Souvenirs (MO) 2. Décienne



Don Bosco MO Souvenirs Autobiographiques

DEUXIÈME DÉCENNIE

1835-1845




Prise de soutane. - Règlement de vie.


Ma décision d'embrasser l'état ecclésiastique était prise. Je passai l'examen d'admission et mis tout en oeuvre pour être fin prêt pour ce jour très important. J'étais en effet persuadé que du choix d'un état de vie dépendait ordinairement le salut éternel ou l'éternelle damnation. Je me recommandai aux priè­res de plusieurs de mes amis. Je fis une neuvaine et le jour de Saint-Michel (1)1 (octobre 1834) je m'approchai des sacre­-/81/ ments. Alors le théologien (2)2 Cinzano, curé et doyen de mon pays procéda à la bénédiction de l'habit, puis me revêtit de la soutane avant la messe solennelle.

Au moment où il me demanda d'enlever mes vêtements civils en prononçant ces paroles: Exuat te Dominus veterem hominem cum actibus suis, je fis intérieurement cette prière: « Oh! de combien de vieilleries j'ai à me dépouiller! Mon Dieu, détruisez en moi toutes mes mauvaises habitudes. » Puis, quand me présentant le col (romain) il ajouta: " Induat te Dominus novum hominem, qui secundum Deum creatus est in justitia et sanctitate veritatis ! " je fus ému et continuai tout bas: " Oui, mon Dieu, faites que, dès maintenant, je revête un homme nouveau ; c'est-à-dire que, désormais, je commence une vie nouvelle, toute selon votre volonté, que la justice et la sain­teté soient l'objet constant de mes pensées, de mes paroles et de mes actions. Ainsi soit-il! Marie, soyez le salut de mon âme! " (3)3.

A cette cérémonie religieuse, mon bon curé voulut en ajouter une, toute profane. Il me conduisit à la fête de Saint­Michel, à Bardella, village voisin de Castelnuovo. Il m'avait proposé ce divertissement par pure amabilité, mais cela ne me convenait guère. Je ressemblais à un pantin tout de neuf habillé qui se présente au public pour être admiré. Et puis, après plusieurs semaines de préparation à cette journée tant désirée, je me trouvais à un banquet, au milieu de gens de tout sexe et condition réunis là pour rire, bavarder, manger, boire et s'amuser. J'y côtoyais des gens qui, en général, couraient après les jeux, la danse et autres attractions du même genre. Qu'y avait-il de commun entre ces gens, cette société et quel­qu'un qui, le matin, avait endossé le saint habit et s'était donné entièrement au Seigneur?

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Le curé s'aperçut de mon trouble et le soir, en retournant à la maison il me demanda pourquoi en ce jour de réjouissance publique je m'étais montré si réservé, si pensif. En toute sincé­rité je lui répondis que la cérémonie du matin était en complet désaccord (4)4 avec les réjouissances du soir. J'ajoutai même qu'avoir vu des prêtres faire les bouffons au milieu de convi­ves assez échauffés par le vin m'avait presque fait douter de ma vocation. Si je savais devoir devenir un prêtre de ce genre, j'aimerais mieux déposer mon habit et vivre en pauvre sécu­lier, mais en bon chrétien. « Le monde est ainsi fait, répondit le curé, il faut le prendre comme il est. Il faut voir le mal pour le connaître et l'éviter. Nul ne devient un vaillant guerrier s'il n'apprend pas le maniement des armes. C'est bien ce que nous devons faire, nous, pour mener une lutte continuelle contre l'ennemi des âmes. »

Je me tus pour l'instant, mais au fond du coeur je me dis: « Jamais plus je ne prendrai part à des banquets publics, sauf dans le cas d'une obligation imposée par mes fonctions reli­gieuses. »

Après cette journée il était juste que je pense à moi-même. La vie que j'avais menée jusqu'alors devait être radicalement transformée. Dans les années passées je n'avais certes pas été un scélérat, mais je m'étais laissé aller à la dissipation, à une certaine suffisance, occupé que j'étais à toutes sortes de parties de jeux, d'acrobaties, de tours d'adresse et autres exercices de ce genre, qui peuvent récréer un moment, mais n'apaisent pas le coeur.

Pour me donner une règle de vie ferme et ne pas l'oublier, j'ai écrit les résolutions suivantes.

1° A l'avenir, je n'assisterai plus aux spectacles publics sur les foires et les marchés ; je n'irai plus voir ni bal ni théâtre, et, dans la mesure où j'en aurai la possibilité, je ne participerai plus aux repas qu'on organise habituellement en ces occasions. /83/

2° Jamais plus je ne me livrerai à des tours de passe-passe, de prestidigitation, d'acrobatie, d'adresse et de corde ; je ne jouerai plus du violon ; je n'irai plus à la chasse. Tout cela je le trouve contraire à la gravité et à l'esprit ecclésiastiques.

3° J'aimerai et pratiquerai la vie retirée et la tempérance dans le boire et le manger, et je ne prendrai que le nombre d'heures de repos nécessaire à ma santé.

4° Comme, par le passé, j'ai servi le monde par des lectu­res profanes, je tâcherai de servir Dieu à l'avenir en me livrant à la lecture de livres religieux.

5° Je combattrai de toutes mes forces tout ce qui est contraire à la vertu de chasteté : lectures, pensées, conversa­tions, paroles et actions. A l'inverse, je ne négligerai rien, même d'infimes détails, qui puisse aider à conserver cette vertu.

6° Outre les pratiques ordinaires de piété, je ne manquerai jamais de faire chaque jour un peu de méditation et un peu de lecture spirituelle.

7° Je raconterai chaque jour un exemple ou (rappellerai) une maxime profitables à l'âme d'autrui. Je le ferai avec mes camarades, mes amis, mes parents, et, quand ce ne me sera pas possible avec d'autres, je le ferai avec ma mère.

Telles furent mes résolutions quand je revêtis l'habit cléri­cal. Et, afin qu'elles me restent bien gravées (dans l'esprit), je suis allé devant une image de la bienheureuse Vierge, je les ai lues, et, après avoir prié, j'ai promis formellement à cette céleste bienfaitrice de les observer au prix de n'importe quel sacrifice (5)5. /84/



Départ pour le séminaire.


Le 30 octobre 1834 (1)6 je devais me trouver au séminaire. Mes maigres bagages étaient prêts (2)7. Tous mes parents étaient heureux et moi plus encore. Ma mère, pourtant, restait pensive et me fixait continuellement comme si elle avait quel­que chose à me dire. La veille de mon départ, elle me prit à part et m'adressa ces paroles mémorables: « Mon Jean, tu as revêtu l'habit ecclésiastique, j'en ressens toute la consolation qu'une mère peut éprouver du bonheur de son fils. Mais, sou­viens-toi: ce n'est pas l'habit qui honore ton état, mais la pratique des vertus. Si jamais tu venais à douter de ta voca­tion, alors, de grâce, ne déshonore pas cet habit. Quitte-le bien vite. J'aime mieux avoir un fils paysan que prêtre négligent de ses devoirs. Quand tu es venu au monde, je t'ai consacré à la Bienheureuse Vierge ; quand tu as commencé tes études, je t'ai recommandé la dévotion à cette Mère ; maintenant, je te demande de te donner tout à elle ; aime des compagnons qui lui sont dévots, et, si tu deviens prêtre, recommande et répands toujours la dévotion à Marie. »

En terminant ces mots ma mère était émue ; moi, je pleu­rais. « Maman, lui répondis-je, je vous remercie de tout ce que vous avez dit et fait pour moi ; (soyez sûre que) vous n'avez pas parlé en vain ; vos paroles seront mon trésor pour toute ma vie » (3)8.

Le (lendemain) matin, en temps voulu, je partis pour Chieri et, le soir, je faisais mon entrée au séminaire. Je saluai /85/ mes supérieurs, préparai mon lit, puis, avec mon ami Gari­gliano, je parcourus les dortoirs, les corridors, pour aboutir à la cour. En levant les yeux sur le cadran solaire je lus ces vers: Afflictis lentae, celeres gaudentibus horae (4)9. « Eh bien! dis-je à mon ami, voilà notre programme: soyons toujours joyeux et le temps passera vite. »

Le lendemain commencèrent les trois jours de retraite (de début d'année) et je m'appliquai à la suivre le mieux que je pus. Sur la fin, je me rendis auprès du professeur de philoso­phie, le théologien Ternavasio, de Bra. Je lui demandai une règle de vie qui, tout à la fois, m'aiderait à remplir mes obliga­tions et à gagner la bienveillance de mes supérieurs. « II n'y en a qu'une, me répondit le digne prêtre: vous acquitter exac­tement de vos devoirs. »

J'ai pris ce conseil comme mot d'ordre et je m'appliquai de tout mon coeur à observer rigoureusement le règlement du séminaire. Je ne faisais aucune distinction entre le coup de cloche qui nous appelait à l'étude et celui qui nous convoquait à la chapelle, au réfectoire, au dortoir, en récréation, au repos. Cette ponctualité me gagna l'affection de mes compagnons et l'estime de mes supérieurs ; si bien que six années de séminaire furent pour moi une étape très plaisante.



La vie du séminaire.


Les journées du séminaire sont presque toutes pareilles. Aussi je vais d'abord vous parler des généralités, me réservant de décrire quelques faits particuliers. Je commencerai par les supérieurs.

J'aimais beaucoup mes supérieurs et eux ont toujours été bons pour moi. Mais mon coeur n'était pas satisfait. Le recteur /86/ et les autres professeurs ne nous voyaient qu'à la rentrée et au départ des vacances. Personne n'allait leur parler hors le cas où il s'agissait de recevoir quelque semonce. Un de ces mes­sieurs venait chaque semaine, à tour de rôle, nous surveiller au réfectoire et en promenade, et c'était tout. Que de fois j'aurais voulu m'adresser à eux, leur demander un conseil, la solution de quelque doute, mais je ne le pouvais pas. Et même, s'il arrivait qu'un supérieur vînt à passer au milieu des sémina­ristes, chacun fuyait au plus vite à droite et à gauche, sans trop savoir pourquoi. C'était la bête noire (1)10. Cet état de choses avait pour effet d'embraser toujours plus vivant en moi le désir d'être prêtre le plus tôt possible, pour me trouver au milieu des enfants, les aider, les satisfaire en toutes circonstan­ces.

En ce qui concerne mes compagnons, je m'en suis tou­jours tenu aux suggestions de ma mère bien-aimée : ne prendre pour amis que ceux qui étaient dévots à la Vierge, appliqués à l'étude et attachés aux exercices de piété. Je dois dire pour la gouverne de ceux qui fréquentent un séminaire qu'on y rencontre beaucoup de jeunes clercs qui sont de vrais modèles de vertu, mais qu'if y en a aussi de dangereux. On compte toujours quelques jeunes gens qui entrent au séminaire sans souci de vocation, sans même avoir l'esprit ni la volonté d'être de bons séminaristes. Je me souviens encore avoir entendu de très mauvaises conversations au séminaire. Une fois même, au cours d'une perquisition chez certains élèves, on trouva toute sorte de livres impies et obscènes. Il est vrai que de tels élèves ou bien abandonnaient volontairement l'habit clérical, ou bien se voyaient évincés dès qu'ils étaient connus pour ce qu'ils étaient. Tout de même, tant qu'ils demeuraient au sémi­naire, ils étaient une peste pour les bons et pour les mauvais. /87/

Pour éviter le danger provoqué par de tels condisciples, j'en choisis (pour amis) quelques-uns qui étaient notoirement connus comme modèles de vertu: Guillaume Garigliano, Jean Giacomelli d'Avigliana, et enfin Louis Comollo. Ces trois compagnons furent pour moi un trésor.

Les pratiques de piété s'accomplissaient très bien. Le matin, messe, méditation, chapelet: à table, une lecture édi­fiante. A cette époque on lisait l'Histoire Ecclésiastique de Belcastel (2)11. On devait se confesser tous les quinze jours ; libre à chacun d'y aller tous les samedis. Cependant, on ne pouvait communier que le dimanche ou à l'occasion d'une solennité spéciale. On allait parfois communier en cours de semaine, mais alors il fallait désobéir et profiter de l'heure du déjeuner pour courir en cachette jusqu'à l'église contiguë, Saint-Philippe, recevoir la communion et rejoindre les compa­gnons au moment de la rentrée en étude ou en classe. Cet accroc au règlement était défendu mais les supérieurs y don­naient un consentement tacite. Ils le savaient, parfois le voyaient, mais ne disaient rien contre. C'est ainsi que je pus très souvent aller communier et recevoir ce que je puis appeler avec raison l'aliment le plus efficace de ma vocation. On a porté remède à cette piété mal entendue le jour où, par disposi­tion de l'archevêque Gastaldi, on organisa les choses de façon à permettre de s'approcher de la communion tous les jours, du moment que l'on y était préparé.


Divertissements et récréations.


Le divertissement le plus en vogue à l'heure des récréa­tions était le jeu, bien connu, de barres. Au début, ce jeu me plaisait beaucoup. Mais lorsque je m'aperçus qu'il ressemblait fort à ceux des charlatans auxquels j'avais renoncé, je pris aussi la décision de ne plus y prendre part. A certains jours on avait la permission de jouer aux tarots. Je m'y adonnai /88/ quelque temps, mais là aussi je trouvai le doux mêlé à l'amer. Quoique je ne fusse pas un joueur fameux, j'avais toutefois une telle chance que je gagnais presque toujours. A la fin de la partie mes mains étaient pleines de pièces, mais la vue de mes compagnons, désappointés d'avoir perdu, me faisait mal. J'étais presque plus marri qu'eux. Ajoutez qu'à ce jeu mon esprit se concentrait au point qu'ensuite je ne pouvais plus ni prier ni étudier. Mon imagination était travaillée par le roi de cœur ou le valet de pique, le treize ou le quinze de tarots. Je pris donc la résolution de ne plus participer à ce jeu, tout comme j'avais renoncé aux précédents. Cela se passa à la moi­tié de ma deuxième année de philosophie: 1836 (3)12.

Lorsque la récréation était prolongée elle était agrémentée de quelque promenade. Les séminaristes choisissaient d'habi­tude les endroits très agréables qui entourent la ville de Chieri. Ces promenades n'étaient pas sans utilité pour l'étude. Chacun en profitait pour discourir sur les matières de classe ; on inter­rogeait son compagnon, on répondait à ses questions. Outre ces moments de promenade commune, on pouvait aussi se récréer en déambulant entre amis à travers le séminaire. On parlait de choses et d'autres : amusantes, édifiantes ou scienti­fiques.

Durant les grandes récréations, on se rassemblait souvent au réfectoire pour tenir ce qu'on appelait un cercle d'études. Chacun en profitait pour poser des questions sur ce qu'il ne savait pas ou ce qu'il n'avait pas compris dans les manuels ou en classe. Cela me plaisait beaucoup et m'était d'une grande utilité pour l'étude, la piété et même la santé. Comollo se faisait remarquer comme questionneur: il était entré au sémi­naire une année après moi. Un certain Dominique Peretti, maintenant curé de Buttigliera, avait la langue bien pendue et réponse à tout. Garigliano était un parfait auditeur, se conten­tant de glisser quelques réflexions. Quant à moi, on m'avait élu président et mes jugements étaient sans appel. Comme il /89/ arrivait qu'au cours de ces discussions familières quelqu'un posât une question ou abordât un problème scolaire auquel personne d'entre nous ne pouvait donner une réponse exacte, alors on se partageait la difficulté et chacun, en un temps déterminé, préparait la solution de la question dont il avait été chargé.

Il arrivait rarement que ma récréation ne soit pas inter­rompue par Comollo. Il me tirait par un pli de ma soutane et, m'invitant à l'accompagner, il me conduisait à la chapelle pour faire une visite au Saint Sacrement pour les agonisants, réciter le chapelet ou l'office de la Sainte Vierge pour les âmes du pur­gatoire.

Quelle chance ce fut pour moi d'avoir un tel compagnon! Il savait choisir son moment pour me donner un avis, glisser une réprimande, me consoler. Il y mettait tant de bonne grâce, tant de charité, que j'étais heureux de lui offrir un motif de me reprendre, ce qui me comblait d'aise. Nos entretiens étaient toujours très familiers et tout naturellement je me sen­tais porté à l'imiter. Bien que je sois resté à des milliers de kilomètres derrière lui sur le (chemin) de la vertu, si je ne me suis pas laissé entraîner par les plus dissipés, si j'ai fait quelque progrès dans ma vocation, c'est vraiment à lui que je le dois. Sur un seul point je n'ai même pas essayé de l'imiter: la morti­fication. De voir cet adolescent de dix-neuf ans observer un jeûne rigoureux pendant tout le carême ainsi qu'aux jours prescrits par l'Église, jeûner tous les samedis en l'honneur de la Sainte Vierge, se priver souvent de son petit déjeuner, se contenter parfois de pain et d'eau au dîner, supporter mépris et injures sans laisser échapper le moindre signe de ressenti­ment et apporter une exactitude sans pareille au plus humble de ses devoirs de classe ou de piété, me plongeait dans la plus profonde stupéfaction. Ce compagnon, cet ami, m'apparaissait comme une idole. C'était une invitation au bien, un modèle de vertu pour qui vivait au séminaire. /90/



Les vacances.


Les vacances étaient toujours un grand péril pour les séminaristes d'autant plus qu'elles duraient alors quatre mois et demi (1)13. J'employais ce temps à lire ou à écrire. Mais, ne sachant pas encore bien organiser mes journées, je perdais beaucoup de temps sans profit. Je cherchais à le tuer en m'adonnant à de nombreux travaux mécaniques. Je fabriquais au tour toutes sortes d'objets: fuseaux, taquets, toupies, bou­les, balles. Je confectionnais des habits, taillais et cousais des chaussures, travaillais le fer ou le bois. J'ai encore en ma mai­son de Murialdo un pupitre, une table et quelques chaises qui me rappellent les chefs-d'oeuvre de mes vacances. Je m'em­ployais aussi à faucher l'herbe dans les prairies ou à moisson­ner le blé dans les champs. Je taillais et nettoyais la vigne, je faisais la vendange, je cueillais et pressais le raisin, etc. Je m'occupais de mes enfants habituels, mais je ne pouvais le faire qu'aux jours fériés. C'était un réconfort pour moi d'ensei­gner le catéchisme à beaucoup de mes compagnons, qui à seize ou dix-sept ans, étaient totalement ignares des vérités de notre foi. J'eus même à apprendre à quelques-uns la lecture et l'écri­ture, avec beaucoup de succès. Leur désir, je dirais leur passion de s'instruire m'amena bientôt d'autres jeunes de tout âge. Mes leçons étaient gratuites, mais je posais comme condition l'assiduité, l'attention et la confession mensuelle. Au début, quelques-uns abandonnèrent, ne voulant pas satisfaire à ces conditions. Ce fut, en fait, un bon exemple pour les autres et un encouragement.

