251-300|fr|300 Profil du salesien dans le songe du personnage aux dix diamants

PROFIL DU SALESIEN DANS LE SONGE DU PERSONNAGE AUX DIX DIAMANTS



« PROFIL DU SALESIEN DANS LE SONGE DU PERSONNAGE AUX DIX DIAMANTS ». Introduction. « Le modèle du vrai Salésien » - Relief donné au Songe par Don Bosco. Son importance dans notre tradition - Son interprète le plus pénétrant : Don Rinaldi - Description de notre profil spirituel : le Personnage : la double perspective : « de face » et « de dos » - Le visage : physionomie : traits saillants : force d'attirance du Christ· L'ossature : l'Obéissance au centre : caractère concret de la Pauvreté : exigences de la Chasteté : le sens du Paradis. La « spécificité » salésienne. La désagrégation de l’identité : altération du visage : effondrement de l'ossature. Appel au sujet de la formation et du discernement des vocations en vue de l'avenir - Conclusion.



Chers Confrères,

Je vous invite tout d'abord à vous unir au jubilé et à l'espérance de nos nombreux frères d'Espagne qui célèbrent, pendant toute cette année, à partir du 16 février, le centenaire de l'implantation du Charisme de Don Bosco en Espagne En même temps que la quatrième expédition missionnaire, vers la fin de janvier 1881, Don Giovanni Branda quittait Turin avec quatre confrères et un laïc pour se rendre en Andalousie où ils allaient commencer une présence salésienne à Utrera. C'était l'intrépide Don Giovanni Cagliero, « expert en implantation » depuis déjà cinq ans en Amérique Latine qui les accompagnait et les guidait.

Aujourd'hui, l'Espagne compte plus de 3.200 Salésiens et Filles de Marie Auxiliatrice, dont beaucoup sont en territoire de mission des milliers de Coopérateurs, d'innombrables Anciens-Elèves, un groupe important de Volontaires de Don Bosco et beaucoup d'Amis un peu partout dans la péninsule. Les « premiers » avaient emporté avec eux le secret de la fécondité et le courage du futur : formés à Valdocco, ils avaient eu pour modèle le cœur de Don Bosco !

Nous félicitons nos frères d'Espagne pour l'intuition et la générosité avec lesquelles ils ont perçu et ont su participer de façon si magnanime à cette « expérience de l'Esprit Saint » humblement semée dans une petite ville du sud de leur pays. Mais nous voudrions aussi approfondir, en union avec leur cheminement spirituel de cette année, le secret de ce « modèle du vrai salésien » dont nos anciens de la première génération surent témoigner intensément.

Pour cela, un autre anniversaire, chargé de sens pour nous, va nous aider. Si nous lui accordons une réflexion attentive : en septembre prochain, il y aura cent ans que Don Bosco eut un Songe très significatif pour 1’avenir de son Charisme. C est celui de « l'auguste Personnage » vêtu d'une « riche cape en guise de manteau », sur laquelle « dix diamants d’une grosseur et d'une splendeur extraordinaires » brillaient intensément. Don Bosco fit ce songe a San Benigno Canavese dans la nuit du 10 au 11 septembre 1881.


Le modèle du vrai Salésien


Le songe se déroule en trois tableaux. Dans le premier, le Personnage incarne le portrait du Salésien : sur le devant de sa cape, il porte cinq diamants, dont trois sur la poitrine qui sont la « Foi », l’« Espérance » et la « Charité », et deux sur les épaules qui sont le « Travail » et la « Tempérance » ; au dos de la cape il y a cinq autres diamants qui sont 1'« Obéissance », le « Vœu de Pauvreté », la « Récompense », le « Vœu de Chasteté », le « Jeûne ».

Don Rinaldi définit ce Personnage aux dix diamants : « Le modèle du Vrai Salésien ».1

Dans le second tableau, le Personnage offre l'image de l'altération du modèle : sa cape « s'était décolorée, mitée et déchirée. Aux endroits où avaient été fixés les diamants, le tissu était maintenant profondément endommagé par un ver et par d'autres petits insectes ».

Cette scène, bien triste et déprimante, offre l'image de « l’envers du vrai Salésien »,2 l'Antisalésien.

Au troisième tableau apparaît un jeune garçon avenant, vêtu d'un habit blanc travaillé de fils d'or et d'argent (... à 1') aspect majestueux, mais doux et aimable ». Il est porteur d'un message. Il exhorte les Salésiens à « écouter », à « comprendre », à demeurer « forts et courageux », à « témoigner » par les paroles et par la vie, à « être avisés » pour l'acceptation et la formation des nouvelles générations, à faire croître de façon saine leur Congrégation.

Les trois scènes du Songe sont vivantes et elles nous provoquent ; elles nous présentent une synthèse rapide, incarnée sous la forme d’un personnage, de la spiritualité salésienne.

Dans l'esprit de Don Bosco, le contenu du Songe comporte certainement un important cadre de référence pour l'identité de notre vocation. Le choix et la présentation organique de caractéristiques bien déterminées sont à prendre comme une carte d'identité digne de foi du visage salésien ; nous y trouvons une esquisse précise de notre physionomie. C'est pour cela que Don Bosco nous dit que si nous soignons ces caractéristiques, l'avenir de notre Vocation sera assuré dans l'Eglise, tandis que la négligence et le laisser-aller par rapport à ces caractéristiques en ruinerait l'existence.

En racontant le songe, Don Bosco fait remarquer deux choses : la première, c'est que le 10 septembre était le « jour que la Saint Eglise consacre au glorieux Nom de Marie »3 ; la seconde, que les Salésiens réunis à San Benigno Canavese « faisaient leur retraite » et qu'il lui semblait « se promener avec les Directeurs ». Ce sont deux observations qui ont une valeur suggestive pour notre réflexion : ce que Don Bosco est en train de raconter a un lien particulier avec la Sainte Vierge ; et le thème traité est particulièrement opportun pour des « temps forts » de recueillement et d'approfondissement comme l'est une retraite, et pour des animateurs plus spécialement responsables comme le sont les Supérieurs. C'est un songe offert au Salésien en tant que tel. Il n'y est pas directement question des jeunes, même si, évidemment, tout y est vu dans l'optique de leur bien. Don Bosco nous parle à nous, chez nous ; à nous, réunis pour une retraite ; à nous, animateurs et éducateurs ; il traite un point important de notre vie intime : il nous demande une révision de vie.


Relief donné au songe par Don Bosco.


Ce Songe impressionna notre Père au point « qu'il ne se contenta pas de l'exposer oralement, mais qu'il le mit aussi par écrit ».4

Aux archives, nous possédons le texte autographe que Don Ceria n'avait pas pu retrouver pour la rédaction du 15e volume des Mémoires Biographiques ; grâce au travail patient et efficace d'une Fille de Marie Auxiliatrice, nous allons pouvoir bénéficier aussi de l'édition critiqué.5

Ce texte est postérieur au 11 septembre de quelques semaines ; il révèle le souci personnel qu'eut Don Bosco de faire connaître le Songe et d'en assurer l'application dans notre tradition vécue.

Le brouillon autographe comporte plusieurs corrections qui montrent, non seulement « l'inquiétude que Don Bosco a coutume d'éprouver lorsqu'il rédige des pages destinées à la publication »,6 mais aussi l'effort qu'il fait pour se rappeler avec exactitude ce qu'il a vu en songe : « effort de fidélité » à ce que, dans son humilité, il pense être un avertissement d'en haut. Déjà dès le préambule, Don Bosco donne une mystérieuse solennité et une dimension prophétique au Songe : « Que la grâce de l'Esprit Saint illumine nos intelligences et nos cœurs. Amen ».

Don Berto mit au net ce brouillon « tourmenté » et cette version fut ensuite revue par Don Bosco lui-même ; il y ajouta encore une annotation, « mémorandum » où il signale : « Ce songe dura presque toute la nuit et au matin j'étais complètement épuisé. Cependant, par peur de l'oublier, je me suis tout de suite levé et j'ai pris quelques notes qui me servirent de repères pour me rappeler tout ce que j'ai exposé ici, au jour de la Présentation de la Très Sainte Vierge au Temple », c'est-à-dire le 21 novembre.

Notons le zèle consciencieux de Don Bosco : sur le champ il prend des notes, et ensuite il rédige lui-même par écrit le Songe. C'est dire combien il y attache de l'importance ! Il n'est pas superflu d'ajouter que, comme il le reconnaît lui-même, « il ne me fut pas possible de tout me rappeler ».

Remarquons en outre que lorsqu'il ajoute cette annotation, Don Bosco la date de nouveau, avec une attention délicate et insistante, d'une fête mariale.

En voyant toute la peine que s'était donné Don Bosco pour que ce Songe ne tombe pas dans l'oubli, Don Ceria, dans les Mémoires Biographiques, a parlé avec justesse de ce songe de San Benigno Canavese comme de « l'un des songes les plus importants » de notre Père.7


Son importance dans notre tradition


A San Benigno Canavese, on peut voir encore aujourd'hui la chambre et le lit où Don Bosco eut ce Songe. On a toujours voulu jusqu’à maintenant en conserver la mémoire.

On peut dire que, presque tout de suite, le contenu du Songe a servi à orienter la réflexion, la révision de vie et la formation des Salésiens.

L'édition imprimée la plus ancienne que nous possédions porte en latin le titre suivant : « Futura Salesianorum Societatem respicientia... ». Ce Songe a fait l'objet de conférences et de prédications et surtout de retraites.

Don Albera y fait allusion, comme à un thème familier dans sa célèbre lettre-circulaire de 1920. Et il est symptomatique que le sujet développe dans cette lettre soit celui de « Don Bosco notre modèle ».8

Don Rinaldi en a fréquemment parlé et a écrit plus d'une fois sur ce sujet dans les Actes du Conseil (qui s'appelait alors le « Chapitre ») Supérieur ;9 bien plus, il a même publié ce Songe deux fois, en 192410 et en 1930 :11 la première fois en reproduisant le texte auquel nous avons fait allusion ci-dessus, en entier, tel quel ; la seconde fois en adaptant la présentation typographique, en y introduisant la traduction des expressions latines et en éliminant certaines dates qui auraient pu atténuer l'actualité du contenu. Une copie de ce Songe fut distribuée à tous les confrères.

