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“INSEDIAMENTI E INIZIATIVE SALESIANE
DOPO DON BOSCO”.
Synthèse du volume et propositions d’étude
Morand Wirth
On cite souvent la réflexion attribuée à don Bosco: “Moi, j’ai fait le brouillon;
vous, vous mettrez cela au propre”.1 Qu’ont fait les salésiens, les salésiennes et leurs
nombreux coopérateurs et amis une fois disparu leur fondateur? Se sont-ils contentés
de maintenir les oeuvres lancées par lui? Ont-ils réussi à les développer, à en créer de
nouvelles? Quelle a été leur part d’innovation et d’adaptation aux temps et aux lieux?
Comment s’y sont-ils pris pour passer du présent: “Don Bosco dit ou fait ainsi”, à
l’imparfait: “Don Bosco disait ou faisait ainsi”, et de là, à la question au conditionnel:
“Que ferait don Bosco aujourd’hui?”
C’est à ces questions, et à quelques autres, qu’ont voulu répondre une vingtaine
d’historiens et de chercheurs au cours du deuxième congrès-séminaire international
d’histoire salésienne qui s’est tenu à Rome du 1er au 5 novembre 1995, et dont les
actes ont été publiés il y a quelques mois par Francesco Motto.2 Alors que le congrès
précédent de 1989 s’était intéressé à la personnalité et à l’activité multiformes du
fondateur à l’occasion du premier centenaire de sa mort,3 les organisateurs de celui-
ci ont eu l’heureuse idée de poursuivre les investigations sur les implantations et les
initiatives salésiennes qui ont vu le jour après don Bosco. Le temps semble venu, en
effet, où l’attention des historiens et des chercheurs, longtemps polarisée par la fi-
gure charismatique du fondateur, est appelée à se tourner de plus en plus vers l’his-
toire subséquente. On ne saurait en effet se contenter des volumes des Annali della
Società Salesiana d’Eugenio Ceria, fort utiles au demeurant pour tracer le cadre gé-
néral de l’histoire de l’oeuvre salésienne au temps de don Rua et de don Albera.4 Il
fallait tenter l’étude rigoureuse de quelques initiatives et fondations locales significa-
tives, les replacer dans le contexte historique, évaluer leur impact sur un territoire
1 “Voi compirete l’opera, che io incomincio; io abbozzo, voi stenderete i colori... Ecco:
adesso io faccio la brutta copia della Congregazione e lascerò a coloro che mi vengono dopo di
fare poi la bella. Ora c’è il germe...” (MB XI 309).
2 Insediamenti e iniziative salesiane dopo don Bosco. Saggi di storiografia. Atti del 2°
convegno-seminario di storia salesiana (Roma, 1-5 novembre 1995), a cura di Francesco
Motto. Istituto Storico Salesiano Roma - Studi 9. Roma, LAS 1996, 595 p.
3 Cf Don Bosco nella storia. Atti del 1° Congresso Internazionale di Studi su don Bosco
(Università Pontificia Salesiana - Roma, 16-20 gennaio 1989), a cura di Mario Midali. Pubbli-
cazioni del Centro Studi Don Bosco - Studi storici 10. Roma, LAS 1990, 572 p.
4 E. CERIA, Annali della Società Salesiana, vol. II: Il rettorato di don Michele Rua, parte
I (1888-1898), Torino, SEI 1943; vol. III: Il rettorato di don Michele Rua, parte II (1899-1910),
Torino, SEI 1946; vol. IV: Il rettorato di don Paolo Albera (1910-1921), Torino, SEI 1951.

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414 Morand Wirth
donné, et tout cela à l’aide d’une méthode éprouvée et d’une documentation sûre.
C’est de cette recherche attentive que témoigne le gros volume de 595 pages,
préfacé par le Recteur majeur, don Juan Edmundo Vecchi, et introduit par F. Motto.
La première partie débute par une importante contribution de caractère méthodolo-
gique de P. Wynants, suivie de sept exposés (relazioni) d’une certaine ampleur (G.
Rossi, Y. Le Carrérès, A. Anjos, M. Verhulst, J. Thekedathu, C. Socol et G. Loparco).
La deuxième partie renferme dix communications généralement plus courtes (S.
Wilk, B. Kolar, F. Staelens, R. Alberdi, M. Núñez Muñoz, F. Castellanos-E. Olmos,
R. Azzi, S. Salto, M. Gorlato, G. Barzaghi). A la fin du volume, on trouve une note de
J. Metzler sur les archives du Vatican et leur consultation. Les textes sont publiés
dans la langue originale (italien, français, anglais, espagnol et portugais), afin de per-
mettre une diffusion élargie.
1. Un tour du monde
Grâce à la dimension internationale de l’oeuvre salésienne, le lecteur est convié
à un instructif tour du monde qui part de Rome, passe en France, au Portugal, fait un
saut au coeur de l’Afrique Noire (Zaïre), s’envole vers la côte occidentale de l’Inde
(Bombay) et poursuit jusqu’en Chine (Macao). Après un retour en Italie, le voyage
reprend en direction de l’Europe slave (Pologne et Slovénie), de la Belgique et de
l’Espagne (Catalogne et Andalousie), d’où l’on embarque tout naturellement pour
l’Amérique latine (Mexique, Brésil et Argentine). Les dernières étapes conduisent le
lecteur en Afrique du Nord (Tunisie), puis à Milan, avant de revenir au point de dé-
part, dans les archives du Vatican à Rome.
C’est aussi un voyage dans le temps, vers la fin du siècle dernier et les pre-
mières années du vingtième siècle. Les nations européennes connaissaient une pé-
riode d’expansion, d’industrialisation et de colonisation, avant la tragédie de la pre-
mière guerre mondiale et la reprise de l’après-guerre. L’Église de Léon XIII tentait
d’apporter une réponse aux questions sociales avec la publication en 1891 de l’ency-
clique Rerum novarum, tandis que Pie X tranchait dans la querelle du modernisme et
favorisait le mouvement liturgique. Le pontificat de Benoît XV était paralysé par la
guerre et le refus de ses offres de paix. Pie XI relançait avec force les missions et ca-
nonisait don Bosco en 1934.
La Société salésienne, qui paraissait menacée à la mort du fondateur, connut une
expansion certaine pendant le rectorat de don Rua (1888-1910), se maintint au temps
de don Albera (1910-1921) malgré l’épreuve de la guerre, intensifia sa croissance
sous don Rinaldi (1922-1931) et don Ricaldone (1932-1951). L’Institut des Filles de
Marie Auxiliatrice, qui dépendait jusqu’en 1906 du Supérieur général des salésiens,
entamait à partir de cette date une étape nouvelle de son histoire. La participation des
Coopérateurs salésiens, galvanisés en Italie par le congrès de Bologne (1895) et par
celui de Buenos Aires en Argentine (1900), se faisait sentir un peu partout.
Il ne saurait être question ici de faire un compte rendu détaillé de ce tour du
monde salésien. Nous laisserons à chacun des lecteurs le plaisir de la découverte du
contenu des différentes contributions réunies dans ce volume. Nous nous limiterons à

