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Le Saint-Siège
EXHORTATION APOSTOLIQUE
GAUDETE ET EXSULTATE
DU SAINT-PÈRE
FRANÇOIS
SUR L’APPEL À LA SAINTETÉ
DANS LE MONDE ACTUEL
1. « Soyez dans la joie et l’allégresse » (Mt 5, 12), dit Jésus à ceux qui sont persécutés ou
humiliés à cause de lui. Le Seigneur demande tout ; et ce qu’il offre est la vraie vie, le bonheur
pour lequel nous avons été créés. Il veut que nous soyons saints et il n’attend pas de nous que
nous nous contentions d’une existence médiocre, édulcorée, sans consistance. En réalité, dès les
premières pages de la Bible, il y a, sous diverses formes, l’appel à la sainteté. Voici comment le
Seigneur le proposait à Abraham : « Marche en ma présence et sois parfait » (Gn 17, 1).
2. Il ne faut pas s’attendre, ici, à un traité sur la sainteté, avec de nombreuses définitions et
distinctions qui pourraient enrichir cet important thème, ou avec des analyses qu’on pourrait faire
concernant les moyens de sanctification. Mon humble objectif, c’est de faire résonner une fois de
plus l’appel à la sainteté, en essayant de l’insérer dans le contexte actuel, avec ses risques, ses
défis et ses opportunités. En effet, le Seigneur a élu chacun d’entre nous pour que nous soyons «
saints et immaculés en sa présence, dans l’amour » (Ep 1, 4).
Premier chapitre
L’APPEL À LA SAINTETÉ
Les saints qui nous encouragent et nous accompagnent

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3. Dans la Lettre aux Hébreux, sont mentionnés divers témoignages qui nous encouragent à «
courir avec constance l’épreuve qui nous est proposée » (12, 1). On y parle d’Abraham, de Sara,
de Moïse, de Gédéon et de plusieurs autres (cf. 11, 1-12, 3) et surtout on nous invite à reconnaître
que nous sommes enveloppés « d’une si grande nuée de témoins » (12, 1) qui nous encouragent
à ne pas nous arrêter en chemin, qui nous incitent à continuer de marcher vers le but. Et parmi
eux, il peut y avoir notre propre mère, une grand-mère ou d’autres personnes proches (cf. 2 Tm 1,
5). Peut-être leur vie n’a-t-elle pas toujours été parfaite, mais, malgré des imperfections et des
chutes, ils sont allés de l’avant et ils ont plu au Seigneur.
4. Les saints qui sont déjà parvenus en la présence de Dieu gardent avec nous des liens d’amour
et de communion. Le Livre de l’Apocalypse en témoigne quand il parle des martyrs qui intercèdent
: « Je vis sous l’autel les âmes de ceux qui furent égorgés pour la Parole de Dieu et le témoignage
qu'ils avaient rendu. Ils crièrent d’une voix puissante : ‘‘Jusques à quand, Maître saint et vrai,
tarderas-tu à faire Justice ?’’ » (6, 9-10). Nous pouvons dire que « nous nous savions entourés,
conduits et guidés par les amis de Dieu […] Je ne dois pas porter seul ce que, en réalité, je ne
pourrais jamais porter seul. La troupe des saints de Dieu me protège, me soutient et me porte
»[1].
5. Lors des procès de béatification et de canonisation, on prend en compte les signes d’héroïcité
dans l’exercice des vertus, le don de la vie chez le martyr et également les cas du don de sa
propre vie en faveur des autres, y compris jusqu’à la mort. Ce don exprime une imitation
exemplaire du Christ et est digne d’admiration de la part des fidèles[2]. Souvenons-nous, par
exemple, de la bienheureuse Maria Gabriela Sagheddu qui a offert sa vie pour l’union des
chrétiens.
Les saints de la porte d’à côté
6. Ne pensons pas uniquement à ceux qui sont déjà béatifiés ou canonisés. L’Esprit Saint répand
la sainteté partout, dans le saint peuple fidèle de Dieu, car « le bon vouloir de Dieu a été que les
hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a
voulu en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté »[3]. Le
Seigneur, dans l’histoire du salut, a sauvé un peuple. Il n’y a pas d’identité pleine sans
l’appartenance à un peuple. C’est pourquoi personne n’est sauvé seul, en tant qu’individu isolé,
mais Dieu nous attire en prenant en compte la trame complexe des relations interpersonnelles qui
s’établissent dans la communauté humaine : Dieu a voulu entrer dans une dynamique populaire,
dans la dynamique d’un peuple.
7. J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant
d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la
maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire. Dans cette
constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de l’Église militante. C’est cela,

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3
souvent, la sainteté ‘‘de la porte d’à côté’’, de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de
la présence de Dieu, ou, pour employer une autre expression, ‘‘la classe moyenne de la
sainteté’’[4].
8. Laissons-nous encourager par les signes de sainteté que le Seigneur nous offre à travers les
membres les plus humbles de ce peuple qui « participe aussi de la fonction prophétique du Christ
; il répand son vivant témoignage avant tout par une vie de foi et de charité »[5]. Pensons, comme
nous le suggère sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, que par l’intermédiaire de beaucoup
d’entre eux se construit la vraie histoire : « Dans la nuit la plus obscure surgissent les plus
grandes figures de prophètes et de saints. Mais le courant de la vie mystique qui façonne les
âmes reste en grande partie invisible. Certaines âmes dont aucun livre d’histoire ne fait mention,
ont une influence déterminante aux tournants décisifs de l’histoire universelle. Ce n’est qu’au jour
où tout ce qui est caché sera manifesté que nous découvrirons aussi à quelles âmes nous
sommes redevables des tournants décisifs de notre vie personnelle »[6].
9. La sainteté est le visage le plus beau de l’Église. Mais même en dehors de l’Église catholique et
dans des milieux très différents, l’Esprit suscite « des signes de sa présence, qui aident les
disciples mêmes du Christ »[7]. D’autre part, saint Jean-Paul II nous a rappelé que « le
témoignage rendu au Christ jusqu’au sang est devenu un patrimoine commun aux catholiques,
aux orthodoxes, aux anglicans et aux protestants »[8]. Lors de la belle commémoration
œcuménique qu’il a voulu célébrer au Colisée à l’occasion du Jubilé de l’an 2000, il a affirmé que
les martyrs sont un « héritage qui nous parle d’une voix plus forte que celle des fauteurs de
division »[9].
Le Seigneur appelle
10. Tout cela est important. Cependant, ce que je voudrais rappeler par la présente Exhortation,
c’est surtout l’appel à la sainteté que le Seigneur adresse à chacun d’entre nous, cet appel qu’il
t’adresse à toi aussi : « Vous êtes devenus saints car je suis saint » (Lv 11, 44 ; cf. 1 P 1, 16). Le
Concile Vatican II l’a souligné avec force : « Pourvus de moyens salutaires d’une telle abondance
et d’une telle grandeur, tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur condition et leur état
de vie, sont appelés par Dieu, chacun dans sa route, à une sainteté dont la perfection est celle
même du Père »[10].
11. « Chacun dans sa route » dit le Concile. Il ne faut donc pas se décourager quand on
contemple des modèles de sainteté qui semblent inaccessibles. Il y a des témoins qui sont utiles
pour nous encourager et pour nous motiver, mais non pour que nous les copiions, car cela
pourrait même nous éloigner de la route unique et spécifique que le Seigneur veut pour nous. Ce
qui importe, c’est que chaque croyant discerne son propre chemin et mette en lumière le meilleur
de lui-même, ce que le Seigneur a déposé de vraiment personnel en lui (cf. 1 Co 12, 7) et qu’il ne
s’épuise pas en cherchant à imiter quelque chose qui n’a pas été pensé pour lui. Nous sommes

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tous appelés à être des témoins, mais il y a de nombreuses formes existentielles de
témoignage[11]. De fait, quand le grand mystique saint Jean de la Croix écrivait son Cantique
spirituel, il préférait éviter des règles fixes pour tout le monde et il expliquait que ses vers étaient
écrits pour que chacun en tire profit à sa manière[12]. En effet, la vie divine se communique aux
uns « d’une manière [et aux] autres d’une autre »[13].
12. Parmi les formes variées, je voudrais souligner que le ‘‘génie féminin’’ se manifeste également
dans des styles féminins de sainteté, indispensables pour refléter la sainteté de Dieu en ce
monde. Même à des époques où les femmes ont été plus marginalisées, l’Esprit Saint a
précisément suscité des saintes dont le rayonnement a provoqué de nouveaux dynamismes
spirituels et d’importantes réformes dans l’Église. Nous pouvons mentionner sainte Hildegarde de
Bingen, sainte Brigitte, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse d’Avila ou sainte Thérèse de
Lisieux. Mais je tiens à évoquer tant de femmes inconnues ou oubliées qui, chacune à sa
manière, ont soutenu et transformé des familles et des communautés par la puissance de leur
témoignage.
13. Cela devrait enthousiasmer chacun et l’encourager à tout donner pour progresser vers ce
projet unique et inimitable que Dieu a voulu pour lui de toute éternité : « Avant même de te former
au ventre maternel, je t’ai connu; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré » (Jr 1, 5).
Pour toi aussi
14. Pour être saint, il n’est pas nécessaire d’être évêque, prêtre, religieuse ou religieux. Bien des
fois, nous sommes tentés de penser que la sainteté n’est réservée qu’à ceux qui ont la possibilité
de prendre de la distance par rapport aux occupations ordinaires, afin de consacrer beaucoup de
temps à la prière. Il n’en est pas ainsi. Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant
avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où
chacun se trouve. Es-tu une consacrée ou un consacré ? Sois saint en vivant avec joie ton
engagement. Es-tu marié ? Sois saint en aimant et en prenant soin de ton époux ou de ton
épouse, comme le Christ l’a fait avec l’Église. Es-tu un travailleur ? Sois saint en accomplissant
honnêtement et avec compétence ton travail au service de tes frères. Es-tu père, mère, grand-
père ou grand-mère ? Sois saint en enseignant avec patience aux enfants à suivre Jésus. As-tu
de l’autorité ? Sois saint en luttant pour le bien commun et en renonçant à tes intérêts
personnels[14].
15. Laisse la grâce de ton baptême porter du fruit dans un cheminement de sainteté. Permets que
tout soit ouvert à Dieu et pour cela choisis-le, choisis Dieu sans relâche. Ne te décourage pas,
parce que tu as la force de l’Esprit Saint pour que ce soit possible ; et la sainteté, au fond, c’est le
fruit de l’Esprit Saint dans ta vie (cf. Ga 5, 22-23). Quand tu sens la tentation de t’enliser dans ta
fragilité, lève les yeux vers le Crucifié et dis-lui : ‘‘Seigneur, je suis un pauvre, mais tu peux
réaliser le miracle de me rendre meilleur’’. Dans l’Église, sainte et composée de pécheurs, tu

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5
trouveras tout ce dont tu as besoin pour progresser vers la sainteté. Le Seigneur l’a remplie de
dons par sa Parole, par les sacrements, les sanctuaires, la vie des communautés, le témoignage
de ses saints, et par une beauté multiforme qui provient de l’amour du Seigneur, « comme la
fiancée qui se pare de ses bijoux » (Is 61, 10).
16. Cette sainteté à laquelle le Seigneur t’appelle grandira par de petits gestes. Par exemple : une
dame va au marché pour faire des achats, elle rencontre une voisine et commence à parler, et les
critiques arrivent. Mais cette femme se dit en elle-même : « Non, je ne dirai du mal de personne ».
Voilà un pas dans la sainteté ! Ensuite, à la maison, son enfant a besoin de parler de ses rêves,
et, bien qu’elle soit fatiguée, elle s’assoit à côté de lui et l’écoute avec patience et affection. Voilà
une autre offrande qui sanctifie ! Ensuite, elle connaît un moment d’angoisse, mais elle se
souvient de l’amour de la Vierge Marie, prend le chapelet et prie avec foi. Voilà une autre voie de
sainteté ! Elle sort après dans la rue, rencontre un pauvre et s’arrête pour échanger avec lui avec
affection. Voilà un autre pas !
17. Parfois, la vie présente des défis importants et à travers eux le Seigneur nous invite à de
nouvelles conversions qui permettent à sa grâce de mieux se manifester dans notre existence «
afin de nous faire participer à sa sainteté » (He 12, 10). D’autres fois il ne s’agit que de trouver
une forme plus parfaite de vivre ce que nous vivons déjà : « Il y a des inspirations qui tendent
seulement à une extraordinaire perfection des exercices ordinaires de la vie chrétienne »[15].
Quand le Cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuân était en prison, il avait renoncé à s’évertuer
à demander sa libération. Son choix était de vivre « le moment présent en le comblant d’amour » ;
et voilà la manière dont cela se concrétisait : « Je saisis les occasions qui se présentent chaque
jour, pour accomplir les actes ordinaires de façon extraordinaire »[16].
18. Ainsi, sous l’impulsion de la grâce divine, par de nombreux gestes, nous construisons ce
modèle de sainteté que Dieu a voulu, non pas en tant qu’êtres autosuffisants mais « comme de
bons intendants d’une multiple grâce de Dieu » (1 P 4, 10). Comme nous l’ont bien rappelé les
Évêques de Nouvelle Zélande, l’amour inconditionnel du Seigneur est possible parce que le
Ressuscité partage sa vie puissante avec nos vies fragiles : « Son amour n’a pas de limites et,
une fois donné, il ne recule jamais. Il a été inconditionnel et demeure fidèle. Aimer ainsi n’est pas
facile, car souvent nous sommes vraiment faibles. Mais précisément pour que nous nous
efforcions d’aimer comme le Christ nous a aimés, le Christ partage sa propre vie ressuscitée avec
nous. Ainsi, nos vies révèlent son pouvoir en action, y compris au milieu de la faiblesse humaine
»[17].
Ta mission dans le Christ
19. Pour un chrétien, il n’est pas possible de penser à sa propre mission sur terre sans la
concevoir comme un chemin de sainteté, car « voici quelle est la volonté de Dieu : c’est votre
sanctification » (1 Th 4, 3). Chaque saint est une mission ; il est un projet du Père pour refléter et

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6
incarner, à un moment déterminé de l’histoire, un aspect de l’Évangile.
20. Cette mission trouve son sens plénier dans le Christ et ne se comprend qu’à partir de lui. Au
fond, la sainteté, c’est vivre les mystères de sa vie en union avec lui. Elle consiste à s’associer à
la mort et à la résurrection du Seigneur d’une manière unique et personnelle, à mourir et à
ressusciter constamment avec lui. Mais cela peut impliquer également de reproduire dans
l’existence personnelle divers aspects de la vie terrestre de Jésus : sa vie cachée, sa vie
communautaire, sa proximité avec les derniers, sa pauvreté et d’autres manifestations du don de
lui-même par amour. La contemplation de ces mystères, comme le proposait saint Ignace de
Loyola, nous amène à les faire chair dans nos choix et dans nos attitudes[18]. Car « tout dans la
vie de Jésus est signe de son mystère »,[19] « toute la vie du Christ est Révélation du Père »[20],
« toute la vie du Christ est mystère de Rédemption »[21], « toute la vie du Christ est mystère de
Récapitulation »[22], et « tout ce que le Christ a vécu, il fait que nous puissions le vivre en lui et
qu’il le vive en nous »[23].
21. Le dessein du Père, c’est le Christ, et nous en lui. En dernière analyse, c’est le Christ aimant
en nous, car « la sainteté n’est rien d’autre que la charité pleinement vécue »[24]. C’est pourquoi,
« la mesure de la sainteté est donnée par la stature que le Christ atteint en nous, par la mesure
dans laquelle, avec la force de l’Esprit Saint, nous modelons toute notre vie sur la sienne »[25].
Ainsi, chaque saint est un message que l’Esprit Saint puise dans la richesse de Jésus-Christ et
offre à son peuple.
22. Pour reconnaître quelle est cette parole que le Seigneur veut dire à travers un saint, il ne faut
pas s’arrêter aux détails, car là aussi il peut y avoir des erreurs et des chutes. Tout ce que dit un
saint n’est pas forcément fidèle à l’Évangile, tout ce qu’il fait n’est pas nécessairement authentique
et parfait. Ce qu’il faut considérer, c’est l’ensemble de sa vie, tout son cheminement de
sanctification, cette figure qui reflète quelque chose de Jésus-Christ et qui se révèle quand on
parvient à percevoir le sens de la totalité de sa personne[26].
23. Pour nous tous, c’est un rappel fort. Toi aussi, tu as besoin de percevoir la totalité de ta vie
comme une mission. Essaie de le faire en écoutant Dieu dans la prière et en reconnaissant les
signes qu’il te donne. Demande toujours à l’Esprit ce que Jésus attend de toi à chaque moment de
ton existence et dans chaque choix que tu dois faire, pour discerner la place que cela occupe
dans ta propre mission. Et permets-lui de forger en toi ce mystère personnel qui reflète Jésus-
Christ dans le monde d’aujourd’hui.
24. Puisses-tu reconnaître quelle est cette parole, ce message de Jésus que Dieu veut délivrer au
monde par ta vie ! Laisse-toi transformer, laisse-toi renouveler par l’Esprit pour que cela soit
possible, et qu’ainsi ta belle mission ne soit pas compromise. Le Seigneur l’accomplira même au
milieu de tes erreurs et de tes mauvaises passes, pourvu que tu n’abandonnes pas le chemin de
l’amour et que tu sois toujours ouvert à son action surnaturelle qui purifie et illumine.

