Questo è il mio Corpo


Questo è il mio Corpo





« Ceci est mon corps, qui est pour vous.

Faites cela en mémoire de moi » (1 Co 11,24)

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1.1 FAIRE L’EUCHARISTIE POUR DEVENIR EUCHARISTIE

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1. “FAIRE L’EUCHARISTIE” AUJOURD’HUI. 1.1 L’Eucharistie dans le cheminement récent de l’Eglise. 1.2 L’Eucharistie dans l’actuel cheminement de la Congrégation. 1.3 L’Eucharistie dans la vie des confrères. 2. RAPPELANT L’EXPERIENCE DES DISCIPLES. 2.1 La première défection des disciples (Jn 6,66-71). 2.2 L’abandon accompli par les Douze (Mc 14,17-31). - 2.2.1 Suivre Jésus ne nous donne pas l’assurance de ne pas le trahir. - 2.2.2 Promettre beaucoup à Jésus ne nous affranchit pas du risque de le renier. - 2.2.3 L’alliance, trahie à peine établie, est cependant à rappeler. 2.3 Le geste de Jésus quand son heure est venue : aimer jusqu’à l’extrême (Jn 13,1-20). 3. “DEVENIR EUCHARISTIE” AUJOURD’HUI. 3.1 La vie consacrée, “vie eucharistique”. - 3.1.1 La vie consacrée, “mémorial” au moyen de l’obéissance. - 3.1.2 La vie consacrée, “sacrifice” au moyen de la chasteté. - 3.1.3 La vie consacrée, “banquet” au moyen de la pauvreté. 3.2 Le salésien, homme de l’Eucharistie. - 3.2.1 De la célébration à l’union dans la conformité. - 3.2.2 De l’union dans la conformité à l’adoration. - 3.2.3 De l’adoration à la mission. Conclusion.




7 juin 2007

Solennité du Corps et du Sang du Christ



Très chers Confrères,



Avec une grande affection je vous salue à mon retour d’Aparecida (Brésil), où s’est tenue la Vème Conférence de l’Episcopat Latino-américain et des Caraïbes, avec la participation de 13 Evêques salésiens et de deux FMA, en plus de celle du Recteur majeur. Ce fut là une expérience d’Eglise extraordinaire, dont je parlerai en un autre endroit. Pour le moment il me suffit d’exprimer le souhait que cette grande assemblée puisse donner de l’espérance et de la vie aux peuples de ce continent, grâce à une Eglise – et nous SDB en celle-ci – qui devienne une disciple du Christ, remplie d’amour et de fidélité envers lui, et une missionnaire convaincue et courageuse. Aujourd’hui je préfère vous parler d’un sujet qui me tient à cœur et sur lequel je réfléchis depuis l’an dernier : l’Eucharistie.

Je suis pleinement conscient que parmi vous quelqu’un pourra penser superflue, pour ne pas dire superfétatoire, une nouvelle lettre sur l’Eucharistie. Vous n’avez sûrement pas oublié celle qu’à l’occasion du Jubilé de l’An 2000 le P. Vecchi a écrite sur le sujet “pour redécouvrir le mystère eucharistique et sa signification dans notre vie et dans notre pastorale” 1. Je vous confie cependant que, depuis quelque temps déjà, je sens l’urgence de reprendre le sujet et de vous exposer mes préoccupations. Les motifs sont vraiment pressants.



1. “FAIRE L’EUCHARISTIE” AUJOURD’HUI



Nous sommes engagés, ô combien, à effectuer le “retour à Don Bosco”, à recouvrer avec créativité ses géniales options charismatiques, ses heureuses intuitions pédagogiques : comme je voudrais que dans la Congrégation – de mieux en mieux, de plus en plus – l’on vive de l’Eucharistie, célébrée avec régularité et reconnaissance, contemplée dans l’adoration personnelle et l’adoration communautaire ! Comment mieux annoncer la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’Il vienne, si ce n’est en mangant de ce pain et en buvant à ce calice, et en devenant nous-mêmes “pain rompu” pour les confrères et les jeunes et “sang répandu en libation”, pour qu’ils aient la vie en abondance ? (cf. 1 Co 11,26). Comment amener avec plus d’efficacité nos jeunes à connaître le Dieu qui nous a aimés le premier (cf. 1 Jn 4,8-9.19) et sans limites (cf. Jn 13,1) ?



1.1 L’Eucharistie dans le cheminement récent de l’Eglise


Source et sommet de la vie et de la mission de l’Eglise 2, le don de l’Eucharistie, qui “a toujours été religieusement gardée [] comme un trésor du plus haut prix” 3, a accompagné et encouragé le cheminement de renouveau que l’Eglise a effectué depuis Vatican II jusqu’à nos jours. Il aurait difficilement pu en être autrement : “la Célébration eucharistique est au centre du processus de croissance de l’Eglise” 4 ; en effet, “l’Eglise vit de l’Eucharistie []. Cette vérité n’exprime pas seulement une expérience quotidienne de foi, mais elle comporte le cœur du mystère de l’Eglise5.

Le Concile n’était pas encore conclu que déjà Paul VI avait publié l’Encyclique Mysterium Fidei (3 septembre 1965) sur la doctrine et le culte de la Sainte Eucharistie ; le Pape écrivait : “les Pères du Concile [] n’ont rien eu plus à cœur que de porter les fidèles à une participation active à la célébration eucharistique : les chrétiens se voient pressés d’apporter une foi entière et une dévotion profonde à ce mystère très saint” 6.

Mais c’est dans le long enseignement pontifical de Jean-Paul II qu’a été enregistrée “une extraordinaire concentration sur le sacrement de l’Eucharistie” 7. Dans les premières années de son enseignement pontifical il écrivit la Lettre apostolique Dominicae Cenae (24 février 1980), où il mettait en relief “certains aspects du mystère eucharistique et de son incidence dans la vie de qui en est le ministre” 8. Plus tard, “pour souligner [la] présence vivante et salvatrice [du Christ] dans l’Eglise et dans le monde”, Jean-Paul II voulut qu’à l’occasion du grand Jubilé eût lieu à Rome un Congrès eucharistique international ; il disait alors avec espérance : “l’An 2000 sera une année intensément eucharistique” 9. Trois ans après, en 2003, dans son Encyclique Ecclesia de Eucharistia (17 avril 2003) il tint à nous rappeler que “l’Eglise a le regard constamment fixé sur son Seigneur, présent dans le Sacrement de l’autel, dans lequel elle découvre la pleine manifestation de son immense amour” 10. L’année suivante, avec la Lettre apostolique Mane nobiscum Domine (7 octobre 2004), Jean-Paul II fixa un année entière pendant laquelle il voulut que l’Eglise fût “particulièrement attentive à vivre le mystère de la Sainte Eucharistie sur la route de nos interrogations et de nos inquiétudes, parfois de nos cuisantes déceptions” 11. Le Congrès Eucharistique International, qui a eu lieu du 10 au 17 Octobre 2004 à Guadalajara (Mexique) ; l’Assemblée ordinaire du Synode des Evêques sur le thème de l’Eucharistie : “L’Eucharistie : source et sommet de la vie et de la mission de l’Eglise”, qui s’est déroulée au Vatican du 2 au 23 octobre 2005 ; et la Journée Mondiale de la Jeunesse, qui fut vécue à Cologne (Allemagne) du 16 au 21 août 2005, pour faire de l’Eucharistie “le centre vital” autour duquel les jeunes devaient se recueillir “pour nourrir leur foi et leur enthousiame” 12 ont été les événements qui ont marqué cette Année de l’Eucharistie, avec laquelle culminait un parcours précis “dans la continuité du Concile et du Jubilé” 13.

Deux de ces initiatives, “développement naturel de l’orientation pastorale” que Jean-Paul II entendit donner à l’Eglise au commencement du Troisième Millénaire 14, ont été reprises de bon gré et menées à terme par Benoît XVI.

Sur l’esplanade de Marienfeld, pendant la veillée du 20 août 2005, le Pape appelait de nouveau les jeunes à l’adoration du mystère, avant de les inviter à participer au mystère et à se laisser transformer dans le Christ au cours de la célébration eucharistique du lendemain ; le Pape s’exprimait ainsi : “le pain et le vin deviennent son Corps et son Sang. Cependant, la transformation ne doit pas s’arrêter là, c’est plutôt à ce point qu’elle doit commencer pleinement. Le Corps et le Sang du Christ nous sont donnés afin que, nous-mêmes, nous soyons transformés à notre tour. Nous-mêmes, nous devons devenir Corps du Christ, consanguins avec Lui […]. L’adoration […] devient ainsi union. Dieu n'est plus seulement en face de nous, comme le Totalement Autre. Il est au-dedans de nous, et nous sommes en Lui” 15.

Benoît XVI, qui avait présidé en personne les moments de plus grande importance de l’Assemblée synodale, a ensuite publié l’Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum Caritatis (22 février 2007), pour “reprendre la richesse multiforme de réflexions et propositions apparues [], dans l’intention de développer certaines lignes fondamentales d’engagement, destinées à raviver dans l’Eglise un nouvel élan et une nouvelle ferveur eucharistiques” 16. Le Pape a donc accueilli et cité expressément de nombreuses interventions de valeur des Pères du Synode, en ajoutant : “j’entends mettre la présente Exhortation en relation avec ma première Encyclique Deus caritas est, dans laquelle j’ai parlé à plusieurs reprises du sacrement de l’Eucharistie pour souligner son rapport à l’amour chrétien, en référence soit à Dieu soit au prochain : « Le Dieu incarné nous attire tous à lui. A partir de là, on comprend maintenant comment agapè est alors devenue aussi un nom de l’Eucharistie : dans cette dernière, l’agapè de Dieu vient à nous corporellement pour continuer son œuvre en nous et à travers nous »” 17.

Le cheminement de l’Eglise, en ces dernières années, en particulier à partir de l’année du Jubilé, “a été sans aucun doute marqué par une tonalité fortement eucharistique” 18. Il n’aurait pas pu en être autrement : “l’Eucharistie est le Christ qui se donne à nous, en nous édifiant continuellement comme son corps. [] L’Eucharistie est donc constitutive de l’être et de l’agir de l’Eglise” 19 ; s’il est vrai que “l’Eglise vit du Christ eucharistique, par lui elle est nourrie, par lui elle est illuminée” 20, il est tout aussi vrai que “grâce à l'Eucharistie, l'Eglise renaît sans cesse de nouveau !” 21. L’Eglise ne peut pas demeurer fidèle à ses origines, et ne peut pas croître sans la célébration de l’Eucharistie : “plus vive est la foi eucharistique dans le peuple de Dieu, plus profonde est sa participation à la vie ecclésiale”. Bien davantage, “toute grande réforme est liée, d’une certaine manière, à la redécouverte de la foi en la présence eucharistique du Seigneur au milieu de son peuple” 22.



1.2 L’Eucharistie dans l’actuel cheminement de la Congrégation


Il y a quelques années, le P. Vecchi nous écrivait : “Pour nous aussi [], la rénovation personnelle et communautaire, spirituelle et apostolique [] comprend la redécouverte convaincue et joyeuse des richesses que nous offre l’Eucharistie et des responsabilités auxquelles elle nous appelle”. 23 Je fais miennes ses paroles et je vous les propose de nouveau comme un devoir inéluctable pour assumer et réaliser le programme spirituel et apostolique de Don Bosco qui, je le souhaite, nous assurera de “retrouver l’origine de notre charisme, le but de notre mission, l’avenir de notre Congrégation” 24.

Dans la lettre de convocation du prochain Chapitre Général je vous confiais justement qu’a “mûri en moi la conviction que la Congrégation a besoin aujourd’hui de réveiller le cœur de chaque confrère par la passion du « Da mihi animas »” et de reprendre ainsi “l’inspiration, la motivation et l’énergie pour répondre aux attentes de Dieu et aux besoins des jeunes” 25. Nos cœurs ne se réveilleront que s’ils réussissent vraiment à ressentir la passion de Dieu pour les siens, et même à la ressentir de conserve avec Lui. Et il n’y a pas de chemin plus indiqué et efficace que la célébration eucharistique ; car “l’Eucharistie n’est pas seulement source et sommet de la vie de l’Eglise ; elle est aussi source et sommet de sa mission []. Nous ne pouvons nous approcher de la Table eucharistique sans nous laisser entraîner dans le mouvement de la mission qui, prenant naissance dans le Cœur même de Dieu, veut rejoindre tous les hommes. La tension missionnaire est donc constitutive de la forme eucharistique de l’existence chrétienne” 26.

