301-350|fr|303 « Remettons·nous ensemble à la sainteté »

« REMETTONS·NOUS ENSEMBLE À LA SAINTETÉ »


« REMETIONS·NOUS ENSEMBLE À LA SAINTETE » - Introduction - Dialogue avec les Provinces - Un bilan positif - Limites et carences - Le problème de fond - Le don le plus précieux que nous pouvons faire aux jeunes : notre sainteté - Rencontre quotidienne avec le Christ - Effort d'ascétisme - Le style de Don Bosco - Conclusion.



Rome, le 12 décembre 1981


Chers Confrères,

Aujourd'hui, en la fête de Notre-Dame de Guadalupe, le Chapitre Général des Filles de Marie Auxiliatrice, qui voit maintenant venir la fin de ses importants travaux, a été reçu en audience particulière par le Saint Père. Cette rencontre, qui était précédée d'une solennelle célébration de l'Eucharistie dans la Basilique Saint Pierre, a eu une grande portée ecclésiale. Nous avons prié pour le nouveau Conseil Supérieur des Filles de Marie Auxiliatrice, pour que grandisse la communion fraternelle à l'intérieur de la Famille Salésienne et pour que celle-ci sache de mieux en mieux évangéliser la jeunesse avec courage et sens de l'actualité.

Tandis que nos sœurs travaillent d'arrache-pied à la rédaction définitive de leurs Constitutions, nous pensons déjà à notre prochain Chapitre Général, le 22e qui aura le même travail à faire. Pour que ce Chapitre si important soit préparé le mieux possible, j'ai déjà désigné, selon l'art. 100 de Règlements, son « Régulateur » : Don Juan Edm. Vecchi, l'actuel Conseiller pour la Pastorale des jeunes. Aidons-le de notre prière et de notre collaboration.


Le dialogue avec les Provinces.


En octobre dernier, nous avons termine ce que nous appelons les « visites d'ensemble » à Hong-Kong, avec nos Provinces d'Extrême-Orient.

Je m'arrête un peu sur ce sujet pour que tous saisissent bien l'importance de cette nouvelle forme de « présence du Conseil Supérieur » dans les différentes régions de la Congrégation, présence qui est maintenant devenue une pratique nécessaire dans les Instituts religieux, étant donné l'actuel contexte d'unité et de décentralisation, et réciproquement. Ce sera une réflexion pratique qui permettra à tous de s'ouvrir à une vision générale de toute notre Congrégation aujourd'hui, et, pour ainsi dire, d'en prendre le pouls, aussi bien au positif qu'au négatif ; et ceci va nous servir de tremplin concret pour les réflexions sur l'urgence de la sainteté qui suivront.

Toutes les « visites d'ensemble » ont fait l'objet d'un dialogue de révision et de planification sur notre vie salésienne par rapport aux orientations données par notre dernier Chapitre général (le 21e). Ce dialogue avait comme interlocuteurs un groupe de provinciaux et leurs Conseils provinciaux d'une part, et d'autre part le Recteur Majeur avec les Conseillers de dicastère et le Conseiller Régional correspondant. La rencontre avait été préparée par chaque Province et avait été ensuite organisée et synthétisée par les différents groupes en accord avec le Conseiller Régional.

Nous avons donc fait dix visites d'ensemble.

Deux en Asie, la première et la dernière :

- à Calcutta pour les Provinces indiennes (octobre 1979) ;

- et à Hong-Kong pour les Provinces et les Délégations d'Extrême-Orient (octobre 1981).

Six en Europe :

- pour les trois Provinces de langue allemande à Benediktbeuern, en Allemagne (janvier 1980) ;

- pour les deux Provinces de langue néerlandaise à Bruxelles, en Belgique (février 1980) ;

- pour les différentes Provinces de l'Europe de l'Est, à Lodz, en Pologne (avril 1980) ;

- pour les trois Provinces de langue française à Farnières, en Belgique (août 1980) ;

- pour les Provinces d'Italie et du Proche-Orient à Pacognano, près de Naples (janvier 1981) ;

- pour les Provinces de la région Ibérique à Barcelone, en Espagne (juillet 1981).

Deux dans les deux Amériques :

- pour les Provinces de la région occidentale de langue anglaise, à Malibu, en Californie, aux USA (septembre 1980) ;

- pour les nombreuses Provinces d'Amérique Latine à San Miguel, Buenos Aires (avril 1981).

Les points centraux autour desquels s'est noué le dialogue étaient les sujets fondamentaux du 21e Chapitre Général :

  • la communauté salésienne évangélisée, dans quelques-uns des aspects fondamentaux de notre vie religieuse ;

  • la formation de tous les confrères ;

  • notre projet éducatif et notre fécondité par rapport aux vocations ;

  • nos Missions, surtout en Afrique ;

  • la Famille Salésienne avec une insistance sur le souci d'intéresser davantage les laïcs qui en font partie.

Il a été nécessaire de démultiplier ces rencontres, en faisant des groupes d'une certaine homogénéité culturelle et ecclésiale. Concrètement, nos Provinces sont insérées dans des types de situations variés et différents. Par exemple, celles de l'Europe occidentale respirent davantage un climat marqué par le processus de sécularisation qui, dans les sociétés, se traduit malheureusement en fait par des comportements dangereusement sécularisés.

Nos Provinces de l'Est européen sont au contraire insérées dans des sociétés de structure marxiste dont les façons de voir sont marquées par une mutilation apostolique forcée, surtout en ce qui concerne la pastorale des jeunes.

Nos Provinces du monde anglo-saxon sont engagées dans des sociétés caractérisées par un réalisme pragmatique qui n'aide pas toujours à comprendre les motivations profondes des changements conciliaires.

Nos Provinces d'Amérique Latine sont entrainées dans un fort dynamisme d'adaptation pastorale voulue par les Pasteurs à Medellin et à Puebla ; ici et là, dans quelques pays, on ressent la possible influence ambiguë de certaines options temporelles de tout acabit.

Nos Provinces d'Asie ressentent de façon plus aiguë les difficiles problèmes d'acculturation.

En Afrique, la Congrégation est en train de vivre un temps de semailles qui comporte des exigences et des problèmes tout à fait particuliers.

Les dialogues ont donc revêtu des styles et des accents différents.


Un bilan positif.


