(*) MB XVII, p. 107-114.
Mes très chers fils en Jésus-Christ,
De près ou de loin, je pense toujours à vous. Je n'ai qu'un seul désir, celui de vous voir heureux en ce monde et dans l'éternité. Cette pensée et ce désir m'ont déterminé à vous écrire cette lettre. Il me pèse, mes chers fils, d'être éloigné de vous; ne pas vous voir et ne pas vous entendre me fait une peine que vous ne pouvez imaginer. C'est pourquoi j'aurais voulu vous écrire ces lignes depuis une semaine, mais des occupations incessantes m'en ont empêché. Bien qu'il ne reste que peu de jours avant mon retour, je veux toutefois anticiper mon arrivée parmi vous, au moins par lettre, puisqu'il m'est impossible de le faire en personne. C'est le langage de quelqu'un qui vous aime avec tendresse dans le Christ Jésus, et qui a le devoir de vous parler avec la liberté d'un père. Vous me le permettez, n'est-ce pas? Vous m'écouterez avec attention et vous mettrez en pratique ce que je vais vous dire.
Je disais que vous êtes l'unique et incessante pensée de mon âme. Or voici que l'un des derniers soirs, je m'étais retiré dans ma chambre, et, sur le point de me coucher, j'avais commencé à réciter les prières que m'apprit ma bonne maman, quand B je ne sais si je fus pris de sommeil ou emporté par une distraction B mais il me sembla que deux des anciens garçons de l'Oratoire se présentaient à moi.
L'un deux s'approcha et, me saluant affectueusement, me dit:
B Don Bosco ! Vous me connaissez?
B Oui, je te connais, répondis-je.
B Et vous vous souvenez de moi? poursuivit cet homme.
B De toi et de tous les autres. Tu es Valfrè, et tu étais à l'Oratoire avant 1870.
B Dites, continua l'homme, vous voulez voir les garçons qui étaient de mon temps à l'Oratoire?
B Oui, montre-les moi, répondis-je; cela me fera grand plaisir.
Alors Valfrè me montra les garçons, tous avec le visage, la taille et l'âge de cette époque. I1 me semblait être à l'Oratoire d'autrefois pendant la récréation. Tout était vie dans ce que je voyais, tout était mouvement, tout était joie. Qui courait, qui saluait, qui faisait sauter. Ici on jouait à la grenouille, là aux barres et au ballon. Ici un groupe de garçons s'était formé, pendu aux lèvres d'un prêtre qui racontait une histoire. Ailleurs un abbé jouait avec d'autres à pigeon vole et aux métiers. Partout des chants et des rires; partout des abbés et des prêtres, et autour d'eux les garçons qui criaient joyeusement. La plus grande cordialité et la plus grande confiance régnaient visiblement entre les garçons et leurs supérieurs. J'étais ravi par ce spectacle, et Valfrè me dit:
B Vois, la familiarité produit l'affection, et l'affection engendre la confiance. Voilà ce qui ouvre les cœurs; les garçons exposent tout sans crainte aux professeurs, aux assistants et aux supérieurs. Ils deviennent francs en confession et ailleurs; ils se soumettent avec docilité à tous les ordres de quelqu'un dont ils sont sûrs d'être aimés.
C'est alors que mon deuxième ancien élève qui avait la barbe toute blanche, s'approcha de moi et me dit: Don Bosco, voulez-vous maintenant connaître et voir les garçons qui sont actuellement à l'Oratoire?
Celui-là, c'était Joseph Buzzetti.
B Oui, répondis-je, car il y a déjà un mois que je ne les vois plus!
Et il me les montra: je vis l'Oratoire et je vous vis tous en récréation. Mais je n'entendais plus ni cris de joie, ni chansons; je ne voyais plus le mouvement et la vie de la scène précédente.
On lisait dans les gestes et sur le visage de beaucoup de jeunes un ennui, une lassitude, une mauvaise humeur, une méfiance qui me faisaient mal au cœur. Il est vrai que j'en aperçus beaucoup qui couraient, jouaient et gesticulaient dans une bienheureuse insouciance. Mais j'en voyais d'autres, et ils étaient nombreux, demeurer seuls, appuyés aux colonnes, en proie à de troublantes imaginations; d'autres au-dessus dans les escaliers et les couloirs, ou sur les terrasses du côté du jardin pour se soustraire à la récréation commune. D'autres déambulaient lentement par groupes, conversant à mi-voix, et jetant autour d'eux des regards mauvais et soupçonneux; parfois, ils souriaient, mais d'un sourire accompagné d'œillades à faire non seulement supposer, mais croire que saint Louis de Gonzague eût rougi s'il s'était trouvé en leur compagnie. Même parmi ceux qui jouaient plusieurs avaient l'air si nonchalant qu'ils manifestaient clairement ne trouver aucun goût à se divertir.