1.3 Page 3

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“Insediamenti e iniziative salesiane dopo don Bosco”... 415
une présentation rapide de chacune d’entre elles, en signalant les méthodes em-
ployées par les auteurs, les lignes de convergences et de divergences observées dans
le traitement du sujet, les diverses problématiques d’implantation des oeuvres salé-
siennes dans le monde. Pour la facilité de la lecture, nous suivrons autant que pos-
sible l’itinéraire du voyage proposé, tout en regroupant certaines étapes selon les affi-
nités historiques et géographiques. Quelques remarques finales pourront servir de
conclusions provisoires à ce tour du monde et d’incitation à le poursuivre.
2. Questions de méthode d’abord
Avant de partir en voyage, il est bon de savoir où l’on va et avec quels moyens.
S’il est une relation qui justifie le sous-titre du volume (saggi di storiografia), c’est
celle de Paul Wynants, qui ouvre la série des travaux en proposant à l’historien une
méthode “pour écrire l’histoire d’un établissement d’enseignement congréganiste”.5
S’inspirant des principes de base énoncés par Roger Aubert, ainsi que de la grille
d’analyse de la vie religieuse d’Yvonne Turin, l’auteur, bon connaisseur des congré-
gations enseignantes de Belgique, de France et des Pays-Bas, présente avant tout des
normes, des principes et des pistes de recherches pour l’étude d’une communauté re-
ligieuse, de son environnement, de sa mentalité et de son évolution. Il attire l’atten-
tion sur quelques aspects facilement oubliés ou méconnus, y compris le rapport au
corps, les relations affectives à l’intérieur des communautés, la symbolique de l’habit
ou la nourriture des religieux. Sa contribution se révèle particulièrement utile dans
notre cas, quand il propose à celui qui veut écrire l’histoire d’une oeuvre éducative de
prendre en considération les éléments suivants: le contexte de la fondation, la fonda-
tion, le personnel attaché à l’oeuvre, les élèves, la formation, l’animation spirituelle,
les infrastructures et le financement, la vie quotidienne, les rapports avec le monde
extérieur et la fermeture de l’établissement. Chacun de ces points fait l’objet d’un
questionnaire détaillé, ce qui aiguise l’attention des chercheurs et prévient d’éven-
tuels oublis.
En ce qui concerne le problème des sources, on sait que le chercheur court tou-
jours le risque de négliger certaines possibilités réelles et intéressantes d’information
et de documentation sur l’établissement congréganiste dont il veut écrire l’histoire.
Là aussi, P. Wynants propose une liste presque exhaustive: archives de la congréga-
tion, notamment toute la correspondance interne à la congrégation ou provenant de
tiers, archives de l’évêché, archives paroissiales, archives des pouvoirs publics, ar-
chives notariales, cadastrales, judiciaires, presse, histoire orale... Que de pistes de re-
cherche! Une enquête absolument exhaustive étant presque impossible, il conviendra
de sélectionner les investigations qui intéressent le chercheur et celles que l’état de la
documentation rend possibles. À la fin de son article, l’auteur prend soin de nous
avertir qu’une enquête historique ne progresse pas sans hésitations ni tâtonnements,
5 P. WYNANTS, Pour écrire l’histoire d’un établissement d’enseignement congréganiste:
orientations de recherche, sources et méthodes (XIXe - XXe siècles), dans Insediamenti..., pp. 17-60.

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416 Morand Wirth
mais qu’il vaut la peine de se passionner pour l’histoire d’une oeuvre éducative,
“maillon de la chaîne que forme l’Histoire des hommes et de l’Église”.
La communication de Josef Metzler placée à la fin du volume relève, elle aussi,
du genre historiographique. L’auteur introduit le chercheur dans les archives secrètes
du Vatican, définies comme un “monument culturel unique au monde” et devenu un
centre international de recherches historiques, ainsi que dans les archives de la
Congrégation de Propaganda Fide, particulièrement abondantes pour tout ce qui
concerne l’histoire des missions.6 Comment étudier la documentation exceptionnelle
fournie par ces archives et avec quelle méthode? Avec la méthode critique et scienti-
fique de l’analyse des sources, répond l’auteur. En ouvrant officiellement en 1880
l’Archivio Segreto Vaticano, Léon XIII n’avait-il pas cité à l’intention du chercheur
l’adage fameux: Ne quid falsi dicere audeat, deinde ne quid veri non audeat?
3. En Italie, après don Bosco
Notre tour du monde part de Rome, vue sous l’angle inhabituel des écoles pro-
fessionnelles de la Ville éternelle. Fondés par don Bosco en 1883, les premiers ate-
liers de l’ospizio du Sacré-Coeur ne se sont vraiment développés qu’après sa mort,
devenant progressivement une vraie école professionnelle, qui devra être transférée
en 1930 dans des structures plus vastes de l’Institut Pie XI au Tuscolano. Pour la
compréhension de cette oeuvre salésienne, Giorgio Rossi a eu la bonne idée de fami-
liariser son lecteur avec le monde peu connu de l’enseignement professionnel à Rome
après 1870.7 Grâce à l’utilisation d’une abondante bibliographie et à la consultation
des archives de l’État, de la Commune et du Vicariat de Rome, il établit un
“confronto” entre l’oeuvre salésienne et les autres écoles professionnelles, laïques,
communales ou religieuses, existant dans la capitale italienne vers la même époque.
À partir de cette confrontation, l’auteur peut tenter de dégager l’originalité de la pré-
sence salésienne, sa signification du point de vue historique, socio-religieux, profes-
sionnel, pédagogique et économique. L’étude de Giorgio Rossi est enrichie d’une
série de documents annexes (avec des photographies de l’époque), qui nous rensei-
gnent sur l’origine de l’école, les programmes des divers ateliers, la rémunération de
leurs travaux, les productions de l’école de typographie. On est agréablement surpris
d’y trouver un programme d’enseignement de la sociologie, où il est question du tra-
vail et du capital, des conflits entre l’un et l’autre, du contrat de travail, de la législa-
tion sociale, ainsi que des diverses écoles et doctrines sociales: libéralisme, socia-
lisme et démocratie chrétienne. L’auteur rappelle que le sixième chapitre général,
réuni à Valsalice en 1892, avait mis à l’ordre du jour de ses travaux l’application des
enseignements de Léon XIII sur la question ouvrière dans les maisons salésiennes.
6 J. METZLER, Storia delle missioni. Appunti per ricerche negli Archivi Vaticani, dans In-
sediamenti..., pp. 573-583.
7 G. ROSSI, L’istruzione professionale in Roma capitale. Le scuole professionali dei sale-
siani al Castro Pretorio (1883-1930), dans Insediamenti..., pp. 63-135.

