LE SYNODE SUR LA VIE CONSACRÉE
Introduction. - La plus nombreuse assemblée synodale. - L'optique ecclésiale dans l'organisation du thème. - La nature intime de la vie consacrée. - L'importance du monachisme. - La femme consacrée. - La pleine dignité des religieux « frères ». - L'insertion dans l'Eglise particulière. - Les défis de la nouvelle évangélisation. - L'indispensable primauté de la « vie dans l'Esprit ». - La force de la vie fraternelle en communauté. - Conclusion.
Rome, solennité de l'Immaculée – 1994
Chers confrères,
Un salut fraternel de la part aussi des membres du Conseil général, en particulier du Père Martin McPake qui, depuis tout un temps malheureusement, ne se porte plus tellement bien. Il se recommande de façon spéciale à l'intercession de don Rua. Nous l'accompagnons de notre prière.
Comme vous le savez déjà, les services du Conseil général de ces derniers mois ont compté diverses visites d'ensemble. Elles permettent de constater d'un côté le bien énorme qui s'est accompli dans la Congrégation depuis le dernier Chapitre général (le CG23), et d'autre part quelques déficiences ou lacunes qui nous obligent à ne pas oublier, en regardant en face de nous, qu'il est indispensable et urgent d'évangéliser les jeunes. Et loin de nous écarter de cette mission, le thème du CG24 nous stimule avec bonheur à mobiliser dans ce sens de nombreuses autres forces complémentaires.
Nous voici au début de l'année nouvelle 1995. Elle se caractérisera pour nous par la préparation du CG24. Il acheminera la Congrégation vers la grandiose et prophétique commémoration bimillénaire de l'incarnation du Verbe et introduira le charisme de Don Bosco dans le troisième millénaire de la foi.
La lecture de la récente lettre apostolique Tertio millennio adveniente nous fait comprendre l'ampleur de la vision de foi de Jean-Paul II, ainsi que la tâche extraordinaire de l'Eglise pour préparer les célébrations du grand jubilé de l'an 2000.
La lettre apostolique parle de deux phases de préparation. La première, que nous pourrons appeler « anté-préparatoire », jusqu'en 1996. Le déroulement de notre CG24 se situe dans cette phase, et cette place lui donne un caractère de projet d'avenir. La préparation du Chapitre (1995) et son déroulement (1996) nous permettront de faire figurer parmi les fruits du grand jubilé le charisme de Don Bosco authentiquement rénové et rendu actuel par sa capacité de répondre aux défis des temps.
« L'avenir du monde et de l'Eglise, écrit le Pape, appartient aux jeunes générations qui, nées au cours de ce siècle, arriveront à leur maturité au cours du prochain, le premier du nouveau millénaire. Le Christ attend les jeunes ! »1 Le projet apostolique de notre Fondateur est tout entier tourné vers les jeunes et essentiellement imprégné de la vertu d'espérance. Les Chapitres généraux postérieurs au Concile nous ont pousses a être, de façon toujours plus concrète, « missionnaires des jeunes ».
Demandons à la Vierge Marie, qui est au centre du grand événement de l'an 2000, de nous accompagner dans les travaux des prochains Chapitres provinciaux et dans les autres activités de préparation au Chapitre général, qui sera le dernier du siècle.
La béatification de Sœur Madeleine-Catherine Morano par le Pape Jean-Paul II, le 5 novembre dernier à Catane, a constitué un événement d'Eglise et de Famille particulièrement significatif pour nos projets de renouveau. Une de nos sœurs consacrées qui fait briller dans l'Eglise, comme apport de notre Famille, l'authentique esprit salésien de Don Bosco. Le témoignage spirituel qu'elle a transmis par son existence active de charité apostolique, nous aidera à rendre effectives nos résolutions de meilleure qualité salésienne.
Le récent Synode des évêques (octobre 1994) nous pousse à ce grand travail d'identification charismatique. Je vous invite donc, dans cette circulaire, à en étudier avec moi quelques aspects stimulants.
C'est un Synode qui entre certainement - pensons à l'exhortation apostolique que nous attendons bientôt de la plume du Saint-Père - dans la phase anté-préparatoire du grand jubilé. Mettons à profit ses réflexions et ses orientations pour renforcer et améliorer notre renouveau.
La plus nombreuse assemblée synodale.
Le récent Synode ordinaire, le neuvième, a battu le record de participation : plus de 240 « pères synodaux » (tous évêques, avec quelques supérieurs religieux prêtres), 75 « auditeurs » (dont 53 femmes) invités par le Saint-Père, 20 « experts » (collaborateurs du secrétaire général), une dizaine d'« auditeurs » d'autres Eglises non catholiques ; en tout pas loin de 350 membres.
Le thème, on le sait, était la « vie consacrée », plus vaste que la « vie religieuse ». Les apports présentés dans la phase de préparation de la part de toutes les Eglises figuraient dans un consistant « Document de travail », qui a fait plus d'une fois l'objet d'une appréciation explicite et a orienté les interventions en salle ainsi que le fructueux dialogue de recherche dans les 14 groupes linguistiques et dans la commission chargée d'élaborer le Message. Etaient représentés 55 instituts masculins et 53 féminins.
Parmi les « pères synodaux » figuraient deux cardinaux salésiens (Leurs Eminences Mgrs Castillo et Javierre), huit de nos évêques (Leurs Excellences Mgrs Charles Bo, Héctor Lapez, Juan Mata, Basile Mwé, Zacarias Ortiz, Oscar Rodriguez, Tito Solari, Ignacio Velasco) ainsi que le Recteur majeur ; parmi les « auditeurs » il y avait le provincial du Venezuela, le père José Divassón : et parmi les « experts », le père Vittorio Gambino et sœur Enrica Rosanna FMA. Au-delà des travaux quotidiens, nous avons pu nous réunir tous autour d'un souper familial dans notre communauté du Vatican - si hospitalière - au milieu des rires, des chants, des conversations vivantes et d'une convivialité pleine de joie et d'espérance que nous gardons encore en mémoire aujourd'hui : une pause charismatique à l'occasion du Synode !
En plus de leurs apports dans chaque groupe linguistique, tous nos confrères ont fait en salle des interventions qualifiées selon le pays d'où ils provenaient, dans le climat commun à tous de l'esprit de Don Bosco (mais Mgr Charles Bo n'a pu intervenir parce qu'arrivé en retard en raison des difficultés d'obtenir les autorisations).
