À CRISTOLOGIA SALESIANA À |
1. LETTRE DU RECTEUR MAJEUR
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« Et vous, que dites-vous ? Qui suis-je ? » (Mc 8, 28)
Contempler le Christ avec les yeux de Don Bosco
1. Contempler Jésus avec des yeux salésiens – 2. Jésus-Christ dans la vie de Don Bosco – 2.1. Le Christ de l’Evangile – 2.2. La conformation au Christ – 3. Jésus-Christ « Apôtre du Père et Bon Pasteur » – 3.1 La gratitude à l’égard du Père pour avoir donné la vocation divine à tous les hommes – « La gratitude à l’égard du Père… » – « …pour avoir donné la vocation divine à tous les hommes » – 3.2. La prédilection pour les petits et les pauvres – 3.3. La sollicitude à prêcher, à guérir, à sauver sous l’urgence du Royaume qui vient – « La sollicitude à prêcher… » – « … à guérir… » – « … et à sauver… » – « … sous l’urgence du Royaume qui vient » – 3.4. L’attitude du Bon Pasteur qui conquiert par la douceur et le don de soi – 3.5. Le désir de rassembler les disciples dans l’unité de la communion fraternelle – 4. Jésus-Christ « notre Règle vivante » ▪ dans la réalisation de la mission ; ▪ dans la vie de communauté ; ▪ dans les conseils évangéliques ; ▪ dans la vie de prière ▪ dans la formation – Conclusion : « Soyons imitateurs de Don Bosco comme il l’a été du Christ ! »
Rome, 25 décembre 2003
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1.1 Solennité de la Nativité du Seigneur |
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Très chers confrères,
Nous célébrons Noël, mémoire de l'événement de l'Incarnation qui, dans le Fils, a rendu visible la réalité même de Dieu et a montré qu’il partageait la nature humaine. Il est beau – et même bon, parce que c'est précisément la bonne nouvelle, c’est l’Evangile – de savoir que Dieu n'est pas lointain, mais proche, qu'après nous avoir créés il ne nous a pas abandonnés, qu'il est devenu l'un de nous, a assumé notre chair, s'est fait homme pour que nous de venions ses fils. L’Homme-Dieu est la révélation la plus complète de l'homme et de Dieu, sa Parole définitive sur l'homme et sur Dieu ; en effet, « souvent dans le passé, Dieu a parlé à nos pères par les prophètes sous des formes fragmentaires et variées ; mais, dans les derniers temps, dans ces jours où nous sommes, il nous a parlé par le Fils » (He 1, 1-2a).
Le Fils de Dieu a voulu vivre notre expérience et faire partie de notre famille ; cela Lui a donné le nom de Jésus et le visage de Nazaréen, mais L’a aussi rendu semblable à nous et proche. C'est peut-être pour cela que l'atmosphère de Noël se caractérise par un fort sentiment de famille et de proximité. Les maisons se revêtent de lumière ; les souvenirs de famille nous reviennent à l'esprit, nous désirons rencontrer les personnes les plus chères, nous cherchons à être avec les amis ou du moins à nous rendre présents parmi eux par les souhaits. La représentation de la crèche de Noël a sans aucun doute contribué à créer ce climat de chaleur humaine, de profondeur de sentiments, de proximité familiale.
Noël est une grande fête : les anges annoncent la joie de la naissance du Sauveur et la paix aux hommes de bonne volonté. Mais les Evangiles ne cachent pas le fait que la naissance de Jésus eut lieu dans une étable, parce que Marie et Joseph « n'avaient pas trouvé d'autre place » (cf. Lc 2,7) ; ils ne cachent pas non plus que ses parents durent fuir en Égypte parce que « Hérode va chercher l’enfant pour le faire périr » (Mt 2, 13). Le message de Noël est donc aussi fascinant que tragique : avec l’Incarnation la dignité de toute personne est élevée à la condition divine, qui reste cependant toujours exposée au risque du refus (cf. Jn 1, 10) : depuis le moment où Dieu a voulu prendre la route de l'homme, l'homme est la route pour trouver Dieu, une route qui parfois est cachée et accidentée (cf. Jn 19, 5).
Tel est, chers confrères, le contexte où je me mets de nouveau en communication avec vous, en premier lieu pour vous souhaiter une bonne fête de Noël et une heureuse année nouvelle, pleines de grâces et de bénédictions, en particulier celles que Dieu nous a données dans l'Incarnation de son Fils ; en second lieu pour continuer avec vous la réflexion sur notre vocation à la sainteté et sur notre vie consacrée salésienne comme route spécifique pour la rejoindre.
Je vous propose donc de réfléchir sur la façon de répondre aux questions posées par Jésus à ses disciples : « Pour les gens, qui suis-je ? Et vous, que dites-vous ? Qui suis-je ? » (Mc 8, 27.28). Il s'agit de questions fondamentales pour notre condition de croyants et de consacrés. Mais on ne peut pas reconnaître adéquatement l'identité de Celui qui nous a appelés et à la suite de qui nous nous sommes mis, si nous ne vivons pas une forte expérience de foi et si nous ne nous sentons pas aimés de Lui. Tel est le sens des paroles par lesquelles Jésus, selon l'Evangile de Mathieu, accueille la réponse de Pierre : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux » (Mt 16, 17). Luc aussi se met dans la même ligne ; il place ces questions au moment où Jésus se trouve avec les disciples dans un lieu à l’écart pour prier (cf. Lc 9, 18), en indiquant ainsi que ce n’est que si nous sommes éclairés par l'Esprit que nous pouvons reconnaître qui est vraiment Jésus. « Ces deux indications convergentes nous font prendre conscience que nous n'entrons pas dans la pleine contemplation du visage du Seigneur par nos seules forces, mais en laissant la grâce nous prendre par la main » 1.
De son côté, à travers la question répétée plusieurs fois « Qui est-il donc ? » (Mc 4, 41 ; cf. 1, 27 ; 2, 6.12 ; 6, 48-50), Marc semble nous dire que Jésus échappe à des réponses définitives et que l'homme n’arrive pas à le saisir une fois pour toutes. Jésus ne peut-être identifié que par Dieu, comme c’est arrivé au baptême au Jourdain : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé; en lui j’ai mis tout mon amour. » (Mt 3, 17), et dans la Transfiguration sur le Tabor : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Ecoutez-le» (Mc 9, 7). Jésus ne peut être reconnu comme Christ et Fils de Dieu que par des croyants ; seule la foi professée et vécue « conduit au “cœur”, atteignant la profondeur du mystère : “tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant !” (Mt 16, 16) » 2.
Il n'est pas différent, le contenu de l'Evangile qui, à s’en tenir au premier verset de Marc, pourrait s'exprimer comme suit : « Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, le Fils de Dieu ». Pas plus que la finalité du récit des Evangiles : « Ces signes y ont été mis afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et afin que, par votre foi, vous ayez la vie en son nom » (Jn 20, 31).
Il n'y a pas longtemps, je vous ai écrit que « Le vrai défi actuel de la vie consacrée est de rendre le Christ à la vie religieuse et la vie religieuse au Christ » 3. Eh bien, « Le Christ donne à la personne deux certitudes fondamentales : celle d’avoir été infiniment aimée et celle de pouvoir aimer sans limites » 4. Chers confrères, comme nous avons besoin de ces certitudes ! « Grâce à elles, la personne consacrée se libère progressivement du besoin de se mettre au centre de tout et de posséder l'autre, et de la peur de se donner. Elle apprend à aimer comme le Christ est l’a aimée, à aimer de cet amour répandu dans son cœur, qui la rend capable de s'oublier et de se donner comme l'a fait son Seigneur » 5. C'est précisément pour cela que je voudrais vous indiquer dans la contemplation du Christ le moyen le plus sûr pour arriver à cette tâche : « Le chemin que la vie consacrée est appelée à entreprendre au début de ce nouveau millénaire est guidé par la contemplation du Christ » 6.
2 1. Contempler Jésus-Christ avec des yeux salésiens |
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Que la contemplation du visage du Christ soit pour nous la première passion et occupation, comme nous l'indique notre Règle de vie : « Notre science la plus éminente est donc de connaître Jésus-Christ, et notre joie la plus profonde est de révéler à tous les insondables richesses de son mystère » (Const. 34). Ce texte est beaucoup plus significatif si l'on se rappelle qu'il se trouve dans le chapitre des Constitutions qui décrit notre service éducatif pastoral. Je vous invite à réaliser la très belle tâche de contempler l’être aimé par excellence, Celui qui nous a fascinés et continue à nous fasciner, avec un regard salésien, avec les yeux mêmes de Don Bosco, parce que, comme lui et à sa suite, « dans notre lecture de l'Evangile, nous sommes particulièrement sensibles à certains traits de la figure du Seigneur » (Const. 11).
La contemplation du Christ est le point de départ du chemin spirituel et du programme pastoral tracés dans l'exhortation apostolique Novo millennio ineunte, qui nous appelle à avoir le regard « plus que jamais fixé sur le visage du Seigneur » 7. L’instruction Repartir du Christ a repris le même objectif stratégique, en nous indiquant les divers visages à contempler et les lieux où faire l'expérience du Christ : « Ce sont les parcours d'une spiritualité vécue, engagement prioritaire de notre époque, occasion de relire dans la vie et dans l'expérience quotidienne les richesses spirituelles du propre charisme, à travers un contact renouvelé avec les sources qui ont fait naître, de l'expérience de l'Esprit des fondateurs et des fondatrices, l’étincelle de la vie nouvelle et des œuvres nouvelles, les relectures spécifiques de l'Evangile qui se trouvent dans chaque charisme » 8. La contemplation du Christ nous fait entrer ainsi, comme salésiens, dans le chemin postjubilaire de l'Eglise et dans l'actuel engagement de la vie consacrée.
Contempler le Christ signifie Le connaître plus profondément, L’aimer plus fidèlement, Le suivre plus radicalement. En effet, il n’est pas possible de L’aimer sans Le connaître, de Le connaître sans Le suivre (cf. Jn 1, 38-39) ; de le suivre sans être épris de Lui au point de quitter tout pour « être avec Lui » (Jn 21, 15-19). Connaître, aimer et suivre le Christ : trois réalités inséparables, qui s'appellent les unes les autres.
