où nous en étions, mais nous voulons changer en mieux, innover, créer, croire en nous-mêmes, en nos ressources, en l'éducation comme facteur de changement.
Nous avons besoin de créativité pour créer de nouveaux paradigmes et apporter de nouvelles réponses. Nous avons besoin que le rêve d'une nouvelle vie devienne réalité, car la tâche est rude et durera longtemps. Il ne s'agit pas d'improviser mais de donner un témoignage solide de notre espérance, de notre joie et de notre crédibilité. Plus que jamais, notre présence et notre témoignage sont nécessaires. Et plus que jamais, nous devons porter le souci des jeunes que nous ne pouvons pas laisser seuls (jamais et encore moins aujourd’hui !) : ils nous attendent, les bras ouverts, pour vivre à nouveau leur vie, avec une force d'amour capable de tout surmonter, car dans tout cela, seul l'amour peut triompher ! Nous devons rêver de nouveau le rêve des jeunes.
J'espère que nous avons appris à être plus conscients de la relation humaine, plus déterminés à bien éduquer tous les enfants et les jeunes, plus conscients du pouvoir de la bonté humaine et plus concentrés sur le travail avec les familles et les organisations pour éduquer au futur.
En clé salésienne, cela signifie :
Accueil total et cordial. Les dialogues de Don Bosco avec les jeunes révèlent sa capacité d'accueil total et cordial, élément fondamental de la relation éducative salésienne. Dans un modèle de communication amicale aussi bien informelle que situationnelle, Don Bosco va à l'essentiel, en surmontant les barrières de la « distanciation sociale » : « Fais en sorte que tous ceux qui viennent te parler deviennent tes amis » (MB X, 1085) ; et de cette façon, chacun se sentira accueilli et aimé (chaque jeune se sentait « le préféré de Don Bosco »). Dans la croissance humaine, l'important est que l'individu soit le protagoniste de sa vie et de son histoire.
Syntonie et ouverture empathique. Don Bosco recommande à ses Salésiens d’être proches des jeunes, pleins d'attention et de sympathie.
Connaissance du jeune et de ses possibilités. Selon la pédagogie de Don Bosco, le jeune peut toujours trouver en lui-même des ressources personnelles qui, mises en jeu, avec la « grâce », l'amènent à proposer et à atteindre de nouveaux objectifs de perfectionnement et de conquête de soi.
Expérience éducative et pastorale dans la vie quotidienne. L'accompagnement éducatif se réalise dans la vie quotidienne sur la cour de récréation, par exemple, espace (informel) par excellence pour connaître et accompagner les jeunes. L'extraordinaire advient dans l'ordinaire : dans les moments de la vie quotidienne, éducateur et élève ont des conversations fréquentes, partagent des moments de travail et de loisir dans une relation de connaissance mutuelle, souvent aussi d'amitié intense, qui prépare à la confiance, au don de soi et à la docilité (« Tâche de te faire aimer, ne crains rien »).
Environnement éducatif et style familial. Cherchant à imiter ce qu'il vivait dans sa propre famille, Don Bosco a voulu transférer cet esprit de famille dans la vie quotidienne du Valdocco. La convivialité entre éducateurs et jeunes doit être similaire à celle entre parents et enfants. La technologie ne peut pas remplacer les enseignants ; l'éducation restera (et doit rester) une activité d'interaction humaine intense. À l'avenir, le principal défi sera donc de trouver le bon équilibre entre soutenir l'adoption d'outils numériques et continuer à investir dans le facteur humain.
La prévention comme système. Le concept de « prévention » vécu par Don Bosco ne signifie pas purement et simplement « assistance » et « protection ». Il s'agit d'une action « promotionnelle » visant davantage à « donner les moyens » de surmonter les facteurs négatifs qui pourraient détruire la personne.
Dans le cas de COVID-19, de nouvelles stratégies éducatives sont nécessaires pour sensibiliser et préparer les élèves et les étudiants, qui seront bientôt les nouveaux citoyens, à rechercher des solutions qui prennent en compte le respect de la vie, le développement durable et l'engagement éthique.
L'accompagnement personnel comme direction spirituelle : la sainteté. L'éducateur selon Don Bosco ne se limite pas à l'humain, mais va jusqu'au spirituel. Son objectif est le bonheur total (« le Paradis »). Et pour cela, il va « jusqu'à la témérité » : marcher sur la corde est toujours difficile et risqué, mais sur les épaules de Don Bosco, on va sans crainte vers l'avenir. En gardant les yeux fixés sur les étoiles du Ciel !