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“Insediamenti e iniziative salesiane dopo don Bosco”... 417
À Milan, l’autre grande métropole italienne, Gioachino Barzaghi a choisi de
s’intéresser non pas à une oeuvre particulière, mais à la présence salésienne dans une
ville et un diocèse prestigieux.8 Il décrit l’histoire d’une rencontre féconde: entre don
Bosco qui cherche à s’implanter à Milan et un diocèse qui fut à l’avant-garde de la
pastorale des jeunes avec ses oratoires et qui est à la recherche d’une réponse aux
nouvelles sollicitations. La présence salésienne ne comportera pas seulement l’école
d’arts et métiers (plutôt en retard sous l’aspect technique), ou l’oratoire, mais aussi la
section d’Action catholique (en concurrence avec les traditionnelles compagnies reli-
gieuses), la Schola cantorum et le mensuel Don Bosco, à la fois bulletin de l’oeuvre
salésienne à Milan et revue d’éducation chrétienne.
Restons en Italie pour saluer une contribution originale de Grazia Loparco sur
la formation intellectuelle et les études supérieures dans l’Institut des Filles de Marie
Auxiliatrice entre 1872 et 1922.9 L’auteur rappelle que l’Institut est né à une époque
où l’école italienne commençait à s’ouvrir aux femmes, mais manquait de moyens et
de volonté pour réussir. Le climat culturel n’était pas favorable aux catholiques et aux
congrégations religieuses. Les milieux catholiques conservateurs répugnaient à l’idée
d’une femme cultivée et “protagoniste”. La première supérieure générale se considé-
rait elle-même comme une “ignorante” et la plupart des religieuses provenaient du
peuple. Après avoir sélectionné les textes normatifs susceptibles d’éclairer le pro-
blème, à savoir les Constitutions de l’Institut, les Délibérations des chapitres géné-
raux et les lettres circulaires de la Mère générale ou de ses conseillères, l’auteur
montre que l’Institut des Filles de Marie Auxiliatrice, voué à l’éducation des filles du
peuple, s’est doté avec prudence des moyens culturels indispensables à l’accomplis-
sement de sa mission. Elle s’intéresse en particulier à la promotion des études dans
l’Institut, au choix des livres et des périodiques, à l’organisation des bibliothèques, à
la préparation de diplômes d’État, à la formation des premières maîtresses d’école et
à la mise sur pied de la première maison de formation des futures enseignantes à
Nizza Monferrato. Le rôle de quelques personnalités de premier plan, comme Emilia
Mosca, Elisa Roncallo, Enrichetta Sorbone, Caterina Daghero ou Maddalena Mo-
rano, est souligné, comme aussi d’ailleurs l’influence manifeste du salésien Fran-
cesco Cerruti, conseiller (général) pour les études. Au jugement de l’auteur, les Filles
de Marie Auxiliatrice ont senti, à certains moments, les conséquences d’un raidisse-
ment des catholiques dans le domaine des études et de la culture, mais elles ont su
garder la souplesse nécessaire et chercher le dialogue, au moins quand cela était né-
cessaire pour la poursuite de leurs oeuvres éducatives.
8 G. BARZAGHI, Significato della presenza dell’opera salesiana a Milano (1894-1915),
dans Insediamenti..., pp. 563-571.
9 G. LOPARCO, Gli studi nell’Istituto delle Figlie di Maria Ausiliatrice. Contributo sul
primo cinquantennio (1872-1922) in Italia, dans Insediamenti..., pp. 327-368.

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418 Morand Wirth
4. En France et en Belgique
Suivant l’ordre historique des implantations salésiennes en Europe, le voyage
nous conduit d’abord en France, d’où nous passerons directement en Belgique, sa
voisine.
Pour la France, Yves Le Carrérès nous offre une étude sur une catégorie
d’oeuvres particulière: les colonies ou orphelinats agricoles tenus par les salésiens de
1878 à 1914.10 Le sujet est assez neuf, car on s’est peu intéressé jusqu’à présent à la
formation des jeunes ruraux chez don Bosco et ses continuateurs. L’auteur rappelle
que c’est à La Navarre, dans le diocèse de Toulon, que fut créé en 1878 le premier or-
phelinat agricole salésien. Mais il a fallu un songe prémonitoire pour décider le fon-
dateur à accepter sans conditions une oeuvre éducative qui lui apparaissait pleine de
risques sur le plan moral. L’auteur familiarise son lecteur avec le contexte historique
favorable à ces implantations, comme en témoigne la création des fermes-écoles en
1848, des colonies agricoles pénitentiaires à partir de 1840 et des orphelinats agri-
coles après 1870. Toutes ces oeuvres avaient un caractère d’initiatives privées, mais
l’État leur apportait une contribution financière. Cela explique qu’en une vingtaine
d’années, entre 1878 et 1898, les salésiens de France ont pu fonder ou reprendre sept
colonies ou orphelinats agricoles. L’auteur s’arrête plus longuement sur deux de ces
oeuvres, utilisant pour cela la documentation offerte non seulement par les archives
salésiennes mais aussi par les archives départementales et diocésaines qu’il a pu
consulter. Il s’est intéressé aux conditions d’acceptation de ces maisons (pas toujours
très claires), à leurs effectifs (assez réduits), aux conditions matérielles plutôt rudes, à
l’horaire d’une journée, aux études des élèves (qui bénéficiaient d’un manuel d’agri-
culture de don Perrot), au personnel (formé de cadres salésiens et de familiers), à
l’isolement de ces oeuvres et aux résultats obtenus. Son étude des mentalités fournit
des aperçus intéressants sur les attentes d’une aristocratie terrienne liée à l’Église, sur
les idées de rédemption par la terre ou sur le thème de la prévention. À l’orphelinat
agricole de Montmorot, près de Lons-le-Saunier, on trouve le cas assez exceptionnel
d’une maison salésienne dirigée par un coadjuteur, Jules Borivent. À partir de la loi
de juillet 1901 sur les associations, on assistera en France à l’effondrement de
presque toutes ces initiatives et au départ d’un bon nombre de salésiens français à
l’étranger. Une résurgence de cette tradition au service du monde agricole se produira
après la guerre de 1914-1918.
En ce qui concerne la Belgique, une communication de Freddy Staelens, docu-
mentée aux meilleures sources (archives salésiennes, Annales parlementaires et jour-
naux de l’époque), décrit le contexte des luttes socio-politiques où les salésiens ont
dû s’insérer entre 1891 et 1918.11 L’auteur fait une étude des mentalités, montrant
10 Y. LE CARRÉRÈS, Les colonies ou orphelinats agricoles tenus par les salésiens de don
Bosco en France de 1878 à 1914, dans Insediamenti..., pp. 137-174.
11 F. STAELENS, Les salésiens de don Bosco et les luttes socio-politiques en Belgique
dans une époque en mutation (1891-1918), dans Insediamenti..., pp. 409-419. Cette communi-
cation est le résumé d’une étude plus longue parue dans RSS 29 (1996) 217-271.