Les deux questions posées par Jésus aux disciples – « Pour les gens, qui suis-je ? » et « Vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » – orientent vers cette interprétation de la contemplation du Christ. Elles pourraient s'exprimer par ces paraphrases : « Qui disent-ils que je suis, ceux qui, sans m’aimer et donc sans me suivre de près, ne peuvent me connaître ? » ; « Qui dites-vous que je suis, vous qui m’aimez et me suivez au point d’estimer tout comme ordures, et êtes donc à même de connaître l'identité la plus profonde de ma personne? »
Les réponses données par les disciples confirment la même interprétation : la christologie n'est pas le fruit de la seule connaissance, mais aussi de l'amour pour Jésus et de la marche à sa suite. À s'en tenir à l’avis des gens, Jésus est Jean-Baptiste, ou le prophète Élie, ou l'un des prophètes (cf. Mc 8, 28). Au fil de l'histoire aussi Jésus a été qualifié de façons très différentes : Il est un révolutionnaire, un romantique, un communiste, un libérateur, un libéral, une superstar, un hébreu dévot… ; mais aucun de ces titres ne rend justice au mystère de la personne de Jésus. Seuls ses disciples peuvent affirmer : « Tu es le Messie, le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Au fil des temps, les croyants aussi ont cherché à approfondir cette profession de foi par la réflexion théologique et par l'histoire de la vie chrétienne ; ceux qui connaissent le mieux Jésus sont ceux qui l’aiment le plus et le suivent de plus près en cherchant à se faire à Son image.
Il ne suffit donc pas d'être des « admirateurs » du Christ, mais il faut devenir ses « imitateurs ». Comme le remarque un grand théologien, tandis qu’«un imitateur aspire à être ce qu’il admire, un admirateur reste personnellement en dehors…, évite de voir que cet objet contient vis-à-vis de lui l'exigence d'être ou du moins d'aspirer à être ce qu’il admire » 9
La contemplation du Christ n'est donc pas un divertissement esthétique, ni un libre passe-temps et moins encore une curiosité intellectuelle ; mais une passion jamais satisfaite et un besoin impérieux de le connaître, de l’aimer, de le suivre : nous voulons contempler toujours mieux Celui à qui nous voudrions nous attacher davantage, parce que « adhérer toujours plus au Christ » constitue le « centre de la vie consacrée » 10.
Nous les salésiens contemplons Jésus avec notre spécificité bien précise. Notre forme de vie réalise le projet apostolique de Don Bosco : « être dans l'Eglise signes et porteurs de l'amour de Dieu pour les jeunes, spécialement les plus pauvres. En remplissant cette mission, nous trouvons le chemin de notre sanctification » (Const. 2). La mission salésienne, qui « donne à toute notre existence de son allure concrète » (Const. 3), nous rend plus « sensible à certains traits de la figure du Seigneur » (Const. 11) et fait que notre contemplation du Christ et notre agir chrétien s’imprègnent de passion pour Dieu et de compassion pour les jeunes. Nous salésiens, nous connaissons, aimons et suivons Jésus, en étant parmi les jeunes. Plongés dans le monde et les soucis de la vie pastorale, nous apprenons à rencontrer le Christ à travers ceux auxquels nous sommes envoyés (cf. Const. 95). Notre accès au Christ passe par les jeunes. Nous salésiens, nous ne pouvons pas penser, voir, trouver, aimer ni suivre le Christ sans être entourés de jeunes ou du moins sans être conscients de leur être envoyés. Les jeunes sont notre mission et «la part qui nous revient, notre plus bel héritage » (cf. Ps 15, 6). Loin des jeunes, nous n'arrivons pas à contempler le Christ ou du moins nous ne regardons pas le Christ contemplé par Don Bosco ; les jeunes à qui nous sommes envoyés sont le lieu et la raison de notre expérience chrétienne. Cela signifie qu'il existe une route salésienne pour contempler et, par conséquent, connaître, aimer et suivre Jésus.
Puisque la Christologie est la réflexion systématique sur la personne et sur l'œuvre de Jésus de Nazareth, le Christ, le Fils de Dieu, on pourrait se demander s'il peut y avoir une « christologie salésienne » ou si, pour être authentique, la christologie ne doit avoir aucun adjectif.
Il est clair que, pour être elle-même, la réflexion christologique doit être fidèle à son rôle, qui concerne la compréhension et l'intelligence dans la foi de la personne réelle, concrète et historique de Jésus de Nazareth, professé comme Christ et Fils de Dieu. Elle doit aussi rester fidèle à la façon dont la tradition normative chrétienne a compris et expliqué cette figure le long et siècle.
Cependant cette fidélité n'exclut pas des approches différentes de la personne et de l'œuvre de Jésus, sans jamais en épuiser la richesse ; le mystère personnel même du Christ les requiert et les rend inévitables. S'il est vrai qu’aucune personne humaine ne peut se définir en une seule phrase, se fixer dans une seule attitude, ni se contempler sous une perspective unique, cela vaut bien davantage pour Jésus, fils de Marie et Fils de Dieu, vrai homme et vrai Dieu. Plus nous nous approchons, plus nous percevrons la figure du Christ comme un mystère. Elle ne perd donc pas son actualité ni sa nécessité, la question que Jésus pose à ses disciples et continue à nous poser à nous aussi : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (Mc 8, 29).
Parmi tous les facteurs qui « diversifient » les perspectives et donc multiplient les réponses à la question christologique, nous pouvons mentionner :
–La permanente profession ecclésiale de foi qui, durant deux mille ans a utilisé des concepts et des termes différents pour comprendre et exprimer l'expérience du salut dans le Christ et où apparaît plus que l’immutabilité des formules, la volonté de fidélité des croyants ;
–Les divers contextes géographiques et culturels où s’est développée la foi dans le Christ, avec une attention aussi à la religiosité populaire qui, en particulier sur le terrain christologique, présente une variété immense et inépuisable d'expressions et de symboles ;
–La sensibilité charismatique de la vie consacrée, qui a « fait naître, de l'expérience de l'Esprit des fondateurs et des fondatrices […] les relectures spécifiques de l'Evangile qui se trouvent dans chaque charisme » 11 ; les charismes, dons de l'Esprit Saint à l'Eglise, ont à leur base une « intuition christologique » et tendent à suivre et à imiter le Seigneur Jésus d'un point de vue propre qui ne prétend pas être exhaustif ni exclusif.
De cette sensibilité charismatique nous sommes conscients et fiers : « l'Evangile est unique et le même pour tous, mais il existe une “lecture salésienne de l'Evangile”, de laquelle découle une manière salésienne de le vivre : Don Bosco a tourné son regard vers le Christ pour chercher à lui rassembler dans les traits de son visage qui correspondaient le plus à sa mission providentielle et à l'esprit qui devait l’animer » 12. Et cela n'exprime-t-il pas la nécessité de vivre notre expérience propre et spécifique du Christ, née dans la mission pour les jeunes qui, racontée, devient nécessairement une « christologie salésienne » ? C'est précisément pour cela qu'il nous semble justifié de parler d’une « christologie salésienne », celle qui met justement en relief les « traits de la figure du Seigneur » auxquels notre mission nous a rendus « plus sensibles » (cf. Const. 11). Sur cette relecture christologique salésienne se fonde une profonde spiritualité et une pratique pastorale efficace, l’une et l’autre centrées sur le Christ et avec une claire spécificité charismatique ; c'est-à-dire qu'il faut une contemplation du Christ, explicitement salésienne, pour vivre une expérience spirituelle et pour réaliser une pratique pastorale ayant sa claire spécificité.
3 2. Jésus-Christ dans la vie de Don Bosco |
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Au début d’un charisme que Dieu donne à son Eglise et, par elle, au monde entier se trouve toujours un fondateur ou une communauté fondatrice. Précisément parce qu'il est un don qui caractérise de façon unique la vie chrétienne, le charisme privilégie chez le croyant qui le reçoit des traits spécifiques dans sa façon de comprendre, d’aimer et de vivre le Christ.
L’esprit salésien, ce « style original de vie et d'action » que « Don Bosco a vécu et nous a transmis sous l'inspiration de Dieu » (Const. 10), trouve « son modèle et sa source dans le cœur même du Christ, apôtre du Père » (Const. 11). Oui, « nous découvrons [le Christ] présent en Don Bosco qui a donné sa vie aux jeunes » (Const. 196) ; mais « pour comprendre notre esprit dans son élément central, il faut aller au-delà de la personne de Don Bosco. Il faut aller à la Source à laquelle il a puisé : la personne de même du Christ » 13.
C'est pourquoi il nous intéresse de connaître et d’aimer le Christ que Don Bosco a vécu et pensé, d’identifier les traits de sa personne auxquels, comme salésiens, « nous sommes particulièrement sensibles » (Const. 11) et donc, saisis par Lui et fascinés par Lui, de nous mettre à sa suite. Ainsi, vu que c’est en Don Bosco que nous apprenons comment connaître, aimer et suivre le Christ, c'est en Don Bosco aussi, par son vécu spirituel et apostolique, que nous sommes appelés à nous approcher en salésiens du Christ Jésus.
2.1. Le Christ de l’Evangile
Plus que la foi professée par Don Bosco et son credo christologique, il nous intéresse d'évoquer sa foi vécue et la disposition fondamentale qu'a prise sa relation personnelle avec le Seigneur Jésus ; en d’autres termes, il est plus important de se rapporter à la « fides qua » qu’à la « fides quae » de Don Bosco. De ce point de vue, il semble que sa formation théologique ait une valeur relative par rapport à son expérience chrétienne.