Don Rinaldi pense que les lumières des dix diamants « trouvent leur commentaire pratique naturel le plus ample et le plus authentique dans les ouvres de St François de Sales, en particulier dans le « Théotime », dans les « Sermons » et dans les « Entretiens Spirituels »,12 qui étaient la nourriture quotidienne de la formation salésienne. De plus, dans deux de ses circulaires les plus connues, il rattachait la réflexion des confrères sur les enseignements du Songe aux sources les plus hautement qualifiées de notre spiritualité : d'abord aux Constitutions, à l'occasion de leur jubilé d'or, et également aux Règlements revus depuis peu, c'est à dire aux textes hautement qualifiés et pleins d'autorité qui constituent, pourrait-on dire, « l'âme de notre Société » ;13 et enfin à nos Traditions les plus authentiques, puisqu'elles « donnent leur couleur et impriment leur caractère à notre société et à notre mission. Si cette couleur venait à disparaître, si ce caractère se perdait, nous serions encore des religieux, des éducateurs qui pourraient pratiquer la Règle à la lettre, mais nous ne serions plus des salésiens de Don Bosco ».14

Il en fit aussi le thème de ses conférences et de ses sermons, surtout pendant les dernières années de son Rectorat.

Le Songe est donc présenté par Don Rinaldi avec les Constitutions et les Traditions vivantes comme cadre de référence pour la photographie de l'identité salésienne.

Don Renato Ziggiotti aussi, cinquième successeur de Don Bosco, a attiré l'attention des confrères sur ce Songe à l'occasion des Etrennes de 1964 ; il l'a donné à chacun en le présentant comme un repère sûr pour une révision de vie ou pour un processus de conversion, et pour une maturation dans la délicate recherche de l'identité : « le songe des dix diamants - écrivait-il - nous invite à pratiquer les vertus les plus essentielles pour nous ».

C'est donc à raison que l'on a pu affirmer de ce Songe qu'il « est parmi les plus connus et médités dans la tradition salésienne ».15

Et moi-même je pense qu'il est utile pour nous aussi, aujourd'hui, de nous remettre à réfléchir sur le sens et le contenu de ce Songe.

On pourra peut-être objecter avec raison, en se plaçant par rapport aux exigences d'un certain type d'études, « qu'il faut passer au crible les documents qui nous transmettent les songes avant de se mettre à en faire l'analyse psychologique, théologique ou pédagogique ». Nous n'entendons pas, ici, discuter au niveau scientifique d'une étude critique du texte ou de la nature spécifique des songes de Don Bosco. Nous voulons au contraire rester à un niveau plus élevé et plus important : celui de l'expérience vivante et autorisée de notre spiritualité. La vie, en effet, est antérieure à toute étude et les éléments qui peuvent la nourrir et la stimuler doivent pouvoir intervenir et agir non pas seulement à travers une programmation scientifique bien construite (qui arriverait trop tard !) mais à travers une médiation digne de confiance du charisme, au moment opportun ; c'est ainsi qu'ont agit, à juste titre, Don Bosco et ses Successeurs, en particulier Don Rinaldi et ses collaborateurs pour la formation salésienne : à travers des hommes, véritables canaux de transmission de notre expérience spirituelle.

A ce sujet, les paroles suivantes de Don Rinaldi doivent nous faire réfléchir : le modèle présenté dans le Songe, « qu'on l'étudie et qu'on l'approfondisse dans une méditation quotidienne : qu'on en parle en toute circonstance (...). Je demande instamment aux chers Inspecteurs et Directeurs de faire converger leurs conférences sur ce modèle ; je demande la même chose aux prédicateurs de retraites, qu'ils y puisent le sujet de leurs instructions, de sorte que la spiritualité salésienne s'imprime tout doucement dans l'âme des auditeurs ».16


Son interprète le plus pénétrant : Don Rinaldi.


Don Filippo Rinaldi est certainement celui qui, plus qu'aucun autre, paraît avoir réfléchi sur ce Songe ; souvent il en a fait le centre d'intérêt de toute la Congrégation. Il était à San Benigno quand Don Bosco y fit ce Songe et le raconta ; c'est pour cela qu'il en garda une forte impression.

En tant que Recteur Majeur, troisième successeur de Don Bosco, il écrivit sur ce Songe, comme nous l'avons dit, plusieurs fois aux confrères. Il y en a encore beaucoup, dans la Congrégation, qui ont entendu de leurs oreilles ses explications. Par exemple dans le sermon sur les souvenirs qu'il fit aux jeunes confrères en formation à Foglizzo, au début de l'été 1931 et dont on a conservé aux archives des notes fidèles.

Une lecture scrupuleuse des textes de Don Rinaldi fait voir en lui le processus d'une réflexion attentive et d'un approfondissement progressif. Ainsi, les dernières fois où il est intervenu, a-t-il offert une interprétation originale et organique du Songe, interprétation mûrie au cours d'une mise au point détaillée, fruit d'une longue méditation et d'une attention assidue : c'est lui en effet qui a identifié pour nous la figure du Personnage et qui a expliqué la disposition des diamants. Ces diamants en effet, enchâssées sur la poitrine ou sur le dos, avec le relief que leur donnent la lumière et l'endroit où ils sont placés, donnent une vision « organique » et « dynamique » de la caractéristique spirituelle du Salésien. « Que l'on fasse ressortir - écrit justement Don Rinaldi - la disposition des diamants qui, placés autrement, ne rendraient plus la splendeur de notre vie ».17

Il affirme plusieurs fois que dans ce Songe est décrit « le modèle du vrai Salésien » ou « du parfait Salésien »18 tel que le vit Don Bosco qui « nous le transmit pour que ce ne soit pas seulement un souvenir mais la réalité de notre vie ».19

Par conséquent, le Personnage à la cape et la disposition elle-même des diamants ont (selon Don Rinaldi) une signification considérable parce que l'ensemble trace le profil spirituel de notre « caractère propre ». Et ceci est une observation d'un grand intérêt, confirmée par ce que soutiennent les spécialistes des différentes spiritualités religieuses à propos de la spécificité de chaque Vocation.

Comme Don Rinaldi est l'un des témoins les plus fidèles de notre spiritualité salésienne et comme il a exprimé ce qu'il pensait à propos du Songe surtout dans les dernières années de sa vie, quand il était Recteur Majeur, nous sommes convaincus que l'interprétation à laquelle il est arrivé est une synthèse mûrie après longue méditation faite dans la ligne d'une vocation responsable, non sans prière et peut-être même avec une lumière spéciale d'en-haut.

Les réflexions que j'ai voulu écrire ici et que je vous offre sont dans la ligne de cette vision « rinaldienne », aiguë et pénétrante, dont je veux développer quelques aspects.

J'espère qu'elles serviront à nous faire grandir dans la fidélité à notre Vocation dans l'Eglise et à approfondir de mieux en mieux notre identité.


Description de notre profil spirituel.


Le premier tableau du Songe nous présente le Modèle du Salésien, non pas tant, dirais-je, à travers les diamants en eux-mêmes, qu'à travers l'ensemble de la vision.


Le personnage.


D'abord, le protagoniste du Songe est « un homme à l'aspect majestueux » qui représente l'image idéale de notre spiritualité. En lui « chaque Salésien, présent ou futur, doit se mirer ».20 Aujourd'hui, à un siècle de distance, nous pouvons en tout cas affirmer que précisément Don Bosco lui-même « a toujours été, dans toute sa vie, l'incarnation vivante de ce personnage symbolique ! » Nous pouvons même redire de façon encore plus suggestive, après Don Rinaldi, que « si chaque diamant a Son éclat particulier, tous ces feux n'en font qu'un : Don Bosco ! »21

Notre Père, certes, n'a pas expliqué le Songe dans cette perspective ; cela ne lui serait même pas venu à l'idée. Mais l’interprétation perspicace de Don Rinaldi a précisé et concrétisé le véritable sens du Songe.

De même le texte des nouvelles Constitutions nous parle de « Don Bosco, notre modèle concret », et soutient que « le Salésien (doit) étudier et imiter de plus près Don Bosco que Dieu et l'Eglise lui ont donne pour père ».22


La double perspective : « de face » et « de dos ».


La vision du Songe montre le Personnage sous deux aspects différents mais complémentaires : on le regarde d'abord de face puis de dos.

C'est une constatation qui peut paraître évidente ; mais elle se révèle bien plus aiguë et profonde qu'on pourrait croire à première vue. Par ailleurs c'est une considération propre à Don Rinaldi et qui n'était pas apparue à tous aussi suggestive et chargée de sens. Il l'expose de vive voix dans plus d'une conférence (par ex. : dans le sermon des Souvenirs à Foglizzo en 1931, cité ci-dessus) et nous la trouvons aussi décrite, succinctement mais avec une clarté suffisante, dans sa circulaire d'avril de la même année : la vie salésienne d'abord « dans son activité » (les diamants de devant) et ensuite « dans sa spiritualité intérieure » (les diamants du dos).23

Disons qu'il s'agit des deux faces du médaillon salésien. Si l'on veut, devant, c'est la figure sociale, le visage, le « da mihi animas » ; et de dos, c'est le secret de la constance et de l'ascèse, l'ossature, le « coetera tolle » !


Le visage.


Sur le devant, l'éclat des cinq diamants (Foi - Espérance - Charité - Travail - Tempérance) représentent le Salésien dans son témoignage public, sous l'aspect visible du don qu'il fait de lui-même aux jeunes.

Ici, dans cette optique frontale, il n'apparaît pas tant avec les caractéristiques de l'état religieux en tant que tel, que sous celles du croyant, plein d'enthousiasme pour le mystère du Christ et tout pétri de bonté grâce à un cœur modelé par la charité ; il est, ainsi, dynamique et équilibré, fécond et tempérant, créatif et plein de bon sens. Ce « travail » et cette « tempérance » soutiennent toute la cape.

Si nous la regardons sous son aspect visible, écrit Don Rinaldi, « la vie salésienne, vue sous le jour de son activité, est travail et tempérance, vivifiés par la charité du cœur dans la lumière de plus en plus lumineuse de la foi et de l'espérance ».24

Ce n'est pas dans mon intention de développer ici une réflexion salésienne sur ces cinq premiers diamants. Je crois pourtant utile de suggérer quelques observations plus générales qui pourront être prises en considération par chacun dans sa méditation personnelle.


Physionomie.