1.7 Page 7

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“Insediamenti e iniziative salesiane dopo don Bosco”... 419
tour à tour les salésiens vus par les catholiques belges, les salésiens vus par les socia-
listes belges et les socialistes vus par les salésiens, sans oublier les polémiques qui
opposèrent les uns aux autres. On y discerne la figure et le rôle de l’inspecteur salé-
sien Francesco Scaloni, auteur entre autres d’un ouvrage intitulé: Capital et Travail.
On retiendra cette observation en guise de conclusion: le positionnement social des
salésiens en Belgique, partis d’un conservatisme social et évoluant vers la démocratie
chrétienne sous l’influence de Rerum novarum, n’a pas été une simple copie de don
Bosco, mais une relecture adaptée aux besoins de l’époque.
5. Dans la péninsule ibérique
La relation d’Amador Anjos nous transporte au Portugal, où les salésiens arri-
vent en 1894 pour reprendre le collège des orphelins S. Caetano fondé à Braga un
siècle plus tôt.12 Elle a notamment le mérite de nous renseigner sur la problématique
liée à la prise en charge d’une oeuvre déjà existante. L’auteur est attentif aux condi-
tions qui ont favorisé l’arrivée des salésiens au Portugal et au choix de l’oeuvre par
don Rua en personne en fonction de trois critères: présence d’enfants pauvres (des-
tinés à l’apprentissage), soin des vocations et possibilités économiques. Le rôle de
don Rua est d’ailleurs souligné également par les deux visites qu’il fit au Portugal en
1899 et en 1906. La documentation est presque exclusivement salésienne, avec une
incursion dans les archives de la Compagnie de Jésus (lettres Rademaker-Bosco).
Suivant la méthode chronologique, l’auteur souligne le rôle et la personnalité des di-
recteurs qui se sont succédé à la tête du collège des orphelins entre 1894 et 1911. En
fait, le collège S. Caetano eut du mal à se frayer un chemin entre, d’une part, l’appli-
cation d’un système salésien strict (pas de personnel externe, peu de visites des élèves
en famille, préservation du milieu éducatif) et, d’autre part, le maintien des anciennes
traditions de la maison et la présence, jugée souvent encombrante, d’une “commis-
sion administrative” de laïcs. Cette situation donna lieu à des conflits plus ou moins
sérieux. En outre, les salésiens trouvaient que les supérieurs de Turin et d’Espagne ne
s’intéressaient pas assez au Portugal, alors que l’inspecteur d’Espagne (et du Por-
tugal), don Rinaldi, leur reprochait d’avoir peu étudié le portugais et de continuer à
parler l’italien. Malgré cela, le collège obtint de bons résultats dans le domaine de
l’éducation (grâce à la musique et au théâtre), dans la promotion des vocations, le dé-
veloppement de l’association des Coopérateurs salésiens et la dévotion populaire à
Marie Auxiliatrice. À la suite de la révolution républicaine de 1910, les salésiens fu-
rent contraints de quitter S. Caetano peu de temps après.
Puisque nous sommes dans la péninsule ibérique, deux communications nous
renseignent sur les grands axes du développement salésien en Espagne: la Catalogne
et l’Andalousie. Celle de Ramón Alberdi, auteur de plusieurs publications sur le sujet,
présente les débuts de l’oeuvre salésienne en Catalogne: Barcelone-Sarriá (qui devint
12 A. ANJOS, I salesiani a Braga. Il collegio di S. Gaetano (1894-1911), dans Insedia-
menti..., pp. 175-207.

