FRA - Salesiani Cap Gen Valdocco 2020


FRA - Salesiani Cap Gen Valdocco 2020



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Aux membres du Chapitre Général des Salésiens
Valdocco, 16 février – 4 avril 2020
Chers frères,
Je vous salue avec affection et remercie Dieu de pouvoir, même à distance,
partager avec vous un moment du chemin que vous êtes en train de
parcourir.
Il est significatif qu'après quelques décennies, la Providence vous ait
amenés à célébrer le Chapitre Général au Valdocco – le lieu de la mémoire –
où le rêve fondateur s'est concrétisé et a fait les premiers pas. Je suis sûr
que le bruit et les cris des oratoires seront la meilleure musique, la plus
efficace pour que l'Esprit ravive le don charismatique de votre Fondateur. Ne
fermez pas les fenêtres à ce bruit de fond ... Qu’il vous accompagne et vous
garde sans repos et intrépides dans le discernement ! Et permettez à ces voix
et à ces chants d'évoquer, à leur tour, en vous, le visage de nombreux autres
jeunes qui, pour diverses raisons, se trouvent comme des brebis sans berger
(cf. Mc 6, 34). Ces cris et ce souci vous garderont attentifs et éveillés face à
tout type d'anesthésie auto-imposée et vous aideront à rester dans une
fidélité créative à votre identité salésienne.
Ravivez le don que vous avez reçu
Penser à la figure du Salésien pour les jeunes d'aujourd'hui implique
d'accepter que nous sommes plongés dans un temps de changements, avec
toute l'incertitude qui en découle. Personne ne peut dire avec certitude et
précision (si tant est que cela ait été jamais possible) ce qui se passera dans
un avenir proche sur le plan social, économique, éducatif et culturel.
L'inconsistance et la « fluidité » des événements, mais surtout la rapidité avec
laquelle les choses se suivent et se communiquent, font de chaque type de
prévision une lecture condamnée à être reformulée au plus vite.1 Cette
perspective est encore plus accentuée par le fait que vos œuvres sont
orientées d'une manière particulière vers le monde de la jeunesse qui est en
soi un monde en mouvement et en transformation continue. Cela requiert
une double docilité : docilité aux jeunes et à leurs besoins, et docilité à
l'Esprit et à tout ce qu'Il veut transformer.
Assumer de manière responsable cette situation – à la fois au niveau
personnel et au niveau communautaire – implique de sortir d'une rhétorique
1 cf. Constitution Apostolique Veritatis gaudium [la joie de la vérité] nn. 3-4.

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qui nous fait dire sans cesse « tout change » et qui, à force de le dire et de le
répéter, finit par nous fixer dans une inertie paralysante qui prive votre
mission de la parrhésie propre aux disciples du Seigneur. Cette inertie peut
aussi se manifester dans un regard et une attitude pessimistes face à tout
ce qui nous entoure et non seulement par rapport aux transformations qui
s'opèrent dans la société mais aussi par rapport à sa propre Congrégation,
aux frères et à la vie de l'Église. Cette attitude finit par « boycotter » et
empêcher toute réponse ou tout processus alternatif, ou par faire ressortir
la position opposée : un optimisme aveugle, capable de dissoudre la force et
la nouveauté de l'Évangile, nous empêchant d'accepter concrètement la
complexité que les situations exigent et la prophétie que le Seigneur nous
invite à poursuivre. Ni le pessimisme ni l'optimisme ne sont des dons de
l'Esprit, car tous deux proviennent d'une vision autoréférentielle capable
seulement de se mesurer avec ses propres forces, capacités ou aptitudes,
nous empêchant de regarder ce que le Seigneur met en œuvre et veut
accomplir parmi nous.2 Ni s'adapter à la culture à la mode, ni se réfugier
dans un passé héroïque mais déjà désincarné [ne sont des dons de l’Esprit].