Une première observation : les diamants du Songe ne doivent pas être interprétés trop simplement comme une sorte de « catalogue de vertus » génériques qu'il faudrait ensuite étudier l'une après l'autre comme si l'on suivait le plan d'un traité ; cela n'a pas non plus d'importance si leurs noms n'entrent pas tous dans la liste classique des vertus. Il faut plutôt les considérer comme des comportements existentiels et, en particulier (nous parlons ici de la partie antérieure de la cape), come des éléments clairement perceptibles de l'extérieur. Les diamants, un effet, constituent l'image photographique de la physionomie salésienne ; ils précisent les éléments qui caractérisent le visage du disciple du Christ exactement comme Don Bosco a voulu qu'ils apparaissent dans une société qui, malheureusement, ne semblait plus désormais apprécier les formes, alors classiques, de la vie religieuse.

Je vous ai écrit récemment, dans la circulaire sur le Salésien Coadjuteur, que notre Congrégation a été fondée avec une « ouverture séculière » peu ordinaire.25 Eh bien, en lisant les écrits de Don Rinaldi, j'ai été frappé par son insistance sur certains « principes nouveaux de modernité - ce sont ses propres paroles - que (Don Bosco) avait été inspiré de mettre à la base de tout son Institut et qui sont notre patrimoine le plus précieux ».26

La meilleure manière d'illustrer ces « principes », c'est de citer les « paroles mémorables » adressées par Pie IX à notre Père lors de l'audience du 21 janvier 1877 qu'il lui avait accordée - rien que çà ! - dans sa chambre à coucher : « Je voudrais vous révéler un mystère - dit le Pape - ; je suis sûr que votre Congrégation a été suscitée par la Divine Providence pour démontrer la puissance de Dieu ; je suis certain que Dieu a voulu tenir caché jusqu'à maintenant un important secret, ignoré pendant de nombreux siècles et inconnu de tant d'autres Congrégations du passé. Votre Congrégation est une chose neuve dans l'Eglise parce qu'elle est d'un type nouveau, parce qu'elle est née en notre temps pour être un ordre à la fois religieux et séculier ; de façon à avoir à la fois le vœu de pauvreté et la possibilité de posséder ; de façon à être à la fois du monde et du cloître, ses membres étant religieux et séculiers, cloîtrés et libres citoyens (...). Elle a été instituée pour que l'on voit qu'il y a moyen de donner à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César ».27

Par conséquent, les traits du visage salésien dessinés par les cinq diamants ne mettent pas en lumière en premier lieu notre modalité religieuse, même si, comme nous le verrons, nous sommes vraiment et solidement religieux.

L'aspect premier et principal du Personnage est celui d'un citoyen travailleur et loyal, fortement animé des richesses du mystère du Christ. Le fait qu'il soit aussi religieux cent pour cent ne devrait provoquer aucun rejet ni gêner qui que ce soit. Le Salésien devrait se sentir dans une situation normale et presque à l'aise aussi bien dans une société sécularisée : il offre le visage d'un citoyen actif et responsable, mais avec toute la force de la dimension chrétienne puisée dans une intériorité infatigablement recherchée.

Cette remarque pénétrante trouve aussi une application féconde dans le cercle plus ample de la Famille Salésienne, dans laquelle des groupes assez nombreux de non-religieux « s'engagent à vivre et à mettre en pratique tout l'esprit des Salésiens, dans le pluralisme des formes, selon la situation concrète de chacun et les besoins réels de la jeunesse en un lieu et temps déterminés ».28


Traits saillants.


Autre remarque : la cape du Personnage tombe des épaules et apparaît comme maintenue par les deux gros diamants du Travail et de la tempérance. Nous trouvons ici la fameuse devise proclamée bien des fois par Don Bosco : « travail et tempérance » !29

Dans le songe du taureau furieux (1876) on lit les conditions pour l'avenir de notre Vocation : « Regarde : il faut que tu fasses imprimer ces paroles qui seront comme votre emblème, votre mot d'ordre, votre devise. Note bien : Le travail et la tempérance feront fleurir la Congrégation Salésienne. Ces paroles, tu les feras expliquer, tu les répèteras, tu y insisteras. Tu feras imprimer un manuel qui les explique et qui fasse bien comprendre que le travail et la tempérance sont l'héritage que tu laisses à la Congrégation, et que (ces deux points) seront aussi sa gloire ».30

Le diamant du travail est placé sur l'épaule droite comme pour nous indiquer le primat de cette « extase de l'action » dont parle St François de Sales dans le Théotime31 et qui est toute animée par les profonds dynamismes que sont la Foi, l'Espérance et, surtout, la Charité. Ce type d'action ne fait pas du Salésien un simple « activiste », mais le rend un authentique « artisan de salut », même s'il agit dans le secteur de l'éducation, par son action pour une promotion humaine suivie et accorée à son époque.

Le diamant de la Tempérance, placé sur l'autre épaule, ne doit pas être confondu avec celui du Jeûne (placé sur le dos), précisément parce que ces deux diamants, semblables à première vue, sont disposés en deux endroits si différents : l'un sur le devant et l'autre sur le dos.

Si, comme nous le verrons, le « Jeûne » indique l'ascèse de la mortification des sens, la « Tempérance » indique plutôt une maîtrise générale de soi avec un style de vie spartiate, fait de sacrifice, d'un horaire exigeant, et le tout accompagné du sens de la mesure, d'équilibre, fruits de la capacité à contrôler ses propres réactions. Cette attitude de tempérance s'allie à un certain comportement général de style sympathiquement populaire, d'un riche bon sens et faisant une place suffisante à une bonne dose d'astuce. « Le Salésien - disait Don Rinaldi - doit savoir se contrôler, il n'avance pas les yeux fermés, il les ouvre mais ne dépasse pas les limites : quand cela ne convient plus, il s'arrête. Il est maître de lui-même dans le jeu ; il reste mesuré avec le jeune qui le fait désespérer ; il est capable de se taire, de fermer un œil, de parler en temps voulu, d'être astucieux ! ».


Force d'attirance du Christ.


Troisième remarque : les trois magnifiques diamants sur la poitrine sont les témoins de la source jaillissante à laquelle puise toute la personnalité du Salésien : l'ouverture constante au mystère de Dieu à la suite du Christ. C'est là le secret fondamental de la vocation de Don Bosco et, par conséquent, de toute la spiritualité salésienne.

J'ai déjà souligné, dans la circulaire sur le Système Préventif,32 que l'esprit salésien prend sa source dans une adhésion enthousiaste et totale au Christ Jésus et tend, sous la conduite de Marie, à rendre présent au monde, aujourd'hui, le mystère du Christ « bénissant les enfants et faisant du bien à tous », comme l'affirme le Concile.33

Nous ne pouvons pas ici développer ce que l'esprit salésien met sous les trois diamants « Foi - Espérance – Charité ».

Il nous faut pourtant noter que le diamant de la Foi nous indique toute une vision surnaturelle de la réalité dans laquelle nous sommes plongés, vision imprégnée d'optimisme : « c'est notre foi qui nous rend vainqueurs du monde ! ».34 Cette vision nous présente clairement les motivations pastorales de notre action et elle pénètre et soutient le style de sain humanisme qui caractérise l'apostolat salésien.35

Le diamant de l'Espérance est là pour souligner la certitude de l'aide d'en haut (... Marie, elle aussi, est vue sous le jour d'« Auxiliatrice » !) dans une vie pleine de créativité, c'est à dire toute occupée à trouver chaque jour des activités concrètes pour le salut, surtout, de la jeunesse.36

Le diamant de la Charité mérite une attention particulière : il est, en effet, placé « sur le cœur » ; et la première scène du Songe se termine justement en montrant Don Costamagna dictant à Don Fagnano les paroles suivantes : « La charité comprend tout, supporte tout, est victorieuse de tout ; prêchons-la en paroles et par nos actes ».

Pour Don Bosco, la charité est une attitude constante d'amour sincère envers les personnes parce que chaque personne est Dieu lui-même ou Son image : la charité est une immersion dans le Christ pour vivre en Lui la filiation par rapport au Père (= esprit de prière continuelle) et pour témoigner avec Lui du dévouement le plus généreux envers le prochain (= dévouement total aux jeunes). Et ici nous retrouvons le cœur de Don Bosco, débordant de bonté et doué d'une singulière « prédilection pour les jeunes ».

Pour avoir une charité caractérisée par ce « don », il ne suffit pas, écrit Don Albera, que le Salésien « sente une certaine attirance, comme naturelle, pour les jeunes, mais il faut vraiment les aimer d'un amour de prédilection. Cette prédilection, au stade initial, est un tempérant, consacré à enrichir la société de sa vocation chrétienne don de Dieu, c'est exactement la vocation salésienne, mais il appartient à notre intelligence et à notre cœur de la développer et de la mener à sa perfection ».37

Il s'agit, en somme, de cette « charité pastorale » qui est le cœur de « l'esprit salésien »38 et la source perpétuelle d'une « bonté » authentique qui caractérise toute la pédagogie salésienne et la fait baigner dans un climat de joie et de gaieté spontanée.

Ainsi les cinq diamants de devant offrent-ils comme une photographie de l'essentiel du « visage salésien » ; un citoyen travailleur et spécifique et utile à cette société de sa vocation chrétienne spécifique et utile à cette société ; c'est un homme rendu sage et optimiste par la Foi qui l'anime, rendu dynamique et créatif par l'Espérance qui le meut ; la Charité qui l'imprègne fait de lui un orant perpétuel et, au plan humain, un être de bonté.

Sur le triangle lumineux constitué par les trois diamants « Foi - Espérance – Charité » on pourrait tout aussi bien voir écrit, comme une synthèse de cette carte d'identité spirituelle : « Jésus Christ hier, aujourd'hui et toujours, le grand ami des jeunes » !


L'ossature.


Sur le dos, l'éclat des cinq diamants (Obéissance - Vœu de Pauvreté - Récompense - Vœu de Chasteté - Jeûne) montre l'ossature cachée et robuste du Salésien dans laquelle se révèle concrètement le sens de la seconde partie de notre devise : « coetera tolle ! » ; et sur laquelle repose notre style particulier de vie consacrée.

Ici encore, il faut noter que les cinq diamants ne nous offrent pas tant une « liste de vertus » que des points importants qui caractérisent une modalité ascétique dans la façon de suivre le Christ.