Sans vie eucharistique, il n’y a donc pas de vie apostolique. Don Bosco, “homme eucharistique” 27, est pour nous le modèle à imiter, la preuve décisive : “il a promis à Dieu que sa vie, jusqu’à son dernier souffle, serait pour les jeunes. Et il en fut vraiment ainsi. La participation sacramentelle au sacrifice du Christ conduit à nous identifier à ses sentiments apostoliques et au généreux don de soi pour les besoins du Royaume”. C’est ce qu’écrivait le P. Vecchi, un peu avant : “le point qui révèle plus que tout autre jusqu’à quel point le mystère eucharistique marque la vie de Don Bosco [] est sa relation avec la charité pastorale qu’il a exprimée dans la devise « Da mihi animas, cetera tolle ». Ces paroles [] expriment la résolution et le cheminement de Don Bosco pour se rendre semblable au Christ, qui offre sa propre vie au Père pour le salut des hommes” 28. Comme lui, le salésien tire de l’Eucharistie “réconfort et impulsion pour être, en notre temps également, signe de l’amour gratuit et fécond que Dieu a pour l’humanité” 29. Le regretté Jean-Paul II nous encourageait : “Gardez donc les yeux toujours tournés vers Don Bosco. Il vivait tout entier en Dieu et recommandait l’unité des communautés autour de l’Eucharistie” 30.

Si devenir missionnaires des jeunes, passionnés pour leur salut, nous pousse à vivre sur un mode eucharistique, être consacrés à Dieu, passionnés pour Lui, nous oblige à devenir des hommes de l’Eucharistie par “cohérence eucharistique, à laquelle notre existence est objectivement appelée” 31. Il est facile de le comprendre : “mémoire vivante du mode d’existence et d’action de Jésus comme Verbe incarné par rapport à son Père et à ses frères” 32, les personnes consacrées vivent pour faire une mémoire sacramentelle, donc efficace, du sacrifice du Christ ou, mieux encore, pour être mémoire du Christ qui se sacrifie et continue à se livrer pour nous et pour les autres à travers nous. L’efficacité sacramentelle de la mémoire eucharistique ne se limite pas à rappeler que Jésus s’est livré pour nous ; elle tend aussi, et ici est en jeu sa réelle efficacité, à ce que ceux qui font mémoire de Lui livrent leur propre vie. Comme tous les baptisés, mais d’une manière plus conforme et exigeante, les religieux, “participant au sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, [] offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle” 33 ; et c’est au moyen de cette offrande de soi qu’ils deviennent mémoire vivante du Christ : l’action de livrer leur vie répète, et précisément ainsi “rappelle”, le sacrifice du Christ. Les personnes consacrées vivent sur un mode eucharistique non pas tant si elles célèbrent souvent l’Eucharistie, mais parce qu’elles emploient leur vie pour les autres.

Nous salésiens, en tant que personnes consacrées qui ont choisi le Christ comme unique sens de leur existence, nous ne pouvons pas ne pas désirer d’établir avec Lui une communion existentielle plus totale, celle précisément qui se réalise dans le don de la propre vie. L’Eucharistie, célébrée dans le sacrement quand nous recevons le don du Corps livré de Jésus et, surtout, célébrée par la vie chaque fois que nous nous livrons corps et âme aux autres, “est le viatique quotidien et la source de la spiritualité des personnes et des Instituts. En elle, tout consacré est appelé à vivre le Mystère pascal du Christ, s’unissant à Lui dans l’offrande de sa vie au Père par l’Esprit” 34.

Chers confrères, je n’arrive pas à nous envisager comme des salésiens consacrés si nous ne réussissons pas à trouver “dans la célébration eucharistique et dans l’adoration la force pour suivre radicalement le Christ obéissant, pauvre et chaste” 35. Comment pourrions-nous répondre à notre vocation, personnelle et communautaire, si nous ne vivons pas de et pour l’Eucharistie ?



1.3 L’Eucharistie dans la vie des confrères


J’ai l’impression, je vous l’avoue avec un peu de préoccupation, que parmi nous tous n’ont pas réussi à accomplir le chemin que l’Eglise et la Congrégation attendaient de nous. A étudier les rapports des visites extraordinaires dans les Provinces, comme aussi lors de mes visites d’animation, je suis venu à connaître qu’il y a dans la Congrégation un certain déficit de vie eucharitique : c’est là une situation d’anomalie mais toutefois pas nouvelle ; le P. Vecchi, en effet, l’avait déjà identifiée et décrite avec soin 36 ; et, c’est là un exemple, même seulement à considérer la qualité de nos célébrations communautaires, il faisait allusion “à la confusion, à l’exaltation de la spontanéité, à la hâte, à la sous-évaluation des gestes et du langage symbolique et à la « laïcisation » du dimanche” 37.

Si cette perception que j’ai était exacte, il y aurait un motif fondé de préoccupation. Certes, nous n’avons pas l’apanage de cet état de choses : il concerne l’entière communauté chrétienne ; Jean-Paul II manifestait “une profonde douleur” face à tout cela et il écrivit justement l’Encyclique Ecclesia de Eucharistia pour “contribuer efficacement à dissiper les ombres sur le plan doctrinal et les manières de faire inacceptables, afin que l’Eucharistie continue à resplendir dans toute la magnificence de son mystère” 38. Mais, dans notre cas, une vie eucharistique ratée ou insuffisante frapperait en plein un élément fondamental du charisme salésien et de la pédagogie salésienne ; appelés comme nous le sommes, “tous et en toute occasion, à être des éducateurs de la foi [] nous cheminons avec les jeunes, pour les conduire à la personne du Seigneur ressuscité” (Const. 34).

Et nous savons bien que pour Don Bosco “c’est dans l’attrait et le désir de l’Eucharistie [] qu’il est possible de découvrir l’enracinement de la foi et de la charité, le goût pour les choses célestes, et comme conséquence, le degré de perfection chrétienne”. Jésus, surtout Jésus eucharistique, “domine la vie spirituelle de Don Bosco et du groupe qui le met en son centre []. C’est le Jésus avec lequel Don Bosco lui-même s’entretient dans sa visite quotidienne, faite l’après-midi à l’église ; le Jésus devant lequel il place ses jeunes en prière tandis qu’il se rend en ville pour quêter pour eux. Causant avec lui au cours des années de la vieillesse, alors qu’il ne réussit plus à garder le plein contrôle de lui-même, Don Bosco livre son affection et ses Messes sont baignées de larmes” 39.

En éducateur qu’il était, Don Bosco éleva au rang de “principe de pédagogie” 40 ce qui était sa conviction de foi et son expérience personnelle : “la confession fréquente, la communion fréquente, la messe quotidienne sont les colonnes qui doivent soutenir un édifice éducatif, dont on veut tenir éloigné la menace et le fouet” Et avec une perspicacité pédagogique il ajoutait : “ne jamais obliger les jeunes à la fréquentation des Sacrements sacrés, mais seulement les encourager et leur donner l’occasion d’en tirer profit” 41. Ces principes de pédagogie eucharistique furent appliqués “à la lettre” à Valdocco et imprégnèrent le système éducatif tout entier, en constituant pour lui “comme une orientation générale” 42.

Le déficit de vie eucharistique qui, à mon avis, peut se cacher et croître derrière une vie communautaire régulière et une pratique apostolique parfois frénétique, se manifeste, fondamentalement, en premier lieu, comme l’incapacité de faire de la célébration de l’Eucharistie “l’acte central et quotidien de chaque communauté [], vécu comme une fête” (Const. 88) et, en second lieu, dans l’absence de la “vénération pour le mystère de Dieu” 43, cette vénération qui naît dans la contemplation assidue de son amour sans limites révélé dans le Christ eucharistique, dont la présence “dans nos maisons est pour nous, fils de Don Bosco, motif de rencontres fréquentes avec” Lui (Const. 88). Le mystère eucharistique, cependant, “n’admet ni réduction ni manipulation ; il doit être vécu dans son intégrité, que ce soit dans l’acte de la célébration ou dans l’intime échange avec Jésus que l’on vient de recevoir dans la communion, ou encore dans le temps de prière et d’adoration eucharistique en dehors de la Messe. L’Eglise s’édifie alors solidement ” 44.

Déterminer les symptômes du malaise n’est pas encore diagnostiquer sa vraie cause. Personnellement je suis convaincu que les manques qui apparaissent dans notre pratique eucharistique sont inhérents, en un certain sens, à l’essence même du sacrement eucharistique, et croissent, et demeurent dans l’intimité de notre cœur. “La possibilité, pour l’Eglise, de « faire » l’Eucharistie est complètement enracinée dans l’offrande que le Christ lui a faite de lui-même []. Ainsi, dans chaque célébration, nous confessons nous aussi le primat du don du Christ []. Il est pour l’éternité celui qui nous aime le premier45. Cette “antériorité non seulement chronologique mais également ontologique” de l’amour de Dieu nous bouleverse. L’Eucharistie est un mystère parce qu’en elle nous est révélé un si grand amour (cf. Jn 15,13), un amour si divin que, dépassant nos capacités, il nous écrase et nous laisse abasourdis. Même si nous n’en sommes pas toujours conscients, d’ordinaire nous trouvons de la difficulté à recevoir le don de l’Eucharistie, l’amour de Dieu rendu manifeste lorsque nous est livré le corps du Christ (cf. Jn 3,16), geste qui va au-delà de notre capacité à accueillir et menace notre liberté ; Dieu est plus grand que notre cœur et parvient là où ne peuvent arriver nos meilleurs désirs.

Et c’est justement parce qu’ils considèrent comme impossible, pas raisonnable, démesurée, une telle volonté chez Dieu de se donner, que certains accumulent des excuses pour ne pas le recevoir dans la célébration sacramentelle et évitent de le contempler dans le silence d’adoration. Un amour aussi extrême nous épouvante, révèle la pauvreté radicale de notre être : le besoin profond d’aimer ne nous laisse pas de temps, ni d’énergies, pour nous laisser aimer. Et, ainsi, nous préférons être affairés, nous réfugier dans de nombreuses occupations pour les autres en leur donnant beaucoup de notre personne 46, et nous nous privons de l’émerveillement de nous savoir tellement aimés de Dieu. Nous en rendre compte nous obligerait à nous sentir, et à nous vouloir, débiteurs envers Dieu pour toujours : nous ne serions jamais quittes envers son amour, adoré dans la contemplation et reçu dans la communion eucharistique.



2. RAPPELANT L’EXPERIENCE DES DISCIPLES



Nous ne devons pas nous étonner. Cette incapacité n’est pas nouvelle ; elle est même plutôt naturelle chez celui qui suit Jésus de près. C’est celui qui la ressent – non pas celui qui s’en accomode ! – qui a la confirmation d’être un vrai disciple, car seul la perçoit celui qui reçoit le Christ, en corps et en sang, comme un don inattendu, gratuit et incompréhensible. Qui nous a dit qu’accepter le Christ, pain de vie, est une chose pacifique, que nous pouvons donner pour prévue, qui ne demande pas de préparation, qui n’entraîne pas des conséquences ? Rien de tout cela ! Ce n’est pas le témoignage qui ressort du Nouveau Testament.



2.1 La première défection des disciples (Jn 6,66-71) 47


Le quatrième évangile nous le rappelle. Lorsque Jésus, dans la synagogue de Capharnaüm, présenta son identité comme pain du ciel et offrit sa chair comme une vraie nourriture et son sang comme une vraie boisson (cf. Jn 6,55.59), “beaucoup de ses disciples”, pour la première fois, manifestèrent publiquement leur incapacité de “digérer ces paroles” (Jn 6,60).

Dans l’évangile selon saint Jean, ne l’oublions pas, les disciples commencent à suivre un Jésus qui passait, avertis par le Baptiste et curieux de connaître le lieu où il demeure (Jn 1,35-38) ; ils ne furent pas appelés personnellement par Jésus (Mc 1,16-20), c’est eux qui voulurent rester près de lui (Jn 1,39). Ils commencèrent à croire en lui seulement quand, le vin ayant manqué pendant des noces à Cana de Galilée, Jésus intervint pour le procurer en abondance aux invités (Jn 2,1-11). Cependant cette foi, née lors d’un banquet, mourut quand fut annoncé un autre, nouveau et merveilleux banquet au cours duquel Jésus ne serait plus maître de maison ni convive, mais nourriture et boisson servies à table. Jésus se révèle non pas tant comme quelqu’un qui donne à manger, mais comme quelqu’un qui se donne à manger (Jn 6,55-56).