1.8 Page 8

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420 Morand Wirth
le siège de l’inspecteur don Rinaldi), Barcelone-Rocafort, Girona (première ferme-
école d’agriculture salésienne en Espagne), Sant Vicenç dels Horts (premier noviciat
espagnol et maison de formation).13 Le rôle des Coopérateurs salésiens, au premier
rang desquels il faut nommer doña Dorotea de Chopitea, est mis en lumière. À propos
de la valeur historique des Annali de don Ceria, on retiendra cette brève affirmation
de l’auteur: “Una vez más, hay que lamentar que el historiador Ceria no sea del todo
exacto...” Suit un jugement contrasté sur les salésiens en Catalogne: soucieux de re-
produire le modèle italien (piémontais), surtout en matière de formation religieuse,
mais dotés d’une grande capacité d’adaptation; conservateurs au plan social, mais
parvenant à nouer des amitiés dans tous les milieux.
La deuxième communication, due à María F. Núñez Muñoz, nous conduit en
Andalousie, au temps de la venue des premières Filles de Marie Auxiliatrice (1893-
1912).14 Après avoir rappelé le contexte politique de la Restauration espagnole et les
efforts du catholicisme social au temps du cardinal Spínola, l’auteur étudie les cinq
premières implantations en terre andalouse (une à Valverde del Camino, deux à Sé-
ville, une à Ecija et une à Jerez) du point de vue de leur raison d’être, comme ré-
ponses aux carences éducatives et culturelles de la jeunesse féminine. De plus, elle
établit une typologie des modalités d’implantation, en précisant opportunément si les
oeuvres ont été fondées par les salésiens ou par des Coopérateurs, si elles ont été re-
prises ou transformées, si elles dépendaient de la Conférence de Saint Vincent de
Paul ou de la Protection de l’Enfance. À signaler que le collège de Jerez, fondé en
1912, six ans après la séparation juridique des deux congrégations, est la première
oeuvre espagnole directement fondée par les Filles de Marie Auxiliatrice. L’auteur
s’est intéressée aussi à la “résonance” sociale de ces implantations, spécialement à
l’occasion des visites de don Rua en 1899 et de don Albera en 1913.
6. Dans l’Empire austro-hongrois
Restons en Europe, et plus précisément en Europe centrale et orientale au temps
de l’Empire austro-hongrois, qui englobait alors une partie de la Pologne et la Slo-
vénie actuelle.
La communication de Stanislaw Wilk sur les débuts de l’oeuvre salésienne en
Pologne part de la fondation de l’oeuvre d’Oswiecim en 1898 et s’arrête au temps de
la création de la première province polonaise en 1922.15 Il fallait évidemment familia-
riser le lecteur avec la situation socio-politique des terres polonaises, partagées au
siècle dernier entre la Prusse, la Russie et l’Autriche-Hongrie, celle-ci étant de loin la
13 R. ALBERDI, La obra salesiana en Cataluña (España). Origen y primera difusión
(1884-1902), dans Insediamenti..., pp. 421-443.
14 M. F. NÚÑEZ MUÑOZ, Las Hijas de María Auxiliadora en Andalucía. Primeras presen-
cias (1893-1912), dans Insediamenti..., pp. 445-469.
15 S. WILK, Insediamento e prime fasi di sviluppo dell’opera salesiana in Polonia (1898-
1922), dans Insediamenti..., pp. 371-394.

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“Insediamenti e iniziative salesiane dopo don Bosco”... 421
mieux disposée à l’égard des oeuvres catholiques. Utilisant une ample bibliographie
polonaise, l’auteur, après un rappel des premiers contacts entre l’oeuvre de don
Bosco et les Polonais, nous fait assister aux tâtonnements de la présence salésienne
avec la “sécession” du père Markiewicz, qui fonde sa propre congrégation. Une fois
créée Oswiecim (école professionnelle et petit séminaire), un noviciat était ouvert à
Daszawa dès 1904, puis un centre paroissial à Przemysl en 1907 et un foyer de jeunes
à Cracovie en 1911. Les motivations religieuses, patriotiques et sociales ont joué un
rôle important dans ces premières fondations. L’organisation de l’oeuvre salésienne
après la renaissance de la Pologne se perfectionna grâce à l’ouverture de maisons de
formation et à la création d’une province polonaise.
La communication de Bogdan Kolar sur les débuts de l’oeuvre salésienne parmi
les Slovènes de l’Empire austro-hongrois révèle quelques aspects surprenants.16 En
effet, les salésiens ne purent s’établir à Ljubljana qu’à condition de prendre en charge
une maison de rééducation pour jeunes délinquants. Grâce à une documentation spé-
cifique (bibliographie slovène, archives salésiennes et diocésaines, archives histo-
riques de Ljubljana et archives d’État de Slovénie), l’auteur retrace les deux phases
de cette activité originale, la première à la maison de correction de Rakovnik de 1901
à 1925 et la deuxième à Selo de 1936 à 1945. Si la première phase suscita des réti-
cences chez les salésiens (qui ignoraient qu’une oeuvre semblable s’ouvrait à Sliema,
dans l’île de Malte), et même chez don Rua, la deuxième fut l’objet d’un choix ré-
fléchi, approuvé par don Ricaldone qui visita Selo en 1938. Les résultats se ressenti-
rent de la différence de ces deux approches. À Selo, les salésiens parvinrent, avec
l’aide d’une communauté de Filles de Marie Auxiliatrice, à transformer la vieille ins-
titution correctionnelle en un milieu éducatif proche du système préventif.
7. L’oeuvre salésienne en Afrique
Le voyage se poursuit au coeur du continent africain, dans l’ancien Congo
belge. Marcel Verhulst a compulsé non seulement les archives salésiennes, mais aussi
celles du Ministère des Affaires étrangères de Bruxelles, celles du diocèse de Sakania
et celles de l’abbaye bénédictine Saint-André de Bruges pour étudier l’histoire de
l’implantation de l’oeuvre salésienne entre 1910 et 1914.17 Période courte, parce que
l’auteur estime que ce sont les années au cours desquelles ont été définies les lignes
maîtresses qui ont caractérisé la première présence salésienne au Congo. À partir de
l’étude des relations entre l’État et l’Église dans la colonie, qui ont débouché sur une
collaboration confiante entre l’administration coloniale belge et les fils de don Bosco,
l’auteur relate la création à Élisabethville en 1912 de la première oeuvre salésienne:
une école primaire pour enfants blancs et une école professionnelle pour les jeunes
16 B. KOLAR, Le attività a carattere rieducativo e correzionale dei salesiani tra gli slo-
veni (1901-1945), dans Insediamenti..., pp. 395-408.
17 M. VERHULST, L’implantation de l’oeuvre salésienne au Congo belge entre 1910 et
1914, dans Insediamenti..., pp. 209-243.

