Voitas-Pedagogie apres DB digital FR


Voitas-Pedagogie apres DB digital FR



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MICHAL VOJTÁŠ
PÉDAGOGIE
SALÉSIENNE
APRÈS DON BOSCO
De la première génération
au synode des jeunes
(1888-2018)
LAS - Roma

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Publications du
Centro Studi Don Bosco
Studi e strumenti - 9

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MICHAL VOJTÁŠ
PÉDAGOGIE SALÉSIENNE
APRÈS DON BOSCO
De la première génération au synode des jeunes (1888-2018)
LAS - ROMA

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Titre original : PEDAGOGIA SALESIANA DOPO DON BOSCO
Traduction : Morand Wirth
Présentation de couverture : Cyril Uhnák
Traitement électronique : Province salésienne de Corée (KOR)
© 2023 by LAS - Libreria Ateneo Salesiano
Piazza del­l’Ateneo Salesiano, 1 - 00139 ROMA
Tel. 06 87290626 - e-mail: las@unisal.it - https://www.editricelas.it
ISBN
digital: 978-88-213-1554-1
paperback: 978-88-213-1553-4

1.5 Page 5

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PRÉFACE
Dans le programme du sexennat 2020-20261 il y a un certain nombre
d’orientations qui nous donnent la clé pour interpréter ce volume sur la
pédagogie salésienne, qui fait le lien entre l’expérience fondatrice de la
première génération salésienne et les époques qui ont suivi jusqu’à nos
jours. Étant donné que l’auteur Michal Vojtáš entend traiter des mentalités
pédagogiques qui se sont succédé, en vue d’une mise à jour pour le présent
et pour l’avenir, j’indique la vertu d’espérance comme le principe qui va
guider le lecteur. Ce n’est qu’avec l’espérance que nous pouvons affronter
l’avenir, faisant confiance au Seigneur pour que nos humbles contributions
de pensée et d’action portent leurs fruits. L’espérance a un rapport privilé-
gié avec le temps. D’une part, en effet, elle nous permet de regarder l’ave-
nir avec foi et dans une attitude de confiance en la Providence, si chère à
Don Bosco ; d’autre part, elle s’enracine dans un regard sur le passé plein
de reconnaissance pour le chemin parcouru. L’histoire de la pédagogie sa-
lésienne en fait partie : elle répond aux défis et accueille les leçons des
différentes époques, elle donne continuité à certaines intuitions prophé-
tiques vécues à l’oratoire du Valdocco, elle rend opérationnelle la pensée à
laquelle elle fournit des indications méthodologiques qui apportent équi-
libre, ordre et systématicité parmi les intuitions concrètes nées de tant de
bonnes pratiques du monde salésien.
Comme l’affirme le pape François dans le message adressé aux
1 Cf. “Quali salesiani per i giovani di oggi?”. Riflessione postcapitolare della So-
cietà di San Francesco di Sales, in ACG 102 (2020) 433, 9-54.

1.6 Page 6

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6 Pédagogie salésienne après Don Bosco
salésiens réunis pour le 28e Chapitre général : « Ni pessimiste ni optimiste,
le salésien du XXIe siècle est un homme plein d’espérance, car il sait que
le centre de sa vie est le Seigneur, capable de faire toutes choses nouvelles
(cf. Ap 21,5). C’est l’espérance qui nous sauvera d’une attitude de résigna-
tion et de survie défensive. C’est elle seule qui rendra notre vie féconde ».
Les développements de la pensée pédagogique salésienne nous enseignent
que « vivre fidèlement le charisme est quelque chose de plus riche et de
plus stimulant que le simple abandon, repli ou réajustement des maisons ou
des activités ; cela implique un changement de mentalité face à la mission
à réaliser ».2
Ce livre est la preuve que les formulations pédagogiques ne sont jamais
définitives, et que lorsqu’on a fait des projets qui se voulaient exhaustifs,
définitifs ou de la plus grande rigueur, les réalisations ou la réception des
écrits ont été généralement moins satisfaisantes que prévu.
La première ligne du programme pour les six prochaines années,
« Grandir dans l’identité salésienne », nous rappelle la nécessité d’avoir
des racines suffisamment solides pour construire un avenir ouvert au dia-
logue. Nous faisons partie d’une histoire passionnante, mais aussi drama-
tique, non linéaire, avec des hauts et des bas, en compagnie de personnali-
tés salésiennes qui ont consacré leur vie à éduquer et à penser l’éducation.
Notre identité, en effet, s’enracine dans un courant de pensée et d’action
qui a su allier le sens du concret à la souplesse, la solidité à la créativité, la
méthode à un style de vie, la logique de la foi à un projet rationnel. L’iden-
tité salésienne n’est pas faite uniquement de concepts et de coordonnées
pédagogiques ; comme celle des croyants, elle s’enracine dans la rencontre
avec le Christ, dans un sentiment de reconnaissance pour la mission qu’il
nous confie. De fait, la pédagogie salésienne n’est pas seulement un pro-
jet humain, l’invention d’une personnalité géniale, mais elle est le fruit
de l’initiative de Dieu qui nous envoie pour être avec les jeunes, pour les
accompagner et pour imaginer des propositions éducatives cohérentes, so-
lides et en même temps souples et créatives.
La deuxième ligne du programme, celle de la formation pour devenir
des pasteurs salésiens aujourd’hui, nous engage à « surmonter le clivage
entre formation et mission en favorisant dans la Congrégation un nouveau
sens de la formation au sein même de la mission pour aujourd’hui, dans
2 Francesco, Messaggio al CG28, in “Quali salesiani per i giovani di oggi?”, 57-58.

1.7 Page 7

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Préface 7
tout le monde salésien, avec des mesures et des décisions significatives ».3
En effet, notre modèle de formation ne peut qu’être fortement lié au sys-
tème préventif et à la pédagogie salésienne. Plus nous parviendrons à ré-
fléchir de manière critique sur les formulations du passé, plus nous serons
en mesure de valoriser les pierres angulaires permanentes de l’éducation
salésienne et d’éviter les courts-circuits de la pensée et de l’action, liés
aux stéréotypes d’une époque et à des formes de pensée standardisées et
manichéennes.
La formation des pasteurs salésiens est indissolublement liée à la troi-
sième ligne du programme, celle de la mission et de la formation vécues
avec les laïcs. La voie à suivre pour surmonter la séparation entre l’étude
et la mission ne réside pas dans les ajustements de l’antique « mentalité des
maisons de formation », mais dans la mise en place de processus radicale-
ment différents, qui assurent le lien de la nouvelle identité avec la nouvelle
proposition d’une formation continue dans la vie d’une communauté de foi,
d’apprentissage et de pratique éducative. Il y a près d’un quart de siècle,
Don Juan Vecchi a prophétiquement tracé cette voie dans sa lettre circu-
laire intitulée : « Pour vous j’étudie ». Les traits de la figure du « nouveau
salésien » tracés par lui correspondent aux exigences de la « nouvelle évan-
gélisation » et de la « nouvelle éducation ». Il ne s’agissait pas de légers
ajustements, mais de quelque chose de plus radical. Le salésien est appelé
à faire partie d’un « nouveau modèle opérationnel », celui des orienteurs
pastoraux, premiers responsables de l’identité salésienne des initiatives et
des œuvres, animateurs d’autres éducateurs au sein d’un noyau animateur.4
En suivant les réflexions du CG28, je suis convaincu que ce modèle est la
voie de l’avenir : il doit être soutenu, étudié et concrétisé.
Je félicite Michal Vojtáš pour ce large panorama pédagogique et j’es-
père que ce volume deviendra un outil de formation qui permettra d’inter-
préter la culture de manière créative, d’animer un vaste réseau éducatif,
d’accompagner les processus de maturation et de croissance, d’orienter
les éducateurs salésiens et d’interagir dans le contexte social. Concrète-
ment, mon souhait est que le lecteur s’habitue à situer dans leur contexte
la pensée et les projets éducatifs pour pouvoir reconnaître les différentes
3 “Quali salesiani per i giovani di oggi?”, 34.
4 Cf. J.E. Vecchi, “Io per voi studio..”(C 14) La preparazione adeguata dei confratelli
e la qualità del nostro lavoro educativo, in ACG 78 (1997) 361, 3-47

1.8 Page 8

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8 Pédagogie salésienne après Don Bosco
orientations pédagogiques qui y sont incluses. C’est là un présupposé in-
dispensable pour être comme le disciple du Royaume des cieux, qui « tire
de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes » (Mt 13,52),
en forgeant la nouvelle mentalité nécessaire au changement d’époque que
nous sommes en train de vivre. « De cette façon, la salésianité dans ses
différents contextes, loin de se perdre dans l’uniformité d’une même to-
nalité, acquerra une expression plus belle et plus attrayante... Elle saura
s’exprimer en dialecte ».5 C’est ainsi que la Famille salésienne parlera le
langage commun du système préventif avec des variantes, des nuances,
des idées et des pratiques nouvelles et originales.
Don Ángel Fernández Artime, SDB
Rome, 8 décembre 2020, solennité de l’Immaculée Conception
161e anniversaire de la fondation de la Congrégation Salésienne.
5 Francesco, Messaggio al CG28, 63.

1.9 Page 9

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INTRODUCTION
« Que ferait Don Bosco aujourd’hui ? » C’est le refrain explicite ou
implicite qui accompagne souvent la programmation éducative dans les
maisons salésiennes. La question n’est pas seulement un slogan quasi ho-
milétique, mais elle révèle une façon de procéder très répandue lorsqu’on
aborde le thème de la mise à jour, y compris dans le milieu universitaire
: il faut d’abord connaître les racines historiques et les visions éducatives
originelles ; ensuite il faut comprendre le contexte actuel avec ses défis
et ses opportunités ; enfin on en arrivera naturellement à projeter l’ac-
tion éducative pour incarner l’idéal de Don Bosco dans le monde d’au-
jourd’hui. Ce projet d’actualisation a ses racines dans la période qui a suivi
le Concile Vatican II, lorsque les ordres religieux ont été invités à appro-
fondir leurs racines charismatiques et à s’ouvrir aux défis actuels, afin de
pouvoir ensuite planifier une pastorale actualisée. Ces trois phases d’ac-
tualisation font référence à trois disciplines scientifiques spécifiques : les
sciences historiques pour comprendre Don Bosco de manière critique dans
son contexte ; les sciences humaines pour rester en contact avec la société
d’aujourd’hui ; les sciences de l’organisation pour planifier l’éducation de
manière sérieuse, incisive et efficace.
Même si le schéma de la mise à jour postconciliaire semble convaincant
à première vue, on assiste un demi-siècle plus tard à de sérieuses difficultés.
La première est due au manque de signification réelle des développements
intervenus au cours des diverses périodes entre la fondation de la Congré-
gation et le moment présent. Si nous poussions le raisonnement jusqu’au
bout, nous ne devrions plus étudier, par exemple, le modèle de formation

1.10 Page 10

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10 Pédagogie salésienne après Don Bosco
des débuts, la méthode missionnaire en Patagonie, les développements des
oratoires au début du XXe siècle, ou l’histoire de la croisade catéchétique
à l’époque de Don Ricaldone. Tout un patrimoine d’expériences, de rai-
sonnements et d’expérimentations serait perdu et nous serions destinés à
répéter des erreurs semblables à celles de nos prédécesseurs. La deuxième
difficulté provient de la subdivision en plusieurs domaines scientifiques
qui communiquent difficilement entre eux, parce qu’ils ont des méthodes,
des hypothèses, des axiomes, des langages et des communautés scienti-
fiques qui ne sont pas les mêmes. Un autre problème, lié au précédent, est
la séparation mentale entre hier et aujourd’hui, entre historiens, éducateurs
et concepteurs, sans parler de la difficulté universelle de passer « du papier
à la vie ».
Pour illustrer cette dynamique, on peut citer la récente et embléma-
tique célébration du bicentenaire de la naissance de Don Bosco, préparée
par une période de trois ans avec un cadrage sectoriel. Au niveau histo-
rique, on a organisé un congrès d’histoire salésienne en 2014 ; pour la
réflexion pédagogique on a tenu un congrès de pédagogie salésienne en
2015 ; et au niveau des projets on peut penser au 27e Chapitre général et à
la conclusion du travail sur la troisième édition du Cadre de référence de
la pastorale des jeunes. C’est précisément dans les années du bicentenaire
qu’est née l’idée de ce volume, qui a l’intention de mettre Don Bosco en
lien avec le monde actuel, en parcourant les diverses époques avec leurs
différentes mentalités. Certaines époques ont donné du poids aux idées
pédagogiques nouvelles en laissant d’autres de côté ; d’autres ont préféré
certains modes d’action, ou ont développé des réflexions prophétiques et
courageuses ; d’autres étaient plutôt liées à la mentalité courante ou à des
solutions d’urgence, ou encore dictées par une certaine inertie intellec-
tuelle. L’alternance des changements entraîne une inévitable dynamique
pendulaire, selon Vico ou Toynbee, avec des va-et-vient, des withdrawals
and returns entre les différentes périodes.
Étant donné qu’il existe un large éventail d’approches pour accéder aux
données historiques et à la pensée pédagogique du passé,6 je pense qu’il est
6 Cf. le volume G. Loparco – S. Zimniak (eds.), La storiografia salesiana tra studi
e documentazione nella stagione postconciliare, LAS, Roma 2014, 9-142, en par-
ticulier les contributions de: M. Nickel, Grundfragen und Tendenzen der Kirchen-
geschichte in der Gegenwart, in Ibid., 27-48 e G. Rocca, La storiografia delle
congregazioni religiose in Europa. Orientamenti e proposte, in Ibid., pp, 73-109.

2 Pages 11-20

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2.1 Page 11

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Introduction 11
nécessaire de clarifier certains points de méthodologie de mon travail. Ce-
lui-ci diffère d’une reconstruction purement historique, et cela à plusieurs
niveaux. Au niveau des réflexions historiographiques en général, j’apprécie
les positions équilibrées d’Henri-Irénée Marrou, historien français, qui a
su créer une synergie entre l’identité de l’historien, du philosophe de l’his-
toire et du croyant catholique dans une perspective stimulante, intégrale,
anti-idéologique et humble. En outre, et c’est un fait à ne pas sous-estimer,
ses conceptions sont animées par une sensibilité pédagogique marquée et
une valorisation de l’éducation. De fait, son œuvre la plus importante traite
de l’histoire et de l’évolution de l’éducation antique de façon originale, en
dépassant certains stéréotypes des Lumières, liés notamment à la transi-
tion entre l’Antiquité et le Moyen Âge.7 Le potentiel historique et historio-
graphique qui se dégage de l’étude des périodes transitoires a été mis en
valeur par notre auteur dans ses volumes sur la Connaissance historique et
la Théologie de l’histoire.8
Ses études sur la relation entre la recherche historique et la réflexion
philosophique l’ont amené à dépasser l’historiographie positiviste, répéti-
tive et sceptique, qu’il avait apprise comme jeune étudiant à la Sorbonne.
Avec l’école des Annales, il a lui aussi identifié la limite la plus immédiate
de l’historiographie positiviste dans sa conception atomiste du fait histo-
rique. On s’est trop concentré sur l’importance du « document », en pensant
pouvoir reconstruire les faits par l’évidence, en partant du présupposé que
chaque moment historique était complet en soi, qu’on pouvait l’extraire de
la structure de complexité et de continuité de la réalité historique.
Il existe cependant d’autres conceptions de l’histoire plus philoso-
phiques et théologiques. On part de l’hypothèse qu’il existe des lois uni-
verselles régissant l’histoire, qui apparaissent souvent comme un écho plus
ou moins lointain des idées hégéliennes, parfois sous la forme de théories
historiographiques ou sociologiques. Selon ces courants de pensée, les
Pour l’histoire de la pédagogie cf. par ex. G. Chiosso, Novecento pedagogico, La
Scuola, Brescia 1997 et Id, Profilo storico della pedagogia cristiana in Italia (XIX
e XX secolo), La scuola, Brescia 2001.
7 Cf. G. Tognon, Prefazione per rileggere Marrou, in H.-I. Marrou, Storia dell’edu-
cazione nell’antichità, Studium, Roma 2016, 13-39.
8 Cf. H.-I. Marrou, Conoscenza storica, il Mulino, Bologna 1997 et Id., Teologia
della storia, Jaca, Milano 2010.

2.2 Page 12

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12 Pédagogie salésienne après Don Bosco
notions, comme des idéaux-types, se transforment, passant de modes pro-
visoires de représentation de l’histoire en lois cristallisées qui prétendent
ramener le particulier à une conception unitaire, se transformant ainsi en
de « grandes machines qui empêchent la compréhension » et qui, avec leur
« clarté illusoire, finissent par miner la disposition de l’historien à voir la
réalité dans sa multiplicité authentique et déconcertante ».9 Reprenant la
critique par Marrou des conceptions idéalistes de l’historiographie dans
son ouvrage le plus connu sur la méthode, Bernard Lonergan déclare à
propos de l’utilisation des hypothèses interprétatives :
Marrou approuve l’utilisation d’idéaux-types dans la recherche his-
torique, mais il formule deux mises en garde. D’abord, les idéaux-
types ne sont que des constructions théoriques : il faut résister à la
tentation de l’enthousiaste qui les prend pour des descriptions de
la réalité [...] Ensuite, il y a la difficulté d’élaborer des idéaux-types
appropriés : plus la construction est riche et éclairante, plus il est
difficile de l’appliquer ; inversement, plus la construction est ténue
et vague, moins elle est en mesure d’apporter une contribution si-
gnificative à l’histoire.10
Cependant, la critique des théories métaphysiques de l’histoire ne se li-
mite pas à l’examen de ces théories, mais ouvre la voie à la compréhension
du caractère polyédrique de l’histoire elle-même et des visions respectives.
La non-linéarité de l’histoire n’atomise pas la connaissance historique en
faits que l’on possède à travers des documents, mais soutient l’existence de
liens et de relations d’interdépendance entre différentes périodes, menta-
lités ou ensembles historiques. Les institutions, les mentalités, les arts et
les styles éducatifs ne sont pas des réalités qui apparaissent comme des
météores dans le ciel de l’histoire, mais surgissent après une longue pé-
riode d’incubation et ne peuvent être perçus que dans leur évolution et leur
transformation continuelles.11
9 Marrou, Conoscenza storica, 192.
10 B. Lonergan, Il Metodo in Teologia, Città Nuova, Roma 2001, 258-259.
11 Cf. G. Guglielmi, Critica alla storiografia positivista e alla filosofia della storia.
Lonergan interprete di Marrou, in E. Cibelli – C. Taddei Ferretti (Eds.), Ricerche
lonerganiane offerte a Saturnino Muratore, Istituto Italiano per gli Studi Filosofici,

2.3 Page 13

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Introduction 13
Pour Marrou, l’histoire n’est pas une succession de faits mesurables
qu’il faut reconstituer, elle est toujours la connaissance du passé com-
plexe d’une réalité humaine qui est « déjà là ». Selon les mots de Heide-
gger, l’histoire en tant que dagewesenes Dasein influence notre être-là
présent et futur.12 Les prétentions cognitives de cette discipline sont donc
placées à un niveau plus modeste que l’orgueil de l’idéaliste (qui possède
« les lois ») et la myopie scrupuleuse du positiviste (qui possède « le fait »
et « le document »).13 Inspiré par cette position équilibrée, humaniste et
croyante, je voudrais dans ce volume replacer la pensée pédagogique
salésienne dans ses coordonnées historiques, non pas pour la relativiser
en la dissolvant dans un environnement socioculturel donné, ou en l’éti-
quetant dans une théorie pédagogique générale, mais précisément pour
la comprendre dans l’évolution des idées et des applications éducatives
dans leur continuité.
L’histoire comprise comme étant le passé humain reconstruit et inter-
prété par d’autres êtres humains exige une méthodologie qui prenne au
sérieux « l’altérité » et tienne compte de la distance temporelle, mentale
ou culturelle. Marrou se réfère à la phénoménologie d’Edmund Husserl
en proposant l’épochè comme paradigme fondamental pour éviter de tom-
ber dans « l’histoire philosophique de la philosophie », qui ramène sans
critique le passé au présent comme point d’arrivée.14 Notre auteur écrit :
« L’historien est celui qui, grâce à l’épochè, sait sortir de lui-même pour
aller à la rencontre des autres ».15 L’expérience de l’histoire, précisément
parce qu’elle consiste en une rencontre avec l’autre, place l’historien dans
une attitude de profonde humilité. S’il se place authentiquement en rela-
tion avec l’altérité du passé, il fait l’expérience d’une grandeur qui nous
laisse perplexes ; il n’est pas rare, en effet, que les hommes du passé révé-
lés par l’histoire ont été plus grands que nous. Marrou insiste également
Napoli 2016, 356.
12 Cf. Marrou, Conoscenza storica, 208.
13 Cf. Ibid, 56.
14 L’interprétation de cette historiographie philosophique consiste à ne considérer
comme historiquement valable que ce qui est conforme à l’idéologie de l’auteur. Cf.
par ex. P. Piovani, Filosofia e storia delle idee, Edizioni di Storia e di Letteratura,
Roma 20102, 200.
15 Marrou, Conoscenza storica, 99. Cf. aussi 89-92.

2.4 Page 14

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14 Pédagogie salésienne après Don Bosco
sur l’affinité psychologique, l’empathie que l’historien doit nécessairement
avoir pour parvenir à la connaissance du passé qu’il reconstruit. Tout
comme l’histoire de l’art exige du chercheur une sensibilité esthétique forte
et subtile, l’histoire du christianisme présuppose le sens des valeurs spiri-
tuelles et du phénomène religieux.16
L’investigation faite dans une attitude d’épochè phénoménologique ac-
cepte les événements et la succession des périodes historiques comme ils
se présentent, sans schéma fixe préétabli. Il arrive parfois qu’un pédagogue
influent, ou un supérieur fort, ou une situation ecclésiale (le Concile Vati-
can II) ou socio-politique (régimes totalitaires) conditionne la réflexion sur
l’éducation. Parfois ce sont les dynamiques du personnel et des générations
qui peuvent être déterminantes (la première génération formée par Don
Bosco ou le contraste entre les générations dans les années 1960), etc. À
certaines époques, les salésiens se sont basés sur les témoignages directs
concernant l’agir éducatif du fondateur ; en d’autres temps, ils se sont laissé
influencer par la pensée pédagogique d’auteurs externes de l’époque ; ou
encore, dans des contextes changeants et des conditions défavorables, ils
ont cultivé davantage leurs propres traditions et leur identité. Au niveau de
la réflexion pédagogique, il faut attribuer un rôle déterminant à l’expérience
empirique et quotidienne, liée aux différentes interactions qui se créent au
sein des structures éducatives typiques (collège, oratoire, école profession-
nelle, associations, groupes, universités, etc.). L’influence de l’expérience
est particulièrement forte chez les salésiens en tant que membres d’une
Congrégation d’éducateurs et non de pédagogues. C’est ainsi que les défis
de l’époque, la pensée de certains supérieurs, la logique organisationnelle
interne des structures de formation et d’éducation et les conséquences des
périodes précédentes se conjuguent pour créer un « idéaltype », c’est-à-
dire les traits de la mentalité typique d’une génération. L’alternance des
générations et des paradigmes pédagogiques aux différentes périodes his-
toriques sera résumée dans les six chapitres suivants :
I. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne
entre le début du rectorat de Don Rua et la mort de Francesco Cer-
ruti, premier conseiller général des études (1888-1917).
16 Cf. Marrou, Conoscenza storica, 104. Dans le contexte de l’éducation chrétienne je
souligne l’importance de l’argumentation contenue dans la Préface à J. Ratzinger
Benedetto XVI, Gesù di Nazaret, LEV, Città del Vaticano 2007, 8-20.

2.5 Page 15

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Introduction 15
II. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société
moderne, que l’on peut idéalement situer à partir des Congrès sur les
Oratoires, sous les rectorats de Don Paolo Albera et de Don Filippo
Rinaldi (1902-1931).
III. Fidélité à Don Bosco proclamé saint et discipline en des temps dif-
ficiles, qui caractérisent la période qui commence idéalement avec
la béatification de Don Bosco et comprend la tentative de systémati-
sation pédagogique de Don Pietro Ricaldone (1929-1951).
IV. Avant, pendant et après les changements de Vatican II, ou l’im-
pact extraordinaire de la réflexion ecclésiale sur l’éducation et la
pédagogie, donnant la priorité aux stimuli innovants des Chapitres
généraux respectifs (1952-1978).
V. Planification et animation, deux instruments de synthèses pédago-
giques qui se développent pendant la période du rectorat de Don
Egidio Viganò, avec les importantes contributions pédagogiques de
Don Juan Edmundo Vecchi (1978-1998).
VI. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire,
une période qui commence avec la systématisation des cadres de
référence de la pastorale des jeunes et se termine idéalement avec le
Synode sur les jeunes (1998-2018).
Dans cette publication, la notion de « pédagogie salésienne » est
conforme aux principes phénoménologiques et historiographiques présen-
tés et sera comprise comme une réflexion systématique et critique sur l’édu-
cation qui s’inspire du style et de l’œuvre éducative de Jean Bosco. Tout en
respectant l’histoire salésienne telle qu’elle se présente, nous emploierons
les notions de système et de critique dans un sens large et inclusif, en les
traitant par conséquent selon leurs degrés de scientificité et d’influence sur
l’éducation. Compte tenu de l’abondance des matériaux disponibles et de la
nécessité de limiter le champ de notre recherche, nous choisirons les plus
significatifs en termes de réflexion et de diffusion. Les choix méthodolo-
giques se reflètent également dans la structure de chacun des chapitres de
notre texte, selon le schéma suivant :
- en premier lieu les caractéristiques sociales, éducatives et pédagogiques
d’une période historique, le contexte ecclésial correspondant et la réponse
de l’éducation salésienne dans ses structures éducatives typiques ;

2.6 Page 16

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16 Pédagogie salésienne après Don Bosco
- puis les lignes pédagogiques et les directives en matière d’éducation
qui partent du centre de la Congrégation et qui interprètent, dans
une période donnée, la fidélité au modèle éducatif de don Bosco ;
- ensuite l’étude de quelques auteurs de pédagogie salésienne parmi
les plus significatifs au niveau de l’influence et de la diffusion. Les
contributions des auteurs seront analysées de manière synchronique
(dans leur contexte) et diachronique (en étudiant les continuités et
les discontinuités entre les conceptions pédagogiques) ;
- enfin on propose une anthologie de textes et de matériaux pour
chaque période, disponibles en partie dans le texte imprimé et en
grande partie en ligne. Des centaines de documents, sources, re-
cherches et articles peuvent être consultés en texte intégral sur le
site salesian.online.
Les choix méthodologiques comportent nécessairement des limites.
En prenant en considération les orientations pédagogiques émises par le
centre de la Congrégation et en présentant les études approfondies des
auteurs les plus influents, notre travail n’est évidemment pas exhaustif et
complet. Certains auteurs ont élaboré des synthèses originales ou signifi-
catives, mais ne faisant pas partie du mainstream de la congrégation, ils
n’ont pas été analysés en profondeur et sont restés seulement à l’intérieur
des courants de pensée. De même, la réflexion pédagogique des Filles de
Marie-Auxiliatrice n’apparaît qu’en filigrane dans certaines parties de l’ou-
vrage. Compte tenu de la nécessité d’une contextualisation à l’intérieur des
lignes d’animation de l’Institut, des supérieures et des œuvres éducatives
pour la jeunesse féminine et les enfants, j’ai préféré laisser la parole aux
experts de ce secteur au plan historique et pédagogique.
Ayant fait le choix de donner un certain poids aux directives d’anima-
tion émanant du centre de la Congrégation, nous avons reconnu que notre
vision était clairement centrée sur l’Italie durant les premières périodes et
jusqu’à l’époque de Don Ricaldone. C’est seulement à l’époque du Concile
Vatican II qu’elle s’est ouverte à d’autres contextes, surtout à l’Europe occi-
dentale et à l’Amérique latine. Il apparaît donc que ce n’est qu’au troisième
millénaire que la Congrégation salésienne pourra dire qu’elle est devenue
vraiment mondiale au niveau pédagogique, bien qu’avec des vitesses dif-
férentes selon les contextes. En effet, comme cela ressort des Rapports
sur l’état de la Congrégation et de diverses études, les idées et les lignes

2.7 Page 17

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Introduction 17
opérationnelles des Chapitres généraux ne sont pas passées dans les pro-
vinces de manière uniforme. Il me semble important de souligner que mon
intention est avant tout d’étudier les idées pédagogiques significatives et
typiques dans le contexte de leur naissance et de leur évolution, et non
d’évaluer des auteurs, des styles de gouvernement ou la Congrégation dans
son ensemble. Je pense que l’avenir de la pédagogie salésienne ne réside
pas dans des synthèses sectorielles visant à la perfection, mais dans l’enri-
chissement continu et réciproque entre les enquêtes historiques, les études
de systématisation théorique et méthodologique, les approfondissements
pédagogiques régionaux et les bonnes pratiques, fruits de l’Esprit qui est à
l’œuvre dans l’histoire et de la sagesse pratique des éducateurs.
Je remercie chaleureusement les recteurs Ángel Fernández Artime et
Pascual Chávez Villanueva pour leur soutien durant le processus de re-
cherche et leurs précieux conseils. J’exprime ma reconnaissance aux
conseillers pour leur engagement et leurs commentaires et suggestions ap-
préciés. Je tiens à mentionner tout particulièrement les professeurs Aldo
Giraudo, José Manuel Prellezo et Morand Wirth, tous les trois de l’Univer-
sité Pontificale Salésienne, le professeur Giorgio Chiosso de l’Université
de Turin et la professeure Piera Ruffinatto de la Faculté Pontificale des
Sciences de l’Éducation Auxilium. Avec gratitude je voudrais mentionner
l’Institut d’histoire salésienne, l’Association des chercheurs en histoire sa-
lésienne (ACSSA) et le personnel des archives centrales salésiennes (ACS)
pour avoir mis à ma disposition des éditions critiques, des études et des
documents d’archives qui m’ont permis ce type de recherche. Je remercie
sincèrement mes collègues de la Faculté des sciences de l’éducation et du
Centre d’études Don Bosco de l’UPS pour les possibilités d’échanges inter-
disciplinaires. Un travail important de révision linguistique, avec des cor-
rections et des suggestions, a été effectué par Massimo Schwarzel et Cris-
tiano Ciferri, auxquels j’exprime ma reconnaissance. Enfin et surtout, je ne
veux pas oublier mes étudiants en pédagogie salésienne, qui me poussent
sans cesse à approfondir de nouveaux aspects et à adopter de nouvelles
perspectives dans le domaine pédagogique. Je souhaite au lecteur une lec-
ture stimulante et pleine d’inspiration au service de leur engagement édu-
catif auprès des jeunes d’aujourd’hui.
Michal Vojtáš, sdb

2.8 Page 18

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18 Pédagogie salésienne après Don Bosco
ABRÉVIATIONS
AAS :
ACG :
ACS :
ASC :
ASS :
CEP :
CG :
CGS :
FMA :
FSE :
ISP :
PAS :
PEPS :
PG :
POI :
SDB :
UPS :
Acta Apostolicae Sedis
Actes du Conseil Général
Actes du Conseil Supérieur
Archivio Salesiano Centrale
Acta Sanctae Sedis
Communauté Éducative-Pastorale
Chapitre Général
Chapitre Général Spécial
Filles de Marie Auxiliatrice
Faculté des Sciences de l’Éducation (Université Pontificale
Salésienne)
Institut Supérieur de Pédagogie (Pontificio Ateneo Salesiano)
Pontificio Ateneo Salesiano (Athénée Pontifical Salésien)
Projet Éducatif - Pastoral Salésien
Pastorale Giovanile (Pastorale des Jeunes)
Progetto Organico Ispettoriale (Projet Organique Provincial)
Salésiens de Don Bosco
Université Pontificale Salésienne

2.9 Page 19

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1. FORMULATIONS PÉDAGOGIQUES DE LA
PREMIÈRE GÉNÉRATION SALÉSIENNE
(1888-1917)
Au départ, la vie de Jean Bosco avec les premiers développements de
son style d’éducation s’est déroulée dans le monde rural du Piémont, pétri
de traditions catholiques ancestrales et marqué par l’alliance du trône et de
l’autel, réinterprétée à la lumière de la Restauration après Napoléon. Plus
tard, don Bosco a opéré des changements et fait des choix en éducation,
notamment avec le passage de l’œuvre des oratoires à celle des collèges, ce
qui dénote chez lui une capacité d’adaptation à la nouvelle société libérale
et laïque à l’époque de l’unification de l’Italie. Différentes, en revanche,
furent les décennies qui ont marqué la transition entre le XIXe et le XXe
siècle ; elles furent caractérisées par de grands et profonds changements
au niveau mondial. Dans le monde occidental surtout, ces changements
ont suscité chez beaucoup l’attente d’un monde nouveau, projeté vers un
progrès illimité sous l’impulsion du scientisme positiviste. De nombreux
observateurs avaient la conviction que la période historique qu’ils vivaient
dans les années précédant la première guerre mondiale était quelque chose
de plus qu’une phase de développement comme les autres. D’une manière
ou d’une autre, le passage d’un siècle à un autre semblait anticiper et prépa-
rer un monde complètement différent du passé. C’est dans ce contexte qu’al-
lait devoir opérer une congrégation en pleine expansion intercontinentale.1
1 Cf. E.J. Hobsbawm, L’età degli imperi: 1875-1914, Laterza, 2005; G. Martina, Storia

2.10 Page 20

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20 Pédagogie salésienne après Don Bosco
1.1. La première génération des salésiens au passage du
siècle
La plupart des salésiens n’ont pas suivi l’évolution de la sensibilité cultu-
relle positiviste. Ils vivaient encore dans un contexte marqué par les tra-
ditions catholiques et dans une attitude d’opposition au sécularisme. Cette
tendance était encore renforcée au début du XXe siècle par la polémique
à l’intérieur de l’Église contre le modernisme. Le « système préventif »
de Don Bosco, dénomination commune pour désigner la manière d’édu-
quer typiquement salésienne, suscitait un mouvement en expansion qui en-
globait la Congrégation de Saint François de Sales, l’Institut des Filles de
Marie Auxiliatrice, et tout un réseau de charité et d’entraide. Ce réseau se
structurait autour des maisons salésiennes, du Bulletin Salésien, des Coo-
pérateurs salésiens et de l’Association de Marie Auxiliatrice. Les nouvelles
tendances culturelles n’eurent pas une influence directe sur l’éducation et
la pensée pédagogique salésiennes, parce que les destinataires de l’œuvre
salésienne étaient généralement des jeunes du milieu populaire, plutôt
pauvres, vulnérables et abandonnés. N’étant pas spécialisés dans l’éduca-
tion des élites, les salésiens n’étaient pas directement appelés à se mesurer
au positivisme, aux nouvelles philosophies ou aux nouvelles expressions
artistiques qui s’affirmaient au début du XXe siècle.
Tout en restant fidèles à la ligne stratégique du fondateur et malgré la
mentalité traditionnelle, il apparaît qu’au niveau de l’organisation pratique
l’éducation salésienne a su adapter de façon originale certaines de ses ac-
tivités et structures aux nouveaux besoins. En fait, les programmes d’édu-
cation n’ont été influencés que par certains défis du monde contemporain,
perçus avant tout dans une perspective italienne, et par certaines probléma-
tiques européennes ou latino-américaines. Au niveau de la pensée, on note
la confrontation avec le sécularisme libéral. Dans l’organisation scolaire,
il a fallu faire face à l’affirmation de l’école publique de masse. Enfin, au
niveau économique, il a fallu se mesurer aux conséquences de la deuxième
della Chiesa. Da Lutero ai nostri giorni, vol. 4: L’età contemporanea, Morcelliana,
Brescia 1995, 13-107; F. Traniello, L’epoca di don Rua: lineamenti di uno scena-
rio storico, in F. Motto (ed.), Don Michele Rua nella storia (1837-1910), Atti del
Congresso Internazionale di Studi su don Rua” (Roma, Salesianum, 29-31 ottobre
2010), LAS, Roma 2011, 27-41.

3 Pages 21-30

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3.1 Page 21

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 21
révolution industrielle qui accentuait les contrastes relatifs à la question
sociale, à la montée du socialisme et à la naissance de la classe moyenne.
1.1.1. Le défi de la « libre pensée » anticléricale
Dans la période précédant le déclenchement de la première guerre
mondiale, la scène politique européenne était occupée par des gouverne-
ments souvent faibles, minés par des crises parlementaires à répétition. De
plus en plus souvent, on accusait les députés d’être trop nombreux et trop
corrompus. En l’absence d’une ligne politique forte et claire, les traits com-
muns aux gouvernements de l’époque et aux programmes des partis s’ap-
pelaient : nationalisme, question sociale et orientation anticléricale. Ce der-
nier point a influencé l’éducation salésienne tant par ses interventions dans
le domaine scolaire que par sa lutte contre l’Église. Sous le nom de « libre
pensée » se cachait une tendance antireligieuse et surtout anticatholique.
Le libéralisme anticatholique européen, souvent inspiré par la franc-ma-
çonnerie, se manifestait sous différentes facettes selon le contexte. En Ita-
lie par exemple, une forte opposition continua après le processus d’unifica-
tion ; en France, on assistait à la diffusion de l’approche anticléricale liée
aux caractéristiques spécifiques de la laïcité à la française ; en Allemagne
le Kulturkampf, quoique déjà terminé, continuait de peser sur les relations
entre l’Église et l’État au passage du siècle.2 Il y avait « un climat général
qui, de la France à l’Italie, de la Belgique à l’Argentine, paraissait marqué –
et c’est ainsi qu’il était vécu – par la volonté de la propagande maçonnique
de traîner les religieux dans la boue ».3
La Congrégation salésienne, sous la direction de Don Rua, connut les
2 Cf. M. Flores, Il secolo mondo. Storia del Novecento, vol. 1: 1900-1945, Mulino,
Bologna 2005; F. Motto (ed.), L’Opera Salesiana dal 1880 al 1922. Significatività e
portata sociale. Atti del 3° Convegno Internazionale di Storia dell’Opera Salesiana
(Roma 31 ottobre – 5 novembre 2000), vol. 1: Contesti, quadri generali, interpreta-
zioni, LAS, Roma 2001, 41–177.
3 J.M. Prellezo, Le scuole professionali salesiane (1880-1922). Istanze e attuazioni
viste da Valdocco, in J.G. González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al
1922. Istanze ed attuazioni in diversi contesti. Atti del 4° Convegno Internazionale
di Storia dell’Opera salesiana Ciudad de México, 12-18 febbraio 2006), vol. 1, LAS,
Roma 2007, 97.

3.2 Page 22

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22 Pédagogie salésienne après Don Bosco
effets de l’anticléricalisme européen dans les tensions avec les systèmes
scolaires de certains pays, dans les tentatives de discréditer l’œuvre des
religieux. Qu’on songe par exemple à « l’affaire de Varazze » de 1907, mais
surtout à la fermeture des maisons en France au cours des deux premières
décennies du XXe siècle. Suivant la loi française de 1901, les salésiens de la
province du Nord de la France avaient demandé au gouvernement l’autori-
sation de poursuivre leurs activités, mais, ne l’ayant pas obtenue, ils furent
dispersés et les maisons de Paris et de Lille confisquées. Les salésiens pré-
sents dans le Sud du pays, en revanche, avaient opté pour la voie de la sé-
cularisation et de la clandestinité, ce qui permit de sauver certaines œuvres
par la mise en place d’une direction laïque et à la prise de responsabilité
des coadjuteurs.4 Des problèmes similaires se présentèrent aux salésiens en
Équateur après la révolution libérale de 1895.5
En contexte italien, et dans le cadre de la liberté d’enseignement, il est
utile de mentionner le rôle du pédagogue turinois Giuseppe Allievo. Son
action fut importante dans la défense des écoles salésiennes de l’époque.
Ses théories pédagogiques ont influencé la première génération des sa-
lésiens comme Cerruti et Barberis, de même que ses idées en faveur de
l’école libre contre le centralisme étatique.6 En ce qui concerne le système
scolaire italien, la classe dirigeante, théoriquement libérale, était parado-
xalement conditionnée par un certain « soupçon de liberté », qui découlait
de la perception d’une Italie profondément divisée d’un point de vue lin-
guistique, culturel, politique et religieux. Craignant que le pluralisme en
matière d’éducation ne soit préjudiciable à l’unification du pays, on opta
pour le centralisme étatique.7 Giuseppe Allievo, contrairement au positi-
visme libéral et à l’idéalisme hégélien, défendit le principe de la personne,
comprise comme la « synthèse vivante d’une âme rationnelle et d’un corps
4 Cf. F. Desramaut, I Salesiani francesi al tempo del silenzio (1901-1925), in S. Zim-
niak – G. Loparco (eds.), L’educazione salesiana in Europa negli anni difficili del
XX secolo. Atti del Seminario Europeo di Storia dell’Opera salesiana (Cracovia 31
ottobre – 4 novembre 2007), LAS, Roma 2008, 115–128.
5 Cf. A. Guerriero – P. Creamer, Un siglo de presencia salesiana en el Ecuador. El
proceso histórico 1888-1988, Don Bosco, Quito 1997.
6 Cf. J.M. Prellezo, Giuseppe Allievo negli scritti pedagogici salesiani, in «Orienta-
menti Pedagogici» 45 (1998) 267, 393–419.
7 A. Marrone, Giuseppe Allievo e la libertà d’insegnamento, in «History of Educa-
tion & Children’s Literature» 7 (2012) 2, 173–176.

3.3 Page 23

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 23
organique, dans l’unité d’un seul être ».8 Sa pédagogie affirmait le spiritua-
lisme comme condition première et irréductible de la défense de la liberté :
La personne n’est pas un instrument au service de la volonté d’autrui,
mais une créature sacrée, dotée de droits, qui doivent être respectés
par tout pouvoir social, par toute autorité humaine : le droit à l’exis-
tence, à la vérité, au bonheur, à la vertu, de sorte que si, par exemple,
la prospérité de tout un peuple entraînait l’esclavage ou la destruc-
tion d’une seule créature humaine, cela devrait déjà pour cette raison
être détesté comme un crime. Eh bien, supposez que l’école soit une
fonction, une propriété, une possession de la société, et qu’elle soit
soumise à sa domination absolue ; dans ce cas les élèves ne seraient
plus éduqués comme des personnes appartenant à elles-mêmes, et
ordonnées à une fin dont elles ont le droit de ne pas être détournées,
mais comme des serfs de la volonté sociale, comme des choses ou
des instruments au service de la société.9
Grâce à son combat pour la liberté de l’enseignement et la défense des
écoles catholiques à travers l’Union Pro schola libera (fondée en 1907),
Allievo fut également apprécié par le grand public catholique, par la Civiltà
Cattolica, et par d’autres auteurs catholiques aux tendances néo-scolas-
tiques.10
1.1.2. La réaction de l’Église prise entre les nouveaux équilibres et le
conservatisme
Dans le dernier quart du XIXe siècle, sous l’impulsion de Léon XIII,
l’Église modifia légèrement sa position à l’égard du monde de la Belle
Époque. Après les condamnations des gouvernements libéraux à l’époque
de Pie IX, on est passé à une prise de conscience de nouveaux équilibres et
de la nécessité de certaines ouvertures et réformes.
8 G. Allievo, Appunti di Antropologia e Psicologia, Carlo Clausen, Torino 1906, 3.
9 G. Allievo, La nuova scuola pedagogica ed i suoi pronunciamenti, Carlo Clausen,
Torino 1905, 23.
10 Cf. Marrone, Giuseppe Allievo e la libertà d’insegnamento, 190–191.

3.4 Page 24

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24 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Avec l’encyclique Aeterni Patris (1879), Léon XIII s’efforça de créer
une convergence au niveau de la pensée, exhortant les fidèles avant tout à
« remettre en usage la doctrine sacrée de saint Thomas et à la propager le
plus largement possible, pour la protection et l’honneur de la foi catholique,
pour le bien de la société et pour le progrès de toutes les sciences ».11 Avec
l’encyclique Immortale Dei (1885), l’Église faisait comprendre qu’elle au-
torisait des opinions différentes sur les systèmes politiques ; dans l’encycli-
que Libertas (1888), le pape clarifiait le concept de liberté dans le contexte
législatif, social et politique, affirmant qu’il « est opportun de considérer
séparément les diverses conquêtes de la liberté qui sont une exigence de
notre époque »,12 mettant au premier rang la liberté de culte. Même l’au-
torité divine ne s’oppose pas à la liberté humaine : « Cette souveraineté
sacrée de Dieu sur les hommes, loin de supprimer la liberté ou de la limiter
en quoi que ce soit, la protège et la perfectionne ».13 L’encyclique Sapien-
tiae Christianae (1890) proposa de nouveaux équilibres et de nouvelles au-
tonomies dans les relations entre l’État et l’Église, suite à la disparition des
États pontificaux. L’encyclique soulignait le rôle de l’éducation et affirmait
avec force le droit des parents à éduquer leurs enfants. Dans la conclusion,
Léon XIII mettait en relation le bien de la société, l’importance de l’éduca-
tion familiale et la nécessité d’investir dans les écoles catholiques :
Lorsqu’il s’agit de la bonne formation de la jeunesse, aucun travail
et aucun effort ne sont superflus. À cet égard, les catholiques de
diverses nations, qui ont organisé à grands frais et avec une grande
constance des écoles pour l’éducation de leurs enfants, sont vrai-
ment dignes de toute admiration. Il faut que ces exemples salutaires
soient imités partout où les temps actuels l’exigent : mais que chacun
de nous soit convaincu que c’est avant tout l’éducation familiale qui
peut faire beaucoup dans l’âme des enfants. Si l’adolescence trouve
au foyer une bonne règle de conduite, une sorte de gymnase de ver-
tus chrétiennes, le salut de la société sera largement assuré.14
11 Léon XIII, Lettre encyclique Aeterni Patris (4 août 1897) in ASS 12 (1894) 97-115.
12 Leon XIII, Lettre encyclique Libertas (20 juin 1888), in ASS 20 (1887) 593-613.
13 Ibid, 599
14 Leon XIII, Lettre encyclique Sapientiae christianae (10 janvier 1890), in ASS 22
(1889-90) 385-404.

3.5 Page 25

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 25
Après Léon XIII, Pie X changea le centre d’intérêt, en le concentrant
sur les problèmes internes de l’Église. D’un côté, il encouragea la réforme
catéchétique, liturgique et ecclésiastique,15 et de l’autre il reprit vigoureu-
sement la controverse avec les modernistes, qui culmina dans les tons
énergiques et ciblés de l’encyclique Pascendi dominici gregis de 1907. La
tension entre le monde libéral et l’Église se projetait également à l’intérieur
de celle-ci : « Les partisans de l’erreur ne sont pas tant à chercher parmi
les ennemis déclarés, mais ce qui cause la plus grande douleur et la plus
grande crainte, c’est qu’ils sont cachés dans le sein même de l’Église ».16
Comme conséquence on assista à un renforcement de la mentalité de forte-
resse assiégée et à des mesures de contrôle intra-ecclésial.
Au niveau politique, l’Église préféra ne pas descendre directement dans
l’arène. Alors que les partis chrétiens avec l’élargissement du suffrage au-
raient pu peser sur le plan politique, comme l’a montré l’histoire européenne
à partir de 1945, l’Église n’a pas soutenu officiellement la formation de par-
tis politiques catholiques. Les représentants de l’Église ont soit soutenu des
partis conservateurs de toutes sortes, soit entretenu de bonnes relations avec
des mouvements nationalistes non infectés par le virus de la laïcité libérale.17
Les salésiens, quant à eux, n’ont pas pris part au débat scientifique ni à
la polémique avec le modernisme, même si dans les écrits de la première
génération on trouve quelques reflets du climat culturel autour des ques-
tions de l’école catholique. En général, ils ont continué à suivre la stratégie
de Don Bosco dans la recherche de solutions pratiques pour la gestion
des collèges, des oratoires et des écoles professionnelles. Peu tentés par la
mentalité de forteresse assiégée (qui était partiellement présente au niveau
de la pensée), les salésiens vivaient existentiellement et pratiquement une
épopée d’expansion mondiale, et au niveau du gouvernement central, ils
étaient plutôt confrontés aux problèmes d’équilibre entre la croissance nu-
mérique et les insuffisances dans la formation du personnel.18
15 Cf. l’encyclique Acerbo Nimis en faveur de l’activité catéchétique et du nouveau
catéchisme publié en 1912 sous le nom de Caéchisme de Pie X.
16 Pio X, Lettera enciclica di S.S. Papa Pio X circa le dottrine moderniste, in Atti
della Santa Sede circa le Dottrine Moderniste, Augustae Taurinorum, Ex Officina
Asceterii Salesiani, 1908, 140.
17 Cf. E.J. Hobsbawm, L’età degli imperi, 133–134.
18 Cf. J.G. González, Don Rua e i Capitoli Generali da lui presieduti, in Motto (ed.),

3.6 Page 26

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26 Pédagogie salésienne après Don Bosco
1.1.3 Identité et évolution de l’école salésienne
Au cours de la transition entre les deux siècles, le développement des
écoles salésiennes est lié à la personne de Don Francesco Cerruti, conseil-
ler scolaire de la Congrégation de 1885 à 1917, considéré à la fin de son
mandat comme « le véritable maître d’œuvre des écoles et des études de la
Pieuse Société Salésienne ».19 Le contexte spécifique de l’Italie a conduit
Don Cerruti à renforcer le choix préférentiel de la formation humaniste
et classique au sein des institutions salésiennes. C’était un choix motivé
avant tout par le désir d’être fidèle aux enseignements de Don Bosco. Cette
attitude est confirmée par ce passage d’un mémoire de Don Cerruti sur
l’éducation :
Plus les jours passent, plus je suis convaincu de la nécessité, qui
est un devoir pour nous, de rester très attachés, mordicus, aux
enseignements de Don Bosco, même en matière d’instruction et
d’éducation, et de ne jamais nous en écarter, même d’un pouce,
nec transversum quidem unguem. Loin de nous l’idée d’être des
innovateurs.20
Une autre raison, non moins importante et conforme à la pédagogie
de Giuseppe Allievo, était de considérer l’éducation à l’école comme une
formation à la fois religieuse et morale, en même temps que scientifique et
littéraire. Cette façon de voir prenait en compte tous les aspects humains
et chrétiens de l’éducation comme un tout. Celui qui les sépare, selon Don
Cerruti, n’éduque pas, mais gâte l’éducation ; ne construit pas, mais d​ étruit ;
n’exerce pas sa mission, mais la trahit. Dans ses lettres circulaires, il se
montre attentif à la fois aux problèmes liés à la qualité de l’enseignement
des langues et à l’aspect chrétien et salésien de l’éducation.
La dernière raison de ce choix humaniste préférentiel était liée à la spé-
cificité de la tradition et du caractère italiens, qui étaient plus en harmonie
avec l’école classique qu’avec l’école technique. La polarisation entre le
Don Michele Rua nella storia, 176–190.
19 A. Luchelli, Don Francesco Cerruti consigliere scolastico generale della Pia So-
cietà Salesiana, SAID Buona Stampa, Torino 1917, 22.
20 F. Cerruti, Un ricordino educativo-didattico, SAID Buona Stampa, Torino 1910, 7.

3.7 Page 27

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 27
monde technique moderne et le monde classique traditionnel pendant le
pontificat de Pie X s’est manifestée précisément dans le débat sur l’école
technique. Lors du Chapitre général de 1907, le sujet a fait l’objet d’une
discussion animée et la conclusion fut la suivante : « L’ouverture d’inter-
nats pour les écoles techniques est accordée dans des cas exceptionnels,
mais les cas individuels doivent être soumis au Chapitre [c’est-à-dire au
« Conseil »] qui les examinera cas par cas ».21 En 1911, il existait déjà une
dizaine d’écoles techniques salésiennes en Italie. Face à cette évolution, le
Chapitre général adopta par la suite une position plus stricte qui pouvait
susciter des oppositions : « Par fidélité aux souhaits du Vénérable Don
Bosco et du regretté Don Rua, tous deux contraires à l’idée d’introduire
des écoles techniques internes dans nos collèges, les supérieurs actuels
maintiennent le principe et déclarent qu’ils n’ont pas non plus l’intention
d’admettre le secteur technique interne ».22 La discussion se poursuivit
et quelques exceptions furent accordées, mais en général, l’enseignement
technique n’était pas considéré comme propre au charisme salésien. La
réforme scolaire du néo-idéaliste Giovanni Gentile en 1923 renforcera en-
core cette tendance des écoles salésiennes.23
Dans les pays d’Amérique latine, la situation était différente. Le posi-
tivisme semblait avoir pénétré dans les classes dirigeantes de la société de
manière plus forte. Les científicos étaient considérés comme les nouveaux
prophètes du progrès dans une société arriérée qui tournait autour de l’agri-
culture. Le premier institut d’enseignement scientifique fut le Colegio Pío,
qui avait vu le jour en 1877 à Villa Colón en Uruguay, sous la direction de
Don Luigi Lasagna. Au programme des études Lasagna ajouta non seule-
ment les sciences naturelles à la littérature, à la morale et à la religion, mais
il ouvrit des laboratoires, des musées de biologie et de géologie, ainsi qu’un
observatoire météorologique, astronomique, sismique et magnétique, le
premier dans tout le pays.24
21 Verbali (11 novembre 1907), in ASC D270.
22 Verbali (3 e 4 maggio 1911), in ASC D270.
23 Cf. J.M. Prellezo, Linee pedagogiche della Società Salesiana nel periodo 1880-
1922. Approccio ai documenti, in «Ricerche Storiche Salesiane» 23 (2004) 44, 128–
130.
24 Cf. S. Boix – F. Lezama, Las ciencias en la propuesta educativa del Colegio Pío de
Villa Colón (Uruguay) entre 1877 y 1895, en el marco del debate Iglesia-positivismo,

3.8 Page 28

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28 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Au Brésil également, les salésiens surent répondre aux besoins d’une
société engagée dans la construction d’une république qui se voulait mo-
derne, ordonnée et « progressiste ». Dans les écoles salésiennes on offrait
une éducation religieuse, morale, littéraire, scientifique, artistique et ci-
vique (complétée par une instruction militaire). Cette proposition éduca-
tive, jugée positive par les représentants de la république et le Saint-Siège,
voulait favoriser la collaboration entre le gouvernement et la Congrégation
en vue de la construction d’une nouvelle chrétienté dans l’État brésilien.25
La collaboration avec les autorités de l’État n’était évidemment pas sans
danger. Dans certaines provinces, les salésiens réussirent à obtenir des sub-
ventions pour le fonctionnement des écoles. La Belgique salésienne fut le
premier pays à en profiter à partir de 1896 pour ses collèges de Liège, Tour-
nai et Gand. La reconnaissance des qualifications et les conditions exigées
pour avoir les subventions de l’État impliquaient cependant une possible
inspection et créaient une réelle influence de l’État sur l’école salésienne.
Les salésiens belges, rémunérés par l’État, avaient une bonne préparation
dans les matières spécifiques, mais la formation typiquement salésienne
n’était pas systématisée.26
1.1.4. Deuxième révolution industrielle dans les dernières décennies
du XIXe siècle
À la fin du XIXe siècle, le système économique subit de profondes
transformations dont les implications sociales furent telles que l’on peut
parler d’une seconde révolution industrielle. Grâce aux inventions techno-
logiques, de nouveaux secteurs industriels vit le jour, les relations entre le
in J.G. González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 2, 361–
384. Il est intéressant de noter le contraste entre deux « cultures scolaires ». Lasa-
gna écrit que « les gamins de 11 ou 12 ans vont de l’avant dans les équations, dans
les logarithmes, etc., ce que nul d’entre nous ne sait expliquer et suivre », in A. da
Silva Ferreira (ed.), Mons. Luis Lasagna. Epistolario, vol. 1 (1873-1882), LAS,
Roma 1995, 113.
25 Cf. R. Azzi, A educação salesiana na emergência da burguesia brasileira, in J.G.
González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 2, 121–143.
26 Cf. H. Delacroix, Cent ans d’école salésienne en Belgique, in «Ricerche Storiche
Salesiane» 9 (1990) 16, 23–24.

3.9 Page 29

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 29
pouvoir de l’État et la gestion des entreprises se modifièrent, si bien que
l’économie mondiale prit une forme nouvelle. Les nombreuses découvertes
dans les domaines de la physique et de la chimie durant la seconde moitié
du XIXe siècle furent à la base du développement industriel de l’époque. La
véritable nouveauté, cependant, était un nouveau type de relation entre la
science, la technologie et la production. Les ingénieurs et les scientifiques
devinrent des propriétaires d’entreprises dans lesquelles ils investissaient
leurs découvertes. Des noms tels qu’Edison, Siemens, Bell, Dunlop et
Bayer devinrent les icônes de leur époque.
Les progrès de la médecine et le succès de l’industrie alimentaire, qui
libéraient les pays les plus développés du cauchemar de la famine, entraî-
nèrent un boom démographique. L’espérance de vie moyenne en Europe
passa de 35 ans au milieu du siècle dernier, à 50 ans à la fin du XIXe siècle.
La population du vieux continent augmenta de 60% dans la seconde moitié
du XIXe siècle, sans compter les 30 millions qui émigrèrent en Amérique.
Dans le même temps, la croissance démographique des nations non encore
industrialisées, malgré un taux de mortalité élevé, se situait entre 20 et
30%.27 C’est ainsi que le nombre des métropoles augmenta également, mais
l’urbanisation entraîna surtout la prolifération de centres urbains de grande
et de moyenne taille autour des centres industriels : « Nous pouvons définir
le monde «développé» comme un monde en voie d’urbanisation rapide,
et même, dans les cas extrêmes, comme un monde «urbain» sans précé-
dent ».28 Dans un tel contexte, les destinataires préférés, les concepts et les
méthodes de l’éducation salésienne des « enfants du peuple » ne pouvaient
que se modifier.
Sur la base de considérations à la fois humanitaires et utilitaires, telles
que le maintien de la paix sociale, l’État se montrait soucieux de mettre en
place des services sociaux pour tous. Les services sociaux, tels que l’assu-
rance accident, l’assurance vieillesse et les prestations pour les chômeurs,
commencèrent à se répandre à partir de l’Allemagne de Bismarck dans les
années 1880. Des normes et des contrôles, pas toujours efficaces, devaient
assurer la sécurité et l’hygiène dans les usines, éliminer le travail des en-
fants, instaurer le repos hebdomadaire et un temps de travail quotidien
27 Cf. G. Sabatucci – V. Vidotto, Il mondo contemporaneo. Dal 1848 a oggi, Laterza,
Roma-Bari 2005, 107–116.
28 Hobsbawm, L’età degli imperi, 30.

3.10 Page 30

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30 Pédagogie salésienne après Don Bosco
d’environ dix heures.29
L’Amérique latine est la partie du monde qui a le plus souffert de la co-
lonisation d’abord, puis de l’immigration massive en provenance de l’Eu-
rope. Bien que la plupart de ces pays aient acquis leur indépendance au dé-
but du XIXe siècle, l’influence de ce que l’on appelle le « premier monde »
restait forte. Néanmoins, on peut affirmer que la période entre 1880 et
1914 représente l’une des rares périodes de stabilité politique de l’histoire
contemporaine en Amérique latine. Cette stabilité était essentiellement due
au fait que la classe dominante, l’oligarchie, dominait sans être contestée.30
1.1.5. L’encyclique Rerum Novarum et une plus grande conscience
sociale chez les salésiens
La prise de conscience des masses, qui avait commencé à se faire sentir
dans l’Europe du XVIIIe siècle, se développa tout au long du siècle suivant
et devait aboutir aux événements explosifs du XXe siècle. Trois éléments
importants et interdépendants ont contribué à l’essor de ce phénomène :
l’alphabétisation, la révolution industrielle et l’urbanisation. Des change-
ments importants ont eu lieu dans les domaines économique, social et po-
litique, directement attribuables à la présence croissante des masses popu-
laires sur la scène publique. L’émergence de la « question sociale » apparut
également aux yeux de l’Église sous un jour nouveau. Dans l’encyclique
Rerum Novarum de 1891, Léon XIII demanda aux chrétiens de passer de
l’action charitable à un engagement social plus incisif.31 Les partis socia-
listes adoptèrent des positions nettement différentes, notamment le Parti
socialiste italien, fondé à Gênes en 1892, première grande organisation
représentative en Italie des intérêts du prolétariat dans l’arène politique.
Le changement de contexte incita également quelques salésiens à
29 Cf. Flores, Il XX secolo, 101.
30 Cf. A. Gutierrez, Contexto historico de Latinoamérica (1880-1922), in Motto (ed.),
L’Opera Salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, 53–70; D. Pompejano, Storia dell’Ameri-
ca Latina, Mondadori, Milano 2012.
31 Cf. G. Chiosso, Profilo storico della pedagogia cristiana, La Scuola, Brescia 2004,
89.

4 Pages 31-40

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4.1 Page 31

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 31
s’intéresser aux questions sociales et économiques.32 Nous mentionnons
surtout quelques écrits de personnages significatifs qui ont travaillé à la
formation des jeunes confrères et qui ont ainsi contribué à la création d’une
nouvelle mentalité. Le conseiller pour les écoles, Don Francesco Cerruti,
élargit sa vision en s’ouvrant aux questions sociales sous l’influence de
Giuseppe Toniolo, professeur d’économie politique à l’Université de Pise.
En 1893, Cerruti publia Des principes pédagogiques et sociaux de Saint
Thomas, et cinq ans plus tard un volume pour les jeunes salésiens sous le
titre Notions élémentaires de morale et d’économie politique.33 Au tour-
nant du siècle, Don Carlo Maria Baratta, appelé à enseigner la sociologie
aux jeunes clercs de Foglizzo, publia La liberté de l’ouvrier et les Principes
de sociologie chrétienne.34 Baratta suivait les théories de l’agronome Sta-
nislao Solari, qui espérait un retour à la terre avec une nouvelle agriculture
rationnelle, et une interaction entre les classes sociales des agriculteurs,
des artisans et des propriétaires fonciers. Un dernier représentant qui a in-
fluencé les jeunes salésiens par l’enseignement de la morale est Don Luigi
Piscetta, auteur des quatre volumes intitulés Éléments de théologie morale.
En particulier dans le troisième volume, qui traite des questions de la jus-
tice, l’auteur s’appuie non seulement sur saint Thomas, mais cite également
les arguments de Rerum Novarum concernant les positions socialistes, la
propriété privée, le juste salaire et le travail des femmes.35
Les publications salésiennes, tout comme la sociologie catholique de
l’époque, se situaient dans un contexte de polémique contre les positivistes
et les socialistes. Elles avaient pour but d’élaborer des concepts intellec-
tuels et philosophiques capables d’offrir des réponses différentes de celles
de type matérialiste, analogues en termes de crédibilité scientifique, mais
32 Cf. J.M. Prellezo, La risposta salesiana alla “Rerum Novarum”. Approccio a do-
cumenti e iniziative (1891-1910), in A. Martinelli – G. Cherubini (eds.), Educa-
zione alla fede e dottrina sociale della Chiesa. Atti XV Settimana di Spiritualità per
la Famiglia Salesiana, SDB, Roma 1992, 39–91.
33 Cf. F. Cerruti, De’ principii pedagogico-sociali di S. Tommaso, Tipografia Sale-
siana, Torino 1893; F. Cerruti, Nozioni elementari di morale e d’economia politica,
Tip. e Libreria Salesiana, Torino 1898.
34 Cf. M. Baratta, La libertà dell’operaio, Fiaccadori, Parma 1898; Id., Principii di
sociologia cristiana, Fiaccadori, Parma 1902.
35 Cf. L. Piscetta, Theologiae moralis elementa, vol. 3, Ex Officina Salesiana, Augus-
tae Taurinorum 1902.

4.2 Page 32

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32 Pédagogie salésienne après Don Bosco
alternatives en termes de contenu. Dans l’ensemble, on adopta une logique
déductive substantiellement normative, faite de préceptes à observer. Les
publications, à la suite de Rerum novarum, se présentaient comme une
« science de «ce qui doit être» ; leurs préoccupations étaient dirigées
d’abord vers les «finalités», puis vers les «causes» et seulement en dernier
lieu vers les «faits» ».36 Dans l’ensemble, elles se présentaient comme des
considérations fondées sur l’éthique, orientées dans une perspective téléo-
logique (évidemment ultra-mondaine, contrairement au positivisme), avec
des applications au plan de la pastorale et de l’exhortation morale. Nous en
avons une illustration typique dans le discours de Pietro Ricaldone, alors
conseiller pour les écoles professionnelles, intitulé Nous et la classe ou-
vrière. Ses clés d’interprétation, qui resteront valables pour interpréter son
action en tant que recteur majeur, tournent autour de la cause fondamentale
de tous les maux : l’éloignement des masses par rapport à Dieu. Le remède
était l’effort éducatif pour l’élévation de l’esprit, de la culture générale, de
la technique professionnelle et du sens artistique.37
1.1.6. La naissance des écoles professionnelles et agricoles salésiennes
Au début des années 1880, un changement significatif commença à se
produire : on est passé des ateliers d’arts et métiers aux écoles profession-
nelles salésiennes. Il y avait à cela essentiellement trois causes : le déve-
loppement industriel exigeait des travailleurs compétents, et donc l’école
professionnelle commença à faire partie des programmes des partis po-
litiques ; les nouvelles lois sur l’enseignement professionnel exigeaient des
changements (en Italie la loi de 1878 et en France celle de 1880) ; enfin,
et ce point est très important, les sections d’apprentis dans beaucoup de
36 M.M. Burgalassi, Itinerari di una scienza. La sociologia in Italia tra Otto e Nove-
cento, Franco Angeli, Milano 1996, 122. Dans le passage cité le sociologue Marco
Burgalassi inclut le salésien Don Baratta parmi les représentants de la sociologie
catholique. Cf. des évaluations similaires in M. Wirth, Orientamenti e strategie di
impegno sociale dei salesiani di don Bosco (1880-1922), in Motto (ed.), L’Opera
Salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, 83–84.
37 Cf. P. Ricaldone, Noi e la classe operaia, Scuola tipografica salesiana, Bologna
1917, 24.

4.3 Page 33

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 33
maisons exigeaient une restructuration.38 Avant le deuxième Chapitre gé-
néral de 1880, les responsables de la section des apprentis du Valdocco
envoyèrent un projet aux capitulaires qui parlait de la nécessité d’une école
pour tous les apprentis sans distinction d’âge, de capacité, de condition,
ainsi que de la nécessité d’avoir des professeurs pour les différentes ma-
tières. En outre, on demandait une modification de l’horaire des cours, car
les cours du soir n’apportaient aucun profit en raison de la fatigue résultant
d’une journée entière de travail manuel.39
À partir de 1893, la section des apprentis des instituts salésiens fut confiée
au conseiller professionnel qui devait y introduire les améliorations néces-
saires. En effet, il était devenu évident que l’enseignement y était peu pro-
fitable : manque de responsables d’atelier ayant l’esprit chrétien, rareté des
travaux pour s’exercer au métier, enfin carences dans l’instruction et manque
de bons assistants, étant donné que la section des étudiants attirait à elle
naturellement les jeunes clercs et que les apprentis se sentaient abandonnés.
Lors du Chapitre de 1886, d’importantes délibérations furent prises. Une
triple orientation devait être donnée aux jeunes apprentis : religieuse-mo-
rale, intellectuelle et professionnelle. La durée de l’apprentissage était fixée
à cinq ans, et les apprentis étaient divisés en sections. Le Conseil général
fut chargé d’élaborer un programme scolaire et, bien que le Chapitre eût
pris des décisions, le passage des ateliers aux écoles professionnelles fut
assez lent. Ce n’est qu’en 1898 que le nouveau conseiller général pour les
écoles professionnelles, Don Giuseppe Bertello, fit les premiers pas vers la
transformation des ateliers, soucieux uniquement de la qualité du métier,
en vraies écoles professionnelles, comprises comme des lieux d’éducation
et de formation de bons ouvriers compétents. Le document de base vit le
jour en 1903 sous le titre : Programme scolaire pour les écoles d’appren-
tissage de la Pieuse Société Salésienne.
À tout cela s’ajouta l’influence du « Cénacle de Parme » qui s’était for-
mé autour de Don Baratta avec l’appui de Stanislao Solari. Profitant des
possibilités offertes par les donations de terres aux salésiens d’Europe et
d’Amérique, Baratta favorisa le « tournant agricole » dans l’esprit de Don
38 Cf. J.M. Prellezo, La «parte operaia» nelle case salesiane. Documenti e testimo-
nianze sulla formazione professionale (1883-1886), in «Ricerche Storiche Sale-
siane» 16 (1997) 31, 357.
39 Cf. Prellezo, Le scuole professionali salesiane, 54–55.

4.4 Page 34

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34 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Rua durant les premières années du XXe siècle. Les écoles d’agricultu-
re commencèrent à se multiplier, et dans les pages du Bulletin salésien
les questions concernant l’agriculture devinrent plus fréquentes. Don Rua
considérait les écoles d’agriculture comme une réaction au dépeuplement
des campagnes en vue d’un retour à la vie rurale et, par ce moyen, d’une
re-christianisation de la société.40
Une impulsion importante dans le changement des mentalités vint de
la loi Carcano de 1902 sur le travail des femmes et des mineurs dans les
usines et les ateliers industriels. Une règle fondamentale était que, pour
les enfants de moins de quinze ans, l’emploi du temps quotidien devait in-
clure un temps d’école égal ou supérieur à celui du travail, un équilibre qui
n’était pas encore pratiqué dans les institutions salésiennes.41 Un autre ins-
trument de promotion des écoles professionnelles vit le jour en 1901 à Val-
salice avec la première « Exposition triennale des écoles professionnelles
et des colonies agricoles de la Pieuse Société de Saint François de Sales ».
L’objectif était de présenter une image de ce qui se faisait dans les insti-
tutions salésiennes pour le bien de la jeunesse ouvrière et de montrer les
produits fabriqués par les artisans eux-mêmes. La deuxième exposition en
1904 ainsi que la suivante en 1910 témoignent d’une présence encore plus
importante des écoles professionnelles salésiennes. Il est intéressant de no-
ter le changement de ton dans les évaluations d’une exposition à l’autre :
partant d’une lecture essentiellement festive de la deuxième exposition on
est passé à une lecture plus critique dans un souci d’amélioration de la part
de Don Pietro Ricaldone, nouveau conseiller professionnel en 1910.42
1.1.7. Autres œuvres sociales : oratoires, jardins d’enfants et internats
pour les jeunes travailleuses
Pietro Braido note comment l’oratoire salésien s’est adapté à la situation
40 Cf. Lettera del R.mo D. Michele Rua ai Cooperatori ed alle Cooperatrici Salesiane,
in «Bollettino Salesiano» 26 (1902) 1, 6–7.
41 Cf. Prellezo, Le scuole professionali salesiane, 63–65; P. Bairati, Cultura salesia-
na e società industriale, in F. Traniello (ed.), Don Bosco nella storia della cultura
popolare, SEI, Torino 1987, 343–344.
42 Cf. Terza esposizione generale delle scuole professionali e agricole della Pia So-
cietà Salesiana, Scuola tipografica salesiana, Torino 1912.

4.5 Page 35

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 35
italienne, à une époque où le pays « se déplaçait de plus en plus rapidement
des zones rurales vers l’industrie, provoquant le phénomène de l’urbanisa-
tion et le déplacement souvent traumatisant des jeunes, garçons et filles, de
la campagne à l’usine ».43 La situation des quartiers populaires, la question
ouvrière et les incitations de Rerum novarum suscitèrent dans les oratoires
salésiens une attention aux questions sociales avec différentes implica-
tions. L’élargissement de la perspective éducative oratorienne est notable
et une convergence plus forte s’est créée autour de l’objectif éducatif de
« préparer les jeunes à la vie ». Par cette formule on entendait une prépa-
ration non seulement religieuse et morale, mais aussi une aide au travail et
une insertion sociale. L’ouverture de l’oratoire à la dimension sociale s’est
exprimée dans un large éventail de propositions, a impliqué l’étude de la
sociologie et a finalement contribué à l’élargissement de la tranche d’âge
des bénéficiaires, afin de prévenir leur exode de l’oratoire dans les années
les plus importantes pour leur avenir.
En plus des propositions des Chapitres généraux et des lignes péda-
gogiques de Don Rua, que nous analyserons dans ce chapitre et le sui-
vant, on constate une augmentation de l’attention générale, un engagement
social des catholiques et la concentration des efforts vers l’élargissement
des intuitions oratoriennes.44 Les numéros du Bulletin salésien des années
1918-1919 constituent un témoignage intéressant des développements de
l’oratoire à une époque de redressement de l’après-guerre. On peut y lire
la chronique dédiée à l’oratoire et intitulée « Pour l’éducation des enfants
du peuple » qui rapporte les expériences des oratoires. Le Bulletin présen-
tait également les activités de l’oratoire-modèle du Valdocco, qui prévoyait
pour les plus grands une initiation à la vie chrétienne active et un apostolat
au plan religieux et social, faisant de l’oratoire un « gymnase éducatif, reli-
gieux et social et [...] un champ d’expérimentation pour les premiers essais
dans la vie ».45 Dans le contexte de la controverse avec d’autres écoles de
pensée, le Bulletin suggérait des œuvres économiques, sociales et cultu-
relles pour compléter l’action oratorienne habituelle, semblables à celles
43 P. Braido, Per una storia dell’educazione giovanile nell’oratorio dell’Italia contem-
poranea. L’esperienza salesiana, LAS, Roma 2018, 74.
44 Cf. Ibid., 49–126.
45 Per l’educazione cristiana dei figli del popolo. L’anno catechistico 1917-18 nel l°
Oratorio festivo di D. Bosco, in «Bollettino Salesiano» 42 (1918) 12, 242.

4.6 Page 36

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36 Pédagogie salésienne après Don Bosco
promues par les « Cercles et Institutions antichrétiens »:
Cercles de culture ; conversations sociales ; écoles professionnelles ; se-
crétariats du travail ; bureau d’enregistrement des caisses de sécurité so-
ciale ; assurances populaires des travailleurs ; conférences sur l’hygiène
professionnelle ; instructions sur la législation du travail ; initiation aux
Conférences de Saint Vincent de Paul ; préparation à l’entrée dans les
cercles militaires ; assistance aux jeunes travailleurs émigrés.46
Les Filles de Marie Auxiliatrice répondirent aux changements apportés
par l’industrialisation en faisant évoluer leur œuvre typique des jardins
d’enfants. Le passage de la famille patriarcale rurale à des formes plus
modernes, liées plutôt à la vie urbaine et au travail des femmes dans les
usines, a modifié la dynamique éducative dans les familles. C’est alors que
naissent les œuvres d’éducation de l’enfance qui vont au-delà des simples
jardins d’enfants, conçus dans la première moitié du XIXe siècle comme
des structures de « refuge » et d’assistance pour les enfants des familles les
plus démunies.47 Au tournant du siècle, on passe à la dénomination « école
maternelle », qui accentue la dimension éducative.
L’orientation pédagogique et pratique pour la gestion des jardins d’en-
fants est contenue dans le Règlement-Programme pour les jardins d’en-
fants, rédigé par les FMA, revu par Don Francesco Cerruti et publié en
1885.48 Les lignes pédagogiques qui orientent la pratique éducative des
jardinières d’enfants sont divisées, à la suite d’Aporti, en deux grands
domaines : physique-intellectuel et moral-religieux. Le Règlement est in-
troduit par un aperçu historique sur les jardins d’enfants en Italie, rédigé
par Cerruti, qui met en valeur les contributions d’Aporti et de Fröbel, en
les intégrant et en donnant plus d’importance à la dimension religieuse. Il
évite avec soin, du moins en théorie, un enseignement trop précoce ou trop
46 Per le adunanze mensili. Sosteniamo e moltiplichiamo gli Oratori Festivi, in «Bol-
lettino Salesiano» 42 (1918) 2, 22.
47 Cf. par ex. T. Faletti di Barolo, Sull’educazione della prima infanzia nella classe
indigente. Brevi cenni dedicati alle persone caritatevoli, Chirio e Mina, Torino 1832.
48 Cf. Regolamento-Programma per gli Asili d’infanzia delle Figlie di Maria Ausilia-
trice, Tip. e Libreria Salesiana, S. Benigno Canavese 1885. Cf. aussi P. Cavaglià,
Il primo regolamento degli Asili infantili istituiti dalle Figlie di Maria Ausiliatrice
(1885), in «Rivista di Scienze dell’Educazione» 35 (1997) 1, 23–25.

4.7 Page 37

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 37
scolaire. Il rappelle la nature de l’enfant incapable de s’appliquer longtemps
à une tâche, et on souhaite que pendant la journée les activités alternent
avec la gymnastique, les chants et les prières, et en tenant compte de l’âge
et des capacités des enfants. On note cependant dans le texte une tension
entre la tradition salésienne et l’organisation scolaire qui implique des res-
trictions disciplinaires.49 Dans le Règlement pour les jardins d’enfants de
1912, on donne plus d’importance à l’approche de Fröbel, qui fut adoptée
également dans le cours pour les jardinières d’enfants de Nizza Monferrato
à partir de 1906. L’évolution pédagogique des trente années qui séparent les
deux règlements se traduit par une accentuation de l’animation récréative
et une répartition plus précise des rôles éducatifs : directrice, maîtresses,
sous-maîtresses et auxiliaires.50
Par ailleurs, les progrès de l’industrialisation avaient besoin du travail
féminin, ce qui poussait les jeunes filles à peine adolescentes à rejoindre
les grandes usines, où elles se retrouvaient facilement dans des situations à
risque. Les FMA comprirent les besoins de ces filles souvent contraintes à
vivre dans un environnement peu sûr, tant du point de vue de la prévention
des accidents que du point de vue moral. Le premier internat pour jeunes
ouvrières fut ouvert en 1897 à Cannero, sur le lac Majeur, et leur nombre
augmenta progressivement jusqu’à 19 maisons en 1908 et au-delà au cours
des années suivantes.51 L’internat se présentait à elles comme une famille
dans laquelle elles pouvaient trouver aide, compréhension et formation re-
ligieuse, alors qu’elles vivaient dans un contexte de dix heures de travail ou
plus, de discipline rigide et de faible rémunération. Dans certains internats,
rattachés à de grandes usines, et abritant des centaines de pensionnaires,
les sœurs avaient également pour tâche de fournir une assistance sur le lieu
de travail.52
49 Cf. P. Ruffinatto, L’educazione dell’infanzia nell’Istituto delle Figlie di Maria Au-
siliatrice tra il 1885 e il 1922. Orientamenti generali a partire dai regolamenti, in
González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, 149–153.
50 Cf. Regolamenti e Programmi per gli Oratori festivi e per i giardini d’infanzia, Tip.
Silvestrelli e Cappelletto, Torino 1912; P. Ruffinatto, L’educazione dell’infanzia,
156–159.
51 Cf. Rosanna, Estensione e tipologia delle opere delle FMA (1872-1922), 170.
52 Cf. G. Loparco, L’apporto educativo delle Figlie di Maria Ausiliatrice negli edu-
candati tra ideali e realizzazioni (1878-1922), in González et al. (eds.), L’educazione
salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, 161–191.

4.8 Page 38

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38 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Comme on le voit, ces œuvres ont poursuivi une finalité éducative et pas
seulement sociale. Elles se sont révélées particulièrement opportunes pour
soutenir, guider et former les jeunes filles au cours de cette phase délicate
de transition sociale. En effet, dans le Règlement pour les internats publié
en 1913, il est précisé que l’acceptation de ces œuvres doit être subordon-
née à la possibilité effective de poursuivre des objectifs éducatifs et non
pas seulement d’assistance, c’est-à-dire une formation religieuse et morale
qui permette de préparer « d’excellentes filles de famille, des travailleuses
honnêtes et consciencieuses, des citoyennes dignes et honorables ».53
1.2. Les lignes pédagogiques des supérieurs dans une pé-
riode de grande expansion
Le fait de succéder à Don Bosco, l’évolution du contexte et le rapide
développement de la Congrégation salésienne sont trois éléments qui ont
fortement influencé les lignes de gouvernement de Michel Rua. Sa longue
collaboration avec Don Bosco, dont il fut le vicaire, la fascination exercée
par le fondateur et éducateur de la première génération de salésiens et la
vivacité des souvenirs qu’il a laissés ont déterminé la principale ligne de
gouvernement de la Congrégation et de la pédagogie salésienne : la fidélité
à Don Bosco. Les défis du contexte méditerranéen et latino-américain, les
deux centres de l’action éducative salésienne, ont eu une importance se-
condaire dans la formation des idées pédagogiques, même si on ne peut pas
en dire autant des choix éducatifs pratiques dans la période de transition
entre le XIXe et le XXe siècle.
1.2.1. Michel Rua et la fidélité créative au système préventif de Don Bosco
Après la mort de Don Bosco, l’atmosphère qui régnait parmi les salésiens
53 Regolamenti pei Convitti diretti dalle Figlie di Maria Ausiliatrice, Tip. Silvestrelli
e Cappelletto, Torino 1913, 3–4.

4.9 Page 39

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 39
de la première génération a été bien exprimée par le Cardinal Alimonda
dans son sermon lors de la messe de suffrage : « Je le verrai donc avec plus
de respect qu’auparavant, mais toujours avec la même tendre affection,
toujours avec le même cœur aimant ».54 Les liens forts entre Don Rua et
Don Bosco et le partage de la vie à Valdocco pendant plusieurs décennies
ont décidé Don Rua à vouloir être un autre Don Bosco et à conduire la
Congrégation le plus possible dans la même direction. Pendant des mois,
il réunit le Conseil Supérieur dans la chambre où Don Bosco avait vécu
la dernière étape de sa vie, et parmi les premiers sujets abordés il y avait
l’introduction de la cause de béatification du fondateur. Dans sa première
lettre en tant que Recteur Majeur, Don Rua exposa son programme :
Nous devons considérer comme un privilège d’être les fils d’un tel Père.
Notre souci désormais doit être de soutenir et de développer de plus en plus
les œuvres qu’il a commencées, de suivre fidèlement les méthodes qu’il a
pratiquées et enseignées, et, dans notre manière de parler et de travailler,
de chercher à imiter le modèle que le Seigneur, dans sa bonté, nous a don-
né. Voilà, mes chers fils, le programme que je suivrai dans ma charge ; que
ce soit aussi le but et l’effort de chaque salésien.55
La formation par osmose entre les aspects pédagogiques, éducatifs et
spirituels a fortement marqué les premières générations de salésiens, dans
la mesure où elle était transmise et assimilée par l’expérience et le contact
direct avec Don Bosco, mais peu élaborée au niveau théorique.56 Le modèle
de formation par le partage de la vie avait l’avantage de ne pas fraction-
ner « l’éducation chrétienne de la jeunesse »57 en différentes dimensions,
54 Giovanni Bosco e il suo secolo. Ai funerali di trigesima nella chiesa di Maria Au-
siliatrice in Torino il 1° marzo 1888. Discorso del cardinale arcivescovo Gaetano
Alimonda, Tipografia Salesiana, Torino 1888, 6.
55 M. Rua, Prima lettera del Nuovo Rettor Maggiore. Circolare del 19 marzo 1888,
in Lettere Circolari di don Michele Rua ai salesiani, Scuola tipografica don Bosco,
San Benigno Canavese 1940, 18.
56 Cf. P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica, vol. 2: Mentalità
religiosa e spiritualità, LAS, Roma 1981, 470–474; P. Braido, Don Bosco prete dei
giovani nel secolo delle libertà, vol. 2, LAS, Roma 2003, 233–271.
57 L’expression « éducation chrétienne de la jeunesse » est de Don Bosco et consti-
tue un concept intégral qui embrasse la catéchèse, l’éducation morale, la formation
littéraire et professionnelle, le volontariat, l’éducation artistique et expressive, etc.
dans une vision chrétienne traditionnelle de la réalité et de la société. Cf. P. Braido,
Il progetto operativo di Don Bosco e l’utopia della società cristiana, LAS, Roma

4.10 Page 40

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40 Pédagogie salésienne après Don Bosco
sections ou méthodologies qui tendaient alors à être séparées ou opposées.
L’éducation était un tout vital, transmis par l’expérience et communiqué
dans un récit vivant et optimiste, à un moment où la Congrégation connais-
sait une croissance exponentielle.
À côté des avantages d’une formation tout entière basée sur l’expé-
rience de vie partagée avec Don Bosco, il faut signaler cependant plu-
sieurs difficultés et écueils inhérents à cette approche expérientielle de la
tradition éducative salésienne. On peut facilement imaginer ces limites, et
d’ailleurs plusieurs responsables de la première génération salésienne les
ont bien perçues. La première de ces limites était l’absence d’une référence
textuelle sûre, tant pour la formation des nouveaux salésiens que pour faire
face à des difficultés éducatives inédites.
Une deuxième limite était la tendance à répéter sans discernement les
traditions transmises par osmose, sans distinguer suffisamment les élé-
ments fondamentaux des éléments secondaires liés aux particularités des
situations et des tempéraments. Calogero Gusmano, qui a accompagné le
premier visiteur extraordinaire Paul Albera en Amérique latine dans les
premières années du XXe siècle, résumait bien cette mentalité en affir-
mant : « Souvent, pour trancher une question même minime, on dit : «À
l’Oratoire on fait comme ça», et cela suffit à couper court à toute autre
discussion ».58
Les limites que comportait l’imitation du Valdocco n’apparaissaient pas
encore suffisamment, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, il y avait en-
core beaucoup de salésiens qui avaient connu Don Bosco et qui pouvaient
interpréter leur expérience de vie avec lui à partir de différents points de
vue. D’autre part, les diverses interventions de Don Rua montrent bien
que pour lui la fidélité à Don Bosco n’était pas une question de répétition,
mais de fidélité à un modèle qu’il avait lui-même vu évoluer sous ses yeux.
La quarantaine d’années vécue aux côtés de Don Bosco et l’absence d’un
« traité définitif » sur la pédagogie salésienne comportant des dispositions
1982; A. Giraudo, Educazione e religione nel sistema preventivo di don Bosco, in
A. Bozzolo – R. Carelli (eds.), Evangelizzazione e educazione, LAS, Roma 2011,
271–274.
58 C. Gusmano, Lettera a D. Barberis (20 settembre 1900), in P. Albera – C. Gusma-
no, Lettere a don Giulio Barberis durante la loro visita alle case d’America (1900-
1903). Introduzione, testo critico e note a cura di Brenno Casali, LAS, Roma 2000,
84.

5 Pages 41-50

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5.1 Page 41

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 41
particulières pour chaque situation sont deux éléments qui aideront à as-
socier le choix de la fidélité au pôle nécessaire de la créativité. Le choix de
rester fidèle à un modèle, en soi innovant et flexible, de manière créative
et en tenant compte de la diversité des caractères, des convictions et des
situations inédites à affronter, a permis de poser les bases d’un certain
équilibre, important mais qu’il n’était pas facile à maintenir. Outre certains
changements imposés par le Saint-Siège, où il ne pouvait être question
de fidélité créative mais seulement d’obéissance,59 il a fallu affronter les
difficultés engendrées par la croissance dynamique et l’expansion géogra-
phique de la Congrégation.
Au cours des 22 années du rectorat de Don Rua, le nombre de confrères
est passé d’un peu moins de 800 à plus de 4 000, le nombre des maisons
a été multiplié par six, et les provinces sont passées de 6 à 34. Pendant
cette période de forte croissance, avec les dettes laissées par Don Bos-
co et la diminution des offrandes,60 la formation se faisait de moins en
moins par osmose comme dans les premiers temps et ne s’était pas encore
dotée de règles précises.61 Tout cela permet de contextualiser et de relati-
viser en même temps l’insistance de Don Rua sur la fidélité à la tradition
contre toute « démangeaison de réforme ». Parmi les nouveautés il faut
59 Il s’agit principalement de l’interdiction faite en 1901 aux supérieurs salésiens d’en-
tendre les confessions de leurs sujets et de la séparation juridique et administrative
de l’Institut des FMA à partir de 1906. Cf. M. Canino Zanoletty, Las “pruebas”
de D. Rua. La prohibición al superior salesiano de confesar a sus súbditos, in G.
Loparco – S. Zimniak (eds.), Don Michele Rua primo successore di don Bosco.
Tratti di personalità, governo e opere. Atti del 5° Convegno Internazionale di Sto-
ria dell’Opera Salesiana Torino 28 ottobre – 1 novembre 2009, LAS, Roma 2010,
103–137; G. Loparco, L’autonomia delle Figlie di Maria Ausiliatrice nel quadro
delle nuove disposizioni canoniche, in Motto (ed.), Don Michele Rua nella storia
(1837-1910), 409–444.
60 Cf. F. Desramaut, Vita di don Michele Rua, primo successore di don Bosco (1837-
1910). Edizione a cura di Aldo Giraudo, LAS, Roma 2009, 164–165. Titre original
en français: Vie de don Michel Rua, premier successeur de Don Bosco (1837-1910),
LAS, Roma 2009.
61 L’accent principal est mis sur la régularisation des noviciats, mais les autres étapes
de la formation sont encore loin d’être organisées, une situation qui nécessitera
une attention supplémentaire de la part de Don Rinaldi et de Don Ricaldone. Cf.
Deliberazioni del quinto Capitolo Generale della Pia Società Salesiana tenuto in
Valsalice presso Torino nel settembre 1889, Tipografia Salesiana, S. Benigno Ca-
navese 1889, 25.

5.2 Page 42

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42 Pédagogie salésienne après Don Bosco
signaler les ouvertures de maisons dans de nouveaux contextes éducatifs :
au Moyen-Orient avec la fusion de la congrégation de Don Belloni avec les
salésiens ;62 en Europe centrale avec la controverse entre Don Rua et Don
Markiewicz63 sur la vraie fidélité à Don Bosco ; aux États-Unis avec les
œuvres d’assistance aux émigrants italiens ;64 et en Extrême-Orient, avec
les fondations en Inde, à Macao et en Chine.
La forte croissance des œuvres en Amérique latine montre également
quelques expériences intéressantes d’inculturation auprès des tribus Shuar
en Équateur, initialement peu réussies,65 et avec les Bororo dans le Mato
Grosso au Brésil. Cette dernière expérience est importante car elle nous
montre plus clairement l’attitude de fidélité créative de Don Rua. Lorsque
Luigi Lasagna ouvrit la mission du Mato Grosso, il avait un véritable pro-
gramme d’action basé sur ses connaissances de la réalité de la région. Don
Rua, de son côté, avait esquissé des normes sages d’action missionnaire
dans ses lettres à Don Balzola. Partant de l’expérience des reducciones en
Terre de Feu, il abordait au fur et à mesure différents thèmes, tels que le
rôle du missionnaire, le travail, la santé, l’éducation hygiénique, la nudité
des indigènes, la condition des femmes, le mariage, l’éducation religieuse,
etc., en tenant compte du contexte amazonien et en adoptant une logique
assez souple et progressive.66
Il semble qu’à part quelques rares exceptions, les directeurs des reduc-
ciones au Brésil aient ignoré un bon nombre de ses recommandations, car
62 Cf. P.G. Gianazza, Don Rua e la fondazione salesiana di Alessandria d’Egitto, in
Loparco Zimniak (eds.), Don Michele Rua primo successore di don Bosco, 805–
878.
63 Cf. S. Zimniak, Salesiani nella Mitteleuropa. Preistoria e storia della provincia
Austro-Ungarica della Società di S. Francesco di Sales (1868 ca.-1919), LAS,
Roma 1997, 69–110.
64 Cf. F. Motto, “L’Italia degli Stati Uniti” chiama, don Rua risponde, in Loparco
Zimniak (eds.), Don Michele Rua primo successore di don Bosco, 993–1011; M.
Mendl, Don Michele Rua e il lavoro salesiano nell’Est degli Stati Uniti 1898-1910,
in Ibid, 1013–1035.
65 J. Botasso, Los salesianos y la educación de los Shuar 1893-1920. Mirando más
allá de los fracasos y los éxitos, in González et al. (eds.), L’educazione salesiana
dal 1880 al 1922, vol. 2, 237–249.
66 Cf. A. Ferreira da Silva, La missione salesiana tra gli indigeni del Mato Grosso
nelle lettere di don Michele Rua (1892-1909), in «Ricerche Storiche Salesiane» 12
(1993) 22, 48–54.

5.3 Page 43

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 43
ils voulaient que les Indiens, en passant de la vie nomade à la vie séden-
taire, apprennent à gagner leurs moyens de subsistance. En poursuivant
cet objectif d’autosuffisance, les directeurs furent soumis à la pression de
la survie et dans de nombreux cas, le souci de la gestion et du travail rem-
plaça la préoccupation de l’évangélisation et de l’éducation chrétienne de
la population.67
1.2.2. Bonté et zèle de l’éducateur pour une éducation profonde et
durable
En plus de la fidélité créative dans l’adaptation des œuvres éducatives,
Don Rua a utilisé quelques expressions typiques pour marquer sa fidélité à
Don Bosco. Un premier accent est mis sur la méthode d’éducation typique-
ment salésienne : la bonté. De même que le thème précédent de la fidélité
créative s’inscrit dans un contexte d’expansion mondiale, celui de la bonté
doit être interprété dans un cadre où prédomine le collège salésien qui, en
tant que structure, préfère une approche réglementée et disciplinaire de
l’éducation.68
Les références à l’application du système préventif dans le contexte
disciplinaire des collèges salésiens ne manquent pas. Dans sa lettre sur
l’esprit de Don Bosco, nous lisons : « Pour que le système préventif ne
reste pas lettre morte, [le directeur] devrait souvent lire les pages en or
que Don Bosco a écrites à son sujet. Il doit veiller à ce que les punitions
trop longues, douloureuses et humiliantes soient interdites et qu’aucun su-
périeur, enseignant ou assistant n’aille jusqu’à frapper les jeunes ».69 Don
67 A. da Silva Ferreira, La crisi della missione tra i Bororo e l’apertura al nuovo
campo di apostolato nel sud del Mato Grosso (1918-1931), in «Ricerche Storiche
Salesiane» 11 (1992) 21, 177–185.
68 Don Rua se trouve en syntonie avec les dernières recommandations de Don Bosco
en faveur de la pratique du système préventif dans les collèges. Cf. Istituto Sto-
rico Salesiano, Fonti Salesiane. 1. Don Bosco e la sua opera, LAS, Roma 2014,
442–256.
69 M. Rua, Santificazione nostra e delle anime a noi affidate. Circulaire du 24 août
1894, in Lettere di don Rua, 119–120; Cf. également d’autres références au pro-
blème de la discipline: J.M. Prellezo, Le scuole professionali salesiane (1880-
1922). Istanze e attuazioni viste da Valdocco, 76–80; W.J. Dickson, Prevention or

5.4 Page 44

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44 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Rua commente les résultats du huitième Chapitre Général en rappelant le
« devoir strict de posséder l’esprit salésien et de vivre la vie salésienne. Et
cela consiste à travailler, surtout en faveur de la jeunesse, dans l’esprit et
avec le système de Don Bosco, tout imprégné de douceur et de bonté ».70
L’application du système préventif vu sous l’angle de la bonté ne s’ex-
prime pas seulement dans le contexte antirépressif des questions de dis-
cipline, mais elle caractérise également la proposition de deux principes
éducatifs : le zèle qui anime l’action éducative et l’éducation du cœur. Don
Rua évoque le zèle du Da mihi animas cetera tolle de Don Bosco, lui qui
« ne faisait pas un pas, ne prononçait pas un mot, ne mettait pas la main
à une entreprise qui n’aient eu comme but le salut de la jeunesse ».71 Ce-
pendant, il faut toujours garder à l’esprit le développement numérique et
géographique de la Congrégation :
C’est avec une immense consolation que j’ai pu m’assurer que vous
êtes tous animés de la meilleure volonté de faire le bien. C’est aussi
une preuve évidente de cette ardeur, que j’ai parfois cru devoir réfré-
ner, avec laquelle nous essayons d’élargir le cercle de l’apostolat salé-
sien [...] Que le Seigneur daigne exaucer mes demandes et mainte-
nir vivant dans nos cœurs ce feu sacré qui s’est allumé lorsque nous
avons entendu Don Bosco lancer ce cri puissant : da mihi animas, et
que nous l’avons vu dépenser ses forces et sa vie dans l’exercice de la
charité. Mais vous, mes très chers fils, veillez de votre côté à ce que
cette bonne volonté soit toujours jointe à une grande pureté d’in-
tention, qu’elle soit inaccessible à tout découragement et toujours
guidée par l’obéissance.72
repression. The reception of don Bosco’s educational approach in English Salesian
Schools, in González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1,
215–236; F. Casella, Il contesto storico-socio-pedagogico e l’educazione salesiana
nel Mezzogiorno d’Italia tra richieste e attuazioni (1880-1922), in González et al.
(eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, 310–313.
70 M. Rua, Felice esito dell’VIII Capitolo Generale. Come apprezzano le opere nos-
tre. Circulaire dans l’octave de la fête de l’Immaculée Conception 1898, in Lettere
di don Rua, 195. Pour l’élaboration de l’idée de Système Préventif au cours de cette
période cf. Prellezo, Linee pedagogiche della Società Salesiana, 101–104.
71 Rua, Santificazione nostra, 110.
72 M. Rua, Disastro Brasileno. Avvisi vari e consigli. Circulaire du 29 janvier 1896, in

5.5 Page 45

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 45
Le zèle qui anime l’activité salésienne est mis par Don Rua en lien avec
le prototype Don Bosco, à la « physionomie bienveillante, toujours rayon-
nante de charité et de douceur » qui est une imitation du « modèle divin
Jésus-Christ ».73 Dans l’enseignement de Don Rua, la base de l’action édu-
cative aimante et zélée est la personne vertueuse de l’éducateur salésien,
qui se met dans la position d’un disciple du Christ en s’inspirant du modèle
de Don Bosco. Plusieurs fois, il recommande aux directeurs d’oratoires
d’attirer les jeunes par le zèle et la charité plutôt que par les attractions des
oratoires modernes qui offrent une foule de divertissements.74
Un autre de ses thèmes typiques, en lien avec le zèle et la charité, est
l’éducation du cœur. Dans le vocabulaire des circulaires et dans le Bulletin
salésien, le premier successeur de Don Bosco utilise très souvent ce terme.
Le « cœur » apparaît plus de huit cents fois, dépassant d’autres termes reli-
gieux et éducatifs tels que Dieu, Jésus, Marie, Marie Auxiliatrice, oratoire,
missions, etc. Dans ses lettres, il ne parle le plus souvent que de Don Bosco
et des salésiens. Comme pour Don Bosco, le cœur pour Don Rua n’est pas
un synonyme de sentimentalité et n’évoque pas l’éducation des émotions.
Le terme cœur fait plutôt référence au centre de l’identité personnelle, des
convictions profondes, des motivations, de l’action morale et donc des qua-
lités relationnelles.75 En ce sens, l’éducation du cœur caractérise la méthode
éducative dans le sens de la bonté et de la patience, sans adoucir le noyau
téléologique de la proposition salésienne d’éduquer de bons chrétiens et
d’honnêtes citoyens :
Rappelons donc que nous manquerions à la partie la plus essentielle
de notre mission si nous nous la réduisions à donner une instruc-
tion purement littéraire sans y ajouter l’éducation du cœur. Nous
devons avant tout viser à faire de nos élèves de bons chrétiens et
Lettere di don Rua, 145–146.
73 M. Rua, Lo spirito di D. Bosco – Vocazioni. Circulaire du 14 juin 1905, in Lettere
di don Rua, 524.
74 Cf. M. Rua, Vocazioni – Militari - Oratorii Festivi. Circulaire du 29 janvier 1894, in
Lettere di don Rua, 474–475; M. Rua, Gli Oratorii Festivi. Circolare del 29 gennaio
1893, in Ibid, 461.
75 75 Sur l’« anthropologie du cœur » chez don Bosco cf. la synthèse in P. Stella, Don
Bosco, Bologna, Il Mulino, 2001, 59–62 qui reprend P. Stella, Don Bosco nella
storia, vol. 2: Mentalità religiosa e spiritualità, 37–50.

5.6 Page 46

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46 Pédagogie salésienne après Don Bosco
d’honnêtes citoyens, en cultivant aussi les vocations qui se trouvent
parmi eux.76
L’éducation du cœur comporte également un aspect de profondeur et de
durée. Rua recommande d’éduquer des convictions ancrées dans le cœur,
qui porteront leurs fruits même lorsque les élèves ne seront plus présents
dans les maisons salésiennes. Grâce à l’amorevolezza, « les vérités semées
dans leurs cœurs étaient profondément enracinées et n’étaient pas restées
sans fruit ».77 Ce thème est associé à la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus,
si chère à Don Rua, présentée dans la lettre emblématique du 21 novembre
1900, dans laquelle il recommanda la consécration au Sacré-Cœur de tous
les élèves et coopérateurs.78 Parmi les moyens pratiques chers à Don Bosco
pour l’éducation préventive du cœur on y propose, outre les sacrements
et les exercices spirituels,79 la lecture des bons livres et le refus des livres
contraires « à la morale ou aux sains principes de la religion et de la piété
qui doivent façonner le cœur de nos confrères et de nos élèves pour faire
d’eux de vrais éducateurs de la jeunesse et de bons chrétiens ».80
1.2.3. Les orientations pour les oratoires et les anciens élèves
Pour Rua, l’éducation oratorienne était l’un des principaux domaines
d’application du principe de fidélité créative. Le troisième Chapitre général
de 1883 avait rappelé la tradition oratorienne en disant que « le premier
76 M. Rua, Studi letterarii. Circulaire du 27 décembre 1889, in Lettere di don Rua,
45–46.
77 Rua, Vocazioni – Militari - Oratorii Festivi, 473.
78 Cf. M. Rua, La consacrazione della nostra Pia Società al Sacro Cuore di Gesù.
Circulaire du 21 novembre 1900, in Lettere di don Rua, 231–279. Pour une contex-
tualisation plus approfondie cf. A. Giraudo, Linee portanti dell’animazione spiri-
tuale della congregazione salesiana da parte della direzione generale tra 1880 e
1921, in «Ricerche Storiche Salesiane» 23 (2004) 44, 85–89.
79 Cf. M. Rua, Il Sacramento della Penitenza. Norme e consigli. Circulaire du 29 no-
vembre 1899, in Lettere di don Rua, 198; M. Rua, Norme per gli esercizi spirituali
dei giovani. Circulaire du 1er mars 1893, in Ibid, 97.
80 M. Rua, Convocazione del Capitolo Generale [5°] ed Avvisi, in Lettere di don Rua,
34.

5.7 Page 47

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 47
exercice de charité de la Pieuse Société de Saint François de Sales est d’ac-
cueillir les jeunes pauvres et abandonnés, pour les instruire dans la sainte
religion catholique, particulièrement aux jours de fête ».81 Pendant la pé-
riode des congrès sur les oratoires, Don Rua s’en fit le champion : il aima et
encouragea leur fondation et leur croissance grâce à une gestion prudente
et créative, leur amélioration inlassable et leur ouverture aux grands jeunes
à travers les clubs et les cours de religion.82 Pendant son rectorat, le CG7
(1895) prit un certain nombre de décisions et de propositions importantes :
1) désignation d’un membre du Conseil supérieur spécialement chargé
des oratoires festifs ;
2) ouverture d’oratoires en dehors des maisons salésiennes, avec des
cours durant la journée et des cours du soir ;
3) organisation de cours de religion dans les oratoires ;
4) ouverture souhaitable des oratoires pendant toute la journée ;
5) souci d’une assistance appropriée.83
L’insistance sur ce sujet, et en particulier les rappels et les mises au
point sur certains aspects, laissent à penser que la réception des orienta-
tions indiquées n’a pas toujours été unanime. En 1896, faisant un rapide
rapport sur le dernier Chapitre, Don Rua profitait de l’occasion pour révéler
des sentiments qu’il souhaitait exprimer depuis longtemps. Avant tout il se
disait consolé « de voir le développement des oratoires ouverts les jours
de fête. En effet, depuis que je vous ai encouragés à plusieurs reprises au
cours des dernières années à vous consacrer avec de plus en plus de zèle à
81 Deliberazioni del Terzo e Quarto Capitolo Generale della Pia Società Salesiana,
tenuti in Valsalice nel settembre 1883-86, Tip. e Libreria Salesiana, S. Benigno
Canavese 1887, 22. Cf. anche M. Rua, Viaggio di D. Rua in Ispagna. Antichi Allievi
- Consigli. Circulaire du 2 janvier 1900, in Lettere di don Rua, 500–501.
82 Cf. E. Ceria, Annali della Società Salesiana, vol. 3, Torino, SEI, 1946, 791–802.
L’insistance de Don Rua sur l’importance des oratoires reflète aussi une certaine
marginalisation des oratoires et une certaine défiance par rapport aux conclusions
des congrès. Cf. P. Braido, Per una storia dell’educazione giovanile nell’oratorio,
122–124
83 Cf. Deliberazioni del Settimo Capitolo Generale della Pia Società Salesiana, Tip. e
Libreria Salesiana, S. Benigno Canavese 1896, 90–104.