En période de changements, il est bon de s'en tenir aux paroles de saint Paul
à Timothée : « Voilà pourquoi, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu,
ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un
esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et
de pondération. » (2Tm 1,6-7).
Ces paroles nous invitent à cultiver une attitude contemplative, capable
d'identifier et de discerner les points clés. Cela aidera à s'engager dans le
chemin avec l'esprit et la contribution propres des fils de Don Bosco et,
comme lui, à développer « une révolution culturelle courageuse ».3 Cette
attitude contemplative vous permettra de dépasser et de dépasser vos
propres attentes et programmes. Nous sommes des hommes et des femmes
de foi, ce qui suppose d'être passionnés par Jésus-Christ ; et nous savons
que notre présent et notre avenir sont imprégnés de cette force apostolique
et charismatique appelée à continuer à imprégner la vie de nombreux jeunes
abandonnés et en danger, pauvres et désavantagés, exclus et rejetés, privés
de droits, de maison ... Ces jeunes attendent un regard d'espérance capable
de contredire tout type de fatalisme ou de déterminisme. Ils attendent de
croiser le regard de Jésus qui leur dit « qu’il y a une issue à toutes les
situations difficiles ou douloureuses ».4 C'est là qu'habite notre joie.
2 Cf. Exhortation Apostolique postsynodale Christus vivit, 35.
3 Laudato si’, 114.
4 Christus vivit, 104.

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Ni pessimiste ni optimiste, le Salésien du XXIème siècle est un homme plein
d'espoir car il sait que son centre se situe dans le Seigneur capable de faire
toutes choses nouvelles (cf. Ap 21,5). Cela seul nous sauvera de vivre dans
une attitude de résignation et de survie défensive. Cela seul rendra notre vie
fructueuse,5 car elle permettra au don reçu de continuer à être vécu et
exprimé comme une bonne nouvelle pour et avec les jeunes d'aujourd'hui.
Cette attitude d'espérance est capable d'établir et d'inaugurer des processus
éducatifs alternatifs à la culture dominante qui, dans de nombreuses
situations – à la fois en raison de l'extrême pauvreté ou de l'abondance aussi
extrême dans certains cas – finissent par asphyxier et tuer les rêves de nos
jeunes en les condamnant à un conformisme assourdissant, rampant et
souvent anesthésié. Ni triomphalistes ni alarmistes, hommes et femmes
joyeux et pleins d'espérance, non automatisés mais artisans actifs, capables
d’« afficher d’autres rêves que ce monde n’offre pas, témoigner de la beauté
de la générosité, du service, de la pureté, du courage, du pardon, de la fidélité
à sa vocation, de la prière, de la lutte pour la justice et le bien commun, de
l’amour des pauvres, de l’amitié sociale.»6
L’ « option Valdocco » pour votre CG28 est une bonne occasion pour vous
confronter avec vos sources et demander au Seigneur : « Da mihi animas,
cætera tolle ».7 « Tolle » surtout ce qui a été incorporé et perpétué en cours de
route et qui, bien qu'à un autre moment aurait pu être une réponse
adéquate, vous empêche aujourd'hui de configurer et de façonner la
présence salésienne de manière évangéliquement significative dans les
différentes situations de la mission. Cela nécessite, de votre part, de
surmonter les peurs et les appréhensions qui peuvent découler du fait d'avoir
cru que le charisme se réduisît ou s'identifiât avec certaines œuvres ou
structures bien déterminées. Vivre fidèlement le charisme est quelque chose
de plus riche et de plus stimulant que le simple abandon, retrait ou
réajustement des maisons ou des activités ; cela implique un changement de
mentalité face à la mission à accomplir.8
5 Cf. Homélie du 2 février 2017.
6 Christus vivit, 36.
7 Devise imprimée en lettres de feu chez les premiers missionnaires. Je me souviens de la lettre de Don Giacomo
Costamagna à Don Bosco où, après lui avoir parlé des difficultés du voyage et des différents échecs auxquels
il a dû faire face, il conclut en disant : « Nous demandons à l'unanimité une seule chose : pouvoir aller très
vite en Patagonie pour sauver d'innombrables âmes. » La conscience d'être envoyé à la recherche d'âmes dans
les périphéries et à rester en surmontant tout échec apparent est une marque d'identité à partir de laquelle
confronter et mesurer le charisme : « Da mihi animas, cætera tolle ».