1.10 Page 10

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422 Morand Wirth
noirs. Comme les autres congrégations missionnaires, les salésiens croyaient à
l’oeuvre de “régénération et de civilisation chrétienne” en Afrique; ils se préoccu-
paient aussi de cultiver de bonnes relations avec les chefs coutumiers du Katanga et
savaient reconnaître en général les qualités des jeunes noirs. Le désir des premiers sa-
lésiens et de leur chef, le P. Sak, de s’insérer dans la pastorale paroissiale et mission-
naire, déjà initiée par les Bénédictins, allait provoquer des tensions, que la visite ca-
nonique du provincial Scaloni en 1914 ne réussit pas à apaiser complètement. Leur
souci prédominant était d’avoir un territoire de mission propre, sans dépendre des Bé-
nédictins, ce qui commencerait à se réaliser en partie quand on leur confia la mission
de Sakania. Dans la deuxième partie de son travail, l’auteur mène une enquête sur le
“projet éducatif” et la “pratique éducative” spécifiques des salésiens du Katanga, en
privilégiant la pensée de don Scaloni, telle qu’elle apparaît dans son récit de voyage
au Congo. On y remarque en particulier un lien fort entre “devoir missionnaire”,
oeuvre de civilisation (grâce au “bienfait substantiel” de la colonisation) et formation
de la jeunesse. Enfin le récit du voyage permet à l’auteur d’offrir un aperçu détaillé
de la méthode éducative pratiquée à Élisabethville: destinataires, personnel salésien,
horaire et activités, esprit de famille et assistance.
Revenons quelques années en arrière, mais cette fois en Afrique du Nord, pour
prendre connaissance, grâce à une communication de Laura Gorlato, des origines de
la présence des Filles de Marie Auxiliatrice en Tunisie.18 À cette époque, le Protec-
torat français favorisait l’expansion coloniale et créait des tensions entre les groupes
français et italiens installés dans le pays. L’Église et les congrégations religieuses ne
s’intéressaient pratiquement qu’aux Européens. Après un essai manqué dans un or-
phelinat italien fondé à Tunis par une ancienne soeur de Saint Vincent de Paul, les
Filles de Marie Auxiliatrice ouvrirent une école à la Manouba en 1895. La documen-
tation retrouvée par l’auteur lui permet de faire la lumière sur les tensions entre la
fondatrice de l’orphelinat et les soeurs, le rôle du diocèse et des salésiens, les tracta-
tions pour l’acquisition de la Manouba, la visite de don Cerruti en 1896 et celle de
don Rua en 1900. Cent ans après, la Manouba continue sa mission éducative, mais
cette fois entièrement au service de la population tunisienne.
8. En Inde et en Chine
Deux longues relations nous transportent ensuite en Asie: celle de Joseph The-
kedathu sur la côte occidentale de l’Inde (Bombay), et celle de Carlo Socol à Macao,
en Chine. Dans chaque cas, il s’agit d’une première implantation dans un nouveau
contexte géographique et culturel.
En Inde, Joseph Thekedathu a choisi d’étudier les débuts de la première oeuvre
salésienne de Bombay en 1928 et sa consolidation progressive jusqu’en 1950. Il s’est
appuyé sur une documentation provenant des archives salésiennes de Madras et de
18 L. GORLATO, Origini della presenza delle Figlie di Maria Ausiliatrice in Tunisia
(1895), dans Insediamenti..., pp. 537-561.

2 Pages 11-20

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2.1 Page 11

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“Insediamenti e iniziative salesiane dopo don Bosco”... 423
Matunga, ainsi que des archives centrales de Rome.19 Plusieurs facteurs conduisirent
Mgr Mathias, premier provincial salésien en Inde, à souhaiter une fondation à
Bombay: la position de cette ville “porte de l’Inde”, la présence de nombreux catho-
liques et la recherche de vocations locales. L’auteur explique les problèmes résultant
de la double juridiction ecclésiastique, celle de l’ancien padroado portugais et celle
de la congrégation romaine de la Propagande. Les salésiens débutèrent en 1928 à
Tardeo, dans un Institut fondé quelques années plus tôt par un prêtre goanais, et qui
était le seul établissement catholique de la ville où l’enseignement était donné en an-
glais. Le rôle de Mgr Mathias et celui de don Ricaldone, en visite extraordinaire en
Inde au mois de novembre 1927, ont été déterminants. L’auteur décrit l’évolution de
l’école sous les directorats successifs, soulignant par là le rôle du responsable institu-
tionnel. Les salésiens cherchaient plus d’indépendance et de nouvelles possibilités
d’agrandissement. La visite de don Candela en novembre 1936 a laissé d’utiles ren-
seignements sur la marche de l’établissement (qui comptait parmi les externes une
bonne proportion de parsis, d’hindous et de musulmans), sur les problèmes finan-
ciers, ainsi que sur les relations des salésiens avec l’Église locale. En juin 1938, la vi-
site de don Berruti et de don Candela fut décisive dans le choix d’un nouveau lieu
d’implantation. L’auteur décrit l’esprit entreprenant du P. Maschio, nouveau directeur
à partir de 1937, ses efforts pour implanter l’Institut sur un terrain appartenant aux
salésiens, et son projet d’adjoindre à la “high school” une école technique. Après
l’interlude de Cumballa Hill, l’Institut fut transféré en 1941 à Matunga, au nord
de la ville.
De l’Inde nous passons en Chine, où Carlo Socol relate les vingt premières an-
nées de l’orphelinat de Macao “entre l’idéal et la réalité” (1906-1926).20 Son étude
profite d’une documentation puisée dans les archives de la congrégation, dans celles
de la province de Chine et du diocèse de Macao. Faisant état d’une “poussée charis-
matique” en direction de la Chine chez don Bosco et ses premiers disciples dès 1874,
l’auteur décrit les longues préparations de l’expédition: le rôle de don Conelli, les né-
gociations avec l’ancien supérieur jésuite du séminaire de Macao, puis avec l’évêque
de Macao, qui propose aux salésiens de prendre la direction de l’orphelinat de l’Im-
maculée Conception. Le choix du personnel et la désignation du chef de l’expédition
furent une tâche difficile. En 1906 arrive la première équipe salésienne composée du
P. Versiglia, directeur, de deux autres prêtres, dont le P. Ludovic Olive, d’un coadju-
teur et de deux novices. L’auteur passe ensuite à la description du “premier impact
avec la réalité”: la chaleur du premier accueil, les risques de manipulation dus à la co-
habitation des deux éléments portugais et chinois, le poids du diocèse et de la com-
mission gouvernementale, la recherche d’une plus grande autonomie et d’un territoire
de mission proprement dite, le départ des salésiens de Macao à la suite de la révolu-
tion portugaise de 1910 et leur retour deux ans plus tard. La dernière partie de l’étude
19 J. THEKEDATHU, The starting of the first salesian work in Bombay and its consolidation
(1928-1950), dans Insediamenti..., pp. 245-274.
20 C. SOCOL, The first twenty years of the Orfanato of Macao between ideal and reality
(1906-1926), dans Insediamenti..., pp. 275-325.