Jésus fit cette promesse surprenante après avoir rassasié une foule considérable, “environ cinq mille hommes” (Jn 6,10), en se présentant, le lendemain, comme “le pain de vie” (Jn 6,35), précisément parce que, s’il est mangé, il fera vivre à jamais (Jn 6,58). A l’incrédulité des gens s’ajoutent le scandale des disciples et la défection de beaucoup 48. Pour la première fois, malheureusement pas la dernière, Jésus, pain du ciel, provoqua la désapprobation chez les siens et l’abandon d’un bon nombre : la fidélité de ceux qui le suivaient fut mise à l’épreuve quand Jésus leur annonça le don de son corps comme vraie nourriture et de son sang comme vraie boisson. Les disciples, qui avaient vu Jésus multiplier le pain (Jn 6,9-13) et marcher sur la mer (Jn 6,19), ne pouvaient pas comprendre que l’on parviendrait à la vie éternelle en se nourrissant de sa chair. Ainsi, tandis que Jésus annonçait qu’il se livrerait lui-même, les disciples murmuraient (Jn 6,61) et pour la plupart ils se retirèrent (Jn 6,66).

Un accident de parcours ? Absolument pas ! Ce langage (Jn 6,60a), l’offrande de soi, fut – et demeure – un véritable obstacle, une pierre d’achoppement, pour les plus intimes. Au disciple il deviendra toujours plus facile de suivre Jésus que de le manger ; il lui sera plus facile à digérer de l’accompagner que de l’avoir pour nourriture. Il ne fut pas suffisant au disciple d’alors, et il ne sera jamais suffisant, de suivre le maître ; il devra se nourrir de sa parole et de son corps. Que Jésus offre son corps comme vraie nourriture de vie (Jn 6,51-58) est dur, inacceptable, au point de mettre à l’épreuve notre capacité d’écoute.

L’évangéliste affirme que Jésus connaissait depuis le début l’inaptitude à la foi de beaucoup de ses disciples (Jn 6,60-66). La déception personnelle du disciple, qui conduit beaucoup d’abord à l’abandon et puis à la trahison, est expliquée théologiquement par Jésus. L’énigme de l’infidélité du disciple reçoit ainsi une réponse paradoxale : ne croit pas qui veut, mais croit celui à qui il est donné de croire ; la foi et la fidélité sont un effet de la grâce de Dieu (Jn 6,64-65). Et plus scandaleux encore : le simple fait de rester avec Jésus, la vie en commun avec lui ne suffiront pas ; en effet, l’évangéliste nous rappelle que, parmi ceux qui restèrent avec Jésus, il y avait même le traître. Et Jésus le savait (Jn 6,64 ; cf. 13,27) : celui qui ne lui a pas été livré par le Père (Jn 6,65), le livrera (Jn 6,70-71). Etre choisi personnellement par Jésus ne constitue même pas une sauvegarde contre la défection.

Mais là où est accompli l’abandon, là aussi la fidélité peut reprendre de la solidité. Les disciples seront incapables de comprendre et de rester fidèles, s’ils continuent à s’accrocher à leurs propres évidences, aux apparences superficielles ; croiront, au contraire, ceux auxquels cela aura été “donné par le Père” (Jn 6,65) : ne pourront se sentir attirés par Jésus, ni devenir convives avec lui ceux qui n’auront pas été conduits à lui par Dieu. Accueillir le Christ comme pain donné est un don du Père ; et seul le croyant qui se sait être un don de Dieu au Christ pourra manger le corps du Christ et boire son sang sans risquer sa vie.

La grâce de la fidélité a été accordée à quelques-uns, peu nombreux, les Douze 49, qui restent. Leur porte-voix, Simon-Pierre, reconnaît qu’ils ne savent pas où aller ; ils restent parce que – voilà le motif essentiel de la foi – seul Jésus a des paroles de vie, Lui seul promet la vie donnée sans fin (Jn 6,68). “Nous avons cru et nous avons connu” (Jn 6,69), dit-il au nom de tous ; parce que connaître Jésus s’opère dans le même temps que croire en lui : on le connaît en croyant, en lui faisant confiance ; et seul qui fait confiance reste fidèle ; il naît du vouloir de Dieu, qui nous a aimés, toujours, le premier. La fidélité devient possible seulement si on la reçoit comme une grâce.



2.2 L’abandon accompli par les Douze (Mc 14,17-31) 50


Une fidélité promise n’est pas encore une fidélité éprouvée. A Capharnaüm les Douze choisirent de rester avec Jésus ; mais, même s’ils avaient été avertis pendant la Cène, à Gethsémani “tous l’abandonnèrent et prirent la fuite” (Mc 14,50). Ils s’étaient engagés à rester avec celui qui s’était offert à eux comme pain de vie ; mais lorsque Jésus fit devenir réalité sa promesse (Mc 14,22-25), il dut annoncer la trahison de la part de l’un d’eux (Mc 14,17-21), le reniement d’un second (Mc 14,29-30) et le scandale de tous les autres (Mc 14,26-27).

Il est réellement tragique, et sur ce point tous les quatre évangiles sont d’accord, que l’infidélité des disciples, dans son annonce (Mc 14,17-21 ; Mt 26,20-25 ; Lc 22,14.21-23; Jn 13,21-30) et dans sa réalisation (Mc 14,26-42 ; Mt 26,30-46 ; Lc 22,33-34.40-46 : Jn 13,37-38), ait comme contexte un repas avec Jésus, la Cène (Mc 14,22-25 ; Mt 26,26-29 ; Lc 22,15-20), où Jésus mit à exécution sa promesse de se livrer comme pain et de se livrer vivant (Mc 14,22.24). L’annonce de la trahison dans un contexte semblable, en plus d’unir la mort de Jésus et l’Eucharistie, don de la vie et du pain de vie, entraîne, pour le fait que Jésus se livre lui-même sur la croix, d’être le dernier et le plus difficile des scandales auxquels les disciples devront faire face. Durant la Cène, la première Eucharistie, les ténèbres étaient encore dans le cœur des disciples : c’est seulement l’heure de la croix qui dissipera la nuit (Jn 13,1.27).


2.2.1 Suivre Jésus ne nous donne pas l’assurance de ne pas le trahir


Marc, le premier à rapporter la passion et la mort de Jésus, raconte la trahison de Judas en trois scènes échelonnées au long du récit du dernier jour de Jésus, avant sa mort (Mc 14,1-72). Avec une surprenante neutralité, le narrateur montre la volonté arrêtée de Judas de livrer Jésus aux autorités et l’engagement résolu de Jésus de se livrer lui-même. Le plan est conçu par “Judas Iscarioth, l’un des Douze”, qui s’offre aux grands prêtres “pour leur livrer Jésus [] et il cherchait une occasion favorable pour le livrer” (Mc 14,10). Jésus, “tandis qu’ils étaient à table et qu’ils mangeaient” (Mc 14,18), encore avant d’instituer l’Eucharistie (Mc 14,22-25), révèle la trahison prochaine et le traître. A Gethsémani ensuite, en pleine nuit, Judas se présentera avec “une bande armée de glaives et de bâtons” et paradoxalement il trahira Jésus par un baiser, comme s’il était son ami (Mc 14,43-49).

L’engagement pris de trahir Jésus ne porte pas Judas à renoncer à prendre place à table avec Jésus, et pas davantage le fait d’être convive à côté de lui (Mc 14,18) et d’avoir plongé la main dans le plat unique (Mc 14,20) ne le porte à renoncer à son projet (Mc 14, 45-46). Tandis que Judas se prépare à livrer Jésus, Jésus se livre lui-même aux siens dans le pain rompu et dans le vin versé, voilà donc qui est bien surprenant. Si la présence à la première célébration du repas eucharistique ne préserva pas Judas de la félonie par laquelle il trahit son Maître, la présence du traître n’empêcha pas Jésus de se livrer lui-même pour tous. Et cela veut dire que l’on peut, aujourd’hui comme hier, participer à l’Eucharistie et dans le même temps nourrir dans son cœur de la déloyauté et de la mauvaise foi. Judas avait, lui aussi, tout laissé un jour pour être avec Jésus (cf. Mc 3,13 ; 10,28) ; mais après il finit par le laisser entre les mains des ennemis pour de l’argent (Mc 14,11).

Mais l’état d’incertitude qui les habite tous est peut-être pire encore que la trahison de la part de l’un d’entre eux ; les autres disciples, une fois surmontée la surprise initiale, sont si incertains de leur fidélité qu’ils demandent à Jésus, l’un après l’autre, à propos du traître annoncé : “Serait-ce moi ?” (Mc 14,19). A la Cène tous reçoivent le pain qui est son corps et le vin qui est sang de la nouvelle alliance (Mc 14,22-23) ; pourtant l’un d’entre eux continue à penser à trahir Jésus et les autres ne sont pas sûrs de lui rester fidèles.

Ce passage de l’évangile selon saint Marc est véritablement bouleversant, et non seulement parce qu’il nous raconte ce qui est arrivé entre Jésus et ses amis, mais surtout parce qu’il reste actuel même aujourd’hui. Avoir été élu personnellement comme compagnon de Jésus (Mc 3,13), devenir convive à la table où Jésus sert un pain qui est son corps, cela ne constitue pas une garantie de fidélité. Les Douze, ceux qui sont restés avec Jésus parce qu’il avait des paroles de vie (Jn 6,68), s’écroulèrent tous en cette nuit de la Cène. Nous nous demandons : comment donc se fait-il qu’être avec lui n’est pas suffisant pour rester avec lui ? Comment donc se fait-il que manger avec lui ne suffit pas pour demeurer fidèle ?


2.2.2 Promettre beaucoup à Jésus ne nous affranchit pas du risque de le renier


Et n’est même pas suffisante la promesse qui exprime un amour enthousiaste, authentique certes, mais manquant de maturité. En effet, aussitôt après avoir fini de manger, l’Eucharistie étant désormais instituée, Jésus, sur le chemin vers le mont des Oliviers, annonça que Pierre le renierait à trois bonnes reprises (Mc 14,26-31) ; Pierre, cependant, affirmait le contraire avec insistance, et tous les autres disaient également la même chose (Mc 14,31). D’une part Jésus veut les prévenir, mais d’autre part ils s’obstinent à déclarer qu’ils sont prêts à tout, fût-ce à mourir avec le Maître. Et celui qui a le plus promis reniera le plus : c’est bien ce qu’il y a de plus dramatique.

Pierre, qui ne parle pas ici en tant que porte-voix des Douze, confirme son attachement personnel à Jésus : “Même si tous [], pas moi ” (Mc 14,29). Comptant sur ses forces, il croit pouvoir promettre fidélité, en convertissant son assurance en témérité ; il aime tellement son Seigneur, au point de ne pas vouloir écouter et accueillir ses prédictions : “Même s’il faut que je meure avec toi, non, je ne te renierai pas” (Mc 14,31). Il ne s’oppose pas à la mort de Jésus qui déjà avait été annoncée (Mc 8,32) ; au contraire, il se dit prêt à mourir à côté de lui. On pourrait difficilement imaginer un plus grand amour (cf. Jn 15,13) et une plus grande fidélité ; mais c’est justement ainsi qu’est mise en évidence la distance qui les sépare. Jésus sait que Pierre le reniera à plusieurs reprises ; à plusieurs reprises Pierre refuse d’accepter cet avertissement. Le disciple qui promet fidélité devrait se souvenir de Pierre : la fidélité est le fruit non pas des promesses mais de la grâce, car elle est la preuve de l’amour jusqu’à l’extrême.

Avec une adresse magistrale, Marc met en contraste les négations de Pierre dans la cour avec la confession de Jésus devant le Sanhédrin : dans un rapprochement avec Jésus, qui met sa vie en danger, Pierre nie tout pour la sauver (Mc 14,53-72). Le disciple, qui cherchait encore à suivre Jésus, ne réussit pas à faire face aux demandes de quelques serviteurs. Pierre, qui avait refusé d’abandonner Jésus, finira par nier avoir été l’un de ceux qui l’avaient suivi. Pierre personnifie ainsi ces disciples qui renient leur Seigneur pourvu qu’ils ne se renient pas eux-mêmes (cf. Mc 8,34) : une attitude tout autre qu’eucharistique !