En ce temps-là je commençai à faire de petits sermons avec la permission et l'assistance de mon curé. Je prêchai sur le saint Rosaire au village d'Alfiano pendant les vacances de l'année de physique (2)14 ; sur l'apôtre saint Barthélémy à Cas­telnuovo d'Asti, après ma première année de théologie ; sur /91/ la Nativité de la Sainte Vierge à Capriglio. Je ne sais quels fruits mes auditeurs en retirèrent. Cependant partout on m'ap­plaudissait, si bien que la vaine gloire devint mon stimulant, jusqu'à ce que je voie s'évanouir mes illusions. Voici com­ment. Un jour, après la prédication sur la Nativité de la Sainte Vierge, dont je viens de parler, j'interrogeai un auditeur qui me paraissait des plus intelligents et lui demandai ce qu'il pensait de ce sermon dont il faisait un éloge démesuré. Il me répartit: « Vous avez parlé des pauvres âmes du purgatoire. » Or j'avais prêché sur les gloires de Marie. A Alfiano, je voulus avoir l'avis du curé, Don Joseph Pelato, homme de forte piété et de grand savoir, et je le priai de me donner son point de vue sur mon sermon. « Votre sermon, me répondit-il, était très bon: plan bien ordonné, exposé en un langage soigné, citations de l'Écriture. Continuez de ce pas et vous réussirez dans la prédication.

- Et le peuple, a-t-il bien compris ?

- Pas beaucoup. Seuls mon frère prêtre, moi et très peu d'autres auront compris.

- Comment donc n'ont-ils pu comprendre des choses si faciles ?

- Cela vous semble facile, mais, pour le peuple, c'était très élevé. Ecrémer l'histoire sainte, vouloir raisonner sur un tissu de faits de l'histoire de l'Église, le peuple n'y comprend rien.

- Que me conseillez-vous donc de faire ?

- Finissez-en avec la langue et les périodes des classiques ; parlez notre dialecte là où c'est possible, ou même employez la langue italienne, mais populaire, populaire, populaire. Et puis, au lieu de raisonnements, tenez-vous en à des exemples, des comparaisons, des histoires simples et pratiques. Retenez toujours ceci: le peuple n'a pas une grande faculté de compré­hension, on ne lui explique jamais assez les vérités de la foi. »

Ce conseil paternel me servit de règle durant toute ma vie. Je conserve encore à ma honte ces discours où, mainte­nant, je ne découvre que vaine gloire et recherche. Dieu, dans sa miséricorde, m'a fait la grâce d'une pareille leçon. Elle a porté ses fruits dans mes prédications, mes catéchismes, mes /92/ instructions et tous les écrits auxquels, dès ce temps-là, je commençais à m'appliquer (3)15.



Banquet à la campagne. - Le violon. - La chasse.


Quand je disais plus haut que les vacances n'allaient pas sans danger, j'entendais bien parler pour moi. Il est arrivé plus d'une fois qu'un pauvre séminariste, sans même s'en aperce­voir, se soit trouvé en grands périls. J'en fis l'expérience. Une année, je fus invité à un banquet de famille chez quelques-uns de mes parents. Je ne voulais pas y aller. On me fit observer que, ce jour-là, il n'y avait aucun clerc pour servir l'autel. Devant l'insistance d'un de mes oncles, je crus bon de consen­tir et je partis. Après les cérémonies à l'église au cours desquel­les je prêtai mon concours et je chantai, nous allâmes dîner. Tout alla bien jusqu'à un certain moment ; mais lorsque les convives commencèrent à être légèrement gris, certains affec­tèrent des façons de parler difficilement tolérables pour un ecclésiastique. Je voulus le leur faire observer, mais ma voix fut étouffée. Ne sachant plus quel parti prendre, je voulus m'en aller. Je me levai de table et pris mon chapeau pour sortir. Mon oncle s'y opposa. Un autre convive se leva et se mit à parler encore plus mal et à insulter les commensaux. Des paro­les on passa aux actes. Tapage, menaces, verres, bouteilles, plats, cuillères, fourchettes, couteaux, tout s'entremêla en un horrible boucan. Il ne me restait d'autre échappatoire que de prendre mes jambes à mon cou. Arrivé à la maison, je renou­velai de tout coeur la résolution, déjà plusieurs fois prise, de me tenir à l'écart si je ne voulais pas tomber dans le péché.

Un autre incident du même genre, et tout aussi fâcheux, m'arriva à Croveglia, hameau de Buttighera. C'était la fête de /93/ saint Barthélémy. Un autre de mes oncles m'invita à venir participer aux cérémonies religieuses, chanter et jouer du vio­lon qui avait été mon instrument préféré mais auquel j'avais renoncé. Tout alla pour le mieux à l'église. Le dîner se donnait dans la maison de mon oncle, régent de la fête. Rien à redire jusqu'alors. Le repas fini, on m'invita à jouer quelque chose, histoire de récréer. Je refusai. « Au moins, dit un musicien, vous m'accompagnerez. Je ferai la première partie et vous la seconde. » Pauvre de moi ! Je n'osai refuser. Je commençai donc à jouer et poursuivis un moment lorsque tout à coup mon attention fut attirée par un potin, un piétinement, témoi­gnant de la présence de nombreuses personnes. Je me penchai à la croisée et je découvris dans une cour toute proche une foule de gens qui dansaient joyeusement au son de mon instru­ment. Une rage indescriptible me saisit alors. « Comment, dis-je aux invités, moi qui m'élève contre les spectacles publics, voilà que, maintenant, je m'en fais l'animateur ? On ne m'y prendra plus. » Je brisai le violon en mille mor­ceaux (1)16 et ne voulus plus jamais en jouer lors même que des circonstances se présentèrent pour des offices sacrés et que les convenances l'eussent exigé.

Un épisode encore. Il m'arriva à la chasse. En été j'allais souvent dénicher les oiseaux. En automne je les attrapais à la glu ou bien au piège, à la nasse, parfois à la carabine. Un beau matin, je me mis à la poursuite d'un lièvre. De champ en champ, de vigne en vigne, je parcourus monticules et ravins des heures durant. Finalement j'arrivai à la portée de l'animal et d'un coup de fusil lui broyai les côtes. La pauvre petite bête s'écroula par terre me laissant tout désemparé de la voir inani­mée. Mes compagnons, accourus au bruit de la détonation, étaient tout heureux de ce butin. Mais moi, je portais les yeux sur mon accoutrement. J'étais en manches de chemise, sans /94/ soutane, un chapeau de paille sur la tête. On eût dit un contre­bandier et cela à deux milles (2)17 de chez moi. J'étais très morti­fié. Je demandai pardon à mes compagnons du mauvais exem­ple que je leur avais donné en me présentant ainsi vêtu et, vite, je regagnai la maison. De nouveau et définitivement je renonçai à toute espèce de chasse. Je dois dire qu'avec l'aide du Seigneur je tins parole. Dieu me pardonne ce scandale!

Ces trois incidents m'avaient donné une terrible leçon. Je décidai alors de mener une vie encore plus retirée, persuadé que celui qui veut se donner nettement au service de Dieu doit renoncer complètement aux divertissements du mon­de (3)18. C'est vrai que, souvent, ce ne sont pas des péchés ; mais on y entend toujours des paroles, on y adopte des manières de se vêtir, de parler et d'agir qui ne sont pas sans risque de ruine pour la vertu, surtout la vertu, si délicate, de chasteté.


Rapports avec Louis Comollo.


Aussi longtemps que Dieu laissa en vie cet incomparable compagnon, je fus avec lui en relation intime. Pendant les vacances j'allais souvent chez lui et lui chez moi. Nous nous écrivions fréquemment. Je voyais en lui un saint jeune homme et je l'aimais pour ses rares vertus, tandis que lui m'aimait pour l'aide que je lui apportais dans ses études. Quand j'étais avec lui, je m'efforçais de l'imiter en quelque manière.

Certaines vacances, il vint passer une journée en ma com­pagnie. Mes parents faisaient justement la moisson dans les champs. Il me fit lire un sermon qu'il devait donner pour la fête de l'Assomption, puis, il le débita soulignant le texte par les gestes. Ayant ainsi passé ensemble quelques moments déli­-/95/ cieux, nous nous aperçûmes que c'était l'heure du dîner. Nous étions seuls à la maison. Que faire ? « Bon! dit Comollo, j'allu­merai le feu, tu prépareras la marmite et nous ferons cuire quelque chose.

- D'accord, répondis-je, mais allons d'abord prendre un poulet sur l'aire. Nous aurons ainsi repas et bouillon. Ma mère me l'a d'ailleurs recommandé. »

Nous avons eu vite fait de mettre la main sur un poulet. mais, qui se chargerait de l'occire ? Ni l'un ni l'autre. Pour en venir à une conclusion pratique on décida que Comollo tien­drait la bête, le cou placé sur un billot de bois bien lisse et que moi, avec une serpette sans pointe, je lui donnerais le coup de grâce. Le coup fut donné et la tête se sépara du tronc. A ce moment la frayeur nous saisit tous deux et nous prîmes aussi­tôt la fuite en pleurant. « Sots que nous sommes, dit bientôt Comollo. Le Seigneur ne nous a-t-il pas dit de nous servir des animaux de la terre pour notre bien ? Pourquoi tant de répu­gnance à agir ainsi ? » Sans plus de difficulté nous ramassâmes la bête qui, plumée et cuite, nous servit de dîner.

Je devais aller à Cinzano pour entendre le sermon de Comollo sur l'Assomption, mais ayant moi-même à faire ail­leurs un sermon sur le même sujet, je ne m'y rendis que le lendemain. C'était chose merveilleuse que d'entendre les élo­ges que l'on faisait partout du sermon de Comollo. Ce jour-là (16 août), c'était la fête de saint Roch. On l'appelait aussi le jour de la marmite ou de la cuisine. Parents et amis profitent en effet de cette occasion pour inviter à tour de rôle leurs proches à dîner. On se divertit ensuite tous ensemble. Ce jour­là, il m'arriva une histoire qui prouve jusqu'où pouvait aller mon audace.

A l'église on attendit le prédicateur de la fête jusqu'au moment où il devait monter en chaire. Et il n'arriva pas. Alors, pour tirer d'embarras le doyen de Cinzano, je m'adressai à l'un puis à l'autre des nombreux curés venus à la solennité. J'insistais, leur demandant que l'un d'eux veuille bien dire un petit mot à l'assistance venue nombreuse à l'église. Personne n'y consentit. Importunés par mes appels ils me répondirent sèchement: « Dégourdi que vous êtes! On n'improvise pas /96/ un discours sur saint Roch comme on boit un verre de vin. Au lieu d'importuner les autres, vous feriez mieux de prêcher vous-même! » A ces mots, tous d'applaudir. Mortifié et blessé dans mon orgueil, je répliquai: « Je n'aurais pas osé me propo­ser pour cette tâche, mais puisque tout le monde refuse, moi j'accepte. » On chanta un cantique à l'église pour me laisser le temps de rassembler mes idées. Je me remis rapidement en mémoire la vie du saint que j'avais déjà lue et je montai en chaire. On m'a affirmé plusieurs fois que ce fut le meilleur sermon que j'aie fait avant et depuis.

Durant ces vacances (1838) et à l'occasion (d'une prome­nade semblable à Cinzano) (4)19 je me promenais un soir avec mon ami sur une colline. De là on découvrait un vaste horizon de prés, de champs, de vignobles. « Regarde, Louis, lui dis-je, quelle lamentable récolte nous avons cette année ! Pauvres paysans ! Tant de travail, et presque pour rien.

- C'est la main du Seigneur, me répondit-il, qui s'abat sur nous. Nos péchés en sont la cause.

- J'espère que le Seigneur nous donnera une récolte plus abondante l'an prochain.

- Je l'espère aussi. Tant mieux pour ceux qui en jouiront ! - Allons, allons ! Laissons ces tristes idées. Patience pour cette année ! L'an prochain, le raisin sera plus abondant et le vin meilleur.

- Tu en boiras, toi.

- Sans doute veux-tu continuer, comme à ton habitude, à boire de l'eau claire ?

- Moi, j'espère boire un vin bien meilleur. - Que veux-tu dire par là ?

- Ça va, ça va!... Le Seigneur sait bien ce qu'il fait.

- Je ne te demande pas cela, je te demande ce que veut dire : J'espère boire un vin meilleur. Peut-être voudrais-tu aller au paradis ? /97/

- Quoique je ne sois pas tout à fait sûr d'aller au paradis après ma mort, j'en ai cependant la ferme espérance. Depuis quelque temps j'éprouve un si vif désir de goûter l'ambroisie des bienheureux qu'il me paraît impossible que les jours de ma vie soient encore bien longs! »

Ces paroles, Comollo les prononçait le visage parfaite­ment épanoui. Il jouissait alors d'une santé excellente et se préparait à retourner au séminaire (5)20.



Un fait de la vie de Comollo.


Les événements mémorables qui précédèrent et accompa­gnèrent la mort de ce cher ami ont été racontés à part. Qui le désire peut les lire (1)21. Je ne saurais cependant passer ici sous silence un fait qui fit beaucoup parler et dont, pourtant, on fait à peine mention dans les publications consacrées à sa mémoire. Le voici. Compte tenu de l'amitié et de la confiance illimitée et réciproque qui existait entre Comollo et moi, nous parlions assez souvent de ce qui pouvait à chaque instant nous arriver, de notre séparation en cas de décès. Un jour, nous venions de lire un assez long passage de la vie des saints. Mi-sérieux, mi-plaisants nous nous disions que ce serait pour nous une bien grande consolation si le premier à mourir venait donner à l'autre des nouvelles de son état. Ceci se renouvelant plusieurs fois, nous en vînmes à faire ce pacte: « Celui d'entre nous qui mourra le premier, si Dieu le permet, mettra son /98/ compagnon survivant au courant de son salut éternel. » Je ne me rendais pas compte de l'importance d'une telle promesse. Je dois avouer qu'il y avait là beaucoup de légèreté et je ne conseillerais jamais à personne d'agir ainsi. Quoi qu'il en soit, nous l'avions faite et même répétée plusieurs fois, surtout pen­dant la dernière maladie de Comollo. Même ses dernières paroles et son dernier regard confirmaient ce qui s'était dit à ce sujet. Beaucoup de mes compagnons avaient d'ailleurs connaissance de la chose.

Comollo mourut le 2 avril 1839. Le lendemain soir avaient lieu ses funérailles solennelles en l'église Saint­Philippe. Ceux qui connaissaient cette promesse attendaient avec anxiété sa réalisation. J'étais moi-même très anxieux car j'en espérais un grand réconfort dans ma désolation. Ce soir-là, déjà au lit dans un dortoir de vingt séminaristes, je me sentais agité, persuadé que j'étais que la promesse se vérifierait cette nuit-là. Il pouvait être onze heures et demie lorsqu'un bruit sourd se fait entendre à travers les corridors. On eût dit qu'un puissant chariot tiré par de nombreux chevaux s'approchait de la porte du dortoir. Devenant de plus en plus lugubre à la façon d'un coup de tonnerre, il fit trembler tout le dortoir. Épouvantés, les séminaristes sautent de leur lit et se groupent dans un coin, se réconfortant mutuellement. Alors, au milieu de ce sourd et violent grondement de tonnerre on perçut dis­tinctement la voix de Comollo disant par trois fois: " Bosco, je suis sauvé. " Tous entendirent le bruit ; plusieurs, les paroles de Comollo, sans en comprendre la signification; quelques­uns cependant la saisirent tout aussi bien que moi, de sorte que longtemps encore, on en reparla au séminaire(2)22. Ce fut la première fois, autant que je m'en souvienne, que j'eus peur. Ma peur et mon épouvante furent telles que je tombai grave­ment malade et parvins aux portes du tombeau. C'est pour­quoi je ne conseillerai à personne de faire la même expérience. Dieu est tout-puissant, Dieu est miséricordieux. Ordinaire­ment il ne porte pas attention à de semblables pactes. Mais il peut arriver que, dans son infinie bonté, il permette que suite leur soit donnée, ce qui se réalisa dans le cas précité. /99/



Un prix. - Sacristain. - Le théologien Jean Borelli.


J'ai été très heureux au séminaire. Je fus toujours entouré de l'affection de tous mes compagnons et de tous mes supé­rieurs. D'habitude, à l'occasion des examens semestriels, on accordait un prix de soixante francs à l'élève qui, dans chaque cours, obtenait les meilleures notes pour ses études et sa conduite morale. Dieu m'a vraiment béni car, pendant les six années passées au séminaire, j'ai toujours été bénéficiaire de cette bourse. En deuxième année de théologie, on me nomma sacristain. C'était une charge de peu d'importance, mais considérée comme une marque de bienveillance accordée par les supérieurs. Et puis, à cet emploi étaient encore attachés soixante francs. J'avais de cette façon ma pension à demi payée et Don Caffasso me faisait la charité de payer le reste. Le sacristain était chargé de la propreté de la chapelle, de la sacristie, de l'autel, de tenir en bon état les lampes, les cierges ainsi que les autres ornements et objets nécessaires au culte.

Ce fut cette année que j'eus le bonheur de connaître un des plus zélés ministres du sanctuaire venu prêcher la retraite au séminaire. Il arrivait à la sacristie le sourire aux lèvres, en plaisantant, mais toujours porteur de bonnes pensées. Quand je l'observai dans sa préparation à la sainte messe ou dans son action de grâces, (que je vis) son maintien et sa ferveur dans la célébration du saint sacrifice, je m'aperçus tout de suite que ce théologien Jean Borelli (1)23, de Turin, était vraiment un prê­tre digne. Puis, quand il commença ses prédications on en admira le ton populaire, la clarté et la charité brûlante. Celle-ci apparaissait en toutes ses paroles. Nous le regardions tous comme un saint. /100/

De fait tous rivalisaient pour aller se confesser à lui, parler de vocation ou obtenir de lui quelque souvenir particulier. Moi aussi, je voulus l'entretenir de mes problèmes spirituels. Lui ayant finalement demandé quel moyen il fallait employer pour être sûr de conserver l'esprit de sa vocation pendant l'année et surtout pendant les vacances, il me répondit ces paroles mémorables: « On perfectionne et on conserve sa vocation par l'éloignement du monde et la communion fré­quente. Ainsi se forme le véritable ecclésiastique. »

La retraite du théologien Borelli fit époque au séminaire. Quelques années après on en citait encore les saintes pensées laissées, soit dans ses sermons, soit dans ses entretiens privés.



Études.