5.8 Page 48

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48 Pédagogie salésienne après Don Bosco
cette question, j’ai constaté une augmentation remarquable du nombre de
ces oratoires ».84
À plusieurs reprises Michel Rua souligna la priorité du catéchisme :
« Dans l’esprit de Don Bosco, les oratoires où on ne ferait pas le catéchisme
ne seraient rien d’autre que des centres de récréation ; les instituts où l’on
n’enseignerait pas la religion, surtout au moyen des catéchismes, cesse-
raient d’être salésiens ».85 Il recommandait également la diffusion des
bonnes pratiques : proposition de retraites spirituelles avec un accent ex-
plicite sur la vocation, formation dans les écoles salésiennes de jeunes au-
xiliaires pour les oratoires, concours catéchétiques, facilités pour la fré-
quentation des sacrements, fondation de cercles ouvriers et agrégation aux
caisses d’épargne.86
L’ouverture d’un grand nombre d’oratoires et le souci éducatif qui les
animait s’accompagnaient souvent d’une pénurie de locaux, de moyens
et de personnel. Dans ce contexte, le recteur majeur soulignait la prio-
rité de l’amour et du zèle : « Ailleurs, nous trouverions de vastes salles,
de grandes cours, de beaux jardins, des jeux de toutes sortes : mais nous
aimons mieux venir ici où il n’y a rien, mais où nous savons que nous
sommes aimés » ; et il continuait : « Le zèle des confrères a compensé le
manque de ces moyens ».87
L’oratoire est également considéré par Don Rua comme un milieu fa-
vorable à une formation solide : « Les bons principes semés dans leur
cœur prennent profondément racine » ;88 ils aident à maintenir l’identité
chrétienne dans des milieux hostiles à la foi. Bien plus, les jeunes sont
capables d’exercer un véritable apostolat au sein de leur famille.89 À ce
stade, l’oratoire salésien est considéré comme un centre d’irradiation et
est explicitement relié à l’Association des anciens élèves : « des oratoires
84 M. Rua, Resoconto del VII Capitolo Generale. Disposizioni varie. Circulaire du 2
juillet 1896, in Lettere di don Rua, 484
85 Rua, Lo spirito di D. Bosco, 528.
86 Cf. Rua, Gli Oratorii Festivi, 460–461; Id., Vocazioni – Militari - Oratorii Festivi,
473–474; Id., Resoconto del VII CG, 485.
87 Rua, Gli Oratorii Festivi, 461.
88 Ibid.
89 Rua, Vocazioni – Militari - Oratorii Festivi, 473.

5.9 Page 49

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 49
festifs à l’Association des anciens élèves, il n’y a qu’un pas ».90 Parmi les
différents objectifs éducatifs de l’Association sont mentionnés : le soutien
mutuel dans le monde, le maintien du zèle de la vie chrétienne, le bien de
leur famille, la création d’un réseau de soutien également au plan matériel,
dans la recherche de travail et l’aide aux malades.91
1.2.4. Applications de Rerum novarum
Au sixième Chapitre général, tenu à Valsalice en 1892, un an et demi
après la publication de Rerum novarum, on constate un élargissement in-
téressant de la mission des oratoires. La question centrale autour de la-
quelle tournaient les schémas proposés était : « Comment appliquer dans
nos maisons et nos oratoires les enseignements pontificaux sur la question
ouvrière, en particulier l’encyclique Rerum Novarum (de conditione opifi-
cum) ». Nombreuses furent les propositions présentées dans la phase pré-
paratoire du chapitre ; dans le texte officiel on lit les délibérations suivantes
dûment approuvées :
1) « Pour préserver les élèves de nos maisons d’accueil et de nos ora-
toires festifs des erreurs modernes, on leur donnera de temps en
temps des conférences sur le capital, le travail, le salaire, les va-
cances, les grèves, l’épargne, la propriété, etc., en évitant d’entrer
dans la politique. À cette fin, il est très utile de diffuser les livres
suivants : Le travailleur chrétien, Le portefeuille de l’ouvrier de Ce-
sare Cantù, Attention ! Bon sens et bon cœur ;
2) il est conseillé de leur donner comme récompense des livrets de
caisse d’épargne ;
3) là où il existe des associations ouvrières et catholiques, on dirigera
vers elles les jeunes qui sortent de nos maisons ou fréquentent nos
oratoires, soit en les accompagnant personnellement, soit par lettre.
La Compagnie de Saint-Joseph sera une préparation pour ces asso-
ciations ;
90 Rua, Viaggio di D. Rua in Ispagna, 501.
91 M. Rua, Carità fraterna – Vari fatti consolanti. Circulaire du 24 juin 1893, in Let-
tere di don Rua, 494–495.

5.10 Page 50

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50 Pédagogie salésienne après Don Bosco
4) on encouragera et on aidera selon nos possibilités ces associations
catholiques, on orientera vers elles le plus grand nombre possible,
conformément aux souhaits exprimés par Léon XIII dans son ency-
clique Rerum Novarum et à ceux de Don Bosco ».92
Ces délibérations ont eu plusieurs échos auprès du recteur majeur et
aussi durant le Chapitre suivant. Dans sa lettre de 1896, Don Rua ne s’at-
tarde pas dans des raisonnements, mais il propose de nouveau les associa-
tions soucieuses de promotion sociale :
Je voudrais que l’on étudie s’il convient de proposer aux jeunes d’ad-
hérer à un cercle ouvrier catholique, ou de fonder d’autres com-
pagnies et cercles, y compris dans les oratoires, ou de promouvoir
parmi eux et de leur faciliter l’adhésion à la caisse d’épargne, ou
d’imaginer quelque chose d’autre. J’ai nommé en particulier la caisse
d’épargne, qui semble être une des institutions les plus utiles pour
former l’apprenti à l’économie et donc à la tempérance et à l’honnê-
teté, et à lui procurer aisance et bien-être, et parce que c’est une ins-
titution bénéfique à notre époque et recommandée par notre Saint-
Père Léon XIII, et parce qu’elle a déjà été promue d’une certaine
manière par Don Bosco dans l’Oratoire primitif avec la création de
la société de secours mutuel, qui a fait un grand bien à l’époque et
qui, je l’espère, continuerait à le faire.93
Le recteur majeur ne s’est pas exprimé fréquemment sur les ques-
tions sociales et la question des travailleurs. Préférant agir et impliquer
les autres dans la coopération, nous pouvons toutefois noter un événement
qui a catalysé l’attention sur les questions sociales : le premier Congrès
international des coopérateurs salésiens tenu à Bologne en 1895. L’assem-
blée, présidée par Don Rua, a été un signe de bonne volonté en faveur des
travailleurs, notamment au plan de l’éducation religieuse avec la question
connexe du repos des vacances, l’amélioration du milieu dans les ateliers
92 Deliberazioni dei sei primi capitoli generali della Pia Società Salesiana precedute
dalle Regole o Costituzioni della medesima, Tip. e Libreria Salesiana, S. Benigno
Canavese 1894, 313–314.
93 Rua, Resoconto del VII CG, 485.

6 Pages 51-60

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6.1 Page 51

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 51
et la promotion des associations de travailleurs.94 Décrivant le congrès,
l’historien salésien Francis Desramaut évalue l’attitude salésienne face à la
question sociale en ces termes : « Rien de révolutionnaire dans ces motions
surtout moralisatrices. Le mot justice n’apparaissait pas, la charité prédo-
minait ».95 En effet, la réponse salésienne à la question sociale est avant tout
éducative, religieuse et pratique, avec une capacité de médiation entre la
classe ouvrière et le monde des entrepreneurs.
Outre le développement des écoles professionnelles salésiennes, des
associations sociales dans les oratoires et la fondation d’internats pour les
jeunes travailleuses par les Filles de Marie Auxiliatrice, Don Rua encoura-
gea la création d’une Société d’aide mutuelle pour les jeunes ouvrières ca-
tholiques. Il appuya l’initiative de Cesarina Astesana, une laïque entrepre-
nante, qui réussit à trouver un accord entre les patronnes et les ouvrières, en
faisant en sorte que les jeunes ouvrières sortent de leur apathie, se rendent
compte que leurs conditions de vie étaient anormales et s’engagent ainsi
sur le plan social. Les patronnes devaient être « là non pour représenter
la philanthropie mondaine, qui s’efforce de se faire connaître et de faire
imprimer son nom, mais [...] pour montrer un progrès des temps présents,
un fruit de l’harmonie entre le capital et le travail ».96 Pour Don Rua, la
voie pacifique et préventive de la question sociale était préférable dans un
environnement turbulent où l’idéologie marxiste faisait son chemin dans le
mouvement socialiste. Un cas concret qui nous aide à comprendre la men-
talité de Don Rua est sa médiation dans la longue grève des travailleurs de
l’usine Anselmo Poma en 1906, décrite par le journal Momento comme le
« triomphe de l’œuvre paternelle de ce vénérable prêtre qu’est Don Rua ».97
94 Atti del primo Congresso Internazionale dei Cooperatori Salesiani, Tipografia
Salesiana, Torino 1895, 186–188.
95 Desramaut, Vi ta di don Michele Rua, 350.
96 «Lavoratrice» 1 (1902) 1, 2. Pour les références à la salésianité d’Astesana cf. G.
Drago, La promozione della donna, in R. Spiazzi (ed.), Enciclopedia del pensiero
sociale cristiano, Studio Domenicano, Bologna 1992, 843.
97 Desramaut, Vita di don Michele Rua, 354.

6.2 Page 52

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52 Pédagogie salésienne après Don Bosco
1.3. Les premières formulations de la pédagogie salé-
sienne par les collaborateurs de Don Bosco
Au temps de la première génération des salésiens qui avaient été édu-
qués par Don Bosco on assiste à un perfectionnement des principes indi-
qués plus haut : fidélité à Don Bosco, zèle et éducation du cœur dans le but
de former de bons chrétiens et d’honnêtes citoyens. Parmi eux on retiendra
surtout les noms de Don Giulio Barberis, premier maître des novices, de
Don Francesco Cerruti, conseiller général pour les études, et de Don Giu-
seppe Bertello, conseiller général pour les écoles professionnelles. Ils ont
laissé une forte empreinte sur la formulation des idées et des structures
éducatives salésiennes.
Il est intéressant et important de noter l’harmonie de leurs points de vue
dans le domaine pédagogique et leur collaboration efficace dans le gouver-
nement de la Congrégation. Nous en avons pour preuves les échanges de
vues et les retours d’information entre Barberis et Cerruti, l’appréciation et
la recommandation des écrits de Cerruti et Barberis par Don Rua, ainsi que
les circulaires rédigées en commun par Cerruti et Bertello.98 Les raisons
d’une telle synergie se trouvent facilement dans la formation commune
reçue de Don Bosco à l’oratoire du Valdocco et dans l’étude des mêmes
sources et des mêmes pédagogues.
1.3.1. La Pédagogie sacrée de Giulio Barberis comme texte de forma-
tion de base
À partir de 1874, on institua un cours de pédagogie sacrée, dont le but
était la formation des futurs éducateurs et non pas tant la systématisation
98 Rua, Studi letterarii, 38; M. Rua, Spirito di povertà – Formazione religiosa. Cir-
culaire du 5 août 1900, in Lettere di don Rua, 221; F. Cerruti – G. Bertello, Cir-
culaire du 29 janvier 1899, in G. Bertello, Scritti e documenti sull’educazione e
sulle scuole professionali. Introduzione, premesse, testi critici e note a cura di José
Manuel Prellezo, LAS, Roma 2010, 131–133; Appunti di pedagogia di Giulio Bar-
beris (1847-1927). Introduzione, testi critici e note a cura di José Manuel Prellezo.
Postfazione di Dariusz Grządziel, LAS, Roma 2017, 30.

6.3 Page 53

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 53
de la pensée pédagogique.99 Giulio Barberis, premier maître des novices et
responsable du cours de pédagogie, a rapporté les directives de Don Bosco
sous la forme suivante : « En ce qui concerne la pédagogie, je tiens beau-
coup à ce qu’elle soit une étude faite spécialement pour nous. Par exemple,
elle devrait s’intituler : L’enseignât et l’assistant salésien. Un chapitre dira
comment l’assistant doit se comporter au dortoir ; un autre s’intitulera :
l’assistant de la promenade, ou l’assistant à l’église, ou l’assistant à l’école,
etc. ; comment le professeur salésien doit se comporter par rapport à la
ponctualité en classe, en ce qui concerne la discipline, en ce qui concerne
les récompenses, les punitions, etc. Ces choses devraient être enseignées
au cours de l’année de noviciat ; on devra même les faire imprimer afin
qu’elles puissent nous servir de manuel ».100
En 1897, le recteur majeur Don Rua voulut faire imprimer ces Appunti
di pedagogia (Notes de pédagogie) en justifiant cette décision par l’expan-
sion de la Congrégation, ce qui avait également entraîné une décentrali-
sation de la formation. Barberis écrivit dans l’introduction : « Ces Notes
doivent servir exclusivement à notre propre usage, et ne sont pas destinées
à être publiées pour d’autres, car leur but n’est pas de faire un traité com-
plet de pédagogie, mais de considérer les jeunes tels qu’ils sont dans nos
maisons et, sans beaucoup de théories, d’aider nos confrères dans la tâche
difficile de bien les éduquer ».101 Par la suite, le livre des Notes de pédago-
gie sacrée a connu une importante diffusion dans le monde salésien avec
plusieurs traductions, créant ainsi un point de départ pour un « faire » pé-
dagogique salésien.
En rédigeant ses Notes, Barberis a suivi une méthode de compilation
particulière. N’étant pas lui-même un pédagogue mais plutôt un formateur
des vocations, il se place dans la position d’un témoin important : « Notre
vénéré père nous a laissé un système éducatif très peu écrit dans des livres,
mais surtout imprimé dans l’esprit et le cœur de ceux d’entre nous qui
99 J.M. Prellezo, Valdocco nell’Ottocento tra reale ed ideale (1866-1889). Documenti
e testimonianze, LAS, Roma 1992, 193.
100 Cronichetta, quaderno 11, 4 in Appunti di pedagogia di Giulio Barberis, 7. Cf. éga-
lement M. Fissore, Il ruolo di don Giulio Barberis nell’organizzazione del primo
noviziato salesiano, in «Ricerche Storiche Salesiane» 34 (2015) 65, 189.
101 Appunti di pedagogia di Giulio Barberis, 31.

6.4 Page 54

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54 Pédagogie salésienne après Don Bosco
avons eu le bonheur de vivre à ses côtés pendant plusieurs dizaines d’an-
nées ».102 Ayant affaire ici à la compilation d’une tradition éducative expé-
rientielle, nous voulons relever trois points intéressants de son approche :
1° le choix des auteurs de référence ; 2° la composition des thèmes, et enfin
3° l’image de Don Bosco qui se dégage de son livre.
L’inspiration de base pour la compilation de ces Notes provient de deux
ouvrages de pédagogues turinois de l’école d’Antonio Rosmini : le traité
De la pédagogie de Giovanni Antonio Rayneri103 et les Études pédago-
giques de Giuseppe Allievo,104 qui ont fourni à Barberis la structure des
arguments et la subdivision des thèmes. G.A. Rayneri (1810-1867) était un
prêtre pédagogue, professeur à l’Université de Turin, qui suivait la ligne
d’Antonio Rosmini et de Ferrante Aporti. C’était une figure dominante
du groupe né autour de la revue Educatore Primario, qui entretenait des
contacts avec le milieu salésien, reconnaissait la valeur de l’institution de
l’Oratoire de Don Bosco, surtout dans la première période de son exis-
tence, entre 1847 et 1850, et la particularité de son art éducatif. Le point
de rencontre entre le prêtre de l’Oratoire du Valdocco et le groupe des
pédagogues était la sensibilité pour l’éducation populaire, surtout en ce
qui concerne l’importance de la raison et de l’affection. Ils affirmaient le
principe du cœur qui servait de lien entre saint Philippe Néri, saint Fran-
çois de Sales et Rosmini. Sur le plan pratique, ils appréciaient les manuels
scolaires de style populaire publiés par Don Bosco (Histoire de l’Église,
Histoire Sainte, Le système métrique décimal) et reconnaissaient la valeur
éducative du jeu, de la musique et du théâtre.105 Giuseppe Allievo (1830-
1913), qui fut le successeur de Rayneri à l’Université de Turin, poursuivit
la ligne de son maître, complétant et achevant les deux derniers livres De
la pédagogie. D’après les différents témoignages et matériaux dont nous
disposons, on peut dire que Barberis a probablement suivi ses cours de
102 Ibid., 33.
103 Cf. G.A. Rayneri, Della pedagogica libri cinque, Grato Scioldo, Torino 21877.
104 Cf. G. Allievo, Studi pedagogici in servigio degli studenti universitari delle scuole
normali e degli istituti educativi, Tipografia subalpina S. Marino, Torino 1893.
105 G. Chiosso, Carità educatrice e istruzione in Piemonte. Aristocratici, filantropi e
preti di fronte all’educazione del popolo nel primo ‘800, SEI, Torino 2007, 194–
195.

6.5 Page 55

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 55
pédagogie à l’Université de Turin dans les années 1870.106
Parmi les sources secondaires de certaines parties des Notes, on peut
citer le traité De l’éducation de Mgr Félix Dupanloup, évêque d’Orléans, et
les écrits d’Antoine Monfat, religieux et pédagogue français, deux auteurs
connu au Valdocco.
Schéma A : La pédagogie salésienne dans les Notes de pédagogie de Barberis
Pour définir la pédagogie et l’éducation, Barberis part du concept de
perfectionnement, qui est au centre de l’approche de Rayneri et d’Allie-
vo :107
Le mot pédagogie (du grec παίς, enfant, et άγω, je conduis, je guide,
je dirige) signifie selon son étymologie guider l’enfant. La pédago-
gie consiste essentiellement à diriger l’enfant vers sa perfection, en
développant ses facultés le mieux possible. En fait, on la définit gé-
néralement comme la science et l’art de perfectionner l’enfant par
le développement harmonieux et général de ses capacités. Au mot
pédagogie, venant du grec, correspond le mot éducation, venant du
latin educere, qui signifie littéralement extraire, tirer dehors ; il dé-
signe l’opération par laquelle on fait sortir du sujet une valeur, une
qualité, une réalité quelconque enfermée en lui et non apparente.108
La pédagogie est donc une science, dans la mesure où elle est un sys-
tème de connaissances dépendant d’un certain principe (la perfectibilité) ;
mais elle est aussi un art, dans la mesure où elle est un système d’actions
106 Cf. J.M. Prellezo, Introduzione, in Appunti di pedagogia di Giulio Barberis, 8–9.
107 Rayneri, Della pedagogica, 2ss; Allievo, Studi pedagogici, 23ss.
108 Appunti di pedagogia di Giulio Barberis, 35.

6.6 Page 56

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56 Pédagogie salésienne après Don Bosco
ordonnées vers une fin (perfectionner l’élève). Immédiatement après, il
est précisé que l’homme est constitué d’une âme et d’un corps : l’âme est
vue comme le principe, la cause et la source des actions de l’homme, tan-
dis que les puissances ou facultés humaines sont considérées comme des
instruments à son service.109 Dans la discussion qui suit, l’auteur présente
l’éducation en quatre parties, correspondent aux quatre facultés humaines :
l’éducation physique, l’éducation intellectuelle, l’éducation esthétique, et
enfin la plus importante, l’éducation morale et religieuse. Dans la dernière
partie, l’auteur présente aussi le système préventif et la majeure partie des
traditions éducatives salésiennes.
Dans l’approche et le choix des arguments de Barberis, on peut no-
ter deux aspects problématiques peu convaincants. Le premier concerne
l’individualité de l’élève, et l’autre la question de la liberté. Dans les no-
tions générales, Barberis reprend l’argumentation d’Allievo sur la nature
humaine et en fait le principe à partir duquel il déduit les fondements de
sa conception pédagogique. De manière analogue, à partir des facultés
de l’homme en tant qu’homme il détaille les différentes «éducations» :
physique, intellectuelle, esthétique, morale et religieuse. L’individualité de
l’élève n’est pas prise en compte en tant que telle, mais en fonction d’une
stratégie de l’efficacité, en ce sens que l’éducation « s’adapte à chaque
élève, sans comprimer sa vocation propre, mais en favorisant ses aptitudes
innées particulières. L’éducation est d’autant plus parfaite qu’elle s’adapte
aux dispositions de l’élève et aux relations qui l’accompagnent. L’indivi-
dualité des élèves étant différente de l’un à l’autre, la façon de les éduquer
est différente. Si on ne tient pas compte de cette réalité, on n’atteint pas
l’objectif de l’éducation ».110 Il existe un équilibre fragile entre l’accent mis
sur l’individualité et l’axiome de base selon lequel « le fondement de l’art
de l’éducation est la nature ».111 Le spiritualisme d’Allievo, qui polémique
contre le positivisme dès les premières pages de son ouvrage,112 n’appa-
raît pas dans l’approche de Barberis. Par ailleurs, faute de précisions sur
le concept de nature, on risque de tomber selon Allievo dans un « déter-
minisme naturaliste [...], où la libre activité de notre personne doit céder
109 Cf. Appunti di pedagogia di Giulio Barberis, 36ss.
110 Ibid., 46.
111 Ibid., 47; Cf. l’étude plus approfondie dans Allievo, Studi pedagogici, 75–82.
112 Cf. Allievo, Studi pedagogici, 1–49.

6.7 Page 57

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 57
la place à la fatalité universelle, et où l’œuvre de l’esprit vaut autant que
l’œuvre de la nature et rien de plus ».113
La deuxième question, celle de la liberté, est encore plus épineuse et
aura des répercussions potentielles sur l’avenir de l’éducation salésienne.
Notre auteur présente la notion de liberté comme découlant de l’idée de
perfectibilité, qui inclut à la fois l’idée de développement et celle de li-
berté, sans entrer dans les équilibres subtils de leurs relations.114 Fidèle
à l’approche de Rosmini, Rayneri distinguait deux sortes de perfection
humaine. La première est celle de la nature, qui consiste à perfectionner
les facultés du sujet. La deuxième est le perfectionnement qualitativement
différent qui consiste à « faire grandir la plus haute et la plus noble des
facultés humaines, à savoir la liberté morale qui, lorsqu’elle s’exerce de
façon correcte, produit la vertu ».115 L’ouvrage de Rayneri est introduit par
un mini-traité de dix pages sur la liberté et le rôle de l’autorité dans l’édu-
cation définie comme « l’art d’exercer l’autorité en faveur de la liberté hu-
maine ».116 Barberis opère une réduction en limitant la perspective et en
simplifiant l’argument.117 Chez lui les références à la valeur de la liberté
sont absentes, alors que les plaintes concernant le manque d’autorité dans
la pratique éducative et dans la science pédagogique sont plus fortes. Pa-
radoxalement, chez nos auteurs, l’autorité n’est pas définie théoriquement
sur la base d’un principe positif, mais découle « de l’inégalité naturelle des
hommes, que ce soit dans leurs facultés et leur fonctionnement ou dans
leurs relations sociales ».118 Barberis propose d’harmoniser autorité et li-
berté en ces termes :
113 Ibid., 18.
114 Appunti di pedagogia di Giulio Barberis, 37.
115 Rayneri, Della pedagogica, 5 qui se réfère au quatrième livre de l’Antropologia di
Rosmini. Cf. également G. Grandis, La prospettiva personalistica dell’etica rosmi-
niana, in «Studia Patavina» 56 (2009) 3, 617–626; G. Allievo, Il ritorno al princi-
pio della personalità. Prolusione letta all’Università di Torino il 18 novembre 1903,
Tipografia degli Artigianelli, Torino 1904.
116 Rayneri, Della pedagogica, XLV.
117 Appunti di pedagogia di Giulio Barberis, 48–50.
118 Ibid., 48. Cf. la même idée dans Rayneri, Della pedagogica, XLII et une argumen-
tation plus équilibrée dans Allievo, Studi pedagogici, 86–89.

6.8 Page 58

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58 Pédagogie salésienne après Don Bosco
L’autorité et la liberté ne sont en aucun cas deux termes irrécon-
ciliables et exclusifs l’un de l’autre, comme il pourrait sembler à
première vue, mais plutôt corrélatifs et associés. Il est certain que
l’autorité, si on en abuse, est inconciliable avec la liberté, et que la
liberté, si elle n’est pas limitée, est en contradiction avec l’autorité.
Mais la raison humaine reconnaît au-dessus de l’une et de l’autre un
principe plus élevé et plus sublime, fondé sur l’ordre intrinsèque des
choses et sur la dignité de la nature humaine, principe dans lequel
ils ont leur fondement commun et dont ils tirent toute vertu et toute
efficacité. Ce principe est la volonté de Dieu, la loi sainte de Dieu ; il
modère l’autorité pour qu’elle ne se transforme pas en despotisme et
régule la liberté pour qu’elle ne dégénère pas en licence. [...] L’excel-
lence de la liberté consiste dans l’obéissance à ce principe comme à
la voix impérieuse et solennelle du devoir. [...] Mais dans la pratique,
il convient de noter que le plus important et le plus utile pour la
dignité de l’homme et son bonheur n’est pas tant le droit à la liberté
que l’art d’en faire un bon usage.119
La préoccupation de Rayneri et d’Allievo était de répondre au libéra-
lisme et au naturalisme de Rousseau et de promouvoir la liberté de l’en-
seignement à partir de la loi Boncompagni.120 Barberis est plutôt fasciné
par l’exemple de Don Bosco (il ne remet donc pas en cause les traditions «
maison ») et cherche des applications pratiques du système préventif dans
les collèges de la congrégation. Les conceptions pédagogiques des auteurs
turinois constituent le contexte intellectuel dans lequel il évolue, mais il est
loin de relativiser les exemples de Don Bosco, que ce soit dans l’éducation
physique, esthétique et intellectuelle ou dans les abondantes instructions
qu’il donne sur les divers rôles des éducateurs et sur l’assistance (que Bar-
beris appelle souvent « surveillance »).
L’assistance, affirmait Don Bosco dans son petit Traité sur le système
préventif, a pour principe « l’impossibilité de commettre des fautes »,121
119 Appunti di pedagogia di Giulio Barberis, 49 [nous avons utilisé l’italique pour sou-
ligner certains mots].
120 Cf. Marrone, Giuseppe Allievo e la libertà d’insegnamento.
121 G. Bosco, Il Sistema preventivo nella educazione della gioventù, in Istituto Stori-
co Salesiano, Fonti Salesiane, 434.

6.9 Page 59

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 59
avec le risque d’être appliqué de manière très restrictive pour la liberté
de l’élève. Ce problème typique de l’éducation en collège accompagnera
l’éducation salésienne pendant des décennies jusqu’au Concile Vatican II.
Les équilibres théoriques de pédagogues comme Rayneri et Allievo n’ont
pas été pleinement valorisés par Barberis, qui a préféré les remplacer par
des références normatives ò l’expérience fondatrice de Don Bosco. Comme
le note à juste titre le pédagogue salésien contemporain Dariusz Grząd-
ziel, les Notes de pédagogie sacrée sont encore loin d’une perception de
la pédagogie comme une science qui offre à l’éducateur des critères et des
instruments d’orientation, et non des prescriptions et des applications aux
situations concrètes.122
La place réservée aux écrits « salésiens » dans la partie qui traite de
la pédagogie morale et religieuse de ces Notes se comprend bien si l’on
considère l’approche rosminienne de nos auteurs turinois. Pour Rosmini,
le principe directeur de l’éducation est la religion chrétienne, et le som-
met de tout le processus éducatif est la morale religieuse.123 La section
des Notes qui traite de l’éducation religieuse et morale est en effet la plus
longue, dépassant la somme des autres sections consacrées à l’éducation
physique, intellectuelle et esthétique. Après la partie consacrée aux prin-
cipes généraux de l’éducation morale, fortement inspirée par Allievo et
Rayneri, Barberis a inséré deux écrits de Don Bosco : Le système préventif
dans l’éducation de la jeunesse et les Articles généraux mis en tête du
Règlement des maisons. Il a ajouté ensuite des extraits de La pratique de
l’éducation chrétienne de Monfat sur des thèmes importants dans un col-
lège comme la discipline, la surveillance, les punitions ;124 puis les vertus
d’un bon éducateur, tirées du traité De l’éducation de Dupanloup.125 Sur
le rôle central de l’éducation religieuse pratique dans le système préventif,
Barberis proclame dès le début de son écrit :
Il ne faut pas croire que la méthode de Don Bosco consiste en de
122 D. Grządziel, Postfazione, in Appunti di pedagogia di Giulio Barberis, 267–268.
123 Cf. Chiosso, Carità educatrice e istruzione, 133.
124 Cf. A. Monfat, La pratica della educazione cristiana, Tipografia dei Fratelli Mo-
naldi, Roma 1879.
125 Cf. F. Dupanloup, L’educazione, versione italiana di D. Clemente de Angelis, vol. 2:
Dell’autorità e del rispetto nell’educazione, P. Fiaccadori, Parma 1869, 411–412.

6.10 Page 60

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60 Pédagogie salésienne après Don Bosco
belles théories, de longs raisonnements ou en de nombreux pré-
ceptes. Tout son secret réside uniquement en ceci : Jésus est venu
éduquer le monde et a fondé les vrais principes et la pratique de
toute éducation : suivons les principes de l’Évangile ; essayons de
faire à notre petite échelle ce que Jésus a fait ; rien d’autre n’est né-
cessaire. Tous les enseignements de Don Bosco partent de ce point
fondamental : tout son système est basé là-dessus. Tout cela est fa-
cile, tout cela est naturel. Cependant il faut un guide, et c’est préci-
sément pour faciliter la pratique de ce système que ces Notes ont été
écrites.126
La ligne de l’éducation chrétienne pratique est également confirmée par
le recteur majeur Michel Rua. Parlant de la formation religieuse, il men-
tionne les Notes et fait des suggestions : « On peut aussi donner quelques
leçons sur la pédagogie sacrée, surtout sur la partie qui enseigne comment
on pratique l’assistance et comment on enseigne le catéchisme aux en-
fants ».127 L’orientation de Don Albera, bien que nettement spirituelle et
religieuse, peut également être incluse dans cette ligne de pensée, qui fut
pacifiquement acceptée au sein des premières générations de salésiens.
Il faut noter que Barberis, en insérant à la fin de ses Notes la partie sa-
lésienne et en mettant l’accent sur la surveillance et les qualités de l’éduca-
teur, opère un choix qui l’éloigne de la conception pédagogique d’Allievo.
Il omet pratiquement toute la troisième partie des Études pédagogiques,
dont le but était très important : réaliser la synthèse finale, et ce, non plus
en termes de pédagogie générale et d’éducation des diverses facultés indi-
viduelles, mais sous forme de synthèse personnaliste. Allievo consacrait
en effet la dernière partie de son ouvrage à la formation du caractère de
chaque personne et il introduisait cette dernière partie de la manière sui-
vante :
Elle réunit en une synthèse finale toute la pédagogie discutée
jusqu’ici et elle en constitue, pour ainsi dire, le point de gravitation,
126 Appunti di pedagogia di Giulio Barberis, 33. Pour une confirmation de la dimen-
sion fondamentalement religieuse de l’éducation de Don Bosco cf. pp. 29-30. 32. 63
e 203.
127 Rua, Spirito di povertà, 221.

7 Pages 61-70

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7.1 Page 61

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 61
l’apogée suprême, car les principes généraux de l’éducation des-
cendent des raisons abstraites de la théorie pour prendre vie et
mouvement dans le domaine de la réalité, en déployant la fécondi-
té de leurs applications au service de la personne vivante de l’élève
[...] Ainsi tout l’itinéraire de cette partie de la pédagogie passe par
trois étapes successives : 1) reconnaissance du caractère propre de
chaque élève ; 2) accompagnement de l’élève tel qu’il a été reconnu,
en lui appliquant les principes généraux avec un sage discernement
et avec l’intention de l’insérer dans la société ; 3) choix d’un état de
vie conforme à sa vocation personnelle. Mais ces trois points non
seulement se suivent, mais sont en continuité intime les uns avec les
autres et se conditionnent mutuellement.128
Cette dernière partie du traité d’Allievo lui est propre (chez Rayneri elle
est inachevée) et est très importante, comme nous l’avons dit, en raison de
l’empreinte personnaliste de la synthèse finale. La différence de mentalité
est évidente : là où Barberis est plus préoccupé par les problèmes pratiques
de la structure collégiale, Allievo se concentre sur la formulation de la syn-
thèse pédagogique autour du caractère concret et de la vocation du jeune
homme individuel. Je pense que l’absence d’une réflexion sérieuse sur
l’identité personnelle, sur le discernement dans l’application des principes
et sur le choix de la vocation a eu des conséquences à l’époque de Don Ri-
caldone autour des années 1930-1940, lorsque le souvenir de la créativité
et de l’ingéniosité de Don Bosco s’est estompé et qu’un environnement
défavorable a poussé à des mesures nettes, uniformes et fortes.129
En conclusion, nous pouvons percevoir, dans l’écrit de Barberis sur les
principes et les applications, combien la mémoire vivante de Don Bosco
a joué son rôle ; c’est en effet sous les yeux de la première génération
que Don Bosco avait mis en pratique le système préventif, veillé sur son
exécution et donné tout le développement nécessaire.130 Pour le fondateur,
les principes servent plutôt comme introduction pour clarifier la vision
128 Allievo, Studi pedagogici, 322–323.
129 Il est intéressant de lire Allievo quand il aborde les différences d’éducation selon
les nations, les cultures et les périodes historiques, que les salésiens ont perçues
beaucoup plus tard. Cf. Allievo, Studi pedagogici, 345-357.
130 Cf. Appunti di pedagogia di Giulio Barberis, 200.

7.2 Page 62

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62 Pédagogie salésienne après Don Bosco
éducative. Ensuite, on les expliqué et on les commente, en y introduisant
des subdivisions par thèmes et des descriptions des divers rôles. Enfin,
on présente des mesures ponctuelles à appliquer fidèlement (parfois méti-
culeusement). Il s’agit d’un schème mental de Don Bosco qu’on retrouve
aussi bien dans ses récits de songes que dans la structure des règlements :
d’abord les principes, les récits, et ensuite les applications.131
De manière analogue, dans la mentalité « applicative » de Barberis on
peut percevoir un écho de la façon de procéder de Don Bosco. Il semblerait
que l’ensemble de la théorie d’Allievo ne l’intéresse pas beaucoup, En fait,
pour les besoins de sa compilation, c’est surtout le texte du « Résumé »
final qui est décisif, car il synthétise l’ensemble du traité en trente pages.132
On pourrait se risquer à une affirmation sur les deux contextes interpré-
tatifs dans lesquels se situe la « pédagogie salésienne » de Barberis. Le
premier est constitué par la théorie pédagogique d’Allievo ; le second, plus
important, est le contexte vital de l’expérience optimiste des débuts, du
grand horizon d’une mission importante pour le monde, de la confiance
dans l’éducation et d’une organisation relativement souple, dans la mesure
où elle se situe dans une phase de développement exponentiel.
À l’intérieur de ces deux contextes on entrevoit les deux âmes de l’écrit :
l’une constituée de synthèses pédagogiques, l’autre formée autour de la
conviction de posséder une méthode qui concrétise les principes pédago-
giques dans les applications du système préventif et dans la pratique de
l’assistance. Tant que les souvenirs restent frais, que l’optimisme perdure
et que la croissance démographique se poursuit, il n’était pas nécessaire
d’investir dans le fignolage des équilibres théoriques et on pouvait encore
se considérer comme des « pédagogues », tout en compilant les écrits des
autres à la recherche d’un consensus.
1.3.2. Francesco Cerruti, premier conseiller scolaire
Dans les instituts salésiens, la formation se déroulait principalement
131 Cf. M. Vojtáš, L’uso educativo dei sogni da parte di don Bosco. Contesti, processi,
intenzioni, in A. Bozzolo (ed.), I sogni di don Bosco. Esperienza spirituale e sa-
pienza educativa, LAS, Roma 2017, 471–496.
132 Cf. Allievo, Studi pedagogici, 365–396.

7.3 Page 63

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 63
en contexte scolaire. Dans la période que nous considérons, l’évolution des
écoles salésiennes est liée à la personne de Don Francesco Cerruti, conseil-
ler scolaire de la Congrégation de 1885 à 1917, considéré dès la fin de son
service comme « le véritable maître d’œuvre des écoles et des études de la
Pieuse Société Salésienne ».133 Son approche et son orientation classique et
humaniste furent généralement suivies dans les écoles salésiennes même
au cours de la période suivante. Don Arturo Conelli, appelé au poste de
conseiller scolaire en 1917, disait à propos de Don Cerruti qu’il a été l’in-
terprète fidèle de la pensée éducative de Don Bosco ; lui-même sentait « le
devoir de se rappeler à lui-même et d’inviter ses confrères à ne jamais ou-
blier ses directives et ses idées sur l’éducation et l’enseignement, lesquelles
n’étaient autres que celles de notre vénérable père Don Bosco ».134
De fait, le programme de Francesco Cerruti part avant tout du souci de
suivre fidèlement les enseignements de Don Bosco. Dans cette intention, il
écrivit deux lettres à Don Rua, alors vicaire, pour lui soumettre ses idées
et obtenir son avis sur la question. Ces lettres ont ensuite été publiées dans
l’opuscule intitulé Les idées de Don Bosco sur l’éducation et l’enseigne-
ment et sur la mission actuelle de l’école, où il définit les lignes fondamen-
tales de son interprétation de Don Bosco. Dans sa première lettre circulaire
en tant que conseiller scolaire adressée aux inspecteurs et aux directeurs
salésiens, Cerruti donnait les instructions suivantes : « Tu veilleras à ce
que [...] les principes qu’elle contient soient partout mis en pratique avec
prudence et zèle, de sorte qu’elles deviennent comme le testament scolaire
que nous laisse notre bien-aimé Don Bosco ».135 Percevant les difficultés de
son époque et les dangers extérieurs, Cerruti affirme un équilibre entre la
fidélité et la créativité, tant dans le domaine de l’éducation que dans celui
de l’enseignement :
En ce qui concerne l’éducation, ces idées sont essentiellement fon-
dées sur la charité chrétienne, qui veut que l’on prévienne le mal
autant que possible, plutôt que d’avoir ensuite à le réprimer, en
133 Luchelli, Don Francesco Cerruti, 22.
134 Capitolo Superiore Circolari (17 settembre 1917), in ASC E212.
135 F. Cerruti, Circolare del 28 dicembre 1885, in F. Cerruti, Lettere circolari e pro-
grammi di Insegnamento (1885 - 1917). Introduzione, testi critici e note a cura di
José Manuel Prellezo, LAS, Roma 2006, 57.

7.4 Page 64

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64 Pédagogie salésienne après Don Bosco
pratiquant dans cette noble et délicate mission l’assistance vigilante
et avisée, la douceur dans les paroles et les manières, la patience
et la constance dans les résolutions qui seules peuvent conquérir
les volontés et adoucir les cœurs [...]. Ce n’est pas le désir du bien,
mais l’amour-propre qui voudrait parfois nous faire croire que les
enseignements contenus dans les brèves mais sublimes pages sur
le système préventif en éducation au début du Règlement des mai-
sons, toutes remplies de sagesse pédagogique, ne sont pas toujours
ni partout traduisibles dans la pratique, et que, de toute façon, les
choses d’hier ne conviennent plus à la jeunesse d’aujourd’hui. [...]
Il est vrai que les dangers extérieurs grandissent ; que les moyens
de séduction de toute sorte augmentent ; que le principe d’autorité
perd chaque jour de son efficacité. Mais la jeunesse, ne l’oublions
pas, est essentiellement la même en tout temps et en tout lieu, et
la méthode à employer pour l’éduquer est et doit toujours être la
même. Pour nous, tout se résume à augmenter notre savoir-faire, à
redoubler de vigilance, à multiplier notre zèle.136
Le même principe de continuité, exposé ici dans le domaine de l’édu-
cation, s’applique également dans celui de l’enseignement classique, qui
constituait le courant dominant de la proposition scolaire salésienne. Cer-
ruti défend la validité de l’enseignement classique de Don Bosco, dans la
mesure où la finalité de son système éducatif « est pleinement conforme à
l’esprit du christianisme et avantageux du point de vue religieux, moral et
intellectuel : avantage véritable, réel et pratique pour la jeunesse ».137
Cependant, tout en proposant une continuité substantielle avec la ligne
du fondateur, Cerruti ne s’enferme pas dans la répétition, restant en contact
avec la société en mutation. En ce qui concerne le climat intellectuel, il
note le passage d’une critique combative de la religion catholique à une
critique peut-être plus fatale, car plus hypocrite, adoptant une attitude
d’indifférence ironique à l’égard des questions religieuses. On ne veut pas
renier le Christ, « mais on le veut absolument exclu de la société civile.
136 F. Cerruti, Le idee di D. Bosco sull’educazione e sull’insegnamento e la missione
attuale della scuola. Lettere due, Tip. e Libreria Salesiana, S. Benigno Canavese
1886, 6–7.
137 Ibid., 7.

7.5 Page 65

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 65
Sécularisons, c’est-à-dire excluons le Christ des lois, de l’instruction, de
la charité, du gouvernement, même du mariage, de tout en somme ».138
Dans cette situation, l’actualité semble vouloir nous inviter encore plus
à « revenir à la forme ancienne des premiers siècles en revendiquant la
relation nécessaire de Jésus-Christ avec toutes les choses créées ».139 Dans
la lecture de la situation, on perçoit nettement l’influences de la pensée et
des polémiques politiques d’Allievo pour la défense de l’école catholique.
Si l’enseignement classique correspond parfaitement aux objectifs d’une
éducation intégrale, on constate que dans l’approche de Cerruti cela se
concrétise dans les contenus et les méthodes proposés. En effet, en ce qui
concerne l’utilisation des auteurs païens et chrétiens, suivant une logique
néo-scolastique,140 on applique une unification dans la distinction : les
contenus devraient favoriser un « enseignement mixte » dans lequel « les
classiques profanes, dans ce qu’ils ont de substantiellement bon, servent de
préparation ou de propédeutique » ; ensuite l’étude des classiques chrétiens
fera en sorte que « tout ce qu’il y a de beauté naturelle chez les classiques
profanes trouve des clartés nouvelles de nature supérieure et reçoive une
lumière nouvelle de la beauté surnaturelle des classiques chrétiens qui les
perfectionnera divinement ».141 Avec une confiance sans doute excessive,
Cerruti émet ensuite l’hypothèse qu’un tel enseignement « rétablira aussi
dans les lettres et les arts ce lien intime, cette cohérence nécessaire entre
l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, essentiellement distincts l’un de l’autre,
mais nécessairement unis, sur lesquels reposent non seulement l’éducation,
mais tout l’édifice chrétien ».142 La méthode d’enseignement qui harmonise
l’objectif avec les contenus devrait être celle du système préventif. Cerruti
la caractérise de la manière suivante :
138 Ibid., 16.
139 Ibid.
140 Pour les références néoscolastiques cf. Cerruti, De’ principi pedagogico-sociali
di S. Tommaso, étude déjà citée; la seconde édition augmentée et mise à jour a été
publiée à Turin par la SAID Buona Stampa en 1915.
141 Cerruti, Le idee di D. Bosco sull’educazione, 15. Cf. les collections d’auteurs latins
et grecs commentés à l’usage des écoles, publiées par la maison d’édition SEI de
Turin. On publiait les classiques en omettant certaines parties jugées immorales,
créant ainsi une forme de “censure” très répandue et appliquée plus tard également
au cinéma.
142 Ibid.

7.6 Page 66

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66 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Il faut donc descendre une fois pour toutes des nuages, il faut laisser
tout ce qui ne fait qu’entretenir la vanité ou qui est fondé sur le men-
songe, et pourvoir à la réalité de la vie, non pas la réalité dégoûtante
ou maladroitement sentimentale de nos modernes « véristes », mais
la vraie réalité de l’Évangile. Il faut que nos paroles et nos œuvres
aient toujours un but vrai, réel, pratique, conduisant au bien-être
moral et matériel de la famille humaine.143
La synthèse de la proposition de Don Cerruti est de « faire de l’école
une mission » ;144 elle s’accorde avec les lignes de Don Rua, qui déclarait
en 1894 : « L’éducation et l’instruction de la jeunesse sans esprit religieux,
voilà la plaie de notre siècle. Dieu veuille que jamais nos écoles n’en soient
infectées ».145 Pendant les trente années où il a occupé cette fonction, le
conseiller scolaire a travaillé à mettre en pratique sa vision à travers les
programmes d’enseignement, les dispositions pour la formation des jeunes
salésiens et l’explication du système préventif dans ses aspects pratiques.146
Avec le sérieux de sa proposition d’éducation intégrale, Cerruti réagissait
ainsi non seulement aux problèmes idéologiques opposant le positivisme
et le spiritualisme, mais aussi à la situation interne du personnel salésien,
c’est-à-dire à la « tendance, qui se développe de façon effrayante et menace
de dénaturer l’œuvre de Don Bosco, à délaisser l’éducation de le jeunesse,
abandonnée entre les mains des jeunes clercs et des nouveaux prêtres, pour
se consacrer aux adultes dans l’action sociale, les paroisses, les prédica-
tions, etc. ».147
Dans sa longue circulaire de 1910, qui deviendra la base de son Petit
mémento éducatif-didactique, il précise que « l’instruction n’est pas l’édu-
cation [...] et que l’instruction est un auxiliaire de l’éducation ».148 Tous les
salésiens doivent faire en sorte « que nos élèves progressent avec succès et
mérites non seulement dans leurs études, mais aussi dans la connaissance
143 Ibid., 47.
144 Cons. Gen. Circ. Durando-Cerruti (06 ottobre 1886), in ASC E233.
145 Rua, Santificazione nostra, 119.
146 Cf. Cerruti, Lettere circolari, 13–56.
147 Cons. Gen. Circ. Durando-Cerruti (16 marzo 1916), in ASC E233. Cf. aussi les
autres circulaires du 2 mars 1914, du 15 novembre 1914 et du 24 décembre 1915.
148 F. Cerruti, Circolare del 24 gennaio 1910, in F Cerruti, Lettere circolari, 328.

7.7 Page 67

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 67
pleine et entière de notre sainte religion et dans la pratique sincère, ferme
et constante des vertus et des exercices du culte qu’elle exige, de telle sorte
que nous puissions les restituer à leurs familles munis de bons diplômes,
mais aussi comme d’excellents citoyens, croyants, sincères, francs et labo-
rieux ».149 Les propositions et les critiques sont en phase avec les lignes pé-
dagogiques de Rua et de Barberis, et logiquement avec Rayneri et Allievo.
Ce dernier, qui enseigna au lycée de Valsalice et collabora avec Don Bosco
à plusieurs reprises, a inspiré la première génération des salésiens en élabo-
rant le rapport entre éducation et instruction de la manière suivante :
Il ne suffit pas d’instruire, il faut aussi éduquer. Dans ce cas, l’édu-
cation s’oppose à l’instruction en ce que la première est la culture
du cœur et de la volonté, et vise à l’action et à la vertu, tandis que
la seconde est la culture de l’intelligence et vise à la pensée et à la
connaissance. La nature et l’ordre des choses voudraient que tous
deux restent en parfaite harmonie, contribuant ensemble à la per-
fection humaine véritable et complète, puisque l’intelligence qui
pense, le cœur qui sent, l’esprit qui sait et la volonté qui agit, s’har-
monisent dans l’unité du sujet humain ; mais en fait, on passe sou-
vent aux extrêmes.150
Au fil des ans, Cerruti est devenu plus résolu et s’est battu pour sa
vision. Cette attitude est illustrée par un passage du Petit mémento édu-
catif-didactique : « Chaque jour qui passe me convainc toujours plus de
la nécessité, qui est un devoir pour nous, de rester attachés mordicus aux
enseignements de Don Bosco, même en matière d’instruction et d’éduca-
tion, et de ne jamais nous en écarter, même d’un pouce, nec transversum
quidem unguem. Loin de nous l’idée d’être des novateurs ».151 Ceux qui
séparent les aspects humains et chrétiens de l’éducation n’éduquent pas,
mais nuisent ; ils ne construisent pas, mais détruisent ; ils n’exercent pas
leur mission, mais la trahissent.
Pour atteindre l’idéal d’une formation intégrale, le conseiller scolaire
recommande qu’on applique dans l’enseignement les principes éducatifs
149 Ibid., 329.
150 Allievo, Studi pedagogici, 65.
151 Cerruti, Un ricordino educativo-didattico, 7.

7.8 Page 68

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68 Pédagogie salésienne après Don Bosco
d’exemplarité, de charité, d’assistance, de discipline, de gradualité et d’op-
portunité ; il demande l’utilisation de la littérature classique, rappelant le
zèle de Don Bosco pour le « culte » de la littérature et de l’art chrétiens.152
Dans son enthousiasme pour l’éducation classique, il émet l’hypothèse sui-
vante : « Cette langue, latine et grecque, dans laquelle sont formulés les
dogmes et la morale chrétienne ; cette langue calomniée et haïe pendant
tant de siècles par les humanistes païens, revient, çà et là, dans les écoles,
voire même dans les universités, quoique lentement ; elle verra, n’en dou-
tez pas, l’ère du triomphe ».153 Les aspects didactiques sont intégrés dans
la formation des enseignants au système préventif ; l’accent est mis sur
l’assistance, comprise comme un contact continu avec les élèves, qui ne
conduit pas pour autant à la perte de l’autorité, et sur la charité patiente et
bienveillante. En effet, dans le sillage de la Lettre de Rome, le conseiller
scolaire écrit :
Heureux temps, où les prêtres et les jeunes clercs, sans exception,
avec Don Bosco à leur tête, étaient l’âme, la vie de la récréation,
peut-être tapageuse ; d’une récréation qui fortifiait le corps en l’oc-
cupant et en le maîtrisant, et qui rendait le péché presque impos-
sible !154
En conclusion, on peut dire que Don Cerruti a bien perçu la façon dont
« notre bon père » a fait sien le « système entrevu et enseigné par les plus
grands pédagogues »155 et en fin de compte par l’Évangile. Sa position le
range aux côtés des catholiques italiens, à une époque où s’affrontaient
deux écoles pédagogiques. L’une était l’école italienne traditionnelle, clas-
sique et spiritualiste, avec des auteurs tels que Parravicini, Rosmini, Apor-
ti, Capponi, Tommaseo, Lambruschini, Rayneri, Ferrucci et Colombini ;
l’autre était celle du positivisme matérialiste venu de l’étranger.156
152 Cf. J.M. Prellezo, Premessa, in Cerruti, Lettere circolari, 52–56; Cerruti, Circo-
lare del 24 gennaio 1910.
153 Cerruti, Circolare del 24 gennaio 1910, 331.
154 Ibid.
155 Ibid., 330.
156 Cf. Allievo, Studi pedagogici, 27–35; F. Cerruti, Una trilogia pedagogica ossia
Quintiliano, Vittorino da Feltre e Don Bosco, in J. Guibert, L’educatore apostolo,

7.9 Page 69

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 69
1.3.3. Giuseppe Bertello et la transformation des ateliers en écoles
professionnelles
Un travail de coordination similaire dans une période de grande expan-
sion fut réalisé de 1898 à 1910 par Don Giuseppe Bertello dans le secteur
des écoles professionnelles. C’est à lui qu’on doit la mise en œuvre progres-
sive des orientations de Don Rua, motivées par l’évolution du contexte so-
cial et législatif : « Je vous rappelle que, pour éviter de graves perturbations
et pour leur donner leur véritable nom, nos ateliers doivent être appelés
écoles professionnelles ».157 Dans les instructions destinées aux respon-
sables, Don Bertello a non seulement précisé la méthode d’enseignement,
mais il a également donné des indications pratiques sur la manière de for-
mer des travailleurs chrétiens et honnêtes en utilisant le système préven-
tif fondé sur la raison, la religion et l’amorevolezza. Dans ses circulaires,
lorsqu’il parle de l’amorevolezza, Bertello utilise souvent les concepts de
bonté, de douceur ou de bienveillance et propose un style éducatif « sans
dureté », mais aussi « sans mièvrerie ».158
Le conseiller pour les écoles professionnelles a une vision de l’éduca-
tion très proche de celle de Don Cerruti, qui s’inspire de la pédagogie spi-
ritualiste turinoise, dans laquelle la religion joue un rôle déterminant dans
la réussite des processus éducatifs. Selon sa conception anthropologique, il
met l’accent sur le travail et les compétences manuelles : l’homme est ap-
pelé à « consacrer à Dieu son esprit, son cœur et ses bras ».159 La « méthode
Bertello » cherchait un équilibre entre l’instruction et l’éducation, mais
elle visait aussi un rapport correct entre la préparation pratique au travail
et l’enseignement de la culture générale : « Un point capital est qu’il faut
donner plus de place à l’enseignement théorique et à la culture générale
[...] et qu’on s’attelle à ce programme qui correspond éminemment à notre
Scuola tipografica salesiana, Roma 1908, 279–293.
157 M. Rua, Ringraziamenti-Vicariato di Mendez. Profitto nostro e delle anime. Circu-
laire du 27 décembre 1889, in Lettere di don Rua, 129. Cf. également Prellezo, Le
scuole professionali salesiane, 58–84.
158 Cf. G. Bertello, Alcuni avvertimenti di pedagogia per uso dei maestri d’arte della
Pia Società Salesiana, in Bertello, Scritti e documenti sull’educazione, 190–195.
159 G. Bertello, Dio nell’educazione, in Bertello, Scritti e documenti sull’educa-
zione, 47.

7.10 Page 70

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70 Pédagogie salésienne après Don Bosco
mission et aux besoins de notre époque ».160
Pour changer les mentalités et passer des ateliers, où l’on apprenait son
métier et où l’on catéchisait, aux écoles professionnelles, où l’objectif était
plutôt de réaliser une harmonie entre l’enseignement pratique-théorique,
la culture générale et l’enseignement de la religion, Don Bertello utilisa
différents moyens. Les lettres circulaires n’étaient que l’un d’eux. Il faut
rappeler ici l’importance des Programmes scolaires et professionnels de
1903, qui précisent le contenu des différents cours : religion, langue na-
tionale, géographie, arithmétique, géométrie, politesse, hygiène, dessin,
histoire, sciences naturelles, français, comptabilité et sociologie.161 Il faut
y ajouter la participation aux « expositions universelles » des écoles pro-
fessionnelles, comprises par Bertello comme un instrument d’animation,
d’échange et d’amélioration :
Comparons une maison à une autre, une nation à une autre, afin de
prendre partout ce qui est bon et de faire chez nous une école mon-
diale d’enseignement mutuel et fraternel. N’hésitons pas à sortir de
chez nous avec nos pensées et nos recherches, pour voir et nous
confronter avec ce que font d’autres instituts, sans dédaigner même
ceux qui, dans le domaine de la religion, professent des idées et des
maximes contraires aux nôtres, et en en faisant même l’objet d’une
étude particulière.162
Le processus de transformation des ateliers d’arts et métiers en écoles
professionnelles fut lent et tortueux au sein de la Congrégation. L’image
que l’on retire des circulaires du conseiller professionnel est centrée prin-
cipalement sur la solution des problèmes pratiques qui se posaient. Pour
compléter le cadre général du développement, il est toutefois nécessaire
de recueillir quelques résonances et évaluations positives venues de l’exté-
rieur. On peut citer par exemple un article de 1910 qui décrit la qualité de
160 G. Bertello, Circolare del 1 ottobre 1907, in Bertello, Scritti e documenti sull’edu-
cazione, 163.
161 Cf. Programma scolastico per le scuole di artigiani della Pia Società di S. Frances-
co di Sales, Tipografia Salesiana, Torino 1903.
162 La prima Esposizione delle nostre scuole professionale, in «Bollettino Salesiano»
25 (1901) 11, 306.

8 Pages 71-80

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8.1 Page 71

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 71
l’éducation dans les écoles professionnelles salésiennes en Italie : « [Géné-
ralement] dans les autres écoles, l’attention se porte presque exclusivement
sur l’instruction technique de l’ouvrier, alors que l’éducation intellectuelle
et morale reste très souvent au stade des intentions. [...] Et dans les pro-
grammes des écoles professionnelles salésiennes nous voyons, en parallèle
avec la formation technique, une éducation morale bien comprise ».163
Si l’on élargit le regard sur l’ensemble du monde salésien de l’époque,
on constate qu’au Brésil, les écoles professionnelles salésiennes ont reçu
des prix à plusieurs reprises au cours des deux premières décennies du
XXe siècle lors d’expositions nationales et internationales et elles ont ser-
vi de modèles pour en construire de nouvelles.164 En Bolivie, elles furent
les premières au plan national, très appréciées par la société, et leurs ma-
nuels ont ensuite été adoptés pour l’enseignement professionnel dans tout
le pays.165 Dans un contexte difficile comme celui de Shillong en Inde, où
l’on s’efforçait de résoudre les problèmes d’hygiène, d’organisation et de
financement (85% des élèves étaient admis gratuitement) et où il fallait
faire face à une hostilité partielle de l’environnement (religion hindoue et
présence de missionnaires protestants), l’une des premières écoles profes-
sionnelles salésiennes ouvertes dans cette ville reçut les félicitations du
ministre des finances qui, en 1930, déclara qu’il n’avait « pas vu une œuvre
aussi parfaite en Assam ou au Bengale ».166 De même à Oświęcim, dans la
première école professionnelle de l’Empire austro-hongrois, les commis-
sions venues plusieurs fois pour les examens disaient qu’on ne pouvait pas
souhaiter mieux ; et de fait, en 1907, le Ministère de l’Industrie et du Com-
merce de Vienne accorda aux écoles salésiennes d’arts et métiers la faculté
de délivrer des diplômes égaux à ceux des écoles publiques.167
163 E. De Giovanni, Le scuole professionali salesiane, in «Antologia per la scuola e per
la famiglia. Rivista pedagogica – Lettere – Scienze ed Arti» 1 (1910) 194.
164 Cf. M. Isaú, A educação salesiana no Brasil sudeste de 1880 a 1922: Dimensões e
atuação em diversos contextos, in González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal
1880 al 1922, vol. 2, 181–182.
165 Cf. T.A. Corona Cortés, La educación salesiana en Bolivia, La Paz y Sucre, 1896-
1922. Análisis histórico de las instancias y acciones educativas, in González et al.
(eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 2, 115–117.
166 J. Thekkedath, A history of the Salesians of Don Bosco in India (from the beginning
up to 1951-52), vol. 1, Kristu Jyoti, Bengaluru 2005, 173.
167 Cf. Zimniak, Salesiani nella Mitteleuropa, 184.

8.2 Page 72

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72 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Le pédagogue Giorgio Chiosso décrit le travail éducatif de Don Bosco
et des salésiens à cette époque comme une alliance entre la tradition et la
modernité.168 Cette relation mutuelle, que désigne également le concept de
fidélité créative, se manifeste de manière exemplaire dans la naissance des
écoles professionnelles salésiennes, caractérisées par la devise qui servit
de programme à Don Bertello : « Avec notre temps et avec Don Bosco ».169
168 Cf. G. Chiosso, Novecento pedagogico. Profilo delle teorie educative contempo-
ranee, La Scuola, Brescia 1997, 145.
169 Pia Società Salesiana di D. Bosco, Le scuole professionali. Programmi didattici e
professionali, Scuola tipografica salesiana, Torino 1910, 1.

8.3 Page 73

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 73
1.4. Outils et ressources
1.4.1. Tableau chronologique

8.4 Page 74

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74 Pédagogie salésienne après Don Bosco
1.4.2. Bibliographie sélective
Albera P. Gusmano C., Lettere a don Giulio Barberis durante la loro vi-
sita alle case d’America (1900-1903), Introduzione, testo critico e note
a cura di Brenno Casali, LAS, Roma 2000.
Allievo, G., Studi pedagogici in servigio degli studenti universitari delle
scuole normali e degli istituti educativi, Tipografia subalpina S. Mari-
no, Torino 1893.
Allievo, G., La nuova scuola pedagogica ed i suoi pronunciamenti, Carlo
Clausen, Torino 1905.
Allievo, G., Appunti di Antropologia e Psicologia, Carlo Clausen, Torino
1906.
Appunti di pedagogia di Giulio Barberis (1847-1927). Introduzione, testi
critici e note a cura di José Manuel Prellezo. Postfazione di Dariusz
Grządziel, LAS, Roma 2017.
Atti del primo Congresso Internazionale dei Cooperatori Salesiani, Tipo-
grafia Salesiana, Torino 1895.
Bairati, P., Cultura salesiana e società industriale, in F. Traniello (ed.),
Don Bosco nella storia della cultura popolare, SEI, Torino 1987, 331-357.
Baratta, M., La libertà dell’operaio, Fiaccadori, Parma 1898.
Baratta, M., Principii di sociologia cristiana, Fiaccadori, Parma 1902.
Bertello G., Scritti e documenti sull’educazione e sulle scuole professio-
nali. Introduzione, premesse, testi critici e note a cura di José Manuel
Prellezo, LAS, Roma 2010.
Braido, P., Per una storia dell’educazione giovanile nell’oratorio dell’Ita-
lia contemporanea. L’esperienza salesiana., LAS, Roma 2018.
Canino Zanoletty M., Las “pruebas” de D. Rua. La prohibición al supe-
rior salesiano de confesar a sus súbditos, in Loparco Zimniak (eds.),
Don Michele Rua primo successore di don Bosco, 103-137;
Cavaglià, P., Il primo regolamento degli Asili infantili istituiti dalle Figlie
di Maria Ausiliatrice (1885), in «Rivista di Scienze dell’Educazione»
35 (1997) 1, 17-46.

8.5 Page 75

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 75
Ceria, E., Annali della Società Salesiana, 4 voll., SEI, Torino 1946.
Cerruti, F., Le idee di D. Bosco sull’educazione e sull’insegnamento e la
missione attuale della scuola. Lettere due, Tip. e Libreria Salesiana, S.
Benigno Canavese 1886.
Cerruti, F., De’ principii pedagogico-sociali di S. Tommaso, Tipografia
Salesiana, Torino 1893.
Cerruti, F., Nozioni elementari di morale e d’economia politica, Tip. e
Libreria Salesiana, Torino 1898.
Cerruti, F., Una trilogia pedagogica ossia Quintiliano, Vittorino da Feltre
e Don Bosco, in J. Guibert, L’educatore apostolo, Scuola tipografica
salesiana, Roma 1908, 279-293.
Cerruti, F., Un ricordino educativo-didattico, SAID Buona Stampa, To-
rino 1910.
Cerruti, F., Lettere circolari e programmi di Insegnamento (1885 - 1917).
Introduzione, testi critici e note a cura di José Manuel Prellezo, LAS,
Roma 2006.
Chiosso, G., Novecento pedagogico. Profilo delle teorie educative contem-
poranee, La Scuola, Brescia 1997.
Chiosso, G., Profilo storico della pedagogia cristiana, La Scuola, Brescia
2004.
Deliberazioni dei sei primi Capitoli Generali della Pia Società Salesiana
precedute dalle Regole o Costituzioni della medesima, Tip. e Libreria
Salesiana, S. Benigno Canavese 1894.
Desramaut F., Vita di don Michele Rua, primo successore di don Bosco
(1837-1910). Edizione a cura di Aldo Giraudo, LAS, Roma 2009. Ori-
ginal en français : Vie de don Michel Rua, premier successeur de don
Bosco (1837-1910), LAS, Roma 2009.
Ferreira da Silva, A., La crisi della missione tra i Bororo e l’apertura al
nuovo campo di apostolato nel sud del Mato Grosso (1918-1931), in
­«Ricerche Storiche Salesiane» 11 (1992) 21, 169-220.
Ferreira da Silva, A., La missione salesiana tra gli indigeni del Mato
Grosso nelle lettere di don Michele Rua (1892-1909), in «Ricerche

8.6 Page 76

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76 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Storiche Salesiane» 12 (1993) 22, 39-137.
Fissore, M., Il ruolo di don Giulio Barberis nell’organizzazione del pri-
mo noviziato salesiano, in «Ricerche Storiche Salesiane» 34 (2015) 65,
155-222.
Giraudo, A., Linee portanti dell’animazione spirituale della Congrega-
zione salesiana da parte della direzione generale tra 1880 e 1921, in
­«Ricerche Storiche Salesiane» 23 (2004) 44, 65-97.
González J.G., Don Rua e i Capitoli Generali da lui presieduti, in Motto
(ed.), Don Michele Rua nella storia (1837-1910), 176-190.
González J.G. – Loparco G. – Motto F. – Zimniak S. (eds.), L’educazione
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Salesiano» 25 (1901) 11, 303-306.
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Loparco G., L’autonomia delle Figlie di Maria Ausiliatrice nel quadro
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Loparco G. – Zimniak S. (eds.), Don Michele Rua primo successore di don
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Luchelli, A., Don Francesco Cerruti consigliere scolastico generale della
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Motto F. (ed.), L’Opera Salesiana dal 1880 al 1922. Significatività e por-
tata sociale. Atti del 3° Convegno Internazionale di Storia dell’Opera
Salesiana Roma 31 ottobre – 5 novembre 2000, 3 voll., LAS, Roma
2001.

8.7 Page 77

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 77
Motto F. (ed.), Don Michele Rua nella storia (1837-1910), Atti del Congres-
so Internazionale di Studi su don Rua (Roma, Salesianum, 29-31 ot-
tobre 2010), LAS, Roma 2011.
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didattici e professionali, Scuola tipografica salesiana, Torino 1910.
Prellezo, J.M., La risposta salesiana alla “Rerum Novarum”. Approccio
a documenti e iniziative (1891-1910), in A. Martinelli – G. Cherubini
(eds.), Educazione alla fede e dottrina sociale della Chiesa. Atti XV
Settimana di Spiritualità per la Famiglia Salesiana, SDB, Roma 1992,
39-91.
Prellezo, J.M., La «parte operaia» nelle case salesiane. Documenti e tes-
timonianze sulla formazione professionale (1883-1886), in «Ricerche
Storiche Salesiane» 16 (1997) 31, 353-391.
Prellezo, J.M., Giuseppe Allievo negli scritti pedagogici salesiani, in
«Orientamenti Pedagogici» 45 (1998) 267, 393-419.
Prellezo, J.M., Linee pedagogiche della Società Salesiana nel periodo
1880-1922. Approccio ai documenti, in «Ricerche Storiche Salesiane»
23 (2004) 44, 99-162.
Prellezo J.M., Le scuole professionali salesiane (1880-1922). Istanze e
attuazioni viste da Valdocco, in González et al. (eds.), L’educazione
salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, 53-94.
Programma scolastico per le scuole di artigiani della Pia Società di S.
Francesco di Sales, Tipografia Salesiana, Torino 1903.
Rayneri, G.A., Della pedagogica libri cinque, Grato Scioldo, Torino 21877.
Regolamenti e Programmi per gli Oratori festivi e per i giardini d’infan-
zia, Tip. Silvestrelli e Cappelletto, Torino 1912.
Regolamenti pei Convitti diretti dalle Figlie di Maria Ausiliatrice, Tip.
Silvestrelli e Cappelletto, Torino 1913.
Regolamento-Programma per gli Asili d’infanzia delle Figlie di Maria Au-
siliatrice, Tip. e Libreria Salesiana, S. Benigno Canavese 1885.
Ricaldone, P., Noi e la classe operaia, Scuola tipografica salesiana, Bo-
logna 1917.

8.8 Page 78

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78 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Rua, M., Prima lettera del Nuovo Rettor Maggiore. Circolare del 19 marzo
1888, in Lettere Circolari di don Michele Rua, 18-26.
Rua, M., Studi letterarii. Circolare del 27 novembre 1889, in Lettere Circo-
lari di don Michele Rua, 35-46.
Rua, M., Gli Oratorii Festivi. Circolare del 29 gennaio 1893, in Lettere
Circolari di don Michele Rua, 457-466.
Rua, M., Vocazioni – Militari - Oratorii Festivi. Circolare del 29 gennaio
1894, in Lettere Circolari di don Michele Rua, 466-475.
Rua, M., Santificazione nostra e delle anime a noi affidate. Circolare del
24 agosto 1894, in Lettere Circolari di don Michele Rua, 109-122.
Rua, M., Felice esito dell’VIII Capitolo Generale. Come apprezzano le
opere nostre. Circolare nell’ottava della festa dell’Immacolata Conce-
zione 1898, in Lettere Circolari di don Michele Rua, 181-196.
Rua, M., La consacrazione della nostra Pia Società al Sacro Cuore di
Gesù. Circolare del 21 novembre 1900, in Lettere Circolari di don Mi-
chele Rua, 231-279.
Rua, M., Lo spirito di D. Bosco – Vocazioni. Circolare del 14 giugno 1905,
in Lettere Circolari di don Michele Rua, 522-538.
Ruffinatto P., L’educazione dell’infanzia nell’Istituto delle Figlie di Maria
Ausiliatrice tra il 1885 e il 1922. Orientamenti generali a partire dai
regolamenti, in González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880
al 1922, vol. 1, 135-160.
Silva Ferreira, A. da (ed.), Mons. Luis Lasagna. Epistolario, 3 voll., LAS,
Roma 1995.
Terza esposizione generale delle scuole professionali e agricole della Pia
Società Salesiana, Scuola tipografica salesiana, Torino 1912.
Zimniak, S., Salesiani nella Mitteleuropa. Preistoria e storia della pro-
vincia Austro-Ungarica della Società di S. Francesco di Sales (1868
ca.-1919), LAS, Roma 1997.
Zimniak S. Loparco G. (eds.), L’educazione salesiana in Europa negli anni
difficili del XX secolo. Atti del Seminario Europeo di Storia dell’Opera
salesiana Cracovia 31 ottobre – 4 novembre 2007, LAS, Roma 2008.

8.9 Page 79

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1. Formulations pédagogiques de la première génération salésienne 79
1.4.3. Ressources en ligne
Sources, documents, recherches, publications full-text, matériels
photographiques pour ce chapitre.170
Bibliographie complète, index des auteurs, index des thèmes du vo-
lume.171
170 Cf. salesian.online/pedagogia1
171 Cf. salesian.online/pedagogia-dopo-db

8.10 Page 80

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9 Pages 81-90

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9.1 Page 81

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2. PÉDAGOGIE PRATIQUE PAR OSMOSE
CAPABLE DE S’ADAPTER À LA SOCIÉTÉ
MODERNE (1902-1931)
Après la période de mise en place de l’œuvre salésienne par la généra-
tion des collaborateurs directs de Don Bosco, les salésiens et les FMA se
sont trouvés confrontés à de nouveaux défis : les phénomènes de la société
de masse, la première guerre mondiale, les régimes totalitaires et le na-
tionalisme colonial. Ces événements d’une part, et l’expansion de l’œuvre
dans tous les continents d’autre part, ont nécessairement exigé des réajus-
tements, des transformations et des recalibrages. Tout cela a créé un bon
nombre de défis pour trouver les équilibres théoriques et pratiques néces-
saires au sein de la tradition pédagogique salésienne. Ce qui semble émer-
ger de cette période est une attitude de « saine modernité » et une façon de
procéder par adaptation pratique à partir de l’expérience. Cette mentalité
se note avant tout dans le développement des oratoires, dans les missions et
dans la naissance de nouvelles œuvres, congrégations et associations, mais
elle a également été thématisée par quelques représentants emblématiques.
2.1. L’oratoire dans la société de masse et les missions à
l’âge d’or du colonialisme
Au début du XXe siècle, les premières manifestations de la socié-
té de masse apparaissent en Europe. Avec les changements politiques et

9.2 Page 82

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82 Pédagogie salésienne après Don Bosco
économiques de la seconde révolution industrielle on constate d’impor-
tantes conséquences sociales et démographiques pour l’oratoire salésien,
œuvre éducative ouverte, « à mi-chemin » entre la société et l’Église. La
scolarité obligatoire, avec l’interdiction du travail des enfants, la limitation
du temps de travail et l’augmentation des salaires ont créé les conditions
nécessaires à l’émergence du phénomène des loisirs, qui a ensuite ouvert la
voie aux nombreuses formes de divertissements de masse.
2.1.1. Le phénomène des loisirs et ses implications
Avec l’alphabétisation croissante des différentes couches de la popula-
tion, il était nécessaire de disposer d’une littérature peu coûteuse et adap-
tée au niveau culturel de la majorité de la population. Cela a conduit à une
nouvelle vague de journaux destinés au peuple et à la classe moyenne, qui
ne s’intéressaient guère à la haute politique, mais racontaient plutôt des
histoires à sensation, montraient beaucoup de photos ou d’images, et se
finançaient par la publicité. Parmi eux, on peut citer le Daily Mail en An-
gleterre avec 1 million et 300 000 exemplaires vendus quotidiennement,
le Petit Parisien avec un million d’exemplaires et le Berliner Morgenpost
avec 200 000 exemplaires par jour au début du siècle. Dans le même ordre
d’idées, divers ouvrages de divertissement bon marché ont vu le jour, ven-
dus dans les gares ou par des vendeurs ambulants, ou imprimés sous forme
de roman-feuilleton.1
Le roman d’aventure s’est emparé de l’esprit des jeunes au début du
siècle en diffusant une imagerie de pays exotiques, comme le faisait Emi-
lio Salgari, ou en se focalisant sur le Far West de Buffalo Bill et Nick
Carter. Les œuvres de Jules Verne ont popularisé la mentalité scienti-
fique moderne. Dans le monde anglophone Edgar R. Burroughs a lancé
le genre fantastique pour enfants, représenté en Italie par les contes de
Carlo Collodi dès la fin du XIXe siècle.2 Cette littérature était considérée
1 Cf. H-W. Prahl, Geschichte und Entwicklung der Freizeit, in R. Freericks - D.
Brinkmann (eds.), Handbuch Freizeitsoziologie, Springer VS, Wiesbaden 2015,
3-27; M. Flores, Il XX secolo, Corriere della Sera, Milan 2004, 97.
2 Cf. S. Lerer, Children’s Literature. A Reader’s History from Aesop to Harry Potter,
University of Chicago Press, Chicago 2008; A. Nobile, Letteratura giovanile. Da
Pinocchio a Peppa Pig, La Scuola, Brescia 2015.

9.3 Page 83

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 83
avec méfiance par les associations tant religieuses que socialistes et na-
tionalistes, qui ont souvent tenté de concurrencer ce phénomène avec
leur propre production. La lecture n’était pas le seul divertissement des
masses populaires dans les temps libres : outre les cafés chantants, les
music-halls, les théâtres de rue, les salles de danse et les clubs, on assiste
à la naissance du cinéma, qui a rapidement pris une importance crois-
sante. Les premiers films sont projetés dans les music-halls, mais très
vite les salles de cinéma se multiplient. En 1911, elles sont déjà 3000 en
Grande-Bretagne et 1500 en France.
Avec la littérature de masse et le cinéma, le nouveau secteur en plein
essor est le sport sous toutes ses formes, qu’il soit pratiqué dans les stades
ou dans la rue. À l’athlétisme traditionnel s’ajoutent maintenant les jeux
d’équipe ; les premiers à devenir très populaires en termes de pratique et
de soutien étaient le rugby et le football. Au début, ils avaient des formes
différentes, et étaient même interdits pour leur violence, mais à partir des
années 1870 on les a organisés avec des règles et des structures officielles,
d’abord locales, puis internationales.3 Plus tard, d’autres sports typique-
ment modernes se sont ajoutés, comme le cyclisme et la course automobile,
liés aux progrès de l’ingénierie. L’événement emblématique de l’impor-
tance croissante du sport organisé est la naissance des Jeux olympiques.
Pierre de Coubertin, qui organisa les premiers Jeux olympiques modernes
à Athènes en 1896, était convaincu que l’éducation forte, virile, physique
et morale, dispensée dans les public schools, avait été le secret de la pro-
digieuse expansion de l’Empire britannique.4 Une composante importante
du sport de masse pour le monde et l’imagination des jeunes a été l’orga-
nisation des groupes de supporters, qui a élargi les modes de participation
au phénomène sportif. En outre, les organisations sportives ont souvent
été utilisées comme vecteurs d’idéologies et de luttes politiques, tant par
le mouvement socialiste que par d’autres associations, avec un éventail de
plus en plus large de références politiques ou religieuses.
3 La première est la Rugby Football Union, fondée en Angleterre en 1871, et la plus
importante est la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) pour le
football, fondée à Paris en 1904.
4 Cf. M. Flores, Il XX secolo, 99.

9.4 Page 84

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84 Pédagogie salésienne après Don Bosco
2.1.2. La société de masse et l’associationnisme croissant
Le concept de masse a été débattu tout au long du XIXe siècle, mais ce
n’est qu’à la fin du siècle qu’une véritable société de masse a commencé à
prendre forme. L’un des changements sociaux les plus remarquables intro-
duits par la dynamique de la société de masse est la nouvelle stratification
sociale. Certaines professions anciennes ont disparu et de nouveaux mé-
tiers sont apparus : mécaniciens, photographes, dactylos. La catégorie des
fonctionnaires s’est élargie en même temps que les pouvoirs croissants de
l’État dans l’éducation, les transports, les services et l’assistance publique,
de sorte qu’elle est devenue une nouvelle classe sociale. On l’appellera plus
tard la classe des « cols blancs », pour la distinguer des cols bleus avec
leurs bleus de travail. Cette classe « moyenne », à la frontière entre les
ouvriers et la grande bourgeoisie, a trouvé une cohérence et une identi-
té propres, fondées sur les valeurs historiques de la bourgeoisie : indivi-
dualisme, propriété privée, sens de l’épargne, respect de la hiérarchie et
nationalisme. Sa connotation typologique est devenue un thème fréquent
dans la littérature au tournant des XIXe et XXe siècles.5 La masse des tra-
vailleurs n’est pas non plus restée inchangée. Elle s’est lentement divisée
en ouvriers sans qualification, ouvriers qualifiés et ouvriers indépendants.
Les indépendants, ou du moins les personnes qualifiées, participaient dans
une certaine mesure aux avantages du système économique de l’époque et
formaient, avec les fonctionnaires, la classe moyenne de la société.6
Autre phénomène typique de cette époque : les partis politiques de
masse et les syndicats ont pris une place importante dans l’organisation
de la vie publique. Le nouveau modèle du parti a été « proposé pour la
première fois par les socialistes (et dans une moindre mesure par les ca-
tholiques), basé sur l’encadrement de larges couches de la population dans
une structure permanente, articulée en organisations locales (sections, fé-
dérations) et relevant d’un centre de gestion unique ».7 L’identité de ces
5 Cf., par exemple Una vita de I. Svevo, Der Prozess de F. Kafka, L’infante aux man-
ches de lustrine de G. Courteline ou Les dimanches d’un bourgeois de Paris de G.
de Maupassant.
6 Cf. G. Sabbatucci - V. Vidotto, Il mondo contemporaneo. Dal 1848 a oggi, Laterza,
Roma-Bari 2005, 167-171.
7 Ibid., 174.

9.5 Page 85

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 85
partis était généralement fondée sur l’appartenance de classe (socialistes),
l’appartenance nationale (nationalistes) ou l’appartenance confessionnelle
(catholiques). À la fin du XIXe siècle, les syndicats ont pu résister à la pres-
sion des employeurs et se sont battus pour les droits des travailleurs, non
seulement en Europe et aux États-Unis, mais aussi en Amérique latine et
en Australie. Les syndicats se sont également identifiés en termes d’orien-
tation théorique de leurs actions comme socialistes (en référence à la doc-
trine de Marx-Engels), catholiques (en référence à l’encyclique Rerum No-
varum de Léon XIII), libéraux ou conservateurs. À la veille de la Première
Guerre mondiale, il y avait quatre millions de membres de syndicats en
Grande-Bretagne, trois millions en Allemagne, deux millions en France et
cinq cent mille en Italie.8
2.1.3. L’adaptation des oratoires salésiens au début du XXe siècle
L’Église a montré sa vitalité dans le renforcement de l’activité sociale
et missionnaire. Elle ne s’est pas cantonnée dans l’opposition à l’État sécu-
larisé, mais a développé une stratégie articulée qui s’est exprimée à travers
l’œuvre des congrégations religieuses, l’édition scolaire, les publications en
faveur de l’éducation populaire, la littérature ascétique, les oratoires, et en-
fin et surtout les associations pour la formation des nouvelles générations.
Les évêques, les prêtres, les religieux et les militants laïcs étaient soucieux
de protéger les consciences des jeunes contre les dangers de la révolution
libérale au niveau de la mentalité et du comportement.9
Dans les années 1880, on peut dire que l’oratoire salésien avait gardé
le style des « premiers temps » : c’était un oratoire festif avec sa combi-
naison classique de catéchisme et de récréation. Sa finalité éducative était
avant tout l’instruction et la pratique religieuses, la récréation étant desti-
née à créer un environnement éducatif joyeux et convivial capable d’attirer
les jeunes. Dans ce contexte, les « compagnies », la musique et le théâtre
8 Ibid., 173-175.
9 Cf. L. Caimi, Il contributo educativo degli oratori e dell’associazionismo giovanile
dall’Unità nazionale alla prima guerra mondiale, in L. Pazzaglia (ed.), Cattoli-
ci, educazione e trasformazioni socio-culturali in Italia tra Otto e Novecento, La
Scuola, Brescia 1999, 629-696.

9.6 Page 86

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86 Pédagogie salésienne après Don Bosco
animaient la vie de l’oratoire. Le groupe cible était principalement consti-
tué d’enfants et d’adolescents âgés de 8 à 16 ans.
Au début du XXe siècle, alors que se multipliaient les centres de loisirs
laïques, libéraux ou socialistes,10 les catholiques voyaient dans l’oratoire
une institution éducative importante en tant que milieu médiateur entre
la paroisse et la société. L’oratoire permettait en effet d’exercer une ac-
tion préventive en faveur d’une jeunesse menacée de toute part et avait
l’avantage d’une plus grande souplesse par rapport à l’école. Si la paroisse
traditionnelle était la forme territoriale et permanente de la présence d’une
communauté ecclésiale, l’oratoire représentait en revanche une ouverture
innovante vers l’extérieur, vers la périphérie et les quartiers, sous forme
d’activités catéchétiques, éducatives et récréatives. Cette position intermé-
diaire lui conférait une « sacralité » différente de celle de la paroisse et
un caractère profane différent du monde des mouvements politiques, du
travail et de la logique des devoirs.11
Après l’impulsion décisive de Rerum novarum, l’attention portée à la
dimension sociale dans la vie de l’oratoire s’est accrue et, avec elle, le souci
de la « préparation à la vie » a également été revigoré. Cet accent social,
avec l’introduction du sport et le renforcement de la dimension associative
avec ses diverses « sections », affecta la physionomie de l’oratoire salésien
dans le premier quart du XXe siècle. En offrant une proposition éducative
plus riche, l’oratoire passa du rythme festif au rythme quotidien. L’accent
mis sur la préparation à la vie a conduit au lancement d’activités pour les
jeunes de plus de 18 ans. Ceux-ci y trouvaient une formation spécifique
dans des cours de religion supérieurs au simple catéchisme, et en lien
avec des activités éducatives spécifiques en vue de leur intégration dans le
monde social et professionnel.
10 Les centres de loisirs créés par les administrations municipales avaient un but de
prévention face au problème du vagabondage des jeunes (surtout pendant les va-
cances) et proposaient des animations pour les élèves des écoles populaires de la
ville avec des jeux, des exercices de gymnastique, des cours de chant et de musique,
des lectures, du théâtre, et éventuellement des travaux scolaires de rattrapage. Cf.
D. Pela, L’identità politica tra pubblico e privato, in P. Sorcinelli (ed.), Identikit
del Novcento. Conflitti, trasformazioni sociali, stili di vita, Donzelli, Roma 2004,
180-223.
11 Cf. G. Tassani, L’oratorio, in M. Isnenghi (ed.), I luoghi della memoria. Simboli e
miti dell’Italia unita, Laterza, Roma-Bari 1996, 67-91.

9.7 Page 87

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 87
Outre les influences directes du contexte social, les progrès de la tech-
nologie (comme le cinéma) ont enrichi l’éventail des activités récréatives
et les moyens de catéchèse. On peut dire qu’un oratoire bien structuré à
la fin du XIXe siècle ne se caractérise plus seulement par le catéchisme
et la récréation. Les objectifs pédagogiques ont intégré de riches propo-
sitions d’activités organisées en plusieurs « sections ». Ce n’est qu’avec la
« Croisade catéchétique » des années 1940 que l’on reviendra à l’opposition
entre le catéchisme et les autres activités récréatives. Il convient de noter
que, malgré ses nombreux développements, l’oratoire avait ses faiblesses,
notamment en termes de personnel et de fragilité structurelle. Dans ce qui
suit, nous proposons une synthèse sur les congrès consacrés aux oratoires
qui ont répondu aux défis concrets en apportant plusieurs améliorations
dans le cadre mieux articulé de l’associationnisme salésien.
2.1.3.1. Les équilibres et l’animation venant du centre : Bulletin Salésien,
congrès et règlements
Au début des années 1920, Don Barberis, catéchiste général, écrivait :
« Permettez-moi d’exprimer une crainte, qui me trouble parfois quand je
pense à un danger qui pourrait menacer nos oratoires festifs. Si l’on n’y
prend garde, il est tout à fait possible de transformer l’oratoire festif en
une sorte de centre de loisirs, en y développant, plutôt que l’instruction
religieuse, les attraits et les divertissements qui constituent son mouvement
et sa vie extérieure ».12 La question n’était pas nouvelle. Elle avait déjà été
débattue auparavant dans les congrès sur les oratoires, lors du cinquième
Congrès des Coopérateurs en 1906, et mise en évidence par la suite dans le
Bulletin salésien. Puisqu’il s’agissait d’une question d’équilibre, il a fallu un
effort constant pour ajuster les deux tendances dans la pratique. Les équi-
libres entre la formation religieuse et les loisirs ont souvent été construits
au moyen de concepts et à ne partir de points de départ différents et, mal-
gré quelques exagérations, ils en sont restés au niveau de la planification
pratique sans parvenir à des solutions définitives.
En Italie, une série de congrès sur les oratoires, réunissant les tradi-
tions liées à saint Philippe Néri, aux oratoires milanaise et aux oratoires
12 G. Barberis, Il direttore spirituale, dans «Atti del Consiglio Superiore» 1 (1920) 2,
38.

9.8 Page 88

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88 Pédagogie salésienne après Don Bosco
salésiens, a marqué de manière significative leur vie et leurs activités
concrètes. Le deuxième congrès de 1902, qui s’est tenu à Valdocco, a été
ressenti plus fortement au niveau salésien. Don Stefano Trione, qui a rédigé
les sujets traités dans un Manuel de direction, s’est laissé inspirer par le
Règlement de Don Bosco pour composer les trois premiers chapitres :
1) Organisation et rôles au sein de l’oratoire : directeur, préfet, caté-
chiste et autres rôles ;
2) Éducation religieuse par le catéchisme, les sacrements et la prédication ;
3) Discipline, loisirs, musique et théâtre.
Les chapitres suivants ont cependant apporté des compléments et des
innovations tant au niveau des associations que des activités : compagnies
et « cercles » également pour jeunes adultes, bibliothèques avec prêts de
livres, oratoires quotidiens, cours du soir, cours de religion, sociétés d’aide
sociale et bureaux de placement. Parmi les activités mentionnées dans la
section des bonnes pratiques, on observe un développement des activi-
tés sportives : promenades, gymnastique, athlétisme, course à pied, foot-
ball et danse (pour les oratoires féminins).13 Un an plus tard, le troisième
Congrès des Coopérateurs salésiens confirma et propagea les conclusions
du congrès mentionné ci-dessus, dans le but de dépasser le simple binôme
catéchisme-récréation dans les oratoires festifs et quotidiens, et de souli-
gner l’importance de l’objectif général : préparer les jeunes à la vie sociale
et pratiquer la méthode de l’assistance salésienne avant et après l’école.14
La question de la méthode dans l’enseignement catéchétique fut débat-
tue dans les années suivantes lors des troisième et cinquième congrès sur
13 Cf. Manuale direttivo degli Oratorii Festivi e delle Scuole di Religione. Eco del
Congresso di tali istituzioni tenutosi in Torino i giorni 21 e 22 maggio 1902, Scuola
tipografica salesiana, S. Benigno Canavese 1903. NB: Il convient de noter que l’ac-
ceptation du sport et de la gymnastique dans les établissements d’enseignement
catholique n’a été ni linéaire ni pacifique. En plus des réflexions du troisième
chapitre, cf. L. Demofonti, Il movimento sportivo cattolico in Italia fra Ottocento
e Novecento, in «Studi Storici» 51 (2010) 651-689 et D. Bardelli, Cattolicesimo,
ginnastica e sport. Un percorso storico nel rapporto fra religione e attività motorie,
EDUCat, Milano 2012.
14 Cf. P. Braido, Per una storia dell’educazione giovanile nell’oratorio dell’Italia
contemporanea. L’esperienza salesiana, LAS, Roma 2018, 78-79

9.9 Page 89

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 89
les oratoires (1907 et 1911) et lors du congrès sur le catéchisme à Brescia
(1912). Au cours du troisième congrès des oratoires, on proposa l’utilisation
des « projections lumineuses » pour l’enseignement du catéchisme, non pas
tant pour mettre en œuvre un véritable cours de religion, mais pour attirer
ceux qui vivaient dans les quartiers des grandes villes où il n’y avait pas
d’autre action pastorale. On pensait que les séances de cinéma offertes gra-
tuitement, ou presque gratuitement, pourraient être intégrées dans la mis-
sion catéchétique, et on indiqua des moyens pour les rendre fructueuses au
niveau didactique.15 Il convient également de souligner le développement
de la catéchèse féminine, promue avec un zèle extraordinaire, un sens de
l’organisation hors du commun et des méthodes innovantes par la sœur
Maddalena Morano, inspectrice (provinciale) des Filles de Marie-Auxi-
liatrice en Sicile.16 Cette religieuse commença à organiser des cours de
religion différents des cours de catéchisme, car ils étaient destinés aux
jeunes filles plus âgées (les Filles de Marie), et nécessitaient des études plus
approfondies. Ces cours se répandirent également hors de la Sicile. Lors
de la semaine sociale de l’Union des Femmes Catholiques d’Italie, qui se
déroula en 1913 à Turin, on souligna l’importance des cours de religion des
FMA ; la directrice chargée de l’enseignement au sein de l’Union y voyait
« un travail approfondi et bien ordonné d’apologétique, éclairé par la cri-
tique historique, soutenu par une logique rigoureuse, nourri par la lecture
commentée des textes sacrés, en particulier de l’Évangile ».17
Dans le Bulletin salésien de 1903 à 1907 on peut lire une contribution
significative et faisant autorité d’un certain « Don Simplicio ».18 Soucieux
15 P. Braido, L’oratorio salesiano in Italia, “luogo” propizio alla catechesi nella
stagione dei Congressi (1888-1915), in «Ricerche Storiche Salesiane» 46 (2005) 1,
62.
16 Cf. M.L. Mazzarello, Sulle frontiere dell’educazione. Maddalena Morano in Sicilia
(1881-1908), LAS, Roma 1995, 141-180. Pour contextualiser les cours de religion cf.
le volume des «Annali di Storia dell’Educazione e delle Istituzioni scolastiche» 18
(2011) 11-202 et G. Biancardi - U. Giannetto, Storia della catechesi, LAS, Roma
2016, vol. 4: Il movimento catechistico, 376-399.
17 M. Magnocavallo, Quale istruzione religiosa e formazione morale deve avere
la donna per essere buona maestra, in J.G. González et al. (eds.), L’educazione
salesiana dal 1880 al 1922. Istanze e attuazione in diversi contesti. Atti del 4°
Convegno Internazionale di Storia dell’Opera salesiana, Ciudad de México, 12-18
febbraio 2006, vol. 1, LAS, Roma 2007, 360.
18 Le pseudonyme cache une personnalité éminente liée au Conseil général, aux

9.10 Page 90

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90 Pédagogie salésienne après Don Bosco
de développer ses réflexions conformément aux souhaits de Don Rua,19
l’auteur diffusa ses enseignements inspirés à la fois par Don Bosco et par
l’actualité des congrès. Sa prise de position en faveur des activités sociales
et sportives est importante. Dans ses Lettres ouvertes aux amis de la jeu-
nesse, il montrait l’utilité des sports et suggérait en même temps plusieurs
règles importantes de comportement pour éviter les conséquences néfastes
des exagérations ; il voulait que les activités sportives aient aussi un ca-
ractère instructif et qu’elles garantissent la participation aux services reli-
gieux pendant les jours de fête.20 Don Simplicio n’hésitait pas à recourir
aux pédagogues contemporains et défendait la gymnastique, point fort des
sociétés sportives dans les oratoires, en déclarant :
Une institution comme la gymnastique est un puissant moyen pré-
ventif et prophylactique d’hygiène sociale, d’économie publique et
de prospérité nationale ; elle développe et entretient la santé et l’ac-
tivité dans le travail de production, celui du cerveau aussi bien que
celui des bras. [...] Son organisation est l’une des questions les plus
vitales.21
Dans la même ligne de pensée, on trouve chez Don Simplicio des ré-
flexions sur l’éducation civique. À propos de l’oratoire, Simplicio écrivit
dans les pages du Bulletin que l’éducation à l’oratoire est divisée et intégrée
en « deux branches : religieuse et civile, bien que les deux puissent être
transmises également, et fort bien, en même temps ». Puis il explique : « Dans
l’oratoire tout doit instruire. Celui qui prétendrait limiter l’enseignement
au catéchisme, ou interdire que, même dans la chapelle, même après la fin
travaux des Congrès et au Bulletin. Selon toute vraisemblance, il pourrait s’agir de
Stefano Trione, figure de proue des travaux des Congrès, ou d’autres personnalités
gravitant autour du Valdocco et du Bulletin comme Abbondio Anzini, Giovanni
Minguzzi ou Angelo Amadei. Cf. Braido, Per una storia dell’educazione giovanile
nell’oratorio, 80.
19 D. Simplicio, Gli oratori festivi. Lettera aperta agli amanti della gioventù, dans
«Bollettino Salesiano» 27 (1903) 1, 12.
20 Cf. La prima giornata (5 giugno). L’adunanza del mattino, in «Bollettino Salesian»
30 (1906) 7, 201.
21 M. Jerace, Gli sports nella scienza e nell’educazione, in «Bollettino Salesiano» 30
(1906) 12, 364-365.

10 Pages 91-100

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10.1 Page 91

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 91
des fonctions, on donne de temps en temps des leçons de politesse, pour
inculquer par exemple le comportement à avoir dans la rue, sur les places,
dans les ateliers, dans la famille, avec les supérieurs, avec les camarades,
avec les amis, etc..., se tromperait grandement ».22
La question de l’équilibre entre l’enseignement religieux et les autres
activités n’était pas le seul facteur dialectique au sein de l’oratoire. Les
nouvelles activités sportives, culturelles et sociales étaient parfois perçues
comme « la nouvelle méthode » et le risque était d’oublier le cœur de la
tradition salésienne en pratiquant une mise à jour « trop commode ». Don
Simplicio, pour sa part, a observé que « nombreux sont ceux qui, pleins
d’admiration et d’enthousiasme pour cette œuvre providentielle, manquent
en fait de la vertu nécessaire pour s’immoler – c’est le mot ! – de cette ver-
tu que je dis nécessaire pour s’immoler au service de cette mission. Nous
savons que le pauvre Don Bosco, quand il s’occupait de l’Oratoire dans les
prés solitaires du Valdocco, rentrait chez lui à la fin de la journée tellement
épuisé qu’il n’avait plus la force de prendre un peu de nourriture ».23 Dans
les discussions autour du renouveau de la vie de l’oratoire, on peut perce-
voir la présence de deux dynamiques typiques : la première est préoccupée
de revoir les éléments théoriques et pratiques en tenant compte des nou-
velles réalités, tandis que la seconde, dans certains contextes, tend simple-
ment à négliger les aspects les plus exigeants de la tradition, relativisant
la tension éducative correcte entre l’idéal proposé et la situation actuelle.24
Un dernier aspect à noter dans les développements de l’éducation salé-
sienne à l’oratoire est la tension entre une attitude rigide et légaliste dans
les questions de mise à jour des règlements des oratoires, et la pratique
créative et souple dans la gestion des nouvelles activités des oratoires qui
remplissaient les chroniques du Bulletin. L’avis de Pietro Braido sur les
deux mises à jour du Règlement des oratoires en 1906 et en 1922 est très
clair : « On a l’impression d’une ‘loi’ raidie dans un immobilisme fonda-
mental qui ne parvient pas à suivre le rythme général des oratoires, dont
22 D. Simplicio, Gli oratori festivi. Lettera aperta agli amanti della gioventù, in
«Bollettino Salesiano» 27 (1903) 12, 355-356.
23 M. Jerace, Gli sports nella scienza e nell’educazione, 364-365.
24 Pour une description des équilibres dans la gestion du changement, cf. la lecture
suggestive de P.M. Senge, The Fifth Discipline. The Art and Practice of the Learn-
ing Organization, Doubleday, New York 2006, 103-112 et 391-395.

10.2 Page 92

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92 Pédagogie salésienne après Don Bosco
les chroniques du Bulletin rendent compte ».25 Il note à juste titre que le
texte des nouveaux règlements est encore très ancré dans la lettre des rè-
glements de Don Bosco et ne semble pas refléter la richesse de l’expérience
salésienne vivante. Les oratoires existants étaient déjà allés plus loin, et
ce en accord avec les indications des supérieurs généraux, y compris du
recteur majeur lui-même, toujours ouvert aux nouvelles perspectives des
congrès qu’il présidait, comme en témoignent les encouragements qu’il
prodiguait aussi bien dans ses circulaires que dans ses lettres mensuelles.
2.1.3.2. Situation concrète des oratoires
Malgré le succès des congrès, les expériences innovantes et l’existence
d’oratoires modèles, la majorité des oratoires ont eu du mal à mener à bien
leur mission. Le premier problème était la situation économique précaire.
Le témoignage du Bulletin salésien de 1903 est éloquent : « L’oratoire festif
n’est pas une source d’entrées de fonds mais plutôt de sorties continuelles ;
c’est pourquoi, en divers endroits où les salésiens ont été appelés à diriger
un oratoire, abandonnés à eux-mêmes ils ont été contraints d’ouvrir des
maisons et des collèges, ne fût-ce que pour gagner leur vie ».26 Les diffi-
cultés économiques étaient généralement résolues en faisant appel à des
bienfaiteurs, avec le soutien matériel de l’institut ou avec des collectes de
fonds et des loteries dans certaines occasions spéciales de la vie de l’ora-
toire : fêtes, représentations théâtrales ou concerts de musique.
Les difficultés économiques étaient aggravées par le manque de lo-
caux. L’oratoire avait besoin d’espaces bien définis comme l’église, la cour,
la salle de théâtre et les salles de classe pour le catéchisme et pour les di-
verses activités culturelles et récréatives. Si l’oratoire ne fonctionnait que
le dimanche et les jours de fête, les locaux n’étaient pas utilisés pendant
le reste de la semaine et on partageait souvent les locaux avec les activités
du collège, ce qui créait parfois beaucoup de tensions. À Valdocco, cette
séparation était symbolisée par la division des cours de récréation entre
étudiants, apprentis et jeunes de l’oratoire.
Parmi les nombreuses difficultés pratiques, le défi le plus important,
même s’il n’était pas le plus urgent, était le manque de personnel qualifié.
25 P. Braido, L’oratorio salesiano in Italia (1888-1915), 56.
26 D. Simplicio, Gli oratori festivi. Lettera aperta agli amanti della gioventù, 108.

10.3 Page 93

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 93
Si le problème du manque de personnel salésien était un fait général dans
une Congrégation en pleine expansion, il se posait avec plus d’acuité dans
les oratoires, souvent mis au second plan par rapport aux collèges. Un
signe allant dans cette direction fut l’absentéisme salésien partiel dans le
débat sur les oratoires, aussi bien de la part des autorités intermédiaires
(inspecteurs et directeurs) que de la base. L’attitude la plus répandue était
la méfiance envers toute l’action des congrès, résumée ainsi dans le rapport
sur le cinquième congrès des oratoires festifs (1911) : « Mah ! Les congrès
laissent beaucoup à désirer ! On répète toujours les mêmes choses ; on y
fait beaucoup de vœux pieux qui restent lettre morte ; il est donc inutile que
je m’y intéresse »27. Malgré l’affirmation du deuxième Congrès des ora-
toires qui disait : « Il est de la plus haute importance de choisir un directeur
approprié. En effet, on peut dire que la fortune d’un oratoire festif dépend
de la capacité de son directeur »28, il arrivait souvent que dans les maisons
il n’y avait pas de directeur de l’oratoire, ou que des personnes non prépa-
rées étaient chargées de cette tâche. On trouve un écho de cette situation
dans les pages du Bulletin salésien qui critique l’idée que « n’importe quel
prêtre suffit pour diriger un oratoire festif ».29
Les différentes réponses aux besoins de l’époque augmentaient la com-
plexité de la gestion des oratoires et comportaient également une croissance
quantitative de son personnel. Certains responsables salésiens comptaient
sur la formation des jeunes salésiens dans le but de les préparer aux tâches
éducatives de l’oratoire en utilisant des manuels spéciaux et des périodes
d’apprentissage dans des oratoires « modèle » bien organisés. D’autres fai-
saient appel au potentiel des laïcs, dont l’expérience pratique et vitale pou-
vait être plus fructueuse que de nombreuses études pédagogiques.30 Dans
ce contexte, on peut également mentionner les réflexions sur la question
27 A. Anzini, Gli Oratorî Festivi, in P. Braido, L’oratorio salesiano in Italia (1888-
1915), 84.
28 Manuale direttivo degli Oratorii Festivi e delle Scuole di Religione. Eco del Con-
gresso di tali istituzioni tenutosi in Torino i giorni 21 e 22 maggio 1902, Scuola
Tipografica Salesiana, S. Benigno Canavese 1903, 30.
29 A. Brugnoli, Per la salvezza della gioventù: Occorre un provvedimento radicale,
in «Bollettino Salesiano» 40 (1916) 6, 165.
30 Cf. G. Chiosso, Educazione e pedagogia nelle pagine del “Bollettino salesiano”
d’inizio Novecento, in González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al
1922, vol. 1, 130.

10.4 Page 94

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94 Pédagogie salésienne après Don Bosco
du personnel des oratoires salésiens lors des congrès des Coopérateurs sa-
lésiens dans les premières décennies du XXe siècle. Tous les coopérateurs
ont été invités à assumer la responsabilité de la mise en place des oratoires
festifs et à leur apporter leur soutien personnel, matériel et moral. Le rôle
des coopérateurs dans la gestion des cercles sportifs, artistiques et sociaux
a été particulièrement souligné :
Les travaux des Congrès des Coopérateurs étaient en effet liés en
divers points à la réflexion des Congrès des oratoires. Dans le do-
maine de l’assistance à la jeunesse, ils ont été appelés à s’engager dans
l’avant-garde des oratoires festifs, en utilisant les nombreux moyens
à leur disposition : cercles culturels, causeries sociales, cours profes-
sionnels, secrétariats du travail et bureaux de placement, bureaux
d’enregistrement dans les caisses de prévoyance, instruction sur la
législation du travail, conférences sur l’hygiène professionnelle, as-
surance populaire des travailleurs, etc. Suivait une liste d’attitudes
et de comportements requis par une longue tradition de la part des
coopérateurs qui souhaitaient promouvoir la fondation de cours de
religion et d’oratoires festifs pour y travailler.31
La diversité des contextes religieux et sociaux conditionnait profondé-
ment la situation concrète des oratoires. La présence ou l’absence d’une
« tradition oratorienne » culturellement consolidée dans un contexte donné
influençait de manière significative l’aspect quantitatif, qui se répercutait à
son tour dans les choix concrets et les méthodes pédagogiques. Dans cer-
tains oratoires, les jeunes étaient peu nombreux, dans d’autres ils étaient
des milliers. Par exemple, en 1913, l’oratoire du Valdocco comptait deux
mille membres inscrits et huit cents participants assidus à diverses activi-
tés.32 Dans d’autres endroits d’Italie, notamment dans le Sud, le nombre
de jeunes était d’une centaine.33 Les différences entre un contexte culturel
traditionnellement chrétien et un contexte de mission ad gentes avaient un
31 P. Braido, L’oratorio salesiano vivo in un decennio drammatico (1913-1922), in
«Ricerche Storiche Salesiane» 47 (2005) 2, 258-259.
32 Cf. Ibid., 218.
33 Cf. F. Casella, Il Mezzogiorno d’Italia e le istituzioni educative salesiane. Richie-
ste e Fondazioni (1879-1922) Fonti per lo studio, LAS, Roma 2000.

10.5 Page 95

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 95
impact encore plus grand. C’est ainsi que, par exemple à La Paz, en Boli-
vie, on comptait un millier d’oratoriens au tournant du siècle, alors qu’au
Japon, Don Cimatti comparait la situation des oratoriens dans les années
1930 à celle du premier oratoire de Don Bosco : d’abord sont venus des
curieux, puis un groupe de jeunes s’est installé et l’oratoire a suivi un cours
normal et apparemment prometteur, jusqu’à ce qu’un beau jour l’oratoire a
soudainement été déserté.34
2.1.3.3. Développement et tensions autour de l’associationnisme salésien
L’effort novateur pour trouver des moyens d’attirer et de retenir les
jeunes à l’oratoire s’est surtout développé dans le sens de nouvelles activi-
tés organisées en «sections» avec une certaine autonomie de gestion. Les
anciens jeux du milieu du XIXe siècle n’étaient pas toujours attrayants et
déjà du vivant de Don Bosco, les salésiens du Valdocco sentaient le besoin
de chercher des nouveautés dans le domaine des loisirs.35 On continua à
développer les activités traditionnelles comme le théâtre, la musique, les
cours du soir et les compagnies, tandis que les nouvelles activités, comme
le sport organisé, le scoutisme et les activités sociales cherchaient leur
place dans la vie de l’oratoire salésien de l’époque. En plus de l’innovation
dans les nouvelles activités, il est intéressant de voir leur organisation et
leur évolution vers un nouveau type d’association, mieux articulé, moderne
et de masse.
Beaucoup d’activités et d’animations au sein de l’oratoire salésien fonc-
tionnaient traditionnellement en lien avec les compagnies. Au début du XXe
siècle, on préféra la dénomination « association » ou « cercle de jeunes ».
Le champ d’action et le nombre d’associations s’élargit. Aux cercles (ou
compagnies) de Saint Louis, de Saint Joseph, du Saint-Sacrement, du Pe-
tit Clergé, de l’Immaculée Conception et de l’Ange Gardien, qui avaient
pour but d’animer une section ou un aspect de la vie de l’oratoire, s’ajou-
tèrent des cercles qui avaient une dimension sociale, culturelle ou sportive.
34 Cf. V. Cimatti, Le difficoltà per l’azione missionaria in Giappone, in «Bollettino
Salesiano» 56 (1932) 7, 213-215; Id., L’Oratorio di Don Bosco, in «Bollettino Sale-
siano» 57 (1933) 10, 303-307.
35 Cf. J.M. Prellezo, Valdocco nell’Ottocento tra reale ed ideale (1866-1889). Docu-
menti e testimonianze, LAS, Roma 1992, 254.