2.2.3 L’alliance, trahie à peine établie, est cependant à rappeler


Avec le corps livré et le sang versé de Jésus l’alliance est scellée et le Royaume de Dieu est annoncé (Mc 14,24-25). L’alliance instaurée pendant la Cène ne se limite pas à ceux devant lesquels elle vient d’être contractée. Le sacrifice de Jésus est pour une multitude (Mc 14,24 ; Mt 26,28). Les Douze ont été les premiers, mais ne seront pas les seuls.

En racontant l’institution de l’Eucharistie, la tradition évangélique n’a pas voulu, pour notre avertissement, passer sous silence qu’avoir mangé et bu à table avec Jésus lors de la Cène fut suivi d’abandons aussitôt après (Mc 14,27.50). Avoir été dignes d’être les premiers à recevoir le corps et le sang de leur Seigneur ne les rendit pas tellement fidèles.

Le chemin de Jésus vers le calvaire commence non pas quand les ennemis l’arrêtent, mais quand les disciples l’abandonnent. La proximité de la croix révéla la faiblesse des disciples et la pauvreté des raisons qu’ils avaient de suivre Jésus. Aucun d’eux ne peut suivre Jésus et donner sa vie pour lui, si Jésus n’a pas livré la sienne pour eux. Cela, les Douze qui mangèrent avec Jésus ne le savaient pas quand il se donna à eux dans le pain et dans le vin ; mais ils pourront se rappeler, après la mort et la résurrection de Jésus, que livrer sa vie pour Lui est le devoir de celui qui l’a reçu à la table eucharistique.

C’est là, justement, la “mémoire” à faire (1 Co 11,24), le souvenir de Jésus à raviver continuellement jusqu’à ce qu’il vienne (cf. 1 Co 11,26). Et faire mémoire n’est pas une question de libre choix ; cela résulte d’un commandement précis de Jésus, transmis, avant qu’il ne se livrât, à ceux qui mangeaient avec lui. Jésus, tout en sachant que ses disciples ne seraient pas fidèles, les obligea néanmoins à faire mémoire de lui et de son geste. Pour le moins curieux, ce comportement de Jésus ! Il n’attend pas que les disciples restent fidèles pour leur commander de faire mémoire de lui. Mais c’est aussi une grâce : pour faire l’Eucharistie il n’y a pas besoin d’être parfait, il suffit de se sentir aimé par Jésus jusqu’à l’extrême.



2.3 Le geste de Jésus quand son heure est venue : aimer jusqu’à l’extrême (Jn 13,1-20) 51


De nouveau c’est le quatrième évangile qui nous offre la réponse. Un fait, singulier et pas encore expliqué, est bien connu : Jean ne nous a pas transmis dans son récit de la passion de Jésus les paroles de l’institution de l’Eucharistie, effectuée lors de la Cène, et il a préféré tout centrer sur l’accomplissement de l’heure de Jésus et de son amour jusqu’à l’extrême (Jn 13,1) “en donnant la prééminence à la relation de chaque croyant avec Jésus Christ52, une relation qui est illustrée dans le geste que le Maître accomplit en lavant les pieds de ses disciples “au cours d’un repas” (Jn 13,2). L’évangéliste révèle ainsi “le sens de l’Institution de la Sainte Eucharistie []. Jésus s’abaisse pour laver les pieds de ses disciples en signe de son Amour qui va jusqu’à l’extrême. Ce geste prophétique annonce son abaissement du lendemain jusqu’à la mort de la croix” 53.

Le geste de Jésus, inattendu et surprenant 54, ne peut être expliqué que par lui (Jn 13,6-20) ; et il donne cette explication avant même d’effectuer le lavement des pieds, dans un dialogue avec Pierre (Jn 13,6-11), et ensuite, assis de nouveau à table, en instruisant en Maître tous les disciples (Jn 13,12-20). Selon Jésus, le geste symbolise le don total de soi, l’amour jusqu’à l’extrême pour les siens 55, à présent qu’est venue l’heure de passer de ce monde au Père (Jn 13,1). L’amour pour les siens porte sa vie à une conclusion, puisqu’il la livre ; la vie donnée prouve que son amour est sans limites. Le lavement des pieds n’est pas autre chose qu’une illustration et un signe de cet amour dans une dernière expression (Jn 13,5). Et, en effet, l’action de Jésus, avant même d’être racontée (Jn 13,4-5), a déjà été définie comme étant un acte concret d’amour (Jn 13,1), de fidélité jusqu’à l’extrême (cf. Jn 10, 17-18).

Au moyen d’un humble acte de service rendu aux siens, Jésus constitue la communauté de ses disciples 56 : qui voudra avoir part avec lui devra se laisser servir comme un seigneur par son Seigneur (Jn 13,9.14). La “communion au Christ”, qui se réalise dans l’action de bénir le calice et dans celle de rompre le pain (1 Co 10,16), est présentée à ce moment-là comme un “avoir part” avec lui (Jn 13,8) ; le prix à payer est, précisément, de se laisser servir par le Maître et Seigneur lui-même. Les objections de Pierre sont plus que raisonnables (Jn 13,8), même s’il continue à ne pas comprendre et à penser d’une manière humaine (Jn 13,7 ; cf. 7,24 ; 8,15). Il cherche à refuser un geste qui ne convient pas, qui humilie son Seigneur (Jn 13,6) et qui est contraire à l’image, et aux désirs, qu’il nourrit envers lui (cf. Mt 16,22). Mais celui qui ne se laisse pas servir jusqu’à cette manière extrême – assure Jésus – risque de ne pas partager son sort (Jn 13,8). Le disciple n’accède à l’héritage de son Seigneur que s’il permet que ce Seigneur le serve.

Que Jésus parle sérieusement à Pierre devient évident d’après ce qu’il ajoute : on peut être lavé, mais non purifié (Jn 13,10 ; cf. 1 Co 11,26) ; on peut manger avec Jésus et lever le talon contre lui (Jn 13,18). La purification n’est pas automatique, on doit l’accepter, même si elle est réalisée au moyen d’un lavement de pieds empreint d’humiliation. Celui qui ne se laisse pas purifier par Jésus serviteur, celui qui ne l’accueille pas tel qu’il est lui, tel qu’il veut devenir pour nous (Jn 13,20), ne mérite pas de rester avec lui et sera exclu de la communauté des croyants (Jn 13, 27-30). Le traître reste impur, car il est incrédule, et il est incrédule parce qu’il n’accepte pas Jésus comme un don (Jn 13,11 ; 6,64.70.71). Celui qui ne se laissa pas servir par Jésus ne resta pas longtemps en communauté ; ou plutôt, il continua à manger la bouchée reçue de la main de Jésus, mais Satan fut sa nourriture (Jn 13,26-27a ; cf. Lc 22,3) ! C’est uniquement celui qui permet au Christ de se donner dans le pain eucharistique, c’est uniquement celui qui se laisse servir par son Seigneur, qui sera son compagnon, non seulement à table, mais pendant toute la vie. Judas sortit du Cénacle et ce qui se produisit alors ne fut pas fortuit : Jésus sentit qu’il “a été glorifié” (Jn 13,31) et il donne aux siens le commandement de s’aimer comme lui les a aimés (Jn 13,34-35). Jésus a donné le commandement de l’amour à ceux qui ont accepté d’être aimés jusqu’à l’extrême.

Quand il leur eut lavé les pieds et qu’il eut repris ses vêtements” (Jn 13,12a), Jésus s’assit, recouvra son autorité et se mit à donner un enseignement à ses disciples. Le geste accompli par lui ne doit pas rester exceptionnel, il est un modèle de conduite, une règle de comportement entre eux (Jn 13,12b-14). Jésus ne veut pas que ce geste reste un beau souvenir, il exige qu’on le transforme en loi de l’existence chrétienne. Le geste est plus qu’un signe, il est une démonstration de la nouvelle manière de vivre en commun la condition de disciple à la suite de Jésus : dans la vie chrétienne celui qui commande est au service de tous (Jn 13,15 ; 1 Jn 3,16).

Celui qui connaît sa situation de serviteur ne peut rêver de devenir un maître ; celui qui est conscient d’être envoyé ne peut éviter de se laisser envoyer ; le service mutuel n’est pas une option libre, il est une règle obligatoire de comportement pour les envoyés du Christ (Jn 13,16). L’accomplissement du service fraternel est, en plus, la joie du chrétien, sa béatitude (Jn 13,17). Il est remarquable que la première béatitude énoncée par Jean (cf. Jn 20,29) soit liée à un faire comme Jésus. Le geste singulier doit se convertir en pratique habituelle ; précisément parce qu’il ne s’agit pas d’un exemple à imiter, mais d’un don à accueillir. Le comme de l’action de Jésus fonde l’imposition : la personne de Jésus, un de ses gestes offrent la règle à suivre dans les relations interpersonnelles en communauté. Une communauté qui est née d’un acte de service de Jésus ne peut pas se maintenir en vie si en elle ce service n’est pas répété 57.

Et ainsi, le “faites ceci en mémoire de moi” (Lc 22,19 ; 1 Co 11,24), l’anamnèse eucharistique d’exécution obligatoire dans l’Eglise, devient chez Jean un “faites vous aussi comme moi” (cf. Jn 13,14-15). Le geste “eucharistique” qui doit être répété dans les communautés chrétiennes sera toujours de livrer sa propre vie jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême, geste rappelé soit dans la fraction du pain soit dans le service rendu aux frères. Pourquoi, alors, - oserais-je demander – le lavement des pieds n’est-il pas parvenu à devenir mémoire eucharistique du Seigneur Jésus jusqu’à ce qu’il revienne ? Le service rendu aux frères est aussi une façon efficace de faire mémoire du Christ. Vivre en servant les frères doit constituer l’autre forme efficace de rappeler le Christ eucharistique.



3. “DEVENIR EUCHARISTIE” AUJOURD’HUI



Repartir du Christ, le programme spirituel pour l’Eglise du Troisième Millénaire 58, doit être au “centre de tout projet personnel et communautaire”, rappelait aux religieux Jean-Paul II, et il ajoutait : “Rencontrez-le [] et contemplez-le de façon toute particulière dans l’Eucharistie, célébrée et adorée chaque jour, comme source et sommet de l’existence et de l’action apostolique” 59. Les raisons ne lui manquaient pas. En plus de devoir “adhérer toujours plus au Christ”, repartir de lui “signifie proclamer que la vie consacrée est [] « mémoire vivante du mode d’existence et d’action de Jésus »” 60.

Eh bien, je vous le répète, il n’y a aucune mémoire du Christ aussi efficace que la mémoire eucharistique : elle seule rend présent le Christ rappelé. C’est vrai, “dans la célébration eucharistique et dans l’adoration”, nous qui sommes consacrés, nous trouvons “la force pour suivre radicalement le Christ”. Mais pas seulement cela : le mystère de l’Eucharistie, “viatique quotidien et [] source de la spiritualité des personnes et des Instituts” 61, “nous attire dans l’acte d’offrande de Jésus. Nous ne recevons pas seulement le Logos incarné de manière statique, mais nous sommes entraînés dans la dynamique de son offrande” 62. Faire l’Eucharistie nous appelle de nouveau à “vivre le Mystère pascal du Christ, en nous unissant à Lui dans l’offrande de notre propre vie” ; c’est-à-dire que nous sommes invités à nous identifier à Lui, en faisant une mémoire vivante du Christ en livrant notre propre vie. “«  En effet, participant au Sacrifice de la croix, le chrétien communie à l’amour d’offrande du Christ, et il est habilité et engagé à vivre cette même charité dans tous les actes et tous les comportements de sa vie »” 63. Don Bosco l’exprimait par ces paroles qui nous sont si chères : «  Pour vous, j’étudie, je travaille, je me sanctifie » . “En définitive, « dans le culte lui-même, dans la communion eucharistique, sont contenus le fait d’être aimé et celui d’aimer les autres à son tour. Une Eucharistie qui ne se traduit pas en une pratique concrète de l’amour est en elle-même tronquée »” 64.