A propos d'études, j'ai été dominé par une erreur qui aurait eu pour moi de funestes conséquences, si un fait provi­dentiel ne m'en avait libéré. Habitué à la lecture des classiques pendant toutes mes études secondaires, accoutumé aux images emphatiques de la mythologie et des fables des païens, je ne trouvais aucun goût aux choses ascétiques. J'en vins à me persuader que la bonne langue et l'éloquence étaient inconci­liables avec la religion. Les oeuvres mêmes des saints Pères me semblaient avoir été engendrées par des esprits très bornés, mis à part les principes religieux qu'ils exposaient avec force et clarté.

Au début de ma deuxième année de philosophie, j'allais un jour faire une visite au Saint Sacrement et, n'ayant pas avec moi de livre de prières, je me mis à lire l'Imitation de Jésus-Christ (1)24, dont je parcourus quelques chapitres sur l'eu­-/101/ charistie. Considérant avec attention la sublimité des réflexions et la manière claire, et tout à la fois ordonnée et éloquente, qui servait à exprimer ces grandes vérités, je com­mençai à me dire en moi-même: « L'auteur de ce livre était un savant homme. » Quand j'eus continué d'autres et encore d'autres fois à lire ce petit ouvrage en or, je ne tardai pas à m'apercevoir qu'un seul de ses versets contenait autant de doctrine et de morale que j'en aurais trouvé dans les gros volumes des classiques anciens. Je dois à ce livre d'avoir aban­donné la lecture profane. Je me consacrai donc à la lecture de Calmet, Histoire de l Ancien et du Nouveau Testament (2)25 ; à celle de Flavius Josèphe, les Antiquités juives et la Guerre jui­ve (3)26 ; puis à Mgr Marchetti, Réflexions sur la religion; et encore à Frayssinous (4)27, Balmès (5)28, Zucconi, et à beaucoup d'autres écrivains religieux. Je goûtais aussi la lecture de Fleury, Histoire ecclésiastique (6)29, ignorant que c'était un livre à éviter. J'ai lu encore avec plus de fruit les oeuvres de Cavalca, de Passavanti, de Segneri, et toute l'Histoire de l'Église d'Hen­rion (7)30.

Vous me direz peut-être: « Absorbé par tant de lectures, je ne pouvais étudier les traités. » Pas du tout. Ma mémoire m'était toujours aussi favorable. La simple lecture et l'explica­tion des traités en classe me suffisaient pour satisfaire à mes obligations. Je pouvais donc occuper en lectures variées les /102/ heures prévues pour l'étude. Mes supérieurs savaient tout et me laissaient la liberté d'agir ainsi (8)31.

Une étude me tenait particulièrement à coeur : celle du grec. J'en avais appris les premiers éléments pendant mes années de collège. J'avais étudié la grammaire et fait les pre­mières versions à l'aide de lexiques. Une occasion me fut d'un grand avantage en ce domaine. En 1836 le choléra menaçant Turin, les Jésuites décidèrent d'anticiper le départ de leurs pensionnaires du collège du Carmel pour Montaldo. Naturel­lement cette anticipation exigeait un double corps enseignant, car il fallait quand même assurer les cours pour les externes qui fréquentaient cet institut. Don Caffasso, dont on avait demandé le concours, me proposa comme professeur de grec, ce qui m'obligea à m'adonner sérieusement (à l'étude de) cette langue pour me rendre apte à l'enseigner (9)32. De plus, la pré­sence en cette Compagnie d'un prêtre nommé Bini, profond connaisseur du grec, me fut d'un grand profit. En quatre mois il me fit traduire presque tout le Nouveau Testament, les deux premiers chants d'Homère, plusieurs odes de Pindare et d'Anacréon. Ce digne prêtre, admirant ma bonne volonté, continua à me suivre et, pendant quatre ans, chaque semaine, il lut une composition grecque ou une version que je lui envoyais. Il les corrigeait minutieusement et me les retournait avec toutes les observations utiles. Je parvins ainsi à traduire le grec aussi facilement que le latin.

Ce fut aussi à cette époque que j'étudiai la langue françai­se (10)33 et les rudiments de l'hébreu. Ces trois langues, hébraï­que, grecque et française, furent toujours mes préférées après le latin et l'italien. /103/



Ordres sacrés. - Ordination sacerdotale.


L'année de la mort de Comollo (1839), je reçus la tonsure avec les quatre ordres mineurs au cours de ma troisième année de théologie (1)34. Au terme de cette année, il me vint à l'idée (de demander) une chose qui s'obtenait très rarement en ce temps-là : faire une année de cours pendant les vacances. Dans ce dessein, sans souffler mot à personne, je me présentai à l'archevêque Fransoni et sollicitai de lui l'autorisation d'étu­dier les traités de quatrième année pendant ces vacances et d'achever ainsi mon cycle d'études de cinq ans l'année scolaire suivante, 1840-1841. J'alléguai comme raison mon âge avancé: vingt-quatre ans acccomplis.

Le saint prélat m'accueillit avec une grande bonté. Il s'en­quit du résultat des examens passés jusque-là au séminaire, puis il m'accorda la faveur implorée à condition de présenter tous les traités inscrits au programme de l'année que je voulais gagner. Mon doyen, le théologien Cinzano, était chargé de l'exécution de la volonté du supérieur. En deux mois d'appli­cation studieuse je parvins à voir tous ces traités et l'on m'ad­mit au sous-diaconat lors de l'ordination des Quatre-Temps d'automne (2)35. Maintenant que je connais les vertus requises pour franchir ce pas très important, je suis convaincu que je n'étais pas suffisamment préparé. Mais, ne trouvant personne qui prenne un soin réel de ma vocation, je m'adressai à Don Caffasso qui me dit d'aller de l'avant et de m'en remettre à sa parole. Pendant les dix jours de retraite préparatoire suivie à la maison de la Mission (3)36 de Turin, je fis une confession générale pour que mon confesseur pût avoir une idée claire de ma conscience et me donner un conseil opportun. Je dési­rais achever mes études, mais ce qui me faisait trembler, c'était la pensée de (devoir) me lier pour toute la vie ; aussi je ne /104/ voulais prendre de décision définitive qu'avec la pleine appro­bation de mon confesseur.

A partir de ce moment je me suis fixé comme tâche princi­pale de mettre en pratique le conseil de Don Borelli : on perfec­tionne et on conserve sa vocation par l'éloignement du monde et la communion fréquente. A mon retour au séminaire, je fus inscrit parmi les élèves de cinquième année et me vis nommer préfet, la plus haute charge à laquelle peut aspirer un sémina­riste.

Au Sitientes (samedi de la Passion) de 1841, je reçus le diaconat (4)37. Mon ordination sacerdotale était fixée aux Qua­tre-Temps d'été. Mais le jour où je devais sortir définitivement du séminaire me parut un jour de consternation. Mes supé­rieurs m'aimaient beaucoup et me donnaient continuellement des preuves de bienveillance (5)38. Mes compagnons m'étaient très affectionnés. Je puis dire que je vivais pour eux et récipro­quement. Quelqu'un avait-il besoin de se faire raser ou de rafraîchir sa tonsure, il courait chez Bosco. Quelqu'un avait-il besoin d'une barrette, désirait-il faire coudre ou réparer un vêtement, il faisait signe à Bosco. Aussi la séparation me coû­ta-t-elle terriblement ; séparation d'un lieu où j'avais vécu six ans, où j'avais reçu éducation, science, esprit ecclésiastique et toutes les preuves de bonté et d'affection que l'on peut dési­rer.

Mon ordination (sacerdotale) eut lieu la veille (du diman­che) de la Très Sainte Trinité (6)39 et je célébrai ma première messe en l'église Saint-François-d'Assise où Don Caffasso était /105/ maître de conférences (7)40. On m'attendait impatiemment dans mon village natal où l'on n'avait plus célébré de première messe depuis tant d'années. J'ai préféré la dire à Turin, sans éclat. Je puis affirmer que ce fut le plus beau jour de ma vie. Au Memento de cette messe mémorable j'ai eu soin de recom­mander avec insistance (au Seigneur) tous mes professeurs, mes bienfaiteurs spirituels et temporels, spécialement le très regretté Don Calosso, que je tins toujours pour un grand et insigne bienfaiteur. Le lundi j'allai célébrer à l'église de la Consolata, pour remercier la bonne Vierge Marie des bienfaits innombrables qu'elle m'avait obtenus de son divin Fils Jésus (8)41.

Le mardi je me rendis à Chieri pour dire la messe en l'église de Saint-Dominique où vivait encore mon vieux pro­fesseur P. Giusiana qui m'attendait avec une affection pater­nelle. Pendant cette messe, il ne cessa de pleurer d'émotion. J'ai passé avec lui toute cette journée que je puis bien appeler paradisiaque (9)42.

Le jeudi, solennité de la Fête-Dieu, je contentai mes com­patriotes, chantai la messe et fis la procession (coutumière) en cette fête. Le curé voulut inviter à dîner mes parents, le clergé et les notables de l'endroit. Tous prirent part à cette liesse car j'étais très aimé de mes concitoyens et chacun se réjouissait de tout ce qui pouvait m'être agréable. Le soir de ce jour je /106/ me consacrai à ma famille (10)43. Mais quand je fus près de la maison et que je vis l'endroit où j'avais eu le songe de mes neuf ans, je ne pus retenir mes larmes et je dis: « Que les desseins de la Providence sont merveilleux! Dieu a vraiment fait monter de la glèbe un pauvre enfant pour le placer parmi les premiers de son peuple! »


10º


Débuts dans le saint ministère. - Sermon à Lavriano. - Jean Brina.


Cette année-là (1841) mon curé n'avait pas de vicaire, j'en fis office pendant cinq mois. J'éprouvais le plus grand plaisir à travailler. Je prêchais tous les dimanches, visitais les mala­des, leur administrais les sacrements, sauf celui de la péni­tence, car je n'avais pas encore satisfait à l'examen de confes­sion. J'assistais aux sépultures, tenais en bon ordre les livres de la paroisse, rédigeais les certificats d'indigence ou autres de même genre. Mais mes délices étaient de faire le catéchisme aux enfants, de m'entretenir avec eux, de leur parler. De Murialdo ils venaient souvent me rendre visite et quand je rentrais chez moi ils m'entouraient constamment. Au village aussi ils commençaient à devenir mes camarades et mes amis. Quand je sortais de la cure j'étais constamment accompagné par un groupe d'enfants et, partout où j'allais, j'étais toujours entouré de mes petits amis qui me faisaient fête.

J'avais une grande facilité pour exposer la parole de Dieu. On venait souvent me chercher des villages voisins pour pré­-/107/ cher ou faire des panégyriques. Je fus invité à faire celui de saint Bénigne à Lavriano, à la fin d'octobre de cette année-là. Je répondis d'autant plus volontiers à l'invitation qu'il s'agis­sait du village natal de mon ami et collègue Don Jean Gras­sino, alors curé de Scalenghe. Je me fis un point d'honneur d'être à la hauteur de la circonstance ; aussi j'écrivis mon ser­mon, en langue très simple, mais très soignée, et je l'étudiai bien, sûr d'en tirer quelque gloire. Mais Dieu voulait donner une terrible leçon à ma vanité. Comme c'était un jour de précepte et que je devais, avant de partir, célébrer la messe pour le service de la population, je dus nécessairement me servir d'un cheval pour arriver à temps à la prédication (1)44. Une fois parcourue la moitié du chemin, au trot puis au galop, j'étais arrivé dans le vallon de Casalborgone, entre Cinzano et Bersano, quand une nuée d'oiseaux s'envola brusquement d'un champ de millet. Mon cheval, effrayé par ce vol bruyant, se mit à courir à travers sentiers, champs et prairies. Je me maintins quelque temps en selle, mais m'apercevant qu'elle glissait toujours plus sous le ventre de l'animal, je tentai une manoeuvre d'équitation. Mais la selle, déplacée, me projeta en l'air et je tombai tête première sur un tas de cailloux cassés. De la colline voisine un homme put observer le malencon­treux incident et accourut à mon aide avec son domestique. Il me trouva sans connaissance, me porta chez lui et m'étendis dans le meilleur lit qu'il avait. On me prodigua les soins les plus charitables. Une heure après je revins à moi et m'aperçus que je me trouvais dans une maison étrangère. « Ne vous tourmentez pas, dit mon hôte ; ne vous inquiétez pas d'être chez un étranger. Ici rien ne vous manquera. J'ai envoyé cher­cher le médecin. Une autre personne est partie à la recherche de votre cheval. Je ne suis qu'un paysan, mais j'ai tout ce qu'il faut. Vous sentez-vous très mal ?

- Que Dieu vous récompense de tant de charité, mon bon ami, lui répondis-je. Je ne pense pas que ce soit bien grave ;/108/ peut-être une épaule cassée, car je ne peux pas la bouger. Où suis je ici ?

- Vous êtes sur la colline de Bersano, chez Jean Calosso, surnommé Brina, votre humble serviteur. Moi aussi, j'ai dû courir le monde et moi aussi, j'ai eu besoin des autres. Que d'aventures il m'est arrivé quand j'allais aux foires et aux mar­chés !

- En attendant le médecin, racontez-m'en donc quel­qu'une.

- J'en ai tellement à raconter! Ecoutez du moins celle-ci. I1 y a quelques années, en automne, j'étais allé à Asti avec ma bourrique pour faire mes provisions d'hiver. Au retour, arrivés dans les vallons de Murialdo, ma pauvre bête, très chargée, tomba dans une ornière et resta, immobile, au milieu de la route. Tout effort pour la remettre sur pied demeura inutile. C'était minuit, le temps était très noir et pluvieux. Ne sachant que faire je me mis à crier et à appeler au secours. Quelques minutes après on me répondit d'un hameau voisin. Bientôt arrivèrent un abbé, un de ses frères et deux autres hommes portant des torches allumées. Ils m'aidèrent à décharger mon ânesse, la tirèrent hors du bourbier et m'emmenèrent chez eux, moi et toutes mes affaires. J'étais à moitié mort et tout mon chargement souillé de boue. Ils me nettoyèrent, me restaurè­rent d'un superbe dîner, puis me donnèrent un lit moelleux. Le matin, avant de reprendre ma route, je voulus régler les dépenses, comme de juste. Mais l'abbé refusa tout en disant: « Ne peut-il arriver que demain ce soit nous qui ayons besoin de vous ? »

A ces mots, je me sentis bouleversé et l'autre s'aperçut de mes larmes: « Vous sentiriez-vous mal ? me dit-il.

- Non, répondis-je. Votre récit m'intéresse tant qu'il m'émeut.

- Ah ! si seulement je savais que faire pour cette bonne famille! Quels braves gens c'étaient!

- Comment s'appelaient-ils ?

- C'était la famille Bosco, dite familièrement les Boschet­ti (2)45. Peut-être connaissez-vous ces gens-là ? Vit-il encore, cet abbé ? Est-il en bonne santé ? /109/

- Cet abbé, mon cher ami, c'est ce prêtre que vous récom­pensez mille fois de ce qu'il a fait pour vous. C'est celui que vous avez transporté chez vous, que vous avez placé sur ce lit. La divine Providence a voulu vous apprendre par cette aventure que « qui en fait peut en attendre » (3)46.

Chacun s'imaginera l'étonnement et le plaisir qu'éprouvè­rent ce bon chrétien, et moi-même que le malheur avait fait tomber entre les mains d'un tel ami. Sa femme. une soeur, d'autres parents et amis ne se sentaient pas de joie de savoir que celui dont ils avaient entendu parler tant de fois avait abouti chez eux. Aussi n'y eut-il pas d'égards qui ne me fussent témoignés. Le médecin arriva peu après et constata qu'il n'y avait pas de fracture. Au bout de quelques jours, je pus remon­ter sur mon cheval retrouvé et je repris le chemin de mon village. Jean Brina m'accompagna jusqu'à la maison et, tant qu'il vécut, nous gardâmes toujours le plus amical souvenir.

Après cette leçon, je pris la ferme résolution de bien prépa­rer mes sermons à l'avenir pour servir la plus grande gloire de Dieu et non pour paraître docte et lettré.


11º


Le " Convitto " ecclésiastique de Saint-François­d'Assise.


Vers la fin des vacances (1)47 on m'offrit de choisir entre trois emplois: l'office de précepteur dans la maison d'un riche gênois avec des honoraires de mille francs par an ; celui de chapelain de Murialdo, où, très désireux de m'avoir, les bons paroissiens doublaient les honoraires des chapelains précé­dents; et celui de vicaire de mon pays natal. Avant de prendre une décision ferme, je tins à faire un voyage à Turin pour demander conseil à Don Caffasso qui, depuis plusieurs années, /110/ était devenu mon guide en matière spirituelle et temporelle. Ce saint prêtre écouta tout: les propositions de bons honorai­res, les insistances de mes parents et amis, et mon désir de travailler. Sans hésiter un instant, il m'adressa ces paroles: « Vous avez besoin d'étudier la morale et la prédication. Renoncez pour l'instant à toute proposition et venez au Convitto » (2)48. Je suivis volontiers ce sage conseil et, le 3 no­vembre 1841, j'entrais au dit Convitto.

Il est permis de dire de ce Convitto ecclésiastique qu'il fournit un complément aux études théologiques. Dans nos séminaires on n'étudie que la dogmatique, la spéculative, et en morale on ne s'occupe que des propositions controversées. Ici on apprend à être prêtre. Méditation, lecture (spirituelle), deux conférences par jour, des leçons de prédication, une vie retirée, toutes facilités pour étudier et lire de bons auteurs, tel était le programme auquel chacun devait s'appliquer avec sol­licitude.

En ce temps-là, deux célébrités étaient à la tête de ce très utile institut : le théologien Louis Guala et Don Joseph Caf­fasso. Le théologien Guala était le fondateur (3)49 de l'oeuvre. Désintéressé, riche de science, de prudence et de courage, il s'était fait tout à tous au temps du gouvernement de Napo­léon Ier. Afin que les jeunes lévites, au terme de leurs études de séminaire, puissent s'initier à la vie pratique du saint minis­tère il [avait] fondé cette merveilleuse pépinière, d'où tant de bien est venu à l'Église, surtout quand il s'est agi d'extirper certaines racines du jansénisme qui subsistait encore parmi nous (4)50. /111/

La question du probabilisme et du probabiliorisme était encore très agitée. A la tête des premiers (5)51, se trouvaient Alasia, Antoine avec d'autres auteurs dont la rigidité (mise) en pratique peut conduire au jansénisme. Les probabilistes suivaient la doctrine de saint Alphonse qui, depuis, a été pro­clamé docteur de la sainte Église et dont l'autorité fait pour ainsi dire (de sa théologie) la théologie du pape, l'Église ayant déclaré que ses oeuvres peuvent être enseignées, prêchées et (leur doctrine) pratiquée et qu'elles ne contiennent rien de censurable. Le théologien Guala se tint fermement entre les deux partis et, mettant comme fondement de toutes les opi­nions la charité de Notre Seigneur Jésus-Christ, réussit à rap­procher les extrêmes. Les choses se transformèrent à tel point que, grâce au théologien Guala, saint Alphonse devint le maî­tre de nos écoles, avec les bienfaits longtemps attendus dont on éprouve aujourd'hui les conséquences salutaires. Don Caf­fasso était le bras droit de Guala. Par sa vertu à toute épreuve, son calme prodigieux, sa finesse et sa prudence, il réussit à éliminer l'acrimonie qui subsistait encore en certains des pro­babilioristes à l'égard des liguoriens.