Le Saint-Père a été fidèle à participer chaque fois avec intérêt et bonne humeur, à toutes les assemblées générales.
Une présence particulièrement admirée en même temps que très humble a été celle de Mère Thérèse de Calcutta, toujours attentive et en prière. Elle a prononcé en assemblée une intervention émouvante qui a fait penser au génie féminin pour témoigner de la valeur de la consécration religieuse pour l'Eglise comme pour le monde.
Jean-Paul II, le bâton à la main, a été un centre de communion et de joie par son humour. Son affabilité et son sens du dialogue l'ont porté à prendre contact avec chacun : il a chaque jour invité à dîner et à souper des petits groupes de huit ou dix, et le dernier jour, il a réuni tout le monde autour d'un grand repas commun.
Il faut reconnaître que, par sa convivialité, son atmosphère de cordialité, les rencontres, les dialogues, les discussions, le climat de convergence dans la foi malgré les nombreuses différences de provenance, le déroulement même du Synode constitue une précieuse expérience de communion dans l'Eglise et une démonstration positive des sages préoccupations pastorales du Pape et des évêques. C'est certainement une grâce du Seigneur que d'avoir pu prendre une part active à cet événement de communion peut-être unique au monde.
L'optique ecclésiale dans l'organisation du thème.
Dans la Congrégation, nous avons déjà fait ensemble des réflexions utiles2 sur l'importance de ce Synode et sur le caractère de ses conclusions. En relisant ma circulaire de 1992, j'ai été frappé de constater comment elle exprimait bien ce qu'a été en fait le Synode.
Comme nous l'avons dit, il ne faut pas considérer cette assemblée épiscopale à l'instar d'un Chapitre général pour les différents instituts ; les évêques ne sont pas partis de la spécificité des charismes, mais de la signification globale et vitale qu'ils ont tous ensemble dans l'Eglise. Nous écrivions : Nous, les religieux, « nous sommes en quelque sorte invités à parcourir le chemin inverse de celui des derniers Chapitres généraux. Nous cherchions alors - sous la poussée du Concile - à définir le charisme hérité du Fondateur (nous passions du patrimoine conciliaire commun à la spécificité propre). A présent, nous aurons à porter - à partir de l'expérience de notre identité charismatique - des lumières et des approfondissements sur les valeurs qui signent notre appartenance à l'Eglise. En d'autres termes, passer du spécifique à ce qui caractérise le patrimoine commun »3.
C'est pourquoi il ne fallait attendre du Synode - qui est avant tout un événement de collégialité épiscopale de caractère proprement pastoral pour toute l'Eglise - ni la formulation d'une définition technique de la vie consacrée, puisque l'affirmation claire de ses éléments constitutifs suffisait, ni la solution de certains problèmes propres aux divers instituts, ni une censure pour d'éventuelles erreurs et déviations de groupes de consacrés dans la période d'après le Concile, mais bien, et en profondeur, l'affirmation de sa dimension ecclésiale, son lien strict avec à la sainteté, son rôle de premier plan dans la nouvelle évangélisation, sa valeur inestimable de don de l'Esprit-Saint à l'Eglise et au monde en vue de l'avenir : étudier les grandes valeurs commune, mais éviter aussi le danger de tomber dans les généralités.
« Nous pourrions dire, avons-nous écrit, que nous attendons, comme fruit global, [...] une forte relance de la " vie consacrée " dans ses aspects essentiels et vitaux. Car à travers l'action féconde du Saint-Esprit chez les fondateurs et les fondatrices au cours des siècles, elle est appelée à révéler la richesse du mystère du Christ en faisant resplendir dans l'Eglise - son " Corps " dans l'histoire -la grâce multiforme du Christ-Tête »4.
Il est intéressant de relire aujourd'hui cette circulaire qui semblerait rédigée après le Synode. Je puis vous dire en confidence que nous, les salésiens, au cours des travaux du Synode, nous nous sommes sentis en heureux accord avec l'orientation de l'assemblée et positivement encouragés à poursuivre notre cheminement avec des forces renouvelées et une profonde reconnaissance envers l'Esprit-Saint qui nous a guidés dans notre renouveau postconciliaire.
Le Synode nous a réjouis et nous a confirmé que nous étions sur la bonne voie, même s'il nous invite à intensifier nos efforts de rénovation pour atteindre les différents objectifs encore ouverts.
Nous sommes invités à écouter dans le Synode la voix de l'épiscopat préoccupé de bien conduire le Peuple de Dieu. Après les réflexions synodales sur le laïcat dans l'Eglise5, et sur le ministère sacerdotal6, les évêques unis au Pape viennent d'approfondir la nature et le rôle de la vie consacrée. Leurs réflexions font ressortir le caractère ecclésial des charismes et les responsabilités de service qu'ils devront avoir vis-à-vis de la vie consacrée, vu qu'elle est un don infiniment précieux de l'Esprit du Seigneur à tout le Peuple de Dieu.
Le point de vue sous lequel les évêques considèrent la vie consacrée est, en quelque sorte, antérieur à celui qu'adopte chaque institut pour lui-même : il le légitime et l'enrichit tout en lui assurant une meilleure vision globale, unitaire et intégrale.
Il est encourageant et stimulant de savoir que les pasteurs considèrent leur service ministériel de la vie consacrée comme un de leurs premiers devoirs : « De nostra re agitur » (= « il s'agit d'un trésor à nous »), a affirmé le card. Hume, relater général, dans sa première relation de mise en route des travaux. Et il en a consacré toute la première partie à expliquer son affirmation. Il a proposé une série de six verbes qu'il a ensuite développés : « C'est la tâche de l'épiscopat en communion avec Rome et de tout évêque dans son diocèse de : reconnaître, apprécier, discerner, protéger, promouvoir, harmoniser » la vie consacrée.
« Le rôle de l'évêque à l'égard de la vie consacrée s'étend donc au-delà de la programmation pastorale. Il est aussi le pasteur et le gardien des personnes consacrées et du don de la vie consacrée, de manières diverses selon qu'il s'agit d'Instituts de droit pontifical ou de droit diocésain, ou encore d'Instituts exempts. De re nostra agitur ! » Et il insiste : « Le don de la vie consacrée fait à l'Eglise est donc confié à nos soins et à notre charité pastorale »7.