8 Souvenons-nous de l'avertissement du Seigneur : « Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de
Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. » (Mc 7,8)

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L’ « option Valdocco” et le don des jeunes
L'Oratoire salésien et tout ce qui en a découlé, ainsi que le racontent les
Mémoires de l'Oratoire, est né comme une réponse à la vie de jeunes avec un
visage et une histoire, qui ont mis en mouvement ce jeune prêtre incapable
de rester neutre ou inactif devant ce qui se produisait. Ce fut bien plus qu'un
geste de bonne volonté ou de gentillesse, et même bien plus que le résultat
d'un projet d'étude sur la « faisabilité numérique et charismatique ». Je crois
plutôt à un acte de conversion permanente et à une réponse au Seigneur
qui, « fatigué de frapper » à nos portes, attend que nous allions le chercher
et le rencontrer ... Ou que nous le laissions sortir quand il frappe de
l'intérieur. Une conversion qui a impliqué (et compliqué) toute la vie de Don
Bosco et celle de son entourage. Don Bosco, non seulement ne choisit pas
de se séparer du monde pour rechercher la sainteté, mais se laisse interpeller
et choisit comment et dans quel monde vivre.
En choisissant et en accueillant le monde des enfants et des jeunes
abandonnés, sans travail ni formation, il leur a permis d'expérimenter d'une
manière tangible la paternité de Dieu et leur a fourni des outils pour raconter
leur vie et leur histoire à la lumière d'un amour inconditionnel. Et eux, à leur
tour, ont aidé l'Église à renouer avec sa mission : « La pierre qu'ont rejetée
les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle » (Ps 117/118,22). Loin d'être des
agents passifs ou des spectateurs de l'œuvre missionnaire, ils sont devenus,
à partir de leur condition même – dans bien des cas « analphabètes religieux »
et «analphabètes sociaux » – les principaux protagonistes de tout le
processus de fondation.9 La salésianité naît précisément de cette rencontre
capable de susciter des prophéties et des visions : accueillir, intégrer et faire
grandir les meilleures qualités comme don pour les autres, surtout pour les
marginalisés et les abandonnés de qui on n’attend rien. C’est Paul VI qui l'a
dit : « Évangélisatrice, l’Église commence par s’évangéliser elle-même.… Cela
veut dire, en un mot, qu’elle a toujours besoin d’être évangélisée, si elle veut
garder fraîcheur, élan et force pour annoncer l’Évangile.»11 Tout charisme
doit être renouvelé et évangélisé, et, dans votre cas, surtout par les jeunes
les plus pauvres.
9 Grâce à l'aide du sage Cafasso, Don Bosco a découvert qui il était aux yeux des jeunes détenus ; et ces jeunes
détenus ont découvert un visage nouveau dans le regard de Don Bosco. Ensemble, ils ont ainsi découvert le
rêve de Dieu qui a besoin de ces rencontres pour se manifester. Don Bosco n'a pas découvert sa mission devant
un miroir, mais dans la douleur de voir des jeunes sans avenir. Le Salésien du XXIème siècle ne découvrira pas
son identité s'il n'est pas capable de souffrir avec « la quantité de jeunes, sains et robustes, éveillés qui étaient
en prison tourmentés et totalement dépourvus de nourriture spirituelle et matérielle… Ils représentaient
l'opprobre de la nation, le déshonneur de la famille. » (Mémoires de l'Oratoire de Saint François de Sales, 48) ;
et nous pourrions ajouter : de notre Église même.