10.6 Page 96

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96 Pédagogie salésienne après Don Bosco
L’activité typique d’un cercle (ou compagnie) comportait des moments de
formation, qui prenaient généralement la forme d’une conférence régulière
du responsable de l’oratoire, du directeur ou d’une autorité locale. Dans
certains endroits, la formation de l’association passait à travers l’assistance
« en corps constitué » à la Sainte Messe, précédée des confessions. La sor-
tie annuelle, les discussions sur des thèmes, les fêtes patronales et parfois
même la rédaction d’un journal constituaient une part importante de la vie
des cercles.
Une catégorie particulière est constituée par des cercles sans activi-
té caractéristique, en réponse au besoin de s’associer, parfois sous l’in-
fluence de la tradition anglo-saxonne des clubs. C’est dans cette période
que naissent également les associations d’anciens élèves ; elles ont joué un
rôle important dans l’accompagnement de leurs membres lors du passage
à la vie sociale, leur offrant un supplément de formation. Les différentes
associations d’anciens élèves, qui avaient vu le jour spontanément, ont en-
suite été organisées en une fédération internationale avec les premiers sta-
tuts rédigés en 1911 sous l’impulsion de Filippo Rinaldi.
Les sections sportives ont commencé à entrer dans les oratoires salé-
siens au début du XXe siècle. L’athlétisme, la gymnastique et le cyclisme
furent les premiers sports pratiqués sur le sol oratorien. Dès 1905, on or-
ganisa en Italie le premier Congrès Sportif Catholique. Le Bulletin salé-
sien en rendit compte en soulignant le lien entre le sport et l’éducation de
l’esprit et de la vertu. Le Pape Pie X adressa aux participants un discours
éloquent, contenant de nombreux éléments de convergence avec l’éduca-
tion salésienne :
En vous regardant, je ressens le besoin de vous dire que je vous aime,
et que vous devez voir en moi non seulement un père, mais un frère
et un tendre ami. C’est avec ces sentiments que non seulement j’ap-
prouve toutes vos œuvres dans l’action catholique, mais j’admire et
je bénis de tout cœur tous vos jeux et passe-temps, la gymnastique,
le cyclisme, l’alpinisme, le bateau, la course à pied, la marche, les
concours et les académies, auxquels vous vous consacrez ; pourvu
que les exercices corporels influent admirablement sur les exercices
de l’esprit, car ces divertissements, tout en exigeant un effort, vous
arrachent à l’oisiveté, qui est le père des vices ; pourvu enfin que ces
mêmes concours amicaux soient en nous une image de l’émulation

10.7 Page 97

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 97
dans l’exercice de la vertu.36
En 1909, lors du quatrième congrès des oratoires où il fut question de
ses diverses sections, on discuta en particulier sur la section sportive. Le
congrès exprima sa satisfaction à propos de la grande et florissante Fédéra-
tion des Associations Sportives Catholiques Italiennes (FASCI). Dans les
discours qui ont suivi on reconnaît aisément l’effort des participants pour
lier les activités éducatives et récréatives et pour maintenir l’harmonie
entre la direction de l’oratoire et les différentes sections. Certaines consi-
dérations du congrès sont énumérées ici :
1) les sections ne sont pas une fin en soi, mais un moyen efficace d’at-
tirer les jeunes plus âgés à l’oratoire ;
2) l’esprit animateur des sections sera le même que celui de l’oratoire ;
3) le but spécial des sections devait être celui de former et de fortifier
les jeunes dans la vie chrétienne, et non de les abandonner au mo-
ment où ils ont le plus besoin d’assistance ;
4) l’effort principal de tout le travail des oratoires devait viser à rendre
les jeunes de plus en plus attachés à la pratique de la vie chrétienne ;
5) il faut exiger l’accomplissement de tous les devoirs religieux à l’oratoire,
tout en accordant de faciles exceptions pour des raisons justifiées ;
6) on fera en sorte que les jeunes des sections participent à des confé-
rences appropriées, au moins une fois par mois, et fréquentent les
Saints Sacrements lors des principales fêtes de l’année ;
7) à tous sans exception il est demandé une conduite extérieure mora-
lement et religieusement bonne ;
8) l’émulation est un très fort stimulant en vue de l’union et en faveur
du progrès spécifique que se propose chaque section ; une orienta-
tion générale et unique est un puissant moyen pour supprimer les
divisions, les ombres et les désagrégations qui en résultent ;
9) toutes les sections seront entièrement sous la dépendance de la di-
rection de l’oratoire, afin que le travail de chacune d’entre elles soit
36 P. Pericoli, Il 1° Convegno Sportivo Cattolico Italiano, in «Bollettino Salesiano»
29 (1905) 11, 326-328.

10.8 Page 98

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98 Pédagogie salésienne après Don Bosco
harmonieux et efficace ;
10) les conseils de direction des différentes sections (nécessaires à leurs
activités et à leur développement), représentés par leurs présidents
respectifs, seront des membres conseillers de la direction ;
11) toutes les sections auront un règlement unique, sous réserve des dis-
positions particulières relatives à la vie et au développement propres
à chaque section.37
Dans l’oratoire salésien le scoutisme commençait à occuper une place
particulière dans la deuxième décennie du XXe siècle.38 L’Italie fut parmi
les premières nations à accepter cette nouvelle méthode éducative, mais le
scoutisme italien n’était pas exempt d’interprétations problématiques : une
propension au militarisme, une plus grande attention à la masse qu’à l’in-
dividu, et surtout une tendance areligieuse. L’idée d’un mouvement ouvert
à toutes les formes de religiosité fut interprétée comme excluant l’éduca-
tion religieuse spécifique, et c’est pour cette raison qu’en 1916 fut fondée
l’Association Scoute Catholique Italienne (ASCI), dans le but de donner au
scoutisme une empreinte catholique. Une situation similaire s’était créée en
Argentine, où Don Giuseppe Vespignani avait fondé en 1915 avec grand
succès les Exploradores de Don Bosco.39
2.1.4. La première guerre mondiale et les salésiens
Dans la sphère politique, l’Empire britannique est toujours la superpuis-
sance militaire, dominant un quart de la surface de la terre et comprenant
37 Uffizio sotto-agenzia per gl’interessi giovanili economico-sociali, in «Bollettino
Salesiano» 33 (1909) 12, 365-366.
38 Le scoutisme a été fondé par Sir Robert Baden-Powell (1857-1941). Ce colonel de
l’armée britannique eut l’idée d’utiliser le goût inné des garçons pour l’aventure à
des fins éducatives. Cette idée a été exposée dans la publication Aids to Scouting for
Man, qui eut un grand succès auprès des garçons. Après l’expérience passionnante
du camp expérimental sur l’île de Brownsea en août 1907, il écrivit un deuxième
livre intitulé Scouting for Boys, une aide pédagogique pour la jeunesse britannique.
39 S. Negrotti, Los exploradores argentinos de don Bosco: orígenes y pedagogía de
una experiencia juvenil salesiana argentina, in González et al. (eds.), L’educazione
salesiana dal 1880 al 1922, vol. 2, 27-.50.

10.9 Page 99

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 99
un cinquième de la population mondiale, mais l’ère victorienne des grands
succès coloniaux et de la politique d’isolement est terminée et un autre
chapitre de son histoire commence. La reine Victoria, qui avait inauguré
son règne en 1838, disparut en 1901 et, un an plus tard, le gouvernement
conservateur de Salisbury, qui avait dirigé le pays pendant de nombreuses
années sans opposition constante, a également pris fin. Signe du change-
ment des temps, en 1906, un parti travailliste entra pour la première fois
à la Chambre des communes, expression d’un socialisme réformiste et
proche des mouvements syndicaux, mais qui prenait clairement ses dis-
tances par rapport au socialisme révolutionnaire des communistes. C’est
ainsi qu’au cours des années suivantes, diverses réformes sociales furent
mises en œuvre qui atténuaient un capitalisme exaspéré. Entre-temps, avec
la propagation de la deuxième révolution industrielle, l’économie britan-
nique perdit sa position de suprématie et subit la concurrence croissante
des États-Unis, de l’Allemagne et de la France. Dans cette situation de
concurrence économique et politique, la Grande-Bretagne conclut un pacte
avec la France en 1904, créant ainsi une alliance qu’on voulut dissimuler
sous le terme «Entente» et qui sera ensuite étendue à la Russie.40
L’Europe centrale, la contrepartie concurrente, était constituée par l’Al-
lemagne et l’Empire austro-hongrois. Désireuse de construire un nouvel
empire, l’Allemagne, qui n’avait retrouvé que récemment son unité territo-
riale, se trouvait nécessairement dans une position antagoniste vis-à-vis des
autres puissances impériales qui s’étaient déjà partagé le globe et le thème
principal de sa politique était la Weltpolitik. Dans l’Empire austro-hon-
grois, sous le très long règne de François-Joseph, le scénario était plutôt
marqué par le repli sur soi. Le développement économique et culturel dans
les centres et la vitalité des partis sociaux-démocrates et chrétiens-sociaux
contrastaient avec l’immobilisme du système politique et la persistance des
structures sociales traditionnelles dans les provinces rurales. Le problème
principal de l’Empire, cependant, était constitué par les conflits nationaux.
Les peuples slaves, sacrifiés dans l’équation austro-hongroise, souffraient
d’une germanisation ou d’une magyarisation croissante. La situation in-
terne conduira à l’émergence de divers mouvements nationalistes avec plu-
sieurs foyers de tension, notamment dans les Balkans, où l’étincelle de la
40 Cfr. Flores, Il secolo mondo. Storia del Novecento.

10.10 Page 100

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100 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Première Guerre mondiale éclatera à l’été 1914.41
À ses débuts, la Grande Guerre fut perçue par la jeune génération
comme la guerre la plus populaire de tous les temps. Les jeunes écrivains
de l’époque s’enthousiasment : Charles Péguy écrit qu’il avait hâte d’al-
ler au front, Ernst Jünger parla d’un moment sacré, Rupert Brook pensait
que la guerre est une émotion splendide sans comparaison. La guerre a
également suscité l’enthousiasme des mouvements de jeunesse qui avaient
vu le jour au début du siècle, tels que les scouts et les Wandervögel en
Allemagne.42 Péguy mourra plus tard dans les combats en 1914, Brook en
1915 et, peu à peu, l’attitude émotionnelle des jeunes vis-à-vis de la guerre
changea. Au cours de l’hiver de la troisième année de la guerre, dont on ne
voyait pas encore la fin, les émotions changèrent radicalement et les jeunes
déçus formeront plus tard la « génération perdue ». À la fin de la guerre,
après quatre années de violence et un épuisement économique des États,
on dénombra neuf millions de victimes, presque toutes âgées de vingt à
trente ans. Outre ces chiffres et celui des 40 millions de morts des suites
de la grippe espagnole, la déception générale et les dégâts matériels ont
sapé la crédibilité de l’idée positiviste de progrès scientifique et social. En
raison principalement de la barbarie et de la dégradation morale pendant
la guerre, l’image des puissances occidentales, en tant que porteuses de la
culture et de la civilisation dans le monde entier, est devenue très probléma-
tique. Winston Churchill, qui avait fait l’expérience du champ de bataille et
du gouvernement pendant la guerre, a écrit à ce sujet : « Les États puissants
et civilisés craignaient, non sans raison, pour leur propre survie. [...] Aucun
crime contre l’humanité ou contre le droit international ne resta sans un châ-
timent qui était souvent d’une intensité plus grande et durait plus longtemps.
[...] La force des armées n’était limitée que par le nombre d’hommes dans le
pays ».43 Certains ont vu dans cette époque la fin de l’Occident, conformé-
ment au titre du célèbre livre d’Oswald Spengler publié en 1918.
41 Cf. G. Sabbatucci - V. Vidotto, Il mondo contemporaneo. Dal 1848 a oggi, 198-
202.
42 Organisation de jeunesse similaire aux scouts de Baden-Powell, fondée en Alle-
magne en 1896.
43 P. Johnson, Modern Times. The World from the Twenties to the Nineties, Harper
Collins, New York 1991, 13-14. Le mot educated peut être traduit par «éduqué» ou
«civilisé».

11 Pages 101-110

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11.1 Page 101

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 101
La première guerre mondiale a également été une période éprouvante
pour les salésiens. Un peu moins de la moitié de la Congrégation fut ap-
pelée sous les drapeaux, de nombreux collèges furent réquisitionnés pour
les besoins de l’armée ou des hôpitaux, Il devenait urgent de s’occuper
d’un nombre croissant de réfugiés, d’enfants de militaires et d’orphelins,
tandis que diminuait considérablement l’aide financière des bienfaiteurs.
On apprit bientôt avec grande douleur que certains confrères avaient été
contraints de monter à l’assaut les uns contre les autres.44 Dans son désir
de se rendre proche de ces confrères et de pouvoir les animer, le recteur
majeur Don Paolo Albera écrivit chaque mois, à partir de 1916, une lettre
à tous les salésiens sous les armes. Après la guerre, outre les dégâts ma-
tériels, les effets sur les confrères militaires ont été particulièrement sen-
sibles. Après leur séjour dans les casernes et les tranchées, dans une « vie
si opposée à celle à laquelle ils s’étaient consacrés par vocation religieuse
[...], il leur sembla difficile de reprendre leurs habitudes passées »,45 note
génériquement Don Ceria dans les Annali della Società Salesiana, qui pré-
sente quelques mesures du Conseil Général pour faire face à la situation.
Au niveau des mentalités, on devine facilement les répercussions que tout
cela a pu avoir, non pas tant sur la réflexion pédagogique que sur l’organi-
sation, la discipline, l’assistance et la vie religieuse.
2.1.5. L’après-guerre et l’avènement du fascisme
Sur le plan politique et culturel, la guerre a eu des conséquences consi-
dérables qui ont fait entrer l’humanité dans un monde différent du pré-
cédent, un « siècle bref » marqué par les idéologies modernes.46 L’ordre
politique créé au Congrès de Vienne, et fonctionnant depuis un siècle selon
des arrangements complexes, a été détruit. L’effet catalyseur, comparable
44 Cf. M. Wirth, Da Don Bosco ai nostri giorni. Tra storia e nuove sfide (1815-2000),
LAS, Roma 2000, 312-313. Titre original en français: Don Bosco et la Famille sa-
lésienne. Histoire et nouveaux défis (1815-2000) [De don Bosco à nos jours], Paris,
Éditions Don Bosco, 2002.
45 E. Ceria, Annali della Società Salesiana, vol. 4: Il rettorato di don Paolo Albera
1910-1921, SEI, Torino 1951, 71.
46 Cf. E.J. Hobsbawm, Il secolo breve 1914-1991, Rizzoli, Milano 2014.

11.2 Page 102

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102 Pédagogie salésienne après Don Bosco
en importance à la Révolution française, a poussé le nationalisme à des po-
sitions extrêmes, déstabilisant ainsi l’équilibre au sein des anciennes mo-
narchies, notamment en Europe centrale. Cette situation a créé un espace
favorable aux idéologies nationalistes et marxistes utopiques, qui, dans la
période de l’après-guerre, semblaient être les solutions les plus plausibles
aux problèmes de l’époque.
La deuxième conséquence de la guerre, qui a favorisé la montée du
totalitarisme, est l’élargissement du pouvoir de l’État et donc de son po-
tentiel de contrôle et de répression. En temps de guerre, avec l’Allemagne
comme paradigme, l’État pénètre avec force dans de nombreuses sphères
de l’économie, contrôle les activités bancaires, réglemente les prix, et des
lois restreignant la liberté individuelle entrent en vigueur. Les nouveaux
régimes nationalistes d’après-guerre ne se croyaient plus obligés d’être
aussi tolérants que les anciennes monarchies. Les utopies transcendantes
soutenues par un solide appareil de contrôle étatique conduisirent le monde
aux portes d’une nouvelle ère.
L’utilisation croissante du manichéisme politique est le troisième effet
de la situation socioculturelle de l’après-guerre. Le suffrage universel (dans
l’après-guerre, principalement pour les hommes) combiné à l’alphabéti-
sation a rendu possible et nécessaire la transmission des idées politiques
aux masses qui savaient lire et écrire, mais étaient loin de comprendre les
équilibres complexes de la vie politique. C’est ainsi que s’est imposée une
stratégie politique manichéenne, qui, au moyen de tracts, d’affiches et de
pamphlets, adoptait des simplifications des différentes théories sociales et
politiques et indiquait qui étaient les bons et qui les méchants. Dans la
bataille électorale, les politiciens se sont appuyés sur des devises simples
qui résumaient le mécontentement et les désirs des masses désabusées. La
convergence électorale était généralement obtenue grâce à un texte poli-
tique simple (mais global) interprété par une personnalité charismatique
qui mobilisait les masses.47 La situation politique italienne, importante
pour son influence sur l’éducation salésienne, se situe dans ce contexte.
Arrivé au pouvoir en 1922, Benito Mussolini proposait progressivement
dans le domaine éducatif l’objectif de former l’homme nouveau fasciste.
47 Cf, Johnson, Modern Times. The World from the Twenties to the Nineties, 21–48; Z.
Brzezinski, Out of Control. Global Turmoil on the Eve of the 21st Century, Simon
& Schuster, New York 1995.

11.3 Page 103

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 103
Les idéaux d’héroïsme, de mépris du danger et d’esthétisme se combinaient
chez lui avec une attitude anti-bourgeoise et une allure de type militaire.
Dans la première période de mise en place progressive du régime totali-
taire, l’homme nouveau s’identifiait idéalement au Duce, le guide politique
et spirituel de l’Italie. Mussolini a tout fait pour créer le mythe de sa per-
sonnalité : il s’est présenté comme le guide tout-puissant, capable de passer
des « grandes choses », comme les affaires internationales, aux « petites
choses » qui préoccupaient les pauvres gens. En donnant l’image d’un tra-
vailleur infatigable, d’un aviateur ou d’un pilote de course il se présentait
comme une sorte de surhomme capable d’exceller dans toutes les activités
humaines et spirituelles.48
La vision fasciste a déterminé certains des choix de la réforme sco-
laire de Giovanni Gentile en 1923. Bien que décrite par le Duce comme la
« plus fasciste des réformes », qui a réussi à influencer fortement l’ensei-
gnement, les fascistes ont réalisé qu’ils avaient besoin d’une plate-forme
non scolaire dans laquelle les attitudes et les nouvelles normes de com-
portement pourraient être testées sur le terrain pratique. La solution fut
trouvée dans l’association de la jeunesse fasciste, appelée Opera Nazionale
Balilla, qui fut considérée comme « la plus grande tentative d’éducation
étatique de la jeunesse dont l’histoire puisse se souvenir ».49 Les groupes
Balilla se développèrent rapidement et après quatre ans d’existence, dans
la dernière année du rectorat de Don Filippo Rinaldi, ils comptaient déjà
plus de deux millions de membres. Évidemment, une tension très forte et
croissante apparut entre les Balilla, l’Action Catholique (AC) et les formes
traditionnelles d’associationnisme salésien, comme les compagnies. Les
salésiens, au niveau du gouvernement général, entreprirent une réflexion
sur les problèmes pratiques des associations, en mettant en œuvre des me-
sures de non-confrontation avec les autres associations. L’Action Catho-
lique, puissamment favorisée par Pie XI, soulignait la nécessité d’une plus
grande coordination entre elle et les associations de jeunes qui fleurissaient
depuis longtemps dans de nombreux instituts religieux avec des objectifs
48 Cf. S. Oni, I salesiani e l’educazione dei giovani, in Piemonte, durante il periodo
del fascismo, in S. Zimniak - G. Loparco (eds.), L’educazione salesiana in Europa
negli anni difficili del XX secolo, Atti del Seminario Europeo di Storia dell’Opera
salesiana Cracovia 31 ottobre - 4 novembre 2007, LAS, Roma 2008, 147-148.
49 V. Meletti, Civiltà fascista. Per le scuole complementari e di avviamento al lavoro,
per i maestri e per il popolo (1929), La Nuova Italia, Venezia 1941, 42.

11.4 Page 104

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104 Pédagogie salésienne après Don Bosco
apostoliques similaires. La triangulation entre les Balilla, l’AC et les com-
pagnies salésiennes n’était pas facile à équilibrer et a occupé une partie des
lettres du recteur major Filippo Rinaldi. Au niveau des congrès, le sujet
a été abordé lors de la Conférence des directeurs des oratoires festifs en
1927, au cours de la discussion sur les cercles de jeunes, qui devaient acti-
ver de quelque manière les statuts de la jeunesse catholique.50
2.1.6. L’âge d’or du colonialisme et les missions salésiennes
La conscience politique des grands pays à la fin du XIXe siècle et au dé-
but du XXe siècle était caractérisée par une mentalité que l’on pourrait ap-
peler «impériale».51 Le phénomène du colonialisme, qui divisait le monde
en puissances et en colonies, était à son apogée. Les grandes puissances
s’étaient réparti pratiquement deux grandes régions du monde : l’Afrique et
le Pacifique. Cependant, le colonialisme est resté un phénomène complexe
et contradictoire, dont la fragilité s’est révélée aux alentours de la Seconde
Guerre mondiale. L’un de ses effets les plus importants provient de son
lien avec le nationalisme croissant : tout l’imaginaire public colonial a été
alimenté ensuite avec des moyens de toute sorte : expositions, audiences
pompeuses, uniformes exotiques, expressions comme la « nation des 100
millions » de Poincaré, la « conscience impériale » britannique de Kipling
et surtout les cartes géographiques en couleur.52
Au centre il y avait les intérêts des différents pays, mais aucun d’eux
ne se sentait isolé du reste du monde, mais comme le cœur d’un empire en
concurrence croissante avec d’autres empires. Une dynamique concurren-
tielle était ainsi créée, développant les relations économiques à une échelle
de plus en plus globale et accentuant le fossé entre le centre de l’empire
et la périphérie : «En 1880, nous n’avons donc pas affaire à un monde
unique, mais à deux secteurs combinés dans un système global : les dé-
veloppés et les retardataires, les dominants et les dépendants, les riches et
50 Cf. P. Braido, L’oratorio salesiano in Italia e la catechesi in un contesto socio-politi-
co inedito (1922-1943), in «Ricerche Storiche Salesiane» 48 (2006) 1, 53.
51 M. Flores, Il XX secolo, 104.
52 Cf, Johnson, Modern Times, 138-.175.

11.5 Page 105

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 105
les pauvres».53 Les inégalités et l’interdépendance se sont particulièrement
accrues dans la première moitié du XXe siècle. Dans les années 1880, il y
avait déjà des régions riches et des régions pauvres, mais le fossé ne sem-
blait pas infranchissable : la différence de richesse entre les deux mondes
était de 1 à 1,8, mais dans les années précédant la Première Guerre mon-
diale, elle était déjà passée de 1 à 3, et au milieu du XXe siècle, la disparité
était de 1 à 5. La principale cause de cette disparité était l’utilisation de la
technologie, qui avait un impact politique en plus des influences écono-
miques. L’infériorité des armements avait fait pencher la balance en fa-
veur du premier monde.54 Évidemment, les dynamiques du colonialisme
et du nationalisme ont également influencé le développement des missions
salésiennes, surtout pendant le pontificat de Pie XI, qui avait à cœur les
missions dont il confia la promotion au cardinal Van Rossum, organisateur
efficace de Propaganda fide.
2.1.6.1. Naissance de la méthode missionnaire salésienne en Amérique latine
La méthode missionnaire salésienne est née au niveau des intuitions
au moins une décennie avant les premières expéditions missionnaires en
Amérique latine. Don Bosco était en phase avec Mgr Daniel Comboni,
missionnaire en Afrique, qui visita l’Oratoire du Valdocco en 1864 et laissa
une profonde impression, suscitant l’admiration pour son œuvre.55 La mé-
thode combonienne consistait à créer de nombreux instituts pour garçons
et filles à proximité des régions missionnaires, mais encore aux confins
de la civilisation pour des raisons de sécurité. Ces institutions devaient
accueillir les jeunes indigènes dans le but de les éduquer à la religion ca-
tholique et à la « civilisation chrétienne ». Ces élèves devaient ensuite être
porteurs de la foi et de la civilisation dans les régions de mission lointaines.
La communauté de vues entre Don Bosco et Daniel Comboni était basée
sur le rôle principal de l’éducation et de la mission auprès de la jeunesse
pauvre. On pourrait dire que Don Bosco a simplement imité la méthode de
53 E.J. Hobsbawm, The Age of Empires: 1875-1914, Corriere della Sera, Milano 2004,
23.
54 Ibid., 22-23.
55 Cf. G. B. Lemoyne, Memorie biografiche di san Giovanni Bosco, vol. VII, Torino,
SEI, 1948, 702-.703.

11.6 Page 106

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106 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Comboni et l’a faite sienne. Mais dans le manuscrit intitulé La Patagonie et
les terres australes du continent américain, découvert seulement en 1983,
Don Bosco parle d’une « nouvelle méthode », différente des méthodes uti-
lisées par les autres congrégations.56 Il dit dans le texte :
Il s’agit d’ouvrir des internats, des maisons d’éducation, des maisons
d’accueil, des orphelinats aux frontières de ces pays et d’attirer ain-
si les jeunes ; et en éduquant les enfants de les amener à parler de
religion avec leurs parents. Il y a deux manières d’y parvenir : ou
bien les parents, par instinct naturel, se montreront bienveillants
envers ceux qui traitent leurs enfants avec bonté ; ou mieux encore
ce seront leurs enfants eux-mêmes, en vertu de l’éducation reçue,
qui iront peu à peu porter la bonne nouvelle à ceux de leur propre
tribu, lesquels accepteront volontiers la parole de Dieu annoncée
par de tels prédicateurs.57
La nouveauté de la méthode de Don Bosco consiste dans l’utilisation
de l’éducation comme méthode missionnaire directe (« arriver à parler
de religion avec les parents ») et charismatique (« traiter avec bonté »).
De cette manière on n’utilise pas seulement l’éducation de manière indi-
recte, en attendant qu’elle porte ses fruits dans les décennies suivantes.58
L’éducation à la manière salésienne constituait donc le cœur de la méthode
missionnaire selon Don Bosco. Or, paradoxalement, c’est précisément la
« bonté » qui a été remise en question au cours des dix premières années
difficiles de la mission en Argentine. Voici comment Don Vespignani décrit
56 Cf. J. Borrego, La Patagonia e le terre australi del continente americano [pel] sac.
Introducción por Jesús Borrego, in «Ricerche Storiche Salesiane» 13 (1988) 7, 255-
.442.
57 Ibid., 413-414.
58 Dans les Cronachette de Don Barberis, nous trouvons plusieurs références à la mé-
thode de travail dans les missions. Dans certaines d’entre elles, Don Bosco exprime
sa perplexité quant à l’efficacité de la méthode combonienne: « Maintenant Mgr
Comboni essaie de faire la même chose pour le centre de l’Afrique, mais il est seul,
souvent celui à qui on confie les jeunes à éduquer n’a pas la méthode pour cela, ni le
véritable esprit; parfois il est inapte et on doit le remplacer par un autre; et puis les
dépenses sont énormes: pour former un bon prêtre il faut réunir cinquante jeunes
dans un petit séminaire; ce sont des dépenses qu’un particulier ne peut pas faire ».
Cf. les Cronachette di Barberis. Quaderno 8, in ASC A0000108, 84.

11.7 Page 107

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 107
cette époque : « Les salésiens étaient peu nombreux, nouveaux, inexpéri-
mentés et ne connaissaient ni l’idiome ni les coutumes du pays. On assista
à une agitation croissante chez les apprentis, et malgré l’emploi de tous les
moyens de la religion et de la piété, ils nous obligèrent à donner des péni-
tences, parfois à séparer les coupables des autres, à les priver de nourriture,
à recevoir parfois des coups ou des gifles, à mettre des élèves en isolement,
etc. ».59 Don Bosco insista sur les caractéristiques centrales de la méthode
d’éducation salésienne en écrivant à Don Costamagna :
Je voudrais maintenant faire à tous un sermon, ou plutôt une confé-
rence sur l’esprit salésien qui doit animer et guider nos actions et tous
nos discours. Notre système est le système préventif. Jamais de puni-
tions avilissantes, jamais de paroles humiliantes, jamais de reproches
sévères en présence des autres. Mais dans les classes que résonnent les
mots de douceur, de charité et de patience. Jamais de mots mordants,
jamais de gifle sévère ou légère. On utilisera les châtiments négatifs, et
toujours de telle manière que ceux qu’on devra avertir deviennent nos
amis plus qu’avant, et ne partent jamais avec des sentiments négatifs.
[...] La douceur dans les paroles, dans les actions et dans les avertisse-
ments obtient tout et gagne le cœur de tous.60
Selon les témoins, la lettre de Don Bosco, lue pendant la retraite, avait
provoqué la réaction souhaitée. Certains ont même fait un quatrième vœu
de fidélité à l’idéal pédagogique salésien et ont promis de ne jamais utiliser
de châtiments corporels, quelle que soit la gravité de la faute.61
2.1.6.2. Développement de la méthode missionnaire salésienne après la
première guerre mondiale
La période qui suit la première guerre mondiale peut être considérée
comme la période classique de l’expansion missionnaire salésienne. Cette
59 J. Vespignani, Memorandum de formación salesiana para los profesos temporáne-
os, in L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 2, 82.
60 G. Bosco, Tre lettere a salesiani in America, in P. Braido (ed.), Don Bosco educa-
tore. Scritti e testimonianze, LAS, Roma 1992, 448-449.
61 Cf. C. Bruno, Los Salesianos y las Hijas de María Auxiliadora en la Argentina, vol.
1, Instituto Salesiano de Artes Gráficas, Buenos Aires 1981, 154-.155.

11.8 Page 108

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108 Pédagogie salésienne après Don Bosco
appellation ne se justifie pas seulement par le nombre de salésiens envoyés
en mission et le nombre de missions qui leur furent confiées, particulière-
ment dans les années 1923-1939 ; c’est aussi la méthode d’évangélisation
par l’éducation qui restait classique. Selon l’heureuse expression du Père
Auffray, les missionnaires fidèles à la tradition salésienne ont « piqué droit
à la jeunesse ».62 Pour entrer en contact avec les jeunes, les missionnaires
s’efforcèrent de créer des relations amicales à l’aide des jeux, des divertis-
sements et de la musique, aussi bien dans les oratoires que dans les écoles,
les maisons d’accueil, les paroisses et les stations missionnaires. Au bout
de quelque temps, les missionnaires salésiens se retrouvaient généralement
au milieu d’une population qui les aimait et dans laquelle émergeait un
noyau de jeunes chrétiens.63
Dans les missions salésiennes, les activités d’évangélisation et de caté-
chèse étaient accompagnées dans presque tous les cas par des activités sco-
laires. Il est clair que les contextes, les besoins et les modèles étaient dif-
férents. En résumé, on peut dire que les salésiens ont adopté trois modèles
d’approche missionnaire : le modèle de l’internat, le modèle des reduc-
ciones et le modèle du missionnaire de village. L’internat était d’inspiration
combonienne et représentait le travail ordinaire des salésiens à l’époque
des collèges. En Patagonie, région typique de cette approche, les salésiens
ont créé, à partir des années 1880, un réseau d’internats dans lesquels on
formait les jeunes indigènes qui, de retour dans leurs villages, retrouvaient
leur propre culture, mais déjà avec un sens chrétien.64 Ce choix fut égale-
ment motivé par l’hostilité initiale des indigènes envers les colons, qui em-
pêchait une approche différente, comme l’a souligné Don Giovanni Caglie-
ro. Les internats de Patagonie ont concentré leur attention éducative sur
les milieux sociaux négligées par les institutions de l’État : les élèves de la
classe populaire, les Cilenos et les Indios. En 1917, la trentaine d’internats
salésiens (SDB et FMA) de Patagonie avaient un nombre d’inscrits supé-
rieur à celui de l’école publique. Cela renforçait la tension concurrentielle
avec l’État argentin, qui voyait dans le travail des salésiens un grave danger
62 A. Auffray, Les missions salésiennes, Œuvres et Missions Don Bosco, Lyon - Fon-
tanières, 1936, 14.
63 Cf. Wirth, De Don Bosco à nos jours, 378-379.
64 Cf. Borrego, La Patagonia e le terre australi del continente americano [pel] sac.
Giovanni Bosco, 413-414.

11.9 Page 109

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 109
pour la formation d’une conscience nationale dans un territoire annexé
seulement en 1879.65 Un modèle d’internat similaire fut adopté au Congo
belge et en Amazonie où, sous la direction de Pietro Massa, le modèle de
l’internat a été choisi pour se rapprocher des indigènes.66
Le choix de l’éducation missionnaire dans les reducciones67 a été fait
pour la première fois par le salésien Giuseppe Fagnano en Terre de Feu,
dans la mission de La Candelaria et de l’île Dawson. Cette méthode a été
adoptée également au Mato Grosso dans les missions auprès des Bororos
à partir de 1896. L’éducation s’est déroulée en deux temps : d’abord on ini-
tiait les indigènes à la vie civile et chrétienne par l’intermédiaire de leurs
enfants, plus facilement ouverts à la nouveauté ; ensuite on les formait à
la civilisation à travers le travail productif : artisanats, métiers, en parti-
culier l’élevage de troupeaux et les autres activités agricoles. Plus tard, les
missionnaires ont pensé à la création de villages de type occidental et dans
chaque village, ils ont essayé d’ouvrir une école primaire dont les ensei-
gnants étaient choisis parmi les indigènes.68
Le troisième modèle d’organisation des activités missionnaires était le
travail itinérant dans les villages. Les régions typiques qui adoptèrent cette
approche missionnaire étaient le nord-est de l’Inde et la Thaïlande. Presque
toujours, les salésiens commençaient leur travail par la fondation ou la
rénovation d’écoles de village - il s’agissait d’écoles élémentaires pour les
étrangers et de centres professionnels ou agricoles avec des installations
intérieures et extérieures. La motivation était claire : donner une éduca-
tion adéquate aux jeunes catholiques de la mission, qui n’avaient pas les
65 Cfr. M.A. Nicoletti, La polémica en torno a la educación salesiana y la educación
estatal en la Patagonia (1880-1920), in González et al. (eds.), L’educazione salesia-
na dal 1880 al 1922, vol. 2, 51-65.
66 Cf. A. Ferreira da Silva, La missione salesiana tra gli indigeni del Mato Grosso
nelle lettere di don Michele Rua (1892-1909), in «Ricerche Storiche Salesiane» 12
(1993) 22, 47-48.
67 Les « réductions » suivant le modèle jésuite du XVIIe siècle, étaient de petits noyaux
urbains créés pour inciter les autochtones à abandonner la vie nomade et à s’ins-
taller de façon permanente en un seul endroit. Les petites communautés étaient
organisées par les missionnaires et visaient à la promotion matérielle, sociale et
spirituelle des peuples indigènes.
68 Cf. A. Ferreira da Silva, La missione salesiana tra gli indigeni del Mato Grosso,
48.

11.10 Page 110

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110 Pédagogie salésienne après Don Bosco
moyens de fréquenter les écoles de la ville, soit parce que celles-ci étaient
trop éloignées, soit parce que les parents préféraient que leurs enfants fré-
quentent une école catholique. Dès le début, il était courant que des élèves
non chrétiens soient admis dans les écoles salésiennes.
2.1.6.3. Efforts d’inculturation
Un élément important de la méthode missionnaire salésienne dévelop-
pée au cours de cette période est une plus grande sensibilité à l’incultura-
tion. Ce fait peut être lié d’une part au développement des études ethnolo-
giques, et d’autre part à l’expérience interculturelle croissante au niveau de
la Congrégation, qui œuvrait désormais dans des contextes très divers : les
tribus de l’Amazonie, le monde arabe, le Congo, l’Inde, la Chine, le Japon
et la Thaïlande. Un premier pas vers l’inculturation était l’apprentissage
des langues, car parler la langue locale était nécessaire pour la catéchèse.
Dans la première période, cependant, l’étude de la langue était perçue plu-
tôt dans sa valeur instrumentale, presque jamais accompagnée du souci
de pénétrer profondément dans la culture locale. Il faut signaler cepen-
dant une exception : les travaux ethnographiques de Miguel Allioni sur la
culture des Shuars, rapidement interrompus par sa mort prématurée à l’âge
de trente ans. La culture Shuar basée sur la liberté, l’indépendance, la poly-
gamie et la vengeance était trop différente des attentes des missionnaires,
qui n’avaient rencontré jusqu’alors que des tribus en difficulté existentielle,
soumises à la pression des migrations de colons. L’originalité et les échecs
initiaux de la mission ont rendu nécessaire l’étude d’une culture aussi di-
verse et résistante.69
Des études ethnographiques datant du début de l’après-guerre ont été
réalisées par Don Antonio Colbacchini et Don Cesare Albisetti sur les Bo-
roros, et par Don Luigi Cocco sur les Yanomani.70 L’Enciclopédia Bororo de
Don Albisetti compte quatre volumes avec un dictionnaire étymologique,
69 Cf. J. Botasso, Los salesianos y la educación de los Shuar 1893-1920. Mirando más
allá de los fracasos y los éxitos, in González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal
1880 al 1922, vol. 2, 237-249.
70 Cf. C. Albisetti - O. M. Ravagnan, Tradução/Translation a Aldeia Bororo, in «Per-
spectivas» (1992), 145-157. Ces études ont été reconnues et appréciées également
par Claude Lévi-Strauss et Jacques Lizot, cf. M. Bongianni, Don Bosco nel mondo,
Direzione generale Opere Don Bosco, Roma 1988, vol. 2, 338-339.

12 Pages 111-120

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12.1 Page 111

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 111
une grammaire, des légendes, des noms propres, des chansons et des tra-
ditions. Les tribus du Rio Negro, en particulier les Tucanos, ont également
fait l’objet de nombreuses publications salésiennes.71 Don Giaccaria a pré-
paré la grammaire du dialecte Awen des Xavantes. De nombreux efforts
pour comprendre la culture des peuples indigènes ont vu le jour durant
cette période, mais les nombreuses publications ont souvent été imprimées
plus tard.72 Les salésiens ont déployé des efforts culturels également dans
le domaine des sciences naturelles et de la technologie : construction d’ob-
servatoires météorologiques, de canaux et de machines agricoles, à quoi il
faut ajouter la réalisation de cartes géographiques et de nombreuses photo-
graphies des territoires de mission.
La sensibilité culturelle des missionnaires dans les colonies (par exemple
au Congo et en Inde) les orientait davantage vers le perfectionnement de
la proposition éducative que vers l’étude de la culture locale du point de
vue ethnographique et linguistique. Par exemple, les missionnaires belges
du Congo ont cherché à entrer dans la mentalité des enfants congolais afin
de les éduquer de la manière la plus naturelle pour eux. C’est ainsi qu’ils
accordaient une valeur plus grande à l’intelligence pratique, à la patience et
à la compréhension lors des exercices théoriques. L’environnement éducatif
devait être caractérisé par la fraternité et la solidarité, ressenties comme im-
portantes par les élèves congolais. Il y avait chez eux une tendance innée à
la liberté et à l’esprit de famille, qui s’opposait au système disciplinaire qui
créait une distance entre supérieurs et élèves dans les internats. Les mission-
naires essayaient d’apprécier en éducation les valeurs auxquelles les Congo-
lais étaient plus sensibles, comme le goût du sacré et de la piété, la ritualité,
l’imagination, l’intérêt pour les contes et pour la sagesse des proverbes lo-
caux et, enfin et surtout, un sens très fort de la solidarité et de la fraternité.73
En Inde, l’éducation a été le moyen qui a permis aux salésiens de surmonter
les divisions causées par la religion et le système des castes.
71 Cf. A. Giacone, Trentacinque anni fra le tribù del Rio Uapés. Diari e Memorie 1,
LAS, Roma 1976, 225-229.
72 Cf. R. Farina, Contributi scientifici delle missioni salesiane del Brasile, dans C.
Semeraro (ed.), Don Bosco e Brasilia. Profezia, realtà sociale e diritto, Cedam,
Padova 1990, 154-160.
73 Cf. M. Verhulst, L’éducation des Salésiens au Congo Belge de 1912 à 1925. 13
ans de recherche et d’expérimentation, in J. G. González et al. (eds.), L’educazione
salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, LAS, Roma 2007, 447-466.

12.2 Page 112

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112 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Les années de présence salésienne ont laissé une empreinte indé-
lébile dans le domaine de l’éducation. C’est plutôt par le service de
l’éducation que par l’évangélisation directe qu’ils ont pu franchir les
barrières des castes et des croyances et implanter les valeurs chré-
tiennes. Grâce à une application efficace du système éducatif de
Don Bosco, les salésiens ont été en mesure de réaliser la « conver-
sion des cœurs » plutôt que la « conversion de l’eau ».74
Dans le nord-est de l’Inde, les missionnaires, sous la direction de Mgr
Mathias, ont pu pénétrer plus profondément dans la culture locale. Don
Vendrame, appelé par Mathias « notre François-Xavier », parlait la langue
locale, visitait les maisons une à une, fondait des groupes apostoliques de
femmes (fait important dans la société matrilinéaire des Khasi), utilisait
les moyens de communication sociale tels que le projecteur qu’il emportait
avec lui pour montrer des films catéchétiques, fondait des groupes de ca-
téchistes dans les oratoires festifs des villages.75 En Asie de l’Est, l’effort
d’inculturation dans la mentalité japonaise a caractérisé l’œuvre de Don
Vincenzo Cimatti. Dans sa lettre de 1931, il écrit :
Plus nous aimerons [les âmes], plus nous nous rendrons semblables
à elles à tous égards, ce qui, à mon avis, n’a pas encore été réalisé par
les missionnaires passés et présents, ni par aucune des congréga-
tions étrangères. Si on ne fait pas cela, je suis certain que la conver-
sion du Japon sera retardée de plusieurs siècles. [...] Il est certain que
tant que notre esprit ne sera pas japonais, nous ne réussirons pas.76
Concrètement, vivre la méthode éducative salésienne à la japonaise si-
gnifiait pour lui porter un témoignage personnel et affectueux des valeurs
proposées, avec une attention active aux pauvres. D’où la fondation des
74 M. Kapplikunnel, Their life for youth. History and Relevance of the Early Salesian
Presence in India (Tanjore and Mylapore, 1906-1928), Kristu Jyoti Publications,
Bangalore 1989, 99.
75 Cf. A Journey with the young. A saga of Education, Evangelization and Empower-
ment. Don Bosco India Centenary 1906-2006, Salesian Provincial Conference of
South Asia, New Delhi 2006, 245.
76 V. Cimatti, Lettere di un missionario, a cura di A. Crevacore, LDC, Leumann (TO)
1976, 84.

12.3 Page 113

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 113
Conférences de Saint-Vincent de Paul et plus tard des Sœurs de Miyazaki.
Il privilégiait le style relationnel « un par un », plutôt que le travail avec
les grands groupes, et il créait des structures éducatives souples. Ce style
éducatif particulier s’accompagnait de l’insertion concrète dans la culture
populaire à travers des initiatives variées : la traduction de l’Évangile en
langage courant réalisée par Don Margiaria dès 1930, une collection en six
volumes de pièces de théâtre catholiques en japonais et surtout la musique.
Plus de mille concerts ont fait connaître l’œuvre salésienne et la musique a
été la plate-forme de l’inculturation typique de Don Cimatti, qui a produit
environ quatre cents compositions musicales en japonais.77
2.1.7. Nouveaux types de présence salésienne
Du vivant de Don Bosco, pas une seule œuvre correctionnelle n’a été
ouverte, mais il est intéressant de suivre les discussions sur ce sujet. En
1885, les responsables d’une « maison de correction » à Madrid ont offert
aux salésiens la direction de la maison. La proposition fut discutée plu-
sieurs fois au Conseil général. Les salésiens proposèrent de changer l’iden-
tité « correctionnelle » en créant d’abord un établissement normal dans
lequel on intégrerait ensuite les jeunes qui avaient été condamnés. Mais
cette proposition ne fut pas acceptée par Madrid et le dossier fut clos.78 Un
autre pas dans la direction des œuvres « correctionnelles » fut fait plus tard
en Patagonie. Le Président de l’Argentine, en accord avec Mgr Cagliero, fit
un décret en 1894 dans lequel il décidait de confier les jeunes délinquants
du sud de la Patagonie à la garde des salésiens et des FMA en raison du
manque de prisons ou d’autres structures appropriées sur le territoire. Les
FMA mirent fin à cette expérience au bout de dix ans pour des raisons
de discipline, rébellion et autres désagréments.79 En Europe, cependant,
77 Cf. G. Fedrigotti, Il Sistema preventivo di Don Bosco nell’interpretazione di Vin-
cenzo Cimatti (1879-1965), LAS, Roma 2003, 135-152.
78 Cf. P. Braido, Prevenire non reprimere. Il sistema educativo di don Bosco, LAS,
Roma 1999, 221–226.
79 Cf. E. Ginobili - L. Carlone, La construcción de la educación integral de la mujer
en la Patagonia por las FMA (1880-1922): núcleo multiplicador del evangelio, in
González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 2, 24.

12.4 Page 114

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114 Pédagogie salésienne après Don Bosco
une maison de correction futé ouverte à Ljubljana en 1901. Cette première
maison salésienne en Slovénie, qui prit le nom d’Institut Saint-François-
de-Sales, devint un lieu d’accueil pour les jeunes qui avaient été expulsés
des écoles primaires publiques en raison de leur indiscipline ou de leur
incapacité dans les études.80 En général, les institutions correctionnelles
furent plutôt une exception chez les salésiens ; il faut attendre 1955 pour
voir des développements et des adaptations significatives du système pré-
ventif dans cette direction, lorsque les salésiens acceptèrent la direction de
l’œuvre d’Arese, qui devient un paradigme.
Les discussions sur l’éducation des handicapés et des malades avaient
commencé également durant les dernières années de la vie de Don Bosco.81
En 1909, Don Rua décida que les salésiens accepteraient la direction d’une
maison pour sourds-muets à Naples-Tarsia, après quelques changements et
déplacements de l’œuvre.82 La première transformation décidée par Don
Crippa fut l’abolition de la quête, qui avait deux objectifs : ne pas former
le sourd-muet à la mendicité et ne pas tromper la charité des bienfaiteurs.
Cette mesure conduisit, d’une part, au renvoi des frères mendiants et,
d’autre part, à une série de communications aux bienfaiteurs, expliquant le
changement de direction, les modifications des activités et la possibilité de
contribuer directement à la gestion de l’institut.83 Les sourds-muets purent
se consacrer davantage aux activités de l’école et des ateliers. La méthode
des signes fut abolie et on adopta la méthode orale de l’abbé Giulio Tarra
et du professeur Antonio Hecker à l’école et dans la catéchèse. Après les
classes primaires, les élèves suivaient pendant cinq ans des cours de pein-
ture et de décoration, d’arts plastiques et de sculpture, de gravure, de cou-
ture, de cordonnerie et d’imprimerie. Déjà lors de la visite canonique de
1914 on a pu écrire : « L’institut des sourds-muets a pris le caractère d’un
collège bien tenu, contrairement à ce qu’il était auparavant, c’est-à-dire un
80 Cf. S. Zimniak, Salesiani nella Mitteleuropa. Preistoria e storia della provincia Au-
stro-Ungarica della Società di S. Francesco di Sales (1868 ca.-1919), LAS, Roma
1997, 119–120.
81 Procès-verbal du Chapitre Supérieur (27 décembre 1884), dans ASC D869.
82 Cf. Procès-verbal du Chapitre supérieur (17 septembre 1910), dans ASC D870.
83 Cf. F. Casella, I salesiani e la “Pia Casa Arcivescovile” per i sordomuti di Napoli
(1909-1975), LAS, Roma 2002, 40-43.

12.5 Page 115

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 115
affreux foyer de mendicité ».84
Ailleurs dans le monde, les salésiens travaillèrent avec succès auprès
des lépreux. En 1891, Don Michel Unia fonda pour eux une œuvre à Agua
de Dios, en Colombie.85 Il fut soutenu dans sa difficile entreprise par Don
Rua, qui écrivait plus tard de sa propre main « aux chers lépreux ». L’œuvre
comprenait une maison d’enfants, un grand hôpital et une église restaurée.
En plus du travail ordinaire au service des enfants et de la catéchèse, on y
déployait un effort considérable pour organiser des fêtes et de la musique
afin de soulager la situation difficile de la léproserie. Don Unia mourut
épuisé par le travail en 1895. Ses successeurs furent Don Crippa et Don
Variara. Ce dernier fonda une congrégation de femmes lépreuses pour le
soin des malades. Un autre salésien, Don Rabagliati, entreprit une action
impressionnante en faveur des lépreux soutenue par les autorités locales :
il fut élu président de la commission gouvernementale pour la construction
de léproseries.86
L’œuvre éducative des salésiens et des FMA a profité en outre de la
création de nouveaux instituts et associations appartenant à la famille salé-
sienne. L’éducation des jeunes adultes, en vogue à époque, prit consistance
grâce aux associations d’Anciens Elèves de Don Bosco et d’Anciennes
Elèves des FMA, promues par Don Rinaldi et formellement érigées en
1908. D’autres instituts et congrégations ont vu le jour par la suite dans le
but d’élargir le champ de l’éducation salésienne sur place. À l’exception des
Salésiennes Oblates du Sacré-Cœur de Jésus, nées en Sicile en 1933, les
nouvelles congrégations féminines étaient le fruit du travail missionnaire
des salésiens. Elles étaient conformes aux directives de l’encyclique Rerum
Ecclesiae de Pie XI de 1928 ; s’adressant aux préfets apostoliques des pays
de mission, le pape encourageait la fondation de nouvelles congrégations
composées de religieuses autochtones.87 Il convient également de noter
84 Napoli - Tarsia, Rendiconto di don Francesco Tomasetti al Retor Maggiore (1er
juillet 1914), in ASC F657.
85 Cf. J.J. Ortega Torres, La Obra salesiana en los lazaretos, Escuelas Gráficas Sale-
sianas, Bogotá 1938.
86 Cf. M. Wirth, Da Don Bosco ai nostri giorni, 298.
87 Ce sont: les Sœurs de la Charité de Miyazaki (Japon 1937); les Servantes du Cœur
Immaculé de Marie (Thaïlande 1937), les Sœurs Missionnaires de Marie Auxilia-
trice (Inde 1942), et les Sœurs Catéchistes de Marie Immaculée Auxiliatrice (Inde
1948).

12.6 Page 116

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116 Pédagogie salésienne après Don Bosco
que la création de nouvelles communautés religieuses a pu être considérée
comme une solution pour surmonter les difficultés de collaboration entre
les salésiens et les FMA.88
2.2. Le magistère des Supérieurs généraux sur l’adapta-
tion flexible aux conditions réelles
Le développement du charisme salésien dans les oratoires illustre très
bien deux tendances qui se cristallisaient au fil du temps : l’adaptation pra-
tique à la situation sociale et à la jeunesse d’une part, et la rigidité conser-
vatrice dans le domaine des reformulations du règlement et du système
préventif d’autre part. En plus de l’approche typique de Don Bosco, os-
cillant entre doctrine traditionnelle et pratique innovante, différentes va-
riables contextuelles et ecclésiales ont joué un rôle dans le développement
des tendances, comme la lutte antimoderniste à l’intérieur et la défense
contre les politiques anticléricales dans différentes nations à l’extérieur.
Du point de vue opérationnel, il est également compréhensible qu’au sein
des collèges on ait donné la priorité à la fidélité, tout en s’efforçant de
mettre à jour les processus, les rôles et les prescriptions. Dans l’oratoire,
par contre, la situation était différente : étant un système ouvert, avec des
fluctuations plus grandes et plus rapides du nombre de jeunes présents, une
adaptation flexible aux besoins immédiats du contexte était une nécessité.
La manière typique d’éduquer était liée au concept appelé « esprit salé-
sien », interprété comme un mode de vie dans lequel confluaient les aspects
spirituels, pastoraux et éducatifs. Grâce aux souvenirs d’une génération qui
avait encore vécu avec Don Bosco, l’esprit salésien était perçu comme une
réalité concrète, décrite sur un ton enthousiaste, et confirmée par le procès
de béatification qui s’est achevé en 1929. Parmi les deux recteurs majeurs
88 Cf. par exemple M. Kapplikunnel, The implantation of the salesian charism in
the Region: ideals, challenges, answers and results. Seminario ACSSA, Batulao
(Manila, Philippines) 24-28 November 2008, in «Ricerche Storiche Salesiane» 52
(2008) 2, 421.

12.7 Page 117

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 117
dont il est question dans ce chapitre, Don Paolo Albera est celui qui a da-
vantage mis l’accent sur l’aspect de la spiritualité salésienne, tandis que
Don Filippo Rinaldi a incarné l’idéal d’une paternité vécue dans l’apostolat
auprès de la jeunesse et partagée au sein de la famille salésienne.
2.2.1. Les équilibres proposés par Paolo Albera autour de la fidélité
et de la piété en éducation
Le second successeur de Don Bosco n’a pas dévié de la ligne fonda-
mentale de la fidélité à Don Bosco et à Don Rua. Il a situé ses interventions
autour des caractéristiques de sa propre sensibilité et de son expérience
antérieure de catéchiste général. Dans sa première lettre circulaire à ses
confrères, il cite les paroles que Pie X lui a adressées dans l’audience qui a
suivi son élection : « Vous n’avez rien d’autre à faire que de suivre les traces
de Don Rua. C’était un saint. En toutes choses, faites comme il aurait fait
lui-même. Ne vous écartez pas des coutumes et traditions introduites par
Don Bosco et Don Ru ».89 L’une des convictions les plus profondes de Don
Albera était que Don Bosco était un saint, « vraiment l’homme de Dieu,
homo Dei, dans le sens le plus expressif et le plus complet du terme ».90
L’argument qui voit dans la sainteté de Don Bosco une motivation pour vivre
fidèlement ses traditions éducatives et spirituelles concrètes est présent dans
ses circulaires en même temps que le thème de l’exemplarité. Plus tard, cette
logique atteindra son apogée dans les publications de Don Pietro Ricaldone,
qui profitera du consensus et de l’enthousiasme de la canonisation pour pro-
poser des indications d’action détaillées et très concrètes.
Être fidèle à cette approche signifiait vivre pratiquement selon le sys-
tème préventif et fuir concrètement « toute nouveauté dans nos pratiques
89 P. Albera, L’XI Capitolo Generale - Elezione del nuovo Rettor Maggiore - In udien-
za dal Papa Pio X - Programma da lui tracciato - Notizie varie, in Lettere circolari
di D. Paolo Albera ai Salesiani, SEI, Turin 1922, 15.
90 P. Albera, Don Bosco nostro modello nell’acquisto della perfezione religiosa,
nell’educare e santificare la gioventù, nel trattare col prossimo e nel far del bene
a tutti. Circulaire du 18 octobre 1920, in Lettere circolari di D. Paolo Albera, 342.
Pour l’importance de la sainteté de Don Bosco, cf. J. Boenzi, Paolo Albera’s Ins-
tructions. Early Efforts to Inculcate the Spirit of Don Bosco, in ­«Journal of Salesian
Studies» 13 (2005) 2, 106-111.

12.8 Page 118

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118 Pédagogie salésienne après Don Bosco
religieuses, tout changement dans l’emploi du temps de la journée, toute
maxime, tout dicton, toute manière de faire que Don Bosco et Don Rua
n’auraient pas approuvés ».91 Don Albera a répété plusieurs fois le leitmotiv
tene quod habes, qui fait référence à l’héritage immense et fructueux laissé
par Don Rua et Don Bosco. L’adjectif « notre » et ses variantes reviennent
très souvent dans le vocabulaire d’Albera : le système préventif est notre
affaire, c’est-à-dire notre façon d’éduquer et d’instruire les jeunes ;92 des
expressions comme notre Congrégation, nos Constitutions, notre esprit,
etc. caractérisent le précieux héritage laissé par « notre » Don Bosco.
Dans le contexte de la fidélité, il est intéressant de voir comment Albera
ne réduit pas l’œuvre et l’exemple du fondateur et de son prédécesseur à
la simple répétition de traditions réglementées. En effet, il consacre une
circulaire entière au thème du formalisme légaliste, en soutenant qu’il ne
suffit pas de remplir le strict devoir des prescriptions, car cela forme une
mentalité de « médiocrité systématique de la conduite que certains aiment
appeler légalité ».93 Visant une logique d’excellence, il propose le principe
évangélique duc in altum :
À celui qui sent qu’il a travaillé en vain dans la médiocrité Notre
Seigneur répète : poussez votre barque en haute mer, c’est-à-dire
lancez-vous avec ardeur dans le vaste champ de la perfection, ne
limitez pas vos fatigues au strict nécessaire, soyez grandioses dans
vos aspirations, quand il s’agit de la gloire de Dieu et du salut des
âmes, éloignez-vous de la plage qui rétrécit tant votre horizon, et
vous verrez combien la prise d’âmes sera abondante, et combien de
consolations viendront dans votre cœur.94
Les principes directeurs de la fidélité créative à l’exemple de Don Bos-
co sont principalement le sens de la relation et la piété. On en trouve la
confirmation tant dans les lettres circulaires que dans les instructions des
91 P. Albera, L’XI Capitolo Generale, 20-21.
92 Ibid., 20.
93 P. Albera, Contro una riprovevole “legalità”. Circulaire du 25 juin 1917, in Lettere
circolari di D. Paolo Albera, 231.
94 Ibid., 239.

12.9 Page 119

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 119
retraites qu’il avait prêchées quand il était encore catéchiste général.95 La
relation est mentionnée par Albera comme le premier trait typique de Don
Bosco dans sa lettre en forme de synthèse intitulée Don Bosco notre mo-
dèle dans l’acquisition de la perfection religieuse, dans l’éducation et la
sanctification des jeunes, dans la manière de traiter le prochain et de faire
du bien à tous. Le recteur majeur propose de faire revivre Don Bosco en
évoquant sa douce image paternelle, sa tendresse, son sourire charmant et
inoubliable. Utilisant l’anthropologie de l’amour, avec de fréquentes réfé-
rences à saint François de Sales, il souligne la relation avec autrui comme
étant liée au concept de cœur. Il affirme que « c’est donc avant tout dans le
cœur qu’il se forme, et il se forme en aimant ».96 Même si Albera se déplace
avec aisance dans le panorama des principes de la théologie spirituelle,97
les considérations sur l’amour et la charité ne sont pas exposées à partir de
concepts théologiques, qui auraient ensuite des implications dans la for-
mation, mais sont avant tout des concepts tirés de l’expérience. Le recteur
majeur part du souvenir vivace d’avoir été aimé d’une manière qu’il n’avait
jamais connue auparavant,
Elle était singulièrement supérieure à toute autre affection : elle nous
enveloppait presque entièrement dans une atmosphère de conten-
tement et de bonheur, d’où étaient bannis le chagrin, la tristesse et
la mélancolie. [...] Aussi, dès qu’il eut conquis nos cœurs, il les fa-
çonna à sa guise avec son système (entièrement sien dans la façon
dont il le pratiquait), qu’il appela préventif par opposition à répressif.
Mais ce système - comme il le déclara lui-même dans les dernières
années de sa vie mortelle - n’était rien d’autre que la charité, c’est-à-
dire l’amour de Dieu qui s’élargit pour embrasser toutes les créatures
humaines, surtout les plus jeunes et les plus inexpérimentées, pour
leur inculquer la sainte crainte de Dieu.98
La relation salésienne peut être très forte dans la mesure où elle vise une
95 Cf. Boenzi, Paolo Albera’s Instructions, 127-131.
96 Albera, Don Bosco, nostro modello nell’acquisto della perfezione religiosa, 340.
97 Cf. J. Boenzi, Reconstructing don Albera’s readings list, dans «Ricerche Storiche
Salesiane» 33 (2014) 63, 203-272.
98 Ibid., 341-342.

12.10 Page 120

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120 Pédagogie salésienne après Don Bosco
éducation éminemment surnaturelle, qui transforme le cœur des jeunes en leur
inculquant un « désir très vif de sauver leur âme ».99 Autour des concepts de
charité et de piété, Albera élabore un raisonnement pas trop éloigné de l’idée de
zèle chère à son prédécesseur. Dans la lettre qui accompagne la publication des
lettres de Don Rua, le zèle est mis en évidence comme la première caractéris-
tique de l’œuvre éducative : « Parmi les vertus qui brillaient de la plus vive lu-
mière dans la vie de notre vénérable père et maître, Don Rua disait qu’aucune
ne l’avait frappé autant que le zèle infatigable dont son cœur semblait toujours
enflammé, et ce zèle semblait être le but spécial qu’il voulait reproduire en lui-
même ».100 Le zèle concrétisé dans les multiples activités des salésiens consti-
tue le point de départ et l’argument de la deuxième lettre programmatique sur
l’esprit de piété, qui va au-delà de la conception de Don Rua :
Qui parmi nous n’a pas entendu mille fois parler de l’esprit d’ini-
tiative et d’action des salésiens ? [...] Cependant, en vous parlant
avec le cœur sur la main, j’avoue que je ne peux me défendre de la
pensée douloureuse et de la crainte que cette activité tant vantée des
salésiens, ce zèle qui a semblé jusqu’ici inaccessible à tout découra-
gement, ce chaleureux enthousiasme qui a été soutenu jusqu’ici par
des succès continuels, n’échouent un jour s’ils ne sont pas fécondés,
purifiés et sanctifiés par une vraie et forte piété.101
La piété se distingue cependant des seuls devoirs religieux : « c’est en
vertu de la piété que nous ne nous contentons plus du culte pieux, je dirais
presque officiel, que la religion nous impose, mais que nous sentons le
devoir de servir Dieu avec cette tendre affection, cette délicatesse atten-
tionnée, cette dévotion profonde, qui est l’essence de la religion ».102 La
99 Ibid., 345.
100 P. Albera, Sullo spirito di pietà. Lettre du 15 mai 1911, in Lettere circolari di D.
Paolo Albera, 22.
101 Ibid., 22-26. Du point de vue de la piété, et toujours dans les circonstances de l’ex-
pansion de la Congrégation, Don Albera met en garde également contre une idée
de « faux zèle » qui ne respecte pas la tradition, n’est pas en accord avec le vœu
d’obéissance, ou fait négliger la formation des éducateurs salésiens. Cf. P. Albera,
Sulla disciplina religiosa. Lettre du 25 décembre 1911, dans Lettere circolari di D.
Paolo Albera, 69-74.
102 P. Albera, Sullo spirito di pietà, 27.

13 Pages 121-130

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13.1 Page 121

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 121
piété, en tant qu’âme du véritable zèle, a également des implications dans
le domaine de l’éducation. Il ne suffit pas de soigner les pratiques de piété,
qui doivent de toute façon être celles prescrites et non augmentées, mais
les éducateurs sont également tenus d’être profondément enracinés dans la
piété. D’où l’importance de l’exemple comme ligne de base d’Albera pour
une méthodologie pédagogique typiquement salésienne :
Tout le système d’éducation enseigné par Don Bosco est basé sur
la piété. Si la piété n’était pas correctement pratiquée, nos institu-
tions seraient dépourvues de tout ornement, de tout prestige et de-
viendraient bien inférieures aux institutions laïques elles-mêmes.
Nous ne pourrions pas inculquer la piété à nos élèves si nous n’en
étions pas nous-mêmes abondamment pourvus. L’éducation que
nous donnerions à nos élèves serait fade, puisque le moindre souffle
d’impiété et d’immoralité détruirait en eux ces principes que, avec
tant de sueurs et de longues années de travail, nous avons essayé
d’imprimer dans leur cœur. Si le salésien n’est pas profondément
pieux, il ne sera jamais apte à sa tâche d’éducateur. Mais la meilleure
façon d’enseigner la piété est de donner l’exemple.103
La perspective de la piété incitera le recteur majeur, vers la fin de son
rectorat, à affirmer que « le système éducatif de Don Bosco, pour nous
qui sommes convaincus de l’intervention divine dans la création et le dé-
veloppement de son œuvre, est une pédagogie céleste ».104 Même avec un
changement de terminologie, l’approche de base décrite par Don Rua n’a
pas changé de manière significative. Le contenu des lettres circulaires sur
l’éducation tourne autour des lignes principales de la fidélité au système
préventif : la douceur mais aussi la discipline, le respect des rôles éduca-
tifs dans la maison salésienne, les objectifs exprimés dans le binôme bons
chrétiens - honnêtes citoyens (en intégrant aussi les deux termes), la pro-
motion des études classiques mais aussi des oratoires et des anciens élèves
(appelés prodiges de la pédagogie moderne).
103 Ibid., 32.
104 P. Albera, Per l’inaugurazione del Monumento al Venerabile D. Bosco. Lettre du
6 avril 1920, in Lettere circolari di D. Paolo Albera, 312.

13.2 Page 122

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122 Pédagogie salésienne après Don Bosco
2.2.2. Filippo Rinaldi et la pratique d’une « saine modernité »
Philippe Rinaldi, le troisième successeur de Don Bosco, a vécu et ensei-
gné l’art de la paternité comme l’essence du système préventif. Sa fidélité
aux origines se déplace légèrement du tene quod habes précédent vers une
actualisation plus marquée : « Nous ne devons pas tant nous demander ce
que Don Bosco a fait, mais plutôt ce que Don Bosco ferait aujourd’hui ».105
En se référant à Don Bosco, Don Rinaldi demande un équilibre entre la
préservation décisive de l’esprit et l’adaptation dans les aspects secondaires
: « Il [Don Bosco] a introduit une brillante modernité qui, tout en préser-
vant strictement l’esprit substantiel dans sa méthode éducative, l’empêche
en même temps de se fossiliser dans les choses secondaires qui sont sus-
ceptibles de changer avec le temps ».106 Les applications de ce binôme ne
concernent pas seulement la discipline religieuse, mais aussi le domaine
de l’éducation salésienne. En effet, Don Rinaldi distingue le système ré-
pressif du système préventif également dans le domaine des règlements
qui reflètent en partie l’expérience de Don Bosco. Le premier préfère la
loi minutieuse et inexorable et le second parle du « contenu vital », de la
« connaissance intime », du « véritable esprit » et de la « pratique géné-
reuse » des règles.107 C’est ainsi qu’il peut affirmer le principe d’une saine
modernité :
Notre Société devait savoir s’adapter, dans l’accomplissement de son
œuvre de bienfaisance, aux besoins des temps et aux coutumes des
105 E. Valentini, Don Rinaldi. Maestro di pedagogia e di spiritualità salesiana, Cro-
cetta - Istituto Internazionale D. Bosco, Torino 1956, 6. Note: Le volume de Valen-
tini reproduit les leçons de Filippo Rinaldi aux étudiants en théologie de l’Institut
international de Foglizzo de 1906 à 1914. Cf. également des expressions similaires
appliquées aux missions: F. Rinaldi, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 3 (1923)
20, 105.
106 F. Rinaldi, Giubilei d’oro della Pia Unione dei Cooperatori Salesiani e della Pia
Opera di Maria Ausiliatrice, in ACS 7 (1927) 33, 573. Cf. les expressions similaires
de Paul Albera: « préserver pour la Congrégation cette primauté de saine modernité
qui lui est propre » in Albera, Don Bosco nostra modello nell’acquisto della perfe-
zione religiosa, 334.
107 Cf. la lettre écrite à l’occasion du jubilé d’or des Constitutions dans F. Rinaldi, Let-
tera del Rettor Maggiore, in ACS 5 (1924) 24, 254-255. et Valentini, Don Rinaldi.
Maestro in pedagogia, 11-13.

13.3 Page 123

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 123
lieux : elle devait être progressivement nouvelle et moderne, tout en
conservant sa physionomie particulière d’éducatrice des jeunes par
le système préventif basé sur la douceur et la bonté paternelle.108
Une saine modernité n’exclut pas le souci des traditions, qui occupent
d’ailleurs une place importante dans l’enseignement de Don Rinaldi. Dis-
tinguant les différentes formes d’innovation, il précise que « l’attrait na-
turel pour tout ce qui sent la nouveauté peut conduire à négliger les tra-
ditions, parce qu’on ne se rend pas compte que c’est une chose de courir
après les nouveautés et une autre d’être toujours à l’avant-garde de tous les
progrès, comme le faisait et le voulait Don Bosco ».109 Ici, les traditions ne
sont pas seulement comprises comme des principes, mais aussi comme des
petites coutumes, des horaires et des pratiques. Lors de la rencontre des
directeurs des oratoires festifs d’Europe de 1927, où l’on parla de l’utilisa-
tion judicieuse des clubs de football, des scouts, des jeux comme moyens
d’éducation, du petit théâtre, du cinéma et des activités sociales,110 on n’ou-
blia pas les exhortations à la prudence dans le dialogue pédagogique avec
la culture :
Notre système d’éducation, qui porte le secret de la modernité, ac-
cepte tout ce qui est vraiment chrétien, mais exclut énergiquement
tout ce qui le fait dévier et le corrompt. Le reste, nous le baptisons,
c’est-à-dire que nous le faisons nôtre, ou nous l’abandonnons à
d’autres : caetera tolle ! Ainsi, le football, la radio, le cinéma et les
autres nouveautés récréatives et sportives de ce genre, quand elles
sont nuisibles à l’âme des jeunes, nous devons les traiter de la même
manière que Notre-Seigneur nous ordonne de traiter l’œil qui nous
scandalise : projice abs te.111
108 F. Rinaldi, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 5 (1924) 23, 187.
109 F. Rinaldi, Conserviamo e pratichiamo le nostre tradizioni, in ACS 12 (1931) 56,
937.
110 Cf. F. Rinaldi, Resoconto del convegno tenuti dai Direttori degli Oratori festivi
d’Europa a Valsalice dal 27 al 30 Agosto 1927, in ACS 8 (1927) 41, 609-611. Cf.
également Valentini, Don Rinaldi. Maestro di pedagogia, 53-58.
111 F. Rinaldi, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 10 (1929) 50, 800.

13.4 Page 124

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124 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Une réflexion très intéressante de Filippo Rinaldi concerne le rapport
entre la modernité et le système préventif de Don Bosco. Dans ses cours de
pédagogie à Foglizzo, il expliquait succinctement que le « système répres-
sif est basé sur le libéralisme ! Il y a la loi : celui qui veut la pratiquer doit le
faire librement ; mais il sera puni chaque fois qu’il ne le fera pas ».112 L’ar-
gumentation montre ensuite comment la modernité libérale-démocratique
est liée à un concept de liberté naïve qui se plie aux passions et aboutit soit
au chaos, soit à la répression.
Un exemple concret du lien entre l’anthropologie moderne et la répres-
sion était présent à cette époque dans les écoles salésiennes en Angleterre.
Dans le contexte britannique, la tradition des pensionnats n’avait pas été
influencée par la pédagogie « continentale » de Rousseau et les pension-
nats anglais étaient tristement célèbres pour les brimades et les châtiments
corporels.113 Dans la tradition pédagogique anglaise, on préférait que le
jeune soit laissé à sa propre initiative et à sa propre conscience, de sorte que
l’assistance salésienne était très probablement perçue comme un contrôle
limitatif qui ne favorisait pas la responsabilité personnelle. Les salésiens
d’Angleterre ont eu du mal à surmonter ces difficultés initiales, qui décou-
laient de la mentalité libérale et étaient encore accrues par les ambiguïtés
linguistiques. En effet, l’expression système préventif ne rend pas le sens
du concept italien, car, en se référant à un contexte sémantique de diffé-
rentes formes de répression et de contrôle, elle renvoie à un phénomène
négatif à prévenir.114
Dans ce contexte, on comprend l’insistance de Don Rinaldi sur la mo-
dernité « saine » qui s’enracine dans les fondements de l’esprit salésien
corroborés par le passage du temps. Grâce à la sécurité et à la cohérence de
ses racines, l’éducation salésienne est capable de s’adapter « génialement »
dans ses formes, ses expressions, ses applications et son organisation au
contexte et aux jeunes du monde actuel. L’attitude de Rinaldi peut donc
être considérée comme une modernité faite d’innovations pratiques qui fait
fi de l’anthropologie moderne.
112 Valentini, Don Rinaldi. Maestro di pedagogia, 20.
113 Cf. W.J. Dickson, Prevention or repression. The reception of Don Bosco’s educa-
tional approach in English Salesian Schools, in González et al. (eds.), L’educazione
salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, 216.
114 Cf. Ibid., 231-233.

13.5 Page 125

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 125
2.2.3. Approche pédagogique de la nouveauté du système préventif
Le système préventif de Rinaldi, en continuité avec ce que nous avons
traité précédemment, n’est pas nouveau au plan des idées. La nouveauté
« est dans les moyens et dans l’application pratique que Don Bosco en a
fait ».115 Dans ses cours à Foglizzo, Rinaldi a présenté le principe préventif
de base : mettre les élèves dans l’impossibilité de commettre des fautes.
Pour suivre le principe, qui n’est pas nouveau en soi, de ne pas étouffer
le jeune, de ne pas lui enlever sa liberté mais de l’éduquer, Don Bosco a
proposé une nouvelle hiérarchie, un nouvel environnement, de nouveaux
locaux et une série de nouveaux moyens (cf. diagramme B).
Le concept de nouvelle hiérarchie se justifie à la fois par l’équilibre
entre les rôles principaux du directeur, du préfet et du catéchiste et par le
nouveau style d’exercice du service de l’autorité qui consiste à vivre conti-
nuellement parmi les jeunes et à partager avec eux les espaces et les temps
de travail, d’étude et de récréation. Le nouvel environnement est créé par
l’esprit de famille qui considère les jeunes comme des collaborateurs de
l’éducation. Il ne s’agit pas d’auto-éducation, mais plutôt de les rendre res-
ponsables de leur « formation par la participation à l’autorité ».116 Une ex-
pression concrète de ce principe sont les compagnies, un sujet de discus-
sion dans le contexte des années 1920 et aussi un thème cher à Rinaldi. Les
nouveaux locaux sont conçus pour l’éducation salésienne, ils doivent être
grands tant pour faciliter l’assistance que pour donner la possibilité de se
retrouver tous ensemble en famille. Rinaldi propose également une « gran-
diosité » des maisons, des fêtes, de la chorégraphie, qui fomente intention-
nellement « l’enthousiasme pour les grandes idées, pour les grands idéaux,
pour les grands hommes, pour les choses qui se font dans la maison et qui
paraissent extraordinaires à leurs yeux ».117 Dans ses conférences et ses in-
terventions ultérieures, il entre ensuite dans le sujet concernant l’utilisation
éducative et salésienne des nombreuses médiations hétérogènes que l’on
peut regrouper sous la rubrique des moyens nouveaux : la gymnastique,
la musique, la déclamation, le théâtre, la bonne nuit, les corrections faites
dans un esprit de charité et, enfin, les punitions.
115 Valentini, Don Rinaldi. Maestro di pedagogia 21.
116 Ibid., 25.
117 Ibid., 27.

13.6 Page 126

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126 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Diagramme B : Le système préventif dans les leçons de Don Rinaldi à Foglizzo.
2.2.4. Paternité et union à Dieu comme fondements de l’éducation
salésienne
Même si Rinaldi a proposé sa synthèse du système préventif dans les
leçons de Foglizzo, les clés de base pour la lecture de ses lignes pédago-
giques sont à trouver ailleurs, et non dans une approche théorique. Dans
sa première lettre circulaire en tant que recteur majeur, il expose les carac-
téristiques de l’esprit que Don Bosco a insufflé à la Congrégation, en les
résumant dans l’affirmation suivante : « En un mot, chacun voulait revivre
sa paternité attrayante, qui ne traitait jamais personne de manière abrupte,
mais savait aider chacun avec douceur à se rendre meilleur et à tendre
vers la perfection ».118 Pour le recteur majeur la paternité est un mot qui
résume toute l’action de Don Bosco. Elle se rattache aux traditions dites
« paternelles », vécues et transmises aux générations futures à travers une
118 F. Rinaldi, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 3 (1922) 14, 6.

13.7 Page 127

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 127
formation plus pratique et par osmose qu’intellectuelle.119 Dans ce sens, sa
première lettre demande une confirmation pour savoir « si dans les mai-
sons on pratique exactement toutes les traditions paternelles, en ce qui
concerne l’étude, l’église, le réfectoire, la cour, la promenade, etc. ; et sur-
tout si on vit toujours au milieu des jeunes d’une manière familière, parce
que c’est ainsi que l’on corrige les défauts, que l’on remédie aux désordres
et que l’on forme les caractères chrétiens ».120
Fidèle à sa conviction de l’importance de la pratique, Don Rinaldi n’ex-
pose pas une théorie de la paternité, mais recommande d’imiter la paternité
de Don Bosco, dont il devint lui-même une image authentique et vivante.
Vers la fin de son rectorat, dans sa lettre sur les traditions salésiennes, il
résume dans la même catégorie l’héritage de Don Bosco, déclaré « Bien-
heureux » depuis peu : « Une autre tradition, la plus importante et la plus
vitale pour nous, est la paternité. Notre fondateur n’a jamais été autre chose
qu’un père, au sens le plus noble du terme ».121 Le contenu des applications,
suivant la mentalité pratique de Don Rinaldi, n’est pas très éloigné des
mises en œuvre proposées par Don Rua autour du concept de zèle. La pa-
ternité qui se donne totalement et le zèle apostolique se réfèrent avant tout
à la figure du directeur salésien :
L’exercice extérieur de cette paternité est nominalement transmis au
directeur de la maison, non seulement pour qu’il la conserve, mais
pour qu’il l’exerce selon les enseignements et les exemples du Bien-
heureux. Or, cette tradition de paternité du directeur, le Bienheu-
reux l’a transmise à ses directeurs unie à l’action et aux réalités les
plus sublimes de la régénération spirituelle dans l’exercice du pou-
voir divin de pardonner les péchés.122
Le lien presque direct entre la paternité salésienne du directeur et son
ministère de confesseur s’est heurté à l’interdiction de « confesser ses
119 Cf. P. Braido, Don Bosco prete dei giovani nel secolo delle libertà, vol. 2, LAS,
Roma 2003, 233-271 et P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica,
vol. 2: Mentalità religiosa e spiritualità, LAS, Roma 1981, 470-474.
120 F. Rinaldi, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 3 (1922) 14, 6.
121 F. Rinaldi, Conserviamo e pratichiamo le nostre tradizioni, 939-940.
122 Ibid., 940.

13.8 Page 128

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128 Pédagogie salésienne après Don Bosco
sujets ». Don Rinaldi affirme que « sous le prétexte d’éviter tout inconvé-
nient, on a d’abord outrepassé les dispositions du décret : les directeurs ont
même renoncé à confesser les jeunes, ce qui n’est nullement interdit à tout
prêtre approuvé, quelle que soit la position qu’il occupe dans l’institut ».123
Il signale également, en souhaitant un changement, une autre mauvaise
application des règles sur la confession dans les oratoires, à savoir que
les directeurs d’oratoires ne confessent pas leurs jeunes.124 Percevant un
affaiblissement de la tradition de la paternité, le recteur majeur demande :
Revenez à l’objectif qui, selon l’esprit et le cœur de notre bienheureux
Père, doit être le premier et le plus important pour le père directeur.
Soyez vraiment des pères de l’âme de vos jeunes. N’abdiquez pas
votre paternité spirituelle, mais exercez-la, soit en vous occupant
de vos sujets en faisant des conférences régulières pour tous, et en
particulier pour les diverses compagnies religieuses ; puis en trou-
vant le moyen de vous entretenir en privé avec chacun, afin de pou-
voir dire que vous possédez leurs cœurs : soit en vous réservant les
confessions des jeunes de l’oratoire et du dehors.125
Un concept important qui caractérise le rectorat de Filippo Rinaldi
dans la lignée de son prédécesseur est exprimé dans sa deuxième lettre
circulaire. Racontant son audience avec Pie XI en juin 1922, il propose
« l’union avec Dieu » comme condition de base qui s’inscrit dans la conti-
nuité des directives d’Albera sur les fondements du zèle et du travail. Le
Pape, qui a admiré la bonté singulière et le calme inaltérable de Don Bosco
dans les diverses épreuves comme des signes précieux de son union par-
faite avec Dieu, proposa comme programme à Rinaldi l’union du travail et
de la prière: « Ora et labora a toujours été le mot d’ordre des saints : qui,
en cela aussi, n’ont fait que se modeler sur les exemples de Notre-Seigneur
Jésus-Christ. Pour que le travail soit profitable, il doit se conjuguer avec
une union incessante et intime avec Dieu... ».126
L’union avec Dieu devient une des perspectives dominantes pour
123 Ibid., 941-942.
124 Rinaldi, Resoconto del convegno tenutosi dai Direttori degli Oratori festivi, 596.
125 Rinaldi, Conserviamo e pratichiamo le nostre tradizioni, 942.
126 F. Rinaldi, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 3 (1922) 15, 17.

13.9 Page 129

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 129
comprendre la sainteté de Don Bosco et le secret de son immense activité.
En effet, c’est sous le rectorat de Don Rinaldi que se sont déroulées les
dernières étapes du procès de canonisation, au cours desquelles ont été
abordées et rediscutées les animadversiones classiques sur la question de
savoir comment (et si) Don Bosco priait au milieu de tant d’occupations.127
Le procès, qui a culminé avec la béatification de 1929, a vu un Don Bosco
à l’œuvre parce qu’il était intimement uni à Dieu. Eugenio Ceria a affirmé
à plusieurs reprises comment il avait puisé chez Don Rinaldi l’inspiration
pour la rédaction du volume qui résume la synthèse entre intériorité et ac-
tivité, devenu un classique de la littérature salésienne.
L’union avec Dieu est le lieu herméneutique de la recherche d’un équi-
libre entre la « saine modernité » et la nécessité de « baptiser » le divertis-
sement et de préserver « rigidement » l’esprit originel. Dans sa deuxième
lettre circulaire, l’union avec Dieu est liée avec insistance à la sanctifica-
tion comme « but premier de la profession religieuse, tout le reste n’étant
qu’un moyen. Les œuvres les plus grandes et les plus louables perdent
toute chaleur si nous ne les accomplissons pas pour notre propre sancti-
fication ».128 Lors de son audience avec Pie XI, Don Rinaldi lui présenta
un argument intéressant sur la recherche de stimuli pour vivre la synthèse
entre le travail (y compris le travail éducatif) et la prière :
J’ai rappelé au Saint-Père comment Don Bosco, par ses paroles et son
exemple, inculquait continuellement à ses fils le travail et la prière,
comment il était toujours uni à Dieu même au milieu des occupations
les plus sérieuses, et je lui ai demandé de vouloir donner aux Salé-
siens, aux Filles de Marie-Auxiliatrice, à leurs élèves, anciens élèves
et coopérateurs, un stimulant efficace qui les aide à être chaque jour
plus actifs et en même temps plus unis au Seigneur. Je lui ai dit alors
qu’à mon avis, un moyen très efficace de les aider et de les pousser
tous dans cette voie serait de leur accorder une indulgence spéciale
à gagner chaque fois qu’ils accompagnent le travail, l’enseignement,
l’assistance, etc. avec une invocation pieuse.129
127 Cf. P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica, vol. 3: La canoniz-
zazione (1888-1934), LAS, Roma 1988, 198-.199.
128 F. Rinaldi, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 3 (1922) 15, 18.
129 Ibid., 16.

13.10 Page 130

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130 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Don Rinaldi a mis l’accent sur l’union avec Dieu également dans les
directives qu’il a adressées aux Filles de Marie Auxiliatrice. Les indica-
tions les plus originales et les plus fécondes sont contenues dans l’étrenne
annuelle, dans laquelle le recteur majeur propose un itinéraire de vie spi-
rituelle riche mais simple.130 Il se place dans la perspective de l’union avec
Dieu vécue par Don Bosco, qui devient l’élément transversal de toutes
les étrennes. Dans l’étrenne de 1921, particulièrement significative parce
qu’elle précède le jubilé de l’Institut des FMA, Don Rinaldi présenta Don
Bosco comme le père qui a su unir l’apostolat le plus actif à l’union la plus
profonde avec Dieu. Dans cette ligne, la pratique de l’union avec Dieu est
offerte aux FMA comme une directive spéciale à l’occasion du 50e anni-
versaire de la fondation de l’Institut.131 Ces idées de principe, exprimées
dans les étrennes, peuvent être interprétées à la lumière des interventions
du successeur de Don Bosco dans les trois chapitres généraux des FMA,
dans lesquels il répondait généralement de manière simple et concrète aux
questions concernant les problèmes éducatifs, disciplinaires et d’organi-
sation, en traduisant intelligemment les enseignements et les exemples du
fondateur dans la sensibilité et la psychologie féminines.132 Dans l’étrenne
de 1931, il parle en ces termes de la « contemplation active » de Don Bosco :
Le Bienheureux a construit sa vie intérieure, simple, évangélique,
pratique, laborieuse, uniquement orientée vers l’accomplissement
de la volonté divine ; [...] une vie intérieure d’une activité mer-
veilleuse, extraordinaire, pour le bien des âmes, nourrie par sa foi
inébranlable, par son espérance toujours rayonnante dans son im-
muable sourire paternel, et enflammée par son ardente charité.133
130 Cf. L. Dalcerri, Un maestro di vita interiore don Filippo Rinaldi, Institut FMA,
Rome 1990.
131 F. Rinaldi, Le Figlie di Maria Ausiliatrice, ricordando la pietà del venerando don
Albera, si propongano la pratica della unione con Dio, per celebrare così degna-
mente il Giubileo della loro Fondazione, in Dalcerri (ed.), Un maestro di vita inte-
riore, 56-60.
132 Voir les interventions de Rinaldi dans les délibérations des CG 8, 9 et 10 des FMA
tenus respectivement en 1913, 1922 et 1928.
133 F. Rinaldi, Conoscere ed imitare più la vita interiore del Beato Don Bosco. Strenna
per il 1931, in Dalcerri (ed.), Un maestro di vita interiore, 126.

14 Pages 131-140

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14.1 Page 131

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 131
2.2.5. Formation pédagogique par osmose et importance du stage
pratique
Une autre orientation de Don Rinaldi, concernant l’éducation salé-
sienne, est le renforcement de la conviction qu’une science détachée de
la vertu et de la pratique peut être dangereuse. Dans la Congrégation, une
certaine méfiance à l’égard des études n’était pas nouvelle et était souvent
liée à la figure du « savant » orgueilleux, pris par des engagements exté-
rieurs qui lui font négliger l’éducation des jeunes pauvres et ses tâches dans
la maison salésienne. Lors de la conférence des directeurs de l’été 1926,
Rinaldi résumait sa pensée en ces termes :
Le salésien n’est pas un théoricien de la pédagogie mais un éduca-
teur. Après avoir reçu les éléments indispensables de la théorie, qui
peuvent être donnés en philosophie, il faut apprendre l’art d’éduquer
par la pratique [...] Dans la vie de Don Bosco il y a des chapitres qui
nous donnent des normes de pédagogie pratique. Notre pédagogie,
en fait, est écrite dans la vie salésienne. [...] Chacun de nous de-
vrait être soucieux d’étudier davantage Don Bosco, de pratiquer sa
propre vie, ses propres traditions. Si nous suivons le programme de
la journée salésienne, nous y trouverons tout notre programme. [...]
Notre pédagogie s’étudie donc dans la vie avec humilité, résignation
et obéissance, un peu à nos dépens et un peu aux dépens des autres
; elle ne s’apprend pas dans une chaire, où on expose de façon théo-
rique, en termes scientifiques, divers systèmes. Le véritable traité est
la vie pratique, et ses pages sont la cour, l’étude, le réfectoire, l’église,
le dortoir, la promenade. La sollicitude du directeur doit viser pré-
cisément à ce que le lecteur lise bien ces pages.134
L’union entre l’étude et la pratique éducative est conçue comme un tout
presque indivisible et liée à la vertu, à l’exemplarité et à la sainteté de l’éduca-
teur. Comme exemple illustre de l’éducateur salésien, aussi bien Don Rinaldi
que le conseiller scolaire Bartolomeo Fascie proposent saint François de Sales.135
134 F. Rinaldi, Resoconto dei Convegni dei Direttori, in ACS 7 (1926) 36, 497-498.
135 Cf. F. Rinaldi, Il giubileo d’oro delle Costituzioni, in ACS 5 (1924) 23, 174-175; B.
Fascie, Del metodo educativo di Don Bosco, SEI, Torino 1927, 24; Valentini, Don

14.2 Page 132

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132 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Partant du principe de l’unité entre l’étude et la pratique, on va donner une plus
grande importance au stage pratique dans la formation des salésiens et une plus
grande attention aux rôles éducatifs à l’intérieur de la maison salésienne.
En 1901, le neuvième Chapitre général institua le stage pratique de trois
ans, mais au cours des années suivantes, il rencontra beaucoup de résis-
tance et de perplexité, au point qu’il fallut créer en 1904 une commission
durant le CG suivant pour examiner les décisions prises trois ans aupa-
ravant.136 Un membre qualifié du Chapitre, Don Giuseppe Vespignani, a
raconté aux salésiens argentins le résultat de la longue et animée discus-
sion : « Le dixième Chapitre général a prononcé le dernier mot et a obtenu
un véritable triomphe, en instituant le stage pratique de trois ans entre les
études de philosophie et celles de théologie. Il donnait ainsi un caractère
particulier au clerc salésien, en l’exerçant pleinement dans sa mission au-
près des jeunes, en le formant par la pratique à la science pédagogique et
à l’admirable système préventif de Don Bosco, et en lui permettant ainsi
de mûrir, à travers les exercices de la vie religieuse, en vue de la sublime
vocation à la vie sacerdotale ».137 Les stagiaires devaient être accompa-
gnés par le directeur dans l’exercice pratique de la vie salésienne avec des
programmes d’études è établir. Parmi les ouvrages à étudier figuraient les
grands classiques : De l’éducation chrétienne et politique des enfants de
Silvio Antoniano (l’original est daté de 1584), Des principes pédagogiques
et sociaux de S. Thomas de Don Cerruti (1893), Les leçons morales de
Léon le Grand pour l’éducation du jeune clergé (1895), et un volume plus
récent sur Les concepts pédagogiques de Léon XIII (1902).138
Le stage pratique était valorisé au point qu’à l’époque de Don Rinaldi,
le CG13 de 1929 indiquait que les clercs qui n’avaient pas rempli les exi-
gences de la formation à ce stade ne devaient pas être admis à l’étude de
la théologie. Les stagiaires devaient être guidés avant tout par le directeur,
Rinaldi. Maestro di pedagogia, 15.
136 Cf. Capitolo Generale X (26 août 1904) dans ASC D585.
137 G. Vespignani, G. Vespignani, Ai confratelli salesiani dell’America. Impressioni del
viaggio sul X Capitolo Generale in J.M. Prelezzo, Linee pedagogiche della Società
Salesiana nel periodo 1880-1922. Approccio ai documenti, in «Ricerche Storiche
Salesiane» 23 (2004) 44, 139.
138 Cf. Prellezo, Linee pedagogiche della Società Salesiana nel periodo 1880-1922,
140.

14.3 Page 133

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 133
qui avait la tâche de veiller à la cohérence de leur formation, ce qui se
faisait aussi bien à travers les tâches éducatives pratiques que par l’étude
de Don Bosco et des auteurs mentionnés ci-dessus.139 Le chapitre souli-
gnait ensuite le rôle de l’étude dans la formation du stagiaire, en rappelant
aussi l’exemple de Don Cerruti et de Dom Bertello, tous deux soucieux
de la promotion des écoles. Don Rinaldi, quant à lui, explicite ainsi sa clé
d’interprétation des priorités de la formation : « Nos études doivent être
ordonnées en fonction de notre travail »140 ; il rejette l’idée erronée selon
laquelle les études conduisent à l’orgueil, à la paresse dans le ministère et
à la vanité dans la prédication.141
Compte tenu de l’importance de la vie pratique, Don Rinaldi accorde
une attention particulière aux rôles au sein de la maison salésienne qui équi-
librent les différents aspects de l’éducation. Les principes pédagogiques ne
sont pas seulement des stimuli pour des études théoriques, mais confor-
mément à la mentalité pratique du recteur majeur ils sont immédiatement
liés à un rôle, à des tâches et à des applications. Dans les conférences qu’il
a données de 1913 à 1916 aux clercs de Foglizzo, nous pouvons glaner un
riche contenu qui permet de reconstruire le contexte pour l’interprétation
des lignes de son gouvernement.142
En plus des caractéristiques prioritaires du directeur en tant que père et
139 Cf. les Temi trattati nel XIII Capitolo Generale, dans ACS 10 (1929) 50, 807. Cf.
également la décision de ne pas prendre en considération les demandes des clercs
pour la dispense du triennat pratique dans Rinaldi, Resoconto dei Convegni dei
Direttori, 499
140 F. Rinaldi, Pel XIII Capitolo Generale, in ACS 10 (1929) 47, 712.
141 À cet endroit de l’argumentation, Rinaldi cite l’histoire du rêve de Don Bosco sur
le congrès des démons, une histoire emblématique du danger d’une étude détachée
de la pratique éducative salésienne. Don Lemoyne, parlant de cet épisode, dit qu’il
consiste à « persuader les salésiens que le fait d’être savant doit constituer leur
principale gloire, de sorte qu’ils étudieront beaucoup pour eux-mêmes et dédaigne-
ront d’utiliser les connaissances acquises au profit des humbles: plus d’ouvrages
populaires, plus d’oratoires festifs, mais l’orgueil, la paresse dans le ministère sacré
et la prédication pour une vaine gloire ». Cf. G.B. Lemoyne, La vita di D. Bosco, in
Rinaldi, Pel XIII Capitolo Generale, 712.
142 Cf. Conferenze di Don F. Rinaldi, in ASC A3840137; Valentini, Don Rinaldi. Ma-
estro di pedagogia, 4-5, 67-101. B. Bordignon, I salesiani come religiosi-educatori.
Figure e ruoli all’interno della casa salesiana, in «Ricerche Storiche Salesiane» 31
(2012) 58, 65-121.

14.4 Page 134

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134 Pédagogie salésienne après Don Bosco
confesseur, le recteur majeur n’oublie pas celles de responsable de l’œuvre
et de représentant auprès des supérieurs ecclésiastiques et devant la société
civile. Tout en proposant le concept d’une saine modernité au niveau de la
Congrégation, il est intéressant de noter qu’au niveau local, Don Rinaldi
souligne l’importance de la fidélité qui crée la continuité du gouvernement,
en affirmant que « le directeur est l’exécuteur de la règle, pas le transfor-
mateur ; il doit présider et diriger ce qu’il trouve, pas le changer. [...] Sinon,
la maison changerait au gré des directeurs, au grave détriment de la maison
et de la Congrégation ».143 Le préfet s’occupe de la gestion de la discipline,
des biens matériels, des coadjuteurs et des familles ; le catéchiste est char-
gé de l’éducation religieuse et morale des jeunes, des services liturgiques,
des compagnies et des académies ; le conseiller scolaire et le conseiller
professionnel s’occupent respectivement des écoles ordinaires et des écoles
professionnelles. Tous collaborent à la réussite d’une éducation intégrale.
Une condition fondamentale pour une éducation réussie consiste selon Don
Rinaldi à travailler ensemble et à dialoguer, chacun ayant son propre rôle.
Il s’est exprimé à ce sujet lors de la réunion des directeurs de 1926 :
Quelqu’un a posé une question sur la relation entre le directeur et
le préfet. Là aussi, redisons-le, il y a une caractéristique de notre
pédagogie. Le directeur et le préfet se complètent. Qu’ils se mettent
d’accord, qu’ils se parlent souvent : sans cette harmonie, beaucoup
de choses vont de travers.144
2.2.6. Compagnies salésiennes, Action catholique et autres organisa-
tions de jeunesse
En 1919, dans le contexte de la revalorisation des œuvres traditionnelles
dans l’immédiat après-guerre, Don Albera sentit le besoin de réaffirmer la
«salésianité» du choix en faveur de l’oratoire : « Tous ceux qui s’intéressent
sérieusement aux oratoires festifs et à l’éducation de la jeunesse qui y af-
flue ont la pleine et entière approbation de notre recteur majeur ». On parle
beaucoup aujourd’hui des œuvres de l’après-guerre : « eh bien, l’œuvre
143 Conferenze di Don F. Rinaldi, 108.
144 Rinaldi, Resoconto dei Convegni dei Direttori, 498.

14.5 Page 135

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 135
première et fondamentale de notre vénérable fondateur semble avoir été
créée spécialement pour les circonstances actuelles : occupons-nous donc
d’elle avec zèle et amour ».145
Don Albera se place dans la continuité des lignes fondamentales de sa
conception de l’oratoire remontant à l’époque d’avant la guerre mondiale.
Dans sa lettre de mai 1913, il décrit l’oratoire comme le premier élément
de ce qu’il considère comme la pierre angulaire de l’œuvre salésienne, à
savoir les oratoires festifs, les missions et la formation des vocations ec-
clésiastiques, les trois objectifs «de premier plan et de grande noblesse»
fixés par Don Bosco. L’oratoire festif se caractérise comme une institution
à part entière, différente de toute autre institution similaire, tant par les
objectifs qu’elle poursuit que par les moyens qu’elle utilise. Il se distingue
tout d’abord par le large éventail de ses bénéficiaires. Selon Don Bosco,
explique Albera, l’oratoire n’était pas destiné à une catégorie spécifique de
jeunes de préférence à d’autres, mais à tous à partir de sept ans. Aucun sta-
tut familial n’était requis, on ne tenait compte ni de la vivacité du caractère,
ni de l’insubordination occasionnelle, ni du manque de bonnes manières,
ni d’aucun état d’abandon ou de pauvreté. Seuls l’insubordination systéma-
tique et contagieuse, le blasphème, les mauvaises conversations et le scan-
dale étaient exclus de la participation à la vie de l’Oratoire. La tolérance du
supérieur devait être illimitée. Ainsi, bien qu’il ait été reproduit en mille
lieux et époques différents, l’oratoire, unique par sa nature, était l’âme de
la Pieuse Société.146
Par la suite, Don Filippo Rinaldi s’est efforcé de conjuguer, d’une part,
la sensibilité à la nouvelle situation sociale due au renforcement de l’État
totalitaire italien et, d’autre part, le ferme désir de sauvegarder la continuité
de la tradition salésienne. Face à l’impulsion donnée par Pie XI à l’aposto-
lat des laïcs, également pour contrer l’influence des organisations fascistes,
il insiste sur le fait que tout ce que le pape souhaite est déjà présent dans les
compagnies et les cercles de jeunes salésiens.147 Les compagnies devaient
être organisées de manière à « préparer et former les futurs membres de
145 Cons. Gen. Circ. (24. febbraio 1919), in ASC E277.
146 Cf. Albera, Gli Oratori festivi - Le Missioni - Le vocazioni, 121-146.
147 Cf. F. Rinaldi, Motivi di apostolato e di perfezionamento per il 1931, in ACS 11
(1930) 55, 913-918.

14.6 Page 136

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136 Pédagogie salésienne après Don Bosco
l’Action catholique »,148 sans toutefois y adhérer formellement. Après avoir
affirmé l’ouverture à la collaboration avec l’AC, on a réaffirmé la nécessité
de la fidélité à l’idée traditionnelle des compagnies, telles qu’elles avaient
été conçues par Don Bosco.
Dans la pensée du recteur majeur, même « dans nos oratoires, les com-
pagnies constituent la base et le centre de la vie religieuse et spirituelle, qui
informe toute l’œuvre d’éducation et de formation chrétienne pour laquelle
elles ont été fondées par Don Bosco ».149 C’est pourquoi on appliquait la
ligne exprimée lors de la réunion des directeurs des oratoires : « Nous pou-
vons très bien - observait Don Rinaldi - nous conformer aux dispositions
du Saint-Siège [concernant les groupes d’AC], comme c’est notre devoir,
sans renoncer à nos traditions : conservons donc l’esprit salésien dans nos
associations ».150 Il ne s’agissait pas seulement de préserver les traditions,
mais aussi de « rétablir l’efficacité et de faire prospérer nos compagnies »
sous la direction des directeurs et des inspecteurs. En outre, on institua la
journée et les congrès provinciaux des compagnies.151 Étant donné que l’es-
pace d’action en dehors des maisons salésiennes devenait de plus en plus
limité, l’apostolat auprès des camarades comme moyen important d’édu-
cation trouva un prolongement naturel dans l’élan missionnaire dans un
contexte de fort développement de la mission ad gentes :
Continuez à cultiver cet esprit missionnaire dans les maisons, dans
les collèges, dans les oratoires festifs; les fruits qu’on en retire sont
excellents. […] Cet esprit profite surtout aux élèves eux-mêmes, car
c’est un des moyens les plus efficaces de former leur cœur à des af-
fections élevées et saintes, un moyen qui les détourne du sentimen-
talisme morbide si commun à cet âge, un moyen qui leur rappelle
la réalité de la vie et les misères de ce monde, leur fait apprécier le
148 Ibid., 915.
149 Rinaldi, Resoconto del convegno tenutosi dai Direttori degli Oratori festivi, 604.
150 Ibid. 608. Cf. également F. Rinaldi, Le Compagnie Religiose e l’Azione Cattolica.
Pensiero del S. Padre Pio XI, in ACS 11 (1930) 55, 55.
151 Cf. Rinaldi, Motivi di apostolato e di perfezionamento per il 1931, 917-918. F. Ri-
naldi, Norme e programma per le Giornate e i Congressi delle Compagnie Reli-
giose, che avranno luogo nelle Case e Ispettorie Salesiane durante l’anno 1931
1931, in ACS 11 (1930) 55bis, 2-4.

14.7 Page 137

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 137
bonheur d’être nés dans un pays catholique, dans la lumière et la
civilisation de l’Évangile, et les encourage ainsi à répondre à cette
grâce spéciale du Seigneur par une vie vraiment chrétienne.152
Après avoir indiqué les lignes d’action concernant les associations sa-
lésiennes, on ne manquait pas de signaler leurs diverses manifestations.
Le Bulletin salésien, surtout pendant l’été 1931, apporte des nouvelles
des congrès des compagnies salésiennes célébrés dans les provinces salé-
siennes.153 Les compagnies expriment la « fécondité pérenne de l’initiative
du Bienheureux Don Bosco, opportune et utile hier comme aujourd’hui ».154
Les raisons de leur efficacité sont énumérées en quatre points : « 1) l’im-
pulsion efficace qu’ils donnent au développement de la piété ; 2) l’habitude
ancrée chez les jeunes de la pratique des devoirs de la vie chrétienne ; 3)
l’émulation du bon exemple, dans l’exercice de la vertu et dans l’accomplis-
sement des devoirs quotidiens ; 4) l’amour de l’apostolat, qui n’est jamais
oublié à cause des joies qu’on y éprouve ».155
2.3. Auteurs de pédagogie salésienne des années 1920
La pensée de Don Rinaldi est interprétée et complétée par les applica-
tions de ses conseillers, parmi lesquels émerge le conseiller scolaire Don
Bartolomeo Fascie, qui s’accorde avec le recteur majeur dans la proposition
d’une pédagogie salésienne expérientielle. Différente, mais complémen-
taire, est l’approche de la publication Don Bosco Educatore de Vincenzo
Cimatti écrite en 1925, qui aspire à la scientificité et à la rigueur dans la
gestion des sources en vue d’une confrontation avec le positivisme péda-
gogique. Enfin, nous analyserons brièvement les écrits de quelques auteurs
francophones à cause de leur diffusion et de leur impact sur la mentalité
152 Rinaldi, Giubilei d’oro della Pia Unione dei Cooperatori Salesiani, 428-429.
153 Cf. I Congressi delle Compagnie religiose, dans «Bollettino Salesiano» 55 (1931) 8,
230-232.
154 Il tema di “Compagnie Religiose”, dans «Bollettino Salesiano» 55 (1931) 6, 186.
155 Ibid., 185.

14.8 Page 138

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138 Pédagogie salésienne après Don Bosco
salésienne. Don Scaloni, supérieur pendant de nombreuses années en Eu-
rope du Nord, et le père Auffray, publiciste, abordent les thèmes de la pé-
dagogie salésienne de manière à la fois pratique (dans les thèmes) et popu-
laire (dans le langage).
2.3.1. Fascie et la pédagogie expérientielle salésienne
Bartolomeo Fascie, conseiller scolaire de 1920 à 1937, a réinterprété
la pédagogie salésienne sur l’importance de faire revivre Don Bosco de
manière organique et en mettant en place une pédagogie basée sur l’expé-
rience. Sa publication Del metodo educativo di Don Bosco156 (La méthode
éducative de Don Bosco) a eu une grande influence sur les salésiens car
elle était une lecture recommandée dans le cadre du stage pratique ; elle
s’est également répandue au-delà du milieu salésien car elle a été adoptée
comme manuel dans les écoles de formation des maîtres d’écoles en Italie
à partir des années 1930 jusqu’aux années 1950. L’aspect pratique de la
méthode salésienne se retrouve également dans la composition du livre :
après une courte introduction pédagogique de l’auteur, la première partie
donne en une vingtaine de pages les sources concernant les « principes
directeurs » ; la deuxième partie, la plus importante et la plus longue, pré-
sente les « applications pratiques », à savoir les réunions, les lettres, les
témoignages et les suggestions disciplinaires, didactiques et rhétoriques.
La publication reflétait et concrétisait la pensée de Don Rinaldi sur
l’union entre l’étude et l’expérience dans la formation des éducateurs salé-
siens. Don Fascie réagissait dans son livre à certaines célébrations empha-
tiques de Don Bosco qui étaient fréquentes même en dehors des milieux
salésiens. Il écrit : « Quand on parle du système préventif, on en parle
comme d’une nouveauté sortie de son cerveau [...] une acrobatie, une in-
vention, une découverte et presque une création de Don Bosco ».157 Le
conseiller proposait une autre interprétation : « Nous ne devons pas ima-
giner Don Bosco comme un théoricien de la pédagogie, ou un spécialiste
156 Cf. B. Fascie, Del metodo educativo di Don Bosco. Fonti e commenti, SEI, Torino
1927.
157 Fascie, Del metodo educativo di Don Bosco, 24.