Voilà pourquoi, affirme le card. Hume, les finalités et les objectifs de ce Synode devront être :
- de faire comprendre, apprécier et accueillir la vie consacrée par toute l'Eglise ;
- de la promouvoir dans son authenticité théologale, ecclésiale, apostolique et missionnaire ;
- de faciliter son expansion qualitative et quantitative.
On a certes entendu aussi en assemblée des interventions critiques sur certains aspects négatifs expérimentés çà et là dans des groupes de consacrés agités. Nous pourrions citer, par exemple, certaines formes de « parallélisme pastoral », des attitudes de démarcation d'avec le magistère du Pape et des évêques, l'influence de certaines idéologies en vogue, des imprudences dans la programmation de la formation, des styles de vie trop séculiers, des abus de liberté dans la liturgie, de la faiblesse dans l'exercice de l'autorité, de la superficialité spirituelle accompagnée d'une baisse de la contemplation, de l'ascèse et de la discipline religieuse. Mais il faut reconnaître que ces interventions n'ont pas donné le ton à l'ensemble des réflexions, qui sont nettement restées accrochées aux trois objectifs indiqués plus haut pour aider la vie consacrée en cette période de renouveau.
La nature intime de la vie consacrée.
Le « Message » du Synode a souligné avec clarté que « De la discussion synodale s'est dégagée une distinction importante : celle entre la " vie consacrée " en tant que telle, dans sa dimension théologique, et les " formes institutionnelles " que cette même vie a prises au cours des siècles. La vie consacrée, comme telle, est permanente, et ne peut jamais manquer dans l'Eglise ; les formes institutionnelles, au contraire, peuvent être transitoires ; aucune d'entre elles n'est éternelle »8.
Cela veut dire qu'il ne faut pas simplement considérer la vie consacrée comme une réalité présente « dans » l'Eglise, mais comme un élément constitutif de la nature « de » l'Eglise. Cette perspective lie constitutive ment la vie consacrée au mystère même du Christ, au style de vie de Marie et des apôtres. Elle n'est donc pas un fait ecclésial qui ne commence qu'avec le monachisme ; ce dernier est en fait une « forme institutionnelle » de la vie consacrée, même si son mérite fut très grand dès les premiers siècles.
On comprend mieux ainsi comment la consécration à travers les conseils évangéliques (vœux et autres liens ecclésiastiques) a ses racines vives dans le Baptême : sacrement qui incorpore directement au Christ ; elle a sa source en Lui.
D'où une façon profondément nouvelle d'orienter notre renouveau dans la fidélité aux toutes premières origines : remonter directement à la source qui est le mystère du Christ. Les fondateurs n'ont pas inventé la vie consacrée, mais ils l'ont reçue de la tradition vivante de l'Eglise ; puis ils l'ont revêtue d'un projet original de participation à la mission du Seigneur.
Une vision aussi théologale de la vie consacrée nous plonge directement dans l'Evangile ; elle nous fait voir en notre Fondateur, non pas un moine modernisé, mais un collaborateur infatigable des successeurs des Apôtres, et c'est vers la Pâque et la Pentecôte qu'elle oriente notre recherche de modèles à contempler et à suivre.
Par notre profession religieuse nous nous engageons à reproduire le style de vie révélé par le Christ obéissant, pauvre et chaste, partagé éminemment par Marie, transmis aux apôtres, développé dans la première communauté chrétienne (<< un seul cœur et une seule âme »). Notre profession nous situe dans le mystère même du Christ et dans la nature intime de l'Eglise, et nous pousse à ne pas frustrer ceux qui nous regardent comme « signes et porteurs » de l'amour de Dieu.
D'où la nécessité de centrer le renouveau sur ce qui rapproche le plus du Christ, en faisant surtout de l'Eucharistie le centre quotidien de notre vie intérieure personnelle et communautaire, pour rappeler l'affirmation évangélique : les disciples « avaient reconnu [Jésus] quand il avait rompu le pain »9.
Tout autant que l'Eucharistie, le fréquent recours personnel au sacrement de la Réconciliation mérite un soin particulier - c'est le card. Baum qui l'a souligné - pour entretenir le contact avec le Christ. Dans ce sacrement, nous cherchons en Lui le reflet de notre pauvre visage facilement souillé par la poussière du quotidien ; il donne actualité à la dimension pénitentielle et à la nécessité de l'ascèse et de la pratique vécue d'une discipline religieuse selon une Règle professée.
Les pères synodaux ont discuté entre eux sur la signification précise de certains termes très employés, comme « charisme », « consécration », « sacramentalité », « profession », mais sans arriver à une convergence complète. Ils ont demandé10 de confier à une commission d'experts la clarification de cette terminologie avant la publication de l'exhortation apostolique.
Chez nous dans la Congrégation, l'usage de ces termes si significatifs a depuis longtemps une signification pacifique, comme il apparaît dans la circulaire de 199211
L'importance du monachisme.
La réflexion théologale sur la vie consacrée en elle-même précise l'authenticité de sa nature, et conduit notre recherche à se reporter à son premier modèle historique. Il est certain que l'habitude de référer toutes les formes de vie religieuse au monachisme est à reconsidérer avec soin. Sans pour autant dépouiller cette forme classique de « vie religieuse » de son importance historique ni de son influence objective. Car le monachisme représente sans doute possible une pratique éprouvée de ce que doit être, en substance, une règle concrète de vie.
Au Synode il y avait une présence monastique qualifiée qui a offert des exposés de grande valeur ; il y avait des moines d'Orient et d'Occident, ainsi que des moines orthodoxes. On a pu apprécier leur extraordinaire témoignage de la consécration et leur efficacité dans l'évangélisation au cours des siècles, et admirer aussi les aspects profonds de leur style de vie.