Il me semble essentiel, selon la lecture faite par Don Rinaldi, de noter que ces points importants, placés sur le dos de la cape, sont les points qui caractérisent le Salésien dans sa vie intérieure ; ces points ne se présentent pas directement comme des traits de physionomie, mais plutôt comme une structure cachée bien qu'absolument indispensable.

Don Bosco (guidé en cela également par les conseils de Pie IX) a certainement eu le souci de ne pas donner à ses fils un visage social de moines ou de religieux ; il ne voulait pas (et de nombreux faits et textes le prouvent) que le Salésien apparaisse au dehors sous le modalités extérieures (habit, coutumes et style) du religieux de type traditionnel pour ne pas attirer l'attention et ne pas provoquer de rejet de la part d'une société désormais guidée par un esprit laïque, même si il voulait par ailleurs que ses fils soient « prêtres » et « fidèles » cent pour cent dans n'importe quel type de société.

Cependant, pour lui, plus la prise de conscience et le ferme-propos d'un projet ascétique pour suivre le Christ étaient cachés, plus ils devaient être profonds : il les considérait comme une indispensable « vis a tergo » ou « vis ab intus », une source inépuisable d'énergie jaillie de positions stratégiques bien défendues mais non apparentes, « le quadrilatère » du dos de la cape (Giovanni Cagliero l'avait bien compris qui disait : - Religieux ou pas, je reste avec Don Bosco ! -).

Si le visage visible du Salésien se voit sur le devant, parce que c'est l'image qu'il offre à la société et aux jeunes, le secret de sa vigueur spirituelle, de sa constance et de sa capacité de présence efficiente se trouve dans la conscience solide qu'il a d'être consacré et dans les exercices ascétiques qui en découlent.

Ici encore, plutôt que de faire l'analyse des cinq diamants, je crois qu'il est plus utile de faire quelques remarques plus générales à leur propos.


L'obéissance au centre.


Avant tout, ce qui frappe le plus dans la vision du dos, c'est la place centrale donnée au diamant de l'Obéissance : « la spiritualité intérieure (du Salésien) - écrit Don Rinaldi - est guidée par l'obéissance ».39

Dans les Constitutions, Don Bosco a toujours nus comme premier vœu pour ses religieux l'obéissance. Parlant de la formation ascétique à donner aux confrères, il a insisté sur l'obéissance comme étant la première valeur religieuse à cultiver : « dans la Congrégation - disait-il - l'obéissance, c'est tout » ;40 « c'est la base et l'appui de toutes les vertus » ;41 « c'est l'âme des Congrégations Religieuses ».42 Il a clairement insisté sur ce point dans l'Introduction aux Règles, en citant St Jérôme, St Bonaventure et St Grégoire le Grand et il ajoutait en outre que cette « première place » de l'obéissance pouvait aussi se vérifier au contraire en négatif, lorsque lorsqu'il y a perte d'identité et d'appartenance et que la volonté propre prend la place de l'obéissance : « à partir de ce jour-là - écrit Don Bosco - vous commencerez à ne plus être contents de votre état ».43

Nous pouvons aussi voir une inspiration mariale de cette place centrale dans le songe du ruban,44 dans lequel la Sainte Vierge Marie, justement, suggère à Don Bosco : « attache-les avec l'obéissance ».

L'une des principales raisons de cette priorité de l'obéissance pour le Salésien doit être recherchée dans l'importance particulière de la « mission » dans notre vie45 et dans sa modalité communautaire.46 Pour un Salésien, la « disponibilité » est à la base même de la Profession religieuse ;47 Don Bosco demandait une vertu d'obéissance véritable et éclairée comme élément prioritaire même chez les jeunes, en vue de leur éducation.48

Et dans la rédaction du Songe, Don Bosco affirme justement que le diamant « le plus gros et le plus éblouissant était au milieu, comme le centre d'un quadrilatère, et que (le mot) Obéissance y était écrit ». Les quatre autres diamants du dos « dirigeaient leurs rayons lumineux vers le diamant du centre » !

Il est également symptomatique de constater que le diamant de l'Obéissance est au centre, en parallèle avec celui de la Charité : l'obéissance salésienne en effet, doit contribuer à exprimer le « un seul cœur et un seul esprit » de notre vie de communauté, fruit du lien de charité fraternelle qui fonde et vivifie notre communion.49


Caractère concret de la pauvreté.


La seconde remarque a trait au diamant de la Pauvreté. Sur ses feux on lit : « La pauvreté ne se vit pas en paroles, mais par amour et en actes ». Ensuite, à sa place, dans la seconde partie du Songe, le ver acharné sur le manteau décoloré et déchiré porte l'inscription : « Lit, vêtement, boissons et argent ».

Le vœu de pauvreté auquel ce diamant se réfère, doit, lui aussi, être considéré dans l'ensemble du cadre caractéristique du « dos », c'est à dire de ce qui n'est pas mis immédiatement en évidence ; il fait partie de l'engagement au renoncement et à l'ascèse, propre à celui qui s'est consacré, soit individuellement en tant que personne, soit communautairement, dans la maison où il vit.

Don Bosco disait que « la noblesse du religieux est sa pauvreté »,50 « mais une pauvreté accompagnée de la netteté de la personne » ;51 il disait que nous devons « fuir l'abus du superflu ... ce que nous avons n'est pas à nous mais aux pauvres : malheur à nous si nous n'en faisons pas un bon usage » ;52 et que « nous devons aimer la pauvreté et les compagnes de la pauvreté »,53 aucune aisance par conséquent, mais vie spartiate : nous devons « avoir la pauvreté dans le cœur pour la pratiquer ! »

Le diamant de la Pauvreté évoque, par conséquent, une attitude du cœur et un style personnel et communautaire de vie, grâce auquel « comme les Apôtres sur l'invitation du Seigneur, nous nous libérons du souci immédiat des biens terrestres, et, mettant notre confiance dans la Providence du Père, nous nous donnons pleinement au service de l'Evangile ».54

L'aspect apostolique et plus directement visible de notre pauvreté est reflété plutôt par les diamants de la partie antérieure ; Don Bosco disait en effet que « l'esprit de pauvreté, nous devons l'avoir non seulement dans le cœur et dans le détachement du cœur par rapport aux choses matérielles, mais (que) nous devons le montrer aussi extérieurement, à la face du monde ».55

Or ce témoignage est perçu non seulement à travers le genre de personnes auxquelles s'adresse notre service mais, surtout, à travers notre style de vie et d'apostolat. Les diamants du « Travail » et de la « Tempérance » sont à prendre justement dans le sens de l'expression sociale de notre pauvreté56 non seulement parce qu'à travers ces diamants nous nous associons aux pauvres, mais aussi parce qu'à travers ces diamants nous voulons témoigner d'un partage de vie qui s'inspire de la pauvreté du Christ dans le sermon sur la montagne. Un tel témoignage est appelé à suggérer au monde rien de moins que les bases d'une société qui ne serait pas matérialiste ; comme il a été dit à Puebla : « dans le monde d'aujourd'hui, cette pauvreté (qui prend sa source dans l'Evangile) est un défi au matérialisme et ouvre la porte à d'autres solutions que la société de consommation ».57 De fait, notre genre de vie doit être en antithèse aussi bien avec le système capitaliste qu'avec les systèmes socialistes : non pas pour faire un plagiat idéologique ou un choix de classe, mais à cause d'une référence claire et explicite à l'Evangile, continuellement nourrie et ressourcée par le mystère du Christ et qui s'exprime par cet équilibre, ce bon sens, cette capacité de dialoguer avec tous qui ont caractérisé la façon d'être de Don Bosco dans une société travaillée par la recherche de nouvelles structures.


Exigences de la chasteté.


Une autre remarque à faire a trait au diamant du vœu de Chasteté : « Sa splendeur - lit-on dans le Songe - lançait un éclat tout particulier ; quand on le contemplait, il attirait et fascinait le regard comme l'aimant attire le fer ».

Don Bosco insistait souvent sur la « splendeur » de la chasteté chez le Salésien ; il veut ainsi exprimer quelque chose de plus que la Règle bénédictine qui dit « d'aimer la chasteté » : non seulement l'aimer et la pratiquer, mais la faire « resplendir » !

Nous savons combien notre Père a insisté sur la valeur de la chasteté. Le Salésien est fait pour les jeunes et il doit offrir à tous un cœur plein de sympathie et de charité pastorale pour construire l'amitié ; pour lui, « cela ne suffit pas d'aimer » ; il lui faut aussi « se faire aimer » ! Ce n'est pas facile.58 C'est pour cela que la formation ascétique du Salésien exige de savoir faire preuve d'une chasteté au-delà de tout soupçon et (demande) tant de précautions pour prévenir et pour se défendre : l'affectueuse tendresse salésienne est impraticable sans la pureté !

Pour nous, la Chasteté est « la vertu souverainement nécessaire », également par rapport à notre mission d'éducation qui doit être porteuse d'un message particulier pour ce qui a trait à l'amour dans le monde des jeunes, qui, de nos jours, est tellement érotisé. D'autre part, comme l'écrit Don Bosco dans l'Introduction aux Règles, « cette perle inestimable est l'objet des pièges incessants de l'ennemi de nos âmes parce qu'il sait bien que s'il réussit à la ravir, notre sanctification est compromise ».59 D'où la nécessité de toutes ces précautions pour prévenir et se défendre qui doivent accompagner intelligemment l'ascèse salésienne.

Ces précautions, nous pouvons les résumer dans le diamant du « Jeûne ».

Comme nous l'avons dit, dans le Songe, ce diamant apparaît comme clairement distinct de celui de la « Tempérance ». L'endroit où il est placé, sur le dos, indique qu'il s'agit d'un élément indispensable de la formation ascétique ; le diamant de la Tempérance, lui, souligne un trait de physionomie qui caractérise le visage même du Salésien.

Pour Don Rinaldi, le diamant du Jeûne recouvrait tout le vaste domaine ascétique de la mortification des sens : on n'a jamais vu chasteté sans mortification : Don Bosco parlait souvent de la « belle vertu », mais en la mettant toujours en relation avec l'esprit de mortification qui s'exprime dans de multiples initiatives quotidiennes. Il se préoccupait plus du comment garder la chasteté que de sa beauté en elle-même, beauté par ailleurs clairement et souvent affirmée par lui. Cela nous confirme le sens aigu de la pédagogie concrète qui caractérisait l'attitude d'esprit de notre Père.


Le sens du paradis.