14.9 Page 139

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 139
des problèmes didactiques ou scolaires ».158 Don Bosco a accueilli la mé-
thode préventive telle qu’elle lui était proposée par la tradition humaine et
chrétienne. La véritable grandeur et l’originalité du fondateur de la Société
salésienne se trouvent « dans le domaine pratique de l’art de l’éducation et
du travail de l’éducateur »159 et dans sa capacité à « redonner vie et actualité
à la méthode préventive ».160
L’intuition la plus originale de l’introduction écrite par Fascie est le
concept de « bon sens », qui est la forma mentis de Don Bosco « étayée par
le sens pratique et le bon sens, étrangère aux abstractions, à la théorisation
et à la pure intellectualité » ;161 c’est la forme concrète du principe de raison
dans le système préventif ; c’est le motif de la valorisation des traditions
éducatives antérieures à Don Bosco ; avec la charité, c’est le principe grâce
auquel la méthode « est contenue tout entière dans une forme organique
et ordonnée, [...] sous une apparence claire et attrayante, de sorte que non
seulement on la comprend et on l’admire, mais aussi on l’apprend, on l’ap-
précie et on est attiré à l’imiter »;162 de plus, combiné avec la charité, le
bon sens est la base qui donne valeur à l’exemplarité des éducateurs. Elle
acquiert sa valeur dans la nature organique et vitale de l’éducation salé-
sienne :
À partir de ce qui a été dit jusqu’à présent, il nous semble pouvoir
affirmer que ceux qui veulent aborder la méthode éducative de Don
Bosco avec l’intention de la soumettre à une analyse exaspérante, de
la disséquer, de la réduire à des parties, à des divisions, à des schémas
rigides, ne suivraient pas le bon chemin : il faut la regarder comme
une forme vivante dans son intégrité, en étudiant les principes dont
elle tire sa vie, les organes de sa vitalité et les fonctions qui se déve-
loppent à partir d’eux. Et précisément parce qu’elle est vivante, elle
ne peut être soumise à des coupes anatomiques comme on le fait sur
les cadavres pour étudier l’anatomie, avec le risque évident de la voir
mourir entre nos mains. [...] En un mot, on risquerait de réduire à
158 Ibid., 19.
159 Ibid., 22.
160 Ibid., 29.
161 Ibid., 20.
162 Ibid., 30-31.

14.10 Page 140

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140 Pédagogie salésienne après Don Bosco
une chose morte une méthode qui n’a de valeur que si elle est vi-
vante, et qui, à proprement parler, pour être étudiée correctement,
doit l’être lorsqu’elle est en action et en pleine efficacité.163
L’approche de Fascie, à mi-chemin entre principes pédagogiques
simples et art pratique de l’éducation illustré par le recours à des épisodes à
succès, peut être placée dans la ligne de continuité avec les actions de Don
Bosco. Elle se situe dans une période d’enthousiasme autour de la béatifi-
cation du fondateur et en présence de témoins encore assez nombreux des
premières générations. On voit bien que l’objectif de l’auteur est de montrer
que Don Bosco était à la fois guidé par Dieu et qu’il savait s’adapter aux
situations. Une fois que les deux aspects complémentaires des « inspira-
tions » et des « circonstances » ont été clarifiés, on peut conclure qu’il
est nécessaire de faire comme Don Bosco. Les limites de cette publica-
tion sont également évidentes. Les notes biographiques sur Don Bosco se
concentrent sur les trente premières années de sa vie et se terminent par la
fondation de l’Oratoire qui est « le livre vivant de sa méthode, de son école
et de son modèle ».164 La figure de Don Bosco apparaît idéalisée et célébrée
: on suppose, par exemple, que Don Bosco avait déjà une idée claire de tout
le programme de sa vie dès le séminaire.165 Les épisodes pratiques de la vie
de Don Bosco rapportés par Fascie tendent davantage à illustrer le succès de
son œuvre éducative qu’à analyser sa méthode, ses motivations et ses outils.
Le conseiller scolaire reprend de nombreux thèmes chers au recteur ma-
jeur Rinaldi, tels que le sens des petites traditions ou de l’aspect pratique de
la méthode éducative, alors que d’autres sont laissés de côté. En particulier,
certains éléments principaux et équilibrants de Don Rinaldi sont absents,
comme celui de la paternité et celui de l’union avec Dieu. En ce sens, il
apparaît que Don Fascie n’aspire pas à une analyse complète mais cherche
plutôt à renforcer le leitmotiv de son livre : « Enfin, que chacun sente sa
propre responsabilité vivante et continue afin de pouvoir répéter avec Don
Bosco : j’ai toujours avancé comme le Seigneur me l’inspirait et comme les
circonstances l’exigeaient ».166
163 Ibid., 32-33.
164 Ibid., 18.
165 Cf. Ibid., 20.
166 Ibid., 34.

15 Pages 141-150

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15.1 Page 141

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 141
Dans ses circulaires, Bartolomeo Fascie trace quelques lignes direc-
trices, dans la ligne de Cerruti, pour l’école salésienne appelée à former de
bons chrétiens ainsi que des hommes bien préparés : « Pour nous l’école
fait partie du programme de la vie salésienne, qui se résume dans la devise
de Don Bosco : Da mihi animas cetera tolle. [...] La racine de l’école réside
dans la pratique de la vie chrétienne et religieuse. [...] Celui qui cesserait
d’être salésien quand il fait l’école, pour n’être qu’un enseignant de valeur,
serait comme un os déplacé et serait mal à l’aise ».167
Le stage pratique, qui est le point fort de l’approche du conseiller sco-
laire, est considéré comme « notre cours de pédagogie », qui ne s’apprend
pas dans les livres, mais dans la vie pratique, « dans le livre de la vie et de
la tradition salésienne et les pages de ce livre sont l’église, l’école, l’étude,
le réfectoire, le dortoir, la cour, le théâtre, l’infirmerie, la promenade, etc...
C’est dans ces pages que l’on doit puiser, dans celles-ci que l’on doit puiser
et étudier, en les vivant avec affection, avec un esprit de sacrifice et avec
une volonté humble et courageuse ».168 Pour renforcer son point de vue sur
l’importance de la formation pratique contre ceux qui cherchent à raccour-
cir le stage pratique, il imagine les conséquences au cas où l’’abolirait la
période pratique de trois ans :
Nos clercs passeraient directement du noviciat aux études de phi-
losophie et de théologie, c’est-à-dire qu’ils passeraient sept années
entières sans aucun contact avec la vie salésienne en action et avec
les jeunes, et après sept ans entre le noviciat et les études, ils se-
raient confrontés à une vie complètement nouvelle pour eux, ils
n’auraient plus les dispositions et la souplesse nécessaires pour se
plier et s’adapter aux exigences de l’assistance, à la patience de l’en-
seignement et de la vie en commun avec les élèves, aux échecs fré-
quents et mortifiants, à l’accès à tous ces petits secrets nécessaires
à la réussite, etc., qui s’apprennent dans l’ardeur et l’enthousiasme
exubérant de la jeunesse. Tout cela serait trop mortifiant par la suite
et viendrait à bout du courage et de la patience même de ceux qui
167 B. Fascie, Lettera del Consigliere Scolastico, dans ACS 5 (1924) 26, 319.
168 Corsi di filosofia e triennio di esercizio pratico, dans ACS 5 (1924) 26, 327. Cf. éga-
lement la même ligne de pensée dans Fascie, Del metodo educativo di Don Bosco,
23-24.

15.2 Page 142

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142 Pédagogie salésienne après Don Bosco
ont suffisamment de bonne volonté et d’esprit de sacrifice.169
2.3.2. Cimatti et son «Don Bosco educatore» dans sa confrontation
avec le positivisme
Différente est l’approche de la publication Don Bosco educatore de
Vincenzo Cimatti,170 écrite en 1925, qui aspire à la rigueur scientifique
dans la gestion des sources en vue d’une confrontation avec le positivisme
pédagogique.171 En plus des thèmes traditionnels de l’éducation salésienne,
Cimatti n’évite pas les sujets considérés comme inhabituels ou probléma-
tiques dans le monde salésien, comme l’éducation au féminin et l’éducation
sexuelle. La synthèse que l’auteur a mûrie pendant plus de dix ans consti-
tue une réflexion solide, qui dépasse au plan de la méthode aussi bien les
travaux plus ou moins de compilation de Barberis et Fascie, que ceux de
Cerruti, dont les écrits de type applicatif ont été publiés en vue de la for-
mation religieuse-humaniste des salésiens comme enseignants.
Avec Pietro Braido, on peut dire que la publication de Cimatti est la
première étude qui va dans le sens d’une réflexion systématique, critique
et scientifique sur le système préventif de Don Bosco.172 Cimatti s’est oc-
cupé de la mise en œuvre du système préventif selon les normes scolaires
italiennes à travers ses leçons de pédagogie pour la formation des maîtres
publiées en trois volumes en 1911, puis il a mûri sa réflexion en se confron-
tant à un grand nombre d’écrits, comme ceux publiés et inédits de Don
Bosco, les chroniques, les biographies, les profils historiques, la Positio
pour le procès de béatification et le « Bollettino Salesiano ».173 De l’étude
des sources et des approfondissements dispensés dans l’école des futurs
enseignants de Turin-Valsalice, il ressort une synthèse dont la structure
169 B. Fascie, Lettera del Consigliere Scolastico, in ACS 8 (1927) 41, 618..
170 Cf. V. Cimatti, Don Bosco educatore. Contributo alla storia del pensiero e delle
istituzioni pedagogiche, SEI, Torino 1925.
171 Cf. également les considérations contextuelles sur les écrits de Cimatti dans G.
Fedrigotti, Il Sistema preventivo di Don Bosco nell’interpretazione di Vincenzo
Cimatti (1879-1965), 77-.95.
172 Cf. P. Braido, Il Sistema Preventivo di don Bosco, PAS Verlag, Zürich2 1964, 33-34.
173 Cf. Cimatti, Don Bosco educatore, 11-.27.

15.3 Page 143

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 143
dépasse l’opposition entre les systèmes répressif et préventif. Il ne s’agit
donc pas d’une simple glose ou d’un commentaire du traité de Don Bosco :
Cimatti décompose les sources, créant une structure qui lui est propre :
1) Bibliographie ;
2) La vie de Jean Bosco ;
3) Le concept d’éducation ;
4) Facteurs éducatifs (famille, école, société civile et religieuse, éduca-
teur, élève, environnement) ;
5) Les moyens de l’éducation :
a) éducation physique (gymnastique, mais aussi éducation esthé-
tique, musique, théâtre),
b) intellectuelle (instruction religieuse, prédication, oratoire, écoles
pour externes, écoles professionnelles et agricoles),
c) morale ;
6) Les principes directeurs au plan de la méthode contenus dans le
traité sur le système préventif :
a) le trinôme raison-religion-amorevolezza comme base,
b) les moyens d’une éducation chrétienne,
c) moyen de gagner l’estime et la confiance,
d) moyens récréatifs pour une occupation utile des élèves ;
7) Discipline éducative ;
8) Éducation réparatrice en vue de l’amendement (sanctions discipli-
naires) ;
9) Études approfondies : pédagogie sexuelle et éducation féminine ;
10) Les résultats du système éducatif de Don Bosco ;
11) Annexes bibliographiques détaillées (la liste chronologique de plus
d’une centaine de publications de Don Bosco est intéressante).
Pour Cimatti, Don Bosco résume tout « dans le concept chrétien de
charité qui prévient et dans la fusion cordiale de l’autorité raisonnable
de l’éducateur et de la liberté raisonnable de l’élève. Il synthétise, selon
un éclectisme de bon aloi, les bonnes théories et les pratiques éducatives

15.4 Page 144

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144 Pédagogie salésienne après Don Bosco
antérieures ».174 Dans l’introduction, le document contextualise la discus-
sion en parlant de deux écoles pédagogiques. La première est la pédago-
gie spiritualiste, qui s’inscrit dans la continuité de la tradition classique
et conçoit l’homme comme un être doté d’une âme et d’un corps harmo-
nieusement unis. La deuxième école est l’école positiviste, qui considère
l’homme comme une matière se déployant dans un complexe de phéno-
mènes chimiques et physiologiques et propose une éducation physique,
agnostique et soumise en dernier ressort au régime politique.175 Notre au-
teur, qui est pleinement engagé dans la première école en tant que diplômé
en philosophie et en pédagogie à l’Université de Turin, est cependant aussi
un spécialiste des sciences naturelles et l’auteur de nombreuses publica-
tions dans le domaine de l’agriculture,176 et propose par conséquent d’as-
socier
la culture et la tradition de notre glorieux passé aux belles réalisa-
tions positives du présent. Combien de formes de civilisation plus
équilibrées, plus conformes aux besoins de la vie des individus et
des peuples, peuvent naître de l’étude et des pratiques éducatives
passées, de la conciliation de la foi avec la science, du capital avec le
travail, de la culture avec la pratique professionnelle, avec un amour
plus sincère de la patrie !177
La même tendance à la conciliation synergique se retrouve dans la lec-
ture de la vie de Don Bosco, où notre auteur note « que cet homme et son
œuvre reflètent d’une part les événements matériels, spirituels et sociaux
de l’époque, et d’autre part l’œuvre de la Providence qui, avec sagesse et
amour, en fait bénéficier les individus et la communauté ».178 L’attention
174 Ibid., 4..
175 Cf. Ibid., 9.
176 Cf. la bibliographie de Cimatti dans G. Fedrigotti, Il Sistema preventivo di Don
Bosco nell’interpretazione di Vincenzo Cimatti, 188-189 qui mentionne 436 articles
de Cimatti dans la «Rivista dell’agricoltura», trois volumes de Lezioni di Agraria
et six volumes de Libro dell’agricoltore tous publiés dans la période entre 1907 et
1922.
177 Cimatti, Don Bosco educatore, 9.
178 Ibid., 29.

15.5 Page 145

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 145
portée au climat positiviste est une clé pour comprendre l’approche de l’ou-
vrage. Elle est perceptible dans l’analyse de l’environnement familial et
social dans lequel Don Bosco s’est formé, dans l’attention portée à la lé-
gislation italienne et à la réglementation salésienne, dans l’examen précis
des sources bibliographiques, dans les relations de Don Bosco avec les
personnages historiques et, surtout, dans la partie finale qui traite des « ré-
sultats » du système éducatif salésien.
La critique du positivisme ne manque pas. Cimatti déclare : « La péda-
gogie faussement scientifique, qui proclame l’éducation laïque, purement
expérimentale, positive, rationnelle, indépendante et étrangère à toute
croyance religieuse, pourra admirer les résultats évidents obtenus avec le
système éducatif de Don Bosco ; mais elle ne pourra pas pénétrer et com-
prendre son fondement interne ».179 Même dans les parties qui rapportent
les « résultats du système », où la comparaison avec le positivisme est
évidente, il ne tombe pas dans le piège (à la manière de du Boys)180 en énu-
mérant uniquement la croissance et les chiffres liés à l’expansion mondiale
de la Congrégation, affirmant que « les chiffres que l’on pourrait citer ne
feraient que fixer le moment présent de l’œuvre d’une manière aride et
vulgaire ».181 Selon lui, cependant, le meilleur résultat selon les paramètres
de Don Bosco est l’existence et la croissance de l’association des anciens
élèves salésiens : « L’élève qui ressent le besoin de se souvenir de son édu-
cateur, de suivre ses enseignements dans la vie pratique, est certainement
la plus belle preuve du résultat en éducation ».182
En termes de contenu, l’œuvre de Cimatti offre de nombreux recours
aux sources salésiennes et surtout des réflexions intéressantes183 qui
179 Ibid., 63.
180 Cf. la structure du volume A. du Boys, Don Bosco e la Pia Società Salesiana, Tip.
e Libreria Salesiana, S. Benigno Canavese 1884 qui relit la vie et la méthode éduca-
tive de Don Bosco à travers le développement de ses œuvres et de ses institutions.
181 Ibid., 137.
182 Ibid., 138.
183 À côté de la bibliographie soignée qui introduit et conclut le volume, il faut noter
une négligence de l’appareil critique des notes. Les citations apparaissent souvent
sans l’indication de la source, comme par exemple la longue citation des pp. 67-73
où Don Bosco est seulement indiqué comme auteur sans la mention de son œuvre (il
s’agit d’un passage tiré de: J. [G.] Bosco, Biographie du jeune Louis Fleury Antoine
Colle, Imprimerie Salésienne, Turin 1882, 22-31).

15.6 Page 146

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146 Pédagogie salésienne après Don Bosco
révèlent un large horizon de pensée, des intuitions prégnantes et une atten-
tion constante à la pratique éducative. Nous allons en énumérer au moins
quelques-unes. Au début de son livre, Cimatti définit le concept d’éducation
pour Don Bosco comme « la préparation de l’élève à la pleine expression
de toute l’activité intellectuelle, morale et sociale dont il est capable ».184
Avec cette première formulation, il s’écarte des Notes de Barberis sur plu-
sieurs points. En plus d’une formulation différente des coordonnées an-
thropologiques, Cimatti accentue le rôle de l’exploration du potentiel, qui
est davantage centré sur l’élève. Barberis, dans la lignée de Rayneri et
Allievo, souligne au contraire la perfection comme un concept de base qui
implique une croissance des facultés individuelles plus dépendantes des
directives de l’éducateur.185 L’accent mis par notre auteur sur la valorisation
active de l’élève est également confirmé par le fait qu’il considère l’enfant
comme le sujet de l’éducation, l’acteur principal de l’éducation, et qu’il
affirme la nécessité de sa pleine coopération lorsque, après la période de
l’enfance, il devient capable de discernement.186
Dans le texte, on perçoit un décentrement de la figure de l’éducateur-en-
seignant salésien. Les coopérateurs salésiens sont valorisés et considérés
comme des éducateurs qui « prennent soin de cette mission sublime dans les
maisons salésiennes » avec les prêtres, les clercs et les coadjuteurs.187 Il est
intéressant de noter l’efficacité de la formation professionnelle salésienne,
qui se base sur « l’identité de condition entre l’éducateur et l’enfant, qui
apprend du maître ouvrier chrétien comment il peut vivre comme ouvrier
et comme chrétien ».188 Cimatti s’inscrit dans la ligne de l’approche édu-
cative-instructive-religieuse des écoles salésiennes indiquée par Cerruti,
184 Cimatti, Don Bosco educatore, 54.
185 « La pédagogie [..] consiste essentiellement à diriger l’enfant vers sa propre perfec-
tion, en développant ses facultés le mieux possible », in Appunti di pedagogia di
Giulio Barberis (1847-1927). Introduction, textes critiques et notes par José Manuel
Prellezo. Postface de Dariusz Grządziel, LAS, Rome 2017, 35.
186 Cf. Cimatti, Don Bosco educatore, 67.
187 Ibid., 64. L’expérience de Cimatti à l’Oratoire Saint-Louis à Turin de 1912 à 1917
témoigne d’une sensibilité ouverte à la collaboration éducative avec les laïcs. Cf.
Fedrigotti, Il Sistema preventivo di Don Bosco nell’interpretazione di Vincenzo
Cimatti, 50-.64.
188 Cimatti, Don Bosco educatore, 66.

15.7 Page 147

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 147
en donnant quelques concrétisations à ce sujet : « Il y a donc d’un côté le
problème fondamental de Don Bosco - les âmes à sauver - et de l’autre un
problème technique, didactique, économique et social ».189 Selon notre au-
teur, la connexion entre les deux sphères se fait au niveau didactique : « La
religion doit être l’âme qui vivifie le programme des études. L’enseignant
doit donc tirer de chaque sujet d’étude des concepts, des maximes morales
et religieuses qui, tout en instruisant l’esprit, éduquent le cœur. (Om utili-
sera pour cela des propositions, des exercices, des schémas, des sujets de
composition, des exercices oraux ou écrits, etc. ; des exemples de force,
de prudence, etc.) ».190 À côté des divers moyens utiles pour l’éducation et
l’enseignement, Cimatti traite séparément de la récréation et, chose inno-
vante, des moyens pour gagner l’estime et la confiance des élèves.191
À propos du concept de « système », Cimatti l’interprète comme étant
la manière dont l’éducateur se comporte avec le jeune.192 Ainsi compris,
le système préventif n’est pas une méthode didactique ou un programme
d’études, analogue à la Ratio des jésuites ou à la Conduite des écoles chré-
tiennes. La partie la plus systématique se trouve dans les « règlements
des maisons dans lesquels, sous forme de conseils, sont déterminées des
normes éducatives qui ont des points de contact avec les œuvres indiquées,
et qui, surtout pour la partie disciplinaire, se prêteraient à une intéressante
étude comparative avec les instructions de Francke ».193 Enfin, dans la
189 Ibid., 93.
190 Ibid., 95.
191 Cf. Ibid., 117-123.
192 Cimatti fait référence aux déclarations de Don Bosco sur la nature non systématique
et l’importance des circonstances concrètes et des inspirations intérieures: « Vou-
lez-vous que j’explique mon système ? Mais même moi, je ne le sais pas ! Je suis
toujours allé de l’avant sans système, selon ce que le Seigneur m’inspirait et ce que
les circonstances exigeaient ». NB: Les italiques sont de nous et sont un ajout dans
Don Bosco educatore qui ne se trouve pas dans les Memorie Biografiche, vol. 18,
126.
193 Cf. Cimatti, Don Bosco educatore, 114-115. Par « instructions franckiennes », Ci-
matti fait probablement référence à August Hermann Francke, un pédagogue pro-
testant allemand qui a vécu entre 1663 et 1727. Ses Franckesche Stiftungen com-
prenaient un orphelinat, une apothicairerie, une imprimerie, des écoles pour les
filles et les garçons des classes pauvres et diverses institutions pour les étudiants en
théologie. Voir M. Brecht (ed.), August Hermann Francke und der Hallische Pie-
tismus, in Geschichte des Pietismus, vol. 1, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen

15.8 Page 148

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148 Pédagogie salésienne après Don Bosco
synthèse conclusive qui répond aux questions posées au début, Cimatti af-
firme la grandeur de Don Bosco en raison de son sain éclectisme illuminé
par la charité chrétienne qui prévient :
Peut-on dire que Don Bosco, dans le domaine de l’éducation, est
le chef d’une école et mérite d’occuper une place honorable dans
l’histoire de l’éducation ? Je réponds : Don Bosco est un grand chef
d’école, et il vit à travers ses fils et ses élèves. Il occupe une place
honorable dans le groupe éminent des pédagogues italiens du XIXe
siècle, dont notre pays s’honore, il est un continuateur de la glorieuse
école spiritualiste traditionnelle, et avec un éclectisme admirable et
sain, il synthétise les théories et les pratiques éducatives antérieures
dans son concept de charité chrétienne qui prévient, dans la fusion
cordiale et intime de l’autorité raisonnable de l’éducateur et de la
liberté raisonnable de l’élève, sur la base de la religion catholique.194
2.3.3. Réflexions pédagogiques dans le monde francophone : Scaloni
et Auffray
Dans le milieu francophone,195 nous pouvons trouver deux auteurs
salésiens significatifs ayant un intérêt pédagogique. Francesco Scaloni
(1861-1926),196 qui fut pendant plusieurs années provincial en Belgique et
1993, 439-539.
194 Cimatti, Don Bosco educatore, 138-139.
195 L’historien salésien José Manuel Prellezo considère que l’environnement franco-
phone est le plus stimulant au niveau pédagogique. En effet, de nombreuses in-
fluences directes et indirectes sur la pensée éducative de Don Bosco proviennent
de France. On peut noter par exemple le concept de « système » ; les conceptualisa-
tions de Mgr Doupanloup sur le « système préventif » ; les influences lasalliennes,
notamment des frères Agathon et Théoger; la comparaison avec la pédagogie na-
turaliste de Rousseau ou avec la pédagogie du jansénisme. Cf. Braido, Preveni-
re non reprimere, 63-119 et J.M. Prellezo, Studio e riflessione pedagogica nella
Congregazione Salesiana 1874-1941. Note per la storia, dans «Ricerche Storiche
Salesiane» 7 (1988) 1, 75.
196 Scaloni a également influencé le Programma scolasticoper le scuole di artigiani
della Pia Società Salesiana de 1903, qui tenait compte des programmes qu’il avait
édités pour les écoles professionnelles en Belgique.

15.9 Page 149

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 149
en Angleterre, et a publié Le jeune éducateur chrétien. Manuel pédago-
gique selon la pensée du Vén. Don Bosco, un manuel pédagogique pour les
jeunes confrères, intéressant pour son approche innovante et systématique.
Son volume est recommandé par le conseiller scolaire Francesco Cerruti
qui lui souhaitait la plus grande connaissance et la plus large diffusion.197
Quant au volume Une méthode d’éducation, écrit par Augustin Auffray,
rédacteur du « Bulletin salésien » en français, il est significatif pour sa
large diffusion et son impact.
Francesco Scaloni complète le manuel de Barberis et dans un certain
sens le met dans l’ordre inverse. La réflexion sur les différents traits du
« caractère juvénile », qui pour Allievo était la synthèse unificatrice du
traité et avait été omise dans les Notes de Barberis, sert de point de départ à
Scaloni. Le traitement du caractère, « qui est une empreinte typique, déri-
vant d’une combinaison de tendances naturelles, de défauts héréditaires, de
passions et d’habitudes »,198 développe un scénario diversifié de problèmes
éducatifs qui sert d’introduction concrète aux propositions de la deuxième
partie, consacrée plus spécifiquement à la pédagogie salésienne.
Dans la première partie, avec une certaine sensibilité « pué-
rocentrique »,199 Scaloni s’appuie sur le traité des passions du rédemptoriste
Paulin Lejeune,200 sur les études de caractère de Jean Guilbert,201 et surtout
sur l’important volume de psychologie écrit dans une optique néo-thomiste
par le cardinal Désiré Mercier, primat de Belgique.202 Il y a aussi des ré-
férences à Quintilien, à Dupanloup, à Bossuet et à d’autres auteurs. Le
choix de la première partie dédiée à la psychologie philosophique permet
à Scaloni de développer une approche diversifiée des jeunes de différents
197 Cf. Durando Cerruti (29 janvier 1910), in F. Cerruti, Lettere circolari e programmi
di Insegnamento (1885-1917). Introduction, textes critiques et notes sous la direc-
tion de José Manuel Prellezo, LAS, Rome 2006, 55.
198 F. Scaloni, Le jeune éducateur chrétien. Manuel pédagogique selon la pensée du
Vén. don Bosco, Société Industrielle d’Arts et Métiers, Liège 1917, 30.
199 Cf. G. Chiosso, Educazione e pedagogia nel primo Novecento, in Istituto Storico
Salesiano - Centro Studi Figlie di Maria Ausiliatrice (eds.), Sviluppo del carisma
di Don Bosco fino alla metà del secolo XX, vol. 1: Relazioni, 164.
200 Cf. P. Lejeune, Les Passions. Traité pratique, Desclée de Brouwer, Lille 1905.
201 Cf. J. Guilbert, Le caractère. Définition, importance, idéal, origine, classification,
formation, J. de Gigord, Paris 1914.
202 Cf. D.J. Mercier, Psychologie, Institut Supérieur de Philosophie, Louvain 1908.

15.10 Page 150

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150 Pédagogie salésienne après Don Bosco
tempéraments (sanguin, mélancolique, colérique et flegmatique).203 En plus
des différences dues au tempérament de chacun, Scaloni énumère plus de
150 attributs caractériels divisés en trois sous-groupes de caractère : bon,
ordinaire et difficile. Son modèle anthropologique est enrichi par l’inclu-
sion de onze passions qui doivent être surveillées, dirigées, modérées et
stimulées par différents moyens éducatifs. La partie psychologique se ter-
mine par le chapitre sur les défauts et leur correction dans la logique de la
connaissance de soi et de l’éducation pour former une volonté bien dispo-
sée, bonne et forte.
La deuxième partie contient le traité de Don Bosco sur le système pré-
ventif et le concrétise par des conseils aux jeunes confrères sur l’éducation
en général, sur l’enseignement du catéchisme, sur la didactique et sur l’as-
sistance. Scaloni offre une bonne synthèse des documents salésiens basée
surtout sur le Règlement des maisons de la Société de S. F. de Sales, sur
les constitutions, sur les lettres circulaires de Don Bosco et de Don Rua,
illustrée par diverses citations des Mémoires biographiques.
La véritable contribution innovante de Scaloni, nous semble-t-il, ré-
side dans la première partie qui complète la perspective salésienne tradi-
tionnelle en considérant sérieusement les différences psychologiques des
jeunes. L’ampleur des perspectives apparaît surtout dans les paragraphes
qui traitent des applications, c’est-à-dire d la correction des défauts, de la
valorisation des avantages et de la clairvoyance des choix éducatifs de Don
Bosco. La diversité des tempéraments nécessite au point de départ des ap-
proches éducatives différentes ; de plus, la distinction importante entre les
défauts naturels et moraux aide l’éducateur à dépasser une logique exclu-
sivement basée sur l’éthique et la morale.204 D’une part, Scaloni va au-delà
de la sévérité moralisatrice des évaluations, mais son discours ne s’arrête
pas là : il insiste également sur la nécessité de dépasser la rigidité discipli-
naire du milieu collégial qui affaiblit «énormément» la responsabilité des
étudiants. Voici quelques arguments qui représentent un pont important
entre la partie psychologique et la deuxième partie salésienne du manuel :
Dans un internat, le jeune est formé en dehors des réalités de la vie
; il n’est pas habitué à être la proie des milliers de difficultés qu’il
203 Cf. Scaloni, Le jeune éducateur chrétien, 7-9.
204 Cf. Ibid., 134-135.

16 Pages 151-160

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16.1 Page 151

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 151
rencontrera au sortir de l’internat. L’éducation salésienne élimine en
grande partie les inconvénients des internats fermés dans la forma-
tion de caractères forts. Nous constatons ici encore la sagesse du
système du Vénérable Don Bosco. Il n’a jamais voulu introduire une
discipline stricte dans ses maisons. Pour y parvenir, les supérieurs
auraient dû avoir un regard bourru et menaçant et parfois utiliser
des punitions sévères. Rien de tout cela : il voulait une discipline
douce et paternelle, donner aux enfants tout le mérite de réformer
leurs fautes et favoriser le libre développement de leur énergie per-
sonnelle. Ce système, aussi familier que possible, ne supprime pas la
volonté des enfants, ni ne détruit leur initiative individuelle ; il sou-
tient la faiblesse naturelle de l’enfant, mais ne le contraint pas à l’ac-
complissement du devoir. Dans le système salésien, bien compris et
bien appliqué, l’enfant devient vertueux parce qu’il le veut. Mais dès
que la volonté du jeune agit librement, il acquiert chaque jour une
nouvelle énergie. [...] Essayons de cultiver avec grand soin la volon-
té de nos élèves ; que ce soit là notre souci constant. Soyons convain-
cus que nous n’avons rien fait de durable si nous n’avons pas réussi à
former des jeunes de caractère, dotés d’une volonté forte, énergique
et généreuse. Dotés d’une telle volonté et aidés par la grâce de Dieu,
nos jeunes gens sauront faire bon usage de leur tempérament, se
former un caractère heureux et agréable, gouverner leurs passions,
corriger leurs fautes, être la consolation et le soutien de leurs pa-
rents, l’ornement de la société et les défenseurs de l’Église.205
Dans les années 1920, Augustin Auffray (1881-1955) a rassemblé dans
le volume Une méthode d’éducation ses articles sur l’éducation salésienne
qui avaient précédemment paru dans le Bulletin salésien. Le volume re-
prend les thèmes de la liberté, de l’autorité, de la joie et de la piété en éduca-
tion et regroupe autour d’eux les caractéristiques de l’éducation salésienne.
Le style, plutôt discursif et persuasif, ne vise pas à la systématisation et
aux confrontations et ne soulève pas de questions qui nécessiteraient une
clarification supplémentaire. Pour Auffray, le système préventif est la voie
médiane, « un monument de noble unité, dans lequel le cœur et la raison,
205 Ibid., 145-148.

16.2 Page 152

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152 Pédagogie salésienne après Don Bosco
l’autorité et la liberté s’équilibrent dans une constante harmonie ».206 Dans
le chapitre sur le péché originel, l’équilibre de l’éducation salésienne est
situé, d’un point de vue anthropologique, entre le jansénisme de Pascal et
le naturalisme de Rousseau. Le livre conclut en affirmant le principe nihil
novi sub sole, plaçant l’éducation salésienne dans le courant dominant de la
pédagogie catholique. Auffray cite saint Benoît, saint Anselme, saint Fran-
çois de Sales, Fénelon, Newman et Dupanloup. En outre, le livre contient
plusieurs extraits de L’Enfant et la Vie d’Henri Bremond, qui fait des appli-
cations pédagogiques à partir d’épisodes bibliques. Le volume se termine
par les conseils du général de Castelnau aux jeunes soldats.
Outre la diversité de style et de climat culturel, certaines accentuations
linguistiques liées aux questions de traduction apparaissent dans les publi-
cations mentionnées. Par exemple, le concept d’amorevolezza est rendu par
Auffray avec l’expression « tendresse chrétienne »,207 tandis que Scaloni
emploie simplement le terme de « bonté », synonyme de douceur et de
paternité, mais aussi de force persuasive.208
206 Cf. A. Auffray, Une méthode d’éducation, Procure des Oeuvres et Missions du
Vénérable Don Bosco, Paris 1924, 101.
207 Cf. Ibid., 18.
208 Cf. Scaloni, Le jeune éducateur chrétien, 166-168.

16.3 Page 153

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 153
2.4. Outils et ressources
2.4.1. Tableau chronologique

16.4 Page 154

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154 Pédagogie salésienne après Don Bosco
2.4.2. Bibliographie sélective
Albera P., L’XI Capitolo Generale - Elezione del nuovo Rettor Maggiore
- In udienza dal Papa Pio X - Programma da lui tracciato - Notizie
varie. Lettera del 25 gennaio 1911, in Lettere circolari di D. Paolo
Albera, 7-21.
Albera P., Sullo spirito di pietà. Lettera del 15 maggio 1911, in Lettere
circolari di D. Paolo Albera, 24-40.
Albera P., Sulla disciplina religiosa. Lettera del 25 dicembre 1911, in Let-
tere circolari di D. Paolo Albera, 53-77.
Albera P., Contro una riprovevole “legalità”. Lettera del 25 giugno 1917,
in Lettere circolari di D. Paolo Albera, 231-241.
Albera P., Per l’inaugurazione del Monumento al Venerabile D. Bosco.
Lettera del 6 aprile 1920, in Lettere circolari di D. Paolo Albera, 308-
318.
Albera P., Don Bosco nostro modello nell’acquisto della perfezione reli-
giosa, nell’educare e santificare la gioventù, nel trattare col prossimo
e nel far del bene a tutti. Lettera del 18 ottobre 1920, in Lettere circo-
lari di D. Paolo Albera, 329-350.
Albera P. Gusmano C., Lettere a don Giulio Barberis durante la loro vi-
sita alle case d’America (1900-1903), Introduzione, testo critico e note
a cura di Brenno Casali, LAS, Roma 2000.
Albisetti C. – Ravagnan O.M., Tradução/Translation a Aldeia Bororo, in
«Perspectivas» (1992), 145-157.
Auffray A., Une méthode d’éducation, Procure des Oeuvres et Missions
du Vénerable don Bosco, Paris 1924.
Auffray A., Les missions salésiennes, Oeuvres et Missions Don Bosco,
Lyon – Fontanières, 1936.
Barberis G., Il direttore spirituale, in ACS 1 (1920) 2, 37-39.
Boenzi J., Paolo Albera’s Instructions. Early Efforts to Inculcate the Spirit
of Don Bosco, in ­«Journal of Salesian Studies» 13 (2005) 2, 106-111.
Boenzi J., Reconstructing don Albera’s reading list, in «Ricerche Storiche

16.5 Page 155

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 155
Salesiane» 33 (2014) 63, 203-272.
Bordignon B., I salesiani come religiosi-educatori. Figure e ruoli all’in-
terno della casa salesiana, in «Ricerche Storiche Salesiane» 31 (2012)
58, 65-121.
Botasso J., Los salesianos y la educación de los Shuar 1893-1920. Mi-
rando más allá de los fracasos y los éxitos, in González et al. (eds.),
L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 2, 237-249.
Braido P., L’oratorio salesiano in Italia, “luogo” propizio alla catechesi
nella stagione dei Congressi (1888-1915), in «Ricerche Storiche Sale-
siane» 24 (2005) 46, 7-88.
Braido P., L’oratorio salesiano vivo in un decennio drammatico (1913-
1922), in «Ricerche Storiche Salesiane» 24 (2005) 47, 211-267.
Braido P., L’oratorio salesiano in Italia e la catechesi in un contesto so-
cio-politico inedito (1922-1943), in «Ricerche Storiche Salesiane» 25
(2006) 48, 7-100.
Braido, P., Per una storia dell’educazione giovanile nell’oratorio dell’Ita-
lia contemporanea. L’esperienza salesiana., LAS, Roma 2018.
Caimi L., Il contributo educativo degli oratori e dell’associazionismo gio-
vanile dall’Unità nazionale alla prima guerra mondiale, in L. Pazza-
glia (ed.), Cattolici, educazione e trasformazioni socio-culturali in Ita-
lia tra Otto e Novecento, La Scuola, Brescia 1999, 629-696.
Casella F., Il Mezzogiorno d’Italia e le istituzioni educative salesiane. Ri-
chieste e Fondazioni (1879-1922) Fonti per lo studio, LAS, Roma 2000.
Casella F., I salesiani e la “Pia Casa Arcivescovile” per i sordomuti di
Napoli (1909-1975), LAS, Roma 2002.
Ceria E., Annali della Società Salesiana, vol. 4: Il rettorato di don Paolo
Albera 1910-1921, SEI, Torino 1951.
Ceria E., Don Bosco con Dio, SDB, Roma 1988.
Chiosso G., Educazione e pedagogia nel primo Novecento, in Istituto
Storico Salesiano Centro Studi Figlie di Maria Ausiliatrice (eds.),
Sviluppo del carisma di Don Bosco, vol. 1, 155-186.
Chiosso G., Educazione e pedagogia nelle pagine del «Bollettino salesiano»

16.6 Page 156

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156 Pédagogie salésienne après Don Bosco
d’inizio Novecento, in González et al. (eds.), L’educazione salesiana
dal 1880 al 1922, vol. 1, 95-133.
Cimatti V., Don Bosco educatore. Contributo alla storia del pensiero e
delle istituzioni pedagogiche, SEI, Torino 1925.
Cimatti V., Le difficoltà per l’azione missionaria in Giappone, in «Bollet-
tino Salesiano» 56 (1932) 7, 213-215
Cimatti V., L’Oratorio di Don Bosco, in «Bollettino Salesiano» 57 (1933)
10, 303-307.
Cimatti V., Lettere di un missionario, a cura di A. Crevacore, LDC, Leu-
mann (TO) 1976.
Dalcerri L., Un maestro di vita interiore don Filippo Rinaldi, Istituto
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Dickson W.J., Prevention or repression. The reception of don Bosco’s ed-
ucational approach in English Salesian Schools, in González et al.
(eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, 215-236.
Farina R., Contributi scientifici delle missioni salesiane del Brasile, in C.
Semeraro (ed.), Don Bosco e Brasilia. Profezia, realtà sociale e diritto,
Cedam, Padova 1990, 154-160.
Fascie B., Del metodo educativo di Don Bosco, SEI, Torino 1927.
Fedrigotti G., Il Sistema preventivo di Don Bosco nell’interpretazione di
Vincenzo Cimatti (1879-1965), LAS, Roma 2003.
Giacone A., Trentacinque anni fra le tribù del Rio Uapés. Diari e Memorie
1, LAS, Roma 1976.
Ginobili E. – Carlone L., La construcción de la educación integral de
la mujer en la Patagonia por las FMA (1880-1922): núcleo multipli-
cador del evangelio, in González et al. (eds.), L’educazione salesiana
dal 1880 al 1922, vol. 2, 9-26.
Giraudo, A., Linee portanti dell’animazione spirituale della Congrega-
zione salesiana da parte della direzione generale tra 1880 e 1921, in
­«Ricerche Storiche Salesiane» 23 (2004) 44, 65-97.
González J.G. – Loparco G. – Motto F. – Zimniak S. (eds.), L’educazione
salesiana dal 1880 al 1922. Istanze ed attuazioni in diversi contesti.

16.7 Page 157

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 157
Atti del 4° Convegno Internazionale di Storia dell’Opera salesiana Ciu-
dad de México, 12-18 febbraio 2006, 2. vols., LAS, Roma 2007.
I Congressi delle Compagnie religiose, in «Bollettino Salesiano» 55 (1931)
8, 230-232.
Istituto Storico Salesiano Centro Studi Figlie di Maria Ausiliatrice
(eds.), Sviluppo del carisma di Don Bosco fino alla metà del secolo XX.
Atti del Congresso Internazionale di Storia Salesiana (Nel Bicentenario
della nascita di Don Bosco), Roma 19-23 novembre 2014 a cura di Aldo
Giraudo et al., 2 vols., LAS, Roma 2016.
J. Borrego, La Patagonia e le terre australi del continente americano
[pel] sac. Giovanni Bosco. Introducción por Jesús Borrego, in «Ri-
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Jerace M., Gli sports nella scienza e nell’educazione, in «Bollettino Sale-
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Salesian Presence in India (Tanjore and Mylapore, 1906-1928), Kristu
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Mazzarello M.L., Sulle frontiere dell’educazione. Maddalena Morano in
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Negrotti S., Los exploradores argentinos de don Bosco: orígenes y peda-
gogía de una experiencia juvenil salesiana argentina, in González et
al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al 1922., vol. 2, 27-50.
Nicoletti M.A., La polémica en torno a la educación salesiana y la edu-
cación estatal en la Patagonia (1880-1920), in González et al. (eds.),
L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 2, 51-72.

16.8 Page 158

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158 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Ortega Torres J.J., La Obra salesiana en los lazaretos, Escuelas Gráficas
Salesianas, Bogotá 1938.
Pericoli P., Il 1° Convegno Sportivo Cattolico Italiano, in «Bollettino
Salesiano» 29 (1905) 11, 326-328.
Prellezo J.M., Studio e riflessione pedagogica nella Congregazione Sale-
siana 1874-1941. Note per la storia, in «Ricerche Storiche Salesiane» 7
(1988) 12, 35-88.
Prellezo, J.M., Linee pedagogiche della Società Salesiana nel periodo
1880-1922. Approccio ai documenti, in «Ricerche Storiche Salesiane»
23 (2004) 44, 99-162.
Rinaldi F., Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 3 (1922) 14, 3-8.
Rinaldi F., Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 3 (1923) 20, 93-108.
Rinaldi F., Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 5 (1924) 23, 174-203.
Rinaldi F., Giubilei d’oro della Pia Unione dei Cooperatori Salesiani e
della Pia Opera di Maria Ausiliatrice, in ACS 7 (1927) 33, 428-433.
Rinaldi F., Resoconto del convegno tenutosi dai Direttori degli Oratori
festivi d’Europa a Valsalice dal 27 al 30 agosto 1927, in ACS 8 (1927)
41, 609-611.
Rinaldi F., Pel XIII Capitolo Generale, in ACS 10 (1929) 47, 709-718.
Rinaldi F., Motivi di apostolato e di perfezionamento per il 1931, in ACS
11 (1930) 55, 913-924.
Rinaldi F., Norme e programma per le Giornate e i Congressi delle Com-
pagnie Religiose, che avranno luogo nelle Case e Ispettorie Salesiane
durante l’anno 1931, in ACS 11 (1930) 55bis, 2-4.
Rinaldi F., Conserviamo e pratichiamo le nostre tradizioni, in ACS 12
(1931) 56, 933-949.
Scaloni F., Le jeune éducateur chrétien. Manuel pédagogique selon la
pensée du Ven. don Bosco, Société Industrielle d’Arts et Métiers, Liége
1917.
Simplicio D., Gli oratori festivi. Lettera aperta agli amanti della gioventù,
in «Bollettino Salesiano» 27 (1903) 1, 12-13.

16.9 Page 159

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2. Pédagogie pratique par osmose capable de s’adapter à la société moderne 159
Simplicio D., Gli oratori festivi. Lettera aperta agli amanti della gioventù,
in «Bollettino Salesiano» 27 (1903) 12, 355-356.
Tassani G., L’oratorio, in M. Isnenghi (ed.), I luoghi della memoria. Simbo-
li e miti dell’Italia unita, Laterza, Roma-Bari 1996, 67-91.
Temi trattati nel XIII Capitolo Generale, in ACS 10 (1929) 50, 805-823.
Uffizio sotto-agenzia per gl’interessi giovanili economico-sociali, in «Bol-
lettino Salesiano» 33 (1909) 12, 365-366.
Valentini E., Don Rinaldi. Maestro di pedagogia e di spiritualità salesia-
na, Crocetta – Istituto Internazionale D. Bosco, Torino 1959.
Verhulst M., L’éducation des Salésiens au Congo Belge de 1912 a 1925.
13 ans de recherche et d’expérimentation, in González et al. (eds.),
L’educazione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, 447-466.
Zimniak S., Salesiani nella Mitteleuropa. Preistoria e storia della provin-
cia Austro-Ungarica della Società di S. Francesco di Sales (1868 ca.-
1919), LAS, Roma 1997.

16.10 Page 160

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160 Pédagogie salésienne après Don Bosco
2.4.3. Ressources en ligne
Sources, documents, recherches, publications en texte intégral, maté-
riel photographique en lien avec ce chapitre.209
Bibliographie complète, index des auteurs, index des sujets pour l’en-
semble de la publication.210
209 Cf. salesian.online/pedagogia2
210 Cf. salesian.online/pedagogia-dopo-db

17 Pages 161-170

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17.1 Page 161

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3. FIDÉLITÉ À SAINT JEAN BOSCO
ET DISCIPLINE EN DES TEMPS
DIFFICILES (1929-1951)
Plusieurs éléments externes et internes ont contribué à l’évolution de
la mentalité salésienne dans la période qui a idéalement commencé en
1929 avec la béatification de Don Bosco. Outre l’enthousiasme suscité par
l’événement, de nouveaux facteurs sont entrés en jeu. Cette année-là est
signé le concordat entre l’Italie et le Saint-Siège qui conclut la « question
romaine », tandis que le gouvernement fasciste progresse dans la logique
de l’expansionnisme militaire et de l’uniformisation étatique de l’éducation
autour de l’idée d’une « nouvelle jeunesse ». Si dans la période précédente,
dans la mentalité des supérieurs, semblait prévaloir le souci d’adaptation
dans les domaines pratiques, comme les associations salésiennes ou le
développement des missions, le souci central pendant le rectorat de Don
Pietro Ricaldone est de sauvegarder les œuvres salésiennes en Italie de
l’ingérence excessive du régime fasciste, désormais consolidé et de plus
en plus totalitaire.1 Il a fallu en payer le prix en limitant l’action éducative
aux domaines religieux et catéchétique, et en abandonnant l’accent social
marqué des trois décennies précédentes, ce qui a contribué à la création
d’une mentalité plus fermée et sur la défensive.
Il ne s’agissait pas seulement de « périodes d’adversité » pour l’Italie.
1 La création de ce terme est attribuée à Giovanni Amendola, qui l’a utilisé pour
parler du fascisme italien à partir de 1923 dans les pages de «Il Mondo».

17.2 Page 162

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162 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Les premières expériences difficiles ont commencé avec les persécutions
laïques au début du XXe siècle en Équateur, en France, au Mexique et
dans l’Espagne de la deuxième république. Viennent ensuite les années
de conflits armés (les deux guerres mondiales, la guerre civile espagnole),
de confrontation avec des gouvernements totalitaires de différents types
en Italie, en Allemagne et en Chine, et de coexistence avec des régimes
autoritaires.2 À cette époque, l’Europe centrale est passée des politiques
autoritaires des années 1930 aux régimes totalitaires des années 1940, in-
fluençant l’histoire de la région jusqu’à aujourd’hui. En 1951, à la fin de son
rectorat, Don Pietro Ricaldone rappelait le prix payé par la Congrégation
salésienne avec 1 900 confrères « emportés par la tempête » : déportés,
exilés, emprisonnés ou enfermés dans des camps de concentration.3
3.1. Le collège salésien, « l’île qui prévient » les influences
des temps difficiles
La mentalité forgée en « période difficile » présente de multiples fa-
cettes culturelles, pédagogiques, éducatives et organisationnelles. La
confrontation avec une force opposée se traduisait généralement par une
combinaison d’opposition, de compromis et d’accords explicites ou impli-
cites.4 Lorsque l’interaction avec l’adversaire et les modes opératoires se
jouent sur une longue période et est intériorisée, on peut déjà parler d’un
changement de mentalité. Les équilibres créés au temps de Don Rinaldi
2 Cfr. S. Zimniak - G. Loparco (eds.), L’educazione salesiana in Europa negli anni
difficili del XX secolo. Actes du Séminaire européen d’histoire salésienne Cracovie,
31 octobre - 4 novembre 2007, LAS, Rome 2008.
3 Cf. P. Ricaldone, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 30 (1950) 161, 10 et Id. Let-
tera del Rettor Maggiore, dans ACS 31 (1951) 165, 5-6.
4 Certains cas historiques plus radicaux ne rentrent pas dans le schéma proposé car
une persécution féroce n’a permis aucune coexistence et la présence des salésiens
a disparu (Union soviétique et Chine). Cf. Zimniak - Loparco (eds.), L’educazione
salesiana in Europa negli anni difficili et M. Wirth, Da Don Bosco ai nostri giorni.
Tra storia e nuove sfide (1815-2000), LAS, Roma 2000, 283-296, 381-393.

17.3 Page 163

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 163
dans la ligne d’une saine modernité, d’une pédagogie expérientielle, pa-
ternelle, osmotique et narrative semblent ne pas suffire et Pietro Ricaldone
opte, dès sa première lettre,5 pour des lignes de gouvernement plus déci-
sives, motivées, concrètes et militantes. Un projet exemplaire dans ce sens
est le développement de la « croisade catéchétique » lancée pendant la se-
conde guerre mondiale à l’occasion du centenaire du premier oratoire salé-
sien. Avant d’analyser la mentalité salésienne, il convient toutefois de men-
tionner quelques caractéristiques des régimes totalitaires dans le domaine
éducatif-pédagogique et les réactions générales au niveau ecclésiastique.
3.1.1. Les régimes autoritaires et totalitaires qui éduquent un
« homme nouveau ».
Les conséquences de la Première Guerre mondiale ont porté le pre-
mier coup majeur à la crédibilité politique de la démocratie libérale occi-
dentale. En outre, la grande dépression économique qui a débuté en 1929
et la lenteur de la reprise du marché qui a suivi ont alimenté les doutes
quant à l’efficacité du modèle économique en place. Si l’on ajoute à cela
le sentiment d’écrasement et d’anonymat au sein de la société de masse,
l’attrait des modèles autoritaires de gouvernement est compréhensible. Les
classes ouvrières se sont soumises à contrecœur aux régimes autoritaires
et totalitaires, mais la classe moyenne de la société a adhéré beaucoup plus
volontiers à l’autoritarisme. Pour les jeunes en quête d’aventure, pour les
intellectuels en quête de certitude, pour les petits bourgeois désabusés par
la démocratie et l’économie de marché, le régime autoritaire semblait une
perspective nouvelle et excitante. L’identité du régime s’inspire soit d’un
passé glorieux (l’Empire romain, l’Allemagne des Otton dans la perspec-
tive mythique de Niebelung), soit d’un avenir idéal (société communiste
égalitaire). En général, l’ennemi public sert de justification et d’exutoire à
l’agression, et on exploite efficacement les techniques et instruments de la
société de masse, tels que les nouveaux moyens de communication sociale
(radio, cinéma) et l’associationnisme, surtout chez les jeunes.6 Il convient
5 Cf. P. Ricaldone, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 13 (1932) 58, 2-5.
6 Cf. G. Sabatucci - V. Vidotto, Il mondo contemporaneo. Dal 1848 a oggi, Laterza,
Roma-Bari 2005, 347-360.

17.4 Page 164

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164 Pédagogie salésienne après Don Bosco
également de souligner que si, dans le fascisme, il y avait au moins un
respect formel pour la religion et ses manifestations, dans le nazisme, le
système était basé sur des formes de religiosité néo-païenne, tandis que
dans le communisme, l’idéologie était explicitement athée et matérialiste.
La montée du totalitarisme en Russie, en Italie, en Allemagne et plus
tard en Europe centrale a eu de fortes conséquences dans le domaine de
l’éducation et de la politique de la jeunesse. Les totalitarismes de droite
et de gauche ont cherché à créer « l’homme nouveau » comme condi-
tion préalable et conséquence d’un « ordre nouveau » social et politique.
L’idéologie sous-jacente était évidemment différente : vitalisme naturaliste
et nationaliste d’une part, communisme matérialiste d’autre part, mais les
méthodes opérationnelles et pratiques étaient similaires et conformes au
modèle du totalitarisme.7 Gianni Oliva, résumant les recherches de Hannah
Arendt, Raymond Aron et Zbigniew Brzezinski, énumère les caractéristiques
communes d’un État totalitaire : 1. concentration du pouvoir entre les mains
d’une oligarchie inamovible et politiquement irresponsable ; 2. imposition
d’une idéologie officielle ; 3. omniprésence d’un parti unique de masse ; 4.
contrôle des forces de police opérant dans l’État et utilisation de la terreur ;
5. contrôle de la communication et de l’information.8
Du point de vue de l’éducation salésienne, la plus grande différence
entre les régimes totalitaires consiste dans le degré de totalisation qu’ils
ont mis en œuvre et dans leur type de relation avec les institutions ecclé-
siastiques, et non pas tant dans le type d’idéologie adopté. En ce sens, la
plus grande influence a été déterminée par la coexistence avec le régime
de Mussolini, tant en raison des questions liées à la conciliation avec le
Saint-Siège qu’en raison de l’évidente « italianité » de la Congrégation des
premières générations. L’éducation des jeunes était une zone naturelle de
frictions entre l’Église et les régimes totalitaires. L’idéologie fasciste se
distingue en effet par son intérêt pour l’éducation d’une « nouvelle jeu-
nesse » à former non seulement à travers l’école, orientée en fonction de
l’État totalitaire, mais aussi à encadrer dans les organisations de jeunesse
7 Bien que les idéologies adoptées soient différentes, les mécanismes, processus et
structures de pouvoir sont très similaires. Le signe le plus révélateur est l’inspira-
tion mutuelle chez les dirigeants totalitaires. Cf. P. Johnson, Modern Times. The
World from the Twenties to the Nineties, Harper Collins, New York 1991, 49-103.
8 Cf. G. Oliva, Le tre Italie del 1943, Mondadori, Milano 2004.

17.5 Page 165

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 165
avec des propositions de formation pendant les temps libres. L’idéal de
l’éducation fasciste était celui d’une jeunesse pleine d’énergie, de qualités
morales héroïques en vue d’un brillant avenir national. Le « nouvel esprit »
réside « dans la passion de l’action, dans le sens mystique du devoir, dans
le dévouement à la cause jusqu’au sacrifice suprême, dans le culte du pou-
voir, dans la foi illimitée en la possibilité pour l’homme de laisser une trace
indélébile dans l’histoire ».9
Dès 1923, le ministre de l’éducation du gouvernement Mussolini, Gio-
vanni Gentile, introduit une réforme du système scolaire. L’éducation est
soumise à l’État et s’inspire de l’idéalisme italien et de l’identification d’une
continuité entre l’État mussolinien et l’histoire ancienne de Rome. Le pro-
gramme comprenait presque exclusivement des matières humanistes, tan-
dis que les sciences naturelles étaient classées comme inutiles. Les écoles
privées furent maintenues mais soumises à des contrôles stricts. Confor-
mément au Concordat entre l’Italie et l’État du Vatican, le programme de
l’école primaire comprenait également une heure de religion comme ma-
tière obligatoire. Dans les écoles secondaires, les enseignants avaient la
liberté de choisir les manuels scolaires, qui devaient être fidèles aux prin-
cipes du régime. Les écoles et les universités étaient sous le contrôle des
organisations étudiantes fascistes, qui surveillaient la loyauté politique des
enseignants.
L’éducation était complétée par l’action des organisations de jeunesse
fascistes, notamment l’Opera Nazionale Balilla. Le champ d’action des
autres organisations fut considérablement réduit, voire annulé, jusqu’à leur
dissolution. La seule organisation de jeunesse catholique qui survécut à
partir de 1931 fut l’Action catholique, même si ce fut au prix d’un renon-
cement à l’engagement politique, social et syndical et d’une limitation aux
activités de formation religieuse et spirituelle.10
9 L. La Rovere, Rifare gli italiani: l’experiment di creazione dell’”uomo nuovo” nel
regime fascista, in Istituto Storico Salesiano - Centro Studi Figlie di Maria Aus-
iliatrice, Sviluppo del carisma di Don Bosco fino alla metà del secolo XX. Atti del
Congresso Internazionale di Storia Salesiana Roma, 19-23 novembre 2014 a cura di
A. Giraudo et al, vol. 1: Relazioni, LAS, Roma, 2016, 169.
10 Cf. G. Chiosso, Educazione e pedagogia nel primo Novecento, in Sviluppo del ca-
risma di Don Bosco fino alla metà del secolo XX, vol. 1, 168-170.

17.6 Page 166

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166 Pédagogie salésienne après Don Bosco
3.1.2. La mission éducative de l’Église et les effets de l’encyclique Di-
vini Illius Magistri.
L’Église réagit aux pressions totalisantes de l’État, y compris par des
interventions magistérielles. Une étape importante dans le domaine de
l’éducation a été l’encyclique Divini Illius Magistri de Pie XI, publiée en
1929, qui s’inscrit dans la lignée de l’enseignement de ses prédécesseurs.
Déjà dans Rerum novarum, Léon XIII avait appelé à la construction d’un
système scolaire catholique en réponse à la sécularisation des écoles pu-
bliques. Le pape Benoît XV, dans sa lettre apostolique Communes litteras
et dans le Code de droit canonique, définit les normes de l’éducation reli-
gieuse et de l’éducation des enfants, en indiquant les droits et les devoirs
fondamentaux de l’Église et de la famille en matière d’éducation chrétienne,
en soulignant l’importance de la catéchèse dans les écoles primaires et en
expliquant le droit de l’Église à fonder ses propres écoles de tous niveaux.
Dans son encyclique, le pape Pie XI rédigea un document de base pour
l’éducation catholique dans la période de l’entre-deux-guerres. Il rejetait
le naturalisme pédagogique séculier et affirmait le droit à l’éducation pour
la famille et pour l’Église contre les tendances centralisatrices de l’État.
L’encyclique donne un point de départ pour ses propositions :
Jamais l’éducation n’a fait l’objet d’autant de discussions qu’à l’heure
actuelle ; aussi le nombre des auteurs de nouvelles théories péda-
gogiques se multiplie-t-il, des méthodes et des moyens sont imagi-
nés, proposés et discutés, non seulement pour faciliter, mais pour
créer une nouvelle éducation d’une efficacité infaillible, qui servi-
ra à former les nouvelles générations pour le bonheur convoité sur
cette terre. [...] Il est donc de la plus haute importance de ne pas se
tromper dans l’éducation, et de ne pas se tromper dans la direction
du but ultime auquel tout le travail d’éducation est intimement et
nécessairement lié.11
Dans son argumentation l’encyclique se meut dans un cadre néo-tho-
miste avec de nombreuses références à Léon XIII. Elle expose le principe
selon lequel la véritable éducation dépasse l’ordre naturel et est entièrement
11 Cf. Pie XI, Divini Illius Magistri, in AAS 22 (1930) 49-86.

17.7 Page 167

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 167
ordonnée au but ultime situé dans l’ordre de la grâce : « Après que Dieu
s’est révélé à nous dans son Fils unique, qui seul est “chemin, vérité et vie”,
il ne peut y avoir d’éducation adéquate et parfaite en dehors de l’éducation
chrétienne ».12 Dans la polémique contre le totalitarisme, il est intéressant
de noter la référence de Pie XI au système éducatif des États-Unis d’Amé-
rique, loué pour son respect du rôle de la famille.13
Si l’encyclique s’élève contre l’activisme, le naturalisme, le libéralisme,
le militarisme, l’athlétisme, l’éducation sexuelle et la coéducation, elle ne
se limite pas à l’ordre de la grâce, aux sacrements et à la catéchèse. Se réfé-
rant aux écoles catholiques, à l’Action catholique et à d’autres associations,
Pie XI affirme que
le milieu éducatif de l’Église ne comprend pas seulement ses sacre-
ments, moyens divinement efficaces de la grâce, et ses rites, qui sont
tous merveilleusement éducatifs, ni seulement l’enceinte matérielle
du temple chrétien, qui est aussi admirablement éducatif dans le
langage de la liturgie et de l’art ; il comprend aussi un grand nombre
et une grande variété d’écoles, d’associations et d’institutions des-
tinées à former les jeunes à la piété religieuse en même temps qu’à
l’étude des lettres et de la science, sans oublier la récréation et la
culture physique.14
Dans les années 1930 qui suivirent l’encyclique, on assiste à une mul-
tiplication de réflexions sur la pédagogie catholique par des auteurs tels
que Maritain, De Hovre et Dévaud, tandis qu’en Italie, Mario Casotti de
l’Université catholique et le jésuite Mario Barbera sont particulièrement
importants. Dans l’argumentation de Casotti, le rôle de l’amorevolezza et
de la méthode préventive de Don Bosco apparaît à côté de l’exaltation de la
nature chez saint François d’Assise. Le rôle central des collèges des ordres
religieux est présenté comme l’un des piliers de l’inspiration militante de
la tradition éducative catholique.15 Dans sa perspective, on ne pouvait pas
12 Ibid., 51
13 Cf. U.S. Supreme Court Decision in the Oregon School Cases, in Ibid., 61.
14 Pie XI, Divini Illius Magistri, 75-76.
15 Cf. M. Casotti, Educazione “nuova”, in «Supplemento pedagogico a Scuola Itali-
ana Moderna» 43 (1933) 10, 2-5.

17.8 Page 168

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168 Pédagogie salésienne après Don Bosco
seulement aller « contre », il fallait aller « devant » et même les salésiens
ne devaient pas « rester à la traîne ». En effet, en la même année, Casotti
reprochait aux salésiens de ne pas situer l’œuvre de Don Bosco dans l’his-
toire de l’éducation et de la pédagogie et de ne pas la relier aux problèmes
de la didactique contemporaine.
Le pédagogue de l’Université catholique ne s’est pas arrêté à la seule
critique. Il a écrit une longue introduction à la méthode préventive,16 dans
laquelle il inscrit Don Bosco dans l’histoire de la pédagogie. Reprenant
les arguments de Förster et Lambruschini, et s’opposant au naturalisme de
Rousseau, il présente Don Bosco dans la ligne d’une pédagogie catholique
en partie en phase avec Locke, Kant et Fröbel.17 Casotti relit Don Bosco
avant tout à partir de l’équilibre entre liberté et autorité à travers la « mé-
thode de l’amour ». L’auteur constate l’erreur du système répressif dans sa
vision de l’homme et de la véritable psychologie et soutient au contraire
l’anthropologie catholique de Don Bosco :
Il se souvenait certainement des paroles de saint Thomas dans
Contra Gentes, où il est dit que le christianisme lui-même ne s’est
pas répandu “armorum violentia”, ni “voluptatum promissione” : ni
avec la violence extérieure des armes, ni avec la violence intérieure
des séductions, mais qu’il était “manifestum divinae inspirationis
opus”. […] Il lui semblait que la gratitude inspirée par cet immense
amour de Dieu pour l’homme qui culmine dans la Croix était pré-
cisément le motif psychologique qui supprimait toute apparence,
même lointaine, de contrainte arbitraire.18
L’utilisation de l’expression « pédagogie de l’Évangile » est intéres-
sante,19 car il semble que la pensée de Casotti ait influencé le Don Bosco
educatore de Ricaldone, aussi bien dans la terminologie que dans l’ap-
proche théorique. Il présente en effet Don Bosco comme pédagogue,
16 Cf. M. Casotti, La pedagogia di S. Giovanni Bosco, in G. Bosco, Il metodo pre-
ventivo con testimonianze e altri scritti educativi inediti, La Scuola, Brescia 19382,
5-94.
17 Cf. Ibid., 44.
18 Casotti, La pedagogia di S. Giovanni Bosco, 26-27.
19 Cf. Ibid., 52.

17.9 Page 169

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 169
précurseur des écoles actives, en l’insérant dans un courant de « pédagogie
catholique » inspiré de l’Évangile. L’œuvre la plus éloquente de la pédago-
gie salésienne est l’oratoire qui, comme celui de saint Philippe Néri, repré-
sente la brillante contribution à cette pédagogie, qui n’est ni ancienne ni
moderne, mais qui est la seule pédagogie rationnelle et raisonnable de tous
les temps et de tous les lieux.20 Dans le paragraphe sur l’âme de la méthode
préventive, Casotti affirme avec Förster :
“Le christianisme a été aussi le plus grand événement pédagogique,
parce que pour la première fois et de la manière la plus universelle, il
a relié chaque service, chaque travail, chaque discipline de l’homme
à la vie la plus intime de la personnalité, et a exalté comme moyen
d’accroître la liberté ce qui auparavant semblait n’être qu’esclavage et
oppression”. C’est précisément pour cette raison que si, d’une part,
la pédagogie doit se fonder autant que possible sur les “intérêts” vi-
vants de l’élève, elle a aussi le moyen de découvrir, même dans les
actions les plus oppressantes et les plus importunes, une valeur de
génie, “affectant” le plus intime de l’âme humaine par l’obéissance et
le travail en soi, pris comme des exercices dans lesquels notre per-
sonne morale est exaltée et vivifiée.21
3.1.3. Compromis et équilibres salésiens autour de la canonisation
de Don Bosco
Le monde salésien interpréta l’encyclique sur l’éducation de Pie XI en
se considérant comme le dépositaire d’un modèle éducatif original auquel
il devait rester fidèle. Ce modèle tracé par Don Bosco vise à former de
« bons chrétiens » et d’« honnêtes citoyens ». L’éducation à la citoyenne-
té était conçue comme une formation professionnelle de qualité en vue
d’une insertion ordonnée et laborieuse dans la société, et non comme une
participation politique. L’éducation salésienne, tant par sa justification sur-
naturelle que par son contenu catholique, était perçue comme une alterna-
tive irréductible aux pédagogies naturalistes et aux objectifs éducatifs de
20 Cf. Ibid., 79.
21 Ibid., 56-57.

17.10 Page 170

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170 Pédagogie salésienne après Don Bosco
l’homme nouveau totalitaire.
Au cours de la période décrite, il y a eu un certain repli sur la dimension
religieuse et la catéchèse, conformément à l’attitude générale du monde ca-
tholique. Les pages du Bulletin salésien allaient dans ce sens en suivant les
grands thèmes comme la célébration de la sainteté de Don Bosco, la soli-
darité avec les classes populaires, l’effort pour renforcer l’organisation des
œuvres, des coopérateurs et des entreprises missionnaires. Toute référence
non seulement à la politique et à la pré-politique mais aussi aux questions
sociales a disparu.22
Dans les premières années du régime, jusqu’en 1929, le comportement
de la Congrégation est marqué par la réserve et la prudence, sous la ban-
nière de l’expression claire des supérieurs : « ne pas laisser les autres venir
commander et dicter chez nous ». Les principes éducatifs énoncés par Don
Bosco sont restés intacts et les compromis extérieurs n’ont pas pollué la
substance de la pédagogie salésienne. Dans ce sens, la ligne d’action expri-
mée par Don Antonio Cojazzi dans la Rivista dei Giovani peut être consi-
dérée comme indicative d’un sentiment commun,23 entièrement centrée
sur la formation de la force morale chrétienne, alternative à la célébration
héroïco-militaire du fascisme. Les aspects essentiels de cette vertu doivent
être façonnés par l’exercice de la volonté, la vie sacramentelle, l’apostolat,
la sensibilité aux missions et la pureté. La revue s’éloigne donc de la célé-
bration de l’héroïsme militaire et propose des itinéraires concrets à travers
les cercles de jeunes, les groupes Évangile et aussi la biographie à succès
de l’exemplaire Pier Giorgio Frassati, mort en 1925, disciple de Cojazzi.
Après l’année 1929, riche en événements d’une importance fondamen-
tale (le 11 février, la Conciliation entre l’Église et l’État ; le 2 juin, la béa-
tification de Don Bosco ; et le dernier jour de l’année, la promulgation de
l’encyclique Divini Illius Magistri), on assista aux tentatives du fascisme de
faire de Don Bosco « un saint italien [...] et le plus italien des saints »,24 ainsi
22 Cf. Chiosso, Educazione e pedagogia nel primo Novecento, 169-172.
23 La revue pour les jeunes a été lancée en 1920 avec une claire intention apologétique
par un groupe de salésiens de la maison de Valsalice: Antonio Cojazzi, Vincenzo
Cimatti, Sisto Colombo et d’autres.
24 Cette expression a été prononcée par Cesare Maria de Vecchi dans son discours au
Campidoglio le jour de la canonisation de Don Bosco. Cf. Gli onori del Campido-
glio, in «Bollettino Salesiano» 58 (1934) 6, 185.

18 Pages 171-180

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18.1 Page 171

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 171
qu’à la participation des jeunes des oratoires et des collèges aux festivi-
tés patriotiques et fascistes les plus significatives, mais aussi à de réelles
concessions de certains aspects de la politique scolaire utiles en vue de la
reconnaissance par le régime des instituts salésiens.25 Une ligne de com-
promis ou de conciliation avec le fascisme est suivie en partie par la re-
vue salésienne Gymnasium, surtout dans les interventions de Gian Luigi
Zuretti. La tentative de « christianiser le nouvel homme fasciste »26 s’est
davantage orientée vers la recherche de points communs entre les deux
conceptions que vers une opposition dialectique. Dans un article sur les
fondements doctrinaux du fascisme, Zuretti tenta d’en montrer l’aspect
chrétien en soulignant qu’aucune autre idéologie comme le socialisme, le
communisme et le libéralisme n’était aussi respectueuse de l’Église que le
fascisme. Le point de contact se trouve dans le concept de devoir : « De-
voir, élévation, conquête : la vie doit être haute et pleine, vécue pour soi,
surtout pour les autres, proches et lointains, présents et futurs ».27
Dans le domaine des équilibres diplomatiques et industriels, il convient
de mentionner l’alliance des salésiens d’Italie avec le monde des entre-
prises, notamment entre les écoles professionnelles et Fiat à Turin.28 En ré-
sumant les conclusions des contributions citées de Giorgio Chiosso et Pie-
tro Stella, on pourrait synthétiser de la manière suivante la recherche d’un
équilibre au plan diplomatique, éducatif et managérial des salésiens dans
les années du fascisme, qui pourrait être partiellement étendu à d’autres
périodes d’adversité :
1) La défense acharnée de l’originalité de la méthode éducative de
Don Bosco qui n’est pas remise en cause, même face à des pres-
sions parfois très fortes. Dans les situations les plus compromises, il
existe une sorte de coexistence parallèle qui semble contradictoire
25 Cf. Chiosso, Educazione e pedagogia nel primo Novecento, 170-172 et S. Oni, I
Salesiani e l’educazione dei giovani in Piemonte, durante il periodo del fascismo,
in Zimniak - Loparco (eds.), L’educazione salesiana in Europa negli anni difficili,
158-159.
26 Cf. Il decennale della Conciliazione, in «Gymnasium» 7 (1938-9) 9, 205.
27 G.L. Zuretti, Le basi docrinali del fascismo, in «Gymnasium» 5 (1936-7) 1, 8.
28 Cf. P. Stella, La canonizzazione di don Bosco tra fascismo e universalismo, in F.
Traniello (ed.), Don Bosco nella storia della cultura popolare, SEI, Turin 1987,
365-379.

18.2 Page 172

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172 Pédagogie salésienne après Don Bosco
aujourd’hui, mais qui constituait vraisemblablement le maximum
possible pour « ne pas tout perdre ».
2) L’effort de consolidation des œuvres, non seulement en Italie, à tra-
vers la construction de consensus de plus en plus larges et capillaires,
à mesure que le nombre d’anciens augmentait tant dans l’appareil
public qu’en général parmi les professionnels, les entrepreneurs et
les travailleurs du système social et économique de l’époque.
3) La conviction persistante de la popularité de l’éducation salésienne
dans le double sens de la réponse aux attentes des classes populaires
et des choix éducatifs privilégiés, tels que la centralité de la forma-
tion professionnelle et l’investissement dans les propositions orato-
riennes, malgré les limites imposées par les tentatives de soumettre
l’éducation des jeunes à l’influence de l’État.
4) La flexibilité juridique et sociale avec laquelle les salésiens et les
Filles de Marie Auxiliatrice ont su composer pour préserver non
seulement leurs biens matériels, mais aussi pour continuer à exercer
leur mission éducative. On peut remarquer une tendance à opérer, et
pas seulement en Italie, une certaine soudure avec le système domi-
nant, même si elle est partielle, temporaire et hypothétique.29
3.1.4. Le collège salésien, institution éducative dominante et créa-
trice de mentalité
L’oratoire, qui a du mal à faire des propositions de formation sociale et
pré-politique, se limitait dans les années 1930-1940 à des activités et à des
programmes strictement catéchétiques et récréatifs. La nécessité de ce pas-
sage a été présentée par Don Ricaldone dans ses écrits comme une oppor-
tunité pour revenir à la première identité de l’oratoire : le catéchisme. Le
29 Il convient de noter que dans d’autres systèmes politiques totalitaires, l’attitude de
flexibilité juridique, politique et sociale n’a pas été réalisée, principalement en rai-
son de l’absence d’une attitude compatible de la part de l’État. Les œuvres ont été
fermées et les salésiens ont continué durant la persécution, en se cachant ou en s’in-
sérant dans les structures paroissiales. Cf. la majorité des expériences salésiennes
étudiées dans Zimniak - Loparco (eds.), L’educazione salesiana in Europa negli
anni difficili.

18.3 Page 173

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 173
lancement de la Croisade catéchétique (1941) et la fondation de la maison
d’édition Libreria Dottrina Cristiana créèrent un cadre idéal pour s’op-
poser à l’athéisme en investissant les ressources nécessaires à la stratégie
catéchétique, compte tenu des limites imposées par la situation. D’autres
dynamiques étaient cependant en cours dans le « collège salésien », l’insti-
tution la plus répandue et la mieux adaptée aux périodes difficiles.
Le collège, en tant que structure comprenant l’école et l’internat, for-
mait une institution « complète », également définie par Braido comme
« totale »;30 elle gérait le temps et l’espace des jeunes internes et impliquait
une succession d’activités scolaires, religieuses, sportives-récréatives, as-
sociatives, artistiques, etc. Étant donné que l’approche préventive caracté-
ristique de l’internat allait normalement de pair avec la fermeture plus ou
moins forte au monde extérieur, l’omniprésence du régime fasciste n’a fait
que renforcer cette tendance déjà présente. Il suffit de penser aux nom-
breux rappels des supérieurs, déjà dans les vingt premières années du XXe
siècle, concernant les relations avec le « monde extérieur ».
En tant que structure éducative paradigmatique dès les vingt dernières
années de la vie de Don Bosco, le collège fut promu par les salésiens dans
sa formule éducative et formative « à succès », qui prévoyait plus une re-
production qu’une amélioration qualitative. Même d’un point de vue quan-
titatif, nous pouvons constater que, de 1925 à 1955, le nombre de collèges
de la Congrégation a augmenté plus lentement en termes de pourcentage
que les autres structures éducatives. Le nombre de collèges-internats a aug-
menté de 81 %, tandis que les écoles ont augmenté de 138 %, les oratoires de
155 % et les paroisses de 260 %. La seule catégorie qui a diminué au cours
de ces trente années est celle des écoles d’agriculture, dont le nombre est
passé de 27 en 1925 à 16 en 1955.31 La structure interne du collège et son
règlement sont restés fondamentalement les mêmes que lors de la période
précédente. Interprétant la crise des collèges dans la période qui a suivi le
30 Cf. P. Braido, Prevenire non reprimere. Il sistema educativo di don Bosco, LAS,
Roma 2006, 351ss.
31 Cf. M. Bay - F. Motto, Opere, personale e attività della Società di San Francesco
di Sales. Dati quantitativi descrittivi negli anni 1888, 1895, 1910, 1925, 1940, 1955,
in Sviluppo del Carisma di don Bosco fino alla metà del secolo XX, 54. Note: Dans
la catégorie « internat », nous avons inclus les catégories suivantes présentes dans
les Elenchi generali della Società di San Francesco di Sales: « internat », « orphe-
linat » et « hospice ».

18.4 Page 174

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174 Pédagogie salésienne après Don Bosco
concile Vatican II, Pietro Stella a noté les limites de la structure collégiale :
On comprend que les collèges, tout en donnant les garanties d’une
plus grande solidité, comportaient aussi les risques inhérents à la
stabilisation : par exemple, la stagnation des forces, la fermeture du
milieu collégial, l’extinction d’une préoccupation pressante qui sti-
mulait la créativité des œuvres et des méthodes, une certaine quies-
cence.32
3.1.4.1. Quelques changements dans la vie concrète des collèges-internats
La mise en place d’une structure éducative est principalement influen-
cée par les caractéristiques générales, pédagogiques, juridiques et écono-
miques, mais aussi par les « petites traditions » qui peuvent être étudiées
d’un point de vue phénoménologique à partir du concret et du quotidien,
des espaces et des temps, des activités, des tentatives de changement, des
périodes de succès et des problèmes pratiques récurrents. Sans prétendre à
l’exhaustivité, nous nous appuyons ici sur quelques épisodes qui illustrent
la dynamique collégiale en cours.
L’organisation des espaces était très variée, dictée par divers facteurs,
tels que l’emplacement de l’institut à l’extérieur ou à l’intérieur de la ville
ou la réutilisation fréquente de bâtiments existants. Si la structure était
le résultat d’une construction prévue par les salésiens, on suivait généra-
lement comme modèles l’oratoire du Valdocco, qui avait grandi et s’était
développé, et la maison de Nizza Monferrato pour les FMA. La grandeur
des locaux, spacieux et même imposants, était motivée par l’efficacité de
l’organisation : une réduction des dépenses par personne et une plus grande
valorisation des assistants pas toujours nombreux.
Dans certaines maisons hors d’Europe, l’horaire inspiré de celui des
maisons du Piémont a créé des difficultés en raison de la différence de
climat et de coutumes. Un épisode emblématique a été la procédure sui-
vie pour décider le changement d’horaire dans les premiers collèges du
Brésil. Dans certaines maisons, on a suivi l’emploi du temps italien ;
dans d’autres, il y a eu des variations dictées par les besoins locaux. Don
32 P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica, vol. 1: Vita e opere,
LAS, Roma 1979, 126.

18.5 Page 175

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 175
Lasagna a insisté pour que l’on revienne à l’ancien horaire du Valdocco,
mais les médecins des maisons ont eu le dernier mot. Au bout d’un an, La-
sagna affirmait, dans une lettre au recteur majeur, sa conviction de devoir
s’adapter aux coutumes locales, car les médecins furent unanimes pour
demander un changement, désignant l’horaire italien comme la cause de la
plupart des maladies à l’intérieur des collèges. Pour des raisons de chaleur,
on a anticipé sensiblement l’heure du déjeuner (10 h 30) et celui du dîner
(17 h). On a également essayé de répartir l’emploi du temps en alternant les
temps de classe, d’étude et de récréation pour éviter la fatigue et l’ennui.33
Pour la formation spirituelle, on utilisait les traductions de Il Giovane
provveduto (La Jeunesse instruite) de Don Bosco et de La Figlia cristiana
(La Fille chrétienne), version féminine de l’œuvre bien connue de Don Bos-
co.34 Les prières, les pratiques pieuses et la fréquentation des sacrements ne
subissaient généralement pas de grandes variations. La messe quotidienne
et les deux messes du dimanche, pour tous les internes, étaient une partie
fixe de l’horaire du collège. L’élément qui a subi le plus de changements
est la pratique de la confession suite à l’interdiction prononcée par le Saint-
Siège en 1901, qui interdisait aux directeurs d’entendre les confessions des
personnes résidant dans leur maison. Dans ce contexte, les propositions
envoyées aux chapitres généraux notaient comment l’attention du directeur
se déplaçait de la paternité spirituelle vers des questions d’organisation,
de discipline, de finances ou de recherche d’engagements apostoliques en
dehors de la maison salésienne. Les membres du chapitre se plaignaient
de la perte de l’atmosphère paternelle, typique des maisons salésiennes,
et dénonçaient la difficulté de trouver dans les premiers temps des confes-
seurs préparés, à tel point que dans certaines maisons, des prêtres externes
furent appelés comme confesseurs. Le sujet fut discuté mais les chapitres
33 Cf. M. Isaú Souza Ponciano dos Santos, Luz e sombras. Internatos no Brasil, Ed.
Salesiana Dom Bosco, São Paolo 2000, 208-210 et L. Lasagna, Epistolario. Intro-
duction, notes et texte critique édité par A. da Silva Ferreira, LAS, Rome 1997, vol.
2, 432-433.483..
34 G. Loparco, L’apporto educativo delle Figlie di Maria Ausiliatrice negli educandati
tra ideali e realizzazioni (1878-1922), in J.G. González et al. (eds.), L’educazione
salesiana dal 1880 al 1922. Istanze ed attuazioni in diversi contesti. Atti del 4°
Convegno Internazionale di Storia dell’Opera salesiana Ciudad de México, 12-18
febbraio 2006, vol. 1, LAS, Roma 2007, 176-177.

18.6 Page 176

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176 Pédagogie salésienne après Don Bosco
généraux ne prirent aucune décision à ce sujet.35
En résumant les contributions des historiens sur la période étudiée,
nous pouvons dire que la tradition salésienne dans le domaine des activi-
tés culturelles a été préservée, actualisée, voire enrichie en certaines par-
ties de nouveaux éléments. Les principaux événements festifs des instituts
étaient rehaussés par la musique des fanfares et par le chant liturgique
dont le répertoire, après la réforme cécilienne, s’enrichit par les produc-
tions polyphoniques de compositeurs salésiens comme Giovanni Pagel-
la, Alessandro de Bonis et par la récupération et la promotion du chant
grégorien par Don Giovanni Battista Grosso. Le théâtre, présent dans les
programmes et les « académies » des internats, était perçu comme un ex-
cellent moyen pédagogique ; on soulignait son influence sur l’individualité
du garçon, sur l’amélioration de son comportement, sur l’exercice de la
mémoire, mais aussi comme un moyen de proposer des modèles à imiter.
Parmi les thèmes récurrents des textes théâtraux produits dans le contexte
salésien, on peut citer les suivants : la foi comme motif prioritaire des
choix même au prix de grandes souffrances, l’obéissance aux parents, la
bonté, l’humilité et l’engagement apostolique et missionnaire.
Aux activités théâtrales s’ajoutèrent ensuite les projections de films
à partir du début du XXe siècle. Jusqu’aux années 1920, la question de
l’acceptation du cinéma fut plus ou moins pacifique, lorsqu’il s’agissait de
projections à thème catéchétique organisées quelques fois dans l’année
Les difficultés et les jugements négatifs tournaient autour des films légers,
certains critiques supposant que le cinéma était la cause de troubles de la
vision, de violents maux de tête et d’excitation nerveuse, surtout chez les
spectateurs assidus. À partir des années 1930, les interprétations négatives
du cinéma, considéré comme un instrument de corruption morale, se mul-
tiplient. Les règlements des maisons et des chapitres provinciaux établirent
des règles pour son utilisation (genre de films, fréquence des projections,
responsabilité de la censure) et il y avait aussi des cas d’interdiction abso-
lue pendant certaines périodes et dans certaines provinces.
Les activités récréatives traditionnelles furent maintenues, mais dès le
début du XXe siècle, la gymnastique et le sport organisé font leur entrée
35 Cf. J. G. Gonzáles, Aspectos de la educación salesiana a la luz de las propuestas
enviadas a los Capítulos generales (1877-1922), in González et al. (eds.), L’educazi-
one salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, 35-38.

18.7 Page 177

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 177
dans les cours salésiennes. De nouvelles activités furent ajoutées dans
certains endroits, malgré de nombreuses réticences : athlétisme, patinage,
natation, tennis, volley-ball, basket-ball, tennis de table, cyclisme, mais
aussi les jeux de société et, presque comme une catégorie à part, le foot-
ball. L’introduction du football est une question emblématique, car son ac-
ceptation a été largement débattue et les avis n’ont pas été univoques en
toute situation. Certains supérieurs se méfiaient de ce sport, car il entravait
les jeux de masse traditionnels en exigeant un grand espace pour un petit
nombre de joueurs et en forçant la plupart des autres jeunes à rester passifs.
En outre, il y avait des raisons liées aux « dangers moraux » impliqués
dans les jeux, conduisant à un contact physique avec des adversaires exté-
rieurs. Un autre problème était la tenue vestimentaire inappropriée pour le
football. En conséquence, là où le jeu était autorisé, les clercs jouaient en
soutane et les garçons en pantalon et manches longues.
À partir des années 1930, l’accent mis sur la formation du personnel et
la catéchèse va de pair avec une méfiance à l’égard de certains divertisse-
ments, notamment le cinéma et le football. Dans certaines provinces, les
interdictions de jeux ne manquent pas, au motif que « le football ruine les
clercs et est encore pire que le cinéma ».36 Cependant, au-delà de la pers-
pective morale, le passage des « jeux traditionnels salésiens » aux sports
a contribué à la réglementation des loisirs, puisque tout sport a un besoin
intrinsèque de discipline, de règles fixes, d’une logique de compétition et
d’un calendrier préétabli des parties.
Au cours de la période étudiée, la gymnastique et le scoutisme consti-
tuaient une alternative aux sports d’équipe. Le bénéfice des activités mo-
trices était offert dans le cadre fermé de l’internat ou lors d’excursions dans
les groupes de scouts. L’aspect problématique de ces deux types de loisirs
résidait dans leur relation avec la discipline collégiale : influencée par la
sensibilité de l’époque pour l’organisation de masses, cette discipline neu-
tralisait la saine désorganisation de la récréation salésienne traditionnelle.
La gymnastique était souvent obligatoire et liée au rituel des défilés en uni-
forme, qui, dans certains endroits, avait une valeur disciplinaire et servait
de moyen de préparation militaire des jeunes. Par exemple, les défilés de
jeunes dans l’Italie de Mussolini étaient une expression formelle, exigée
36 Isaú, Luz e sombras. Internatos no Brasil, 384.

18.8 Page 178

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178 Pédagogie salésienne après Don Bosco
par le régime, de l’adhésion aux activités des Balilla,37 tandis que dans
d’autres contextes, la formation militaire avait pour fonction la promotion
des instituts salésiens. Un exemple concret est le succès en Argentine des
Exploradores de Don Bosco qui créèrent des liens avec les institutions mi-
litaires. Les premiers anciens élèves des Exploradores étaient des aspirants
au recrutement dans l’armée et les forces de sécurité ; par la suite, les Ex-
ploradores ont été considérés par les autorités argentines comme des « sol-
dats formés », partiellement ou totalement exemptés du service militaire.38
Le programme des compagnies salésiennes comprenait une conférence
hebdomadaire, des activités propres (animation liturgique, promotion de la
vie spirituelle et de la discipline, etc.) et des événements spéciaux tels que
l’inscription des nouveaux membres, la fête du saint patron et les sorties.
Les compagnies avaient une bannière, leurs propres statuts et un président
qui aidait le catéchiste dans l’animation. Être membre d’une compagnie
était considéré comme un honneur, symbolisé dans certains établissements
par un signe distinctif : c’était un moyen pour favoriser la discipline et la
bonne conduite.
En résumé, on peut dire que, par rapport à l’époque de Don Bosco,
l’orientation des activités récréatives et associatives s’est déplacée lente-
ment, sans changement radical. Partant d’une interprétation de la récréa-
tion comme un moment de spontanéité, de personnalisation de l’éducation,
de connaissance mutuelle et de libération de l’énergie physique, les salé-
siens sont passés à une conception plus organisée et plus réglementée de
celle-ci. La récréation avait un lieu fixe avec des activités planifiées, selon
un concept d’éducation intégrale du garçon au sein du collège.
3.1.4.2. Conséquences des changements : une discipline plus militaire que
familiale
Le problème de la discipline et des punitions faisait partie de la mentali-
té collégiale dès le début des institutions éducatives salésiennes. Le danger
37 Cf. Oni, I Salesiani e l’educazione dei giovani in Piemonte, durante il periodo del
fascismo, 158-159.
38 Cf. S. Negrotti, Los exploradores argentinos de don Bosco: orígenes y pedagogía
de una experiencia juvenil salesiana argentina, in González et al. (eds.), L’educa-
zione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 2, 41-43.

18.9 Page 179

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 179
de remplacer l’assistance éducative assidue et familière par un système de
contrôle plus facile pour l’assistant avait déjà été signalé dans le Traité de
Don Bosco. Les deux lettres de Rome (1884) indiquent les voies à suivre,
rappelant l’authentique expérience oratorienne. En 1885, dans une lettre à
Giacomo Costamagna, Don Bosco écrivait à propos du processus d’incul-
turation du système préventif dans les instituts d’Argentine avec l’emploi
de méthodes plus « fortes » : « Jamais de punitions pénales ; jamais de
paroles humiliantes, pas de reproches sévères en présence des autres. Mais
dans les salles de classe que résonnent les mots de douceur, de charité et
de patience ».39 En 1910, l’inspecteur de Buenos Aires, Don Vespignani,
notait : « En ce qui concerne la réduction des punitions, l’insistance est
continuelle : beaucoup de choses ont été réalisées ; mais une idée claire
et pratique de notre système fait encore défaut chez certains confrères »
et il ajoutait : « Les conseillers scolaires et les assistants ont trop d’exi-
gences ».40 Don Rua et Don Cerruti se sont également exprimés dans ce
sens. Don Rua a insisté à plusieurs reprises pour interdire les châtiments
violents, trop longs, douloureux et humiliants.41 Don Cerruti a développé sa
conception de la discipline dans sa circulaire de 1908 :
Notez que sans ordre et régularité, il ne peut y avoir de discipline, et
que sans discipline, il n’y a pas de moralité. Mais notez aussi que la
discipline éducative n’est pas une discipline militaire, et que l’ordre et
la régularité ne sont pas synonymes de militarisation. Suivons donc
partout ce que Don Bosco a enseigné, et avec lui les meilleurs péda-
gogues, en éliminant les excès et les déformations. On y contribuera
efficacement en lisant et en expliquant un peu plus fréquemment les
points du règlement des maisons concernant le système préventif en
éducation et la fonction des enseignants et des assistants.42
39 G. Bosco, Lettera a don Giacomo Costamagna (10 août 1885), in Fonti Salesiane,
454.
40 J.M. Prellezo, Le scuole professionali salesiane (1880-1922). Istanze e attuazioni
viste da Valdocco, in González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al
1922, vol. 1, 78.
41 Voir les Lettere Circolari di don Michele Rua ai salesiani, Direzione generale delle
opere salesiane, Torino 1965, 43-44, 120, 327-329, 393 e 399.
42 F. Cerruti, Lettera agli ispettori e ai direttori (24 novembre 1908), in F. Cerruti,
Lettere circolari e programmi di Insegnamento (1885-1917). Introduction, textes

18.10 Page 180

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180 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Aussi Don Cerruti, déjà âgé, a-t-il invité les salésiens à « éviter comme
la peste » la conviction que « le contact continu et constant avec les jeunes
entraîne une perte d’autorité ; que les prêtres surtout doivent, en vertu
de leur dignité sacerdotale, s’exempter de toute assistance. Non, chers
confrères, ce n’est pas le système préventif, ce n’est pas ce qu’enseignait
Don Bosco ».43 Malgré les exhortations et les arguments des responsables
de la Congrégation, de nombreux rapports rédigés à l’issue des visites des
instituts confirment le problème de la mauvaise assistance et de l’usage
excessif des punitions, même corporelles.
Un renforcement de la logique disciplinaire s’est produit pendant les
années de la première guerre mondiale qui mobilisa près de la moitié des
confrères. Les fortes expériences de la guerre et du système militaire ont
orienté l’éducation vers une discipline plus militaire que familiale.44 Autre
facteur important, les exigences du système scolaire de certains États ont
introduit une formation civique et militaire qui a diffusé dans les collèges
des éléments de logique répressive.
La période du rectorat de Pietro Ricaldone, que nous aborderons plus
loin, est devenue emblématique pour les questions de discipline et d’uni-
formité des interprétations du système préventif. Les sources sont évidem-
ment restées les mêmes, et le recteur majeur a cité les déclarations de Don
Bosco et de ses successeurs au sujet de la punition. Ce qui manquait, c’était
une ligne générale de gouvernement capable d’équilibrer les tendances
d’une époque de contrastes, de fermetures, de luttes et de confiance dans
le centralisme uniformisant, comme le fut la ligne de la piété prônée par
Don Albera ou le paradigme de la paternité combiné à la mentalité d’adap-
tation créative présente dans le magistère de Don Rinaldi. La discipline,
la fidélité et l’uniformité sont des thèmes qui sont au centre des arguments
de Don Ricaldone, qui a publié un nombre surprenant de textes contenant
des décisions, des règles et des programmes pour tous les domaines de la
vie salésienne.
critiques et notes sous la direction de José Manuel Prellezo, LAS, Roma 2006, 309.
43 F. Cerruti, Un ricordino educativo-didattico, SAID Buona Stampa, Turin 1910, 35.
44 Cf. J.M. Prellezo, Linee pedagogiche della Società Salesiana nel periodo 1880-
1922. Approccio ai documenti, in «Ricerche Storiche Salesiane» 23 (2004) 44, 149-
150.

19 Pages 181-190

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19.1 Page 181

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 181
3.2. Directives du recteur majeur Pietro Ricaldone : fi-
délité, catéchèse et études
Don Pietro Ricaldone devint le successeur de Don Bosco en 1932, après
une longue expérience au Conseil général. Conseiller professionnel à partir
de 1911 et vicaire de Don Rinaldi, il a laissé une forte empreinte dans de
nombreux domaines de la Congrégation. Homme de gouvernement, il a
dû faire face à des situations concrètes liées à la croissance de la Congré-
gation et aux adversités causées par les régimes autoritaires et une guerre
mondiale dévastatrice.
Certains traits de son style de gouvernement sont déjà reconnaissables
dans sa fonction de provincial dans le sud de l’Espagne au début du XXe
siècle. Dans l’organisation des écoles populaires il se distingua par la clar-
té de ses idées, un grand sens de l’organisation et une insistance sur la
formation des enseignants.45 Il a également encouragé l’étude scientifique
de l’éducation, en se concentrant sur les problèmes des écoles agricoles.46
L’efficacité de ses méthodes a renforcé la tendance à la centralisation à
l’époque de la nécessaire coordination mondiale des écoles profession-
nelles. En effet, dès le début de son mandat de conseiller professionnel, il
avait insisté auprès des inspecteurs et des directeurs pour qu’ils envoient
des rapports trimestriels sur ce qui se faisait dans les écoles, sur les ef-
fectifs, les programmes et la formation du personnel. L’insistance répétée
dans ses circulaires sur le thème des rapports à envoyer montre l’impor-
tance de cet instrument de gouvernement. Un autre thème fréquent est la
préparation du personnel : les provinciaux devaient lui communiquer au
début de l’année scolaire la liste des confrères qui seraient inscrits dans des
cours supérieurs ou universitaires en ingénierie, mécanique, agriculture,
45 Cf. J. Borrego, Las escuelas populares salesianas en España. Realizaciones en
la Inspectoría Bética, in González et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al
1922, vol. 1, 418-428.
46 Voir les volumes de Ricaldone dans la série «Biblioteca Agraria Solariana» publiée
par les Escuelas profesionales de artes y oficios de Sevilla: El clero, la agricultura
y la cuestión social; Los labradores, la agricoltura y la cuestion social, tous deux
datés de 1903; Las leguminosas y los cereales. Estudio critico cientifico de 1904 et
les 7 volumes de El problema forrajero publiés entre 1905 et 1910.

19.2 Page 182

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182 Pédagogie salésienne après Don Bosco
économie, sciences sociales, etc.47
Les lignes de son gouvernement, notamment dans le domaine de l’édu-
cation et de la pédagogie, que nous aborderons dans les paragraphes sui-
vants, illustrent la mentalité de base de Pietro Ricaldone en la situant dans
le contexte des opportunités et des menaces dans les années 1930-1940.
3.2.1. L’unité, la formation et l’étude scientifique à l’Institut supé-
rieur de pédagogie
Dans sa première lettre en tant que recteur majeur, et en continuité avec
les cinq dernières années du mandat de Don Rinaldi, Ricaldone exhortait
les confrères à ne pas multiplier les œuvres, mais à consolider celles qui
existaient déjà, et à investir dans la formation, en annonçant le principe :
« L’avenir de notre Société réside avant tout dans les maisons où se forme
le personnel ».48 Considérant le nombre record de novices qui dépassait
le millier par an, Don Ricaldone a noté un danger pour « notre Société,
dont le développement rapide pourrait même devenir un grave danger, si
des éléments délétères s’infiltraient dans son organisme ». À la base de la
formation il mettait beaucoup d’exigence et peu de tolérance, selon le prin-
cipe de base annoncé au début de sa lettre programmatique : « L’unité des
esprits et des cœurs ».49
Malgré la décision de ne pas ouvrir de nouvelles maisons et les dif-
ficultés présentées par les régimes autoritaires et totalitaires, la période
étudiée a été celle de la plus grande croissance. De 1925 à 1955, le nombre
de maisons en Amérique, le continent qui a connu la plus faible croissance,
a doublé, tandis que l’Asie a vu sa présence salésienne plus que tripler.50
47 Cf. Prellezo, Le scuole professionali salesiane, vol. 1, 84-88.
48 P. Ricaldone, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 13 (1932) 58, 4.
49 Ibid., 3.
50 Pendant la période de Ricaldone, la Congrégation a son centre de gravité démo-
graphique et opérationnel en Europe et en Amérique, mais il est intéressant de noter
que, même si les chiffres sont faibles, la plus grande croissance des maisons et des
confrères a lieu dans les continents « missionnaires »: l’Asie est la première, suivie
de l’Afrique. La composition des communautés est également différente: le nombre
de confrères par maison en Asie et en Afrique est resté autour de la moyenne de
7 confrères par maison pendant toute la période du Ricaldone. En Europe et en

19.3 Page 183

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 183
On ne peut cependant pas dire qu’en raison de cette croissance, aucun ef-
fort n’ait été fait pour investir dans la formation salésienne. Le centralisme
du gouvernement ricaldonnien lui a donné des instruments qui exercèrent
une forte influence sur les processus de formation. La série Formation
salésienne, composée de 13 volumes substantiels, témoigne de l’utilisa-
tion consciente de son pouvoir de décision. Depuis les questions de procé-
dures à respecter jusqu’à l’organisation des archives et des bibliothèques,
en passant par l’application des principes de la formation et de l’éducation
salésienne, le gouvernement ricaldonien a été l’époque d’un paradigme que
nous pourrions appeler celui de « la formation par l’exécution obéissante ».
Un fait particulièrement intéressant pour notre étude est la plus grande
importance accordée à l’étude de la pédagogie dans la formation des salé-
siens. Après la mort du conseiller scolaire Bartolomeo Fascie qui soutenait
la ligne de la formation pratique par osmose, le recteur majeur exprima
plus clairement sa pensée sur la pédagogie salésienne au cours du Chapitre
général de 1938 :
On a abusé de la phrase de Don Bosco lui-même : “On m’interroge
sur mon système ! Mais même moi, je ne le sais pas !”. Un acte d’hu-
milité ne doit pas devenir une arme contre lui, et encore moins un
drapeau. Il est vrai que Don Bosco était avant tout un éducateur, un
pédagogue, mais il était aussi un grand spécialiste de pédagogie. Les
admirables pages du Système préventif suffiraient à le déclarer tel !
[…] J’ai recommandé au conseiller général pour les écoles d’envoyer
des salésiens suivre des cours universitaires dans les écoles pédago-
giques les plus réputées.51
L’insistance sur l’étude scientifique de la pédagogie a été accentuée
dans l’après-guerre par l’investissement d’énergies et de ressources notam-
ment dans l’Institut Supérieur de Pédagogie (ISP) du Pontificio Ateneo
Salesiano (PAS, ou Athénée Pontifical Salésien) de Turin-Rebaudengo.
Amérique, la communauté moyenne compte deux fois plus de confrères. Cf. Bay -
Motto, Opere personale e attività, 44-49.
51 P. Ricaldone, Parlate del Rev.mo Rettor Maggiore durante il XV Capitolo Gener-
ale, in ACS 19 (1938) 87, 4-5. Le conseiller scolaire général de l’époque était Renato
Ziggiotti, qui a exercé cette fonction de 1937 à 1951.

19.4 Page 184

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184 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Lors du Chapitre général de 1947, il a été demandé aux inspecteurs de veil-
ler à ce qu’au moins un clerc soit envoyé pour se spécialiser en pédagogie
au PAS.52 L’objectif a été explicité de la manière suivante : « Les salésiens,
pour remplir avec plus de perfection leur mission éducative, doivent se
former davantage et mieux en pédagogie ».53
L’attitude positive à l’égard des études pédagogiques n’était cependant
pas nourrie par une confiance naïve. D’une part, il y avait un besoin de
professeurs de pédagogie dans les maisons de formation des salésiens et de
salésiens qualifiés pour enseigner dans les écoles ; d’autre part, il y avait
une motivation clairvoyante : « Si nous pensons aux doctrines erronées et
aux courants pédagogiques qui se répandent partout avec des dommages
incalculables pour les jeunes, nous nous rendrons compte plus exactement
du besoin pressant d’hommes préparés à enseigner la pédagogie ».54 Dans
ce contexte, la pédagogie salésienne était perçue comme une « nouvelle »
science basée sur des principes indiscutables :
sur les fondements granitiques de la philosophia perennis et de la
théologie catholique, et en même temps sur les données que nous
offrent les autres sciences, comme la psychologie, la biologie, la so-
ciologie, etc. Mais en même temps, nous voulons que le temple de la
science pédagogique soit non seulement beau et bien bâti, mais qu’il
soit exempt de superstructures, erronées ou étrangères, qui, sous
prétexte de vouloir le fortifier ou l’embellir, l’étouffent pratiquement
ou le défigurent, le privant de sa physionomie caractéristique et de
l’esprit qui l’anime et le distingue par sa finalité pratique, son élan
d’initiatives et sa fécondité en réalisations.55
Les développements scientifiques de la pédagogie salésienne sont
liés aux conceptions de Carlos Leôncio da Silva, un salésien brésilien
appelé par Don Ricaldone à diriger l’Institut Supérieur de Pédagogie de
52 Breve cronistoria, deliberazioni e raccomandazioni del XVI Capitolo generale,
dans ACS 27 (1947) 143, 80.
53 P. Ricaldone, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 30 (1950) 159, 8.
54 Ibid.
55 P. Ricaldone, Don Bosco educatore, Libreria Dottrina Cristiana, Colle Don Bosco
(Asti) 1951, vol. 1, 56.

19.5 Page 185

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 185
Turin-Rebaudengo au début des années 1940. Durant cette période, qui
mérite d’être traitée dans un paragraphe à part, les idées de Don Ricaldone
apparaissent déjà fortement enracinées dans la tradition salésienne des
écoles classiques et professionnelles et développées surtout autour de l’en-
seignement religieux. Dans l’approche catéchétique de Ricaldone, suivant
les lignes du professeur Casotti, certains apports didactiques du courant
de « l’école active » sont mis en valeur, tels que : l’activité dans les écoles,
la méthode inductive, la participation des élèves, la connaissance psycho-
logique des élèves, l’école sereine et joyeuse, l’exclusion des punitions, la
liberté de l’élève, le travail personnel de l’élève, l’utilisation des idées cen-
trales de synthèse, l’utilisation des centres d’intérêt des élèves.56
Les courants de la pédagogie positiviste et naturaliste étaient au
contraire considérés comme des expressions d’une « pédagogie athée »,
dont Jean-Jacques Rousseau et John Dewey étaient les plus grands repré-
sentants. Les études statistiques n’étaient pas non plus tenues en haute es-
time par Don Ricaldone. Dans le cadre du Congrès de l’Action catholique
de 1938, il s’exprima « contre la fièvre du mouvement statistique : plus que
des chiffres, qui pourraient devenir des tumeurs, nourrissons-nous d’un
véritable zèle [...] ; ne réduisons pas l’Action catholique à la théorie, à des
manèges académiques, où parfois la vanité se nourrit et triomphe ».57 Dans
ce cadre de référence, on comprend pourquoi la fonction des études péda-
gogiques du PAS a également été exprimée en ces termes :
Nous considérons que la menace de la pédagogie matérialiste et
athée, même si elle est déguisée sous le nom de science, est si grave
que nous pensons qu’il n’y a pas d’autre menace plus désastreuse
pour le destin de l’humanité. [...] Afin que nous puissions tous
prendre parti [...] pour mener cette grande bataille avec un esprit ré-
solu et des moyens adéquats, nous avons décidé que l’Institut Supé-
rieur de Pédagogie soit créé au sein de l’Athénée Pontifical Salésien.58
Même si, par comparaison avec le précédent rectorat, on a davantage
56 Cf. P. Ricaldone, Oratorio festivo catechismo formazione religiosa. Strenna del
Rettor Maggiore 1940, SEI, Turin 1940, 195-205.
57 Breve cronistoria, deliberazioni e raccomandazioni del XVI Capitolo generale, 17.
58 Ricaldone, Don Bosco educatore, vol. 1, 58-59.

