
ENTRETIEN VIDA NUEVA 2025
Le 25 mars, le Chapitre Général des Salésiens a élu le P. Fabio Attard, de Malte, comme nouveau Recteur Majeur. Dans cet entretien accordé à la revue salésienne Vida Nueva, le XIe Successeur de Don Bosco illustre les défis actuels de la Congrégation.
Quels défis le Chapitre Général qui vous a élu vous a-t-il remis ?
Je crois vraiment que le plus grand défi auquel nous sommes confrontés est celui de l'identité, non seulement en tant que Salésiens, mais aussi pour l'Église tout entière. Dans une société fragmentée, où l'unité semble absente, aborder la question de l'identité offre des opportunités uniques pour comprendre la réalité et ce que nous sommes appelés à être et à offrir. Ceux qui ont une identité claire peuvent engager un dialogue dynamique avec une réalité qui met en question leur propre spiritualité. Nous, les Salésiens, en contemplant Don Bosco, nous disons qu'il a vécu la grâce de l'unité, c'est-à-dire qu'il était un homme profondément humain et profondément saint, qui vivait une spiritualité incarnée. Vivre ainsi nous aide à comprendre et à relever les défis auxquels nous sommes confrontés. Le Chapitre a été un appel afin qu’être « passionnés pour Jésus-Christ » et « passionné pour les jeunes » marchent ensemble, dans un monde où la perception de la foi est différente par rapport au passé, mais où la soif de sens, la soif de spiritualité des personnes, demeure inchangée. Don Bosco nous a enseigné que tous, et surtout les jeunes, ont un point accessible au bien, même s'il peut parfois être bien caché par leurs expériences négatives.
Le message que le Pape François a adressé au Chapitre, outre l'identité, a mis en lumière le défi de l'interculturalité. Comment la vivre dans l'une des plus grandes Congrégations du monde ?
En effet, il faut concilier identité et interculturalité. Notre charisme vient de l'Esprit, et cela parle à l'être humain et se traduit en catégories culturelles ; de même, l'Évangile, lorsqu'il rencontre les cultures, est source de lumière, qui illumine, fait grandir et fait mûrir le bien qu’il y a chez elles. De même, nos éléments spécifiques, tels que le Système Préventif et la charité pastorale, avec son intelligence pédagogique, sont présents partout dans le monde et dans toutes les cultures. Nous avons la responsabilité de développer ce charisme, qui n'est pas le nôtre, mais qui est l'œuvre de l'Esprit à travers la figure de Don Bosco, et qui nous rejoint dans les milieux chrétiens, mais il rejoint également les autres, les non-croyants ou les indifférents. J'ai constaté que le charisme salésien transcende les frontières culturelles. Aujourd'hui, c'est un défi pour les communautés salésiennes de certaines régions du monde de découvrir leur identité charismatique, de la vivre avec joie et enthousiasme, et de pouvoir la partager. Mais le multiculturalisme est également présent dans de nombreuses salles de classe des écoles européennes, où il y a des élèves de 30 ou 40 nationalités différentes. Nous devons les aider à trouver des terrains d'entente et à marcher ensemble, en évitant la création de ghettos. Il s'agit donc d'une expérience multiculturelle qui englobe également le charisme salésien.
Dans cette réalité, comment vivons-nous la crise des vocations ?