On ne peut s'abstenir enfin, d'une remarque sur le diamant de la « Récompense », qu'il ne faut pas confondre avec celui de 1'« Espérance ».

Le diamant de l'Espérance en effet, est placé devant, sur la poitrine et met en évidence de façon visible le dynamisme et l'action du Salésien pour la construction du Royaume ; sa persévérance dans l'effort et son enthousiasme dans son engagement se fondent sur la certitude de l'aide de Dieu, actualisée par la médiation et l'intercession des deux ressuscités : le Christ et Marie.

Sur le dos, au contraire, le diamant de la Récompense souligne plutôt une attitude du cœur constante qui imprègne et anime tout l'effort ascétique : « le ciel est au bout ! ».

Le Salésien - disait Don Bosco - « est prêt à supporter la chaleur et le froid, la soif et la faim, les difficultés et le mépris chaque fois que la gloire de Dieu et le salut des âmes sont en jeu » ;60 ce qui soutient intérieurement cette capacité d'exigeante ascèse, c'est la pensée du paradis qui accompagne la conscience que l'on met dans le travail et la vie. « Dans toutes nos charges, dans notre travail, dans les peines et les difficultés, n'oublions jamais (...) qu'Il tient compte minutieusement de la plus petite chose faite pour son saint nom, et qu'il est de foi qu'en son temps il nous rétribuera largement. A la fin de notre vie, quand nous nous présenterons devant son tribunal divin, il nous dira en nous regardant tendrement : « S'est bien, serviteur bon et fidèle, parce que tu as été fidèle en peu de chose, sur beaucoup je t'établirai ; entre dans la joie de ton Seigneur » (Mt 25,21).61 Et lorsque notre Père dit qu'un Salésien épuisé de travail représente une victoire pour toute la Congrégation, il semble aller jusqu'à évoquer une dimension de communion fraternelle dans la Récompense : c'est presque une conception communautaire du paradis !

La pensée du paradis continuellement présente à la conscience est l'une des idées-forces et l'une des valeurs de pointe de la spiritualité typique et de la pédagogie de Don Bosco. Cela équivaut à faire monter à la conscience pour l'approfondir l'instinct fondamental de l'âme qui tend vitalement à sa fin dernière (cf. les sept·« Mots du soir » qui ont pour sujet : « pourquoi nous devons être sûrs que Dieu veut nous donner le paradis »).62


La spécificité salésienne.


Si, à la lumière de l'unité complémentaire des deux perspectives sous lesquelles est vu le Personnage, nous nous demandons quelle est notre spécificité ou - comme disait Don Rinaldi - quelle est l'originalité propre à la « spiritualité de la vie salésienne »,63 il me semble qu'à l'aide du Songe, ce n'est pas difficile de répondre : c'est tout l'ensemble harmonique de ces dix diamants, dans l'unité vivante et lumineuse du Personnage qui porte la cape. En effet, il n'est que trop évident que « devant » et « derrière » indiquent des réalités complémentaires que l'on ne peut séparer : il s'agit d'une personne (ou d'une communauté fidèle), toute tournée vers le mystère divin, convaincue de la victoire finale du bien sur le mal, infatigable dans son engagement pour la construction du Royaume, au cœur imprégné de cette charité pastorale qui est un amour qui se traduit en bonté, bien décidée enfin à un effort constant et concret d'ascèse. Tout cela s'est démontré historiquement, de façon perceptible et vivante, dans le chef d'œuvre du Saint Esprit qu'est la personne même de Don Bosco. Comme nous le disions ci-dessus, en citant Don Rinaldi : « si chaque diamant a son éclat particulier, tous ces feux n'en font qu'un : Don Bosco ! ».

Par conséquent la « spécificité » de l'esprit salésien, plus qu'une note ou une vertu, est un ensemble d'attitudes, de convictions profondes et d'expériences méthodologiques qui on fait leurs preuves, et qui s'unissent harmonieusement pour créer un style original et particulier de sainteté et d'apostolat. Pour découvrir cette spécificité, la description du Songe de S. Benigno est plus utile qu'une définition abstraite : il est plus profitable de regarder Don Bosco qu'un schéma théorique.

Ensuite, pour mettre en pratique les caractéristiques de cette spécificité salésienne, c'est à dire pour faire de nous - comme l'écrit Don Rinaldi - « une véritable incarnation de ce personnage vivant » ,64 tout un climat de vie commune, toute une formation tirée des Constitutions et des Traditions authentiques sont nécessaires ; Constitutions et Traditions nous aident à transmettre vitalement et authentiquement cette « expérience de l'Esprit Saint » qui fut suscitée et vécue au moment de nos origines, en communion avec notre Père et Fondateur.

Don Rinaldi nous exhorte à reproduire le modèle du Songe (non seulement individuellement mais aussi communautairement) « dans ses plus petits détails, afin que la Société Salésienne rayonne comme elle le doit dans le monde entier. Parce qu'à travers l'auguste Personnage de sa vision, le « Bienheureux » a vraiment contemplé la Société Salésienne dans la magnificence de la cape et de ses brillants, cette Société que nous sommes nous. (...) Or nous, les Salésiens, nous devons, bien sûr, chacun, chercher à acquérir et à travailler progressivement ces précieux diamants ; mais si nous voulons les voir briller dans toute leur splendeur, il nous faut être UN, comme l'est la riche cape du Personnage-modèle, grâce à l'observance des Constitutions pratiquées en conformité avec les Règlements et les traditions paternelles ».65


La désagrégation de l'identité.


La seconde scène du Songe est dramatique. Elle décrit « l'envers du vrai Salésien »,66 l'Antisalésien ! Elle nous fait sauter aux yeux la terrible dialectique « salésianité – antisalésianité » qui est comme une épée de Damoclès menaçant notre vie et contre laquelle nous devons savoir nous défendre sans cesse.

Cette scène est apparue comme très déprimante aux premières générations. Pour nous aujourd'hui, après la crise grave surtout des années 1960-1970, elle doit nous être un cadre de référence particulier pour réfléchir sur les abandons trop nombreux de ces dernières années.

Parmi ceux qui m'ont demandé d'envoyer aux confrères quelques réflexions sur ce Songe, il y en a un qui a insisté pour me faire remarquer qu'on pouvait voir une suggestion spéciale à notre endroit dans la date « 1900 » indiquée au début de la seconde scène : « La Pieuse Société Salésienne telle qu'elle risque de devenir en l'année 1900 ».

Cela pourrait constituer - me disait-il - une interpellation d'actualité si ce « 1900 » signifiait une date qui commencerait par ces deux premiers chiffres, mais que resterait encore à préciser dans la suite du siècle ; aujourd'hui, il ne resterait plus que vingt ans pour la situer ; et ne vous semble-t-il pas qu'on pourrait étudier la forte crise de ces derniers temps à la lumière du grave avertissement donné par la cape déchirée ?

Même si l'on ne prête pas attention à cette curieuse hypothèse, il est cependant d'actualité et bénéfique de nous arrêter à méditer ce que Don Bosco a voulu nous dire. Des avertissements sévères sur l'avenir de notre Vocation, Don Bosco en a donné plus d'une fois dans ses conférences et dans ses songes. Pensons, par exemple, au songe des démons réunis pour détruire la Congrégation.67 Cette scène déconcertante, de notre Songe a une portée dramatique de mise en garde qu'il est inutile de relier à une date. A une époque tourmentée comme la nôtre, l'avertissement donné par le Songe peut, sans aucun doute, acquérir une plus mordante actualité, mais il dépasse pourtant certainement la contingence de notre conjoncture historique.

Nous avons déjà médité sur le problème alarmant de la crise de la Vie religieuse aujourd'hui, dans la lettre circulaire « Fortifier les frères », parue l'année dernière dans les Actes.68 Ici, nous nous limitons simplement à souligner la gravité et le sérieux de l'avertissement contenu dans le Songe.

Le Personnage, cette fois, a « l'aspect mélancolique de quelqu'un qui est sur le point de pleurer. Sa cape est décolorée, mitée et déchirée. A l'endroit où étaient fixés les diamants le tissu maintenant est très abîmé par un ver et d'autres petits insectes (...), et les dix diamants se sont changés en autant de vers acharnés à ronger la cape ».


Altération du visage.


Devant : au lieu des diamants de la Foi, de l'Espérance et de la Charité, on voit des inscriptions qui indiquent un affaiblissement complet du sens du surnaturel d'où découle une grande décadence spirituelle ; et nous savons que ce sens du surnaturel est remplacé d'habitude par les opinions politiques à la mode qui cherchent à justifier de toutes les façons possibles le profond changement d'identité en cours : et on en arrive ainsi facilement à l'ultime conséquence : l'abandon.

Evidemment, l'Oisiveté jointe à la négligence pastorale, et l'Embourgeoisement joint à la légèreté et à la superficialité de la société de consommation et d'un quelconque drapeau idéologique à la mode prendront la place du Travail et de la Tempérance.


Effondrement de l'ossature.


Au dos : il y a une désagrégation progressive de toute la structure ascétique, qui commence par la mise de côté de l'Obéissance ; c'est ainsi qu'est détruit le fondement pratique de notre spiritualité, que sont coupés les liens de la communion, que croît démesurément l'individualisme et que s'amenuise même la possibilité de se reprendre.

La Concupiscence, avec son besoin infantile et compulsif d'affection sensible qui entraîne vite aux chutes les plus inimaginables, prend la place de la Chasteté.

La Pauvreté, avec ses exigences concrètes de détachement, de dépendance, de mise en commun et de règle contrôlant l'utilisation des choses, est considérée comme dépassée culturellement et à sa place apparaît une recherche continuelle de commodités guidée uniquement par l'égoïsme et accompagnée d'une indépendance malsaine par rapport à l'utilisation de l'argent.

Au lieu de la Récompense : on n'élève plus le regard vers le Paradis parce qu'on ne sent plus du tout le besoin de soutenir et de nourrir quotidiennement un effort ascétique. Au contraire, une vision temporelle des choses se répand de plus en plus, d'après un horizontalisme plus ou moins élégant qui pense pouvoir découvrir l'idéal de tout à l'intérieur même du devenir humain et de la vie présente.

Enfin, là où il y avait le diamant du Jeûne, il n'y a plus rien « qu'une déchirure, sans rien d'écrit ». Avec la suppression de la garde des sens, on ouvre la porte à toutes les sortes de tentations et de déviations.

