Avril 2022
C’est une fête de Pâques spéciale que nous nous apprêtons à vivre. En effet, nous avons accueilli avec une immense joie, comme un grand don, la nouvelle que le Souverain Pontife a autorisé la Congrégation pour les Causes des Saints à promulguer le Décret concernant le miracle attribué à l’intercession du bienheureux Artémide Zatti, Profès Laïc de la Société Salésienne de Saint Jean Bosco, né le 12 octobre 1880 à Boretto (Italie) et décédé le 15 mars 1951 à Viedma (Argentine). Cet acte du Saint-Père ouvre la voie à la canonisation du bienheureux Artémide Zatti.
Nous sommes profondément reconnaissants à Dieu et au Saint-Père François. Dans la Famille Salésienne, dans l’Église d’Argentine, en particulier dans le Diocèse de Viedma, et en Italie à Boretto, son pays natal, ainsi que dans le Diocèse de Reggio Emilia, règne aujourd’hui une atmosphère de grand enthousiasme.
1. Témoignage d’espérance
Cette nouvelle, à la lumière de la Pâque du Seigneur, est un message et un germe d’espérance pour les temps dramatiques que nous sommes en train de vivre, marqués par la pandémie et surtout par tant de guerres, en particulier celle en Ukraine, avec leur cortège de morts, de souffrances et de destructions. Artémide Zatti nous encourage à vivre l’espérance comme une vertu et comme une attitude de vie en Dieu. Le chemin vers la sainteté exige très souvent un changement de valeurs et de vision des choses. Voilà quel a été le chemin vécu par Artémide qui, dans les épreuves de la vie, a découvert dans la Croix la grande opportunité de renaître à une vie nouvelle :
Lorsque, jeune garçon plongé dans les durs et fatigants travaux de la campagne, il apprend très tôt à faire face aux efforts et aux responsabilités qui l’accompagneront toujours dans ses années de maturité.
Lorsqu’avec sa famille, il quitte son petit pays, Boretto, en Italie, à la recherche d’un plus grand bien-être. L’émigration vers l’Argentine, quand Artémide a 15 ans, est une conséquence nécessaire de la pauvreté familiale.
Quand, jeune aspirant à la vie salésienne, il est frappé par la tuberculose, contaminé par un jeune prêtre qu’il aidait précisément parce que celui-ci était très malade. Le jeune Zatti expérimente dans sa propre chair le drame de la maladie, non seulement comme fragilité et souffrance du corps, mais aussi comme quelque chose qui touche le cœur, qui engendre des peurs et suscite de nombreuses questions, principalement la question du sens de tout ce qui arrive et de l’avenir qui se présente à lui, voyant que ce dont il rêvait et qu’il désirait échoue soudainement. Dans la foi, il se tourne alors vers Dieu et cherche un nouveau sens et une nouvelle orientation pour son existence, sans trouver de réponse, ni immédiate ni facile. Grâce à la présence sage et encourageante du Père Cavalli et du Père Garrone, et lisant dans un esprit de discernement et d’obéissance les circonstances de la vie, il mûrit une vocation salésienne de frère coadjuteur, consacrant toute sa vie aux soins matériels et spirituels des malades et à l’assistance aux pauvres et aux nécessiteux. Il décide de rester avec Don Bosco, vivant pleinement la vocation originale du « coadjuteur ».
Quand il doit faire face à des épreuves, des sacrifices et des dettes pour mener à bien la mission en faveur des pauvres et des malades en gérant l’hôpital et la pharmacie, toujours confiant dans l’aide de la Providence.
Quand il voit démolir l’hôpital auquel il avait consacré tant d’énergies et de ressources, pour en construire un nouveau.
Quand, en 1950, il tombe d’une échelle et qu’apparaissent les symptômes d’une tumeur, qu’il diagnostique lui-même lucidement, et qui va le conduire à la mort, le 15 mars 1951 : cependant, il continue jusqu’au bout à remplir la mission à laquelle il s’était consacré, acceptant les souffrances de cette dernière ligne droite de sa vie terrestre.
