ETRENNE - ANNÉE 2003
Très chers frères et sœurs de la Famille salésienne,
Avec mes souhaits les plus sincères, je vous transmets l`engagement que je vous propose pour la nouvelle année 2003, dans la confiance que, comme toujours jusqu`à présent, elle pourra nous aider à cheminer ensemble et à être prophétie de communion dans l`Eglise. Que la richesse de notre charisme puisse se manifester et resplendir dans le « beau témoignage » de la communion ! Voici l’étrenne de 2003 :
FAISONS DE CHAQUE FAMILLE ET DE CHAQUE COMMUNAUTÉ
« LA MAISON ET L’ÉCOLE DE LA COMMUNION » (NMI, 43)
EN PROMOUVANT UNE « SPIRITUALITÉ DE LA COMMUNION »
DANS LA CONSTRUCTION D`UNE CULTURE DE LA SOLIDARITÉ ET DE LA PAIX.
J`ajoute, selon la tradition, un commentaire de l`étrenne qui peut être utile pour comprendre les retombées charismatiques, spirituelles, éducatives et pastorales qui en dérivent.
1. INTRODUCTION
1.1. Origine et signification de l’« étrenne » dans la tradition salésienne
Dès les premiers temps de son œuvre, autour de 1849, Don Bosco « avait commencé à donner vers la fin de l`année une étrenne à tous ses jeunes en général et une autre à chacun en particulier. La première consistait en normes à suivre pour la bonne marche de l`année qui commençait... La seconde était une maxime ou un conseil adapté aux besoins et à la conduite de chacun » (MB III, p. 617).
Ainsi s`exprimait le P. Lemoyne dans les Memorie Biografiche, pour indiquer quelle était déjà la signification de l’étrenne dans l`esprit de Don Bosco : le cadeau d`une proposition devant servir de stimulant dans la marche de formation et dans la croissance spirituelle de ses jeunes, devenir aussi une orientation pour toute la communauté, l`éclairer dans son renforcement et se traduire en norme pratique de vie pour la bonne marche de la maison. En général aussi l’étrenne se spécifiait selon les catégories particulières auxquelles elle s`adressait : clercs, étudiants, artisans, tous en général (MB VI, p. 115), prêtres en 1858, la Société salésienne en décembre 1868 (MB IX, p. 457), la maison de Mirabello.
En 1860, Don Bosco demanda en don à ses jeunes de lui donner « pour étrenne une communion chacun, faite selon son intention » (MB VI, p. 803).
De son côté en 1859, Don Bosco s’était déjà donné lui-même « comme étrenne » à ses jeunes : « Le peu de science, d`expérience que j`ai acquis, tout ce que je suis et que je possède, prières, fatigues, santé, ma vie même, je désire l’employer tout entier à votre service. De mon côté, pour étrenne je me donne tout entier à vous ; ce n’est pas grand-chose, mais quand je vous donne tout, ça veut dire que je ne réserve rien pour moi » (MB VI, p. 362). Et tout cela se faisait dans un joyeux climat d’échange familier, de don, d`offrande, ainsi que de proposition.
Parfois c`était une invitation à promouvoir la dévotion à la Vierge Marie (MB IX, p. 457) ou l`encouragement à la communion fréquente pour toute la vie (MB XVIII, p. 503). En 1862 il disait même : C’est « la Vierge Marie elle-même qui donne à chacun l’étrenne. Que chacun de vous considère cet avis comme s’il venait de la bouche même de la Vierge Marie » (MB VII, p. 2-3).
Pour Don Bosco donc, l’étrenne assumait une importance particulière. Il ne laissait pas passer l`année sans en offrir une. C`était un événement particulier que les maisons elles-mêmes attendaient et recevaient avec affection. Les Memorie Biografiche sont très attentives et précises pour en transcrire le plus grand nombre possible (de 1858 à 1872 et de 1875 à 1887), surtout des étrennes individuelles : aux jeunes de Mirabello on en compte 180 (MB IX, p. 457).
Peu à peu cet usage devint une tradition précieuse et heureuse qui s`étendit systématiquement à toute la Famille salésienne ; l’étrenne commença à être publiée dans les circulaires des divers Recteurs majeurs. Pour les Filles de Marie Auxiliatrice, ce fut Mère Daghero qui continua la tradition après la mort de Mère Mazzarello, jusqu’en 1894. À partir de cette date, Mère Daghero reçut l’étrenne que lui remettait don Rua, pour qu`elle fût transmise à tout l’Institut : il s`agissait d`une simple phrase qui devenait la proposition de formation pour toute l`année. Aujourd`hui, l’étrenne a assumé la signification d`un rendez-vous annuel que tous les groupes de la Famille salésienne attendent avec intérêt. D`autant plus que, ces dernières années, elle s’est caractérisée par le fait d’assumer, surtout avec le P. Viganò et le P. Vecchi, une large portée ecclésiale s’inspirant des indications du magistère pontifical.
1.2. Objectifs de l’étrenne de 2003
L’étrenne de 2003 se situe dans ce sillage, en continuité avec la dernière que nous a remise le P. Vecchi, et s’inspire de la lettre apostolique Novo millennio ineunte, qui est la « Grande Charte » du programme pastoral de l`Eglise pour le troisième millénaire. Dans cette perspective, elle veut traduire les grandes lignes que nous offre le Pape dans des projets plus concrets, plus effectifs et d`efficacité plus immédiate. Elle essaie de surmonter le risque, de plus en plus présent aujourd`hui, de produire des documents qui deviennent de simples « slogans », méthodologiquement aseptiques, sans incidence concrète pour l’action et loin du concret de la vie quotidienne.
En même temps, elle veut se mettre en syntonie avec le thème du 25e Chapitre général des SDB (« La communauté salésienne aujourd’hui ») et avec celui du 21e Chapitre général des FMA (« Dans l’Alliance rénovée, l’engagement pour une citoyenneté active ») pour répondre au défi très aigu et senti aujourd`hui, qui est la recherche de l`intégration de l`humanité, appelée à devenir la grande famille humaine dans l`esprit unitaire de la civilisation de l`Amour.
Aujourd’hui, le panorama politique et économique nous présente en effet une société globalisée, mais aussi travaillée par bien des conflits, à rayon plus ou moins vaste, mais toujours chargés de destruction et de violence, d`inégalités et d`injustices. Le modèle social et économique dominant, que nous pouvons décrire selon la catégorie de la globalisation/marginalisation, est fortement marqué par l`individualisme et la compétitivité, qui rendent les hommes menaçants et menacés les uns par les autres.
Nous assistons à des styles de vie caractérisés par l`exclusion plus que par l`inclusion, par l’insécurité méfiante plus que par la cohésion harmonieuse, par l’aggravation des situations de pauvreté selon une logique qui marginalise. De larges couches de population ne se sentent plus garanties dans leurs droits fondamentaux, comme celui de la vie, de la subsistance, du travail, du respect, de l’égalité, de la citoyenneté et de la participation démocratique. En même temps, les modèles de vie promus par la publicité créent une forme d`« impérialisme médiatique », orienté davantage à grossir jusqu’à l’exaspération l’importance des biens de consommation, plutôt qu`à garantir les conditions d`équité et de justice ; et cela devient souvent une offense à ceux qui manquent encore du simple nécessaire.
Tout cela produit des effets destructeurs sur les familles et sur les communautés. Leur cohésion est menacée par l`accentuation des éléments de différenciation et d`exclusion plus que des traits de communion et d`accueil.
Dans les familles on a des difficultés à rester ensemble, pour une foule de raisons, mais surtout pour une intolérance marquée qui semble dériver de l`importance excessive donnée aux éléments de diversité et de contraste : diversité d’âges, d’intérêts, de valeurs, de styles de vie, de mentalités, de conceptions de la famille même, d`attitudes en face de la vie, du travail, des personnes, de la foi. Cette intolérance explose souvent sous des formes gratuites d`agressivité et de violence.