La crise des vocations est une question importante qui doit également être interprétée à la lumière de l'évolution culturelle. La sécularisation nous a montré que, même dans une Europe culturellement chrétienne, il n'y avait pas nécessairement de choix personnel de foi : nous avions le christianisme, mais pas nécessairement les chrétiens. Cela doit nous amener à valoriser la foi comme une décision personnelle, ce qui nous a laissés être une minorité quantitativement faible, mais qualitativement créative. C'est la minorité créative dont parlait Benoît XVI. Ce sont des personnes qui ont une vocation très claire, qui l'assument de toute leur personnalité. Et, à propos des vocations, comme l'a dit le Cardinal André Vingt-Trois de Paris il y a des années, le rapport entre vocations et membres pratiquants reste le même : auparavant, pour 100 membres pratiquants, 10 vocations apparaissaient ; aujourd'hui, pour 10, nous en avons une. Au-delà de cela, le Vatican II nous a motivés à considérer l'Église comme une communauté de croyants où chacun a sa propre responsabilité et ressent l'engagement qu'il doit vivre. C'est pourquoi nous avons un engagement des laïcs qui n'existait pas auparavant, avec des personnes dotées d'une compréhension profonde du charisme et désireuses de vivre leur mission de toutes leurs forces. Cela nous oblige à comprendre que les processus pastoraux ne devraient pas proposer des produits à vendre, mais des expériences à offrir. En outre, l'Europe connaît une augmentation des baptêmes d'adultes. Comme l'a dit le Pape François, nous vivons non seulement une époque de changement, mais une époque de transformation où les clés d'interprétation d'hier ne fonctionnent plus. C'est là que nous devons continuer à ouvrir des portes et à offrir des opportunités.
Mission de guerre
Dès vos premiers discours publics, vous avez immédiatement pensé aux Salésiens en zones de guerre. Quel est le témoignage de ces frères ?
L'augmentation de la violence n'est pas seulement un phénomène sociologique croissant. Aujourd'hui, en tant que Supérieur, j’ai une responsabilité bien plus grande envers ces frères, qui sont nombreux, et qui vivent au milieu de conflits, de guerres, du terrorisme ou de la violence des gangs. Quand je leur parle, ils me disent : « Nous n'avons besoin de rien ; nous demandons simplement que la Congrégation continue de nous accompagner, car nous avons besoin d'affection, d'accompagnement et de prière. La proximité humaine et spirituelle est ce dont nous avons besoin, car nous ne pensons pas à nous retirer ». Ces témoins dans le domaine de la pastorale sont des martyrs des temps modernes. Dès le début, les Salésiens d'Ukraine ont clairement indiqué que la Congrégation est là pour travailler en faveur des jeunes, en particulier lorsqu'ils rencontrent des difficultés, et pour le faire avec créativité pastorale, afin de répondre à de nouveaux besoins tels que le soutien psychologique ou l'accueil de ceux qui n'ont ni logement pour dormir, ni nourriture parce qu'ils ont perdu leur famille.
Comment percevez-vous cette responsabilité ?
Sachant que je ne peux pas faire grand-chose matériellement, je m'efforce de cultiver ce sens de proximité, de fraternité, de prière constante et d'attention personnelle. Ce sont de petits signes, mais ils sont éloquents, ne font pas beaucoup de bruit, mais laissent un fort impact, car ils viennent du plus profond du cœur et y parviennent. Je maintiens le contact avec ces frères et je sais que lorsqu'ils ont besoin de moi, ils peuvent m'appeler, car désormais, pour eux, je ne suis plus seulement Fabio ; je suis le Successeur de Don Bosco. Et puis, il y a un autre accompagnement, plus direct, de la part des Provinces elles-mêmes.
Comment vous voyez-vous quand vous pensez que vous n'êtes pas tant le Successeur du Cardinal Fernández Artime, mais celui de Don Bosco ? Quel besoin personnel cela suscite-t-il en vous ?
Lors de mon élection, j'ai pu prendre une photo devant l'autel de Don Bosco avec mes deux prédécesseurs - le P. Pascual Chávez et le Cardinal Ángel Fernández Artime. Pour moi, ce fut un beau moment, d'être avec ceux que j'appelle encore « Recteur Majeur » et qui m'appellent désormais de la même manière. Ainsi, je ressens non seulement une unité, mais aussi le partage du même amour. C'est simple, mais je le ressens comme quelque chose de grand. J'ai encore besoin de temps pour m'habituer à cette mission qui transcende les aspects humains. Je ferai tout mon possible et je demanderai à mes frères de prier pour que le Seigneur agisse en moi et à travers moi.