2. Ami des pauvres
Artémide Zatti a consacré sa vie à Dieu au service des malades et des pauvres. Responsable de l’hôpital San José de Viedma, il élargit le cercle de ses patients en rejoignant, avec son inséparable vélo, tous les malades de la ville, en particulier les plus pauvres. Il gère beaucoup d’argent, mais il vit très pauvrement : pour son voyage en Italie, à l’occasion de la canonisation de Don Bosco, il a fallu lui prêter complet-veston, chapeau et valise. Il était aimé et estimé des malades, aimé et estimé des médecins qui plaçaient en lui la plus grande confiance et s’inclinaient devant l’ascendant qui découlait de sa sainteté : « Quand je suis avec Zatti, je ne peux m’empêcher de croire en Dieu », s’exclame un jour un médecin qui s’était proclamé athée. Le secret de tant d’ascendant ? Le voici : pour lui, chaque malade, c’était Jésus en personne. Littéralement ! Ses supérieurs lui avaient recommandé, un jour, de ne pas accepter plus de 30 malades. Et on l’entend murmurer : « Et si le trente-et-unième était Jésus lui-même ? » De son côté, il n’y a aucun doute : il traite chacun avec la même tendresse qu’il l’aurait fait pour Jésus lui-même, mettant à disposition sa propre chambre en cas d’urgence, ou même y plaçant un cadavre en cas de besoin. Il demande souvent à la Sœur lingère : « Ma Sœur, avez-vous un vêtement pour un Jésus de 12 ans ? » Il poursuit inlassablement sa mission parmi les malades avec sérénité, jusqu’à la fin de sa vie, sans jamais prendre de repos.
Par son attitude juste, il nous redonne une vision salésienne du « savoir rester » dans notre terre de mission pour éclairer ceux qui risquent de perdre espoir, pour fortifier la foi de ceux qui se sentent défaillants, pour être un signe de l’amour de Dieu quand Celui-ci « semble » avoir été absent de la vie quotidienne.
Le témoignage d’Artémide d’être un bon Samaritain, d’être miséricordieux comme le Père, était une mission et un style qui impliquaient toutes les personnes qui se consacraient d’une manière ou d’une autre à l’hôpital : médecins, infirmiers et infirmières, aides-soignants, religieuses, bénévoles qui donnaient un temps précieux à ceux qui souffraient. À l’école de Zatti, leur service auprès des malades, accompli avec amour et compétence, devient une mission. Zatti savait et inculquait la conscience que les mains de tous ceux qui étaient avec lui touchaient la chair souffrante du Christ et pouvaient être signe des mains miséricordieuses du Père. Tout cela l’a amené à reconnaître la singularité de chaque malade, avec sa dignité et ses fragilités, sachant que le malade est toujours plus important que sa maladie ; et c’est pourquoi il écoutait avec soin les patients, leur histoire, leurs angoisses, leurs peurs. Il savait que même quand il n’est pas possible de guérir, il est toujours possible de soigner, il est toujours possible de consoler, il est toujours possible de faire ressentir aux gens une proximité qui montre de l’intérêt pour la personne avant même sa maladie. Il s’arrête, écoute, établit une relation directe et personnelle avec le malade, ressent de l’empathie et de l’émotion pour lui ou pour elle, s’implique dans sa souffrance au point de la prendre en charge dans le service. Artémide a vécu la proximité comme une expression de l’amour de Jésus-Christ, le Bon Samaritain qui, avec compassion, s’est rendu proche de tout être humain blessé par le péché. Il se sentait appelé à être miséricordieux comme le Père et à aimer, en particulier, ses frères et sœurs malades, faibles et souffrants. Et il a vécu cette proximité aussi bien personnellement que communautairement : en effet, il a généré une communauté capable de prendre soin, qui n’abandonne personne, qui inclut et accueille surtout les plus fragiles.
Zatti a établi un pacte entre lui et ceux qui ont besoin de soins, un pacte basé sur la confiance et le respect mutuels, sur la sincérité, sur la disponibilité, afin de surmonter toute barrière défensive, de mettre la dignité des malades au centre. Pour Zatti, cette relation avec le malade avait sa source inépuisable de motivation et de force dans la charité du Christ.
3. Salésien Coadjuteur
La figure sympathique d’Artémide Zatti est une invitation à proposer aux jeunes la fascination de la vie consacrée, la radicalité de suivre le Christ obéissant, pauvre et chaste, la primauté de Dieu et de l’Esprit, la vie fraternelle en communauté, se dépensant totalement pour la mission. La vocation de Salésien Coadjuteur fait partie de la physionomie que Don Bosco a voulu donner à la Congrégation Salésienne. Certes, c’est une vocation qui n’est pas facile à discerner et à accepter ; elle s’épanouit plus facilement là où les vocations laïques apostoliques sont promues parmi les jeunes à qui on offre un témoignage joyeux et enthousiaste de consécration religieuse comme celle d’Artémide Zatti.
Celui qui a fait l’expérience de l’intercession effective d’Artémide Zatti, précisément en ce qui concerne la vocation du laïc consacré, est le Pape François lui-même, lorsqu’il était Provincial des Jésuites en Argentine.