Dans les communautés, se fait toujours plus envahissante l`influence d`une culture où le succès personnel prime sur toutes les autres valeurs, au point de compromettre tout projet communautaire, quand on n’en arrive pas ensuite à négliger la personne des confrères plus faibles et plus fragiles.
Il y a certainement des familles qui continuent à parier sur la vie et s’ouvrent généreusement à la naissance des enfants, avec un véritable dévouement des parents à l`éducation et à la maturation de leurs enfants, dans un milieu caractérisé par des rapports interpersonnels, mais aussi avec un engagement social et pastoral. Il suffit de penser aussi aux familles qui font l`option d`aller en mission dans divers pays du monde, et qui sont présentes aussi dans nos communautés salésiennes.
De même, il y a des communautés où règne l`esprit de famille, au point de créer des foyers qui stimulent la croissance de chaque confrère ou consœur ; elles ont des projets communautaires et pastoraux qui renforcent les raisons de vivre ensemble, sont solidaires des plus pauvres, ont pris place dans le territoire social et ont des présences qui rendent visible la proximité de Dieu.
Comme Famille salésienne, conscients du contexte socioculturel où s’exerce notre mission, nous nous sentons appelés à collaborer au projet de Dieu, en promouvant et en développement ces réseaux de solidarité, de fraternité et d`unité avec tous ceux qui, institutions et personnes, travaillent à humaniser plus profondément la société. Et dans les situations de frontière, indiquées par les « signes des temps », nous saurons demander à Dieu la force d`assumer des positions et des attitudes également prophétiques en face des éléments « diaboliques » et destructeurs, pour faire que les familles et les communautés deviennent des « lieux symboles » de communion et de fraternité.
2. LA COMMUNION : BUT DU PROJET DE DIEU
Le projet original de Dieu par rapport à l`humanité est déjà présent dans les premières pages de la Genèse. Dans son début (Gen 1, 1-2, 4a), la Bible nous présente la création comme l`organisation ordonnée du chaos informe ; immédiatement l`auteur sacré se préoccupe de souligner que Dieu met tous les éléments de la création au service de l`homme qui, à son tour, est déjà orienté vers Dieu. La création est bonne, dans la mesure où elle est au service de l`homme et de tout l’homme. L`homme à son tour, créé mâle et femelle, est chargé de compléter le long de l`histoire la création, par son travail de construction de l`union dans l`amour. Créé à l`image de Dieu – qui est Amour, est Famille, est Communauté, est Trinité –, il est appelé à être semblable à Lui, en aimant, en créant une famille et en bâtissant une communauté.
2.1. Communion et division : grâce et péché
Le désordre, qui signifie retour au chaos, a commencé quand l`homme a décidé, par un acte précis de rébellion et d`autonomie, de ne plus respecter sa dépendance de créature de Dieu, et a voulu agir selon ses propres critères subjectifs de bien et de mal.
À partir de ce moment sont entrés dans le monde le mal et la mort, rendus palpables et concrets dans le meurtre d`Abel. Avec elle est aussi entrée dans le monde toute forme de division entre les hommes, qui a culminé manifestement dans le projet manqué de la construction de la tour de Babel.
D`un côté, nous assistons au péché d`orgueil et d`autosuffisance (?ß???) de l`homme, qui avec présomption veut s`élever jusqu`au ciel, jusqu`à supplanter Dieu ; de l`autre, nous nous trouvons malheureusement devant l`exaspération de la confusion entre les hommes eux-mêmes, qui culmine dans la conséquence immédiate de leur désagrégation et dispersion radicales.
À cette obstination de l`homme Dieu répond en promettant un sauveur, en confiant l`homme à la femme, en faisant une alliance avec Noé et surtout en appelant par une vocation spéciale Abraham, en la descendance de qui seront à nouveau bénies toutes les nations de la terre. Telle est la réflexion sapientielle de l`auteur sacré (Gen 2-3.11.12).
Les fruits de la reconstruction de la communion et de la réconciliation peuvent déjà se voir comme des « signes » anticipateurs dans le récit de Joseph qui accueille ses frères et leur pardonne, ou dans l`histoire de Moïse qui intercède pour son peuple, ou dans l`épisode Ruth qui est accueillie et épousée par Booz bien qu`elle soit étrangère, ou dans les récits des prophètes qui, par leur vie et leurs paroles, manifestent l`amour de Dieu qui dirige l`histoire.
La vocation à la communion est donc la réponse amoureuse que Dieu répète en face de la désobéissance obstinée de l`homme. Il est fidèle à son projet de salut malgré le refus radical de l`homme, qui semble plutôt engagé à chercher sa réalisation personnelle en suivant son itinéraire personnel. Mais la conséquence tragique de tout cela semble se profiler dans les tristes effets d`un monde déchiré par la haine ethnique, les folies homicides, les désintégrations familiales. D`un autre côté, les effets peuvent se polariser et radicaliser dans le collectivisme et le conformisme social qui effacent la personne, ou dans un individualisme de type privé et égocentrique qui annule la société et se désintéresse du bien commun.
En conclusion, alors que Dieu est Amour et Communion trinitaire, le péché est rupture de la communion, est division, est déchirure intérieure et extérieure.
2.2. Dans la fidélité à la Parole de Dieu
Tous ces « signes » visent le « Signe » par excellence, Jésus Christ, « notre paix : des deux, Israël et les païens, il a fait un seul peuple ; […] il a fait tomber ce qui les séparait, le mur de la haine » (cf. Ep 2, 14). Il est l’expression suprême de l`Amour de Dieu et le créateur d’une nouvelle communauté d`amour, germe de la nouvelle humanité qui naît du pardon et de la réconciliation.
La dynamique de la communion, en effet, est le signe visible d`un phénomène qui aujourd`hui en particulier se répand dans le monde et dans l’Eglise, qui sont toujours plus attentifs et sensibles aux dynamismes de la socialisation et de la solidarité et à tous les mouvements qui tendent à créer la cohésion et l’unité. Il suffit de penser à la vigueur renouvelée que prennent des catégories théologiques comme l’« ecclésiologie de communion » et la « spiritualité de communion », qui traversent toute l`instruction « Repartir du Christ » .
L’expression « maison et école de communion » qui se trouve dans la lettre apostolique « Novo millennio ineunte » (n° 43), est appliquée par Jean Paul II à l’Eglise, pour définir sa fonction dans le monde et la contribution efficace qu’elle est appelée à donner en vertu de sa vocation. L’Eglise est l`image de la Trinité et se modèle à partir de l`accueil du don de la communion trinitaire. De cette façon, elle devient la maison qui accueille les diversités des peuples et des cultures, et l’école où s`apprend l’art difficile de surmonter les conflits et les antagonismes.
Aujourd`hui la Famille salésienne veut assumer et adopter la même tâche que l`Eglise, pour qu’elle devienne cette année le motif de son engagement de formation : « être une maison et une école de la communion ». Dans la « Charte de communion » et la « Charte de la mission », elle a déjà précisé les voies de la communion entre les divers groupes qui la constituent ; il s`agit de reprendre ce patrimoine spirituel commun pour approfondir notre « expérience charismatique de l`ensemble ». Nous entendons le faire en syntonie avec la Parole même de Dieu, qui se rend visible à travers quelques passages du Nouveau Testament qui mettent davantage en lumière l’esprit de la communion dans la charité.