19.6 Page 186

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186 Pédagogie salésienne après Don Bosco
parlé de l’étude scientifique de la pédagogie, la formation pratique n’a pas
été négligée et le recteur majeur exhortait les directeurs à développer un
sentiment de paternité chaleureuse et de charité aimable dans l’accompa-
gnement des clercs.59 Au cours de cette période de formation, ils ne devaient
pas se contenter des livres sur la culture chrétienne et classique, ils devaient
aussi étudier les travaux de Bartolomeo Fascie sur la méthode d’éducation
de Don Bosco.60 Avec les FMA, Don Ricaldone a eu des contacts moins
intenses que son prédécesseur, mettant l’accent sur ses propres convictions
en indiquant la nécessité de fonder des maisons de formation afin de quali-
fier pédagogiquement et professionnellement les nouvelles professes à qui
il était demandé d’approfondir la méthode éducative de Don Bosco.61
3.2.2. L’amour comme inspiration et la discipline comme moyen gé-
néral d’éducation
Au moins au niveau des principes, Pietro Ricaldone a suivi la ligne de
Don Rinaldi. Dans sa première lettre systématique, commentant l’étrenne de
1933, il présenta la charité comme le premier principe de la vie chrétienne
et le milieu familial qui, façonné par la charité, est le contexte de l’éducation
salésienne.62 Le modèle de cette charité est saint François de Sales,
le saint de la charité, de la douceur, de l’amour. Il ne se contente pas
de l’extérieur, mais veut la vertu qui est force, qui est effort ; il veut
même la reine des vertus, dont on dit qu’elle est forte comme la mort.
Il était convaincu que tout est possible pour une âme enflammée
par les plus pures ardeurs de l’amour. C’est ce qui explique le travail
infatigable et l’efficacité prodigieuse du bienheureux Don Bosco qui
59 Breve cronistoria, deliberazioni e raccomandazioni del XVI Capitolo generale, 18.
60 R. Ziggiotti, Lettera del consigliere scolastico, in ACS 18 (1937) 79, 395.
61 Cf. Atti del Capitolo Generale XI dell’Istituto delle Figlie di Maria Ausiliatrice
tenutosi in Torino – Casa Generalizia dal 16 al 24 luglio 1947, Istituto FMA, Torino
1947, 25.
62 Cf. P. Ricaldone, Strenna del 1933. Pensar bene di tutti - Parlar bene di tutti - Far
del bene a tutti, in ACS 14 (1933) 61bis, 43. Cf. la même approche du fondement de
l’amour dans le Système préventif dans Ricaldone, Don Bosco educatore, vol. 1,
148-228.

19.7 Page 187

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 187
voulait que la charité soit la norme constante de son travail, la base
de son système pédagogique, l’âme de son apostolat.63
Dans son Don Bosco educatore qui conclura le rectorat de Ricaldone
sur le plan des idées pédagogiques, la ligne de l’amour est maintenue
comme « principe directeur » du système préventif. Mais le point fort
des directives de Don Ricaldone consiste dans la description des applica-
tions de ce système, précises, définitives et détaillées. Sa synthèse relie le
concept de l’amour à celui de la perfection tel que l’a formulé Don Barbe-
ris, mais en utilisant une argumentation particulière : « Or, si l’inclination
de l’âme à vouloir le bien d’une personne est déjà de l’amour, il faut dire
que l’éducation est d’autant plus une œuvre d’amour : en effet, elle veut
et s’efforce effectivement et se sacrifie pour procurer le seul vrai bien de
l’élève, c’est-à-dire la perfection de sa vie en tant qu’homme ».64 L’amour
est considéré comme un débordement généreux d’énergies intérieures pour
réaliser l’œuvre du bien unique, la « perfection », non seulement idéale
mais concrète, tangible et réglementée.
Le paradoxe de ses choix fondamentaux est la dissonance entre le prin-
cipe fondamental de l’amour et le choix méthodologique de l’éducation.
Dans Don Bosco educatore il propose la discipline, liée à l’autorité, comme
moyen général d’éducation. Il déclare dans son texte :
Mais il ne suffit pas d’avoir de bons principes, des idées claires,
des concepts bien élaborés des choses à faire : outre la possibilité
de traduire tout cela en pratique, il faut cette technique, ou plutôt
cette tactique spéciale, et cet esprit qui donnent vie et valeur à ladite
méthode. C’est précisément dans cette optique qu’il est bon de voir
et d’examiner la méthodologie éducative salésienne, pour en saisir
toute l’âme : et c’est précisément dans cette optique que, selon la
pensée et la pratique de Don Bosco, il faut interpréter avant tout le
principe d’autorité qui, dans le milieu éducatif, fait fleurir la disci-
pline.65
63 Ricaldone, Strenna del 1933, 45.
64 Ricaldone, Don Bosco educatore, vol. 1, 149.
65 Ricaldone, Don Bosco educatore, vol. 1, 286-287.

19.8 Page 188

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188 Pédagogie salésienne après Don Bosco
D’après ce qui a été mentionné à propos de la discipline et de « l’unité
des esprits et des cœurs », il semble que le véritable fil conducteur et le
centre de gravité des lignes pédagogiques de Don Ricaldone soient l’accent
mis sur une organisation uniforme et disciplinée. Cette orientation se situe
dans le contexte de la canonisation de Don Bosco et elle est développée
surtout dans les trois cents pages de l’étrenne pour 1935 sur la Fidélité à
Don Bosco Saint.66 L’auteur développe son argumentation avec esprit de
décision en procédant par étapes :
1. la fidélité est liée à un acte de foi envers Dieu et donc liée à l’attitude
de confiance ; 2. elle se traduit par conséquent par la promesse de suivre
Don Bosco ; 3. qui a été envoyé par Dieu et qui est un saint confirmé par
l’Église ; et enfin 4. on suit Don Bosco à travers l’observance des Règles.
On en arrive même à des affirmations radicales et réductrices : « Les
règles, qui ont été le but suprême des aspirations de Don Bosco fondateur,
continuent d’être aujourd’hui sa pensée et tout son cœur. [...] Aimer Don
Bosco, c’est aimer les règles ».67
Dans la même étrenne, on explique que l’amour, comme principe de
base, ne veut pas exclure la fermeté et la sévérité raisonnable : « Le supé-
rieur est le médecin qui se propose de libérer les malades qu’il soigne de
leurs maux : il doit donc connaître et appliquer les remèdes appropriés et
nécessaires, même si parfois ils peuvent être désagréables et répugnants
pour les patients. Malheur à la maison dans laquelle, par une bonté irrai-
sonnable, les religieux se règlent à leur guise ; elle ne tardera pas à se rui-
ner ».68 Même si, au niveau du concept, l’amour est confirmé comme une
caractéristique du gouvernement salésien, ce qui prévaut en fait, ce sont les
interventions sur les thèmes de la fidélité, des règles, des règlements, des
traditions, de l’autorité, du gouvernement, de l’obéissance, de la discipline
et de la perfection.
Dans le contexte de la canonisation, toutes les indications de Don Bos-
co acquéraient l’aura sacrée d’une sainteté confirmée par l’Église et pous-
saient ses disciples vers la perfection avec plus de force et toujours plus
dans le concret, grâce à un nombre accru de documents. Par rapport au
66 Cf. P. Ricaldone, Strenna del Rettor Maggiore per il 1935. Fedeltà a Don Bosco
Santo, SEI, Torino 1936.
67 Ibid., 13-14.
68 Ibid., 202.

19.9 Page 189

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 189
principe de Barberis de l’éducation comme œuvre de perfectionnement, ici
nous voyons déjà en jeu une « perfection perfectionnée » dans le sens que
l’idéal est traduit dans des milliers d’exemples objectifs de la vie de Don
Bosco qui se traduisent en un nombre tout aussi important d’applications
et de règlements dans la vie quotidienne d’une maison salésienne. Dans
l’application des normes éducatives il faut signaler le rôle important des
Memorie biografiche, dont les derniers volumes ont été achevés en 1939
sur l’insistance du recteur majeur.
Sans une sensibilité à la diversité des applications dans les contextes
très variés où opéraient les salésiens de l’époque, il ne pouvait y avoir de
« principe de freinage » à une réglementation uniforme. La mentalité cou-
rante qui voyait l’Église comme une forteresse assiégée était en ligne avec
l’esprit de Divini Illius Magistri, avec le sens des responsabilités des supé-
rieurs, avec les accents moralisateurs de l’idéal de perfection et, pour finir,
avec le tempérament ferme et énergique du recteur majeur. Emblématique
à cet égard est la lettre sur la visite canonique des inspecteurs dans les
maisons salésiennes.69 On y lit une avalanche de plus de deux cents pages
de prescriptions qui ont leur centre de gravité dans les décrets relatifs à la
sphère liturgique.70 Le souci de l’aspect éducatif est garanti par l’obéissance
69 Cf. P. Ricaldone, La visita canonica nelle case salesiane, in ACS 20 (1939) 94,
1-213.
70 Cf. Ibid., 16-159. À titre d’exemple, nous énumérons les sujets liturgiques traités
dans les cent pages et demie: la visite de l’église; le tabernacle; la matière, la forme,
la porte, la clé, l’ornementation, les accessoires du tabernacle; le conopée; l’autel du
Saint-Sacrement; la lampe; les autels en général; les nappes et le pallium de l’au-
tel; la croix; les chandeliers; les tables d’autel; l’autel du Saint-Sacrement; la croix;
le Saint- Sacrement; la lampe; les autels en général; les nappes et le pallium del
l’autel; la croix; les chandeliers; les tableaux de l’autel; le pupitre, la clochette, les
ampoules, le tableau des prières; le grand autel; l’autel de l’exposition du Saint-Sa-
crement; vases sacrés; calice et patène; ostensoir et châsse; ciboire et patène pour
la communion; vin pour la Sainte Messe; hosties et particules; récipients d’huiles
saintes; reliques et reliquaires; vêtements sacrés; linge sacré; encensoir, navette, en-
cens, torches; pour la Semaine Sainte; autres meubles et objets sacrés; décorations,
tentures, festons; fleurs dans l’église et sur l’autel; éclairage; cierges, images et
autres objets votifs; dispositions canoniques concernant les images saintes; dispo-
sitions liturgiques générales concernant les images saintes; dispositions spéciales
concernant les images du Seigneur; dispositions concernant les images de la Vi-
erge; dispositions relatives aux images d’anges et de saints; le chemin de croix; les
confessionnaux; le baptistère; l’eau bénite et ses bassins; le sanctuaire; la chaire;

19.10 Page 190

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190 Pédagogie salésienne après Don Bosco
aux normes. La douzaine d’occurrences du concept d’éducation visent uni-
quement à l’observation des prescriptions liturgiques, au contenu des lec-
tures et aux sujets traités dans les pièces de théâtre.
3.2.3. Les développements de la catéchèse sous la forme de la « Croi-
sade ».
Le développement de l’enseignement du catéchisme dans la proposition
éducative salésienne avant Vatican II a eu deux influences substantielles
: les congrès catéchétiques de 1895 à 1912 liés aux orientations pédago-
giques de Don Rua et la « croisade catéchétique » annoncée par Don Ri-
caldone à partir de 1941. La période intermédiaire n’a pas été caractérisée
par un développement systématique des idées sur la catéchèse, et cela pour
plusieurs raisons : la première guerre mondiale et la confrontation avec
des régimes totalitaires ou hostiles à la religion en Italie, en Allemagne,
en Espagne et au Mexique ; la disparition de Don Rua, protagoniste du
mouvement des congrès ; le changement d’accent pendant les rectorats de
Don Albera et de Don Rinaldi ; la dynamique interne du développement
organisationnel qui nécessite un certain temps pour la mise en œuvre des
idées qui ont émergé dans les congrès ; enfin, une raison importante était le
manque de continuité au niveau du personnel. La réflexion des congrès n’a
pas eu de continuité au cours des années entre la première guerre mondiale
et le rectorat de Don Ricaldone, également parce que Don Amadei, qui a
été le plus longtemps directeur du Bulletin salésien, a été orienté vers des
travaux uniquement historiques, tandis que Don Trione et Don Anzini, les
principaux organisateurs des congrès, arrivaient en fin de carrière.
Dans les années 1930, dans un contexte sensiblement modifié dans
l’Église et à l’intérieur de la congrégation, la catéchèse prenait des connota-
tions qui dépassaient largement la perspective des congrès sur les oratoires.
les bancs, sièges, prie-Dieu; le chœur et le presbyterium; l’orgue et les instruments
de musique; les services funèbres; diverses fonctions; les troncs pour les aumônes;
plans et dessins; la crèche; la sacristie ordinaire; sacristie des églises et paroisses
publiques; sacristie des églises majeures; clergé et enfants de chœur; l’église et les
lieux sacrés; cloches et clocher; cimetières et chapelles funéraires; services sacrés
et fêtes; principaux défauts dans les services sacrés et dans la célébration des fêtes;
autres inconvénients; mouvement liturgique.

20 Pages 191-200

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20.1 Page 191

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 191
La croisade catéchétique promue par Don Ricaldone ne visait pas seule-
ment l’oratoire, mais était entièrement orientée vers le renouvellement de
la qualité de la catéchèse dans tous les domaines. La réaffirmation de l’im-
portance du catéchisme allait de pair avec une attention nouvelle et pro-
noncée aux problèmes pédagogiques, didactiques et organisationnels. La
croisade catéchétique reflétait déjà les progrès réalisés grâce aux congrès
de Brescia de 1912, à la rencontre avec le mouvement militant et aux ini-
tiatives mises en œuvre au sein des associations d’Action catholique.71 Le
centenaire de l’œuvre salésienne, célébré en 1941, fut l’occasion de préciser
les orientations pour les oratoires, mais aussi pour l’enseignement du ca-
téchisme et la formation religieuse en général. Déjà le CG15 de 1938 avait
préparé le centenaire avec un calendrier de concours et de congrès visant
à « étudier la meilleure façon de dispenser l’instruction catéchétique et de
répandre, renforcer et approfondir l’instruction religieuse ».72
D’autre part, le commentaire de l’étrenne pour 1940 intitulé Caté-
chisme, oratoire festif et formation religieuse avait développé sur plusieurs
centaines de pages les grandes lignes pédagogiques interprétées dans le
contexte problématique de la guerre, de la persécution, de la dégradation
morale de la famille, de la déchristianisation de l’école, dans une culture
démoralisante et sécularisée.73 Le recteur majeur lançait la croisade caté-
chétique en des termes qui ne sont pas peu rhétoriques,74 car il voit dans
l’instruction religieuse la meilleure réponse pour le salut de la jeunesse
dans la situation décourageante peinte en couleurs sombres :
Il est vrai que nous sommes peu nombreux et inégaux face aux
71 Cf. Ibid., 77.
72 Ricaldone, Parlate del Rev. Rettor Maggiore, 3.
73 Cf. Ricaldone, Oratorio festivo, 20-29. Dans sa lecture de la situation, le recteur
majeur appuie son argumentation sur plusieurs références aux encycliques papales
du XXe siècle.
74 Cf. également les références de Pie XII à la rhétorique des croisades dans ses en-
cycliques et ses discours officiels. Cf. Pie XII, Lettre encyclique Saeculo exeunte
octavo, in AAS 32 (1940) 249-260; Id, Lettre encyclique Anni Sacri, in AAS 42
(1950) 217-222; Scritti e Discorsi di S.S. Pio XII nel 1940, Cantagalli, Siena 1941,
284-286; Discorso di sua santità Pio XII alle Pontificie Opere Missionarie, in Dis-
corsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, Città
del Vaticano 1945, vol. 6, 47-52.

20.2 Page 192

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192 Pédagogie salésienne après Don Bosco
besoins pressants et immenses ; de plus, notre apostolat date d’hier.
[...] L’essentiel est que pas même un seul ne reste sourd à l’appel
divin et que tous, dans le champ d’action immense et multiforme,
apportent leur concours avec enthousiasme et toujours. Et puisque
la Divine Providence a voulu que les pauvres fils de Don Bosco
plantent leurs tentes sur tous les rivages, il est de notre devoir, en
cette occasion propice des festivités du centenaire, de donner du
souffle aux trompettes et de faire résonner puissamment sous tous
les cieux la voix de Dieu et de l’Église, en invitant tout le monde à la
sainte croisade.75
La communication de la « sagesse céleste, nécessaire au salut éter-
nel, par l’enseignement du catéchisme »76 est explicitée par le recours à
la tradition salésienne, dans la définition de la finalité et des méthodes de
l’instruction catéchétique, en développant une grande partie du texte de
l’étrenne sur le personnel et les rôles au sein de l’oratoire. Il traite ensuite
des moyens éducatifs à employer pour l’instruction, pour l’enseignement,
pour une récréation agréable et honnête, et termine par des schémas et des
dessins concernant les projets architecturaux pour les oratoires et les salles
de classe, les programmes scolaires et les moyens didactiques.77
L’argumentation typique de Don Ricaldone commence par la reprise
du Règlement de l’Oratoire festif de don Bosco, un « petit livre, modeste
dans sa forme et ses dimensions, [qui] contenait en germe toute l’œuvre
salésienne avec son esprit, son système et ses possibilités de développe-
ment multiforme ».78 Reprenant l’argumentation de Don Rua, il réaffirme
la finalité catéchétique de l’oratoire contre la fatale illusion de le réduire à
75 Ibid., 34-35. NB: Ricaldone contextualise la croisade en se référant aux exemples
du XVIe siècle dans la ligne de la contre-réforme: Robert Bellarmin, Charles Bor-
romée et la Sodalité des écoles de doctrine chrétienne de Rome, née sous le pontif-
icat de Pie IV.
76 Sacrée Congrégation du Concile, Provido sane consilio, in Ricaldone, Oratorio
festivo, 31.
77 Voir aussi E. Ceria (ed.), Il contributo della Congregazione Salesiana alla croci-
ata catechistica nelle realizzazioni di don Pietro Ricaldone, IV successore di San
Giovanni Bosco, Libreria Dottrina Cristiana, Colle don Bosco (Asti) 1952.
78 Ricaldone, Oratorio festivo, 38.

20.3 Page 193

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 193
un « lieu de rencontre pour les jeux »79 et organise la catéchèse comme une
école divisée en classes.80 Une partie importante de l’instruction catéché-
tique est consacrée à la formation initiale et permanente des catéchistes.81
Le recteur majeur propose de revoir le titre de « responsable de l’Ora-
toire » et de revenir à celui de « directeur de l’oratoire », correspondant à la
formulation originale de Don Bosco, en lui appliquant également certaines
indications contenues dans les Souvenirs confidentiels pour les directeurs
et dans le Manuel du directeur de Don Albera.82 Le raisonnement qui sous-
tend ces choix suit la ligne de la fidélité à l’histoire du développement de
l’œuvre de Don Bosco : il y eut d’abord l’oratoire avec ses rôles et seu-
lement après est venue la Congrégation.83 Les rôles au sein de l’oratoire
sont élargis et créent une structure parallèle à celle du collège salésien :
directeur, préfet, catéchiste et conseiller des études qui forment le conseil
de l’oratoire.84 Cette articulation plus riche des rôles n’a pas connu, semble-
t-il, une mise en œuvre significative et durable.
Dans sa discussion sur la méthode, l’auteur commence par souligner que
« les formes, les modes et les procédures ne sont pas des méthodes. C’est
pourquoi on ne peut appeler méthode ni un programme cyclique, ni une ac-
tivité scolaire déterminée, si louable soit-elle, ni un ensemble d’objets ou
une collection d’intuitions, ni la forme dialogique ou socratique ».85 Don
Ricaldone plaide en faveur de la méthode générale déductive-inductive, en
s’inspirant explicitement de saint Thomas d’Aquin. L’accent est mis sur la
méthode inductive que l’auteur appelle « méthode catéchétique de l’Évan-
gile »:
Et ici il est bon de faire remarquer en particulier que non seulement
les vérités enseignées par Jésus-Christ, mais encore la méthode qu’il
a suivie pour les faire pénétrer dans l’esprit de ceux qui venaient
79 Cf. Ibid., 40.
80 Ibid., 41-46.
81 Cf. Ibid., 124-127.
82 Cf. Ibid., 72.
83 Cf. Ibid., 74-75.
84 Cf. Ibid., 74-85.
85 Ibid., 155.

20.4 Page 194

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194 Pédagogie salésienne après Don Bosco
l’entendre, sont indiquées, parfois dans les moindres détails, dans le
saint Évangile, où il est décrit par quels moyens et quels auxiliaires
le Sauveur a rendu sa doctrine accessible. Or, le Catéchisme est un
recueil des vérités que Jésus-Christ a enseignée à l’humanité par la
prédication de l’Évangile, afin de parvenir au salut éternel. Si donc
il est de notre devoir, d’une part, d’accepter les vérités qui sont sor-
ties des lèvres du divin Rédempteur, d’autre part, il semble logique,
voire juste, que dans l’enseignement de ces vérités nous suivions
également la méthode qu’il a utilisée. Et puisque cette méthode
est clairement indiquée et fidèlement décrite dans l’Évangile, nous
pouvons et devons l’appeler à juste titre : la méthode catéchétique de
l’Évangile.86
L’exemple de Don Bosco catéchiste, fidèle disciple de Jésus, est pré-
senté dans son utilisation de similitudes, d’images et d’activités sur plus de
vingt pages.87 En parlant de méthode, il est intéressant de comparer l’école
active avec l’école catholique voulue par Don Bosco. Selon Don Ricaldone,
on pourrait trouver de nombreuses similitudes qui relativiseraient l’hypo-
thétique nouveauté du mouvement activiste. Les principes communs et en
même temps fondamentaux étaient :
1) l’école doit être active ;
2) l’utilisation de la méthode inductive ;
3) la participation inclusive des élèves aux travaux de leur éducation et
de leur formation ;
4) la connaissance psychologique des élèves ;
5) l’école doit être paisible et joyeuse ;
6) l’exclusion des punitions ;
7) donner la liberté à l’élève ;
8) le travail personnel de l’élève pour se perfectionner et se gouverner ;
9) l’utilisation d’idées centrales ou unitaires ;
86 Ibid., 161-162.
87 Cf. Ibid., 168-192.

20.5 Page 195

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 195
10) l’utilisation de l’intérêt de l’élève.
La « méthode de l’Évangile » coïncide, dans l’argumentation de Don
Ricaldone, avec la méthode inductive qui utilise l’imagination, les figures,
les images, les exemples, les objets réels « du milieu physique, social, reli-
gieux, historique dans lequel on vit ».88 On y retrouve également quelques
exemples du mouvement de l’école active, qui stimule la participation des
élèves et développe des « centres d’intérêt » conduisant les jeunes à at-
teindre des niveaux héroïques de vertu en suivant les intérêts spirituels
qui surpassent ceux de la terre autant que le ciel est au-dessus de la
terre. En revanche, seuls les biens indiqués par la religion catholique
sont capables de satisfaire notre âme aimante. Celui qui veut limiter
les buts de la vie aux intérêts de ce monde, favorise l’égoïsme et le
sensualisme, éduque superficiellement et sans élever les initiatives,
rend le cœur humain vide et malheureux. [...] C’est pourquoi, sans
négliger les choses terrestres, nous voulons les spiritualiser, en les
irradiant de foi et en les convertissant en instruments de perfection
et de sanctification.89
Les discussions sur la méthode sont complétées, de manière paradig-
matique pour Ricaldone, par des indications concrètes qui tournent es-
sentiellement autour du climat qui doit caractériser l’oratoire salésien. Le
« comment faire l’oratoire » consiste à tenir compte : du règlement, du lieu
(avec des cartes et des plans de l’oratoire en annexe), du projet, du person-
nel, des catéchistes, de la formation des catéchistes, de la Congrégation de
la Doctrine Chrétienne, des moyens pour attirer les jeunes à l’oratoire, de
la méthode, de l’exemple du catéchiste Don Bosco, des aides didactiques et
des livres, de l’activisme, des examens, des concours, des fêtes, de la Parole
de Dieu, de la récréation, du théâtre. Il est étonnant de constater le niveau
des applications, parfois jusque dans les moindres détails. Lorsqu’il décrit
la catéchèse comme une école, sa réflexion se veut pratique ; par exemple,
pour résoudre le problème des salles de classe, l’auteur ne ménage ni son
temps ni son attention. Il demande aux ingénieurs et aux architectes de
88 Ibid., 164.
89 Ibid., 204.

20.6 Page 196

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196 Pédagogie salésienne après Don Bosco
prévoir leur orientation, un bon éclairage naturel et artificiel, la ventilation
et l’emplacement du bâtiment dans le complexe de l’oratoire.90
Au cours de la même année 1939, il crée le Bureau central catéchétique
salésien, conçu comme une structure pour le groupe de jeunes salésiens
qui se consacrent à plein temps à la grande croisade ; en 1947 il s’appel-
lera le Centre catéchétique salésien91 Une partie du projet de catéchèse
renouvelée a été la fondation de la Librairie de la Doctrine Chrétienne
(LDC) en 1941, une maison d’édition active dans la même mission jusqu’à
aujourd’hui avec plus de 3.000 publications.
3.2.4. La radicalisation de la question des divertissements
L’affirmation de l’importance de la catéchèse a également influencé
certains aspects de la récréation au sein de l’oratoire. Don Ricaldone a for-
tement affirmé le concept de récréation qui, selon Don Bosco, doit être un
moment de repos pour l’esprit, ne doit pas exciter les passions et doit être
exempt de la tristesse d’avoir offensé Dieu et le prochain. Il s’est également
demandé si le football répondait aux critères éducatifs de Don Bosco. La
réponse, bien qu’avec une certaine réticence, fut négative, justifiée par la
dénonciation des maux physiques, psychologiques et moraux qu’il pouvait
provoquer. La pratique du football n’était autorisée qu’à des occasions spo-
radiques et sous des formes bien définies.92 De même, l’usage du ciné-
ma et de la radio était considéré comme substantiellement négatif et donc,
puisqu’il était impossible de les interdire totalement, on recommandait un
usage sobre, entouré de toute la prudence possible.93 Le théâtre et la bonne
presse occupaient la première place.
Dans son attitude envers les « divertissements », Ricaldone différait
sensiblement des positions de son prédécesseur plutôt au niveau des déci-
sions concrètes, des règles, des pratiques et de la vie quotidienne, moins
en ce qui concerne les principes, surtout si l’on considère que les deux
90 Cf. Ibid., 52-58.
91 Cf. Braido, L’oratorio salesiano in Italia e la catechesi in un contesto socio-politico
inedito, 83.
92 Cf. Ricaldone, Oratorio festivo, 266-274.
93 Cf. Ibid., 289-298.

20.7 Page 197

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 197
positions puisaient à la même source d’inspiration. Dans sa vision de l’ora-
toire, Ricaldone était assez loin de l’affirmation de Rinaldi qui voyait en
Don Bosco la « saine modernité de faire le bien, même en utilisant des
moyens qui en eux-mêmes ne sont pas mauvais, mais qui étaient aussi
utilisés par d’autres à des fins très différentes, cette force d’attraction, dans
l’orbite de sa mission, de tout ce qui pouvait servir à récréer, instruire,
éduquer, ennoblir et élever les âmes de ses jeunes ».94 Toutefois, si les amu-
sements étaient « préjudiciables aux âmes », Rinaldi considérait, lui aussi,
qu’il fallait les exclure énergiquement, mais laissait la tâche de discerne-
ment aux inspecteurs et aux directeurs, évitant de décider pour toute la
Congrégation.95
Dans certaines questions sensibles, comme celle du cinéma, on peut
percevoir le radicalisme de Ricaldone dans les applications, si l’on compare
ses positions avec les lignes magistérielles des Papes ou avec les opinions
exprimées par les Chapitres généraux. Dans l’encyclique Vigilanti cura, le
pape Pie XI avait abordé le sujet du cinéma en déclarant que « la détente,
en effet, sous ses multiples formes, est devenue aujourd’hui une nécessité
pour les gens qui peinent dans les occupations de la vie ; mais elle doit
être digne de l’homme raisonnable, donc saine et morale ; elle doit s’éle-
ver au rang de facteur positif du bien et éveiller de nobles sentiments ».96
L’encyclique s’inspire en partie de l’expérience américaine de la « Légion
de la décence » en tant que croisade pour la moralité publique, en partant
de questions telles que l’importance, le pouvoir, l’impact et la popularité
du phénomène cinématographique et en proposant quelques conséquences
pratiques telles que la surveillance, les normes de production, les classifi-
cations des films, les bureaux de révision nationaux et la coopération inter-
nationale en la matière.
Ricaldone, pour sa part, a traité du cinéma en 1938, dans le cadre
d’une proposition pour les retraites spirituelles des confrères sur le thème
« A l’exemple et dans l’esprit de saint Jean Bosco, nous nous proposons
de sanctifier la joie, la récréation et le divertissement ». Dans son com-
mentaire, il note comment, dans de trop nombreuses circonstances, les
94 F. Rinaldi, La lettera del Rettor Maggiore, in ACS 10 (1929) 50, 799.
95 Cf. Ibid., 800.
96 Pie XI, Vigilanti cura. La lettre encyclique sur le cinéma (29 juin 1936) in AAS 38
(1936) 254.

20.8 Page 198

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198 Pédagogie salésienne après Don Bosco
amusements, les loisirs et le faux bonheur peuvent devenir des instruments
de corruption et d’éloignement de Dieu.97 Après la guerre, nous retrouvons
des rappels énergiques sur ce thème au cours du CG16, où Ricaldone sou-
ligne sa pensée de la manière suivante :
Dans toutes les périodes d’après-guerre, nous assistons à une véri-
table frénésie de divertissement : on pourrait dire que ces pauvres
malheureux, qui ont vécu pendant de nombreuses années au milieu
des privations et des dangers des champs de bataille, ressentent un
besoin effréné de se plonger dans le divertissement. C’est de la folie
pure ! [...] Vous êtes aussi convaincus que moi de l’influence sata-
niquement mauvaise du cinéma : les ruines qu’il accumule partout
sont telles que nous craignons pour la vie morale et chrétienne des
générations futures.98
Les membres du Chapitre, après une discussion assez longue, se mirent
d’accord sur une solution équilibrée : il fallait non seulement limiter le ci-
néma, puisque « selon l’esprit salésien, il est toujours préférable et louable
de s’en passer »,99 mais il faut aussi tenir compte de la nécessité de ne pas
diminuer le nombre de jeunes ainsi que des indications de l’encyclique
Vigilanti cura. Il est donc recommandé de préparer un personnel compé-
tent pour l’évaluation salésienne des films, pour la rédaction de scénarios
de films salésiens, pour le contact avec les sociétés de production et pour
l’assistance technique aux maisons.100
Le thème directement lié à la question est l’éducation à la chasteté, per-
çue plutôt du point de vue d’une « sainte intransigeance ». Dans la lettre
sur la pureté, le recteur majeur précise : « Dans un mémoire que Don
Bosco a écrit pour ses fils, il dit entre autres choses ceci : “Vous ne serez
jamais trop sévères dans les choses qui servent à préserver la moralité”.
Notre père Don Bosco, le plus doux des hommes et l’ennemi de la rigueur,
97 Cf. P. Ricaldone, La lettera del Rettor Maggiore, in ACS 19 (1938) 86, 447.
98 Breve cronistoria, deliberazioni e raccomandazioni del XVI Capitolo generale,
dans ACS 27 (1947) 143, 64.
99 Ibid., 57.
100 Cf. Ibid., 57-62.

20.9 Page 199

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 199
recommande la sévérité ».101 En outre, il cite saint Thomas de Villeneuve,
qui a dit : Si non est castus nihil est et ce concept s’appliquait surtout aux
loisirs : le cinéma, le théâtre, les tenues des footballeurs (y compris ceux
des équipes visiteuses), la lecture, les journaux, etc. En se référant à l’en-
cyclique Divini Illius Magistri et aux décrets ultérieurs du Saint-Office, le
recteur majeur exprima une opinion négative sur l’éducation sexuelle, en
raison de la fragilité humaine.102
Il est intéressant de noter que même les salésiens qui étaient en me-
sure d’évaluer positivement le potentiel éducatif des activités sportives et
récréatives, mettaient en relation le même binôme, à savoir la pureté et
la force. En plus des accentuations dans la Rivista dei Giovani autour du
groupe de Don Cojazzi et du nécessaire positionnement antifasciste et an-
timilitariste, on peut noter les positions déjà mentionnées de Don Giulivo
dans le Bollettino Salesiano des années 1930. En se référant clairement à
l’étrenne du recteur majeur, mais sans en suivre tous les accents, l’auteur
propose l’apostolat du sport en affirmant :
Chers amis, je ne pense pas que vous soyez surpris par le titre de
cette lettre. Vous êtes tous intelligents et vous comprenez très bien
que le sport peut aussi être élevé au rang d’apostolat. En effet, un
bon catholique ne devrait jamais concevoir le sport comme un pur
et simple plaisir ou même comme une profession de la jeunesse. Il
doit plutôt y voir un moyen efficace de développer et de renforcer ce
corps qui est le temple de l’âme, et qui, plus il est robuste et valide,
plus il devient précieux pour l’âme elle-même dans l’accomplisse-
ment de toute bonne mission dans le monde. C’est pourquoi Don
Bosco lui a donné une telle place dans le programme de ses ora-
toires et instituts. Ainsi compris et apprécié avec un esprit chrétien,
le sport favorise, avec l’épanouissement des forces naturelles, les plus
grands triomphes de la grâce et les ascensions héroïques dans la ver-
tu, mais il acquiert aussi une véritable mission apologétique d’apos-
tolat, liquidant les vieilles plaisanteries anticléricales qui calom-
niaient l’Église accusée d’atrophier l’éducation physique des jeunes
101 Don Ricaldone, Strenna del 1934. Santità e purezza. A ricordo della canonizzazi-
one di S. Giovanni Bosco nostro fondatore e padre in ACS 16 (1935) 69bis, 69.
102 Cf. Ricaldone, Étrenne de 1934, 75-78.

20.10 Page 200

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200 Pédagogie salésienne après Don Bosco
et d’élever des générations de bigots moisis. [...] Et, tandis que vous
restaurez vos forces physiques pendant les vacances, rappelez-vous
que le sport peut et doit aussi être un terrain d’entraînement pour
les plus nobles vertus religieuses, civiles et patriotiques. Ainsi, vous
grandirez forts et purs comme le souhaite le Saint-Père qui, lors de
la dernière audience accordée aux responsables et aux présidents
de l’Action catholique, le 29 mai dernier, s’est réjoui des résolutions
qu’ils avaient prises de grandir en force et en pureté. Forts et purs,
a-t-il ajouté, forts dans la pureté, purs pour être forts, force pour la
pureté et pureté pour la force. Pureté et force parce que l’une donne
de la force à l’autre : quelle magnifique sublimité !103
3.2.5. Résumé : le paradigme du « collège assiégé ».
Don Ricaldone semble avoir donné l’empreinte définitive au « para-
digme du collège salésien » avec des accents divers dont les effets se feront
sentir plus fortement à l’époque du Concile Vatican II. Résumons certains
des points abordés ci-dessus :
1) Image d’un « collège assiégé » par des forces politiques hostiles, par
des idéologies anticatholiques qui renforcent la rhétorique antimo-
derniste de confrontation, de combat ou de croisade ;
2) Autoréférentialité de la vie en internat et peu de contacts avec la réa-
lité sociale environnante, ce qui implique un « monopole de l’éduca-
tion ». Les enfants étaient pratiquement retirés de leur famille et ne
revenaient que pendant les vacances d’été ;
3) Un enseignement classique qui n’a pas besoin de se confronter aux
auteurs contemporains : « les classiques suffisent », surtout si la
réforme Gentile va aussi dans le sens du classicisme ;
4) Autosuffisance et autoreproduction de la structure collégiale qui bé-
néficie d’une période de croissance démographique avec un modèle
de formation par répétition ;
5) Des références à l’origine surnaturelle du système préventif
103 Lettera di Don Giulivo ai giovani. L’apostolato dello sport, dans «Bollettino Sale-
siano» 61 (1937) 7, 167.

21 Pages 201-210

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21.1 Page 201

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 201
corroborées par la canonisation de Don Bosco, ce qui implique un
devoir de fidélité ;
6) Renforcement de la composante disciplinaire tant au niveau de la
pensée qu’au niveau organisationnel avec des traits d’uniformité, de
répétition et de surréglementation.
En concluant ce regard sur les lignes pédagogiques dans une période
difficile de vingt ans, on peut dire que Pietro Ricaldone a continué, sous
l’influence de l’enthousiasme de la canonisation de Don Bosco, dans la
ligne de la fidélité à ses prédécesseurs, mais avec une tension vers la per-
fection si élevée, si contre-culturelle et avec des indications si détaillées,
qu’elle la rend probablement peu soutenable dans la longue durée des dé-
cennies suivantes, où émergent des coordonnées et des mouvements cultu-
rels très différents.
3.3. Auteurs de pédagogie salésienne
Le fait d’avoir inclus Don Bosco dans les lectures obligatoires des
écoles de formation des maîtres, à partir de 1925, et la diffusion ultérieure
du livre de Fascie Del metodo educativo di don Bosco, ont attiré l’intérêt
des pédagogues, surtout catholiques, sur sa figure. La scène de la réflexion
pédagogique sur Don Bosco, renforcée par sa béatification et sa canonisa-
tion, était dominée par la question générale de savoir s’il était seulement
un grand éducateur ou également un pédagogue. Les positions initiales
allaient dans le sens de Fascie qui interprétait Don Bosco plutôt dans le
contexte de l’art de l’éducation, en relativisant la « nouveauté absolue » du
système préventif. Certains, également influencés par des choix théoriques
ou idéologiques antérieurs, ont vu Don Bosco, en perspective avec la cri-
tique de Giovanni Gentile, comme un grand éducateur qui n’avait cepen-
dant pas laissé d’œuvres de réflexion théorique telles qu’elles puissent être
incluses dans les programmes de formation des maîtres.104 D’autre part, il y
104 Cf. G. Gentile, Gli allarmi della “Civiltà Cattolica” e i pericoli della scuola itali-
ana, in «Giornale Critico della Filosofia Italiana» 7 (1926) 5, 394-395.

21.2 Page 202

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202 Pédagogie salésienne après Don Bosco
avait des positions en faveur d’un Don Bosco pédagogue,105 qui affirmaient
de manière décisive « l’existence chez Don Bosco d’une pédagogie, d’une
formulation théorique systématique et cohérente du problème de l’éduca-
tion »,106 allant jusqu’à déclarer que « la doctrine et la praxis de Don Bosco
étaient organisées de manière complètement autonome et indépendante du
mouvement éducatif italien qui lui était contemporain ».107
La voie médiane était plutôt représentée par ceux qui voyaient en Don
Bosco à la fois un éducateur et un pédagogue, appartenant au courant de la
pédagogie catholique qui avait repris son élan après Divini Illius Magistri
(1929). Don Bosco a souvent été défini comme un pédagogue sui generis,
un précurseur de l’activisme, dans la lignée de la « pédagogie de l’Évan-
gile » de Casotti déjà mentionnée,108 ou comme un partisan de la pédagogie
intégrale, dans la lignée du jésuite Mario Barbera, qui a affirmé :
La méthode de Don Bosco englobe de la manière la plus organique,
harmonieuse, douce et forte le “sujet de l’éducation chrétienne” -
comme l’enseigne l’encyclique du Saint-Père - c’est-à-dire “l’homme
tout entier, esprit uni au corps dans l’unité de la nature, dans toutes
ses facultés, naturelles et surnaturelles, telles que la droite raison et
la Révélation nous les font connaître”.109
3.3.1. Leôncio da Silva et l’inspiration néo-thomiste de l’Institut su-
périeur de pédagogie
Les plus grandes tentatives de théorisation de la part des salésiens
tournent autour de l’Institut Supérieur de Pédagogie de Turin-Rebaudengo.
105 C’est un titre d’article utilisé par Flores d’Arcais dans la réédition de G. Bosco, Il
metodo educativo, édité par G. Flores d’Arcais, CEDAM, Padoue 1941, XXI-XL.
Voir aussi G. Flores d’Arcais, La pedagogia di Don Bosco, in Studi pedagogici,
Liviana, Padoue 1951, 59-73.
106 Flores d’Arcais, La pedagogia di Don Bosco, in Bosco, Il metodo educativo, XXI.
107 Flores d’Arcais, Avvertenza, in Bosco, Il metodo educativo, V.
108 Pour élargir les interprétations, il est intéressant de les comparer avec les réflexions
de P. Braido, Il Sistema preventivo di don Bosco, PAS Verlag, Zürich2 1964, 39-41.
109 M. Barbera, La pedagogia di san Giovanni Bosco, in «La Civiltà Cattolica» 85
(1934) 2, 478-479.

21.3 Page 203

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 203
Les efforts de Carlos Leôncio da Silva, un salésien brésilien appelé par le
recteur majeur à fonder l’Institut de Pédagogie en 1939, étaient orientés
vers une pédagogie comme science de l’éducation. Il est arrivé en Italie
à l’âge de 51 ans, avec une riche expérience de l’enseignement, conden-
sée dans le livre Pedagogia : Manual teórico-prático para uso dos edu-
cadores, I : O educando e sua educação de 1938.110 Après son arrivée en
Europe, il entreprit de se tenir à jour dans divers centres d’études pédago-
giques européens. Il faut noter, pour ses implications, sa tentative d’obtenir
un doctorat en pédagogie à Fribourg, à l’école d’Eugène Dévaud et de De
Munnyck. Après l’enthousiasme initial des pédagogues fribourgeois pour
la recherche doctorale sur le système pédagogique de Don Bosco, la lec-
ture des résultats du travail de Leôncio a soulevé un problème fondamental
: une thèse contenant des éléments théologiques et surnaturels pouvait-elle
être acceptée dans une faculté de philosophie ?111 Leôncio, dans une lettre
au recteur majeur, commente comme suit :
J’ai été surpris par l’observation que la thèse dépasse ainsi les limites
de la philosophie, dans la mesure où c’est précisément mon mérite
de donner une systématisation complète de l’œuvre pédagogique
d’un auteur donné, qui a voulu éduquer d’une manière chrétienne,
et la pédagogie chrétienne dépassera toujours et doit dépasser les
limites de la philosophie, en utilisant largement les principes et les
moyens surnaturels de la révélation. [...] La faute, donc, n’était pas
à la thèse, mais au sujet, ou plutôt, la faute est à l’Université, qui n’a
pas encore séparé la Faculté de Pédagogie de celle de Philosophie.112
La thèse de Leôncio à Fribourg n’ayant pas abouti, Don Ricaldone le
rappelle à Turin à la chaire de pédagogie de la faculté de philosophie de
l’Athénée Pontifical Salésien. L’expérience de Fribourg a eu des implica-
tions pour l’avenir de la pédagogie salésienne, tant au niveau de
110 Cf. C. Leôncio da Silva, Pedagogia. Manual teórico-prático para uso dos educa-
dores, vol. 1: O educando e sua educação, Livr. Salesiana, São Paulo 1938.
111 Cf. le jugement de Munnyck et Dévaud dans J.M. Prellezo, Carlos Leôncio da
Silva, educador y pedagogo. En el centenario del nacimiento (1887-1987), dans
«Orientamenti Pedagogici» 35 (1988) 1, 106-107.
112 C. Leôncio da Silva, Lettre à Don Ricaldone (26 mai 1940), in ASC 275.

21.4 Page 204

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204 Pédagogie salésienne après Don Bosco
l’enseignement, puisque la recherche sur Don Bosco n’a été publiée que
sous forme de polycopiés pour les étudiants, qu’au niveau de la mentalité
organisationnelle qui a façonné l’approche de l’institut de pédagogie (rela-
tivement) indépendant de la faculté de philosophie. Dans les pages sui-
vantes, nous résumons l’œuvre de Leôncio en fonction de sa structure ori-
ginale et novatrice. Dans sa publication sur Le Système pédagogique de
Don Bosco, il exprime son concept de « pédagogie comprise comme une
science de l’éducation exacte, complète et distincte ».113 Dans le Diagramme
C, nous expliquons son épistémologie pédagogique qui tente un « arrange-
ment interne », combinant le schéma de base des quatre causes aristotéli-
ciennes avec des secteurs de la pédagogie expérimentale et pratique-poïé-
tique.114
L’attention portée par Leôncio da Silva à la systématicité, en phase avec
l’approche similaire de Don Ricaldone, se reflète tant dans sa production
pédagogique que dans l’organisation de ses études. Pour Leôncio, les Ap-
punti di pedagogia sacra de Barberis contiennent « beaucoup de bonnes
choses », et sont cités dans ses ouvrages, mais il considère que la matière
de l’ouvrage est « mise dans un peu de désordre ».115 Il se permet donc de
s’écarter de la structure d’Allievo, adoptée par Barberis, et d’organiser la
pédagogie selon un schéma néo-thomiste, expérimental et pratique. Outre
le changement dans l’organisation des thèmes, il faut noter l’absence du
concept de perfectionnement, très important pour le courant pédagogique
spiritualiste de Turin. Dans les différents secteurs de l’éducation, par rap-
port à Barberis, Leôncio combine l’esthétique avec l’intellectuel et ajoute le
nouveau secteur de l’éducation sociale. La nécessité d’une disposition pro-
gressive est appliquée à l’enseignement du Système pédagogique de Don
Bosco à partir des polycopiés du professeur mentionnée plus haut. L’ordre
de l’argumentation et des thèmes n’est que partiellement achevé et les poly-
copiés ne sont considérés par l’auteur que comme l’ébauche d’une synthèse
113 C. Leôncio da Silva, Il sistema pedagogico di don Bosco. Appunti ad uso degli
Alunni del Seminario di Pedagogia. Anno Accademico 1939-1940 XVIII, Eugenio
Gili, Torino [1940], 4.
114 Cf. Ibid., 4-5.
115 Cf. J.M. Prellezo, Introduzione, in Appunti di pedagogia di Giulio Barberis (1847-
1927). Introduction, textes critiques et notes par José Manuel Prellezo. Postface de
Dariusz Grządziel, LAS, Rome 2017, 13.

21.5 Page 205

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 205
La pédagogie comme science de l’éducation
Base métaphysique
Cause matérielle
Cause formelle
Cause finale
Cause efficace
le jeune en tant qu’homme en devenir (sa nature et ses
conditions particulières)
la forme de vie transitoire (vie familiale sous les 3 formes : ora-
toire festif et quotidien, externat ou demi-pension, in-
ternat).
la vie chrétienne (finalité surnaturelle-finalité humaine ;
honnête citoyen-vrai chrétien ; sainteté-science-santé ;
vocation personnelle ; spécificité des secteurs éducatifs :
physique, intellectuel, moral, social).
facteurs (enfant, famille, éducateur, état, église)
Base scientifique-expérimentale
les moyens d’éducation :
- les sciences expérimentales qui étudient les conditions physico-physiolo-
giques des élèves et les conditions et lois du comportement psycho-moral ;
- moyens généraux (assistance) ;
- moyens spéciaux dans l’éducation :
• au plan physique (espace, alimentation, gymnastique, excursions,
sport, emploi du temps, etc.)
• au plan intellectuel (cours et classes d’études, disputes, cercles
d’études, équipes de travail scientifique, éducation esthétique : mu-
sique, théâtre, académies)
• au plan moral (pratique de la religion, éducation à la responsabilité et au
sérieux de la vie, mot du soir, paroles à l’oreille, éducation à la pureté)
• au plan social (clubs, entreprises, caisses d’épargne et d’entraide)
- moyens spéciaux : connaissance et pratique de la religion (connaissance de la
religion - catéchèse, confession, communion, pratiques pieuses, dévotions)
Base pratique-poiétique
la méthode éducative comme une manière constante d’agir :
- au plan général : le système préventif comme mode d’application
des moyens éducatifs
• prévoir, prévenir, fournir
• la raison, la religion, l’amour bienveillant
- particulière dans un domaine de l’éducation (par exemple, la mé-
thode inductive ou intuitive dans l’enseignement religieux)
Diagramme C : Le système pédagogique de Don Bosco selon Leôncio da Silva.116
116 Le Diagramme C est une synthèse du volume Leôncio da Silva, Il sistema pedagogico

21.6 Page 206

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206 Pédagogie salésienne après Don Bosco
plus large,117 envisagée autour des travaux que Leôncio n’a pas achevés et
qui ont finalement abouti aux deux volumes de Don Ricaldone de 1951.
Certains accents spécifiques de la synthèse de Leôncio méritent d’être
mentionnés. Tout d’abord, il y a la forte conviction d’une pédagogie reli-
gieuse et catholique, pour laquelle Leôncio est prêt à sacrifier, comme cela
arrive d’ailleurs, même la soutenance de son doctorat à Fribourg. La « ca-
tholicité » de son approche se reflète avant tout dans la « causalité finale »
qui propose un mode de vie chrétien comme objectif général de l’édu-
cation. Malgré l’insistance sur la catholicité, la synthèse de notre auteur
ne présente pas les caractéristiques d’intransigeance typiques de l’époque,
développant la conception de la vie chrétienne non opposée à la vie dans le
monde. En effet, dans cette section, les objectifs naturels sont intégrés dans
les objectifs surnaturels, le binôme typique de Don Bosco du citoyen-chré-
tien et le trinôme sainteté-science-santé sont présents. L’attention aux fina-
lités est ensuite développée non seulement dans la sphère religieuse mais
dans les différents secteurs de l’éducation, en commençant par les finalités
physiques, en poursuivant par les finalités intellectuelles et morales et en
terminant par les finalités sociales de l’éducation. En harmonie avec l’idéal
de la vie chrétienne, perçue comme la cause finale, l’auteur propose un
raisonnement sur la « cause efficiente », qui considère l’Église comme l’un
des facteurs éducatifs, introduit la pratique de la religion comme le premier
des moyens d’éducation morale et propose un « moyen spécial » qui intègre
la catéchèse à la pratique de la religion.118
Contrairement aux synthèses ultérieures de Ricaldone, Leóncio pro-
pose l’assistance comme le « cœur de l’organisme éducatif de Don Bosco »,
la définissant comme le moyen général d’éducation « en ce sens qu’elle
s’étend à toute l’œuvre éducative et pénètre les différentes contingences de
la vie de l’élève. [...] Sans elle, il n’y a pas d’éducation, il n’y a que désordre
et déséducation ».119 Les arguments en faveur de l’assistance révèlent éga-
lement l’ampleur de ce même concept, qui part du constat du besoin fon-
damental de sociabilité, constate la situation des jeunes abandonnés (=
di don Bosco, composé de la partie systématique (pp. 8-18) enrichie par les éléments
du système pédagogique de Don Bosco (pp. 30-104).
117 Cf. Leôncio da Silva, Il sistema pedagogico di Don Bosco, 104.
118 Cf. Ibid., 13 et 43-49.
119 Ibid., 75-76.

21.7 Page 207

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 207
manque d’assistance) et examine la nature de la « mobilité des jeunes »
comme source de la majorité des défauts des jeunes. Dans ce sens, l’assis-
tance englobe les questions de la relation éducative, de l’attention, de l’ami-
tié, de l’interaction entre les différents assistants-éducateurs, en affirmant
succinctement que « c’est essentiellement vivre avec les jeunes ».120 L’im-
portance de l’assistance implique pour notre auteur une condamnation des
formes d’autogestion des jeunes, un thème pédagogique qui a plutôt retenu
l’attention de ses contemporains.121 La synthèse du volume s’inscrit dans
la ligne d’une pédagogie catholique qui se fonde sur la relation éducative,
plaçant l’amorevolezza au sommet de la trilogie fondamentale et affirmant
que pour Don Bosco « l’éducation est avant tout une œuvre d’amour ».122
La conception de la pédagogie comme science de l’éducation et sa tri-
partition se reflètent également dans les propositions du programme de
l’Institut supérieur de pédagogie de Turin. La première ébauche du pro-
gramme de pédagogie reflétait la pensée du recteur majeur qui déclarait :
« Jusqu’à présent, nos études pédagogiques ont été faites le mieux pos-
sible ; poursuivant la tradition de Don Bosco, nos étudiants ont reçu leur
formation dans la pratique. Il est temps de mieux aménager et organiser ces
études ».123 Un solide corpus de matières de base devait garantir le sérieux
de la spécialisation pédagogique. Outre les enseignements, Don Leôncio a
souligné la nécessité des applications à la pratique éducative, c’est-à-dire la
réflexion sur les expériences, les exercices et les apprentissages de nature
éducative dans le milieu concret de l’école et des autres institutions dédiées
à l’éducation.124 Plus tard, en 1945, les premiers statuts ont subdivisé la
proposition éducative de l’ISP en deux parties :
1) Principales disciplines : Pédagogie philosophique générale, Péda-
gogie spéciale pratique, Didactique générale et spéciale, Histoire de
l’éducation et de la pédagogie ;
120 Ibid., 79.
121 Cf. Ibid., 78. En fait, Don Ricaldone lui consacre également une partie de son Don
Bosco educatore. Cf. Ricaldone, Don Bosco educatore, vol. 1, 330-345.
122 Ibid., 103.
123 Cronaca dell’Istituto da l940 a 1946, dans les Archives de la FSE (UPS).
124 Cf. G. Malizia - E. Alberich (eds.), A servizio dell’educazione. La Facoltà di Sci-
enze dell’Educazione dell’Università Pontificia Salesiana, LAS, Roma 1984, 14-17;
Prellezo, Studio e riflessione pedagogica nella Congregazione Salesiana, 72.

21.8 Page 208

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208 Pédagogie salésienne après Don Bosco
2) Disciplines auxiliaires : Biologie, Psychologie expérimentale géné-
rale, Psychologie spéciale du développement, Propédeutique philo-
sophique, Philosophie de l’éducation, Théologie de l’éducation, Lé-
gislation scolaire, Sociologie ;
3) Disciplines spéciales : Biotypologie, Hygiène, Caractérologie, Psy-
chopathologie du développement, Constructions scolaires ;
4) Cours spécifiques : Méthodologie spéciale, Catéchèse, Système pré-
ventif de Don Bosco.
3.3.2. « Don Bosco educatore » et les paradoxes d’un manuel « ma-
gistral » de pédagogie.
La période du gouvernement de Pietro Ricaldone se termine « péda-
gogiquement » avec la publication de Don Bosco educatore.125 Bien que
l’ouvrage reprenne le titre de celui de Don Cimatti, l’approche, les sources,
l’argumentation et les accents de l’écriture sont différents. Pietro Ricaldone
déclare dans la préface son intention « d’encadrer de manière ordonnée
le véritable trésor de la sagesse éducative » et « de présenter Don Bosco
comme un éducateur avant tout en action, c’est-à-dire de manière objective
et non spéculative ».126 L’argumentation très poussée du projet de Rical-
done, qui utilise la richesse du matériel contenu dans les dix-neuf volumes
des Memorie biografiche, est également conforme à l’objectif. En effet, les
deux volumes de près de 1500 pages utilisent quelque 1300 citations des
Memorie. En réalité, les deux volumes dépassent l’intention déclarée et
Don Ricaldone propose un document magistral, placé dans la série « For-
mation salésienne », plus favorable à la thèse d’un Don Bosco pédagogue
qu’à celle d’un Don Bosco éducateur (seulement).127
À partir de l’analyse des matériaux trouvés dans les archives cen-
trales salésiennes, il semble que nous puissions reconstruire le processus
125 Cf. P. Ricaldone, Don Bosco educatore, Libreria Dottrina Cristiana, Colle Don
Bosco (Asti) 1951.
126 Ricaldone, Don Bosco educatore, V et VII.
127 En fait, dans l’une des versions préliminaires de la publication, on trouve également
le titre « Don Bosco éducateur et pédagogue ». Cf. ASC B0950101.

21.9 Page 209

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 209
d’élaboration de Don Bosco educatore en quatre phases :
1. Recueil de matériel provenant des Memorie biografiche et du Bol-
lettino Salesiano par Don Leôncio da Silva qui a coordonné un groupe
d’étudiants salésiens de l’ISP de Rebaudengo. Les citations d’intérêt pé-
dagogique ont été notées sur cinq mille fiches organisées selon le schéma
emprunté à ses polycopiés sur le Système pédagogique de Don Bosco. Au
début de 1945, Leôncio prévoyait une publication possible dans un délai
maximum de deux ans, à l’occasion du centenaire de la fondation de l’Ora-
toire du Valdocco. Pour arriver au volume provisoirement intitulé « Don
Bosco pédagogue et éducateur », l’auteur a utilisé une méthode de travail
de compilation, qui a impliqué la contribution massive des étudiants de
dernière année de pédagogie eux-mêmes. La proposition méthodologique
est exposée par Leôncio de la manière suivante :
Après avoir trié les fiches selon un plan pédagogique scientifique,
qui est celui que nous suivons dans les cours, nous avons distribué
toutes les fiches selon les thèmes et à partir de celles-ci nous avons
étoffé le schéma prévu. Nous sommes parvenus à ce projet qui pou-
vait être complété par les expressions de Don Bosco, la tâche du
compilateur étant seulement de présenter le sujet et de le mettre en
lien avec peu de mots.128
Ce premier projet prévoyait un chapitre introductif sur « Don Bosco
pédagogue », suivi de cinq noyaux de réflexion : l’éducation salésienne en
général, le sujet à éduquer (cause matérielle), le but de l’éducation (cause
finale), l’action éducative (cause efficiente), les fruits de l’éducation (cause
formelle). Enfin, le volume devait se conclure par un chapitre sur « Don
Bosco éducateur ».129 Dans le cahier qui résume les citations des Memo-
rie biografiche, l’accent est mis sur l’amour bienveillant qui, en tant que
thème, occupe presque un tiers du nombre total de citations.130
128 Leôncio da Silva, Lettera a Pietro Ricaldone (31 janvier 1945) dans ASC B0950205.
129 Cf. Don Bosco pedagogista ed educatore. Annexe à la lettre à Pietro Ricaldone (31
janvier 1945), 1-13 dans ASC B0950205.
130 Cf. Appunti di pedagogia pratica secondo gli insegnamenti e gli esempi di S.
Giovanni Bosco estratti dalle Memorie Biografiche, Parte I: Insegnamenti. Parla S.

21.10 Page 210

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210 Pédagogie salésienne après Don Bosco
2. Modification du plan et du premier jet. Le matériel de Leôncio est
réorganisé à la manière de Barberis en subdivisions par secteurs d’éduca-
tion et en quelques parties supplémentaires dans lesquelles sont développés
des thèmes éducatifs chers à Don Ricaldone.131 En plus du plan, il y a une
première ébauche synthétique de l’argumentation pédagogique contenue
dans seulement 47 pages. Ce document non signé intitulé Il Sistema educa-
tivo di Don Bosco est le précieux extrait des fondements pédagogiques de
l’auteur définitif, qui selon toute probabilité peut être identifié comme étant
Pietro Ricaldone, puisque dans le texte il se déclare « successeur de saint
Jean Bosco. Mais je ressens aussi l’énorme responsabilité de cette fonc-
tion qui exige, entre autres, que je conserve et transmette aux générations
futures toute la pensée pédagogique de Don Bosco ».132 C’est un précieux
document de synthèse qui ne contient pas encore les citations des Memorie
biografiche et qui laisse entrevoir les rouages du raisonnement ricaldonien.
3. Préparation de la préface et de l’introduction finale par le rec-
teur majeur.133 Dans les archives, il y a le premier manuscrit134 et les re-
lectures ultérieures.135 Le thème central est la question de Don Bosco en
tant qu’éducateur et/ou pédagogue, un thème abordé par Ricaldone dès les
années 1920 lors des leçons de pédagogie données dans la maison d’étude
de La Crocetta.136 Les déclarations de Don Bosco en réponse aux questions
insistantes du directeur du séminaire de Montpellier selon lesquelles il ne
Giovanni Bosco, 7-18 in ASC B0950202.
131 Cf. Il Sistema educativo di don Bosco, in ASC B0950101.
132 Ibid., 7.
133 Cf. Ricaldone, Don Bosco educatore, V-IX et 1-59.
134 Cf. Don Bosco educatore. Introduzione, dans ASC B0950101.
135 Cf. Don Bosco educatore. Prefazione, dans ASC B0950101.
136 Lezioni di pedagogia pratica salesiana impartite dal Rev.mo don Pietro Ricaldone
nello studentato teologico internazionale della Crocetta in Torino durante l’anno
scolastico .. e raccolti dagli uditori, in ASC B0950202. Les deux définitions de la
pédagogie sont intéressantes, l’une spéculative, qui « constitue l’ensemble des con-
naissances certaines et évidentes concernant l’éducation » et l’autre pratique, « qui
traite de l’application des principes théoriques ». Dans ce cadre, la pédagogie de
Don Bosco est vue « comme un système d’actions concernant l’œuvre d’éducation
et précisément pour fixer et déterminer ces actions, Don Bosco a écrit des pages
admirables », donc une pédagogie plutôt pratique. Cf. Ibid., 5-6.

22 Pages 211-220

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22.1 Page 211

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 211
connaissait pas beaucoup sa propre méthode ont été interprétées comme
un acte d’humilité de sa part et circonscrites à la sphère ascétique du dis-
cernement spirituel, mais non adhérentes à la méthode éducative.137 En
combattant les interprétations de ceux qui se sont servis du volume de
Fascie, Ricaldone insiste sur les thèmes de la science pédagogique de Don
Bosco et présente le fondateur comme un écrivain de sujets pédagogiques
aux tons définitifs et forts :
D’après ce que nous avons dit, le véritable sens des paroles de Don
Bosco a finalement été clarifié de manière irréprochable, et nous es-
pérons que dorénavant elles ne seront pas violées par des interpré-
tations qui en dénaturent le sens véritable et constituent en même
temps une véritable insulte au grand éducateur.138
4. Réception de commentaires sur les brouillons du volume encore
dactylographié mais contenant déjà les nombreuses parties extraites des
Memorie biografiche.139 Les recenseurs, qui ont répondu entre juin et oc-
tobre 1951, signalent diverses inexactitudes, font leurs observations, et
s’accordent presque à l’unisson sur les fréquentes répétitions, la prolixité
du style, le manque de continuité dans la rédaction, la disproportion entre
les sections et les chapitres. Carlos Leôncio, par exemple, fait cette obser-
vation générale de synthèse :
Une certaine liberté d’exposition dans laquelle les arguments ou
le sujet sont présentés non pas selon la rigueur, le développement
et l’enchaînement logique, mais selon des affinités et des associa-
tions plus pratiques, presque occasionnelles, démontrant plu-
tôt un souci de ne pas laisser dans l’oubli des aspects pratiques et
contingents de la question. Une structure organique très irrégulière
137 Cf. Don Bosco educatore. Introduzione, dans ASC B0950101, 6-9.
138 Ibid., 9.
139 Cf. Osservazioni di alcuni confratelli ai quali fu inviata la conferenza su Don Bos-
co educatore per averne un parere, dans ASC B0950104. Parmi les huit recensions
contenues dans les archives, six sont signées par les salésiens suivants: Andrea
Gennaro (qui écrit également au nom de Nazareno Camilleri, doyen du PAS), Car-
los Leôncio da Silva, Giacomo Lorenzini, A. Mancini, Evaristo Marcoaldi et Paolo
Scelsi.

22.2 Page 212

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212 Pédagogie salésienne après Don Bosco
et disproportionnée en de nombreuses parties.140
5. Version finale de l’écrit, publiée en novembre 1951.141 Il semble que
plusieurs observations spécifiques aient été acceptées et que la structure
générale, dont la lettre d’Andrea Gennaro nous donne une approxima-
tion,142 ait été radicalement modifiée. En particulier, il semble que les indi-
cations d’un réviseur anonyme (identifiable, cependant, avec don Eugenio
Ceria tant pour son écriture que pour le fait qu’il est mentionné dans la
liste des réviseurs) ont eu un fort impact sur la réécriture du texte dans la
partie stratégique des « moyens éducatifs ». Le critique a suggéré d’insérer
quelques « notions théoriques sur la nature et la nécessité de l’autorité de
l’éducateur : même si Don Bosco n’en parle pas ex professo ».143 En même
temps, dans les notes manuscrites, il fait remarquer qu’il y a trop de conte-
nu sur l’assistance et suggère d’abandonner la division chère à Leôncio à
propos des dangers de l’amorevolezza entre « aimer trop » et « aimer trop
peu ». Ce critique anonyme est l’un des rares à ne pas reprocher l’utilisa-
tion excessive de citations et l’hétérogénéité de l’écriture. Puisqu’il s’agit
probablement de Don Ceria, compilateur des derniers volumes des Memo-
rie biografiche, le choix est motivé de la manière suivante : « Il convient
peut-être de prévenir une difficulté. Il y aura, semble-t-il, trop de citations
et trop de souvenirs biographiques. Mais il faut tenir compte du fait que
cette œuvre présente Don Bosco comme un éducateur en action, c’est-à-
dire de manière objective et non spéculative ; il est donc naturel que les
paroles et les actes de Don Bosco soient multipliés ».144
Il est compréhensible que le processus de rédaction ait eu une grande
influence sur le contenu qui n’est pas facile à lire et dénote les caracté-
ristiques et les paradoxes déjà signalés par les réviseurs. L’insistance sur
l’exhaustivité et l’objectivité qui devaient être garanties par les multiples
140 C. Leôncio da Silva, Osservazioni Generali, dans ASC B0950104, 1.
141 Il semble que Pietro Ricaldone se soit occupé personnellement des dernières mod-
ifications et corrections des projets. Cf. La mort du IVe successeur de Saint Jean
Bosco, Don Pietro Ricaldone, dans «Bollettino Salesiano» 76 (1952) 1, 2.
142 Cf. A. Gennaro, Lettre à Pietro Ricaldone (30 juillet 1951), dans ASC B0950104,
3-10.
143 [E. Ceria] Don Bosco educatore. Addendum, dans ASC B0950104, 1
144 Ibid., 2.

22.3 Page 213

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 213
références aux Memorie est un choix qui s’est fait au détriment d’un sché-
ma simple et logique qui organise le contenu. L’intention de Ricaldone
de publier un « projet définitif »145 de la pédagogie salésienne ne pouvait
donc pas faire d’omissions, puisque l’exhaustivité était l’un des critères
fondamentaux. C’est dans ce contexte que se situe également le plus grand
paradoxe des deux volumes, constitué par l’écart entre l’insistance de Ri-
caldone sur Don Bosco pédagogue et l’argumentation plus doctrinale que
scientifique-pédagogique dans de nombreuses pages qui ne sont pas systé-
matiquement organisées. Don Bosco educatore est plutôt une collection de
témoignages tirés des Memorie sans une approche critique et sans un ordre
théoriquement justifié.146
Une question très intéressante et centrale, qui suit la trajectoire évo-
lutive du texte, est le traitement des « moyens d’éducation ». En fait, les
différentes versions présentent des variations significatives par rapport au
texte final qui révèlent la tension interne autour du concept d’assistance,
qui se joue dans une relation presque dialectique entre amour bienveillant
et discipline. À partir du matériel recueilli par Leôncio et les étudiants de
Rebaudengo, Ricaldone élabore dans la première version un concept d’as-
sistance considéré comme un moyen général d’éducation, avec la connota-
tion prépondérante de l’amorevolezza.147
Plus tard, sous l’influence des commentaires fournis par les réviseurs,
et conformément à ses directives fermes et concrètes, Ricaldone modifie le
texte en mettant en avant la discipline comme moyen général d’éducation.
Le résultat final, dû probablement aussi aux contingences des dernières
semaines de la vie de l’auteur, reste ambigu avec une solution dialectique
entre discipline et amour bienveillant. La majorité des arguments sont en
faveur de l’amour bienveillant mais, nominalement, le couple autorité-dis-
cipline apparaît dans une position supérieure. La comparaison entre les
deux versions illustre bien les difficultés d’interprétation du texte final :
145 Don Bosco educatore. Prefazione, dans ASC B0950101, 1.
146 Dans Don Bosco educatore, il n’y a que quelques références aux Appunti di Peda-
gogia Sacra ou à d’autres écrits plus systématiques sur l’éducation salésienne. Les
citations des MB constituent plus des trois quarts des références bibliographiques
de l’ouvrage.
147 Cf. Il Sistema educativo di don Bosco, dans ASC B0950101, 34 et 41-42.

22.4 Page 214

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214 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Le système éducatif de Don Bos-
co, dans ASC B0950101, 34. 41-
42
Il est bien connu qu’il ne suffit
pas d’avoir de bons principes, de
bonnes idées, de bonnes concep-
tions des choses à faire ; outre les
moyens de les réaliser, il faut sur-
tout la tactique, la technique pra-
tique pour les appliquer. En d’autres
termes, la méthode est toujours
nécessaire. Bien souvent, les meil-
leurs principes sont compromis, les
meilleurs moyens sont contrariés
parce qu’ils n’ont pas été appliqués.
On n’a pas eu ce savoir-faire, on n’a
pas deviné la technique d’applica-
tion.
Ricaldone, Don Bosco educatore,
vol. 1, 285-287
Mais il ne suffit pas d’avoir de
bons principes, des idées claires,
des concepts bien élaborés des
choses à faire : outre la possibilité
de traduire tout cela en pratique,
il faut la technique, ou plutôt les
tactiques spéciales, et l’esprit qui
donnent vie et valeur à ladite mé-
thode. Parfois, d’excellents prin-
cipes ont été compromis, et des
moyens à l’efficacité douteuse ont
été mis en échec, parce qu’ils n’ont
pas été appliqués ou que la bonne
façon de les mettre en pratique n’a
pas été trouvée.
Or, si cela se produit dans toutes
les opérations humaines, dans
toutes les entreprises artistiques et
industrielles, c’est encore plus vrai
dans cette entreprise d’éducation,
cette entreprise véritablement ar-
tistique où ce n’est pas n’importe
quel objet matériel qui est en jeu,
mais la personne humaine elle-
même. L’éducateur ne travaille pas
avec du bois, du marbre ou du fer
: l’éducateur travaille avec l’esprit,
le cœur, la volonté et l’âme de ses
élèves. Il est donc nécessaire d’avoir
les mains recouvertes de velours.
Or, s’il en est ainsi dans toutes
les entreprises humaines, dans les
entreprises industrielles et artis-
tiques, cela est d’autant plus vrai
dans cette sublime mission de
l’éducateur, dans cet art des arts,
dont dépend non pas un intérêt
matériel ou artistique, si important
soit-il, mais le perfectionnement de
la personne humaine elle-même.
L’éducateur ne travaille pas avec
du bois, du marbre ou du fer, mais
avec l’esprit et le cœur, la volonté
et l’âme de ses élèves : et pour une
tâche aussi élevée et délicate, il est
nécessaire de couvrir ses mains de
velours.

22.5 Page 215

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 215
L’éducation étant l’art le plus
proche de la personne humaine, et
s’adressant tout particulièrement
à l’intelligence et à la volonté, sa
méthodologie doit être façonnée,
doit être dominée par les besoins
mêmes de cet esprit et de cette vo-
lonté. En un mot, les moyens d’en-
seignement doivent toujours être
compris et souhaités par les élèves
L’éducation étant l’art le plus
proche de la personne humaine, et
s’adressant tout particulièrement à
l’intelligence et à la volonté, sa mé-
thodologie doit être fondée sur les
besoins mêmes de ces esprits et de
ces volontés, et s’en inspirer. En un
mot, les moyens d’enseignement
doivent toujours être compris et
acceptés par les élèves eux-mêmes.
C’est dans cette optique que
nous voulons voir l’ensemble de la
méthodologie éducative salésienne.
Nous voulons saisir toute son âme.
Or, si nous considérons tout le sys-
tème éducatif de Don Bosco, ses
enseignements, ses écrits, toute son
action pédagogique, à la lumière
de la charité telle que nous l’avons
vue, il ne nous reste rien à assigner
comme âme et principe immédiat
et dominant de toute son action
éducative que cette même charité
qu’il a lui-même fait aimer.
C’est précisément dans cette op-
tique qu’il est bon de voir et d’exa-
miner la méthodologie éducative
salésienne, en saisissant, pour ainsi
dire, toute son âme : et précisément
dans cette optique, selon la pensée
et la pratique de Don Bosco, il faut
interpréter avant tout le principe
d’autorité, qui dans le milieu édu-
catif fait fleurir la discipline.
Schéma D : Variantes du texte de Don Bosco educatore de Don Ricaldone.
Don Bosco educatore est une œuvre qui documente clairement la men-
talité due à la collégialisation de l’éducation salésienne, renforcée par les
limitations imposées par les vingt années de fascisme. Il est paradigma-
tique que l’éducation sociale, qui est un nouveau secteur par rapport à Bar-
beris, ne soit vue que dans le cadre de la vie de famille à l’intérieur de
l’internat ; on y approfondit les thèmes de la paternité de Don Bosco, des
compagnies, de la valeur sociale de la vie et du jeu à l’internat, des bons et
des mauvais compagnons, etc. ; on n’y envisage que la formation à l’esprit
d’économie, à l’épargne, à la société d’entraide et aux règles de politesse.
Pour démontrer l’efficacité d’une éducation sociale à l’internat il faudrait
penser aux anciens élèves et à leur sentiment de gratitude.148 L’intention de
préserver fidèlement et complètement le système éducatif de Don Bosco a
148 Cf. Ricaldone, Don Bosco educatore, vol. 2, 191-244.

22.6 Page 216

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216 Pédagogie salésienne après Don Bosco
conduit l’auteur à ne pas faire référence à la doctrine sociale de l’Église,
aux congrès des oratoires et à la richesse des activités des vingt premières
années du XXe siècle. Dans ce contexte, on comprend pourquoi Don Ri-
caldone polémique contre la seule expérience contemporaine qu’il a citée,
à savoir l’autogestion dans les cités des jeunes vue comme une question
emblématique pour interpréter l’assistance et la discipline.149 En y consa-
crant quinze pages, il conclut que l’autonomie est en contradiction avec la
nature, avec les traditions civiles, avec les lois de Dieu et de l’Église.150
Quelques accents typiquement ricaldoniens et autres synthèses carac-
téristiques d’une époque influencée par Divini Illius Magistri sont à noter.
Les références à l’approche de Mario Casotti sont claires dans la structure
de base qui propose « l’éducation chrétienne telle que l’entendait Don Bos-
co, c’est-à-dire profondément, complètement, exquisément chrétienne et
catholique ».151 Dans la ligne de Casotti il y a aussi la revalorisation de la
pédagogie activiste qui voit Don Bosco comme un précurseur des écoles
actives avec sa méthode tirée de l’Évangile.
Il nous semble que l’ouvrage réponde plutôt aux besoins des années
1930 qu’à ceux des années 1950. Don Bosco educatore a été publié comme
le « chant du cygne » de Don Ricaldone, un document de son « magistère
éducatif » ajouté aux Appunti de Don Barberis à étudier au noviciat. Par
la suite, la réflexion pédagogique au sein du PAS dans les années à venir
1950 prendra une autre direction et en moins de quatre ans, Pietro Braido
publiera son Sistema preventivo di don Bosco qui marque le début d’une
autre ère et un tournant dans les études pédagogiques salésiennes, dépas-
sant la mentalité de croisade contre la pédagogie athée.
3.3.3. Alberto Caviglia, une voix singulière avec un potentiel pour
l’avenir
Alberto Caviglia, né en 1868 et entré à l’Oratoire en 1881, fait partie
de la génération des salésiens qui ont connu Don Bosco dans leur enfance.
Se confesser au Saint pendant trois ans fut pour Caviglia une expérience
149 Cf. Ibid. vol. 1, 330-345.
150 Cf. Ibid. vol. 1, 344.
151 Ricaldone, Don Bosco educatore, vol. 1, 35.

22.7 Page 217

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 217
décisive pour sa vision de Don Bosco et celle du directeur salésien en géné-
ral. D’abord autodidacte dans les domaines de l’histoire et de la littérature,
il commence à 37 ans des études de lettres à l’Université de Turin, élève
apprécié et ensuite ami de Pietro Fedele, ministre de l’éducation à partir de
1924 qui inclut Don Bosco dans les programmes des écoles de formation
pour enseignants en Italie.
Caviglia s’engagea dans les études salésiennes en 1915, comme membre
de la Commission pour l’édition des œuvres de Don Bosco, à l’invitation
du conseiller scolaire Francesco Cerruti.152 Onze ans plus tard, Filippo Ri-
naldi reconfirma sa nomination comme éditeur des écrits de Don Bosco.
Don Caviglia se mit au travail et la série de huit volumes des Scritti editi e
inediti di Don Bosco commença à être publiée à partir de 1929 et se termi-
nera avec deux volumes posthumes.153
Comme éditeur, il fait preuve d’une « capacité d’évaluation critique
sage, équilibrée et, à plusieurs égards, anticipatrice ».154 Malgré les limites
dues à la proximité temporelle de Don Bosco qui n’a pas permis la liberté
d’expression et le manque de documentation complète, la production de
Caviglia sur Don Bosco reste un classique avec ces caractéristiques : res-
ponsabilité dans l’accès aux documents ; regard qui va au-delà des aspects
liés à la reconstruction des sources ; interprétation sereine et élégante ;
attention spirituelle dans la lecture du système préventif.155
Pour comprendre le rapport entre éducation et spiritualité dans l’inter-
prétation de Caviglia il convient de se référer à l’échange de lettres avec
Eugenio Ceria, qui l’interrogeait sur la façon de procéder dans son travail
152 Cf. Lettera di F. Cerruti ad A. Caviglia (19 mars 1915), dans C. Semeraro, Alberto
Caviglia 1859-1943. I documenti e i libri del primo editore di don Bosco tra er-
udizione storica e spiritualità pedagogica, SEI, Torino 1994, 110.
153 La série Opere e scritti editi ed inediti di “Don Bosco” nuovamente pubblicati e
riveduti secondo le edizioni originali e manoscritti superstiti contient les œuvres
suivantes avec des notes et des études introductives de grande ampleur: Storia sa-
cra, Storia ecclesiastica, Le vite dei papi, Storia d’Italia, La vita di Savio Dome-
nico, Il “Magone Michele”, La vita di Besucco Francesco. Voir la bibliographie
complète dans Semeraro, Alberto Caviglia, 169-182.
154 Semeraro, Alberto Caviglia, 43.
155 Cf. G.B. Borino, Don Bosco. Sei scritti e un modo di vederlo, Edizione non venale,
Roma 1940, 15-16. Note: L’écriture de Borino mérite l’attention pour sa sensibilité
historico-critique qui va au-delà de la rhétorique traditionnelle de célébration des
écrits sur Don Bosco des années 1930.

22.8 Page 218

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218 Pédagogie salésienne après Don Bosco
sur la vie de prière de Don Bosco. Caviglia exprime son opinion fonda-
mentale : « Tout ce qui se réfère à la personnalité spirituelle de Don Bosco
doit être déduit des éléments biographiques et de l’empreinte laissée et im-
primée sur sa pratique éducative [...] et non de ses livres. [...] Parce que nous
sommes sûrs que Don Bosco n’a jamais inculqué autre chose que ce qu’il
faisait lui-même ».156 Cette observation est valable non seulement pour la
spiritualité de Don Bosco mais aussi pour sa pratique éducative. Caviglia
affirme également un autre critère symétrique : le système préventif dans
l’éducation ne peut être pleinement compris qu’en tenant compte de l’im-
portance des motivations religieuses, de la volonté de salut des âmes. La
caractéristique spirituelle de Don Bosco consiste précisément à animer la
vie quotidienne avec un sens spirituel, et non à appliquer une logique du
devoir.157
Cependant, quand Don Ceria lui demanda de lui suggérer quelques
écrits originaux de Don Bosco, notre auteur mentionna comme les plus
originaux les récits biographiques des jeunes formés par le Saint. En effet,
Caviglia construit une interprétation de Don Bosco considéré comme un
« pédagogue narratif », mise en œuvre dans ses biographies de jeunes et
partiellement reprise dans les années 1950 par Pietro Braido et récemment
par Aldo Giraudo.158 Caviglia affirme dans son dernier ouvrage monumen-
tal de plus de 600 pages que dans son écrit sur la vie de Dominique Savio
« se reflète toute la physionomie spirituelle du saint, et tout l’esprit qu’il a
transfusé dans son œuvre ».159 En effet, à partir de la biographie de Domi-
nique, Caviglia reconstruit tous les points de l’éducation salésienne de Don
156 Lettera di A. Caviglia a E. Ceria (30 mars 1929), in Semeraro, Alberto Caviglia,
130-131.
157 Cf. A. Caviglia, Don Bosco. Profilo storico, SEI, Turin, 21934, 25.
158 Cf. A. Giraudo, Maestri e discepoli in azione, dans G. Bosco, Vite di giovani. Le
biografie di Domenico Savio, Michele Magone e Francesco Besucco. Essai intro-
ductif et notes historiques édités par Aldo Giraudo, LAS, Roma 2012, 5-35. Cf.
également A. Giraudo, Direzione spirituale in san Giovanni Bosco. Contenuti e
percorsi dell’accompagnamento spirituale dei giovani nella prassi di don Bosco,
in F. Attard - M.A. García (eds.), L’accompagnamento spirituale. Itinerario ped-
agogico spirituale in chiave salesiana al servizio dei giovani, LDC, Torino 2014,
161-172.
159 [A. Caviglia (ed.),] Opere e scritti e inediti di “Don Bosco” nuovamente pubblicati
e riveduti secondo le edizioni originali e manoscritti superstiti, vol. 4: La vita di
Savio Domenico, SEI, Torino 1942, 590.

22.9 Page 219

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 219
Bosco à l’intérieur d’une « pédagogie de la sainteté » qui est une pédago-
gie intimement spirituelle qui inclut : la prière, l’union à Dieu, la dévotion
mariale, la vie eucharistique, la vie extatique, les charismes, l’héroïsme,
l’engagement apostolique, les compagnies, les amitiés, les sacrifices, les
souffrances, les fins dernières.160
L’œuvre de Caviglia sur la Vie de Dominique Savio a également reçu
des réactions négatives qui ont été déterminantes pour l’avenir de l’œuvre.
D’une part, selon Ceria, l’étude était trop longue et trop dense, de sorte
qu’elle ne serait ni lue ni diffusée parmi les salésiens ;161 d’autre part, il y
avait les réserves exprimées par le recteur majeur. Pietro Ricaldone, qui
était en contact avec Caviglia depuis sa nomination comme conseiller pro-
fessionnel, appréciait certains de ses écrits comme « des œuvres conscien-
cieuses, profondes, solidement équilibrées, imprégnées du plus pur esprit
salésien ».162 Le travail sur Dominique Savio touche cependant un point
crucial : l’importance de la confession dans le rôle du directeur. Pour Ca-
viglia, il s’agit d’un aspect fondamental, lié également à son expérience
personnelle avec Don Bosco ; pour Ricaldone, au contraire, l’accent mis
sur le directeur comme confesseur pouvait avoir des « conséquences très
graves », dans les circonstances des années 1940 où le directeur ne pouvait
plus entendre les confessions, affaiblissant le rôle du directeur considéré
principalement comme gardien officiel de l’esprit religieux : « Les affir-
mations de Don Caviglia [...] pourraient servir de prétexte à des fissures
et peut-être à des fissures de nature irréparable dans le grand édifice de
la Société salésienne ».163 Aussi, deux mois à peine avant sa mort, Alberto
Caviglia, qui avait été évacué à Bagnolo Piemonte avec les étudiants de la
Crocetta à cause du bombardement de la ville de Turin, exprima-t-il au rec-
teur majeur sa douleur pour les réactions à une œuvre qu’il voyait comme
« le catéchisme définitif du salésianisme »,164 et qui au contraire n’a été ni
recommandée ni valorisée comme il l’aurait voulu. En effet, Don Bosco
160 Cf. Opere e scritti editi e inediti di “Don Bosco”, vol. 4: La vita di Savio Domenico,
237-589.
161 Cf. Lettera di E. Ceria ad A. Caviglia (7 juin 1943), dans Semeraro, Alberto
Caviglia, 145-146.
162 Lettera di P. Ricaldone ad A. Caviglia (9 décembre 1922), in Ibid., 118.
163 Lettera di P. Ricaldone ad A. Caviglia (10 septembre 1943), in Ibid., 154.
164 Lettera di A. Caviglia a P. Ricaldone (14 septembre 1943), in Ibid., 157.

22.10 Page 220

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220 Pédagogie salésienne après Don Bosco
educatore de Ricaldone n’en fait pas mention et pour l’apprécier, il faudra
attendre la première étude de Pietro Braido en 1955.

23 Pages 221-230

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23.1 Page 221

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 221
3.4. Outils et ressources
3.4.1. Tableau chronologique

23.2 Page 222

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222 Pédagogie salésienne après Don Bosco
3.4.2. Bibliographie sélective
Barbera M., San Giovanni Bosco educatore, SEI, Torino 1942.
Borino G.B., Don Bosco. Sei scritti e un modo di vederlo, Edizione non
venale, Roma 1940.
Bosco G., Il metodo educativo, a cura di G. Flores d’Arcais, CEDAM,
Padova 1941.
Braido P., L’oratorio salesiano in Italia e la catechesi in un contesto so-
cio-politico inedito (1922-1943), in «Ricerche Storiche Salesiane» 25
(2006) 48, 7-100.
Breve cronistoria, deliberazioni e raccomandazioni del XVI Capitolo Ge-
nerale, in ACS 27 (1947) 143, 1-87.
Casotti M., Il metodo educativo di don Bosco, La Scuola, Brescia 1960.
Casotti M., La pedagogia di S. Giovanni Bosco, in G. Bosco, Il metodo
preventivo con testimonianze e altri scritti educativi inediti, La Scuola,
Brescia 21938, 5-94.
Caviglia A., Don Bosco. Profilo storico, SEI, Torino, 21934.
[Caviglia A. (ed.),] Opere e scritti editi e inediti di “Don Bosco” nuova-
mente pubblicati e riveduti secondo le edizioni originali e manoscritti
superstiti, vol. 4: La vita di Savio Domenico, SEI, Torino 1942.
Ceria E. (ed.), Il contributo della Congregazione Salesiana alla crociata
catechistica nelle realizzazioni di don Pietro Ricaldone, IV successore
di San Giovanni Bosco, Libreria Dottrina Cristiana, Colle don Bosco
(Asti) 1952.
Chiosso G., Educazione e pedagogia nel primo Novecento (Dal punto di
vista dell’Italia), in Sviluppo del carisma di Don Bosco fino alla metà
del secolo XX, vol. 1, 155-186.
Cojazzi A., Pier Giorgio Frassati. Testimonianze, SEI, Torino 1928.
Dickson W.J., Prevention or repression, in González et al. (eds.), L’educa-
zione salesiana dal 1880 al 1922, vol. 1, 213-236.
Flores d’Arcais G., La pedagogia di Don Bosco, in Studi pedagogici, Li-
viana, Padova 1951.

23.3 Page 223

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 223
Formazione del personale salesiano, in ACS 17 (1936) 78, 3-163.
Gli onori del Campidoglio, in BS 58 (1934) 6, 185.
González J.G. et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al 1922. Istanze
ed attuazioni in diversi contesti. Atti del 4° Convegno Internazionale
di Storia dell’Opera salesiana Ciudad de México, 12-18 febbraio 2006,
2 voll., LAS, Roma 2007.
Isaú Souza Ponciano dos Santos M., Luz e sombras. Internatos no Brasil,
Ed. Salesiana Dom Bosco, São Paolo 2000.
Istituto Storico Salesiano – Centro Studi Figlie di Maria Ausiliatrice,
Sviluppo del carisma di Don Bosco fino alla metà del secolo XX. Atti
del Congresso Internazionale di Storia Salesiana Roma, 19-23 no-
vembre 2014 a cura di A. Giraudo et al., 2 vols., LAS, Roma, 2016.
Lanfranchi R., Studio della pedagogia e pratica educativa nei programmi
formativi delle Figlie di Maria Ausiliatrice dalla morte di S. Giovanni
Bosco al 1950, in Sviluppo del carisma di Don Bosco fino alla metà del
secolo XX, vol. 1, 187-204.
Leôncio da Silva C., Il sistema pedagogico di don Bosco. Appunti ad uso
degli Alunni del Seminario di Pedagogia. Anno Accademico 1939-
1940 XVIII, Eugenio Gili, Torino [1940].
Leôncio da Silva C., Pedagogia. Manual teórico-prático para uso dos
educadores, vol. 1: O educando e sua educação, Livr. Salesiana, São
Paulo 1938.
Lezioni di pedagogia pratica salesiana impartite dal Rev.mo don Pietro
Ricaldone nello studentato teologico internazionale della Crocetta in
Torino durante l’anno scolastico … e raccolto dagli uditori, in ASC
B0950202.
Oni S., I Salesiani e l’educazione dei giovani in Piemonte, durante il perio-
do del fascismo, in Zimniak – Loparco (eds.), L’educazione salesiana in
Europa negli anni difficili, 147-170.
Pio XI, Divini Illius Magistri, in AAS 22 (1930) 49-86.
Pio XI, Vigilanti cura. La lettera enciclica sul cinema (29 giugno 1936) in
AAS 38 (1936) 249-263.

23.4 Page 224

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224 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Prellezo J.M., Carlos Leôncio da Silva, educador y pedagogo. En el cen-
tenario del nacimiento (1887-1987), in «Orientamenti Pedagogici» 35
(1988) 1, 98-120.
Prellezo J.M., Studio della pedagogia e pratica educativa nei program-
mi formativi dei salesiani (1874-1956), in Sviluppo del carisma di Don
Bosco fino alla metà del secolo XX, vol. 1, 205-220.
Ricaldone P., Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 13 (1933) 58, 2-5.
Ricaldone P., Strenna del 1933. Pensar bene di tutti – Parlar bene di tutti
– Far del bene a tutti, in ACS 14 (1933) 61bis, 43-76.
Ricaldone P., Strenna del 1934. Santità e purezza. A ricordo della cano-
nizzazione di S. Giovanni Bosco nostro fondatore e padre, in ACS 16
(1935) 69bis, 3-81.
Ricaldone P., Strenna del Rettor Maggiore per il 1935. Fedeltà a Don Bos-
co Santo, SEI, Torino 1936.
Ricaldone P., La visita canonica nelle case salesiane, in ACS 20 (1939)
94, 1-213.
Ricaldone P., Oratorio festivo catechismo formazione religiosa. Strenna
del Rettor Maggiore 1940, SEI, Torino 1940.
Ricaldone P., Il rendiconto, in ACS 27 (1947) 142, 1-112.
Ricaldone P., Don Bosco educatore, Libreria Dottrina Cristiana, 2 voll.,
Colle Don Bosco (Asti) 1951.
Ricaldone P., Formazione Salesiana, vol. 1: I Voti: Introduzione – Povertà,
vol. 2: I Voti: Castità – Ubbidienza, vol. 3: Le Virtù: Introduzione – La
Fede, vol. 4: Le Virtù: La Speranza, vol. 5: Le Virtù: La Carità, vol. 6:
Le Virtù Cardinali, vol. 7: Le Virtù: L’Umiltà, vol. 8: La Pietà: Vita di
Pietà, L’Eucaristia, Il Sacro Cuore, vol. 9: La Pietà: Maria Ausilia-
trice – Il Papa, vol. 10: Il Rendiconto – La Visita Canonica, vol. 11:
Oratorio Festivo, Catechismo, Formazione Religiosa, vol. 12 e 13: Don
Bosco educatore, Libreria Dottrina Cristiana, Colle Don Bosco (Asti)
1944-55.
Rossi G., Nazionalismi, italianità, strategia dei Salesiani all’estero, Zim-
niak – Loparco (eds.), L’educazione salesiana in Europa negli anni dif-
ficili, 171-190.

23.5 Page 225

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3. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles 225
Ruffinatto P., Linee pedagogiche dell’Istituto delle Figlie di Maria Ausi-
liatrice dalla morte del fondatore al 1950, in Sviluppo del carisma di
Don Bosco fino alla metà del secolo XX, vol. 1, 245-266.
Schmid F., L’influenza dei nazionalsocialisti sui concetti pedagogici e sul-
la prassi educativa dei Salesiani di don Bosco e delle Figlie di Maria
Ausiliatrice in Austria, in Zimniak – Loparco (eds.), L’educazione sale-
siana in Europa negli anni difficili, 249-274.
Semeraro C., Alberto Caviglia 1859-1943. I documenti e i libri del primo
editore di don Bosco tra erudizione storica e spiritualità pedagogica,
SEI, Torino 1994.
Stella P., La canonizzazione di don Bosco tra fascismo e universalismo, in
F. Traniello (ed.), Don Bosco nella storia della cultura popolare, SEI,
Torino 1987, 359-382.
Vojtáš M., Sviluppi delle linee pedagogiche della Congregazione Salesia-
na, in Sviluppo del carisma di Don Bosco fino alla metà del secolo XX,
vol. 1, 221-244.
Zimniak S. – Loparco G. (eds.), L’educazione salesiana in Europa ne-
gli anni difficili del XX secolo. Atti del Seminario Europeo di Storia
dell’Opera salesiana Cracovia, 31 ottobre – 4 novembre 2007, LAS,
Roma 2008.

23.6 Page 226

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226 Pédagogie salésienne après Don Bosco
3.4.3. Ressources en ligne
Sources, documents, recherches, publications en texte intégral, maté-
riel photographique, liés à ce chapitre.165
Bibliographie complète, index des auteurs, index des sujets pour l’en-
semble de la publication.166
165 Cf. salesian.online/pedagogia3
166 Cf. salesian.online/pedagogia-dopo-db

23.7 Page 227

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4. AVANT, PENDANT ET APRÈS LES CHAN-
GEMENTS DE VATICAN II (1952-1978)
Les années 1950 ont été marquées par l’espoir et un regain d’énergie lié
à la croissance de la société civile et de l’Église après la guerre. Dans les
années dites du « buisson ardent », il y avait une convergence des trajec-
toires pour l’avenir dans la recherche d’une société juste et libre de toute
violence, dont le souvenir était encore très vivant. Même dans le domaine
ecclésiastique, malgré le style de gouvernement centralisateur de Pie XII,
il y eut quelques ouvertures d’origine plus européenne que romaine. Dans
le domaine des organisations de jeunesse, on constate une croissance des
associations traditionnelles, mais certains événements, comme la démis-
sion du président des jeunes de l’Action catholique, Mario Rossi, ont mis en
évidence des tensions internes et le désir croissant des jeunes d’un change-
ment plus décisif. Une tendance qui deviendra le moteur des changements
et des bouleversements des années 1960, où la nouveauté du Concile Vati-
can II, le retour aux sources, l’idéalisme et certaines utopies de type socia-
liste se mêlent au radicalisme typique des jeunes générations.1
1 Cf. G. Martina, Storia della Chiesa. Da Lutero ai nostri giorni, vol. 4: L’età
contemporanea, Morcelliana, Brescia 1995, 249-284 et la partie sur « la crisi della
cultura intransigente (1958-2013) » dans D. Menozzi, Storia della Chiesa, vol. 4:
L’età contemporanea, EDB, Bologna 2019.

23.8 Page 228

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228 Pédagogie salésienne après Don Bosco
4.1. Le contexte social, éducatif et ecclésial à l’époque du
concile Vatican II
La reconstruction de nouveaux équilibres sociaux, économiques et po-
litiques après le tragique conflit mondial est certainement le motif fonda-
mental de l’histoire des années 1950. Le modèle des « trois mondes », qui
est resté valable pendant toute la seconde moitié du XXe siècle, peut être
utilisé pour représenter la structure de la politique internationale. On peut
dire que la guerre froide constitue la donnée fondamentale qui caractérise
la relation entre le « premier monde démocratique », avec son économie
libérale et de plus en plus mondialisée, et le « second monde socialiste »
de l’Union soviétique avec ses satellites et alliés. Dans les pays du tiers
monde, en revanche, dans la dynamique de l’indépendance politique, on
assiste à un boom démographique et les perspectives d’avenir sont encore
peintes en couleurs claires.
4.1.1. La reconstruction d’après-guerre et une conscience mondiale
en croissance
La polarisation soviéto-américaine a diminué le rôle de l’Europe de
l’après-guerre dans un monde qui adoptait de manière décisive le principe
de l’autodétermination des peuples jusqu’alors colonisés. Le « grand » co-
lonialisme a pris fin et le nouveau « tiers monde », qui a émergé avec plus
de force lors de la conférence de Bandung en 1955, a dû faire face aux
conséquences des processus de décolonisation qui différaient d’une nation
à l’autre. Une première logique fut celle de la Grande-Bretagne, qui adopta
une approche de préparation à l’indépendance dans ses colonies, en visant
le Commonwealth en tant que communauté de nations souveraines. La
France, en revanche, s’est opposée à la décolonisation jusqu’au dernier mo-
ment avec une politique d’assimilation et de dépendance économique qui
a fini par déboucher sur des conflits (Indochine et Algérie), entraînant une
relation très problématique pour l’avenir avec les anciennes colonies. Cer-
tains des nouveaux États du tiers monde ont rejoint l’Internationale com-
muniste, d’autres ont suivi les trajectoires d’une organisation formellement

23.9 Page 229

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 229
démocratique mais autoritaire en réalité.2
La période d’après-guerre dans le premier monde a vu la consolidation
de l’hégémonie américaine et la diffusion du « mythe américain », qui a en-
suite influencé la culture, la musique, la fiction et le cinéma dans le monde
entier. L’empreinte américaine est également visible dans la création d’or-
ganes de coordination mondiaux tels que l’Organisation des Nations Unies,
le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. La coordination
américaine, notamment par le biais du plan Marshall, a contribué à la sta-
bilité économique du premier monde et à la reconstruction de l’Europe
occidentale. Dès 1951, la production économique en Europe occidentale
était supérieure de 30 % à son niveau d’avant-guerre. D’un point de vue
catholique, non seulement la reconstruction et la croissance économique,
mais surtout la force des partis démocrates-chrétiens dans la politique eu-
ropéenne ont créé un contexte porteur d’espoir pour la construction d’un
monde meilleur. En Amérique latine, la suprématie économique des États-
Unis était fortement ressentie et, pour cette raison également, les années
1950 et 1960 ont été une période politique plutôt instable, oscillant entre
autoritarisme, souvent de nature militaire, populisme et libéralisme.
Dans la Congrégation salésienne, les années 1950 ont été généralement
caractérisées par la stabilité de la structure magistérielle et organisation-
nelle de Ricaldone et par la croissance du personnel et des activités de
l’apostolat des jeunes. Il suffit de suivre les revues des compagnies sa-
lésiennes, stimulées dans leur activité par la canonisation de Dominique
Savio en 1954, ou les programmes de l’École active salésienne des FMA
pour se rendre compte de la croissance active de ces années. Au niveau du
premier et du tiers monde, la croissance de la Congrégation a été particu-
lièrement évidente en Asie, et le rectorat de Don Renato Ziggiotti, ancien
conseiller scolaire et vicaire général, s’est distingué par ses voyages et le
sens croissant du charisme salésien au niveau mondial.3 Le tableau généra-
lement optimiste n’est pas loin des positions triomphalistes qui envisagent
l’avenir sous l’angle de la croissance perpétuelle, des grands instituts, de
l’expansion mondiale, de l’introduction de nouvelles causes de canonisa-
tion, etc. Le symbole de cette mentalité pourrait être les constructions du
2 Cf. B. Droz, Storia della decolonizzazione nel XX secolo, Mondadori, Milano 2007.
3 Cf. R. Ziggiotti, Ho visto don Bosco in tutti i continenti, in «Bollettino Salesiano»
79 (1955) 17, 333-342.

23.10 Page 230

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230 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Colle Don Bosco ou l’institut de Cinecittà à Rome avec son temple mo-
derne dédié à Don Bosco sur le modèle de l’architecture fonctionnaliste
du quartier construit autour des célèbres studios de cinéma. Même les
constructions grandioses du siège romain de l’Athénée pontifical salésien,
conçu dans la seconde moitié des années 1950, ont été influencées par une
mentalité qui visait la grandeur numérique et organisationnelle en faisant
confiance à une croissance continue.
La situation dans le « deuxième monde » était complètement différente.
Le communisme stalinien des années 1950, très dur à l’égard de l’Église
catholique, a marqué l’histoire de plusieurs provinces salésiennes : les pro-
vinces de Chine ont été fermées, les maisons salésiennes en Chine, au
Vietnam, en Pologne, en Hongrie, en Yougoslavie et en Tchécoslovaquie
ont été réquisitionnées et expropriées. Les stratégies pour faire face à ce ré-
gime peuvent être résumées en trois modèles. Dans les cas de persécution
les plus durs, comme en Union soviétique (cf. les maisons en Lituanie) et
en Chine, la seule solution était de fuir, car il ne restait rien : les maisons
étaient confisquées et les confrères qui restaient auraient de toute façon été
expulsés, déportés ou tués. Dans d’autres contextes, comme en Tchécoslo-
vaquie, où le fait d’être membre d’un ordre religieux était considéré comme
un crime par la législation, les confrères ont dû entrer dans la clandestinité
: apparemment, ils étaient ouvriers, ingénieurs, enseignants et exerçaient
en secret leur mission apostolique. Dans d’autres pays d’Europe de l’Est
comme la Yougoslavie, la Pologne et la Hongrie, les œuvres ont été per-
dues, mais les salésiens ont pu exercer leur ministère dans une certaine
mesure dans les paroisses diocésaines.4
4.1.2. Les développements de la pédagogie catholique jusqu’au mi-
lieu des années 1960
Dans l’après-guerre, la pédagogie catholique s’est développée sur la
base de la pensée d’auteurs reconnus tels que Jacques Maritain, Emmanuel
4 Cf. les résumés contenus dans S. Zimniak - G. Loparco (eds.), L’educazione sale-
siana in Europa negli anni difficili del XX secolo. Actes du Séminaire européen
d’histoire salésienne Cracovie, 31 octobre - 4 novembre 2007, LAS, Roma 2008;
Wirth, Da don Bosco ai giorni nostri, 389-393

24 Pages 231-240

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24.1 Page 231

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 231
Mounier et Romano Guardini. Comme le souligne à juste titre Giorgio
Chiosso, leurs réflexions, qui ont surtout émergé dans les années 1970,
peuvent être placées dans le contexte de la réponse à la perception d’une
crise de civilisation. The Le Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler a
donné le premier signal en décrivant le déclin de la vieille Europe. La per-
ception de la crise, outre l’inadéquation du modèle scientifique,5 était également
perçue dans le dilemme entre l’« homme bourgeois » capitaliste et l’« homme
totalitaire » ou collectiviste, un dilemme plus que jamais d’actualité à l’époque
du rideau de fer. Il faut noter que la pédagogie catholique en Italie ne s’inscrit
pas totalement dans le courant de pensée personnaliste évoqué, restant encore
liée aux mises à jour et aux expérimentations de l’école active.
Les premières impulsions personnalistes de la revue Esprit, née autour
d’Emmanuel Mounier, vont dans le sens décisif d’une dénonciation de l’in-
dividualisme bourgeois, le définissant comme une métaphysique de la soli-
tude. D’autre part, la revue critiquait vivement les systèmes totalitaires qui
asservissaient l’homme aux masses en rejetant la catégorie fondamentale
de la « personne ». Le christianisme occidental, féodal ou bourgeois dans
ses formes, était en crise et selon les auteurs de la revue Esprit, il fallait
redécouvrir un christianisme qui considère la personne comme le centre
et le moteur de l’univers. Pour Mounier, la personne ne devait pas être
pensée selon les critères rationnels traditionnels, mais devait être conçue
comme l’expression de la « présence en moi » ouverte, dynamique et mys-
térieuse de l’être humain, qui appelle le dépassement, la convergence et
l’unification de toutes ses actions. Dans son projet, Mounier a repris de
nombreux éléments de la tradition platonicienne et augustinienne vus avec
la nouvelle sensibilité de la phénoménologie et de l’existentialisme. On ju-
geait que l’école de ces années-là était trop centralisée par l’État au niveau
de l’organisation, trop rationaliste et nationaliste au niveau didactique et
trop liée à une morale kantienne des devoirs au niveau de la proposition
éthique. Le personnalisme de Mounier, quant à lui, proposait l’expérience
5 Parmi les contributions qui font le plus autorité, voir E. Husserl, Die Krisis der
europäischen Wissenschaften und die transzendentale Phänomenologie. Eine Ein-
leitung in die phänomenologische Philosophie, in «Philosophia» 1 (1936) 1, 77-176.
Pour une contextualisation et une réévaluation de la contribution de Husserl, voir
H. Seidl, Kritische Bemerkungen zu Husserls Schrift “Die Krisis der europäischen
Wissenschaften und die transzendentale Phänomenologie”, in «Studia Philosophi-
ae Christianae» 36 (2000) 2, 317-339.

24.2 Page 232

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232 Pédagogie salésienne après Don Bosco
éducative comme la maturation d’une vocation personnelle qui advient dans
un contexte communautaire (famille, école, environnement), prenant forme
comme un itinéraire vers la découverte de soi et l’engagement responsable
envers les autres.6
Dans son ouvrage Humanisme intégral, qui date de la seconde moitié
des années 1930, Jacques Maritain a intégré la pensée néo-thomiste dans
ses réflexions sur la laïcité, en promouvant des stratégies de gouvernement
démocratique, une heureuse combinaison de choix en faveur du dévelop-
pement de l’Occident dans les années 1950. Le volume le plus influent, ce-
pendant, est Education at the Crossroads, qui est un recueil de conférences
données à l’université de Yale pendant la guerre, en 1943. Le titre exprime
l’idée du livre : en matière d’éducation, il existe deux voies possibles :
l’une voit l’homme comme un individu formé par l’évolution naturelle et
les influences sociales, l’autre voit l’être humain comme une personne qui
se possède par l’intelligence et la liberté.
Dans la première partie de L’éducation à la croisée des chemins, Ma-
ritain dénonce les erreurs de l’éducation de son temps : méconnaissance
des fins, idées fausses sur les fins, pragmatisme, sociologisme, intellectua-
lisme, volontarisme et, enfin, l’idée que tout peut être enseigné.7 Les erreurs
dénoncées expriment l’inadéquation du modèle empirique-technocratique
de l’éducation. L’auteur propose au contraire une éducation qui harmonise
la tradition classique et chrétienne avec les connaissances scientifiques et
l’attention moderne à la liberté, afin de proposer des itinéraires éducatifs
qui considèrent l’homme dans sa totalité, corps et âme, nature et surnature,
connaissance et action, liberté et grâce. Maritain espérait que l’humanité,
une fois surmontées les tragédies déshumanisantes du totalitarisme et de la
guerre, aurait soif d’un « nouvel humanisme », qui pourrait être atteint par
une éducation intégrale. Afin d’assurer cette plénitude, le projet du philo-
sophe prévoit des normes fondamentales pour guider le travail d’éducation :
1) encourager et favoriser les dispositions fondamentales qui permettent
au jeune de se développer dans la vie de l’esprit ;
2) se concentrer sur la profondeur intime de la personnalité et l’intério-
risation de l’influence éducative ;
6 Cf. Ibid., 228-234.
7 J. Maritain, L’educazione al bivio, La Scuola, Brescia 1963, 14-46.