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L’activité qui sanctifie
25. Comme tu ne peux pas comprendre le Christ sans le Royaume qu’il est venu apporter, ta
propre mission est inséparable de la construction de ce Royaume : « Cherchez d’abord son
Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33). Ton identification
avec le Christ et avec ses désirs implique l’engagement à construire, avec lui, ce Royaume
d’amour, de justice et de paix pour tout le monde. Le Christ lui-même veut le vivre avec toi, dans
tous les efforts ou les renoncements que cela implique, et également dans les joies et dans la
fécondité qu’il peut t’offrir. Par conséquent, tu ne te sanctifieras pas sans te donner corps et âme
pour offrir le meilleur de toi-même dans cet engagement.
26. Il n’est pas sain d’aimer le silence et de fuir la rencontre avec l’autre, de souhaiter le repos et
d’éviter l’activité, de chercher la prière et de mépriser le service. Tout peut être accepté et être
intégré comme faisant partie de l’existence personnelle dans ce monde, et être incorporé au
cheminement de sanctification. Nous sommes appelés à vivre la contemplation également au sein
de l’action, et nous nous sanctifions dans l’exercice responsable et généreux de notre propre
mission.
27. L’Esprit Saint peut-il nous inciter à accomplir une mission et en même temps nous demander
de la fuir, ou d’éviter de nous engager totalement pour préserver la paix intérieure ? Cependant,
nous sommes parfois tentés de reléguer au second plan le dévouement pastoral ou l’engagement
dans le monde, comme si c’étaient des ‘‘distractions’’ sur le chemin de la sanctification et de la
paix intérieure. On oublie que « la vie n’a pas une mission, mais qu’elle est mission »[27].
28. Une tâche accomplie sous l’impulsion de l’anxiété, de l’orgueil, du besoin de paraître et de
dominer, ne sera sûrement pas sanctifiante. Le défi, c’est de vivre son propre engagement de
façon à ce que les efforts aient un sens évangélique et nous identifient toujours davantage avec
Jésus-Christ. C’est pourquoi on a coutume de parler, par exemple, d’une spiritualité du catéchiste,
d’une spiritualité du clergé diocésain, d’une spiritualité du travail. C’est pour la même raison que,
dans Evangelii gaudium, j’ai voulu conclure par une spiritualité de la mission, dans Laudato si’, par
une spiritualité écologique et, dans Amoris laetitia, par une spiritualité de la vie familiale.
29. Cela n’implique pas de déprécier les moments de quiétude, de solitude et de silence devant
Dieu. Bien au contraire ! Car les nouveautés constantes des moyens technologiques, l’attraction
des voyages, les innombrables offres de consommation, ne laissent pas parfois d’espaces libres
où la voix de Dieu puisse résonner. Tout se remplit de paroles, de jouissances épidermiques et de
bruit à une vitesse toujours croissante. Il n’y règne pas la joie mais plutôt l’insatisfaction de celui
qui ne sait pas pourquoi il vit. Comment donc ne pas reconnaître que nous avons besoin d’arrêter
cette course fébrile pour retrouver un espace personnel, parfois douloureux mais toujours fécond,
où s’établit le dialogue sincère avec Dieu ? À un certain moment, nous devrons regarder en face
notre propre vérité, pour la laisser envahir par le Seigneur, et on n’y parvient pas toujours si « on

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8
ne se sent pas au bord de l’abîme de la tentation la plus étouffante, si on ne sent pas le vertige du
précipice de l’abandon le plus désespéré, si on ne se trouve pas absolument seul, au faîte de la
solitude la plus radicale »[28]. C’est ainsi que nous trouvons les grandes motivations qui nous
incitent à vivre à fond les devoirs personnels.
30. Les mêmes moyens de distraction qui envahissent la vie actuelle nous conduisent aussi à
absolutiser le temps libre au cours duquel nous pouvons utiliser sans limites ces dispositifs qui
nous offrent du divertissement ou des plaisirs éphémères[29]. Par voie de conséquence, c’est la
mission elle-même qui s’en ressent, c’est l’engagement qui s’affaiblit, c’est le service généreux et
disponible qui commence à en pâtir. Cela dénature l’expérience spirituelle. Une ferveur spirituelle
peut-elle cohabiter avec une lassitude dans l’œuvre d’évangélisation ou dans le service des autres
?
31. Il nous faut un esprit de sainteté qui imprègne aussi bien la solitude que le service, aussi bien
l’intimité que l’œuvre d’évangélisation, en sorte que chaque instant soit l’expression d’un amour
dévoué sous le regard du Seigneur. Ainsi, tous les moments seront des marches sur notre chemin
de sanctification.
Plus vivants, plus frères
32. N’aie pas peur de la sainteté. Elle ne t’enlèvera pas les forces, ni la vie ni la joie. C’est tout le
contraire, car tu arriveras à être ce que le Père a pensé quand il t’a créé et tu seras fidèle à ton
propre être. Dépendre de lui nous libère des esclavages et nous conduit à reconnaître notre
propre dignité. Cela se reflète en sainte Joséphine Bakhita qui « enlevée et vendue en esclavage
à l’âge de 7 ans, […] endura de nombreuses souffrances entre les mains de maîtres cruels. Mais
elle comprit que la vérité profonde est que Dieu, et non pas l’homme, est le véritable Maître de
chaque être humain, de toute vie humaine. L’expérience devint une source de profonde sagesse
pour cette humble fille d'Afrique »[30].
33. Dans la mesure où il se sanctifie, chaque chrétien devient plus fécond pour le monde. Les
évêques de l’Afrique occidentale nous ont enseigné : « Nous sommes appelés dans l’esprit de la
Nouvelle Évangélisation à nous laisser évangéliser et à évangéliser à travers les responsabilités
confiées à tous les baptisés. Nous devons jouer notre rôle en tant que sel de la terre et lumière du
monde où que nous nous trouvions »[31].
34. N’aie pas peur de viser plus haut, de te laisser aimer et libérer par Dieu. N’aie pas peur de te
laisser guider par l’Esprit Saint. La sainteté ne te rend pas moins humain, car c’est la rencontre de
ta faiblesse avec la force de la grâce. Au fond, comme disait Léon Bloy, dans la vie « il n’y a
qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints »[32].
Deuxième chapitre

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DEUX ENNEMIS SUBTILS DE LA SAINTETE
35. Dans ce cadre, je voudrais attirer l’attention sur deux falsifications de la sainteté qui pourraient
nous faire dévier du chemin : le gnosticisme et le pélagianisme. Ce sont deux hérésies apparues
au cours des premiers siècles du christianisme mais qui sont encore d’une préoccupante actualité.
Même aujourd’hui les cœurs de nombreux chrétiens, peut-être sans qu’ils s’en rendent compte, se
laissent séduire par ces propositions trompeuses. En elles s’exprime un immanentisme
anthropocentrique déguisé en vérité catholique[33]. Voyons ces deux formes de sécurité,
doctrinale ou disciplinaire, qui donnent lieu à « un élitisme narcissique et autoritaire, où, au lieu
d’évangéliser, on analyse et classifie les autres, et, au lieu de faciliter l’accès à la grâce, les
énergies s’usent dans le contrôle. Dans les deux cas, ni Jésus-Christ ni les autres n’intéressent
vraiment »[34].
Le gnosticisme actuel
36. Le gnosticisme suppose « une foi renfermée dans le subjectivisme, où seule compte une
expérience déterminée ou une série de raisonnements et de connaissances que l’on considère
comme pouvant réconforter et éclairer, mais où le sujet reste en définitive fermé dans
l’immanence de sa propre raison ou de ses sentiments »[35].
Un esprit sans Dieu et sans chair
37. Grâce à Dieu, tout au long de l’histoire de l’Église, il a toujours été très clair que la perfection
des personnes se mesure par leur degré de charité et non par la quantité des données et des
connaissances qu’elles accumulent. Les ‘‘gnostiques’’ font une confusion sur ce point et jugent les
autres par leur capacité à comprendre la profondeur de certaines doctrines. Ils conçoivent un
esprit sans incarnation, incapable de toucher la chair souffrante du Christ dans les autres, corseté
dans une encyclopédie d’abstractions. En désincarnant le mystère, ils préfèrent finalement « un
Dieu sans Christ, un Christ sans Église, une Église sans peuple »[36].
38. En définitive, il s’agit d’une superficialité vaniteuse : beaucoup de mouvement à la surface de
l’esprit, mais la profondeur de la pensée ne se meut ni ne s’émeut. Cette superficialité arrive
cependant à subjuguer certains par une fascination trompeuse, car l’équilibre gnostique réside
dans la forme et semble aseptisé ; et il peut prendre l’aspect d’une certaine harmonie ou d’un
ordre qui englobent tout.
39. Mais attention ! Je ne fais pas référence aux rationalistes ennemis de la foi chrétienne. Cela
peut se produire dans l’Église, tant chez les laïcs des paroisses que chez ceux qui enseignent la
philosophie ou la théologie dans les centres de formation. Car c’est aussi le propre des gnostiques
de croire que, par leurs explications, ils peuvent rendre parfaitement compréhensibles toute la foi
et tout l’Evangile. Ils absolutisent leurs propres théories et obligent les autres à se soumettre aux

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raisonnements qu’ils utilisent. Une chose est un sain et humble usage de la raison pour réfléchir
sur l’enseignement théologique et moral de l’Evangile ; une autre est de prétendre réduire
l’enseignement de Jésus à une logique froide et dure qui cherche à tout dominer[37].
Une doctrine sans mystère
40. Le gnosticisme est l’une des pires idéologies puisqu’en même temps qu’il exalte indûment la
connaissance ou une expérience déterminée, il considère que sa propre vision de la réalité
représente la perfection. Ainsi, peut-être sans s’en rendre compte, cette idéologie se nourrit-elle
elle-même et sombre-t-elle d’autant plus dans la cécité. Elle devient parfois particulièrement
trompeuse quand elle se déguise en spiritualité désincarnée. Car le gnosticisme « de par sa
nature même veut apprivoiser le mystère »[38], tant le mystère de Dieu et de sa grâce que le
mystère de la vie des autres.
41. Lorsque quelqu’un a réponse à toutes les questions, cela montre qu’il n’est pas sur un chemin
sain, et il est possible qu’il soit un faux prophète utilisant la religion à son propre bénéfice, au
service de ses élucubrations psychologiques et mentales. Dieu nous dépasse infiniment, il est
toujours une surprise et ce n’est pas nous qui décidons dans quelle circonstance historique le
rencontrer, puisqu’il ne dépend pas de nous de déterminer le temps, le lieu et la modalité de la
rencontre. Celui qui veut que tout soit clair et certain prétend dominer la transcendance de Dieu.
42. On ne peut pas non plus prétendre définir là où Dieu ne se trouve pas, car il est présent
mystérieusement dans la vie de toute personne, il est dans la vie de chacun comme il veut, et
nous ne pouvons pas le nier par nos supposées certitudes. Même quand l’existence d’une
personne a été un désastre, même quand nous la voyons détruite par les vices et les addictions,
Dieu est dans sa vie. Si nous nous laissons guider par l’Esprit plus que par nos raisonnements,
nous pouvons et nous devons chercher le Seigneur dans toute vie humaine. Cela fait partie du
mystère que les mentalités gnostiques finissent par rejeter, parce qu’elles ne peuvent pas le
contrôler.
Les limites de la raison
43. Nous ne parvenons à comprendre que très pauvrement la vérité que nous recevons du
Seigneur. Plus difficilement encore nous parvenons à l’exprimer. Nous ne pouvons donc pas
prétendre que notre manière de la comprendre nous autorise à exercer une supervision stricte sur
la vie des autres. Je voudrais rappeler que dans l’Église cohabitent à bon droit diverses manières
d’interpréter de nombreux aspects de la doctrine et de la vie chrétienne qui, dans leur variété, «
aident à mieux expliquer le très riche trésor de la Parole ». En réalité « à ceux qui rêvent d’une
doctrine monolithique défendue par tous sans nuances, cela peut sembler une dispersion
imparfaite »[39]. Précisément, certains courants gnostiques ont déprécié la simplicité si concrète
de l’Evangile et ont cherché à remplacer le Dieu trinitaire et incarné par une Unité supérieure où

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disparaissait la riche multiplicité de notre histoire.
44. En réalité, la doctrine, ou mieux, notre compréhension et expression de celle-ci, « n’est pas un
système clos, privé de dynamiques capables d’engendrer des questions, des doutes, des
interrogations », et « les questions de notre peuple, ses angoisses, ses combats, ses rêves, ses
luttes, ses préoccupations, possèdent une valeur herméneutique que nous ne pouvons ignorer si
nous voulons prendre au sérieux le principe de l’incarnation. Ses questions nous aident à nous
interroger, ses interrogations nous interrogent »[40].
45. Il se produit fréquemment une dangereuse confusion : croire que parce que nous savons
quelque chose ou que nous pouvons l’expliquer selon une certaine logique, nous sommes déjà
saints, parfaits, meilleurs que la « masse ignorante ». Saint Jean-Paul II mettait en garde ceux qui
dans l’Église ont la chance d’une formation plus poussée contre la tentation de nourrir « un certain
sentiment de supériorité par rapport aux autres fidèles »[41]. Mais en réalité, ce que nous croyons
savoir devrait être toujours un motif pour mieux répondre à l’amour de Dieu, car « on apprend
pour vivre : théologie et sainteté sont un binôme inséparable »[42].
46. Quand saint François d’Assise a vu que certains de ses disciples enseignaient la doctrine, il a
voulu éviter la tentation du gnosticisme. Il a donc écrit ceci à saint Antoine de Padoue : « Il me
plaît que tu lises la théologie sacrée aux frères, pourvu que, dans l’étude de celle-ci, tu n’éteignes
pas l’esprit de sainte oraison et de dévotion »[43]. Il percevait la tentation de transformer
l’expérience chrétienne en un ensemble d’élucubrations mentales qui finissent par éloigner de la
fraîcheur de l’Evangile. Saint Bonaventure, d’autre part, faisait remarquer que la vraie sagesse
chrétienne ne doit pas être séparée de la miséricorde envers le prochain : « La plus grande
sagesse qui puisse exister consiste à diffuser fructueusement ce qu’on a à offrir, ce qui a été
précisément donné pour être offert […] C’est pourquoi tout comme la miséricorde est amie de la
sagesse, l’avarice est son ennemi »[44]. « Il y a une activité qui, en s’unissant à la contemplation
ne l’entrave pas, mais la favorise ainsi que les œuvres de miséricorde et de piété »[45].
Le pélagianisme actuel
47. Le gnosticisme a donné lieu à une autre vieille hérésie qui est également présente aujourd’hui.
A mesure que passait le temps, beaucoup ont commencé à reconnaître que ce n’est pas la
connaissance qui nous rend meilleurs ni saints, mais la vie que nous menons. Le problème, c’est
que cela a dégénéré subtilement, de sorte que l’erreur même des gnostiques s’est simplement
transformée mais n’a pas été surmontée.
48. Car le pouvoir que les gnostiques attribuaient à l’intelligence, certains commencèrent à
l’attribuer à la volonté humaine, à l’effort personnel. C’est ainsi que sont apparus les pélagiens et
les semi-pélagiens. Ce n’était plus l’intelligence qui occupait la place du mystère et de la grâce,
mais la volonté. On oubliait qu’« il n’est pas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de

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Dieu qui fait miséricorde » (Rm 9, 16) et que « lui nous a aimés le premier» (1Jn 4, 19).
Une volonté sans humilité
49. Ceux qui épousent cette mentalité pélagienne ou semi-pélagienne, bien qu’ils parlent de la
grâce de Dieu dans des discours édulcorés, « en définitive font confiance uniquement à leurs
propres forces et se sentent supérieurs aux autres parce qu’ils observent des normes déterminées
ou parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à un certain style catholique »[46]. Quand certains
d’entre eux s’adressent aux faibles en leur disant que tout est possible avec la grâce de Dieu, au
fond ils font d’habitude passer l’idée que tout est possible par la volonté humaine, comme si celle-
ci était quelque chose de pur, de parfait, de tout-puissant, auquel s’ajoute la grâce. On cherche à
ignorer que ‘‘tous ne peuvent pas tout’’[47], et qu’en cette vie les fragilités humaines ne sont pas
complètement et définitivement guéries par la grâce[48]. De toute manière, comme l’enseignait
saint Augustin, Dieu t’invite à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas [49]; ou
bien à dire humblement au Seigneur : « Donne ce que tu commandes et commande ce que tu
veux »[50].
50. Au fond, l’absence de la reconnaissance sincère, douloureuse et priante de nos limites est ce
qui empêche la grâce de mieux agir en nous, puisqu’on ne lui laisse pas de place pour réaliser ce
bien possible qui s’insère dans un cheminement sincère et réel de croissance[51]. La grâce,
justement parce qu’elle suppose notre nature, ne fait pas de nous, d’un coup, des surhommes. Le
prétendre serait placer trop de confiance en nous-mêmes. Dans ce cas, derrière l’orthodoxie, nos
attitudes pourraient ne pas correspondre à ce que nous affirmons sur la nécessité de la grâce, et
dans les faits nous finissons par compter peu sur elle. Car si nous ne percevons pas notre réalité
concrète et limitée, nous ne pourrons pas voir non plus les pas réels et possibles que le Seigneur
nous demande à chaque instant, après nous avoir rendus capables et nous avoir conquis par ses
dons. La grâce agit historiquement et, d’ordinaire, elle nous prend et nous transforme de manière
progressive[52]. C’est pourquoi si nous rejetons ce caractère historique et progressif, nous
pouvons, de fait, arriver à la nier et à la bloquer, bien que nous l’exaltions par nos paroles.
51. Quand Dieu s’adresse à Abraham, il lui dit : « Je suis Dieu tout-puissant. Marche en ma
présence et sois parfait » (Gn 17, 1). Pour que nous soyons parfaits comme il le désire, nous
devons vivre humblement en sa présence, enveloppés de sa gloire ; il nous faut marcher en union
avec lui en reconnaissant son amour constant dans nos vies. Il ne faut plus avoir peur de cette
présence qui ne peut que nous faire du bien. Il est le Père qui nous a donné la vie et qui nous
aime tant. Une fois que nous l’acceptons et que nous cessons de penser notre vie sans lui,
l’angoisse de la solitude disparaît (cf. Ps 139, 7). Et si nous n’éloignons plus Dieu de nous et que
nous vivons en sa présence, nous pourrons lui permettre d’examiner nos cœurs pour qu’il voie
s’ils sont sur le bon chemin (cf. Ps 139, 23-24). Ainsi, nous connaîtrons la volonté du Seigneur, ce
qui lui plaît et ce qui est parfait (cf. Rm 12, 1-2) et nous le laisserons nous modeler comme un
potier (cf. Is 29, 16). Nous avons souvent dit que Dieu habite en nous, mais il est mieux de dire