Dans les Actes des Apôtres, saint Luc a souligné comment les chrétiens de la première communauté « étaient fidèles à écouter l’enseignement des Apôtres et à vivre en communion fraternelle, à rompre le pain et à participer aux prières » (Ac 2, 42), pour souligner quatre points spécifiques qui constituent cette communion : l`écoute de la Parole de Dieu, la charité fraternelle, l`Eucharistie et la prière en commun.
Saint-Paul à son tour, dans son exhortation au Romains à développer sans cesse leur vie chrétienne, a indiqué quelques dimensions fondamentales à renforcer : l`unité en un seul corps mais dans la diversité des membres, en même temps que l`humilité qui vainc toute sorte de présomption et de prévarication. La variété des charismes de chacun doit se vivre dans l`unité de l`esprit, dans la simplicité de la collaboration, dans l`estime réciproque, dans l`amour sans fiction. Dans Mt 18, 20, ensuite, ces dispositions sont renforcées par l`exhortation à la prière commune et au pardon réciproque.
Nous sommes familiarisés, ou nous devrions l’être, avec l`orientation à la communion en raison de notre foi au Dieu Trinité – Père, Fils et Saint Esprit – ; en vertu de notre expérience existentielle d’Eglise, qui est communauté avec les frères et avec le Père de notre Seigneur Jésus-Christ ; en raison du commandement de l`amour, qui est le trait le plus caractéristique pour identifier les disciples de Jésus : « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13, 35). C`est pourquoi les croyants, et parmi eux en particulier les personnes consacrées, devraient être les principaux artisans et ouvriers de la communion, avant tout au sein de la communauté ecclésiale, mais également dans la société civile elle-même.
2.3. Communion entre les personnes : grâce et engagement
La communion est grâce et engagement. Elle est don et tâche.
En tant que grâce, il est clair que la communion n`est pas un fruit immédiat de la nature humaine, qui semble plutôt être sujette à l`égocentrisme et à l`égoïsme. En tant que don, l’homme doit l’accueillir avec reconnaissance et une disponibilité à convertir ses attitudes personnelles qui offensent, minent et détruisent la communion.
En tant qu`engagement, la communion est le fruit de l`action constructive et éducative de tout homme et de toute femme. Car nous nous sommes tous appelés à collaborer à tout ce qui favorise le respect et la formation de la personne dans la plénitude de sa dignité, et soutient l`unité de la famille humaine, dans un effort de construction et d’humanisation plus parfaite du monde.
Tout cela sera possible si nous assumons une philosophie et une anthropologie dont le postulat de base est le principe de l`humanisme intégral proposé par Jacques Maritain et qui savent respecter et accueillir dans leur cadre de valeurs toutes les dimensions de l`homme et de la femme, y compris la dimension religieuse. Alors il sera possible de proposer une vraie écologie humaine.
Le projet est fascinant. « Il s’agit d’une tâche qui demande des personnes spirituelles intérieurement forgées par le Dieu de la communion pleine d’amour et de miséricorde, et des communautés mûres où la spiritualité de communion est la règle de vie » .
Les groupes laïques de notre Famille se sentent-ils associés à la dynamique de ces processus ? Et nous, les consacrés, avons-nous pris conscience de ce que notre vocation, vécue et expérimentée dans la foi, nous met dans la condition la meilleure pour devenir les principaux agents de communion ?
Sur chaque continent, la société civile aussi est particulièrement sensible à ce mouvement vers l`unité. Il suffit d`observer les divers groupes de pays qui cherchent à « créer une maison commune », comme les pays d`Europe qui, pas à pas, s`orientent vers la formation d`une confédération d’Etats, à laquelle aspirent d’autres pays qui ont déjà manifesté leur volonté de faire, eux aussi, partie de l`Union européenne et travaillent à créer les conditions d`entrée pour être bientôt reconnus. Nous assistons à un processus de recherche de l`unité, de la communion et de la convergence des peuples, vers une intégration qui se manifeste aussi en beaucoup d`autres parties du monde. C`est un signe des temps qui nous interpelle à une participation responsable, tant comme groupes que comme individus.
Cela se vérifie non seulement au niveau macro-social et institutionnel, mais aussi de façon moins officielle bien que très visible aujourd`hui, dans des faits qui se passent sous les yeux de tous, comme les continuelles transmigrations en masse de populations affamées et de réfugiés, en quête d`un bien-être qui vient progressivement à manquer dans leurs pays.
Avec cette dimension sociale qui s`impose, parfois de façon tragique, à certains moments de l`histoire, la communion que nous sommes appelés à bâtir parmi les hommes doit inclure non seulement la totalité de la personne humaine dans la profondeur de son être et dans la radicalité de ses des attitudes, mais aussi des formes concrètes extérieures clairement visibles dans la vie publique sous ses différents aspects économiques, sociaux, culturels et politiques.
3. BÂTIR UNE CULTURE DE LA SOLIDARITÉ ET DE LA PAIX
Aujourd`hui se termine l`année 2002. Nous devons remercier Dieu de tous les dons qu’il nous a accordés en ces 365 jours passés, et de la surabondance de grâces qu`il a versée sur l`humanité depuis le moment de la création.
Les premières paroles du Prologue de l`Evangile de Jean « Au commencement » évoquent clairement le début du livre de la Genèse et font référence tant au fait de la création qu`au dessein éternel de Dieu d’appeler et de conduire l`homme à la plénitude de la vie.
Demain nous nous commencerons, avec Sa grâce, une année nouvelle sous le signe de la communion : communion entre l`homme et Dieu, entre l`homme et l`homme, entre l`homme et la nature, et pacification de l’homme avec lui-même. Nous avons pour tâche et responsabilité d`incarner en nous l`amour de Dieu, qui cherche ainsi à rassembler toute l`humanité et à faire d’elle une unique famille.
3.1 Une année pleine d’événements – semences du Verbe
Le panorama avec lequel nous finissons cette année et commençons l`année nouvelle a les couleurs ténues du clair-obscur, traversées parfois de rayons de lumière et parfois de taches d`ombre.
D`un côté, nous jouissons de tous les aspects lumineux qui caractérisent aujourd`hui notre humanité : le développement et les fruits de la science, de la technologie, de l`économie, avec le développement qu’a mûri la conscience humaine sur la dignité de la personne. Mais d’autre part, nous sommes frappés par l’ombre des grands maux qui affligent l`humanité entière : tant ceux qui dérivent des catastrophes naturelles (tremblements de terre, inondations, sécheresse), que ceux qui résultent de l’égoïsme et de la puissance de l’homme (guerres, terrorisme, pauvreté, ségrégation sexuelle et raciale, fondamentalismes, idéologies). Plus graves encore ceux-ci, puisque l`homme aurait à sa disposition les moyens pour les combattre.
Et dire que la paix et la concorde, le bien-être et le développement seraient possibles pour tous et à la portée de chacun, si nous étions seulement animés de plus de solidarité !
L`histoire du XXe siècle a été celle d`un progrès technologique sans pareil : la technologie a augmenté le processus d`industrialisation, a réduit les distances par l’énorme développement des moyens de transport et à présent, avec la rapidité de la communication virtuelle et a rendu possible une connaissance en temps réel et un pouvoir sans égal, non seulement pour les organisations internationales, mais aussi pour le simple consommateur. En ce siècle, l`homme a réussi à diviser l`atome, à déchiffrer le code génétique et a mis en réseau le monde entier.
En ces premières années du XXIe siècle, les transformations technologiques prennent une forte accélération et nous obligent sans cesse à suivre les événements, à mettre à jour nos informations sur la finance, le commerce, la politique, la culture et la science, les loisirs, le sport et le divertissement, avec la création de nouveaux services à la personne, jusqu`ici impensables, en améliorant les temps et la qualité des diagnostics, du traitement des maladies et de la vieillesse, en renforçant les attentes et les espérances pour l`existence de millions d`hommes et de femmes.