« Devenir eucharistie », c’est-à-dire don d’amour pour les autres” 65, est précisément “la contribution essentielle que l’Eglise attend” 66 de nous. Il ne nous sera pas possible de donner cette contribution à l’Eglise, si nous ne vivons pas en faisant l’eucharistie et en devenant eucharistie ; l’Eucharistie est, en effet, “à l’origine de toute forme de sainteté []. Combien de saints ont rendu leur vie authentique grâce à leur piété eucharistique !” 67, parmi lesquels, nous le savons bien, Don Bosco lui-même.

Pour mieux vous encourager à repartir du Christ Eucharistie sur le chemin vers notre sainteté, notre “tâche essentielle” 68, “le don le plus précieux que nous puissions offrir aux jeunes” (Const. 25), permettez-moi encore une réflexion sur l’essence de la vie consacrée et une existence eucharistique.

La vie consacrée trouve son identité quand elle reflète dans ses œuvres la mémoire vivante du mode d’existence et d’action de Jésus. S’il est typique de la personne consacrée de vivre les valeurs évangéliques de la même manière que celle dans laquelle Jésus les vécut, il est bien de souligner que ce Jésus, mort et ressuscité, nous le rencontrons vivant et présent dans l’Eucharistie : c’est pourquoi “de par sa nature, l’Eucharistie est au centre de la vie consacrée, personnelle et communautaire” 69. De plus, nous pourrions dire que la vie consacrée a une manière d’être pleinement eucharistique, si elle veut rester fidèle à elle-même. Dans l’Eucharistie, en effet, les personnes consacrées trouvent leur modèle et la réalisation parfaite des exigences fondamentales de leur vie.



3.1 La vie consacrée, “vie eucharistique”


Dans ce contexte” (celui de la spiritualité eucharistique et de la vie quotidienne) – et je cite une proposition, la 39ème, du récent Synode sur l’Eucharistie – “ resplendit le témoignage prophétique des personnes consacrées, hommes et femmes, qui trouvent dans la célébration de l’Eucharistie et dans l’Adoration la force de suivre le Christ de manière radicale, dans l’obéissance, la chasteté et la pauvreté. La vie consacrée y trouve la source de la contemplation, la lumière pour l’action apostolique et missionnaire, le sens ultime de son engagement auprès des pauvres et des exclus et le gage des réalités du Royaume”.

Quand le Synode parle ici de l’Eucharistie, il ne fait pas allusion, avant tout, au Sacrement en lui-même et ne considère pas seulement sa célébration liturgique, mais il envisage le fait qu’en elle nous trouvons, vivant et présent, Jésus Christ, précisément dans son existence dans le Mystère Pascal. En ce sens on comprend parfaitement l’affirmation de Jean-Paul II pour dire que l’Eucharistie du Christ a été reçue par l’Eglise “non comme un don, pour précieux qu’il soit parmi bien d’autres, mais comme le don par excellence, car il est le don de lui-même” 70.

En suivant la suggestion du Synode, je vous invite donc à contempler les éléments fondamentaux de la vie consacrée d’un point de vue eucharistique, à travers une image, qui est en même temps simple et suggestive : le cœur. La profession des conseils évangéliques, en tant que cœur de la vie consacrée, bat au rythme de deux mouvements : celui de la fraternité (systole) et celui de la mission (diastole) vécus tous les deux selon les différents charismes. Il me semble trouver, en effet, une ressemblance très profonde et significative entre les grandes dimensions de l’Eucharistie, en tant que “cœur de la vie ecclésiale” 71, et ce “cœur” de la vie consacrée que constitue la profession des conseils évangéliques. Comme l’affirme Jean-Paul II, l’Eucharistie “est à la fois et inséparablement le mémorial sacrificiel dans lequel se perpétue le sacrifice de la Croix, et le banquet sacré de la communion au Corps et au Sang du Seigneur” 72.


3.1.1 La vie consacrée, “mémorial” au moyen de l’obéissance


Mémoire vivante du mode d’existence et d’action de Jésus”, la vie consacrée “est tradition vivante de la vie et du message du Sauveur” 73.

Le concept de “mémorial”, nous le savons bien, n’indique pas une “répétition” de l’événement, et ne se limite pas simplement à “le rappeler”, mais le rend présent et actuel. Notre mentalité occidentale accepte avec difficulté cette actualisation d’un événement, même si elle s’avère fondamentale pour comprendre le sens de la fête dans les cultures traditionnelles 74.

Décrire le mémorial comme “actualisation de l’événement” peut se prêter à une certaine compréhension “mythique”, comme si l’histoire du salut n’était pas formée d’événements uniques qui ne se répéteront pas, y compris la mort du Seigneur (cf. He 7,27 ; 9,12 ; 10,10). Plus que d’un “événement qui devient actuel”, il serait préférable de parler de la présence vivante, réelle, du protagoniste de cet événement, Jésus Christ, mort et ressuscité. La vie consacrée ne peut être mémorial de Jésus Christ que si elle continue à rendre présente, dans tous les temps et dans tous les lieux, la même forme de vie. Et cela, précisément, constitue le noyau de l’obéissance consacrée et c’est ce que Don Bosco exprimait par sa phrase célèbre : “Je suis toujours prêtre…”.

Une lecture attentive de l’Exhortation apostolique Vita Consecrata laisse voir que le cœur et le centre des conseils évangéliques sont situés dans l’obéissance : cela ne fait pas autre chose que de refléter le témoignage de la tradition biblique. Dans l’Ancien Testament nous trouvons l’obéissance comme principale expression de la foi : les grands croyants sont, en conséquence, de grands obéissants. Sur le seuil du Nouveau Testament nous trouvons Marie, Celle qui crut et accepta pleinement de collaborer avec Dieu dans son projet de salut. Et surtout, la vie entière de Jésus, depuis son incarnation (cf. He 10,5.7 ; Jn 6,38), sa mission (cf. Mc 1,38 ; Lc 4,43 ; Jn 4, 34), et surtout sa passion (cf. Mc 14,36 ; Jn 12,27-28 ; He 5,7-9) est un parcours continu d’obéissance parfaite 75.

De plus, selon Vita Consecrata, aussi bien la virginité que la pauvreté sont, d’une certaine manière, la conséquence de l’obéissance : “Il est l’obéissant par excellence []. Telle est l’attitude de docilité au Père par laquelle, tout en approuvant et en défendant la dignité et la sainteté de la vie conjugale, le Christ assume la forme de vie virginale et révèle ainsi le prix extraordinaire et la merveilleuse fécondité spirituelle de la virginité. Sa pleine adhésion au dessein du Père se manifeste aussi dans son détachement des biens terrestres []. La profondeur de sa pauvreté se révèle dans la parfaite oblation au Père de tout ce qui lui appartient” 76.

La composante “mémorial” ne se réduit pas simplement à la célébration liturgique pendant laquelle on répète les paroles de Jésus “Ceci est mon corps livré pour vous” et, donc, ne consiste pas à refaire sous une forme sacramentelle un événement qui est arrivé une fois pour toutes, mais à le rendre présent dans l’Eucharistie (“faire l’Eucharistie”) et à devenir mémoire vivante de sa manière d’être et d’agir (“devenir Eucharistie”). L’acte par lequel le Christ se livre totalement trouve ici un prolongement dans la vie de chacune des personnes consacrées et ce prolongement s’accomplit au moyen du vœu d’obéissance. Le vœu d’obéissance est le vœu qui exprime le mieux cette totale appartenance à Dieu, cet acte par lequel on se livre totalement à Dieu jusqu’au point de n’avoir plus autre chose à réaliser qu’à ne faire plus qu’un avec la volonté du Père. Et alors la spiritualité eucharistique n’est pas seulement célébrer l’Eucharistie avec décorum, avec dévotion. Elle doit se traduire dans une vie d’obéissance, là où on fait vraiment le mémorial du Christ et où nous devenons une mémoire vivante de lui.


3.1.2 La vie consacrée, “sacrifice” au moyen de la chasteté


La deuxième grande dimension de l’Eucharistie est le sacrifice. Ce n’est pas ici le cas d’entrer dans la discussion pour étudier si la réforme postconciliaire a mis dans l’ombre, voire écarté, le caractère sacrificiel de la célébration eucharistique 77. Les témoins bibliques, tant dans la tradition synoptique que dans la tradition paulinienne, sont d’accord pour attester que :

  • Jésus a établi un parallèle entre le pain rompu et son corps (Mc 14, 22 ; Mt 26,26 ; Lc 22,19 ; 1 Co 11, 24) ;

  • Jésus a défini une comparaison entre le vin (qui devait être bu pendant la cène pascale) et son sang, en ajoutant qu’au moyen de son sang la Nouvelle Alliance se réalise (Mc 14,24 ; Mt 26,28 ; Lc 22,20 ; 1 Co 11,25) ;

  • la présence dans les cinq textes de la préposition pour dirige toute l’attention sur ceux “pour qui” a été livré le corps et a été versé le sang (Mc 14,24 ; Mt 26,28 ; Lc 22,19.20 ; 1 Co 11,24) 78.

L’histoire récente sur le sens sacrificiel de l’Eucharistie – dérivé, évidemment, du Mystère Pascal – nous laisse un enseignement enrichissant ; ce n’est pas la souffrance, mais c’est l’amour qui est le centre de la rédemption en tant qu’œuvre du Père, par l’intermédiaire du Christ, dans l’Esprit : Jésus peut donner sa vie, comme expression la plus forte de son amour, comme son don le plus grand ! “Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis” (Jn 15,13).

On a l’habitude d’affirmer que l’Eucharistie est “mémorial” de la mort et de la résurrection du Seigneur, mais cela n’est pas exact si l’on fait allusion à la première Eucharistie, à la Cène. En réalité elle ne fut pas seulement anámnesis (mémoire) mais prolepsis (anticipation) : elle précède, en en donnant le plein sens, ce qui se produirait sur le Golgotha. “A cet acte d’offrande, Jésus a donné une présence durable par l’institution de l’Eucharistie au cours de la dernière Cène. Il anticipe sa mort et sa résurrection en se donnant déjà lui-même, en cette heure-là, à ses disciples, dans le pain et dans le vin, son corps et son sang comme nouvelle manne” 79.

Sans la célébration de la Cène, nous n’aurions pas la plus forte et plus immédiate preuve du sens que Jésus voulut donner à sa mort. Dit avec d’autres paroles : le “sacrifice sans effusion de sang” (par amour) précède le “sacrifice avec effusion de sang” (la mort de Jésus sur la croix). Cet aspect fondamental de l’Eucharistie en tant que sacrifice comme expression suprême de l’amour de Jésus pour nous, est en intime relation avec la chasteté consacrée.

L’être humain est appelé à se réaliser dans l’amour, et cela, dans l’expression pleine de l’acte par lequel on se livre, implique le don total du corps. La forme habituelle de cet acte par lequel on se livre est le “langage” sexuel ; en lui le corps est protagoniste, bien que reste toujours caché le danger que ne soit pas impliqué le don total de la personne et, dans ce cas, il deviendrait mensonge, vu que par sa nature cet acte par lequel on se livre est porteur d’une exclusion possible et effective 80. L’acte sexuel par lequel on se livre n’est pas, ici, l’unique manière de livrer son corps pour exprimer l’amour ; en Jésus nous trouvons, dans l’acte eucharistique par lequel il se livre, l’expression de l’amour la plus profonde, car ici le corps est le signe et l’instrument de l’acte par lequel la personne se livre, le corps est le véritable protagoniste de l’amour et n’a pas, en outre, de limites d’extension : il est “pour la multitude”. Jésus ne vit pas d’un “point de vue sexuel” son amour et l’acte par lequel il se livre totalement ; il les vit d’un point de vue eucharistique.

Voici, pour nous personnes consacrées, le chemin spécial grâce auquel nous vivons, en plénitude, notre amour et l’acte, qui en découle parce que cet amour l’implique, par lequel nous nous livrons : nous nous abstenons de livrer notre corps et nos affections à une seule personne, pour nous donner totalement à tous. Sans doute ici aussi, on peut s’exposer au danger “symétrique” par rapport à l’acte sexuel par lequel on se livre : en ce dernier on pouvait livrer le corps sans livrer la personne ; ici peut se présenter un acte faussé par lequel on livre la personne, faussé car effectué sans l’acte par lequel on livrerait totalement le corps, sans “cette consommation et cette usure” même physiques, qui de l’amour vécu d’un point de vue eucharistique sont l’expression authentique à laquelle on ne peut renoncer.