Un des pères synodaux appartenant à des formes de vie apostolique avait même craint que le poids de ces valeurs monastiques ne déséquilibre la signification globale du Synode. En réalité, l'apport des moines a été enrichissant : il a fait voir que les règles de vie des divers instituts de vie religieuse se rattachent en fait étroitement aux valeurs fortes et aux grandes traditions de la vie monastique. C'est pourquoi le « Message » du Synode a voulu réserver un paragraphe au monachisme oriental : « Les Pères du désert et les moines d'Orient ont exprimé cette spiritualité monastique, qui s'étendit, plus tard, à l'Occident. Elle fut nourrie de la « Lectio divina », de la liturgie, de la prière incessante, et vécue dans la charité fraternelle de la vie communautaire, dans la conversion du cœur, le détachement du monde, le silence, les jeûnes et les longues vigiles. La vie érémitique fleurit, aujourd'hui encore, autour des monastères. Un tel patrimoine spirituel a forgé les cultures de tant de peuples, et, en même temps, s'en est inspiré »12.
La 6e proposition affirme justement avoir une grande estime pour « ces points qui proviennent du monachisme des Eglises d'Orient, à savoir : l'imitation de la kénose du Verbe, qui constitue la racine du monachisme oriental ; la transformation en image de Dieu, ou déification ; le renoncement ; la vigilance ; la componction ; la tranquillité ; l'oblation totale de soi et de tout ce qui s'y rapporte, en holocauste parfait ».
Il est intéressant de noter qu'en Orient et chez les Orthodoxes, il n'y a jamais eu d'autre forme de vie religieuse que la vie monastique. C'est une façon séculaire de suivre le Christ dans la radicalité ; elle rend particulièrement possible le dialogue œcuménique entre les différents monastères, et permet d'exercer une grande influence sur toute l'Eglise locale, également parce que c'est parmi les meilleurs moines que sont d'ordinaire choisis les membres de la hiérarchie.
Nous, dans notre vie consacrée apostolique, nous regardons avant tout aux origines apostoliques, mais nous ne pouvons nous dispenser d'apprendre de la vie monastique le sens de l'écoute contemplative, les exigences concrètes de la kénose, l'exercice de la vigilance, le devoir de la vie commune avec le rôle vital de l'autorité et le style de l'oblation totale de soi. Nous avons besoin de remettre en honneur la dimension ascétique personnelle et communautaire : il est indispensable - comme nous l'avons rappelé dans une autre circulaire - de veiller, les reins ceints et les lampes allumées !13
La femme consacrée.
Dans l'Eglise, les femmes consacrées sont beaucoup plus nombreuses que les hommes consacrés : elles représentent 72,5 pour cent. On compte plus de 3.000 instituts féminins de droit pontifical ou diocésain. Il faut aussi observer que parmi les signes des temps actuels est apparue avec vitalité la promotion de la femme, même si elle se marque, en certains milieux, de féminisme déviant. Il est donc significatif que le Synode ait beaucoup réfléchi sur la dignité de la femme consacrée et souligné avant tout sa capacité de manifester de bien des façons aux gens le visage maternel de l'Eglise, pour lui reconnaître un rôle plus adéquat dans les responsabilités ecclésiales.
C'est à juste titre que le Message du Synode affirme : « Les femmes consacrées doivent plus participer, dans les situations qui le requièrent, aux consultations et à l'élaboration des décisions dans l'Eglise. Leur participation active au Synode a considérablement enrichi la réflexion sur la vie consacrée, notamment sur la dignité de la femme consacrée et sur sa collaboration à la mission de l'Eglise »14.
Pour la première fois dans un Synode ont pu intervenir, durant six minutes, les auditeurs et les auditrices, qui comptaient aussi des représentants d'Eglises protestantes. On a entendu en salle de très beaux témoignages d'auditrices. Certaines souhaitaient pour elles une part plus équitable de responsabilités, mais la majorité manifestait leur disposition personnelle particulière et leur sensibilité héroïque pour le service des nécessiteux. Particulièrement émouvante a été l'intervention dans une « audition » (exposé spécialisé d'un thème d'une durée de 15 à 20 minutes) de Mère Thérèse de Calcutta.
Dans son intervention, sœur Stéphanie-Marie Boullanger a souligné que « la sensibilité [des consacrées] vis-à-vis des réalités de la création, leur sens inné de la vie, leur sens de l'écoute, du respect de la personne, du dialogue, leur permettent d'instaurer des relations humaines authentiques et d'être instrument de communion ». L'évêque de Bordeaux a rappelé que les femmes consacrées ont le charisme commun de la féminité orientée vers le Christ pour la fécondité de l'Eglise ; leur consécration, a-t-il dit, « soutient la consécration de tous les membres du peuple de Dieu ».
Le témoignage évangélique de la femme, sa capacité de contempler, son intuition et sa délicatesse, sa facilité de dialoguer et son courage à relever les défis les plus exigeants, constituent un des aspects les plus significatifs et les plus importants dans le peuple de Dieu. Il est vrai que dans le passé, a rappelé sœur Boullanger, « la vie religieuse féminine au cours des siècles a été généralement très dépendante des hommes, même si, depuis Vatican II, un certain nombre de portes ont été ouvertes ».
Les signes des temps exigent aujourd'hui, dans l'Eglise aussi, une révision de cette situation : reconnaître la dignité et les richesses féminines propres aux femmes consacrées et leur accorder plus de confiance et de postes de responsabilité. Un des fruits certains du Synode sera d'ouvrir l'Eglise à cette nouveauté des temps avec plus de conviction et de réalisme.
Tout cela m'a fait penser à nos responsabilités dans notre façon d'animer la Famille salésienne. Elle comporte divers groupes de femmes consacrées ; en particulier les FMA. Depuis Vatican II on a mieux compris qu'il est important de leur accorder une plus juste autonomie. Cela demande chez elles de développer leur responsabilité et chez nous, de comprendre l'ecclésiologie conciliaire et de nous y convertir.
Il s'agit de changements profonds de mentalité, pour elles comme pour nous ; il n'est pas toujours facile de procéder avec rapidité et vérité.
Le problème est un peu le suivant : une autonomie non adaptée pourrait occulter la communion, qui est le point le plus important. Car l'autonomie n'est pas le but final. Elle est un objectif souhaitable pour tendre valablement vers le but final, qui est précisément la « communion » : juste autonomie en vue d'une communion plus authentique ! Une communion qui n'est pas seulement la communion ecclésiale large, mais une communion qui, pour nous, se centre sur le charisme commun que nous a laissé Don Bosco comme don précieux fait à l'Eglise pour l'évangélisation de la jeunesse, et surtout de la jeunesse pauvre et populaire.
Le Synode doit nous engager à réaliser avec plus d'intelligence et d'efficacité cette communion de Famille.