D`un autre côté, le développement de la technologie se fait toujours plus menaçant, le fossé entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui n`ont rien s`élargit toujours davantage, à moins que, de la part des gouvernements, ne se mettent en route de mesures qui favorisent la souplesse et l’innovation dans l`organisation du travail et dans l`économie, pour donner à la globalisation un visage plus humain.
La tragique attaque terroriste du 11 septembre 2001 précisément contre le cœur économique et militaire des États-Unis, et les récentes démonstrations des « anti-global », ont bien fait voir qu`existe le risque non éloigné d’une réaction violente, dure et généralisée de ces populations qui se sentent exclues des bénéfices de la technologie et de la globalisation.
Que faire donc pour dominer les changements si vertigineux et si profond qui modifient profondément le visage du monde, en transformant l`homme lui-même dans la dynamique de ses relations ? Comment déchiffrer les « signes des temps » et les « semences du Verbe » dans un panorama aussi contrasté ?
3.2 « Dieu-avec-nous » et « Dieu-comme nous » à la base de notre engagement solidaire
Ce n`est qu`en Dieu, révélé en Jésus Christ, que trouve réponse la situation énigmatique et contradictoire de l`homme, par rapport aux dimensions fondamentales de sa réalité existentielle, qui est constituée par le rapport profond avec lui-même, avec les autres, avec la vie, et avec Dieu créateur, père et rédempteur. La solution du dilemme historique d’affirmer Dieu en sacrifiant l`homme ou d’affirmer l`homme en sacrifiant Dieu, se trouve en celui qui est « vrai Dieu est vrai homme » : Jésus Christ Notre Seigneur. « En réalité, le mystère de l`homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe Incarné » (GS 22), si bien que nous pouvons dire encore avec la constitution pastorale Gaudium et spes que le fondement le plus radical de l’immanence s`appuie sur l`acceptation existentielle de la transcendance.
Voilà un Dieu qui n`est pas indifférent à notre monde, u Dieu qui n’est pas totalement Autre que nous, un Dieu qui a voulu être « Dieu-avec-nous », étant « Dieu-comme-nous ». Le Dieu qui a fait l`homme « à son image et selon sa vraisemblance » (Gen 1, 27), a fini par se faire Lui-même image et ressemblance de l`homme (Jn 1, 14).
Si Jésus de Nazareth est la route de Dieu vers l`homme, si un homme concret est le visage de Dieu, cela veut dire que l`homme concret est la route de l`homme vers Dieu. Nous ne pouvons pas chercher le Dieu de Jésus Christ loin de là où il est apparu et a vécu ; ce n`est pas le ciel qui est le lieu de sa présence, mais la terre, là où les hommes vivent ou essaient de vivre. Le Dieu fait homme habite parmi nous. Chaque être humain, en particulier le plus nécessiteux, le moins fortuné, le plus maltraité ou oublié, reflète mieux Son visage et Lui ressemble davantage
Telle est précisément la mission salésienne : rendre visible l`Amour de Dieu aux jeunes pauvres, abandonnés et en danger.
Ni la science, ni la technologie, ni l`économie en elles-mêmes ne pourront jamais réaliser l’idéal humain ni la paix pour l`homme. La source de la vie et de la joie, de la communion et de la fraternité ne trouve sa consistance radicale qu’en Dieu.
Penser qu`il suffirait de combattre le terrorisme pour faire naître la paix et la garantir, est de la pure idéologie. Mais ce sont les causes de tout ce qui crée violence, pauvreté, injustice et sous-développement qui sont à combattre et à éliminer.
Dans son discours à l`Ambassadeur de Grande-Bretagne près le Saint-Siège, Jean Paul II a réaffirmé avec clarté que « l`édification d’une telle culture de solidarité est sans doute la plus grande tâche morale à laquelle doit faire face l`humanité d’aujourd`hui ». Dans cette perspective, le Saint-Père veut relancer de façon particulière le défi spirituel et culturel maintes fois adressé aux pays industrialisés de l`Occident, « où les principes et les valeurs de la religion chrétienne ont longtemps été tissés dans la trame même de la société, mais sont à présent remis en question par des modèles culturels différents, enracinés dans un individualisme exacerbé qui conduit trop souvent à l`indifférence, à l`hédonisme, au consumérisme et au matérialisme pratique qui peut éroder et même détruire les fondements de la vie sociale » . Et plus loin, le Pape a des paroles très fortes sur la valeur de la famille en ce moment historique, quand il souligne que « la société humaine tout entière est profondément enracinée dans la famille, et tout affaiblissement de cette institution indispensable ne peut qu’être une source potentielle de graves difficultés et problèmes pour la société tout entière » .
3.3. Appelés à vivre dans la communion trinitaire la vie même de Dieu
À ceux qui affirment qu’il n`est pas important que Dieu soit un et trine, un en trois personnes, il faut rappeler avec une ferme clarté que c`est précisément de l`image de Dieu formée en nous que dépend non seulement le respect de l`originalité de la Révélation chrétienne (nous croyons en effet en Dieu Trinité), mais aussi la qualité de l’image de l’homme, de la société, de la religion, de l’Eglise, et même de notre mission dans le monde.
Dans la lumière du Dieu de Jésus Christ, qui est le Dieu-Amour, il n`y a place pour aucune conception monothéiste ou polythéiste, qui prétende fonder sur Lui le désir de pouvoirs ou de toute autre forme d`égoïsme. Les événements du 11 septembre, perpétrés au nom d`un dieu vengeur, montrent de toute évidence que circulent aujourd`hui des conceptions et des images de dieu qui sont très loin du Dieu-Amour révélé en Jésus. C`est ce qu`on peut dire de ceux qui cherchent à organiser le monde sur la base de la prévarication du pouvoir et de la domination, sur l`oppression et la pauvreté de l`homme, c`est-à-dire qui ont une idée erronée et une représentation faussée de ce Dieu, qui nous a créés à Son image et ressemblance et nous a appelés ensuite à vivre avec Lui, dans la communion avec le Père, le Fils et l’Esprit Saint
Mais nous, enveloppés et éclairés par le mystère de Dieu, « lumière qui éblouit sans aveugler », nous sommes persuadés que le mot Amour est l`image la meilleure pour dire le Dieu Trinité. « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8.16), nous suggère saint Jean pour exprimer l’identité profonde de Dieu. Il en résulte que proclamer que « Dieu est Trinité » et que « Dieu est Amour » signifie utiliser deux expressions différentes pour exprimer la même réalité riche et consolante.
Mais l’amour, tout comme Dieu, s’il veut être vu et cru, a besoin de se manifester : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le connaître » (Jn 1, 18). « Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour atteint en nous sa perfection » (1 Jn 4, 12).
C’est dans la croix de Notre Seigneur Jésus Christ que s’est manifesté de façon particulièrement concrète et visible l’amour infini de la Trinité pour nous, comme nous pouvons l’observer dans beaucoup de représentations de la tradition picturale, par exemple dans le célèbre tableau de Masaccio qui se trouve dans l`église de sainte Marie Nouvelle à Florence. Nous y admirons le Père qui, de ses bras soutient et en même temps remet en cadeau de son Fils crucifié, tandis que l`Esprit Saint, sous la forme d`une blanche colombe, unit dans un lien d`amour le visage du Père et celui du Christ.
C`est aussi ce qu’a voulu représenter la célèbre icône de la Trinité d’Andrej Rublëv (1422) où l`Amour, qui émane des Personnes divines et les enveloppe comme d`une lumière très pure, se répand sur toute la terre, symbolisée par la table unique. De la communion de leurs regards on voit jaillir l`amour éternel qui sauvera et sanctifiera le monde.
