La vie communautaire a certainement, comme l'a écrit un auteur, « l'enchantement de ce qui est
difficile et de ce qui est possible, de la grâce et de la faiblesse. C'est seulement avec la grâce de
Dieu que l'on demeure en communauté et que l'on approfondit cette expérience… Et c'est une
pénitence et une ascèse qui purifient et nous exercent à la collaboration, à la participation et à la
communion. Mais c'est aussi, et surtout, un enchantement. On est en communauté pour être heureux
et ils sont nombreux, ceux qui y réussissent (…) Et si l'on veut parler de l'enchantement de la vie
communautaire, il faut dire un mot sur les limites de l'amour fraternel. Cela suppose la présence,
l'affection réciproque et la correction fraternelle, l'attention des uns pour les autres, l'aide mutuelle ;
en définitive, l'amour fraternel dans toute son ampleur. Le cœur demande et exige. La vie
communautaire de l'avenir sera fraternelle ou ne sera pas du tout23. Voilà l'un des ingrédients que
les candidats d'aujourd'hui recherchent le plus, et ce n'est pas ce qu'ils trouvent en majorité. » 24
Cette dimension de la vie religieuse a aujourd'hui, indubitablement, une grande force de
témoignage. Comme dans une grande partie de nos contextes sociaux, il existe, à côté de réalités
positives, une incommunicabilité croissante, un isolement, un individualisme en augmentation et
une solitude qui, dans de nombreuses cultures, est la grande maladie de notre temps, ainsi que sa
sœur jumelle, la dépression. Le témoignage des communautés religieuses, même des nôtres, devrait
constituer une véritable annonce de l'Évangile, une bonne nouvelle, une authentique provocation ou
interpellation.
C'est pour cela, je vous l'avoue, que face à la pauvre réalité de beaucoup de nos présences, une
de mes plus grandes inquiétudes est de penser, voir, imaginer, communiquer entre nous de quelle
façon nous pouvons marcher dans la bonne direction. Mes chers Confrères, notre communion de vie
est tant de fois sacrifiée à d'autres choses ! Je me demande, par exemple, pourquoi nous qui
devrions être des experts en humanisme, surtout par notre condition d'éducateurs des jeunes, nous
avons à côté de nous, dans nos communautés, et parfois au réfectoire ou dans des chambres
contiguës, des confrères blessés dans leur cœur, rongés par la solitude et la désillusion, des frères
qui ont voulu être heureux comme Salésiens et qui ne le sont pas. Il est vrai que ce n'est pas là, toute
la réalité de notre Congrégation, au contraire même. Cependant c'est aussi une réalité bien présente
et un seul cas devrait nous suffire, un seul confrère blessé, pour que saigne un peu le cœur de tous.
Dans notre cas, je crois que l'on pourrait qualifier de péché si en paroles, en actes ou par des
silences, nous répondions comme Caïn à la question du Seigneur : « "Où est ton frère Abel ?" Caïn
répondit : " Je ne sais pas. Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ?" » (Gn 4,9). Oui, nous
le sommes ! Non pas des gardiens mais des personnes qui prennent soin de lui.
Notre grand défi, chers Confrères, pour chaque Provincial, chaque Conseil, chaque Directeur et
chaque Confrère dans chacune des communautés du monde salésien est celui-ci : faire de notre
communauté un véritable espace de vie de communion. Comment passer d'une vie en commun
avec des temps fixés, réglementés, planifiés – qui peuvent certainement nous aider – à une vie de
communion ? Cela supposera, sans aucun doute, une conversion personnelle et donc
communautaire ; il faudra un engagement affectif et effectif pour réaliser cette intention. Il s'agit
d'un processus qui requiert de notre part d'admettre que chacune des étapes de notre vie est une
opportunité de croître, pour nous ouvrir à la nouveauté d'une rencontre plus authentique avec les
Confrères, avec la force que donne Dieu, pour rendre plus visible sa présence parmi nous.
23 C’est moi-même qui ai mis cette phrase en italiques car je lui accorde de l’importance. L’auteur ne l’a pas
particulièrement mise en évidence.
24 J. M. ARNAIZ, !Que ardan nuestros corazones. Devolver el encanto a la vida consagrada!, Publicaciones
Claretianas, Madrid, 2007, 95
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