Je rappellerai volontiers ce que j'ai écrit à Mère Ersilia Canta à l'occasion du centenaire de Mère Mazzarello : « Si nous pensons à la signification profonde du binôme " homme-femme " dans la révélation, une Famille spirituelle ainsi composée nous apparaîtra plus parfaite. [... En effet], dans les grandes Familles spirituelles, à commencer par celle de saint Augustin et de sa sœur (qui n'est pas nommée mais qui commença, avec ses compagnes, l'expérience féminine de la Règle augustinienne), et plus tard celle de saint Benoît et sainte Scolastique, saint François d'Assise et sainte Claire et d'autres couples de fondateurs, la présence de la complémentarité féminine est signe d'une plénitude singulière et de l'importance du charisme, de sa longévité, de sa fécondité et de la richesse de son apport à la mission de l'Eglise.
Si tout cela est vrai, cela signifie que l'apport féminin de sainte Marie-Dominique Mazzarello et de l'esprit de Mornèse au charisme salésien n'a fait que commencer dans le passé et qu'il doit se développer dans l'avenir »15.
La pleine dignité des religieux « frères ».
A propos de la vie consacrée masculine, certaines interventions ont fait ressortir le profil du religieux « frère »16. Et dans une audition, le frère Pablo Basterrechea, ancien supérieur général des frères des Ecoles chrétiennes, a même présenté en particulier « La vocation du frère dans les congrégations laïques, cléricales ou mixtes ».
Le sujet en soi a servi à éclairer la façon juste de concevoir la nature propre de la vie consacrée. Car il circule en beaucoup de milieux (aussi parmi les pasteurs) une conception superficielle de la vie consacrée masculine. On identifie cette dernière à celle du moine ou du religieux-prêtre et l'on situe facilement celle du « frère » à un niveau inférieur, en oubliant quelle est la source, la dignité et la vitalité de la vie consacrée comme telle, pour tous. Centrer l'attention sur le profil du « frère » signifie prendre au sérieux l'enracinement baptismal de toute vie consacrée : la grande dignité pour tous de participer de façon particulière au sacerdoce, à la prophétie et à la royauté du Christ. C'est là le meilleur fruit de l'initiation chrétienne (Baptême et Confirmation) que vient renforcer la nouvelle consécration charismatique à travers la profession des conseils évangéliques.
C'est de là que partent les apports spirituels spécifiques pour les tâches de la mission propre, y compris de la mission ministérielle du prêtre enrichie ensuite des dons de l'ordination. D'où l'insistance sur la nécessité absolue d'une formation profonde et intégrale pour tous, dans leur dignité et leur responsabilité communes de consacrés.
Il est regrettable qu'au cours du Synode aucune allusion n'ait même été faite au problème complexe et délicat du religieux-prêtre. Peut-être les temps ne sont-ils pas encore mûrs et est-il toujours nécessaire de faire des recherches doctrinales. Mais du moins l'existence des instituts proprement « cléricaux » (c'est -à-dire liés de façon caractéristique au sacerdoce ministériel, comme, par exemple, la Compagnie de Jésus), pour lesquels cet aspect est constitutif de leur caractère propre et de leur type particulier de mission, a conduit, en cas de révision, à ne pas placer les frères de tous les instituts dans une même catégorie.
Plusieurs pères synodaux, du courant franciscain surtout, ont insisté sur la « parité juridique » des frères à propos de l'exercice de l'autorité. Il y a cependant eu des précisions (moi aussi j'ai remis à ce propos une intervention écrite)17 pour clarifier ce qu'on entendait demander pour l'avenir, compte tenu de la spécificité de chaque charisme.
Dans cette ligne, parmi les Propositions à présenter au Saint-Père, il y en a une (la 10e) qui demande avant tout la reconnaissance officielle de quelques instituts masculins qui pourraient s' appeler « mixtes » (le canon 588 du Code n'en dit rien pour le moment). Dans ces instituts, devrait être clair le refus du fondateur que la différence entre « prêtres » et « non-prêtres » ait une influence sur le caractère propre de l'institut. Et dans ces instituts, une décision de leurs Chapitres généraux devait spécifier que l'accès à l'exercice de l'autorité à tous les niveaux puisse être ouvert à toutes les catégories de membres. (Il faudra attendre la réponse - que nous pouvons croire positive - approuvée par le Saint-Père).
Dans tout ce problème, ce qui compte vraiment pour le profil du frère, c'est la pleine dignité, la formation intégrale, la nécessité de la responsabilité et de son exercice correspondant, en fidélité au fondateur et au caractère propre de son charisme.
Ce point de vue fait apparaître l'importance du caractère propre de chaque charisme. Le type de mission selon le projet du fondateur doit intéresser tous les membres : chacun entre dans l'institut pour collaborer de toutes ses forces - même si c'est selon des modalités différentes et complémentaires - à la réalisation de la mission spécifique commune à tous.
Nos Constitutions nous présentent officiellement le travail entrepris expressément à ce sujet au cours de nos grands Chapitres postconciliaires. Il s'agit d'en saisir l'originalité et la beauté en faveur d'une pastorale des jeunes qui place sous la primauté de la charité pastorale un type d'évangélisation des jeunes qui englobe aussi la promotion humaine et la culture : toujours dans une intention pastorale.
L'insertion dans l'Eglise particulière.
Dans le « Message » synodal, les évêques affirment que « parmi les difficultés que nous avons examinées fraternellement, [...] il y a celle de l'intégration nécessaire des communautés et des personnes consacrées dans les Eglises particulières »18.
C'est un fait que l'ecclésiologie de Vatican II a promu l'importance de l'Eglise particulière ou locale. Et c'est aussi un fait que, malheureusement, les instituts « exempts » n'ont pas toujours assumé avec générosité, en accord avec leur propre charisme, leurs coresponsabilités concrètes de la pastorale locale. Et les pasteurs non plus n'ont pas toujours considéré les instituts de vie consacrée comme de vrais charismes pour leur Eglise locale.
Le document Mutuae relationes avait souligné (au numéro 22) le renouveau apporté par le Concile au concept d'« exemption ».
C'est dans cet effort d'insertion authentique que se concrétise le « sentire cum Ecclesia », en fidélité au magistère du Pape et des évêques, en solidarité d'engagement pour la nouvelle évangélisation, en communion active autour de l'évêque, avec le clergé, les laïcs et avec les autres consacrés du territoire.