« Voilà qu`ils sont trois : l`Amant, l’Aimé et l’Amour », dit Saint-Augustin. À nous est donnée la grâce non seulement de connaître et de contempler cet Amour, mais de l`accueillir au moyen du Baptême et de l`Eucharistie. C`est pourquoi la foi en la Trinité ne peut absolument pas se réduire à la pure adhésion à une froide vérité. Elle demande que nous puissions la traduire chaque jour dans un style de vie fondé et façonné par ce même Amour.
Croire au Dieu Un et Trine, c’est donc être et devenir toujours davantage des hommes de communion, créateurs d`harmonie dans les communautés, en aimant, en luttant contre toute division et inégalité et contre tous les mécanismes de l`égoïsme, engagés à renforcer notre vocation à la communion, en favorisant le développement d`une culture de communion et de solidarité.
3.4. Pratique éducative attentive aux droits de l’homme
Le processus de construction d`une culture de communion se fonde non seulement sur des valeurs de foi pour le croyant, mais aussi sur la valeur absolue de la dignité de la personne humaine, de chacun, homme ou femme, confrère ou consœur, étranger ou compatriote, comme l’affirme l`article 1er de la Déclaration universelle des droits de l`homme (1948) : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Or le fait d’être ontologiquement libres et égaux est déjà une raison suffisante avant tout pour le respect réciproque, et aussi pour l’acceptation réciproque et pour l`accueil de l`autre, jusqu`au pas suivant qui s`exprime dans le partage des responsabilités communes pour le bien commun, dans le but d’arriver à la communion d’idéaux et de sentiments.
Mais parce que la convivialité humaine est sujette à des situations de conflit, qui sont liées au fait même de la présence de plusieurs groupes et communautés de diverse dérivation culturelle, ethnique et religieuse, s`impose le dialogue interculturel qui assume des caractères problématiques et très dramatiques. Bien que les racines des problèmes soient ailleurs (pauvreté endémique, mouvements migratoires, globalisation non gouvernée, dynamique sauvage de la mondialisation, mauvais gouvernement des pays de provenance), reste cependant toujours d’importance fondamentale la nécessité du respect réciproque et de l`obtention solidaire du bien commun, considéré comme la fin principale et unificatrice de tout type de convivialité civile.
Le dialogue interculturel, que nous sommes appelés à réaliser comme éducateurs sous les diverses latitudes du monde, devra se réaliser dans le partage d`un modèle, mieux, d`un projet d`ordre mondial basé sur la loi universelle des droits de l`homme. Le dialogue se fait en éclaircissant ensemble les choses à faire au cœur de la cité de l`homme, dont nous nous sentons à plein titre des citoyens, et de la convivialité pacifique et du développement de laquelle nous sommes responsables.
Dans ce processus de citoyenneté active, nous nous basons sur la reconnaissance juridique des droits de l`homme, si bien que toute personne est dotée du même patrimoine de droits fondamentaux (civils, politiques, économiques, sociaux, culturels) en quelque partie du monde qu’il se trouve. C`est sur cette base de partage des valeurs humaines fondamentales que s’enracine toute possibilité de dialogue et de communion entre les hommes, pour passer de la phase d’antagonisme entre les nombreuses cultures à la phase dialogique de l`inter-culturalité. L’éducation aux droits de l`homme, à la démocratie, au respect réciproque et à la paix est le premier pas pour la construction de la communion même au sein des communautés civiles dans lesquelles nous avons notre place.
Mais cette œuvre d`intériorisation et de partage des valeurs humaines et universelles a besoin de se nourrir à des convictions et à des forces spirituelles, qui trouvent leur humus le plus adapté dans la religion. Dans ce contexte, nous découvrons encore davantage l`importance et la fécondité de notre appartenance à une Famille charismatique qui reconnaît déjà ces principes et qui, dans son travail, cherche à les répandre comme plate-forme de base pour tout discours éducatif, humain et chrétien.
4. LA FAMILLE ET LA COMMUNAUTÉ : MAISON ET ÉCOLE DE COMMUNION
Nous savons bien que personne de nous n’est en mesure de résoudre ces problèmes macro-sociaux, mais nous n’en sommes pas moins convaincus que nous pouvons contribuer tous à réaliser l`idéal de la communion dans la mesure où nous arrivons à offrir des modèles différents, fondés non sur les privilèges, les différences ni l`égoïsme, mais sur la fraternité, l`égalité et l`amour.
Dans notre condition de Famille salésienne et d`attention à l`éducation, nous pouvons intervenir efficacement au moins à un double niveau, qui est dans le domaine de nos possibilités et compétences immédiates, celui de la famille et celui de la communauté religieuse.
4.1. La famille : maison et école de communion
La famille, appelée par Paul VI « Eglise domestique » et par Jean Paul II dans l’exhortation apostolique Familiaris Consortio « le berceau de l’Eglise », est par elle-même la première cellule de la société, précisément par la pratique de la communion qui s’apprend et se vit en elle, à travers la communication vitale et l’expérience des valeurs humaines, à commencer par celles de la relation. « L`amour entre l`homme et la femme dans le mariage, continue le Souverain Pontife, et en conséquence, de façon plus large, l`amour entre les membres de la même famille – entre parents et enfants, entre frères et sœurs, entre les proches et toute la parenté – sont animés et soutenus par un dynamisme intérieur incessant, qui entraîne la famille vers une communion toujours plus profonde et plus intense, fondement et principe de la communauté conjugale et familiale » , une communion indissoluble , signe et expression de la communion ecclésiale et trinitaire. C’est la communion des personnes qui fait de la famille une « école d`humanité plus complète et plus riche » .
La famille est le lieu naturel de la croissance et du développement de la personne humaine, dans l’échange éducatif entre parents et enfants, où chacun donne et reçoit.
Elle est la maison où se réalise l`expérience vitale spécifique, qui est fondamentale pour la structuration de l`individu humain comme personne, c`est-à-dire comme individu-en-relation.
Elle est notre « tente », où nous croissons et campons en ce monde.
C`est en elle que nous passons « de la nature à la culture », car c`est dans la famille que l`enfant apprend à canaliser ses instincts, ses sentiments et ses passions vers des formes culturelles convenables.
La famille est l’espace privilégié pour former notre identité de personnes, pour amorcer et développer l`unité existentielle, qui est une partie constitutive de tout être humain mûr. La multiplicité des diverses dimensions (affective, intellectuelle, sexuelle, morale, sociale, religieuse) où se structure la personne constitue pour chaque individu un appel à rechercher la synthèse et l’unité, qui garantiront sa saine maturité personnelle, soutenue et facilitée par l’accompagnement des parents et des autres éducateurs, appelés par mission à la tâche précieuse de former et d’éduquer les nouvelles générations.
C`est dans la famille que l’adulte aussi trouve le lien-ressource qui lui permet d`orienter et de guider les traits impulsifs de son caractère personnel vers des formes plus acceptables de vie civile.
De façon plus particulière, en vertu de son identité chrétienne, la famille trouve aussi un surplus, un supplément de vie, parce que la foi ouvre les horizons sur la dimension spirituelle et religieuse, qui lui permettent de parler spécifiquement de Dieu et d`amour comme aspiration et but de l`existence humaine. La présence de Dieu dans la famille chrétienne devient un élément central de son unité et de son amour, le point d’appui de l’union et de l`harmonie, même dans les moments douloureux de l`existence.
Mais la famille est une des institutions sur laquelle ont influé de façon plus massive les processus de transformation de notre temps, en l’affaiblissant dans sa structure et même dans sa relation d`amour, jusqu`à sa destruction, à travers les séparations, les divorces ou d`autres formes de convivialité et d’unions de couple, facilités aussi par les lois et les nouveaux styles de vie qui se diffusent partout, surtout au niveau des familles jeunes.