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que nous habitons en lui, qu’il nous permet de vivre dans sa lumière et dans son amour. Il est
notre temple : « La chose que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de
ma vie » (cf. Ps 27, 4). « Mieux vaut un jour dans tes parvis que mille à ma guise » (Ps 84, 11).
C’est en lui que nous sommes sanctifiés.
Un enseignement de l’Église souvent oublié
52. L’Église catholique a maintes fois enseigné que nous ne sommes pas justifiés par nos œuvres
ni par nos efforts mais par la grâce du Seigneur qui prend l’initiative. Les Pères de l’Église, même
avant saint Augustin, exprimaient clairement cette conviction primordiale. Saint Jean Chrysostome
disait que Dieu verse en nous la source même de tous les dons avant même que nous n’entrions
dans le combat[53]. Saint Basile le Grand faisait remarquer que le fidèle se glorifie seulement en
Dieu, car il sait qu’il « est dépourvu de vraie justice et ne [trouve] sa justice que dans la foi au
Christ »[54].
53. Le deuxième Synode d’Orange a enseigné avec grande autorité que nul homme peut exiger,
mériter ou acheter le don de la grâce divine et que toute coopération avec elle est d’abord un don
de la grâce elle-même : « Même notre volonté de purification est un effet de l’infusion et de
l’opération du Saint Esprit en nous »[55]. Plus tard, même quand le Concile de Trente souligne
l’importance de notre coopération pour la croissance spirituelle, il réaffirme cet enseignement
dogmatique : on dit que nous sommes « justifiés gratuitement parce que rien de ce qui précède la
justification, que ce soit la foi ou les œuvres, ne mérite cette grâce de la justification. En effet, si
c’est une grâce, elle ne vient pas des œuvres ; autrement, la grâce n’est plus la grâce (Rm 11,
6)»[56].
54. Le Catéchisme de l’Église catholique aussi nous rappelle que le don de la grâce « surpasse
les capacités de l’intelligence et les forces de la volonté humaine »[57], et qu’« à l’égard de Dieu, il
n’y a pas, au sens d’un droit strict, de mérite de la part de l’homme. Entre Lui et nous l’inégalité
est sans mesure »[58]. Son amitié nous dépasse infiniment, nous ne pouvons pas l’acheter par
nos œuvres et elle ne peut être qu’un don de son initiative d’amour. Cela nous invite à vivre dans
une joyeuse gratitude pour ce don que nous ne mériterons jamais, puisque « quand [quelqu’un]
possède déjà la grâce, il ne peut mériter cette grâce déjà reçue »[59]. Les saints évitent de mettre
leur confiance dans leurs propres actions : « Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les
mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices
ont des taches à vos yeux »[60].
55. C’est l’une des grandes convictions définitivement acquises par l’Église, et cela est si
clairement exprimé dans la Parole de Dieu que c’est hors de toute discussion. Tout comme le
commandement suprême de l’amour, cette vérité devrait marquer notre style de vie, parce qu’elle
s’abreuve au cœur de l’Evangile et elle demande non seulement à être accueillie par notre esprit,
mais aussi à être transformée en une joie contagieuse. Cependant nous ne pourrons pas célébrer

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avec gratitude le don gratuit de l’amitié avec le Seigneur si nous ne reconnaissons pas que même
notre existence terrestre et nos capacités naturelles sont un don. Il nous faut « accepter
joyeusement que notre être soit un don, et accepter même notre liberté comme une grâce. C’est
ce qui est difficile aujourd’hui dans un monde qui croit avoir quelque chose par lui-même, fruit de
sa propre originalité ou de sa liberté »[61].
56. C’est seulement à partir du don de Dieu, librement accueilli et humblement reçu, que nous
pouvons coopérer par nos efforts à nous laisser transformer de plus en plus[62]. Il faut d’abord
appartenir à Dieu. Il s’agit de nous offrir à celui qui nous devance, de lui remettre nos capacités,
notre engagement, notre lutte contre le mal et notre créativité, pour que son don gratuit grandisse
et se développe en nous : « Je vous exhorte, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos
personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu » (Rm 12, 1). D’autre part, l’Église a toujours
enseigné que seule la charité rend possible la croissance dans la vie de la grâce car « si je n’ai
pas la charité, je ne suis rien » (1Co 13, 2).
Les nouveaux pélagiens
57. Il y a encore des chrétiens qui s’emploient à suivre un autre chemin : celui de la justification
par leurs propres forces, celui de l’adoration de la volonté humaine et de ses propres capacités,
ce qui se traduit par une autosatisfaction égocentrique et élitiste dépourvue de l’amour vrai. Cela
se manifeste par de nombreuses attitudes apparemment différentes : l’obsession pour la loi, la
fascination de pouvoir montrer des conquêtes sociales et politiques, l’ostentation dans le soin de
la liturgie, de la doctrine et du prestige de l’Église, la vaine gloire liée à la gestion d’affaires
pratiques, l’enthousiasme pour les dynamiques d’autonomie et de réalisation autoréférentielle.
Certains chrétiens consacrent leurs énergies et leur temps à cela, au lieu de se laisser porter par
l’Esprit sur le chemin de l’amour, de brûler du désir de communiquer la beauté et la joie de
l’Evangile, et de chercher ceux qui sont perdus parmi ces immenses multitudes assoiffées du
Christ[63].
58. Souvent, contre l’impulsion de l’Esprit, la vie de l’Église se transforme en pièce de musée ou
devient la propriété d’un petit nombre. Cela se produit quand certains groupes chrétiens accordent
une importance excessive à l’accomplissement de normes, de coutumes ou de styles déterminés.
De cette manière, on a l’habitude de réduire et de mettre l’Evangile dans un carcan en lui retirant
sa simplicité captivante et sa saveur. C’est peut-être une forme subtile de pélagianisme, parce
que cela semble soumettre la vie de la grâce à quelques structures humaines. Cela touche des
groupes, des mouvements et des communautés, et c’est ce qui explique que, très souvent, ils
commencent par une vie intense dans l’Esprit mais finissent fossilisés… ou corrompus.
59. Sans nous en rendre compte, en pensant que tout dépend de l’effort humain canalisé par des
normes et des structures ecclésiales, nous compliquons l’Evangile et nous devenons esclaves
d’un schéma qui laisse peu de place pour que la grâce agisse. Saint Thomas d’Aquin nous

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rappelait que les préceptes ajoutés à l’Evangile par l’Église doivent s’exiger avec modération « de
peur que la vie des fidèles en devienne pénible » et qu’ainsi notre religion ne se transforme en «
un fardeau asservissant »[64].
Le résumé de la Loi
60. Pour éviter cela, il est bon de rappeler fréquemment qu’il y a une hiérarchie des vertus qui
nous invite à rechercher l’essentiel. Le primat revient aux vertus théologales qui ont Dieu pour
objet et cause. Et au centre se trouve la charité. Saint Paul affirme que ce qui compte vraiment,
c’est la « la foi opérant par la charité » (Ga 5, 6). Nous sommes appelés à préserver plus
soigneusement la charité : « Celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi […]. La charité est
donc la loi dans sa plénitude » (Rm 13, 8.10). « Car une seule formule contient toute la Loi en sa
plénitude : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” » (Ga 5, 14).
61. En d’autres termes : dans l’épaisse forêt de préceptes et de prescriptions, Jésus ouvre une
brèche qui permet de distinguer deux visages : celui du Père et celui du frère. Il ne nous offre pas
deux formules ou deux préceptes de plus. Il nous offre deux visages, ou mieux, un seul, celui de
Dieu qui se reflète dans beaucoup d’autres. Car en chaque frère, spécialement le plus petit,
fragile, sans défense et en celui qui est dans le besoin, se trouve présente l’image même de Dieu.
En effet, avec cette humanité vulnérable considérée comme déchet, à la fin des temps, le
Seigneur façonnera sa dernière œuvre d’art. Car « qu’est-ce qui reste, qu’est-ce qui a de la valeur
dans la vie, quelles richesses ne s’évanouissent pas ? Sûrement deux : le Seigneur et le prochain.
Ces deux richesses ne s’évanouissent pas »[65].
62. Que le Seigneur délivre l’Église des nouvelles formes de gnosticisme et de pélagianisme qui
l’affublent et l’entravent sur le chemin de la sainteté ! Ces déviations s’expriment de diverses
manières, selon le tempérament et des caractéristiques propres à chacun. C’est pourquoi
j’exhorte chacun à se demander et à discerner devant Dieu de quelle manière elles peuvent être
en train de se manifester dans sa vie.
Troisième chapitre
A LA LUMIERE DU MAÎTRE
63. Il peut y avoir de nombreuses théories sur ce qu’est la sainteté, d’abondantes explications et
distinctions. Cette réflexion pourrait être utile, mais rien n’est plus éclairant que de revenir aux
paroles de Jésus et de recueillir sa manière de transmettre la vérité. Jésus a expliqué avec grande
simplicité ce que veut dire être saint, et il l’a fait quand il nous a enseigné les béatitudes (cf. Mt 5,
3-12 ; Lc 6, 20-23). Elles sont comme la carte d’identité du chrétien. Donc, si quelqu’un d’entre

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nous se pose cette question, “comment fait-on pour parvenir à être un bon chrétien ?”, la réponse
est simple : il faut mettre en œuvre, chacun à sa manière, ce que Jésus déclare dans le sermon
des béatitudes[66]. À travers celles-ci se dessine le visage du Maître que nous sommes appelés à
révéler dans le quotidien de nos vies.
64. Le mot “heureux” ou “bienheureux”, devient synonyme de “saint”, parce qu’il exprime le fait
que la personne qui est fidèle à Dieu et qui vit sa Parole atteint, dans le don de soi, le vrai
bonheur.
À contrecourant
65. Bien que les paroles de Jésus puissent nous sembler poétiques, elles vont toutefois vraiment
à contrecourant de ce qui est habituel, de ce qui se fait dans la société ; et, bien que ce message
de Jésus nous attire, en réalité le monde nous mène vers un autre style de vie. Les béatitudes ne
sont nullement quelque chose de léger ou de superficiel, bien au contraire ; car nous ne pouvons
les vivre que si l’Esprit Saint nous envahit avec toute sa puissance et nous libère de la faiblesse
de l’égoïsme, du confort, de l’orgueil.
66. Écoutons encore Jésus, avec tout l’amour et le respect que mérite le Maître. Permettons-lui de
nous choquer par ses paroles, de nous provoquer, de nous interpeller en vue d’un changement
réel de vie. Autrement, la sainteté ne sera qu’un mot. Examinons à présent les différentes
béatitudes dans la version de l’Évangile selon Matthieu (cf. Mt 5, 3-12) [67]:
«Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux est à eux ».
67. L’Évangile nous invite à reconnaître la vérité de notre cœur, pour savoir où nous plaçons la
sécurité de notre vie. En général, le riche se sent en sécurité avec ses richesses, et il croit que
lorsqu’elles sont menacées, tout le sens de sa vie sur terre s’effondre. Jésus lui-même nous l’a dit
dans la parabole du riche insensé, en parlant de cet homme confiant qui, comme un insensé, ne
pensait pas qu’il pourrait mourir le jour même (cf. Lc 12, 16-21).
68. Les richesses ne te garantissent rien. Qui plus est, quand le cœur se sent riche, il est
tellement satisfait de lui-même qu’il n’y a plus de place pour la Parole de Dieu, pour aimer les
frères ni pour jouir des choses les plus importantes de la vie. Il se prive ainsi de plus grands biens.
C’est pourquoi Jésus déclare heureux les pauvres en esprit, ceux qui ont le cœur pauvre, où le
Seigneur peut entrer avec sa nouveauté constante.
69. Cette pauvreté d’esprit est étroitement liée à la “sainte indifférence” que saint Ignace de
Loyola proposait, et par laquelle nous atteignons une merveilleuse liberté intérieure : « Pour cela il
est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé à
la liberté de notre libre-arbitre et qui ne lui est pas défendu ; de telle manière que nous ne voulions

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pas, pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur
que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste »[68].
70. Luc ne parle pas d’une pauvreté en “esprit” mais d’être “pauvre” tout court (cf. Lc 6, 20), et
ainsi il nous invite également à une existence austère et dépouillée. De cette façon, il nous appelle
à partager la vie des plus pauvres, la vie que les Apôtres ont menée, et en définitive à nous
configurer à Jésus qui, étant riche, « s’est fait pauvre » (2 Co 8, 9).
Être pauvre de cœur, c’est cela la sainteté !
«Heureux les doux, car ils possèderont la terre ».
71. C’est une expression forte, dans ce monde qui depuis le commencement est un lieu d’inimitié,
où l’on se dispute partout, où, de tous côtés, il y a de la haine, où constamment nous classons les
autres en fonction de leurs idées, de leurs mœurs, voire de leur manière de parler ou de s’habiller.
En définitive, c’est le règne de l’orgueil et de la vanité, où chacun croit avoir le droit de s’élever au-
dessus des autres. Néanmoins, bien que cela semble impossible, Jésus propose un autre style :
la douceur. C’est ce qu’il pratiquait avec ses propres disciples et c’est ce que nous voyons au
moment de son entrée à Jérusalem : « Voici que ton Roi vient à toi ; modeste, il monte une
ânesse » (Mt 21, 5 ; cf. Zc 9, 9).
72. Jésus a dit : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous
trouverez soulagement pour vos âmes » (Mt 11, 29). Si nous vivons tendus, prétentieux face aux
autres, nous finissons par être fatigués et épuisés. Mais si nous regardons leurs limites et leurs
défauts avec tendresse et douceur, sans nous sentir meilleurs qu’eux, nous pouvons les aider et
nous évitons d’user nos énergies en lamentations inutiles. Pour sainte Thérèse de Lisieux, « la
charité parfaite consiste à supporter les défauts des autres, à ne point s’étonner de leurs
faiblesses »[69].
73. Paul mentionne la douceur comme un fruit de l’Esprit Saint (cf. Ga 5, 23). Il propose que, si
nous sommes parfois préoccupés par les mauvaises actions du frère, nous nous approchions
pour le corriger, mais « avec un esprit de douceur » (Ga 6, 1), et il rappelle : « Tu pourrais bien toi
aussi être tenté » (ibid.). Même lorsque l’on défend sa foi et ses convictions, il faut le faire « avec
douceur » (1 P 3, 16), y compris avec les adversaires qui doivent être traités « avec douceur » (2
Tm 2, 25). Dans l’Église, bien des fois nous nous sommes trompés pour ne pas avoir accueilli
cette requête de la Parole de Dieu.
74. La douceur est une autre expression de la pauvreté intérieure de celui qui place sa confiance
seulement en Dieu. En effet, dans la Bible on utilise habituellement le même mot anawin pour
désigner les pauvres et les doux. Quelqu’un pourrait objecter : “Si je suis trop doux, on pensera
que je suis stupide, que je suis idiot ou faible”. C’est peut-être le cas, mais laissons les autres

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penser cela. Il vaut mieux toujours être doux, et nos plus grands désirs s’accompliront : les doux «
possèderont la terre », autrement dit, ils verront accomplies, dans leurs vies, les promesses de
Dieu. En effet, les doux, indépendamment des circonstances, espèrent dans le Seigneur, et les
humbles possèderont la terre et jouiront d’une grande paix (cf. Ps 37, 9.11). En même temps, le
Seigneur leur fait confiance : « Celui sur qui je porte les yeux, c’est le pauvre et l’humilié, celui qui
tremble à ma parole » (Is 66, 2).
Réagir avec une humble douceur, c’est cela la sainteté !
«Heureux les affligés, car ils seront consolés »
75. Le monde nous propose le contraire : le divertissement, la jouissance, le loisir, la diversion, et
il nous dit que c’est cela qui fait la bonne vie. L’homme mondain ignore, détourne le regard quand
il y a des problèmes de maladie ou de souffrance dans sa famille ou autour de lui. Le monde ne
veut pas pleurer : il préfère ignorer les situations douloureuses, les dissimuler, les cacher. Il
s’ingénie à fuir les situations où il y a de la souffrance, croyant qu’il est possible de masquer la
réalité, où la croix ne peut jamais, jamais manquer.
76. La personne qui voit les choses comme elles sont réellement se laisse transpercer par la
douleur et pleure dans son cœur, elle est capable de toucher les profondeurs de la vie et d’être
authentiquement heureuse[70]. Cette personne est consolée, mais par le réconfort de Jésus et
non par celui du monde. Elle peut ainsi avoir le courage de partager la souffrance des autres et
elle cesse de fuir les situations douloureuses. De cette manière, elle trouve que la vie a un sens,
en aidant l’autre dans sa souffrance, en comprenant les angoisses des autres, en soulageant les
autres. Cette personne sent que l’autre est la chair de sa chair, elle ne craint pas de s’en
approcher jusqu’à toucher sa blessure, elle compatit jusqu’à se rendre compte que les distances
ont été supprimées. Il devient ainsi possible d’accueillir cette exhortation de saint Paul : « Pleurez
avec qui pleure » (Rm 12, 15).
Savoir pleurer avec les autres, c’est cela la sainteté !
«Heureux les affamés et les assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés »
77. ‘‘Avoir faim et soif’’ sont des expériences très intenses, parce qu’elles répondent à des besoins
vitaux et sont liées à l’instinct de survie. Il y a des gens qui avec cette même intensité aspirent à la
justice et la recherchent avec un désir vraiment ardent. Jésus dit qu’ils seront rassasiés, puisque,
tôt ou tard, la justice devient réalité, et nous, nous pouvons contribuer à ce que ce soit possible,
même si nous ne voyons pas toujours les résultats de cet engagement.
78. Mais la justice que Jésus propose n’est pas comme celle que le monde recherche ; une justice
tant de fois entachée par des intérêts mesquins, manipulée d’un côté ou de l’autre. La réalité nous