2.2 Page 12

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424 Morand Wirth
montre l’orphelinat à la recherche d’un nouveau rôle avec “de nouvelles idées pour
une nouvelle Chine”, le développement de l’oeuvre et sa progressive inculturation.
Le rêve de don Bosco commençait à se réaliser, surtout avec les débuts de la mission
de Shiu Chow en 1917 et l’érection en 1923 d’une “visitatoria” chinoise, qui de-
viendra une province en 1926.
9. En Amérique latine
Les trois dernières communications nous conduisent en Amérique du Sud, qui
fut, comme l’on sait, le but fixé par don Bosco aux premières expéditions mission-
naires à partir de 1875.
L’histoire de l’implantation de l’oeuvre salésienne au Mexique est due à Fran-
cisco Castellanos et Evaristo Olmos.21 L’exposé, basé sur la consultation des archives
salésiennes et sur une abondante bibliographie mexicaine, suit pas à pas les premières
maisons ouvertes dans ce pays, en général des “collèges” comprenant des “étudiants”
et des “artisans” (menuisiers, tailleurs, cordonniers, serruriers, typographes et re-
lieurs). Les auteurs ont pris soin de situer l’arrivée des premiers salésiens en 1892,
bientôt suivis des premières Filles de Marie Auxiliatrice en 1894, dans le contexte
historique de la dictature de Porfirio Diaz (1876-1911) et du nouveau dynamisme so-
cial des catholiques après Rerum novarum. Chose remarquable, la première oeuvre
mexicaine était née deux ans plus tôt à Mexico grâce à un groupe de Coopérateurs sa-
lésiens. L’orphelinat primitif fut rapidement transformé en collège salésien, et com-
plété par un collège des soeurs et une église dédiée à Marie Auxiliatrice. Les auteurs
décrivent l’oeuvre de Santa Julia dans la capitale, celle de Puebla, la crise qui les a
frappées, l’oeuvre de Morelia (école professionnelle et agricole) et la création de la
province mexicaine. La visite de don Albera en 1903, documentée à partir de la rela-
tion du Bollettino salesiano, sera suivie deux ans plus tard d’une nouvelle oeuvre à
Guadalajara. L’exposé s’arrête en 1906, qui marque la fin du premier cycle des fon-
dations mexicaines.
La communication de Riolando Azzi nous conduit au Brésil, où les premiers sa-
lésiens, guidés par don Lasagna, sont arrivés en 1883.22 Partant d’une approche de
type sociologique, l’auteur s’est intéressé aux relations que l’institution salésienne a
pu établir avec l’Église du Brésil (qui resserrait ses liens avec le pape et la curie ro-
maine et favorisait les oeuvres religieuses de type éducatif et social), avec l’État
(plutôt bien disposé à l’égard des salésiens même sous le nouveau régime républicain
à partir de 1889), et avec la société brésilienne (au sein de laquelle l’aristocratie et la
bourgeoisie rurales ont appuyé l’enseignement agricole et professionnel). Quoique
imbus d’une mentalité conservatrice, les salésiens, moins rigides que les jésuites ou
21 F. CASTELLANOS H. - E. OLMOS V., Implantación de la obra salesiana en México, dans
Insediamenti..., pp. 471-503.
22 R. AZZI, Implantação e desenvolvimento inicial da obra salesiana no Brasil (1883-
19O8), dans Insediamenti..., pp. 506-521.

2.3 Page 13

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“Insediamenti e iniziative salesiane dopo don Bosco”... 425
les maristes et plus proches des milieux populaires, ont su nouer des contacts utiles
avec d’autres milieux et adapter leur projet éducatif avec souplesse. L’auteur fait re-
marquer que, sur les seize principales fondations salésiennes entre 1883 et 1908, neuf
avaient une section professionnelle et six étaient des écoles agricoles. L’étude s’arrête
en 1908, date d’une nouvelle orientation en faveur des collèges classiques, dont la
clientèle provenait plutôt des classes moyennes des villes.
La dernière communication, due à Santiago Salto, nous ramène au temps des
premières expéditions en Argentine, parmi les immigrants italiens du quartier de La
Boca à Buenos Aires.23 Elle est aussi la seule à relater une expérience salésienne en
paroisse. Après une présentation rapide des premiers directeurs-curés, à commencer
par don Bodrato, dont les lettres récemment publiées sont une des sources utilisées,
l’auteur rappelle la vague d’émigration qui a touché quatorze millions d’Italiens entre
1876 et 1914. Il décrit la situation générale des immigrants de La Boca, leurs origines
génoises et ligures, leur mentalité républicaine anticléricale et leur cadre de vie lié
aux activités portuaires. Parmi les moyens pastoraux mis en oeuvre pour la “recatho-
licisation” de ce quartier, on notera en particulier: la visite des malades, le catéchisme
des enfants, la construction d’une église, les processions (qui enlevèrent aux anticléri-
caux le monopole des manifestations de rue), les publications, notamment de l’heb-
domadaire Cristoforo Colombo (figure emblématique opposée aux “mythes” de Maz-
zini et de Garibaldi), la création d’écoles et d’oratoires, et diverses activités sociales
encouragées par Rerum novarum (où les salésiens se montrèrent moins performants).
Conclusions provisoires
Au terme de ce rapide tour du monde salésien à la fin du XIXe et au début du
XXe siècle, il apparaît que les auteurs ont réussi à donner une idée plus précise de
quelques implantations et initiatives internationales déployées après don Bosco. Ils
l’ont fait en utilisant des méthodes variées et à partir d’une documentation générale-
ment riche. Quelques remarques finales permettront de contempler les résultats ob-
tenus et d’ouvrir des perspectives.
1° L’histoire de l’oeuvre salésienne, telle qu’elle est décrite dans ce volume,
montre le rôle moteur de la Société de S. François de Sales, au point que l’histoire sa-
lésienne semble souvent être identifiée avec l’histoire des salésiens. On compte ce-
pendant deux contributions sur des initiatives menées par les Filles de Marie Auxilia-
trice. Il serait intéressant de savoir si la séparation des deux Instituts à partir de 1906,
si déplorée à l’époque, n’a pas favorisé au contraire le développement de l’oeuvre sa-
lésienne dans son ensemble. D’autre part, une recherche appropriée pourrait sans
doute mettre en lumière tout ce que cette oeuvre doit à l’apport des laïcs: Coopéra-
teurs, bienfaiteurs, collaborateurs et amis. Enfin, même si l’histoire d’une oeuvre ne
saurait se réduire à la simple biographie de ses promoteurs, on sait l’importance que
23 S. SALTO, Esperienza salesiana tra gli emigrati del rione la Boca a Buenos Aires
(1877-1922), dans Insediamenti..., pp. 523-536.