Une mine d'or se cachait dans le théologien Felice Golzio, prêtre turinois, lui aussi du Convitto. Il fit peu de bruit au cours de sa vie modeste, mais, par son travail persévérant, son humilité et sa science, c'était un véritable soutien ou mieux un bras solide de Guala et de Caffasso.

Les prisons, les hôpitaux, les chaires, les instituts de bien­faisance, les malades à domicile, les villes, les campagnes, et /112/ - nous pouvons le dire - les palais des grands et les chaumiè­res des pauvres ont ressenti les effets salutaires du zèle de ces trois flambeaux du clergé turinois.

Tels étaient les trois modèles que la divine Providence me proposait, et il ne dépendait que de moi d'en suivre les traces, la doctrine et les vertus. Don Caffasso qui, depuis six ans, était mon guide, fut aussi mon directeur spirituel, et, si j'ai fait quelque chose de bien, je le dois à ce digne ecclésiasti­que, dans les mains de qui j'ai déposé toutes les décisions, toutes les préoccupations et toutes les actions de ma vie (6)52.

Il m'invita d'abord à l'accompagner dans les prisons; ainsi j'appris très tôt à savoir quel degré la malice et la misère de l'homme peuvent atteindre. La vue de cette foule de jeunes gens de douze à dix-huit ans, tous sains, robustes, à l'esprit éveillé, mais réduits au désoeuvrement, mangés par la vermine, privés du pain spirituel et temporel, fut pour moi quelque chose d'horrible. L'opprobre de la nation, le déshonneur des familles, leur propre flétrissure semblaient personnifiés en ces malheureux. Ce qui me stupéfia et me surprit le plus, ce fut de m'apercevoir que beaucoup, sortis de prison en excellentes dispositions, décidés à mener une vie meilleure, ne tardaient pas à revenir à ce pénitencier d'où, quelques jours avant, ils avaient été libérés.

Je me rendis compte de ce qui faisait que plusieurs étaient ramenés là: c'est qu'ils se trouvaient de nouveau livrés à eux­mêmes. Qui sait, pensais-je, si ces jeunes avaient hors d'ici, un ami qui s'intéressât à eux, les assistât, les instruisît de la religion aux jours fériés, qui sait s'ils ne se seraient pas tenus à l'écart de la ruine et si le nombre des récidivistes ne diminue­rait pas ?

Je fis part de ces réflexions à Don Caffasso et, sur son conseil, je me mis en devoir de chercher comment amener (ces intuitions) à réalisation, en abandonnant totalement la réussite à la grâce de Dieu, sans laquelle les efforts des hommes restent vains. /113/


12º


Fête de l'Immaculée-Conception. -Début du patro­nage.


Pas plutôt installé au Convitto de Saint-François, je me vis harcelé par une troupe de jeunes qui me suivaient par les rues et les places jusqu'en la sacristie de l'église de l'institut. Mais je ne pouvais pas m'occuper d'eux directement, faute de local. Un incident savoureux me fournit l'occasion de tenter de réaliser mon projet en faveur des jeunes qui vagabondaient à travers la ville, spécialement de ceux qui sortaient de prison.

Le jour de la fête de l'Immaculée-Conception (le 8 décem­bre 1841), à l'heure habituelle, je m'apprêtais à revêtir les ornements sacrés pour célébrer la sainte messe. Le sacristain, Joseph Comotti, aperçut, dans un coin, un jeune garçon et l'invita à venir me la servir. « Je ne sais pas, répondit-il tout penaud.

- Arrive, repartit le sacristain, je veux que tu serves la messe.

- Je ne sais pas, répéta le gamin, je ne l'ai jamais servie.

- Idiot que tu es, continua le sacristain furieux, si tu ne sais pas servir la messe, pourquoi viens-tu à la sacristie ? »

Ce disant, il saisit le manche d'un plumeau et les coups de pleuvoir sur les épaules et la tête du pauvre enfant qui n'eut que le temps de prendre les jambes à son cou. « Que faites­vous ? criai-je bien haut. Pourquoi battre ainsi cet enfant ? Qu'a-t-il fait ?

- Pourquoi vient-il à la sacristie s'il ne sait pas servir la messe ?

- Mais vous avez mal agi.

- Que vous importe, à vous ?

- Cela m'importe beaucoup, c'est mon ami. Rappelez-le sur-le-champ, je dois lui parler.

- Tête de mule, tête de mule (1)53 ! gronda le sacristain qui /114/ courut après le garçon. En l'assurant d'être mieux traité il l'amena près de moi. Le pauvre jeune homme s'avança tout tremblant et pleurant encore des coups encaissés.

« As-tu déjà assisté à la messe ? lui dis-je le plus gentiment possible.

- Non, répondit-il.

- Viens donc y assister ; ensuite j'aimerais te parler de quelque chose qui te fera plaisir. »

Il me le promit. Mon intention était d'adoucir la peine de ce pauvre enfant et de ne pas le laisser sur une mauvaise impression à l'égard du personnel de cette sacristie. Je célébrai donc la messe, puis l'action de grâce habituelle terminée, je menai le garçon dans une petite abside (de l'église).

Avec le sourire, et en l'assurant de n'avoir plus à craindre de coups de bâton, je l'interrogeai: « Mon bon ami, comment t'appelles-tu ?

- Je m'appelle Barthélemy Garelli. - De quel pays es-tu ?

- D'Asti.

- Ton père est-il encore en vie ? - Non, mon père est mort.

- Et ta mère ?

- Ma mère est morte aussi. - Quel âge as-tu ?

- Seize ans.

- Sais-tu lire et écrire ? - Je ne sais rien (2)54.

- As-tu déjà fait ta première communion ? /115/

- Pas encore.

- Es-tu déjà allé à confesse ?

- Oui, quand j'étais tout petit.

- Et maintenant, vas-tu au catéchisme ? - Je n'ose pas.

- Pourquoi?

- Parce que mes camarades plus jeunes savent leur caté­chisme, et moi, si grand, je n'en connais rien. Alors j'ai honte d'aller à ces leçons.

- Si je te faisais le catéchisme en particulier, viendrais-tu l'écouter ?

- Je viendrais volontiers.

- Tu viendrais volontiers dans cette pièce ?

- Je viendrais bien volontiers pourvu qu'on ne me donne pas de coups de bâton.

- Sois tranquille, personne ne te maltraitera. Au contraire, tu seras mon ami et tu n'auras affaire qu'à moi, et à personne d'autre. Quand veux-tu que nous commencions notre catéchisme ?

- Quand il vous plaira. - Ce soir ?

- Oui.

- Tout de suite, veux-tu ?

- Oui, tout de suite, avec plaisir. »

Alors je me levai, fis le signe de la croix avant de commen­cer, mais mon compagnon ne le fit pas, car il ne savait com­ment faire. En cette première leçon de catéchisme je m'en tins à lui apprendre à faire le signe de la croix, à lui faire connaître Dieu créateur, pourquoi il nous avait créés. Mon élève avait une mémoire revêche, mais par son assuidité et sa persévé­rance, en quelques (séances tenues) aux jours de congé, il apprit ce qui était nécessaire pour faire une bonne confession et, ensuite, la sainte communion.

A ce premier élève s'en ajoutèrent quelques autres. Au cours de cet hiver, je me limitai à quelques adultes qui avaient besoin d'une catéchèse spéciale, principalement ceux qui sor­taient de prison. Cela me fit toucher du doigt que, si ces jeunes, une fois purgée leur peine, rencontraient une main bienveil­lante, quelqu'un qui s'intéresse à eux, leur tienne compagnie /116/ aux jours de loisirs, s'emploie à les placer chez un patron honnête, aille parfois leur rendre visite en semaine, ils en venaient à mener une vie honorable, oubliaient le passé, deve­naient de bons chrétiens et d'honnêtes citoyens. Telle fut l'ori­gine de notre patronage (3)55 qui, béni par le Seigneur, prit rapi­dement un accroissement que je n'aurais certes pu imaginer alors.


13º


Le patronage en 1842.


Au cours de cet hiver je m'employai à consolider mon petit patronage. Sans doute, mon principal but était de recueil­lir les enfants et jeunes gens qui se trouvaient le plus en diffi­culté et, de préférence, ceux qui étaient libérés de prison ; mais pour avoir quelque base sur quoi instaurer discipline et mora­lité, j'en invitai d'autres de bonne conduite et déjà instruits (1)56. Ils m'aidaient à maintenir l'ordre (et me secondaient) pour la lecture et le chant des cantiques. Dès ce moment je fis cette constatation : si on ne distribuait pas des livres de chant et de lecture intéressante, ces réunions des jours fériés seraient un corps sans âme. A la fête de la Purification (2 février 1842), alors fête d'obligation, j'avais déjà une vingtaine d'enfants avec qui nous pûmes chanter pour la première fois le cantique Lodate Maria, o lingue fedeli (2)57.

A la fête de l'Annonciation de la Vierge (3)58, nous étions déjà trente. Ce jour-là on fit un peu fête. Le matin les élèves /117/ s'approchèrent des sacrements ; le soir on chanta un cantique, et, après le catéchisme, je racontai une histoire en guise de sermon. Mais la petite abside où nous nous réunissions était devenue trop étroite. Nous nous transportâmes alors dans la chapelle voisine de la sacristie.

Au patronage on procédait ainsi. Chaque jour férié, faci­lité était donnée à chacun de s'approcher des sacrements de pénitence et d'eucharistie; mais un samedi et un dimanche par mois étaient fixés pour accomplir ce devoir religieux. Le soir, à heure fixe on chantait un cantique, on faisait le caté­chisme suivi d'un récit édifiant. Puis c'était la distribution de quelque objet soit à tout le monde, soit par tirage au sort.

Parmi les jeunes gens qui fréquentèrent le patronage dès le début, il faut noter le nom de Joseph Buzzetti qui y vint constamment de façon exemplaire. Il s'attacha tellement à Don Bosco et à ces réunions des jours fériés qu'il préféra renoncer à se rendre en famille (à Caronno-Ghiringhello) comme le faisaient ses frères et ses amis (4)59. Se distinguaient aussi par leur bonne conduite, ses frères, Charles, Ange et Josué ; Gariboldi Jean, et son frère, alors simples gâche­mortier et maintenant contremaîtres maçons.

Le patronage se composait en général de tailleurs de pierre, maçons, stucateurs, paveurs, plâtriers-encadreurs et d'autres, venus de villages éloignés. Ces jeunes gens, du fait qu'ils ne mettaient pas les pieds à l'église et n'avaient pas d'amis, étaient exposés au péril de perversion, surtout les jours de congé.

Le bon théologien Guala et Don Caffasso étaient bien contents de voir ce rassemblement d'enfants et me donnaient volontiers images, feuillets, petits livres, médailles ou croix à leur offrir. Plusieurs fois ils me fournirent le moyen d'habiller les plus nécessiteux et d'en nourrir d'autres pendant plusieurs semaines en attendant que, par leur travail, ils puissent gagner leur vie. Comme leur nombre s'était considérablement accru, /118/ ils m'accordèrent même l'autorisation de les réunir dans la cour attenant au Convitto pour les récréations. Si les locaux l'avaient permis, nous aurions vite atteint plus d'une centaine d'enfants. Nous dûmes nous limiter à environ quatre-vingts.

Quand ils s'approchaient des sacrements, le théologien Guala lui-même ou Don Caffasso venaient habituellement les voir et leur racontaient quelques traits édifiants.

Don Guala, désirant leur faire célébrer dignement la fête de sainte Anne, fête des maçons, après l'office du matin, les invita à prendre une collation avec lui. Ils étaient environ une centaine qu'on rassembla dans la salle dite des conférences. Là ils furent abondamment servis en café, lait, chocolat, crois­sants, brioches, gâteaux de semoule et autres galettes appré­ciées des enfants. Chacun peut imaginer quel bruit fit cette fête. Si le local l'avait permis, qui sait combien (de garçons) seraient venus.

Les jours de fête étaient entièrement consacrés à rester avec mes jeunes et la semaine je leur rendais visite dans leurs ateliers ou leurs fabriques (5)60. Cette conduite procurait un grand réconfort à ces gars qui voyaient un ami s'occuper d'eux. Elle plaisait aux patrons qui acceptaient volontiers d'avoir sous leurs ordres des jeunes gens suivis pendant la semaine et plus encore les jours fériés où les dangers sont plus grands.

Tous les samedis je me rendais dans les prisons, les poches pleines tantôt de tabac, tantôt de fruits, tantôt de pagnottes. Tout cela dans le but d'établir un contact avec ces malheureux, de les aider, de m'en faire des amis et de les préparer à venir au patronage au jour heureux où ils sortiraient du pénitencier. /119/


14º


Saint ministère. - Choix d'un emploi au « Refuge " (septembre 1844).


En ce temps-là je commençai à prêcher en public dans quelques églises de Turin : à l'Hôpital de la Charité, à l'Au­berge des Vertus (1)61, aux prisons, au collège Saint-François-de­Paule, sous forme de triduums, de neuvaines, de retraites. Après mes deux années de morale, je passai mon examen de confession (2)62 ; ainsi je pus mieux promouvoir l'obéissance au Seigneur et pourvoir au bien des âmes parmi mes jeunes, dans les prisons, au patronage et partout où il le fallait.

C'était pour moi une consolation de voir, en semaine, mais surtout aux jours fériés, mon confessionnal assiégé par quarante ou cinquante enfants attendant leur tour, des heures et des heures, pour pouvoir se confesser. Tel fut le train-train ordinaire du patronage pendant environ trois ans, jusqu'à la fin d'octobre 1844.

Pendant ce temps-là, la Providence me préparait une série de changements, de bouleversements et aussi d'épreuves.

Après ces trois années d'études de morale (3)63 je devais me consacrer à une forme plus précise de ministère sacré. L'oncle de Comollo, Don Joseph Comollo, recteur de Cinzano, devenu vieux et caduc, m'avait demandé, après avoir sollicité l'avis de l'archevêque, comme économe administrateur de la paroisse. Il ne pouvait plus la diriger en raison de son âge et de ses malaises. Le théologien Guala me dicta lui-même la lettre de remerciement à envoyer à l'archevêque Fransoni, car il me préparait à d'autres tâches. /120/

Un jour, Don Caffasso m'appela et me dit: « Voilà donc vos études terminées ; il faut maintenant vous mettre au tra­vail. En ces temps difficiles, la moisson est très abondante. Vers quoi vous sentez-vous spécialement porté ?

- Vers ce qu'il vous plaira de m'indiquer.

- Trois postes vous sont proposés : vicaire à Buttigliera d'Asti, répétiteur de morale ici, au Convitto, directeur (spiri­tuel) du petit internat de fillettes adjoint au Refuge. Lequel choisiriez-vous ?

- Celui que vous jugerez bon.

- Vous ne vous sentez pas plus d'attirance vers un emploi que vers un autre ?

- Mon projet est de m'occuper de la jeunesse. Mais vous pouvez disposer de moi comme vous l'entendrez. Je reconnais la volonté du Seigneur dans votre décision.

- En ce moment, qu'est-ce qui sollicite votre coeur? Qu'est-ce qui occupe votre esprit?

- En ce moment-même, je crois me trouver au milieu d'une foule d'enfants qui réclament mon aide.

- Allez donc prendre quelques semaines de vacances. Au retour, je vous indiquerai votre destination. »

Ces vacances terminées, Don Caffasso laissa encore pas­ser quelques semaines sans rien me dire. Moi non plus, je ne lui demandai absolument rien. « Pourquoi, me dit-il un jour, ne me demandez-vous pas votre destination ?

- Parce que je veux reconnaître la volonté de Dieu dans votre décision et je n'y veux rien mettre de mon propre vou­loir.

- Faites vos paquets, dit-il alors, et allez chez Don Borelli. Là vous serez directeur (spirituel) de l'internat de fillettes de Sainte-Philomène. Vous vous occuperez en même temps de l'Oeuvre du Refuge (4)64. Entre temps Dieu vous fera toucher du doigt ce que vous devez faire pour la jeunesse. » /121/

A première vue il semblait que cette décision allait à l'en­contre de mes inclinations. La direction (spirituelle) d'un internat pour enfants, les prédications et confessions dans un institut qui comptait plus de quatre cents jeunes filles ne me laisseraient pas de temps pour d'autres tâches. Mais telle était la volonté du ciel, comme je m'en suis rendu compte par la suite.

Dès que je connus le théologien Borelli, je compris que j'avais affaire à un saint prêtre, à un modèle digne d'admira­tion et d'imitation. De chacun de nos entretiens, je retirais toujours des leçons de zèle sacerdotal, toujours de bons conseils, des encouragements au bien. Pendant les trois ans passés au Convitto, il m'avait déjà maintes fois invité à l'assis­ter dans les cérémonies, à confesser, à prêcher avec lui. Ainsi, mon nouveau champ de travail m'était déjà connu et, de quel­que façon, familier. Nous nous entretenions longuement de la méthode à employer pour nous aider mutuellement dans la visite des prisons, dans l'accomplissement des tâches qui nous étaient confiées et dans le secours de cette pauvre jeunesse dont la moralité et l'abandon réclamaient du prêtre des atten­tions toutes spéciales. Mais comment faire ? Où recueillir ces jeunes gens ?

« La chambre qui vous est destinée, me dit Don Borelli, peut servir quelque temps pour réunir vos garçons fréquentant Saint-François-d'Assise. Quand nous pourrons aller dans le bâtiment que l'on prépare pour les aumôniers, alors nous cher­cherons un meilleur endroit. » /122/


15º


Un nouveau rêve.


Le deuxième dimanche d'octobre de cette année (1844) je devais faire savoir à mes jeunes gens que le patronage allait être transféré au Valdocco. Mais l'incertitude qui planait sur l'endroit, les moyens et les personnes, me laissait vraiment pensif. Le soir précédent j'allai me coucher plein d'inquiétude. Durant cette nuit je fis un nouveau rêve (1)65 que je considérai comme un appendice de celui que j'avais fait aux Becchi, quand j'avais neuf ans. Je crois bon de vous le raconter littéra­lement.

