158 Yves Le Carrérès
déclare [le Supérieur de l’Orphelinat salésien] mal fondé en ses demandes ... l’en dé-
boute, confirme en conséquence le jugement dont il est appel ...».
Les cinq considérants sur lesquels s’appuyait cette condamnation caractérisent
bien le fonctionnement des ateliers dans les oeuvres salésiennes de l’époque: appren-
tissage et production étaient étroitement associés; c’était en fait des ateliers-écoles, il
ne pouvait en être autrement 11. A cette date, en effet, ni l’Etat, ni la profession ne
subventionnaient l’apprentissage. Il s’en suivait que pour couvrir les charges de la
formation, le directeur devait:
1° «organiser le travail industriellement»
2° «faire appel à une clientèle»
3° « dégager des recettes».
Il est d’ailleurs intéressant d’apprendre que le chiffre d’affaires des ateliers de
l’Oratoire Saint Pierre - Saint Paul s’élevait à 15.000 francs sur un trimestre.
En conséquence, il devait assumer les risques professionnels encourus par les
11 La formation dans les oeuvres salésiennes pour apprentis était principalement axée sur
la formation technique manuelle. Il n’y avait pratiquement qu’une seule heure d’enseignement
général et encore était-elle fixée le soir après la journée d’atelier. Les chapitres généraux de
1880, 1883, 1886, se penchèrent sur les normes à appliquer dans la formation des apprentis (Cf
José Manuel PRELLEZO: La parte operaia nelle case salesiane in RSS 31 (1997), p. 354).
On présentait les orientations générales à retenir pour la formation selon trois axes: 1°
formation morale et religieuse, 2° formation intellectuelle, 3° formation professionnelle. On in-
sistait en particulier sur la progressivité dans l’apprentissage et sur l’importance de l’enseigne-
ment du dessin. Dans les délibérations de ces chapitres, il est bien question de l’école pour ap-
prentis (scuola di artigiani), de programme scolaire (un programma scolastico) mais la réalité
demeura effectivement celle d’un apprentissage en atelier.
A la même époque, à Lyon, l’abbé Boisard avait également fondé un atelier-école en
s’inspirant de la méthode salésienne. Il avait passé un mois au Valdocco à Turin en 1882 (MB
XVI, p. 65-67). Pour des raisons «politiques», il tint cependant à se situer différemment sur le
plan juridique, comme il l’écrit lui-même:
«La démagogie irritée contre tout ce qui était religieux, dominait les Pouvoirs publics.
Ce fut l’occasion d’affirmer notre qualité d’industriel. Nous avions, dès le début, pris le nom
d’atelier et non d’école. En tout ce qui regarde la législation, nous voulons être traités simple-
ment en industriels. Nous sommes dans le droit commun, il est notre bien, sans plus ni moins.
Or, il arriva alors deux choses qu’il est bon de noter :
Vers 1888, une pétition fut signée par un certain nombre de petits industriels qui répan-
daient le bruit que nous allions avoir tant de clientèle qu’ils en auraient peu. Cette pétition de-
mandait à M. le Préfet de nous interdire notre travail. La réponse de M. le Préfet fut que je
m’étais mis dans le droit commun et que rien dans les lois ne lui permettait d’empêcher l’abbé
Boisard d’être cordonnier, menuisier, etc ...
Notre situation’était solide à ce point de vue. Vers la même époque, me trouvant, après
un dîner officiel des anciens élèves de l’Ecole Centrale, en compagnie de M. le Secrétaire gé-
néral de la Préfecture, je reçus ses félicitations. Il louait notre initiative, heureuse au point de
vue social et national. Il poussa la bienveillance jusqu’à me demander si nous payions des im-
pôts. Sur ma réponse affirmative, il me proposa de nous en faire exonérer; après l’avoir re-
mercié, je le priais de n’en rien faire. «Pourquoi?» me dit-il. Voici ma réponse: «je refuse parce
que je veux avoir toutes les charges des citoyens français pour en avoir tous les droits. Or, vous
êtes mieux placé que moi, M. le Secrétaire général, pour savoir que les faveurs d’un gouverne-