De cette manière se réalise donc la double dimension de la chasteté consacrée, la “systole” de la vie en fraternité et la “diastole” de l’acte par lequel on se livre totalement dans la réalisation de la mission. “Dans l’Eucharistie, la virginité consacrée trouve inspiration et nourriture pour sa donation totale au Christ” 81 ; l’Eucharistie est, aussi, source et sommet de la vie et de la mission de l’Eglise parce que “nous ne pouvons garder pour nous l’amour que nous célébrons dans ce Sacrement. Il demande de par sa nature d’être communiqué à tous” 82. Dans les deux directions, comme expression d’un amour agapè, qui n’ignore pas la réalisation de l’eros, mais qui l’assume de manière qu’il se convertisse en un amour perceptible, affectueux, et pas seulement en objet de foi, car alors il est impossible de le voir 83.


3.1.3 La vie consacrée, “banquet” au moyen de la pauvreté


Voyons, pour finir, la vie consacrée sous la perspective de l’Eucharistie considérée comme un banquet. Du point de vue anthropologique, c’est l’un des thèmes bibliques les plus suggestifs : “manger ensemble” constitue, pour les cultures traditionnelles de toutes les latitudes, l’une des expériences de vie en commun, et, en même temps, de “fraternité” les plus intenses et les plus significatives : “la communauté de table est une communauté de vie” 84.

Un des traits les plus caractéristiques du ministère de Jésus fut, précisément, d’avoir placé dans sa pratique habituelle le fait de manger ensemble, en particulier avec les petits, les pauvres, les marginaux et, surtout, les “publicains et les pécheurs” (Lc 5,29-30 ; 15,2). En admettant les personnes proscrites, proscrites pour des motifs religieux et moraux, de la communauté de la table, Jésus signifiait que Dieu trouve de la joie à offrir le salut aux pécheurs et à leur accorder son pardon 85.

Non seulement dans les actions de Jésus, nous rencontrons le banquet comme expression de l’approche salvifique de Dieu ; il apparaît aussi dans sa prédication, surtout dans les paraboles comme symbole privilégié du Royaume (Mt 8,11 ; 22,1-14 ; Lc 12,35-37 ; 14,12-24 ; 15,23-32 ; 19,5-10). Il y a dans ces paraboles un donné fondamental, que difficilement on trouvera dans d’autres attitudes de Jésus, et c’est la gratuité absolue de Dieu pour inviter au banquet. Personne n’est digne de participer à ce banquet ; c’est pourquoi, la meilleure attitude est celle du petit enfant (cf. Mc 10,15), qui reçoit avec joie et gratitude ce qui lui est donné, parce qu’il ne le mérite pas ; c’est l’attitude du pauvre, de l’indigent, du laissé-pour-compte, de celui qui est là dans la rue et sur les places parce qu’il n’a pas où vivre (cf. Lc 14,21 ; Mt 22,8-10). Au contraire, celui qui s’en tient aux règles rigides de la “justice” s’indignera, et il ne voudra même pas entrer au banquet de la fête pour le retour de son frère (cf. Lc 15,25-32), ou aura tant d’engagements qu’il refusera avec orgueil une invitation aussi gratuite qu’intempestive (cf. Lc 14,18-20).

Dans la vie religieuse prise dans sa signification la plus vraie, dans la vie de pauvreté, le banquet apparaît non pas au niveau d’un manque naturel ou d’une privation volontaire, mais au niveau d’un partage de ce qu’on est et de ce qu’on a, au niveau de quelque chose de totalement gratuit ; il en va tellement ainsi que le premier récit de l’institution de l’Eucharistie (1 Co 11,17-34) a comme Sitz im Leben [“place dans la vie” = contexte vécu] une situation de la communauté dans laquelle on célébrait la Cène du Seigneur sans partager les biens personnels avec celui qui en avait besoin ; les Corinthiens étaient loin de l’idéal décrit par Luc à propos de la communauté dans laquelle “tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et mettaient tout en commun []. Unanimes, ils se rendaient chaque jour assidûment au Temple ; ils rompaient le pain à domicile, prenant leur nourriture dans l’allégresse et la simplicité de cœur (Ac 2,44.46 ; cf. 4,32).

La pauvreté de la personne consacrée n’exprime aucune espèce de refus des biens matériels, et n’envisage pas que le dépouillement complet de tout bien soit un idéal à atteindre, comme il peut l’être dans certains types de religiosité orientale. Le pauvre, parce que croyant, accepte avec simplicité et sobriété les dons de Dieu, les partage comme une expression de son amour, dans un double mouvement : à l’intérieur de la communauté fraternelle, dans le partage total de ses biens, et, vers l’extérieur, dans l’invitation à participer à ce “banquet du Royaume” avec une prédilection évangélique, option du Dieu révélé, pour ceux qui le plus sont pauvres et abandonnés, pour les marginaux, pour les pécheurs, pour tous ceux qui sont humainement insignifiants. Ce n’est pas l’invitation adressée aux amis et aux parents (cf. Lc 14,12-13 ; Mt 5,46-47), qui n’aurait certes rien de mal ; mais qui ne devient pas “signe évangélique”, et ne provoque pas le scandale salutaire, car “les païens n’en font-ils pas autant ?” (Mt 5,47). La pauvreté évangélique devient liberté pour pouvoir aller inviter ceux qui éloignés du banquet du Royaume, devient l’ardeur missionnaire qui naît seulement dans le cœur du pauvre, qui littéralement “n’a rien à perdre” et tout à gagner … pour le Christ et son Royaume.



3.2 Le salésien, homme de l’Eucharistie


Entre le mystère de l’Eucharistie et la vie consacrée il y a une relation si intime que l’une ne trouve pas d’explication ni de fondement sans l’autre. Celui qui est une personne consacrée, s’il veut être et rester tel, doit devenir un homme de l’Eucharistie ; la consécration religieuse, en effet, a “une structure eucharistique : elle est un total don de soi” et, c’est précisément pourquoi, ce don reste “étroitement associé au sacrifice eucharistique” 86.

Après avoir affirmé que l’Eucharistie est centrale pour chacun de nous et pour la Congrégation, je voudrais faire allusion, même si c’est brièvement, à la manière dont elle, qui “est le viatique quotidien et la source de la spiritualité”, construit “la forme eucharistique de l’existence” 87, car elle favorise l’union dans la conformité avec le Christ, en ce sens qu’elle nous fait devenir des personnes eucharistiques. Je pars de la dynamique interne du Sacrement lui-même, qui porte de la célébration d’un rite à l’union dans la conformité avec le mystère ; de l’adhésion effective, la plus intense qui peut se présenter lorsqu’on livre sa vie, à l’adoration du Seigneur crucifié et ressuscité présent dans l’Eucharistie ; de la contemplation du Christ livré à la mission de se transformer en pain rompu pour les autres.


3.2.1 De la célébration à l’union dans la conformité


Dans l’eucharistie, “l’acte central et quotidien de chaque communauté salésienne” (Const. 88), “se révèle le dessein d’amour qui guide toute l’histoire du salut (cf. Ep 1,10 ; 3,8-11). En elle, le Deus Trinitas, qui en lui-même est amour (cf. 1 Jn 4,7-8), s’engage pleinement avec notre condition humaine. Dans le pain et dans le vin [], c’est la vie divine tout entière qui nous rejoint et qui participe à nous sous la forme du Sacrement. [] Il s’agit d’un don absolument gratuit, qui répond seulement aux promesses de Dieu, accomplies au-delà de toute mesure” 88.

Celui qui célèbre l’Eucharistie non seulement proclamera avec émerveillement et reconnaissance la primauté absolue du don du Christ, mais il permettra aussi à son Seigneur d’entrer dans sa vie, ce qui veut dire “se laisser prendre par l’amour de Dieu” 89. Dans le Christ eucharistie Dieu n’est pas possédé comme une idée abstraite, pas même comme un programme de vie, mais comme “Quelqu’un avec qui on cultive une relation personnelle forte et empreinte d’amitié, filiale, adulte et responsable, une relation d’alliance et d’engagement inconditionné dans la mission de sauver l’humanité” 90. Et c’est ainsi que “peut pleinement se réaliser l’intimité avec le Christ, l’identification à lui, le désir d’être totalement configurés à lui, auxquels les personnes consacrées sont appelées par vocation” 91 : “la vérité de l’amour de Dieu, manifesté dans le Christ, nous rejoint, nous fascine et nous emporte, nous faisant sortir de nous-mêmes et nous attirant ainsi vers notre vocation véritable : l’amour” 92.

Rejoint par l’amour, aimé personnellement par Lui, le salésien devient capable d’aimer et de se livrer lui-même, d’abord à Dieu, puis avec Dieu aux autres. Et, dans cet acte par lequel il se livre lui-même, il s’identifie au Christ, parce qu’en communiant avec son Corps et son Sang, il s’approprie cette forme eucharistique d’existence qui a caractérisé la vie et la mort de Jésus. Donc, célébrer l’Eucharistie quotidiennement, “même si les chrétiens ne peuvent y être présents” 93, a, en plus de sa valeur objectivement infinie, une singulière efficacité spirituelle ; C’est précisément pourquoi le CG25 nous poussait à développer la dimension communautaire de notre vie spirituelle en célébrant “l’Eucharistie quotidienne avec joie, créativité et enthousiasme” 94. La célébration de l’Eucharistie “est formatrice dans le sens le plus profond du terme, en tant qu’elle promeut la conformation au Christ” 95. Comme a osé dire saint Augustin : “non seulement nous sommes devenus chrétiens, mais nous sommes devenus le Christ lui-même”. Car, dans le pain et le vin eucharistiques, “le Christ Seigneur a voulu nous confier son corps et son sang, qu’il a versé pour nous pour la rémission des péchés. Si vous l’avez bien reçu, vous êtes vous-mêmes ce que vous avez reçu” 96.

Mais précisément parce que, dans l’Eucharistie célébrée “en obéissance au commandement du Christ”, Dieu nous livre son Fils, “la liturgie eucharistique est essentiellement actio Dei”, et “son fondement n’est pas à la disposition de notre arbitraire et il ne peut subir la pression des modes du moment” 97. Seul le respect, empreint de docilité, envers la structure propre de la célébration fera que nous reconnaîtrons d’une manière effective le don ineffable et que sera authentique notre engagement à l’accueillir avec gratitude. Il n’est pas pensable que celui qui veut s’identifier avec le Christ qui se donne totalement à lui, célèbre l’Eucharistie sans porter attention à sa configuration rituelle. Il n’y a pas de doute : “l’ars celebrandi est la meilleure condition pour une actuosa participatio98.


3.2.2 De l’union dans la conformité à l’adoration


Le défi pour vivre “l’adhésion qui est « configuration » de toute l’existence au Christ99 réside, précisément, dans le comment : comment faire pour que le rite que nous célébrons chaque jour “comme une fête” (Const. 88) ne soit pas réduit à une mímesis [imitation] de ce qui se produisit au Cénacle, en répétant les mêmes gestes extérieurs de Jésus, mais soit une véritable anámnesis, qui fait mémoire tout en actualisant et en rendant présent le fait rappelé ? C’est possible dans la mesure où la célébration conduit à la contemplation du mystère qu’on actualise. En effet, “l’adoration eucharistique n’est rien d’autre que le développement explicite de la célébration eucharistique, qui est en elle-même le plus grand acte d’adoration de l’Eglise. Recevoir l’Eucharistie signifie se mettre en attitude d’adoration envers Celui que nous recevons” 100.

La contemplation porte nécessairement à l’émerveillement pour le don que Dieu nous a fait dans le Christ, à la stupéfaction de celui qui sent qu’il est aimé d’une telle manière et d’une telle mesure qu’il ne peut pas s’expliquer et ne sait pas remercier comme il conviendrait. “C’est à peine – affirmait Paul dans son étonnemment - si quelqu’un voudrait mourir pour un juste []. Mais en ceci Dieu prouve son amour envers nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs” (Rm 5,7-8). Celui qui voit qu’il est aimé d’une manière si divine n’a pas d’autre issue que de se laisser aimer sans limites et il parviendra à se donner jusqu’à l’extrême. Un amour aussi grand ne se mérite pas, ne se comprend pas ; on l’admire et on tombe en adoration dans un silence de reconnaissance.