Je rêvais me trouver tout à coup au milieu d'une bande de loups, de chèvres, de chevreaux, d'agneaux, de brebis, de moutons, de chiens et d'oiseaux. Tous ensemble faisaient un bruit assourdissant, un tintamarre ou mieux un sabbat de quoi épouvanter les plus courageux. Je voulais fuir quand une dame, élégamment vêtue d'un costume de pastourelle, me fit signe de suivre et d'accompagner cet étrange troupeau qu'elle­même précédait. Nous allâmes ainsi, pacageant de-ci de-là. Trois fois nous nous arrêtâmes pour une halte. A chacune de ces étapes, beaucoup de ces animaux se transformaient en agneaux dont le nombre allait sans cesse croissant. Après de longues pérégrinations, je me trouvai dans une prairie où ces animaux gambadaient et broutaient, sans qu'aucun cherchât à faire du mal aux autres.

Accablé de fatigue je voulus m'asseoir au bord d'un che­min tout proche. Mais la pastourelle m'invita à poursuivre ma route. Un peu plus loin je me trouvai au milieu d'une cour immense entourée de portiques (2)66 : à l'extrémité, une église. Je m'aperçus alors que les quatre cinquièmes des animaux s'étaient métamorphosés en agneaux dont le nombre devint /123/ très grand. Quelques jeunes bergers accoururent alors pour les garder. Ils demeuraient peu de temps et s'en allaient bien vite (3)67. Mais, ô merveille, beaucoup d'agneaux se changeaient en pastoureaux qui, grandissant, s'occupaient des autres (4)68. Leur nombre allant toujours croissant, ils furent obligés de se séparer pour partir ailleurs accueillir des animaux étranges et les conduire en d'autres bergeries.

Je voulais m'en aller parce qu'il me semblait que c'était l'heure d'aller célébrer la messe. Mais la bergère me fit signe de regarder au sud. Je vis un champ planté de maïs, de pom­mes de terre, de choux, de betteraves, de laitues et autres légumes. « Regarde encore une fois », me dit-elle. Je regardai à nouveau. Je vis alors une église imposante (5)69. Un orchestre, un choeur d'instruments et de voix, m'incitaient à chanter la messe. A l'intérieur de l'église, une banderole blanche était tendue, avec cette inscription en gros caractères: Hic domus mea, inde gloria mea (6)70. Toujours en rêve, je voulus deman­der à cette bergère où je me trouvais, que signifiaient ce voyage, ces arrêts, cette maison, une église et puis une autre église. « Tu comprendras tout, quand, de tes yeux de chair, tu contempleras ce que tu aperçois maintenant avec les yeux de ton esprit. » Sûr d'être éveillé je lui dis : « Mais je vois tout clairement et avec mes yeux de chair ; je sais où je vais et ce que je fais. » A ce moment, la cloche de l'église Saint-François sonna l'Angelus et je m'éveillai.

Ce rêve avait occupé mon esprit toute la nuit. Beaucoup d'autres détails l'accompagnaient. A l'époque j'en saisis médiocrement le sens, car je lui donnai peu de créance. Mais je compris les événements au fur et à mesure de leur réalisa­tion. Et même, plus tard, associé à un autre rêve, il me tint lieu de programme dans mes déterminations./124/


16º


Transfert du patronage près du « Refuge ».


Le deuxième dimanche d'octobre [le 13] consacré à la Maternité de la Sainte Vierge, je fis part à mes enfants du transfert de notre patronage près du Refuge. A cette nouvelle ils furent d'abord quelque peu troublés. Mais j'ajoutai qu'en cet endroit nous attendait un local spacieux, totalement à nous, où nous pourrions chanter, gambader, courir, sauter, nous amuser à notre aise. Alors lai oie éclata et chacun attendit avec impatience le dimanche suivant pour contempler toutes ces nouveautés qu'ils imaginaient déjà. Aussi, le troisième dimanche d'octobre, fête de la pureté de la Vierge, peu après midi, une cohue de jeunes gens de tout âge et de toute condi­tion se précipita vers le Valdocco à la recherche du nouveau patronage. « Où est le patronage ? Où est Don Bosco ? » demandait-on de tous côtés. Personne ne savait que dire, car personne n'avait jamais entendu parler ni de Don Bosco ni de patronage. Se croyant bernés les solliciteurs haussèrent le ton et se firent exigeants. Les autres, se croyant insultés, répondi­rent par des menaces et des coups. Les choses commençaient à prendre mauvaise tournure quand, attirés par ce vacarme, le théologien Borelli et moi sortîmes de chez nous. A notre apparition tout tumulte et toutes disputes s'évanouirent. (Les jeunes gens) vinrent en courant se rassembler autour de nous demandant où se trouvait le patronage.

Je leur dis que le vrai patronage n'était pas encore terminé et, qu'en attendant, ils se réuniraient dans ma chambre, qui, assez spacieuse, nous conviendrait parfaitement. En effet, ce dimanche, tout alla assez bien. Mais le dimanche suivant, à mes élèves anciens se joignirent beaucoup d'autres (garçons) du voisinage. Je ne savais pas où les mettre. Chambre, corri­dor, escalier, tout était encombré de jeunes. Le jour de la Toussaint, m'étant mis au confessionnal avec le théologien Borelli, tous voulaient se confesser. Que faire ? Nous étions deux confesseurs, les enfants étaient plus de deux cents. L'un voulait allumer le feu, un autre s'employait à l'éteindre. L'un apportait du bois, l'autre de l'eau. Seaux, pincettes, pelles, /125/ brocs, cuvettes, chaises, souliers, livres et tous autres objets étaient mis sens dessus dessous sous prétexte de mettre un peu d'ordre et d'arranger tout. « On ne peut plus continuer, s'écria le cher théologien (Borelli). Il faut trouver à tout prix un local plus convenable. » Cependant les garçons revinrent six jours fériés de suite dans cet étroit local qui se situait à l'étage, au-dessus du vestibule de la première porte d'entrée du Refuge.

Entre temps nous parlâmes de nos affaires avec l'archevê­que Fransoni qui comprit l'importance de notre projet. « Allez (de l'avant), nous dit-il, faites ce que vous jugerez bon pour le bien des âmes ; je vous accorde toutes les autorisations dont vous pourriez avoir besoin. Parlez-en à la marquise Barolo; peut-être vous trouvera-t-elle un local adéquat. Mais, dites­moi, ces enfants ne pourraient-ils pas aller chacun dans sa paroisse ?

- Ce sont des garçons pour la plupart étrangers à Turin où ils ne passent que quelques mois de l'année. Ils ne savent même pas à quelle paroisse ils appartiennent. Parmi eux, beau­coup sont mal vêtus ; ils parlent des dialectes peu intelligibles, de sorte qu'ils comprennent difficilement les autres gens et n'en sont pas compris. Plusieurs sont déjà d'un âge avancé et n'osent pas se mêler aux plus jeunes pour aller en classe.

- Dans ce cas, reprit l'archevêque, il leur faut un local à part, adapté à eux. Allez donc (de l'avant). Je vous bénis, vous et votre projet. Venez toujours (me voir), je ferai ce que je pourrai pour vous être utile.

De fait, nous allâmes parler à la marquise Barolo. Comme l'internat n'ouvrait pas ses portes avant le mois d'août de l'année suivante, la charitable dame accepta que nous fassions une chapelle de deux chambres spacieuses affectées aux loisirs des prêtres qui s'occupaient du Refuge quand ils y auraient transféré leur domicile. Et donc, pour se rendre au nouveau patronage, on passait par l'endroit où se trouve actuellement la porte de l'internat et, par le petit chemin qui sépare l'Oeuvre de Cottolengo de l'établissement en question, on gagnait l'ha­bitation actuelle des prêtres et par l'escalier intérieur on arri­vait au troisième étage. /126/

Ce fut l'endroit choisi par la divine Providence pour être la première église (1)71 du patronage. Elle commença à s'appeler Saint-François-de-Sales pour deux raisons: 1° parce que la marquise Barolo avait toujours eu l'idée de fonder une congré­gation de prêtres sous ce nom. C'est dans cette intention qu'elle avait fait peindre l'image de ce saint que l'on voit encore maintenant à l'entrée de ce local ; 2° parce que cette forme de ministère exigeant de notre part beaucoup de calme et une grande douceur (2)72, nous nous mîmes sous la protection de ce saint pour qu'il nous obtienne du Seigneur la grâce de pouvoir l'imiter dans son extraordinaire mansuétude et dans sa conquête des âmes. Il y avait une autre raison de nous mettre sous la protection de ce saint, c'était pour qu'il nous obtînt du Ciel de l'imiter dans sa lutte contre les erreurs oppo­sées à la religion, surtout contre le protestantisme qui com­mençait à se glisser insidieusement dans nos régions et même au coeur de la ville de Turin.

En conséquence, le 8 décembre 1844, jour consacré à (fêter) l'Immaculée-Conception de Marie, avec l'autorisation de l'archevêque, par un froid de loup, au milieu d'une neige épaisse qui tombait du ciel à gros flocons, on bénit la chapelle tant désirée et on y célébra la messe. Plusieurs enfants se confessèrent et communièrent. Pour moi, je procédai à cette cérémonie en versant des larmes de consolation à voir l'oeuvre du patronage établie fermement, me semblait-il, dans le but de s'occuper de la jeunesse la plus abandonnée et la plus mena­cée, après l'avoir amenée à remplir ses devoirs religieux à l'église. /127/


17º


Le patronage à Saint-Martin-des-Moulins. –

Difficul­tés. - La main de Dieu.


Dans la chapelle attenant au pensionnat Sainte­Philomène, le patronage prenait un très bon départ. Tous les jours fériés, une nuée d'enfants affluait pour se confesser et communier. Après la messe, il y avait une brève explication d'évangile. L'après-midi, catéchisme, puis quelque cantique, une brève instruction, les litanies de la Sainte Vierge et la bénédiction (du Saint-Sacrement). A divers intervalles on occupait les enfants en d'agréables récréations, par toutes sor­tes de jeux. Nous le faisions dans la petite ruelle qui, encore maintenant, sépare le monastère des Madeleines de la rue. Nous passâmes là six mois agréables. Nous pensions avoir trouvé le paradis sur terre quand il fallut abandonner cet asile bien-aimé pour aller en chercher un autre.

La marquise Barolo, quoique favorable à toute oeuvre de charité, à l'approche de l'ouverture de son pensionnat (il fut ouvert le 10 août 1845) voulut en éloigner notre patronage. A vrai dire, le local qui servait de chapelle, de classe ou de lieu de récréation pour les jeunes gens n'avait aucune communica­tion avec l'intérieur de l'établissement. Les persiennes mêmes en étaient fixées et (leurs lames) tournées vers le haut. Néan­moins il fallut obéir. On fit de vives instances auprès de la municipalité de Turin et, grâce à la recommandation de l'ar­chevêque Fransoni nous obtînmes de transférer notre patro­nage à l'église de Saint-Martin « dei Molazzi » ou « des Mou­lins » de la ville.

Aussi, un dimanche de juillet 1845 (1)73, nous chargeâmes sur nos épaules bancs, prie-Dieu, chandeliers, quelques chai­ses, croix, tableaux, petits et grands. Chacun empoigna ce qu'il put et, telle une peuplade en migration, au milieu des cris, des rires et des regrets, nous voilà partis établir notre quartier général au lieu sus-indiqué. /128/

Le théologien Borelli fit un sermon de circonstance d'abord au départ, puis à l'arrivée à la nouvelle église.

Sur un ton bonhomme, plus unique que rare, ce digne ministre du sanctuaire développa le thème suivant: « Les choux, chers jeunes gens, à moins d'être repiqués ne forment pas une belle et grosse tête. Il faut en dire autant de notre patronage. Jusqu'ici il a été transplanté d'un endroit à l'autre ; mais partout où il s'est quelque peu arrêté, il a connu un accroissement notable au profit, non négligeable, des jeunes qui y sont venus. Saint-François-d'Assise le vit commencer sous forme de catéchisme et un tantinet de chant. Là on ne pouvait faire plus. Le Refuge lui permit de faire, momentané­ment, un arrêt, comme disent les usagers des voyages en che­min de fer et ce, afin que nos jeunes ne manquent pas, en ces quelques mois, de l'aide spirituelle des confessions, des caté­chismes, des sermons et d'agréables divertissements.

A côté du pensionnat, commença un vrai patronage. Nous croyions avoir vraiment trouvé la paix et un endroit fait pour nous. Mais la divine Providence a voulu que nous devions déloger et venir ici, à Saint-Martin. Y resterons-nous long­temps ? Nous l'ignorons, mais nous l'espérons. Quoi qu'il en soit, nous croyons que, tels les choux repiqués, notre patronage verra croître le nombre de ses jeunes gens amis de la vertu et que croîtra aussi l'amour du chant, de la musique, des cours du soir et même de ceux de la journée.

Donc, resterons-nous ici longtemps ? Ne nous préoccu­pons pas de telles pensées. Déchargeons-nous, entre les mains du Seigneur, de tous nos soucis, il aura soin de nous. Il nous bénit certainement, nous aide et veille sur nous. Il pensera donc à (nous trouver) l'endroit favorable pour procurer sa gloire et le bien de nos âmes. Comme les grâces du Seigneur forment une sorte de chaîne dont les anneaux sont liés l'un à l'autre, ainsi en profitant des premières grâces nous sommes assurés que Dieu nous en accordera de plus grandes encore. Et nous, répondant au but du patronage, nous marcherons de vertu en vertu jusqu'à ce que nous atteignions la patrie bien­heureuse où l'infinie miséricorde de Notre-Seigneur accordera à chacun la récompense de ce qu'il aura mérité par ses bonnes oeuvres. » /129/

Une foule innombrable de garçons assistait à cette céré­monie. Très émus, tous chantèrent un Te Deum d'action de grâces.

Les pratiques religieuses se faisaient ici comme au Refuge. Seulement on ne pouvait ni célébrer la messe, ni donner la bénédiction (du Saint-Sacrement) le soir. En conséquence, impossible de distribuer la sainte communion qui, pourtant, est le pilier de notre éducation (2)74. Les récréations elles-mêmes étaient fortement dérangées et mêmes rendues impossibles étant donné que les enfants devaient se tenir dans la rue et sur la petite place située devant l'église, où passaient sans cesse piétons, voitures, chevaux et chariots.

Faute de mieux, nous remerciions le Ciel de ce qu'il nous avait donné, en attendant un meilleur emplacement. Mais de nouveaux ennuis fondirent sur nous.

Les meuniers, leurs manoeuvres et leurs commis ne pou­vant supporter les cabrioles, les chants et parfois le charivari de nos enfants, s'alarmèrent et portèrent plainte devant la municipalité. Ce fut alors que l'on commença à dire que ces attroupements de jeunes constituaient un danger; que d'un moment à l'autre ils pouvaient donner lieu à des soulèvements et à des révolutions. On appuyait cette rumeur sur l'extrême obéissance dont ces garçons témoignaient envers leur supé­rieur. On ajoutait, mais sans preuve, qu'ils avaient causé des dégâts dans l'église et, hors de l'église, au pavage. A les enten­dre, il semblait que Turin dût s'effondrer si nous continuions à nous réunir là.

Ce qui mit le comble à nos malheurs, ce fut une lettre du secrétaire des minotiers au maire de Turin. Tous les potins, tous les dégâts imaginaires y étaient relatés et amplifiés (3)75.

/130/

Elle disait que les familles adonnées aux divers emplois ne pou­vaient absolument plus continuer leur travail ni vivre tranquil­les. On alla jusqu'à dire que notre patronage était une pépinière d'immoralité. Le maire, quoique persuadé du mal-fondé de ces raisons, écrivit une lettre énergique aux termes de laquelle nous devions immédiatement porter ailleurs notre patronage. Regret général, soupirs inutiles: il fallut déguerpir (4)76.

Il est bon cependant de noter que le fameux secrétaire, auteur de cette lettre diffamatoire, le nommé... (à ne jamais publier) (5)77 écrivit alors pour la dernière fois. Frappé de vio­lents tremblements de la main droite, il s'éteignit trois ans plus tard. Dieu permit que son fils fût abandonné sur la rue et contraint de venir demander du pain et un abri à notre internat, ouvert par la suite au Valdocco.


18º


Le patronage à Saint-Pierre-aux-Liens. –

La servante du chapelain. - Une lettre. - Un triste accident.


Comme le maire, et, en général, la municipalité étaient persuadés de l'inconsistance de ce que l'on écrivait contre nous, sur une simple demande, et sur recommandation de l'archevêque, on obtint la permission de se réunir dans la cour et dans l'église du cimetière du Très-Saint-Crucifix, appelée communément Saint-Pierre-aux-Liens (1)78. Ainsi, après deux mois de séjour à Saint-Martin, nous dûmes, à notre grand regret, nous transporter en un autre endroit, d'ailleurs beau­coup plus adapté à nos besoins. L'ample portique, la cour spacieuse, l'église convenant bien aux cérémonies sacrées, tout

contribua à exciter l'enthousiasme des garçons qui paraissaient délirer de joie.

Mais nous avions là un terrible rival, insoupçonné de nous. Ce n'était pas un de ces défunts qui reposaient, nom­breux, dans les tombes voisines, mais une personne vivante: la bonne du chapelain. A peine eut-elle entendu les chants, les cris et, disons-le, le chahut des garçons, qu'elle sortit, furi­bonde, le bonnet de travers, les mains sur les hanches et se mit à invectiver la foule des joyeux drilles. Avec elle criail­laient une fillette, un chien, un chat, et toutes les poules, de telle sorte qu'on eût pu croire à l'imminence d'une guerre européenne. Je tentai de m'approcher pour l'apaiser, faisant observer qu'il n'y avait aucune mauvaise volonté chez ces garçons, qu'ils ne pensaient qu'à s'amuser et ne commettaient aucun péché. Alors elle s'en prit à moi et me dit mon fait.

Je crus donc bon de faire cesser la récréation, de faire un peu de catéchisme, et, ayant récité le chapelet dans l'église, nous partîmes dans l'espoir d'être plus tranquille le dimanche suivant. Ce fut tout le contraire. Quand, sur le soir, le chape­lain revint, sa bonne domestique lui tourna autour. Traitant Don Bosco et ses enfants de révolutionnaires, de profanateurs de lieux saints, de fine fleur de canaille, elle poussa son patron à écrire une lettre à la municipalité. Il le fit sous la dictée de la domestique, mais avec une telle acrimonie, qu'ordre fut immédiatement expédié d'appréhender qui de nous fût retourné là.

C'est malheureux à dire, mais ce fut la dernière lettre du chapelain, Don Tesio. II écrivit le lundi et, à peine quelques heures après, il était frappé d'une attaque d'apoplexie qui le réduisit à l'instant à l'état de cadavre. Deux jours plus tard, le même sort frappait la servante. La nouvelle s'en répandit et fit une profonde impression dans l'âme des jeunes gens et dans celle de tous ceux à qui elle parvint. Tous avaient une envie folle de venir et d'entendre raconter les tristes événe­ments. Mais comme il nous était défendu de nous rassembler à Saint-Pierre-aux-Liens et qu'on n'avait pu donner aucun avis opportun aux garçons, personne, pas même moi, ne pouvait imaginer où nous pourrions trouver un lieu de réunion. /132/


19º


Le patronage à la maison Moretta.