2.4 Page 14

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426 Morand Wirth
peuvent avoir certaines personnalités. Il était donc normal que quelques figures de
pionniers émergent de ce volume: le coadjuteur Borivent en France, l’inspecteur Sca-
loni en Belgique, soeur Emilia Mosca en Italie, la coopératrice Dorotea de Chopitea à
Barcelone, le P. Sak au Congo belge, le P. Piccono au Mexique ou le P. Maschio en
Inde. Mais il existe sans doute bien d’autres figures significatives, même si elles sont
moins connues.
2° L’époque en question a enregistré sans nul doute un développement de
l’oeuvre salésienne. Il fallait tenter de comprendre les causes, internes et externes, qui
l’ont permis. À l’intérieur de la “famille salésienne”, on assiste à la poursuite d’une
“poussée charismatique” après don Bosco, et pas seulement en direction de la Chine,
à tel point que plusieurs ont cru devoir souligner les risques d’un personnel souvent
très jeune, peu formé et sélectionné à la hâte. D’autre part, on ne pouvait laisser sans
réponse les appels continuels provenant d’évêques, de gouvernants ou d’associations,
témoins d’une attente certaine dans le monde catholique après Rerum novarum et
chez les amis de l’oeuvre salésienne, en même temps que d’une “publicité” bien
menée. Pour satisfaire au moins une partie de ces demandes, il fallait du personnel,
des vocations. D’où l’intérêt d’une étude spécifique sur le recrutement du personnel
salésien à cette époque et sur sa formation.
3° Parmi les fondations salésiennes, les travaux rassemblés dans le volume ont
donné la priorité à celles qui paraissaient les plus significatives, surtout au plan so-
cial: écoles professionnelles et agricoles, orphelinats, maisons de rééducation, assis-
tance aux émigrants italiens, paroisses populaires, oeuvres missionnaires. Cela se
comprend d’autant mieux qu’elles correspondent à l’inspiration première de don
Bosco. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles ont été les seules ou les plus nom-
breuses. Plusieurs contributions signalent en effet une évolution en faveur des col-
lèges classiques, qui accueillaient une population moins défavorisée. La recherche
des vocations ecclésiastiques et salésiennes n’est sans doute pas étrangère à ce phéno-
mène qui, du reste, avait déjà débuté du temps de don Bosco. Par ailleurs, l’apostolat
salésien ne saurait être réduit au fonctionnement d’une oeuvre d’éducation ou d’une
paroisse. Une recherche élargie sur quelques aspects moins connus, tels que les publi-
cations de l’époque (journaux, bulletins, revues, livres), les associations (compagnies,
Action catholique, Schola cantorum, groupes sportifs ou culturels), ou la spiritualité
diffusée, serait également la bienvenue.
4° En ce qui concerne la distribution géographique des oeuvres étudiées, il ap-
paraît qu’elles couvrent imparfaitement le champ salésien. Dans la présentation du
volume, F. Motto signalait que manquaient à l’appel les communications prévues sur
l’oratoire Saint-Paul à Turin, sur la première présence salésienne en Amérique du
Nord et sur la plantatio ecclesiae en Patagonie. Ne serait-ce que pour l’époque de
don Rua, d’autres implantations seraient à explorer en divers pays d’Amérique du
Sud, dans les missions du Mato Grosso et de l’Équateur, en Palestine ou en Afrique
du Sud.
5° Un des grands problèmes qui se posait à l’oeuvre salésienne en expansion
rapide, c’était celui de la “transplantation” d’un charisme né au Piémont, en Italie, à
une époque donnée, dans une nouvelle culture. Déjà don Bosco s’était plaint de la

2.5 Page 15

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“Insediamenti e iniziative salesiane dopo don Bosco”... 427
difficulté “d’infrancesare” la congrégation. Ce thème pourrait faire l’objet d’un trai-
tement spécifique. À l’époque étudiée par les auteurs, une hésitation est perceptible
entre la copie du modèle religieux et éducatif italien et son adaptation au temps et aux
lieux. Ce qui probablement a permis une implantation durable, c’est d’une part un at-
tachement viscéral à l’expérience “charismatique” du fondateur turinois et la sou-
plesse généralement reconnue aux salésiens. Ces traits se retrouvent dans la mentalité
des protagonistes: à partir d’un fonds traditionnel, conservateur et surtout pragma-
tique, ils démontrent une capacité certaine d’ouverture et de dialogue (sans toutefois
anticiper sur les évolutions futures de l’Église et de la société).
6° Dans un organisme comme celui d’une congrégation religieuse du XIXe
siècle, il vaut la peine d’observer le fonctionnement des institutions, notamment des
lieux de décision: le rôle des autorités centrales (recteurs majeurs et supérieures géné-
rales avec leurs conseils) d’une part, et celui des structures qu’ils mettent en place à
la “périphérie” (les maisons et les provinces avec leurs responsables) d’autre part,
sans oublier toutes les formes d’échanges et de communication utilisées. On constate,
par exemple, que les nombreuses lettres échangées par des responsables locaux, voire
par de simples confrères, avec le recteur majeur ou avec ses représentants, donnent
une bonne idée de la vie des oeuvres et des communautés. De même, les visites effec-
tuées à travers le monde par les supérieurs de Turin ont des répercussions à l’intérieur
et à l’extérieur des oeuvres.
7° S’agissant d’une oeuvre qui s’insère dans l’histoire des hommes, mais aussi
dans l’histoire de l’Église, une dernière remarque à propos de la double dimension de
l’histoire salésienne vient à l’esprit. D’une part, ces hommes et ces femmes sont af-
frontés aux problèmes du quotidien que les auteurs analysent avec précision: relations
humaines, soucis économiques, organisation du travail, problèmes de discipline,
succès et échecs. Ils ressentent souvent la distance qui existe “entre l’idéal et la réa-
lité”. Et d’autre part, on devine la motivation de foi et de charité active chez les dis-
ciples de don Bosco, leur confiance en la Providence ou dans le secours de Marie-
Auxiliatrice, le rôle des songes dans leur engagement missionnaire, leur esprit de sa-
crifice et leurs dévotions, bref leur spiritualité. Les lettres et les chroniques citées par
les auteurs sont souvent éloquentes sur ces différents points, qui pourraient faire
l’objet d’approfondissements ultérieurs.
En conclusion, remercions les auteurs de nous avoir donné une image plus
précise de l’oeuvre salésienne après don Bosco, en souhaitant que la recherche se
poursuive.