Le Christ était pour Don Bosco une personne vivante et présente à chaque moment de sa vie et de son action ; pour lui il ne fut jamais seulement une vérité abstraite ou un idéal à atteindre. Je dirais que la disposition qui caractérise sa foi chrétienne est celle d'un rapport – proximité – amitié. Il est possible de le vérifier dans le premier article des Constitutions de 1858, où il avait écrit : « Le but de cette Société est de rassembler ses membres […] afin qu’ils se perfectionnent eux-mêmes en imitant les vertus de notre Divin Sauveur, spécialement dans la charité envers les jeunes pauvres » 14.
Cette relation se caractérise par la conviction que Jésus est le Fils de Dieu fait Homme ; même, en accord avec la théologie de son temps, Don Bosco identifie pratiquement Jésus-Christ avec « Dieu », mais sans ignorer la réalité trinitaire du Mystère divin ; et ainsi, chez Don Bosco, « Jésus-Christ » et « Dieu » deviennent pratiquement interchangeables.
Au sein de cette « contemporanéité » avec le Christ, nous ne trouvons pas chez Don Bosco une sensibilité pour le Jésus historique, ni donc la préoccupation d'arriver à « Jésus de Nazareth », comme tentent de le faire aujourd’hui l’exégèse et la théologie. Pour lui, il n’y a pas d’autre Jésus que le Seigneur Jésus des Evangiles.
2.2. La conformation au Christ
Pour tracer un profil de la disposition de Don Bosco par rapport à la personne de Jésus-Christ, il me semble éclairant de rappeler le songe des dix diamants où Don Bosco a voulu représenter « l'identité du salésien », comme nous l’a rappelé aussi le récent CG25 15. Avec le Père Rinaldi on peut affirmer que Don Bosco « a toujours été dans toute sa vie l'incarnation vivante de ce symbolique personnage ! » 16. Eh bien, dans la description du personnage, modèle du salésien, nous trouvons une différence entre la partie frontale du manteau et la partie dorsale ; cette dernière présente les dispositions cachées qui, d’une certaine façon, soutiennent et renforcent la foi, l'espérance et la charité, vertus qui constituent le témoignage visible proprement dit.
Dans la présentation du Seigneur Jésus que Don Bosco fait à ses enfants et aux gens à qui il adresse sa prédication et ses écrits, il met surtout l'accent sur la dimension mystique de la contemplation du Christ, c'est-à-dire sur la bonté inépuisable du Maître, sur sa miséricorde, sur sa capacité de pardon. En particulier dans les « Vies » des jeunes du Valdocco proposés en exemple, morts prématurément, il met en relief un trait typiquement salésien : l'amitié avec Jésus. Prenons comme exemple valable pour tous la phrase-programme de Dominique Savio le jour de sa première communion : « Mes meilleurs amis seront Jésus et Marie ». Cette réalité est, pour ainsi dire, la partie frontale du manteau.
Par contre, dans les écrits pour les confrères salésiens, à commencer par l'introduction aux Constitutions et dans les Constitutions elles-mêmes, Don Bosco accentue la dimension ascétique, qui implique de suivre et d’imiter Jésus-Christ dans les diverses dimensions de la vie consacrée et en particulier dans les conseils évangéliques. Le fait est tellement évident, que, si on ne tient pas compte de la diversité des destinataires, Don Bosco pourrait donner l'impression de se contredire lui-même.
Par exemple, à propos de l'obéissance, Don Bosco écrit qu’elle « doit être à l’exemple de notre divin Sauveur, qui le pratiqua aussi dans les choses les plus difficiles et jusqu'à la mort sur la croix ». Quant à la pauvreté, il écrit : « [le salésien] suit l'exemple de notre Sauveur, qui naquit dans la pauvreté, vécut dans la privation de tout et mourut dépouillé sur une croix ». À propos de la fidélité à la vocation il donne cette indication : « Que chacun persévère jusqu'à la mort dans sa vocation, en se rappelant toujours les graves paroles du divin Sauveur : celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas propre au Royaume de Dieu » (Constitutions de 1874, art. 21 ).
Bien que ce soit clair, il faut souligner que suivre et imiter Jésus-Christ ne sont pas à comprendre comme une renonciation coûteuse, mais comme une offrande libre et joyeuse ; non comme une occupation ponctuelle, mais comme une consécration totale. « Nous ne suivons pas une vertu (obéissance, pauvreté, chasteté) ou une activité (l’éducation, les missions etc.), mais nous suivons une Personne que nous voulons imiter dans sa plénitude et un Evangile que nous voulons vivre dans sa globalité » 17. Moi-même je vous l’ai écrit il y a peu de temps : « On ne se fait pas religieux “pour” quelque chose, mais “à cause de” quelqu'un : de Jésus-Christ et de la fascination qu'il exerce » 18.
Cette dichotomie n'est qu’apparente, si nous tenons compte de l'intime et inséparable rapport entre l’Evangile et la vie, entre la foi et la morale, comme l’a entendu et vécu Don Bosco. Dans sa vie et dans son système éducatif, la morale n’est jamais une fin en soi ; l'accomplissement du devoir, par exemple, ne dérive pas d'un « impératif catégorique » de style kantien, mais du désir de réaliser par amour la volonté de Dieu en tout, même dans les petits détails de la vie. Vice versa, cette amitié avec Dieu ne se rabaisse jamais à une « camaraderie » qui passe au-dessus de l'accomplissement des commandements ; celui qui aime s'engage à réaliser la volonté expresse et même les désirs cachés de la personne aimée. Jésus a dit : « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements » (Jn 14, 15). C’est, en se servant d’une image typiquement salésienne, le paradoxe de la tonnelle de roses.
En particulier, l'insistance de Don Bosco sur la pratique du sacrement de la Réconciliation est très significative : elle constitue un des piliers de son édifice éducatif. Dans les « Vies » qu’il a écrites, c’est très évident, et parfois même insistant : la confiance en Jésus n’annule pas la conscience de la fragilité morale personnelle ; au contraire, cette confiance est d'autant plus forte que plus grande est cette conscience.
Finalement, le rapport avec le Seigneur Jésus qu’a et inculque Don Bosco est inséparable de la dévotion à la très Sainte Vierge Marie. En réalité pour lui, dans l'éducation de la foi qu'il propose, l'expression chère à Saint Louis Marie Grignon de Montfort devient une consigne sûre : Ad Iesum per Mariam (À Jésus par Marie). À ce propos – comme à beaucoup d'autres points de vue – le songe des neuf ans est exemplaire : Jésus et Marie se présentent ensemble, mais Elle lui est données comme un maîtresse de vie, précisément pour faire de lui un disciple de Jésus et pour l’aider à devenir « humble, fort et robuste ».
3. Jésus-Christ « Apôtre du Père et Bon Pasteur »
Après avoir approfondi la légitimité d'une « christologie salésienne », dans le sens d'une relecture charismatique de quelques aspects de la christologie et après avoir indiqué, dans l'expérience de Don Bosco, la place centrale de la relation avec le Christ et l'importance de se conformer à Lui, voici le moment de montrer les traits spécifiques que nous salésiens soulignons dans la contemplation du Christ. Nous les trouvons condensés dans l'article 11 de notre Règle de vie ; et « il convient de noter le lien étroit qui existe entre ces traits et la personne du Christ dans la ligne de la “charité” du bon Pasteur » 19.
Bien qu'il s'agisse d'aspects évangéliques que chaque salésien doit chercher à cultiver dans sa « spécificité charismatique » personnelle, nous les rencontrons chez Don Bosco sous une forme quasi « naturelle », mais avec une caractéristique extraordinaire : il est pratiquement impossible de séparer en lui la richesse des dons de l'Esprit Saint et l'« infrastructure humaine » qui des soutient. On peut parler ici d'un « splendide accord de la nature et de la grâce » (Const. 21). Dans l'analyse de ces traits, il est évident qu’ils ont une place centrale dans la vie de Jésus, et il serait très enrichissant de les analyser en tant que tels ; ici nous ne les voyons qu’en tant que vécus et reflétés chez notre Père et Fondateur ; je me limiterai donc à en offrir une simple glose.
3.1. La gratitude à l’égard du Père pour avoir donné la vocation divine à tous les hommes
3.1 « La gratitude à l’égard du Père… |
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Chez Don Bosco, la gratitude est un des sentiments les plus marqués et les plus nobles de sa personnalité humaine, qu'il voulut transmettre au plus haut degré à ses fils. Mais il s'agit là d'une disposition dérivée, parce qu'elle est la réponse à la gratuité, tant sur le terrain des relations humaines que, surtout, dans le rapport avec Dieu. Maman Marguerite a fortement contribué à développer ce sentiment : il s’associe, en effet, au sens très fort de la Providence qu’elle lui a inculqué tant dans la contemplation de la nature que dans l'évaluation de sa vie personnelle.
Dans la fusion des deux aspects – humain et chrétien – « dans un projet de vie d’une profonde unité : le service des jeunes » (Const. 21), la gratuité tient une place essentielle. L'article 20 des Constitutions la présente comme le premier trait du Système préventif, qui « était, pour lui, un amour qui se donne gratuitement, prenant sa source dans la charité de Dieu qui précède toute créature par sa Providence, l’accompagne de sa présence et la sauve en donnant sa vie » (Const. 20).
Durant ces études de philosophie, Jean Bosco a accompagné des jeunes de classe aisée dans un séjour d’été des jésuites près de Turin, où ils avaient envoyé leurs internes durant une épidémie. S'il est vrai qu'il n’a pas trouvé de difficultés de relation avec eux, et même s'il trouva chez ces jeunes des amis qui l’aimaient et le respectaient, il se convainquit que sa « méthode » ne s'adaptait pas à un système de « compensation réciproque » : «À Montaldo […], il perçut la difficulté d'exercer sur ces jeunes l'influence pleine qui est nécessaire pour leur faire du bien. Ensuite il se persuada de n'être pas appelé à s'occuper de jeunes de familles aisées » 20.