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montre combien il est facile d’entrer dans les bandes organisées de la corruption, de participer à
cette politique quotidienne du “donnant-donnant”, où tout est affaire. Et que de personnes
souffrent d’injustices, combien sont contraintes à observer, impuissantes, comment les autres se
relaient pour se partager le gâteau de la vie. Certains renoncent à lutter pour la vraie justice et
choisissent de monter dans le train du vainqueur. Cela n’a rien à voir avec la faim et la soif de
justice dont Jésus fait l’éloge.
79. Une telle justice commence à devenir réalité dans la vie de chacun lorsque l’on est juste dans
ses propres décisions, et elle se manifeste ensuite, quand on recherche la justice pour les
pauvres et les faibles. Il est vrai que le mot “justice” peut être synonyme de fidélité à la volonté de
Dieu par toute notre vie, mais si nous lui donnons un sens très général, nous oublions qu’elle se
révèle en particulier dans la justice envers les désemparés : « Recherchez le droit, redressez le
violent ! Faites droit à l’orphelin, plaidez pour la veuve ! » (Is 1, 17).
Rechercher la justice avec faim et soif, c’est cela la sainteté !
«Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ».
80. La miséricorde a deux aspects : elle consiste à donner, à aider, à servir les autres, et aussi à
pardonner, à comprendre. Matthieu le résume dans une règle d’or : « Ainsi, tout ce que vous
voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux » (7, 12). Le
Catéchisme nous rappelle que cette loi doit être appliquée « dans tous les cas »[71], spécialement
quand quelqu’un « est quelquefois affronté à des situations qui rendent le jugement moral moins
assuré et la décision difficile »[72].
81. Donner et pardonner, c’est essayer de reproduire dans nos vies un petit reflet de la perfection
de Dieu qui donne et pardonne en surabondance. C’est pourquoi, dans l’évangile de Luc, nous
n’entendons plus le « soyez parfaits » (Mt 5, 48) mais : « Montrez-vous compatissants, comme
votre Père est compatissant. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas et
vous ne serez pas condamnés ; remettez, et il vous sera remis. Donnez et l’on vous donnera » (6,
36-38). Et puis Luc ajoute quelque chose que nous ne devrions pas ignorer : « De la mesure dont
vous mesurez on mesurera pour vous en retour » (6, 38). La mesure que nous utilisons pour
comprendre et pour pardonner nous sera appliquée pour nous pardonner. La mesure que nous
appliquons pour donner, nous sera appliquée au ciel pour nous récompenser. Nous n’avons pas
intérêt à l’oublier.
82. Jésus ne dit pas : “Heureux ceux qui planifient la vengeance”, mais il appelle heureux ceux qui
pardonnent et qui le font « jusqu’à soixante-dix-sept fois » (Mt 18, 22). Il faut savoir que tous, nous
constituons une armée de gens pardonnés. Nous tous, nous avons bénéficié de la compassion
divine. Si nous nous approchons sincèrement du Seigneur et si nous tendons l’oreille, nous
entendrons parfois probablement ce reproche : « Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton

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compagnon comme moi j’ai eu pitié de toi ? » (Mt 18, 33).
Regarder et agir avec miséricorde, c’est cela la sainteté !
«Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ».
83. Cette béatitude concerne les personnes qui ont un cœur simple, pur, sans souillure, car un
cœur qui sait aimer ne laisse pas entrer dans sa vie ce qui porte atteinte à cet amour, ce qui le
fragilise ou ce qui le met en danger. Dans la Bible, le cœur, ce sont nos intentions véritables, ce
que nous cherchons vraiment et que nous désirons, au-delà de ce qui nous laissons transparaître
: « Car ils [les hommes] ne voient que les yeux, mais le Seigneur voit le cœur » (1 S 16, 7). Il
cherche à parler à notre cœur (cf. Os 2, 16) et il désire y écrire sa Loi (cf. Jr. 31, 33). En définitive,
il veut nous donner un cœur nouveau (cf. Ez 36, 26).
84. Plus que sur toute chose, il faut veiller sur le cœur (cf. Pr 4, 23). S’il n’est en rien souillé par le
mensonge, ce cœur a une valeur réelle pour le Seigneur. Il « fuit la fourberie, il se retire devant
des pensées sans intelligence » (Sg 1, 5). Le Père, qui « voit dans le secret » (Mt 6, 6), reconnaît
ce qui n’est pas pur, autrement dit, ce qui n’est pas sincère, mais qui est seulement une coquille et
une apparence, tout comme le Fils sait « ce qu'il y [a] dans l'homme » (Jn 2, 25).
85. Il est vrai qu’il n’y a pas d’amour sans des œuvres d’amour, mais cette béatitude nous rappelle
que le Seigneur demande un don de soi au frère qui vienne du cœur, puisque « quand je
distribuerais tous mes biens en aumône, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas
la charité, cela ne me sert de rien » (1 Co 13, 3). Dans l’Évangile selon Matthieu, nous voyons
aussi que ce qui procède du cœur, c’est cela qui souille l’homme (cf. 15, 18), car de là
proviennent, entre autres, les crimes, le vol, les faux témoignages. (cf. Mt 15, 19). Les désirs et les
décisions les plus profonds, qui nous guident réellement, trouvent leur origine dans les intentions
du cœur.
86. Quand le cœur aime Dieu et le prochain (cf. Mt 22, 36-40), quand telle est son intention
véritable et non pas de vaines paroles, alors ce cœur est pur et il peut voir Dieu. Saint Paul, dans
son hymne à la charité, rappelle que « nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme » (1 Co
13, 12), mais dans la mesure où règne l’amour vrai, nous serons capables de voir « face à face »
(ibid.). Jésus promet que ceux qui ont un cœur pur ‘‘verront Dieu’’.
Garder le cœur pur de tout ce qui souille l’amour, c’est cela la sainteté !
«Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu ».
87. Cette béatitude nous fait penser aux nombreuses situations de guerre qui se répètent. En ce
qui nous concerne, il est fréquent que nous soyons des instigateurs de conflits ou au moins des

3 Pages 21-30

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3.1 Page 21

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21
causes de malentendus. Par exemple, quand j’entends quelque chose de quelqu’un, que je vais
voir une autre personne et que je le lui répète ; et que j’en fais même une deuxième version un
peu plus étoffée et que je la propage. Et si je réussis à faire plus de mal, il semble que cela me
donne davantage de satisfaction. Le monde des ragots, fait de gens qui s’emploient à critiquer et
à détruire, ne construit pas la paix. Ces gens sont au contraire des ennemis de la paix et
aucunement bienheureux[73].
88. Les pacifiques sont source de paix, ils bâtissent la paix et l’amitié sociales. À ceux qui
s’efforcent de semer la paix en tous lieux, Jésus a fait une merveilleuse promesse : « Ils seront
appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9). Il a demandé à ses disciples de dire en entrant dans une maison :
« Paix à cette maison ! » (Lc 10, 5). La Parole de Dieu exhorte chaque croyant à rechercher la
paix ‘‘en union avec tous’’ (cf. 2 Tm 2, 22), car « un fruit de justice est semé dans la paix pour
ceux qui produisent la paix » (Jc 3, 18). Et si parfois, dans notre communauté, nous avons des
doutes quant à ce que nous devons faire, « poursuivons donc ce qui favorise la paix » (Rm 14,
19), parce que l’unité est supérieure au conflit[74].
89. Il n’est pas facile de bâtir cette paix évangélique qui n’exclut personne mais qui inclut
également ceux qui sont un peu étranges, les personnes difficiles et compliquées, ceux qui
réclament de l’attention, ceux qui sont différents, ceux qui sont malmenés par la vie, ceux qui ont
d’autres intérêts. C’est dur et cela requiert une grande ouverture d’esprit et de cœur, parce qu’il ne
s’agit pas d’« un consensus de bureau ou d’une paix éphémère, pour une minorité heureuse »[75]
ni d’un projet « de quelques-uns destiné à quelques-uns »[76]. Il ne s’agit pas non plus d’ignorer
ou de dissimuler les conflits, mais « d’accepter de supporter le conflit, de le résoudre et de le
transformer en un maillon d’un nouveau processus »[77]. Il s’agit d’être des artisans de paix,
parce que bâtir la paix est un art qui exige sérénité, créativité, sensibilité et dextérité.
Semer la paix autour de nous, c’est cela la sainteté !
«Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux ».
90. Jésus lui-même souligne que ce chemin va à contrecourant, au point de nous transformer en
sujets qui interpellent la société par leur vie, en personnes qui dérangent. Jésus rappelle combien
de personnes sont persécutées et ont été persécutées simplement pour avoir lutté pour la justice,
pour avoir vécu leurs engagements envers Dieu et envers les autres. Si nous ne voulons pas
sombrer dans une obscure médiocrité, ne recherchons pas une vie confortable, car « qui veut […]
sauver sa vie la perdra » (Mt 16, 25).
91. Pour vivre l’Évangile, on ne peut pas s’attendre à ce que tout autour de nous soit favorable,
parce que souvent les ambitions du pouvoir et les intérêts mondains jouent contre nous. Saint
Jean-Paul II disait qu’« une société est aliénée quand, dans les formes de son organisation
sociale, de la production et de la consommation, elle rend plus difficile la réalisation [du] don [de

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22
soi] et la constitution de [la] solidarité entre hommes »[78]. Dans une telle société aliénée, prise
dans un enchevêtrement politique, médiatique, économique, culturel et même religieux qui
empêche un authentique développement humain et social, il devient difficile de vivre les
béatitudes, et cela est même mal vu, suspecté, ridiculisé.
92. La croix, en particulier les peines et les souffrances que nous supportons pour suivre le
commandement de l’amour et le chemin de la justice, est une source de maturation et de
sanctification. Rappelons-nous que, lorsque le Nouveau Testament parle des souffrances qu’il faut
supporter pour l’Évangile, il se réfère précisément aux persécutions (cf. Ac 5, 41 ; Ph 1, 29 ; Col 1,
24 ; 2 Tm 1, 12 ; 1 P 2, 20 ; 4, 14-16 ; Ap 2, 10).
93. Mais nous parlons des persécutions inévitables, non pas de celles que nous pouvons causer
nous-mêmes par une mauvaise façon de traiter les autres. Un saint n’est pas quelqu’un de
bizarre, de distant, qui se rend insupportable par sa vanité, sa négativité et ses rancœurs. Les
Apôtres du Christ n’étaient pas ainsi. Le livre des Actes rapporte avec insistance que ceux-ci
jouissaient de la sympathie « de tout le peuple » (2, 47 ; cf. 4, 21.33 ; 5, 13), tandis que certaines
autorités les harcelaient et les persécutaient (cf. 4, 1-3 ; 5, 17-18).
94. Les persécutions ne sont pas une réalité du passé, parce qu’aujourd’hui également, nous en
subissons, que ce soit d’une manière sanglante, comme tant de martyrs contemporains, ou d’une
façon plus subtile, à travers des calomnies et des mensonges. Jésus dit d’être heureux quand «
on dira faussement contre vous toute sorte d’infamie » (Mt 5, 11). D’autres fois, il s’agit de
moqueries qui cherchent à défigurer notre foi et à nous faire passer pour des êtres ridicules.
Accepter chaque jour le chemin de l’Évangile même s’il nous crée des problèmes, c’est cela la
sainteté !
Le grand critère
95. Dans le chapitre 25 de l’Évangile selon Matthieu (vv. 31-46), Jésus s’arrête de nouveau sur
l’une des béatitudes, celle qui déclare heureux les miséricordieux. Si nous recherchons cette
sainteté qui plaît aux yeux de Dieu, nous trouvons précisément dans ce texte un critère sur la
base duquel nous serons jugés : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous
m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade
et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir » (25, 35-36).
Par fidélité au Maître
96. Donc, être saint ne signifie pas avoir le regard figé dans une prétendue extase. Saint Jean-
Paul II disait que « si nous sommes vraiment repartis de la contemplation du Christ, nous devrons
savoir le découvrir surtout dans le visage de ceux auxquels il a voulu lui-même s’identifier »[79].

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23
Le texte de Matthieu 25, 35-36 « n’est pas une simple invitation à la charité ; c’est une page de
christologie qui projette un rayon de lumière sur le mystère du Christ »[80]. Dans cet appel à le
reconnaître dans les pauvres et les souffrants, se révèle le cœur même du Christ, ses sentiments
et ses choix les plus profonds, auxquels tout saint essaie de se conformer.
97. Vu le caractère formel de ces requêtes de Jésus, il est de mon devoir de supplier les chrétiens
de les accepter et de les recevoir avec une ouverture d’esprit sincère, “sine glossa”, autrement dit,
sans commentaire, sans élucubrations et sans des excuses qui les privent de leur force. Le
Seigneur nous a précisé que la sainteté ne peut pas être comprise ni être vécue en dehors de ces
exigences, parce que la miséricorde est « le cœur battant de l’Évangile»[81].
98. Quand je rencontre une personne dormant exposée aux intempéries, dans une nuit froide, je
peux considérer que ce fagot est un imprévu qui m’arrête, un délinquant désœuvré, un obstacle
sur mon chemin, un aiguillon gênant pour ma conscience, un problème que doivent résoudre les
hommes politiques, et peut-être même un déchet qui pollue l’espace public. Ou bien je peux réagir
à partir de la foi et de la charité, et reconnaître en elle un être humain doté de la même dignité que
moi, une créature infiniment aimée par le Père, une image de Dieu, un frère racheté par Jésus-
Christ. C’est cela être chrétien ! Ou bien peut-on comprendre la sainteté en dehors de cette
reconnaissance vivante de la dignité de tout être humain ?[82]
99. Pour les chrétiens, cela implique une saine et permanente insatisfaction. Bien que soulager
une seule personne justifierait déjà tous nos efforts, cela ne nous suffit pas. Les Evêques du
Canada l’ont exprimé clairement en soulignant que, dans les enseignements bibliques sur le
Jubilé, par exemple, il ne s’agit pas seulement d’accomplir quelques bonnes œuvres mais de
rechercher un changement social : « Pour que les générations futures soient également libérées, il
est clair que l’objectif doit être la restauration de systèmes sociaux et économiques justes de
manière que, désormais, il ne puisse plus y avoir d’exclusion »[83].
Les idéologies qui mutilent le cœur de l’Evangile
100. Je regrette que parfois les idéologies nous conduisent à deux erreurs nuisibles. D’une part,
celle des chrétiens qui séparent ces exigences de l’Evangile de leur relation personnelle avec le
Seigneur, de l’union intérieure avec lui, de la grâce. Ainsi, le christianisme devient une espèce
d’ONG, privée de cette mystique lumineuse qu’ont si bien vécue et manifestée saint François
d’Assise, saint Vincent de Paul, sainte Teresa de Calcutta, et beaucoup d’autres. Chez ces grands
saints, ni la prière, ni l’amour de Dieu, ni la lecture de l’Evangile n’ont diminué la passion ou
l’efficacité du don de soi au prochain, mais bien au contraire.
101. Est également préjudiciable et idéologique l’erreur de ceux qui vivent en suspectant
l’engagement social des autres, le considérant comme quelque chose de superficiel, de mondain,
de laïcisant, d’immanentiste, de communiste, de populiste. Ou bien, ils le relativisent comme s’il y

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avait d’autres choses plus importantes ou comme si les intéressait seulement une certaine éthique
ou une cause qu’eux-mêmes défendent. La défense de l’innocent qui n’est pas encore né, par
exemple, doit être sans équivoque, ferme et passionnée, parce que là est en jeu la dignité de la
vie humaine, toujours sacrée, et l’amour de chaque personne indépendamment de son
développement exige cela. Mais est également sacrée la vie des pauvres qui sont déjà nés, de
ceux qui se débattent dans la misère, l’abandon, le mépris, la traite des personnes, l’euthanasie
cachée des malades et des personnes âgées privées d’attention, dans les nouvelles formes
d’esclavage, et dans tout genre de marginalisation[84]. Nous ne pouvons pas envisager un idéal
de sainteté qui ignore l’injustice de ce monde où certains festoient, dépensent allègrement et
réduisent leur vie aux nouveautés de la consommation, alors que, dans le même temps, d’autres
regardent seulement du dehors, pendant que leur vie s’écoule et finit misérablement.
102. On entend fréquemment que, face au relativisme et aux défaillances du monde actuel, la
situation des migrants, par exemple, serait un problème mineur. Certains catholiques affirment
que c’est un sujet secondaire à côté des questions “sérieuses” de la bioéthique. Qu’un homme
politique préoccupé par ses succès dise une telle chose, on peut arriver à la comprendre ; mais
pas un chrétien, à qui ne sied que l’attitude de se mettre à la place de ce frère qui risque sa vie
pour donner un avenir à ses enfants. Pouvons-nous reconnaître là précisément ce que Jésus-
Christ nous demande quand il nous dit que nous l’accueillons lui-même dans chaque étranger (cf.
Mt 25, 35) ? Saint Benoît l’avait accepté sans réserve et, bien que cela puisse “compliquer” la vie
des moines, il a disposé que tous les hôtes qui se présenteraient au monastère, on les accueille «
comme le Christ »[85] en l’exprimant même par des gestes d’adoration[86], et que les pauvres et
les pèlerins soient traités « avec le plus grand soin et sollicitude »[87].
103. L’Ancien Testament ordonne quelque chose de semblable quand il dit : « Tu ne molesteras
pas l’étranger ni ne l’opprimeras, car vous-mêmes avez été étrangers dans le pays d’Égypte » (Ex
22, 20). « L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras
comme toi-même, car vous avez été des étrangers au pays d’Égypte » (Lv 19, 33-34). Par
conséquent, il ne s’agit pas d’une invention d’un Pape ou d’un délire passager. Nous aussi, dans
le contexte actuel, nous sommes appelés à parcourir le chemin de l’illumination spirituelle que
nous indiquait le prophète Isaïe quand il s’interrogeait sur ce qui plaît à Dieu : « N’est-ce pas
partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu,
le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair ? Alors ta lumière éclatera comme
l’aurore » (58, 7-8).
Le culte qui lui plaît le plus
104. Nous pourrions penser que nous rendons gloire à Dieu seulement par le culte et la prière, ou
uniquement en respectant certaines normes éthiques – certes la primauté revient à la relation
avec Dieu – et nous oublions que le critère pour évaluer notre vie est, avant tout, ce que nous
avons fait pour les autres. La prière a de la valeur si elle alimente un don de soi quotidien par

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amour. Notre culte plaît à Dieu quand nous y mettons la volonté de vivre avec générosité et quand
nous laissons le don reçu de Dieu se traduire dans le don de nous-mêmes aux frères.
105. Pour la même raison, la meilleure façon de discerner si notre approche de la prière est
authentique sera de regarder dans quelle mesure notre vie est en train de se transformer à la
lumière de la miséricorde. En effet, « la miséricorde n’est pas seulement l’agir du Père, mais elle
devient le critère pour comprendre qui sont ses véritables enfants »[88]. Elle « est le pilier qui
soutient la vie de l’Église »[89]. Je voudrais souligner une fois de plus que, si la miséricorde
n’exclut pas la justice et la vérité, « avant tout, nous devons dire que la miséricorde est la
plénitude de la justice et la manifestation la plus lumineuse de la vérité de Dieu »[90]. Elle « est la
clef du ciel »[91].
106. Je ne peux pas m’empêcher de rappeler cette question que se posait saint Thomas d’Aquin
quand il examinait quelles sont nos actions les plus grandes, quelles sont les œuvres extérieures
qui manifestent le mieux notre amour de Dieu. Il a répondu sans hésiter que ce sont les œuvres
de miséricorde envers le prochain[92]. plus que les actes de culte : « Les sacrifices et les
offrandes qui font partie du culte divin ne sont pas pour Dieu lui-même, mais pour nous et nos
proches. Lui-même n’en a nul besoin, et s’il les veut, c’est pour exercer notre dévotion et pour
aider le prochain. C’est pourquoi la miséricorde qui subvient aux besoins des autres, lui agrée
davantage, étant plus immédiatement utile au prochain »[93].
107. Celui qui veut vraiment rendre gloire à Dieu par sa vie, celui qui désire réellement se
sanctifier pour que son existence glorifie le Saint, est appelé à se consacrer, à s’employer, et à
s’évertuer à essayer de vivre les œuvres de miséricorde. C’est ce qu’a parfaitement compris
sainte Teresa de Calcutta : « Oui, j’ai beaucoup de faiblesses humaines, beaucoup de misères
humaines […] Mais il s’abaisse et il se sert de nous, de vous et de moi, pour que nous soyons son
amour et sa compassion dans le monde, malgré nos péchés, malgré nos misères et nos défauts.
Il dépend de nous pour aimer le monde, et lui prouver à quel point il l’aime. Si nous nous
occupons trop de nous-mêmes, nous n’aurons plus de temps pour les autres »[94].
108. Le consumérisme hédoniste peut nous jouer un mauvais tour, parce qu’avec l’obsession de
passer du bon temps, nous finissons par être excessivement axés sur nous-mêmes, sur nos droits
et sur la hantise d’avoir du temps libre pour en jouir. Il sera difficile pour nous de nous soucier de
ceux qui se sentent mal et de consacrer des énergies à les aider, si nous ne cultivons pas une
certaine austérité, si nous ne luttons pas contre cette fièvre que nous impose la société de
consommation pour nous vendre des choses, et qui finit par nous transformer en pauvres
insatisfaits qui veulent tout avoir et tout essayer. La consommation de l’information superficielle et
les formes de communication rapide et virtuelle peuvent également être un facteur
d’abrutissement qui nous enlève tout notre temps et nous éloigne de la chair souffrante des frères.
Au milieu de ce tourbillon actuel, l’Évangile vient résonner de nouveau pour nous offrir une vie
différente, plus saine et plus heureuse.