11 Exhortation Apostolique Evangelii nuntiandi, 15.

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Les interlocuteurs de Don Bosco hier et du Salésien aujourd'hui ne sont pas
de simples destinataires d'une stratégie planifiée à l'avance, mais des
protagonistes vivants de l'Oratoire à mettre en œuvre.12 Par eux et avec eux,
le Seigneur nous montre sa volonté et ses rêves.13 Nous pourrions les appeler
co-fondateurs de vos maisons, où le Salésien sera expert dans la convocation
et la génération de ce type de dynamiques sans s'en croire le propriétaire.
Cette union nous rappelle que nous sommes « Église en sortie » et nous
mobilise pour cela : Église capable d'abandonner des positions confortables,
sûres et parfois privilégiées, afin de retrouver dans les derniers la fécondité
typique du Royaume de Dieu. Il ne s'agit pas d'un choix stratégique mais
charismatique, d’une fécondité durable basée sur la croix du Christ, qui est
toujours une scandaleuse injustice pour ceux qui ont bloqué la sensibilité
devant la souffrance ou qui ont accepté l'injustice envers l'innocent. « Ne
soyons pas une Église insensible à ces drames de ses enfants jeunes. Ne
nous y habituons jamais, car qui ne sait pas pleurer n’est pas mère. Nous
voulons pleurer pour que la société aussi soit davantage mère ».14
L’ « option Valdocco » et le charisme de la présence
Il est important de faire valoir que nous ne sommes pas formés pour la
mission, mais que nous sommes formés dans la mission, à partir de laquelle
tourne toute notre vie, avec ses choix et ses priorités. La formation initiale et
la formation permanente ne peuvent pas être une instance préalable,
parallèle ou séparée de l'identité et de la sensibilité du disciple. La mission
inter gentes est notre meilleure école : à partir d'elle, nous prions, nous
réfléchissons, nous étudions, nous nous reposons. Lorsque nous nous
isolons ou nous nous éloignons des gens que nous sommes appelés à servir,
notre identité de personnes consacrées commence à se défigurer et à devenir
une caricature.
En ce sens, l'un des obstacles que nous pouvons identifier n'a pas grand-
chose à voir avec une situation extérieure à nos communautés, mais c'est
plutôt ce qui nous affecte directement par une expérience déformée du
ministère ..., et qui nous fait tant de mal : le cléricalisme. C'est la recherche
12 Aujourd'hui, nous voyons comment, dans de nombreuses régions, les jeunes sont les premiers à s'élever, à
s'organiser et à promouvoir des causes justes. Loin d'empêcher ce réveil, vos maisons salésiennes sont appelées
à devenir des espaces susceptibles de stimuler cette prise de conscience de chrétiens et de citoyens.
Rappelons-nous le titre de l'Étrenne 2020 du Recteur Majeur : « Bons chrétiens et honnêtes citoyens ».
13 Je vous invite à toujours garder à l'esprit tous ceux qui ne participent pas à ces instances mais que nous
ne pouvons ignorer si nous ne voulons pas devenir un groupe fermé.
14 Christus vivit, 75.

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personnelle de vouloir occuper, concentrer et déterminer les espaces en
minimisant et en annulant l'onction du Peuple de Dieu. Le cléricalisme, en
vivant l'appel de manière élitiste, confond élection et privilège, service et
servilité, unité et uniformité, divergence et opposition, formation et
endoctrinement. Le cléricalisme est une perversion qui favorise les liens
fonctionnels, paternalistes, possessifs et même manipulateurs avec le reste
des vocations dans l'Église.