Le système éducatif et pastoral de saint Jean Bosco est impensable sans le vécu de la gratuité de part et d’autre : les démonstrations de gratitude de ses jeunes gens sont innombrables et émouvantes, précisément parce que leur merci n’était pas pour ce Don Bosco leur donnait, mais pour Don Bosco qui se donnait personnellement à eux pour exprimer l'amour gratuit et prévenant de Dieu. Lui-même se considérait ainsi, comme en témoignent les Memorie Biografiche qui nous disent qu’en 1859, Don Bosco se donna lui-même en étrenne : « Le peu de science et le peu d'expérience que j'ai acquises, tout ce que je suis et ce que je possède, prières, fatigues, santé, ma vie même, je désire employer tout à votre service. Pour ma part, pour étrenne je me donne moi-même tout entier à vous ; ce sera bien peu de chose, mais quand je vous donne tout, cela veut dire que je ne réserve rien pour moi » 21.
« … pour avoir donné la vocation divine à tous les hommes »
C’est un présupposé fondamental, fortement théologique, dans la pensée et dans la pratique éducative et pastorale de notre Fondateur : la certitude que tout être humain n'a pas seulement des droits et des devoirs, ni n’est un simple objet de philanthropie « horizontale », mais en n'importe quelle situation et quelles que soient ses limites, déficiences ou fautes, il est une image de Dieu ; tous sont fils et filles de Dieu, appelés à Son amitié et à la vie éternelle. De cette conviction de foi naissait en Don Bosco l'espérance, comprise comme confiance en tout être humain, surtout dans le jeune, qui réveillait en lui l'estime de soi et ses forces de bien. Cette étincelle de bonté que non seulement il rencontrait, mais qu’il supposait en chaque jeune, même en ceux qui pouvaient être considérés par d'autres comme irrécupérables, est la forme typique de sa pédagogie. Il est très important pour chacun de nous de croire et de porter dans notre pratique éducative et pastorale cette conviction de notre père bien-aimé, qui disait : « En tout jeune, même le plus misérable, il y a un point accessible au bien et le premier devoir de l’éducateur est de chercher ce point, cette corde sensible du cœur et d’en tirer profit » 22.
D’autre part, bien qu’avec les limites de l'ecclésiologie de son temps, cette conviction fut pour Don Bosco la source de son « œcuménisme » et de son angoisse missionnaire : il estimait ne pas pouvoir se reposer tant il n'avait pas annoncé à tous les hommes et à toutes les femmes du monde, sans distinction de race ni de langue, la Bonne Nouvelle de l'Amour de Dieu en Christ, qui nous appelle à former la grande famille de ses fils et de ses filles, qui est l'Eglise. Elle est en fait la source d’où jaillissait son inlassable activité et sa prodigieuse imagination pastorale.
Il faut dire que Don Bosco incarna pleinement l'idée théologique de saint-Paul, qui nous rappelle comment « le Père est la source de toute paternité au ciel et sur la terre » (Ep 3, 15) ; il sut être une médiation exceptionnelle de l'amour paternel-maternel de Dieu pour ceux qui se sentaient le moins dignes de Lui ou pour ceux qui n'avaient pas vécu une expérience positive d'un père ou d'une mère.
3.2. La prédilection pour les petits et les pauvres
Il n’est pas nécessaire de démontrer cette attention aux petits et aux pauvres, tant dans l’attitude de Jésus, vu le nombre et l’importance centrale des textes évangéliques à ce sujet, que dans l'engagement de Don Bosco. En tout cas il faut noter que, chez Don Bosco, cette prédilection ne dérivait pas seulement de la magnanimité de son cœur paternel, « grand comme le sable au bord de la mer », ni de la situation désastreuse de la jeunesse de son temps – comme aussi du nôtre –, ni moins encore d'une stratégie socio-politique. À son origine il y a une mission de Dieu : « Le Seigneur a indiqué à Don Bosco les jeunes, spécialement les plus pauvres, comme premiers et principaux destinataires de sa mission » (Const. 26). Et il est bon de rappeler que cela arriva « avec l'intervention maternelle de Marie » (Const. 1) ; en effet, elle « a indiqué à Don Bosco son champ d'action parmi les jeunes ; elle l’a constamment guidé et soutenu » (Const. 8).
En ce sens, elle est « normative », et pas simplement anecdotique, l'attitude que Don Bosco assuma en un moment décisif de son existence sacerdotale, vis-à-vis de la marquise de Barolo et de son offre, certainement apostolique et sainte, de collaborer dans ses œuvres, en laissant de côté les enfants va-nu-pieds et seuls : « Vous avez de l'argent et vous trouverez aisément des prêtres, tant que vous en voudrez, pour s’occuper de vos institutions. Pour les enfants pauvres, ce n’est pas pareil […] Je cesserai mon emploi réguler [au refuge] et je m’occuperai sérieusement du soin des enfants abandonnés » 23.
Il serait très intéressant d'approfondir les caractéristiques typiques des destinataires préférentiels de notre mission : « jeunes pauvres, abandonnés et en danger ». Même si l’on parle aujourd'hui de « nouvelles pauvretés » des jeunes, la pauvreté fait allusion directement à leur situation socio-économique ; l'abandon rappelle la « qualification théologique » de privation de soutien faute d'une médiation adéquate de l'Amour de Dieu ; le danger renvoie à une phase déterminante de la vie, l'adolescence-jeunesse, qui est le temps de la décision, après laquelle peuvent très difficilement changer les habitudes et les dispositions adoptées. Cet approfondissement sert de point de départ pour préciser en chaque Province (cf. Règl. 1) et communauté quels sont les destinataires prioritaires dans l’hic et nunc concret, compte tenu, certes, des critères que nous venons de signaler.
Cette prédilection se renforce dans certains contextes où s’exerce notre mission, où la pauvreté, surtout celles des jeunes, est déchirante. Moins que personne le salésien, ne cherche à créer des heurts ni la « lutte des classes ». La prédilection n'est pas un simple choix ou « option » : elle suppose un « amour universel », mais qui comporte quelques accentuations ; elle n’exclut personne, mais ne privilégie pas tout le monde : ce serait contradictoire. Ce qui importe dans le témoignage, c’est qu'il soit bien clair que notre prédilection est évangélique, qu’elle réalise la pratique « de donner le maximum à celui qui dans sa vie a reçu le minimum ». La charité salésienne entend commencer non par les premiers, mais par les derniers, non par les plus riches au point de vue économique ou spirituel, qui bénéficient déjà d’attentions et de services ; mais par ceux qui ont besoin de nous pour susciter l’espérance et des énergies.
3.3. L’ardeur à prêcher, guérir et sauver devant l’urgence du Royaume qui vient
3.2 « L’ardeur à prêcher … |
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« La vie entière de Don Bosco imite et prolonge, spécialement en faveur des jeunes, l'ardeur apostolique déployée par le Christ dans sa vie publique » 24.
Dès le début de son Evangile, Marc nous dit : « Après l'arrestation de Jean Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer la Bonne Nouvelle de Dieu » (Mc 1, 14). D’autres textes aussi montrent que l'activité de Jésus comportait trois actions – prêcher l'évangile, chasser les démons, guérir les maladies et les souffrances (cf. Mc 3, 13 ; Mt 9,35) – mais il n'est pas douteux que sa mission principale était de « proclamer l'Evangile, le joyeux message de Dieu ».
Pour Don Bosco, ce point est si important qu’il constitue sa demande principale le jour de sa première messe : « Une pieuse croyance dit que le Seigneur accorde infailliblement la grâce que le nouveau prêtre lui demande en célébrant sa première messe ; j'ai demandé ardemment l'efficacité de la parole, pour pouvoir faire du bien aux âmes. Il me semble que le Seigneur a écouté mon humble prière » 25.
Cet aspect est en étroite relation avec le caractère éducatif de la méthode préventive, en particulier de la raison, partie du trinôme fondamental, avec la religion et le cœur. « La “raison”, à laquelle croit Don Bosco comme don de Dieu et comme devoir inéluctable de l'éducateur, indique les valeurs du bien ainsi que les objectifs à poursuivre, les moyens et les méthodes à employer » 26. Elle fait aussi en sorte que le vécu des sacrements, colonnes de son édifice éducatif et pastoral, ne dégénère pas en « sacrementalisme », mais se transforme en vraie vie de communion avec Dieu.
Certes, Don Bosco n'a pas utilisé le mot « évangéliser » ; il parlait en effet de faire le catéchisme aux enfants et de prêcher au peuple. Par cela il entendait ce que Paul VI définissait comme la raison d'être de l'Eglise (cf. EN, 15). Et en ce sens le souci de notre fondateur a été reçu dans notre Règle de vie dans un article qui commence précisément par une citation de lui : « “Cette Société était à ses origines un simple catéchisme”. Pour nous aussi, l'évangélisation et la catéchèse sont la dimension fondamentale de notre mission » (Const. 34).
« … guérir… »
Il ne faut pas souligner la place centrale de cet aspect dans la vie et la pratique de Jésus ; il suffit de rappeler sa réponse aux envoyés de Jean le Baptiste : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » (Mt 11, 4-5). Dans l'Evangile de Jean, ensuite, toute la première partie se centre sur les « signes » de Jésus, dont la plupart entrent sur ce terrain.
Sans oublier que Don Bosco eut également de Dieu le charisme de la guérison, ce n'est pas à lui que se réfère l'article 11 des Constitutions, moins encore à ce qu’ont fait ses fils ; nous ne sommes pas une Congrégation qui se consacre de préférence aux malades.
Cependant, il s'agit là d'un point essentiel de notre charisme, qui accentue deux dimensions. Actuellement, tant sur le terrain de la psychologie que de la médecine s'est élargi le concept de « santé » ou de « guérison » ; il est indubitable que nos destinataires prioritaires sont, en général, les garçons et les filles « malades » à cause de leur situation même d’abandon : depuis les traumatismes de l’enfance et de la famille jusqu'aux dépendances et aux assuétudes physiques ou psychosomatiques. « Tout cela nous a conduits, écrivait le P. Vecchi, à repenser le concept de prévention et de prophylaxie. Pour beaucoup, cela signifiait peut-être ne s'occuper que d'enfants et de jeunes qui n'ont pas encore été atteints par le mal. Anticiper est certainement une règle d'or. Mais « prévenir » veut dire aussi empêcher la ruine définitive de celui qui est déjà sur la mauvaise route, mais a encore des forces saines à développer ou à récupérer. L’actuelle réflexion socio-pédagogique, parle d'une prévention première et de base, d'une seconde de récupération et de renforcement, et d’une dernière pour endiguer les conséquences extrêmes du mal » 27.