B Vous avez vu vos jeunes? me dit l'ancien élève.
B Je les vois, répondis-je en soupirant.
B Quelle différence avec nous autrefois ! s'exclama-t-il
B Hélas! Quelle mollesse dans cette récréation.
B C'est de là que proviennent la froideur de beaucoup quand ils s'approchent des sacrements, leur négligence des pratiques de piété, à l'église et ailleurs, et leur peu d'enthousiasme à demeurer en un lieu où la divine Providence les comble de tous les biens du corps, de l'âme et de l'intelligence. C'est pour cela que beaucoup ne suivent pas leur vocation; de là, leurs ingratitudes envers leurs supérieurs; de là les conciliabules, les critiques et toutes les autres conséquences déplorables de cet état de choses.
B Je comprends, je saisis, répondis-je. Mais comment redonner vie à mes chers garçons, pour qu'ils retrouvent leur vivacité d'autrefois, leur allégresse, leur exubérance?
B Par la charité!
B Par la charité? Mais mes garçons ne sont-ils pas assez aimés ? Tu sais, toi, si je les aime. Tu sais ce que j'ai enduré et supporté pendant une bonne quarantaine d'années et ce que j'endure et supporte encore maintenant. Que de fatigues, que d'humiliations, que d'oppositions, que de persécutions pour leur donner du pain, une maison, des maîtres et surtout pour assurer le salut de leurs âmes. J'ai fait tout ce que j'ai su et tout ce que j'ai pu pour eux, ils sont l'amour de toute ma vie.
B Je ne parle pas de vous !
B Et de qui alors? De ceux qui me remplacent? Des directeurs, des préfets, des professeurs, des assistants? Tu ne vois pas qu'ils sont martyrs de l'étude et du travail? Qu'ils consument leurs jeunes années au service de ceux que la divine Providence leur a confiés?
B Je vois, je sais. Mais c'est insuffisant: il manque le meilleur.
B Quoi donc?
B Que non seulement les garçons soient aimés, mais qu'ils se sachent aimés.
B Ils n'ont donc pas d'yeux sur la tête. Ils ne comprennent donc pas? Ils ne voient pas que c'est uniquement par amour que l'on se dépense pour eux?
B Non, je le répète, c'est insuffisant.
B Que veut-on alors?
B Qu'ils soient aimés en ce qui leur plaît, que l'on s'adapte à leurs goûts de jeunes garçons, et qu'ils apprennent ainsi à découvrir l'amour, en des choses qui naturellement ne leur plaisent guère, telles que la discipline, l'étude, la mortification personnelle; et qu'ils apprennent à les faire avec élan et amour.
B Explique-toi mieux.
B Regardez les garçons en récréation.
Je regardai et répliquai:
B Et qu'est-ce qu'il y a de spécial à voir?
B Il y a tant d'années que vous formez des jeunes et vous ne comprenez pas? Regardez mieux ! Où sont nos salésiens?
Je regardai et je vis que bien peu de prêtres et d'abbés se mêlaient aux enfants, et que moins encore participaient à leurs jeux. Les supérieurs n'étaient plus l'âme de la récréation. La majeure partie d'entre eux se promenaient ensemble en bavardant sans s'inquiéter de ce que faisaient les élèves; d'autres contemplaient la récréation mais ne s'occupaient pas des garçons; d'autres surveillaient comme de loin sans avertir ceux qui se mettaient en faute; si quelqu'un avertissait, et c'était rare, son geste était menaçant. Des salésiens auraient voulu s'introduire dans des groupes de garçons, mais je m'aperçus que ces derniers se tenaient soigneusement à l'écart des professeurs et des supérieurs.
Mon ami reprit alors: Aux temps anciens de l'Oratoire, n'étiez-vous pas toujours au milieu des garçons, surtout pendant les récréations ? Vous vous rappelez ces belles années? C'était un paradis, une période dont nous gardons toujours un souvenir ému, parce que l'affection nous tenait lieu de règlement; nous n'avions aucun secret pour vous.