L'attention apostolique au territoire concret où ils réalisent leur mission suscite chez les pasteurs et les fidèles un intérêt plus vif pour les divers charismes en tant que dons précieux pour l'Eglise.
La Proposition synodale 29,2 souligne qu'il est important pour les consacrés de connaître avec plus de profondeur la théologie de l'Eglise particulière pour mettre à son service leur charisme propre, et pour les évêques, le clergé et les laïcs, de connaître vraiment et d'estimer les groupes de vie consacrée pour leur donner une place dans leurs projets et leurs programmes d'action.
Il est recommandé dans ce cadre que fonctionne en fait la « Commission mixte » entre les évêques et les supérieurs majeurs, et qu'il y ait un échange réciproque de délégués entre les Conférences épiscopales et les Conférences de supérieurs.
Pour nous, ce devoir d'insertion fait aussi penser à la communion effective qu'il nous faut renforcer sur les territoires qui comportent divers groupes de la Famille salésienne.
L'engagement dans la mission déborde les murs de chaque œuvre et nous pousse non seulement à former des laïcs coopérateurs, mais aussi et surtout à savoir créer des activités nouvelles pour répondre aux besoins de l'Eglise locale.
Une telle insertion servira à témoigner de la présence bénéfique de l'Eglise universelle dans l'Eglise particulière, comme le disait le document Mutuae relationes ; « Les évêques sauront sûrement reconnaître et apprécier grandement la contribution spécifique apportée dans les Eglises particulières par ces religieux, trouvant en quelque sorte dans l'exemption de ceux-ci une expression de la sollicitude pastorale qui les unit au Souverain Pontife comme marque d'une attention active envers tous les peuples »19.
Les défis de la nouvelle évangélisation.
Le Synode a mis un accent spécial sur la « mission » en rapport avec les défis actuels et le besoin de formes d'apostolat nouvelles ou rénovées.
C'est dans ce sens qu'il est demandé surtout aux consacrés de savoir analyser les défis d'un point de vue théologique. Il ne suffit pas de faire la description sociologique (même si elle est certainement utile) des diverses situations de nouveauté, d'injustice ou de besoin.
Les défis ne sont pas de simples données statistiques, mais des interpellations de Dieu qui montre par ces signes certaines exigences aux divers charismes. Il faut une pédagogie des signes des temps, déjà indiquée au Concile, qui fasse découvrir dans les situations de fait la voix du Seigneur qui oriente vers de nouveaux aréopages.
Le même Esprit-Saint a guidé les fondateurs dans ce sens. Avec confiance dans l'Esprit, il nous faudra cultiver l'audace de la créativité.
Les pères du Synode ont aussi proposé des critères utiles pour discerner les défis. En voici les points pris en considération.
- Une claire conscience des interpellations de l'Esprit à la mission de l'Eglise ;
- La détermination prudente des priorités à privilégier dans les réponses ;
- Une compétence suffisante, en fidélité dynamique au charisme du fondateur ;
- La communion sincère avec ceux qui travaillent dans le même champ de l'Eglise ;
- Une considération attentive des hommes de bonne volonté qui se consacrent au renouvellement de la société.
Outre la pédagogie des signes, la nouvelle évangélisation suppose d'importants changements de mentalité.
D'ailleurs, même la « première évangélisation » a besoin d'une authentique mentalité « nouvelle » certes adaptée aux cultures variées des peuples, car elle aussi comporte aujourd'hui une « nouvelle évangélisation ». Parmi les éléments de cette mentalité, le Synode en a souligné quelques-uns particulièrement actuels.
1. Un effort d'inculturation à la fois capable de percevoir et de promouvoir « les semences du Verbe » dans les différentes cultures, et doté de finesse et de courage critique pour déceler et corriger les déviations éventuelles et immanquables, même si elles sont ancestrales.
2. « Le Synode souhaite intensément que dans les différents pays les consacrés s'adonnent au dialogue œcuménique aussi bien qu'interreligieux »20.
3. Privilégier la compétence éducative, qui touche précisément le cœur de chaque culture en liant l'évangélisation à la promotion humaine. Dans une Proposition, les pères synodaux recommandent l'apostolat de l'éducation, et rappellent à cette priorité les instituts qui en ont le charisme et doivent y préparer aussi beaucoup de laïcs. Le Synode reconnaît l'importance et l'actualité de l'école catholique, des universités et des facultés catholiques sans négliger certaines activités et certaines tâches qui vont au-delà de la simple éducation formelle21.
4. La communication sociale22. C'est un aréopage important auquel il faut se consacrer avec toujours plus de compétence en accord et en collaboration avec l'Eglise locale, dans le souci de préparer davantage de personnel compétent.
5. La missio ad gentes. Elle a fait l'objet d'une insistance toute spéciale parce qu'elle constitue la pointe de diamant de toute évangélisation et qu'elle a vu et voit en première ligne avec une générosité héroïque les instituts de vie consacrée, non seulement ceux qui se consacrent spécifiquement aux missions, mais aussi tous les autres qui réalisent leur vie de prière et de travail dans un esprit missionnaire, comme sainte Thérèse de Lisieux en a donné un témoignage remarquable.
L'indispensable primauté de la vie dans l'Esprit.
Dans la circulaire de 1992 citée plus haut, nous avons parlé d'« objectifs ouverts » et nous mettions au premier rang la « vie dans l'Esprit ». Puis à la question de savoir ce que nous avions à attendre du Synode nous avons répondu qu'il fallait souhaiter une présence rénovée du mystère du Christ dans le monde, et intensifier la lutte contre la superficialité spirituelle qui entame la vitalité de notre charisme. Le Synode est venu précisément proclamer pour tous les consacrés le primat indispensable de cette vie dans l'Esprit.
Dans sa première relation en assemblée, le card. Hume a affirmé que « le premier grand défi adressé à la vie consacrée concerne la spiritualité, précisément parce qu'elle est le cœur de la vie consacrée, parce qu'elle révèle quelle est sa contribution prioritaire à l'Eglise, parce qu'elle est la source du dynamisme apostolique. En elle, se révèle le rapport personnel avec le Christ par l'intermédiaire de la marche à la suite du Christ, le primat donné à Dieu par la consécration, la disponibilité à l'action de l'Esprit. Elle s'exprime dans la contemplation, la prière, l'écoute de la Parole de Dieu, l'union avec Dieu, l'intégration des diverses dimensions de la vie personnelle et communautaire, l'observance fidèle et joyeuse des vœux »23.