D’autre part nous ne devons pas oublier la signification des miracles de Jésus. Un des meilleurs spécialistes du thème écrit : « Le miracle est destiné au salut de l’homme tout entier : son cœur et son corps. En pardonnant et en guérissant l’homme de ses misères, Jésus lui fait prendre conscience de sa propre impuissance en face du péché, de la maladie et de la mort […] Le miracle est le signe concret de ce que représente Jésus pour l'homme : celui qui sauve totalement, physiquement et spirituellement » 28.
C'est dans cette perspective que se situe pleinement le charisme salésien. Avec le « critère de l’Oratoire » (cf. Const. 40), Don Bosco cherche la promotion intégrale de ses jeunes. Ceux qui nient la réalité des miracles, le font souvent au nom d'un certain « spiritualisme », comme si Dieu ne s'intéressait qu’à « l’âme » et aux activités religieuses.
« … et sauver… »
Les trois verbes « prêcher, guérir et sauver » se situent dans une claire progression, dont le sommet est le salut des jeunes, qui était le premier souci de Don Bosco, comme en témoigne don Rua : « Pas un de ses pas, pas une de ses paroles, pas une de ses entreprises qui n'ait eu pour but de le salut de la jeunesse. […] En toute vérité il n’eut rien d'autre à cœur que les âmes » 29.
Quand nous oublions que le but ultime du travail salésien est, à l'exemple de Jésus, le salut, nous opérons une réduction qui trahit le Système préventif. Par contre, dans tout ce que nous venons de dire, il s’agit d’un salut intégral, qui se concrétise dans la devise fondamentale : « da mihi animas ». Le terme âme ne veut certes pas exprimer une dichotomie, mais une métonymie : pour Don Bosco « âme » signifie toute la personne, dans la perspective du plan de Dieu ; et la « sainteté », qui devient synonyme de salut, est la réalisation de la vocation divine de tout être humain.
Dans notre travail éducatif et pastoral, cette conception anthropologique intégrale nous interdit de nous arrêter au seuil de l'évangélisation : dans n'importe quel contexte, nous devons chercher à ouvrir les jeunes à la transcendance religieuse, qui est non seulement applicable à toutes les cultures, mais aussi adaptable avec fruit aux religions non chrétiennes.
« … sous l'urgence du Royaume qui vient »
Sur ce point, central dans la prédication et dans la pratique de Jésus, nous ne pouvons pas dire que Don Bosco ait insisté explicitement : il serait anachronique d'attendre de lui une accentuation qui n'a été reprise qu'au xxe siècle, même si c’est dans l'exégèse et dans la théologie plus que dans la vie ordinaire de l'Eglise. Et pourtant il ne s'agit pas seulement d'une expression rhétorique : en quelque sorte l'idée fondamentale que comporte le Royaume est présente, avec d'autres mots et d'autres attitudes, chez Don Bosco et dans son charisme.
Prenons, parmi d'autres textes évangéliques, un des plus importants : le discours sur la montagne (Mt 5-7). D’un point de vue formel, il inclut divers genres littéraires : béatitudes, « normes » nouvelles par rapport à la Loi ancienne, prière du « Notre Père » etc. Mais le tout est unifié par la place centrale du Royaume : c'est pourquoi ce discours a été appelé la « charte de la proclamation du Royaume ». Un Royaume, où la paternité de Dieu ne se caractérise pas par son pouvoir, mais au contraire son pouvoir se qualifie par la paternité, si bien que dans le « Royaume des cieux » il n'y a pas d'esclaves, ni même des serviteurs, mais des fils.
Quand on oublie cette perspective, tous ses éléments se dissocient et même la proposition de Jésus, opposée à la Loi ancienne, devient une charge impossible à porter : si celle-ci tue, celle-là anéantit. C’est ce qu’un auteur appelle la « théorie de la non-faisabilité (impossibilité à se réaliser) du précepte », représentée par l'orthodoxie luthérienne. « Jésus exige que nous nous libérions totalement de la colère : une simple parole hostile mérite même mort. Jésus exige une chasteté qui évite même le simple regard impur. Jésus exige une véracité absolue, l’amour envers les ennemis » 30. Selon cette façon de comprendre, la Loi Nouvelle ne nous est donnée que pour que nous comprenions de façon vitale que nous ne pouvons pas l’accomplir, et afin que, du même coup, nous recourrions avec une humble confiance à la miséricorde de Dieu.
Mais quand on centre tout cela sur le Royaume, on comprend ce qui constitue la « joyeuse nouvelle » de Jésus : « Le Règne de Dieu est tout proche » (Mc 1, 15). C'est une situation nouvelle, un don de Dieu avec la collaboration humaine, qui plonge ses racines dans la metanoia. Dans la mesure où il devient réalité, le pouvoir paternel de Dieu-Abbà, et en qui nous les humains vivons comme des frères, l'utopie devient réalité ; le Royaume ne se « bâtit » pas en mettant ensemble les morceaux du discours sur la montagne ; mais il découle, comme d'une source, de l'annonce du Royaume.
N'est-ce pas ce que Don Bosco cherchait à créer dans ses œuvres et que nous appelons « milieu » 31 ? Il s'agit d'une situation constituée de personnes, de ressources, de valeurs, d’activités, qui permettent au jeune – même au plus pauvre et abandonné – de faire l'expérience de « la beauté de la vertu et de la laideur du péché ». On comprend ainsi la fameuse phrase de Don Bosco : « Mettre le jeune dans l'impossibilité morale de pécher » ; non en forçant sa liberté, mais, au contraire, en renforçant affectivement sa volonté et sa vie chrétienne, de façon qu'il puisse vivre en pleine liberté son caractère de fils et de fille de Dieu et de frère et de sœurs des autres. L'importance de cette « écologie » éducative et pastorale pourrait être la traduction, dans la ligne salésienne, de la place centrale du Royaume et de l'urgence de sa venue.
3.4. L’attitude du Bon Pasteur qui conquiert par la douceur et le don de soi
Le caractère symbolique de la figure du pasteur, appliquée aux personnes qui ont à leur charge la responsabilité et le soin d'autrui, est très clair, avec l'ambivalence qu'implique cette figure : il est possible de servir les autres ou de se servir d’eux. Une telle ambivalence se présente aussi dans la Révélation, dès l’Ancien Testament. Un des textes les plus importants à ce sujet, présenté entre autres dans une perspective messianique, et celui d’Ezéchiel 34, dont plusieurs versets figurent comme citation au début des Constitutions. C'est une application hardie à Don Bosco, appelé à être « pasteur des jeunes » et qui, par conséquent, peut s’appliquer à tout salésien invité à faire sienne la mission de Don Bosco : « Je viens chercher moi-même mon troupeau pour en prendre soin… Je mettrai à sa tête un berger unique… Lui le fera paître et sera son berger » (Ez 34, 11.23).
Dans la prédication de Jésus cette figure occupe une place de relief, avant tout dans la présentation du Seigneur comme Bon Pasteur en Jn 10, 1-18 ; 25-30, ainsi que dans la parabole de la brebis perdue présente en Lc 15, 4-7 et en Mt 18, 12-24 avec des contextes littéraires et théologiques très différents.
En mettant ensemble ces textes, nous rencontrerons quelques caractéristiques très intéressantes du Bon Pasteur, que Don Bosco a assumées en suivant le Christ pour l’imiter. Rappelons-nous que dans le songe des neuf ans, l'image du bon pasteur qualifie la vision de la mission pour les jeunes ; cette image se représentera quelques années plus tard, dans le second songe, qui inclura un léger reproche pour le fait de ne pas avoir assez de confiance en Dieu.
Jésus, le bon pasteur, est la porte des brebis. L'exégète catholique Raymond Brown rapporte que E. F. Bishop « offre un exemple moderne intéressant du pasteur qui se couche pour dormir en travers sur le seuil de la porte, en sorte qu'il joue le rôle à la fois du pasteur et de la porte pour le bétail » 32. Nous pourrions mettre sur la bouche du pasteur ainsi que sur les lèvres de Don Bosco, ces paroles : « s'ils veulent arriver à mes brebis, ils devront passer sur moi ».
Il connaît ses brebis et les appelle une à une par leur non ; les brebis le suivent, parce qu'elles connaissent sa voix. Ce trait évite le proverbial malentendu de massification et du grégarisme : la « moutonnerie ». Dans un beau commentaire exégétique et spirituel de la rencontre de Jésus Ressuscité avec Marie-Madeleine, un autre exégète écrit : « Mais quand (Jésus) se tourna vers elle et lui dit ce mot : “Marie !”, alors ce fut Pâques pour elle. Nous nous rappelons les paroles de Jésus que le même évangéliste nous a transmises : “Mes brebis entendent ma voix et je les connais” […]. Sans doute, Jean veut que nous pensions à ces paroles consolantes » 33.
Don Bosco a réalisé, de façon exceptionnelle, cette connaissance personnelle de ses jeunes : chacun d’eux se sentait connu et aimé personnellement, au point qu'ils discutaient entre eux sur celui qui était le préféré du Père ; tous étaient convaincus d'être les préférés. Rappelons-nous le « mot à l'oreille » et la connaissance de leur situation ; « il lisait sur leur front », disaient les jeunes pleins d'admiration. Cela, en grande partie, du moins, se doit à sa présence au milieu d’eux, présence typique, appelée dans la tradition salésienne assistance : non seulement physique, mais surtout personnelle, affectueuse et préventive ; médiation humaine du « Dieu te voit ».