Comme on le voit, le tableau de la crise est ainsi dessiné plus que suffisamment. Aujourd'hui, nous dirions :

- devant, sur le visage : affaiblissement du sens du surnaturel, remplacé par des idéologies qui voudraient justifier le changement survenu et comportant un embourgeoisement du style de vie ;

- derrière, au lieu de l'ossature ascétique : individualisme ; concupiscence ; argent ; horizontalisme ; bannissement de la mortification.

Il y a là tout un matériel pour guider une exigeante révision de vie !


Appel au sujet de la formation et du discernement des vocations en vue de l'avenir.


La troisième scène du Songe représente un jeune garçon, tout de blanc vêtu, qui encourage et exhorte les Salésiens.

Il nous rappelle que nous ne travaillons pas seuls, mais que nous sommes « les serviteurs et les instruments » du Seigneur ; de la sorte, même si le défi est angoissant, nous avons vraiment la possibilité de résister et de vaincre : « soyez forts et courageux ! » nous dit-il.

Nous savons fort bien que, par nous-mêmes, nous sommes faibles et changeants : nous en parlions dans la circulaire : « Fortifier les frères ».69 Dieu seul est fort. Lui seul, par conséquent, peut nous rendre forts, Lui seul peut nous garder fermes jusqu'au bout parce qu'il nous a placés sur la solide pierre de fondation qu'est le Christ ; Lui, il est, par essence, fidèle et il nous protégera du mal ; à Lui appartient la puissance dans les siècles !

Le jeune garçon nous exhorte donc, en premier lieu, au courage et à l'espérance.

Mais ensuite, il nous rappelle quelques moyens indispensables pour nous défendre et pour croître, moyens que la récente publication de la « Ratio » rend encore plus actuels.

Le premier consiste à nous employer à traduire en formation permanente les nombreux enseignements du Songe : « faites attention », « cherchez à comprendre », « prévoyez et prêchez », « ce que vous prêchez, faites-le vous-même constamment, afin que vos œuvres brillent comme des lumières », « aimez la tradition et transmettez-la de génération en génération » !

Le second moyen que le jeune garçon nous rappelle est « le souci des vocations et la formation des nouvelles générations : « soyez avisés pour accepter les novices », « soyez forts pour les former », « soyez prudents pour les admettre », « éprouvez-les », renvoyez ceux qui sont légers et changeants » !

Enfin, le troisième grand moyen indiqué est la fidélité au Fondateur vécue concrètement et quotidiennement moyennant la connaissance, l'amour et la pratique des Constitutions : que cela soit toujours au cœur de nos prises de conscience personnelles et communautaires comme thème de réflexion « matin et soir » !

Est-ce que le Salésien d'aujourd'hui, les communautés de chaque maison, écouteront ces avertissements ? C'est une question angoissante qui se dessine à l'horizon de demain et met en jeu le problème de l'avenir de la Congrégation. Cette inquiétude, Don Bosco l'a ressentie le premier. Lorsqu'il eut ce Songe, en 1881, sa vie touchait à sa fin ; en Italie le pouvoir temporel de la Papauté avait été renversé ; l'Eglise souffrait de nouvelles grosses difficultés ; une fois mort son Fondateur, est-ce qu'un Institut encore à ses débuts pourrait continuer à vivre ? Ce n'était, certes pas, une demande sans fondement : nous savons qu'après la mort de Don Bosco, sous le Pontificat de Léon XIII, il fut question de nous réunir à la Congrégation des Pauvres Clercs Réguliers de la Mère de Dieu des Ecoles Pies.70

Eh bien, le Songe, dans une telle perspective, assurait alors, sous la forme d'une prophétie concrète, l'avenir de notre Congrégation jusqu'à la fin du XIXe siècle et au début de celui-ci.

C'est donc à raison que ce Songe a été lu par la première génération de Salésiens dans une optique fortement prophétique ; les différentes dates qui y figuraient encourageaient une telle interprétation, si bien qu'on en vint à le désigner sous le nom de Songe sur l'Avenir de la Congrégation.

Cet aspect constitue une donnée extrêmement intéressante ; il peut nous pousser, nous aussi, aujourd'hui, à sonder un peu l'avenir de notre Vocation. L'identité vocationnelle et l'avenir, la fidélité et le futur, sont étroitement et réciproquement liés dans une Vocation.

On peut mener ce genre de réflexion de diverses manières. L'une de ces manières, c'est la sainte utopie, un peu comme l'ont fait ; parfois, Pie IX et Don Bosco lui-même. Pie IX, par exemple, s'exprimant presque comme un voyant, vit l'actualité et l'originalité du Charisme de Don Bosco avec son intuition pastorale ; et dans sa grande sensibilité d'homme de Dieu, il dit à Don Bosco en 1877 : « Je vous prédis, et vous, écrivez-le à vos fils, que la Congrégation fleurira, se répandra miraculeusement, continuera dans les siècles à venir (...), tant qu'elle cherchera à promouvoir l'esprit de piété et de religion et surtout l'esprit de moralité et de chasteté ».71

Don Bosco aussi l'a fait dans le sens prophétique sur deux niveaux distincts : au niveau des siècles à venir (comme Pie IX) et à celui du futur immédiat. Il l'a fait à partir des inspirations qu'il recevait d'en-haut et convaincu qu'il prophétisait l'essor d'une Vocation suscitée par Dieu et qui serait grandement utile à la nouvelle société. Au premier niveau, il y a de nombreux textes, disons, « utopiques », dans lesquels notre Père nous laisse des affirmations qui sembleraient presque incroyables si elles ne venaient de sa ferme conviction d'avoir affaire à une initiative du Seigneur lui-même : « Si je pouvais embaumer et conserver vivants une cinquantaine de Salésiens parmi ceux qui sont en ce moment de nôtres - s'exclama-t-il un jour -, d'ici cinq cents ans ils verraient quelle magnifique destinée nous réserve la Providence, si nous sommes fidèles. (...) Il pourra se trouver quelque tête folle qui voudra notre ruine, mais ce seront là des projets isolés et qui ne seront soutenus par personne. Le tout est que les Salésiens ne se laissent pas prendre par l'amour des commodités et ensuite ne se dérobent pas au travail ».72

Pour le second niveau, il y a aussi le nombreuses affirmations et divers songes comportant des indications concrètes et des précisions inexplicablement exactes,73 Le Songe de S. Benigno fut considéré par lui-même comme « le Songe sur l'état futur de la Congrégation » ; il y mit même des dates : pour la première partie « 1881 » ; pour la seconde « 1900 » ; et enfin, dans le mémorandum ; « j'ai pu encore noter qu'il aura, de façon imminente, beaucoup d'épines, le difficultés auxquelles succéderont de grandes consolations. Dans le années 1890, il y aura une grande peur, dans les années 1895, un grand triomphe ».74

Certes, de fait, la Congrégation a traversé ces années en bonne santé ; elle ne fut pas annexée à un autre Institut religieux ; elle s'est si bien développée dans le monde entier que le Pape Paul VI a pu dire qu'il fallait se rendre à l'évidence de l'apparition du « phénomène salésien » au cours du dernier siècle d'histoire de l'Eglise.

Nous avons déjà dit qu'un peu plus tard, 50 après, Don Rinaldi, constatant le soin particulier avec lequel Don Bosco avait voulu transmettre ce Songe « pour notre instruction et pour la préservation de la Société dans l'avenir », le fit publier dans les Actes de décembre 1930, en y omettant les dates alors dépassées : « Vous le trouverez ci-dessous - écrivait-il - dans sa première version, sans les remarques personnelles du Bienheureux qui, par leurs limites de temps en diminuaient l'importance universelle ».75

Ainsi présenté, le Songe est devenu un message vivant et un enseignement prémonitoire pour l'avenir de la Congrégation pour tous les temps ; une vision originale sur laquelle il faut réfléchir et un vaste sujet qu'il faut étudier en tant que cadre de référence de la salésianité des fils de Don Bosco à travers les siècles.

Il faut donc, encore aujourd'hui, « être attentifs et bien comprendre » ce qui nous y est dit.

C'est pourquoi, une autre manière de réfléchir sur l'avenir de la Congrégation, la seule qui soit pratiquement réaliste pour nous aujourd'hui, est celle que nous avons essayé de faire ensemble en méditant la circulaire « Fortifier les frères ».76 Nous y avons suggéré une lecture de la crise que nous sommes en train de traverser, en essayant d'en découvrir les signes positifs et d'approfondir le temps de l'Esprit Saint, assez extraordinaire, que l'Eglise est en train de vivre ; mais nous avons aussi voulu nous arrêter sérieusement sur le phénomène des défections. Il sera sans aucun doute utile de méditer ce Songe à partir de notre situation critique de ces dernières années.

Le contraste entre la première et la seconde scène du Songe est vraiment dramatique : « corruptio optimi pessima ». Chacun de nous a pu, malheureusement, voir de ses propres yeux ces derniers temps « l'envers du Salésien », ici ou là, en chair et en os ! Le risque que court la Congrégation n'est pas imaginaire. Certains points importants, si intensément cultivés à l'origine, comme le « Travail » et la « Tempérance », ont-ils, aujourd'hui, la densité et la netteté qu'ils avaient au temps de Don Bosco ?

Le climat surnaturel et l'authenticité de l'appel pastoral, ou, en d'autres termes, cet amour qui est don de l'Esprit du Seigneur, est-il encore l'âme véritable de notre action et l'atmosphère que l'on respire quotidiennement dans nos maisons ? A la base de toutes nos activités, y a-t-il vraiment une motivation commandée par l'obéissance ? Croyons-nous encore à la nécessité indispensable d'une saine discipline pour être, dans le concret de chaque jour, d'authentiques disciples du Christ chaste, pauvre, obéissant ?

Oui, ce Songe d'il y a cent ans nous interpelle encore ; d'une certaine manière, le « qualis esse periclitatur » est plus actuel aujourd'hui qu'à ce moment-là.

Méditons donc, individuellement et communautairement, sur les avertissements de ce Songe ; réfléchissons sur l'appel empreint de tristes se du jeune garçon ; et surtout, soyons pleins d'enthousiasme pour les valeurs de notre Vocation, cultivons-les avec soin et transmettons-les avec fidélité. Regardons toujours le développement de notre Vocation comme le fruit d'une initiative d'En-haut et que résonne aussi en nous l'invitation à chanter avec une sincère reconnaissance : « Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton Nom donne la gloire ».