Pour les six années précédentes, le Chapitre Général avait programmé un dialogue de révision par continent : donc, quatre grandes réunions. La nouvelle façon de faire, même si elle demande de plus gros sacrifices, étant donné le nombre des rencontres, semble plus souple et plus concrète. L'appréciation globale sur ses résultats est, dans l'ensemble, positive. Evidemment, il y a eu des défauts et des carences. Mais au fond, le fait lui-même de ces rencontres a été constructif et porteur d'une plus grande communion, d'une prise de conscience plus claire et de meilleures options pour notre action.

Je voudrais souligner certains des aspects les plus positifs qui pourront être utiles pour fortifier notre espérance qui ne demande qu'à grandir.

Tout d'abord l'unité qui ressort fortement de toutes les visites d'ensemble : notre amour pour Don Bosco, notre accord profond par rapport aux valeurs qui font notre identité, l'adhésion aux derniers Chapitres Généraux, la solidarité et une communion vivante avec le Recteur Majeur et avec le Conseil Supérieur, l'atmosphère fraternelle vraie et intense, la liberté, la franchise, le respect avec lesquels nous avons pu parler ensemble des problèmes. Il s'est créé un rapport d'amitié religieuse et de coresponsabilité plus senti et plus immédiat, et en même temps, le Provinciaux et leurs Conseillers ont mieux perçu les dimensions de la Congrégation et leur responsabilité salésienne dans l'exercice de leur fonction locale. Chaque tranche de sujets et leur ensemble ont touché des points importants de notre vocation. Dans ce court laps de temps, d'importantes perspectives d'action et de synthèse se sont fait jour.

Ensuite un renouveau du sens de la province, même si, en certains cas, ce sens en était plutôt à ses débuts.

Un climat général d'espérance et une volonté d'engagement concrétisée dans des conclusions pratiques.

Une vision panoramique et réaliste, pour le Recteur Majeur et son Conseil, de la vie et de la mission salésienne dans le monde.

La possibilité d'une meilleure programmation pour une animation adaptée à une réalité mieux connue.

Une sensibilité plus grande aux exigences évangéliques de la vie religieuse et au patrimoine pastoral et pédagogique du Système Préventif.

Notre insertion dans l'Eglise locale semble mieux comprise : on y voit une communion dans une convergence concrète de toutes les forces qui travaillent à l'évangélisation des jeunes d'aujourd'hui et, par là même, on a retrouvé le sens de notre place spécifique dans la pastorale : on a mieux saisi toute la portée du Projet salésien, à la fois comme synthèse des différents aspects de notre vie et de notre action, comme expression de la finalité pastorale de tout l'ensemble et comme point de rencontre entre l'inspiration et la tradition d'une part, les nouveaux appels des temps d'autre part.

Il y a eu aussi des propositions significatives pour une action future, comme celle de creuser l'idée d'une spiritualité spécialement conçue pour nos jeunes : la naissance de groupements et de mouvements requiert, en effet, une inspiration de fond commune et qui prenne sa source dans l'esprit de Don Bosco.

A propos du thème de la Famille Salésienne, nous avons décidé un nouveau plan d'action qui fait de la communauté salésienne un centre d'animation et de plus grande communion et, également, un cadre vivant de référence pour les nombreux éléments actifs laïcs.

Sur le sujet de fond de la vie religieuse, on a approfondi l'importance du sens de notre vie communautaire et le côté d'animation que comportent les services de gouvernement ; on a particulièrement insisté sur le retour à la vraie figure salésienne du Directeur et également à celles du Provincial et de son conseil.

Au sujet du point urgent et délicat de la formation, on a rappelé, puis (au cours des rencontres qui ont eu lieu après la promulgation de la « Ratio »), pris en compte, les grands principes, les lignes d'orientation et les normes du document sur la « Formation des Salésiens de Don Bosco», émanant de notre 21e Chapitre Général.

Le thème des Missions et l'information sur le Projet-Afrique a réveillé et raffermi l'action salésienne en cet indispensable domaine ; bien des initiatives généreuses et concrètes de plusieurs provinces ont été mises au point et confirmées.

A chaque visite, des conclusions pratiques ont été définies ; elles sont en cours de réalisation et aideront nos provinces dans leur lancée de développement.

Remercions de tout notre cœur le Seigneur pour tout ce bien.


Limites et carences.


Nous avons évidemment trouvé des manques. Certaines visites d'ensemble étaient moins bien préparées que d'autres. Il y a eu des cas où l'on rencontrait plus de réceptivité que de participation active ; en d'autres lieux, il y avait plus de capacité d'analyse, une grande précision pour situer les problèmes, mais moins de recherche de solutions, au moins de solutions de démarrage et moins de conclusions pratiques. Il est clair qu'il faut tenir compte du fait que c'était la première fois qu'on se lançait dans un dialogue de ce genre et que l'on manquait donc d'expérience.

En revoyant l'ensemble de ces visites, le Conseil Supérieur pense qu'il est important de réviser notre façon de faire, pour déterminer plus soigneusement (et ceci serait à faire par les Conseillers « ensemble ») les objectifs et les points à approfondir et pour mieux coordonner la participation de chaque dicastère. On a aussi senti la nécessité, à ce propos, de mieux spécifier le rôle de chaque Conseiller Régional, surtout pour la préparation de ces rencontres et pour fixer les conclusions pratiques. On souhaite que le Conseil Supérieur définisse mieux, et à temps, la portée et la finalité spécifique de chacune de ces rencontres pour qu'ensuite l'attention et les travaux puissent se concentrer sur quelques points chauds d'action, en laissant les autres points plutôt pour une information que pour un dialogue de révision.

La variété des situations et les différences entre les Régions n'ont pas toujours permis une participation homogène : en certaines rencontres sont intervenus tous les Conseillers provinciaux (comme c'était souhaitable), en d'autres un ou deux délégués seulement, ce qui appauvrissait, d'une certaine manière, le dialogue et la communication ainsi que les possibilités de réalisation concrète par la suite.

On travaille beaucoup dans nos Provinces, mais ici ou là on s'aperçoit que le travail n'est pas réparti de façon rationnelle, ce qui dénote parfois un reste d'individualisme apostolique et, en général, un manque de programmation au niveau des conseils provinciaux et des communautés locales.

Un certain pragmatisme dans le travail et un manque de programmation communautaire ont aussi engendré une dangereuse négligence par rapport à la vie spirituelle, par rapport à d'adaptation de la pastorale, à la formation permanente qui, en certaines provinces, ne sont pas ce qu'il faudrait. Je crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles l'assimilation des textes et des orientations ecclésiales et salésiennes a été plutôt lente. Le manque d'approfondissement de notre Profession religieuse représente un grave danger, pas du tout imaginaire, de superficialité.