Le dimanche qui suivit cette défense, une multitude d'en­fants se rendit (encore) à Saint-Pierre-aux-Liens, car on n'avait pu les prévenir par aucun avis. Trouvant tout fermé, ils se dirigèrent en masse vers mon domicile, près du pensionnat. Que faire ?j'étais encombré de tout un attirail d'objets de culte ou de récréation ; une foule de garçons collaient à mes pas où que j'aille, et je n'avais pas la moindre parcelle de terrain pour les réunir.

Toutefois, cachant mes peines, je me montrai de bonne humeur avec tous et je les égayai en leur disant monts et merveilles du futur patronage qui n'existait que dans mon imagination et dans les décrets du Seigneur. Pour les occuper durant les jours de congé, je les conduisais tantôt à Sassi, tantôt à Notre-Dame-du-Pilon, à Notre-Dame-des-Champs, au Mont des Capucins et jusqu'à Superga. Dans ces églises, je faisais en sorte de leur assurer la messe le matin, avec explication de l'évangile ; le soir, un peu de catéchisme, quelques cantiques, un récit, et puis marches, promenades jusqu'à l'heure de ren­trer en famille. Cette situation critique paraissait devoir réduire en fumée tout projet de patronage. Au contraire, le nombre des clients augmentait de façon extraordinaire.

Nous arrivâmes ainsi au mois de novembre (1845), saison la moins opportune pour organiser des promenades ou des randonnées hors de la ville. D'accord avec le théologien Borelli, nous louâmes trois chambres de la maison de Don Moretta (1)79 toute proche et faisant à peu près face à l'église actuelle de Marie Auxiliatrice. Maintenant, à force de répara­tions, elle a été totalement refaite. Nous y passâmes quatre mois, assez à l'étroit, mais contents de pouvoir au moins réu­nir nos élèves en ces chambrettes. les instruire et leur faciliter la pratique de la confession. Ce fut en cet hiver même que /133/ nous commençâmes les cours du soir. C'était la première fois que, dans nos pays, on parlait de ce genre d'école. Aussi en fit-on grand tapage: les uns pour, les autres contre (2)80.

A la même époque, des bruits bien étranges circulèrent sur mon compte. Les uns traitaient Don Bosco de révolution­naire, d'autres de fou ou d'hérétique. Ils raisonnaient ainsi: ce patronage éloigne les jeunes gens des paroisses. Ainsi le curé verra son église se vider et il ne pourra plus connaître les enfants dont il devra rendre compte au tribunal du Seigneur. Que Don Bosco renvoie donc ces enfants à leurs paroisses et cesse de les réunir ailleurs. Ainsi pensaient deux respectables curés de cette ville qui me rendirent visite au nom de leurs collègues. Je leur répondis: « Les garçons que je recueille ne troublent en rien la fréquentation de vos églises. La plupart d'entre eux ne connaissent ni curé ni paroisse.

- Pourquoi?

- Parce que, en majorité, ce sont des étrangers abandon­nés dans cette ville par leurs parents ou venus y chercher du travail qu'ils ne trouvent d'ailleurs pas. Des Savoyards, Suis­ses, Valdotains, Biellais, Novarais, Lombards, tels sont en général ceux qui fréquentent nos réunions.

- Ne pourriez-vous pas les envoyer tous à leurs paroisses respectives ?

- Ils ne les connaissent pas.

- Pourquoi ne pas les leur faire connaître ?

- Ce n'est pas possible. L'éloignement de leur pays, la diversité des langages, l'insécurité du logement, l'ignorance des lieux, leur rendent difficile, pour ne pas dire impossible, la fréquentation des paroisses. De plus, beaucoup d'entre eux sont déjà des adultes ; il y en a de dix-huit, de vingt et même de vingt-cinq ans qui sont totalement ignares des choses reli­gieuses. Qui pourra les convaincre d'aller se joindre à des gamins de huit ou dix ans, souvent plus instruits qu'eux ? /134/

- Ne pourriez-vous pas les conduire vous-même et venir leur faire le catéchisme dans nos propres églises paroissia­les ?

- Je pourrais tout au plus me rendre en une paroisse, mais pas en toutes. Il serait possible d'obvier à cet inconvénient si chaque curé voulait se donner la peine de venir, ou d'envoyer quelqu'un, pour réunir ces enfants et les conduire dans leurs paroisses respectives. Mais cela encore s'avère difficile car beaucoup d'entre eux sont dissipés et même revêches. Attirés chez nous par les jeux, les promenades que nous organisons, ils se décident aussi à fréquenter les catéchismes et les autres pratiques de piété. Il serait donc nécessaire que chaque paroisse ait un local spécial pour réunir ces jeunes et les occu­per en des récréations agréables.

- Tout cela est impossible. Il n'y a ni locaux ni prêtres qui soient libres pour de telles tâches.

- Alors ?

- Alors, faites comme vous croyez bon. En attendant, nous réfléchirons entre nous sur ce qu'il y a de mieux à faire.

Les curés turinois discutèrent donc entre eux sur cette question : fallait-il encourager les patronages ou les désapprou­ver ? On parla pour et contre (3)81. Le curé de Borgo Dora, Don Augustin Gattino, avec le théologien Ponzati, curé de Saint­Augustin, me transmirent la réponse en ces termes (4)82 : « Les curés de la ville de Turin, réunis pour leur conférence habi­tuelle, examinèrent la question de l'opportunité des patrona­ges. Ayant, de part et d'autre, pesé les (motifs) de crainte et d'espérance, étant donné que chacun ne peut pourvoir d'un patronage sa propre paroisse, ils encouragent le prêtre Bosco à continuer, jusqu'à ce que soit prise une autre décision. »

Pendant que se passaient tous ces (événements), le prin­temps de 1846 arriva. La maison Moretta comptait de nom­breux locataires. Etourdis par les cris et le bruit incessant des /135/ allées et venues des enfants, ils déposèrent une plainte auprès du propriétaire, le menaçant de casser leur bail si ces réunions ne cessaient pas sur-le-champ. Le bon abbé Moretta dut donc m'aviser d'avoir à chercher immédiatement un autre local ou réunir les jeunes gens, si nous voulions que vive notre patro­nage.


20°


Le patronage dans un pré. - Promenade à Superga.


Avec bien du regret et non sans un dérangement impor­tant dans nos réunions de mars 1846, nous dûmes abandonner la maison Moretta et prendre en location un pré appartenant aux frères Filippi (1)83. là où se trouve actuellement une fonderie pour le moulage de la fonte. Je me trouvai là à ciel ouvert, au milieu d'un pré clos par une misérable haie qui laissait libre accès à qui voulait entrer. Les jeunes étaient de trois à quatre cents. Ils trouvaient leur paradis sur terre en ce patronage qui avait pour toit et pour murs la voûte céleste elle-mëme.

Mais comment accomplir nos devoirs religieux en cet endroit ? Tant bien que mal nous y faisions le catéchisme et chantions des cantiques ou les vêpres. Puis le théologien Borelli ou moi, montions sur un talus ou sur une chaise et adressions notre petit mot aux jeunes qui, attentifs, venaient nous écouter.

Pour les confessions on procédait ainsi : les jours fériés, je me rendais dans la prairie de bon matin. Plusieurs m'y attendaient déjà. Je m'asseyais sur un talus, écoutant les confessions des uns pendant que les autres se préparaient ou faisaient l'action de grâces. Ensuite, beaucoup reprenaient leur récréation.

.A un certain moment de la matinée, on donnait un coup de trompette ; il rassemblait tous les jeunes. Un second coup /136/ de trompette demandait le silence qui me permettait de parler et d'indiquer où nous allions entendre la messe et communier.

Parfois, comme je l'ai déjà dit, nous allions à Notre­Dame-des-Champs, à la Consolata, à Stupinigi ou dans les sanctuaires déjà nommés. Comme souvent nous faisions de longues randonnées en des lieux assez éloignés, je vais vous en décrire une faite à Superga : elle donnera une idée de toutes les autres.

Une fois les enfants rassemblés dans le pré, ils jouaient quelque temps aux boules, aux palets, aux échasses, etc. Un roulement de tambour puis une sonnerie de trompette indi­quaient le rassemblement et le départ. On s'arrangeait pour que chacun ait pu avoir la messe avant et, vers neuf heures, nous partions pour Superga. Les uns portaient les paniers de pain, d'autres fromage, saucissons, fruits ou autres denrées nécessaires pour la journée. On gardait le silence jusqu'au-delà des dernières maisons de la ville. Ensuite ou pouvait crier, rire, chanter, mais toujours en rangs et en ordre.

Arrivés au bas de la côte qui conduit à la basilique, je trouvai un magnifique petit cheval, dûment harnaché, que Don Anselmetti, curé de cette église, nous avait envoyé. Je recevais en même temps un billet ainsi conçu du théologien Borelli qui nous avait précédés: « Vous pouvez venir avec nos chers enfants. Tout est prêt : soupe, légumes, vin. » Je montai sur le cheval et lus cette lettre à haute voix. Tous les garçons se regroupèrent autour du cheval et, à cette lecture, se mirent à me faire ovation en applaudissant, criant et chantant. Les uns prenaient le cheval par les oreilles, (d'autres) par les naseaux ou la queue, bousculant tantôt la pauvre bête, tantôt son cavalier. Le doux animal supportait tout, manifestant une patience plus grande que celle qu'aurait eue celui qu'il avait sur le dos. Au sein de ce remue-ménage s'affirmait notre fan­fare : un tambour, une trompette et une guitare. Tout était désaccordé, mais, ça faisait du bruit et avec les voix des jeunes. ça suffisait à faire une merveilleuse harmonie.

Fatigués de rire, de blaguer, de chanter, pour ne pas dire de hurler, nous arrivâmes au but fixé. Les jeunes gens. Parce /137/ que tout en sueur, se rassemblèrent dans la cour du sanctuaire. Ils furent vite munis de tout ce que nécessitait leur appétit vorace. Après un peu de repos, je les réunis tous et leur racon­tai minutieusement la merveilleuse histoire de cette basilique, des tombes royales qui se trouvent sous l'édifice, et de l'Acadé­mie Ecclésiastique qui, érigée ici-même, par Charles-Albert, avait été encouragée par les évêques des États Sardes (2)84.

Le théologien Guillaume Audisio, qui en était le prési­dent, fit les frais d'une soupe et d'une portion pour tous les hôtes. Le curé donna vin et dessert. Nous eûmes alors deux heures pour visiter les lieux. Nous nous sommes ensuite ras­semblés dans l'église où il y avait beaucoup de monde. A trois heures de l'après-midi j'ai fait un bref sermon du haut de la chaire. Ensuite, les jeunes doués des plus belles voix chantè­rent un Tantum ergo en musique. Tous furent en admiration devant la nouveauté (qu'offraient) ces voix argentines. A six heures, lancer de ballons. Puis, avec de vifs remerciements pour ceux qui nous avaient montré tant de bienveillance, nous partîmes pour Turin. De nouveaux chants, rires, courses et, parfois, prières meublèrent notre trajet.

Parvenus en ville, à mesure que chacun arrivait à l'endroit le plus proche de sa maison, il quittait les rangs et rentrait en famille. Quand j'arrivai au Refuge, j'avais encore avec moi sept ou huit jeunes des plus robustes, qui portaient tout le matériel qui nous avait servi durant cette journée./138/


21º


Le marquis Cavour et ses menaces. - Nouveaux tracas pour le patronage.


Inutile de dire quel enthousiasme ces promenades susci­taient chez les jeunes gens. Emballés par ce mélange de piété, de jeux, de promenades, chacun d'eux m'était affectionné au point non seulement d'obéir à mes ordres, mais encore d'être à l'affût de toute tâche dont je pourrais lui confier l'exécution. Un jour, un gendarme, me voyant imposer silence d'un signe de main à quatre cents enfants qui criaient au milieu du pré, s'exclama: « Si ce prêtre avait été général, il aurait pu combat­tre contre l'armée la plus puissante du monde. » C'est vrai : l'obéissance et l'affection de mes enfants tenaient de la folie.

Par ailleurs, cela donna occasion à une recrudescence des rumeurs selon quoi Don Bosco et ses fils pouvaient à tout moment susciter une révolution. Une telle affirmation, frisant le ridicule, trouva de nouveau créance auprès des autorités locales, et spécialement auprès du marquis de Cavour (1)85, père des célèbres Camille et Gustave, premier magistrat de la cité et pour ainsi dire chef des forces (de police) urbaines. Il me fit donc mander à l'Hôtel de Ville et m'entretint longuement à propos des ragots qui couraient sur mon compte. Il termina par ces mots: « Mon cher abbé, écoutez mon conseil ; laissez courir ces vauriens en liberté. Ils ne seront qu'une source d'en­nuis pour vous et pour les autorités publiques. Je suis convaincu que ces réunions sont dangereuses. Aussi, je ne puis les tolérer. »

Je lui répondis aussitôt: « Monsieur le marquis, je n'ai d'autre but que d'améliorer la condition misérable de ces pau­vres fils du peuple. Je ne demande pas de moyens financiers, mais seulement un endroit où pouvoir les réunir. Je pense, par ce moyen, arriver à diminuer le nombre des dépravés et de ceux qui vont peupler les prisons. /139/

- Vous vous trompez, mon cher abbé, c'est peine perdue. Je ne puis d'ailleurs vous offrir aucun endroit puisque je consi­dère de telles réunions comme dangereuses. Et vous, où pren­drez-vous des ressources pour payer des locations et subvenir aux dépenses que vous occasionnent ces vagabonds ? Je vous le répète, je ne puis autoriser semblables réunions.

- Les résultats obtenus me prouvent, monsieur le mar­quis, que je ne me fatigue pas pour rien. Bien des jeunes gens, totalement abandonnés, ont été recueillis, mis à l'abri des dan­gers, acheminés vers un métier et la prison n'a plus été leur domicile. Jusqu'à présent les moyens matériels ne m'ont pas fait défaut: ils sont aux mains de Dieu qui, parfois, se sert de bien misérables instruments pour réaliser ses sublimes des­seins.

- Patience, obéissez-moi tout simplement. Je ne puis vous permettre de telles réunions.

- Cette autorisation, je ne vous la demande pas pour moi, monsieur le marquis, mais pour ces malheureux jeunes, aban­donnés, en voie de faire une bien triste fin.

- Taisez-vous! Je ne suis pas ici pour discuter. Il y a un désordre, je veux et je dois l'empêcher. Ne savez-vous pas que tout rassemblement est interdit sans une autorisation légale ?

- Mes réunions n'ont absolument aucun but politique. J'enseigne le catéchisme à de jeunes enfants et je le fais du consentement de l'archevêque.

- L'archevêque est informé de tout ceci ?

- Il en est pleinement informé. Je n'ai pas fait un pas sans son consentement.

- Moi, en tout cas, je ne puis permettre semblables ras­semblements.

-Je pense bien, monsieur le marquis, que vous n'avez pas l'intention de m'empêcher de faire le catéchisme avec la permission de mon archevêque !

- Et si l'archevêque vous disait de mettre fin à cette entre­prise ridicule, vous n'opposeriez pas de résistance ?

- Aucune. J'ai commencé et je continue jusqu'à mainte­nant avec l'assentiment de mon supérieur ecclésiastique. Un simple mot et je suis à ses ordres. /140/

- Allez, je vais parler avec l'archevêque. Mais ensuite ne vous obstinez pas contre ses ordres ; autrement vous m'oblige­riez à prendre des mesures sévères dont je ne voudrais pas user.

Les choses en étant à ce point, je croyais être laissé en paix, au moins pour quelque temps. Mais quelle ne fut pas ma stupeur quand, rentré à la maison, je trouvai une lettre dans laquelle les frères Filippi me congédiaient du local loué. « Vos garçons, me disaient-ils, en piétinant continuellement notre pré, vont faire périr jusqu'à la racine de l'herbe. Nous sommes heureux de vous faire cadeau du terme échu pourvu que, dans les quinze jours, vous libériez notre prairie. Nous ne pouvons vous accorder un plus long délai. » A la nouvelle de tant de difficultés, plusieurs amis me conseillaient d'aban­donner une entreprise inutile, du moins la jugeaient-ils telle. D'autres, me voyant pensif et toujours entouré de gamins, commencèrent à dire que j'étais devenu fou.

Un jour, le théologien Borelli lui-même en présence du prêtre Sébastien Pacchiotti et d'autres, me dit: « Plutôt que de vous exposer à tout perdre, mieux vaut sauver quelque chose. Laissons en liberté tous les jeunes gens que nous avons. Gardons-en une vingtaine, parmi les plus petits. Tandis que nous continuerons à leur enseigner le catéchisme. Dieu nous montrera dans quelle voie (nous engager et nous donnera) l'occasion de faire davantage. » Je lui répondis: « Il ne faut pas attendre d'autre occasion. Le terrain est prêt, il y a là une cour spacieuse, une maison grouillante d'enfants, des porti­ques, une église, des prêtres, des abbés, tout cela à nos ordres!

- Mais où est donc tout cela ? coupa le théologien Borelli. - Je ne saurais vous le dire, mais ça existe certainement, et c'est pour nous. »

Alors le théologien Borelli éclata en sanglots. « Pauvre Don Bosco, gémit-il, son cerveau divague », et, me prenant les mains, il m'embrassa puis s'éloigna avec Don Pacchiotti, me laissant seul dans ma chambre. /141/


22°


Renvoi du a Refuge ». - Autre accusation de folie.


Tous les bruits qui se colportaient sur le compte de Don Bosco commencèrent à inquiéter la marquise Barolo, d'autant plus que l'autorité municipale se montrait contraire à mes projets. Un jour, elle vint me trouver dans ma chambre et se mit à me dire: « Je suis très satisfaite du soin que vous prenez de mes instituts. Je vous remercie d'avoir tant travaillé à y introduire le chant des cantiques, le plain-chant, la musique, l'arithmétique, et même le système métrique.

- Pas besoin de remerciements, lui répondis-je. Les prê­tres doivent travailler selon leur devoir. Dieu les paiera de tout. Ne parlons plus de cela.

- Je voulais dire que je regrette vivement que l'abondance de vos occupations ait altéré votre santé. Il ne vous est plus possible d'assurer la direction (spirituelle) de mes oeuvres et celle des garçons abandonnés, d'autant plus qu'à présent leur nombre va démesurément croissant. je viens vous proposer de ne faire que ce à quoi vous êtes tenu, c'est-à-dire la direction (spirituelle) du pensionnat ; de ne plus mettre les pieds aux prisons ni à Cottolengo et surtout de ne plus vous préoccuper de (vos) enfants. Qu'en pensez-vous ?