Chaque vie consacrée s'enracine dans la spiritualité et ne peut jamais la laisser tomber. Et le type particulier de la spiritualité propre est important aussi pour beaucoup d'autres.
Un peu partout, même dans les autres religions et les multiples recherches du sacré, le thème de la spiritualité se présente aujourd'hui comme une des principales frontières de la mission.
Le fait que le Synode ait souligné la distinction entre la nature théologale de la vie consacrée et les formes institutionnelles qu'elle a prises à travers les siècles, sert à mieux mettre en lumière la place centrale du mystère du Christ et la participation à sa sainteté.
Il faut relier la pratique des conseils évangéliques à une amitié profonde et quotidienne, personnelle et communautaire, avec le Christ, pour devenir vraiment signes et porteurs de son amour. La spiritualité de chaque vie consacrée, bien que différenciée en nombreux charismes, consiste à savoir adopter un style de vie qui rende visible, ici et aujourd'hui, celui du Christ obéissant, pauvre et chaste ; un style qui se relie - et même en jaillit - aux dynamismes profonds de la filiation divine qui remplissent le consacré de l'absolu de Dieu.
Les Propositions présentées au Pape s'étendent sur ce thème parce qu'il est considéré comme vital et le plus significatif de la consécration. Elles soulignent qu'il est important d'assurer la primauté de cet aspect de la formation, et d'adapter aussi l'approfondissement de chaque conseil évangélique aux nouveautés et aux différences culturelles aujourd'hui en évolution. Elles précisent aussi quelques uns des principaux moyens à suivre à ce sujet. Les voici :
- La place centrale de la célébration de l'Eucharistie et la liturgie des heures ;
- La fréquentation du sacrement de la réconciliation et la révision de vie ;
- Le retour aux sources de l'Evangile et à l'esprit du fondateur ;
- La « lectio divina » dans l'écoute de la Parole de Dieu ;
- La capacité de communiquer aux fidèles les richesses du mystère du Christ24.
L'effort quotidien pour renforcer cet exercice de « vie dans l'Esprit » nous porte à souligner l'aspect pneumatologique de toute spiritualité. Il est nécessaire de redécouvrir la mission de la Personne-Don de la Trinité qui est protagoniste de la consécration et est présente pour nous porter au Christ, conçu du Saint-Esprit, et en Lui nous conduire au Père. L'Esprit est l'âme du renouveau de toute spiritualité ; sa mystérieuse présence active, commencée dans l'événement de la consécration à l'occasion de la profession des conseils évangéliques, conduit à une relation intime, personnelle et communautaire, avec le Christ, Ami et Seigneur. La réciprocité de l'amitié avec le Christ approfondit cette conversion de mentalité et de vie qui fait de nous des témoins spéciaux de la sainteté de l'Eglise dans l'orbite apostolique tracée par notre Fondateur.
L'intimité avec l'Esprit-Saint, qui est Amour, et la docilité à ses inspirations, en d'autres termes notre vie entière qui palpite spirituellement en nous, nous reporte aux origines tant du mystère de l'Incarnation que du charisme de notre Fondateur. Elle nous rappelle que c'est précisément dans l'Esprit qu'a débuté le rôle de Marie, mère et modèle de l'Eglise. Elle nous rappelle aussi que la sainteté dans l'Eglise est œuvre de l'Esprit-Saint. Il pénètre et guide les consacrés pour qu'ils soient du levain dans la mission de tout le Peuple de Dieu25.
Cette primauté de la vie dans l'Esprit, si nécessaire aujourd'hui, porte aussi à faire de la vie consacrée un centre dynamique de diffusion de la spiritualité. Dans sa relation que nous avons citée, le card. Hume affirmait explicitement : « Il y a là un champ à cultiver avec attention, parfois à semer avec clairvoyance. Ne serait-il pas opportun de multiplier des écoles de spiritualité où se transmette non seulement l'enseignement de la doctrine, mais où l'on donne la priorité à l'initiation et à l'expérience ? La spiritualité de l'Institut pourrait mieux rayonner non seulement parmi ses propres membres, mais aussi dans l'Eglise, qui a toujours été enrichie et renouvelée par les spiritualités des saints et des familles religieuses »26.
Ainsi le Synode renforce-t-il le cheminement de notre rénovation, du premier « objectif ouvert »27 pour notre développement dans l'avenir : assurer que l'esprit de Don Bosco soit vivant en chacun et dans les communautés, et qu'il se répande avec vigueur et authenticité au-delà de nos maisons.
Dans ce sens, le Mouvement salésien des jeunes trouve sa vie dans une spiritualité inspirée de Don Bosco ; et la communion et la mobilisation de nombreux laïcs (thème du CG24) a comme priorité d'assurer avec clairvoyance précisément la diffusion de la spiritualité apostolique salésienne.
Nous devons savoir gré au Synode de nous pousser officiellement à devenir le centre où éclate la vitalité de l'avenir.
La force de la vie fraternelle en communauté.
La communion de vie fraternelle - on a insisté sur ce point au Synode - est une dimension indispensable dans tous les instituts de vie consacrée, même lorsque les membres ne vivent pas en communauté, comme dans les instituts séculiers. Mais pour les Congrégations « religieuses », elle est une communion vécue dans la communauté : c'est pour elles une caractéristique propre et distinctive. Chaque institut religieux, en effet, est toujours structuré, même si les modalités varient, par une vie fraternelle concrète en communauté. Le Synode l'a explicité, et a recommandé l'étude du récent document du Vatican La vie fraternelle en communauté.
Dans la relation que nous avons déjà citée, le Cardinal Hume la considère comme « le second grand défi de la vie consacrée »28 ; elle comporte aussi l'estime et le juste exercice du service indispensable de l'autorité.
La force de la vie fraternelle en communauté se manifeste avant tout par le témoignage de communion dans la convivialité, qui est un des points dont la famille et la société d'aujourd'hui ont le plus de nostalgie.
On a souligné l'interdépendance entre la vie fraternelle et la fidélité à la pratique des conseils évangéliques.