Le problème de fond.


Oui, me chers confrères, à une époque de transition culturelle comme la nôtre, l'ennemi le plus à craindre est la « superficialité spirituelle » !

Nous courons le risque de faire consister tout le renouveau en initiatives plutôt « à usage externe » et en organisation. La restructuration de la province et des œuvres est, sans aucun doute, importante et indispensable. Il est urgent de revoir notre dimension communautaire, de remettre en relief la figure du directeur, de prendre en compte et d'appliquer la Ratio, de reformuler notre projet de pastorale éducative, d'élargir les horizons de la Famille Salésienne, de programmer avec magnanimité notre engagement missionnaire. Mais à la base de tout cela, comme la source et l'âme de tout, il faut nous remettre ensemble à la sainteté, aussi bien personnelle que communautaire : il nous faut reconsidérer et revivre le sens existentiel de notre profession religieuse et le dynamisme vivifiant de notre consécration !

Si nous voulons que le vaste processus de renouveau dans lequel nous sommes engagés ne soit pas seulement « à usage externe », il nous faut nous relancer vitalement dans ce que nous proposent nos Constitutions à l'article 2°: « être, dans le style salésien, signes et porteurs de l'amour de Dieu pour les jeunes, surtout pour les plus pauvres. C'est en nous acquittant de cette mission à la suite du Christ que nous trouverons le chemin de notre sainteté ».

Nous ne sommes pas seulement, n'est-ce pas, des « catéchistes » ; nous sommes des « éducateurs » : nous évangélisons par l'éducation. Mais en outre, nous ne sommes pas seulement des « éducateurs », mais aussi des « guides » ou des « mystagogues », selon un terme cher aux Pères de l'Eglise pour parler de l'initiation au mystère du Christ ; c'est à dire que nous sommes attentifs à mener pédagogiquement les jeunes à leur insertion vitale dans les réalités de la foi : nous éduquons en évangélisant, dans ce sens que toute notre activité de promotion éducative est animée et finalisée concrètement par le souci d'introduire les jeunes dans le mystère du Christ et de leur faire vivre sa Pâque. L'âme du Système Préventif est, toujours et partout, le « Da mihi animas » qui s'origine dans une spiritualité centrées sur une « charité pastorale » conçue et vécue selon le style de Don Bosco.1 « Imitant la patience de Dieu - nous disent nos Constitutions -, nous rencontrons les jeunes là où ils en sont avec leur liberté et leur foi. Par notre présence fraternelle, nous les aidons, par le dialogue, pour que le mal ne l'emporte pas sur leur fragilité, à se libérer de tous les esclavages. Nous multiplions nos efforts pour les éclairer et les entraîner, dans le respect du délicat développement de leur foi ».2

Mais pour faire cela avec une patiente persévérance, c'est à dire pour vivre chaque jour notre projet de les guider et de les mener jusqu'à l'initiation du Mystère, la « sainteté » est absolument indispensable : voilà le premier objectif de notre véritable renouveau !


Le don le plus précieux que nous pouvons faire aux jeunes : notre sainteté.


La vision globale de la vie de la Congrégation que j'ai acquise au cours de ce contact prolongé (presque trois ans) avec les provinces, à travers ces visites d'ensemble, me pousse à prononcer l'affirmation fondamentale suivante : le plus grand problème qui, aujourd'hui, pour nous, reste ouvert, est celui de retrouver la sainteté.

Oui, les jeunes d'aujourd'hui ont un urgent besoin de notre sainteté. Le Christ et Marie nous ont appelés exactement pour cela : notre sainteté est le plus beau et le plus utile des cadeaux que nous puissions offrir à la jeunesse.

Malheureusement, le mot de « sainteté » peut être mal compris par une mentalité qui n'est pas d'aplomb ; mais elle est assez répandue et elle vient d'un état d'esprit qui oppose une sorte de blocage culturel à ce que veut vraiment dire ce mot. Il y en a qui l'identifieraient volontiers à un spiritualisme d'évasion hors du concret, ou à un ascétisme pour héros d'exception, ou à une sorte d'extase, sortie du réel et qui mépriserait la vie active, ou à une façon de voir d'autrefois par rapport aux valeurs de l'actuel tournant anthropologique. Une telle caricature est tout à fait déplorable.

Eh bien nous, nous croyons au contraire en la sainteté et en son actualité. Plutôt que de nous arrêter sur le concept abstrait de sainteté, regardons le vivant témoignage de Don Bosco « saint ».

Quand nous affirmons que notre sainteté est le don le plus précieux que nous pouvons faire aux jeunes, nos voulons dire qu'ils ont besoin de trouver en chacun de nous un autre Don Bosco, un autre cœur de Don Bosco.

C'est en ce sens qu'il semble urgent et fondamental de relancer la sainteté, de faire même retrouver toute son actualité et son attraction au terme lui-même qui a été un peu délavé par les caricatures courantes. La sainteté de Don Bosco est simple et sympathique, elle est robuste et prophétique.

Seul Dieu est saint. La sainteté humaine est communion et participation à l'amour divin ; elle nous confirme que l'Esprit du Seigneur habite vitalement notre cœur et l'histoire des hommes· sans elle, l'humanité n'atteint pas son but.

Voici que, parmi tant de saints, prémices d'intégrité humaine dans le dessein du Père, Don Bosco est un témoin éclatant qui transmet aux jeunes les valeurs indispensables de la sainteté.

Dominique Savio pourrait nous en parler avec enthousiasme et espérance.

Une sainteté, disais-je, simple et sympathique, qui a son style propre et qui est contagieuse, qui inspire confiance et construit l'amitié, mais qui est très exigeante sur ce que dit l'évangile. C'est l'Esprit qui nous y fait parvenir par un appel sont personnel ; et on ne peut y persévérer sans fidélité et sans un continuel recours à ses inspirations. C'est une sainteté simple et sympathique mais qui n'est ni facile ni confortable !

Pour nous, cela « ne suffit pas d'aimer ». Don Bosco nous a appris que l'idéal de la sainteté salésienne est de « se faire aimer » ; et la « tonnelle de roses » nous rappelle clairement combien c'est exigeant. Son style de sainteté est un style pédagogique. Il perdrait son originalité si nous y introduisions des barrières qui mettraient de la distance par rapport aux jeunes ou si nous le leur rendions antipathique.

Les situations actuelles des provinces me font penser qu'il nous faut privilégier deux éléments fondamentaux de la sainteté salésienne et mettre toute notre attention à les repenser ensemble pour leur donner toute leur actualité.