Dans une lettre écrite au P. Cayetano Bruno, sdb, et datée de Buenos Aires, le 18 mai 1986, il écrit entre autres : « En 1976, je crois que c’était aux environs de septembre, lors d’une visite canonique aux missionnaires jésuites du nord de l’Argentine, je m’arrêtai quelques jours à l’archevêché de Salta. Là, entre deux conversations de fin de repas, Mgr Pérez me raconta la vie de M. Zatti. Il me donna aussi à lire sa biographie. Son profil quasi parfait de coadjuteur retint mon attention. À ce moment, je sentis que je devais demander à Dieu, par son intercession, de nous envoyer des vocations de coadjuteurs. Je fis des neuvaines et je demandai aux novices d’en faire aussi. [...] En juillet 1977 est entré le premier jeune coadjuteur (il a aujourd’hui 32 ans). Le 29 octobre de cette année est entré le deuxième (actuellement 33 ans) ». La lettre continue en présentant année par année la liste de seize autres coadjuteurs, entrés entre 1978 et 1986. Puis elle poursuit : « Depuis le moment où nous avons commencé à prier M. Zatti, sont entrés dix-huit jeunes coadjuteurs qui persévèrent et cinq autres qui ont quitté au cours du noviciat ou du juvénat. En tout donc, vingt-trois vocations. Les novices, les étudiants et les jeunes coadjuteurs ont fait plusieurs fois la neuvaine en l’honneur de M. Zatti, pour demander des vocations de coadjuteurs. Moi-même je l’ai faite. Je suis convaincu de son intercession dans notre problème, vu que ce nombre de nouveaux coadjuteurs est un cas exceptionnel dans la Compagnie. En reconnaissance, dans les 2e et 3e éditions de la Dévotion au Sacré-Cœur, nous avons ajouté la neuvaine pour demander la canonisation de M. Zatti. […] Voilà dans ses grandes lignes l’histoire de ma relation avec M. Zatti concernant le problème des vocations de confrères coadjuteurs dans la Compagnie de Jésus. Je répète que je suis convaincu de son intercession, parce que je sais combien nous avons prié en le prenant comme avocat. »
Voilà donc un stimulant splendide et autorisé, pour nous aussi, pour invoquer l’intercession d’Artémide Zatti en vue de l’augmentation de bonnes et saintes vocations de Salésiens Coadjuteurs.
4. Artémide Zatti saint !
En cette année dédiée à saint François de Sales, défenseur et promoteur de la vocation à la sainteté pour tous, le témoignage d’Artémide Zatti nous rappelle, comme l’affirme le Concile Vatican II, que tous les fidèles, quels que soient leur état ou leur forme de vie, sont appelés par le Seigneur, chacun à sa manière, à une sainteté dont la perfection est celle du Père céleste (cf. LG 40-41). François de Sales, Don Bosco et Artémide font de la vie quotidienne une expression de l’amour de Dieu, un amour reçu et réciproque : nos saints voulaient rapprocher la relation avec Dieu de la vie, et la vie de la relation avec Dieu. C’est la proposition de la sainteté « de la porte d’à côté » ou de « la classe moyenne de la sainteté » dont le Pape François nous parle avec tant d’affection.
Disposons-nous à accepter la grâce et le message que l’Église nous communique à travers le témoignage de sainteté salésienne de ce confrère Coadjuteur. La figure d’Artémide Zatti constitue un stimulant et une inspiration pour faire de nous des signes et des porteurs de l’amour de Dieu pour les jeunes et les pauvres.
C’est la principale forme prophétique du christianisme : surprendre par le choix radical de l’amour, contester sans crainte toute ambiguïté, travailler de manière décisive contre le mal qui humilie les gens. Il s’agit de revoir le message transmis avec notre vie personnelle et communautaire comme un évangile qui se déroule au fil du temps, et un prolongement de la vie et de l’action de Jésus. En un mot, notre « sainteté » !
Comme je l’ai écrit dans l’Étrenne de cette année : « En tant que Famille Salésienne, nous devons aussi déployer le "charisme de la visitation" comme un désir du cœur d’annoncer, sans attendre que l’on vienne à nous, en allant dans des espaces et des lieux habités par tant de personnes à qui une parole aimable, une rencontre, un regard plein de respect peuvent ouvrir des horizons pour une vie meilleure. »
Artémide Zatti a été un homme de la Visitation, portant Jésus dans son cœur, le reconnaissant et le servant dans ses frères malades et pauvres avec joie et générosité. Puisse-t-il intercéder pour nous tous !
P. Ángel Fernández Artime, SDB
Recteur Majeur