24.3 Page 233

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 233
3) toute éducation et tout enseignement doivent viser à unifier et non
à disperser, et s’efforcer constamment d’assurer et de nourrir l’unité
intérieure de l’homme ;
4) l’enseignement obtient la libération de l’esprit par la domination de
la raison sur les choses apprises.8
Romano Guardini, quant à lui, était plus influencé par la phénoméno-
logie allemande. En contact avec Max Scheler et Martin Buber, il élabora
sa vision éducative autour de la Weltanschauung catholique qui se trouve
« dans la rencontre continue, pour ainsi dire méthodique, entre la foi et le
monde. Et non seulement le monde en général, comme le fait aussi la théo-
logie lorsqu’elle pose divers problèmes, mais concrètement, comme dans le
cas de la culture et de ses manifestations, de l’histoire, de la vie sociale ».9
Plus que la formation du caractère et des dimensions individuelles de la
personne, sa proposition souligne l’impact de la rencontre entre l’éducateur
et l’élève. La rencontre authentique est le moment où la personne rencontre
la réalité, en l’acceptant, en se laissant frapper par son unicité et en prenant
position en elle dans son agir. C’est de l’intensité de la rencontre avec la
réalité, avec les personnes, avec l’Absolu, que naît l’illumination de la pro-
fondeur de l’expérience.10
Les auteurs cités n’ont pas eu initialement beaucoup d’écho dans la
réflexion pédagogique salésienne et même Pietro Braido, figure fondamen-
tale de la pédagogie salésienne de l’époque, s’est plutôt préoccupé dans les
années 1950 de la nécessité de détacher la pédagogie de la philosophie et
de dialoguer avec les méthodologies empiriques, en cherchant ses propres
solutions épistémologiques et méthodologiques.
4.1.3. L’Institut supérieur de pédagogie
L’Istituto Superiore di Pedagogia (ISP) a été fondé en 1940 à Turin
8 Cf. Ibid., 63-84.
9 R. Guardini, “Europa” und “Christliche Weltanschauung”, in Stationen und Rück-
blicke, Werkbund, Würzburg 1965, 20.
10 Cf. R. Guardini, Die Begegnung. Aus einer Ethikvorlesung, Werkbund, Würzburg
1965.

24.4 Page 234

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234 Pédagogie salésienne après Don Bosco
selon la volonté explicite de Don Ricaldone, qui avait perçu la nécessité
d’ériger cette nouvelle « Faculté » en raison de sa fonction pour la Société
salésienne, une société religieuse d’éducateurs. L’ISP avait pour mission
de mettre au point et de mieux organiser les études de préparation péda-
gogique des salésiens.11 En annonçant la nouvelle à la Congrégation, le
recteur majeur précisait :
Afin de préparer toujours mieux les membres de notre Société à la
haute mission d’éducateurs selon le système préventif que nous a lais-
sé en précieux héritage notre saint fondateur, nous avons pu réaliser
une aspiration longtemps caressée, à savoir ouvrir pour la prochaine
année scolaire dans l’Athénée Pontifical Salésien, à côté des trois Fa-
cultés de Théologie, de Droit et de Philosophie, un Institut Supérieur
de Pédagogie. Dans l’institut susmentionné, nous voulons avant tout
former des professeurs de pédagogie pour nos maisons de formation,
afin qu’il en sorte des salésiens exemplaires et des éducateurs équipés
et compétents en matière de pédagogie et de didactique.12
Pour sa part, don Carlos Leôncio, proche collaborateur de Don Ricaldone
dans la fondation de l’ISP et premier doyen de l’Institut, écrit dans la chronique
: « Il s’agit d’une institution quelque peu différente de celles qui ont déjà été
organisées dans d’autres athénées et universités, dont on a pris connaissance
et dont on a dûment tenu compte. Si elle est approuvée par le Saint-Siège, ce
sera la première Faculté Pontificale de Pédagogie ».13 Tenant compte des sou-
haits exprimés par Don Ricaldone, les autorités du PAS ont entamé en 1945 le
processus de reconnaissance juridique. Il est intéressant de suivre le processus
d’approbation, car il donne un aperçu de certains des changements de para-
digme qui ont eu lieu au cours de ces années. Les premières tentatives reçurent
un jugement négatif de la part des autorités papales pour trois raisons :
11 Cf. Cronaca dell’Ist. da l940 a 1946, dans les archives FSE.
12 P. Ricaldone, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 21 (1941) 106, 142.
13 Chronique de Don Carlos Leôncio (1941), in J.M. Prellezo, Studio della pedago-
gia e pratica educativa nei programmi formativi dei Salesiani, in A. Giraudo et
al (eds.), Sviluppo del carisma di Don Bosco fino alla metà del secolo XX. Actes
du Congrès international d’histoire salésienne Rome, 19-23 novembre 2014, vol.1:
Relazioni, LAS, Roma, 2016, 217.

24.5 Page 235

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 235
1) nouveauté épistémologique, la pédagogie étant considérée comme
un art ou tout au plus comme une partie de la psychologie philoso-
phique ;
2) la faiblesse numérique de l’Institut ;
3) le manque de qualifications appropriées des enseignants.14
Après plusieurs efforts et la préparation nécessaire de quelques pro-
fesseurs à Louvain et aux États-Unis, la structure organisationnelle de la
Congrégation a changé en 1952. Après le décès de Don Ricaldone, le nou-
veau conseiller scolaire, Don Secondo Manione, prit la situation en main et
opéra un changement de stratégie. Dans l’Institut Rebaudengo, devant faire
face à la maladie de Don Leôncio qui était retourné au Brésil, la direction
de l’ISP passa aux mains du jeune pro-doyen Don Pietro Braido. Des posi-
tions de Leôncio, qui préférait le raisonnement d’une épistémologie philo-
sophique, il passe à la « politique des faits », qui consiste, selon Braido, à
répondre aux besoins de l’époque :
Au niveau de l’analyse de la réalité, il faut souligner l’énorme impact
social et chrétien des problèmes des jeunes dans un monde de trans-
formations sociales, économiques et culturelles écrasantes ; l’inadé-
quation de la préparation traditionnelle des opérateurs religieux et
sociaux ; l’avancée progressive des sciences humaines. Sur le plan de
l’organisation, de nouvelles initiatives s’imposaient d’urgence : pré-
paration du personnel dans des instituts spécialisés ; vaste confron-
tation avec le monde pédagogique contemporain, y compris celui
inspiré par différentes idéologies ; intensification de la production
scientifique.15
14 Prellezo place les paroles de Don Ricaldone dans ce contexte: « Si le bon P. Fascie
m’avait écouté quand je lui ai dit d’envoyer deux clercs en Belgique, deux en France,
deux en Suisse, deux aux Etats-Unis pour parfaire leurs études en pédagogie.., nous
aurions maintenant un personnel préparé avec des qualifications modernes pour
notre Faculté de Pédagogie ». Voir J.M. Prellezo, Facoltà di Scienze dell’Educazi-
one. Origini e primi sviluppi (1941-1965), in G. Malizia – E. Alberich, A servizio
dell’educazione. La Facoltà di Scienze dell’Educazione dell’Università Pontificia
Salesiana, LAS, Roma 1984, 25.
15 Prellezo, Facoltà di Scienze dell’Educazione (1941-1965), 29.

24.6 Page 236

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236 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Les réponses aux défis socio-éducatifs et organisationnels s’expriment
au début dans la revue Salesianum avec la production d’articles qui dénotent
un intérêt orienté avant tout vers la pédagogie expérimentale, la pratique
analytique dans l’éducation des enfants « difficiles » et l’utilisation des
tests. Sous la présidence de Don Gino Corallo, auteur d’une vaste enquête
sur la pédagogie de Dewey, la revue Orientamenti Pedagogici vit le jour en
1954 sous la direction de Braido. Outre les articles de la revue, plusieurs
volumes ont également été publiés et ont reçu un accueil favorable en Italie
: la recherche empirique Gioventù di metà secolo de Pier Giovanni Grasso,
l’étude de Braido sur Le système préventif de Don Bosco et son Introduc-
tion à la pédagogie.16 La production scientifique, dont la résonance parvint
au Saint-Siège, créa un cadre interprétatif qui favorisa l’approbation des
titres de l’IPS par les autorités du Vatican en 1956. Quelques mois plus
tard, Enzo Giammancheri, un professeur de pédagogie de Brescia, publia
un article au titre éloquent : « La première faculté de pédagogie est née en
Italie au nom de Don Bosco ».17
La même année, le Saint-Siège approuva l’Institut supérieur interna-
tional de pédagogie et de sciences religieuses des FMA, qui avait été créé
à Turin deux ans auparavant. L’institut, fondé suite aux stimulations de
Ricaldone sur l’importance de la formation catéchétique, offrait initiale-
ment un cycle d’études de deux ans qui s’est ensuite étendu à un cycle de
quatre ans avec les spécialisations d’orienteur pédagogique, de responsable
du mouvement catéchétique et de psychologue scolaire. L’Institut devien-
dra plus tard la Faculté pontificale des sciences de l’éducation Auxilium.18
Avec les changements de stratégie opérationnelle et l’importance
croissante de la méthode expérimentale en pédagogie, apprise par Luigi
16 Cf. P.G. Grasso, Gioventù di metà secolo. Risultati di un inchiesta sugli orientam-
enti morali e civili di 2000 studenti italiani, Ave, Roma 1954; P. Braido, Il Sistema
preventivo di don Bosco, PAS Verlag, Zürich 1955; Id, Introduzione alla pedagogia.
Saggio di epistemologia pedagogica, PAS, Torino 1956.
17 Cfr. E. Giammacheri, La prima Facoltà di Pedagogia è sorta in Italia nel nome di
don Bosco, in «Scuola Italiana Moderna» 66 (1957) 17, 7-8.
18 Cf. L. Dalcerri, Istituto internazionale superiore di pedagogia e di scienze reli-
giose, in «Rivista di pedagogia e scienze religiose» 1 (1963) 1, 3-7 et Pontificia
facoltà di scienze dell’educazione Auxilium 1970-2020. Contributi per la storia,
Pubblicazione del 50° a cura di Hiang-Chu Ausilia Chang, Grazia Loparco, Piera
Ruffinatto, Palumbi, Roma 2020.

24.7 Page 237

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 237
Calonghi et Pier Giovanni Grasso auprès du professeur Raymond de Buyse
de l’Université de Louvain,19 on peut également percevoir un changement
d’équilibre dans l’approche ISP. Par rapport aux idées de Ricaldone, qui
envisageait les « fondements granitiques de la philosophie pérenne et de
la théologie catholique, et en même temps sur les données offertes par les
autres sciences, comme la psychologie, la biologie et la sociologie »,20 il y
eut un déplacement de l’accent vers les sciences humaines et la méthode
scientifique-expérimentale. La pédagogie scientifique de Raymond de
Buyse répondait à la nécessité de soustraire les méthodologies éducatives et
didactiques au dogmatisme, à l’intuitionnisme et à l’impressionnisme, qui
donnaient plus d’importance à l’expérience de l’éducateur individuel qu’à
l’étude d’échantillons quantitativement significatifs. Dans cette approche,
l’ISP préférait la « psychologie quantitative » des tests à la « psychologie
qualitative » plus spiritualiste du Père Gemelli, fondateur de l’Université
catholique.21 La psychologie expérimentale, introduite dans le monde sa-
lésien par le mouvement de l’école nouvelle, trouva des applications signi-
ficatives dans les processus d’orientation professionnelle ; elle était appré-
ciée (et donc légitimée) également par Ricaldone dans son Don Bosco edu-
catore.22 L’ouverture des salésiens à la psychologie est également visible
dans le Bollettino Salesiano, qui dans les années 1950 réservait un espace
aux questions psychologiques dans l’éducation. Par exemple, le numéro
d’avril 1954 exprime l’idée d’une intégration entre l’éducation salésienne
et la psychologie sous le titre : « L’amour ne suffit pas : il faut aussi de la
psychologie ».23
La nouvelle orientation de l’ISP se manifeste également par l’impor-
tance accrue du critère de la « distinction »: à partir de 1953, le cursus
d’études prévoit différentes spécialisations et l’Institut est divisé en unités
19 Voir le livre de L. Calonghi, Tests ed esperimenti, PAS, Torino 1956.
20 P. Ricaldone, Don Bosco educatore, Libreria Dottrina Cristiana, Colle Don Bosco
(Asti) 1951, vol. 1, 56.
21 Cf. PAS-Pedagogia, dans ASC 247.
22 Cf. Ricaldone, Don Bosco educatore, vol. 2, 452 qui se réfère au rapport de G. Lo-
renzini au premier Congrès national d’orientation professionnelle à Turin en 1948
sous le titre L’orientamento professionale nella prassi educativa salesiana.
23 Gli educatori sbagliano ? dans «Bollettino Salesiano» 78 (1954) 7, 122. La revue
fait également la publicité de la série «Psicologia e vita» sur la psychologie appli-
quée et les problèmes éducatifs, dirigée par Don Lorenzini.

24.8 Page 238

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238 Pédagogie salésienne après Don Bosco
plus petites appelées instituts, écoles ou centres : École de pédagogie
théorique, Centre d’études d’histoire de la pédagogie, Centre didactique,
Centre d’études et de recherches sur l’école professionnelle, Institut de psy-
chologie, Institut de théologie de l’éducation et de catéchèse. La licence en
pédagogie était délivrée avec l’ajout d’une spécialisation relative à l’une de
ces écoles.24
Un autre pas dans cette direction a été franchi lorsque l’Institut a trans-
féré son siège à Rome, Via Marsala. Les changements apparaissent en étu-
diant le processus de révision des statuts de 1959, finalement approuvés
en 1965. José Manuel Prellezo a noté la suppression des références à Don
Bosco et au système préventif et l’ouverture aux étudiants laïcs qui, en plus
des précédentes possibilités d’études pour les étudiants religieux non salé-
siens, pouvait être une solution au petit nombre d’étudiants salésiens. Les
instituts au sein de l’ISP ont acquis plus d’autonomie, devenant des centres
d’enseignement et de recherche.25 La caractéristique la plus évidente du
projet de 1959 est l’accent mis sur la méthodologie : la didactique est la
méthodologie de l’éducation intellectuelle ; la catéchèse est la méthodolo-
gie de l’éducation religieuse, etc. La solution consistant à vouloir équilibrer
une solide formation générale avec les besoins particuliers des spéciali-
sations avait créé un malaise concret chez les étudiants qui devaient faire
face aux exigences de l’enseignement d’un « corps robuste » de matières
pédagogiques communes avec de nombreuses matières spécifiques et pro-
fessionnalisantes.26 La solution de 1959 de Don Braido souffre d’un certain
nominalisme lorsqu’il affirme que la spécialisation est :
la préparation du pédagogue à des fins spécifiques, dans le cadre
de la fonction éducative ; elle ne vise pas la formation du pur psy-
chologue ou du pur historien, mais du méthodologue, de l’histo-
rien, du psychologue, de l’enseignant et du catéchiste en “mission”
24 Cf. Prellezo, Facoltà di Scienze dell’Educazione (1941-1965), 29-30.
25 Cf. Ibid. 41 et Pontificium Athenaeum Salesianum MCMXL - MCMLXV, [s.e.], Ro-
mae 1966, 28-67. L’accent mis sur la scientificité empirique est également visible
dans d’autres facultés du PAS. Par exemple, la faculté de philosophie, en plus du
séminaire des sciences sociales, comptait également un institut de biologie et un
institut des sciences physiques et mathématiques. Cf. Ibid., 24-27.
26 Cf. Ibid., 39-43.

24.9 Page 239

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 239
éducative.27
Les idées de Braido exprimées dans son volume de 1956 Introduzione
alla pedagogia sont éclairantes, notamment dans le chapitre « Idées pour
une faculté de pédagogie ».28 Son approche s’appuie sur le concept d’« Ins-
titut des sciences de l’éducation » proposé par Édouard Claparède, qui
fut le principal représentant européen du fonctionnalisme développé à
l’Université de Chicago à partir des années 1920.29 Braido propose une
faculté organisée de manière à refléter son épistémologie pédagogique, qui
peut être ramenée essentiellement à la synthèse herbartienne : le problème
pédagogique est essentiellement un problème de moyens pour atteindre
des fins ou des objectifs éducatifs. La psychologie et l’éthique sont donc
pour Herbart, et par conséquent pour Braido, inextricablement liées dans
la constitution d’une science pédagogique.30 Les modes d’argumentation de
Braido permettent de dégager quelques points forts : la défense de la valeur
de la pédagogie expérimentale contre l’idéalisme philosophique ; la néces-
sité de surmonter la superficialité de l’empirisme et de l’expérimentalisme ;
la généralité, l’ignorantia elenchi ou les transitions illégitimes d’un ordre
d’idées à un autre d’un pédagogue spéculatif autosuffisant ; la nécessité de
surmonter les solutions non critiques tirées des manuels en promouvant
une plus grande facilité pour les jugements critiques fortement localisés.31
Braido envisage également l’existence d’un travail éducatif à côté de la Fa-
culté afin de pouvoir appliquer les principes et les méthodes pédagogiques
de manière cohérente et systématique, un souhait qui n’avait pas été réalisé
avec l’ISP.
Cette approche, outre les mérites d’une relation équilibrée entre le
spéculatif et l’expérimental, contient certaines limites qui peuvent être
27 Altri documenti, in Prellezo, Facoltà di Scienze dell’Educazione (1941-1965), 43.
28 Cf. Braido, Introduzione alla pedagogia. Saggio di epistemologia pedagogica,
169-181.
29 Les influences des approches belge et américaine sont également perceptibles dans
la bibliographie qui fait référence à Joseph Nuttin de Louvain, Timothy O’Leary de
Washington et aux actes de la première conférence sur l’enseignement universitaire
des sciences pédagogiques organisée par Richard Verbist à Gand en 1953.
30 Voir la défense de la pédagogie par Herbart face aux critiques de Gentile dans Brai-
do, Introduzione alla pedagogia. Saggio di epistemologia pedagogica, 50-51.
31 Cf. Ibid., 162-179.

24.10 Page 240

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240 Pédagogie salésienne après Don Bosco
ramenées au contexte des années 1950. Elle affiche une confiance « mo-
derne » dans les sciences positives et spéculatives, qui présentent toutes
deux les attributs de la certitude, du réalisme et de l’objectivité, et l’auteur
s’attend donc à trouver « des énoncés véritablement universels et néces-
saires, sur chacun des plans de la connaissance ».32 Pour Braido, l’intégrité
de la science pédagogique consiste en sa totalité, c’est-à-dire qu’elle em-
brasse « avec ses principes et ses lois la totalité du phénomène étudié ».33
On se préoccupe moins des relations entre les disciplines, car l’accent est
mis sur « l’unité objective du but, l’éducation ».34 L’approche de Braido est
compréhensible si l’on tient compte de la dynamique du contexte post-ri-
caldonien. Le risque était que l’unité du magistère étouffe la juste plurali-
té des points de vue et que l’unité opérationnelle d’un gouvernement fort
et centralisé éteigne la créativité des individus. Avec les événements du
Concile Vatican II, l’équilibre a été fondamentalement modifié, effritant le
fondement inébranlable de la philosophia perennis et dissolvant partielle-
ment la force d’un gouvernement hiérarchiquement centralisé.
4.1.4. Le tournant du concile Vatican II dans Gravissimum Educa-
tionis
1959 était l’année du centenaire de la Congrégation salésienne et aussi
l’année de l’annonce de la convocation du Concile œcuménique Vatican
II. La coïncidence de ces deux événements a renforcé chez les salésiens la
conviction d’une nouvelle période de la Congrégation et d’un tournant de
l’histoire. Le recteur majeur Renato Ziggiotti fut choisi par le pape Jean
XXIII pour faire partie du Concile en tant que membre de la commission
des religieux. Il participa aux deux premières sessions et considéra cette
expérience comme une école admirable et une incitation à mieux corres-
pondre à la vocation de la part de tous ceux qui sont appelés à l’apostolat.35
Le Concile Vatican II, qui promut l’esprit de dialogue et reconnut l’au-
tonomie des réalités terrestres et la nécessaire ouverture à celles-ci, et par
32 Ibid., 171. Voir également Ibid., 173 e 177.
33 Ibid., 171.
34 Ibid., 173.
35 Cf. R. Ziggiotti, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 44 (1963) 229, 5-6.

25 Pages 241-250

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25.1 Page 241

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 241
conséquent aux sciences humaines, condensa son message éducatif dans
la Déclaration Gravissimum educationis, publiée vers la fin des travaux du
Concile.36 Le préambule du document résume fort bien les préoccupations
et le concept d’éducation et ouvre quelques perspectives,, dont voici les
parties saillantes :
L’extrême importance de l’éducation dans la vie de l’homme et son
influence toujours croissante sur le développement de la société
moderne sont pour le Concile œcuménique l’objet d’une réflexion
attentive. En vérité, les conditions d’existence d’aujourd’hui rendent
à la fois plus aisées et plus urgentes la formation des jeunes ainsi
que l’éducation permanente des adultes. Les hommes, en effet, dans
une conscience plus aiguë de leur dignité et de leur responsabilité,
souhaitent participer chaque jour plus activement à la vie sociale,
surtout à la vie économique et politique. Les merveilleux progrès de
la technique et de la recherche scientifique, les nouveaux moyens de
communication sociale, leur donnent la possibilité dans le moment
où ils jouissent de loisirs accrus, d’accéder plus aisément au patri-
moine culturel et spirituel de l’humanité, et de s’enrichir mutuelle-
ment grâce aux relations plus étroites qui existent entre les groupes
et entre les peuples eux-mêmes.[…] Mais, pour s’acquitter de la
mission que lui a confiée le Seigneur qui l’a fondée, d’annoncer à
tous les hommes le mystère du salut et de tout édifier dans le Christ,
notre sainte Mère l’Église doit prendre soin de la totalité de la vie de
l’homme y compris de ses préoccupations terrestres, dans la mesure
où elles sont liées à sa vocation surnaturelle.37
Dès le préambule, on perçoit quelques résidus d’une certaine logique
du duplex ordo qui, dans les années du Concile et dans la période postcon-
ciliaire, était également présente dans la majorité des réflexions pédago-
giques salésiennes. La logique consiste à considérer comme autonomes,
et souvent en fait séparées, les dynamiques de la croissance humaine et
celle de la foi, l’humain et le chrétien, la raison et la foi, l’éducation et
36 Cf. la Déclaration sur l’éducation chrétienne Gravissimum educationis, in AAS 58
(1966) 728-739.
37 Gravissimum educationis, Préambule.

25.2 Page 242

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242 Pédagogie salésienne après Don Bosco
l’évangélisation, l’Église et la société, l’Évangile et les droits civils, les pro-
cessus didactiques-catéchistiques et les contenus de la foi, etc. L’argumen-
tation des documents tente souvent de maintenir les deux pôles ensemble,
d’où l’utilisation d’expressions linguistiques telles que « à la fois... et... »,
« tout en », « en même temps que », etc. La discussion part de la déclara-
tion du « droit inaliénable à l’éducation » et l’enrichit du contenu de Divini
illius magistri en précisant que l’éducation doit « répondre à la vocation
propre » de chaque personne.38
La tendance à distinguer et en même temps à unir le pôle humain avec
le pôle de la foi, en combinant les références aux nouveaux documents du
Concile avec l’encyclique de Pie XI, apparaît à plusieurs reprises : la véri-
table éducation doit promouvoir la formation de la personne humaine, tant
en vue de sa fin ultime que pour le bien des divers groupes dont l’homme
fait partie ; les chrétiens sont appelés à la fois à témoigner de l’espérance qui
est en eux et à promouvoir l’élévation du monde dans un sens chrétien ; l’école
catholique, tout en s’ouvrant aux exigences déterminées par le progrès ac-
tuel, éduque ses élèves pour promouvoir efficacement le bien de la cité
terrestre et les prépare en même temps à servir à la diffusion du royaume
de Dieu ; l’Église doit donner aux catholiques une éducation telle que toute
leur vie soit pénétrée par l’esprit du Christ, mais en même temps elle offre
son œuvre à tous les peuples afin de promouvoir la perfection intégrale de
la personne humaine ; les enseignants doivent être dotés de connaissances
tant séculières que religieuses ; la tâche des facultés de théologie est à
la fois d’explorer davantage le patrimoine de la sagesse chrétienne et de
favoriser le dialogue avec les frères séparés et avec les non-chrétiens. En-
fin, la conclusion souhaite non seulement le renouvellement de l’Église de
l’intérieur, mais aussi une présence accentuée et bénéfique dans le monde
moderne.39
De Divini illius magistri à Gravissimum educationis le tournant est
évident, car on passe d’un style apologétique et de défense des droits de
l’Église dans un monde hostile à un style de dialogue avec un monde ca-
ractérisé par un progrès scientifique et social rapide. Les pistes de synthèse
offertes par la déclaration conciliaire peuvent être interprétées en tenant
compte de la perception d’une « saison magique », de l’optimisme de la
38 Cf. Ibid., no. 1.
39 Cf. Ibid. nos. 1.2.3.8.11 et la conclusion.

25.3 Page 243

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 243
croissance économique des années 1960, de la nécessité de sortir de la
mentalité de la « forteresse assiégée » et du besoin de « mise à jour » motivé
en partie par un complexe d’infériorité par rapport au progrès des sciences
humaines.40 On estimait qu’il était facile de partir des valeurs naturelles,
de les encadrer dans la considération complète de l’homme racheté par le
Christ, dans le but de contribuer au bien de l’ensemble de la société.41
Le problème de la logique de duplex ordo, en plus des lacunes théo-
logiques analysées par Hans Urs von Balthasar,42 peut être ramené aux
difficultés assez concrètes pour créer ce dialogue espéré entre les sciences
humaines et la théologie. Gravissimum educationis soutient l’idée d’une
vérité unique, mais ne donne pas les clés d’interprétation, n’indique pas de
voies viables, recommande que
l’on cultive les différentes disciplines selon leurs propres principes
et méthodes, avec la liberté propre à la recherche scientifique, de
manière à acquérir une compréhension toujours plus profonde et,
en étudiant attentivement les nouvelles questions et recherches sus-
citées par les progrès de l’époque moderne, à mieux saisir comment
la foi et la raison se rejoignent dans l’unique vérité.43
40 Cf. Chiosso, Novecento pedagogico, 240-242.
41 Cf. Gravissimum educationis, no. 2.
42 Von Balthasar, dans la première phase de sa pensée qui remonte à l’écrit de 1952
intitulé Démolir les bastions affirme la nécessité pour l’Église d’abandonner ses
retranchements. Dans la deuxième phase de sa pensée, von Balthasar polémique
plutôt contre les conceptions d’un anthropocentrisme optimiste et facile qui étaient
à la mode à l’époque du Concile Vatican II. Dans Seul l’amour est crédible de 1963,
il polémique contre les ouvertures naïves aux religions cosmologiques, arguant de
la nécessité de la révélation gratuite de Dieu dans l’Église et dans l’Écriture. Mais le
lieu de révélation par excellence reste le crucifix, thème central de l’article de 1966,
Cordula, ou le cas sérieux, dans lequel von Balthasar souligne l’identité chrétienne
dans son altérité irréductible par rapport au monde. Le « cas sérieux » (Ernstfall) du
christianisme n’en est qu’un, à savoir la croix du Christ, qui manifeste la gloire de
Dieu, qui dans la mort du Christ se révèle comme l’Amour qui a sacrifié son propre
Fils pour l’humanité. Cf. H.U. von Balthasar, Schleifung der Bastionen. Von der
Kirche in dieser Zeit. Johannes Verlag, Einsiedeln 1952; Id, Glaubhaft ist nur Liebe,
Johannes Verlag, Einsiedeln 1963; Id, Cordula oder der Ernstfall, Johannes Verlag,
Einsiedeln 1965.
43 Gravissimum educationis, no. 10.

25.4 Page 244

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244 Pédagogie salésienne après Don Bosco
De même, l’école décrite au numéro 5 de la Déclaration serait une
institution « humaine » qui fait mûrir les facultés intellectuelles, met en
contact avec le patrimoine culturel acquis par les générations passées, pro-
meut le sens des valeurs, prépare à la vie professionnelle, génère également
une relation d’amitié entre les élèves et constitue un centre de rencontres à
visée culturelle, civique et religieuse. L’école catholique a toutes les mis-
sions précédentes et doit en outre « aider les adolescents afin que, dans
le développement de leur personnalité, ils puissent grandir ensemble se-
lon la nouvelle créature qu’ils sont devenus par le baptême [...] afin que la
connaissance du monde, de la vie, de l’homme, que les élèves acquièrent
progressivement, soit éclairée par la foi ».44
4.1.5. Vatican II et la méthodologie dialogique des Chapitres géné-
raux
Outre le contenu magistériel, ce qui a influenc de façon notable le CG
19 a ét également la forme de travail du Concile. Le paradigme du cha-
pitre salésien a changé en termes de durée, de manière dialogique de pro-
céder, de profondeur des questions traitées et d’ouverture aux sciences hu-
maines. En raison des rythmes du Concile, le CG 19 a été déplacé en avril
1965 pour s’insérer entre la troisième et la quatrième session du Concile.
Les travaux du Chapitre, qui se sont déroulés à Rome dans les nouvelles
installations de l’Athénée salésien, ont duré 53 jours, un record par rapport
aux Chapitres généraux précédents, qui duraient en moyenne dix jours.
Cette longueur de temps a permis des discussions plus ouvertes dans une
atmosphère de liberté qui a fait ressortir les différences dans l’assemblée.
En effet, le nouveau recteur majeur Luigi Ricceri, percevant le climat de
tension entre les différentes positions qui s’opposaient sur la question de
l’adaptation aux temps nouveaux ou sur la fidélité au charisme, intervint
en disant :
Chers confrères, nous voulons promouvoir ici un climat de chari-
té pratique [...]. Nous devons à tout prix réaliser cette union dans
la charité. J’ai dit union dans la charité. Cette union présuppose la
44 Ibid., no. 8. Ici, le texte fait explicitement référence à Divini illius magistri.

25.5 Page 245

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 245
compréhension. [...] Comprendre signifie comprendre mon “adver-
saire” d’idées, comprendre celui qui pense différemment de moi,
comprendre mon frère en Don Bosco. Nous devons nous convaincre
[...] que dans les maisons, dans les communautés, il y a des situa-
tions psychologiques, des maux qui ne peuvent être ignorés. Ils sont
le reflet inévitable de ce que nous vivons et souffrons en ces années
dans la société et dans l’Église.45
L’accumulation des tensions et le changement de cap nécessaire se
comprennent mieux si l’on considère la méthodologie du chapitre précé-
dent. Jusqu’au CG 18, les assemblées étaient conduites sans une analyse
approfondie des changements intervenus dans la société et dans l’Eglise.
Avec une mentalité de fidélité aux origines, les membres du chapitre se
concentraient sur les décisions de réglementation pratique. Surtout pour
les internats, dans une moindre mesure pour les oratoires festifs et l’utili-
sation des moyens de communication sociale et les loisirs, on « entend des
discours presque identiques aux précédents, qui font à leur tour écho aux
résolutions et dispositions réglementaires des années 1920 et suivantes ».46
Les professeurs de l’Institut Supérieur de Pédagogie sont passés d’un
rôle relativement marginal à une position stratégique pour l’avenir de la
Congrégation. Suivant l’exemple du Concile, près de vingt experts ont été
invités au Chapitre, la majorité d’entre eux étant des universitaires de l’ISP.
Particulièrement significatives furent la présence de Braido dans la com-
mission sur les structures de la Congrégation, les contributions de Gras-
so dans celles de l’apostolat des jeunes, de Calonghi pour le travail sur
l’apostolat des adultes et sur les moyens de communication, de Gianola et
Sinistrero pour les écoles professionnelles, de Corallo et Csonka pour la
formation des jeunes et, enfin, de Don Dho pour la formation salésienne.
La seule commission sans la participation des membres de l’ISP a été la
septième commission qui s’est occupée des constitutions, des règlements
et des missions.47
45 Interventi del Rettor Maggiore al Capitolo Generale XIX, dans CG19 (1965), 315-
316. Cf. aussi la lettre circulaire sur le dialogue: L. Ricceri, Lettera del Rettor Mag-
giore, in ACS 48 (1967) 247, 3-33.
46 Braido, Le metamorfosi dell’Oratorio salesiano, 319.
47 Cf. GC19 (1965), 362-366.

25.6 Page 246

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246 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Étant donné que les confrères ne constituaient pas une partie active du
mouvement biblique, catéchétique ou liturgique, les ouvertures du Concile
ont été perçues par la majorité d’entre eux comme des nouveautés radi-
cales, de portée aussi vaste que la fermeture précédente. L’ouverture, dé-
sormais garantie par l’accès facile aux nouvelles des journaux, de la radio
et des revues scientifiques, montra les différences évidentes entre les deux
mentalités : la mentalité traditionnelle de la grisaille de la vie cyclique et
exigeante du collège salésien fidèle à la règlementation de Don Ricaldone,
et celle peinte aux couleurs vives de l’Église en sortie, proche des mar-
ginaux et en dialogue avec le progrès scientifique, social et politique du
monde extérieur.
Le changement de méthodologie des Chapitres généraux a représenté
une manière d’aborder le tournant du Concile.48 La manière de procéder des
Chapitres précédents avait été déterminée par la logique de la continuité de
la tradition salésienne et des décisions opérationnelles ; la manière actuelle
adoptait de préférence une logique dialogique mais déterminée par un
contexte de polarisation, de rejet du passé et d’insécurité face à l’avenir. En
conduisant à la perception d’une certaine discontinuité, la méthodologie a
indirectement, mais significativement, influencé le contenu des Chapitres,
en faisant d’eux de vastes réceptacles de positions différentes, équilibrées
en principe mais manquant du sens du concret et des étapes à parcourir, la
mise en œuvre concrète étant confiée à d’autres organes décentralisés. Il
faut rappeler ici le processus très complexe de préparation du Chapitre gé-
néral spécial, qui prévoyait une large consultation de la « base » pour écou-
ter les opinions et les sensibilités des différents contextes et des provinces.
À titre d’exemple, nous présentons la dynamique qui a prévalu autour du
chapitre provincial du PAS de 1969 en vue du CGS.
En vertu du principe de dialogue et de démocratie, on adopta la mé-
thode de consultation sur les propositions essentielles à voter. Au vu de la
quantité de textes et des réunions de consultation, il convient de s’attarder
sur les raccourcis et les risques du mode de scrutin en tant qu’« incarna-
tion » de la coresponsabilité. De manière générale, on peut dire que les
48 Pour un examen plus détaillé, voir M, Vojtáš, Progettare e discernere. Progettazi-
one educativo-pastorale salesiana tra storia, teorie e proposte innovative, LAS,
Roma 2015, 13-110 et M. Borsi - Ambito PG, L’animazione della Pastorale giova-
nile nell’Istituto delle Figlie di Maria Ausiliatrice (1962-2008). Elementi di sintesi e
linee di futuro, LAS, Roma 2010.

25.7 Page 247

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 247
propositions qui ont recueilli plus de la moitié des votes étaient des décla-
rations de principe opposées à des phénomènes négatifs évidents et n’indi-
quaient pas d’applications concrètes. Un exemple :
On considère qu’il est possible et souhaitable d’introduire, à un
degré plus ou moins élevé et progressif, la méthode démocratique
dans la vie religieuse. [...] Sans la coresponsabilité et l’esprit créatif
exercé sous des formes différentes selon les situations, l’obéissance
religieuse ne serait pas un vrai signe du Royaume mais une forme de
passivité paresseuse, confortable et égoïste.49
Les observations méthodologiques de Pio Scilligo à ce sujet mettent
bien en évidence sa formation en psychologie et son expérience intercultu-
relle. Outre les difficultés liées à la présence de cultures différentes, à l’ita-
locentrisme et à la traduction de phrases compliquées, il affirme qu’en fin
de compte, on ne sait pas ce que les confrères ont voté, car personne ne
veut être « infantilisant », « paternaliste », « passif », « répétitif », etc. :
« Le problème n’est pas de voter des mots, mais de voter des contenus
de mots et, par conséquent, il faut exprimer les propositions en termes
palpables autant que possible ».50 Dans un climat antagoniste, le vote pour-
rait être instrumentalisé et les décisions les plus importantes seraient prises
par les secrétaires. En utilisant l’exemple d’un seul article sur l’éducation
salésienne, il propose la subdivision, la reformulation et diverses indica-
tions méthodologiques :
Afin d’éviter ces erreurs très graves, je pense que la seule solution
est de voter pour des propositions précises, sans surabondance inu-
tile de mots, sans adjectifs émotifs, aussi unidimensionnelles que
possible, c’est-à-dire ne contenant qu’un seul concept fondamental
et indiquant clairement que vous votez pour ce concept, ou si la
proposition reste complexe, de voter pour elle par parties et dans
49 Ispettoria Salesiana PAS, Atti del 1° Capitolo Ispettoriale Speciale (13-19 aprile
1969), [s.e.] Roma 1969, 105-106.
50 P. Scilligo, Alcune osservazioni sulle votazioni fatta in vista del Capitolo Ispettori-
ale e alcune proposte per le votazioni, in Archivio di Pietro Stella, 6.

25.8 Page 248

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248 Pédagogie salésienne après Don Bosco
son ensemble.51
Nous avons voulu citer les réflexions de Scilligo sur la méthodologie
capitulaire avant les paragraphes qui analyseront le contenu des Chapitres
généraux. Pour interpréter les documents du magistère capitulaire, il sera
utile d’avoir à l’esprit le rapport entre la méthode et les formulations, dans
un contexte de contrastes et de décentralisation. On verra également com-
ment la méthode « démocratique » conduit à une logique de compromis
entre les principes théoriques et souvent n’aide à trouver ni des synergies
(qui sont plus que des compromis), ni des indications pour la pratique édu-
cative, ni une organicité dans des documents qui ne sont pas un corpus
unique mais l’assemblage du travail de différentes commissions souvent
influencées par des facteurs contextuels, éditoriaux et idiosyncratiques.
4.1.6. L’après-Concile dans la Congrégation
La fin des années 1960 ne peut être décrite comme une période tran-
quille dans la congrégation. En réalité, le paysage intellectuel et celui de
l’action était rempli d’expérimentations décentralisées, de heurts et de re-
mises en cause de la tradition. La contestation des jeunes de 1968 était une
réaction à des situations inconfortables telles que le colonialisme, l’oppres-
sion des pauvres, la discrimination raciale, les guerres pour la domination
mondiale et la subordination des systèmes éducatifs et culturels aux pou-
voirs économiques. Dans le monde intellectuel, les idéologies marxistes,
la critique de la société de masse par l’École de Francfort et la pédagogie
critique refont surface. Le monde idéal à construire est vu sous l’angle de
la participation, de la décentralisation, du dialogue, de la socialité, de la
liberté, de la justice et d’une nouvelle morale.
Les paradoxes ne manquent pas entre la proclamation du principe
de dialogue et de paix d’une part, et les modes réels de contestation peu
dialogiques, qui donnait la préférence à une mentalité de séparation de
classe et d’idéologie. Les réflexions et les innovations sont interprétées
dans le cadre positif du progrès économique, technologique et médiatique
de l’après-guerre. La crise économique des années 1970, le vide de la
51 Ibid., 5-6.

25.9 Page 249

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 249
rhétorique protestataire et le peu de résultats tangibles vont mettre en crise
cette perspective positive. Il subsistera donc un sentiment de malaise face
au changement radical de paradigme et, en ce sens, l’après-Concile peut en
fait être qualifié de véritable crise.52
La crise ressentie en milieu salésien fut caractérisée surtout par le dé-
clin rapide des vocations, par l’abandon de la vie salésienne tout au long de
la décennie des années 1970, aussi bien pendant la période de formation
que par les demandes croissantes de sécularisation des prêtres. Le nombre
de salésiens dans la décennie 1968-1977 a diminué d’environ un quart.53 La
crise démographique, soulignée par le recteur majeur,54 n’est que l’effet le
plus marquant d’un Ordre religieux en forte mutation. L’accomodata reno-
vatio des ordres religieux, entamée par Pie XII en 1950,55 a pris un tournant
radical non seulement avec des perspectives d’espoir, de purification et de
retour aux sources, mais a suscité des tendances utopiques chez certains et
des angoisses liées à la perte de sécurité chez d’autres. Au niveau mondial,
le nombre de religieux masculins a été réduit d’un tiers. Les jésuites, suite
au blocage personnel par le pape des conclusions de leur « Congrégation
générale » tenue en 1974-1975, furent soumis à un commissaire papal pour
deux ans à l’époque de Jean-Paul II.56
Dans les années qui suivirent le Concile, la Congrégation était sous
52 Cf. Wirth, Da don Bosco ai giorni nostri, 447-449; G. Viale, Il sessantotto. Tra
rivoluzione e restaurazione, Gabriele Mazzotta, Milan 1978; G. Sabatucci - V. Vi-
dotto, Storia contemporanea. Il Novecento, Laterza, Bari 2003, 281-287; M. Tolo-
melli, Il Sessantotto. Una breve storia, Carocci, Roma 2008 et A. Bernhard - W.
Keim (eds.), 1968 und die neue Restauration, Peter Lang, Frankfurt am Main 2009.
53 En 1968, les salésiens étaient au nombre de 21 492, alors qu’en 1978, ils n’étaient
plus que 16 439. Le nombre moyen de novices dans la décennie 1958-67 était de 1
218, alors que dans la décennie 1968-77, ce nombre a été divisé par deux, avec une
moyenne de 625. Cf. Wirth, Da don Bosco ai giorni nostri, 531-532.
54 Pour le nombre alarmant d’abandons, voir R. Ziggiotti, Lettera del Rettor Maggio-
re, in ACS 44 (1963) 233, 13 a la Lettera del Direttore Spirituale, in ACS 44 (1963)
234, 16-20.
55 Acta et documenta Congressus generalis de statibus perfectionis, 4 volumes, Roma
1952-3; Acta et documenta congressus internationalis superiorissarum generali-
um, Roma 1953. Dans la continuité de l’activité de renouvellement, l’Union des
Supérieurs Généraux avait été créée en 1957 pour les ordres masculins et en 1965
pour les ordres féminins.
56 Cf. Martina, Storia della Chiesa, vol. 4: L’età contemporanea, 362-365.

25.10 Page 250

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250 Pédagogie salésienne après Don Bosco
la direction de Luigi Ricceri, qui fut élu au CG19 entre deux sessions du
Concile.57 Au cours des douze années précédentes, il avait occupé le poste
de conseiller supérieur pour les coopérateurs et pour la presse. Innovateur,
il modernisa le Bollettino Salesiano, fonda l’Agenzia Notizie Salesiane à
Turin, l’organe de presse de la Direction générale, et lança le mensuel Me-
ridiano 12, qui se voulait la continuation des Letture Cattoliche de Don
Bosco. Les douze années de son rectorat, entre 1965 et 1977, s’inscrivent
dans le cadre du pontificat de Paul VI et, dans ses directives, il suit la ligne
du pape.
D’une part, Don Ricceri a récolté les fruits du travail réalisé par ses
prédécesseurs, mais d’autre part, il a dû gérer une double crise : celle dé-
rivant de l’expansion, pas toujours contrôlée, de la Société salésienne elle-
même et celle, dans le domaine ecclésial, concomitante à la célébration
de Vatican II. Petit à petit, mais inexorablement, la nouvelle situation s’est
imposée en Europe et en Amérique. D’une part, il y a eu la fondation de
nouvelles présences, un nombre important de nouvelles initiatives dans le
domaine pastoral, surtout dans le domaine de l’ouverture au monde, de la
justice et du dialogue avec tous.58 D’autre part, il y a eu des discussions
animées et des contrastes entre les « progressistes » et les « fondamenta-
listes » et, dans le domaine spécifique de l’apostolat des jeunes, entre les
« pastoralistes » (un nouveau mot à la mode au contenu incertain) et les
« pédagogues » (qui rappellent Don Ricaldone et son Don Bosco educa-
tore).
« Apparus en 1968 dans le milieu des jeunes salésiens, les ferments
de la contestation atteignirent leur apogée dans les années 1969-70 et
l’Athénée salésien devint une extraordinaire caisse de résonance de ce qui
s’agitait dans certains pays, notamment en Amérique latine ».59 Riccar-
do Tonelli, directeur de la revue Note di Pastorale Giovanile, parle des
« années chaudes » : « Un modèle très original de culture, de réflexion et
57 Cf. L. Ricceri, Così mi prese Don Bosco. Storie vere di vita salesiana, LDC, Leu-
mann (TO) 1986 et Wirth, Da don Bosco ai giorni nostri, 436-438.
58 Cf. F. Desramaut - M. Midali, L’impegno della Famiglia salesiana per la giustizia.
Colloqui sulla vita salesiana 7, Jünkerath 24-28 août 1975, LDC, Leumann (TO)
1976; Wirth, Da don Bosco ai giorni nostri, 527.
59 R. Alberdi - C. Semeraro, Società salesiana di San Giovanni Bosco, in G. Pelliccia
- G. Rocca (eds.), Dizionario degli istituti di perfezione, vol. 8, San Paolo, Rome
1988, 1691.

26 Pages 251-260

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26.1 Page 251

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 251
de planification sociale et politique commençait à prendre forme et à se
consolider. […] Certes, face à l’urgence des problèmes... il n’est pas tou-
jours facile de procéder avec le calme et l’équilibre nécessaires ».60
Dans ce cadre complexe, Luigi Ricceri a défendu et soutenu son droit
et son devoir de « diriger, orienter, animer, et donc d’indiquer le bon che-
min, de corriger à temps les déviations, de dénoncer les abus, de définir à
certains moments les positions justes, afin que chacun puisse savoir à un
moment donné avec la clarté nécessaire le chemin à suivre dans la Congré-
gation ».61 Au cours des six premières années de son rectorat, il mit l’accent
sur la réalisation presque impossible des conclusions du CG19. Il s’agissait
notamment de trouver un équilibre entre les deux principes de décentra-
lisation et d’unité. Des efforts furent faits pour renforcer l’unité d’action
qui faisait défaut, non seulement avec l’instrument du magistère du recteur
majeur, mais aussi à travers ses nombreux voyages, l’étude de la situation
locale et les conférences intercontinentales qu’il présidait en personne.62
4.1.7. L’Athénée Pontifical Salésien et son nouveau siège à Rome
En 1965, le PAS s’installa dans son nouveau siège à Rome. Le rapport
décrivant les cinq premières années mentionne la sensation d’être « un
grand port maritime, perdu dans l’anonymat créé par la masse inhabituelle
de personnes, confrères ou non, circulant dans les bâtiments ».63 Au niveau
des études, il y a un changement dans les sensibilités et les intérêts des
60 R. Tonelli, Ripensando quarant’anni di servizio alla pastorale giovanile, interview
publiée par Giancarlo De Nicolò, in «Note di Pastorale Giovanile» 43 (2009) 5, 14-
15.
61 L. Ricceri, Lettera del Rettor Maggiore, dans ACS 54 (1973) 269, 1767. Cf. aussi les
pages 1767-1771 et Id., Lettera del Rettor Maggiore, dans ACS 54 (1973) 270, 1865.
62 La dynamique de la décentralisation est une opération complexe et non linéaire.
Il est utile de rappeler les études organisationnelles sur le sujet qui mentionnent
l’importance cruciale de la hiérarchie dans la mise en œuvre de la décentralisation,
le paradoxe de la décentralisation introduite par le centre avec des limites déjà fix-
ées, ou la polarisation entre le leadership décentralisé et les décisions prises par
le centre. Cf. S. Kühl, Sisyphos im Management. Die vergebliche Suche nach der
optimalen Organisationsstruktur, Wiley, Weinheim 2002, 36-39, 65-88 et 131-166.
63 Rapporto sull’Ispettoria del P.A.S. 1965-1970, in Archivio di Pietro Stella, 2.

26.2 Page 252

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252 Pédagogie salésienne après Don Bosco
étudiants salésiens :
Après 1960 il y eut une génération de jeunes confrères qui étaient plus
absorbés, plus concentrés dans leurs études, plus attentifs aux orien-
tations de l’Église dans la phase préconciliaire ou conciliaire. Il y a eu
une nouvelle génération de confrères qui, comparée sans passion à la
précédente, a eu [...] une formation moins organique, moins basée sur
les textes qui ont accompagné leur formation du noviciat à l’étude de la
théologie. [...] Ils avaient hérité vers 1960 d’un système extrêmement
centralisé du très méritant et génial Don Ricaldone. Mais un système
qui avait également favorisé un certain vide dans la création de textes
de formation adaptés aux temps nouveaux.64
Outre les difficultés d’actualisation des études, on dénonçait des ques-
tions concrètes de discipline et on exerça des pressions sur les supérieurs
pour qu’ils renoncent à leurs interventions formatrices, considérées comme
des formes désuètes de contrôle. Pour tenter de surmonter l’anonymat et
la soi-disant massification, des groupes de confrères se sont formés spon-
tanément. Au nom d’une certaine affinité spirituelle, les groupes ont été
autorisés à organiser leur propre concélébration de la messe, leurs propres
réunions amicales, leurs propres débats, leurs propres programmes. Cer-
tains groupes furent ensuite créés en tant que « groupes de pression » pour
poursuivre leur propre programme d’innovation. Une influence considé-
rable fut exercée par un groupe de jeunes professeurs appel Groupe des
20.65 Au sommet de l’iceberg des contestations il y eut quelques affaires
fortement médiatisées : l’éviction des Pères Giulio Girardi et Gérard Lutte
du PAS, la protestation des étudiants contre le recteur majeur le jour de
l’ouverture de l’année académique 1969-70, et le départ de nombreux pro-
fesseurs et étudiants de la Congrégation.
Lors du Chapitre provincial spécial du PAS en avril 1969 en vue de la
préparation du CGS, on aborda plusieurs thèmes qui reflétaient ce climat.
Parmi les plus intéressants nous pouvons noter : la proposition des salésiens
64 Ibid.
65 Cf. La Congregazione Salesiana di fronte al compito del rinnovamento conciliare.
Considerazioni generali e proposte per il Capitolo Generale Speciale del 15 feb-
braio 1969 firmato da 19 professori del PAS, in Archivio di Pietro Stella.

26.3 Page 253

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 253
ouvriers, les communautés mobiles et d’agrégation spontanée, les expéri-
mentations dans l’organisation de la Congrégation, l’élection du directeur
et de l’inspecteur, l’élimination de toute forme de dépendance directe du
supérieur. Cette dernière proposition était fondée sur la constations que
chaque confrère est capable de décider par lui-même, sans le charisme de
l’autorité, et ensuite parce que le confrère est en relation avec le groupe et
non avec le supérieur.66 De manière générale, on constate qu’on a approuvé
des propositions génériques sans applications concrètes. C’est le cas de la
consultation des supérieurs, de l’introduction de la méthode démocratique
dans la vie religieuse de manière plus ou moins intense et progressive,
ou de la possibilité de l’apostolat auprès de groupes de jeunes mixtes. En
revanche, les formulations trop concrètes (ou radicales) avec l’utilisation
de formulations totalisantes telles que « tout », « toujours », « jamais » ont
suscité des oppositions et n’ont pas atteint le quorum nécessaire.
Dans ce contexte on retiendra comme significatives les considérations
de Pietro Stella sur l’identité salésienne, car il a été appelé par ses supé-
rieurs à intervenir dans le cas de Gérard Lutte, salésien belge et profes-
seur de psychologie du développement à l’Athénée.67 Lutte avait épousé
la cause de la contestation des jeunes de 1968, considérée comme « l’un
des événements les plus significatifs de ces dernières décennies et les plus
riches d’espoir pour l’avenir de l’humanité ».68 Pour comprendre les cadres
mentaux de l’époque, il est intéressant de voir sa proposition de réforme
radicale de l’université, inspirée par les mouvements étudiants du monde
francophone, qui envisageait l’abolition de la fonction de professeur et de
l’examen classique, considéré comme un contrôle de la « mémorisation des
66 Voir en particulier « Strutture e il governo della Congregazione » in Ispettoria
Salesiana PAS, Atti del 1° Capitolo Ispettoriale Speciale (13-19 aprile 1969), Roma
1969, 213-229.
67 Voir la reconstitution de la controverse dans Informazione e controinformazione su
Lutte e Prato Rotondo, dans «il Regno. Documentazione» 16 (1971) 6, 156-164 qui
contient des communiqués de presse, des déclarations et des articles dans la Stam-
pa, L’Osservatore Romano, il Nostro Tempo. Cf. également H. Herles, Zwischen
Barrikade und Altar. Der Fall Don Gerardo Lutte - Ein Priester und der Klassen-
kampf am Rande von Rom, in «Publik» no. 11 (12 mars 1971), 3.
68 G. Lutte, Per una università critica, in «Orientamenti Pedagogici» 16 (1969) 2,
336.

26.4 Page 254

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254 Pédagogie salésienne après Don Bosco
connaissances transmises autoritairement du haut de la chaire »,69 favori-
sant au contraire l’éducation permanente et l’apprentissage actif, ainsi qu’un
rôle de conseiller pour le professeur. Lutte a pleinement adopté la critique
de la société par l’École de Francfort, parlant de l’aliénation de l’homme, de
l’oppression de la classe dominante, et s’appuyant sur la démocratisation de
l’université et la participation des étudiants à sa direction.70
Plus controversé encore fut l’engagement social de Lutte dans la com-
munauté de Prato Rotondo, qu’il vivait dans une logique de lutte des classes
et de rédemption économique et sociale des pauvres. Pietro Stella, qui était
partisan d’une remise en question critique comme le montre son livre Don
Bosco nella storia della religiosità cattolica,71 se montra critique de la ma-
nière d’agir de Lutte. Dans une réflexion sur la manière salésienne d’être
dans la sphère sociale, il formula la question de base comme suit : « Est-
ce une réinterprétation cohérente de l’action de Don Bosco que d’utiliser
les méthodes d’incitation à la lutte des classes pour envahir les écoles par
la force et conduire des groupes à occuper des bâtiments vides ? »72 La
réponse était conforme à la fois aux solutions de Don Bosco et au style
conciliaire du Pape Jean XXIII, dans un dialogue qui cherche « ce qui nous
unit » et non un dialogue qui met l’accent sur « ce qui nous sépare » comme
moyen de lutte. Nous rapportons ses réflexions :
Les salésiens ont hérité de leur fondateur Don Bosco une pratique
et une série de formules qui peuvent paraître curieuses et évasives.
Ma politique ? C’est celle du Pater noster. La réflexion théologique
69 Ibid., 334.
70 Pour les « pédagogies de crise », voir Chiosso, Novecento pedagogico, 245-248. On
note comment les auteurs du « grand refus » ont combiné la psychanalyse freudienne
avec l’idéalisation marxiste d’un homme nouveau. Les objectifs du projet anti-péd-
agogique ont été poursuivis d’une manière plus socio-politique qu’académique, au
point de marginaliser la pédagogie comme intrinsèquement autoritaire et violente.
71 Le volume de Stella publié en 1968 a été, avec le volume précédent de Desramaut,
l’un des jalons du tournant historico-critique des études salésiennes. Le texte a
souvent été interprété en faveur du changement radical du charisme comme, par
exemple, dans la bibliographie du « Document des 20 » contenant les propositions
pour le CGS des professeurs du PAS.
72 P. Stella, Il dramma di don Gerardo Lutte, il prete classista dei baraccati, in Ar-
chivio di Pietro Stella.

26.5 Page 255

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 255
récente permet de reformuler la manière d’agir de Don Bosco et d’en
comprendre le sens profond, qui n’est pas, aussi naïvement que cela
puisse paraître, le désengagement, la “fuite ou le contemptus mun-
di”, l’aliénation. Au contraire, les salésiens se sont retrouvés, sans
peut-être y avoir réfléchi au préalable, pleinement dans la trajectoire
programmatique de Gaudium et spes et Populorum progressio. Leur
engagement en faveur de la promotion humaine a pour domaine
spécifique l’éducation des jeunes, en particulier des pauvres et des
nécessiteux, de toutes les manières et sous tous les cieux. [...] Les
modalités sont celles programmées par le Concile Vatican II : pas
d’anonymat, mais nous faire connaître pour ce que nous sommes
: pas hostiles mais respectueux de tous, prêts à promouvoir toute
valeur qui apparaît positive chez les autres, dans le plein respect de
la conscience des autres. Mais en même temps, que les autres nous
voient comme des témoins de l’Évangile que nous avons entendu et
enraciné dans nos vies.
Cela pourrait sembler un plan facile : trop facile de ne pas vouloir se
battre ! En réalité, surtout aujourd’hui, il n’est pas facile de trouver
autant de jeunes que nous le souhaiterions, capables de faire coïnci-
der leur idéal avec une activité qui renonce à la lutte, qui prévoit de
prendre acte de tout, surtout des blessures, pour contribuer à élever
le niveau social sans fractures. Il est également difficile de mettre en
place des œuvres concrètement. Dans de nombreux pays, la pauvre-
té est synonyme de périphérie urbaine. Et les banlieues signifient
souvent zones de construction. Dans de nombreuses villes, il n’y a
pas d’autre choix que d’acheter ou d’accepter des dons ou des loyers
: créer une œuvre sociale, une école ou un atelier signifie polariser
la construction et valoriser la zone. C’est le risque des projets de
banlieue ; aussi scrupuleuse que soit l’attention des salésiens et des
donateurs ou des soutiens d’un projet, on court parfois le risque
d’être pris dans une marée sur le point de nous submerger.73
73 P. Stella, Due punti chiave nel caso Lutte, in Archivio di P. Stella. N.B. La question
des grandes structures pour les jeunes pauvres apparaît comme un objet de critique
dans les années de contestation. En outre, l’ambiguïté des rapports des salésiens
avec le comte Gerini est critiquée à juste titre; leurs conséquences auront des impli-
cations éthiques, économiques et judiciaires jusqu’à une époque récente.

26.6 Page 256

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256 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Après les années de forte opposition, la période 1972-78 voit l’enga-
gement du conseiller pour l’éducation, Don Egidio Viganò, qui s’occupe
aussi bien de l’aspect organisationnel que de la réforme académique. Ses
lignes d’action favorisaient l’interdisciplinarité car il percevait les risques
des compartiments étanches, des fermetures et de la fausse autonomie.
Pour Viganò, la « pastoralité » est la dimension spécifiquement salésienne,
appelée à être le moteur de l’interdisciplinarité au sein du PAS, devenu en
1973 Université Pontificale Salésienne (UPS).74
Il semble que les retombées concrètes des concepts d’interdisciplinarité
de Viganò aient été plutôt modestes. Pietro Braido, doyen de l’ISP dans la
période 1972-74 et recteur de l’UPS dans les années 1974-77, voyait la si-
tuation après 1968 entre deux extrêmes : la fuite en avant utopique et le pié-
tinement par excès de prudence.75 À la Faculté des sciences de l’éducation
(FSE), l’interdisciplinarité était un concept généralement accepté, mais sa
définition et sa méthodologie n’étaient pas partagées par tous. L’époque de
la collaboration interdisciplinaire autour du manuel Educare avaient pris
fin76 et, dans la période postconciliaire, il serait plus approprié de parler
de multidisciplinarité, car le contexte de contrastes, d’abandons et de ten-
tatives de faire fonctionner le difficile modèle d’organisation collégiale de
l’UPS ne permettait pas davantage.77
Roberto Giannatelli, doyen de 1974 à 1980, décrit les initiatives de ces
années-là avec l’adjectif « interidéologique » plutôt qu’« interdisciplinaire ».
74 Cf. E. Viganò, Lettera a don Luigi Ricceri Gran Cancelliere del P.A.S. (24 août
1972), in R. Gianatelli (ed.), Don Egidio Viganò all’Università Salesiana. Dis-
corsi, linee operative, testimonianze del VII Successore di don Bosco, UPS, Roma
1996, 24-44.
75 Cf. Braido, Per una storia dell’educazione giovanile, 288-306.
76 Cf. P. Braido (ed.), Educare. Sommario di scienze pedagogiche, 3 vol., PAS Verlag,
Zürich 11956 21962-64.
77 En ce qui concerne les départs, il faut noter que deux directeurs de l’ISP ont quitté
la Congrégation: Don Ladislao Csonka en 1969 et Manuel Gutiérrez en 1971. Dans
ce contexte, on peut considérer comme un euphémisme l’expression « une mobil-
ité accentuée du personnel » se se référant à la FSE en R. Gianatelli, La FSE nel
periodo 1965-1980, in G. Malizia - E. Alberich (eds.), A servizio dell’educazione.
La Facoltà di Scienze dell’Educazione dell’Università Pontificia Salesiana, LAS,
Roma 1984, 54. Cf. également Ibid. 50-55; Midali, Frammenti di vita salesiana,
158-161; C. Nanni, Pietro Braido, Decano della FSE e Rettore dell’UPS, in Nanni
et al. (eds.), Pietro Braido, 96-102.

26.7 Page 257

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 257
C’est dans cette catégorie que l’on comprend les conférences sur l’ensei-
gnement de la religion dans les écoles publiques, sur l’éducation politique
et sur le pluralisme culturel qui, de l’avis du doyen, ont été affectées par
« le climat conflictuel de l’époque ».78 Même la structure de la revue Orien-
tamenti Pedagogici de ces années-là ne dénote pas un travail de synthèse
interdisciplinaire. Les programmes de la FSE dans la réforme de 1970 ré-
vèlent le souci de la scientificité et de l’autonomie de chaque discipline,
même si Braido insiste pour l’appeler « articulation tendant à l’unification
ouverte au pluralisme ».79 L’adoption d’une stratégie de disciplines com-
munes pour tous les programmes d’études est également un signe de plu-
ridisciplinarité plutôt qu’une démonstration de logique interdisciplinaire.80
Enfin, parmi les cours, il n’y a pas un seul cours sur le système préventif ou
la pédagogie salésienne, et Braido lui-même, après les trois années de son
service en tant que recteur de l’UPS, ne s’est plus consacré ni aux questions
d’interdisciplinarité ni à l’enseignement de la philosophie de l’éducation,
déversant progressivement toutes ses énergies dans l’étude de l’histoire de
Don Bosco et de la catéchèse.81
78 Giannatelli, La FSE nel periodo 1965-1980, in Malizia - Alberich (eds.), A
servizio dell’educazione, 52. Pour les conférences mentionnées, voir B. Bellerate
- G.C. Milanesi (eds.), Educazione e politica, SEI, Torino 1976; B. Bellerate (ed.),
Pluralismo culturale ed educazione. Atti del 3° collquioo interideologico promosso
da Orientamenti Pedagogici, tenutosi a Roma l’8-9 dicembre 1978, Orientamenti
Pedagogici, Roma 1979.
79 [P. Braido,] Rinnovamento di una Facoltà di scienze dell’educazione, in «Orienta-
menti Pedagogici» 17 (1970) 4, 1044.
80 Cf. Ibid., 1046. Les disciplines communes étaient la philosophie de l’éducation, la
théologie de l’éducation, la psychologie générale et dynamique, la psychologie du
développement humain, l’histoire de la pédagogie et de l’éducation, la méthodolo-
gie pédagogique générale, la politique éducative, la sociologie de l’éducation.
81 Cf. Nanni, Pietro Braido, Decano della FSE, in Nanni et al. (eds.), Pietro Braido,
102 et la bibliographie actualisée sur Pietro Braido (1919-2014), in bit.ly/csdb-uni-
sal-it-braido.

26.8 Page 258

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258 Pédagogie salésienne après Don Bosco
4.2. Lignes pédagogiques du magistère salésien autour
du Concile Vatican II
4.2.1. Lettres de Renato Ziggiotti dans la logique de la globalisation
du charisme
Successeur de Pietro Ricaldone et à la tête de la Congrégation de 1952
à 1965, Renato Ziggiotti fut une personne humble, courageuse, réaliste, ou-
verte à l’air frais du Conseil, fidèle à Don Bosco et sincèrement soucieuse
de faire grandir son Œuvre dans les temps nouveaux. Don Ricceri a résu-
mé son action dans l’expression « simplicité sympathique » à la suite de
Rua, Rinaldi et Cimatti, dont il fut le disciple.82 En raison des restrictions
imposées par le régime fasciste et la guerre mondiale, le précédent recteur
majeur n’avait pas pu effectuer de nombreuses visites dans les provinces.
Ziggiotti, par contre, a conduit la Congrégation dans les années 1950 à la
prise de conscience de la nature globale de l’éducation salésienne. Sa réso-
lution : « Je ferai tout ce que je peux pour visiter même les provinces et les
maisons les plus éloignées »83 s’est concrétisée dans une suite de visites aux
maisons salésiennes de tous les continents, avec un attention particulière
pour les maisons de formation. Les visites visaient à la fois à créer un sen-
timent d’unité autour du recteur majeur et à connaître les spécificités des
différents contextes culturels et éducatifs.
Le sentiment d’appartenance au charisme est également perceptible
dans ses lettres circulaires. Comme dans le cas de Don Albera, on re-
marque un usage très fréquent de l’adjectif possessif « notre », qui se réfère
à des termes très différents tels que famille, maisons, frères, vie, élèves,
prières, vocation, règles, écoles, frères, apostolat, Congrégation, jeunesse,
pour ne citer que les plus fréquents.84 La première lettre circulaire envoyée
par le nouveau recteur majeur contient une synthèse de l’œuvre éduca-
tive de cette époque : le souci de la formation et de la vie spirituelle et
82 Cf. R. Ziggiotti, Tenaci, audaci e amorevoli. Lettere circolari ai Salesiani di don
Renato Ziggiotti. Introduction, mots clés, index et annexes statistiques édités par
Marco Bay, LAS, Roma 2015, 13-17.
83 R. Ziggiotti, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 33 (1953) 176, 4.
84 Cf. Ziggiotti, Tenaci, audaci e amorevoli, 26.

26.9 Page 259

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 259
surtout l’importance stratégique des compagnies considérées comme « la
voie royale pour cultiver l’esprit religieux, la fréquentation des Sacrements,
la familiarité, la gaieté, le système préventif, l’entente amicale entre les
jeunes et l’amour de l’étude, du travail et de la discipline ».85 L’atmosphère
de reconstruction et de croissance de ces années 1950 se ressentait égale-
ment dans le ton de ses lettres. Pour Ziggiotti, c’était le temps de l’action,
de l’audace apostolique de Don Bosco, des grandes constructions, de la
multiplication des vocations consacrées pour répondre aux nombreux be-
soins du monde. Certaines expressions témoignent de l’époque et de son
type d’éducation :
Nous devons être audacieux dans le bien, avec la sainte audace de
saint Jean Bosco. Les jeunes n’aiment pas les demi-mesures : soit ils
s’éduquent à l’héroïsme du bien, soit ils stagnent dans la médiocrité
et deviennent sceptiques. Les éducateurs qui se croient à la page en
se pliant aux goûts dégradés de leurs élèves seront demain méprisés
et moqués ; l’estime des jeunes va à ceux qui exigent l’effort, le sa-
crifice et le renoncement, à ceux qui leur indiquent des buts nobles
et généreux et les aident sagement à les atteindre. Ne nous préoccu-
pons pas de rendre la vie de nos élèves facile et agréable, mais plutôt
de susciter l’enthousiasme pour l’enrichissement de l’âme dans la vie
de la grâce, dans l’acquisition des vertus nécessaires à la vie : justice,
force, charité, maîtrise de soi et émulation dans le bien. [...] Mais où
trouve-t-on les gymnases de cette gymnastique morale, sinon dans
les compagnies religieuses florissantes ?86
Malgré les changements intervenus dans la société et dans l’Église au
fil des années 1950 et la conscience accrue de la diversité des contextes, la
direction de la Congrégation s’est maintenue dans la ligne traditionnelle et
centralisée de Ricaldone jusqu’au Chapitre général de 1965, qui s’est tenu
dans les nouveaux locaux du PAS pendant le Concile Vatican II. Dans le
chapitre précédent de 1958, en effet, l’ ancien style était encore évident,
tant dans la manière de le conduire que dans les thèmes qu’il abordait.87
85 R. Ziggiotti, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 32 (1952) 169, 8.
86 Ibid., 7.
87 Braido commente: « Le chapitre général 18 de 1958 ne reflète pas en profondeur

26.10 Page 260

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260 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Bien qu’il mentionne la « saine modernité », le Chapitre se définit comme
une « manifestation de salésianité intense et d’adhésion totale et incondi-
tionnelle aux enseignements et aux directives de notre saint fondateur et
père. En fait, une seule aspiration animait les capitulaires : celle d’adhérer
avec une fidélité absolue à l’esprit de nos constitutions et règlements, à nos
traditions ».88
En plus des dispositions concernant les thèmes habituels du collège
salésien, comme les vacances, la présence du directeur, la question de la
deuxième messe dominicale, le cinéma et le divertissement ou les prières
quotidiennes uniformisées dans le monde entier, apparaissent quelques ac-
cents qui valorisent la sainteté des jeunes sous l’impulsion de la canoni-
sation de Dominique Savio. On y souligne en particulier les nombreuses
activités des compagnies salésiennes et leur structure organisationnelle :
le Centre International des Compagnies, dépendant du Directeur spirituel
général et coordonné par lui, avec une riche proposition de matériel pour
l’animation des activités à travers des revues et des publications ; les Fé-
dérations provinciales, centre d’organisation des compagnies au niveau de
chaque province sous la direction d’un délégué provincial ; la Confédé-
ration Internationale des compagnies, etc.89 Dans ce sens, on peut aussi
percevoir le développement possible du PAS : en tant qu’Université qui
professionnalise le travail de l’éducation salésienne, on envisage au CG18
l’ouverture de la Faculté de Lettres Classiques (répondant aux besoins des
les transformations récentes qui ont eu lieu dans la société. En ce qui concerne les
oratoires festifs et les moyens de communication sociale, et plus encore l’éducation
dans les internats, on y entend des discours presque identiques à ceux des chapitres
précédents, qui reprennent à leur tour les résolutions normatives des années 1920
et suivantes ». Cf. P. Braido, Le metamorfosi dell’Oratorio salesiano tra il secondo
dopoguerra e il Postconcilio Vaticano II (1944-1984), in «Ricerche Storiche Sale-
siane» 49 (2006) 319.
88 Il XVIII Capitolo Generale della nostra Società, dans ACS 39 (1958) 203.
89 Cf. Ibid., 33-34. Pour la richesse des propositions de formation, voir les revues Le
Compagnie, Edizione soci - nuova serie et Le Compagnie. Edizione assistenti qui
a continué sous le titre Compagnie Dirigenti. À cela s’ajoute la série des Quaderni
delle Compagnie; les quatre volumes de Cantiere Compagnie, Centro Internazio-
nale Compagnie, Turin, 1958-1961; ou les volumes réédités par le Centro Internazi-
onale Compagnie de Turin en 1954 par P.G. Grasso, Le compagnie come risposta
alla psicologia giovanile, A.M. Stickler, Le compagnie alla luce degli ultimi doc-
umenti pontifici; E. Valentini, Attualità ed efficacia pedagogica delle Compagnie.

27 Pages 261-270

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27.1 Page 261

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 261
lycées classiques) et une autre nouveauté serait la Faculté de Musique,
comme concrétisation d’un aspect typique de l’éducation salésienne. Lors
du chapitre, le recteur a parlé en ces termes :
Il nous semble donc très opportun qu’à côté de l’Institut Supérieur de
Pédagogie, que nous avons déjà, il y ait un Institut de Lettres Chré-
tiennes pour former le personnel enseignant de nos écoles, selon la
pensée de Don Bosco, et pour compléter les études théologiques, et
un Institut de Musique, au moins pour les classes inférieures, afin
de maintenir ces caractéristiques propres à notre esprit.90
Le dernier point abordé par le recteur majeur était le thème de « la
science qui gonfle. Restons dans l’humilité de la connaissance, de la re-
cherche et de la communication de notre propre science. Deus superbis re-
sistit ; et la pire espèce d’orgueil est l’orgueil intellectuel ».91 En ce sens, il
insiste sur le choix du personnel du PAS, « notre institut majeur de culture
religieuse » :
Ils doivent exceller non seulement dans leurs capacités intellec-
tuelles et leurs compétences pédagogiques, mais surtout dans leurs
qualités morales, leurs vertus religieuses, leur esprit salésien, leur
équilibre et leur bon jugement. L’avenir de notre société dépend en
grande partie de ce choix. En effet, un choix erroné pourrait avoir
des conséquences très graves en raison de la délicate position de
privilège, ainsi que de responsabilité, dans laquelle se trouveraient
ces confrères lorsqu’ils seraient affectés aux maisons de formation.92
Les années 1950 ont été caractérisées par la croissance du personnel,
des maisons et des présences salésiennes en vertu de la stabilité de l’orga-
nisation des temps précédents. Le bloc de traditions salésiennes solides et
indiscutables fondé sur les volumes des Memorie biografiche et la série
Formazione salesiana de Don Ricaldone semblait constituer un ensemble
harmonieux et presque indestructible, mais ce ne fut pas le cas. D’une
90 Cf. Il XVIII Capitolo Generale della nostra Società, dans ACS 39 (1958) 203, 83.
91 Ibid., 18.
92 Ibid., 39.

27.2 Page 262

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262 Pédagogie salésienne après Don Bosco
part, l’ouverture à la nouveauté du Concile a mis en doute le cadre rical-
donien, d’autre part, et cela même avant le Concile, on percevait déjà que
la nouvelle génération de salésiens avait une conscience historico-critique
qui commençait à remettre en question l’interprétation traditionnelle de
l’histoire, de l’éducation et du charisme salésien.
Le premier groupe de réflexion historico-critique se forma à Lyon, où
Francis Desramaut commença à étudier les sources salésiennes selon la
méthode historico-critique et animait le Groupe lyonnais de recherches
salésiennes. La première publication sur l’évolution de la réglementation
dans la Congrégation date de 1953. Suivent les traductions des biographies
de jeunesse de Don Bosco. Mais le volume le plus important, qui a eu un
impact profond sur les études salésiennes, est sa thèse de doctorat sur le
premier volume des Memorie Biografiche intitulé Les Memorie I de Gio-
vanni Battista Lemoyne. Étude d’un ouvrage fondamental sur la jeunesse
de saint Jean Bosco, publié en 1962.93 Plus tard, Desramaut se fit connaître
en 1967 avec la publication du volume Don Bosco et la vie spirituelle dans
la série Bibliothèque de la Spiritualité des éditions Beauchesne.94 Le livre
a ensuite été traduit en italien, espagnol, anglais, allemand et polonais.
Peu à peu, les modes de pensée critique ont fait leur chemin et, grâce à la
contribution d’experts, ont influencé les discussions des Chapitres géné-
raux centrées sur la refonte du charisme.
4.2.2. Le tournant partiel non suivi d’effet du GC19
Comme mentionné, à l’instar du Concile, une vingtaine d’experts ont
été invités au Chapitre de 1965, dont deux coadjuteurs. Il convient de noter
que onze d’entre eux étaient des spécialistes dans le domaine de l’éducation.
La quasi-totalité des experts étaient des universitaires et seuls quelques-
uns étaient des éducateurs « à plein temps ».95 Le terme « expert » a donc
93 Cf. F. Desramaut, Les Memorie I de Jean Baptiste Lemoyne. Étude d’un ouvrage
fondamental sur la jeunesse de saint Jean Bosco. Thèse de doctorat en théologie
présentée à la Faculté de Théologie de Lyon, Maison d’Études Saint-Jean-Bosco,
Lyon 1962.
94 Cf. F. Desramaut, Don Bosco et la vie spirituelle, Beauchesne, Paris 1967.
95 Cf. GC19 (1965), 362-366.

27.3 Page 263

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 263
mis l’accent sur le rôle des études plus que sur la pratique, la facilitation,
l’animation ou le gouvernement. Le rôle de l’expert facilitateur est proposé
par le classique Dictionnaire de pastorale de 1972 édité par Karl Rahner
qui, reflétant l’atmosphère postconciliaire, dit : « e qui concerne tous doit
aussi être décidé par tous. Conformément à cette base juridique, tous sont
en principe compétents en ce qui concerne le plan pastoral. [...] La tâche
des experts et des dirigeants est de permettre à ces personnes de planifier
elles-mêmes les changements nécessaires et de les mettre en œuvre ».96
Dans la Congrégation, l’identité de l’expert en tant que spécialiste sera
renforcée dans les années 1980 grâce à la collaboration entre le Dicastère
pour la Pastorale des Jeunes et la Faculté des Sciences de l’Education de
l’Université Pontificale Salésienne, comme on le verra dans le chapitre sui-
vant.
L’accent mis sur l’importance des experts et des chercheurs était en
harmonie avec l’ouverture du Concile aux découvertes scientifiques de
Gaudium et Spes, avec un rôle particulier accordé à la pédagogie, à la
sociologie, aux sciences politiques et à la planification sociale.97 Le Dizio-
nario di pastorlae déjà mentionné parle très clairement de l’utilisation de
la programmation dans l’entrée sur le projet pastoral :
Grâce à la technologie et à la science, l’homme est aujourd’hui ca-
pable de concevoir son environnement et sa société, de les manipu-
ler, de les changer. [...] Ces moyens sont également à la disposition
de l’Église, afin qu’elle puisse consciemment planifier l’avenir et dé-
velopper sa propre stratégie.98
Les moyens disponibles pour mettre en œuvre le plan sont les médias,
les finances et les institutions. La théologie n’apparaît que plus tard en tant
96 N. Hepp, Piano pastorale, dans K. Rahner et al. (eds.), Dizionario di Pastorale,
Queriniana, Brescia 1979, 567-568.
97 Cf. R. Tonelli, Ripensando quarant’anni di servizio alla pastorale giovanile, inter-
view publiée par Giancarlo De Nicolò, in «Note di Pastorale Giovanile» 43 (2009)
5, 14, 33-35 et P. Scabini, Creatività nello Spirito e programmazione pastorale, in
«Orientamenti Pastorali» 46 (1998) 5, 22.
98 Hepp, Piano pastorale, 567. Il est à noter que l’auteur ne propose comme bibliog-
raphie que deux volumes sur le travail communautaire (Gemeinwesenarbeit) sans
aucune référence à la théologie pastorale.

27.4 Page 264

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264 Pédagogie salésienne après Don Bosco
que « théorie de la praxis ».99 Le recours à la planification est motivé par la
critique de l’utilisation de « solutions d’urgence partielles, alors que s’im-
pose une conception pastorale d’ensemble ».100 Dans l’adoption presque
mécanique de la planification sociale dans la pastorale de l’Église, on peut
percevoir l’enthousiasme de l’époque, la confiance dans la science et l’ac-
cent mis sur les changements pratiques à mettre en œuvre. La décentralisa-
tion après le CG 19 a eu des effets immédiats, notamment dans le domaine
de la pastorale des jeunes, qui gagnait en importance :
L’attention traditionnelle aux diverses institutions, qui relevaient au-
paravant de la responsabilité des membres du Conseil supérieur, a
été “décentralisée” et répartie entre plusieurs responsables, au centre
et à la périphérie : le nouveau Dicastère pour la Pastorale des Jeunes,
les bureaux dépendants ou complémentaires, les conférences pro-
vinciales, les différentes provinces et leurs organes techniques et
d’animation. La “Croisade” centralisée était terminée ou prenait un
nouveau visage.101
4.2.2.1. Les directives du CG19 concernant l’éducation et la pastorale
Le Concile a également influencé le travail du Chapitre qui prit une
orientation essentiellement pastorale. Parmi les documents déjà promul-
gués, les plus utilisés étaient la constitution Sacrosantum Concilium, le
décret Inter mirifica et la constitution Lumen Gentium.102 Le recteur ma-
jeur Luigi Ricceri se souvient de l’atmosphère de l’époque : «Pendant les
travaux capitulaires, on sentait clairement que tous les participants avaient
les yeux tournés avec impatience vers le Concile Vatican II. L’ambiance
à Rome a évidemment alimenté cette atmosphère de tension printanière,
pleine de promesses ».103
99 Cf. Ibid., 568.
100 Mähner, Pianificazione del territorio, dans Rahner et al. (eds.), Dizionario di pas-
torale, 565.
101 P. Braido, Le metamorfosi dell’Oratorio salesiano, 2006, 337.
102 Cf. M. Wirth, Da Don Bosco ai nostri giorni. Tra storia e nuove sfide (1815-2000),
LAS, Roma 2000, 438.
103 CG19 (1965), 5-6.

27.5 Page 265

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 265
Le CG 19 est le premier chapitre qui exprima une prise de conscience
des changements intervenus dans le monde de la jeunesse et de la culture
de l’après-guerre. La réflexion ne s’arrêta pas à la constatation du fait, mais
on tenta également de reformuler la pratique éducative-pastorale. Les ten-
tatives peuvent être résumées en cinq points : réorganisation des structures
de l’administration centrale, réduction des dimensions des œuvres, actuali-
sation de la formation, apostolat des adultes et applications concrètes dans
l’éducation.
Au niveau du Conseil général, un conseiller pour la jeunesse et la pas-
torale paroissiale a été créé ad experimentum, réunissant sous sa respon-
sabilité les domaines de compétence des précédents conseiller scolaire,
conseiller professionnel et conseiller pour les oratoires et les paroisses. Six
autres nouveaux conseillers ont reçu la charge de l’animation d’un groupe
de provinces dans une région géographique en raison de la nécessité d’une
décentralisation également dans le domaine éducatif-pastoral.
Le Chapitre général a jugé opportun de confier à un seul conseiller
l’ensemble de la pastorale des jeunes et de la pastorale paroissiale en
raison de leur étroite relation. [...] Le conseiller responsable s’occu-
pera de la formation générale sous l’aspect religieux, moral et in-
tellectuel dans toutes les maisons salésiennes (oratoires, internats,
pensions, centres de jeunes, clubs, sociétés, associations diverses
de jeunes), sans préjudice de la compétence des inspecteurs et de
la collaboration du conseiller responsable du groupe d’inspecteurs,
pour ce qui concerne les aspects organisationnels, techniques, sco-
laires et professionnels strictement locaux.104
Avec les changements au niveau du Conseil général, on constate une
tendance à valoriser les spécificités des régions, à décentraliser le gou-
vernement de la Congrégation au niveau mondial et, en même temps, à
maintenir ensemble les différentes dimensions et structures éducatives et
pastorales. Au niveau provincial également, des délégués pour les diffé-
rents domaines et des commissions d’experts ont été ajoutés à la structure
du conseil. Ce n’est qu’au niveau local que la structure traditionnelle du
conseil restait obligatoire : en faisaient partie de jure le directeur, le préfet,
104 Ibid., 24.

27.6 Page 266

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266 Pédagogie salésienne après Don Bosco
le curé, le catéchiste, le responsable de l’école et trois conseillers au maxi-
mum, dont l’un peut être le directeur de l’oratoire festif.105 Seul le Chapitre
général spécial de 1971-1972 donnera plus tard aux provinces la responsa-
bilité d’établir au niveau local les rôles qu’elles jugent appropriés.106
Le Chapitre décida de créer un Centre d’études d’histoire salésienne
pour mieux illustrer l’œuvre éducative de Don Bosco et un Centre de Pas-
torale des Jeunes qui appliquera les décisions du CG 19, travaillera en union
avec l’Institut de Pédagogie de l’Athénée Pontifical Salésien, coordonnera
les différentes activités de la pastorale des jeunes et rédigera un Traité sur
l’éducation salésienne de notre temps.
Le deuxième domaine de réflexion concernait le « ridimensionamen-
to » (révision des dimensions), un concept qui a eu du succès au CG 19
parce qu’il répondait à un désir répandu dans la Congrégation. Le prin-
cipe général était la simplification des maisons trop grandes et la réduction
du nombre des œuvres trop petites. En ce qui concerne les divers types
d’œuvre, le collège salésien semblait être entré en crise, tant dans la per-
ception des salésiens que dans celle des élèves.107 Le Chapitre a donc mis
l’accent sur l’oratoire avant tout : « Une attention particulière doit être ac-
cordée à l’œuvre “primordiale” de l’oratoire, convenablement actualisée et
redimensionnée [...] afin qu’elle réussisse à attirer et à servir le plus grand
nombre de jeunes, avec une variété d’institutions (centres de jeunes, clubs,
associations diverses, cours, cours du soir...) ».108 Dans le chapitre sur l’ora-
toire, il est dit que « l’oratoire ne doit pas se limiter à la masse des jeunes qui
le fréquentent, mais doit devenir l’instrument pastoral de rassemblement
de toute la jeunesse, en s’ouvrant dans un esprit de dialogue et de mission
à tous les jeunes de la paroisse, du quartier, de la ville, c’est-à-dire à ceux
105 Cf. Ibid., 37-38.
106 Cf. CGS (1972), no. 708.
107 72% des anciens élèves des maisons de toute l’Italie ont préféré l’éducation dans
la famille par des parents bons et normalement doués à une éducation collégiale,
même bien organisée avec de bons éducateurs. Parmi les aspects les plus négatifs
de l’éducation salésienne, on trouve: une préparation irréaliste à la vie, la répression
de la personnalité, des pratiques religieuses obligatoires exagérées, une discipline
excessive et un manque de préparation aux relations entre les sexes. Voir P.G. Gras-
so, La Società Salesiana tra il passato e l’avvenire. Risultati di un’inchiesta tra ex
allievi salesiani, Edizione extra-commerciale riservata, [s.e.], Roma 1964, 45-152.
108 CG19 (1965), 103.

27.7 Page 267

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 267
qui sont loin ».109 Elle devait disposer d’un programme éducatif précis ré-
pondant à l’évolution de la psychologie des jeunes et respectant les étapes
de leur développement.110 D’une certaine manière, la paroisse a également
été réévaluée : il était possible d’y travailler pastoralement dans un esprit
salésien, en s’ouvrant aux vastes horizons de l’apostolat de l’Église, mais
avec une attention particulière à l’évangélisation des jeunes.111 Avec l’in-
térêt croissant pour le monde du travail, les internats pour jeunes travail-
leurs et les écoles professionnelles ont également été encouragés. Les actes
parlent d’« écoles de toutes sortes, non seulement classiques, mais surtout
professionnelles et techniques ».112 Les inspecteurs ont été invités à établir
un « plan de réduction des effectifs, compte tenu du nombre de confrères,
des conditions particulières des lieux et des temps, des possibilités d’ave-
nir, de la hiérarchie et de la pertinence des œuvres elles-mêmes ».113
Un troisième thème ressenti par les membres du chapitre concerne le
domaine de la formation et se résume dans le mot clé de « qualification »
des salésiens. La qualification signifie avant tout l’acquisition des com-
pétences nécessaires à la mission dans le monde d’aujourd’hui. Dans la
présentation des documents du Chapitre, le recteur majeur n’a pas craint
de qualifier d’« illusion candide » l’attitude qui prétendait qu’un peu de
bonne volonté suffisait pour répondre aux besoins des œuvres.114 Dans la
ligne du Concile, la Congrégation s’est également ouverte au monde de la
science. Luigi Ricceri a lancé un appel en disant : « À présent, chaque ma-
nifestation de notre activité demande des personnes qualifiées dans les do-
maines théologique, liturgique, philosophique, pédagogique, scientifique,
technique, scolaire, artistique, récréatif et administratif ».115 Il semble que
l’accent mis sur les qualifications ait été l’expression du « tournant anthro-
pologique » du Concile, qui sous-tendait également l’idée d’une réduction
109 Ibid., 137.
110 Cf. Ibid., 137.
111 Cf. Ibid., 130-132.
112 Ibid., 103.
113 Ibid., 44.
114 Cf. Ibid., 5.
115 Ibid., 5.

27.8 Page 268

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268 Pédagogie salésienne après Don Bosco
de la taille des œuvres à l’échelle humaine.116
Aux thèmes de l’éducation pastorale, encore appelés apostolat des
jeunes, s’est ajoutée la réflexion sur la formation chrétienne et pro-sociale
des adultes, qui constitue le quatrième axe du CG19. Parmi les domaines
traditionnels tels que l’aide apportée aux FMA, aux Coopérateurs, aux An-
ciens élèves et aux missions ad gentes, six nouveaux domaines ont été
insérés : la paroisse, la catéchèse des adultes, l’apostolat familial, la for-
mation des enseignants laïcs, la pastorale et la communication sociale. Les
thèmes des encycliques Mater et magistra, Pacem in terris et du décret
conciliaire Inter mirifica résonnent dans ces divers domaines,117 qui furent
confiés à un conseiller du Conseil supérieur. Cet élargissement du champ
d’action n’était pas un fait secondaire, car il augmentait les possibilités et
aussi les engagements pastoraux de la Congrégation. En 1991 Don Juan
Vecchi évaluait ainsi les changements intervenus depuis les années 1960 : « Le
monde des adultes n’est plus marginal dans notre engagement et leur prise
en charge religieuse, que ce soit à la demande des Églises ou pour des rai-
sons circonstancielles, nous occupe autant que l’éducation des jeunes ».118
Certaines questions éducatives plus concrètes reflétaient encore la do-
mination du paradigme collégial et son manque de compatibilité avec le vif
sentiment de liberté des jeunes des années 1960 L’internat restait le cadre
de référence implicite pour les problèmes de l’apostolat des jeunes. Cela
se voit, par exemple, dans la présentation des actes du CG19 par le rec-
teur majeur, dans l’omission du collège lorsqu’il s’agit de la réduction des
œuvres119 et dans la structure hétérogène des documents IX-XIX concer-
nant les différentes œuvres éducatives-pastorales, où les écoles avec inter-
nat et semi-internat sont indiquées comme les seules œuvres de l’apostolat
des jeunes.120 En outre, les questions concernant la formation des jeunes
étaient presque exclusivement liées à la vie du collège : la discussion ani-
mée sur le caractère obligatoire de la messe quotidienne et l’intervention
116 Ibid., 9-10.
117 Cf. Jean XXIII, Mater et magistra (1961), in CG19 (1965), 151; Id., Pacem in terris
(1963), in Ibid. 151 et Inter mirifica (1963), nos. 1-3, 9-10, 13-22 dans Ibid., 170-177.
118 J.E. Vecchi, Pastorale, educazione, pedagogia nella prassi salesiana, in Il cammi-
no e la prospettiva 2000, SDB, Roma 1991, 12.
119 Cf. GC 19 (1965), 9-13.
120 Cf. Ibid., 101-201.

27.9 Page 269

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 269
du recteur majeur sur ce sujet ont abouti à la reconfirmation de la pratique
traditionnelle de la messe quotidienne pour les internes, avec une sensi-
bilité aux situations particulières qui devaient être gérées par les Confé-
rences provinciales.121 Les domaines sensibles ou problématiques étaient
également l’éducation à l’amour et à la pureté, la coéducation, la gestion du
temps libre et la question des vacances pour les internes.122
4.2.2.2. L’application du CG19 dans l’espace éducatif-pastoral
Sans aucun doute, le CG 19 a été le début d’un nouveau parcours dans
la Congrégation. Egidio Viganò parlera en 1982 de nombreuses « orien-
tations anticipatrices »123 du Chapitre et en 2010 Pascual Chávez verra le
CG19 comme un « premier acte de prise de conscience communautaire
dans la Congrégation concernant le changement qui se produit dans le do-
maine de la jeunesse et la nécessité de reformuler la pratique éducative-pas-
torale traditionnelle ».124 Compte tenu de l’importance de ce Chapitre et du
contenu des cinq nouveaux domaines qu’il a abordés, il devient utile d’étu-
dier également l’histoire des effets produits par les nouvelles idées, et pas
seulement leur présentation exacte.125 Nous nous pencherons donc d’abord
sur les critères d’application des conclusions du CG19 afin de constater la
manière et l’effet des concepts introduits et des décisions prises.
Le recteur majeur Luigi Ricceri, en présentant les actes du Chapitre,
121 Cf. Ibid., 188-189 e 338-341.
122 Cf. Ibid., 194-199.
123 E. Viganò, Il Capitolo Generale XXII, in ACS 63 (1982) 305, 10.
124 Cf. P. Chávez Villanueva, E si commosse per loro perché erano come pecore sen-
za pastore, e si mise a insegnare loro molte cose” (Mc 6,4). La Pastorale Giovanile
Salesiana, in ACG 91 (2010) 407, 7.
125 « L’histoire des effets » (en allemand: Wirkungsgeschichte) est un concept clé de
Hans-Georg Gadamer introduit dans son ouvrage Vérité et méthode. Nous l’uti-
liserons ici comme un concept interprétatif pour saisir la séquence des nuances
sémantiques de concepts clés tels que l’éducation, la pastorale, le projet, la réduction
des effectifs, la qualification, le sens, etc., qui sont étroitement liés au contexte dans
lequel ils sont apparus, aux interprétations successives données dans les différentes
CG et dans les lettres des recteurs majeurs, et enfin à la manière dont ils sont appli-
qués dans la pratique. Cf. H.-G. Gadamer, Wahrheit und Methode. Grundzüge der
philosophischen Hermeneutik, Mohr, Tübingen 1960.

27.10 Page 270

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270 Pédagogie salésienne après Don Bosco
a mis en évidence quelques critères pour l’application de ses conclusions.
Elles peuvent être résumées en trois expressions clés : personnaliser les
enseignements, collaborer et prendre conseil, et réduire les œuvres à une
échelle humaine. Le premier critère consiste à « former une mentalité plu-
tôt qu’un inventaire de choses à pratiquer ».126 Les instruments de person-
nalisation indiqués sont la lecture individuelle et communautaire appro-
fondie des actes, de manière à favoriser l’étude des idées fondamentales
qui animent les documents.
Le deuxième critère s’adresse avant tout aux supérieurs, qui doivent
faire preuve d’une prudente gradualité dans l’application du Chapitre. La
gradualité ne doit pas être improvisée, mais guidée par les normes émises
pour éviter le danger d’interprétations arbitraires et de dispersion. On tente
ici d’appliquer l’importance du dialogue recommandé par l’encyclique Ec-
clesiam Suam.127 Le dialogue est souligné comme la première qualité du
supérieur pour favoriser la collaboration à différents niveaux : dans des
secteurs d’activité particuliers, dans les maisons salésiennes, dans les pro-
vinces, dans les groupes de provinces et dans la Congrégation.128
La révision des dimensions des œuvres, jugée nécessaire, est utilisée
comme troisième critère d’application du CG19. La motivation première du
« ridimensionamento » des œuvres éducatives n’est pas le souci de l’activité
elle-même, mais l’attention portée au « bien authentique du Confrère ».129
Le recteur majeur écrit : « Avant de pousser à l’augmentation du nombre et
de la taille des œuvres existantes, nous devons tous ressentir une profonde
préoccupation pour l’homme, le religieux, le salésien, précieux protago-
niste de cette activité vertigineuse. [...] L’apostolat est une opération déli-
cate des âmes. Elle ne peut être réalisée avec des âmes épuisées ».130
Les exigences du « ridimensionamento » et de la décentralisation vi-
saient à alléger la structure organisationnelle de la Congrégation, pour
le bien des confrères et la mission de la Congrégation dans le monde
d’aujourd’hui, qui exigeait la qualification. Paradoxalement, cependant,
il semble que la transformation postconciliaire ait engagé beaucoup de
126 CG19 (1965), 6.
127 Cf. Paul VI, Ecclesiam Suam (1964), dans Ibid., 8.
128 Cf. Ibid., 7-9.
129 Ibid., 9.
130 Ibid., 9-10.

28 Pages 271-280

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28.1 Page 271

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 271
ressources humaines, et cela précisément au moment de la première grave
crise démographique du personnel salésien, dont les signes remontaient à
1963.131 Pietro Braido notait qu’après le CG19, rien qu’au niveau mondial,
on pouvait compter jusqu’à trente charges à accomplir : « manuels et di-
rectoires à rédiger, commissions permanentes à créer, centres et bureaux
à organiser à la Direction générale, instituts à ériger et études sur des pro-
blèmes particuliers à réaliser ».132 Afin de parvenir à un certain degré de
décentralisation, de nombreuses ressources furent utilisées pour créer une
organisation plus structurée. La configuration des Conférences provin-
ciales a dû être construite et mise en place. Six ans plus tard, Luigi Ricceri
évaluait la situation du personnel au sein du CGS en déplorant « une hé-
morragie grave et parfois presque chronique [...] de personnel vieillissant
et de son inadéquation aux tâches précédemment assumées ».133 Compte
tenu des nouvelles tâches et structures, on estima que « de 2 ou 3 prêtres
salésiens à peine il fallait tirer un dirigeant ».134
Dans le domaine de la pastorale des jeunes, on se préoccupa également
de rendre l’oratoire plus salésien à travers une décentralisation partant du
centre. Le CG19 a utilisé des instruments de promotion au niveau mondial,
et au niveau des Conférences provinciales, des provinces et des maisons.
On imagina un Centre pour les oratoires et un Conseil central avec pour
mission « une étude précise de la situation actuelle des oratoires, des pos-
sibilités de développement, des besoins de l’Église et de la société, de l’in-
sertion de l’oratoire dans la pastorale paroissiale, la rédaction du nouveau
Règlement général des oratoires, les publications au service de l’organisa-
tion et des échanges d’études et d’expériences concernant la pastorale des
jeunes et la vie des oratoires ».135
La conséquence la plus immédiate dans le domaine éducatif et pas-
toral a été la création au niveau central de la figure du conseiller pour
131 Pour le nombre alarmant d’abandons, voir R. Ziggiotti, Lettera del Rettor Maggio-
re, in ACS 44 (1963) 233, 13 et Id, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 44 (1963)
234, 16.
132 P. Braido, Le metamorfosi dell’Oratorio salesiano, 2006, 336.
133 L. Ricceri, Presentazione del Rettor Maggiore della “Relazione Generale sullo
Stato della Congregazione”, in CGS (1972), 570.
134 Ibid., 576.
135 CG19 (1965), 139.

28.2 Page 272

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272 Pédagogie salésienne après Don Bosco
la pastorale des jeunes et du Centre de Pastorale des Jeunes. Le premier
conseiller élu pour la pastorale des jeunes fut Gaetano Scrivo, ancien su-
périeur de la province d’Italie-Rome. Le Centre de Pastorale des Jeunes
a été lancé après le Chapitre, en 1965, avec le délégué Michel Mouillard,
de la Province de Paris. Comme moyen d’animation, on fonda la revue
Note di pastorale giovanile, dont le premier numéro est sorti en 1967. En
outre, à la demande du Chapitre, naquit au sein de l’UPS le Centre d’études
Don Bosco (1973), sous la direction de Pietro Stella, ainsi que le Centre
d’études des missions salésiennes (1973) en vue de la préparation du cen-
tenaire de la première expédition missionnaire. L’accent mis sur l’aspect
éducatif dans les publications historiques de ces Centres n’a cependant pas
constitué un courant dominant et le Traité sur l’éducation salésienne de
notre temps conçu par le CG19 est resté un projet suspendu. Ce résultat est
probablement aussi attribuable au petit nombre d’experts dans le domaine
pédagogique et à la sensibilité pastorale majoritaire et en croissance (non
explicitement éducative).136 D’après ce que l’on a vu jusqu’ici, il semble
que l’idée du « ridimensionamento », liée à la qualification des confrères,
soit restée un vœu pieux, et que l’on ait plutôt mis en œuvre une certaine
décentralisation des structures centrales, en introduisant le domaine de la
pastorale des jeunes dans l’organisation.
Le concept de « pastorale des jeunes » introduit par le Chapitre a eu
des applications au niveau des structures de gouvernement, mais la déno-
mination la plus utilisée dans les documents du CG19 reste celle d’« apos-
tolat des jeunes ».137 Dans ce sens, nous pouvons encore voir une soudure
substantielle de la Congrégation à l’identité préconciliaire de l’éducation
chrétienne des jeunes.138 Le CG19 parle des principes inspirateurs et des
contenus plus concrets de la pastorale des jeunes dans le document sur la
Formation des jeunes, qui est encore implicitement lié à la structure du
136 Cf. P. Braido, Le metamorfosi dell’Oratorio salesiano, 2006, 333.
137 Cf. les noms des activités éducatives-pastorales dans les documents IX-XIX du
CG19 (1965), 101-201: l’apostolat des jeunes, l’apostolat des laïcs, l’apostolat so-
cial, l’apostolat salésien, l’accompagnement, l’éducation, la formation des jeunes, la
préparation chrétienne et professionnelle à la vie.
138 Cf. S. Frigato, Educazione ed evangelizzazione. La riflessione della Congregazi-
one salesiana nel Postconcilio, in A. Bozzolo - R. Carelli (eds.), Evangelizzazione
e educazione, LAS, Roma 2011, 70-72.

28.3 Page 273

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 273
collège.139 « De plus, dans une vision formellement chrétienne de la société
qui prévalait encore, l’action éducative est vécue et pratiquée en termes
d’action apostolique. L’expression “formation humaine et chrétienne in-
tégrale”, qui pourrait susciter un certain débat, est en fait citée comme
évidente et pas du tout problématique ».140 Le changement de mentalité
et la personnalisation évoqués par Ricceri ont nécessité plus de temps et
de maturité. Le recteur majeur Egidio Viganò s’exprimait ainsi en 1982
sur la combinaison du préconciliaire et du conciliaire lors du CG19 : « La
perception des exigences du Concile était, en raison de la situation histo-
rique générale, plutôt limitée ; tout le monde, en effet, n’avait pas encore eu
l’occasion de saisir le profond renouvellement ecclésiologique de Vatican
II. Néanmoins, l’assemblée capitulaire en a respiré l’atmosphère ».141 Le
CG19 a introduit le concept de pastorale des jeunes et quelques principes
(connaissance et respect du jeune, sens de la liberté, sens social, sens de
l’adhésion au monde actuel, gradualité) qui seront repris dans le futur, mais
la définition concrète du champ d’application de la pastorale des jeunes,
de ses méthodes, de ses outils et de la mentalité éducative-pastorale pour
tous les types d’œuvres devra attendre la période postérieure au CG21 de
1978, marquée par le rectorat de Viganò et la coordination de la pastorale
des jeunes de Vecchi.
La mise en œuvre des conclusions très ambitieuses du CG19 a été
presque immédiatement arrêtée à la suite de la Lettre apostolique motu
proprio Ecclesiae Sanctae, publiée un an après la clôture du Chapitre, an-
nonçant un Chapitre général spécial pour tous les instituts religieux.142 En
fait, six ans plus tard, « une grande partie du CG19 est restée sur le pa-
pier ».143 Les réflexions et les efforts créatifs se sont ensuite déplacés vers
la préparation du chapitre général spécial, détournant l’attention de la
mise en œuvre concrète du CG19. Vecchi devait écrire vingt-cinq ans plus
tard: « La réflexion du CG 19 n’a pas eu une traduction opérationnelle
139 Cf. GC19 (1965), 182-201.
140 Frigato, Educazione ed evangelizzazione. La riflessione della Congregazione sale-
siana nel Postconcilio, in A. Bozzolo – R. Carelli (eds.), Evangelizzazione e edu-
cazione, LAS, Roma 2011, 70-72.
141 Viganò, Il Capitolo Generale XXII, 9.
142 Cf. Ibid., 10.
143 CGS (1972), no. 393.