La première est l'intimité avec le Christ qui sera la source quotidienne de notre charité pastorale dans notre activité éducative.

La seconde est un sérieux effort ascétique pour être constamment de bons pédagogues.

Sans une vraie amitié avec le Christ, ressentie personnellement et vécue communautairement, et sans le sérieux de l'ascèse, aucun effort de renouveau ne fera de nous des signes et des porteurs de l'amour de Dieu pour les jeunes.

Permettez-moi de faire quelques brèves remarques sur ces deux points qui sont comme les deux ressorts principaux de notre reprise.


Rencontrer le Christ chaque jour.


Réfléchissons d'abord, avec toute notre attention, sur ce qu'a écrit Don Bosco dans son testament : « Votre premier Recteur Majeur est mort. Mais notre vrai Supérieur est Jésus Christ, et lui ne meurt pas. Il sera toujours notre maître, notre guide, notre modèle ».3 Rappelons-nous aussi ce que dit notre tradition spirituelle : « le cœur de l'esprit salésien est une charité pastorale caractérisée par ce dynamisme plein d'allant qui se trouve si fort chez notre fondateur et aux débuts de notre Société. C'est un élan apostolique qui nous met à la recherche des âmes et au service de Dieu uniquement ».4

La sainteté vit et se manifeste par cet amour qui est la charité de Dieu (1'« agapè » de St Jean l'évangéliste).

La sainteté salésienne contemple dans une optique particulière la charité du Père qui a tant aimé les hommes qu'il leur a envoyé son Fils et son Esprit pour les sauver. Elle souligne, dans cet amour, le don de soi au service des initiatives de salut, surtout pour les jeunes.5 Elle ne se contente pas de paroles mais construit avec des actes : la charité pastorale s'incarne dans des faits.

L'agir donne à l'être une vigueur particulière et le rend attirant par son authenticité et fa fécondité. L'Ecriture Sainte ne cesse de proclamer l'exigence de l'action : « Ce ne sont pas ceux qui me disent : " Seigneur, Seigneur ! " qui entreront dans le royaume de Dieu. N'y entreront que ceux qui font la volonté de mon Père qui est au ciel ».6

Il s'agit donc d'une charité pastorale bien concrète et active qui vit en nous à travers de constantes relations d'amitié envers deux types de personnes : les personnes infinies de Dieu et les personnes humaines, surtout les « petits et les pauvres ».

On voit ainsi qu'il y a une dynamique interne dans cette charité : celle qui va de nos relations d'amitié avec Dieu à nos relations d'amitié avec les jeunes.

Quelle est la relation qui vient en premier : l'amitié pour l'homme qui en a besoin ou l'amitié avec Dieu ? Y a-t-il entre ces deux relations une dépendance ? Est-ce que l'une découle de l'autre ? Ou sont-elles parallèles dans leur coexistence ? L'une peut-elle subsister sans l'autre ? Ce sont là des questions intéressantes dont la réponse nous fera toucher le point névralgique pour un redépart de notre sainteté.

Ces questions que nous nous sommes posées ne sont ni artificielles ni superflues malgré leur apparent pléonasme ; elles affrontent directement et en profondeur certaines idées à la mode qui sont le fait d'une mentalité sécularisante assez répandue. En effet, les changements culturels actuels qui ont provoqué l'une des plus grosses crises de l'histoire de la vie religieuse, se caractérisent par un fort anthropocentrisme accompagné d'« une conception du monde qui explique ce monde sans qu'il soit besoin de recourir à Dieu ».7 Cette mentalité s'est infiltrée insidieusement, sous des revêtements religieux, dans les milieux de fidèles. On est passé de la vision biblique et patristique de l'homme « image de Dieu », par laquelle on ne connaît vraiment l'homme que si l'on connaît le Christ qui est Dieu fait homme,8 à une vision opposée par laquelle l'homme ne connaît le mystère de Dieu (s'il existe !) qu'en se connaissant lui-même.

Une telle attitude d'esprit peut engendrer une réponse désastreuse aux questions que nous avons formulées ci-dessus ; sans affirmer explicitement le primat de l'amour pour l'homme, cette attitude insiste presque exclusivement sur l'homme, sur ses besoins, sur les situations d'injustice sociale dans lesquelles il se trouve et d'où il faudrait partir pour repenser l'amour de Dieu et sa signification et par conséquent, e sens de la consécration religieuse.

Une telle interprétation mène à une attitude intérieure pleine des dangers de l'anthropocentrisme qui aboutissent vite à suffoquer la charité pastorale .et, par conséquent, à une détérioration progressive de notre sainteté. C'est vrai que l'apôtre St Jean affirme que l'amour envers le prochain est indispensable : « si quelqu'un n'aime pas son prochain qu'il voit, il ne peut aimer Dieu qu'il ne voit pas ».9 Mais St Jean se place ici au niveau d'une vérification de la vérité concrète de notre charité. De fait, il avait écrit juste avant : « l'amour vient de Dieu... ; l'amour vrai consiste en ceci : ce n est pas amour que nous avons eu pour Dieu mais l'amour que Dieu a eu envers nous... ; si Dieu nous a tant aimés, nous aussi, nous devons nous aimer les uns les autres ; nous, nous aimons Dieu parce qu'Il nous a manifesté le premier son amour ».10

Déjà l'Ancien Testament avait parlé de l'amour de Dieu et du prochain en termes de priorité absolue ; mais c'est dans le Nouveau Testament que cet amour prend toute sa mesure et reçoit sa dynamique Interne pour assumer des dimensions inouïes.

Le commandement de Jésus Christ est très clair là-dessus : « Aimez-vous les uns les autres comme moi Je vous ai aimes ! ».11 Ce « comme » nous offre la réponse la plus précise et la plus radicale qui soit à nos questions de tout à l'heure. Dans notre charité pastorale, l'amour pour les jeunes découle directement, de par sa nature, de l'amour de Dieu ; nos relations d'amitié avec les jeunes sont le fruit précieux et normal de nos relations d'amitié avec Dieu. Sans amour pour Dieu, il n'y a pas de charité pastorale envers les jeunes !