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26
***
109. La force du témoignage des saints, c’est d’observer les béatitudes et le critère du jugement
dernier. Ce sont peu de paroles, simples mais pratiques et valables pour tout le monde, parce que
le christianisme est principalement fait pour être pratiqué, et s’il est objet de réflexion, ceci n’est
valable que quand il nous aide à incarner l’Évangile dans la vie quotidienne. Je recommande de
nouveau de relire fréquemment ces grands textes bibliques, de se les rappeler, de prier en s’en
servant, d’essayer de les faire chair. Ils nous feront du bien, ils nous rendront vraiment heureux.
Quatrième chapitre
QUELQUES CARACTÉRISTIQUES
DE LA SAINTETÉ DANS LE MONDE ACTUEL
110. Dans le grand tableau de la sainteté que nous proposent les béatitudes et Matthieu 25, 31-
46, je voudrais recueillir certaines caractéristiques ou expressions spirituelles qui, à mon avis, sont
indispensables pour comprendre le style de vie auquel Jésus nous appelle. Je ne vais pas
m’attarder à expliquer les moyens de sanctification que nous connaissons déjà : les différentes
méthodes de prière, les précieux sacrements de l’Eucharistie et de la Réconciliation, l’offrande de
sacrifices, les diverses formes de dévotion, la direction spirituelle, et tant d’autres. Je me référerai
uniquement à quelques aspects de l’appel à la sainteté dont j’espère qu’ils résonneront de
manière spéciale.
111. Ces caractéristiques que je voudrais souligner ne sont pas toutes celles qui peuvent
composer un modèle de sainteté, mais elles sont au nombre de cinq, les grandes manifestations
de l’amour envers Dieu et le prochain que je considère d’une importance particulière, vu certains
risques et certaines limites de la culture d’aujourd’hui. Dans cette culture se manifestent : l’anxiété
nerveuse et violente qui nous disperse et nous affaiblit ; la négativité et la tristesse ; l’acédie
commode, consumériste et égoïste ; l’individualisme et de nombreuses formes de fausse
spiritualité sans rencontre avec Dieu qui règnent dans le marché religieux actuel.
Endurance, patience et douceur
112. La première de ces grandes caractéristiques, c’est d’être centré, solidement axé sur Dieu qui
aime et qui soutient. Grâce à cette force intérieure, il est possible d’endurer, de supporter les
contrariétés, les vicissitudes de la vie, et aussi les agressions de la part des autres, leurs
infidélités et leurs défauts : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8, 31). Voilà la
source de la paix qui s’exprime dans les attitudes d’un saint. Grâce à cette force intérieure, le
témoignage de sainteté, dans notre monde pressé, changeant et agressif, est fait de patience et

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27
de constance dans le bien. C’est la fidélité de l’amour, car celui qui s’appuie sur Dieu (pistis) peut
également être fidèle aux frères (pistós) ; il ne les abandonne pas dans les moments difficiles, il
ne se laisse pas mener par l’anxiété et reste aux côtés des autres même lorsque cela ne lui donne
pas de satisfactions immédiates.
113. Saint Paul invitait les Romains à ne « rendre à personne le mal pour le mal » (Rm 12, 17), à
ne pas vouloir se « faire justice à [eux]-mêmes » (v. 19), et à ne pas se laisser vaincre par le mal,
mais à être vainqueurs « du mal par le bien » (v. 21). Cette attitude n’est pas un signe de faiblesse
mais de la vraie force, car Dieu lui-même « est lent à la colère, mais grand par sa puissance » (Na
1, 3). La Parole de Dieu nous met en garde : « Aigreur, emportement, colère, clameurs, outrages,
tout cela doit être extirpé de chez vous, avec la malice sous toutes ses formes » (Ep 4, 31).
114. Il nous faut lutter et être attentifs face à nos propres penchants agressifs et égocentriques
pour ne pas permettre qu’ils s’enracinent : « Emportez-vous, mais ne commettez pas le péché :
que le soleil ne se couche pas sur votre colère » (Ep 4, 26). Quand des circonstances nous
accablent, nous pouvons toujours recourir à l’ancre de la supplication qui nous conduit à demeurer
encore dans les mains de Dieu et près de la source de la paix : « N’entretenez aucun souci ; mais
en tout besoin recourez à l’oraison et à la prière, pénétrées d’action de grâces, pour présenter vos
requêtes à Dieu. Alors la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, prendra sous sa garde vos
cœurs et vos pensées » (Ph 4, 6-7).
115. Les chrétiens aussi peuvent faire partie des réseaux de violence verbale sur Internet et à
travers les différents forums ou espaces d’échange digital. Même dans des milieux catholiques, on
peut dépasser les limites, on a coutume de banaliser la diffamation et la calomnie, et toute éthique
ainsi que tout respect de la renommée d’autrui semblent évacués. Ainsi se produit un dangereux
dualisme, car sur ces réseaux on dit des choses qui ne seraient pas tolérables dans la vie
publique, et on cherche à compenser ses propres insatisfactions en faisant déferler avec furie les
désirs de vengeance. Il est significatif que parfois, en prétendant défendre d’autres
commandements, on ignore complètement le huitième : ‘‘Ne pas porter de faux témoignage ni
mentir’’, et on détruit l’image de l’autre sans pitié. Là se manifeste sans contrôle le fait que la
langue est un « monde du mal » et « elle enflamme le cycle de la création, enflammée qu’elle est
par la Géhenne » (Jc 3, 6).
116. La force intérieure qui est l’œuvre de la grâce nous préserve de la contagion de la violence
qui envahit la vie sociale, car la grâce apaise la vanité et rend possible la douceur du cœur. Le
saint ne consacre pas ses énergies à déplorer les erreurs d’autrui ; il est capable de faire silence
devant les défauts de ses frères et il évite la violence verbale qui dévaste et maltraite, parce qu’il
ne se juge pas digne d’être dur envers les autres, mais il les estime supérieurs à lui-même (cf. Ph
2, 3).
117. Il n’est pas bon pour nous de regarder de haut, d’adopter la posture de juges impitoyables,

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28
d’estimer les autres indignes et de prétendre donner des leçons constamment. C’est là une forme
subtile de violence[95]. Saint Jean de la Croix proposait autre chose : « Préfère être enseigné de
tout le monde que d’instruire le moindre de tous »[96]. Et il ajoutait un conseil pour tenir éloigné le
démon : « [...| Te réjouir du bien d’autrui comme du tien propre, [...] désirer que les autres te soient
préférés en toutes choses, le désirer, dis-je, très sincèrement. De cette façon, tu surmonteras le
mal par le bien, tu repousseras le démon loin de toi, tu auras le cœur dans la joie. Et tout cela, tu
chercheras à l’exercer envers les personnes qui te reviendront le moins. Sache que si tu n’en
viens là, tu n’arriveras pas à la parfaite charité, et que même tu n’en approcheras point »[97].
118. L’humilité ne peut s’enraciner dans le cœur qu’à travers les humiliations. Sans elles, il n’y a ni
humilité ni sainteté. Si tu n’es pas capable de supporter et de souffrir quelques humiliations, tu
n’es pas humble et tu n’es pas sur le chemin de la sainteté. La sainteté que Dieu offre à son
Église vient à travers l’humiliation de son Fils. Voilà le chemin ! L’humiliation te conduit à
ressembler à Jésus, c’est une partie inéluctable de l’imitation de Jésus-Christ : « Le Christ […] a
souffert pour vous, vous laissant un modèle afin que vous suiviez ses traces » (1 P 2, 21). Pour sa
part, il exprime l’humilité du Père qui s’humilie pour marcher avec son peuple, qui supporte ses
infidélités et ses murmures (cf. Ex 34, 6-9 ; Sg 11, 23-12, 2 ; Lc 6, 36). C’est pourquoi les Apôtres,
après l’humiliation, étaient « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le
Nom de Jésus » (Ac 5, 41).
119. Je ne me réfère pas uniquement aux situations cruelles de martyre, mais aux humiliations
quotidiennes de ceux qui se taisent pour sauver leur famille, ou évitent de parler bien d’eux-
mêmes et préfèrent louer les autres au lieu de se glorifier, choisissent les tâches les moins
gratifiantes, et même préfèrent parfois supporter quelque chose d’injuste pour l’offrir au Seigneur :
« Si, faisant le bien, vous supportez la souffrance, c’est une grâce auprès de Dieu » (1 P 2, 20). Il
ne s’agit pas de marcher la tête basse, de parler peu ou de fuir la société. Parfois précisément,
parce que libéré de l’égocentrisme, quelqu’un peut oser discuter gentiment, réclamer la justice ou
défendre les faibles face aux puissants, bien que cela lui attire des conséquences négatives pour
son image.
120. Je ne dis pas que l’humiliation soit quelque chose d’agréable, car ce serait du masochisme,
mais je dis qu’il s’agit d’un chemin pour imiter Jésus et grandir dans l’union avec lui. Cela ne va
pas de soi et le monde se moque d’une pareille proposition. C’est une grâce qu’il nous faut
demander : ‘‘Seigneur, quand arrivent les humiliations, aide-moi à sentir que je suis derrière toi,
sur ton chemin’’.
121. Cette attitude suppose un cœur pacifié par le Christ, libéré de cette agressivité qui jaillit d’un
ego démesuré. La même pacification que réalise la grâce nous permet de garder une assurance
intérieure et de supporter, de persévérer dans le bien même en traversant « un ravin de ténèbres
» (Ps 23, 4), ou même si une armée vient « camper contre moi » (Ps 27, 3). Fermes dans le
Seigneur, le Rocher, nous pouvons chanter : « En paix, tout aussitôt, je me couche et je dors :

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c’est toi, Seigneur, qui m’établis à part, en sûreté » (Ps 4, 9). En définitive, le Christ « est notre
paix » (Ep 2, 14), il vient « guider nos pas dans le chemin de la paix » (Lc 1, 79). Il a communiqué
à sainte Faustine Kowalska : « L’humanité ne trouvera pas la paix tant qu’elle ne se tournera pas
avec confiance vers ma miséricorde divine »[98]. Ne tombons donc pas dans la tentation de
chercher l’assurance intérieure dans le succès, dans les plaisirs vides, dans la possession, dans
la domination des autres ou dans l’image sociale : « Je vous laisse la paix ; c’est ma paix que je
vous donne ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne » (Jn 14, 27).
Joie et sens de l’humour
122. Ce qui a été dit jusqu’à présent n’implique pas un esprit inhibé, triste, aigri, mélancolique ou
un profil bas amorphe. Le saint est capable de vivre joyeux et avec le sens de l’humour. Sans
perdre le réalisme, il éclaire les autres avec un esprit positif et rempli d’espérance. Être chrétien
est « joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14, 17), parce que « l’amour de charité entraîne
nécessairement la joie. Toujours celui qui aime se réjouit d’être uni à l’aimé […]. C’est pourquoi la
joie est conséquence de la charité »[99]. Nous avons reçu la merveille de sa Parole et nous
l’embrassons « parmi bien des tribulations, avec la joie de l’Esprit Saint » (1 Th 1, 6). Si nous
laissons le Seigneur nous sortir de notre carapace et nous changer la vie, alors nous pourrons
réaliser ce que demandait saint Paul : « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le dis
encore, réjouissez-vous » (Ph 4, 4).
123. Les prophètes annonçaient le temps de Jésus que nous sommes en train de vivre comme
une révélation de la joie : « Pousse des cris de joie, des clameurs » (Is 12, 6). « Monte sur une
haute montagne, messagère de Sion ; élève et force la voix, messagère de Jérusalem » (Is 40, 9).
« Que les montagnes poussent des cris, car le Seigneur a consolé son peuple, il prend en pitié
ses affligés » (Is 49, 13). « Exulte avec force, fille de Sion ! Crie de joie, fille de Jérusalem ! Voici
que ton roi vient à toi : il est juste et victorieux, humble » (Za 9, 9). Et n’oublions pas l’exhortation
de Néhémie : « Ne vous affligez point : la joie du Seigneur est votre forteresse ! » (8, 10).
124. Marie, qui a su découvrir la nouveauté que Jésus apportait, chantait : « Mon esprit tressaille
de joie en Dieu mon sauveur » (Lc 1, 47) et Jésus lui-même « tressaillit de joie sous l’action de
l’Esprit Saint » (Lc 10, 21). Quand il passait, « la foule était dans la joie » (Lc 13, 17). Après sa
résurrection, là où arrivaient les disciples il y avait une « joie vive » (Ac 8, 8). Jésus nous donne
une assurance : « Vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie […]. Je vous verrai
de nouveau et votre cœur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l’enlèvera » (Jn 16, 20.22). «
Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn 15, 11).
125. Il y a des moments difficiles, des temps de croix, mais rien ne peut détruire la joie
surnaturelle qui « s’adapte et se transforme, et elle demeure toujours au moins comme un rayon
de lumière qui naît de la certitude personnelle d’être infiniment aimé, au-delà de tout »[100]. C’est
une assurance intérieure, une sérénité remplie d’espérance qui donne une satisfaction spirituelle

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incompréhensible selon les critères du monde.
126. Ordinairement, la joie chrétienne est accompagnée du sens de l’humour, si remarquable, par
exemple, chez saint Thomas More, chez saint Vincent de Paul ou chez saint Philippe Néri. La
mauvaise humeur n’est pas un signe de sainteté : « Eloigne de ton cœur le chagrin » (Qo 11, 10).
Ce que nous recevons du Seigneur « afin d’en jouir » (1 Tm 6, 17) est tel que parfois la tristesse
frise l’ingratitude de notre part, frise le repli sur nous-mêmes au point que nous sommes
incapables de reconnaître les dons de Dieu[101].
127. Son amour paternel nous invite : « Mon fils, traite-toi bien […]. Ne te refuse pas le bonheur
présent » (Si 14, 11.14). Il nous veut positifs, reconnaissants et pas trop compliqués : « Au jour du
bonheur, sois heureux […]. Dieu a fait l’homme tout droit, et lui, cherche bien des calculs » (Qo 7,
14.29). En toute circonstance, il faut garder un esprit souple, et faire comme saint Paul : « J’ai
appris en effet à me suffire en toute occasion » (Ph 4, 11). C’est ce que vivait saint François
d’Assise, capable d’être ému de gratitude devant un morceau de pain dur, ou bien, heureux de
louer Dieu uniquement pour la brise qui caressait son visage.
128. Je ne parle pas de la joie consumériste et individualiste si répandue dans certaines
expériences culturelles d’aujourd’hui. Car le consumérisme ne fait que surcharger le cœur ; il peut
offrir des plaisirs occasionnels et éphémères, mais pas la joie. Je me réfère plutôt à cette joie qui
se vit en communion, qui se partage et se distribue, car « il y a plus de bonheur à donner qu’à
recevoir » (Ac 20, 35) et « Dieu aime celui qui donne avec joie » (2 Co 9, 7). L’amour fraternel
accroît notre capacité de joie, puisqu’il nous rend capables de jouir du bien des autres : «
Réjouissez-vous avec qui est dans la joie » (Rm 12, 15). « Nous nous réjouissons, quand nous
sommes faibles et que vous êtes forts » (2 Co 13, 9). En revanche, « si nous nous concentrons
sur nos propres besoins, nous nous condamnons à vivre avec peu de joie »[102].
Audace et ferveur
129. En même temps, la sainteté est parresía : elle est audace, elle est une incitation à
l’évangélisation qui laisse une marque dans ce monde. Pour que cela soit possible, Jésus lui-
même vient à notre rencontre et nous répète avec sérénité et fermeté : « Soyez sans crainte »
(Mc 6, 50). « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).
Ces paroles nous permettent de marcher et de servir dans cette attitude pleine de courage que
suscitait l’Esprit Saint chez les Apôtres et qui les conduisait à annoncer Jésus-Christ. Audace,
enthousiasme, parler en toute liberté, ferveur apostolique, tout cela est compris dans le vocable
parresía, terme par lequel la Bible désigne également la liberté d’une existence qui est ouverte,
parce qu’elle se trouve disponible à Dieu et aux autres (cf. Ac 4, 29 ; 9, 28 ; 28, 31 ; 2 Co 3, 12 ;
Ep 3, 12 ; He 3, 6 ; 10, 19).
130. Le bienheureux Paul VI mentionnait parmi les obstacles à l’évangélisation précisément le