Il va à la recherche, avec prédilection, de la brebis perdue. C’est le trait typique et le plus scandaleux de la parabole synoptique, avec des nuances différentes en Luc et en Matthieu. Chez Jésus, il exprime, entre autres, deux aspects principaux :
–Le « plus grand amour » pour celui qui en a le plus besoin : le plus pauvre, le dernier, le pécheur ; non seulement amour pastoral : « agápe » dirions-nous ; c'est aussi un amour intime : « philía » ; c’est ce que signifie « prendre sur ses épaules », avec amour, la brebis perdue une fois rencontrée ;
–Le « renversement » des critères quantitatifs à cause du critère qualitatif de la situation de celui qui est « perdu » : « je vous le dis : c'est ainsi qu'il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion » (Lc 15, 7) ; chez Don Bosco, cette prédilection est tellement connue que ne manquent certes pas les exemples.
Il donne la vie à ses brebis et donne sa vie pour elles. Cela semble à un simple jeu de mots, mais exprime une double réalité très profonde : Jésus est venu « pour que les hommes aient la vie, pour qu’ils l’aient en abondance » (Jn 10, 10). Mais cette plénitude de vie est inséparable du don de sa propre vie : « Le Père m’aime parce que je donne ma vie » (Jn 10, 17). C'est l'antithèse absolue du pasteur mercenaire, qui ne cherche pas le bien de ses brebis, et moins encore pense à se sacrifier pour elles. Cette parole de Jésus trouve un double accomplissement dans le Mystère pascal, où Jésus nous donne la plénitude de la vie en donnant pleinement sa vie pour nous.
C’est très à propos qu’ont été appliquées à Don Bosco ces paroles de saint Paul : « Pour moi, je serai très heureux de dépenser et de me dépenser tout entier pour vous » (2 Cor 12, 15). Le texte de don Rua que nous avons cité plus haut (Const. 21), implique aussi cet aspect : « Pas un de ses pas, pas une de ses paroles, pas une de ses entreprises… ». Comme il le dit lui-même : « Pour vous j'étudie, pour vous je travaille, pour vous je vis, pour vous je suis disposé à donner jusqu'à ma vie » (cité in Const. 14).
3.5. Le désir de rassembler les disciples dans l'unité de la communion fraternelle
Tous les Evangiles disent qu’avant ou immédiatement après l'annonce de la Bonne Nouvelle, Jésus « appela à lui ceux qu'il voulait […] pour qu'ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer l’Evangile » (Mc 3, 13-14 ; cité in Const. 96).
Les discussions insolubles sur le sens de la fondation de l'Eglise par Jésus durant sa vie publique, conduisent peut-être à oublier l'essentiel : que l'annonce du salut implique, dans la parole et dans la pratique de Jésus, la dimension communautaire. Dans ce sens, beaucoup de miracles de Jésus ont aussi la fonction de réintégrer les personnes dans la communauté humaine, familiale, sociale et religieuse ; comme dans le cas des démoniaques et des lépreux.
Mais c’est surtout dans sa relation avec les disciples, en particulier avec « les Douze », qu'apparaît plus nettement ce trait de Jésus, qui culmine dans le récit johannique de la dernière Cène. « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. […] Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que veut faire son maître ; maintenant, je vous appelle mes amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître. Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous partiez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jn 15, 13-16a).
Et plus tard, dans la Prière sacerdotale, Jésus demande : « Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi » (Jn 17, 24a) ; être avec celui qui qu'on aime : impossible d'imaginer une expression plus simple et plus profonde de l'amour.
Un des paradigmes bibliques qui expriment le mieux le salut est précisément la communion fraternelle. À propos de la « prédiction » de Caïphe, l’évangéliste dit : « Il fut prophète en révélant que Jésus allait mourir pour la nation ; or, ce n’était pas seulement pour la nation, c’était afin de rassembler dans l’unité les enfants dispersés » (Jn 11, 51b-52). Malheureusement une vision individualiste du salut a obscurci cette perspective et a réduit aussi la dimension ecclésiale à une appartenance juridique, parfois même exclusive, comme dans l'une ou l’autre interprétation de l'aphorisme « Extra ecclesiam nulla salus » [Hors de l'Eglise pas de salut].
Chez Don Bosco tout cela est tellement évident que nous ne pouvons même pas l’imaginer comme une personne solitaire, excepté quand il priait ; même si en réalité c'était précisément le moment où il était le moins solitaire. Elles peuvent s'appliquer, par analogie, à notre Père, les paroles d’Urs von Balthasar à propos de la prière de Jésus, qui fait de lui « “l’homme pour les hommes” (pour tous). […] Si Jésus ne s'était pas retiré dans une solitude aussi profonde avec Dieu, il ne serait jamais arrivé aussi loin dans la communion avec les hommes » 34.
De là vient le don de soi de Don Bosco aux jeunes, si plein et extraordinaire qu'on en est venu à lui mettre sur les lèvres, dans un chant en son honneur, qu'il ne pourrait rester au ciel sans les jeunes : pour lui ce ne serait pas le ciel. En dépit de son exagération, cette phrase met l'accent sur la passion de Don Bosco pour la convivialité fraternelle avec ses jeunes et évidemment pour la fraternité communautaire avec ses fils salésiens. Si nous relisons ce que dit Don Bosco dans « Cinq défauts à éviter » dans la Congrégation, la plupart d’entre eux se rapporte précisément à la vie communautaire 35.
En concluant la présentation de ces traits importants de la figure de Jésus, présents dans la vie de Don Bosco et en nous, nous devons souligner qu'ils sont l'expression rayonnante d’une réalité centrale et féconde : la charité pastorale (cf. Const. 10). Dans leur intime unité, ils peuvent aussi se considérer, selon le style du CG25, comme cinq fiches pour l’esquisse d'une « Christologie salésienne ». De cette christologie naît pour nous une vie religieuse, une expérience spirituelle et une pratique pastorale centrées sur le Christ et avec une claire spécificité charismatique : Jésus « devient lui-même la Loi vivante personnifiée » 36, Il est « notre règle vivante » (Const. 196).
4. Jésus-Christ « notre règle vivante »
« Quand l’Eglise reconnaît une forme de vie consacrée ou un Institut, elle confirme que dans le charisme spirituel et apostolique se trouvent toutes les conditions objectives pour atteindre la perfection évangélique personnelle et communautaire » 37. Puisqu'il n'y a pas d'autre perfection évangélique que d’« être image du Christ » (Rm 8, 29), qui implique de suivre et d’imiter le Seigneur Jésus, la Règle de vie d'un institut doit supposer, au moins implicitement, une christologie charismatique. Pour nous salésien, elle avait été précisée pour l’essentiel par Don Bosco, dans l'article 1er des Constitutions de 1858 que nous avons déjà cité et qui est présent de façon implicite, et aussi explicite, dans le texte actuel des Constitutions.
Quant à la marche à la suite du Christ, il faut rappeler qu’« à l’origine de la consécration religieuse, il y a un appel de Dieu que rien n'explique sinon l'amour qu’il porte à la personne qu'il appelle. Cet amour est absolument gratuit, personnel et unique. […] L'appel du Christ, qui est l'expression d'un amour rédempteur, “embrasse la personne entière, âme et corps, que ce soit un homme ou une femme, dans son moi personnel et absolument unique” » 38. Et de fait, se référant à Jn 10, 3.14, nos Constitutions parlent de « la prédilection du Seigneur Jésus qui nous a appelés par notre nom » (Const. 196). Cette vocation ne se donne pas seulement en vue de réaliser une mission ou de remplir une tâche, mais est surtout une vocation à l'intimité et à la communauté de vie avec Jésus : Il « a appelé personnellement ses apôtres pour qu'ils demeurent avec Lui et pour les envoyer proclamer l’Evangile » (Const. 96, citant Mc 3, 14).
Cet appel que le Seigneur nous adresse pour donner une « réponse aux besoins de son peuple » (Const. 28), en particulier des jeunes les plus nécessiteux, et la réponse du disciple qui accueille l'invitation trouvent leur expression maximum dans la profession religieuse, « signe de la rencontre d'amour entre le Seigneur qui appelle et le disciple qui répond » (Const. 23).
Dans la formule de la profession, qui se situe, ne l'oublions pas, dans un contexte de prière, on dit : « En réponse à l'amour de ton Fils Jésus, le Seigneur, qui m'appelle à Le suivre de plus près » (Const. 24 ; cf. Const. 3) ; ainsi ressort expressément le caractère dialogique de la vocation, non comme un événement ponctuel dans la vie du salésien, mais comme une situation permanente qui le caractérise. Notre réponse se concrétise en suivant Jésus-Christ, « notre règle vivante» (Const. 196) et en pratiquant les Constitutions salésiennes (cf. Const. 196), qui sont notre projet évangélique de vie.
Ce caractère dialogique s'exprime beaucoup mieux dans la profession perpétuelle qui, en utilisant un terme d’inépuisable évocation biblique, se présente comme Alliance : c'est pourquoi notre fidélité « est une réponse toujours renouvelée à l'alliance particulière que le Seigneur a scellée avec nous » (Const. 195).
Quant à l’imitation du Seigneur Jésus, nous trouvons dans le contexte de notre travail missionnaire une référence d'extraordinaire densité biblique, qui souligne le sens de la route de l'incarnation : « À l'exemple du Fils de Dieu, qui s'est fait semblable à ses frères en toutes choses…» (Const. 30) ; cette référence évoque deux passages paradigmatiques sur l’anéantissement du Christ et sur sa solidarité extrême avec l’homme (Ph 2, 7 ; He 2, 14-18 ; 4, 15).
Suivre et imiter Jésus-Christ, cela se concrétise dans les divers aspects de la vie salésienne, comme ils apparaissent aujourd'hui dans le texte des Constitutions : mission, vie communautaire, conseils évangéliques, prière et formation.
En premier lieu nous sommes associés à la réalisation de la mission que Jésus lui-même nous confie, en collaborant avec Lui à son plan de salut. « L'esprit salésien a son modèle et sa source dans le cœur même du Christ, apôtre du Père » (Const. 11) ; « La charité pastorale en est le centre et la synthèse » (Const. 10).