Dans son discours d'ouverture de la 2de Assemblée générale de la Conférence épiscopale d'Amérique Latine (qui a eu lieu à Medellin en 1968), Paul VI a voulu attirer l'attention des pasteurs d'Amérique Latine sur un point doctrinal qui a trait à la charité pastorale. Il s'agit de la « dépendance de la charité envers le prochain par rapport à la charité envers Dieu. Vous savez - disait-il - quel assaut subit de nos jours cette doctrine qui vient si clairement et incontestablement de l'évangile : on veut "séculariser" le christianisme, en laissant de côté sa référence essentielle à la vérité religieuse, à la communion surnaturelle avec l'ineffable et surabondante charité de Dieu envers les hommes et au devoir des hommes d'y répondre et d'oser aimer Dieu et l'appeler 'Père' pour pouvoir ainsi appeler en vérité les hommes 'frères' ; on veut arriver ainsi à libérer le christianisme lui-même de 'cette forme de névrose qu'est la religion' - comme le dit Cox -, à bannir toute préoccupation théologale, à donner au christianisme une nouvelle efficacité, toute pragmatique, la seule qui puisse le rendre acceptable et opérant dans la civilisation moderne profane et technologique ».12

Nous disons donc que nos relations d'amitié avec Dieu sont la vraie source et la sève qui nourrit notre pastorale de prédilection pour les jeunes.

Nous voici donc arrivés au point qui consiste à savoir comment cultiver et intensifier sans cesse notre amour pour Dieu ?

Il n'y a qu'une réponse à donner : par la rencontre quotidienne avec le Christ !

St Jean, qui n'est pas seulement le « théologien de la charité » mais qui en est aussi le témoin le plus insigne, nous a laissé une célèbre définition de l'essence de la sainteté en affirmant que « Dieu est amour ».13 Cette formule n'a pas été prononcée par Jésus et elle n'est pas non plus une affirmation dogmatique abstraite ; c'est la conclusion des longues réflexions de Jean sur la vie et sur la pâque de son ami Jésus et sur les relations personnelles de Jésus avec son Père. Plus Jean médite sur les faits, les paroles et la psychologie de Jésus, plus il découvre avec une évidence éclatante que la charité (l'amour, 1'« agapè ») est comme la synthèse du sens historique de l'incarnation du Verbe et l'explication exhaustive de tout le mystère de Dieu fait homme.

Pour Jean, ce qui distingue les croyants de la Nouvelle Alliance des autres, c'est précisément cette façon-là de considérer le Christ. Il ne suffit pas de le reconnaître comme le Messie et le Seigneur de l'histoire ; il faut adhérer vitalement à Sa façon d'aimer et partager ainsi l'efficacité de cette façon d'aimer.

Tout le réalisme de la charité qui est en Dieu se trouve dans le Christ qui en manifeste, dans sa vie historique, toute l'originalité et la puissance.

Personne n'a jamais vu14 Dieu qui est un pur esprit ;15 mais dans le Christ, « image parfaite du Père »,16 Dieu se rend présent ; dans le Christ, se concentre toute l'originalité divine par rapport à l'amour.

Dans le christianisme, connaître et aimer Dieu ne signifie pas simplement qu'il faut refléter et admirer Sa toute-puissance, Sa sagesse, Sa justice, mais qu'il faut être pris existentiellement par le Christ pour partager activement sa charité.

Le « saint » est précisément celui qui s'ouvre pleinement à cet amour et qui sait le transmettre aux autres.

Nous reprendre, donc, au plan de notre sainteté salésienne, c'est, avant tout, cultiver notre rapport d'amitié avec Lui, individuellement et communautairement.

Voilà pourquoi la rencontre quotidienne avec le Christ est, en fait, l'alpha et l'oméga de la charité pastorale.

Cette « rencontre » implique, évidemment, une amitié continue ; mais ici je veux parler très exactement d'une espace concret pris sur notre temps de chaque jour et qui est la méditation et la prière personnelle, la liturgie des heures, l'Eucharistie.

Le sacrement du mémorial de sa Pâque qui est porteur du plus grand amour de toute l'histoire, doit redevenir le moteur vital de notre cœur et de nos maisons.

Notre Chapitre Général Spécial a traité dans les détails et avec une objectivité qui correspond bien au concret de notre vie, des différents aspects essentiels et indispensables de notre rencontre personnelle et communautaire avec le Christ. Je vous invite à méditer attentivement son texte n. 9 intitulé « La communauté orante ».17


Effort d'ascétisme.


La seconde colonne qui soutien l'édifice de notre sainteté est constituée par un ascétisme formateur, concret et quotidien, dans notre conduite personnelle et dans le style de notre vie communautaire.

L'un des phénomènes les plus dangereux que nous avons pu constater en ces années de crise de la vie religieuse, a été une quasi-désintégration de l'ascèse, ce qui équivaut à une perte du sens de l'effort méthodique visant à éliminer, avec l'aide de la grâce, tout ce qui s'oppose à notre croissance dans le Christ, et qui nous aide à affronter virilement les sacrifices imposés par cette croissance : abnégation et renoncement,18 acceptation de la souffrance,19 lutte intérieure et combat spirituel,20 etc., non en vue de nous-mêmes, mais en tant que participation au mystère pascal du Christ, en tant qu'acquiescement aux motions de l'Esprit.

Une telle perte a eu des résultats très graves ; elle a ôté à la vie religieuse sa caractéristique qui faisait d'elle un « signe » dans le monde. Sans une option d'ascétisme visible, on ne peut témoigner clairement des grandes valeurs contenues dans nos vœux qui sont, en eux-mêmes, une formidable contestation évangélique de notre actuelle société permissive. Bien plus, sans ascèse, les vœux ne riment plus à rien et ce qu'il y a de spécifique dans la sainteté de la vie religieuse est réduit à rien !

Le Pape Paul VI s'adressant aux religieux disait avec réalisme et non sans angoisse : « Le fléau le plus dangereux qui guette vos instituts est le laxisme moderne dans lequel nous sommes plongés. Résistez-lui à tout prix ! Aujourd'hui plus que jamais, la vie religieuse doit être vécue dans toute sa plénitude et en conformité avec ses hautes et sévères exigences de prière, d'humilité, d'esprit de sacrifice, d'austère pratique des vœux. En un mot : la vie religieuse doit être sainte ou bien elle n'a plus de raison d'être »21

Au cours de l'histoire du Christianisme, les modalités de l'ascèse et sa pratique concrète se sont exprimées, au contact des différentes visions anthropologiques, dans des formes toujours neuves. Une saine auto-éducation par l'ascèse s'inscrit toujours dans un certain cadre culturel et s'adapte au type de vocation choisie.

Ainsi, dans une atmosphère où régnait une mentalité platonicienne, était-il fréquent d'envisager l'ascèse sous le jour d'un certain dualisme caractérisé par le mépris des valeurs somatiques.