Tout cela ne peut avoir que de tristes conséquences sur la famille, et compromettre non seulement la maturation des personnes qui la composent, mais aussi la contribution qu`elle peut donner à la société. Un style de vie caractérisé surtout par l`individualisme et la défense de la réalisation personnelle est très souvent renforcé non seulement par une série de facteurs économiques, sociaux, culturels et politiques, mais aussi par les moyens de communication sociale, portés à exagérer les modèles transgressifs plus que ceux qui construisent une vie familiale vécue dans la normalité avec sacrifices et ténacité. Il est plus facile de faire la publicité d’un scandale que d`endiguer des modèles délétères ; de montrer des messages de violence et de sexe plus que d’en contrecarrer les tristes effets dans l`augmentation des divorces, de l`infidélité conjugale, de l`amour libre, des unions de fait, des relations pré-matrimoniales.
Le résultat qui se présente à nos yeux n`est en rien encourageant, même au point de vue des prévisions ou du bien-être, où nous constatons la difficulté d’établir des politiques familiales adéquates, avec les mesures de soutien qui s`imposent. Et même où cela existe, comme dans les pays du nord de l`Europe, s’affirment de plus en plus des modèles de convivialité et ont peu à voir avec l`engagement d`éducation et de formation des nouvelles générations. Les processus d`autonomie des options et de consentement aux formes plus fragiles d’union affaiblissent la famille dans ses dimensions, dans sa structure fondamentale et dans sa perspective de stabilité et de durée.
Cela montre bien l`urgence d`une action solidaire pour contrecarrer ces facteurs d`affaiblissement progressif, en renforçant la sensibilité des institutions, des éducateurs, des familles et des jeunes vers un engagement éducatif rénové, qui soit plus efficace. Dans l`exhortation apostolique Familiaris Consortio aussi, le Saint-Père observe que seul un grand esprit de sacrifice permet de sauvegarder et de perfectionner la communion familiale. Elle exige en effet une ouverture généreuse et prompte de tous et de chacun à la compréhension, à la tolérance, au pardon, à la réconciliation .
Vivre au milieu des jeunes et de leurs familles constitue pour nous une condition privilégiée, non seulement pour comprendre leur muette, déchirante et implicite demande d’aide, mais aussi pour travailler avec des perspectives pédagogiques en direction d`un soutien valable à notre vie de communion.
4.2. La communauté religieuse : maison et école de communion
Dans la vie de la communauté religieuse, la communion a toujours été un élément caractéristique significatif, au point d’affirmer que son organisation interne a donné lieu à d`authentiques centres d`humanité et de culture. Les religieux ainsi que les religieuses se réunissaient pour s’aider dans leur marche vers la perfection spirituelle et pour réaliser une mission commune, en vivant en fraternité.
Les divers modèles évangéliques de vie communautaire en sont un exemple éloquent : la famille de Nazareth, la communauté apostolique autour de Jésus, la communauté de Jérusalem etc.
Cependant l`expérience de notre temps nous fait toucher du doigt la multiplicité et la variété des problèmes qui la traversent et se traduisent dans une crise de la vie religieuse : une crise qui touche le vécu de sa vie communautaire. On n’a peut-être jamais parlé autant de communion qu’aujourd`hui, et jamais peut-être comme aujourd`hui nous s’infiltrer subrepticement de multiples formes d’individualisme qui blessent les communautés religieuses, rendent malaisée et presque entravée la consécration personnelle à Dieu et à l`homme et tendent aussi à affaiblir l`enthousiasme et la ferveur de son charisme initial.
Pour nous salésiens, il est évident que Don Bosco s`est inspiré de l’icône de la communauté apostolique, plus que de l`esprit de la vie cachée de la famille de Nazareth. Pour lui, la mission en faveur des jeunes était la raison fondamentale pour vivre et travailler ensemble et un moyen pour créer la communauté. Mais en même temps, en génial éducateur qu’il était, dès le début Don Bosco a compris que ces enfants avaient besoin de l`amour et de la chaleur qui se trouvent plus facilement dans le milieu familial. « L’éducation est une affaire de cœur », répétait-il à ses collaborateurs. Ainsi, éducation ne sera efficace et féconde que si l’on est capable de créer et de développer dans nos maison l`esprit de famille.
Dans cette atmosphère se comprend encore mieux la vigueur et l`urgence des principes enseignés par Don Bosco lui-même et qui doivent être pour nous les idées-forces de notre mission :
– Il ne suffit pas d’aimer les jeunes, mais il est tout aussi nécessaire de le faire de façon qu`ils se sentent vraiment aimés ;
– Même chez les jeunes les plus difficiles il y a des étincelles de bien, et, lorsqu’il les découvre, l’éducateur peut en tirer de nombreuses ressources ;
– Il est nécessaire d`aimer ce qu’aiment les jeunes, pour qu’ils aiment les valeurs que propose l`éducateur.
Bref, il s`agit d`aimer d`un amour « affectueux », précisément parce que l`affection, la bonté, l’affabilité sont des attitudes qui rendent crédible, transparente et lisible la charge d`amour avec laquelle l`éducateur interagit avec les jeunes, comme l`observait avec justesse Jean Paul II dans la lettre « Iuvenum Patris », envoyée au P. Egidio Viganò à l’occasion des célébrations pour le centenaire de la mort de Don Bosco, quand il a affirmé que pour l`Eglise, « le fait de s`intéresser à l`éducation est un signe d’obéissance à la mission que lui a confiée son divin Fondateur » .
En particulier, éduquer dans l’esprit salésien de la bonté affectueuse (amorevolezza), c’est développer « une attitude quotidienne qui n`est pas simple amour humain ni charité surnaturelle. [… Elle est] l`engagement de l`éducateur comme personne totalement consacrée au bien des jeunes, présent parmi eux, prêt à affronter sacrifices et fatigues dans l`accomplissement de sa mission. Tout cela demande une réelle disponibilité pour les jeunes, sympathie profonde et capacité de dialogue » .
Don Bosco a approfondi longuement son expérience éducative. Elle a été renforcée par le songe des neuf ans, si programmatique et décisif pour sa vocation d`éducateur ; mais auparavant encore, elle avait été amorcée par son rapport continuel et affectueux avec maman Marguerite, ainsi que par toute l`expérience familiale de son enfance. Avec les années, l`intensification de son expérience pastorale et ses profondes intuitions pédagogiques l’amenèrent à faire du Système préventif sa méthode et sa spiritualité.
Tout cela s`est traduit concrètement dans l`expérience de la première communauté du Valdocco, qui devint le point de référence et d’évaluation, quand, vers la fin de sa vie, les choses étaient tellement chargées que Don Bosco se sentit obligé d’écrire la précieuse Lettre de Rome de 1884, qui restera dans la tradition salésienne comme le critère d’évaluation de toute présence éducative authentique de ses fils et de ses filles dans les divers milieux de leur apostolat.
Notre communauté reste donc le milieu privilégié et le modèle de communion.
5. POUR UNE PÉDAGOGIE DE LA COMMUNION
Comme toutes les valeurs, la communion et la solidarité ne sont pas des faits instinctifs et naturels. Naturelles sont plutôt la recherche de soi, l’égocentrisme, l`individualisme, auxquels nous sommes facilement portés, à cause de notre faiblesse. L`esprit de communion, lui, requiert l`apprentissage, avec des règles précises, des temps longs et des étapes bien définies ; il demande une stratégie éducative, qui a ses rythmes et ses espaces.
C`est précisément parce que ces valeurs de la famille et de la communauté ne sont pas suffisamment stabilisées dans la structure de la personnalité des individus, qu`est nécessaire – surtout dans les phases initiales de la formation des enfants, des adolescents et des jeunes – une approche plus intentionnelle, plus précise et proposant davantage, fruit d`un itinéraire pédagogique et d`un projet éducatif, étudié de façon opportune et en détail dans ses objectifs, étapes intermédiaires, moyens de travailler et expériences qualifiantes : un itinéraire de formation qui constitue ce que nous pourrons appeler la pédagogie de la communion.