Nous travaillons avec Lui à la construction du Royaume (Const. 3), qui constitue l’orientation principale de la vie de Jésus, de son agir et de sa parole. Dans le premier chapitre des Constitutions, qui définit notre spécificité, nous lisons en effet que nous orientons « notre action pastorale pour l'avènement d'un monde plus juste et plus fraternel dans le Christ » en cherchant à répondre aux besoins des jeunes et des milieux populaires, avec « la volonté d'agir avec l’Eglise et en son nom » (Const. 7), en contribuant à édifier l’Eglise elle-même comme Corps du Christ, afin que, par nous aussi elle soit réellement « sacrement universel de salut » (Const. 6).
C’est ici que réside la dimension mystique du travail salésien : nous savons que notre travail nous « fait participer à l'action créatrice de Dieu et coopérer avec le Christ à la construction du Royaume » (Const. 18). Cette construction du Royaume de Dieu se manifeste dans la multiplicité d'activités en vue de la promotion intégrale des jeunes les plus pauvres et des milieux populaires, en coopérant avec ceux qui créent une société plus digne de l'homme (cf. Const. 33). J'aime souligner que dans cette tâche, le salésien coadjuteur exerce une fonction propre et irremplaçable, à valoriser et à promouvoir : son caractère laïque consacré, en effet, « le rend, d'une façon spécifique témoin du Royaume de Dieu dans le monde, proche des jeunes et des réalités du travail » (Const. 45).
Le contenu de la mission est très clair : témoigner de l'amour du Christ. Sans oublier que nous sommes signes d'un Dieu Trinitaire (cf. Const. 2), nous sommes concrètement envoyés à être continuateurs de la mission de Jésus. À l'exemple de Marie et sous sa protection, nous sommes « parmi les jeunes, témoins de l'amour inépuisable de son Fils » (Const. 8), un amour qui est authentique dans la mesure où il se manifeste et est d'autant plus efficace qu’il est davantage perçu par nos destinataires comme expression d'amour.
Le salut n'est pas la seule transcendance de la libération, comme si sur cette terre nous ne devions pas nous engager à fond pour apporter du soulagement à ceux qui souffrent les conséquences du péché, de l'égoïsme, de l’injustice ; la libération n'est pas non plus la seule immanence du salut, comme s'il n’était possible de ne travailler que pour créer le paradis ici-bas sur terre. Nos Constitutions font une magnifique synthèse de ces deux éléments quand elles disent que l'amour du Christ est libérateur et salvifique. Il se concrétise dans la promotion intégrale de nos destinataires (cf. Const. 33) et ainsi « nous rendons effective la charité salvifique du Christ, par l’organisation d’activités et d’œuvres à but éducatif et pastoral » (Const. 41), centrées sur l’évangélisation et sur la catéchèse, puisque « notre science la plus éminente est de connaître Jésus-Christ, et notre joie la plus profonde est de révéler à tous les insondables richesses de son mystère. Nous cheminons avec les jeunes, pour les conduire à la personne du Seigneur ressuscité afin que, découvrant en Lui et dans son Evangile le sens suprême de leur existence, ils grandissent en hommes nouveaux » (Const. 34).
Cette tâche est à la fois communautaire et personnelle ; la communauté comme telle doit être « signe qui révèle le Christ et son salut » (Const. 57), qui nous libère de l'égoïsme et nous rend frères, germes de la nouvelle humanité. De même les conseils évangéliques sont au service de la mission : par l'obéissance « chacun met au service de la mission commune ses capacités et ses dons » (Const. 69) ; la pauvreté « nous porte à être solidaires des pauvres et à les aimer en Jésus-Christ » (Const. 79) ; et la chasteté « fait de nous des témoins de l’amour privilégié du Christ pour les jeunes » (Const. 81).
Les destinataires de cette mission sont les jeunes, surtout les plus pauvres, abandonnés et en péril (cf. Const. 2 et 26). Déjà dans le « songe des neuf ans » c’est Jésus lui-même qui montra au petit Jean Bosco son champ de travail : « Le Seigneur a indiqué à Don Bosco les jeunes, spécialement les plus pauvres, comme premiers et principaux destinataires de sa mission » (Const. 26). C'est le même Seigneur qui « nous a donné en Don Bosco un père et un maître » (Const. 21).
Enfin les Constitutions nous invitent à. ne pas oublier que, quelle que soit l'activité que nous réalisons, « nous éduquons et nous évangélisons selon un projet de promotion intégrale de l'homme, orienté vers le Christ, homme parfait » (Const. 31). Cela signifie que l'évangélisation est une médiation extraordinaire de l'humanisation de la personne, précisément parce que l'éducation cherche la construction de la personne à travers le développement de toutes ses dimensions et se réalise en communiquant des valeurs, des sentiments, des convictions, des idéaux, en plus de connaissances, de comportements et de capacités. D’autre part, l'évangélisation implique tout l'apport de l'éducation comme méthodologie, dans le sens que ce que nous désirons faire intérioriser par les jeunes entre par la porte de la disposition favorable, de l'expérience joyeuse, de l'illumination de l'esprit, de la prédisposition de la volonté, pour devenir mentalité, pratique chrétienne, intégration à la communauté des croyants, engagement dans l'histoire. Telle est la signification de la formule de Don Bosco : « l'éducation est une affaire de cœur ».
La place centrale de Jésus-Christ se manifeste ensuite dans la vie de communauté. Avant tout l'expérience de la communauté comme telle se base sur le Christ : le confrère aime sa communauté « même si elle est imparfaite », parce qu'« il est sûr de trouver en elle la présence du Christ » (Const. 52) ; c'est Lui qui s’est identifié avec le membre le plus faible et nécessiteux parmi nous (cf. Mt 25, 31-46) ; tant il y a parmi nous quelqu’un dans le besoin, le Christ aura besoin de nous. La pratique des conseils évangéliques aide aussi à vivre dans la communauté « comme à l’intérieur d’une famille qui jouit de la présence du Seigneur » (Const. 61, évoquant Mt 18, 20). Cette expérience de la communauté unie dans le Christ (cf. Const. 89) trouve son expression maximale dans la prière communautaire, parce qu'elle manifeste de façon visible qu’elle « ne naît pas de la volonté de l’homme, mais est le fruit de la Pâque du Seigneur » (Const. 85 ; cf. Jn 1, 13).
La vie même de la communauté devient formatrice, en tant qu’« unie dans le Christ et ouverte aux exigences des temps » (Const. 99). À plus forte raison cela vaut pour les communautés de formation : en elles « notre esprit y est vécu de façon plus intense : tous les membres forment ensemble une famille fondée sur la foi et l'enthousiasme pour le Christ » (Const. 103).
Au sein de la communauté, celui qui exerce le charisme de l'animation et du gouvernement le fait « au nom et à l’imitation du Christ, comme un service rendu à des frères » (Const. 121) : il « représente le Christ qui unit les siens dans le service du Père » (Const. 55). Donner vie à l'autorité dans la communauté salésienne, c'est donc de vivre comme icône du Christ.
Naturellement cette concentration christologique dans les articles des Constitutions qui concernent la communauté ne suffit pas à garantir sa spécificité « chrétienne ». Celle-ci doit toujours s’évaluer par rapport à la place centrale réelle occupée par le Christ dans sa vie, dans sa manière de penser, de juger, d'évaluer, d'intégrer, de pardonner, d’aimer, jusqu'à devenir vraiment « corps » du Christ
Il est en outre hors de doute que les conseils évangéliques présentent un caractère explicite de « conformation » au Christ. Sans cette référence christologique, ils n’auraient même pas de sens : « Nous suivons Jésus-Christ qui, “chaste et pauvre, racheta et sanctifia les hommes par son obéissance”, et nous participons plus étroitement au mystère de sa Pâque, à son anéantissement et à sa vie dans l'Esprit » (Const. 60).
À propos de l'obéissance, un même article nous présente à deux reprises Jésus comme modèle : « Notre Sauveur nous a affirmé être venu sur terre, non pour faire sa propre volonté, mais celle de son Père qui est dans les cieux. […] Nous revivons dans l'Eglise et dans la Congrégation l'obéissance du Christ en accomplissement la mission qui nous est confiée » (Const. 64). Tout cela est encore repris dans l'affirmation synthétique qui se trouve au paragraphe suivant : « Nous adoptons l'Evangile comme règle suprême de vie » (Const. 64), ce qui veut dire, selon la lettre aux Galates, que pour nous il est important d'« accomplir la loi du Christ » ou, mieux encore, d’« avoir le Christ comme loi » (cf. Ga 6, 2).
Notre pauvreté aussi manifeste une façon de suivre le Christ, qui, « de riche qu’il était s’est fait pauvre, afin de nous enrichir par sa pauvreté [… il] naquit dans la pauvreté, vécut dans la privation de toutes choses et mourut dépouillé sur la croix » (Const. 72 ; cf. 2 Cor 8, 9). Ainsi nous sommes invités à participer au bonheur promis par le Seigneur aux « pauvres de cœur » (Const. 75 ; cf. Mt 5, 3 ; Lc 9, 57-58).
Finalement par la chasteté « nous suivons de près Jésus-Christ » (Const. 80) et sa pratique concrète « fait de nous des témoins de l’amour privilégié du Christ pour les jeunes ; elle nous permet de les aimer en toute clarté de telle façon “qu'ils se sachent aimés” » (Const. 81).
Loin de la nier, la vision christologique renforce plutôt la portée anthropologique et humanisante des conseils évangéliques, comme c'est explicité par l'article 62 des Constitutions : « Dans un monde tenté par l’athéisme et l’idolâtrie du plaisir, de l’avoir et du pouvoir, notre mode de vie témoigne, spécialement devant les jeunes, que Dieu existe et que son amour peut combler une vie ; que le besoin d’aimer, la soif de posséder et la liberté de décider de sa propre existence reçoivent leur sens suprême dans le Christ Sauveur. » Il devient stimulant de constater que Dieu n'est pas affirmé au détriment de l'homme, mais plutôt que le Christ conduit l'homme à sa plénitude.