D'autre part la pratique ascétique d'un « contemplatif » ne peut servir de barème pour celle d'un « actif » et réciproquement.

L'homme est, à la fois, esprit et chair et il vit sa propre vocation dans une culture déterminée, marquée par une certaine vision anthropologique. Une juste ascèse doit prendre acte des exigences du projet sur l'homme qu'a Dieu, à travers l'esprit et la chair et dans la ligne d'une compréhension de plus en plus mûre de la vérité de l'homme. De même notre actuel tournant anthropologique demande, sans aucun doute, une inculturation et une acculturation, et donc une saine adaptation de l'ascèse chrétienne en général, et de notre ascèse salésienne en particulier, aux nouvelles valeurs humaines qui apparaissent et aux exigences requises par les signes des temps. Mais elle doit rester une vraie « ascèse », et plus encore, une ascèse « chrétienne » et, pour nous, « salésienne » qui nous permette de grandir harmonieusement dans le sillage de la Pâque et de notre tradition spirituelle.

L'ascèse implique, en effet, l'offrande de soi-même à Dieu dans une suite radicale du Christ ; et, pour nous, elle implique aussi le don plénier de notre énergies dans l'action pastorale : car l'apostolat est, lui aussi, une sorte d'athlétisme de la charité pour lequel « je me soumets - come dit St Paul - à une dure discipline et j'essaie de me rendre maître de moi-même pour ne pas être disqualifié ».22

Notre ascèse, aujourd'hui, doit tenir compte des progrès accomplis par les sciences humaines, mais elle doit toujours les voir dans la lumière pascale. « Le Christ, nouvel Adam, - nous dit le Concile dans la Constitution 'Gaudium et Spes' - dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation... Par le Christ et dans le Christ, s'éclaire l'énigme de la douleur et de la mort, qui, hors de son Evangile, nous écrase ».23

Le tournant anthropologique actuel a mis avec raison en relief les valeurs de la liberté, du corps, du développement de la personne et l'importance de la réalisation de l'individu ; mais tout ceci demeure païen et peut dégénérer en égocentrisme si ce n'est pas lavé dans l'eau baptismale de la Pâque du Christ.

Les nouvelles données culturelles ne peuvent changer les éléments évangéliques de la vie consacrée : ainsi, par exemple, « l'obéissance religieuse, loin d'amoindrir la dignité de la personne humaine, l'amène à sa maturité en développant la liberté des enfants de Dieu ».24

Nous vivons dans une civilisation qui a laissé tomber le primat de Dieu et qui a perdu, en conséquence, le sens du péché : notre péché et celui des autres et, pour nous en particulier, celui des jeunes.

Dans les sociétés d'aujourd'hui on célèbre le triomphe des concupiscences (le pouvoir, le bien-être, la chair et l'orgueil de la vie). Par ailleurs, chacun de nous sent bien, en lui, que les passions l'emportent,25 nourries qu'elles sont par tant de séductions mensongères qui courent les rues.

C'est malheureusement une triste réalité que cette abondance de nos faiblesses et de nos péchés et de ceux des gens du monde, en particulier des jeunes. Don Bosco fut, comme on sait, un ennemi implacable du péché : il savait que celui-ci est une rupture par rapport à Dieu, par rapport à son amitié et que, par conséquent, il défigure l'homme et la société.

Il est urgent de faire revivre en nous l'esprit de conversion, d'expiation et de vigilance, c'est- à-dire un amour de contrition qui se traduise en une attitude habituelle de componction qui privilégie l'humilité et l'anéantissement chrétien de soi-même.26 Et tout cela ne s'oppose pas à la réalisation personnelle de chacun mais est l'indispensable dimension évangélique de cette réalisation.

De fait, le mystère de la croix proclame, de façon originale et éternelle, même si c'est paradoxal, l'importance de 1'« obéissance de la foi ». Contemplons le jardin des oliviers : « Père, tout t'est possible. Eloigne dei moi cette coupe de douleur ! Cependant, pas ce que je veux, mais ce que tu veux ».27

L'épanouissement du Christ s'accomplit non pas à travers un projet subjectif qui se limiterait à être en accord avec les inclinations et les désirs du Christ mais dans la perspective plus vaste d'un projet où intervient Dieu en tant que Père : c'est un grand projet d'amour et de victoire mais, qui passe par le chemin du Calvaire.

Les sciences humaines ne suffisent pas pour comprendre et pour vivre ce projet du Père ; il y faut la sagesse de la foi : « nous, - dit St Paul - nous n'avons pas reçu l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu... et nous ne parlons pas en un langage enseigné par la science humaine mais en un langage enseigné par l'Esprit de Dieu » ;28 « écoutez-moi : laissez-vous mener par l'Esprit (de Dieu) et vous ne suivrez pas les désirs de votre égoïsme. L'égoïsme a des désirs contraires à ceux de l'Esprit et l'Esprit à des désirs contraires à ceux de l'égoïsme. Ces deux forces sont en antagonisme... Nous voyons tous très bien ce que produit l'égoïsme humain : immoralité, corruption et vice, idolâtrie, magie, haine, discorde, jalousie, emportements, intrigues, divisions, envie, ivrognerie, ripailles et autres choses semblables... Mais le fruit de l'Esprit est amour, joie, paix, compréhension, serviabilité, bonté, fidélité, douceur, maîtrise de soi !» ;29 «ainsi donc, mes frères, nous ne sommes pas débiteurs de la voix de notre égoïsme mais de celle de l'Esprit. Si vous vivez selon votre égoïsme, vous mourrez ; mais si, par l'Esprit, vous l'étouffez, vous vivrez ».30 « J'estime en effet - conclut St Paul - que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire que Dieu manifestera en nous ».31

Il faut donc une forte discipline pour accompagner et défendre en nous les richesses de la charité. C'est une très grave illusion de penser qu'aujourd'hui l'effort ascétique soit quelque chose d'un autre temps, quelque chose de dépassé. Il faut affirmer juste le contraire : dans une société permissive comme la nôtre, il y a plus besoin que jamais de conversion et de maîtrise de soi qui s'acquièrent par une auto-éducation de pénitence concrète et de prudence pour prévenir le mal.

Pour garantir, vivifier notre effort ascétique et en assurer la persévérance, une discipline personnelle et communautaire est nécessaire».32 C'est pour cela que le Christ nous a offert la possibilité d'une rencontre spéciale avec sa Pâque dans le sacrement de la Pénitence.