B Certainement! Et alors tout était joie pour moi, mes jeunes se précipitaient pour s'approcher de moi et me parler; et ils avaient soif d'entendre mes conseils et de les mettre en pratique. Mais maintenant vois comme les audiences incessantes, les affaires multiples et l'état de ma santé me l'interdisent.
B D'accord; mais si cela vous est impossible à vous, pourquoi vos salésiens ne vous imitent-ils pas? Pourquoi ne pas insister, ne pas exiger qu'ils se comportent avec les garçons comme vous le faisiez, vous?
B Je parle, je m'époumone; mais malheureusement, beaucoup ne se sentent plus la force de supporter les fatigues d'autrefois!
B Et c'est ainsi que, négligeant le moins, ils perdent le plus; et ce plus, ce sont leurs fatigues. Qu'ils aiment ce qui plaît aux garçons et les garçons aimeront ce qui plaît à leurs supérieurs. Alors la fatigue leur sera douce.
La cause du changement actuel à l'Oratoire, c'est qu'un certain nombre de garçons n'ont pas confiance en leurs supérieurs. Jadis les cœurs leur étaient grands ouverts; les enfants les aimaient et leur obéissaient immédiatement. Maintenant, les supérieurs sont considérés comme des supérieurs, et non plus comme des pères, des frères et des amis; ils sont craints et peu aimés. Si l'on veut donc former un seul cœur et une seule âme, pour l'amour de Jésus, il faut démolir cette fatale barrière de méfiance et lui substituer une confiance cordiale. Que l'obéissance guide l'élève comme la mère guide son petit enfant. Alors la paix et la joie d'autrefois régneront à l'Oratoire.
B Mais comment s'y prendre pour briser cette barrière?
B Familiarité avec les jeunes surtout en récréation. Sans familiarité, l'affection ne se prouve pas, et sans cette preuve il ne peut y avoir de confiance. Qui veut être aimé doit montrer qu'il aime. Jésus-Christ se fit petit avec les petits et porta nos faiblesses. Voilà le maître de la familiarité! Le professeur que l'on ne voit qu'au bureau est professeur et rien de plus: mais, s'il partage la récréation des jeunes, il devient comme un frère.
Quelqu'un ne paraît-il qu'en train de prêcher du haut de la chaire, on dira qu'il ne fait ni plus ni moins que son devoir; mais dit-il un mot sur la cour, ce mot est celui d'un ami. Combien de conversions n'ont pas déclenchées certaines de vos paroles résonnant tout à coup à l'oreille d'un garçon au milieu de son jeu? Celui qui se sait aimé aime, et celui qui est aimé obtient n'importe quoi, surtout des jeunes. Cette confiance crée un courant électrique entre les jeunes et leurs supérieurs. Les cœurs s'ouvrent, ils expriment ce qui leur manque et révèlent leurs défauts. Cet amour permet aux supérieurs de supporter les fatigues, les ennuis, les ingratitudes, les contrariétés, les manquements et les négligences des enfants. Jésus-Christ n'a pas cassé le roseau déjà brisé, il n'a pas éteint la mèche qui fumait. Voilà votre modèle.
Alors on n'en verra plus qui travailleront pour la gloriole, qui puniront uniquement pour venger leur amour-propre offensé, qui disparaîtront de la zone à surveiller par une jalousie ombrageuse de l'influence d'un autre, qui, tenant à être aimés et estimés des garçons à l'exclusion de tous les autres supérieurs, critiqueront autrui et n'y gagneront que mépris et cajoleries hypocrites.
On n'en verra plus qui se laissent ravir le cœur par une créature et qui, pour lui faire la cour, négligent tous les autres enfants; qui, par amour de leur bien-être, méprisent le devoir rigoureux de la surveillance; qui, dans leur stérile respect humain, s'abstiennent d'avertir celui qui doit être averti. Avec ce véritable amour, on ne recherchera que la gloire de Dieu et le salut des âmes. C'est quand l'amour faiblit que rien ne va plus. Pourquoi vouloir remplacer la charité par la froideur d'un règlement? Pourquoi les supérieurs négligent-ils d'observer les règles pédagogiques que Don Bosco leur a enseignées? Pourquoi remplacer progressivement la méthode qui consiste à prévenir les désordres avec vigilance et amour, par celle, moins onéreuse et plus expéditive à qui commande, qui consiste à promulguer des lois? Ces lois qui, lorsque des châtiments les renforcent, allument des haines et engendrent des mécontentements; et qui, si l'on néglige de les faire appliquer, engendrent le mépris de l'autorité et entraînent des désordres d'une extrême gravité.