28.4 Page 274

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274 Pédagogie salésienne après Don Bosco
satisfaisante [...] ; la lecture de la réalité et la pratique n’ont pas connu de
changements significatifs dans la base de la Congrégation ».144 La cause
se trouve également dans l’invariabilité des structures locales (conseils de
maison) et dans la manière dont les conclusions du chapitre ont été com-
prises : un « code » pour tous avec l’obligation d’appliquer et d’adapter.145
Les plus grands effets du CG 19 ont donc été : le changement du para-
digme du chapitre salésien ; la première adoption des idées et de la men-
talité du Concile ; l’établissement d’une structure de gouvernement qui a
permis plus de dialogue et de participation et qui a facilit dans les années
suivantes la tenue d’un grand nombre de réunions préparatoires au CGS ;
enfin le renforcement des experts dans les différents domaines de la vie
salésienne. Le CG 19, en accord avec le Concile, a mis en évidence des
problèmes qui, non sans risque, seront ensuite traités par l’instrument de
la planification éducative et pastorale : l’option pour des structures édu-
catives ouvertes sur le territoire et sur le monde (l’oratoire, la paroisse, la
catéchèse des adultes, l’apostolat familial, la pastorale et la communication
sociale), le rôle accru de la réflexion, la valorisation des sciences humaines,
le modèle de communication et d’organisation plus décentralisé. L’unité et
la continuité aux différents niveaux de la Congrégation seront pensées, à
partir du CG 19, davantage selon le paradigme du projet commun, fruit du
dialogue, que selon le paradigme de la fidélité à la tradition liée à l’impor-
tance de la structure collégiale. Dans les paragraphes suivants, on étudiera
les perturbations des années qui ont suivi le CG 19 en relation avec le be-
soin renforcé d’éléments unificateurs dans la pratique éducative-pastorale
salésienne.
4.2.3. Le processus du changement mis en route par le Chapitre gé-
néral spécial
L’ouverture du Concile aux sciences humaines, perçues comme rela-
tivement autonomes par rapport à la théologie,146 et la nécessité de repen-
144 Vecchi, Pastorale, educazione, pedagogia, in Il cammino e la prospettiva 2000,
1991, 10.
145 Cf. Ibid., 16-18.
146 Cf. Gaudium et spes, no. 36; Gravissimum educationis, no. 10 et Apostolicam

28.5 Page 275

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 275
ser le charisme salésien font partie d’une attitude générale de confiance
dans les solutions scientifiques. Les « Radiographies » élaborées en vue du
Chapitre général extraordinaire, qui résument les courants de pensée des
salésiens, « parlent continuellement d’”intégration”, de “coordination”, de
“programmation”, de “planification”, etc. de l’action pastorale salésienne à
l’intérieur et à l’extérieur de nos maisons, dans ses relations avec la pasto-
rale de l’Église locale. Elles espèrent que le problème sera abordé dans sa
globalité et résolu de manière appropriée ».147 La décentralisation du gou-
vernement, en réponse à la diversité des contextes, serait mise en œuvre
par la création d’institutions, de dicastères, d’équipes, de groupes et de
commissions d’experts, suivant la voie déjà ouverte par le CG19 de 1965.
Reflétant le climat d’optimisme général de la fin des années 1960, il y avait
une confiance presque naïve dans le succès de la planification, du dialogue
et de l’étude. De cette façon, le discours sur la méthodologie était forte-
ment lié au thème du projet : on pensait éviter la réglementation extensive
post-ricaldonienne et respecter la diversité des contextes éducatifs.
Certaines initiatives pour l’étude des problèmes éducatifs-pastoraux
sont également venues de la direction de la Congrégation. En 1967, le
conseiller pour la pastorale des jeunes demanda une étude sur la situation
des oratoires, avec des enquêtes dans les maisons et dans les provinces,
dans le but de rédiger des directives qui devaient « servir de norme aux
conférences provinciales pour la réorganisation de ce secteur très impor-
tant de l’apostolat salésien ».148 En 1968, sous la présidence de Don Ricceri,
trois conférences ont été organisées pour étudier la situation éducative et
pastorale. La conférence de Bangalore s’est surtout penchée sur le pro-
blème de l’oratoire, celle de Caracas sur la pastorale en général et celle de
Côme en particulier sur la structure du centre de jeunes comme réponse
aux besoins du temps, ainsi que diverses autres propositions.149 Les re-
cherches mais aussi les débats lors des conférences ont montré l’ampleur
actuositatem, no. 7.
147 CGS – Commissioni Precapitolari Centrali, Ecco ciò che pensano i salesiani della
loro congregazione oggi. “Radiografia” delle relazioni dei Capitoli Ispettoriali spe-
ciali tenuti in gennaio-maggio 1969, Istituto Salesiano Arti Grafiche, Castelnuovo
D. Bosco (AT) 1969, vol. 1, 108.
148 Cf. L. Ricceri, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 48 (1967) 247, 47.
149 Cf. L. Ricceri, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 49 (1968) 252, 9-25 et 31-86.

28.6 Page 276

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276 Pédagogie salésienne après Don Bosco
des horizons ouverts, qui contrastent toutefois avec le peu de possibilités
de les traduire dans la pratique des indications données. En 1969, le rec-
teur majeur signale le manque d’un programme éducatif précis pour les
différents âges des jeunes et la nécessité de perfectionner la catéchèse,
la liturgie, l’initiation des meilleurs sujets aux engagements apostoliques,
l’engagement des jeunes des oratoires dans la société et dans l’Eglise, y
compris à travers l’engagement dans les divers types d’associations.150
Dans sa lettre d’octobre 1968 le recteur majeur a décrit la procédure
complexe de quinze étapes en neuf temps, qui devait être achevée pour les
premiers mois de 1971.151 Pour comprendre l’atmosphère dans laquelle se
déroulait la réflexion éducative et pastorale de la Congrégation dans ces
années-là, nous utilisons les propositions envoyées par les Chapitres pro-
vinciaux tenus en 1969, recueillies par les commissions pré-capitulaires
en quatre volumes.152 Le premier sujet était la demande d’études sérieuses
sur l’esprit, la tradition et le charisme de la Congrégation afin de redé-
couvrir l’esprit authentique de Don Bosco et de surmonter les divisions
sur les questions fondamentales. Une grande partie des confrères étaient
favorables à une révision,153 mais les propositions concrètes pour la réaliser
variaient dans presque toutes les provinces quant à l’objet, à la méthodo-
logie et aux instruments à utiliser pour l’étude.154 Les propositions reçues
ont révél deux tendances vers lesquelles s’orientait le changement de para-
digme en cours : celle de la continuit et celle de la distance difficilement
150 L. Ricceri, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 50 (1969) 258, 32-34.
151 Cf. L. Ricceri, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 49 (1968) 254, 10-13.
152 Cf. CGS – Commissioni Precapitolari Centrali, Ecco ciò che pensano i salesiani
della loro congregazione oggi. “Radiografia” delle relazioni dei Capitoli Ispettori-
ali speciali tenuti in gennaio-maggio 1969, 4 voll., Istituto Salesiano Arti Grafiche,
Castelnuovo D. Bosco (AT) 1969.
153 Voir Ecco ciò che pensano i salesiani, vol. 1, 1969, 46-47. La valeur numérique de
94% des confrères de vingt Chapitres provinciaux en faveur du changement est l’un
des grands consensus atteints par les Chapitres provinciaux, puisque les questions
qui suscitent un intérêt explicite supérieur à 15 Provinces sont très peu nombreus-
es. À proprement parler, il faut souligner que le chiffre n’est pas statistiquement
significatif en raison des difficultés de mise en place des « radiographies » qui
analysent des matériaux de structure hétérogène et n’ont pas proposé aux Provinces
un questionnaire fixe. Cf. Ecco ciò che pensano i salesiani, vol. 1, VI-XI.
154 Voir Ecco ciò che pensano i salesiani, vol. 1, 1969, 47-67.

28.7 Page 277

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 277
mesurable entre l’ancien modèle et le nouveau.
Dans le domaine éducatif-pastoral, les propositions étaient encore or-
ganisées selon l’ancien schéma par type d’œuvre, avec un fort accent sur
une refonte générale des structures. Le caractère salésien des activités
paroissiales155 a fait l’objet d’un accord quasi unanime et la nécessité de
prendre sérieusement en considération « la primauté de l’oratoire » a été
tout aussi fortement ressentie.156 La validité de l’école en tant qu’œuvre
répondant aux besoins de la société contemporaine n’a été reconfirmée que
par huit provinces, mais à la condition de promouvoir une profonde matu-
rité humaine.157 La pertinence de l’école professionnelle a été réaffirmée
par onze provinces, qui n’ont toutefois pas donné d’indications plus pré-
cises. Le nombre et l’articulation des propositions révèlent l’intention des
confrères de surmonter la stagnation et l’isolement des collèges salésiens
en portant leur attention sur un autre type d’œuvre. Le chemin vers une
refonte générale de l’école et de l’internat salésiens a été moins fréquenté.
La manière dont le changement devait être géré relevait davantage de la
restructuration flexible et expérimentale, de l’inventivité, de l’ouverture et
de la créativité.158 Vecchi résumera vingt ans plus tard les tendances de la
période étudiée : « Certaines provinces d’Europe ont vu dans les paroisses
un moyen d’échapper à la fermeture dans les écoles ».159
Le niveau des contenus concrets de l’éducation et de la pastorale a été
presque totalement ignoré. C’est paradoxal, car à l’époque du tournant pas-
toral dans la Congrégation, la plus grande partie du temps était consacrée
à des discussions sur les structures. On peut interpréter le fait en tenant
compte de certains éléments : la conviction diffuse que le changement des
structures et l’introduction d’un projet rationnel allaient améliorer la qua-
lité de l’action éducative-pastorale ; la dynamique « contestataire » pré-
dominante de ce temps de crise, qui tendait à affronter plutôt les grands
155 94% des confrères des 27 chapitres provinciaux ont convenu que « la paroisse n’est
pas une œuvre exceptionnelle de notre activité salésienne ». Cf. Ecco ciò che pen-
sano i salesiani, vol. 1, 1969, 176.
156 97% des confrères de 16 chapitres provinciaux ont approuvé la déclaration ci-des-
sus. Cf. Ibid. vol. 1, 190.
157 Cf. Ibid. vol. 1, 194-198.
158 Cf. Ibid. vol. 1, 142-144 et vol. 2, 55-58.
159 Vecchi, Pastorale, educazione, pedagogia, in Il cammino e la prospettiva 2000, 13.

28.8 Page 278

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278 Pédagogie salésienne après Don Bosco
thèmes de la vie et du monde, laissant en partie de côté les processus lents
de collaboration nécessaires pour un changement durable.
Les quelques contenus éducatifs-pastoraux qui apparaissent dans les
« Radiographies » confirment l’ouverture aux thèmes qui convergent dans
le nouveau paradigme pastoral, sans s’attarder sur l’application des prin-
cipes. Ce qui ressort avant tout, c’est l’étude scientifique de la réalité des
jeunes, les relations de dialogue et de collaboration dans la communauté
éducative, la promotion intégrale des jeunes, l’ouverture sociale et poli-
tique, l’animation du temps libre, la catéchèse et la formation des adultes.160
Dans la partie qui parle des constitutions, seules trois provinces d’Asie ont
proposé d’insérer un article sur le système préventif.161 Les deux points
qui ont suscité le plus grand intérêt sont les questions emblématiques de la
libre participation à la messe quotidienne162 et de l’ouverture des œuvres
salésiennes à la coéducation.163 En suivant les données des « Radiogra-
phies », on peut conclure que les Chapitres Provinciaux Spéciaux, en pré-
paration du CGS, se sont concentrés surtout sur le changement structurel
de la Congrégation, en laissant de côté les thèmes proprement éducatifs et
pastoraux.
4.2.4. Le Chapitre général spécial et les thèmes éducatifs et pastoraux
Avec ses plus de deux cents jours de travail intense, de juin 1971 à
janvier 1972, le Chapitre Général Spécial tenu à Rome dans le nouveau
siège de la Maison Généralice a été le Chapitre le plus long de l’histoire
salésienne. Suivant les indications du Chapitre précédent, le CGS a com-
mencé par le rapport général sur l’état de la Congrégation présenté par le
recteur majeur. Dans le domaine éducatif-pastoral, encore appelé « action
salésienne », Ricceri a loué l’engagement héroïque, humble et simple de
nombreux confrères pour les jeunes pauvres, mais il s’est aussi longuement
160 Voir Ecco ciò che pensano i salesiani, vol. 1, 214-233.
161 Cf. Ibid. vol. 4, 167.
162 83% des confrères étaient en faveur d’une messe quotidienne libre, Cf. Ibid. vol. 1,
225.
163 82% des membres du chapitre étaient en faveur de l’intégration de la coéducation
dans les œuvres salésiennes, Cf. Ibid. vol. 1, 230-232.

28.9 Page 279

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 279
attardé sur les faibles résultats de l’application du CG19. La redéfinition et
la relance de l’oratoire et du centre de jeunes ont donné « peu de résultats »164
et les résultats du ridimensionamento « n’ont pas été brillants ».165 Il y a eu
un blocage dans l’ouverture de nouvelles maisons, mais d’un autre côté, il
y a eu une multiplication d’œuvres et une « disproportion croissante entre
le personnel et les activités engagées ».166 L’objectif spécifique du CGS
était de formuler un nouveau texte des constitutions et règlements en ac-
cord avec les orientations conciliaires. Puisque la priorité du CGS était de
redéfinir l’identité, il est compréhensible que les aspects pratiques de mise
en œuvre soient restés secondaires.167
Le point de départ de tout l’effort du CGS a été la « révision en profon-
deur de notre identité à la lumière de la réalité d’aujourd’hui ».168 L’identité
des salésiens liée à l’activité éducative-pastorale s’exprime dans le terme
« mission » en laissant de côté le mot « fin », pour souligner la dimen-
sion de la vocation reçue de Dieu dans l’Église, plutôt que de la considérer
comme une simple fin à atteindre.169 La mission se référait principalement
au salut des jeunes pauvres et abandonnés, sans référence aux activités
et aux structures, afin de souligner l’intégralité de la mission. La relation
entre la mission et la pastorale est définie comme suit : « La pastorale est
la concrétisation opérationnelle de la mission sous la direction des “pas-
teurs” ».170 La pastorale salésienne des jeunes s’exprime dans la perspective
christocentrique et ecclésiocentrique du Concile avec un seul objectif : le sa-
lut des jeunes. En poursuivant ce but, on peut « communiquer la vie divine,
et rendre la famille et l’histoire de l’humanité plus humaines ».171
De cet horizon unitaire naît la « priorité absolue de la pastorale des
164 L. Ricceri, Presentazione della “Relazione Generale sullo Stato della Congregazi-
one”, in CGS (1972), 574.
165 Ibid.
166 Ibid., 576.
167 Cf. J.E. Vecchi, Verso una nuova tappa di Pastorale Giovanile Salesiana, in Il cam-
mino e la prospettiva 2000, Documenti PG 13, SDB, Roma 1991, 73.
168 Cf. CGS (1972), VIII.
169 Cf. Ibid., no. 23.
170 Ibid., no. 30.
171 Gaudium et Spes, no. 40, Ibid., no. 60. Cf. no. 24.

28.10 Page 280

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280 Pédagogie salésienne après Don Bosco
jeunes »172 avec la nécessit d’appliquer le critère pastoral l’action aposto-
lique, la réduction des œuvres (surtout les collèges classiques) et la mise
jour des communautés, qui doivent adopter une nouvelle mentalit.173 Cela
a conduit à des formulations courageuses telles que celle-ci : « Il est inad-
missible, d’une manière générale, que continue à exister [...] une œuvre
pastoralement inefficace ».174 C’est ainsi que la pastorale est devenue une
clé de lecture intégrale qui lie la promotion humaine et l’évangélisation.
Pour exprimer l’unité de la complexe mission salésienne, deux expressions
complémentaires ont été choisies : « promotion chrétienne intégrale » et
« éducation chrétienne libératrice ».175 Si au CG 19 il y avait le risque que
la pastorale devienne un mot magique trop générique, le CGS a voulu pré-
venir la tendance au générique et a approfondi certaines concrétisations du
contenu de la pastorale.
Comme première spécification, le Chapitre a ressenti le besoin de four-
nir un critère de renouvellement, pour réguler le rapport entre le retour
aux sources et l’adaptation aux conditions changeantes de l’époque,176 et
l’a trouvé dans la formule : « Le Don Bosco de l’Oratoire ». Il s’agissait de
se référer non pas au concept d’oratoire, mais à la personne de Don Bos-
co qui avait exercé son action pastorale dans l’oratoire chronologiquement
défini du Valdocco, d’abord comme un simple oratoire festif, puis comme
« l’Oratoire » dans sa totalité, c’est-à-dire incluant l’internat, avec les
écoles classiques et professionnelles, et les lieux annexes de loisirs, cultu-
rels et récréatifs.177 Le critère ne pouvait être simplement l’esprit, trop sub-
jectif, ni les œuvres, exposées au danger d’une objectivation fossilisante.178
172 CGS (1972), no. 180.
173 Cf. Ibid. nos. 344-348.
174 Ibid., no. 398. Voir aussi Frigato, Educazione ed evangelizzazione, in Bozzolo
Carelli (eds.), Evangelizzazione e educazione, 2011, 73.
175 Cf. CGS (1972), no. 61.
176 Cf. Ibid. nos. 192-194.
177 Cf. la reconstruction ultérieure du critère oratorien dans Const., article 40: « Don
Bosco a vécu une expérience pastorale typique dans son premier oratoire, qui était
pour les jeunes une maison qui accueille, une paroisse qui évangélise, une école qui
les initie à la vie et un terrain de jeux où ils pouvaient se rencontrer en amis et vivre
dans la joie ».
178 Cf. CGS (1972), no. 194.

29 Pages 281-290

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29.1 Page 281

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 281
Le critère idéal était représenté par Don Bosco dans l’Oratoire, compris
comme « la synthèse, le résumé des brillantes créations apostoliques du
saint fondateur »,179 « fidèle et dynamique, docile et créatif, ferme et souple
à la fois »,180 qui « reste un modèle de comportement pour tous ses fils ».181
Dans la refonte plus concrète de l’éducation-pastorale salésienne, le
CGS a étudié les domaines suivants, subdivisés dans les documents res-
pectifs : évangélisation et catéchèse, renouvellement pastoral de l’action
salésienne parmi les jeunes, pastorale paroissiale, communication sociale
et missions.182 Dans la structuration des actes, il est clair que le point de
départ est l’unique mission appliquée au niveau de l’œuvre avec le même
critère pastoral, de sorte que ce n’est qu’ensuite que sont abordés les do-
maines de l’action. Il est intéressant de noter le changement de perspective
qui passe de la division traditionnelle par types d’œuvres aux domaines
spécifiques de la mission, formulés selon une logique plus organique, qui
prépare aux dimensions de la planification qui se sont développées au fil
des années 1980.
Le CGS a défini la pastorale salésienne non seulement selon les di-
vers lieux de la mission, mais aussi en décrivant les caractéristiques et
les attitudes pastorales salésiennes nécessaires. La pastorale est considérée
comme un service offert aux jeunes, caractérisé par le caractère concret,
la totalité, la dimension communautaire et l’ecclésialité.183 Les salésiens
sont appelés à être des pasteurs ayant une attitude de recherche des jeunes
même en dehors de nos œuvres, une attitude de rencontre, de présence,
de compréhension et de dialogue.184 Ce n’est qu’après que vient la partie
décrivant les structures de mise en œuvre de la pastorale.
L’effort pour repenser l’action salésienne dans une optique pastorale,
suite au Concile, et l’accentuation de l’engagement social ont conduit à
la marginalisation du concept d’éducation, qui est le spécifique de la
179 Ibid., no. 195.
180 CGS (1972), no. 197.
181 MB, vol. 7, 457, in Ibid., no. 197.
182 Cf. Ibid. nos. 175-306.
183 Ibid. nos. 350-359.
184 Cf. Ibid., no. 360-365.

29.2 Page 282

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282 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Congrégation selon le CG19.185 Cela se traduit par le peu d’importance ac-
cordée aux thèmes éducatifs dans les « Radiographies » en préparation du
Chapitre.186 On peut être d’accord avec l’évaluation ultérieure de Vecchi,
qui déclare que « des idées pédagogiques et de nombreux motifs d’inspira-
tion sont éparpillés ici et là. Mais il faut encore de nombreux compléments,
de nombreuses médiations et de nombreuses réorganisations pour en faire
quelque chose qui puisse être appliqué par les opérateurs et assimilé par
les destinataires ».187 L’esprit de la pédagogie, l’utilisation du système pré-
ventif et la méthode en général sont réaffirmés, avec le risque de répé-
ter des formules déjà connues. Il convient également de noter l’utilisation
hétérogène du mot éducation, qui prend des nuances différentes selon le
contexte d’évangélisation, d’assistance, d’instruction ou de socialisation,
si bien qu’en fin de compte, il signifie tout type d’intervention nécessitant
tout type de compétence.188 Malgré la diminution de l’importance de la di-
mension éducative, il faut reconnaître que l’une des idées introduites par le
CGS, qui devait connaître des développements ultérieurs, était le concept
de « communauté éducative » qui, selon la conception du CGS, devait être
composée de salésiens et de laïcs, des jeunes et des parents, fonctionner
dans une logique de coresponsabilité, dans une atmosphère familiale et
projeter et réviser périodiquement son action.189
4.2.5. Les effets opérationnels du CGS
À la fin de presque tous les documents du CGS, on trouve un cha-
pitre intitulé « directives opérationnelles ». Dans la section consacrée à
la mission salésienne, on trouve plus de cinquante indications spécifiques
185 Le CG 19 commence le document sur l’apostolat des jeunes par ces mots: « La
Congrégation salésienne participe à la mission de l’Église surtout par son activité
éducative ». Cf. CG19 (1965), 101.
186 Les « Radiographies » se concentrent sur les œuvres, la vie consacrée, la formation,
le gouvernement et la partie spécifique sur l’éducation occupe moins de 3% des
quatre volumes. Pour la partie sur l’éducation, voir Ecco ciò che pensano i sale-
siani, vol. 1, 213-233.
187 Vecchi, Pastorale, educazione, pedagogia, in Il cammino e la prospettiva 2000, 18.
188 Cf. Ibid., 16.
189 Cf. CGS (1972), no. 395.

29.3 Page 283

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 283
concernant l’étude et la qualification, les décisions pour le changement
structurel de l’action pastorale, les critères pour la réduction des œuvres,
la création de centres d’étude, la création d’équipes et la convocation de
conférences. Parmi ces indications, la planification et la révision des objec-
tifs de la pastorale, qui devaient se faire de manière communautaire et avec
des collaborateurs laïcs, sont également apparues comme des outils stra-
tégiques.190 Attentif à l’opérabilité, à l’utilisation de la programmation et
à l’introduction de la communauté éducative, le CGS a créé les prémisses
d’une formulation plus systématique du projet éducatif-pastoral salésien
qui sera conçu comme un « instrument décisif » lors du Chapitre général
suivant de 1978.
Le contenu et le style hétérogènes des différents documents ont donné
l’impression que la mise en œuvre de ce chapitre ne serait pas facile. Le
recteur majeur a perçu le risque et dans la lettre de présentation des docu-
ments il s’est élevé contre leur instrumentalisation, écrivant que le CGS
avec l’ensemble de ses Documents constitue un corpus harmonieux
indissociable, même s’ils n’ont pas tous la même valeur normative
et si, par la force des choses, les Documents et les Orientations ont
souvent une rédaction stylistique différente, une prise de vue des
problèmes et une présentation rédactionnelle qui varie de l’un à
l’autre : mais, même si l’homogénéité peut parfois faire défaut, il y a
toujours une organicité d’ensemble entre les différents Documents.
Cela n’enlève rien à leur validité.191
La mise en œuvre des nombreuses tâches, formulées et organisées de
manière hétérogène, était compliquée sur le plan opérationnel également
en raison du principe de décentralisation, qui laissait une « large marge
à la créativité et aux initiatives des différentes provinces ».192 Le CGS a
décidé que le chapitre provincial serait le point focal du renouveau. Ce-
lui-ci devait être convoqué au plus tard un an après la clôture du CGS.193
Peu de provinces étaient en mesure de suivre le rythme de cette charge de
190 Cf. Ibid., no. 395. Cf. également les nos. 340 et 480.
191 CGS (1972), X-XI.
192 CGS (1972), no. 759.
193 Cf. CGS (1972), nos. 759-761.

29.4 Page 284

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284 Pédagogie salésienne après Don Bosco
travail, compte tenu du manque de préparation du personnel, de la dimi-
nution du nombre des confrères et du climat de contestation et de décen-
tralisation même au niveau des provinces.194 La nécessité de renouveler le
directoire provincial, pour l’adapter aux nouvelles constitutions, a obligé
les provinces à trouver rapidement des moyens normatifs pour mettre en
œuvre le nouveau paradigme pastoral, en laissant de côté les problèmes du
changement de mentalité et de la révision des œuvres.
En 1975, à mi-chemin entre les deux Chapitres, le recteur majeur a
exposé dans sa lettre les trois tâches prioritaires de la pastorale des jeunes,
ce qui donne un aperçu des points sensibles dans l’application du CGS :
réaliser un changement de mentalité et revoir radicalement les paramètres
de l’action pastorale ; adopter un nouveau style communautaire pour que
l’enseignement catéchétique trouve une résonance, une confirmation et une
consolidation dans le témoignage de toute la communauté éducative salé-
sienne ; être présents dans le monde d’une manière nouvelle, en mettant en
œuvre une relation étroite entre l’engagement évangélisateur et l’attitude de
service envers le monde.195
Une autre image de l’opérativité du CGS nous vient de l’analyse du
Rapport sur l’état de la Congrégation de 1977 et des rapports des inspec-
teurs lors des chapitres provinciaux. On y parle des risques de dispersion
et de juxtaposition des initiatives, compte tenu de la complexité du phé-
nomène de la jeunesse et du pluralisme des approches. Des conférences
sur les questions éducatives et pastorales globales ont été organisées dans
divers contextes, et un certain nombre de commissions et de groupes de
coordination pastorale ont été mis en place. Il convient de mentionner le
congrès européen intitulé « Le système éducatif de Don Bosco entre l’an-
cienne et la nouvelle pédagogie » qui a eu lieu à la fin de 1973 et au dé-
but de 1974 avec environ trois cents participants, dont certains venaient
d’Amérique et d’Asie, ainsi que la « Semaine européenne de la jeunesse »
qui s’est tenue à la Maison Généralice en avril 1976 et qui a présenté en les
comparant diverses expériences d’éducation et de pastorale des jeunes.196
194 Cf. Vecchi, Pastorale, educazione, pedagogia, in Il cammino e la prospettiva 2000,
19 et Wirth, Da don Bosco ai giorni nostri, 452-454.
195 Cf. L. Ricceri, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 56 (1975) 279, 6-44.
196 Cf. Il sistema educativo di don Bosco tra pedagogia antica e nuova. Atti del con-
vegno europeo salesiano sul Sistema Preventivo di don Bosco, svoltosi a Roma

29.5 Page 285

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 285
Toutes les initiatives n’avaient pas d’objectifs et de tâches définis, de sorte
qu’il est difficile d’en mesurer les effets. Il en ressort l’image d’un parcours
aux multiples activités, dont les protagonistes étaient des individus ou des
petits groupes qui n’ont pas pu impliquer la majorité des communautés des
différentes provinces.
L’indicateur le plus concret des changements dans les sphères pasto-
rale et éducative, sur lequel le CG19 et le CGS ont insisté, pourrait être la
réduction des effectifs des œuvres. En se basant sur les rapports sur l’état
de la Congrégation, Vecchi s’exprimait avec force en 1991 : « L’expérience
de l’échec d’une “révision générale des œuvres” semble conduire les pro-
vinces à adopter un critère progressif à long terme, consistant en des réduc-
tions partielles, des développements, des modifications de communautés,
la création de quelques nouveaux services ou le déplacement de ressources
humaines ».197 Pour cette raison, il semble que les nouvelles propositions et
initiatives, qui appelaient de nouvelles forces, se soient simplement ajou-
tées aux activités existantes, ne produisant parfois qu’un changement cos-
métique. Plus tard, au CG23, on reprendra la discussion sur la révision des
dimensions des œuvres en l’abordant sous l’angle du « sens ». Mais il faut
dire qu’à long terme, l’absence de révision des œuvres a conduit à l’affai-
blissement des communautés, surchargeant les confrères qui travaillaient
dans le domaine éducatif-pastoral.198
Un des effets collatéraux du processus complexe de renovatio dans les
études, dans l’engagement social et dans la réorganisation a été une ré-
duction de l’importance accordée à la dimension de la vie spirituelle. Le
recteur majeur décrit la situation de la foi comme « plutôt épidermique,
superficielle, c’est une information, un fait extérieur, une phrase toute faite,
elle n’explose pas de l’intérieur pour se transformer en une vitalité ».199
Dans le Rapport sur l’état de la Congrégation de 1971, on constate un dé-
clin notable et une baisse très sensible du niveau spirituel des confrères et
dal 31 dicembre 1973 al 5 gennaio 1974, LDC, Leumann (TO) 1974 et A servizio
dell’educazione. La Facoltà di Scienze dell’Educazione dell’Università Pontificia
Salesiana, édité par G. Malizia et E. Alberich, LAS, Roma 1984. Alberich, LAS,
Roma 1984.
197 Vecchi, Verso una nuova tappa di PG Salesiana, in Il cammino e la prospettiva 2000, 79.
198 Cf. Ibid.
199 Cf. L. Ricceri, Lettera del Rettor Maggiore, in ACG 51 (1970) 260, 14.

29.6 Page 286

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286 Pédagogie salésienne après Don Bosco
des propositions pour les jeunes.200 Le CGS, conscient de la situation et en
partie du risque d’un activisme superficiel, déclare :
Notre première tâche est donc la conversion spirituelle : reconnaître
notre insuffisance pour nous “tourner vers” l’Esprit sans lequel nous ne
pouvons rien faire de valable pour le Royaume de Dieu, et nous mettre
dans une attitude de supplication, d’écoute et de docilité. Pour effectuer
le discernement et le renouvellement nécessaires, les historiens ne suf-
fisent pas, ni les théologiens, ni les politiciens, ni les organisateurs ; il
faut des hommes dits “spirituels” [...] comme notre fondateur.201
En conclusion, nous pouvons dire avec Viganò que « notre CGS a été
[...] un intense travail de mentalisation pour les confrères. Ce fut certaine-
ment l’un des moments les plus forts de la réflexion communautaire salé-
sienne dans l’histoire de la Congrégation. [...] Il a fait un travail énorme et
substantiellement réussi, jugé positivement même par les connaisseurs et
les spécialistes non salésiens ».202 Le CGS a accentué l’identité des salé-
siens en référence au renouvellement conciliaire plutôt dans une optique
pastorale que comme recherche d’une réponse éducative concrète aux be-
soins du monde des jeunes. En mettant l’accent sur la vie concrète, sur les
diverses expériences dans le domaine éducatif-pastoral, sur la réflexion et
les tentatives de restructuration, on a partiellement omis la nécessité d’une
profonde conversion spirituelle.
4.2.6. Don Ricceri et la gestion des conflits
Don Luigi Ricceri, en accord avec le magistère de Paul VI, a exprimé
dans ses nombreuses lettres circulaires une attitude de renouveau équi-
libré. Il a introduit de nouveaux thèmes qui s’inscrivent dans la ligne du
200 Cf. Rapport général sur l’état de la Congrégation, SDB, Roma 1971, 27-32. Cf.
également l’analyse plus détaillée de A. Giraudo, Interrogativi e spinte della Chie-
sa del postconcilio sulla spiritualità salesiana, in Semeraro C. (ed.), La spiritualità
salesiana in un mondo che cambia, Salvatore Sciascia, Caltanissetta 2003, 138-141.
201 CGS (1972), no. 18.
202 Viganò, Il Capitolo Generale XXII, 1982, 10-11.

29.7 Page 287

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 287
« Concile authentique, celui des décrets », et non celui de l’iconoclasme du
passé.203 L’ouverture courageuse du Concile ne doit pas laisser penser que
le changement peut être obtenu en l’espace de quelques mois, de quelques
années. En effet, la stratégie de Ricceri est d’encourager la réflexion de
chaque confrère, des communautés et des provinces, dans une attitude de
dialogue authentique. Afin d’encourager la confrontation interprovinciale,
on organisa plus tard, en 1968-1969, les réunions régionales déjà mention-
nées pour l’Europe, l’Asie et l’Amérique latine. Dans sa première lettre
programmatique, le recteur majeur utilise l’image de la vigne et des sar-
ments pour décrire le processus de renouvellement :
La Congrégation (et, avant elle, l’Église) est une vieille vigne qui,
à un moment donné, peut montrer quelques-uns de ses sarments
flétris ; évidemment, ce serait compromettre la fructification de la
vigne si le cultivateur voulait garder à tout prix ces sarments flétris ;
mais il serait même fou de déraciner la vigne et de la placer avec ses
racines au soleil parce qu’il y a des sarments flétris. [...] Chaque salé-
sien donc (et ici s’élargit la vision de notre œuvre), dans ce moment
de l’histoire que beaucoup ont défini comme décisif, avec ce sens
de la responsabilité et de l’équilibre intelligent qui doit le distinguer,
tant à l’égard de l’Église que de la Congrégation, doit éviter les deux
extrêmes également condamnables et destructeurs : l’attitude irra-
tionnelle de ceux qui voudraient tout innover à tout prix dans une
course fébrile vers la nouveauté, annulant tout le passé parce qu’il
est passé ; et l’attitude opposée de ceux qui voudraient conserver
avec ténacité un bagage de certaines choses qui, mises à l’épreuve de
la réalité d’aujourd’hui, ne tiennent pas la route, n’atteignent pas le
but pour lequel elles ont été conçues.204
Les lignes de renouveau sont ensuite exprimées en quatre idées fon-
damentales qui marqueront la mission de Ricceri au cours de ces années
difficiles, pleines de conflits, de radicalisme, de retranchements et surtout
influencées par les effets de la crise du personnel qui a provoqué des dif-
ficultés pratiques dans la gestion de la vie quotidienne. Le recteur majeur
203 Cf. L. Ricceri, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 47 (1966) 245, 6.
204 Ibid., 5-6.

29.8 Page 288

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288 Pédagogie salésienne après Don Bosco
présente une synthèse qui guidera également les interventions et les lettres
suivantes, en l’articulant en quelques points fondamentaux :
1) La personne du salésien dans son intégralité comme homme, comme
religieux, comme prêtre et comme éducateur est le centre sur lequel
converge l’attention de la Congrégation, afin de le qualifier dans
tous ses aspects, selon les besoins d’aujourd’hui. C’est pourquoi sa
formation doit être structurée en profondeur, afin que sa vocation
puisse se développer et croître dans ce climat d’ouverture saine et
courageuse, qui est absolument nécessaire aujourd’hui pour tremper
les caractères et faire grandir le salésien authentique ;
2) L’autorité est un service motivé uniquement par le souci du bien de
tous et de l’individu. Dans la logique du Bon Pasteur, l’autorité n’est
pas synonyme d’une imposition qui supprime les initiatives, les res-
ponsabilités et les ressources personnelles des confrères.
3) Dans la vie religieuse aussi, il y a place pour le dialogue, qui est
devenu nécessaire pour rendre efficace l’ensemble de notre mission.
Le Supérieur idéal, pour l’Eglise et pour la Congrégation, est celui
qui, vivant avec charité les problèmes et les intérêts de ses confrères,
les aide à les résoudre pour le bien de leurs âmes et pour l’accom-
plissement de leur vocation.
4) La communauté est coresponsable de l’action éducative des collèges,
des oratoires et des paroisses ; c’est pourquoi elle doit être systémati-
quement impliquée et associée aux initiatives, programmes et orien-
tations. Cette collaboration est l’une des grandes lignes directrices
issues du Concile, que l’on retrouve continuellement dans l’esprit et
les délibérations du CG19.
5) L’action éducative des salésiens doit s’adapter aux besoins des gé-
nérations actuelles afin de pouvoir réellement atteindre les ob-
jectifs qu’elle s’est fixés. Il est nécessaire d’examiner sincèrement
dans quelle mesure chacune des œuvres a une vitalité éducative et
chrétienne et ce qu’il faut faire, méthodiquement et courageuse-
ment, pour atteindre réellement les objectifs fixés par Don Bosco et
l’Église de notre temps.205
Du point de vue de l’éducation on retiendra surtout deux lettres qui ont
205 Cf. Ibid., 8-11.

29.9 Page 289

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 289
suivi. La première approfondit le dialogue dans la Congrégation, en concré-
tisant l’idée de coresponsabilité. Dans la deuxième Don Ricceri propose la
figure de saint François de Sales, modèle d’éducateur dans un climat de
liberté. Il dénonce l’abus du concept de « dialogue », qui voudrait faire dire
à l’autorité suprême du Concile des expressions radicales telles que l’abo-
lition de l’obéissance religieuse, de la prière, du bréviaire, du rosaire, etc.
Le thème privilégié devrait plutôt être « la révision des dimensions de nos
œuvres, notre grand dialogue », qui appelle une discussion plus large, plus
capillaire et plus exigeante.206 Se référant à Paul VI, le recteur majeur pro-
pose quatre vertus pour un dialogue efficace et fructueux : clarté, douceur,
confiance et prudence.207 Saint François de Sales est évoqué comme le mo-
dèle de l’éducateur qui fait grandir les jeunes « de l’intérieur », non par des
contraintes, mais dans un climat de liberté et de dialogue. Les attitudes
privilégiées seraient la bonté respectueuse envers tous, la charité qui vainc
tout, l’éducation comme œuvre du cœur dans un climat d’amorevolezza.208
En résumé, on peut dire que Luigi Ricceri a affronté la période de crise
avec un grand équilibre, dans la ligne du magistère de Paul VI. Ayant par-
ticipé à la dernière session du Concile et à deux Synodes des évêques, en
tant que membre de la Congrégation des évêques et conseiller de l’Union
des Supérieurs généraux, on perçoit sa compréhension du temps de grâce
inauguré par le Concile. D’autre part, son engagement dans la médiation
du conflit, sa dénonciation des abus et des déformations idéologiques de
certains principes du Concile sont manifestes. Malgré sa formation tra-
ditionnelle, son ancrage dans les traditions salésiennes et un certain pa-
ternalisme (quand il parle de « fils » ou de « sujets ») perceptible dans ses
lettres, Braido évalue son rectorat comme « remarquablement ouvert aux
problèmes de l’Église et de la société civile, se révélant être le moins “clé-
rical” des dirigeants salésiens de l’époque ».209 Bien qu’il n’ait pas pu voir
les fruits de son œuvre de médiation et de modération, les effets de son
attitude hostile aux extrémismes ont été recueillis dans les synthèses de la
période ultérieure sous la direction de Viganò et de Vecchi.
206 Cf. L. Ricceri, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 48 (1967) 247, 10.
207 Cf. Ibid., 20-23.
208 Cf. L. Ricceri, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 48 (1967) 249, 5-16.
209 Braido, Per una storia dell’educazione giovanile, 297. Voir également Wirth, Da
don Bosco ai nostri giorni, 449-456 et

29.10 Page 290

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290 Pédagogie salésienne après Don Bosco
4.3. Auteurs et mouvements de pédagogie salésienne au
temps de Vatican II
4.3.1. L’amorevolezza comme clé de lecture du « premier Braido »
Parallèlement à ses premières publications sur le système préventif,
Pietro Braido développa ses réflexions pédagogiques en lien avec l’équipe
de l’Istituto Superiore di Pedagogia de Turin. Les résultats de cette colla-
boration sont à la fois les articles dans Orientamenti Pedagogici (à partir de
1954) et les trois éditions de l’ouvrage de synthèse Educare. Un sommario
di scienze pedagogiche.210 Les centres d’intérêt du « premier » Braido, phi-
losophe de l’éducation, sont très larges. De son étude initiale sur la péda-
gogie de Johann Friedrich Herbart dans les années 1940, Braido est passé
à des études approfondies sur l’éducateur Anton Semenovič Makarenko,
figure clé de la pédagogie socialiste, présente dans le débat pédagogique
italien des années 1950.211 Braido participe dès 1954 aux premières réu-
nions du groupe Scholé, animé par l’éditeur La Scuola de Brescia, qui réu-
nit des pédagogues d’inspiration catholique dans une période de confronta-
tion avec les théories laïques-libérales et socialistes de l’éducation. Dans le
cadre de ces collaborations, ses intérêts sont variés : éducation chrétienne,
méthodologie pédagogique, didactique, éducation esthétique, sexuelle, fa-
miliale, sociale et politique.
Braido introduit son premier volume sur le Système préventif de Don
Bosco de 1955 en abordant la question du caractère systématique du sys-
tème préventif et en essayant d’interpréter les célèbres paroles de Don Bos-
co commentant la lettre du directeur du Séminaire de Montpellier : « Ma
méthode, vous voulez que je l’expose. Eh bien... je ne la connais pas moi-
même ! Je suis toujours allé de l’avant selon ce que le Seigneur m’inspirait
et ce que les circonstances exigeaient ».212 Bien que Braido soit influencé
par l’approche de Don Bosco educatore de Pietro Ricaldone, comme nous
210 Voir les différentes éditions d’Educare. Sommario di scienze pedagogiche. Édité
par Pietro Braido, Turin, PAS1 1956 jusqu’aux derniers volumes de la troisième
édition publiée par PAS-Verlag de Zürich en 1964.
211 Voir l’important volume P. Braido, A.S. Makarenko, La Scuola, Brescia 1959.
212 Memorie Biografiche, vol. 18, 127 cité dans Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 25.

30 Pages 291-300

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30.1 Page 291

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 291
le verrons plus loin, il prend une certaine distance par rapport aux affir-
mations trop fortes sur l’esprit systématique de Don Bosco et se rapproche
des positions de Bartolomeo Fascie, reprises par Ceria, qui soutenait qu’il
fallait quitter le « domaine de la pédagogie théorique » et entrer « plutôt
dans le domaine pratique de l’art éducatif et du travail de l’éducateur où
Don Bosco était vraiment un maître ».213
Les arguments en faveur de la solution du problème de la systématici-
té vont de l’affirmation de la réflexion spontanée et non systématique de
Don Bosco à l’affirmation de véritables intuitions artistiques, d’inspira-
tions géniales dans le domaine éducatif.214 Il convient de noter que dans ces
mêmes pages, Braido précise son idée de système pédagogique qu’il définit
comme une vision organique et unitaire de la réalité éducative qui inclut
les apports de l’investigation scientifique, de la réflexion critique et des
preuves empiriques. Son idée élevée et exigeante d’un « système » l’amène
à faire l’hypothèse même d’une pédagogie systématique déduite du but de
l’éducation ou d’un autre principe.215 Un deuxième volet de réflexion sur le
caractère non systématique du système préventif montre l’incomplétude de
la réflexion éducative de Don Bosco qui n’inclut pas l’éducation des filles,
l’éducation de l’enfance, l’éducation esthétique, la préparation politique et
sociale ou la didactique. Comme méthode d’étude, Braido, au lieu de re-
construire Don Bosco en le situant dans le cadre d’une pédagogie scienti-
fique et savante, se propose
de le dépeindre (et presque de le “photographier”) synthétiquement,
213 B. Fascie, Del metodo educativo di don Bosco, cité dans Braido, Il Sistema Preven-
tivo, 11955, 35. Cf. également p. 27, 29, 34 et 46. Il est nécessaire de placer la question
de l’approche systématique de Don Bosco dans le contexte de la controverse entre
l’éducation fasciste et l’éducation catholique. Les pédagogues catholiques, comme
Casotti, ont essayé de voir en Don Bosco non seulement la figure de l’éducateur
mais aussi celle du pédagogue catholique par excellence. Cf. Giorgio Chiosso, Edu-
cazione e pedagogia salesiana nel primo Novecento (dal punto di vista dell’Italia),
in Aldo Giraudo et al. (eds.), Sviluppo del carisma di Don Bosco fino alla metà del
secolo XX. Actes du Congrès international d’histoire salésienne (à l’occasion du bi-
centenaire de la naissance de Don Bosco, Rome, 19-23 novembre 2014). Relazioni,
Roma, LAS, 2016, 155-186.
214 Cf. R.G. Zitarosa, La Pedagogia di S. Giovanni Bosco, cité dans Braido, Il Sistema
Preventivo, 11955, 29.
215 Cf. Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 29.

30.2 Page 292

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292 Pédagogie salésienne après Don Bosco
de capter son individualité et son action. C’est précisément parce
qu’il n’agissait pas au hasard, sur la base d’intuitions hâtives et sans
lien entre elles, mais qu’il était ancré dans des méditations et des
conclusions, imprégné de sagesse et de bon sens chrétien et humain
(nourri également par la connaissance et le contact avec les livres et
avec des hommes instruits et compétents, ainsi que par une riche
tradition éducative chrétienne), qu’il est possible de saisir les idées
dominantes et émergentes dans ce flux de vie et d’actions intenses
et riches.216
Il propose un portrait presque au sens hégélien du terme, à travers les
« concepts dotés de mains et de pieds » dans une opération qui vise éga-
lement à actualiser son message en le saisissant sur le vif, en l’assimilant
presque “visuellement” (pas seulement le voir, les sensations sans
concepts sont aveugles !), pas seulement le “sentir”, mais le “ressen-
tir”, le “capter”, le revivre. Nous devons le saisir dans les “faits”, dans
les épisodes, avec la capacité de pénétrer dans son esprit. Et peut-
être que le meilleur exposé sur Don Bosco “pédagogue” serait une
biographie de Don Bosco “éducateur”, saisie dans les faits caractéris-
tiques les plus saillants.217
À la lecture de la première édition du Système préventif de 1955 il
semble que sa structure de base soit le petit traité de Don Bosco sur le
Système préventif de 1877. Braido le confirme dans l’introduction de la
troisième partie sur « Le système préventif en action » : « Même dans son
opuscule sur le système préventif, qui dans un certain sens voudrait consti-
tuer l’ébauche d’un traitement pédagogique systématique, après la question
du quid et du cur (En quoi consiste le système préventif et pourquoi le
préférer) il y a certainement, dans le deuxième chapitre (Application du
système préventif), le problème pratique du quomodo, c’est-à-dire des mé-
thodes et des procédures éducatives ».218 Dans les paragraphes suivants je
voudrais approfondir la question de la structuration des thèmes éducatifs
216 Ibid., 32.
217 Ibid., 33.
218 Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 251.

30.3 Page 293

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 293
en me référant aux paradigmes de base des différentes éditions du manuel
sur le système préventif dans lesquels se reflète, probablement, l’influence
du contexte socioculturel et du développement personnel de l’auteur. À
cet égard, il est utile de considérer le modèle de l’internat selon la logique
de la fidélit Don Bosco Saint de Pietro Ricaldone.219 L’internat et les
problèmes qui lui sont liés déterminent également les thèmes des Cha-
pitres généraux, dans un cadre mental sensiblement traditionnel, basé sur
la philosophie et la théologie néo-scolastiques. Les lignes éducatives et
spirituelles remontent substantiellement jusqu’à Don Bosco.220
Dans ce contexte, on comprend le choix de l’amorevolezza (amour
bienveillant) et du cœur comme principe pédagogique qui est à la base de
la première édition du volume. L’espace consacré au chapitre sur l’amour
bienveillant dépasse en longueur la somme des pages des chapitres sur
la religion et la raison.221 Très intéressante est la place occupée par le
thème des châtiments qui reflète un problème typique de la collégialisation
des maisons salésiennes dans les deux dernières décennies de la vie de
Don Bosco.222 Les châtiments sont traités dans des paragraphes intitulés
« L’amour exigeant. Discipline, correction, punitions » et « La pédagogie
du cœur et la correction ». Même lorsque Braido cherche les sources d’ins-
piration ou de dépendance du système préventif, il privilégie pareillement
le thème de l’amour bienveillant et du cœur et non celui de la prévention
(alors que dans le volume Prevenire non reprimere l’équilibre penchera
davantage du côté du préventif). Cela se voit dans la comparaison avec la
tradition lassallienne, avec Ferrante Aporti ou Giuseppe Allievo.223 Pour
ce qui est des affinités avec les Frères des Écoles Chrétiennes, on affirme,
219 La phrase citée est le titre programmatique du recteur majeur Pietro Ricaldone. Cf.
Pietro Ricaldone, Strenna del Rettor Maggiore per il 1935. Fedeltà a Don Bosco
Santo, SEI, Torino 1936.
220 Cf. P. Braido, Le metamorfosi dell’Oratorio salesiano tra il secondo dopoguerra e
il Postconcilio Vaticano II (1944-1984), in «Ricerche Storiche Salesiane» 25 (2006)
49, 295-323.
221 Cf. Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 135-205.
222 Sur la « collégialisation », voir P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità
cattolica. vol. 1: Vita e opere, LAS, Roma 1979, 121-123 et pour la nature concrète
du problème disciplinaire, voir José Manuel Prellezo, Valdocco nell’Ottocento tra
reale ed ideale (1866-1889). Documenti e testimonianze, LAS, Roma 1992.
223 Cf. Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 105-129.

30.4 Page 294

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294 Pédagogie salésienne après Don Bosco
par exemple, que « au-delà de toute technique de distance et de silence,
chez Don Bosco triomphent la familiarité, la bonté aimante, le cœur, dans
un environnement de simplicité et de spontanéité, qui constitue la carac-
téristique de son éducation ».224 Dans sa recherche de convergence avec
le pédagogue Allievo Braido affirme : « Nous n’avons pu trouver qu’une
seule page significative sur le “cœur” dans l’éducation et une autre sur la
question des récompenses et des punitions et sur le concept de “préven-
tion”. Ici, nous sommes définitivement avec Don Bosco ».225
Le thème directeur de l’amour bienveillant est encore plus explicite
dans le volume de synthèse intitulé Don Bosco, publié en 1957 dans la série
“pédagogues et éducateurs” de l’éditeur La Scuola di Brescia. L’amorevo-
lezza est l’axe principal du livre qui suit une logique qui part du centre pour
arriver aux applications :
1) L’âme du « style » éducatif de Don Bosco : l’amorevolezza ;
2) Les « expressions » de l’amorevolezza ;
3) Du centre au cercle, dans la lumière de l’amorevolezza ;
4) Le joyeux message éducatif de la religion (Pédagogie théologique ;
l’amorevolezza en religion);
5) L’« école du travail » de Don Bosco.226
Le contexte de l’internat salésien, en tant que structure éducative pré-
dominante, ne se limite évidemment pas au thème de l’amour bienveillant,
mais il est implicite dans le traitement de divers thèmes éducatifs tels que :
l’importance de la conscience morale intérieure concernant le devoir par
rapport à la motivation extérieure de la discipline ; la question de la messe
quotidienne et des vacances ; le thème des aspirantats et l’importance des
compagnies. Cette première production de Braido ne met pas trop l’ac-
cent sur la question de l’environnement éducatif. Hormis une seule réfé-
rence à l’intéressant ouvrage d’Henri Bouquier,227 l’auteur préfère se référer
224 Ibid., 109.
225 Ibid., 127.
226 Cf. Braido, Don Bosco, 1957, 7-8.
227 Cf. le premier chapitre intitulé « l’éducation, problème de milieu », dans H. Bouqui-
er, Don Bosco éducateur, Téqui, Paris 21950, 1-12.

30.5 Page 295

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 295
aux synthèses d’Alberto Caviglia dans les parties cruciales et conclusives
des différents chapitres. Caviglia, qui semble être l’auteur préféré du pre-
mier Braido dans ses réflexions sur les biographies des élèves exemplaires
écrites par Don Bosco, affirme l’importance de la pédagogie religieuse, de
l’atmosphère familiale et de l’amour bienveillant par rapport à la logique
disciplinaire inhérente à la structure de l’internat.228
L’insistance de Braido sur une certaine préférence pour l’oratoire
montre la prépondérance des internats et leurs problèmes à cette époque
de l’histoire. L’oratoire est défini comme un milieu global, visant à la for-
mation intégrale de la personne, caractérisé par la joie et la liberté et ayant
comme lien principal l’amour bienveillant.229 Contrairement à l’internat,
l’oratoire salésien est une œuvre, en soi « précaire, puisqu’elle est basée sur
la libre fréquentation. C’est cette liberté qui rend l’action des animateurs
beaucoup plus mobile, souple, dynamique et pleine d’initiatives ; ils ne se
limitent pas à attendre, à accueillir, mais organisent comme Don Bosco
des “raids” de conquête, de véritables “rafles” pacifiques (places, rues, ta-
vernes, maisons, etc.) ».230
4.3.2. La deuxième édition du « Système préventif » de Braido vers
une sensibilité plus grande à la critique historique
La deuxième édition du manuel sur le Système préventif de 1964 semble
s’inscrire dans le sillage de la recherche de sources sûres sous l’influence
notable des études historiques de Pietro Stella et de Francis Desramaut.
Dans l’introduction Braido se montre plus prudent et incertain, mettant
en avant l’idéal de pouvoir disposer de sources accessibles sous une forme
scientifique et critique permettant une utilisation en toute sécurité. Outre
la question de la sécurité des sources, il mentionne deux autres fronts
228 Plus tard, Braido se distancie de Caviglia en critiquant son approche en parlant de
sa rhétorique, de ses préoccupations apologétiques, de son manque de connaissance
des sources et du danger constant de projections non fondées. Voir les notes manu-
scrites de Braido sur la page de titre de [Caviglia (ed.),] Opere e scritti editi e inediti
di “Don Bosco”, vol. 4: La vita di Savio Domenico qui se trouve dans le fonds du
Centro Studi Don Bosco de la Biblioteca Don Bosco, UPS.
229 Cf. Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 349-354.
230 Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 352.

30.6 Page 296

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296 Pédagogie salésienne après Don Bosco
d’investigation nécessaires : l’insertion de Don Bosco dans l’ensemble de
l’histoire du XIXe siècle et le problème des relations et des dépendances
vis-à-vis des autres.231 Dans ce sens, la première édition de 1955 est réé-
valuée, l’introduction et la première partie sur Don Bosco dans l’histoire
de l’éducation sont considérées comme « non empiriques » et seulement
« objets de discussion ». La première partie est ensuite remplacée par cinq
nouveaux chapitres.
L’exigence de rigueur scientifique fait également pencher la balance
du côté du caractère systématique de l’approche de Don Bosco par rap-
port aux problèmes éducatifs. Les solutions de Fascie ne sont plus citées et
Braido est amené à considérer Don Bosco clairement comme un éducateur
et non comme un pédagogue. « La qualification de “pédagogue” est clai-
rement distincte de celle d’”éducateur”, tant sur le plan logique que dans la
réalité. Aucun des deux n’interfère avec l’autre dans un sens positif ou né-
gatif. Pour être un bon et brillant éducateur, il n’est pas nécessaire d’être un
grand pédagogue, et le fait d’être un pédagogue, même rigoureux, rigide
ou systématique, ne constitue pas en soi un obstacle pour être un éducateur
vivant, brillant, efficace ».232 La distinction est également appliquée à Don
Bosco qui n’est plus, comme dans la première édition, décrit comme un
« auteur de matières pédagogiques » de type narratif (Forza della buona
educazione ou Valentino), de textes législatifs, de lettres ou de dialogues.233
Les convictions de Don Bosco sont maintenant qualifiées comme étant un
savoir non scientifique, « populaire », fait de connaissances non rigoureu-
sement démontrées.234
Apparemment, au niveau de la méthodologie de l’étude du système pré-
ventif, Braido donne plus de place à l’intuition exprimée en 1955 : celle
d’un exposé sur Don Bosco « pédagogue » sous forme de biographie de
Don Bosco « éducateur » à travers les faits les plus caractéristiques. Outre
le danger de réduire le problème de la « pédagogie salésienne » à l’histoire
scientifique et sûre de la personne de Don Bosco, Braido a dû affronter plu-
sieurs difficultés. La première consiste à chercher un critère (certain) per-
mettant de distinguer ses traits caractéristiques de ceux qui ne le sont pas.
231 Voir la préface dans Braido, Il Sistema Preventivo, 21964, 7.
232 Braido, Il Sistema Preventivo, 21964, 60.
233 Cf. Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 28.
234 Cf. Braido, Il Sistema Preventivo, 21964, 69.

30.7 Page 297

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 297
La prudente contextualisation historique du système préventif de Don
Bosco structure la première partie du volume publié en 1964, intitulée
« Explorations introductives : l’époque, l’œuvre, la personnalité de Don
Bosco ». La deuxième édition, publiée pendant « la saison magique de
Vatican II »235 et avant le CG19, peut être considérée comme une œuvre
de transition, tant au niveau méthodologique qu’au niveau des contenus et
des sources. La première partie du volume est reformulée avec plus de pru-
dence historiographique et la deuxième partie est restée substantiellement
inchangée. Dans la réélaboration au niveau des sources, Braido fait un plus
grand usage des lettres de Don Bosco (la partie sur la « personnalité et le
style » est développée presque exclusivement en recourant à l’Épistolaire
de Ceria), aux Memorie dell’Oratorio et aux Opere e scritti editi e inediti
di “don Bosco” par Caviglia, en laissant éventuellement de côté les Me-
morie biografiche.
Au niveau du contenu, la première partie est évidemment augmentée
de chapitres sur les interprétations de Don Bosco éducateur, sur son art de
l’éducation, sur le contexte politique, religieux, socio-économique et cultu-
rel, sur les œuvres, le cœur et le style de Don Bosco. La partie consacrée
à la double identité de prêtre-éducateur, qui dans la première édition sou-
tenait théoriquement l’argument, a été réduite. Il semble que Braido donne
plus d’importance à un Don Bosco « artiste de l’éducation », vu dans une
certaine opposition à l’idéal d’un pédagogue théorique.
La deuxième édition peut être considérée aussi comme un ouvrage de
transition en raison de sa double attention aux données historiques et au
souci d’actualisation. Braido émet l’hypothèse que seul « l’historien expose
et reconstruit le système sur la base des matériaux offerts par l’auteur et
tente d’offrir à cette reconstruction ses raisons justificatives de nature for-
mellement scientifique. Mais dans ce cas, le théoricien, le pédagogue, le
systématicien serait l’historien lui-même, le reconstructeur, et non le créa-
teur d’un ensemble d’idées et de pratiques reconstruit et recomposé dans
l’unité ».236 Cet ensemble de rôles révèle son idéal personnel mais est aussi
l’expression de l’approche épistémologique du premier volume de la sé-
rie interdisciplinaire Educare.237 L’approche interdisciplinaire transparaît
235 Braido, Le metamorfosi dell’Oratorio salesiano, 296.
236 Braido, Il Sistema Preventivo, 21964, 68.
237 Cf. Educare, vol. 1: Introduzione alle scienze dell’educazione, PAS Verlag, Zürich

30.8 Page 298

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298 Pédagogie salésienne après Don Bosco
également dans la proposition complexe suivante : « La reproduction la
plus fidèle de la méthode éducative devrait être une biographie de Don
Bosco éducateur, saisie non seulement dans les épisodes et les faits frag-
mentaires, mais aussi dans le comportement typique et dans les motiva-
tions de base, avec un passage continu des idées aux faits, des intentions
aux actions, des choses écrites aux choses réalisées, des réflexions aux
exemples, des principes aux situations, des lignes directrices aux “épi-
sodes” qui les incarnent ».238
4.3.3. Braido et la méthodologie éducative dans le binôme
« amour-discipline ».
Dans certaines de ses conclusions, Braido semble avoir été influencé
par Pietro Ricaldone, pour qui il avait une grande estime. En tant que pro-
moteur de l’Institut supérieur de pédagogie, Ricaldone est reconnu pour
ses qualités de dirigeant clairvoyant et d’homme de discipline.239 Mais
l’harmonie n’est pas seulement sur le plan de l’organisation. Braido par-
tage avec Ricaldone la vision fondamentale du système préventif, compris
comme une science basée sur les « fondements granitiques de la philo-
sophia perennis et de la théologie catholique, en même temps que sur les
données offertes par les autres sciences, comme la psychologie, la biologie,
la sociologie, et ainsi de suite ».240 Sans les bases néo-thomistes, il ne serait
pas possible de comprendre les arguments et la structure des thèmes de
la première édition du Système préventif de Don Bosco. Braido, en tant
que philosophe convaincu de la nécessité d’une métaphysique, conclut la
première édition de 1955 en affirmant : « Don Bosco est l’éducateur et le
31963.
238 Braido, Il Sistema Preventivo, 21964, 73.
239 Cf. José Manuel Prellezo, Studio della pedagogia e pratica educativa nei pro-
grammi formativi dei salesiani, in Giraudo et al. (eds.), Sviluppo del carisma di
Don Bosco fino alla metà del secolo XX, vol. 1: Relazioni, 205-220.
240 Pietro Ricaldone, Don Bosco Educatore, Libreria Dottrina Cristiana, Colle Don
Bosco (Asti) 1951, vol. 1, 56. Voir également un regard plus détaillé dans Michal
Vojtáš, Sviluppi delle linee pedagogiche della Congregazione Salesiana, in Girau-
do et al. (eds.), Sviluppo del carisma di Don Bosco fino alla metà del secolo XX.
Relazioni, 221-244.

30.9 Page 299

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 299
pédagogue qui croit aux Valeurs objectives et absolues. Précisément dans
un siècle où, chez les catholiques eux-mêmes, le sens métaphysique, le sens
de la vérité et de la réalité objective est parfois faible et où se prépare la
crise moderniste, il est, avec Rosmini (contre Lambruschini, Capponi et
d’autres), le chevalier franc et loyal de la plus authentique tradition dogma-
tique et pédagogique catholique ».241
C’est dans ce cadre théorique que s’insère le discours sur la méthode
en éducation. Braido interprète le trinôme raison, religion et amour bien-
veillant en indiquant des priorités : « Chez Don Bosco, le contenu domine
sur la méthode, le but sur le chemin, la fin sur les moyens. La primauté
appartient aux fins, aux vérités “éternelles”, à la “crainte de Dieu”. Les
deux premières, religion et raison, révèlent un contenu, puis vient la “bonté
aimante” comme méthode ».242
Pour Braido, cependant, l’amour bienveillant n’est pas la seule compo-
sante essentielle de la méthodologie éducative. Une place tout aussi impor-
tante est occupée par les pédagogies dites du devoir et de la sainteté. La
« conception éthique et religieuse de la vie faite de devoir, d’engagement
sérieux et personnel et de responsabilité morale, constitue le point de départ
de son activité d’éducateur ».243 Et il poursuit en affirmant que « sainteté et
devoir [...], pour lui, sont synonymes ».244 La sainteté n’est pas seulement le
but de l’éducation salésienne mais, selon Braido, elle devient aussi la condi-
tion principale et le moyen qui précède toute autre méthodologie.245 En fait,
dans la première édition de 1955 la partie la plus méthodologique intitulée
« Système préventif en action » est structurée comme une synthèse de la
sainteté et des devoirs, qui comprend la responsabilité personnelle, l’édu-
cation morale (en particulier à la vertu de pureté), la pédagogie religieuse
de la prière, l’Eucharistie, la confession et la dévotion mariale.
L’amour bienveillant, même s’il est présenté comme un « fondement
méthodologique »,246 n’est pas développé comme une méthodologie d’ac-
tion éducative, mais est laissé dans la section des « grands horizons du
241 Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 432.
242 Ibid.
243 Ibid., 253.
244 Ibid., 256.
245 Ibid., 435.
246 Ibid., 176.

30.10 Page 300

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300 Pédagogie salésienne après Don Bosco
système préventif ». Pour Braido, comme dans le Don Bosco educatore
de Ricaldone, l’amour bienveillant est plutôt un principe de base qui doit
être équilibré avec celui de la discipline afin de créer un cadre théorique
de méthodologie éducative. La discipline dans l’amour bienveillant était
la base du dépassement pratique de l’antinomie entre autorité et liberté.
De même, pour Ricaldone, l’amorevolezza a pour fonction de façonner le
milieu éducatif et de le rendre familier, mais l’aspect plus pratique de la
méthode est imprégné concrètement surtout des principes de devoir, de
responsabilité personnelle, de discipline et d’autorité.247 Dans les reformu-
lations suivantes, malgré le contexte culturel d’après 1968 qui a changé
les catégories sémantiques des concepts d’autorité, de discipline, de pou-
voir et de liberté, Braido maintiendra cette logique fondamentale autour
du binôme amorevolezza-discipline dans sa fonction de dépassement de la
dialectique liberté-autorité.
Nous voyons cependant son insatisfaction quant aux formulations de
la partie “méthodologique” du système préventif, comme s’il ne voulait
pas enfermer le génie pratique de Don Bosco dans les limites d’une mé-
thodologie trop technique. Dans l’introduction de son livre Don Bosco,
publié à La Scuola di Brescia, il s’exprime à ce sujet : « La rencontre d’un
homme génial et saint, d’un style et, au moins en partie, d’une technique, a
construit ce que tous appellent la “méthode préventive” de Don Bosco ».248
Plus loin, il attire l’attention sur la composante artistique avec des titres
tels que : « De l’art à l’expérience » ou « Le poème pédagogique de Don
Bosco ».
4.3.4. Congrès sur l’actualisation de la pédagogie salésienne
Des idées intéressantes sur la mise jour de la pédagogie salésienne pro-
viennent de deux congrès : le premier organis Rome par l’ISP pendant les
travaux de préparation du Concile Vatican II sous le titre post-ricaldonien
247 Cf. Ibid., 194-199, 253-265; Ricaldone, Don Bosco educatore, vol. 1, 148-228, 286-
287 et Pietro Ricaldone, Strenna del Rettor Maggiore per il 1935. Fedeltà a Don
Bosco Santo, Torino, SEI 1936.
248 P. Braido, Don Bosco, La Scuola, Brescia 1957, 9.

31 Pages 301-310

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31.1 Page 301

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 301
Don Bosco educatore oggi (Don Bosco éducateur aujourd’hui) ;249 le se-
cond quatorze ans de distance et l’occasion du Chapitre Général Spécial,
centr plutôt sur le thème Il sistema educativo di don Bosco tra pedagogia
antica e nuova (Le système éducatif de Don Bosco entre ancienne et nou-
velle pédagogie).250 Dans les réflexions, dans les titres et dans la structura-
tion des contributions ressort clairement l’idée de la nécessaire mise à jour
de la pédagogie salésienne, perçue comme une polarité entre un nouvel
« aujourd’hui » et un ancien « hier ».
4.3.4.1. Don Bosco éducateur aujourd’hui (1960)
Lors du congrès sur l’actualisation de l’éducation salésienne en 1960,
les réflexions furent très intéressantes, parce qu’au moment où se tenait le
congrès, on sentait déjà l’atmosphère du Concile. Le document des Actes
commence en effet par l’affirmation de la pleine « harmonie avec la soif
actuelle de renouveau ».251 Les diverses contributions, cependant, ne pou-
vant pas encore être influencées par les documents du Concile, se sont
plutôt inspirées des idées qui circulaient dans l’ISP, certaines courageuses,
d’autres dissonantes par rapport aux lieux communs typiques associés à
Vatican II dans la seconde moitié des années 1960. Il existe encore une
forte référence implicite et explicite au paradigme du « collège » avec ses
éducateurs salésiens et la promotion de la culture de l’école explicitement
chrétienne (Gian Carlo Negri). La revitalisation des institutions éducatives
est envisagée à la bannière d’une pédagogie salésienne qui capte l’esprit
vivant de Don Bosco (Pietro Braido) en opposition à une réglementation
ricaldonienne pesante et à l’environnement massifiant de l’internat (Pietro
Gianola). La proposition se concentre sur la préparation des éducateurs, en
particulier dans le cadre du stage pratique (Vincenzo Sinistrero), sur la vie
active, précédée et préparée par des éclairages innovants sur la connais-
sance sociologique de la société (Pier Giovanni Grasso) et sur la psycholo-
gie des jeunes (Luigi Calonghi).
249 Cf. P. Braido et al. (eds.), Don Bosco educatore oggi. Deuxième édition revue et
augmentée, PAS Verlag, Zürich. 1963.
250 Il sistema educativo di don Bosco tra pedagogia antica e nuova. Atti del convegno
europeo salesiano sul sistema educativo di don Bosco, LDC, Leumann (TO) 1974.
251 Braido et al. (eds.), Don Bosco educatore oggi, 9.

31.2 Page 302

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302 Pédagogie salésienne après Don Bosco
La contribution la plus intéressante, à notre avis, est celle de Pietro
Braido qui propose quelques lignes fondamentales sur le système préventif
de Don Bosco en consonance avec sa production des années 1950 mais
avec quelques nouvelles ouvertures et dans un style plus synthétique et
narratif par rapport aux pages du manuel analysé précédemment. Pour lui,
deux caractéristiques de Don Bosco sont fondamentales : « son génie et
sa sainteté ».252 La sainteté de Don Bosco s’exprime dans l’idéal moral et
religieux de l’éducation mis en œuvre grâce à l’identité d’un « prêtre des
jeunes » qui regarde tout sub specie aeternitatis. L’idéal religieux est clai-
rement reconnaissable chez Don Bosco, tant dans sa formation que dans
les œuvres qu’il a fondées et dans les méthodes qu’il a inaugurées.253 Brai-
do plaide en faveur d’un renouveau de la pastorale de la jeunesse
capable de faire sentir, de théoriser et de promouvoir le retour à un
christianisme plus surnaturel et essentiel, en réaction non seulement
contre diverses formes de naturalisme et d’illuminisme héritées des
XVIIIe et XIXe siècles, mais aussi en opposition aux manifestations
de piétisme formel et de dévotionisme excessif, caractéristiques
d’une certaine spiritualité italienne, même au XIXe siècle, par un re-
tour vigoureux à une pédagogie ouvertement surnaturelle, avec des
contours et des fondements dogmatiques précis, et à une véritable
“théologie de l’éducation”.254
Dans Braido il y a une claire intention de redécouvrir un christianisme
vivant, essentiel, opérationnel, non pas en cherchant un compromis avec
la pédagogie contemporaine, mais en redécouvrant le caractère profondé-
ment chrétien du système éducatif de Don Bosco qui exige une âme de
prêtre, un cœur sacerdotal avant de parler de psychologie, de pédagogie et
de didactique, aspects essentiels et très importants, mais de toute façon su-
bordonnés au caractère chrétien de la pédagogie salésienne.255 Avant le dé-
but du Concile, notre auteur évoque un retour aux sources de la Révélation et
252 P. Braido, Contemporaneità di don Bosco nella pedagogia di ieri e di oggi, in Brai-
do et al. (eds.), Don Bosco educatore oggi, 75.
253 Cf. Ibid. 61-63.
254 Ibid., 65.
255 Cf. Ibid. 65-66.

31.3 Page 303

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 303
à une piété moins dévotionnelle et plus unitaire, essentielle et positive ; une
religiosité plus communautaire et donc moins individualiste, plus engagée
dans la vie concrète que moraliste et, enfin, plus authentiquement inté-
rieure qui n’a pas besoin de faire tant de bruit dans ses expressions. Dans le
sillage de Rinaldi, Braido parle d’un Don Bosco qui, avec une « adaptation
ingénieuse », révise les œuvres pastorales traditionnelles en fonction des
besoins des temps nouveaux, critiquant ainsi l’orientation diffuse d’une
révolution idéologique et pratique. D’autre part, notre auteur reconnaît en
Don Bosco la fidélité à la tradition d’un catholicisme essentiel et l’adapta-
tion des formes extérieures aux temps nouveaux.256 À partir de ces posi-
tions de fond, et en reprenant les accents éducatifs de Caviglia, Braido en
vient aux suggestions : que les directeurs soient moins bureaucrates et plus
confesseurs, que les salésiens soient moins professeurs et plus pasteurs.257
Don Bosco est le « prêtre des jeuness » totalement dédié à la mission édu-
cative. Quelques conseils intéressants pour les éducateurs salésiens :
Cléricalisme, non ; esprit catholique clair, oui. Pour le salésien, cela
se traduit par la nécessité d’une solide culture ecclésiastique et d’une
authentique spiritualité apostolique, ainsi que d’une culture scien-
tifique et didactique. [...] Il ne s’agit pas ici de “points de vue” ou
de “bons conseils”, mais de cohérence et d’obéissance à Don Bosco
[...] ; à l’Eglise [...] ; aux besoins de l’âme des jeunes, dans le temps
présent.258
La deuxième partie, qui parle du génie inimitable de l’apostolat des
jeunes chez Don Bosco, approfondit surtout une caractéristique : le
style familial de l’éducation salésienne. Pour Braido, le système pré-
ventif de Don Bosco n’est pas un système scientifique, mais consti-
tue un « style éducatif » précis, une variation nouvelle et originale de
l’inépuisable pédagogie chrétienne. « Tout en pensant principalement
au salut surnaturel des jeunes (sans toutefois oublier les fins terrestres
intermédiaires), Don Bosco sentait qu’on ne pouvait les atteindre que
par les voies humaines et divines de la compréhension, de la confiance,
256 Cf. Ibid, 67.
257 Cf. Ibid. 63-64.
258 Ibid., 66.

31.4 Page 304

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304 Pédagogie salésienne après Don Bosco
des choses qui leur plaisent ou qui leur sont utiles ».259 Le style familial
est l’élément fondamental et décisif, l’âme et l’essence, qui différencie
la méthodologie éducative du Système Préventif des autres systèmes :
« C’est la méthode naturelle de la famille, avec tout ce que ce mot com-
prend de structurel et de spirituel, d’organisation externe et de com-
portement interne, de relations, de subordination et de coordination. Il
s’agit d’une formule précise, “institutionnelle”, mais en même temps
élastique et inclusive ».260 Reprenant les demandes de Bartolomeo Fas-
cie, le concept de famille est proposé dans la logique d’un système
« ouvert » et non « fermé », d’un organisme vivant qui accepte les
variations et les transformations sans détruire les caractéristiques fon-
damentales liées à la religion, décrites dans la première partie. Les
principes du système familial se situent plutôt, pour Braido, dans la
logique d’une « compréhension familiale », caractérisée par la raison et
l’amour bienveillant.261
L’intervention de Braido est suivie de la Lettre de Rome de Don Bosco
intitulée « Le poème de l’amour éducatif », qui constitue le précieux ma-
nifeste d’une pédagogie « qui est en même temps un appel à la connais-
sance et à la capacité de réalisation, à l’imagination vive et créative, à
la foi et à la volonté d’amour, à la ferveur et au dévouement personnel
et à un rapport vivant avec l’action vécue et soufferte ».262 On remarque
comment, dans la situation des années 1950, influencée par le sécula-
risme, le rationalisme, le matérialisme et le relativisme, la perception
de la pédagogie chrétienne a changé, de sorte qu’« il est nécessaire de
réexaminer Don Bosco non seulement historiquement, mais aussi théo-
riquement, systématiquement [...] dans une vision générale théologique,
philosophique et scientifique, avec un large éventail de perspectives ».263
Braido ne se cantonne pas dans la sphère académique ; il souhaite une
synergie opérationnelle entre les chercheurs, les éducateurs individuels,
259 Ibid., 68.
260 Ibid, 69.
261 Cf. Ibid, 69-70.
262 Il poema dell’amore educativo, in Braido et al. (eds.), Don Bosco educatore oggi,
79.
263 Braido, Contemporanéité de Don Bosco, in Braido et al. (eds.), Don Bosco educa-
tore oggi, 72-73.

31.5 Page 305

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 305
les associations de familles nucléaires (parents et enfants) et les familles
éducatives (enseignants et éducateurs).264
4.3.4.2. Le système éducatif de Don Bosco entre ancienne et nouvelle pé-
dagogie (1974)
Le congrès des éducateurs de la Famille salésienne, qui s’est tenu à la
Maison générale de Via della Pisana, a été organisé dans le but de favoriser
un échange d’études, de réflexions et d’expériences entre les trois cents par-
ticipants venus du monde entier. Braido décrit l’objectif du congrès comme
étant « une réflexion vitale et stimulante » sur l’efficacité pédagogique et
pastorale actuelle du système. La méthode de travail a consisté à présen-
ter un certain nombre de questions éducatives d’actualité, exprimées dans
des rapports préparés en grande partie par des experts de la Faculté des
sciences de l’éducation de l’UPS, qui ont ensuite été discutées en groupe
et, enfin, l’assemblée a approuvé une synthèse des convergences dans un
« bilan conclusif ».265
Il est intéressant de noter que la première intervention fut attribuée à
Bruno Bellerate qui, dans le but de stimuler et de provoquer la discussion,
parla de la signification historique et de l’adaptabilité du système éducatif
de Don Bosco. Au départ il y eut l’idéalisation du fondateur « qui se traduit
ensuite par une idéologisation : tout était bon et parfait, mais tout était et
reste encore justifiable, c’est ce qu’il y a de mieux à faire ».266 L’intention
de dépasser la fossilisation des détails ricaldoniens et l’« illusion rétros-
pective » du triomphalisme salésien est claire, mais, à notre avis, l’auteur
va trop loin dans la relativisation de la signification de Don Bosco pour
aujourd’hui. En analysant les influences idéologiques de Don Bosco au
niveau de la foi, de la pédagogie, des visions de la vie et de la mentalité
managériale et organisationnelle, etc., l’auteur en vient à affirmer, à la fin
de son article, bien que prudemment, que « même les principes idéolo-
giques peuvent être abandonnés, lorsque leur validité dépend de compo-
santes qui perdent de leur poids et même prennent un signe négatif avec le
264 Cf. Ibid. 73-74.
265 Cf. Don Bosco tra pedagogia antica e nuova, 7-12.
266 B. Bellerate, Il significato storico del sistema educativo di don Bosco nel sec. XIX
e in prospettiva futuro, in Don Bosco tra pedagogia antica e nuova, 19.

31.6 Page 306

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306 Pédagogie salésienne après Don Bosco
changement d’époque ».267 Bellerate utilise le point de vue de l’herméneu-
tique historique inspiré de Paul Veyne268, affirmant qu’on ne manque pas
d’études et de données suffisantes sur l’éducation de Don Bosco,
il s’agit seulement d’y appliquer prudemment et courageusement la
“grille” de l’adaptabilité et l’adaptation qui en découle. Cette grille
est constituée [...] par l’imbrication analytique des données histo-
riques et des questions contemporaines, c’est-à-dire par la coordi-
nation du travail de l’historien avec celui du sociologue, pour ce
qui est des principaux maillons de la chaîne, auxquels peuvent se
superposer de temps en temps les apports du psychologue, des mé-
thodologistes, des théoriciens, etc.269
En conclusion, Bellerate cite Don Bosco qui disait lors du Chapitre
général de 1877, : « Nous devons essayer de connaître et de nous adapter
à notre temps, c’est-à-dire respecter les hommes ».270 En partant de la de-
mande de connaissance de l’époque, nous devons donc passer du moment
de la recherche au moment de l’application, en nous adaptant, et utiliser le
critère du respect des hommes qui, en fin de compte, font l’histoire et dé-
terminent les changements historiques. Cependant, Bellerate note qu’il est
toujours difficile d’identifier l’attitude que Don Bosco aurait adoptée dans
des circonstances et des contextes différents des siens.271 Dans l’approche
théorique et historique des développements ultérieurs de la recherche au
cours des la période postconciliaire on reconnaît bien l’incertitude sur
les mises à jour possibles, les considérations génériques de méthode et
le manque d’indications concrètes Toutes ces limites marqueront les re-
cherches et les orientations de Bellerate, Milanesi, Braido et d’autres au-
teurs.272
267 Ibid., 33.
268 Bellerate fait plusieurs fois référence au volume de P. Veyne, Comment on écrit
l’histoire. Essai d’épistémologie, Seuil, Paris 1970.
269 Bellerate, Il significato storic, dans Don Bosco tra pedagogia antica e nuova, 21-22.
270 MB vol. 14, 416 dans Ibid., 37.
271 Cf. Bellerate, Il significato storico, in Don Bosco tra pedagogia antica e nuova, 33
272 A notre avis, le manque de perspective théologique, les influences des pédagogues
et épistémologues marxistes et/ou pragmatiques ont influencé la paralysie de la

31.7 Page 307

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 307
Pietro Braido, probablement influencé à la fois par Bellerate273 et par
la critique historique des sources salésiennes traditionnelles de la part de
Desramaut et de Stella, n’offre dans sa conférence qu’une synthèse concise
de la méthodologie du système préventif de Don Bosco en se référant à
ses écrits antérieurs sans les actualiser. Les autres contributions abordent
ensuite les dimensions de l’éducation salésienne : la catéchèse, l’amorevo-
lezza, la communauté éducative, l’assistance, les jeunes d’aujourd’hui et les
milieux (école, famille, associations, centres de jeunes et médias). Dans le
discours de clôture, prononcé par le recteur majeur Luigi Ricceri, il est in-
téressant de noter quelques correctifs apportés aux idées de Bellerate tant
sur l’idéologie de Don Bosco que sur la partie méthodologique du système
préventif, avec l’intention de promouvoir la nécessité de connaître un Don
Bosco total :
À la base de l’œuvre éducative de Don Bosco, il n’y a pas une idéo-
logie ou une quelconque technique méthodologique, mais une vi-
sion de foi. C’est par elle que Don Bosco est éclairé pour agir, c’est
elle qui permet de juger toute sa vie et tous ses choix. En elle sont
expliquées et résolues les soi-disant antinomies de la vie et des pa-
roles de Don Bosco (pain/paradis ; péché/optimisme ; humanisme/
évangélisation, etc.). Si nous nous mettons en harmonie profonde
avec son esprit - qui, répétons-le, est essentiellement esprit de foi et
de charité surnaturelle et, pour cette raison, profondément humain - le
mise à jour de l’éducation salésienne dans la période postconciliaire. Pour un aperçu
plus approfondi de l’approche et des sources de Bellerate, nous nous référons aux
deux parties de l’article fondamental: B. Bellerate, La storia tra le scienze dell’ed-
ucazione, dans «Orientamenti Pedagogici» 17 (1970) 4, 927-957 et la deuxième par-
tie dans 19 (1972) 3, 722-731. Pour une évaluation a posteriori du contexte marxiste
et de l’effort (jugé inutile) pour réformer la congrégation salésienne de l’intérieur,
cf. Bellerate, Un itinerario aperto: l’educare, in M. Borrelli (ed.), La pedagogia
italiana contemporanea, vol. 2, Pellegrini, Cosenza 1995, 16-18.
273 Pour l’influence de Bellerate sur Braido dans les années 1970 voir pour l’interdisci-
plinarité et l’approche de la FSE son article Rinnovamento di una Facoltà di scienze
dell’educazione, dans «Orientamenti Pedagogici» 17 (1970) 4, 1044. Nous pouvons
également noter que le fameux concept cher à Braido des « Mémoires du futur »,
appliqué aux Mémoires de l’Oratoire, apparaît pour la première fois dans Belle-
rate, La storia tra le scienze dell’educazione II, dans «Orientamenti Pedagogici»
19 (1972) 3, 731.

31.8 Page 308

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308 Pédagogie salésienne après Don Bosco
système préventif deviendra l’expression logique nécessaire de notre
vie et nous ne nous laisserons pas influencer par des mirages qui ne
portent pas l’empreinte de Dieu et ne peuvent donc pas être en ligne
avec la mission salésienne.274
4.3.5. Les colloques salésiens
Dans le contexte européen, nous trouvons une expérience continue de
conférences basées sur la discussion de thèmes salésiens, appelées Col-
loques sur la vie salésienne. Le Père Francis Desramaut, animateur des
Colloques pendant des décennies, a raconté l’origine de ces rencontres
fructueuses lors de la réunion des formateurs salésiens des provinces fran-
cophones qui eut lieu à Reims durant l’été 1967. Don Ricceri avait accepté
d’être présent pendant quelques heures et deux professeurs de l’Athénée
Pontifical Salésien, Mario Midali et Giuseppe Abbà, participèrent en tant
qu’observateurs. À la fin de l’événement, vu le bon niveau des discussions,
Don Abbà demanda s’il ne serait pas possible d’organiser des rencontres
similaires à plus grande échelle, vu l’expérience positive. Desramaut avait
des doutes : « Je ne pouvais pas imaginer que les Italiens, à commencer
par les supérieurs de la Maison générale de Turin et les professeurs de
l’Athénée salésien de Rome, verraient d’un bon œil une assemblée engagée
dans la discussion de leurs problèmes en dehors d’eux-mêmes ».275 Après
consultation des experts romains, au premier rang desquels Pietro Stella,
un avis positif fut émis à sa grande surprise et le premier des Colloques
fut planifié. On choisit le thème de la vie de prière des salésiens, un sujet
peu controversé, et l’inspecteur du PAS, Don Luigi Chiandotto, fut choisi
à l’unanimité pour présider le Colloque de 1968.276
Le premier Colloque sur la vie salésienne se tint à Lyon au mois de
septembre de l’année 1968, année riche en événements. Dans le difficile
climat de contestation, de critique et de choc des générations, les Colloques
274 L. Ricceri, Discorso di chiusura del convegno europeo salesiano sul sistema edu-
cativo di don Bosco, in Don Bosco tra pedagogia antica e nuova, 311.
275 F. Desramaut, All’origine dei Colloqui sulla vita salesiana, in C. Semeraro (ed.),
La festa nell’esperienza giovanile del mondo salesiano, LDC, Leumann (TO) 1988,
239.
276 Cf. Ibid., 239-240.

31.9 Page 309

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 309
avaient essentiellement deux objectifs fondamentaux : mener des études
sérieuses sur Don Bosco, son œuvre et son charisme ; et donner des ré-
ponses aux questions des jeunes confrères qui, en raison de leur mentalité
moderne, demandaient des indications fondées sur une documentation his-
torique. Le premier président, reflétant l’approche de Desramaut,277 a défini
la nature des Colloques de la manière suivante :
Il s’agit d’une initiative de la base, ce n’est pas quelque chose d’officiel.
Nos Colloques internationaux sont simplement cela : une rencontre de
confrères qui aiment Don Bosco et la Congrégation, ont une bonne
formation scientifique et ont étudié et étudient Don Bosco et la vie sa-
lésienne de manière à pouvoir en parler et écrire avec compétence.278
Outre le critère de la compétence scientifique, on mentionna également
celui de l’internationalité du groupe dans son ensemble. D’autres consi-
dérations méthodologiques ont complété le développement progressif du
projet des Colloques : le sérieux scientifique de l’étude, un haut niveau
de diffusion dans la présentation des résultats et l’attention portée au dé-
sir d’inclure dans les Actes les réactions et les discussions provoquées
par les rapports. Au niveau des objectifs, on adopta celui de l’étude des
thèmes salésiens, laissant à l’arrière-plan la nécessité pratique d’influencer
les solutions des problèmes vécus. Vues de loin, on peut discerner deux
méthodologies dans l’organisation du contenu des Colloques. L’une, plus
visible dans les premiers Colloques, part de « l’histoire salésienne » qui
se confronte aux problèmes actuels pour arriver à un engagement futur.
L’autre part plutôt des questions du contexte actuel qui interrogent la tra-
dition salésienne, afin de trouver des réponses et des indications pour le
chemin à suivre.279
277 Dès les premiers Colloques, les qualités d’organisation, de précision et de con-
stance du secrétaire et coordinateur des Colloques, le Père Francis Desramaut, sont
soulignées. En plus du travail de coordination, nous le voyons impliqué comme pro-
tagoniste dans les thèmes de l’actualisation du charisme avec des rapports présentés
dans presque chaque Colloque.
278 L. Chiandotto, Presentazione, in La vita di preghiera del religioso salesiano. Lyon
10-11 settembre 1968, LDC, Leumann (TO) 1969, 5.
279 Cf. M. Midali, Aspetto pastorale dei venti anni di “Colloqui”, in Semeraro (ed.), La
festa nell’esperienza giovanile, 244.

31.10 Page 310

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310 Pédagogie salésienne après Don Bosco
À partir du deuxième colloque, on essaya de dépasser le dialogue
presque exclusif entre l’actualité et l’histoire et le groupe s’est élargi pour y
inclure des spécialistes de la sociologie, de l’anthropologie, de l’épistémo-
logie, de la psychologie et de la pastorale.280 Parmi ces derniers, on notera
la participation à partir de 1970 de deux membres du nouveau centre inter-
national de la pastorale des jeunes de Turin, Michel Mouillard et Vittorio
Gambino, remplacés à partir du septième colloque en 1975 par Riccardo
Tonelli. On notera également la présence et la collaboration de Mario Mi-
dali, qui était passé à cette époque de l’ecclésiologie à la théologie pasto-
rale ou pratique. Il y avait aussi la présence de salésiens qui, en plus de la
réflexion, se consacraient à la pastorale en tant que délégués à la pastorale
des jeunes dans les provinces ou en travaillant sur des projets pastoraux
pilotes. Au bout de quelque temps, Midali exprimait son appréciation du
travail entre spécialistes de compétences diverses : « J’ai vu les bénéfices
concrets de ce dialogue interdisciplinaire entre experts de diverses disci-
plines, travailleurs de terrain et supérieurs, qui était tant prôné en principe,
mais qui s’est avéré si difficile à mettre en œuvre dans le milieu universi-
taire ».281
Les cinq colloques explicitement consacrés aux thèmes de la Famille
salésienne de 1973 à 1978 avaient déjà impliqué les Filles de Marie Au-
xiliatrice, les Coopérateurs salésiens et les Volontaires de Don Bosco.
L’élargissement du groupe de participants s’est également reflété dans la
composition du comité d’organisation. À partir de 1974, Sœur Maria Luisa
Petrazzini, alors professeur au Pedagogicum de Turin, puis d’autres FMA
ont fait partie de la coordination des Colloques.
Le choix des thèmes des Colloques ne s’est pas déroulé selon un plan
établi au départ, mais chaque fois un thème a été choisi selon deux cri-
tères : sa pertinence pour la vie salésienne et l’expertise scientifique dis-
ponible dans la Famille salésienne. Le premier critère a permis d’accorder
les thèmes avec les réflexions des Chapitres généraux postconciliaires, en
particulier ceux sur la relecture du charisme de 1971 jusqu’aux Constitu-
tions rénovées de 1984. Pour résumer le déroulement des colloques de la
280 F. Desramaut, Introduzione, in La missione dei salesiani nella Chiesa. Benedikt-
beuern (Allemagne) 9-11 septembre 1969, LDC, Leumann (TO) 1970, 5.
281 M. Midali, Frammenti di vita salesiana tra il 1941 e il 2010. Semplici ricordi e so-
brie considerazioni, s.e., Roma 2014, 178.

32 Pages 311-320

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32.1 Page 311

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 311
seconde moitié du XXe siècle, les thèmes abordés peuvent être divisés en
trois groupes :282
- réflexions sur le contexte général, notamment les questions d’injus-
tice, les attentes des jeunes, l’éducation à la paix, le chômage des
jeunes, la religiosité populaire, la fête et la mixité ;
- thèmes de la Famille salésienne ad intra : la vie de prière du religieux,
la communauté salésienne, la famille salésienne, le coopérateur dans
la société, la relation entre religieux et laïcs, la vocation salésienne,
la communication, la direction spirituelle et le vieillissement ;
- considérations sur la mission salésienne ad extra envers le monde :
mission des salésiens dans l’Eglise, service auprès des jeunes, en-
gagement pour la justice, indifférence et nouvelles formes de reli-
giosité, culture de vie et culture de mort, engagement de la Famille
salésienne dans les contextes de vie des jeunes étudiés en général.
Les Colloques eurent une bonne résonance dans le monde salésien et
une influence positive sur la maturation de la pensée sur diverses théma-
tiques contemporaines des années 1970-1980.283 Outre leurs contributions
au plan de l’étude des thèmes, les Colloques ont apporté des innovations
dans la forme et la méthode du dialogue sur les questions salésiennes,
équilibrant certaines dynamiques du monde universitaire romain porté à
une certaine autosuffisance.
4.3.6. Gino Corallo, une voix singulière de cette époque
Une réflexion intéressante et fondée, qui ne partage pas l’approche de
Braido sur les « sciences de l’éducation », a été proposée par le pédagogue
282 Cf. C. Semeraro, Domande di fine millennio: “Colloqui, si? Colloqui, no? Discus-
sione sul futuro dei Colloqui, in C. Semeraro (ed.), Mondo salesiano e povertà alla
soglia del III millennio, Salvatore Sciascia, Caltanissetta 2001, 207-208 qui reprend
Midali, Aspetto pastorale, in Semeraro (ed.), La festa nell’esperienza giovanile,
242.
283 Jusqu’en 1987, la LDC a vendu 12 200 exemplaires des actes de 12 colloques. Cf. N.
Suffi, La collana “Colloqui” e la sua incidenza nei contenuti dell’editoria salesi-
ana, in Semeraro (ed.), La festa nell’esperienza giovanile, 251.

32.2 Page 312

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312 Pédagogie salésienne après Don Bosco
salésien Gino Corallo. Il est le premier auteur à s’être intéressé à la péda-
gogie de John Dewey en Italie.284 Au début des années 1950, il s’était rendu
aux États-Unis pour étudier les résultats de la didactique active et avait éta-
bli sa proposition comme une pédagogie de la liberté. Même si sa voix n’a
pas été dominante dans les réflexions salésiennes postconciliaires (à partir
de 1965 il a enseigné à l’Université de Bari), ses idées sont éclairantes pour
comprendre les parcours et les logiques de ces années, avec les forces mais
aussi avec les faiblesses inhérentes à toute approche. Corallo prévoyait le
risque d’affaiblissement de la pédagogie si celle-ci renonçait à s’appuyer
sur une philosophie forte, comme cela s’est produit avec l’idée des sciences
de l’éducation.285
En parlant de Don Bosco, Corallo ne s’attarde pas sur le caractère systé-
matique de sa pensée, mais interprète sa façon de procéder dans la logique
systémique d’un organisme vivant. En se référant à la célèbre affirmation
de « ne pas savoir », l’auteur affirme que pour Don Bosco il ne saurait y
avoir de réponses uniformes aux différents types de questions et de situa-
tions éducatives. À propos du traité sur les punitions, Corallo affirme que
une réponse sous forme de traité aurait laissé les choses en leur état.
(Je crois que c’est la raison fondamentale pour laquelle Don Bosco
n’a pas écrit ce “petit ouvrage” de pédagogie auquel il fait allusion
au début de son Système préventif). À une question vitale on donne
une réponse vitale : il s’agit d’insérer la punition dans un style de
relations complexes mais unitaires (comme le sont celles de tous
les organismes vivants), qui lui donnent un sens : l’acte matériel lui-
même prend alors un sens et une valeur éducative différente selon
le contexte interpersonnel dans lequel il est inséré.286
Selon Corallo, il y a deux risques à trop poursuivre une approche
284 Cf. G. Corallo, La pedagogia di Giovanni Dewey, SEI, Torino 1950.
285 Cf. G. Corallo, Educare la libertà. Scelta antologica a cura di Maria Teresa Mos-
cato, Clueb, Bologna 2009; C. Nanni - M.T. Moscato (eds.), La pedagogia della
libertà. La lezione di Gino Corallo, LAS, Rome 2012; L. Lafranceschina, La Ped-
agogia Italiana del Secondo Dopoguerra e la Proposta Pedagogica di Don Gino
Corallo, Arti Grafiche Cortese, Bitonto 2014.
286 G. Corallo, Il metodo educativo salesiano. L’eredità di Don Bosco, Tip. Scuola
Salesiana del Libro, Catania 1979, 11-12.

32.3 Page 313

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 313
scientifique de la pédagogie salésienne : règlementer les aspects contingents
ou reléguer Don Bosco dans l’histoire. Il n’est pas difficile de rattacher au
premier danger les efforts normatifs de Don Ricaldone et au second la
tendance postconciliaire d’une critique historique des sources salésiennes.
Repenser le système préventif de manière moderne, c’est aussi courir le
risque d’oublier certaines racines permanentes, surtout dans un contexte
de forte sécularisation et de pseudo-dialogue avec le monde :
Ce n’est pas un hasard si la négation, même théorique, mais surtout
pratique (étant donné qu’aujourd’hui beaucoup ont une certaine
difficulté à penser) de cette dimension pérenne, est accompagnée
actuellement par l’effacement, plus souvent pratique aussi, de cer-
taines des valeurs pérennes du christianisme. Celui-ci, pourtant,
malgré les efforts émouvants de ceux qui prônent sa sécularisation
complète, se montre terriblement réticent à être “historicisé” dans
certaines de ses dimensions fondamentales. Et Don Bosco, je n’ai
pas besoin de le rappeler, a posé une relation nullement précaire
entre être chrétien (sérieusement) et être éducateur (toujours sé-
rieusement).287
Le noyau central du système préventif réside, selon Corallo, dans l’es-
prit, le style et la manière personnelle et typique avec lesquels Don Bosco
crée sa synthèse éducative. « Cette âme éducative de Don Bosco réside
dans une attitude fondamentale que l’éducateur doit assumer comme son
style de vie et non comme une pure compétence professionnelle ».288 Dans
la deuxième partie de son court ouvrage intitulé « Dalla parte del raga-
zzo » (Du côté du jeune), Corallo approfondit certains aspects concrets du
système préventif en divisant la thématique en deux parties : comment est
le jeune (point de départ) et comment il devrait être (axiologie et objectif).
Les deux parties sont liées, les connaissances psychologiques du garçon
et les valeurs morales sont entrelacées : « Le discours pédagogique n’est
pas un discours de techniques psychologiques, mais il n’est pas non plus
un sermon moral : il est ce discours très singulier dans lequel la morale
personnelle devient une technique d’éducation et dans lequel la technique
287 Corallo, Il metodo educativo salesiano, 10.
288 Ibid., 16

32.4 Page 314

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314 Pédagogie salésienne après Don Bosco
psychologique et didactique doit être transfigurée en un engagement mo-
ral ».289
Se mettre totalement et loyalement du côté du jeune ne signifie pas
un pédocentrisme naïf, mais est une attitude fondamentale d’accueil qui
accepte le jeune dans sa totalité, dans ce qu’il est et dans ce qu’il doit être,
dans ce qu’il peut et doit devenir. L’assistance, dans cette optique, serait la
connaissance existentielle du jeune dans une relation éducative marquée
par la consécration et le dévouement total.
J’oserais dire que Don Bosco a provoqué une révolution dans l’édu-
cation, semblable [...] à celle que le christianisme a provoquée dans
l’Ancien Testament. Face à la rigidité détaillée et multiplicative de la
loi, le christianisme a érigé la grandeur de l’esprit et le principe que
le sabbat est fait pour l’homme. Il n’est donc pas faux de dire qu’avec
son système, Don Bosco a opéré une véritable révolution coperni-
cienne dans le domaine de l’éducation : il suit la direction qui va du
garçon vers la conquête progressive de sa maturité, et non la direc-
tion opposée, courante à son époque, qui allait des programmes et
des préceptes vers le garçon.290
Si l’assistance est l’attitude fondamentale qui consiste à se mettre du
côté du jeune, la « jeunesse » est la caractéristique conséquente d’une édu-
cation qui commence en étant avec les jeunes. L’assistance est l’attitude
typiquement salésienne qui évite deux erreurs fondamentales : abandonner
le jeune à lui-même et s’imposer au jeune sans se soucier de lui. Pour Co-
rallo, l’assistance et la charité sont le domaine dans lequel doit s’appliquer
la déclaration de Don Bosco selon laquelle « seul le chrétien peut appliquer
avec succès le système préventif ».291
La partie la plus difficile est le travail éducatif en vue d’un avenir réussi
de l’enfant, « tel qu’il doit être » L’éducateur-assistant consacré au bien des
jeunes utilise les leviers de la raison et du modelage pour les éduquer aux
aspects moraux qui ne sont pas aussi instinctifs que les besoins primaires
et relationnels. Dans le domaine de l’éducation religieuse et morale, on
289 Ibid., 19-20.
290 Ibid., 24.
291 Cf. Ibid., 28-29.

32.5 Page 315

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 315
voit si l’éducateur est vraiment consacré au bien des élèves, s’il transmet
la vie dans son ensemble ou s’il ne fait que de l’endoctrinement ou une
catéchèse magistrale. Selon Corallo, c’est là que réside l’âme personna-
liste de la méthode de Don Bosco et l’éducateur, par conséquent, est « ce
chrétien qui s’est fixé comme but dans sa vie le bien d’une autre personne.
Selon les mots de Jésus, il est celui qui a donné sa vie pour son ami ».292 La
perspective de Corallo sur Don Bosco est celle d’une pédagogie catholique
et personnaliste qui relègue au second plan les questions de critique histo-
rique et les techniques d’application des sciences individuelles. En ce sens,
il constitue une alternative intéressante, bien que peu développée, aux pro-
positions de Pietro Braido qui ont influencé les choix épistémologiques au
sein de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UPS.
292 Ibid., 40.

32.6 Page 316

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316 Pédagogie salésienne après Don Bosco
4.4. Outils et ressources
4.4.1. Tableau chronologique

32.7 Page 317

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 317
4.4.2. Bibliographie sélective
Acta et documenta Congressus generalis de statibus perfectionis, 4 vols.,
Roma 1952-3.
Atti del Capitolo Generale XIX, 8 aprile – 10 giugno 1965 Roma, in ACS
47 (1966) 244, 3-291.
Bellerate B. (ed.), Pluralismo culturale ed educazione. Atti del 3° collo-
quio interideologico promosso da «Orientamenti Pedagogici», tenutosi
a Roma l’8-9 dicembre 1978, Orientamenti Pedagogici, Roma 1979.
Bellerate B., Un itinerario aperto: l’educare, in M. Borrelli (ed.), La
pedagogia italiana contemporanea, vol. 2, Pellegrini, Cosenza 1995,
15-30.
Bellerate B. Milanesi G.C. (eds.), Educazione e politica, SEI, Torino
1976.
Bibliografia di Pietro Braido (1919-2014), in bit.ly/2MZsP18.
Bouquier H., Don Bosco educateur, Téqui, Paris 21950.
Braido P., Il sistema educativo di Don Bosco, SEI, Torino 11955, 21956.
Braido P., Il Sistema Preventivo di don Bosco, PAS Verlag, Zürich 11955
21964.
Braido P. (ed.), Educare. Sommario di scienze pedagogiche, 3. voll., PAS
Verlag, Zürich 11956 21962-64.
Braido P., Introduzione alla pedagogia. Saggio di epistemologia pedago-
gica, PAS, Torino 1956.
Braido P., Don Bosco, La Scuola, Brescia 1957.
Braido P., A.S. Makarenko, La Scuola, Brescia 1959.
Braido P. et al. (eds.), Don Bosco educatore oggi. Seconda edizione rive-
duta e accresciuta, PAS Verlag, Zürich 21963.
[Braido P.] Rinnovamento di una Facoltà di scienze dell’educazione, in
«Orientamenti Pedagogici» 17 (1970) 4, 1043-1051.
Braido P., Le metamorfosi dell’Oratorio salesiano tra il secondo

32.8 Page 318

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318 Pédagogie salésienne après Don Bosco
dopoguerra e il Postconcilio Vaticano II (1944-1984), in «Ricerche Sto-
riche Salesiane» 25 (2006) 49, 295-356.
Calonghi L., Tests ed esperimenti, PAS, Torino 1956.
CGS – Commissioni Precapitolari Centrali, Ecco ciò che pensano i sale-
siani della loro Congregazione oggi. “Radiografia” delle relazioni dei
Capitoli Ispettoriali Speciali tenuti in gennaio-maggio 1969, 4 vols.,
Istituto Salesiano Arti Grafiche, Castelnuovo D. Bosco (AT) 1969.
Capitolo Generale Speciale XX della Società Salesiana, Roma 10 giugno
1971 – 5 gennaio 1972, [s.e.], Roma 1972.
Corallo G., La pedagogia di Giovanni Dewey, SEI, Torino 1950.
Corallo G., Il metodo educativo salesiano. L’eredità di Don Bosco, Tip.
Scuola Salesiana del Libro, Catania 1979.
Corallo G., Educare la libertà. Scelta antologica a cura di Maria Teresa
Moscato, Clueb, Bologna 2009.
Dalcerri L., Istituto internazionale superiore di pedagogia e di scienze
religiose, in «Rivista di pedagogia e scienze religiose» 1 (1963) 1, 3-16.
Desramaut F., Les Memorie I de Giovanni Battista Lemoyne. Étude d’un
ouvrage fondamental sur la jeunesse de saint Jean Bosco. Thèse de
doctorat en théologie présentée à la Faculté de Théologie de Lyon, Mai-
son d’Études Saint-Jean-Bosco, Lyon 1962.
Desramaut F., Don Bosco et la vie spirituelle, Beauchesne, Paris 1967.
Desramaut F., Introduzione, in La missione dei salesiani nella Chiesa. Be-
nediktbeuern (Germania) 9-11 settembre 1969, LDC, Leumann (TO)
1970, 5-8.
Desramaut F., All’origine dei Colloqui sulla vita salesiana, in C. Semera-
ro (ed.), La festa nell’esperienza giovanile del mondo salesiano, LDC,
Leumann (TO) 1988, 238-241.
Desramaut F. – Midali M., L’impegno della Famiglia salesiana per la
giustizia. Colloqui sulla vita salesiana 7, Jünkerath 24-28 agosto 1975,
LDC, Leumann (TO) 1976.
Dichiarazione sull’educazione cristiana Gravissimum educationis, in
AAS 58 (1966) 728-739.