La sincérité et la fréquence avec lesquelles nous célébrons ce sacrement sont des éléments indispensables à notre sainteté. En effet, des lumières abondantes et spéciales nous viennent par ce sacrement, ainsi que les énergies du Christ pour notre conversion, pour l'expiation et pour nous garder dans l'avenir.

Et ainsi notre effort ascétique fait aussi partie de notre rencontre avec le Christ, pour vivre de lui et transmettre son mystère aux jeunes.


Le style de Don Bosco.


« Nous constatons toujours davantage - écrivais-je il y a quelques mois aux Filles de Marie Auxiliatrice en parlant de Don Bosco -, au fur et à mesure que passent les années, que nous nous trouvons devant un Saint exceptionnel duquel tire son origine (aujourd'hui nous pouvons affirmer ce qu'hier on ne pouvait que soupçonner) un grand courant spirituel' dans l'Eglise ; nous constatons aussi que, à travers le vécu de la tradition et l'approfondissement de la réflexion, une 'véritable école originale' de sanctification et d'apostolat est en train de se dessiner ».33

Cela peut sembler, encore aujourd'hui, une affirmation un peu audacieuse ; mais nous en faisons l'expérience et nous savons que c'est vrai. Nous devons nous sentir particulièrement responsables par rapport à une telle affirmation, parce que, en tant que congrégation, nous sommes placés au cœur de la Famille Salésienne et nous devons en être les animateurs spirituels.

Il est donc, pour nous, d'une importance tout à fait particulière, de soigner et d'intensifier notre rencontre avec le Christ et notre volonté d'ascétisme ; il nous faut aussi approfondir constamment notre façon de les vivre pour que ce soit dans le style de sainteté de notre caractère propre.34

* Ainsi, pour ce qui concerne notre « rencontre quotidienne avec le Christ », j'ai déjà essayé d'insister salésiennement sur la « vie intérieure » dans les étrennes de cette année (1981). Les étrennes de l'année nouvelle (1982), elles, rappellent l'attention de tous sur une caractéristique « volonté d'ascétisme » au plan du travail et de la tempérance. Don Bosco voulait que le binôme « travail et tempérance » constitue la devise de notre Congrégation : il a représenté cela sous la forme des deux diamants qui se trouvent sur les épaules du personnage du fameux songe, comme pour indiquer que c'est ce qui soutient et concrétise dans la pratique les valeurs et les exigences des autres diamants.

* D'autre part, après notre 21e Chapitre Général, nous nous sommes employés à approfondir le Système Préventif dans toutes ses dimensions ; ici, ce sont les caractéristiques de sa spiritualité propre qui nous intéressent. Eh bien, ces deux colonnes dont nous parle Don Bosco, l'Eucharistie et la Pénitence, apparaissent de nouveau à la lumière du Concile, du Magistère pontifical35 et de notre expérience de ces dernières années, comme les deux pôles fondamentaux du renouveau spirituel. Toutes les deux donnent, de façon complémentaire, toute leur importance à notre « rencontre quotidienne avec le Christ » comme à notre « volonté d'ascétisme ».

* En outre, l'« option communautaire » de notre projet évangélique par rapport à notre façon de suivre le Christ36 nous fournit de nouveaux éléments pour notre vie spirituelle. Ces éléments plongent notre rencontre avec le Christ dans un climat de communion fraternelle : « l'esprit de famille » doit être revu et vécu dans nos Maisons dans la lumière du Christ, ce qui va au-delà de la sensibilité ou des sympathies. Ces éléments entraînent aussi une nuance spéciale de notre volonté d'ascétisme, dans la mesure où l'obéissance (qui, pour nous revêt une forte dimension communautaire) est mise par Don Bosco è la racine même de la mission salésienne. Dans cette lumière du style de l'obéissance salésienne, combien d'individualismes, d'initiatives indépendantes ont besoin d'être révisées et corrigées !

* Enfin, seulement pour suggérer quelques points de réflexion, notre tradition authentique, telle qu'elle était vécue à la spartiate par les premières générations et selon le témoignage des meilleurs de nos anciens, jointe aux directives de nos Constitutions et de nos Règlements nous fournissent des indications pratiques et exigeantes pour notre union à Dieu et notre ascèse.

Ainsi :

Pour ce qui regarde notre « rencontre quotidienne avec le Christ » et pour faire une révision de vie à ce sujet, le chapitre 8 de nos Constitutions :37 écoute de Dieu, prière, Eucharistie, Pénitence, dévotion mariale et une liturgie qui prenne toute Vie, dans laquelle nous nous offrons nous-mêmes et notre travail de tous les jours « comme hosties vivantes, saintes, agréables à Dieu ».

Et quant à notre « volonté d'ascétisme », permettez-moi de vous indiquer quelques articles bien concrets :

Const. 42 : Le travail et la tempérance, en opposition avec le confort et les aises ; la disponibilité pour « supporter la chaleur et le froid, la soif et la faim, les difficultés et le mépris, chaque fois que la gloire de Dieu et le salut des âmes sont en jeu » ;

Const. 79 : pour conserver la chasteté, pratiquer la mortification et la garde de sens ;

Const. 83, 85, 87 : pour vivre la pauvreté, accepter l'inconfort et opter pour un style de vie simple et frugal en esprit de sacrifice ;

Const. 91, 93, 94 : pour vivre l'obéissance, offrir en esprit d'oblation notre volonté à Dieu dans la Congrégation ; être toujours disponible ; voir dans les Supérieurs et la Communauté des intermédiaires qualifiés pour connaître la volonté du Père ; être souples dans le dialogue ; mettre, chacun, ses capacités et ses charismes au service de la mission communautaire. Don Bosco voyait clair quand il disait que, pour nous, les actes d'obéissance remplaçaient les œuvres de pénitence ;

Règl. 36 : ranimer notre esprit critique et notre conscience morale pour le choix de nos lectures, des films et des transmissions radiophoniques ou des spectacles télévisés que nous voyons et écoutons, en nous rappelant l'austérité incluse dans la vie religieuse et les tâches de la vie communautaire et de notre travail ;

Règl. 50 : la pénitence spéciale, individuelle et communautaire du vendredi et du Carême ;

Règl. 55 : la fuite des facilités et des séductions du monde ;

Règl. 61 : la sobriété dans la nourriture et la boisson, la simplicité du vêtement, un usage modéré des vacances et des divertissements ainsi que l'abstention du tabac comme forme de tempérance salésienne et de témoignage dans notre œuvre d'éducation.