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31
manque de parresía : « Le manque de ferveur […] est d’autant plus grave qu’il vient du dedans
»[103]. Que de fois nous nous sentons engourdis par le confort de la rive ! Mais le Seigneur nous
appelle à naviguer au large et à jeter les filets dans des eaux plus profondes (cf. Lc 5, 4). Il nous
invite à consacrer notre vie à son service. Attachés à lui, nous avons le courage de mettre tous
nos charismes au service des autres. Puissions-nous nous sentir récompensés par son amour (cf.
2 Co 5, 14) et puissions-nous dire avec saint Paul : « Malheur à moi si je n'annonçais pas
l’Evangile ! » (1 Co 9, 16).
131. Regardons Jésus : sa compassion profonde n’était pas quelque chose qui l’isolait, ce n’était
pas une compassion paralysante, timide ou honteuse comme bien des fois cela nous arrive, bien
au contraire ! C’était une compassion qui l’incitait à sortir de lui-même avec vigueur pour
annoncer, pour envoyer en mission, pour envoyer guérir et libérer. Reconnaissons notre fragilité
mais laissons Jésus la saisir de ses mains et nous envoyer en mission. Nous sommes fragiles
mais porteurs d’un trésor qui nous grandit et qui peut rendre meilleurs et plus heureux ceux qui le
reçoivent. L’audace et le courage apostoliques sont des caractéristiques de la mission.
132. La parresía est un sceau de l’Esprit, une marque de l’authenticité de l’annonce. Elle est
l’assurance heureuse qui nous conduit à trouver notre gloire dans l’Évangile que nous annonçons,
elle est confiance inébranlable dans la fidélité du Témoin fidèle qui nous donne l’assurance que
rien « ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu » (Rm 8, 39).
133. Nous avons besoin de l’impulsion de l’Esprit pour ne pas être paralysés par la peur et par le
calcul, pour ne pas nous habituer à ne marcher que dans des périmètres sûrs. Souvenons-nous
que ce qui est renfermé finit par sentir l’humidité et par nous rendre malades. Quand les Apôtres
ont senti la tentation de se laisser paralyser par les craintes et les dangers, ils se sont mis à prier
ensemble en demandant la parresía : « À présent donc, Seigneur, considère leurs menaces et
[permets] à tes serviteurs d’annoncer ta parole en toute assurance » (Ac 4, 29). Et la réponse a
été que « tandis qu’ils priaient, l’endroit où ils se trouvaient réunis trembla ; tous furent alors
remplis du Saint Esprit et se mirent à annoncer la parole de Dieu avec assurance » (Ac 4, 31).
134. Comme le prophète Jonas, nous avons en nous la tentation latente de fuir vers un endroit sûr
qui peut avoir beaucoup de noms : individualisme, spiritualisme, repli dans de petits cercles,
dépendance, routine, répétition de schémas préfixés, dogmatisme, nostalgie, pessimisme, refuge
dans les normes. Peut-être refusons-nous de sortir d’un territoire qui nous était connu et
commode. Toutefois, les difficultés peuvent être comme la tempête, la baleine, le ver qui a fait
sécher le ricin de Jonas, ou le vent et le soleil qui l’ont brûlé à la tête ; et comme dans son cas, ils
peuvent servir à nous faire retourner à ce Dieu qui est tendresse et qui veut nous conduire dans
un cheminement continu et rénovateur.
135. Dieu est toujours une nouveauté, qui nous pousse à partir sans relâche et à nous déplacer
pour aller au-delà de ce qui est connu, vers les périphéries et les frontières. Il nous conduit là où

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l’humanité est la plus blessée et là où les êtres humains, sous l’apparence de la superficialité et
du conformisme, continuent à chercher la réponse à la question du sens de la vie. Dieu n’a pas
peur ! Il n’a pas peur ! Il va toujours au-delà de nos schémas et ne craint pas les périphéries. Lui-
même s’est fait périphérie (cf. Ph 2, 6-8 ; Jn 1, 14). C’est pourquoi, si nous osons aller aux
périphéries, nous l’y trouverons, il y sera. Jésus nous devance dans le cœur de ce frère, dans sa
chair blessée, dans sa vie opprimée, dans son âme obscurcie. Il y est déjà.
136. Il faut, certes, ouvrir la porte du cœur à Jésus-Christ, car il frappe et appelle (cf. Ap 3, 20).
Mais parfois, je me demande si, à cause de l’air irrespirable de notre auto-référentialité, Jésus
n’était pas déjà en nous, frappant pour que nous le laissions sortir. Dans l’Évangile, nous voyons
comment Jésus « cheminait à travers villes et villages, prêchant et annonçant la Bonne Nouvelle
du Royaume de Dieu » (Lc 8, 1). De même, après la résurrection, quand les disciples sont allés
partout, le Seigneur œuvrait avec eux (cf. Mc 16, 20). Voilà la dynamique qui jaillit de la vraie
rencontre !
137. L’accoutumance nous séduit et nous dit que chercher à changer quelque chose n’a pas de
sens, que nous ne pouvons rien faire face à cette situation, qu’il en a toujours été ainsi et que
nous avons survécu malgré cela. À cause de l’accoutumance, nous n’affrontons plus le mal et
nous permettons que les choses ‘‘soient ce qu’elles sont’’, ou ce que certains ont décidé qu’elles
soient. Mais laissons le Seigneur venir nous réveiller, nous secouer dans notre sommeil, nous
libérer de l’inertie. Affrontons l’accoutumance, ouvrons bien les yeux et les oreilles, et surtout le
cœur, pour nous laisser émouvoir par ce qui se passe autour de nous et par le cri de la Parole
vivante et efficace du Ressuscité.
138. L’exemple de nombreux prêtres, religieuses, religieux et laïcs qui se consacrent à
évangéliser et à servir avec grande fidélité, bien des fois en risquant leurs vies et sûrement au prix
de leur confort, nous galvanise. Leur témoignage nous rappelle que l’Église n’a pas tant besoin de
bureaucrates et de fonctionnaires, que de missionnaires passionnés, dévorés par l’enthousiasme
de transmettre la vraie vie. Les saints surprennent, dérangent, parce que leurs vies nous invitent à
sortir de la médiocrité tranquille et anesthésiante.
139. Demandons au Seigneur la grâce de ne pas vaciller quand l’Esprit nous demande de faire un
pas en avant ; demandons le courage apostolique d’annoncer l’Évangile aux autres et de renoncer
à faire de notre vie chrétienne un musée de souvenirs. De toute manière, laissons l’Esprit Saint
nous faire contempler l’histoire sous l’angle de Jésus ressuscité. Ainsi, l’Église, au lieu de stagner,
pourra aller de l’avant en accueillant les surprises du Seigneur.
En communauté
140. Il est très difficile de lutter contre notre propre concupiscence ainsi que contre les embûches
et les tentations du démon et du monde égoïste, si nous sommes trop isolés. Le bombardement

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qui nous séduit est tel que, si nous sommes trop seuls, nous perdons facilement le sens de la
réalité, la clairvoyance intérieure, et nous succombons.
141. La sanctification est un cheminement communautaire, à faire deux à deux. C’est ainsi que le
reflètent certaines communautés saintes. En diverses occasions, l’Église a canonisé des
communautés entières qui ont vécu héroïquement l’Évangile ou qui ont offert à Dieu la vie de tous
leurs membres. Pensons, à titre d’exemple, aux sept saints fondateurs de l’Ordre des Servites de
Marie, aux sept religieuses bienheureuses du premier monastère de la Visitation de Madrid, à
saint Paul Miki et ses compagnons martyrs au Japon, à saint André Kim Taegon et ses
compagnons martyrs en Corée, à saint Roque González, saint Alphonse Rodríguez et leurs
compagnons martyrs en Amérique du Sud. Souvenons-nous également du récent témoignage des
moines trappistes de Tibhirine (Algérie), qui se sont préparés ensemble au martyre. Il y a, de
même, beaucoup de couples saints au sein desquels chacun a été un instrument du Christ pour la
sanctification de l’autre époux. Vivre ou travailler avec d’autres, c’est sans aucun doute un chemin
de développement spirituel. Saint Jean de la Croix disait à un disciple : tu ne vis avec d’autres «
que pour être travaillé, exercé par tous […] »[104].
142. La communauté est appelée à créer ce « lieu théologal où l’on peut faire l’expérience de la
présence mystique du Seigneur ressuscité »[105]. Partager la Parole et célébrer ensemble
l’Eucharistie fait davantage de nous des frères et nous convertit progressivement en communauté
sainte et missionnaire. Cela donne lieu aussi à d’authentiques expériences mystiques vécues en
communauté, comme ce fut le cas de saint Benoît et de sainte Scholastique, ou lors de cette
sublime rencontre spirituelle qu’ont vécue ensemble saint Augustin et sa mère sainte Monique : «
Or, le jour était imminent où elle allait quitter cette vie, jour que tu connaissais, toi, mais que nous,
nous ignorions. Il se trouva, par tes soins j’en suis sûr, par tes secrètes dispositions, que nous
étions seuls, elle et moi, debout, accoudés à une fenêtre ; de là le jardin intérieur […]. Nous
tenions grande ouverte la bouche de notre cœur vers les eaux qui ruissellent d’en haut de ta
source, de la source de vie qui est près de toi […]. Et pendant que nous parlons et aspirons à elle
[la sagesse éternelle], voici que nous la touchons, à peine, d’une poussée rapide et totale du
cœur. […] [Comme si] la vie éternelle fût telle qu’a été cet instant d’intelligence après lequel nous
avions soupiré… »[106].
143. Mais ces expériences ne sont pas ce qu’il y a de plus fréquent, ni de plus important. La vie
communautaire, soit en famille, en paroisse, en communauté religieuse ou en quelque autre
communauté, est faite de beaucoup de petits détails quotidiens. Il en était ainsi dans la sainte
communauté qu’ont formée Jésus, Marie et Joseph, où s’est reflétée de manière exemplaire la
beauté de la communion trinitaire. C’est également ce qui se passait dans la vie communautaire
menée par Jésus avec ses disciples et avec les gens simples.
144. Rappelons comment Jésus invitait ses disciples à prêter attention aux détails.

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Le petit détail du vin qui était en train de manquer lors d’une fête.
Le petit détail d’une brebis qui manquait.
Le petit détail de la veuve qui offrait ses deux piécettes.
Le petit détail d’avoir de l’huile en réserve pour les lampes au cas où tarderait le fiancé.
Le petit détail de demander à ses disciples de vérifier combien de pains ils avaient.
Le petit détail d’avoir allumé un feu de braise avec du poisson posé dessus tandis qu’il attendait
les disciples à l’aube.
145. La communauté qui préserve les petits détails de l’amour[107], où les membres se protègent
les uns les autres et créent un lieu ouvert et d’évangélisation, est le lieu de la présence du
Ressuscité qui la sanctifie selon le projet du Père. Parfois, par un don de l’amour du Seigneur, au
milieu de ces petits détails, s’offrent à nous des expériences consolantes de Dieu : « Un soir
d’hiver j’accomplissais comme d’habitude mon petit office… tout à coup j’entendis dans le lointain
le son harmonique d’un instrument de musique, alors je me représentai un salon bien éclairé, tout
brillant de dorures, des jeunes filles élégamment vêtues se faisant mutuellement des compliments
et des politesses mondaines ; puis mon regard se porta sur la pauvre malade que je soutenais ;
au lieu d’une mélodie j’entendais de temps en temps ses gémissements plaintifs […]. Je ne puis
exprimer ce qui se passa dans mon âme, ce que je sais c’est que le Seigneur l’illumina des rayons
de la vérité qui surpassèrent tellement l’éclat ténébreux des fêtes de la terre, que je ne pouvais
croire à mon bonheur »[108].
146. À l’opposé de la tendance à l’individualisme consumériste qui finit par nous isoler dans la
quête du bien-être en marge des autres, notre chemin de sanctification ne peut se lasser de nous
identifier à ce désir de Jésus : « Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi »
(Jn 17, 21).
En prière constante
147. Finalement, même si cela semble évident, souvenons-nous que la sainteté est faite d’une
ouverture habituelle à la transcendance, qui s’exprime dans la prière et dans l’adoration. Le saint
est une personne dotée d’un esprit de prière, qui a besoin de communiquer avec Dieu. C’est
quelqu’un qui ne supporte pas d’être asphyxié dans l’immanence close de ce monde, et au milieu
de ses efforts et de ses engagements, il soupire vers Dieu, il sort de lui-même dans la louange et
élargit ses limites dans la contemplation du Seigneur. Je ne crois pas dans la sainteté sans prière,
bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement de longs moments ou de sentiments intenses.

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35
148. Saint Jean de la Croix recommandait de « s’efforcer de vivre toujours en la présence de
Dieu, soit réelle, soit imaginaire, soit unitive, selon que les actions commandées le permettent
»[109]. Au fond, c’est le désir de Dieu qui ne peut se lasser de se manifester de quelque manière
dans notre vie quotidienne : « Efforcez-vous de vivre dans une oraison continuelle, sans
l’abandonner au milieu des exercices corporels. Que vous mangiez, que vous buviez [...], que
vous parliez, que vous traitiez avec les séculiers, ou que vous fassiez toute autre chose,
entretenez constamment en vous le désir de Dieu, élevez vers lui vos affections »[110].
149. Cependant, pour que cela soit possible, il faut aussi quelques moments uniquement pour
Dieu, dans la solitude avec lui. Pour sainte Thérèse d’Avila, la prière, c’est « un commerce intime
d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé »[111]. Je
voudrais insister sur le fait que ce n’est pas seulement pour quelques privilégiés, mais pour tous,
car « nous avons tous besoin de ce silence chargé de présence adorée »[112]. La prière confiante
est une réaction du cœur qui s’ouvre à Dieu face à face, où on fait taire tous les bruits pour
écouter la voix suave du Seigneur qui résonne dans le silence.
150. Dans le silence, il est possible de discerner, à la lumière de l’Esprit, les chemins de sainteté
que le Seigneur nous propose. Autrement, toutes nos décisions ne pourront être que des
‘‘décorations’’ qui, au lieu d’exalter l’Évangile dans nos vies, le recouvriront ou l’étoufferont. Pour
tout disciple, il est indispensable d’être avec le Maître, de l’écouter, d’apprendre de lui,
d’apprendre toujours. Si nous n’écoutons pas, toutes nos paroles ne seront que du bruit qui ne
sert à rien.
151. Souvenons-nous que « c’est la contemplation du visage de Jésus mort et ressuscité qui
recompose notre humanité, même celle qui est fragmentée par les vicissitudes de la vie, ou celle
qui est marquée par le péché. Nous ne devons pas apprivoiser la puissance du visage du Christ
»[113]. J’ose donc te demander : Y a-t-il des moments où tu te mets en sa présence en silence,
où tu restes avec lui sans hâte, et tu te laisses regarder par lui ? Est-ce que tu laisses son feu
embraser ton cœur ? Si tu ne lui permets pas d’alimenter la chaleur de son amour et de sa
tendresse, tu n’auras pas de feu, et ainsi comment pourras-tu enflammer le cœur des autres par
ton témoignage et par tes paroles ? Et si devant le visage du Christ tu ne parviens pas à te laisser
guérir et transformer, pénètre donc les entrailles du Seigneur, entre dans ses plaies, car c’est là
que la miséricorde divine a son siège[114].
152. Mais je prie pour que nous ne considérions pas le silence priant comme une évasion niant le
monde qui nous entoure. Le ‘‘pèlerin russe’’, qui marchait dans une prière continue, raconte que
cette prière ne le séparait pas de la réalité extérieure : « Lorsqu’il m’arrivait de rencontrer des
gens, ils me semblaient aussi aimables que s’ils avaient été de ma famille [...] Ce bonheur
n’illuminait pas seulement l’intérieur de mon âme ; le monde extérieur aussi m’apparaissait sous
un aspect ravissant »[115].