- Madame la marquise, Dieu m'a aidé jusqu'à mainte­nant et il ne manquera pas de m'aider (encore). Ne vous inquiétez donc pas pour ce qu'il y a à faire. Entre moi, Don Pacchiotti et le théologien Borelli, nous viendrons à bout de tout.

- Mais je ne puis tolérer que vous vous épuisiez! Des activités si nombreuses et si diverses, que vous le vouliez ou non, se font au détriment de votre santé et de mes institutions. Par ailleurs, les bruits qui courent sur votre état mental, l'op­position des autorités locales, m'obligent à vous conseiller... - Oui ? madame la marquise.

- De laisser de côté ou vos garçons ou le Refuge. Pensez-y et donnez-moi une réponse.

- Ma réponse est déjà toute réfléchie, madame la mar­quise. Vous avez de l'argent, vous trouverez aisément des prê-/142/ tres, tant que vous en voudrez, pour s'occuper de vos institu­tions. Pour les enfants pauvres, ce n'est pas pareil. Si je les quitte maintenant (pour eux) tout part en fumée. Je continue­rai donc à faire ce que je peux pour le Refuge, comme avant, je cesserai (cependant) mon emploi régulier (1)86 et je m'occupe­rai sérieusement du soin des enfants abandonnés.

- Comment ferez-vous pour vivre ?

- Dieu m'a toujours aidé et il m'aidera encore à l'avenir.

- Mais votre santé est toute délabrée, votre tête ne vous sert plus. Vous vous enfoncerez dans les dettes. Vous viendrez chez moi, mais, je vous en avertis dès à présent, je ne vous donnerai jamais un sou pour vos enfants. Ecoutez mon conseil de mère. Je vous maintiens votre salaire, je l'augmente même si vous le désirez. Allez en quelque endroit pendant un, trois, cinq ans. Reposez-vous. Quand vous serez bien rétabli, reve­nez au Refuge, vous y serez toujours le bienvenu. Autrement vous me mettez dans la triste obligation de vous congédier de mes institutions. Pensez-y sérieusement.

-J'y ai déjà pensé, madame la marquise. Ma vie est consacrée au bien de la jeunesse. Je vous remercie de vos offres, mais je ne puis abandonner la voie que la divine Provi­dence m'a tracée.

- Donc, vous préférez ces vagabonds à mes institutions ? S'il en est ainsi, je vous congédie sur l'heure. Aujourd'hui même je vous trouverai un remplaçant. »

Je lui fis alors observer qu'une mise en congé si précipitée allait faire supposer des motivations peu honorables pour moi, et pour elle ; qu'il valait mieux agir avec calme et conserver entre nous cette charité dont nous aurions tous deux à rendre compte au tribunal du Seigneur.

« Eh bien! conclut-elle, je vous accorde trois mois, après quoi vous laisserez à d'autres la direction (spirituelle) de mon pensionnat. »

J'acceptai ce congé, m'abandonnant à ce que Dieu dispo­serait pour moi. /143/

En attendant, le bruit se répandait de plus en plus que Don Bosco était devenu fou. Mes amis s'en montraient peinés, d'autres riaient, tous s'éloignaient de moi. L'archevêque lais­sait faire. Don Caffasso conseillait de temporiser. Le théolo­gien Borelli ne soufflait mot. Alors tous mes collaborateurs me laissèrent seul au milieu de quatre cents jeunes gens (2)87.

En cette occasion, quelques respectables personnes voulu­rent prendre soin de ma santé. « Ce Don Bosco, dit l'un d'eux, a des idées fixes qui le conduiront inexorablement à la folie. Peut-être qu'une cure lui fera du bien. Conduisons-le dans une maison de santé et là, avec les égards convenables, on fera ce que la prudence suggérera. »

Deux de ces messieurs furent donc chargés de venir me prendre en voiture pour me conduire dans cette maison de santé (3)88. Les deux messagers me saluèrent poliment. Ils me demandèrent des nouvelles de ma santé, de mon patronage, du futur édifice, de l'église. Poussant un profond soupir ils laissèrent échapper ces (seuls) mots: « C'est vrai ! »

Ils m'invitèrent alors à faire une petite promenade avec eux. « Un peu d'air vous fera du bien. Venez, nous avons justement une voiture. Nous ferons route ensemble et nous aurons tout le temps de causer. » Je m'aperçus alors du petit tour qu'ils voulaient me jouer et, sans avoir l'air de soupçon­ner (quoi que ce soit), je les accompagnai à la voiture et insistai pour qu'ils entrent y prendre place les premiers. Au lieu de monter moi-même, je claquai brusquement la portière et criai au cocher: « Allez au plus vite à l'asile où ces ecclésiastiques sont attendus! » /144/


23°


Transfert à l'Oratoire actuel de Saint-François-de-Sales au Valdocco.


Pendant que se succédaient les événements ci-dessus mentionnés, on était arrivé au dernier dimanche où il était encore permis de réunir notre patronage dans le pré (Filippi) (5 avril 1846). Je ne disais rien à personne, mais chacun s'aper­cevait de mes embarras et de mes épines. Au soir de ce jour je portais les yeux sur cette bande d'enfants qui gambadaient, considérant l'abondante moisson qui se préparait pour mon ministère sacré. Mais j'en étais le seul ouvrier, les forces épui­sées, la santé ébranlée, ne sachant où dorénavant je pourrais réunir mes garçons. J'en ressentis une vive émotion.

Je m'éloignai un peu et fis quelques pas, solitaire. Pour la première fois peut-être je me sentais ému jusqu'aux larmes. Allant et venant je levai les yeux vers le ciel et m'écriai: « Mon Dieu, pourquoi ne me montrez-vous pas nettement l'endroit où vous voulez que je recueille ces enfants ? Oh, faites-le moi connaître et dites-moi ce que je dois faire. »

J'achevais ma prière quand arrive un certain Pancrace Soave. Il me dit en bégayant: « Est-ce vrai que vous cherchez un emplacement pour y installer un laboratoire ?

- Pas un laboratoire, mais un oratoire.

- Laboratoire, oratoire, je ne sais pas si c'est pareil, mais pour l'emplacement, il y en a un. Venez donc le voir. C'est la propriété de M. Joseph Pinardi, un brave homme. Venez, vous allez faire une bonne affaire. »

Juste à ce moment arrive un bon camarade de séminaire, toujours fidèle, Don Pierre Merla, fondateur de l'oeuvre connue sous le nom de Famille de Saint-Pierre. Très zélé dans (l'accom­plissement) de son saint ministère il avait fondé cette oeuvre dans le but de porter remède au triste abandon où se trouvaient tant de jeunes filles et de malheureuses femmes qui, leur temps de prison terminé, se voient généralement honnies de tous, (repoussées) par la société des honnêtes gens et presque incapa­bles de trouver quelqu'un qui leur donne du travail et du pain. Dès qu'il lui restait un peu de temps libre, ce digne /145/ prêtre venait volontiers rendre service à son ami qui, le plus souvent, se trouvait seul au milieu d'une foule d'enfants.

« Qu'y a-t-il? me dit-il dès qu'il m'aperçut. Je ne t'ai jamais vu mélancolique. T'arrive-t-il quelque malheur?

- Un malheur, non ; mais je suis dans un grand embarras. C'est le dernier jour aujourd'hui où je puis rester dans ce pré. Nous voici au soir. Il nous reste deux heures de jour et je dois dire à mes fils où ils devront se réunir dimanche prochain. Et je n'en sais rien. Un ami vient de me dire qu'il y a là un local qui pourrait me convenir. Viens, surveille un moment la récréation. Moi, je vais voir et je reviens bientôt. »

Arrivé à l'endroit indiqué je vis une maisonnette d'un seul étage, avec escalier et balcon en bois vermoulu, entourée de jardins, prairies et champs. Je m'apprêtais à monter l'esca­lier lorsque Pinardi et Pancrace me dirent: « Non. Le local qui vous est destiné est ici, derrière. » C'était un appentis, appuyé d'un côté au mur et se terminant de l'autre à un mètre environ du sol. Cela pouvait servir au besoin de remise ou de bûcher, rien de plus. Pour y entrer je dus baisser la tête afin de ne pas heurter le plafond.

- Ça ne me va pas, dis-je. C'est trop bas.

- Je le ferai arranger à votre goût, me répondit aimable­ment Pinardi. Je creuserai, placerai des marches, je ferai met­tre un autre plancher. Je tiens tant à ce que votre laboratoire s'installe ici.

- Pas un laboratoire, mais un oratoire, c'est-à-dire une petite église, pour réunir des enfants.

- Encore plus volontiers! Je m'y prêterai de très bon gré. Passons un accord. Je suis chantre, moi aussi, je viendrai vous aider. J'apporterai deux chaises, une pour moi et une pour ma femme. Et puis, dans ma maison, j'ai une lampe. Je l'apporte­rai ici aussi. »

Le brave homme semblait transporté d'aise à la pensée d'avoir une église dans sa maison. « Je vous remercie de tout coeur, mon cher ami, pour votre charité et votre bonne volonté. J'accepte cette belle offre, si vous consentez à abaisser le plancher d'au moins un pied (50 cm). Mais, combien demandez-vous ? /146/

- Trois cents francs. On veut m'en donner plus, mais je préfère que ce soit vous puisque vous avez l'intention de desti­ner (ce local) au service du public et de la religion.

- Je vous en donne trois cent vingt, mais cédez-moi aussi la bande de terrain qui l'entoure pour la récréation de mes enfants. Il faut aussi que vous me promettiez que, dimanche prochain, je pourrai venir ici avec mes garçons.

- Entendu. Marché conclu. Venez toujours, tout sera prêt. »

Je n'en demandai pas plus. Je courus auprès de mes gamins, les rassemblai autour de moi et leur criai d'une voix forte: « Courage, mes enfants! Nous avons un patronage plus fixe qu'avant. Nous avons église, sacristie, locaux de classe, lieu de récréation. Dimanche, dimanche, nous irons dans le nouveau patronage, là-bas, à la maison Pinardi. » Et, du doigt, je leur montrai l'endroit.

Ces paroles déchaînèrent le plus fol enthousiasme. Cer­tains couraient et sautaient de joie ; quelques-uns restaient comme figés ; d'autres criaient ou plutôt hurlaient à déchirer le tympan. Émus comme d'un bonheur immense mais inexpri­mable, transportés de la plus profonde gratitude et pour remer­cier la Sainte Vierge d'avoir écouté et exaucé les prières que, le matin même, nous avions faites à Notre-Dame-des­Champs, nous tombâmes à genoux. Après la récitation du chapelet, chacun se retira chez lui. Tel fut le dernier adieu à ce lieu que chacun avait aimé par nécessité, mais que, dans l'espoir d'en avoir un meilleur, nous abandonnions sans regret.

Le dimanche suivant, fête de Pâques, 12 avril, nous emportâmes tout notre attirail, objets du culte ou instruments de jeux, et nous allâmes prendre possession de notre nouveau local (1)89. /147/







Notes

1 (1) Distraction de l'auteur" Le manuscrit porte nettement : saint Michel (octo­bre 1834). Don Ceria, dans son édition propose en note de corriger: saint Raphaël (25 octobre) 1835. Le P. F. Desramaut, Les Memorie 1... propose comme date d'entrée de Don Bosco au séminaire : 1835 : la prise de soutane a eu lieu peu avant. En admettant la date de 1835 avec les archives de la curie de Turin, toutes les difficultés ne sont pas résolues. Les mêmes archives parlent du 25 octobre, mais la fête de saint Raphaël était sans doute déjà fixée au 24 (on peut admettre que la date du 25 soit due à une erreur du greffier qui écrivait le 25). Et puis, le récit qui suit suppose une célébration de la saint Michel à Bardella le jour même de la prise de soutane !

2 (2) Le titre de « théologien » était normalement donné aux ecclésiastiques doc­teurs en théologie ou occupant un poste particulier: professeur ou consulteur diocé­sain en cette matière. Dans le colloque relaté plus loin (p. 233) les ministres protes­tants donnent du « théologien » à Don Bosco lui-même... Y a-t-il là flatterie cauteleuse ou ironie ?

3 (3) Les élévations spirituelles du jeune abbé sont la traduction, légèrement para­phrasée, du texte liturgique latin

4 (4) Don Bosco, par référence à ses études classiques, écrit : « en désaccord de genre, de nombre, de cas ».

5 (5) Notre traduction suit d'assez près celle que F. Desramaut a donnée de ces résolutions dans Don Bosco et la vie spirituelle p. 284 sq. Il sera bon de lire ce que le même auteur écrit, dans cet ouvrage, de la pratique de l'ascèse chez le saint, particuliè­rement p. 185-210 et de sa manière de concevoir le service de Dieu p. 233-236 et 255 sq.

6 (1) Don Ceria, éditant le manuscrit, a écrit en 1835. En fait c'est bien 1834 qu'on y lit. Mais les pièces officielles de la curie de Turin portent 1835 pour la prise de soutane, suivie de peu de l'entrée au séminaire.

7 (2) On sait, par d'irrécusables témoignages, que tout le hameau concourut à habiller le jeune séminariste et à lui fournir le nécessaire. Pour la pension, Don Guala, que nous rencontrerons plus loin, intervint, à la prière du curé de Castelnuovo, auprès de l'archevêque de Turin afin de lui obtenir la gratuité de la première année de sémi­naire.

8 (3) Cela fait songer à la parole de René Bazin : « Il y a (les mères qui ont des caeurs de prêtre. »

9 (4) C'est-à-dire : « Pour les esprits moroses, les heures coulent lentes : pour les cœurs joyeux, elles passent rapides. »

10 (1) C'était alors un lieu commun en pédagogie que la familiarité sape infaillible­ment le respect. Pour être obéi, il faut être respecté : pour être respecté, il faut demeu­rer distant. Ne jamais se mêler aux élèves, sinon pour punir ou menacer. Tant pis pour ce qui arrivera ! Cette leçon négative, le saint se la rappellera quand, plus tard, il rédigera son Traité du Système Préventif et demandera à ses religieux de rechercher avant tout la compénétration des coeurs.

11 (2) Vieil auteur du XVIIIe siècle traduit du français et plusieurs fois réédité.

12 (3) En fait: de l'année scolaire 1836-1837. Le milieu de l'année tombait donc en 1837.

13 (1) De la Saint-Jean-Baptiste à la Toussaint.

14 (2) Appellation courante alors de la deuxième année de philosophie. On ne sait trop sur quel critère on lui avait donné ce nom.

15 (3) Le jeune ecclésiastique mit vraiment à profit ces conseils précieux comme l'attestent deux sermons ultérieurs, que nous possédons de lui, sur l'Assomption et la Nativité de la Vierge, tous deux écrits en piémontais.


16 (1) De ce sacrifice, nous avons une version plus complète dans le récit circonstan­cié qu'en donne son premier biographe, Don Lemoyne. Ce ne fut pas en effet le violon de ce bal improvisé qu'il brisa. Il ne pouvait le faire: il lui avait été prêté là, sur place, mais le sien propre. « Je me levai de table, confiait-il à Don Lemoyne, je retournai chez moi, je pris mon violon et le réduisis en miettes. Je ne voulus plus en entendre parler, pas même pour accompagner à l'église. Plus tard j'ai appris à d'autres à jouer de cet instrument, mais sans y toucher moi-même. »

17 (2) Environ cinq kilomètres.

18 (3) Le jeune abbé Bosco reflète ici une attitude qui s'imposait traditionnellement au clergé et que codifia le Code de Droit Canonique de 1917 (can. 138-140) mais que ne reprend pas le nouveau Code de 1983. Saint Ambroise, le grand archevêque de Milan, écrivait déjà : « Ces divertissements, parfois aussi honnêtes qu'agréables, sont cependant proscrits par la discipline ecclésiastique. »

19 (4) La phrase est d'une concision telle qu'on pourrait croire que le deuxième fait se produisit « dans la même occasion » que le premier. Il s'agit évidemment d'une « occasion semblable », postérieure dans le temps, une promenade à Cinzano.

20 (5) Cette scène dialoguée est tirée tout entière de la biographie de l'abbé Comollo écrite par son intime, Don Bosco, à laquelle il fait lui-même allusion ci-après.

21 (1) La biographie de Louis Comollo a été écrite par Don Bosco sous le titre : Cenni storici sulla vita del chierico Luigi Cornollo... Turin, 1844. Une traduction française a paru à Nice. Patronage Saint-Pierre, en 1890 et réimprimée en 1916 sous le titre: Biographie du jeune Louis Comollo élève au séminaire de Chieri, par son condisciple le Vénérable Don Jean Bosco. Cette édition, depuis longtemps épuisée, n'a pas été reprise.

22 (2) Voir en annexe I p. 216 la relation plus détaillée de cet événement comme le décrit Don Bosco dans la biographie de son intime citée à la note précédente.

23 (1) Ce Don Borelli est toujours nommé Borèl dans les Memorie biografiche de Don Lemoyne et souvent cité sous ce nom dans les « Vies » de Don Bosco. C'est la forme piémontaise du nom. Pour le saint il fut dans la fondation de son oeuvre turinoise, plus qu'un collaborateur, plus même qu'un bras droit. Sans son aide, il n'eût pu, bien souvent, aller de l'avant. C'est donc à juste titre que son effigie en marbre blanc s'encadre sous les arcades de la Maison Mère des Salésiens, à l'endroit même où il prêtait ses bons offices au jeune abbé Bosco, directeur et fondateur de l'Oratoire Saint-François-de-Sales.

24 (1) Ce livre, le saint l'eut en vénération jusqu'à sa mort. Quand au cours de ses laborieuses journées, il n'avait pu faire un peu de lecture spirituelle, le soir, agenouillé au pied de son lit, il ouvrait l'Imitation et en dégustait lentement quelques versets. Parfois, causant avec un ami, un de ses fils spirituels ou un élève, ü lui arrivait d'ouvrir au hasard le volume pour y trouver, dans tel verset providentiel, la lumière cherchée. Écrivant la vie du jeune Dominique Savio, il en cite des passages. Voir à ce sujet F. Desramaut, Don Bosco et la vie spirituelle..., p. 40 sq., 95.

25 (2) Bénédictin français (1672-1757).

26 (3) Écrivain juif, ami des empereurs Vespasien et Titus. Il écrivit l'histoire de sa nation d'abord d'après l'histoire biblique de l'Ancien Testament (Les Antiquités Jui­ves) et l'histoire plus récente de la guerre de ses compatriotes contre les Romains qui devait aboutir à la ruine de Jérusalem par Titus en 70, malheur que F. Josèphe s'était diplomatiquement efforcé d'éviter (La Guerre Juive).