- Mes chers Frères, voici donc tout un petit patrimoine spirituel qu'il nous faut aujourd'hui reprendre en considération, méditer et mettre en pratique.

Imaginons que les appels de la troisième scène du Songe nous arrivent de tant de jeunes qui nous interpellent du fond de leur besoin.

La Vocation salésienne a été suscitée pour les jeunes. Don Bosco est un cadeau que Dieu a fait aux jeunes ; il est leur ami, il est le signe tangible de la prédilection du Christ pour eux. Ils ont grand besoin de son amitié. Dieu a fait le don à la jeunesse qui nous entoure d'une sorte de « droit » à la Vocation salésienne, puisque, précisément, le Christ et Marie ont voulu cette Vocation pour eux : rappelez-vous le songe des neuf ans !77 Il est donc urgent de la présenter aux jeunes d'aujourd'hui dans ses valeurs les plus authentiques et d'en témoigner grâce à une vitalité débordante.

Profitons de ce centenaire du Songe pour en raviver le souvenir et pour l'approfondir. Mettons à profit ses enseignements et ses avertissements.

Que Marie nous inspire et nous aide, elle que Don Bosco avait voulu honorer en notant la mémoire liturgique de la fête de son saint Nom en tête de son récit du Songe.

J'envoie à chacun mon plus cordial souvenir en vous assurant de ma prière quotidienne dans l'Eucharistie et le Chapelet.


Père EGIDIO VIGANÒ



LE SONGE DU PERSONNAGE AUX DIX DIAMANTS

San Benigno Canavese, la nuit du 10 au 11 septembre 1881


Le texte que nous publions ici reproduit le manuscrit de Don Berta, revu et corrigé par Don Bosco lui-même, (cf. Archivio Salesiano Centrale 152, Songes, 5). Nous nous sommes également servi de l'édition critique de Cecilia Romero I sogni di Don Bosco - Edizione critica », Turin 1978, LDC).

Nous nous sommes permis :

- de traduire les expressions latines (comme ce fut le cas dans la précédente publication de Don Ziggiotti, en 1964) ;

- de faire abstraction de certaines dates désormais périmées, (comme ce fut le cas dans la deuxième publication du Songe par Don Rinaldi ;

- d'ajouter des titres et sous-titres pour faciliter la lecture et la compréhension du texte.


Que la grâce du Saint-Esprit illumine nos sens et nos cœurs. Amen.

Pour servir d'instruction à la Pieuse Société Salésienne.

Le 10 septembre de cette année (1881), jour consacré par la sainte Église à honorer le glorieux Nom de Marie, les Salésiens, réunis à San Benigno Canavese, faisaient leur retraite.



« Le modèle du vrai Salésien ».

Dans la nuit du 10 au 11, tandis que je dormais, je me trouvai transporté en esprit dans une vaste salle splendidement ornée.

Il me semblait me promener avec les directeurs de nos maisons, lorsqu'apparut au milieu de nous un homme d'un aspect si majestueux que nous ne pouvions en supporter la vue. Apres nous avoir regardés, sans rien dire il s'éloigna de quelques pas.

Il était vêtu de la manière suivante : Une riche cape en guise de manteau couvrait ses épaules. Une bande ornait la partie supérieure près du cou et retombait sur la poitrine.

Sur la bande étaient écrits en caractères lumineux, ces mots : La Pieuse Société des Salésiens, et un peu plus bas : Telle qu'elle doit être. Dix gros diamants brillaient d'un si extraordinaire éclat que nous ne pouvions qu'à grand'peine fixer nos regards sur cet auguste Personnage.

Trois de ces diamants étaient sur sa poitrine : sur l'un d'eux se lisait le mot Foi, sur l'autre le mot Espérance, et sur le troisième, situé à l'emplacement du cœur, le mot Charité.

Le quatrième diamant, placé sur l'épaule droite, portait le mot Travail ; et le cinquième, placé sur l'épaule gauche, le mot Tempérance.

Les cinq autres diamants ornaient la partie arrière du manteau, et étaient disposés de la façon suivante :

l'un d'eux, plus gros et plus brillant que les autres, occupait comme le milieu d'un quadrilatère et portait ce mot Obéissance.

Sur le diamant qui se trouvait en haut à droite, on lisait Vœu de Pauvreté.

Sur celui qui était en dessous Récompense.

A gauche, le diamant d'en haut portait ces mots Vœu de Chasteté, il brillait d'un éclat tel qu'il fascinait le regard, et l'attirait comme l'aimant attire le fer.

Quant au diamant d'en bas, il portait le mot Jeûne.

Ces quatre derniers diamants renvoyaient leurs feux sur le diamant central.


Quelques maximes explicatives.

Tous ces brillants émettaient des rayons, qui s'élevaient en forme de petites flammes et portaient des inscriptions diverses :

Au-dessus de la Foi, on pouvait lire ces mots : « Prenez le bouclier de la foi, afin de pouvoir combattre contre les embûches du démon ». Et encore, sur un autre rayon de lumière : « La Foi sans les œuvres est morte. Ce ne sont pas ceux qui écoutent, mais ceux qui accomplissent la loi, qui posséderont le royaume de Dieu ».

Au-dessus de l'Espérance : « Mettez votre confiance dans le Seigneur, non dans les hommes. Que vos cœurs soient toujours fixés là où sont les vraies joies ».

Au-dessus de la Charité : « Portez les fardeaux les uns des autres, si vous voulez accomplir ma loi. Aimez et vous serez aimés. Mais aimez vos âmes, et celles des vôtres. Qu'on s'acquitte avec dévotion du Divin Office ; qu'on célèbre la Messe avec attention ; qu'on visite le Saint Sacrement avec un grand amour ».

Au-dessus du mot Travail : « Remède de la concupiscence, arme puissante contre tous les pièges du démon ».

Au-dessus de la Tempérance : « Si tu ôtes le bois, le feu s'éteindra. Fais un pacte avec tes yeux, avec ta bouche, avec le sommeil, de peur que de semblables ennemis ne viennent saccager vos âmes. Intempérance et chasteté ne peuvent habiter ensemble ».

Dans les rayons de lumière émanés de l'Obéissance : « Base et couronnement de l'édifice de la sanctification ».

Dans le rayonnement de la Pauvreté : « C'est aux pauvres qu’appartient le royaume des cieux. Les richesses sont des épines. La pauvreté ne se réalise pas en paroles, mais dans le cœur et dans les actes. C'est elle qui ouvre la porte du ciel ».

Dans le rayonnement de la Chasteté : « Toutes les vertus viennent ensemble avec elle. Ceux qui ont le cœur pur voient les secrets de Dieu, et ils verront Dieu lui-même ».

Dans le rayonnement du mot Récompense : « Si l'on est charmé par la grandeur des récompenses, qu'on ne se laisse pas effrayer par la multiplicité des peines. Celui qui souffre avec Moi se réjouira avec Moi. Les souffrances de la terre sont passagères. Ce qui fera le charme de mes amis dans le ciel est éternel ».

Dans le rayonnement du mot Jeûne : « C'est l'arme la plus puissante contre le embûches de l'ennemi. Elle est la Gardienne de toutes les vertus. Par l'effet du jeûne est chassée toute espèce de démons ».


Une mise en garde impérieuse.

Un large ruban rose servait d'ourlet à la partie inférieure du manteau, portant le texte suivant : « Thème de prédication. Le matin, à midi et le soir. Recueillez les miettes des vertus, et vous élèverez pour vous un vaste édifice de sainteté. Malheur à vous qui méprisez les petites choses, peu à peu vous tomberez ».

Jusqu'à ce moment, les directeurs étaient là, qui debout, qui a genoux, mais tous étaient frappés de stupeur, et nul ne disait mot. Alors, Don Rua, comme hors de lui, se mit à dire : « Il faut prendre note, afin de ne pas oublier ». Il cherche un porte-plume et n'en trouve point. Il sorte son portefeuille, il fouille mais point de crayon. « Je me souviendrai », dit Don Durando. « Je veux prendre note », reprend Don Fagnano, et il se met à écrire avec une tige de rosier. Tous contemplaient et comprenaient les inscriptions. Quand Don Fagnano eut cessé d'écrire, Don Costamagna continua à dicter ainsi : « La Charité comprend tout, elle supporte tout, elle vient à bout de tout ; prêchons-la par nos paroles et par nos actes ».


« Le contraire du vrai salésien ».

Cependant que Don Fagnano écrivait, la lumière disparut et nous trouvâmes plongés dans une épaisse obscurité. « Silence ! - dit alors Don Ghivarello - mettons-nous à genoux, prions, et la lumière reviendra ». Don Lasagna entonna le « Veni Creator », puis le « De profundis » avec l'invocation à « Marie, Secours des Chrétiens », et nous répondîmes tous.

Quand on eut dit : « Ora pro nobis », une nouvelle lumière apparut, entourant une pancarte sur laquelle on pouvait lire : La Pieuse Société des Salésiens : avec les dangers qu'elle court. Au bout d'un instant, la lumière devint assez vive, pour que nous puissions nous voir et nous reconnaître les uns les autres.

Au sein de cet éclairage, apparut de nouveau le Personnage vu auparavant, mais avec un air triste comme celui de quelqu'un qui est sur le point de pleurer. Son manteau était décoloré, rongé, déchiré.

L'emplacement où se trouvaient auparavant les diamants avait été rongé par les vers et par de petits insectes.

« Regardez - dit-il - et comprenez ». Je vis que les dix diamants s'étaient changés en autant de vers qui rageusement rongeaient le manteau.

Au diamant de la Foi s'était donc substitué : « Paresse et dégoût ».

A l'Espérance : « Gros rires et plaisanteries de mauvais goût ».

A la Charité : « Négligence dans l'accomplissement des choses divines. Ils aiment et ils cherchent leurs propres intérêts ; ils ne se soucient pas des valeurs proposées par Jésus-Christ ».

A la Tempérance : « Gourmandise : ils ont fait un dieu de leur ventre ».

Au Travail : « Torpeur, vol et oisiveté ».

A la place de l'Obéissance, il n'y avait rien d'autre qu'un vaste et profond accroc sans aucune inscription.

A la place de la Chasteté : « Concupiscence des yeux et orgueil de la vie ».

A la Pauvreté avait succédé : « Lit, vêtement, boisson et richesse ».

A la Récompense : « Notre part, ce sera les biens de ce monde ».