Dans la vie de prière aussi, personnelle et communautaire, magnifiquement décrite comme un dialogue avec le Seigneur, nous rencontrons la plénitude de notre relation avec le Seigneur Jésus, en tant que « fils dans le Fils ». Chacun de nous « nourrit son amour du Christ aux tables de la Parole et de l’Eucharistie » (Const. 84) ; en particulier, les moments explicites de prière manifestent cette intimité avec le Seigneur : ils « redonnent à notre vie spirituelle sa profonde unité dans le Seigneur Jésus » (Const. 91).
Comme manifestation de l'amitié avec Lui, le salésien est « conscient qu'il faut prier sans cesse, en un dialogue simple et cordial avec le Christ vivant » (Const. 12). Ce besoin s'exprime dans les fréquentes visites à Jésus au Saint-Sacrement, en qui « nous puisons dynamisme et constance dans notre action pour les jeunes » (Const. 88). Et dans notre activité pastorale avec les jeunes, cela nous pousse à les acheminer vers la rencontre du Christ, dans l’écoute de la Parole, dans la prière et dans les sacrements (cf. Const. 36).
Enfin la formation est vue comme la réponse continue à cet amour de prédilection du Seigneur qui nous appelle ; c'est pourquoi le texte des Constitutions affirme que, puisque se former, c’est faire « l'expérience des valeurs de la vocation salésienne », nous nous engageons « dans un processus qui dure toute la vie », « éclairés par la personne du Christ et par son Evangile » (Const. 98). Cela nous permet de « nous conformer plus profondément au Christ et de renouveler notre fidélité à Don Bosco, pour répondre aux exigences toujours nouvelles de la condition des jeunes et des milieux populaires » (Const. 118).
« Regarder vers le Christ modèle signifie se rappeler que le chemin de sanctification auquel nous sommes appelés est un chemin de “christification” (Ep 4, 19) » 39. C'est la fonction de la formation qui, pour la même raison, ne peut se réduire aux phases initiales, mais doit se poursuivre durant toute la vie du salésien dans un processus jamais terminé, tant que nous ne serons pas tout en Lui.
En particulier les « situations limites » de notre vie sont des occasions de nous conformer avec décision et définitivement au Christ. Même si les articles relatifs à ce thème furent transférés par le CG22 du contexte de la formation à celui de la vie communautaire, avec ainsi un léger déplacement d’accent, ce n’est pas pour cela qu’elles cessent de représenter des occasions de formation personnelle.
De même, la condition d’âge et de maladie permet de « s’unir à la passion rédemptrice du Seigneur » (Const. 53). La mort se caractérise comme l’heure où l’on donne à sa propre vie consacrée son achèvement suprême, en participant pleinement à la Pâque du Christ (cf. Const. 54). Ainsi, tant dans la vie que dans la mort (cf. Const. 94), nous sommes signes de la force de la Résurrection du Christ.
Nous pouvons résumer cette marche à la suite de Jésus pour l’imiter, où s'enracine le caractère formatif de toute notre vie, dans le bel article qui conclut les Constitutions en disant qu’« elles sont pour nous, disciples du Seigneur, un chemin qui conduit à l'Amour » (Const. 196).
Nos Constitutions nous aident donc à suivre et à imiter le Christ dans tous les aspects de notre vocation : mission, vie fraternelle, conseils évangéliques, prière, formation. Avec la certitude qui vient de la foi, nous pouvons donc professer que dans nos Constitutions « la norme ultime de la vie religieuse est de suivre le Christ selon l’enseignement de l'Evangile » 40. La signification de l’article programme 196, qui conclut notre Règle du vie, n'est pas différente. Cette affirmation rend plus encourageante et engageante notre vie qui est essentiellement « christique ». Rien de plus exigeant que de professer Jésus-Christ comme « notre règle vivante ». Rien de plus charismatique que de savoir que « nous (Le) découvrons présent en Don Bosco qui donna sa vie aux jeunes ». Rien de plus authentique que d'accueillir les « Constitutions comme testament de Don Bosco, livre de vie pour nous et gage d’espérance pour les petits et les pauvres » (Const. 196).
4 Conclusion |
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« Nous sommes imitateurs de Don Bosco, comme il l’a été du Christ ! »
« Le chemin que la vie consacrée est appelée à entreprendre au début de ce nouveau millénaire est guidé par la contemplation du Christ » 41.
Nous salésiens avons été invités à contempler le Christ avec les yeux de Don Bosco qui n'avait d'autre but que le salut des jeunes. Pour nous, sa « christologie » apostolique est notre christologie. Nous sommes sensibles à certains traits caractéristiques de Jésus qui, pour notre Père bien-aimé, furent comme un programme de vie. Il n’a écrit aucun traité de christologie, mais si la christologie est aussi l'histoire de la marche à la suite du Christ, il a vécu et a inauguré une route particulière, celle que, par notre profession, nous avons décidé publiquement de parcourir.
Au début de cette lettre, j’ai dit que la contemplation du Christ se concrétise dans trois éléments inséparables : Le connaître le plus profondément, L’aimer plus intensément et Le suivre plus radicalement. Sans nier – bien au contraire ! – l’importance de la connaissance théologique et en particulier de la christologie, je voudrais réaffirmer que suivre le Christ, c’est la méthode la plus sûre et irremplaçable pour connaître et aimer le Christ ; pour nous, ces exigences passent par l'expérience salésienne, c'est-à-dire suivre Don Bosco. Nous nous mettons à la suite du Christ sur les pas de Don Bosco.
En 1986, centenaire de la photo historique tirée à Barcelone, le P. Viganò écrivit la dédicace suivante : « C'est la meilleure photo de Don Bosco ! Après cent ans, les jeunes qui n'existaient pas attendent, par les rues et les continents, le don de la mission passionnante salésienne ! Soyons imitateurs de Don Bosco comme il l’a été du Christ !”
C'est à juste titre que nos Constitutions se ferment sur un article qui fait une admirable synthèse de cette imitation du Christ à travers Don Bosco : « Notre règle vivante, c'est Jésus-Christ, le Sauveur annoncé dans l'Evangile, qui vit aujourd'hui dans l’Eglise et dans le monde et que nous découvrons présent en Bosco qui donna sa vie aux jeunes » (Const. 196). Il serait difficile de mieux exprimer notre engagement et notre récompense.
Je confie à Marie chacun de vous et les jeunes du monde. Elle qui a contemplé le Christ de ses yeux et de son cœur maternel, qu'elle nous enseigne à le contempler jusqu'à nous identifier pleinement avec Lui, et qu'elle nous rende semblables à Don Bosco pour continuer à être pour les jeunes du monde « signes et porteurs de l’amour de Dieu ».
À tous, bonne fête de Noël et bonne année 2004 !
P. Pascual Chávez V.
Recteur majeur
1 NMI (Novo Millennio ineunte) n° 20.
2 NMI n° 19.
3 ACG 382 (juillet-septembre 2003), p. 17.
4 CIVCSVA, La vie fraternelle en communauté, n° 22.
5 CIVCSVA, La vie fraternelle en communauté, n° 22.
6 CIVCSVA, Repartir du Christ, n° 23.
7 NMI n° 16.
8 CIVCSVA, Ripartire da Cristo, n° 23.
9 S. Kirkegaard, Esercizio del cristianesimo (Exercice du christianisme), in Opere, traduction dirigée par C. Fabro, Sansoni, Florence, 1972, p. 812
10 CIVCSVA, Repartir du Christ, n° 21
11 CIVCSVA, Repartir du Christ, n° 23.
12 Le Projet de vie des salésiens de Don Bosco, Tome I, p. 175.
13 Le Projet de vie des salésiens de Don Bosco, Tome I, p. 173.
14 MB V, p. 933. Cf. Costituzioni della Società di San Francesco di Sales, Testi critici, LAS 1982, p. 72
15 Cf. CG25 n° 20.
16 F. Rinaldi in ACS 55 (1930), p. 923. Cf. E. Viganò, Profil du salésien dans le songe du personnage aux dix diamants, ACS 300 (1981), p. 3-43.
17 Le Projet de vie des salésiens de Don Bosco, tome I, p. 174.
18 ACG 382 (2003), p. 17.
19 Le Projet de vie des salésiens de Don Bosco, tome I, p. 176.
20 MB I, p. 395.
21 MB VI, p. 362.
22 Cf. MB V, p. 367.
23 Don. Bosco, Souvenirs autobiographiques (Memorie dell’Oratorio di San Francesco di Sales), Apostolat des Editions, Paris, p. 164.
24 Le Projet de vie des salésiens de Don Bosco, tome I, p. 176-177.
25 MB I, p. 519.
26 Jean Paul II, Juvenum patris, n° 10.
27 J. E. Vecchi, Spiritualità Salesiana, LDC, 2000, p. 114.
28 R. Latourelle, Milagros de Jesús y Teología del Milagro, Salamanque, Sígueme 2a, 1997, p. 288.
29 M. Rua, cité in Cost. 21.
30 J. Jeremias, Abba. El Mensaje central del Nuevo Testamento, Salamanca, Sígueme 4a, 1993, p. 240.
31 J. Bosco, Le Système préventif dans l’éducation de la jeunesse, in Constitutions et Règlements p. 237.
32 R. E. Brown, Evangelio de San Juan I, Madrid, Cristiandad, 1979, p. 632.
33 G. Von Rad, Sermones, Salamanque, Sígueme, p. 26.
34 H. U. Balthasar, Relación inmediata del hombre con Dios, Concilium 29 (1967) p. 418.
35 Don Bosco, Aux confrères salésiens, in Constitutions et Règlements, p. 233-235.
36 Veritatis splendor, n° 15.
37 Vita consecrata 93.
38 CIVCSVA, Potissimum Institutioni, nos 8-9, qui cite Redemptionis donum, n° 3.
39 Le Projet de vie des salésiens de Don Bosco, Tome I, p. 174.
40 CIVCSVA, Potissimum Institutioni (Directives sur la formation dans les Instituts religieux), n° 8.
41 CIVCSVA, Repartir du Christ, n° 23.