Adorer Dieu n’est pas “voir le monde qui nous entoure comme la matière brute avec laquelle nous pouvons faire quelque chose”, mais “découvrir en celui-ci la « calligraphie du Créateur », la raison créatrice et l’amour dont le monde est né et dont nous parle l’univers []. Avant toute activité et toute transformation du monde, il doit y avoir l’adoration. Elle seule nous rend véritablement libres ; elle seule nous donne les critères pour notre action. Précisément dans un monde où les critères d’orientation viennent progressivement à manquer et où existe la menace que chacun fasse de soi-même son propre critère, il est fondamental de souligner l’adoration”. Mais pour le chrétien adorer Dieu est, surtout, adorer son Seigneur, “présent dans l’Eucharistie en chair et en sang, corps et âme, avec sa divinité et son humanité”. Dans l’Eucharistie le Christ n’est pas seulement pain pour être mangé, mais il est amour pour être contemplé ; ou mieux, sans l’amour donné le signe eucharistique n’aurait pas de raison d’être et ne reposerait sur rien. “De fait, dans l’Eucharistie nous ne recevons pas simplement une chose quelconque. Celle-ci est la rencontre et l’unification de personnes ; cependant, la personne qui vient à notre rencontre et qui désire s’unir à nous est le Fils de Dieu. Une telle unification ne peut se réaliser que selon la modalité de l’adoration. Recevoir l’Eucharistie signifie adorer Celui que nous recevons. Ce n’est qu’ainsi, et seulement ainsi, que nous devenons une seule chose avec Lui” 101. “Que personne – a écrit saint Augustin – ne mange cette chair sans auparavant l’adorer, [] nous pécherions si nous ne l’adorions pas” 102.

Quant à nous, “appelés par [notre] consécration même à une contemplation plus prolongée [] Jésus dans le Tabernacle [nous] attend auprès de lui, pour déverser dans [nos] cœurs l’expérience intime de son amitié, qui seule peut donner sens et plénitude à [notre] vie” 103 et à notre mission. Comme je voudrais, donc, chers confrères, que chez nous on renforce et, là où c’est nécessaire, on retrouve cette dévotion eucharistique, simple mais efficace, si salésienne, qui a dans la visite et dans l’adoration du Saint Sacrement une des expressions les plus précieuses et les plus traditionnelles ! Et pas seulement parce que je voudrais que nous nous laissions modeler par la présence réelle du Seigneur rencontré dans l’adoration, mais parce que cela répond à un trait caractéristique de notre vécu charismatique.

Comme nous le savons tous bien, la fréquentation du Saint Sacrement était une des pratiques de piété que la “pédagogie eucharistique” 104 de Don Bosco privilégiait dans l’éducation de ses jeunes, et dans la formation spirituelle des salésiens. Si, sur Dominique Savio, il écrivit que “c’était pour lui un vrai délice de pouvoir passer quelques heures devant Jésus présent dans le Saint Sacrement” 105, aux confrères, pendant une Retraite Spirituelle à Trofarello en 1868, il recommandait la visite au Saint Sacrement parmi les pratiques quotidiennes : “que l’on aille au pied du Tabernacle dire seulement un Pater, Ave et Gloria au cas où l’on ne pourrait pas davantage. Cela suffit pour nous rendre forts contre les tentations” 106. “La présence de l’Eucharistie dans nos maisons est pour nous, fils de Don Bosco, motif de rencontres fréquentes avec le Christ”. Est-ce en Lui, le Christ eucharistique visité avec assiduité, que nous “puisons dynamisme et constance dans notre action pour les jeunes” ? (Const. 88). C’est ainsi que nous serons “en mesure de vaincre toutes les tensions qui [nous] dispersent tout au long de [nos] journées, trouvant dans le Sacrifice eucharistique, vrai centre de [notre] vie ” et de notre mission, “l’énergie spirituelle nécessaire pour affronter [nos] diverses tâches pastorales. Ainsi, [nos] journées deviendront vraiment eucharistiques” 107.


3.2.3 De l’adoration à la mission


La raison de cela, chers confrères, la voici : si “ce n'est que dans l'adoration que peut mûrir un accueil profond et véritable” du Christ eucharistique, “c’est précisément dans cet acte personnel de rencontre avec le Seigneur que mûrit ensuite également la mission sociale qui est contenue dans l'Eucharistie” 108. Celui qui adore l’amour de Dieu dans l’Eucharistie sent qu’il est aimé, fait l’expérience de l’amour reçu, ce qui engendre la force de donner la vie dans la mesure du Christ adoré et reçu dans la sacrement. “L’agapè de Dieu vient à nous corporellement pour continuer son action en nous et à travers nous” 109 ; l’amour, avant d’être commandé, a été donné ; et parce que donné, il peut être demandé.

Comment célébrer dignement l’acte par lequel le Christ livre sa chair pour une multitude et s’identifier seulement à Lui, en maintenant ensuite l’indifférence les uns envers les autres ? Comment recevoir de Dieu son don par excellence, le Christ eucharistique, sans puiser la capacité de donner sa propre vie pour beaucoup ? Comment adorer le Christ présent dans le sacrement et ne pas renouveler l’engagement de donner la vie dans le service de ceux qui sont le plus dans le besoin ? Une dévotion vidée de dévouement trahit l’esprit et la lettre de l’Eucharistie chrétienne.

L’adoration conduit au désir de répondre avec le même amour, extrême (Jn 13,1), et produit comme fruit la conversion de la personne ; il y a un lien étroit “entre forme eucharistique de l’existence et transformation morale. [… «] en effet, participant au Sacrifice de la croix, le chrétien communie à l’amour d’offrande du Christ, et il est habilité et engagé à vivre cette même charité dans tous les actes et tous les comportements de sa vie » ” 110. Le croyant qui se laisse donner le Christ, se convertit en quelqu’un qui est à table avec lui ; et, devenu ainsi quelqu’un qui est à la table, il se transforme, lui-même aussi, par identification, en pain rompu pour la vie du monde, en rendant actuel dans son corps ce qui manque à la passion du Seigneur (cf. Col 1,24).

Ainsi, l’identification la plus parfaite avec le Christ se produit quand celui qui sent qu’il est aimé par Lui aime à son tour les autres : “Une Eucharistie qui ne se traduit pas en une pratique concrète de l’amour est en elle-même tronquée” 111. Ne nous faisons pas d’illusions : “c’est à l’amour mutuel et, en particulier, à la sollicitude que nous manifesterons à ceux qui sont dans le besoin que nous serons reconnus comme de véritables disciples du Christ (cf. Jn 13,35 ; Mt 25,31-46). Tel est le critère qui prouvera l’authenticité de nos célébrations eucharistiques” 112. Ne serait pas authentique la participation à l’Eucharistie qui ne pousserait pas à s’engager effectivement dans l’édification d’un monde plus fraternel et solidaire ; car, précisément, dans l’Eucharistie, “notre Dieu a manifesté la forme extrême de l’amour, bouleversant tous les critères de pouvoir qui règlent trop souvent les rapports humains, et affirmant de façon radicale le critère du service” 113.

L’émerveillement pour le don que Dieu nous a fait dans le Christ” nous engage “à être témoins de son amour”. Et nous le devenons, “lorsque, par nos actions, nos paroles et nos comportements, un Autre transparaît et se communique”, le Christ. Se nourrir de Lui conduit naturellement à en être les témoins par notre vie ; le témoignage qui a pris sa source dans notre façon eucharistique de vivre, de devenir eucharistie, peut arriver “jusqu’au don de soi-même, jusqu'au martyre” : il s’agit alors d’un témoignage qui “a toujours été considéré dans l’histoire comme le sommet du nouveau culte spirituel” 114. “En effet, nous ne pouvons garder pour nous l’amour que nous célébrons dans ce Sacrement. Il demande de par sa nature d’être communiqué à tous. [] C’est pourquoi l’Eucharistie n’est pas seulement source et sommet de la vie de l’Eglise ; elle est aussi source et sommet de sa mission : « Une Eglise authentiquement eucharistique est une Eglise missionnaire » []. Nous ne pouvons nous approcher de la Table eucharistique sans nous laisser entraîner dans le mouvement de la mission qui, prenant naissance dans le Cœur même de Dieu, veut rejoindre tous les hommes. La tension missionnaire est donc constitutive de la forme eucharistique de l’existence chrétienne” 115.

Nous devrions nous demander sérieusement, chers confrères, d’où naît en nous, et comment la faire renaître, la charité apostolique, “marquée par le dynamisme juvénile qui se manifestait avec tant de force dans notre Fondateur et aux origines de notre Société” (Const. 10). Si notre mission ne jaillit pas de sa source, “le cœur même du Christ, apôtre du Père” (Const. 11), révélé et adoré dans l’Eucharistie, elle n’aura ni efficacité ni avenir.



Conclusion



Je veux conclure en vous confiant à Marie, maîtresse de spiritualité eucharistique. Même si à première vue les évangiles ne parlent pas sur ce sujet, “Marie peut [] nous guider vers ce très saint Sacrement, car il existe entre elle et lui une relation profonde”. Il est vrai, comme l’affirme Jean-Paul II, que, “dans le récit de l’institution, au soir du Jeudi saint, on ne parle pas de Marie”. En réalité il n’y en avait pas le besoin. Et cela parce que, au-delà d’une incertaine participation de sa part au banquet eucharistique, “on peut deviner indirectement le rapport entre Marie et l’Eucharistie à partir de son attitude intérieure. Par sa vie tout entière, Marie est une femme « eucharistique »116. Bien plus, “en un sens, Marie a exercé sa foi eucharistique avant même l’institution eucharistique” ; elle accueillit dans la foi le Verbe et lui donna un corps dans son sein “anticipant en elle ce qui dans une certaine mesure se réalise sacramentellement en tout croyant qui reçoit, sous les espèces du pain et du vin, le corps et le sang du Seigneur. Il existe donc une analogie profonde entre le fiat par lequel Marie répond aux paroles de l’Ange et l’amen que chaque fidèle prononce quand il reçoit le corps du Seigneur” 117. Mon souhait le plus sincère est que Dieu nous donne la capacité de l’accueillir comme Marie, de le faire chair et sang de notre chair et de le donner aux jeunes comme leur Sauveur.


Avec mon affection, en Don Bosco



P. Pascual Chávez V.

Recteur majeur


1 Juan E. Vecchi, “Ceci est mon corps, livré pour vous”, ACG 371 (2000), p. 5.

2 Cf. Concile Œcuménique Vatican II, Sacrosanctum Concilium, Constitution conciliaire sur la Sainte Liturgie, 4 décembre 1963, 10.  

3 Paul VI, Mysterium fidei, Encyclique sur la doctrine et le culte de la Sainte Eucharistie, 3 septembre 1965, 1.

4 Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, Encyclique sur l’Eucharistie dans son rapport à l’Eglise, 17 avril 2003, 21.

5 Ibidem, 1.

6 Paul VI, Mysterium fidei, 1.

7 Giovanni Marchesi, “L’Eucaristia : ‘Sacramento della Carità’. L’Esortazione Apostolica postsinodale di Benedetto XVI”, La Civiltà Cattolica 3764 (2007), p. 171.

8 Jean-Paul II, Dominicae Cenae, Lettre Apostolique sur le mystère et le culte de l’Eucharistie, 24 février 1980, 2.

9 Jean-Paul II, Tertio Millennio Adveniente, Lettre Apostolique sur la préparation du Jubilé de l’an 2000, 10 novembre 1994, 55.

10 Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 1.

11 Cf. Jean-Paul II, Mane nobiscum Domine, Lettre Apostolique pour l’année de l’Eucharistie, 7 octobre 2004, 2.

12 Jean-Paul II, Mane nobiscum Domine, 4.

13 Cf. Jean-Paul II, Mane nobiscum Domine, 6-10. Aux enseignements proposés par Jean-Paul II s’ajoutèrent les suggestions de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements : Redemptionis Sacramentum (25 mars 2004), AAS 96 (2004) pp. 549-601 ; Année de l’Eucharistie : suggestions et propositions (15 octobre 2004), Osservatore Romano, 15 octobre 2004. Supplément.