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153. L’histoire ne disparaît pas non plus. La prière, précisément parce qu’elle s’alimente du don
de Dieu qui se répand dans notre vie, devrait toujours faire mémoire. La mémoire des actions de
Dieu se trouve à la base de l’expérience de l’alliance entre Dieu et son peuple. Puisque Dieu a
voulu entrer dans l’histoire, la prière est tissée de souvenirs. Non seulement du souvenir de la
Parole révélée, mais aussi de la vie personnelle, de la vie des autres, de ce que le Seigneur a fait
dans son Église. C’est la mémoire reconnaissante dont parle également saint Ignace de Loyola
dans sa ‘‘Contemplation pour parvenir à l’amour’’[116], quand il nous demande de ramener à la
mémoire tous les bénéfices que nous avons reçus du Seigneur. Regarde ton histoire quand tu
pries et tu y trouveras beaucoup de miséricorde. En même temps, cela alimentera ta conscience
du fait que le Seigneur te garde dans sa mémoire et ne t’oublie jamais. Cela a donc un sens de lui
demander d’éclairer encore les petits détails de ton existence, qui ne lui échappent pas.
154. La supplication est l’expression d’un cœur confiant en Dieu, qui sait que seul il est
impuissant. Dans la vie du peuple fidèle de Dieu, nous trouvons beaucoup de supplications
débordantes d’une tendresse croyante et d’une confiance profonde. N’ôtons pas de la valeur à la
prière de demande, qui bien des fois donne de la sérénité à notre cœur et nous aide à continuer
de lutter avec espérance. La supplication d’intercession a une valeur particulière, car c’est un acte
de confiance en Dieu et en même temps une expression d’amour du prochain. Certains, par
préjugés spiritualistes, croient que la prière devrait être une pure contemplation de Dieu, sans
distractions, comme si les noms et les visages des frères étaient une perturbation à éviter. Au
contraire, la réalité, c’est que la prière sera plus agréable à Dieu et plus sanctifiante si, à travers
elle, par l’intercession, nous essayons de vivre le double commandement que Jésus nous a
donné. L’intercession exprime l’engagement fraternel envers les autres quand grâce à elle nous
sommes capables d’intégrer la vie des autres, leurs plus pressantes angoisses et leurs plus
grands rêves. Recourant aux paroles bibliques, on peut dire de celui qui se dévoue
généreusement à intercéder : « Celui-ci est l’ami de ses frères, qui prie beaucoup pour le peuple »
(2 M 15, 14).
155. Si nous reconnaissons vraiment que Dieu existe, nous ne pouvons pas nous lasser de
l’adorer, parfois dans un silence débordant d’admiration, ou de le chanter dans une louange
festive. Nous exprimons ainsi ce que vivait le bienheureux Charles de Foucauld quand il disait : «
Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne
vivre que pour Lui »[117]. Il y a aussi, dans la vie du peuple pèlerin, de nombreux gestes simples
de pure adoration, comme par exemple lorsque « le regard du pèlerin se fixe sur une image qui
symbolise la tendresse et la proximité de Dieu. L’amour s’arrête, contemple le mystère, le savoure
dans le silence »[118].
156. La lecture priante de la Parole de Dieu, « plus douce que le miel » (Ps 119, 103) et « plus
incisive qu’aucun glaive à deux tranchants » (He 4, 12) nous permet de nous arrêter pour écouter
le Maître afin qu’il soit lampe sur nos pas, lumière sur notre route (cf. Ps 119, 105). Comme les
Évêques de l’Inde l’ont bien rappelé : « La Parole de Dieu n’est pas seulement une dévotion parmi

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tant d’autres, certes belle mais optionnelle ; elle appartient au cœur et à l’identité même de la vie
chrétienne. La Parole a en elle-même le pouvoir de transformer les vies »[119].
157. La rencontre avec Jésus dans les Écritures nous conduit à l’Eucharistie, où cette même
Parole atteint son efficacité maximale, car elle est présence réelle de celui qui est la Parole
vivante. Là, l’unique Absolu reçoit la plus grande adoration que puisse lui rendre cette terre, car
c’est le Christ qui s’offre. Et quand nous le recevons dans la communion, nous renouvelons notre
alliance avec lui et nous lui permettons de réaliser toujours davantage son œuvre de
transformation.
Cinquième chapitre
COMBAT, VIGILANCE ET DISCERNEMENT
158. La vie chrétienne est un combat permanent. Il faut de la force et du courage pour résister aux
tentations du diable et annoncer l’Evangile. Cette lutte est très belle, car elle nous permet de
célébrer chaque fois le Seigneur vainqueur dans notre vie.
Le combat et la vigilance
159. Il ne s’agit pas seulement d’un combat contre le monde et la mentalité mondaine qui nous
trompe, nous abrutit et fait de nous des médiocres dépourvus d’engagement et sans joie. Il ne se
réduit pas non plus à une lutte contre sa propre fragilité et contre ses propres inclinations (chacun
a la sienne : la paresse, la luxure, l’envie, la jalousie, entre autres). C’est aussi une lutte
permanente contre le diable qui est le prince du mal. Jésus lui-même fête nos victoires. Il se
réjouissait quand ses disciples arrivaient à progresser dans l’annonce de l’Evangile, en
surmontant les obstacles du Malin, et il s’exclamait : « Je voyais Satan tomber du ciel comme
l’éclair » (Lc 10, 18).
Plus qu’un mythe
160. Nous n’admettrons pas l’existence du diable si nous nous évertuons à regarder la vie
seulement avec des critères empiriques et sans le sens du surnaturel. Précisément, la conviction
que ce pouvoir malin est parmi nous est ce qui nous permet de comprendre pourquoi le mal a
parfois tant de force destructrice. Les auteurs bibliques avaient certes un bagage conceptuel limité
pour exprimer certaines réalités et au temps de Jésus, on pouvait confondre, par exemple, une
épilepsie avec la possession du démon. Cependant cela ne doit pas nous porter à trop simplifier la
réalité en disant que tous les cas rapportés dans les Evangiles étaient des maladies psychiques et
qu’en définitive le démon n’existe pas ou n’agit pas. Sa présence se trouve à la première page

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38
des Ecritures, qui se concluent avec la victoire de Dieu sur le démon[120]. De fait, quand Jésus
nous a enseigné le Notre Père, il a demandé que nous terminions en demandant au Père de nous
délivrer du Mal. Le terme utilisé ici ne se réfère pas au mal abstrait et sa traduction plus précise
est “le Malin”. Il désigne un être personnel qui nous harcèle. Jésus nous a enseigné à demander
tous les jours cette délivrance pour que son pouvoir ne nous domine pas.
161. Ne pensons donc pas que c’est un mythe, une représentation, un symbole, une figure ou une
idée[121]. Cette erreur nous conduit à baisser les bras, à relâcher l’attention et à être plus
exposés. Il n’a pas besoin de nous posséder. Il nous empoisonne par la haine, par la tristesse, par
l’envie, par les vices. Et ainsi, alors que nous baissons la garde, il en profite pour détruire notre
vie, nos familles et nos communautés, car il rôde « comme un lion rugissant cherchant qui dévorer
» (1P 5, 8).
Eveillés et confiants
162. La Parole de Dieu nous invite clairement à « résister aux manœuvres du diable » (Ep 6, 11)
et à éteindre « tous les traits enflammés du Mauvais » (Ep 6, 16). Ce ne sont pas des paroles
romantiques, car notre chemin vers la sainteté est aussi une lutte constante. Celui qui ne veut pas
le reconnaître se trouvera exposé à l’échec ou à la médiocrité. Nous avons pour le combat les
armes puissantes que le Seigneur nous donne : la foi qui s’exprime dans la prière, la méditation
de la parole de Dieu, la célébration de la Messe, l’adoration eucharistique, la réconciliation
sacramentelle, les œuvres de charité, la vie communautaire et l’engagement missionnaire. Si
nous nous négligeons, les fausses promesses du mal nous séduiront facilement, car comme le
disait le saint prêtre Brochero : « Qu’importe que Lucifer nous promette de nous libérer et même
nous comble de tous ses biens, si ce sont des biens trompeurs, si ce sont des biens envenimés ?
»[122].
163. Sur ce chemin, le progrès du bien, la maturation spirituelle et la croissance de l’amour sont
les meilleurs contrepoids au mal. Personne ne résiste s’il reste au point mort, s’il se contente de
peu, s’il cesse de rêver de faire au Seigneur un don de soi plus généreux. Encore moins, s’il
tombe dans un esprit de défaite, car « celui qui commence sans confiance a perdu d’avance la
moitié de la bataille et enfouit ses talents […] le triomphe chrétien est toujours une croix, mais une
croix qui en même temps est un étendard de victoire, qu’on porte avec une tendresse combative
contre les assauts du mal »[123].
La corruption spirituelle
164. Le chemin de la sainteté est une source de paix et de joie que nous offre l’Esprit, mais en
même temps il demande que nous soyons avec « les lampes allumées » (Lc 12, 35) et que nous
restions attentifs : « Gardez-vous de toute espèce de mal » (1Th 5, 22). « Veillez donc » (Mt 24,
42 ; Mc 13, 35). « Ne nous endormons pas » (1Th 5, 6). Car ceux qui ont le sentiment qu’ils ne

4.9 Page 39

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39
commettent pas de fautes graves contre la Loi de Dieu peuvent tomber dans une sorte
d’étourdissement ou de torpeur. Comme ils ne trouvent rien de grave à se reprocher, ils ne
perçoivent pas cette tiédeur qui peu à peu s’empare de leur vie spirituelle et ils finissent par se
débiliter et se corrompre.
165. La corruption spirituelle est pire que la chute d’un pécheur, car il s’agit d’un aveuglement
confortable et autosuffisant où tout finit par sembler licite : la tromperie, la calomnie, l’égoïsme et
d’autres formes subtiles d’autoréférentialité, puisque « Satan lui-même se déguise en ange de
lumière » (2Co 11, 14). C’est ainsi que Salomon a fini ses jours, alors que le grand pécheur David
sut se relever de sa misère. Dans un épisode, Jésus nous met en garde contre cette tentation
trompeuse qui nous fait glisser vers la corruption : il parle d’une personne libérée du démon qui,
pensant que sa vie est pure, finit par être possédée par sept autres esprits malins (cf. Lc 11, 24-
26). Un autre texte biblique utilise une image forte : « Le chien est retourné à son propre
vomissement » (2P 2, 22 ; cf. Pr 26, 11).
Le discernement
166. Comment savoir si une chose vient de l’Esprit Saint ou si elle a son origine dans l’esprit du
monde ou dans l’esprit du diable ? Le seul moyen, c’est le discernement qui ne requiert pas
seulement une bonne capacité à raisonner ou le sens commun. C’est aussi un don qu’il faut
demander. Si nous le demandons avec confiance au Saint Esprit, et que nous nous efforçons en
même temps de le développer par la prière, la réflexion, la lecture et le bon conseil, nous pourrons
sûrement grandir dans cette capacité spirituelle.
Une nécessité impérieuse
167. Aujourd’hui, l’aptitude au discernement est redevenue particulièrement nécessaire. En effet,
la vie actuelle offre d’énormes possibilités d’actions et de distractions et le monde les présente
comme si elles étaient toutes valables et bonnes. Tout le monde, mais spécialement les jeunes,
est exposé à un zapping constant. Il est possible de naviguer sur deux ou trois écrans
simultanément et d’interagir en même temps sur différents lieux virtuels. Sans la sagesse du
discernement, nous pouvons devenir facilement des marionnettes à la merci des tendances du
moment.
168. Cela devient particulièrement important quand apparaît une nouveauté dans notre vie et qu’il
faudrait alors discerner pour savoir s’il s’agit du vin nouveau de Dieu ou bien d’une nouveauté
trompeuse de l’esprit du monde ou de l’esprit du diable. En d’autres occasions, il arrive le
contraire, parce que les forces du mal nous induisent à ne pas changer, à laisser les choses
comme elles sont, à choisir l’immobilisme et la rigidité. Nous empêchons donc le souffle de l’Esprit
d’agir. Nous sommes libres, de la liberté de Jésus-Christ, mais il nous appelle à examiner ce qu’il
y a en nous – désirs, angoisses, craintes, aspirations – et ce qui se passe en dehors de nous –

4.10 Page 40

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40
“les signes des temps” – pour reconnaître les chemins de la pleine liberté : « Vérifiez tout. Ce qui
est bon retenez-le » (1Th 5, 21).
Toujours à la lumière du Seigneur
169. Le discernement n’est pas seulement nécessaire pour les moments extraordinaires, ou
quand il faut résoudre de graves problèmes, ou quand il faut prendre une décision cruciale. C’est
un instrument de lutte pour mieux suivre le Seigneur. Nous en avons toujours besoin pour être
disposés à reconnaître les temps de Dieu et de sa grâce, pour ne pas gaspiller les inspirations du
Seigneur, pour ne pas laisser passer son invitation à grandir. Souvent cela se joue dans les
petites choses, dans ce qui paraît négligeable, parce que la grandeur se montre dans ce qui est
simple et quotidien[124]. Il s’agit de ne pas avoir de limites pour ce qui est grand, pour ce qu’il y a
de mieux et de plus beau, mais en même temps d’être attentif à ce qui est petit, au don de soi
d’aujourd’hui. Je demande donc à tous les chrétiens de faire chaque jour, en dialogue avec le
Seigneur qui nous aime, un sincère “examen de conscience”. En même temps, le discernement
nous conduit à reconnaître les moyens concrets que le Seigneur prédispose dans son mystérieux
plan d’amour, pour que nous n’en restions pas seulement à de bonnes intentions.
Un don surnaturel
170. Il est vrai que le discernement spirituel n’exclut pas les apports des connaissances
humaines, existentielles, psychologiques, sociologiques ou morales. Mais il les transcende. Même
les sages normes de l’Église n’y suffisent pas. Rappelons-nous toujours que le discernement est
une grâce. Bien qu’il inclue la raison et la prudence, il les dépasse parce qu’il s’agit d’entrevoir le
mystère du projet unique et inimitable que Dieu a pour chacun, et qui se réalise dans des
contextes et des limites les plus variés. Ne sont pas seulement en jeu un bien-être temporel ni la
satisfaction de faire quelque chose d’utile, ni le désir d’avoir la conscience tranquille non plus. Ce
qui est en jeu, c’est le sens de ma vie devant le Père qui me connaît et qui m’aime, le vrai sens de
mon existence que personne ne connaît mieux que lui. Le discernement, en définitive, conduit à la
source même de la vie qui ne meurt pas, c’est-à-dire connaître le Père, le seul vrai Dieu, et celui
qu’il a envoyé, Jésus-Christ (cf. Jn 17, 3). Il ne requiert pas de capacités spéciales ni n’est réservé
aux plus intelligents ou aux plus instruits, et le Père se révèle volontiers aux humbles (cf. Mt 11,
25).
171. Même si le Seigneur nous parle de manières variées, dans notre travail, à travers les autres
et à tout moment, il n’est pas possible de se passer du silence de la prière attentive pour mieux
percevoir ce langage, pour interpréter la signification réelle des inspirations que nous croyons
recevoir, pour apaiser les angoisses et recomposer l’ensemble de l’existence personnelle à la
lumière de Dieu. Nous pouvons ainsi laisser naître cette nouvelle synthèse qui jaillit de la vie
illuminée par l’Esprit.

5 Pages 41-50

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5.1 Page 41

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41
Parle, Seigneur
172. Cependant, il pourrait arriver que dans la prière même nous évitions de nous laisser
interpeller par la liberté de l’Esprit qui agit comme il veut. Il faut rappeler que le discernement
priant doit trouver son origine dans la disponibilité à écouter le Seigneur, les autres, la réalité
même qui nous interpelle toujours de manière nouvelle. Seul celui qui est disposé à écouter
possède la liberté pour renoncer à son propre point de vue partiel ou insuffisant, à ses habitudes,
à ses schémas. De la sorte, il est vraiment disponible pour accueillir un appel qui brise ses
sécurités mais qui le conduit à une vie meilleure, car il ne suffit pas que tout aille bien, que tout
soit tranquille. Dieu pourrait être en train de nous offrir quelque chose de plus, et à cause de notre
distraction dans la commodité, nous ne nous en rendons pas compte.
173. Une telle attitude d’écoute implique, c’est certain, l’obéissance à l’Evangile comme ultime
critère, mais aussi au Magistère qui le garde, en cherchant à trouver dans le trésor de l’Église ce
qui est le plus fécond pour l’aujourd’hui du salut. Il ne s’agit pas d’appliquer des recettes ni de
répéter le passé, puisque les mêmes solutions ne sont pas valables en toutes circonstances, et ce
qui sera utile dans un certain contexte peut ne pas l’être dans un autre. Le discernement des
esprits nous libère de la rigidité qui n’est pas de mise devant l’éternel aujourd’hui du Ressuscité.
Seul l’Esprit sait pénétrer dans les replis les plus sombres de la réalité et prendre en compte
toutes ses nuances, pour que, sous un nouveau jour, émerge la nouveauté de l’Evangile.
La logique du don et de la croix
174. Une condition essentielle au progrès dans le discernement, c’est de s’éduquer à la patience
de Dieu et à ses temps qui ne sont jamais les nôtres. Il ne fait pas tomber le feu sur les infidèles
(cf. Lc 9, 54) ni ne permet d’‘‘arracher l’ivraie” qui grandit avec le blé (cf. Mt 13, 29). Il faut aussi de
la générosité parce qu’« il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35). Nous ne
discernons pas pour découvrir ce que nous pouvons tirer davantage de cette vie, mais pour
reconnaître comment nous pouvons mieux accomplir cette mission qui nous a été confiée dans le
Baptême, et cela implique que nous soyons disposés à des renoncements jusqu’à tout donner. En
effet, le bonheur est paradoxal et nous offre les meilleures expériences quand nous acceptons
cette logique mystérieuse qui n’est pas de ce monde. Comme l’affirmait saint Bonaventure en
parlant de la croix : « Telle est notre logique »[125]. Si quelqu’un entre dans cette dynamique,
alors il ne laisse pas sa conscience s’anesthésier et il s’ouvre généreusement au discernement.
175. Quand nous scrutons devant Dieu les chemins de la vie, il n’y a pas de domaines qui soient
exclus. Sur tous les plans de notre vie, nous pouvons continuer à grandir et offrir quelque chose
de plus à Dieu, y compris sur les plans où nous faisons l’expérience des difficultés les plus fortes.
Mais il faut demander à l’Esprit Saint de nous délivrer et d’expulser cette peur qui nous porte à lui
interdire d’entrer dans certains domaines de notre vie. Lui qui demande tout donne également
tout, et il ne veut pas entrer en nous pour mutiler ou affaiblir mais pour porter à la plénitude. Cela

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42
nous fait voir que le discernement n’est pas une autoanalyse intimiste, une introspection égoïste,
mais une véritable sortie de nous-mêmes vers le mystère de Dieu qui nous aide à vivre la mission
à laquelle il nous a appelés pour le bien de nos frères.
***
176. Je voudrais que la Vierge Marie couronne ces réflexions, car elle a vécu comme personne
les béatitudes de Jésus. Elle est celle qui tressaillait de joie en la présence de Dieu, celle qui
gardait tout dans son cœur et qui s’est laissée traverser par le glaive. Elle est la sainte parmi les
saints, la plus bénie, celle qui nous montre le chemin de la sainteté et qui nous accompagne. Elle
n’accepte pas que nous restions à terre et parfois elle nous porte dans ses bras sans nous juger.
Parler avec elle nous console, nous libère et nous sanctifie. La Mère n’a pas besoin de beaucoup
de paroles, elle n’a pas besoin que nous fassions trop d’efforts pour lui expliquer ce qui nous
arrive. Il suffit de chuchoter encore et encore : “Je vous salue Marie…’’.
177. J’espère que ces pages seront utiles pour que toute l’Église se consacre à promouvoir le
désir de la sainteté. Demandons à l’Esprit Saint d’infuser en nous un intense désir d’être saint
pour la plus grande gloire de Dieu et aidons-nous les uns les autres dans cet effort. Ainsi, nous
partagerons un bonheur que le monde ne pourra nous enlever.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 19 mars, Solennité de Saint Joseph, de l’an 2018, sixième
année de mon Pontificat.
François
[1] Benoît XVI, Homélie lors de l’inauguration solennelle du ministère pétrinien (24 avril 2005) :
AAS 97 (2005), p. 708.
[2] Cela suppose qu’il y ait, de toute façon, la réputation de sainteté et l’exercice, au moins à un
niveau ordinaire, des vertus chrétiennes : Cf. Lettre Apostolique sous forme de Motu proprio
Maiorem hac dilectionem (11 juillet 2017), art. 2c : L’Osservatore Romano, éd. en langue
française (13 juillet 2017), p. 12.
[3] Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, sur l’Église, n. 9.
[4] Cf. Joseph Malègue, Pierres noires. Les classes moyennes du Salut, Paris 1958.
[5] Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, sur l’Église, n. 12.
[6] Vie cachée et épiphanie, Source cachée (Œuvres spirituelles, Paris 1998, pp. 241-247).
[7] Jean-Paul II, Lett. ap. Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), n. 56 : AAS 93 (2001), p. 307.