Un autre obstacle que nous rencontrons – répandu, et même justifié,
surtout en cette période de précarité et de fragilité – est la tendance au
rigorisme. En confondant l'autorité avec l'autoritarisme, il prétend gouverner
et contrôler les processus humains avec une attitude scrupuleuse, sévère et
même mesquine, face à ses propres limites et ses propres faiblesses ou celles
des autres (surtout celles des autres). Le rigoriste oublie que le blé et l'ivraie
poussent ensemble (cf. Mt 13,24-30) et « que tous ne peuvent pas tout, et
qu’en cette vie les fragilités humaines ne sont pas complètement et
définitivement guéries par la grâce. De toute manière, comme l’enseignait
saint Augustin, Dieu t’invite à faire ce que tu peux et à demander ce que tu
ne peux pas. »15 Saint Thomas d'Aquin, avec une grande finesse et une
grande subtilité spirituelles, nous rappelle que « le diable en trompe
beaucoup. Certains, en les attirant à commettre des péchés ; d'autres, au
contraire, à une rigidité excessive envers ceux qui pèchent, de sorte que s'il
ne peut pas les avoir avec un comportement vicieux, il conduit à la perdition
ceux qu'il possède déjà, en utilisant la rigueur des prélats qui, sans les
corriger avec miséricorde, les mènent au désespoir, et c'est ainsi qu'ils se
perdent et tombent dans le filet du diable. Et c'est ce qui nous arrive si nous
ne pardonnons pas aux pécheurs. »16
Ceux qui accompagnent les autres à grandir doivent être des gens à larges
vues, capables de mettre ensemble limites et espérance, aidant ainsi à
toujours regarder en perspective, dans une perspective salvatrice. Un
éducateur « qui n'a pas peur de fixer des limites et, en même temps,
s'abandonne à la dynamique de l'espérance exprimée dans sa confiance en
l'action du Seigneur des processus, est l'image d'un homme fort, qui guide
ce qui ne lui appartient pas, mais qui appartient à son Seigneur. »17 Nous
n'avons pas le droit d'étouffer et d'empêcher la force et la grâce du possible,
dont la réalisation cache toujours une graine de Vie nouvelle et bonne.
15 Exhortation Apostolique Gaudete et exsultate, 49.
16 Super II Cor., cap. 2, lect. 2 (in fine). Le passage commenté par saint Thomas est 2Co 2, 6-7 où, à l'égard de
celui qui l'a attristé, saint Paul écrit : « vous devez, au contraire, plutôt lui faire grâce et le réconforter, pour
éviter qu’il ne sombre dans une tristesse excessive. ».
17 J. M. BERGOGLIO, Meditazioni per religiosi, 105.

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Apprenons à travailler et à faire confiance aux temps de Dieu, qui sont
toujours plus grands et plus sages que nos mesures à courte vue. Il ne veut
détruire personne, il veut sauver tout le monde.
Il est donc urgent de trouver un style de formation capable d'assumer
structurellement le fait que l'évangélisation implique la pleine participation,
et avec pleine citoyenneté, de chaque baptisé – avec tout son potentiel et ses
limites – et pas seulement des soi-disant « acteurs qualifiés » ;18 la
participation où le service, et le service des plus pauvres, est la pierre
angulaire qui aide à manifester et à mieux témoigner de notre Seigneur qui
« n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon
pour la multitude» (Mt 20,28). Je vous encourage à poursuivre vos efforts
pour faire de vos maisons un « laboratoire d'Église » capable de reconnaître,
d'apprécier, de stimuler et d'encourager les différents appels et missions
dans l'Église.19
En ce sens, je pense concrètement à deux présences de votre communauté
salésienne, qui peuvent aider, comme éléments de comparaison, à
comprendre la place occupée par les différentes vocations chez vous ; deux
présences qui constituent un « antidote » contre toute tendance cléricaliste
et rigoriste : le Frère Coadjuteur et les femmes.