Ceci arrive à coup sûr quand la familiarité fait défaut. Si l'on tient à ce que l'Oratoire retrouve son bonheur d'antan, il faut remettre en vigueur l'ancienne méthode: que le supérieur se fasse tout à tous ; qu'il soit toujours prêt à écouter les problèmes ou les plaintes des garçons; qu'il soit tout yeux pour surveiller paternellement leur conduite; qu'il soit tout cœur pour rechercher le bien spirituel et temporel de ceux que la Providence lui a confiés.
Alors les cœurs ne seront plus fermés et certains cercles funestes disparaîtront. Seule l'immoralité doit trouver les supérieurs inexorables. Il vaut mieux risquer de chasser un innocent de la maison que d'y maintenir un scandaleux. Les assistants doivent considérer comme leur devoir le plus strict de dénoncer aux supérieurs tout ce qu'ils savent constituer de quelque manière une offense de Dieu.
Je lui posai alors cette question: Quel est donc le principal moyen de faire triompher une telle familiarité, un tel amour et une telle confiance?
B L'observance exacte du règlement de la maison.
B Et rien d'autre?
B Le meilleur plat d'un dîner, c'est un bon visage.
Tandis que mon ancien élève finissait de parler et que, vivement contrarié, je continuais de contempler la récréation, je me sentis peu à peu accablé par une grande lassitude. Elle allait toujours croissant. Cet accablement atteignit un point tel que, incapable de résister davantage, je me secouai et revins à moi.
Je me suis retrouvé debout près de mon lit. Mes jambes étaient tellement enflées et me faisaient si mal que je ne pouvais plus me tenir droit. Comme il était très tard, je me mis au lit, décidé à écrire ces lignes à mes chers fils.
Je voudrais ne pas avoir de tels rêves; ils me fatiguent trop.
Le lendemain, j'étais brisé, et je ne voyais jamais venir l'heure où je pourrais me reposer le soir. Or j'étais à peine couché que le rêve reprit. En face de moi, j'avais la cour, les garçons actuellement à l'Oratoire, et le même ancien élève de l'Oratoire. Je le questionnai: Ce que tu m'as dit, je le transmettrai à mes salésiens; mais que dois-je dire aux garçons de l'Oratoire? Il me répondit: Qu'ils reconnaissent avec quel dévouement leurs supérieurs, leurs professeurs, leurs assistants se fatiguent et travaillent par amour pour eux; car, si ce n'était pour leur bien, ils ne s'imposeraient pas de tels sacrifices. Qu'ils se rappellent que l'humilité est la source de toute tranquillité; qu'ils sachent supporter les défauts des autres, car la perfection n'est pas de ce monde, elle n'est qu'au paradis; qu'ils en finissent avec leurs critiques, parce qu'elles glacent les cœurs; et, par-dessus tout, qu'ils s'emploient à vivre dans la sainte grâce de Dieu. Celui qui n'est pas en paix avec Dieu n'est pas en paix avec lui-même; il n'est pas en paix avec les autres.
B Tu me dis par conséquent que certains de mes garçons ne sont pas en paix avec Dieu?
B C'est la cause principale du mauvais esprit, parmi les autres que vous connaissez, auxquelles vous devez porter remède et dont il ne convient pas actuellement de parler. En effet, celui-là seul se méfie qui a des secrets à garder, qui redoute de les voir connus, sachant bien que cela lui attirerait honte et discrédit. Si en même temps son cœur n'est pas en paix avec Dieu, il demeure dans l'angoisse et l'inquiétude, obéit difficilement, s'irrite pour un rien; il a l'impression que tout va mal, et, parce qu'il est lui-même sans amour, il estime que ses supérieurs ne l'aiment pas.
B Mais, mon cher ami, tu ne remarques donc pas le nombre des confessions et des communions à l'Oratoire?
B C'est vrai, on se confesse beaucoup; mais ce qui manque tout à fait aux confessions de beaucoup d'enfants, ce sont des résolutions fermes. ils se confessent, mais les mêmes fautes reviennent toujours, les mêmes occasions prochaines, les mêmes mauvaises habitudes, les mêmes désobéissances, les mêmes entorses au devoir d'état. Et l'on va de l'avant pendant des mois et des mois, quand ce n'est pas pendant des années; et certains poursuivent de la sorte jusqu'à la cinquième année de gymnase.