Si des cubes de la mosaïque sont tombés, il sera nécessaire de les remettre à leur juste place. Si un puzzle a ses pièces éparpillées et en désordre, il faudra le recomposer, pour organiser un tout unitaire. Si les éléments constitutifs de la famille et de la communauté sont dispersés, il sera indispensable de les récupérer par un esprit de communion et une recherche de l`unité. C`est le but de la pastorale des familles. Mais c`est aussi la finalité des responsabilités assumées pour une communauté éducatrice et pastorale (CEP).
5.1. Dans une perspective trinitaire et ecclésiale
Dans une intervention précieuse et éclairante, le P. Castellano écrit : « La référence à la communion fait clairement appel à l`archétype Trinitaire divin, à la réalité de la vie qui circule dans le Corps mystique, au sentiment de fraternité et de famille de Dieu, à l`exigence que la communion des personnes dans l`Eglise reproduise l’icône idéale de la Pentecôte qui est en même temps l`opposé du collectivisme sans visage et de l`individualisme narcissique. L`Eglise, et toute communauté dans l`Eglise, n’est pas la somme d’individualismes fermés. Elle n`est pas l`anonymat des collectivismes sans visage. Elle est l’Eglise de la Pentecôte, où chaque personne – rejointe par la flamme unique de l`Esprit qui se pose sur chacun, en révélant son nom et son visage – indique que la grâce de la communion est précisément le mouvement libre de convergence des personnes et la libre volonté d’assumer des tâches et des missions. À l`image de la Trinité, communion ineffable de Personnes » .
La grâce de la communion, qui se traduit dans l`engagement de bâtir une fraternité sereine, active et proposant des choses, nous aide à incarner le projet de Dieu dans l`histoire humaine de nos communautés et de nos familles pour construire une Eglise, icône de la Trinité, qui attire tout le monde à elle, par la beauté divine exprimée par le mystère de la communion.
Une condition primordiale et radicale en devient alors une authentique « spiritualité de la communion » , que Jean Paul II définit comme « un regard du cœur porté sur le mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères qui sont à nos côtés. […] La capacité d`être attentif, dans l`unité profonde du Corps mystique, à son frère dans la foi, le considérant donc comme “l`un des nôtres” » .
Il en découle quelques conséquences très pratiques, comme partager les joies et les souffrances de nos frères ; deviner leurs désirs et prendre soin de leurs besoins ; leur offrir une amitié véritable et profonde ; voir ce que Dieu a semé de positif et de beau dans leur vie, pour le valoriser et l`accueillir comme un don de Dieu à nous qui sommes auprès de lui ; savoir donner une place à son frère, en portant ensemble les fardeaux les uns des autres .
5.2. Dans une vie unifiée et unificatrice
Le travail de réunification implique de qualifier les éléments de la vie qui ont un caractère « sacramentel » pour bâtir la communion : la Parole de Dieu, qui est avant tout le livre de la communauté, de la même façon qu’elle est la communauté du livre ; la célébration de l`Eucharistie ; les moments de la formation ; le dialogue communautaire ; les moments de la révision de vie.
L’éducation à la communion se développe par un engagement rénové et persévérant de communion avec les autres, et par une ouverture également difficile de notre identité, qui tend à se renfermer dans son monde propre. Il faut surmonter la peur de la relation avec les autres, qui peut parfois mettre en danger notre intimité et notre bienheureuse solitude.
C`est pourquoi, « afin que la communion acquière un caractère concret et une épaisseur humaine, il faut une ascèse communautaire quotidienne, qui exige ces trois mouvements essentiels :
– identification, c`est-à-dire se sentir « appartenir à », constituer un « nous » fortement communautaire, qui ne cède pas aux divisions faciles, qui ne se cache pas derrière le « vous » mesquin qui divise en bons et en mauvais, qui sait patiemment faire communion même dans les échecs communautaires apparents ;
– solidarité, comme partage des idéaux et des programmes, promptitude et disponibilité au moment de les exécuter, en évitant de s’esquiver ou de fuir quand la barque fait eau : c`est une vertu humaine, avec une force évangélique extraordinaire;
– participation, c`est-à-dire qu’on vit la communion quand on l’incarne dans les différents aspects de la vie ordinaire : une participation qui soit généreuse par la disponibilité totale, et responsable parce que chacun veille à ce qui lui a été confié et entend concourir au jeu de l’équipe avec les autres » .
La communion engage toutes les forces spirituelles, toutes les vertus évangéliques et humaines, et requiert la persévérance dans le bien, en tension vers la sainteté communautaire et familiale et vers la réalisation de la volonté de Dieu. « La communion naît en vérité du partage des biens de l`Esprit, d`un partage de la foi et dans la foi où le lien unissant les frères est d`autant plus fort qu`est plus central et plus vital ce que le l’on met en commun » .
Il serait pernicieux de ne créer que des idéaux, sans éduquer au don constant, à la responsabilité de bâtir la communion jour après jour, dans une dynamique de la charité qui ne demande rien moins que le don de la vie, selon les paroles de Jésus : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13).
Il est donc indispensable de créer un milieu, une atmosphère favorable et en même temps qui propose, qui à la maison fasse sentir mais aussi propose une généreuse participation, une réciprocité dans la communion, un investissement de forces, de temps, de dons personnels, de qualités qui font croître les personnes, en dépassant l’attente et la prétention, cachées mais délétères, de penser que tout doive être donné par les autres. Le véritable amour porte le sceau de la croix.
Dans sa lettre « Experts, témoins et artisans de communion », véritable chef-d`œuvre auquel je voudrais de nouveau vous renvoyer, le P. Vecchi a présenté quelques étapes concrètes qui se réfèrent à la communauté religieuse, mais peuvent aussi s`adresser à la famille. Je les résume brièvement :
– La capacité de relations interpersonnelles profondes, non seulement en fonction du travail, mais de nature à s’approfondir en amitié et vers la croissance dans le Seigneur et la solidarité dans la mission ;
– La capacité de dépasser les carences de quelques-uns, comme la difficulté de communiquer, la timidité, la tristesse et le malaise, par une disposition faite de proximité, d`union, de joie ;
– L’effort de cultiver les qualités humaines requises pour le succès de tout groupe social, comme : l`estime de soi, la gentillesse, la sincérité, le contrôle de soi, le sens de l`humour, l`esprit de partage ;
– La communication, qui ne se réduit échanger des nouvelles du journal ou des données de travail, mais qui se manifeste dans le partage d`expériences et d’idées qui concernent notre vie dans le Christ, la façon de comprendre le charisme ; qui se favorise par la révision de vie, l`évaluation de la communauté, l`échange réciproque dans la prière, le discernement sur des situations, des projets et des événements, toujours prêts à modifier des jugements et des prises de position, même dans le simple but de la convergence fraternelle et pratique ;
– Enfin la capacité de travailler ensemble, en passant du moi au nous, de mon travail ou secteur à notre mission, de la poursuite de mes objectifs et moyens à la convergence sur l`évangélisation et le bien des jeunes. C’est à cela que servent les Conseils et les assemblées communautaires, la journée de la communauté, les rencontres.
5.3. En communauté et en famille : lieux du concret
La communauté et la famille constituent le lieu de l`évaluation, de la croissance des personnes, des engagements concrets, de la pratique réaliste des vertus, dont la solidité s’éprouve dans le quotidien de la communion.