14 Cf. Jean-Paul II, Mane nobiscum Domine, 4.

15 Benoit XVI, Homélie Cologne, Esplanade de Marienfeld, Dimanche 21 août 2005.

16 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, Exhortation Apostolique Post-synodale, 22 février 2007, 5.

17 Ibidem.

18 Cf. Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 4.

19 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 14-15.

20 Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 6.

21 Benoit XVI, Homélie à l’occasion de la prise de possession de sa chaire en la basilique Saint-Jean-de-Latran (7 mai 2005), La Documentation catholique 102 (2005), p. 559.

22 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 6.

23 Juan E. Vecchi, “Ceci est mon corps, livré pour vous”, p. 4.

24 Pascual Chávez, “‘Da mihi animas, caetera tolle’. Identité charismatique et passion apostolique. Repartir de Don Bosco pour réveiller le cœur de chaque salésien”, ACG 394 (2006), p. 6.

25 Ibidem.

26 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 84.

27 Juan E. Vecchi, “Ceci est mon corps, livré pour vous”, p. 33.

28 Ibidem, pp. 41 et 39.

29 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 81.

30 Jean-Paul II, “Message pour le début du 25ème Chapitre général”, CG25, 144, ACG 378 (2002), p. 119.

31 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 83.

32 Jean-Paul II, Vita Consecrata, Exhortation Apostolique post-synodale, 25 mars 1996, 22.

33 Concile Œcuménique Vatican II, Lumen Gentium, Constitution dogmatique sur l’Eglise, 21 novembre 1964, 11.

34 Jean-Paul II, Vita Consecrata, 95.

35 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 81.

36 Cf. Juan E. Vecchi, “Ceci est mon corps, livré pour vous”, pp. 6-14. Et le 25ème Chapitre Général déplorait “l’affaiblissement de la foi, qui se manifeste dans l’affaiblissement de la vie de prière, de la fidélité à la célébration eucharistique quotidienne” - GG25, 54, ACG 378 (2002), p. 57.

37 Cf. Luc van Looy, “La célébration eucharistique de notre communauté. Pour une évaluation de sa qualité”, ACG 371 (2000), p. 55.

38 Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 10.

39 Pietro Stella, Don Bosco nella Storia della Religiosità Cattolica. Vol II : Mentalità religiosa e Spiritualità, Rome, LAS 19812, pp. 105. 107.

40 Pietro Braido, L’esperienza pedagogica di Don Bosco, Rome, LAS 1988, p. 125.

41 Pietro Braido (ed.), Don Bosco educatore. Scritti e testimonianze, Rome, LAS 19973, p. 262.

42 Pietro Braido, Prevenire non reprimere. Il sistema educativo di don Bosco, Rome, LAS 1999, p. 259.

43 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 41.

44 Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 61.

45 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 14.

46La contribution essentielle que l’Eglise attend de la vie consacrée est beaucoup plus de l’ordre de l’être que de l’ordre du faire” (Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 81).

47 Pour ces réflexions je me suis inspiré de Juan J. Bartolomé, Cuarto evangelio. Cartas de Juan. Introducción y comentario, Madrid, CCS 2002, pp. 226-227.

48 L’incompréhension, celle des gens (Jn 6,41-43) comme celle des disciples (Jn 6,60) devient protestation et scandale. Et c’est compréhensible : Jésus répète à trois bonnes reprises qu’on doit le mâcher (Jn 6,54.56.58) et boire son sang (Jn 6,53.54.56) : cette dernière affirmation est particulièrement abominable pour les juifs ; le sang est la vie dont Dieu seul peut disposer (cf. Gn 9,4 ; Lv 3,17 ; 17,10-16 ; Dt 12,16.23-25).

49 C’est la première fois que l’évangéliste utilise le mot Douze (Jn 6,67.70.71 ; 20,24) pour parler d’eux ; il n’en a pas raconté l’élection et il n’en rappellera pas les noms (cf. Mc 3,13-19 ; Mt 10,1-4 ; Lc 6,12-16).

50 Cf. Juan J. Bartolomé, Jesús de Nazaret, formador de discípulos. Motivo, meta y metodología de su pedagogía en el evangelio de Marcos, Madrid, CCS 2007, pp. 219-263.

51 Cf. Juan J. Bartolomé, Cuarto evangelio. Cartas de Juan. Introducción y comentario, pp. 283-289.

52 Xavier Léon-Dufour, Condividere il pane eucaristico secondo il Nuovo Testamento, Turin, Elledici 2005, p. 234 ; pour retrouver le texte original en Français : Le Partage du pain eucharistique selon le Nouveau Testament, Paris, Seuil (collection Parole de Dieu), janvier 1982.

53 Message de la XIème Assemblée Générale ordinaire du Synode des Evêques, “L’Eucharistie : Pain vivant pour la paix du monde”, 22 octobre 2005, 18.

54 Laver les pieds était une tâche d’esclaves (1 S 25,41), si méprisable qu’on ne pouvait l’exiger d’un esclave juif (Lv 25,39) ; mais elle pouvait devenir un signe de piété vis-à-vis d’un père ou de dévouement envers un maître (Bill I 707 ; II 557). Laver les pieds des convives s’avérait un geste inhabituel, et ne l’était pas moins le fait, pour Jésus, de se mettre à servir durant le repas (Jn 13,2.5).

55 La formule ‘aimer jusqu’à la fin’, peut s’entendre dans un sens temporel, jusqu’au dernier moment de la vie, ou bien qualitativement, jusqu’à l’extrême, jusqu’à l’achèvement parfait. Dans chaque cas, la fin est le sommet de sa vie et de son amour ; aimer apparaît, dans une lecture rétrospective, synonyme de l’agir historique de Jésus et l’explication de sa mort (Jn 13,34 ; 15,9 ; 17,23 ; 19,28.30).

56 Xavier Léon-Dufour, Lectura del evangelio de Juan, Vol. III : Juan 13-17, Salamanque, Sígueme 1995, 50 ; pour retrouver le texte original en Français : Lecture de l’Evangile selon Jean, Tome III, Paris, Seuil (collection Parole de Dieu).

57 Cf. Rudolf Bultmann, Das Evangelium nach Johannes. Göttingen 196810, 365.

58 Cf. Jean-Paul II, Novo Millennio Ineunte, Lettre Apostolique au terme du grand Jubilé de l’an 2000, 6 janvier 2001, 29.

59 Jean-Paul II, Homélie lors de la Vème Journée de la Vie Consacrée, 2 Février 2001, 4.

60 CIVCSVA, Repartir du Christ, Un engagement renouvelé de la vie consacrée au troisième millénaire, Instruction, 19 mai 2002, 21.22.

61 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 81 ; puis Jean-Paul II, Vita Consecrata, 95.

62 Benoit XVI, Deus Caritas est, Lettre Encyclique sur l’amour chrétien, 25 décembre 2005, 13.

63 Cf. Jean-Paul II, Vita Consecrata, 95 ; puis Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 82, qui cite Jean-Paul II.

64 Benoit XVI, Ibidem, qui se cite lui-même.

65 Card. José Saraiva Martins, “Eucaristia : ‘Sacramentum sanctitatis’”, L’Osservatore Romano, 9 mai 2007, 5.

66 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 81.

67 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 94.

68 Cf. Jean-Paul II, “Discours durant l’audience aux capitulaires”, CG25, 170, ACG 378 (2002), p. 140.

69 Jean-Paul II, Vita Consecrata, 95.

70 Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 11.

71 Jean-Paul II, Vita Consecrata, 95.

72 Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 12. Le Pape cite un texte du Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1382.

73 Jean-Paul II, Vita Consecrata, 22.

74 Cf. Mircea Eliade, Lo Sagrado y lo Profano, Madrid, Paidós 1998, 53-85 ; pour retrouver le texte en Français : Le Sacré et le Profane, Gallimard 1988.

75 Cf. Juan J. Bartolomé, “La obediencia de Cristo, filiación probada”: in Vida Religiosa 94 (2003) pp. 38-45 ; il a montré comment l’obéissance au Père est un concept évangélique adapté pour expliquer tout le mystère personnel du Christ et la réalisation de ses actes.

76 Jean-Paul II, Vita Consecrata, 22.

77 Un programme qui aurait ses racines dans l’histoire théologique du protestantisme, selon P. Stuhlmacher, Jesús de Nazaret – Cristo de la Fe, Salamanque, Sigueme 1996, 90.

78 Cf. Joachim Jeremias, Abba. El Mensaje Central del Nuevo Testamento, Salamanque, Sígueme 19934, 270.

79 Benoit XVI, Deus Caritas est, 13.

80 Cf. Benoit XVI, Deus Caritas est, 6.

81 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 81.

82 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 84.

83 Sur cet aspect, la première encyclique du pape Benoît XVI est particulièrement riche. Je rappelle seulement deux textes en relation avec l’eros et l’agapè : “Plus ces deux formes, même dans des dimensions différentes, trouvent leur juste unité dans l’unique réalité de l’amour, plus se réalise la véritable nature de l’amour en général []. Là où cependant les deux dimensions se détachent complètement l’une de l’autre, apparaît une caricature ou, en tout cas, une forme réductrice de l’amour” (Benoit XVI, Deus Caritas est, 7-8).

84 Joachim Jeremias, Abba. El Mensaje Central del Nuevo Testamento, Salamanque, Sígueme 19934, 259-260.

85 Cf. Juan J. Bartolomé, La Alegría del Padre, Estudio exegético de Lc 15, Estella: Verbo Divino, 2000.

86 CIVCSVA, Repartir du Christ, 26. 

87 Jean-Paul II, Vita Consecrata, 95 ; puis : cf. Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 84.

88 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 8.

89 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 80.

90 Card. Cláudio Hummes, “Spiritualità presbiterale nella ‘Sacramentum caritatis’”, L’Osservatore Romano, 16 mai 2007, 8.

91 CIVCSVA, Repartir du Christ, 26.

92 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 35.

93 Concile Œcuménique Vatican II, Presbyterorum Ordinis, Décret sur le ministère et la vie des prêtres, 7 décembre 1965, 13 ; cité par Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 31.

94 CG25, 31, ACG 378 (2002), p. 38.

95 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 80.

96 Saint Augustin, In Iohannis Evangelium Tractatus 21, 8, PL 35, 1568 ; Sermo 227, 1, PL 38, 1099. Et dans les Catéchèses de Jérusalem on lit : “En recevant le corps et le sang du Christ, tu vis une fraternité de chair et de sang avec le Christ” (22 1, 3, PG 33 1098).

97 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 37.

98 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 38.

99 Jean-Paul II, Vita Consecrata, 16.

100 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 66.

101 Benoit XVI, Discours à la Curie romaine, 22 Décembre 2005, La Documentation catholique 102 (2005), p. 559.

102 Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos 98, 9, CCL XXXIX, 1385.

103 Cf. Jean-Paul II, Mane nobiscum Domine, 30.

104 Pietro Braido, Prevenire non reprimere, p. 261. A Don Bosco, en effet, on doit que se soit établie “à l’Oratoire la coutume de la visite au Saint Sacrement, lorsque étudiants et apprentis suspendaient leur travail et leur étude pour un peu de récréation dans la cour” (Pietro Stella, Don Bosco nella Storia della Religiosità Cattolica. Vol. II, p. 309).

105 Jean Bosco, Vita del giovanetto Savio Domenico, allievo dell’Oratorio di San Francesco di Sales, Turin 1959, 71, OE XI, p. 221. Le P. Francis Desramaut commente : “Le lecteur de la Vie de Dominique Savio connaît les longues contemplations silencieuses de ce garçon devant le tabernacle et devine leur lien avec son héroïque amour de Dieu” (Don Bosco et la vie spirituelle, Paris, Beauchesne 1967, p. 148).

106 Giovanni Battista Lemoyne, Memorie Biografiche del venerabile Don Giovanni Bosco, Vol. IX, Turin 1917, pp. 355-356.

107 Cf. Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 31.

108 Benoit XVI, Discours à la Curie Romaine, La Documentation catholique 102 (2005), p. 559.

109 Paul Josef Cordes, “L’Eucaristia e la carità”, L’Osservatore Romano, 18-19 mars 2007, p. 7.

110 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 82, qui cite Jean-Paul II.

111 Benoit XVI, Deus caritas est, 14.

112 Jean-Paul II, Mane nobiscum Domine, 28.

113 Ibidem.

114 Cf. Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 85.

115 Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, 84.

116 Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 53.

117 Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 55.

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