Ce sont des confessions qui ne valent rien ou peu s'en faut; elles n'apportent donc pas la paix. Si un enfant était appelé dans cet état au tribunal de Dieu, la situation serait très sérieuse.
B Et il y en a beaucoup de ce genre à l'Oratoire?
B Peu, relativement au grand nombre de la maison. Regarde. Et il me les désignait.
Je regardai et, l'un après l'autre, je vis ces garçons. Ils étaient peu nombreux mais je vis en eux des choses qui me peinèrent profondément. Je ne veux pas les mettre sur papier, mais, sitôt rentré, j'ai l'intention d'en faire part à chacun des intéressés. Je vous dirai seulement qu'il est temps de prier et de prendre de fermes résolutions, de se décider non par des paroles, mais par des actes, et de prouver que les Comollo, les Dominique Savio, les Besucco et les Saccardi n'ont pas disparu d'entre nous.
Je posai une dernière question à mon ami: Tu n'as rien d'autre à me dire?
B Prêche à tous, grands et petits, de ne jamais oublier qu'ils sont fils de Marie Auxiliatrice; que c'est Elle qui les a réunis ici pour les soustraire aux dangers du monde, pour qu'ils s'aiment fraternellement et procurent par leur bonne conduite la gloire de Dieu et la sienne; que c'est Elle, la dame qui, par une infinité de grâces merveilleuses, leur assure le pain et les moyens d'étudier. Qu'ils se souviennent que la fête de leur mère est proche; et que doit tomber, avec son secours, la barrière de méfiance que le démon est arrivé à dresser entre garçons et supérieurs et qu'il exploite habilement pour la ruine de certaines âmes.
B Parviendrons-nous à la supprimer, cette barrière?
B Oui certes, à la condition que grands et petits soient prêts à souffrir de petites mortifications pour l'amour de Marie et mettent en pratique ce que je vous ai dit.
Je continuai cependant à regarder mes enfants et, au spectacle de ceux que je voyais marcher vers leur perte éternelle, j'éprouvai un tel serrement de cœur que je me réveillai. Je voudrais encore vous raconter une foule de choses très importantes dont je fus le témoin, mais ni le temps ni les convenances ne me le permettent.
Je conclus: Vous savez ce qu'attend de vous ce pauvre vieillard qui a consumé toute sa vie pour ses chers garçons? Rien que ceci: que refleurissent B toutes proportions gardées B les jours heureux de l'ancien Oratoire. Jours d'affection et de confiance chrétienne entre garçons et supérieurs; jours de compréhension et de support mutuel par amour de Jésus-Christ; jours des cœurs ouverts en pleine candeur et simplicité; jours de charité et de joie véritable pour tous.
J'ai besoin que vous me consoliez par l'espoir et la promesse que vous ferez tout ce que je désire pour le bien de vos âmes. Vous n'appréciez pas assez votre bonheur d'avoir été recueillis à l'Oratoire. Devant Dieu, je vous l'affirme: il suffit qu'un garçon entre dans une maison salésienne pour que la Très Sainte Vierge le prenne aussitôt sous sa protection spéciale. Mettons-nous donc tous d'accord. Que la charité de ceux qui commandent et la charité de ceux qui doivent obéir fassent régner parmi vous l'esprit de saint François de Sales. O mes chers fils, il approche le temps où je devrai me séparer de vous et partir vers mon éternité. C'est pourquoi je brûle de vous laisser, mes prêtres, mes abbés, mes garçons bien-aimés, sur la route du Seigneur, là où Lui-même vous désire. Le Saint Père, que j'ai vu le vendredi 9 mai, vous envoie dans ce but et de grand cœur sa bénédiction.
Le jour de la fête de Marie Auxiliatrice, je me trouverai avec vous face au tableau de notre Mère très aimante. Je tiens à ce que cette grande fête soit célébrée très solennellement et que Don Lazzero et Don Marchisio pensent à faire en sorte qu'il y ait de la joie même au réfectoire. La fête de Marie Auxiliatrice doit être le prélude de la fête éternelle qu'un jour nous devons célébrer tous ensemble dans l'unité au paradis.
Votre très affectionné en Jésus-Christ
Jean Bosco, prêtre