Pour revenir au moment de leur élection, que signifie le fait que les capitulaires aient élu le nouveau Supérieur Général en dehors de l'assemblée capitulaire ?
Cette élection, avec tant de kilomètres de distance, a été une véritable surprise. Je suis arrivé à un point de ma vie où je ne suis pas facilement impressionné, mais je ne peux pas expliquer ce que j'ai ressenti lorsque j'ai reçu l'appel du Chapitre. Pendant mon voyage de Rome à Turin, je réfléchissais à ce que le Seigneur me demandait à travers mes confrères. Mais je me sens aimé, accompagné, et je crois que les capitulaires ont eu une grande liberté dans le choix et le partage des situations dont la Congrégation a besoin. Il se peut aussi que nous nous trouvions à un moment nouveau, où nous devons continuer à approfondir notre discernement, en harmonie avec la synodalité, pour poursuivre notre réflexion à l'écoute de l'Esprit. L'écoute et le discernement, ainsi que la méthodologie employée au Chapitre, en harmonie avec le dernier Synode, doivent suivre comme paradigme de gouvernance. Depuis des années, nous disposons d'une plateforme de synodalité salésienne, la communauté pastorale éducative, qui rassemble les Salésiens et tous les protagonistes de la mission. Pour nous, « Pastorale » signifie toujours « Projet Éducatif Pastoral ».
Le Chapitre a franchi une « étape historique » par l'approbation ad experimentum de Salésiens laïcs - appelés Coadjuteurs dans leur propre terminologie - comme Directeurs. Serait-ce un témoignage de synodalité ?
Si l'on considère Don Bosco, qui avait une compréhension profonde de ce sujet, il souhaitait des Salésiens externes. Aujourd'hui, nous avons repris ce thème que le Pape François nous a présenté. Nous avons toute une tradition qui place la dimension sacerdotale aux côtés de la gouvernance, ce qui a généré une grande diversité d'opinions qui servira de base à notre réflexion continue au cours des six prochaines années. Le sens même de la communauté évolue également, et nous avons des communautés éducatives pastorales telles que, dans certains contextes, des personnes de croyances différentes sont en harmonie avec le projet de Don Bosco. À travers l'expérience, nous lirons, interpréterons progressivement et enfin accompagnerons cette possibilité pour les Coadjuteurs d'être Supérieurs de communauté.
Le Chapitre s'est conclu par un pèlerinage jubilaire. Y a-t-il des raisons d'espérance parmi les jeunes d'aujourd'hui ?
C'était providentiel, car, initialement, le Chapitre devait être célébré en 2026. Nous, les Salésiens, nous avons pour caractéristique de trouver des solutions aux situations d'urgence. Le document final est très positif et nous avons été imprégnés de l’invitation à l'espérance du Jubilé. En outre, cette année, nous, les Salésiens, nous célébrons le 150e anniversaire de la première Expédition Missionnaire de Don Bosco et constatons que de nombreuses frontières restent ouvertes. L'espérance n'est pas l'attente de ce qui n'existe plus, mais la tension du « déjà et ne pas encore », qui exprime que, dans la mesure où nous sommes enracinés dans ce qui existe, nous devons être capables de regarder vers l'avenir sans nous perdre, car nous attendons l’avenir avec la même joie que nous avons perçue dans le présent. Cela fait partie de la sagesse de l'éducateur, qui, chez un jeune de 15 ans, a la capacité de voir l'adulte de 30 ans ; et cela doit être transmis aux jeunes, en semant en eux les graines d'une espérance aujourd'hui, car ils sont un terreau fertile, si nous leur offrons un aperçu de l'avenir à partir de ce qui existe déjà, afin qu'ils sentent qu'ils ont un potentiel énorme. Voilà ce qu'est vivre la charité pastorale et le faire avec intelligence pédagogique.