27 (4) Évêque d'Hermopolis, ministre de l'instruction publique sous Charles X, pré­dicateur de Notre-Dame (1765-1841).

28 (5) Philosophe espagnol, apologiste de la religion. II a écrit notamment Le Protes­tantisme comparé au Catholicisme. C'est sans doute l'ouvrage que lut le jeune sémina­riste.

29 (6) Ce Fleury n'est pas le ministre célèbre de Louis XV, mais le précepteur des fils du prince de Condé. Son Histoire ecclésiastique fut mise à l'Index pour son gallicanisme très prononcé (1640-1723).

30 (7) Avocat messin (1805-1862), son Histoire de l'Église parut en italien en 1839. Elle était aussi marquée de tendances gallicanes.

31 (8) Nous utilisons ici la traduction de F. Desramaut dans Don Bosco et la vie spirituelle (cité p. 29, note 1) p. 285 sq.

32 (9) L'abbé Bosco fut répétiteur de grec dans ce collège du 1er juillet au 17 octobre, comme l'atteste un certificat que lui laissa en le quittant, le Père Dassi, recteur. Ce certificat est conservé aux archives du grand séminaire de Chieri et exprime la satisfac­tion du recteur envers le jeune abbé « pour son honnêteté morale, sa piété envers Dieu et sa fréquentation des sacrements ».

33 (10) Sa connaissance, disons suffisante, du français, lui servit d'abord pour appor­ter son secours religieux aux soldats français descendus en Italie lors de la campagne de 1859, quand les troupes françaises vinrent appuyer les troupes sardes pour la libération de l'Italie : ensuite au cours de ses nombreux voyages en France, spéciale­ment sur la Côte d'Azur, ainsi que lors de son grand voyage de Nice à Lille, en 1883.


34 (1) Cette ordination lui fut conférée dans la chapelle de l'archevêché par Mgr Fransoni.

35 (2) I1 reçut le sous-diaconat le 19 septembre 1840.

36 (3) Le séminaire des Lazaristes

37 (4) C'était le 27 mars 1841. Le 15 mai suivant il subissait son dernier examen de théologie. Il obtenait la mention : plus quam optime, « plus que très bien ».

38 (5) A l'archevêché de Turin on conserve le registre des promotions de ce temps-là. En face du nom de Jean Bosco, à la colonne des observations, on relève cette apprécia­tion: « Zélé et réussissant parfaitement. »

39 (6) Il fit sa retraite préparatoire à l'ordination à la chapelle des Lazaristes, à Turin. Elle commença le 26 mai 1841. Dans son cahier de notes il inscrivit, comme conclu­sion pratique de ces jours de prière et de réflexion, un certain nombre de résolutions dont nous donnons le texte en annexe 11 (p. 218). L'ordination eut lieu le 5 juin 1841 et ce fut encore Mgr Fransoni qui la conféra.

40 (7) A l'autel de l'Ange-Gardien qui se trouve du côté de l'évangile en regardant le maître autel. II n'a subi, depuis cette première messe, aucun changement. Cette église - comme son nom le laisse entendre - avait appartenu aux Frères Mineurs Conventuels, fils du grand Patriarche d'Assise, jusqu'à la suppression des Ordres religieux par Napoléon dans les États sardes. Quand la France évacua le Piémont, le couvent annexe à l'église devint une caserne. En 1817, l'abbé Guala, curé de cette paroisse, récupéra le local et y installa le Collège Ecclésiastique (Convitto ecclesiastico) pour la formation pastorale du jeune clergé. Nous allons entendre, un peu plus loin, Don Bosco nous parler de cette institution providentielle.

41 (8) L'église de la Consolata est pour les Turinois ce qu'est Notre-Dame de la Garde pour les Marseillais, Notre-Dame de Fourvière pour les Lyonnais, Notre-Dame des Victoires pour les Parisiens, Notre-Dame de la Treille pour les Lillois, le sanctuaire marial adopté par toute la piété de la ville.

42 (9) Don Bosco ne nous dit pas où il célébra la messe du mercredi mais nous le savons: ce fut au Duomo de Chien, à l'autel de Notre-Dame des Grâces.

43 (10) A plusieurs reprises Don Bosco a redit à ses intimes les propos que, rentrée dans son humble demeure, la mère tint au fils. Nous les transcrivons une fois de plus, tellement ils sont admirables : « Te voilà prêtre, mon petit Jean ! Désormais chaque jour tu diras la messe. Rappelle-toi bien ceci : commencer à dire la messe, c'est commencer à souffrir. Tu ne t'en apercevras pas de suite, mais un jour avec le temps, tu verras que ta mère avait raison. Chaque matin, j'en suis sûre, tu prieras pour moi. Je ne te demande rien d'autre. Désormais ne songe qu'au salut des âmes, et ne te préoccupe pas de moi. »

44 (1) C'est en 1832, à l'âge de dix-sept ans que le jeune Bosco avait appris à monter à cheval. Pendant ses vacances d'été, il se rendait chez le vicaire de Castelnuovo prendre des répétitions de latin. Celui-ci, en échange, lui demandait de s'occuper de son cheval, de le sortir, de lui dégourdir les jarrets, et le souple jeune homme ne manqua pas de profiter de l'occasion pour devenir un cavalier plus que suffisant.

45 (2) Probablement que, chez les Bosco, on était tous de taille moyenne.

46 (3) C'est l'équivalent du proverbe français: « Un bienfait n'est jamais perdu. »

47 (1) Celles de l'été 184 1. Don Bosco avait été ordonné prêtre en juin.

48 (2) Après les bourrasques révolutionnaire et napoléonienne, un ecclésiastique de Turin, l'abbé Guala, aussi pieux que docte, aussi zélé que riche, s'attela à l'œuvre de base par excellence : la formation d'un jeune clergé, dont la doctrine et la vertu feraient face aux nouvelles conditions d'apostolat. Pour cela il dirigea au couvent des Francis­cains, attenant à l'église Saint-François-d',Assìse, une école de haute théologie et de pastorale, dénommée Convitto ecclesiastico. Elle assurait aux jeunes prêtres qui y prenaient pension, d'abord un complément sérieux d'études religieuses ; puis une solide formation apostolique ; et enfin une vie de communauté où toutes les vertus sacerdotales trouvaient occasion de se développer (voir introduction, p. 13).

49 (3) En fait, le fondateur était l'abbé Brunone Lanteri.

50 (4) Le jansénisme, hérésie qui tire son nom de Jansen, évêque d'Ypres en Flandre, auteur de l'Augustinus, livre qui prétendait reproduire les vrais sentiments de saint Augustin sur la grâce: à savoir que la volonté de l'homme, depuis la chute. n'est vraiment jamais entièrement libre, car elle est soumise soit à la concupiscence, soit à la grâce, et que la grâce du salut n'est accordée qu'aux seuls élus. Jésus-Christ, n'étant mort que pour eux. Cinq propositions extraites de ce volume furent condam­nées à Rome par Urbain VIII et par Innocent X. L'occupation napoléonienne avait contribué à renforcer les groupements jansénistes en Piémont, et leur lamentable propagande rigoriste.

51 (5) Le contexte prouve que Jean Bosco parle ici des probabilioristes. Ces querelles entre écoles de théologie morale occupaient alors une grande place dans l'enseigne­ment des séminaires. Don Bosco y fait allusion plus haut et semble regretter que cet enseignement s'en tienne là. Évidemment elles n'étaient pas sans impact sur la pasto­rale. Au Convitto il trouvera, en cette matière, un heureux complément doctrinal et pratique. Il appréciera surtout la doctrine de saint Alphonse de Liguori, moraliste du juste milieu. Il lui empruntera un certain nombre de maximes spirituelles quand il rédigera l'introduction aux Constitutions base de sa congrégation. On en trouvera le texte dans F. Desramaut, Don Bosco et la vie spirituelle, p. 320-323

52 (6) Il fut le second confesseur de Don Bosco. Le premier avait été Don Maloria, et le troisième et dernier fut Don Giacomelli, son compagnon de séminaire.

53 (1) Le texte porte ici un mot piémontais: Tuder ! tuder ! exclamation méprisante qui serait à traduire approximativement par: Teuton ! ou par notre expression popu­laire. heureusement désuète : Roche!

54 (2) Le premier biographe de Don Bosco intercale ici deux autres questions qu'il n'a certainement pas pu inventer, et qui révèlent la façon adroite qu'avait l'abbé de gagner la sympathie nécessaire des garçons :

- Sais-tu chanter ? - Non.

- Sais-tu siffler au moins?

Alors le garçon se mit à rire. La glace était rompue.

François Veuillot, dans son livre : Saint Jean Bosco et les Salésiens, fait, à propos de cette scène savoureuse, la réflexion suivante, si typique: « Ce jeune Garelli surgit aux yeux de l'abbé comme l'appel de toute l'enfance misérable et délaissée. »

55 (3) Don Bosco utilise ici pour la première fois le mot Oratorio pour désigner son oeuvre en faveur des jeunes. Sur la signification de ce mot et notre traduction par « patronage » voir p. 23 note l.

56 (1) Don Bosco ne précise pas: « instruits des vérités et de la pratique de la religion » s'entend. La formation chrétienne des jeunes fut, on l'a vu jusqu'ici. le but premier de ses préoccupations et de son activité.

57 (2) Cantique très populaire en Italie et devenu traditionnel dans lus maisons salésiennes de ce pays : Louez Mario, ô langues fidèles etc.

58 (3) Le 25 mars, un mois plus tard, et quatre mois après la rencontre de B. Garelli.

59 (4) En général, les ouvriers maçons, venus à Turin dès le printemps, s'en retour­naient dans leurs villages vers décembre, la saison d'hiver arrêtant tous travaux.

60 (5) La visite d'un prêtre sur les lieux de travail n'est pas habituelle. Mais en 1841, c'était une audace qui faisait bien sentir quelle mentalité d'avant-garde animait ce jeune prêtre.

61 (1) Ce titre, saint François de Sales l'avait déjà donné, au XVIe siècle, à Annecy, à une oeuvre de protection de la jeunesse.

62 (2) A la fin de sa première année au Collège Ecclésiastique, il avait déjà subi devant Don Caffasso un premier examen, qui allait lui permettre d'entendre provisoi­rement les confessions. Le second et définitif, il le passa en 1843, à la fin de son cours de pastorale. De fait, sa licence de confesseur porte la date du 10 juin 1843.

63 (3) En général les cours du Convitto n'étaient que de deux ans. A Don Bosco on accorda une troisième année avec charge de servir de répétiteur auprès d'étudiants un peu moins doués

64 (4) La marquise Barolo, qui signait toujours Juliette de Colbert, parce que son père, le marquis de Maulévrier, descendait du grand Colbert, avait épouse, au lende­main de la Révolution, un page de l'Empereur, le marquis de Barolo, noble piémon­tais. Le ménage fut sans enfants, et à l'âge de cinquante-quatre ans la marquise, devenue veuve, se vit à la tête d'une immense fortune qu'elle consacra toute aux bonnes oeuvres. Ses fondations ne se comptèrent pas, et sa mémoire demeure en bénédiction dans la vieille capitale du Piémont. Comme Don Bosco, elle devait trou­ver sa vocation de bonne Samaritaine dans les prisons, qu'elle visitait quotidienne­ment. Ce qui ne l'empêcha pas de tenir un des salons les plus brillants de Turin que fréquentèrent les lettrés d'Italie et de France, d'Azeglio, Cavour, Balbo, Sclopis, de Maistre, Lamartine, Balzac et tant d'autres. Dans le quartier extérieur où Don Bosco allait se dévouer, la marquise avait déjà ouvert deux oeuvres : Le Refuge, dont l'abbé Borelli était le supérieur, grand internat pour fillettes pauvres, et l'Oeuvre de Sainte­Philomène pour petites infirmes. Parlant de sa charge en cette dernière institution, Don Bosco emploie toujours le terme de « directeur ». En fait il s'agit bien d'une fonction de « directeur spirituel » comme le spécifie Don Lemoyne dans les Memorie biografiche I, 225.

65 (1) Pour les questions posées par la transmission, orale, puis écrite, des « rêves » de Don Bosco, voir l'étude de F. Desramaut, Les Memorie L.. citée note 1 de la p. 17. Pour celui-ci il est évidemment un « appendice » de celui des Becchi (F. Desramaut 1. c. p. 251 et ici p. 29).

66 (2) Tous ceux qui ont visité la maison-mère des Salésiens à Turin reconnaissent ici son immense cour centrale.

67 (3) Il en fut ainsi. Les premiers collaborateurs de Don Bosco, Don Borelli excepté. le lâchèrent très rapidement.

68 (4) On reconnaîtra aisément dans ces agneaux devenus pastoureaux les premiers religieux salésiens qui essaimèrent un peu partout.

69 (5) La basilique Notre-Dame-Auxiliatrice qui mérite bien ce qualificatif.

70 (6) « Là est ma demeure, de là viendra ma gloire. »

71 (1) Il est à noter que Don Bosco emploie plus souvent le mot « église » que le mot « chapelle » pour désigner les lieux de culte de ses divers patronages, si modestes et si provisoires qu'ils soient. Nous avons respecté son vocabulaire.

72 (2) Dans le premier règlement de son patronage que composera en 1847 Don Bosco, il écrira : « Ce patronage, nous le mettons sous la protection de saint François de Sales, parce que les dévouements qui ont l'intention de se consacrer à ce genre d'apostolat doivent se proposer ce saint comme modèle, dans sa charité comme dans sa façon aimable de traiter. Ce n'est qu'en agissant ainsi que l'on pourra retirer des fruits consolants de cette oeuvre. » Ces lignes sont à rapprocher de la quatrième des neuf résolutions que le saint prit le jour de sa première messe (voir annexe II, p. 218).

73 (1) Exactement le 13 juillet.

74 (2) Déjà en 1845 le saint nous dit que sans l'Eucharistie il est impossible d'élever la jeunesse. Cela, bien de ses confrères dans le sacerdoce le voyaient d'un oeil peu sympathique. En 1858, l'un de ceux-ci alla le trouver pour lui faire, sur l'article, un reproche sévère! « Écoutez, lui répondit Don Bosco, voulez-vous que nous prenions pour arbitre Don Caffasso ? Allez le trouver. Je m'inclinerai devant sa façon de voir. » Il savait à qui il l'adressait. Aussi son excellent confrère se garda bien d'aller frapper à la porte de l'arbitre.

75 (3) Le maire envoya vérifier ces dires. On trouva tout en bon ordre. L'unique dégât était une petite rayure gravée dans un mur de l'église par le clou d'un gamin.

76 (4) Nous passâmes là deux mois, écrivit ailleurs Don Bosco.

77 (5) Don Bosco transcrivit le nom du personnage. Par respect pour la délicatesse du saint, Don Ceria ne le précisa pas dans son édition du manuscrit. Nous l'imitons.

78 (1) Historiquement parlant, ce troisième siège de ce patronage nomade fut le second, avant celui de Saint-Martin, comme l'ont attesté des recherches faites sur la base de documents sérieux. N'oublions pas que Don Bosco écrit à vingt ans de dis­tance.

79 (1) Cette maison Moretta se trouvait sur l'emplacement qu'occupe actuellement la grande maison d'édition de presse, la Société d Editions internationales (S.E.I. ).

80 (2) Les Frères des Écoles Chrétiennes de Turin ont contesté cette primauté. Ils ont raison. s'ils entendent avoir ouvert officiellement les premiers ces cours du soir en janvier 1846 ; mais il y avait au moins deux mois - novembre 1845 - que Don Bosco les avait commencés à la bonne franquette, avec des moyens de fortune, dans son logis, avec des apprentis de Turin illettrés. ou désireux d'apprendre davantage.

81 (3) Même parmi ceux qui étaient contre se trouvaient d'excellents catholiques, voire des prêtres, parce que, à Turin, de ce temps-là, les promoteurs de "instruction populaire sentaient terriblement le fagot. Leurs intentions politiques, même maçonni­ques, étaient aussi sournoises que connues.

82 (4) Cet avis est du 2 mars 1846.

83 (1) Il s'étendaìt à 50 mètres de la maison Moretta.

84 (2) Cette académie ecclésiastique avait pour but de distribuer un large supplément d'études aux jeunes prêtres sélectionnés et déjà diplômés en théologie et en droit canon qui y étaient inscrits. Après quatre années de cours ils rentraient dans leurs diocèses où, la plupart du temps, ils remplissaient de hautes charges ecclésiasti­ques.

85 (1) C'était a cette époque le préfet de police de Turin, avec juridiction civile et criminel le sur tous les ci toyens. Il s'agit de Michel Ben so de( avour. Don Bosco écrit souvent « Cavour » sans particule. Ce nom évoque surtout aux historiens Camille Benso comte de Cavour, le plus célèbre de sa famille comme homme d'État.

86 (1) Cet emploi régulier, c'est la direction spirituelle du pensionnat annexé au Refuge.

87 (2) Don Bosco avoua un jour que cet abandon complet fut l'épreuve la plus cruelle de sa vie. Ses meilleurs amis semblèrent le fuir.

88 (3) L'histoire a retenu leurs noms. C'étaient Don Vincent Ponzati, curé de Saint­Augustin, paroisse assez proche et Don Louis Nasi.

89 (1) Nous arrivons enfin au terme de cette course au logis, à la fin de cette existence aussi précaire que nomade : Don Bosco va trouver son lieu définitif. En rêve comme toujours, il l'avait aperçue, cette maison, d'où allait s'envoler son oeuvre gigantesque. Le matin, au réveil, il dit à l'abbé Borelli : " Ça v est, je l'ai vue, ma maison. » Et il partit à sa découverte. 11 eut tôt lait de l'apercevoir à quelques centaines de mètres de là et de la reconnaître telle qu'en rêve elle lui était apparue. Mais hélas, il n'en put croire ses yeux : c'était plus qu'un bouge. Nos lecteurs comprennent. Je me suis trompé, pensa-t-il. Mais voici que,de nouveau, un rêve la lui montre. Le lendemain l'abbé retourne et constate qu'il ne s'est pas trompé : la maison est infâme... Don Bosco conclut : Il faut prier pour que le Seigneur m'arrache à ce doute. Et le Seigneur l'en arrache, en lui montrant une troisième fois cette habitation. Mais à ce troisième rêve, une voix lui murmura : « Ne crains pas de t'installer là. Ne sais-tu pas que Dieu peut enrichir le peuple qu'il a choisi des dépouilles des Égyptiens' » Ce triple rêve, Don Bosco le racontait, vingt ans plus tard, à ses fils réunis pour une conférence, le 8 mai 1864. (Lemoyne, Memorie... VII, p. 663 sq.). Qui jugerait ceci difficilement admissible pour un esprit « moderne » pourra toujours se reporter à la note 1 des pages 29-30.


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Deuxième décennie 1835-1845