LE MESSAGE DU RECTEUR MAJEUR
PÈRE ÁNGEL FERNÁNDEZ ARTIME
LÀ OÙ LE SANG VERSÉ ENGENDRE LA VIE
Ce fut une émotion très vive de rencontrer ensemble des jeunes Bororos et des jeunes Chavantès, ainsi que des missionnaires qui partagent leur vie quotidienne avec eux ; émotion aussi de célébrer sur les lieux du martyre de ceux qui ont versé leur sang pour les défendre.
Mes chers amis,
Avec le titre de ce message, je voudrais résumer l'expérience que j'ai vécue le mois dernier au cours duquel j'ai visité les présences salésiennes du Mato Grosso et du Mato Grosso du Sud au Brésil.
Les premiers Salésiens sont arrivés, il y a 125 ans, dans ce qui était alors le village de Cuiabá, devenu aujourd'hui une ville de six cent mille habitants, porte d'entrée de cette merveille mondiale qu'est le Pantanal.
J'avais demandé à rencontrer les peuples indigènes avec lesquels les Salésiens vivent depuis des décennies : les Ayoreos, les Maskoy et les Chamacocos. Je voulais porter le témoignage de la Congrégation dans les missions légendaires du Mato Grosso. Au soir d'une merveilleuse journée, je suis arrivé au village des Indiens Bororos à Meruri.
Les fils de Don Bosco, en 1894, guidés par le P. Jean Balzola, ouvrirent une nouvelle mission au Mato Grosso, à Cuiabá, en lançant la première évangélisation parmi les Bororos, avec la fondation de la « Sainte Colonie de Curaçao ». En 1906 fut créée la « Colonie de Sangradouro » qui accueillerait par la suite les Chavantès, expulsés et presque anéantis, dans la région de Parabuburi. Une première tentative d'approche des indigènes Chavantès eut lieu en novembre 1934, lorsque les Pères Jean Fuchs et Pierre Sacilotti, victimes d'une embuscade, ont versé leur sang de missionnaires salésiens.
Déjà en 1926, la présence continue, stable et solide parmi les missionnaires salésiens et ces colonies d'Indiens Chavantès et Bororos étaient une réalité. Des présences telles que Sangradouro, São Marcos et Meruri se sont consolidées et maintenues à ce jour. Quand les Indiens Chavantès arrivèrent dans le village de Sangradouro, accueillis par les Salésiens et les Bororos, bien qu'ennemis héréditaires, la population totale des Chavantès ne comptait pas 900 membres. Aujourd'hui, grâce aux lois de protection et de respect de leur culture, la population atteint 30 000 membres.
À Meruri, ils nous ont accueillis avec affection et selon leur tradition. J'ai aussi beaucoup apprécié de rencontrer tous les missionnaires qui partagent actuellement leur vie avec ces populations. Il y avait 18 Salésiens, 8 Filles de Marie Auxiliatrice et 2 Sœurs de la Congrégation de Sainte-Laure (dites « Las Lauritas »), des sœurs colombiennes avec qui nous travaillons en harmonie pour le bien de nos frères indigènes.
Le lendemain matin, nous avons vécu deux moments de grande beauté, d'humanité et de signification historique et spirituelle. D’abord la rencontre avec 40 jeunes garçons et filles Chavantès qui sont venus partager la journée avec les Bororos à l'occasion de notre présence. Jamais auparavant Bororos et Chavantès ne s'étaient rencontrés de cette façon. Les jeunes Bororos et les jeunes Chavantès ont rendu possible ce que les adultes n'avaient jamais réussi à faire auparavant.
Nous avons discuté, dansé et chanté, célébré l'Eucharistie et mangé ensemble, et nous étions au moins une centaine.
Le deuxième moment fut encore plus émouvant. Nous avons célébré l'Eucharistie au centre du village, le lieu où le Père Salésien Rodolphe Lukembein, missionnaire allemand, et l'Indien Bororo Simon Cristino ont été tués par les « facendeiros », propriétaires de grands domaines, furieusement irrités contre les Salésiens qui défendent les droits des indigènes pour leurs terres. Le 15 juillet 1976, ils sont arrivés dans le village et, après une discussion, ont tiré sur le P. Rodolphe. L'Indien Simon est venu pour le défendre et a également été massacré.
Le jour de ma visite, j'ai pu saluer et remercier un témoin âgé du martyre, lui aussi frappé, mais sauvé par les médecins. Il était là, humblement présent, le matin de notre célébration eucharistique.
La Cause de sainteté de nos deux martyrs, tous deux Serviteurs de Dieu, touche à sa fin.
Ce fut pour moi une émotion très vive de me retrouver au pays des Bororos, de rencontrer les jeunes Bororos et Chavantès qui voulaient vivre ce moment ensemble, de rencontrer des frères et sœurs missionnaires qui partagent leur vie avec eux chaque jour et de célébrer l'Eucharistie sur les lieux du martyre de ceux qui ont versé leur sang pour les défendre. La devise choisie par Rodolphe Lukembein pour son Ordination était : « Je suis venu pour servir et pour donner ma vie ». Lors de sa dernière visite en Allemagne en 1974, sa mère le suppliait d'être prudent parce qu'on l'avait informée des risques encourus par son fils. Il répondit : « Maman, pourquoi t'inquiètes-tu ? Il n'y a rien de plus beau que de mourir pour la cause de Dieu. Ce serait mon rêve. »
Aux premières lueurs du jour, avec toute la communauté bororo, nous avons fait une petite procession vers les tombeaux de Simon Cristino et Rodolphe Lukembein, priant pour tous les missionnaires salésiens. Mes pensées s’envolaient vers l'Afrique, à la frontière du Burkina-Faso où, il y a un peu plus de deux mois, notre frère salésien, le missionnaire espagnol César Antoine Fernández, a perdu la vie, simplement parce qu'il était prêtre et missionnaire.
Le titre de mon message fait précisément référence à ces deux histoires. Le sang qui est versé, et qui produit tant de douleur, engendre aussi la vie. Je l'ai vu dans les villages Bororos et Chavantès, et nous le voyons en Afrique, où des « miracles de vie » s’accomplissent chaque jour.
Ces lignes se veulent un remerciement à tant de vies données avec une générosité sans limites. Et merci à beaucoup d'entre vous, amis et lecteurs du Bulletin Salésien, qui continuez à croire au bien que nous essayons de faire ensemble dans ce monde qui a toujours besoin d’entendre de bonnes nouvelles qui réjouissent le cœur ; un monde qui a besoin d'histoires qui changent la vie, car il n'y a pas que le mal dans notre monde, bien au contraire ! Il y a tant de bien qui, chaque jour, est semé et porte fruit. Mais cela ne fait pas la une des journaux, alors que le mal, les tragédies, la violence et la mort, la font.
C'est pourquoi nous devons être des diffuseurs de bonnes nouvelles. Comme je viens de vous le dire, même dans la douleur de la mort, il y a des faits qui engendrent la vie.