L’étude des comportements humains attribue « les sentiments de faute » au type de personnalité, à l’éducation familiale,
au milieu social. Elle souligne ses conditionnements et la nécessité de s’en libérer, au lieu de faire appel à la
responsabilité qu’ils peuvent contenir.
Il s’est créé un clivage entre la morale « privée » et la morale « publique », si bien que beaucoup de choses, même
d’importance sociale, sont à présent laissées à l’option individuelle : l’avortement, l’euthanasie, le divorce,
l’homosexualité, la fécondation. Dans le cadre de la société et de l’éducation, il y a, sur tous ces points, une certaine
sensibilisation, mais elle ne considère souvent que les risques et les précautions à prendre, sans offrir de fondement
éthique solide ni, moins encore, se référer au transcendant.
Tout cela influence les jeunes comme un nuage toxique. Pas étonnant alors qu’apparaisse chez eux un ensemble de
symptômes et de reflets de la culture qu’ils respirent. Leur formation morale est fragmentaire. Ils puisent en effet leurs
critères et leurs normes à diverses sources : la famille et l’école, les magazines et la télévision, les amis et leur réflexion
personnelle. Le choix est souvent dicté par des préférences subjectives.
Le milieu influence de même les adultes, les religieux et les éducateurs si la lecture attentive de la Parole de Dieu et le
discernement ne les maintiennent pas en éveil. La sensibilité peut s’émousser. Et nous passons ainsi, un peu selon la loi
du pendule, d’une ancienne mentalité sévère et culpabilisante, à une autre de signe opposé : « légère » et blasée ; d’avoir
vu le péché en tout, à ne plus le voir nulle part ni en personne ; d’avoir souligné les châtiments que mérite le péché, à
présenter un amour de Dieu sans responsabilité de la part de l’homme, son sort restant « égal » quelle que soit la
réponse qu’il donne à Dieu ; de la sévérité à corriger la conscience erronée, au respect qui ne se soucie même pas de la
formuler ; des dix commandements appris par cœur, à la négligence d’enseigner une vie chrétienne cohérente.
Etre des « chrétiens adultes », de « vrais éducateurs de la foi » et des évangélisateurs réalistes, c’est ne méconnaître ni
ne dissimuler la présence du mal, dans la vie privée et sociale, et avoir conscience de son pouvoir destructeur ; c’est
savoir que le Christ a vaincu tout mal et nous donne tout bien ; être capables de reconnaître le mal dans ses racines et
dans ses manifestations, à la lumière de la Parole de Dieu ; être conscients de ce que, par son incarnation, sa passion et
sa résurrection, Jésus nous indique la voie pour le surmonter : se fier à Dieu, résister, veiller, engager une lutte
intellectuelle, morale et spirituelle.
Jugement et vie salésienne.
Au point de vue de notre charisme, je me limite à rappeler à quel point était rayonnant l’équilibre personnel, pastoral et
pédagogique de Don Bosco, que nous sommes appelés à poursuivre et à rendre actuel. Il éduquait par le mot à l’oreille
et en travaillant le milieu, par l’affection personnelle et par un règlement précis ; il était un prêtre de qui on se sentait
préféré, un maître capable de proposer, de faire comprendre et d’assimiler les exigences de la vie communautaire et de
la mission, attentif à évaluer avec sagesse, et un prodige d’énergie entreprenante.
Sur le terrain de la réconciliation, Don Bosco saisit à la fois toute la force de promotion que contient par nature le bien,
et la dévastation opérée par le péché, jusqu’à la somatisation ! Dans la ligne de la double attention que nous avons
appelée « coprésence » et asymétrie entre la grâce et le jugement, intervient le fait que, dans son code de récits, Don
Bosco parle toujours du bien en termes directs et positifs et ne parle du mal qu’en figures (songes, éléphants, monstres,
images, allusions …). Il affirme de la sorte la justice de toute œuvre bonne et le caractère injustifiable de toute œuvre
mauvaise. Il a d’ailleurs ainsi donné à ses disciples une indication pédagogique précise sur la façon de s’exprimer.
La logique du cœur n’annule pas le devoir de la responsabilité, pas plus que l’esprit de famille n’élimine le service de
l’autorité. Il l’appuie même : parce que, d’une part, l’esprit de famille favorise la correction franche e son acceptation ;
et que, d’autre part, l’abdication du service de l’autorité conduit les tensions à des niveaux insupportables et fait qu’il
devient impossible d’endiguer le mal de type individualiste, défaitiste et régressif.
Parce qu’il permet d’orienter, de rappeler à l’ordre et de corriger, le service de l’autorité est certes un sacrifice, mais il
est en faveur du bien commun ; il est guidé par un regard réaliste sur les choses et est indispensable dans les situations
où il est nécessaire d’employer la persuasion, ou bien lorsqu’elle a été utilisée sans succès.
Cette pensée vient de la considération des tensions qui surviennent dans nos communautés pour des raisons de
générations, de compatibilité ou de difficulté à collaborer : ce qui apparaît parfois, ce sont des obéissances claires
auxquelles ne correspond pas de reconnaissance affective, et des désobéissances nettes non suivies de mesures
effectives. En d’autres termes, on ne sait pas toujours comment garder ensemble la justice et la bonté.
Or la netteté de sa situation par rapport à sa vocation et à la communauté, et l’exercice équitable de son rôle personnel
sont indispensables à un meilleur discernement spirituel et, par conséquent, à des cheminements plus justes et meilleurs
de réconciliation ensemble.
Conversion et vie nouvelle dans l’Esprit
Dans ce troisième passage, nous unissons les deux points précédents et nous anticipons cette fois encore ce que nous
voulons suggérer : la réconciliation implique le discernement en deux directions : « creuser le passé » pour y découvrir
les traces de l’amour de Dieu et du bien qu’il a déposé en nous, et pour renier tout ce qui, de notre part, a été incrédulité,
ingratitude, dureté, peur ou violence ; et « nous situer dans l’avenir » comme confiance en la force rénovatrice de
l’Esprit, comme reconnaissance et acceptation de ce supplément d’amour, de communion et de pardon que nous
demande la vie, comme appel à notre liberté, comme responsabilité d'avoir été précédés, enveloppés, accompagnés et
attendus par l’amour de Dieu.