On en a surtout apprécié la valeur et l'efficacité dans les situations d'oppression et de totalitarisme, et plusieurs confrères et consœurs ont pu en faire l'expérience positive malgré de très graves difficultés.
Sa force se traduit en particulier par un accroissement d'efficacité et de créativité dans l'évangélisation ; la communauté apparaît comme le vrai sujet de la mission qui multiplie les énergies apostoliques dans un projet commun.
Une communauté qui se fait école de formation permanente, consciente aussi des limites de chaque membre, de la nécessité de la patience et du pardon, de la conscience que la communauté est toujours en construction parce que la seule communauté parfaite est la communion eschatologique dans la communion des saints. Une communauté qui s'exprime et se vit elle-même avant tout dans la célébration de l'Eucharistie et sait démontrer la « spiritualité de la communion » par l'échange de dons au sein de l'Eglise locale, par sa disponibilité à collaborer, la sincérité du dialogue, la recherche de l'harmonie et de l'unité, et par les relations mutuelles avec les autres membres de l'Eglise29.
La joie du témoignage communautaire est également porteuse de fécondité en vocations pour assurer à l'Eglise l'avenir de son charisme particulier.
Conclusion.
Le Synode a encore abordé bien d'autres points importants ; notre réflexion se limite à quelques uns d'entre eux plus significatifs pour nous.
Il a été beau et encourageant de voir confirmées et approfondies les lignes directrices de notre travail de rénovation : nous n'avons pas cheminé en vain, et nous avons même marché sur la bonne voie.
Nous devons dire de ce Synode qu'il a été en fait un événement d'Eglise pour l'avenir, un vrai moment de grâce, ou, comme l'a dit le Saint-Père : « une expérience de Pentecôte. On sentait sans cesse la présence active de l'Esprit qui donne à l'Eglise tant de charismes de vie consacrée. En y participant, on était amené progressivement vers ce qu'il y a de plus intime dans la vie de l'Eglise : son appel à la sainteté »30.
Cela veut dire, chers confrères, que nous sommes à présent plus qu'éclairés sur ce qui constitue notre identité dans l'Eglise et que nos recherches et nos efforts doivent viser avec détermination à nous faire avancer vers les « objectifs ouverts » que nous n'avons pas encore rejoints dans nos projets de rénovation.
L'éducation des jeunes à la foi (CG23) autant que l'association de nombreux laïcs à l'esprit et à la mission de Don Bosco (CG24) réclament que nous centrions nos efforts de formation permanente sur l'intensification de la vie dans l'Esprit et sur le souci prioritaire de la vie fraternelle en communauté. C'est par là que passe la route vers le troisième millénaire : c'est une heure fécond pour y entrer avec authenticité.
Confions nos projets à la Sainte Vierge : Elle est a l'origine de notre charisme et travaille maternellement avec nous pour sa rénovation. Le Synode nous a montré en elle la plénitude de la vie consacrée : « Première disciple et Mère de tous les disciples, modèle de force et de persévérance dans la « sequela Christi » jusqu'à la Croix, La Vierge Marie est le prototype de la vie consacrée, parce qu'elle est la Mère qui accueille, écoute, intercède et contemple son Seigneur dans les louanges de son cœur »31.
Nous pensons à son intimité avec Dieu dans l'obéissance (« Que tout se passe pour moi selon ta parole ! »), dans la pauvreté (« Elle le coucha dans une mangeoire »), dans la virginité (« Pleine de grâce » et sans tache aucune) ; son cœur ne cessait de contempler les événements du Christ ; son union permanente avec Dieu, en particulier dans la vaste vision des temps dans le Magnificat.
Il est beau de s'imaginer Marie montée au ciel ; couronnée parmi les anges et les saints, la vaine gloire ne l'effleure même pas. Nous pouvons l'imaginer, dans la joie de la plus grande humilité, en train de proclamer devant tous son cantique qui est l'hymne de la bonté de Dieu dans l'histoire. « Me diront bienheureuse » : voilà la joie de l'humilité qui nous enseigne la capacité de louer Dieu à partir des dons de notre consécration et de notre sanctification personnelle.
Que la Vierge Marie nous aide à faire fructifier en nous, avec joie et en connaissance de cause, les multiples dons de ce Synode, et qu'elle nous dispose à accueillir par nos résolutions de vie l'exhortation apostolique que nous désirons et dans laquelle le Successeur de Pierre nous présentera officiellement la portée pentecostale de cet événement de grâce.
Je profite de cette lettre pour présenter à tous mes vœux les plus fraternels pour la nouvelle année en marche : que Don Bosco nous guide et nous stimule.
Saluts cordiaux.
Avec affection dans le Seigneur.
1 Tertio millennio adveniente 58.
2 Cf. ACG 342, octobre-décembre 1992.
3 ACG 342, p. 10-11.
4 ACG 342, p, 40.
5 Exhortation apostolique Christifideles laici.
6 Exhortation apostolique Pastores dabo vobis.
7 HUME, Relatio ante disceptationem, 4. Texte de la Documentation catholique, no 2103, 6 novembre 1994 n° 19, pages 942-953.
8 Message II. Texte de la Documentation catholique no 2104, 20 novembre 1994 no 20, pages 982-985.
9 Lc 24, 35.
10 Cf. Proposition 3, D.
11 ACG 342.
12 Message VII.
13 Cf. ACG 348, avril-juin 1994.
14 Message I.
15 ACG 301, juillet-septembre 1981, A la redécouverte de l'esprit de Mornèse, pp, 78-79.
16 N.B. C'est le terme que les pères synodaux ont voulu utiliser pour éviter la terminologie ambiguë d'instituts « laïcs » et de consacrés « laïcs » ; cf. Proposition 8.
17 Elle est reportée dans ce fascicule 351 des ACG au numéro 5.1.2 (pp. 70-74).
18 Message V.
19 Mutuae relationes 22.
20 Message VIII.
21 Proposition 41.
22 Proposition 44.
23 Relatio ante disceptationem 19.
24 Proposition 15, B.
25 N.B. Il vaut la peine de relire l'encyclique Dominum et vivificantem.
26 Relatio ante disceptationem 19.
27 Cf. ACG 342.
28 Relatio ante disceptationem 20.
29 Cf. Propositions 28, 29, 31, 32, 33, 34.
30 29 octobre, paroles du Pape au dîner de clôture.
31 Message IX.