A la place du Jeûne, il y avait un accroc, mais pas de texte écrit. A cette vue nous fûmes tous épouvantés. Don Lasagna tomba évanoui. Don Cagliero devint blanc comme un linge, et, s'appuyant sur un siège, il s'écria : « Est-ce possible qu'on en soit déjà là ? ». Don Lazzero et Don Guidazio étaient comme hors d'eux-mêmes, ils se tendirent la main pour ne pas tomber. Don Francesia, le comte Cays, Don Barberis et Don Leveratto étaient là agenouillés et ils priaient, le chapelet en mains.

A ce moment on entendit une voix sourde : « C'est donc tout ce qui reste de la lumière et des couleurs de jadis ! ».


Le message d'un jeune.

Mais, dans l'obscurité, il se produisit un singulier phénomène. En un instant, nous nous trouvâmes enveloppés d'épaisses ténèbres, au milieu desquelles apparut tout à coup une très vive lumière, qui avait forme de corps humain. Nous ne pouvions fixer sur elle notre regard, mais nous pouvions nous apercevoir qu'il s'agissait d'un charmant jeune homme, portant un vêtement blanc tissé d'or et d'argent. Ce vêtement était bordé d'un ourlet, orné de diamants étincelants.

Avec un air majestueux, mais doux et aimable, il s'avança un peu vers nous et nous adressa textuellement ces mots :

« Serviteurs et instruments du Dieu tout-puissant, écoutez bien et comprenez. Soyez forts et courageux ».

Ce que vous avez vu et entendu est un avertissement du Ciel qui vous est maintenant donné, à vous et à vos frères ; faites attention et comprenez les paroles.

Les coups font moins de mal et on peut les prévenir.

Les situations évoquées sont maintenant connues ; qu'on fasse désormais de chacune d'elles un thème de prédication.

Ce que vous prêchez, mettez-le toujours en pratique, en sorte que vos œuvres soient reçues comme un lumineux héritage par vos frères et vos fils, de génération en génération.

Faites attention et comprenez.

Soyez circonspects quand il s'agira d'accepter, des candidats au noviciat ; soyez fermes avec eux au cours de leur formation ; soyez prudents quand il s'agira de les admettre aux vœux.

Mettez-les tous à l'épreuve ; ne gardez que ce qui est bon. Renvoyez ceux qui sont légers et instables.

Faites attention et comprenez. Méditez sans relâche, matin et soir, sur l'observance des constitutions. Si vous faites ainsi, jamais ne vous manquera le secours du Tout-puissant. Vous serez donnés en spectacle au monde et aux Anges, et alors votre gloire sera la gloire de Dieu.

On dira de vous : c'est là l'œuvre du Seigneur et c'est merveille à nos yeux. Alors tous vos frères et vos fils chanteront d'une seule voix : « Pas à nous, Seigneur, pas à nous, mais à votre Nom donnez la gloire ».

Ces derniers mots furent chantés, et à la voix de celui qui parlait se joignit une multitude d'autres voix si harmonieuses et si sonores que nous restâmes privés de sens et que, pour ne pas tomber évanouis, nous nous sommes mis à chanter en chœur.

Au moment où s'acheva ce chant, la lumière s'éteignit. C'est alors que je m'éveillai, et je m'aperçus qu'il faisait jour.


L'annotation de Don Bosco.

Ce songe avait duré presque toute la nuit, et au matin, je me trouvais à bout de force.

Cependant, craignant de ne pas m'en souvenir Je me levai en toute hâte et je pris quelques notes, qui par la suite m’ont servi de points de repère pour me rappeler ce que je viens de vous dire en ce jour de la Présentation de la Vierge Marie au Temple.

Il ne m'a pas été possible d'évoquer tous les détails.

Une chose est certaine, c'est que le Seigneur use envers nous d'une grande miséricorde. Notre Société est bénie du Ciel, mais Dieu veut que de notre côté nous apportions notre concours.

Nous préviendrons les maux qui nous menacent, si nous prêchons sur les vertus et sur les vices dont il est ici question. Prêchant et pratiquant cela, nous transmettrons à nos frères une tradition concrète et riche de ce qui s'est fait et de ce que nous ferons.

Marie, Secours des Chrétiens, priez pour nous.

1 Actes du Chapitre Supérieur 55, 1930, p. 923.

2 Ibid., p. 924.

3 La fête du St Nom de Marie fut instituée par le Pape B. Innocent IX en mémoire de la victoire des armées chrétienne contre les Turcs à Vienne, le 13 septembre 1683. Il la fixa au premier dimanche après la Nativité de Marie. En l'année 1881, dont parle Don Bosco dans le « Songe », le dimanche après la Nativité de la Sainte Vierge (après le 8 septembre par conséquent) tombait justement le 10, donc « le jour que la Sainte Eglise consacre au glorieux nom de Marie ». Plus tard, au début de notre siècle, St Pie X, pour ne pas empêcher la liturgie du dimanche, fixa la fête du Nom de Marie au 12 septembre.

4 Mémoires Biographiques 15, 182.

5 Cecilia Romero: « I Sogni di Don Bosco - Edition critique » Turin, 1978 - LOC. L Auteur présente ce Songe avec quelques autres, faits par Don Bosco à la fin de sa vie: de 1870 à 1887.

« Ce fait - écrit C. Romero à la page 10 - a une influence notable sur le contenu des songes eux-mêmes.

Le moment historique où ils se situent, après que la papauté ait perdu son pouvoir temporel, est caractérisé par un profond changement socio-politico-religieux. Parmi les problèmes qui en découlent, l'un des plus graves est celui des vocations religieuses et sacerdotales.

De plus, pour Don Bosco, c'est une période de réflexion sur son œuvre éducative et sur sa congrégation. Celle-ci doit être raffermie pour répondre à l'attente de l'Eglise - et des sociétés présente et à venir. Pour cela, elle a besoin de recevoir un vigoureux essor, et également pour répondre à la rapide et vaste expansion missionnaire qui caractérise la seconde moitié du XIXe siècle.

Le fait qu'à cette époque Don Bosco repensait son œuvre se voit dans les différents écrits de ce moment-là. Il suffit de citer, entre autres: « Les Mémoires de l’Oratoire » (1873-1875), et la plaquette sur le « Système préventif » (1877).

Vus sous cet angle, les songes dont on vient de parler revêtent tous une importance de premier plan, que ce soit à cause de leur contenu lui-même, que ce soit à cause des caractéristiques qui leur sont communes ou particulières: ils offrent une possibilité d'analyse sur différents plan: psychologique, parapsychologique, pédagogique, théologique, historique, etc. ».

6 P. Stella, « Don Bosco nella storia della religiosità cattolica », vol. II. p. 527.

7 Mémoires Biographiques 15, 182.

8 Lettres circulaires de Don Paolo Albera aux Salésiens - édition 1965 p. 370.

9 Cf. Actes du Chapitre Supérieur, 23, 1924, 197 ; 55, 1930, 923-924 ; 56, 1931, 933-934 ; 57, 1931, 965.

10 Ibid. 23, p. 200-203.

11 Ibid. 55, p. 925-930.

12 Ibid. 23, 175.

13 Ibid. 23, 174 ss.

14 Ibid. 56, 1931, 933 ss.

15 Romero, « I sogni di Don Bosco », cf. sopra, la note p. 36-37.

16 Actes du Chapitre Supérieur 56, 934.

17 Ibid. 56, 934.

18 Ibid. 57, 965.

19 Ibid. 56, 933-934.

20 Ibid. 55, 923.

21 Ibid.

22 Const. 49.

23 Actes Chapitre Supérieur 56, 934.

24 Ibid.

25 Cf. Actes Conseil Supérieur 298, 1980, 679-680.

26 Actes Chapitre Supérieur 23, 184.

27 Cité par Don Rinaldi, ibid.; voir les Mémoires Biographiques, 13, 82-83.

28 Chapitre Général Spécial 729.

29 Cf. Const. 42, 43, 87.

30 Mémoires biographiques 12, 466-467.

31 Traité de l'Amour de Dieu, livre 7, chap. 7, in Opera omnia, V, 29-32.

32 Actes Conseil Supérieur 290, 1978.

33 Lumen Gentium 46.

34 Cf. 1 Jn 5, 4.

35 Cf. Const. 47.

36 Cf. Const. 43.

37 Lettres circulaires de Don Paolo Albera aux Salésiens, édition 1965, p. 372.

38 Const. 40 ; cf. 41, 48.

39 Actes Chapitre Supérieur 56, 934.

40 Mémoires biographiques 10, 1059.

41 Ibid. 17, 890.

42 Ibid. 12, 459.

43 Const. Appendice p. 237.

44 Mémoires biographiques 2, 298 ss.

45 Const. 3.

46 Ibid. 34, 50.

47 Cf. à ce propos P. Stella, « Don Bosco nella storia della religiosità cattolica », t. 55, p. 402-407.

48 Cf. dans le même volume, p. 227-240.

49 Const. 51.

50 Mémoires biographiques 14, 549.

51 Ibid. 15, 682.

52 Ibid.

53 Ibid. 10, 1046.

54 Const. 81; cf. 82 & 83.

55 Mémoires biographiques 5, 675.

56 Cf. Const. 87.

57 Déclaration de Puebla, 1152.

58 Rappelons le songe de la pergola de roses : Mémoires biographiques 3, 32 ss.

59 Const. Appendice, p. 241.

60 Const. 42.

61 Const. Appendice, Introduction aux Règles, p. 256-257. 59 Mémoires biographiques, 6, 442.

62 Mémoires Biographiques 5, 554-556.

63 Actes Chapitre Supérieur 55, 923.

64 Ibid. 924.

65 Ibid. 56, 934-935.

66 Don Rinaldi, Actes Chapitre Supérieur 55, 924.

67 Mémoires Biographiques 17, 385 ss.

68 Cf. Actes Conseil Supérieur 295, 1980.

69 Cf. Actes Conseil Supérieur 295, p. 403.

70 Cf. E. Ceria, Annales de la Société Salésienne, I, p. 747-748.

71 Actes Chapitre Supérieur 23, 184·185.

72

73 Cf. par. ex. le songe de la roue, Mémoires biographiques, 6, 897 ss.

74 Ibid. 15, 187.

75 Actes Chapitre Supérieur 55, 923.

76 Actes Conseil Supérieur 295.

77 Mémoires biographiques 1, 123 ss.