Les Frères Coadjuteurs sont une expression vivante de la gratuité que le
charisme nous invite à garder. Votre consécration est, avant tout, le signe
d'un amour gratuit du Seigneur et pour le Seigneur chez ses jeunes, qui ne
se définit pas principalement par un ministère, une fonction ou un service
particulier, mais par une présence. Avant même des choses à faire, le
Salésien est un rappel vivant d'une présence où disponibilité, écoute, joie et
dévouement sont les notes essentielles pour susciter des processus. La
gratuité de la présence sauve la Congrégation de toute obsession militante
et de tout réductionnisme technico-fonctionnel. Le premier appel est d'être
une présence joyeuse et gratuite parmi les jeunes.
Qu'en serait-il du Valdocco sans la présence de Maman Marguerite ? Vos
maisons auraient-elles été possibles sans cette femme de foi ? Dans certaines
régions et certains endroits « il y a des communautés qui se sont longtemps
maintenues et ont transmis la foi sans qu’un prêtre ne passe les voir ; durant
même des décennies. Cela s’est fait grâce à la présence de femmes fortes et
généreuses. Les femmes baptisent, sont catéchistes, prient, elles sont
missionnaires, certainement appelées et animées par l’Esprit Saint. Pendant
18 Cf. Evangelii gaudium, 120
19 Avant d'être un acte qui différencie ou rend complémentaire, une vocation ecclésiale est une invitation à
offrir un don particulier en fonction de la croissance des autres.

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des siècles, elles ont maintenu l’Église debout dans ces régions avec un
dévouement admirable et une foi ardente. »20 Sans une présence réelle,
effective et affective des femmes, vos œuvres n'auraient pas le courage et la
capacité de décliner la présence comme hospitalité, comme maison. Face à
la rigueur qui exclut, nous devons apprendre à générer la nouvelle vie de
l'Évangile. Je vous invite à poursuivre une dynamique dans laquelle la voix
de la femme, son regard et son action – appréciés dans leur singularité –
trouvent un écho dans la prise de décision, en tant qu'acteur non auxiliaire
mais constitutif de vos présences.
L’ « option Valdocco » dans la pluralité des langues
Comme autrefois, le mythe de Babel tente de s'imposer au nom de la
globalité. Des systèmes entiers créent un réseau de communication mondial
et numérique capable d'interconnecter les différents coins de la planète, avec
le grand danger d'uniformisation monolithique des cultures, les privant de
leurs caractéristiques et de leurs ressources essentielles. La présence
universelle de votre Famille Salésienne est un stimulant et une invitation à
conserver et à préserver la richesse de nombreuses cultures dans lesquelles
vous êtes plongés sans chercher à les « standardiser ». D'un autre côté, faites
des efforts pour que le christianisme puisse assumer la langue et la culture
de la population locale. Il est triste de voir que, dans de nombreuses régions,
la présence chrétienne est toujours vécue comme une présence étrangère (en
particulier européenne) ; une situation que l'on retrouve également dans les
itinéraires de formation et les modes de vie (cf. ibid., 90).21 Au contraire, nous
agirons comme nous l'inspire cette anecdote de Don Bosco qui, interrogé sur
la langue qu'il aimerait parler, a répondu : « Celle que ma mère m'a apprise :
c'est celle avec laquelle je peux communiquer plus facilement. » Selon cette
certitude, le Salésien est appelé à parler dans la langue maternelle de
chacune des cultures dans lesquelles il se trouve. L'unité et la communion
de votre Famille sont capables d'assumer et d'accueillir toutes ces
différences, qui peuvent enrichir tout le corps en une synergie de
communication et d'interaction où chacun peut offrir le meilleur de lui-même
pour le bien du corps entier. De cette façon, la salésianité, loin de se perdre
dans l'uniformité des tonalités, acquerra une expression plus belle et plus
attrayante ... et pourra s'exprimer « en dialecte » (cf. 2Mac 7,26-27).
