La mission de la vie consacrée ne consiste pas d’abord à faire quelque chose, mais elle réside dans la forme que prend
l’existence, dans sa façon de vivre au sein de l’Eglise et du monde, et dans la place que Dieu y occupe. En d’autres
termes, on n’embrasse pas la vie consacrée simplement pour faire des choses excellentes au point de vue promotionnel
ou religieux, puisqu’il est possible aujourd’hui de les réaliser aussi d’autres façons, mais on s’y engage parce qu’on a
perçu et qu’on veut manifester la présence de Dieu dans l’histoire et dans la vie, sur les terrains offerts par sa vocation
personnelle et selon les modalités qu’elle implique.
L’exhortation apostolique sur la Vie consacrée explicite çà et là les motifs de cette affirmation. Puisqu’elles assument la
« forme de vie du Christ », les personnes consacrées deviennent, pour la communauté chrétienne et pour ceux qui, dans
le monde, s’interrogent quelque peu, une référence à la venue de Jésus. La dimension religieuse, qu’elles expriment et
résument, rappelle le besoin du retour à Dieu, le retour au moins à la pensée de Dieu.
En ce sens, les personnes consacrées sont déjà une annonce, un message et un service. Elles ont quelque chose à dire à
l’homme par le rappel de cette dimension que l’Ecriture appelle le « cœur » : l’intériorité, la conscience, la spiritualité.
Dans des milieux où l’on tend à ne s’occuper que des conditions matérielles de la vie, même avec la bonne intention de
les transformer, la vie consacrée entretient la nécessité de considérer une autre dimension sans laquelle tout progrès
extérieur, si nécessaire et impérieux qu’il soit, peut devenir largement insuffisant.
L’existence personnelle et collective se gère sur une constellation de valeurs que nous assumons tous : le respect
d’autrui, le travail, la santé, l’honnêteté, la responsabilité sociale. Par le mot constellation nous indiquons qu’il y a entre
elles une organisation et une hiérarchie qui permet de les voir comme un système. Chacun en met l’une ou l’autre au
centre selon sa préférence et essaie d’organiser l’ensemble avec cohérence.
Les religieux donnent une place centrale à la valeur religieuse et à la confession du Christ, et c’est à partir de là qu’ils se
tournent vers les autres valeurs en estimant que c’est la première, qui justifie et modèle tout ce qu’ils font. C’est ainsi
qu’ils assument l’éducation, soignent les malades, s’adonnent à la recherche. Chaque branche de l’agir humain leur est
ouverte, à condition que leur inspiration et leur motivation soient de quelqu’un qui a fait de Dieu son option principale.
Il serait anormal qu’une autre dimension l’emporte et que l’esprit religieux reste en marge.
Les personnes consacrées ont pour mission de stimuler et d’appuyer ceux qui se dépensent, même indépendamment de
la foi, en faveur d’autrui. Je pense aux jeunes même non pratiquants qui nous approchent pour participer à nos activités
parce qu’ils sont attirés par le genre de vie qu’ils découvrent en nous. Pour ceux qui vivent déjà la foi, le témoignage
des personnes consacrées qualifie le dévouement à nos frères et à nos sœurs et rappelle que dans l’œuvre du salut tout
vient de l’agapè divine, reçue, vécue et donnée.
Nous soulignons en dernier lieu la perspective de l’éternité ; c’est un service de vision et d’espérance par rapport à ce
qui est au-delà de la vie terrestre. Il s’agit de vivre l’aspiration de l’Eglise vers la plénitude de la vie, le désir de la patrie
qui occupe le cœur du chrétien, l’attente de la venue du Seigneur et de la rencontre avec lui qui est le contenu essentiel
de la foi ; il s’agit ainsi d’ouvrir pour tous des fenêtres vers la transcendance.
« On peut dire alors que la personne consacrée est “en mission”, en vertu de sa consécration même, dont elle témoigne
en fonction du projet de son Institut » . C’en est l’aspect principal. La conclusion semble être que, s’il ne manifeste pas
le choix radical de suivre le Christ, le travail pastoral, éducatif ou promotionnel est incapable de représenter la mission
propre du religieux. Par contre, s’il est assumé à la lumière de la consécration, il en devient une expression efficace et, à
certaines conditions, il libère des énergies inhabituelles de charité et offre des messages particulièrement éloquents.
3. Service et prophétie.
« Quand le charisme fondateur prévoit des activités pastorales, il est évident que le témoignage de la vie et les œuvres
d’apostolat ou de promotion humaine sont également nécessaires : en tout cela, le Christ est rendu présent, lui qui est à
la fois consacré à la gloire du Père et envoyé au monde pour le salut de ses frères et de ses sœurs » .
Nous venons de dire qu’à certaines conditions, notre travail pastoral éducatif libère des énergies et lance des messages.
La première de ces conditions est le caractère prophétique. Il est de toute l’Eglise et de toutes les époques ; mais
aujourd’hui il est urgent et particulièrement indiqué aux religieux. Ils deviennent signe et proposition d’orientation
plutôt que simple solution d’un besoin humain. Ils ne suppléent pas ce que d’autres devraient faire, mais ils offrent ce
qui leur est particulier : l’Evangile. Jésus fait des guérisons, mais il « révèle des dimensions nouvelles de la vie », il «
ouvre à des horizons de Dieu », il dit des paroles et accomplit des actions « incompréhensibles » et « audacieuses »,
critiquables et inutiles sur le moment, mais établissant de nouveaux critères d’existence.
Le chapitre de l’exhortation traitant de la mission comporte dix numéros qui parlent de cet aspect . Ils nous présentent
donc aussi un critère pour organiser les travaux ou les œuvres.
Dans un monde marqué par la communication, la possibilité de donner un message semble être un des éléments
principaux de la pastorale. Ce qui importe, ce n’est pas seulement ce qui se réalise matériellement, mais ce qui est
suscité ou réveillé, ce à quoi il est fait allusion pour soulever des questions, ce qu’on fait briller, ce qu’on indique, les
défis lancés. On a dit que la vie consacrée doit non seulement répondre aux défis, mais en lancer elle-même de
nouveaux : à la vision « fermée », au désir de posséder, à la recherche du plaisir immédiat. Il est intéressant de lire les
signes des temps, mais il faut en écrire de nouveaux. Il faut entrer en dialogue avec la mentalité courante, mais aussi y
introduire des éléments qui ne sont pas dans sa logique.
La dimension prophétique n’est pas à confondre avec la contestation tout court, en particulier au sein de la communauté
chrétienne, avec la théâtralité des gestes volontiers amplifiés aujourd’hui par les moyens de la communication sociale. Il