Don Bosco, les grands fondateurs et les saints hommes et femmes sont des gens qui font honneur à l'humanité. Ils ont su rayonner l'amour et la joie parce qu'ils ont été de vrais disciples du Christ en se concentrant sur l'anéantissement (la kénose !) à laquelle lui-même s'est soumis. Ils nous enseignent surtout à remplir notre cœur de charité, mais également à l'alimenter et à la défendre par une ascèse courageuse. Ils nous rappellent qu'une auto-éducation par l'ascèse utilise même des choses qui peuvent paraître toutes petites mais qui peuvent être très significatives pour soutenir vitalement la persévérance de notre volonté et intensifier notre engagement évangélique.

* Voilà donc, chers confrères, quelques réflexions utiles qui me sont venues après une révision générale de la vie de la Congrégation que j'ai faite à travers les Visites d'ensemble.

Nous avons un urgent besoins de nous remettre ensemble en route vers la sainteté et d'en témoigner par un style de vie et d'apostolat qui soit plus crédible. Nous sommes là interpellés par les besoins du monde et surtout des jeunes.

Ces dernières années un changement considérable de nos formes de vie s'est accompli, pour mieux nous adapter aux mutations culturelles et pour être plus concrètement présents au monde. Malheureusement, nous ne nous sommes pas toujours aperçus que certains comportements et certaines façons de vivre du monde mettent peu à peu en question l'essence même de la vie consacrée.

Dans le monde, il faut que nous y soyons, mais alors, que nous soyons des « saints ». Nous sommes signes et porteurs de l'amour de Dieu pour les jeunes : nous ne pouvons donc pas leur être lointains ; mais nous sommes appelés à être, parmi eux, de vrais disciples du Christ dans le style de Don Bosco.

Une superficialité spirituelle nous entraîne à nous adapter naïvement et simplement au monde ; la sainteté, elle, exige de nous une adaptation qui ne soit pas exactement une adaptation au monde mais bien aux besoins évangéliques du monde !

Donc : pas mondains, même si nous sommes dans le monde ; pas lointains mais avec notre identité propre ; pas d'une autre époque, mais prophètes aujourd'hui de la réalité eschatologique de la Pâque ; non pas des admirateurs inconditionnels de la mode mais des gens qui poursuivent avec courage un renouveau exigeant ; non pas des déserteurs des vicissitudes humaines mais les protagonistes d'une histoire de salut.

Notre façon de suivre le Christ selon l'esprit de Don Bosco utilise toutes les circonstances, tous les événements et les signes des temps, même les situations les plus négatives et injustes, pour grandir et faire grandir dans la sainteté.

Dans cet audacieux projet de vie, qui n'est pas facile parce que, en définitive, il représente une contestation (nous devons être « des signes de contradiction », comme Jésus), on n'obtient pas les résultats souhaités, comme on dit, « ex opere operato », c'est-à-dire par de simples changements de structures, d'organisation ou par des formes de vie et d'apostolat plus adaptées aux exigences du temps : même si ces changements sont indispensables, il doivent toutefois se fonder sur autre chose qui soit plus profond et qui les soutienne.

Les valeurs de la sainteté dépendent du cœur de chacun ; elles s'obtiennent et augmentent plutôt « ex opere operantis », c'est à dire par l'activité contemplative de notre intelligence, par les options de notre liberté, par les initiatives de notre amour.

Ici, pas d'échappatoire ; on ne s'en tire pas par une simple critique des structures ou en faisant retomber la faute sur les autres. Ici on est rivé à sa propre conscience, au plus intime de notre vie personnelle.

L'énergie atomique qui résoudra la crise est là : dans le sanctuaire de notre être profond.

La voilà la grande vérité : pensons-y !

Le Pape Jean-Paul II nous dit que « c'est la vérité qui donne le courage des grandes décisions, des choix héroïques, des engagements définitifs ! C'est la vérité qui donne la force pour vivre selon les vertus difficiles, selon les béatitudes évangéliques! ... Et la vérité, c'est le Christ connu et suivi... De cette vérité naît, en bonne logique, un ardent désir de sainteté ».38

Demandons à Marie qu'elle nous obtienne la lumière pour y voir clair. Elle a été choisie, dans le projet divin de rédemption, pour donner le Christ au monde : elle l'a donné à Noël et elle le donne toujours, tout au long de l'histoire de l'Eglise, au moment des fondations des Instituts religieux (rappelons-nous les Becchi et Valdocco) et dans le vécu de chacun.

Que la Vierge Auxiliatrice nous accompagne et nous guide.

Pour l'année nouvelle, je souhaite à tous de s'engager sérieusement dans la sainteté.

Fraternellement en Don Bosco.

1 Constitutions 40.

2 Ibid. 25.

3 Mémoires Biographiques n. 258-273.

4 Constitutions 40.

5 Actes du Conseil Supérieur, n. 290, juillet-décembre 1978.

6 Matthieu 7, 21.

7 Evangelii nuntiandi 55.

8 Cf. Gaudium et spes. 22.

9 1 Jean 4, 20.

10 1 Jean 4, 7 ; 10 ; 11 ; 19.

11 Jean 15, 12.

12 CELAM – « La Iglesia en la actual transformación de América Latina a la luz del Concilio », vol. 1, p. 31, Bogotà 1968, (DC, 15 sept. 1968, n. 1524, col. 1564-1565).

13 1 Jean 4, 8.

14 1 Jean 4, 12.

15 Jean 4, 24.

16 Jean 14, 9.

17 20e Chapitre Général, n. 517-555.

18 Cf. Matthieu 16, 24.

19 Cf. Colossiens 1, 24.

20 Cf. 1 Corinthiens 9, 24-25.

21 Paul VI, 27 juin 1965.

22 Cf. 1 Corinthiens 9, 24-27.

23 Gaudium et spes 22.

24 Perfectae Caritatis 14.

25 Cf. Romains 7, 21-25.

26 Cf. Philippiens 2, 6-9.

27 Marc 14, 36.

28 1 Corinthiens 2, 12-13.

29 Galates 5, 16-22.

30 Romains 8, 11-13.

31 Ibid. 8, 18.

32 Cf. Actes du Conseil Supérieur, n. 239, juillet-septembre 1979.

33 Actes du Conseil Supérieur, n. 301, juillet-septembre 1981. p. 26 (éd. française).

34 Cf. Mutuae relationes 11.

35 Redemptor hominis et Dives in misericordia.

36 Cf. Constitutions 50, 34.

37 Articles 58-67.

38 Osservatore Romano, 19-20 octobre 1981.