20 Exhortation Apostolique postsynodale Querida Amazonia, 99.
21Cf. Evangelii gaudium, 116 : « … comme nous pouvons le voir dans l’histoire de l’Église, le christianisme n’a
pas un modèle culturel unique, mais tout en restant pleinement lui-même, dans l’absolue fidélité à l’annonce
évangélique et à la tradition ecclésiale, il revêtira aussi le visage des innombrables cultures et des innombrables
peuples où il est accueilli et enraciné. »

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Dans le même temps, l'irruption de la réalité virtuelle en tant que langue
dominante dans de nombreux pays où vous accomplissez votre mission
nécessite, en premier lieu, de reconnaître toutes les possibilités et les choses
bonnes qu'elle produit, sans sous-estimer ou ignorer l'impact qu'elle possède
dans la création de liens, en particulier sur le plan affectif. Même nous,
adultes consacrés, ne sommes pas à l'abri de cela. La «pastorale de l'écran»,
si répandue (et nécessaire), nous demande d'habiter le web de manière
intelligente, en le reconnaissant comme un espace missionnaire,22 ce qui
nécessite, à son tour, de mettre toutes les médiations nécessaires afin de ne
pas rester prisonnier de sa circularité et de sa logique particulière (et
dichotomique). Ce piège – même au nom de la mission – peut nous renfermer
sur nous-mêmes et nous isoler dans une virtualité confortable, superflue et
peu ou pas du tout engagée avec la vie des jeunes, des frères de la
communauté ou des tâches apostoliques. Le réseau n'est pas neutre et le
pouvoir qu'il a de créer une culture est très élevé. Sous l'avatar de la
proximité virtuelle, nous pouvons nous retrouver aveugles ou éloignés de la
vie concrète des gens, aplatissant et appauvrissant la vigueur missionnaire.
Le repliement sur soi, si répandu et socialement proposé dans cette culture
largement numérisée, requiert une attention particulière non seulement en
ce qui concerne nos modèles pédagogiques mais aussi en ce qui concerne
l'utilisation personnelle et communautaire du temps, de nos activités et de
nos biens.
L’ « option Valdocco » et la capacité de rêver
L'un des « genres littéraires » de Don Bosco étaient les rêves. Avec eux, le
Seigneur a fait son chemin dans la vie de Don Bosco et dans la vie de toute
votre Congrégation, élargissant l'imaginaire du possible. Les rêves, loin de le
garder endormi, l'ont aidé, comme cela est arrivé à saint Joseph, à prendre
une autre profondeur et une autre mesure de la vie, celles qui naissent des
entrailles de la compassion de Dieu. Il était possible de vivre l'Évangile
concrètement ... Don Bosco l'a rêvé et lui a donné forme dans l'Oratoire.
Je souhaite vous offrir ses paroles comme les « mots du soir » dans toute
bonne maison salésienne au terme de la journée, en vous invitant à rêver et
à rêver grand. Sachez que le reste vous sera donné par surcroît. Rêvez de
maisons ouvertes, fructueuses et évangélisatrices, capables de permettre au
Seigneur de montrer à de nombreux jeunes son amour inconditionnel et de
vous permettre, à vous, de profiter de la beauté à laquelle vous avez été
22 Aujourd’hui, en fait, « une évangélisation qui éclaire les nouvelles manières de se mettre en relation avec
Dieu, avec les autres et avec l’environnement, et qui suscite les valeurs fondamentales devient nécessaire. Il
est indispensable d’arriver là où se forment les nouveaux récits et paradigmes » (Evangelii gaudium 74).

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appelés. Rêvez… Et non seulement pour vous et pour le bien de votre
Congrégation mais encore pour tous les jeunes privés de la force, de la
lumière et de la consolation de l’amitié avec Jésus-Christ, sans une
communauté de foi qui les accueille, sans un horizon de sens et de vie (cf.
Evangelii gaudium, 49). Rêvez … Et faites rêver !
Rome, Saint Jean de Latran
4 mars 2020
+ FRANÇOIS