S`il est vrai que plus on vit en communion et plus concret est le rythme de la vie, plus grandes sont les exigences et donc les difficultés de la vie communautaire et familiale, il est tout aussi vrai que le seul moyen de ne pas manquer à l`idéal proposé par le Seigneur Jésus est un esprit de miséricorde large et mutuelle et une fameuse capacité de pardon et de réconciliation.
Il faut apprendre à accueillir les personnes, à les écouter, à les encourager, à leur pardonner, et pas seulement à évaluer les programmes, à adapter les projets, à renforcer les ressources. L`amour chrétien est un art qui s`apprend à l`école de Jésus.
Cela implique la volonté de :
– Aimer tout le monde, sans procéder sur la base de sympathies ou d`antipathies, ou d`appartenances ethniques diverses.
– Aimer les premiers, faire toujours le premier pas, aller en premier lieu à la rencontre des plus éloignés, sans attendre d`être recherchés ou respectés d`abord, ni de se faire rechercher.
– Aimer comme soi-même, selon la « règle d`or de l`Évangile », qui nous invite à traiter les autres comme nous voulons être traités nous-mêmes (cf. Lc 6, 31).
– Aimer de façon solidaire, en portant les fardeaux les uns des autres, en souffrant avec ceux qui souffrent et en se réjouissant avec ceux qui sont dans la joie (cf. Ga 6, 2 ; 1 Co, 12, 26).
– Aimer aussi l’ennemi, celui qui ne pense pas comme nous et peut-être aussi veut notre mal.
– Aimer bien, en apprenant à se renier soi-même pour arriver à l`unité.
Dans le concret de la vie de communauté et de famille se bâtit la communion, qui devient prophétie. Et là où il y a rupture, conflit et ressentiment, plus forte doit être la prophétie de la communion, qui arrive aussi à la communion de familles et à la communion de communautés religieuses internationales.
6. CONCLUSION : SE CONCENTRER EN DIEU
Dans sa réflexion sur la vie communautaire, Dorothée de Gaza, un classique de la doctrine monastique du VIe siècle, se sert de façon très efficace et imagée de deux symboles : le corps et le cercle.
Le premier est plus compréhensible à cause de ses résonances pauliniennes. Le deuxième est plus original, presque plus universel, suggestif et moderne à la fois, pour unir en même temps l`amour de Dieu et l`amour du prochain.
Il s`agit d`une métaphore tirée des Pères et remontant peut-être aux Apôtres. À travers cette image, Dorothée veut faire voir que nous marchons tous ensemble vers Dieu comme les rayons du cercle convergent vers leur centre. Avec cette caractéristique que plus ils se rapprochent du centre, plus ils se rapprochent aussi entre eux, et que plus ils se rapprochent entre eux, plus ils convergent vers le centre.
C`est une métaphore très limpide : diverses sont les voies qui mènent à Dieu, comme diverses et uniques sont les personnes et les vocations et diverses sont les voies qui convergent vers le centre. Au-delà de la froide figure géométrique, le cercle représente un style de vie, le style des saints qui marchent avec décision vers leur centre, Dieu. Ils proviennent de points de la circonférence, même distants entre eux, et peut-être parfois opposés, attirés mystérieusement par la force d`attraction du centre. Le regard et le visage convergent dans un mouvement centripète, qui unit les uns aux autres. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de Dieu, centre idéal, il se rapprochent aussi entre eux de façon beaucoup plus profonde. C`est le merveilleux pèlerinage vers la communion en Dieu.
Mais est implicite aussi l`autre face de la métaphore : celle de la séparation et du mouvement centrifuge vers l`éloignement ou le refus réciproques. Plus les personnes s`éloignent de Dieu, plus elles s`éloignent aussi les unes des autres ; et plus elles s`éloignent les unes des autres, plus elles s`éloignent de Dieu.
C`est un dynamisme qui décrit bien la logique interne de la communion/désagrégation. En marchant vers le centre, les visages convergent, se rencontrent, se centrent les uns vers les autres et se communiquent. En reculant et en s`éloignant, en refusant la communion avec Dieu, on perd aussi la communion entre les personnes, on creuse la distance réciproque, chacun reste enfermé dans son propre égoïsme, bloqué dans sa propre solitude, éclairé ni par l`amour qui vient de Dieu ni par le reflet de lumière qui vient de l`amour du prochain.
Plus nous sommes loin d’une référence à Dieu, plus nous devenons distants aussi de notre prochain (cf. 1 Jn 4, 19-21). Mais il est tout aussi vrai que plus nous rapprochons de notre prochain, plus nous rapprochons de Dieu, qui sera présent dans l`homme au point de s`identifier au plus petit d`entre eux, comme nous l’affirme Jésus lui-même : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frère, c`est à moi que vous l`avez fait » (Mt 25, 40).
Les deux symboles proposés semblent adaptés pour inspirer aujourd`hui la marche de la spiritualité des communautés religieuses, surtout par rapport à l’approfondissement du processus de réalisation de la communion en leur sein. Mais ces symboles peuvent se référer aussi à la vie de communion des familles.
Et pour donner corps à sa métaphore, Dorothée rapporte un mot de l’abbé Zosime qui se demande : « Qui, s’il a une blessure à la main ou au pied ou à un autre membre, éprouve de la répugnance pour lui-même ou s’ampute de ses propres membres, même si la blessure tourne à la putréfaction ? Que ne fait-il pas ? Il le nettoie, le lave, y met des emplâtres, le bande, l’oint avec de l’huile sainte, prie, invoque les saints pour qu`ils prient pour lui ! En somme, il n’abandonne ni ne rejette pas son propre membre, ni sa puanteur, mais il fait tout pour le soigner et le guérir ! »
Ne trouvons-nous peut-être pas dans ces paroles un écho de la doctrine de Saint-Paul sur la charité ? « Ainsi, poursuit Dorothée, nous devons aussi avoir compassion les uns des autres, prendre soin de nous-mêmes ou directement ou à travers les autres plus capables, et penser et faire tout pour nous aider nous-mêmes et nous aider les uns les autres. Nous sommes, en effet, membres les uns des autres, comme dit l’Apôtre (Rm 12,5). Si donc nous sommes tous un seul corps, et singulièrement aussi membres les uns des autres, quand un membre souffre, tous les autres membres souffrent pareillement avec lui (1 Cor 12, 26) ».
Ces réflexions, qui interprètent bien les textes de saint Paul, proposent de façon imagée une doctrine chère aux premiers chrétiens, et peuvent très bien s’appliquer aussi à la vie de la communauté religieuse et à la vie de la famille. Elles expriment chacune à leur façon le mystère de l`Eglise, Corps du Christ, qui se fonde sur la charité réciproque et vit d’elle chaque jour : une charité qui devient compassion mutuelle, aide réciproque, même quand elle est mise à l`épreuve dans les moments difficiles de la convivialité, comme lorsqu`un de ses membres manifeste une maladie physique ou une faiblesse morale.
Quand ce corps souffrant, qu’est toute communauté et famille, vit pleinement la charité, alors il ne réagit pas avec des tons de colère ni des condamnations, mais fait prévaloir le sens de la solidarité miséricordieuse qui considère les autres, même les pêcheurs, comme ses membres les plus délicats, et ne refuse pas de partager leur souffrance et leur maladie. La vie de communauté et la vie de famille, en effet, ne se fondent pas sur l`utopie d`une communion parfaite, mais sur le réalisme d`une situation de pauvreté et parfois même de scandale.
Durant cette année, proclamée par Jean Paul II « année du Rosaire », nous voulons confier à Marie nos familles et nos communautés religieuses, pour qu`Elle les protège dans l’unité. Puisse la prière du Rosaire, récité ensemble en familles et en communauté, faire croître leur vie et leur témoignage de communion.
Pascual Chávez V.
Rome – 31 décembre 2002