5.3 Page 43

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43
[8] Lett. ap. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n. 37 : AAS 87 (1995), p. 29.
[9] Homélie lors de la Commémoration œcuménique des témoins de la foi du 20ème siècle (7 mai
2000) : AAS 92 (2000), n. 5 : pp.680-681.
[10] Const. dogm. Lumen gentium, sur l’Église, n. 11.
[11] Cf. Hans U. Von Balthasar, Teología y santidad, in Communio 6 (1987), p. 489.
[12] Cantique Spirituel B, Prologue 2, (Œuvres complètes, Paris 1990, p. 1196).
[13] Ibid., 14, 2, (Op. cit. p. 1285).
[14] Cf. Catéchèse de l’Audience générale (19 novembre 2014) : L’Osservatore Romano, éd. en
langue française (20 novembre 2014), p. 2.
[15] François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, VIII, 11, (Œuvres complètes, Paris 1969, p.
743).
[16] J’ai suivi Jésus : Un évêque témoigne, Paris 1997, p. 17.
[17] Conférence des Évêques catholiques de Nouvelle Zélande, Healing love (1er janvier 1988).
[18] Cf. Exercices spirituels, Paris 1986/2008, nn. 102-312.
[19] Catéchisme de l’Église catholique, n. 515.
[20] Ibid., n. 516.
[21] Ibid., n. 517.
[22] Ibid., n. 518.
[23] Ibid., n. 521.
[24] Benoît XVI, Audience générale (13 avril 2011), in : L’Osservatore Romano, éd. en langue
française (14 avril 2011), n. 15, p 2.
[25] Ibid.
[26] Cf. Hans U. Von Balthasar, Teología y santidad, in Communio 6 (1987), pp. 486-493.

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44
[27] Xavier Zubiri, Naturaleza, historia, Dios, Madrid 19993, p. 427.
[28] Carlo M. Martini, Le confesioni di Pietro, Cinisello Balsamo 2017, p. 69.
[29] Il faut distinguer ce divertissement superficiel d’une saine culture du loisir, qui nous ouvre à
l’autre et à la réalité avec un esprit détendu et contemplatif.
[30] Jean-Paul II, Homélie lors de la Messe de canonisation (1er octobre 2000), n. 5 : AAS 92
(2000), p. 852.
[31] Conférence Episcopale Régionale de l’Afrique Occidentale, Message pastoral à la fin de la
2ème Assemblée plénière (29 février 2016), n. 2.
[32] León Bloy, La femme pauvre, II, 27, Paris 1897, p. 388.
[33] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lett. Placuit Deo sur certains aspects du salut
chrétien (22 février 2018), n. 4 : L’Osservatore Romano (2 mars 2018), pp.4-5 : « L’individualisme
néo-pélagien et le mépris néo-gnostique du corps défigurent la confession de foi au Christ,
Sauveur unique et universel ». Dans ce document, se trouvent les bases doctrinales pour la
compréhension du salut chrétien en référence aux dérives néo-gnostiques et néo-pélagiennes
actuelles.
[34] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 94 : AAS 105 (2013), p. 1060.
[35] Ibid : AAS 105 (2013), p. 1059.
[36] Homélie lors de la Messe à la Résidence Sainte-Marthe (11 novembre 2016) : L’Osservatore
Romano, éd. en langue française (1er décembre 2016), p. 8.
[37] Comme l’enseigne saint Bonaventure, on doit « laisser en arrière toutes les opérations de
l’intelligence, puis transporter et transformer en Dieu le foyer de toutes nos affections […] Il faut
accorder peu à la recherche et beaucoup à l’onction ; peu à la langue et le plus possible à la joie
intérieure ; peu aux discours et aux livres, et tout au don de Dieu, c’est-à-dire au saint Esprit ; peu
ou rien à la créature et tout à l’Être créateur : Père, Fils et saint Esprit » (Itinerarium mentis in
Deum, VII, 4-5 [Texte latin de Quaracchi traduit par H. Dumery], Paris 2001, pp. 103.105).
[38] Lettre au Grand Chancelier de l’Université Pontificale Catholique d’Argentine pour le
centenaire de la Faculté de théologie (3 mars 2015) : L’Osservatore Romano (9-10 mars 2015), p.
6.
[39] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 40 : AAS 105 (2013), p. 1037.

5.5 Page 45

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45
[40] Vidéo-message au congrès international de théologie de l’Université Pontificale Catholique
d’Argentine (1-3 septembre 2015) : AAS 107 (2015), p. 980.
[41] Exhort. ap. post-synodale Vita consecrata (25 mars 1996), n. 38 : AAS 88 (1996), p. 412.
[42] Lettre au Grand Chancelier de l’Université Pontificale Catholique d’Argentine pour le
centenaire de la Faculté de théologie (3 mars 2015) : L’Osservatore Romano (9-10 mars 2015), p.
6.
[43] Lettre à Frère Antoine, 2 (Ecrits, vies, témoignages, Ed. du 8ème centenaire vol. 1, Paris
2010, p. 383).
[44] Les sept dons de l’Esprit Saint, 9, 15.
[45] Id, Commentaire sur le Livre IV des Sentences 37, 1, 3, ad 6.
[46] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 94 : AAS 105 (2013), p. 1059.
[47] Cf. Bonaventure de Bagnoregio, De sex alis Seraphim 3, 8 : « Non omnes omnia possunt ». Il
faut le comprendre dans la ligne du Catéchisme de l’Église catholique, n. 1735.
[48] Cf. Thomas d’Aquin, Somme Théologique I-II, q. 109, a. 9, ad 1. « La grâce est de quelque
manière imparfaite en ce qu’elle ne guérit pas totalement l’homme ».
[49] Cf. La nature et la grâce XLIII, 50 : PL 44, p. 271.
[50] Confessions X, XXIX, 40 (Paris 1962, Livres VIII-XIII, p. 213).
[51] Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 44 : AAS 105 (2013), p. 1038.
[52] Dans la compréhension de la foi chrétienne, la grâce est prévenante, concomitante et
subséquente à tout notre agir. (Cf. Conc. œcum. de Trente, Sess. VI, Decr. de iustificatione, ch. 5,
in DH, n. 1525).
[53] Cf. Homélie sur la Lettre aux Romains IX, 11 : PG 60, p. 470.
[54] Homélie sur l’humilité : PG 31, p. 530.
[55] Canon 4, DH 374 (H. Denziger, Symboles et définitions de la foi catholique, Paris 2010, p.
137).
[56] Ses. 6ème, Decretum de iustificatione, chap. 8, DH 1532 (H. Denziger, Symboles et

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46
définitions de la foi catholique, Paris 2010, p. 422).
[57] N. 1998.
[58] Ibid., n. 2007.
[59] Thomas d’Aquin, Somme Théologique I-II, q. 114, art. 5.
[60] Thérèse de Lisieux, ‘‘Acte d’offrande à l’Amour miséricordieux’’ (Prières, 6), (Œuvres
complètes, Paris 1996, p. 963).
[61] Liucio Gera, Sobre el misterio del pobre, dans P. Grelot- L. Gera-A. Dumas, El Pobre, Buenos
Aires 1962, p. 103.
[62] C’est, en définitive, la doctrine catholique du “mérite” postérieur à la justification. Il s’agit de la
coopération du justifié à l’accroissement de la vie de la grâce (cf. Catéchisme de l’Église
Catholique, n. 2010). Mais cette coopération ne fait en aucune manière que la justification elle-
même et l’amitié de Dieu deviennent l’objet d’un mérite humain.
[63] Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 95 : AAS 105 (2013), p. 1060.
[64] Somme Théologique I-II, q. 107, art. 4.
[65] Homélie de la Sainte Messe à l’occasion du Jubilé des personnes socialement exclues (13
novembre 2016) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française (17 novembre 2016), p. 7.
[66] Cf. Homélie lors de la Messe à la Résidence Sainte-Marthe (9 juin 2014) : L’Osservatore
Romano, éd. en langue française (26 juin 2014), p. 6.
[67] L’ordre entre la deuxième et la troisième béatitude varie selon les diverses traditions
textuelles.
[68] Exercices spirituels, n. 23 (Paris 1986/2008, p. 44).
[69] Manuscrit C, 12r. (Œuvres complètes, Paris 1996, p. 250).
[70] Depuis les temps patristiques, l’Église apprécie le don des larmes, comme en témoigne aussi
la belle prière Ad petendam compunctionem cordis : « O Dieu tout puissant et très compatissant,
qui pour le peuple assoiffé a fait surgir du rocher une source d’eau vive, fais jaillir de nos cœurs
endurcis des larmes de contrition, pour que, pleurant nos péchés, nous obtenions par ta
miséricorde le pardon » (Missale Romanum, ed. typ. 1962, p. [110]).

5.7 Page 47

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47
[71] Catéchisme de l’Église catholique, n. 1789, cf. n. 1970.
[72] Ibid., n. 1787.
[73] La diffamation et la calomnie sont comme un acte terroriste : on jette la bombe, on détruit, et
l’agresseur reste heureux et tranquille. C’est très différent de la grandeur d’âme de celui qui
s’approche pour discuter face à face, avec une sincérité sereine, en pensant au bien de l’autre.
[74] À certaines occasions, il peut être nécessaire de discuter à propos des difficultés d’un frère.
Dans ces cas, il peut arriver que se transmette une reconstruction au lieu d’un fait objectif. La
passion déforme la réalité concrète du fait, le transforme en une reconstruction et finit par
transmettre cette reconstruction chargée de subjectivité. On détruit ainsi la réalité et on ne
respecte pas la vérité de l’autre.
[75] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 218 : AAS 105 (2013), p. 1110.
[76] Ibid., n. 239, p. 1116.
[77] Ibid., n. 227, p. 1112.
[78] Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 41c : AAS 83 (1991), pp. 844-845.
[79] Lett. ap. Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), n. 49 : AAS 93 (2001), p. 302.
[80] Ibid. : AAS 93 (2001), p. 302.
[81] Bulle Misericordiae Vultus (11 avril 2015), n. 12 : AAS 107 (2015), p. 407.
[82] Rappelons-nous la réaction du bon samaritain face à l’homme que les brigands avaient laissé
à demi-mort au bord du chemin (cf. Lc 10, 30-37).
[83] Conférence Canadienne des Évêques catholiques : Commission des Affaires Sociales, Lettre
ouverte aux membres du Parlement, Le bien commun ou l’exclusion, un choix pour les canadiens
(1er février 2001), n. 9.
[84] Suivant le magistère constant de l’Église, la 5ème Conférence générale de l’Épiscopat latino-
américain et des Caraïbes a enseigné que l’être humain « est toujours sacré, depuis sa
conception, dans toutes les étapes de son existence, jusqu’à sa mort naturelle et après la mort »,
et que sa vie doit être protégée « depuis la conception, à toutes les étapes, et jusqu’à la mort
naturelle » (Document d’Aparecida (29 juin 2007), nn. 388.464).

5.8 Page 48

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48
[85] Règle, 53, 1 : PL 66, p. 749.
[86] Cf. Ibid., 53, 7 : PL 66, p. 750.
[87] Ibid. 53, 15 : PL 66, p. 751.
[88] Bulle Misericordiae Vultus (11 avril 2015), n. 9 : AAS 107 (2015), p. 405.
[89] Ibid., n. 10 : AAS 107 (2015), p. 406.
[90] Exhort. ap. post-synodale Amoris laetitia (19 mars 2016), n. 311 : AAS 108 (2016), p. 439.
[91] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 197 : AAS 105 (2013), p. 1103.
[92] Cf. Somme Théologique, II-II, 30, a. 4.
[93] Ibid. ad. 1
[94] Cristo en los pobres, Madrid, 1981, p. 37-38.
[95] Il y a de nombreuses formes de harcèlement qui, bien qu’elles semblent élégantes ou
respectueuses, voire spirituelles, provoquent beaucoup de souffrance dans l’estime de soi des
autres.
[96] Précautions, 13 b (Œuvres complètes, Paris 1990, p. 304).
[97] Ibid, 13 a (Op. cit., p. 304).
[98] Petit Journal : la miséricorde divine dans mon âme, n. 300 (Paris 20106, p. 148).
[99] Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I-II, 70, a. 3.
[100] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 6 : AAS 105 (2013), p. 1221.
[101] Je recommande de dire la prière attribuée à saint Thomas More : « Donne-moi une bonne
digestion, Seigneur, et aussi quelque chose à digérer. Donne-moi la santé du corps avec le sens
de la garder au mieux. Donne-moi une âme sainte, Seigneur, qui ait les yeux sur la beauté et la
pureté, afin qu’elle ne s’épouvante pas en voyant le péché, mais sache redresser la situation.
Donne-moi une âme qui ignore l’ennui, le gémissement et le soupir. Ne permets pas que je me
fasse trop de souci pour cette chose encombrante que j’appelle ‘‘moi’’. Seigneur, donne-moi
l’humour pour que je tire quelque bonheur de cette vie et en fasse profiter les autres. Ainsi soit-il ».

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[102] Exhort. ap. post-synodale Amoris laetitia (19 mars 2016), n. 110 : AAS 108 (2016), p. 354.
[103] Exhort. ap. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. 80 : AAS 68 (1976), p. 73. Il est
intéressant de noter que dans ce texte, le bienheureux Paul VI lie intimement la joie à la parresía.
De même qu’il déplore “surtout le manque de joie et d’espérance”, exalte la “douce et
réconfortante joie d’évangéliser” qui est unie à “un élan intérieur que personne ni rien ne saurait
éteindre”, pour que le monde ne reçoive pas l’Évangile “d’évangélisateurs tristes et découragés ”.
À l’occasion de l’Année Sainte 1975, le même Paul VI a consacré à la joie l’Exhortation
apostolique Gaudete in Domino (9 mai 1975) : AAS 67 (1075), pp. 289-322.
[104] Précautions, n. 15 (Œuvres complètes, Paris 1990, p. 304).
[105] Jean Paul-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Vita consecrata (25 mars 1996), n. 42 : AAS 88
(1996), p. 416.
[106] Confessions, IX, 10, 23-25 : PL 32, p. 773-775 (Paris 1962, Livres VIII-XIII, pp. 115-121).
[107] Spécialement, je rappelle les trois mots-clefs ‘‘s’il te plaît, merci, pardon’’, car « dits au bon
moment, [ils] protègent et alimentent l’amour, jour après jour » : Exhort. ap. post-synodale Amoris
laetitia (19 mars 2016), n. 133 : AAS 108 (2016), p. 363.
[108] Thérèse de Lisieux, Manuscrit C, 29vo-30ro (Œuvres Complètes, Paris 1996, pp. 274-275).
[109] Degrés de perfection, 2 (Œuvres complètes, Paris 1990, p. 313).
[110] Id., Avis à un religieux pour atteindre la perfection, 9b (Op. cit., p. 311).
[111] Livre de la Vie 8, 5 (Œuvres complètes, Paris 1949, p. 82).
[112] Jean-Paul II, Lett. ap. Orientale lumen (2 mai 1995), n. 16 : AAS 87 (1995), p. 762.
[113] Discours lors de la rencontre avec les participants au Vème Congrès de l’Église italienne,
Florence (10 novembre 2015) : AAS 107 (2015), p. 1284.
[114] Cf. Bernard de Clairvaux, Sermon sur le cantique des cantiques 61, 3-5 : PL 183, pp. 1071-
1073.
[115] Récits d’un pèlerin russe, (Traduits par Jean Laloy, Baconnière/Paris 1966, pp-37-38.149).
[116] Cf. Exercices spirituels, Paris 1986/2008, nn. 230-237.
[117] Lettre à Henry de Castries, Notre-Dame des Neiges, 14 août 1901.

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[118] Vème Conférence Générale de L’Episcopat Latino-américain et des Caraïbes, Document
d’Aparecida (29 juin 2007), n. 259.
[119] Conférence des Évêques catholiques de l’inde, Déclaration finale de la 21ème Assemblée
plénière (18 février 2009), n. 3.2.
[120] Cf. Homélie lors de la Messe à la Résidence Sainte-Marthe (11 octobre 2013) :
L’Osservatore Romano, éd. en langue française (17 octobre 2013), p. 7.
[121] Cf. Paul VI, Catéchèse (15 novembre 1972) : Insegnamenti X [1972], pp. 1168-1170 : « Un
des besoins principaux est la défense contre ce mal que nous appelons Démon […] Le mal n’est
pas seulement une déficience mais une efficience, un être vivant, spirituel, perverti et
pervertisseur. Réalité terrible, mystérieuse et effrayante. Celui qui se refuse à la reconnaître
comme existante sort du cadre de l’enseignement biblique et ecclésiastique ; ou bien celui qui en
fait un principe se tenant par lui-même, n’ayant pas lui-même, comme toute créature, son origine
en Dieu ; ou qui l’explique comme pseudo-réalité, une personnification conceptuelle et fantastique
des causes ignorées de nos infirmités ».
[122] José Gabriel del Rosario Brochero, Plática de las banderas, in : Conférence épiscopale
d’Argentine, El Cura Brochero. Cartas y sermones, Buenos Aires 1999, p. 71.
[123] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 85 : AAS 105 (2013), p. 1056.
[124] On trouve sur la tombe de saint Ignace de Loyola ce sage épitaphe : “Non coerceri a
maximo, contineri tamen a minimo divinum est” (Il est divin de ne pas avoir peur des grandes
choses et en même temps d’être attentif aux plus petites).
[125] Collationes in Hexaemeron, 1, 30.
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