32.9 Page 319

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 319
Frigato S., Educazione ed evangelizzazione. La riflessione della Congre-
gazione salesiana nel Postconcilio, in A. Bozzolo – R. Carelli (eds.),
Evangelizzazione e educazione, LAS, Roma 2011, 69-90.
Giammacheri E., La prima Facoltà di Pedagogia è sorta in Italia nel nome
di don Bosco, in «Scuola Italiana Moderna» 66 (1957) 17, 7-8.
Grasso P.G., Gioventù di metà secolo. Risultati di un’inchiesta sugli orien­
tamenti morali e civili di 2000 studenti italiani, Ave, Roma 1954.
Grasso P.G., La Società Salesiana tra il passato e l’avvenire. Risultati di
un’inchiesta tra ex allievi salesiani, Edizione extra-commerciale riser-
vata, [s.e.], Roma 1964.
Grasso P.G., Le compagnie come risposta alla psicologia giovanile, Centro
Internazionale Compagnie, Torino 1954.
Il sistema educativo di don Bosco tra pedagogia antica e nuova. Atti del
convegno europeo salesiano sul Sistema Preventivo di don Bosco, svol-
tosi a Roma dal 31 dicembre 1973 al 5 gennaio 1974, LDC, Leumann
(TO) 1974.
Ispettoria Salesiana PAS, Atti del 1° Capitolo Ispettoriale Speciale (13-19
aprile 1969), [s.e.] Roma 1969.
La vita di preghiera del religioso salesiano. Colloqui sulla vita salesiana
Lyon 10-11 settembre 1968, LDC, Leumann (TO) 1969.
Lafranceschina L., La Pedagogia Italiana del Secondo Dopoguerra e la
Proposta Pedagogica di Don Gino Corallo, Arti Grafiche Cortese, Bi-
tonto 2014.
Lettera del Direttore Spirituale, in ACS 44 (1963) 234, 16-20.
Lutte G., Per una università critica, in «Orientamenti Pedagogici» 16
(1969) 2, 326-336.
Malizia G. – Alberich E., A servizio dell’educazione. La Facoltà di
Scienze dell’Educazione dell’Università Pontificia Salesiana, LAS,
Roma 1984.
Nanni C. – Moscato M.T. (eds.), La pedagogia della libertà. La lezione di
Gino Corallo, LAS, Roma 2012.
Nanni et al. (eds.), Pietro Braido. Una vita per lo studio i giovani

32.10 Page 320

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320 Pédagogie salésienne après Don Bosco
l’educazione, LAS, Roma 2018.
Pontificium Athenaeum Salesianum MCMXL – MCMLXV, [s.e.], Romae
1966, 28-67.
Rahner K. et al. (eds.), Dizionario di Pastorale, Queriniana, Brescia 1979.
Ricceri L., Così mi prese Don Bosco. Storie vere di vita salesiana, LDC,
Leumann (TO) 1986.
Ricceri L., Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 47 (1966) 245, 3-14.
Ricceri L., Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 48 (1967) 247, 3-33.
Ricceri L., Lettera del Rettor Maggiore [con le conclusioni dei conve-
gni continentali di Bangalore, Como, Caracas], in ACS 49 (1968) 252,
3-86.
Ricceri L., Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 50 (1969) 258, 3-38.
Ricceri L., Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 54 (1973) 269, 3-49.
Ricceri L., Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 56 (1975) 279, 6-44.
Ricceri L., Presentazione del Rettor Maggiore della “Relazione Generale
sullo Stato della Congregazione”, in Capitolo Generale Speciale XX
della Società Salesiana, Roma 10 giugno 1971 – 5 gennaio 1972, [s.e.],
Roma 1972, 565-583.
Stickler A.M., Le compagnie alla luce degli ultimi documenti pontifici,
Centro Internazionale Compagnie, Torino 1954.
Tolomelli M., Il Sessantotto. Una breve storia, Carocci, Roma 2008.
Valentini E., Attualità ed efficacia pedagogica delle Compagnie, Centro
Internazionale Compagnie, Torino 1954.
Venti anni di Colloqui: Bilancio e prospettive, Tavola rotonda con la par-
tecipazione di Francis Desramaut, Mario Midali, Tarcisio Bertone e
Nicolò Suffi. Moderatore Riccardo Tonelli, in C. Semeraro (ed.), La
festa nell’esperienza giovanile del mondo salesiano, LDC, Leumann
(TO) 1988, 238-253.
Viganò E., Lettera a don Luigi Ricceri Gran Cancelliere del P.A.S. (24
agosto 1972), in R. Gianatelli (ed.), Don Egidio Viganò all’Università
Salesiana. Discorsi, linee operative, testimonianze del VII Successore

33 Pages 321-330

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33.1 Page 321

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4. Avant, pendant et après les changements de Vatican II 321
di don Bosco, UPS, Roma 1996, 24-44.
XVIII Capitolo Generale della nostra Società, in ACS 39 (1958) 203, 6-86.
Ziggiotti R., Ho visto don Bosco in tutti i continenti, in «Bollettino Sale-
siano» 79 (1955) 17, 333-342.
Ziggiotti R,, Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 44 (1963) 229, 3-11.
Ziggiotti R., Lettera del Rettor Maggiore, in ACS 45 (1964) 234, 2-14.
Ziggiotti R., Tenaci, audaci e amorevoli. Lettere circolari ai Salesiani di
don Renato Ziggiotti. Introduzione, parole chiave, indici e appendici
statistiche a cura di Marco Bay, LAS, Roma 2015.

33.2 Page 322

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322 Pédagogie salésienne après Don Bosco
4.4.3. Ressources en ligne
Sources, documents, recherches, publications en texte intégral, maté-
riel photographique, liés à ce chapitre.293
Bibliographie complète, index des auteurs, index des sujets pour l’en-
semble de la publication.294
293 Cf. salesian.online/pedagogia4
294 Cf. salesian.online/pedagogia-dopo-db

33.3 Page 323

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5. PROGRAMMATION ET ANIMATION,
DEUX DIMENSIONS PÉDAGOGIQUES
FONDAMENTALES (1978-1998)
Alors que l’impression du caractère extraordinaire de Vatican II sem-
blait s’estomper, la vie ecclésiale des années 1970 était encore fortement
conditionnée par les événements de la décennie précédente. C’est une pé-
riode de fièvre pastorale, mais aussi de crise démographique et identitaire
des différentes congrégations religieuses. En raison de la complexité de
la situation, le Conseil général de la Congrégation s’est réuni huit cents
fois au cours des années 1972-1977 avec l’objectif général de « promouvoir
l’élan de renouveau souhaité par le Chapitre général spécial, en distinguant
l’or de la gangue, et en l’orientant en même temps de manière à éviter
la création et la stabilisation du désordre ».1 En plus du travail ordinaire,
souvent conditionné par la gestion des situations de crise, il y a eu d’autres
réunions d’animation dans les différentes régions. En 1972, l’Athénée pon-
tifical salésien, dans son siège romain, devient l’Université pontificale sa-
lésienne et, dans le cadre des études salésiennes, le Centre d’études Don
Bosco est créé dans le but de promouvoir des études scientifiques sur la
personne du saint éducateur. Dans les années 1976-1977 le Centre a publié,
sous la direction de Pietro Stella, une édition anastatique des œuvres im-
primées de Don Bosco en trente-sept volumes, donnant aux spécialistes du
1 L. Ricceri, Capitolo Generale XXI della Società Salesiana. Relazione generale sul-
lo stato della Congregazione, [s.e.], Roma 1977, no. 15.

33.4 Page 324

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324 Pédagogie salésienne après Don Bosco
charisme salésien l’accès à un corpus beaucoup plus riche que les éditions
précédentes.
5.1. Le dernier quart du siècle et la consolidation opérée
par Viganò et Vecchi
Le XXIe Chapitre général, qui s’est déroulé de la fin du mois d’octobre
1977 jusqu’au mois de février de l’année suivante, n’a pu que vérifier le
chemin parcouru et faire mûrir certaines des nombreuses lignes d’action
indiquées par le Chapitre général spécial. Le recteur majeur Luigi Ricceri
affirma dans son rapport que tout le « ridimensionamento », la qualifica-
tion des confrères et la formation des collaborateurs laïcs restaient encore
à faire, car les réalisations étaient peu nombreuses en raison du manque
d’une vision concrète et d’une sensibilité réaliste.2 C’est en tenant compte
de ces critères que le Chapitre a élu comme successeur de Don Bosco Don
Egidio Viganò, qui ne manquait ni de compétences dans le gouvernement
ni d’expérience de la vie salésienne et ecclésiale sur plusieurs continents.
Il avait passé la majeure partie de sa vie au Chili, où il avait non seulement
exercé les fonctions de provincial pendant les années turbulentes de 1968
à 1972 et participé également avec passion à la vie de l’Église. En tant que
théologien expert de l’épiscopat chilien, il était intervenu lors du Concile
Vatican II et, plus tard, lors de la réunion de la Conférence épiscopale
latino-américaine à Medellín (1968). Comme responsable de la formation
de 1972 à 1978, il mit sur pied des cours de formation permanente, lança
les Semaines de Spiritualité pour la Famille Salésienne et promut divers
centres d’études dans la Congrégation.3 Il fut recteur majeur pendant trois
périodes de six ans, de 1978 à sa mort, consolidant le renouveau conciliaire
dans la Congrégation Salésienne dans le contexte du dernier quart du XXe
2 Cf. Ibid. nos. 38 à 42.
3 Cf. A. Viganò - F. Viganò, Don Egidio Viganò, settimo successoore di Don Bosco.
Frammenti di vita, LDC, Leumann (TO) 1996; Wirth, Da don Bosco ai nostri gior-
ni, 465-466.

33.5 Page 325

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 325
siècle marqué par la dynamique croissante de la globalisation et du consu-
mérisme, conséquence de l’affirmation progressive du modèle économique
capitaliste.
5.1.1. Une mondialisation croissante dans le dernier quart du XXe
siècle
Par rapport à l’enthousiasme et à la volonté révolutionnaire de 1968,
l’atmosphère des dernières années 1970 avait déjà changé en Occident.
La crise pétrolière jeta le doute sur l’idée d’une croissance permanente
du système économique et a également fait naître des incertitudes quant à
l’idée d’une « société du bien-être ». L’orientation idéologique de gauche,
répandue dans la période d’après 1968, subit des revers de crédibilité consi-
dérables, liés à la fois aux nouvelles de plus en plus répandues sur l’oppres-
sion dans les pays communistes (les goulags, les massacres cambodgiens,
le régime au Vietnam, le terrorisme de gauche en Europe) et aux échecs
du « socialisme réel » : l’échec de l’invasion de l’Afghanistan par l’Union
soviétique, les échecs économiques des pays du « deuxième monde » et le
manque de réponses concrètes des partis de gauche aux besoins réels des
populations des pays industrialisés.
Les longs gouvernements libéraux de droite des années 1980 (Reagan
aux États-Unis, Thatcher en Grande-Bretagne et Kohl en Allemagne) ont
accentué la crise déjà perçue du socialisme et devenue apparente avec les
réformes de Mikhaïl Gorbačov. L’implosion inévitable des régimes d’Eu-
rope de l’Est, symbolisée dans l’histoire par la chute du mur de Berlin,
en a été une conséquence concrète. Les provinces salésiennes d’Europe
centrale et orientale ont dû faire face, autour du centenaire de la mort de
Don Bosco, à une remise en question de leurs présences et de leurs œuvres,
ainsi qu’à un changement progressif de mentalité, passant d’une opposition
au régime à une pastorale dans un monde ouvert, nouveau et incertain.
Dans la partie occidentale du continent, le noyau initial de l’Union eu-
ropéenne s’est d’abord élargi aux États méditerranéens qui avaient renoué
avec la démocratie dans les années 1980 (Espagne, Portugal et Grèce),
puis à la réunification de l’Allemagne, et enfin les pays d’Europe centrale
et orientale ont commencé à rejoindre l’UE. Le Zeitgeist européen des an-
nées 1990 a été déterminé par la victoire du modèle libéral-capitaliste sur

33.6 Page 326

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326 Pédagogie salésienne après Don Bosco
le modèle socialiste, accompagnée d’une perspective favorable à leur in-
tégration dans les nations européennes, malgré le fait que des distances
politiques, économiques et culturelles entre les différents États membres
commençaient déjà à apparaître. C’est dans ce contexte qu’on peut situer
les visions historico-politiques de Zbigniew Brzezinski et de Paul John-
son,4 ainsi que les visions théologiques-économiques de Michael Novak,
ancien jésuite et conseiller de Reagan, qui proposait une conciliation entre
la pensée catholique et la dynamique du marché libre dans The Spirit of
Democratic Capitalism.5
En Amérique latine, on assiste à un assouplissement des politiques res-
trictives, prélude la transition des dictatures militaires des années 1970 et
1980 vers des élections démocratiques partir du milieu des années 1980
(Brésil, Pérou, Uruguay et Bolivie). Cependant, la consolidation de la dé-
mocratie a dû faire face à de très sérieux obstacles économiques (inflation
et dette extérieure), politiques (guérilla pendant la période militaire) et so-
ciaux (pauvreté généralisée et différences sociales marquées).
L’Asie et le Moyen-Orient présentent une situation très différenciée.
Dans le monde islamique, on assiste au passage d’un leadership postco-
lonial relativement laïc à une présence plus forte des fondamentalistes is-
lamiques, qui trouvent un point de référence en Iran, qui s’est récemment
constitué en république islamique sous la direction de l’ayatollah Khomei-
ni. Alors que la Chine, après Mao Tse-tung, entamait un processus de
réforme sous la direction de Deng Xiaoping en faveur du marché libre,
les autres pays socialistes d’Asie étaient en conflit. Le Vietnam, après le
départ des soldats américains, procède à une collectivisation sévère, puis
envahit le Cambodge, en proie au chaos après les massacres de Pol Pot, et
enfin se retrouve en guerre contre la Chine. Le Japon et la Corée se sont
intégrés à l’économie mondiale au cours d’une saison de développement
technologique, considérée par l’Occident avec un mélange d’admiration
4 Cf. P. Johnson, Modern Times. The World from the Twenties to the Nineties, Harper
Collins, New York 1991; Z. Brzezinski, Hors de contrôle. Global Turmoil on the
Eve of the 21st Century, Simon & Schuster, New York 1995.
5 Cf. M. Novak, The Spirit of Democratic Capitalism, Simon & Schuster, New York
1982. Voir également ses publications ultérieures: Id, The Catholic Ethic and the
Spirit of Capitalism, Free Press, New York 1993; Id, Business as a Calling: Work
and the Examined Life, Free Press, New York 1996; Id. - P. Adams, Social Justice
Isn’t What You Think It Is, Encounter Books, New York 2015.

33.7 Page 327

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 327
et d’inquiétude. Pendant cette période, l’Inde a placé ses espoirs dans les
réformes de Rajiv, le fils d’Indira Gandhi victime d’un assassinat. Les in-
vestissements dans les domaines de la science, de la technologie et de l’in-
formatique ont soutenu un lent développement d’un pays aux prises avec
des difficultés sociales et des violences entre hindous et musulmans.
Dans les années 1980 et 1990, l’Afrique traversa une période difficile
après la décolonisation. Les derniers pays à avoir obtenu leur indépen-
dance furent les anciennes colonies portugaises de l’Angola et du Mozam-
bique, qui ont rapidement sombré dans la guerre civile. Les gouvernements
chroniquement faibles se sont efforcés de faire face à des situations écono-
miques, sanitaires, sociales et juridiques dramatiques. Divers coups d’État
et l’ingérence des puissances mondiales ont rendu impossible la stabilisa-
tion politique des jeunes pays. Malgré quelques épisodes positifs, comme
la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, la fin du millénaire sur le continent
a été marquée par les massacres entre Hutus et Tutsis au Rwanda et la crise
au Congo, qui se sont répercutés sur la situation dans les pays voisins.6
5.1.2. L’Église et la pastorale des jeunes sur les traces de Jean-Paul II
Le chemin parcouru par l’Église après le Concile au temps de Paul VI
a été marqué par les réformes déjà entamées, notamment à travers la nou-
velle institution des synodes des évêques. Ceux-ci ont successivement ap-
profondi la réception du Concile, la collégialité épiscopale, la justice dans
le monde, l’évangélisation et la catéchèse dans le monde moderne. Par la
suite, l’ecclésiologie de Vatican II a reçu une confirmation opérationnelle
avec la promulgation du nouveau Code de droit canonique. Les travaux,
déjà prévus par Jean XXIII et réalisés par le cardinal Felici, ont fourni
une traduction de Vatican II en langage juridique avec des indications sur
les fondements théologiques des normes. Le nouveau CIC se présentait
comme une œuvre nouvelle, et non pas seulement comme une mise à jour
du code de 1917, marqué par l’ecclésiologie du premier concile du Vatican.7
6 Cf. G. Sabatucci - V. Vidotto, Storia contemporanea. Il Novecento, Laterza, Bari
2003, 305-392.
7 Cf. J. Beyer, Dal Concilio al codice, EDB, Bologna 1984 et G. Ghirlanda, Il diritto
nella Chiesa mistero di comunione, Pontificia Università Gregoriana - San Paolo,

33.8 Page 328

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328 Pédagogie salésienne après Don Bosco
La catéchèse a évolué dans la période postconciliaire dans le sens de
la décentralisation avec la production de différents catéchismes nationaux
adaptés aux besoins des différents groupes d’âge. Il en résulte des textes de
qualité doctrinale, didactique et méthodologique variable. L’Exhortation
apostolique Catechesi tradendae de Jean-Paul II, publiée en 1979, a ouvert
la voie à un catéchisme universel, dont les travaux se sont achevés en 1992
avec la publication du Catéchisme de l’Église catholique.8 La consolidation
des structures de l’Église postconciliaire s’est poursuivie pendant le long
pontificat de Jean-Paul II, grâce également aux neuf consistoires et aux
nominations de plus de 230 cardinaux. La consolidation des structures n’a
cependant pas incité le pape à s’enfermer dans les murs du Vatican. Au
contraire, outre de vifs contacts œcuméniques et diplomatiques, il a ef-
fectué plus d’une centaine de voyages à l’étranger qui ont attiré des foules
énormes.
Sur le plan politique, le pape Wojtyła a été un critique sévère du socia-
lisme réel et a contribué, par ses actions diplomatiques, à la chute du rideau
de fer. Malgré l’influence probable de Novak sur certaines conceptions de
l’encyclique Centesimus Annus, ses positions sur la guerre, la peine ca-
pitale, la pauvreté et l’annulation de la dette des pays en développement
indiquent une synthèse équilibrée. Le catholicisme de Jean-Paul II s’inscrit
dans la continuité avec les valeurs du passé, mais sur le plan politique, il
valorise la liberté et s’ouvre à la logique des droits de l’homme ; le pape
sait tirer parti de ses différentes expériences avec les régimes totalitaires,
sans tomber dans le libéralisme. En ce sens, son discours de 1990 devant
le corps diplomatique au Saint-Siège peut être considéré comme embléma-
tique :
La soif irrépressible de liberté [...] a accéléré les évolutions, fait tom-
ber les murs et ouvert les portes : tout a pris le rythme d’un véritable
bouleversement. Comme vous l’avez sans doute remarqué, le point
de départ ou le point de rencontre a souvent été une église. Peu à
peu, des bougies ont été allumées pour former un véritable chemin
Roma - Milano 1990.
8 Pour les développements de la catéchèse dans les années 1970, voir E. Alberich, Na-
tura e compiti di una catechesi moderna, LDC, Leumann (TO) 1974 et C. Caprile,
Il sinodo dei vescovi 1977. IVe Assemblée générale, Civiltà Cattolica, Roma 1978.

33.9 Page 329

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 329
de lumière, comme pour dire à ceux qui, depuis des années, pré-
tendent limiter les horizons de l’homme à cette terre, qu’il ne peut
rester indéfiniment enchaîné. [...] Le plus admirable dans les événe-
ments dont nous avons été témoins, c’est que des peuples entiers ont
pris la parole : des femmes, des jeunes et des hommes ont vaincu la
peur. La personne humaine a manifesté les ressources inépuisables
de dignité, de courage et de liberté qu’elle possède. Dans des pays
où, pendant des années, un parti a dicté la vérité à laquelle il fallait
croire et le sens à donner à l’histoire, ces frères et sœurs ont mon-
tré qu’il n’est pas possible d’étouffer les libertés fondamentales qui
donnent un sens à la vie humaine : liberté de pensée, de conscience,
de religion, d’expression, pluralisme politique et culturel.9
Un point fort du pontificat de Jean-Paul II a été l’attention marquée
qu’il a portée aux jeunes, révélée dès le premier Angelus de son pontificat
par la déclaration : « Vous êtes l’avenir du monde, l’espérance de l’Église.
Vous êtes mon espérance ».10 Parlant de la place préférentielle qu’oc-
cupent les jeunes dans l’Église, le Pape reconnaît en eux le jeune visage de
l’Église, fermement convaincu que l’Église a besoin de leur enthousiasme
et de leur fraîcheur. L’expression concrète de son attitude d’attention et de
prédilection envers les jeunes a été l’organisation des Journées Mondiales
de la Jeunesse (JMJ) à partir de 1985, « Année Internationale de la Jeu-
nesse » proclamée par l’ONU. Les Journées encouragent le protagonisme
des jeunes à travers le dialogue, en créant des lieux privilégiés pour une
rencontre personnelle et communautaire avec Jésus-Christ. À une époque
de l’histoire où l’accent est mis sur l’individu, elles sont un signe efficace
de communion ecclésiale, rassemblant des jeunes du monde entier et ré-
unissant autour du Pape différents groupes, mouvements, associations et
communautés. Ils incarnent la dynamique du pèlerinage, tant sur le plan
9 Discours de Jean-Paul II aux membres du corps diplomatique accrédité auprès du
Saint-Siège, in bit.ly/vatican-va-1990-01-13.
10 Jean-Paul II (avec V. Messori), Varcare la soglia della speranza, Mondadori, Mi-
lan 1994, 140. Voir aussi U.C. Miyigbena (ed.), Giovanni Paolo II parla ai giovani.
Collana completa di tutti i discorsi rivolti ai giovani nell’arco del pontificato nelle
lingue originali, 3 voll., LEV, Città del Vaticano 2011.

33.10 Page 330

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330 Pédagogie salésienne après Don Bosco
spirituel que pratique.11
Quant aux thèmes de réflexion proposés aux JMJ, puis approfondis en
catéchèse au cours des journées de rencontre, ils constituent un itinéraire
de formation qui développe les principaux sujets de la foi : le Christ che-
min, vérité et vie ; Dieu Amour ; la foi et l’écoute de Marie ; l’Eglise ; la
filiation divine dans l’Esprit Saint ; le témoignage.12 Les Journées Mon-
diales de la Jeunesse sont donc des temps et des espaces d’Eglise vécus
avec les jeunes et pour les jeunes, manifestant ainsi leur caractère à la fois
de « sujet » opérant la pastorale des jeunes et d’« espace » accueillant pour
la pastorale des jeunes.13 Malgré le succès de ces Journées, il est nécessaire
de souligner le risque réel, surtout dans les contextes qui n’ont pas déve-
loppé leur propre modèle pastoral, de réduire la pastorale des jeunes à une
« pastorale des grands événements ».
C’est dans le contexte des JMJ qu’est né le mouvement salésien des
jeunes (MSJ), rendu visible au cours de la rencontre internationale des
jeunes « Confronto DB 88 » à l’occasion du centenaire de la mort de Don
Bosco et par la suite lors du Confronto de 1993.14 Le XXIIIe Chapitre géné-
ral sur l’éducation des jeunes à la foi dit : « Les groupes et les associations
de jeunes qui, tout en conservant leur autonomie d’organisation, s’identi-
fient à la spiritualité et à la pédagogie salésiennes, forment implicitement
ou explicitement le mouvement salésien des jeunes ».15 Il serait intéressant
d’analyser le parcours de l’associationnisme salésien, qui est passé de l’or-
ganisation concrète des compagnies avec leur rythme de réunions locales
et les congrès provinciaux et mondiaux, en passant par l’associationnisme
spontané visant le changement social dans la période postconciliaire, au
11 Cf. J. Clemens, The Church’s Commitment to Youth: From John Paul II to Pope
Francis, International Meeting on WYD Rio 2013 - Krakow 2016, in bit.ly/lai-
ci-va-2014-04-12, 3-7; Conseil Pontifical pour les Laïcs (ed.), World Youth Day.
Mémorandum pour les organisateurs, Cité du Vatican 2005, 7.
12 Cf. A. Napolioni, La strada dei giovani. Prospettive di pastorale giovanile, San
Paolo, Cinisello Balsamo 1994, 122.
13 Cf. D. di Giosia, La Pastorale dei giovani. Uno studio sul magistero di Giovanni
Paolo II, LEV, Roma 2011, 108-118.
14 Cf. Dicastero della Pastorale Giovanile, Il Movimento Giovanile Salesiano come
espressione della spiritualità giovanile salesiana. Actes de la Convention eu-
ropéenne, Sanlucar la Mayor, 22-25 octobre 1992, SDB, Roma 1993.
15 CG23 (1990), no. 275.

34 Pages 331-340

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34.1 Page 331

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 331
MSJ beaucoup plus fluide, avec une adhésion « implicite » ou explicite sur-
tout lors des fêtes et des réunions (inter)provinciales, guidé par les orienta-
tions idéales au niveau mondial, comme celles du CG23 qui affirme :
La circulation des messages et des valeurs de la spiritualité au sein
du MSJ ne nécessite pas une organisation rigide et centralisée. Il est
basé sur la libre communication entre les groupes. Il envisage une
structure minimale nécessaire pour organiser la coordination des
initiatives communes. Sur cette base, on encourage les rencontres
qui deviennent des occasions significatives de dialogue, de discus-
sion, de formation chrétienne et d’expression des jeunes.16
5.1.3. Synthèses postconciliaires et consolidation organisationnelle
de la Congrégation (1978-2000)
Les années 1972-1978, tout en connaissant des expériences pastorales
prometteuses mais non coordonnées, sont troublées par la crise démogra-
phique persistante, visible surtout dans la diminution des vocations à la
vie consacrée, l’abus des absentiae a domo et les demandes de séculari-
sation des prêtres, surtout dans les cinq premières années après l’ordina-
tion.17 Le CG21, qui s’est déroulé de la fin du mois d’octobre 1977 jusqu’au
mois de février de l’année suivante, a poursuivi dans la direction prise
par le Chapitre général spécial, avec le désir de concrétiser certaines des
nombreuses lignes d’action. Parmi les aspects qui n’ont pas eu de mise en
route significative, certains sont très importants mais en même temps dif-
ficiles à mettre en œuvre, comme la révision des structures, la qualification
des confrères, la formation de collaborateurs laïques et la mise à jour du
16 CG23 (1990), no. 277.
17 Les raisons de l’abandon, indiquées tant par les sujets que par leurs inspecteurs,
sont diversifiées dans les régions de la Congrégation, mais en général près de la
moitié des abandons sont attribuables à des difficultés affectives et sexuelles et,
en second lieu, environ un quart des raisons tournent autour de l’immaturité per-
sonnelle, psychologique et caractérielle. Cf. l’analyse dans G. Dho (ed.), Capitolo
Generale XXI della Società Salesiana. La riduzione allo stato laicale dei sacerdoti
nella Congregazione Salesiana. Presentazione analitica del fatto e delle motivazi-
oni, [s.e.], Roma 1977, 40-44.

34.2 Page 332

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332 Pédagogie salésienne après Don Bosco
système préventif.18
Vers le milieu des travaux du Chapitre général 21 eut lieu l’élection
du septième successeur de Don Bosco et, au vu des besoins de la Congré-
gation, le choix s’est porté sur Egidio Viganò, l’ancien conseiller pour la
formation qui s’est imposé avec sa personnalité, caractérisée par Braido
comme une « figure polyédrique, une personnalité à l’intelligence lucide et
pénétrante, à la passion fortement disciplinée, un dirigeant clairvoyant et
un homme éclairé - et imaginatif ! - et ferme ».19 Le nouveau recteur ma-
jeur a souligné les particularités de son style de gouvernement dans l’une
de ses premières lettres : « Je voudrais avoir le style simple et pénétrant de
Don Bosco et l’immédiateté dans la communication que possédaient ses
autres successeurs, mais à défaut d’agrément et de simplicité, qu’il y ait au
moins sincérité et solidité ».20 Dans ses lettres, il dénonce la superficialité
spirituelle et propose une intériorité apostolique, fruit de la grâce d’unité.
Déjà dans le discours de clôture du CG21, il avait proposé le concept de
« cœur oratorien »,21 signe de la nouveauté de la présence salésienne, de
l’esprit d’initiative et l’inventivité pastorale.22 Grâce à sa capacité de gou-
vernement et de coordination, en phase avec l’évolution historique, sociale
et ecclésiale, la Congrégation a été plus sereine et plus unie dans la pensée
et dans l’action pendant les années de son rectorat que pendant les quinze
années précédentes.23
18 Cf. Ricceri, Capitolo Generale XXI. Relazione generale sullo stato della Congre-
gazione, nos. 38-42.
19 Braido, Le metamorfosi dell’Oratorio salesiano tra il secondo dopoguerra e il
Postconcilio Vaticano II (1944-1984), in «Ricerche Storiche Salesiane» 25 (2006)
49, 350.
20 Cf. E. Viganò, Marie renouvelle la Famille salésienne de don Bosco, in ACS 59
(1978) 289, 3.
21 Cf. CG21 (1978), nos. 565-568. Braido observe que le recteur majeur Egidio Viganò
a proposé « la formule “cœur oratorien” [..] jusqu’à la fin de sa vie presque comme
une synthèse de l’être et du travail du salesien: non seulement dans la structure
de l’Oratoire, mais aussi dans toutes les œuvres, dont l’Oratoire a été considéré
pendant de nombreuses années comme le modèle », in Braido, Le metamorfosi
dell’Oratorio salesiano, 348.
22 Cf. CG 21 (1978), nos. 156-159.
23 Cf. Wirth, Da don Bosco ai nostri giorni, 466.

34.3 Page 333

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 333
5.1.3.1. Approbation définitive des constitutions (1984) et systématisa-
tion de la formation (1981-85)
À la fin de l’année 1984, le Saint-Siège approuva le texte des constitu-
tions de la Congrégation, qui fut ensuite promulgué par le recteur majeur,
clôturant ainsi le long processus de reformulation du charisme dans la pé-
riode postconciliaire. Le travail du chapitre général 22 sur les constitutions
avait été préparé par des études et des consultations dans les provinces.24
Le texte, qui devait s’adapter au nouveau Code de droit canonique, a subi
plusieurs modifications et a finalement été structuré en quatre parties : la
première sur l’identité, le rôle et l’esprit de la Congrégation dans l’Église ;
une deuxième partie complexe qui intègre les trois éléments inséparables
de la vocation salésienne, à savoir la mission, la vie communautaire et la
consécration, et se termine par le chapitre sur la prière ; la troisième partie
est consacrée à la formation ; la dernière approfondit le service de l’auto-
rité. Dans son discours de clôture du Chapitre Don Viganò a exprimé la
satisfaction commune pour un parcours réussi et la valeur précieuse des
nouvelles constitutions :
Il s’agit d’un texte organique, profond, amélioré, imprégné de l’Évan-
gile, riche de l’authenticité de ses origines, ouvert à l’universalité et tourné
vers l’avenir, sobre et digne, plein de réalisme équilibré et d’assimilation
des principes conciliaires. C’est un texte repensé en communauté, en fidé-
lité à Don Bosco et en réponse aux défis de notre temps.25
Après la promulgation des Constitutions, la deuxième édition de la
Ratio Fundamentalis Institutionis et Studiorum a été élaborée, ce qui a
constitué un point d’arrivée supplémentaire de la refonte postconciliaire
de la Congrégation, harmonisée avec le CIC et les Constitutions.26 La
Ratio avait déjà été demandée par le CG21, qui souhaitait un document
complet comprenant également des orientations et des normes générales
sur la formation intellectuelle. Comme réponse immédiate, il y a eu la
24 Cf. Capitolo Generale 22, Sussidi. Contributi di studio su Costituzioni e Regola-
menti SDB, 2. voll., SDB, Roma 1982 e Capitolo Generale 22, Schemi precapito-
lari, 2. voll., SDB, Roma 1983.
25 Capitolo Generale 22, Documenti, SDB, Roma 1984, 139.
26 Cf. La formazione dei Salesiani di don Bosco. Principi e norme. Ratio Fundamen-
talis Institutionis et Studiorum, SDB, Roma 11981 e 21985.

34.4 Page 334

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334 Pédagogie salésienne après Don Bosco
première édition en 1981, qui a été bien accueillie comme un texte « mûr
et actuel, même s’il est perfectible »27 et, suite aux changements législa-
tifs après quatre ans, la deuxième édition a apporté des améliorations à
différents niveaux.28 Sa composition répond au besoin fondamental de se
former à l’identité vocationnelle salésienne décrite dans les Constitutions
et exprimée surtout dans l’harmonie entre mission, vie communautaire et
consécration. En plus des indications idéales concernant la formation, les
apports des sciences de l’éducation sont pris en compte aussi bien comme
objet d’étude, surtout au post-noviciat, que comme attention à la méthode.
La méthode de la formation, où se mêlent la directivité et la non-direc-
tivité est, selon le style salésien, un accompagnement animateur, « fruit de
la “raison” et de la “bonté aimante” du Système préventif. Le style de ce
Système est en effet tel que, dans un climat d’authenticité, de liberté et de
confiance mutuelle, il permet à chacun et à la communauté de réaliser le
projet de Don Bosco dans la recherche et l’échange des valeurs et des ser-
vices ».29 Le système préventif apparaît dans le document comme un projet
unitaire dans la vie de la personne, et il est lié à la mission salésienne et
aux besoins d’équilibre psychologique des éducateurs. Au niveau de l’ex-
périence et de l’étude, le système préventif doit être approfondi surtout au
noviciat, au post-noviciat et pendant le stage pratique.30
Dans la Ratio on peut voir une mentalité typique de cette période his-
torique : d’une part on affirme la nécessité au niveau du contenu d’une
formation organique avec un programme unitaire, mais au niveau de l’or-
ganisation on pense de manière sectorielle. Dans la description des sujets
qui, différents niveaux, interviennent dans la formation des jeunes salé-
siens, apparaissent en effet des différences marquées: les formateurs qui
vivent dans la communauté de formation et travaillent surtout avec les
instruments du colloque et de la direction spirituelle, les professeurs qui
travaillent de manière académique dans les différents centres d’études, et
les autorités provinciales. Celles-ci sont représentées par la commission
provinciale de la formation et le conseil provincial qui opèrent principa-
lement au niveau juridique et de direction. C’est le conseil provincial qui
27 La formazione dei Salesiani di don Bosco, 9.
28 Cf. CG 21 (1978), nos. 258-259.
29 Ibid, no. 135.
30 Cf. Ibid. nos. 27, 31, 62-66, 323, 332, 351.

34.5 Page 335

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 335
est décisif pour les vérifications et les admissions.31 La Ratio dans son
ensemble est un texte riche et articulé avec une multiplicité d’idées, de cri-
tères ou de principes de méthode qui ne sont pas toujours faciles à mettre
en œuvre dans un modèle concret et réel.
5.1.3.2. Le Projet Afrique et la dynamique du développement
En plus de la stabilisation au plan législatif et de la formation au ni-
veau mondial, il arriva qu’en 1975, année du centenaire des missions sa-
lésiennes, l’idée d’une plus grande présence salésienne sur le continent
africain commençait à prendre corps. Dans le même ordre d’idées, trois
ans plus tard, le Chapitre général donna la première orientation opération-
nelle dans le domaine du renouveau missionnaire, en demandant aux pro-
vinces de s’engager à augmenter de manière significative leur présence en
Afrique.32 Après le Chapitre, la commission chargée d’analyser les quelque
30 demandes de nouvelles fondations en provenance d’Afrique proposa de
les confier « nation par nation ou zone par zone aux différentes régions de
la Congrégation. [...] Une composition homogène (ethnique et linguistique)
des premières communautés serait utile pour démarrer le projet. Mais au-
cune frontière ne doit être un hortus conclusus ».33
Par la suite, la lettre d’Egidio Viganò sur « Notre engagement afri-
cain » de 1980 traça les lignes de l’engagement missionnaire et donna une
forme officielle au courageux Projet Afrique, en le présentant comme une
grâce de Dieu et un « fruit de cette jeunesse éternelle et de cette magna-
nimité audacieuse que Dieu communique d’âge en âge à son Église avec
l’ardeur de son amour créateur ».34 Le désir du recteur majeur de réveiller
l’esprit missionnaire s’inscrit dans la ligne de la pensée de Paul VI, qui de-
mandait : « L’asphyxie spirituelle dans laquelle se débattent malheureuse-
ment aujourd’hui tant de personnes et d’institutions de l’Église catholique
n’a-t-elle pas son origine dans l’absence prolongée d’un authentique esprit
31 Cf. Ibid. ch. 4 (nos. 141-163); ch. 5 et 6 (nos. 240-285); ch. 7 (nos. 295-306).
32 Cf. CG 21 (1978), no. 147.
33 Cf. G. González, Storia del Progetto-Africa. L’origine e i primi passi, in Progetto
Africa 1980-2005, SDB, Rome 2006, 27.
34 E. Viganò, Il nostro impegno africano, in ACS 61 (1980) 297, 25.

34.6 Page 336

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336 Pédagogie salésienne après Don Bosco
missionnaire ? ».35
La fondation de nouvelles présences en Afrique a été particulièrement
notable au cours des trois premières années 1980, aboutissant à l’inaugura-
tion d’œuvres dans vingt-six pays, organisées dans une province d’Afrique
centrale et dans six délégations à nouveau subdivisées par province d’ori-
gine.36 Après l’époque des premières fondations, on choisit la stratégie de
la consolidation des œuvres et de la formation en vue de l’accompagne-
ment des vocations autochtones. Après vingt-cinq ans de projet africain, en
2004, on comptait déjà 671 confrères africains, Environ un quart provenait
du Congo et un dixième de l’Éthiopie, suivis du Kenya, de Madagascar et
du Nigeria avec des nombres compris entre 45 et 30 confrères autochtones.
L’action éducative sur le jeune continent repose sur une variété d’œuvres :
environ deux cents écoles, allant de l’enseignement primaire à trois centres
universitaires, cent vingt oratoires et une centaine de paroisses.37
Après un quart de siècle du projet Afrique, le recteur majeur Pascual
Chávez Villanueva reconnaissait qu’« il a fallu un regard clairvoyant et une
voix prophétique, comme celle d’Egidio Viganò, pour réaliser le rêve de
Don Bosco et faire de l’Afrique un choix de la Congrégation traduit en un
Projet ».38 Considérant la forte présence salésienne établie en Amérique un
siècle plus tôt et la croissance fructueuse du charisme en Asie cinquante
ans plus tôt, Viganò proposait de diffuser la vocation salésienne avec hu-
milité et fidélité, afin qu’elle devienne aussi fortement et authentiquement
africaine ».39
5.1.3.3. Le personnel dans les œuvres : les chiffres et la rhétorique
L’analyse des statistiques du personnel et des œuvres de la Congré-
gation montre que, dans le dernier quart du XXe siècle, la diminution du
35 Paul VI, Message pour la Journée Missionnaire 1972, in Ibid, 24.
36 Cf. La Società di San Francesco di Sales nel sessennio 1978-1983. Relazione del
Rettor Maggiore Egidio Viganò, SDB, Roma 1983, 15 e González, Storia del Pro-
getto-Africa, 32-33..
37 Cf. González, Storia del Progetto-Africa, 46-47.
38 P. Chávez Villanueva, Il nostro impegno africano, in Progetto Africa 1980-2005,
SDB, Roma 2006, 9.
39 Viganò, Il nostro impegno africano, 16.

34.7 Page 337

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 337
personnel salésien s’est arrêtée et que le nombre de confrères dans les pro-
vinces est resté plus ou moins stable, même si la Congrégation dans son
ensemble vieillissait déjà.40 Alors qu’en 1978, il y avait une diminution
globale du nombre de salésiens de 11% par rapport à l’époque du Chapitre
Général Spécial, à l’exception des quatre provinces de l’Inde qui ont mon-
tré une croissance moyenne de 14%, pendant les douze années entre 1978
et 1990, le nombre de confrères est resté stable autour de 17 500.41 L’Inde
a été rejointe en 1990 par d’autres pays à la population croissante comme
la Pologne, l’Afrique dans son ensemble et certaines provinces d’Amérique
latine (Mexique, Chili et Colombie). Au cours des deux sexennats suivants,
cependant, le vieillissement a commencé à se faire sentir, avec une légère
baisse du nombre global de confrères.
Vers le début du millénaire, on constate une diminution du nombre
de confrères dans les maisons. Certaines provinces d’Amérique latine
(par exemple, le Brésil, le Mexique, l’Argentine et l’Équateur) avaient une
moyenne de 6 confrères par maison. Il y a également quelques provinces
qui présentaient une certaine constance numérique dans la composition
des communautés, par rapport à la période précédente, comme l’Italie, la
Pologne, l’Allemagne et le Congo, avec une moyenne de 12 salésiens par
maison. Exceptionnellement, certaines provinces comme le Vietnam et la
Slovaquie comptaient plus de 12 confrères par maison.
Une nouvelle tendance dans la Congrégation semblait être la croissance
des provinces en Inde et en Afrique qui investissaient dans l’ouverture de
nouvelles maisons avec un faible nombre moyen de confrères par mai-
son, seulement légèrement plus élevé que les provinces mentionnées en
Amérique latine.42 Un indicateur intéressant est l’évolution du nombre de
40 Le vieillissement a été particulièrement ressenti en Europe. Cf. C. Semeraro (ed.),
Invecchiamento e vita salesiana in Europa. Dati - prospettive - soluzioni, LDC,
Leumann (TO) 1990.
41 Cf. L. Ricceri, Relazione Generale sullo stato della Congregazione. Capitolo Gen-
erale 21° della Società Salesiana, SDB, Roma 1977, 217-274; La Società di San
Francesco di Sales, Dati statistici. Capitolo Generale 23°. Allegato alla Relazione
del Rettor Maggiore, SDB, Roma 1990, 19-40.
42 Cf. La Società di San Francesco di Sales, Dati statistici. Capitolo Generale 25°.
Allegato alla Relazione del Rettor Maggiore, SDB, Roma 2002, 40-42. Le nombre
de confrères par maison est la proportion du nombre total de salésiens divisé par
maisons érigées.

34.8 Page 338

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338 Pédagogie salésienne après Don Bosco
confrères ayant un engagement fixe (à temps plein et à temps partiel) dans
les différents types d’œuvres :43
type d’oeuvre
oratoire/centre
de jeunes
écoles
(primaires,
secondaires)
formation
professionnelle
internats
1977
2,9 sdb ; laïcs dans
74% des orat.
n.d.
n.d.
n.d.
paroisse
œuvres
sociales
3.9 sdb ;
laïcs à 40% par.
n.d.
1990
2,6 sdb
13 laïcs
5.5 sdb
38 la laïcs
4,7 sdb
16 laïcs
3,6 sdb
4 laïcs
3,9 sdb
35 laïcs
1,6 sdb
6 laïcs
2001
2.1 sdb
17 la laïcs
3,7 sdb
49 laïcs
2,6 sdb
21 laïcs
2,4 sdb
3 laïcs
3.5 sdb
59 laïcs
1.5 sdb
12 laïcs
Le nombre de salésiens travaillant à plein temps dans les paroisses est
plus élevé que celui des salésiens travaillant dans les oratoires, en comptant
également les collaborations partielles et celles des clercs. En 1977, plus de
40% des paroisses se trouvaient dans des petites villes et se caractérisaient
par une pastorale sacramentelle et populaire.44 La tendance, déjà indiquée
par le CGS, d’une augmentation des activités paroissiales s’est poursuivie
: en effet, jusqu’en 2001, il n’y a eu qu’une légère diminution du personnel
salésien en paroisse. Il semble que les exhortations du CG19 sur la valori-
sation et la mise à jour de l’oratoire salésien n’aient pas été suffisamment
traduites dans la réalité : il a été plus facile d’accepter les paroisses, dont la
gestion pastorale et économique était plus standardisée et nécessitait moins
d’investissements créatifs.45
43 Cf. S. Sarti (ed.), Dati statistici sulle opere della Congregazione. Capitolo Generale XXI
della Società Salesiana, SDB, Roma 1977; La Società di San Francesco di Sales, Dati
statistici. Capitolo Generale 23° e Id., Dati statistici. Capitolo Generale 25°.
44 Cf. Sarti (ed.), Dati statistici sulle opere della Congregazione. Capitolo Generale
XXI, 55, 73-77.
45 Cf. la dynamique similaire de « normalisation plus facile » qui s’est développée

34.9 Page 339

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 339
Dans les statistiques citées ci-dessus, on constate en revanche une di-
minution constante du nombre de salésiens travaillant dans les écoles, une
tendance qui avait déjà été constatée en 1977 :46 de 5 800 salésiens à plein
temps dans les écoles à l’époque du CGS, le nombre est descendu à 4 300
en 1990, et à la fin du XXe siècle, le nombre était tombé à 3.372. Bien qu’en
diminution, l’école restait cependant l’œuvre qui mobilisait le plus grand
nombre de salésiens. D’autre part, l’augmentation du nombre de laïcs enga-
gés dans les écoles salésiennes est notable : en 2001, ils étaient 47 000, un
chiffre qui implique un sérieux besoin d’investissement dans leur forma-
tion professionnelle et salésienne.
Le nombre de laïcs engagés dans les écoles se vérifiait surtout dans la
région Amérique-Cône Sud, avec 330 salésiens et 15 000 laïcs travaillant
dans environ 200 écoles, avec une présence moyenne de plus ou moins
un salésien et 75 laïcs par école. Le nombre le plus faible de laïcs dans les
écoles apparaissait dans la région Italie-Moyen-Orient, avec une présence
moyenne de 5 salésiens et 5 laïcs par école.47 Il est intéressant de noter que
les formulations concernant la collaboration avec les laïcs dans les deux ré-
gions ne semblent pas refléter la situation, mais sont plutôt le signe de dif-
férences de culture et de mentalité dans le fonctionnement. Dans la Région
Amérique-Cône Sud, il est simplement indiqué que « toutes les provinces
ont élaboré le projet Laïcs avec leur participation ; dans les écoles, le sys-
tème préventif a été davantage étudié et mis en pratique »48 et on a signalé
les différents projets de formation réalisés et les difficultés rencontrées.
Dans la même section, à l’intérieur du Rapport sur l’état de la Congré-
gation, la situation pour la région Italie-Moyen-Orient est décrite de ma-
nière beaucoup plus longue et dans une rhétorique plus élaborée sur la
nécessité d’une ecclésiologie de communion, utilisant des formulations
abondantes, exhortatives et vagues, mais sans mentionner les projets mis
entre l’internat et l’oratoire dans la période de la collégialisation décrite au premier
chapitre.
46 Cf. Sarti (ed.), Dati statistici sulle opere della Congregazione. Capitolo Generale
XXI, 146.
47 Cf. La Società di San Francesco di Sales, Dati statistici. Capitolo Generale 25°,
58-65.
48 La Società di San Francesco di Sales nel sessennio 1996-2002. Relazione del Vicar-
io del Rettor Maggiore don Luc Van Looy, SDB, Roma 2002, 41.

34.10 Page 340

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340 Pédagogie salésienne après Don Bosco
en œuvre.49 Outre la diversité des régions, on constate par là les effets de la
décentralisation au niveau des mentalités dans le domaine de la communi-
cation et de l’action, un phénomène qui semblera se développer également
dans la période suivante.
La collaboration avec les laïcs comprend également la consolidation
de la Famille salésienne dans la logique d’un « vaste mouvement de per-
sonnes ». Les années 1980 ont été une période de renouvellement des do-
cuments législatifs et de la reconnaissance officielle de l’appartenance à
la Famille salésienne.50 À partir des célébrations du Centenaire en 1988,
l’idée d’un mouvement autour du charisme commun a commencé à émer-
ger. Egidio Viganò a exprimé cette idée en 1995 en définissant dans la
Charte de communion de la Famille salésienne de Don Bosco les éléments
fondamentaux qui construisent l’unité dans l’esprit de Don Bosco. On a
voulu partir de l’âme de la Famille, car le sentiment d’appartenance à celle-
ci, plus que de règles extérieures, se nourrit de la vitalité de l’esprit com-
mun.51 La logique du mouvement et de la mentalité « ouverte » autour de
l’esprit salésien se retrouve également dans la pastorale des jeunes avec la
reconnaissance, à partir du Confronto 1988, du mouvement salésien des
jeunes, formé implicitement et explicitement par des groupes qui, « tout
en conservant leur autonomie organisationnelle, se reconnaissent dans la
spiritualité et la pédagogie salésiennes ».52
Cette période voit également la naissance d’établissements d’enseigne-
ment supérieur (dont le nombre reste modeste) et l’essor et la multiplica-
tion des œuvres sociales, notamment pour les jeunes en difficulté ou « à
risque » et pour les migrants, tandis que l’engagement dans le secteur de la
santé (léproseries et dispensaires médicaux) diminue. Les œuvres sociales,
malgré leur nombre inférieur, ont attiré l’attention des chercheurs (en raison
de leur nouveauté)53 et du public (en raison de leur potentiel publicitaire). Il
49 Cf. Ibid. 114-118.
50 Cf. Wirth, Da Don Boscoai nostri giorni, 473-478.
51 Cf. Dicastero per la Famiglia Salesiana SDB, La carta di comunione nella Fami-
glia Salesiana di Don Bosco, [s.e.], Roma 1995.
52 CG23 (1990), no. 275.
53 Voir, par exemple, G. Milanesi, L’utilizzo delle scienze dell’educazione nell’impeg-
no dei salesiani per i giovani “poveri, abbandonati, pericolanti”, in J.E. Vecchi
- J.M. Prellezo (eds.), Prassi educativa pastorale e scienze dell’educazione, SDB,

35 Pages 341-350

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35.1 Page 341

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 341
suffit de voir comment les écoles, secteur typique de l’activité salésienne,
ne se voient réserver que quelques paragraphes dans les rapports sur l’état
de la Congrégation dans la période étudiée. La perception générale a été
exprimée très clairement par Don Viganò en 1990 :
Si l’on se place au niveau mondial, on peut dire que l’”espace jeu-
nesse” a fait l’objet d’encouragements généraux, mais pas de pous-
sées structurelles innovantes, décisives et opérationnelles, avec l’e
concours de personnes, de moyens et de directives obligatoires.
Chaque province a peut-être pensé qu’elle est déjà dédiée aux jeunes
et qu’il suffit de “s’améliorer”. Le dévouement aux jeunes est consi-
déré comme acquis et suffisant. La pastorale est considérée comme
un objet d’”animation” mais pas d’action à gouverner, pas même
en ce qui concerne les éléments qui peuvent garantir les objectifs
constitutionnels.54
5.1.4. De la pédagogie aux sciences de l’éducation avec une interdis-
ciplinarité (im)possible
À partir de la fin des années 1960, avec l’apparition des premières fa-
cultés de sciences de l’éducation en France et en Belgique, apparaît un
nouveau cadre de référence qui a étendu son droit de cité dans le domaine
éducatif à une pluralité de disciplines (psychologie, sociologie, biologie,
hygiène, anthropologie, méthodologie générale, statistiques, etc.), toutes
capables d’accompagner ou de concurrencer la pédagogie philosophique
traditionnelle.55 Comme nous l’avons déjà mentionné dans les chapitres
précédents, l’Institut Supérieur de Pédagogie de Rebaudengo, dans son
premier cadre préconciliaire, gérait les questions épistémologiques en
donnant la priorité à l’aspect pédagogique-philosophique, ce qui créait,
avec les distinctions qui s’imposent, un cadre dans lequel se positionnaient
les « autres » sciences, de la biologie à la psychométrie. Le cadre s’est
Roma 1988, 87-120.
54 La Società di San Francesco di Sales nel sessennio 1984-1990. Relazione del Rettor
Maggiore don Egidio Viganò, SDB, Roma 1990, no. 180.
55 Cf. G. Chiosso, Novecento pedagogico, La Scuola, Brescia 1997, 281.

35.2 Page 342

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342 Pédagogie salésienne après Don Bosco
compliqué avec la disparition de la prédominance de la philosophia pe-
rennis et la nouvelle approche des pédagogies critiques des années 1960
et 1970, qui ont d’abord affirmé l’autonomie des sciences humaines, puis
réclamé le principe de l’interdisciplinarité.
Parler des sciences de l’éducation dans les années 1980 est donc diffé-
rent des années 1950, qui avaient vu la naissance de l’approche de Braido et
de la série Educare. Giorgio Chiosso mentionne un phénomène non désiré
de la part des pédagogues de la nature interdisciplinaire des sciences de
l’éducation : la simplification progressive mais substantielle des processus
éducatifs à l’intérieur de l’horizon dominé par la psychologie, la sociologie
et la méthodologie56 Même dans la sphère salésienne, l’approche épisté-
mologique des sciences de l’éducation, ainsi que la dynamique organisa-
tionnelle postconciliaire qui a accentué l’autonomie et la décentralisation,
semblent avoir favorisé le cloisonnement des connaissances pédagogiques.
Une fois dépassés le spiritualisme discipliné de Ricaldone et les pédago-
gies de la crise de l’immédiat après-Concile, il semble que trois tendances
décrites par Chiosso soient présentes dans les théorisations et les applica-
tions salésiennes : la perspective empirique-opérationnelle, l’attention à la
subjectivité personnelle et l’importance du dialogue entre les personnes et
les cultures.57 En outre, sous l’impulsion de Pietro Braido, s’est développée
une forte réflexion historico-critique sur l’éducation salésienne, née autour
de la révision postconciliaire du charisme, mais qui ne constituait alors
qu’un des champs de la recherche promue institutionnellement par l’Insti-
tut d’histoire salésienne.
Le premier courant envisageait l’avenir de la pédagogie comme une
science empirique, avec un cadre inductif-expérimental au service de l’ap-
prentissage, de l’organisation scolaire et de la formation des enseignants.
Dans la section suivante, nous verrons le développement de ce modèle pé-
dagogique autour du thème du projet éducatif, au sens des théories curri-
culaires anglo-saxonnes.
La deuxième orientation dans la direction de la subjectivité person-
nelle s’est exprimée dans différents domaines et avec des sensibilités dif-
férentes, en fonction d’un principe théorique commun : l’importance de
la « personne ». D’une part, il y a les élaborations philosophiques dans le
56 Cf. Ibid.
57 Cf. Ibid. p. 283-284.

35.3 Page 343

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 343
domaine catholique qui se réfèrent à Maritain, Mounier, Pieper et autres
personnalistes. D’autre part, l’accent est mis sur le concept de personnalité
dans le courant des psychologues humanistes américains tels que Allport,
Maslow, Carkhuff et Rogers. Dans certaines réflexions, l’importance de
la personne est liée à certains principes de la pédagogie critique anti-ins-
titutionnelle, exaltant l’importance de l’expressivité, de l’authenticité et de
l’autonomie de la personne contre les logiques autoritaires démodées ou
l’aliénation capitaliste-consumériste.
Le dialogue interpersonnel et interculturel était le dénominateur com-
mun du troisième courant de pensée pédagogique. La conscience humaine
n’est considérée comme telle que dans l’ouverture à l’autre, dans l’échange,
qui offre la possibilité de découvrir la dimension universelle de l’expé-
rience humaine. Une vision positive du multiculturalisme, associée à une
accentuation de la logique des droits de l’homme, envisageait le dépasse-
ment des divisions, des malentendus et des préjugés dans une société de
plus en plus diversifiée dans ses modèles ethniques et culturels. Dans le
contexte salésien, ce courant s’est souvent traduit par le terme d’incultura-
tion du charisme lié à la logique de la décentralisation et à la dynamique
de la croissance démographique de la Congrégation dans les régions non
occidentales.
Le paradigme des sciences de l’éducation trouva évidemment des ré-
sonances, des consensus et des développements dans les réflexions de la
faculté du même nom à l’UPS, mais il faut noter que sa concrétisation au
niveau de l’université elle-même s’est faite selon la logique organisation-
nelle du département, chère à Don Egidio Viganò. Dans la présentation du
document du CG21 à l’UPS en mai 1978, le recteur majeur s’est appuyé
sur la décision du Chapitre : « Que le principe d’interdisciplinarité dans
le cadre d’un Département soit également effectif au niveau structurel, et
donc dans les statuts. Alors que les Facultés resteront des organismes aca-
démiques de planification et d’administration, la gestion du département
garantira l’unité de la formation ».58 Comme à son habitude, Viganò ne
s’est pas contenté d’exhorter, mais un an plus tard, il a donné au recteur
des instructions pour la création d’une « structure inter-facultés pour as-
surer la direction unifiée et organique de la pastorale des jeunes et de la
58 CG21, no. 360 in R. Giannatelli (ed.), Don Egidio Viganò all’Università Salesiana,
UPS, Roma 1996, 59.

35.4 Page 344

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344 Pédagogie salésienne après Don Bosco
catéchèse”. Il convient de veiller à ce que cette structure représente le point
de convergence du plus haut niveau de la collaboration entre les deux fa-
cultés de théologie et des sciences de l’éducation ».59 Réitérer l’importance
de la structure départementale a été une constante dans ses discours à
l’UPS, avec une insistance qui révèle aussi les difficultés concrètes à faire
fonctionner à la fois la structure interdisciplinaire et le Département.60
5.1.5. Projet pédagogique et théories qui le sous-tendent
Don Juan Edmundo Vecchi, l’auteur le plus influent au niveau de la
planification dans le domaine salésien, se réfère explicitement aux sciences
de l’éducation dans le premier paragraphe du module sur le projet éduca-
tif-pastoral de la publication encyclopédique Projet éducatif pastoral : élé-
ments modulaires : « Les termes projet et planification ne sont entrés dans
le langage pédagogique que relativement récemment. [...] Cela semble être
dû, plus qu’à des raisons particulières, à un développement global dans le
domaine des sciences de l’éducation, dans lequel la connexion organique
des besoins du processus complexe de croissance de la personnalité dans
la phase évolutive est apparue avec plus de clarté. L’impulsion décisive
est venue de la didactique, qui a introduit le concept de « curriculum ».61
Suit la définition du terme curriculum donnée par le pédagogue Lawrence
Stenhouse : le curriculum est « une tentative de communiquer les principes
et les caractéristiques essentielles d’une proposition éducative de manière
à rester ouvert à toute révision critique et susceptible d’être converti effica-
cement en pratique ».62
Michel Pellerey a écrit que la planification de l’éducation dans les
59 Giannatelli (ed.), Don Egidio Viganò all’Università Salesiana, 77.
60 Cf. Ibid. 104, 129 134-135, 145-146 et 187-188.
61 J.E. Vecchi, Progetto educativo pastorale, in J.E. Vecchi – J.M. Prellezo (eds.),
Progetto educativo pastorale. Elementi modulari, LAS, Roma 1984, 15. Voir aussi
J.E. Vecchi, Per riattualizzare il Sistema Preventivo, Ispettoria Salesiana Lom-
bardo-Emiliana, Convegno sul Sistema Preventivo, Milano-Bologna 3-4 novembre
1978, 4.
62 L. Stenhouse, Dal programma al curricolo. Politica, burocrazia e professionalità,
in Vecchi, Progetto educativo pastorale, in Vecchi – Prellezo (eds.), Progetto ed-
ucativo pastorale. Elementi modulari, 15.

35.5 Page 345

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 345
années 1960 et 1970 cherchait à « surmonter à la fois le marasme du bu-
reaucratisme et l’inconstance et les vœux pieux de la spontanéité. Et voilà
l’invasion des théories curriculaires et l’accrochage aux indications de la
technologie éducative ».63 Mais les racines du mouvement de conception
des curriculums remontent à Ralph W. Tyler et à son ouvrage fondamental
de 1949, Basic Principles of Curriculum and Instruction.64 Tyler et ses
élèves Benjamin Bloom, Robert F. Mager et Hilda Taba65 ont cherché à
réaffirmer l’importance du processus éducatif et pédagogique contre l’em-
piètement de la psychométrie. Les théories de la programmation qui ont été
développées par la suite peuvent être divisées en trois courants selon que le
programme est considéré à travers le paradigme du produit, du processus
ou de la recherche.
Le premier courant en pédagogie se concentre sur la construction du
curriculum considéré comme le produit de la programmation, qui donne
des applications et des moyens à mettre en œuvre dans l’éducation. Malgré
l’intention d’éviter l’influence de la psychométrie skinnerienne béhavio-
riste, on y sent l’influence d’un autre courant « technocratique », la ges-
tion par objectifs de Peter Drucker, notamment lors de la « décennie de
l’éducation » aux États-Unis (1957-1968).66 La programmation par objectifs
analyse la situation éducative, propose des objectifs à atteindre et planifie
ensuite les interventions et les activités en vue d’atteindre l’objectif. Les
élèves de Tyler et leurs nombreux disciples ont eu du succès et quelques
années plus tard, la théorie du curriculum s’est répandue en Europe. Dans
le domaine de la planification salésienne, outre lcs auteurs américains, les
63 Pellerey, Progettazione didattica, SEI, Torino 1979, 10.
64 R.W. Tyler, Basic Principles of Curriculum and Instruction, The University of
Chicago Press, Chicago 1949.
65 Cf. B.S. Bloom (ed.), Taxonomy of Educational Objectives: The Classification of
Educational Goals, Handbook 1: Cognitive domain, David McKay, New York 1956
et D.R. Krathwohl - B.S. Bloom - B.B. Masia, Taxonomy of Educational Objec-
tives: The Classification of Educational Goals. Handbook 2: Affective domain,
David McKay, New York 1964; R.F. Mager, Preparing Instructional Objectives,
Fearon, Palo Alto CA 1962; H. Taba, Curriculum development: theory and prac-
tice, Burlingham: Harcourt, Brace & World, New York 1962.
66 Cf. l’analyse plus approfondie dans M. Vojtáš, Progettare e discernere: Progettazi-
one educativo-pastorale salesiana tra storia, teorie e proposte innovative, LAS,
Roma 2015, 116-128.

35.6 Page 346

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346 Pédagogie salésienne après Don Bosco
auteurs belges Erik de Corte, Gilbert de Landsheere et le britannique Law-
rence Stenhouse, déjà mentionné, ont eu une bonne influence avec leurs
publications dans la seconde moitié des années 1970.67
Le paradigme du curriculum comme processus doit être considéré
comme le deuxième courant des théories du curriculum, qui va au-delà de
la logique linéaire « situation-objectifs-action ». Le pédagogue britannique
Richard S. Peters énonce sa logique du processus en valorisant les modèles
d’excellence présents dans les activités qui « peuvent être valorisées da-
vantage pour ces modèles immanents que pour les résultats auxquels elles
conduisent ».68 L’Américain James D. Raths propose une liste intéressante
de critères permettant d’identifier les activités éducatives qui ont une va-
leur intrinsèque en soi, indépendamment de leur contenu ou de leurs ob-
jectifs, déplaçant ainsi l’attention de tout le processus éducatif qui passe de
l’enseignement à l’apprentissage.69
Comme représentant d’un troisième courant, qui considère le curricu-
lum comme un processus de recherche, il faut citer Lawrence Stenhouse,
qui essaie de dépasser les formes rigides et absolutistes du curriculum-pro-
duit, comprenant une foule d’objectifs, de sous-objectifs, d’activités et de
normes obligatoires, et qui essaie en même temps d’échapper aux théorisa-
tions vagues et peu applicables des modèles de processus.70 L’auteur britan-
nique conçoit le curriculum comme l’interaction entre l’enseignant et les
élèves et le comprend comme un processus de recherche et de vérification
des hypothèses éducatives. La différence avec le paradigme du produit dé-
crit technologiquement devient claire. La décentralisation met davantage
l’accent sur l’enseignant en tant que responsable des programmes dans le
respect de la tradition britannique d’autonomie des écoles et des ensei-
gnants. Le curriculum est davantage un outil de résolution de problèmes
concernant une classe ou une école, réalisé par les parties prenantes, et
67 G. et V. De Landsheere, Definire gli obiettivi dell’educazione, La Nuova Italia,
Firenze 1977; L. Stenhouse, Dal programma al curricolo, 1977; E. De Corte et al,
Les fondements de l’action didactique, De Boeck, Bruxelles 1979.
68 R.S. Peters, Ethics and Education, George Allen and Unwin, London 1966, 155.
69 Cf. J.D. Raths, Teaching without specific objectives, in «Educational Leadership»
28 (1971) 714-720.
70 Pour une critique des trois courants de théories curriculaires, voir Vojtáš, Proget-
tare e discernere, 126-137.

35.7 Page 347

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 347
non une conceptualisation méthodologique-technologique de la vision
pédagogique ou idéologique privilégiée.71 En ce sens, Stenhouse se rap-
proche, bien que de manière non explicite, des positions de Kurt Lewin
en matière de recherche-action.72 Juan Vecchi s’inspire explicitement des
idées de Stenhouse et dans sa proposition, il adopte les positions équili-
brées entre les deux paradigmes du produit et du processus, mais il hérite
également de certaines des difficultés du modèle de Stenhouse qui place
trop d’attentes sur l’éducateur, qui devrait être à la fois chercheur, concep-
teur, enseignant, exécutant, facilitateur et vérificateur. Il est certain que la
préparation, l’expérience et la personnalité de Vecchi étaient en mesure de
répondre aux besoins de la programmation, mais on ne peut pas en dire au-
tant des « programmateurs » au niveau des provinces, plus influencés par
l’enthousiasme technocratique de la gestion par objectifs que par le modèle
d’accompagnement patient des processus de recherche.
5.2. Les lignes pédagogiques du magistère salésien
Outre le travail sur les constitutions, qui ont été révisées et reconfir-
mées comme valides ad experimentum jusqu’en 1984, les travaux du CG21
se sont surtout concentrés sur le thème de l’éducation-pastorale salésienne.
Le document Salésiens évangélisateurs des jeunes du CG21 peut être
considéré comme une sorte de traité postconciliaire sur l’éducation et la
pastorale salésiennes. En effet, les thèmes abordés par ce chapitre étaient
d’une part la continuation de ce que les conseillers pour la pastorale des
jeunes, Don Giovenale Dho et Don Gaetano Scrivo, avaient commencé à
développer, et d’autre part ils allaient devenir les thèmes prioritaires des
chapitres des trente années suivantes, à savoir : le rapport étroit entre édu-
cation et évangélisation,73 la communauté salésienne comprise comme
71 Cf. Elliott, Education in the Shadow, dans Rudduck, An Education that Empow-
ers, 1995, 54-56 et Pellerey, Progettazione didattica, 21994, 27-29.
72 Cf. Kemmis, Some Ambiguities in Stenhouse, dans Rudduck, An Education that Em-
powers, 77.
73 Cf. le thème et le contenu du CG23 (1990): Éduquer les jeunes à la foi.

35.8 Page 348

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348 Pédagogie salésienne après Don Bosco
le noyau animateur74 de la communauté éducative-pastorale (CEP)75 et le
thème du critère ou du « cœur oratorien », développé en particulier par
Viganò en termes de prédilection à l’égard des jeunes, selon la devise da
mihi animas, cetera tolle.76
5.2.1. Les conceptions du projet éducatif-pastoral au CG21 (1978)
Le Chapitre, sentant le risque de désaffection éducative due à la crise
de l’école salésienne et constatant que la pastorale était souvent peu inci-
sive,77 a voulu confirmer le lien étroit entre éducation et évangélisation, en
se référant à Don Bosco, à la tradition salésienne, à l’exhortation Evangelii
Nuntiandi de 1975 et au Synode sur la catéchèse de 1977. On affirma qu’il
y a un lien fort entre les deux dimensions sur le plan pratique de l’engage-
ment pour le salut de toute la personne du jeune :
Participant à l’activité évangélisatrice de l’Église, nous croyons au
charisme de Don Bosco et, par conséquent, à la manière originale
salésienne d’évangéliser les jeunes. Notre manière salésienne origi-
nale pour rendre l’évangélisation réelle est le projet éducatif salésien,
le “système préventif ”, révisé et actualisé.78
La remise à jour de l’éducation salésienne se concentre dans la partie
des actes du CG21 qui constitue le projet éducatif-pastoral salésien (PEPS)
74 Cf. le thème et le contenu du CG25 (2002): La communauté salésienne aujourd’hui.
75 Cf. CG21 (1978), nos. 63-79 qui parle de la communauté salésienne comme anima-
trice de la CEP. Cf. également le thème et le contenu du CG24 (1996): Salésiens et
laïcs: communion et partage dans l’esprit et la mission de Don Bosco.
76 Cf. E. Viganò, La Famiglia Salesiana, in ACS 63 (1982) 304, 11-12; Id., Don Bosco
santo, in ACS 64 (1983) 310, 10 qui trouvent une résonance dans les contenus et
dans le thème du CG26 (2008): Passione apostolica del Da mihi animas, cetera
tolle.
77 J. Vecchi, Pastorale, educazione, pedagogia nella prassi salesiana, in J. Vecchi -
J.M. Prellezo (eds.), Prassi educativa pastorale e scienze dell’educazione, SDB,
Roma 1988, 128-129 et S. Frigato, Educazione ed evangelizzazione, in A. Bozzolo
- R.M. Carelli (eds.), Evangelizzazione e educazione, LAS, Roma 2011, 77.
78 GC 21 (1978), no. 14. Voir également les numéros 4, 81 et 569.

35.9 Page 349

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 349
que nous pensons opportun de lire selon deux logiques complémentaires :
le paradigme linéaire, analytique et opératif des contenus (la situation, les
objectifs et les moyens) et l’approche systémique, synthétique et proces-
suelle sur le style éducatif et pastoral (les attitudes des éducateurs et les
caractéristiques du milieu). Cette distinction n’est pas arbitraire, car les
deux approches ont connu des fortunes et des développements différents
au cours des années qui ont suivi le Chapitre.
5.2.1.1. Projet linéaire : situation, objectifs, moyens
Les conditions dans lesquelles évolue la proposition du CG21 sont dé-
crites dans quatre paragraphes, qui traitent des aspects positifs de la pra-
tique éducative-pastorale, des aspects déficients, des principales causes des
lacunes énumérées, et enfin du cadre de référence proposé en vue d’une
évaluation de la réalité actuelle.79 Nous ne nous attarderons pas sur les
contenus spécifiques de la situation, puisque, étant liés au sexennat 1972-
78, ils ont déjà été mentionnés précédemment. Ce qu’il est intéressant de
noter, en raison des influences ultérieures sur la méthodologie de la pro-
grammation, c’est la façon de procéder du Chapitre : après la description
analytique de la situation, il donne une interprétation éducative-pastorale
de la situation, évalue les causes et propose une comparaison avec les réfé-
rences idéales du magistère salésien. L’attention portée au « voir » et à l’in-
terprétation de la réalité sera présente dans le processus de programmation
proposé ultérieurement par Juan Vecchi.80
Dans la formulation des objectifs en éducation, le Chapitre utilise une
logique qui découle de différents plans de croissance, établis de manière
assez hétérogène. Le premier, brièvement décrit avec une liste d’objectifs,
après avoir affirmé l’unité du projet orienté vers le Christ, suit la descrip-
tion des objectifs du plan « religieux chrétien » sous forme discursive.
Afin de renforcer l’importance du plan « vocationnel », celui-ci est traité
dans une partie spéciale visant un fonctionnement beaucoup plus détaillé
que les autres plans de croissance. Il est très probable que la logique de la
79 Cf. CG 21 (1978), no. 87.
80 Cf. Dicastero per la Pastorale Giovanile, Progetto Educativo Pastorale. Metod-
ologia, Sussidio 1, [s.e.], Roma 1978 et Id., Elementi e linee per un Progetto Educa-
tivo Pastorale Salesiano, Sussidio 2, [s.e.], Roma 1979.

35.10 Page 350

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350 Pédagogie salésienne après Don Bosco
division en différents plans de croissance a été déterminante pour le choix
ultérieur de diviser le PEPS en quatre dimensions. La liste récapitulative
des objectifs, qui est donnée ci-dessous, est faite de manière concise et
claire, afin de pouvoir comparer les subdivisions et les contenus.
– Au niveau de la croissance personnelle du jeune, sont mentionnés
les objectifs suivants : une maturation progressive vers la liberté,
qui implique la perception des valeurs et l’assomption de ses propres
responsabilités ; une relation sereine et positive avec les personnes
et les choses ; une attitude dynamique-critique face aux événements
afin de pouvoir prendre des décisions personnelles cohérentes ; une
maturation sexuelle pour comprendre la dynamique de la croissance,
du don et de la rencontre ; enfin, un projet d’avenir personnel en vue
d’un choix vocationnel précis.81
– Sur le plan de la croissance sociale, l’accent est mis sur : une attitude
pro-sociale de disponibilité, de solidarité, de dialogue, de partici-
pation et de coresponsabilité ; l’inclusion dans la communauté et
l’engagement en faveur de la justice et la construction d’une société
plus juste et plus humaine.82
– Sur le plan religieux, l’action salésienne vise la croissance dans le
Christ et dans l’Église pour acquérir : une foi consciente et active
; un réveil de l’espérance et de l’optimisme ; une vie de grâce et de
charité ; une découverte de l’Église comme signe efficace de com-
munion et de service dans un lien d’unité avec le Pape.83
– Au niveau de la croissance vocationnelle, seuls deux objectifs sont
fixés : la découverte de l’appel personnel de chacun ; le choix libre
et réfléchi d’un projet de vie.84
Après l’énonciation des objectifs principaux, le CG21 n’a pas offert une
explication organique des autres contenus de la praxis éducative et pasto-
rale qui puisse se traduire en un programme opérationnel. On perçoit un
fort accent sur les expériences dans le domaine de la croissance religieuse,
81 Cf. CG 21 (1978), no. 90.
82 Cf. Ibid., no. 90.
83 Cf. Ibid., no. 92.
84 Cf. Ibid., no. 106.

36 Pages 351-360

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36.1 Page 351

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 351
fidèles à la tradition salésienne et révisées pastoralement à la lumière du
Concile,85 en oubliant toutefois d’expliciter les moyens proprement éduca-
tifs dans le domaine de la croissance personnelle et sociale. Dans cette liste
de moyens pour l’éducation, nous notons : la vie et l’expérience du groupe
(en mentionnant de nouveau les compagnies) ;86 une catéchèse vivante et
une prédication concrète ; des célébrations liturgiques joyeuses et proches
des jeunes ; une dévotion filiale et forte à la Vierge, modèle d’une vie de
foi réussie et de pureté sereine ; une vie de prière authentique avec des
formes proches de la sensibilité juvénile et populaire ; le sacrement de pé-
nitence préparé par des célébrations communautaires ;87 l’appel personnel
que Dieu adresse à chaque jeune ; la vocation des jeunes appelés à la vie
sacerdotale et religieuse ; la collaboration active avec l’Esprit Saint pour
susciter des vocations salésiennes, tant consacrées que laïques.88
5.2.1.2. Programmation systémique : attitudes des éducateurs et milieu
éducatif
Les documents du CG21 décrivent le style de l’éducation et de la pas-
torale salésiennes en spécifiant les attitudes des éducateurs et en décrivant
l’environnement éducatif. Chez les éducateurs, individus et communautés,
certaines attitudes et dispositions acquièrent une importance fondamen-
tale : l’attention aux jeunes réels, à leurs intérêts et à leurs devoirs dans
la vie ; la sympathie envers le monde des jeunes ; la capacité d’accueil et
de dialogue ; la juste considération et l’estime des valeurs dont les jeunes
sont porteurs ; l’attention aux dynamismes de leur croissance ; le caractère
raisonnable des exigences et des normes ; la créativité et la flexibilité des
propositions ; l’engagement à favoriser l’adhésion aux valeurs par la per-
suasion et l’amour, et non par l’imposition forcée ; chercher à encourager
en chaque jeune le point accessible au bien ; la franchise d’une proposition
chrétienne intégrale attentive au degré de développement du jeune.89 Dans
les attitudes émerge clairement une sensibilité « animatrice » avec un style
85 Cf. Ibid. nos. 92 à 95.
86 Cf. Ibid., nos. 90, 102.
87 Cf. Ibid. nos. 92 à 95.
88 Cf. Ibid., no. 110.
89 Cf. Ibid., no. 101.

36.2 Page 352

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352 Pédagogie salésienne après Don Bosco
éducatif accueillant, souple et progressif. En revanche, on a laissé de côté
les attitudes liées à l’intériorité et à la spiritualité de l’éducateur, à la clarté
du but ultime et aux aspects d’autorité ou de discipline.
Les caractéristiques de l’environnement éducatif sont formulées en
harmonie avec les attitudes de l’éducateur en fournissant « un environne-
ment intense et lumineux de participation et de relations sincèrement ami-
cales et fraternelles »90 comme cadre de l’action éducative et pastorale. Les
membres du Chapitre étaient convaincus que le salésien évangélise plus
par ce qu’il fait que par ce qu’il dit. De même, il témoignerait davantage par
son humanité saine, équilibrée et réussie que par des gestes ou des mots.91
Les caractéristiques explicitement mentionnées par le CG21 sont : l’esprit
de famille, de simplicité et de franchise, qui favorise les relations amicales
et fraternelles ; le climat d’optimisme et de joie, reflet de la grâce de Dieu et
de la sérénité intérieure ; le mode communautaire de croissance humaine
et chrétienne ; la présence aimante, solidaire, animatrice et dynamisante
des éducateurs ; les formes constructives de la vie associative ; la nécessité
de l’engagement apostolique des jeunes qui deviennent évangélisateurs de
leurs compagnons ; la collaboration avec les jeunes, les familles et toutes
les forces constructives disponibles.92
5.2.1.3. Le projet comme outil opérationnel
Dans le discours de clôture du CG21, Viganò présente le projet édu-
catif-pastoral salésien comme une compréhension renouvelée du système
préventif de Don Bosco. Il ne le voit cependant pas du point de vue d’une
pédagogie théorique qui ne fait que repenser et réorganiser les contenus :
« Si quelqu’un pensait qu’il s’agit d’une proposition théorique ou secon-
daire, j’oserais dire qu’il montrerait qu’il n’a compris ni le cœur de Don
Bosco, ni le “moment” délicat actuel de la Congrégation ».93 Le recteur
90 Ibid, no. 102.
91 Cf. Paul VI, Evangelii Nuntiandi, no. 30ss, dans Ibid.
92 Cf. Ibid. Sur la CEP, voir les numéros 63-68. NB. L’utilisation de certains adjectifs
tels que « activant » et « constructif » sans spécifier l’objet rappelle les remarques
critiques de Scilligo sur le caractère générique et l’émotivité implicite de la formu-
lation des chapitres dans la période postconciliaire.
93 Ibid, no. 569.

36.3 Page 353

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 353
majeur envisage le PEPS comme le programme du sexennat et se pro-
pose d’étudier, d’approfondir, de comparer, de mettre en œuvre le patri-
moine éducatif de Don Bosco et de le traduire en termes de praxis dans
les milieux de l’évangélisation salésienne.94 Il se place ainsi dans la ligne
du CG21 qui met l’accent sur la décentralisation et l’attention portée à la
singularité de chaque contexte :
Chaque province (ou groupe de provinces) élaborera un projet édu-
catif adapté à la réalité locale, qui servira de base à la programma-
tion et à la vérification de ses différentes œuvres, selon les options
de base définies par la Congrégation : oratoires, centres de jeunes,
écoles, internats, paroisses, missions, etc. Pour favoriser l’unité dans
la décentralisation, le Dicastère pour la Pastorale des Jeunes, à la
lumière de l’expérience et de la réflexion salésienne, devra indiquer
les lignes fondamentales de ce projet (objectifs, contenus, méthode,
caractéristiques...) en tenant compte de la diversité des situations
géographiques et culturelles.95
La séquence de mise en œuvre et le flux des indications sont donc
conçus dans une logique qui va « du centre à la périphérie », en commen-
çant par la décision du Chapitre général de planifier, puis en poursuivant
avec les indications du Dicastère pour la pastorale des jeunes avec l’élabo-
ration successive des projets des provinces (PEPSI) et en concluant la série
avec le travail des PEPS au niveau local.
En appliquant cette méthodologie dans les provinces, le paradoxe de la
« centralisation par la décentralisation » a été en quelque sorte réalisé,96
avec une série d’implications pratiques qui font encore partie de l’histoire
des effets de la planification salésienne. Le fait d’avoir proposé la séquence
de réalisation allant de la structure la plus grande à la structure la plus
petite a influencé la mentalité de la planification salésienne : les projets
provinciaux ont souvent imité les documents des Chapitres généraux, les
indications du dicastère ou les projets des autres provinces, et les projets
94 Cf. Ibid, no. 571.
95 Ibid, no. 105.
96 Cf. S. Kühl, Sisyphos im Management. Die vergebliche Suche nach der optimalen
Organisationsstruktur, Wiley, Weinheim 2002, 131-166.

36.4 Page 354

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354 Pédagogie salésienne après Don Bosco
locaux ont reproduit les contenus du projet provincial, auxquels ils devaient
se conformer.
5.2.1.4. Le projet, un terme au champ sémantique (trop) large
Un autre problème se pose au niveau linguistique, car le champ séman-
tique du mot italien « progetto » est plus étendu que les termes respectifs des
autres langues.97 Le CG21 ne définit pas de manière univoque le terme « pro-
jet éducatif-pastoral salésien », il l’utilise en alternant les accents théoriques
et opérationnels et le remplace parfois par le simple terme de « planifica-
tion » Parmi les différentes dénominations et niveaux de planification qui se
réfèrent directement ou indirectement au PEPS, utilisés par le CG21, on note
: projet d’année, planification éducative et pastorale, projet de l’oratoire et du
centre de jeunes, projet éducatif provincial pour le secteur scolaire, projets
de chaque école particulière, projet apostolique des « nouvelles présences »,
projet organique pour l’évangélisation au niveau provincial et local.98 Il est
intéressant de noter que dans la partie des directives opérationnelles pour la
paroisse salésienne, il n’y a pas de demande explicite d’un PEPS. Le CG21 ne
clarifie pas le nombre et les interdépendances entre les différents « projets »
et cela reste une question à traiter à l’avenir.
Les études, manuels et documents variés produits ces dernières années
n’ont pas toujours évité l’ambiguïté de la fonction sémantique multiple du
terme « projet », qui a deux accents différents dans la langue italienne :
l’un est plus précis, quand le terme se réfère à un plan de travail ordonné
et détaillé pour réaliser quelque chose ; l’autre est plus indéterminé, parce
que « projet » signifie une idée, un but, même vague et difficilement réa-
lisable, pour le futur. Le mot « projet » conserve une certaine ambiguïté,
même dans le domaine plus technique et exécutif, puisqu’il peut faire ré-
férence à une « ébauche », indiquant une solution non détaillée, avec une
97 Nous reviendrons sur le sujet de la sémantique plus tard dans le chapitre deux. Pour
les ambivalences et l’arrière-plan du terme « projet », cf. G. Morante, Progetto
educativo, in Z. Trenti et al. (eds.), Religio. Enciclopedia tematica dell’educazione
religiosa, Piemme, Casale Monferrato 1998, 752-753. Pour l’importance de la di-
versité culturelle dans la planification, voir l’analyse approfondie dans R.D. Lewis,
When Cultures Collide. Leading across cultures, Nicholas Brealey International,
Boston 32006, 3-80.
98 Cf. CG 21 (1978), nos. 30, 104, 127, 132, 134 et 161.

36.5 Page 355

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 355
analyse sommaire des coûts, et à un « projet exécutif », impliquant plutôt
une image complète de tous les calculs, dessins et détails techniques, esti-
mations et spécifications.
Dans d’autres langues néo-latins, le mot « projet » conserve les deux
sens, bien que dans certains cas il soit traduit par des termes considérés
comme équivalents tels que « plan » ou « programme ».99 La relation sé-
mantique entre « projet » et « ideario » dans les milieux salésiens n’a pas
toujours été claire, surtout dans les pays hispanophones.100 Un problème
plus important se pose en anglais, où les termes project et project mana-
gement ont, presque exclusivement, le sens d’un plan de travail structu-
ré, planifié pour trouver des informations, produire ou améliorer quelque
chose. Le terme « projet » se traduit également par mission, mission, mis-
sion statement, plan, design, layout, scheme. Pour un « projet » vague
pour l’avenir, on utilise plan et non project. En sciences de l’éducation,
les expressions planification de l’éducation, conception pédagogique sont
également utilisées. En milieu salésien, on utilise le terme de Projet éduca-
tif et pastoral salésien. En allemand, le mot Projekt est utilisé de la même
manière qu’en anglais et, par conséquent, le terme « projet » est traduit par
Projekt, Plan, Entwurf.101 Les salésiens des pays germanophones adoptent
une solution linguistiquement plus pertinente et ne traduisent pas le terme
PEPS par le mot Projekt mais plutôt par Pastoralkonzept ou Leitlinien
(lignes directrices), qui expriment mieux la nature des documents produits
dans l’espace salésien sous le nom de « projet ».
L’utilisation du mot « projet » dans les milieux salésiens met en
99 Voir par exemple la traduction du terme « progettazione educative » en « planifi-
cación educativa » dans M. Pellerey, Progettazione educativa/scolastica, in J.M.
Prellezo - G. Malizia - C. Nanni (eds.), Dizionario di Scienze dell’Educazione,
LAS, Roma 2008, 923-926 et Idd., Planificación educativa, in Facultad de Ciencas
de la Educación UPS, Diccionario de ciencas de la educación, CCS, Alcalá 2009,
918-921.
100 Cf. Dicastero Pg, Progetto Educativo Pastorale. Metodologia, 30-35 e Id., Elemen-
ti e linee per un progetto educativo pastorale salesiano, 6.
101 Voir Project, dans S. Wehmeier (ed.), Oxford Advanced Learner’s Dictionary of
Current English, Oxford University Press, Oxford 62000, 1012; Progetto, dans Gar-
zanti. Il nuovo dizionario Hazon inglese italiano, anglais italien, Garzanti, Cernus-
co (Milano) 1999, 2187; Progettare, in B. Klausmann-Molter (ed.), Das Pons Wör-
terbuch. Dizionario tedesco italiano, italiano tedesco, Zanichelli/Klett, Bologna
1996, 1396.

36.6 Page 356

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356 Pédagogie salésienne après Don Bosco
évidence différents aspects. Le CG21 (1978), d’une part, a souligné l’aspect
théorique, à savoir le projet éducatif salésien compris comme une réinter-
prétation du système préventif, comme une conception organique de la
pédagogie salésienne102 et, d’autre part, il a souligné l’aspect opérationnel,
pratique et applicatif qui considère la programmation dans les différents
milieux, les objectifs, les processus, les moyens et les vérifications du pro-
cessus.103 Le sens de la planification et du PEPS s’est enrichi des nombreux
textes produits sur le sujet et des différents contextes de référence, risquant
toutefois de devenir un conteneur conceptuel dans lequel l’immensité du
contenu est inversement proportionnelle à la précision du sens.104
5.2.2. Egidio Viganò : planification et nouvelle éducation-évangéli-
sation
Environ six mois après la clôture du CG21, le recteur majeur a envoyé
une lettre circulaire, intitulée Le projet éducatif salésien, dans laquelle il
présente une synthèse des résultats du Chapitre concernant la planification
éducative-pastorale. Il réaffirme que « recomposer au niveau des idées et
de la pratique la synthèse du système préventif [...] est une des obligations
programmatiques du sexennat »105 et qu’elle doit impliquer chaque confrère
et chaque communauté. Certaines idées méthodologiques innovantes, par
rapport au texte du CG21, se trouvent dans la dernière partie de la lettre. Il
parle de la nécessité de « réfléchir “à la manière salésienne” ; ni les seules
sciences de l’éducation, ni celles de la foi, ni même notre expérience plus ou
102 Cf. CG 21 (1978), nos. 14, 4 et 81.
103 Cf. Ibid, nos. 105 et 127-161.
104 Cf. comme exemple emblématique la lettre de E. Viganò, Riprogiamo insieme la
santità, in ACS 63 (1982) 303, 3-28, qui utilise des expressions telles que « c’è da
riprogettare insieme la nostra santità, sia personale che comunitaria », « proget-
to-uomo voluto da Dio », « riprogettare in noi la capacità di conversione, di espiazi-
one e di prevenzione », « un progetto più ampio in cui interviene Iddio come Padre:
è un vasto progetto di amore e di vittoria », « progetto del Padre », « progetto divino
di redenzione », etc. Cf. également l’observation de l’ambiguïté sémantique signalée
dans Dicastero Pg, Elementi e linee per un progetto educativo pastorale salesiano,
6.
105 Viganò, Il progetto educativo salesiano, 38-39.

36.7 Page 357

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 357
moins non critique soutenue pendant des années par une mentalité mainte-
nant appelée à la conversion par un Concile œcuménique et deux Chapitres
généraux ne suffisent ».106 L’élaboration « salésienne » du projet signifiait :
« appeler à l’étude et à la réflexion, porter l’attention sur le contexte social
et ecclésial dans lequel nous travaillons, rechercher de manière créative
des voies et des solutions qui répondent aux situations auxquelles nous
sommes confrontés, unir la communauté autour de critères communs qui
inspirent tout le monde et dans lesquels tous se reconnaissent, assurer l’in-
tégralité et se libérer de l’improvisation et de l’individualisme ».107
En l’absence de normes législatives et d’indications opérationnelles,108
qui devaient être élaborées ultérieurement par le dicastère de la pastorale
des jeunes, et étant donné que le processus de planification devait être mis
en place « du centre à la périphérie », il n’est pas surprenant que les indivi-
dus et les communautés aient attendu l’initiative des provinces, tandis que
la majorité des provinces n’ont bougé qu’en suivant les indications publiées
au fur et à mesure par le dicastère. Vecchi évalue la période qui a suivi le
GC21 en disant que « à partir de 1978, toute une littérature locale avec des
motivations, des documents et des modèles pratiques s’est mise à fleurir. Au
départ, elle s’adressait aux responsables de l’animation au niveau provincial,
alors que les communautés locales avaient du mal à se l’approprier ».109
Il est clair que les capitulaires du CG21 ont voulu intégrer dans la formule
« projet éducatif salésien » la terminologie proposée précédemment : « hu-
manisme salésien intégral » du CG19, « promotion chrétienne intégrale » et
« éducation chrétienne libératrice » du CGS. Les différentes formulations et
106 Ibid, 38.
107 Ibid., 39.
108 Les Constitutions et Règlements révisés au cours du CG21 n’envisageaient pas en-
core la planification, mais cela a changé avec le CG22 (1984), qui a inclus la plani-
fication éducative et pastorale dans le Règlement général aux articles 4, 5, 6 et 7.
109 Cf. Vecchi, Pastorale, educazione, pedagogia, in Il cammino e la prospettiva 2000,
1991, 26. Une situation similaire de planification a également été constatée dans la
sphère ecclésiale au sens large. Voir par exemple G. Angelini, Pastorale giovanile e
prassi complessiva della Chiesa, in Facoltà Teologica dell’Italia Settentrionale,
Condizione giovanile e annuncio della fede, La Scuola, Brescia 1979, 81. Voir aussi
A. del Monte, Una Chiesa giovane per annunciare il vangelo ai giovani, in «Il
Regno-documenti» 3 (1979) 63-76 et G. Costa, Pastorale giovanile in Italia. Un
dossier, La Roccia, Roma 1981.

36.8 Page 358

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358 Pédagogie salésienne après Don Bosco
l’insistance sur l’unité font penser au fossé culturel entre l’Église et le monde
et à la mentalité générale de l’après-Concile, plus soucieuse de l’autonomie des
domaines que de l’unité profonde du modèle anthropologique.110 A l’époque de
Viganò et Vecchi, l’insistance sur la promotion et la libération de l’homme
n’est plus aussi forte et la réflexion se concentre sur le rapport entre éducation
et évangélisation. Le contexte de la réflexion a été influencé par différentes
situations : la crise du collège salésien en tant qu’œuvre éducative tradition-
nelle ; l’excès de scolarisation et le peu de passion pastorale dans certaines
provinces ; mais aussi le phénomène inverse de la fuite dans le milieu parois-
sial, avec beaucoup de « pastorale » mais aucun parcours éducatif structuré ;
le professionnalisme excessif dans l’éducation scolaire ; l’oratoire qui n’a pas
réussi à s’ouvrir aux jeunes plus éloignés, etc.111
Egidio Viganò propose sa réflexion dans la lettre programmatique sur
le projet éducatif salésien de 1978, en développant un axiome épistémo-
logique et méthodologique pour les années suivantes : « Nous sommes
conscients que l’éducation et l’évangélisation sont des activités distinctes
dans leur ordre. Ils sont cependant étroitement liés sur le plan pratique de
l’existence ».112 Dans l’argumentation qui suit, il précise que l’éducation et
l’évangélisation « ne sont pas en soi chronologiquement successives ni en-
core moins divergentes, mais touchent à deux aspects essentiels de l’unique
vocation de l’homme, telle qu’elle se révèle dans le plan de Dieu ».113 Le
risque, auquel on s’expose malheureusement dans certains contextes, de
concevoir l’éducation et l’évangélisation dans la logique de « l’avant et de
l’après » a été dénoncé également par Riccardo Tonelli.114
Viganò reprend les formulations du CG21 qui accentuent malheureuse-
ment la logique de la distinction et de l’autonomie de l’éducation et de l’évan-
gélisation en décrivant leur contenu dans des paragraphes séparés. La solution
110 Cf. l’analyse de G. Biancardi, L’educazione tra evangelizzazione e promozione
umana, in Bozzolo - Carelli, Evangelizzazione ed educaizone, 19-24.
111 Cf. J. Vecchi, Pastorale, educazione, pedagogia nella prassi salesiana, in J. Vecchi
- J.M. Prellezo (eds.), Prassi educativa pastorale e scienze dell’educazione, SDB,
Roma 1988, 128-129.
112 Cf. CG 21 (1978), no. 14.
113 Cf. Ibid., no. 91.
114 Cf. R. Tonelli, Ripensando quarant’anni di servizio alla pastorale giovanile, inter-
view publiée par Giancarlo De Nicolò, in « Note di Pastorale Giovanile » 43 (2009)
5, 41-42.

36.9 Page 359

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 359
consistant à unir les deux dimensions au niveau pratique de l’existence est
entravée tant par l’hétérogénéité des contextes dans lesquels la Congrégation
accomplit sa mission,115 que par une mentalité qui n’a pas pris suffisamment
conscience du renouveau postconciliaire et qui cantonne le petit nombre de
salésiens disponibles dans des « tâches d’organisation et d’administration ».116
L’unité harmonique entre les diverses dimensions du projet éducatif
salésien est rappelée à travers l’unité de la vocation, des motivations, de
l’option fondamentale pour le Christ, de l’action concrète, proposant la
possibilité pratique d’une « éducation chrétienne ».117 Le recteur majeur
s’appuie sur Alberto Caviglia pour affirmer l’originalité unitaire du sys-
tème préventif et la capacité créative de Don Bosco. Sa créativité ne crée
pas les éléments, il s’agit plutôt d’une synthèse créative, qui est la marque
des œuvres de génie. La synthèse créative signifie que « l’originalité, la
beauté et la grandeur de la création ne résident pas tant dans la nouveauté
des détails, mais dans la découverte de l’idée, de l’esprit, qui les résume et
les fusionne dans la vie nouvelle et originale d’un tout ».118
La connexion intégrale des différents éléments ne consiste pas en l’an-
nulation des différences, ni en la mise à l’écart d’un pôle de contraste, mais
se produit, selon Viganò, dans une tension harmonique et créative. Dans
la conclusion de la même lettre, il écrit sur la nécessité d’acquérir « la
capacité de maintenir en tension harmonique et créative les deux grands
pôles du système préventif : l’élan et le but “pastoraux” de notre action,
d’une part, et le choix “pédagogique” et la compétence “éducative”, d’autre
part ».119 Dans la lettre de Viganò apparaissent les deux formules qui de-
viendront presque un slogan stéréotypé : évangéliser en éduquant et édu-
quer en évangélisant. Cependant, conformément au style de Viganò qui
est à la fois magistral et pratique, sont également précisés les domaines et
les instruments concernant la relation entre l’éducation et l’évangélisation,
comme le montre le schéma suivant :120
115 Cf. CG 21 (1978), nos. 82-83 et 86.
116 Ibid, no. 85.
117 Cf. E. Viganò, Il progetto educativo salesiano, in ACS 59 (1978) 290, 26-35.
118 Cf. A. Caviglia, La pedagogia di Don Bosco, in Viganò, Il progetto educativo sale-
siano, 8.
119 Viganò, Il progetto educativo salesiano, 41.
120 Cf. Ibid. 26-35.

36.10 Page 360

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360 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Évangéliser en éduquant
La préoccupation pastorale de
Don Bosco se caractérise, et avec
un sérieux constant, par le choix
de l’éducation comme domaine
et mode de son activité pastorale :
• Le moteur qui stimule l’action
éducative : le motif pour lequel
le salésien (en tant que per-
sonne et en tant que commu-
nauté) se plonge dans l’éduca-
tion a son origine en dehors de
l’aire culturelle ; elle procède de
la charité pastorale.
Sollicitude positive pour les va-
leurs culturelles et les institu-
tions : l’intentionnalité évangé-
lisatrice conduit le salésien (en
tant que personne et commu-
nauté) à apprécier et à assumer
l’engagement éducatif dans ses
valeurs humaines.
Lier profondément l’Évangile
à la culture : dans la pratique
éducative du système préven-
tif, l’Évangile est proposé d’une
manière qui est étroitement liée
à l’existence concrète.
Le sens réaliste de la graduali-
té créant un processus péda-
gogique qui prend en compte
toutes les dynamiques hu-
maines et crée chez les enfants
et les jeunes les conditions d’ac-
ceptation d’une réponse libre.
Éduquer en évangélisant
Notre art éducatif est « pastoral »,
dans le sens où l’ensemble du pro-
cessus éducatif, avec son contenu
et sa méthodologie, est orienté vers
l’objectif chrétien du salut, imprégné
de sa lumière et de sa grâce :
La présence claire du but ultime :
la pédagogie de Don Bosco insiste
explicitement sur le véritable but
religieux de la vie ; le but ultime est
la grande force d’attraction du pro-
cessus éducatif.
Un processus éducatif positivement
orienté vers le Christ : la pratique
éducative salésienne naît et se
nourrit de la charité pastorale et
tend explicitement et loyalement
vers le salut de la rédemption
(thèmes : Église ; Confession, Eu-
charistie, climat marial, catéchèse,
vocation, sainteté).
Conscience critique et sens du de-
voir à la lumière de l’Évangile :
permettre aux jeunes d’avoir une
conscience critique capable de per-
cevoir les valeurs authentiques en
promouvant un mode de vie sain.
La Parole de Dieu, par sa nature
même, révèle et interpelle : le sou-
ci pédagogique de s’adapter à la
condition des jeunes ne doit pas
ignorer ou s’opposer à leur engage-
ment pastoral de « prophètes » de
l’Évangile.
Diagramme E : Relation entre éducation et évangélisation
dans le projet éducatif salésien de Don Viganò
Il est important de noter comment Viganò ajoute aux deux pôles de
l’éducation et de la pastorale la bonté du cœur, c’est-à-dire l’amorevolezza,

37 Pages 361-370

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37.1 Page 361

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 361
qui est typique du mode de vie salésien.121 La globalité conçue par Viganò
est reconfirmée et enrichie de nouvelles nuances dans la lettre sur la nou-
velle éducation de 1991, écrite quelques mois après la lettre sur la nouvelle
évangélisation, dont on citera une longue section en raison de l’importance
des liens entre les éléments mentionnés :
L’éducation et l’évangélisation interagissent, dans le “système pré-
ventif ”, dans une réciprocité intime et harmonieuse. Nous trouvons
l’explication dans l’intuition que la praxis opérationnelle de Don
Bosco est un art pédagogique-pastoral. L’art, comme nous le disions,
doit toucher directement la réalité objective afin d’avoir un impact
sur elle dans la recherche du sens, de la beauté et de la sublimation.
C’est une forme d’activité de l’homme ingénieux ; elle renforce son
talent inventif et sa créativité expressive ; grâce à elle, l’artiste se mo-
difie lui-même pendant qu’il accomplit son travail. Ce qui le pousse
à travailler est un feu intérieur, une inspiration idéale, une passion
de son cœur, illuminée par l’inspiration du génie. Jean-Paul II a ap-
pelé à juste titre Don Bosco éducateur “génie du cœur”. Nous avons
vu que ce feu intérieur s’appelle la “charité pastorale” : un amour
apostolique marqué par une prédilection pour les jeunes ; un amour
qui stimule l’“intelligence pédagogique” à se concrétiser. Le climat
actuel de sécularisation, dans lequel même le développement des
sciences de l’éducation suit plus d’une fois un chemin entaché d’in-
crustations idéologiques, est une provocation fondamentale pour
notre consécration apostolique. Puisque dans l’art les principes
méthodologiques ont une importance extraordinaire, l’intelligence
pédagogique est appelée à donner une tonalité particulière, à impri-
mer à la charité pastorale une physionomie propre. Chez Don Bos-
co, le principe méthodologique de base pour agir en tant qu’“artiste”
121 Cf. Viganò, Il progetto educativo salesiano, 41. La bonté comme amorevolezza et
« amour de l’un pour l’autre » est un trait typique de la grâce d’unité pensée par
Viganò, qui trouve sa place même dans les applications académiques. Parlant du
principe d’organisation par département au sein de l’UPS, Viganò affirme que le
dialogue interdisciplinaire est impossible sans un amour concret des uns pour les
autres et sans une communion d’affections, de compétences, de services et d’ini-
tiatives. Cf. E. Viganò, Presentazione del Documento del CG21 sull’UPS, in Gi-
annatelli (ed.), Don Egidio Viganò all’Università Salesiana, 60.

37.2 Page 362

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362 Pédagogie salésienne après Don Bosco
de l’éducation était la “bonté aimante” : construire la confiance et
l’amitié à travers l’ascèse exigeante de “se faire aimer”. Le “système
préventif ” implique le “mysticisme” de la charité pastorale et l’“ascé-
tisme” de l’amour bienveillant. [...] La créativité de l’”artiste” s’enracine
donc dans une spiritualité salésienne vécue !122
En résumant l’idée de Viganò sur l’intégration de l’éducation et de l’évan-
gélisation, ce qui ressort est la référence à l’art, à la beauté et à la créativité
qui part de la réalité objective pour la transformer, transformant en même
temps l’artiste. Les principes méthodologiques sont la spiritualité vécue et,
surtout, l’amorevolezza, qui permet d’établir la confiance et l’amitié.
5.2.3. Juan Edmundo Vecchi, animateur de la conceptualisation du
PEPS (1978-1980)
Suivant les indications du CG21, le Département de la pastorale des
jeunes a publié, dès la fin des années 1970, une série d’outils pour l’éla-
boration du PEPS.123 Les lignes pédagogiques de Juan Edmundo Vecchi,
conseiller du Département, ont influencé substantiellement la structure et
les contenus des documents, qui étaient adressées aux provinciaux et aux
délégués provinciaux de la pastorale pour favoriser le processus de pla-
nification éducative salésienne. Une première édition de ces volumes a ét
largement diffusée, notamment dans les milieux de langue espagnole, sous
le nom de série Vector ; puis, dans la seconde moiti des années 1980, le
département a publi une deuxième édition, intitulée Documents PG, qui a
connu une diffusion plus globale.
5.2.3.1. Méthodologie du projet salésien (1978)
Le premier document est sorti en décembre 1978, dix mois après la
clôture du CG21 (1978), et se voulait un outil préparatoire à des études plus
122 E. Viganò, La nuova educazione, in ACG 72 (1991) 337, 27-30.
123 Dicastero per la Pastorale Giovanile, Progetto Educativo Pastorale. Metodolo-
gia, Sussidio 1, [s.e.], Roma 1978, et Id., Elementi e linee per un Progetto Educativo
Pastorale Salesiano, Sussidio 2, [s.e.], Roma 1979.

37.3 Page 363

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 363
approfondies pour accompagner les « premiers pas vers un projet ».124 Le
texte, de vingt-cinq pages cyclostylées en format A5, est concis mais subs-
tantiel dans son contenu concernant la programmation. Dans un souci de
brièveté et de praticité, le texte n’aborde pas les questions épistémologiques
et n’entre pas dans le détail des équilibres épineux entre les différents
principes. Toutefois, l’omission de certaines parties novatrices du CG21,
comme nous le verrons plus loin, pourrait être la cause (ou le symptôme
d’un état d’esprit désormais présent) de certaines divergences de contenu
et de méthode dans les publications ultérieures.
La première partie du volume offre des indications pour l’animateur
du processus de planification au niveau provincial ; la deuxième traite du
cadre de référence des éléments constamment présents dans la « mémoire
salésienne » ; enfin, la troisième présente quelques suggestions pratiques
pour l’élaboration du projet. Les différentes parties du manuel se réfèrent
presque exclusivement aux documents salésiens postconciliaires et à la
lettre du recteur majeur sur le projet éducatif pastoral de 1978.
Bien que les destinataires déclarés soient les inspecteurs et les délégués
de la PG, les indications pour l’animateur provincial, contenues dans la
première partie du texte, sont une référence claire à l’activité de planifi-
cation des communautés locales. En comparant le texte avec le rapport de
Vecchi à la conférence sur le système préventif dans la province de Lom-
bardie-Emilie, qui a eu lieu quelques semaines seulement avant la publica-
tion du document, on peut entrevoir la mens qui accentue, dans la planifi-
cation des communautés, une logique de la procédure « par le bas ».125 On
y met en évidence une série de questions concrètes pour aider à entrer dans
le processus de planification de la CEP. En outre, on y trouve deux pages
modèles pour la formulation de quelques objectifs éducatifs pastoraux et
six pages de l’Ideario général d’un centre éducatif salésien, approuvé par
la Conférence provinciale espagnole.
Selon les indications de la première partie, l’animateur provincial est
appelé à mettre en action un groupe animateur au niveau provincial avec
124 Cf. Dicastero PG, Metodologia, Sussidio 1, 3.
125 Cf. la formulation de l’intervention qui parle uniquement du contexte de la commu-
nauté éducative locale, dans J.E. Vecchi, Per riattualizzare il Sistema Preventivo,
in Ispettoria Salesiana Lombardo-Emiliana, Convegno sul Sistema Preventivo,
Milano-Bologna 3-4 novembre 1978, et A. Viganò, Alcuni punti fondamentali riaf-
fermati dal convegno sul Sistema Preventivo, dans les actes de la même conférence.

37.4 Page 364

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364 Pédagogie salésienne après Don Bosco
les tâches suivantes : impliquer, éclairer, motiver, indiquer des méthodo-
logies et faciliter pour favoriser l’apprentissage, et non pas formuler des
conclusions et les envoyer [à envoyer] aux confrères.126 Avec un sain ré-
alisme, on propose un projet dont les formulations sont provisoires et qui
évolue de manière dynamique, et non un ensemble de règles de travail,
suivant ainsi l’objectif du projet qui est d’« aider les groupes à fonctionner
de manière “consciente”, prudente et coresponsable ».127
La deuxième partie du manuel parle plutôt des éléments de la « mé-
moire salésienne »128 qui constituent un cadre de référence pour le PEPS.
Elle remonte donc à Don Bosco et à son patrimoine éducatif-pastoral, qui
façonne l’identité salésienne. En neuf points, avec les références respec-
tives aux documents, est esquissée une brève synthèse de la refonte de la
PG opérée par le CGS (1972) et le CG21 (1978).129
La troisième partie contient des suggestions pratiques qui constituent
le noyau méthodologique du volume. L’aspect pratique de ces pages ne
consiste pas seulement à proposer des questions qui incitent à la réflexion,
bien que celles-ci occupent un bon pourcentage du texte. Des éléments tels
que la brièveté de l’explication et la logique du processus de conception
divisé en trois étapes soulignent également l’intention pratique des auteurs.
Dans les paragraphes suivants, nous allons donc explorer les trois étapes
de la planification : analyse de la situation, programmation et vérification.
Le moment de l’analyse de la situation implique le processus de
connaissance de la condition des jeunes, qui n’est pas seulement une des-
cription statistique et objective du contexte, mais qui comprend aussi les
expériences des jeunes, les tendances, les jugements, les aspirations, les
réactions communes et, en contrepartie, les réponses que la CEP donne à
ces défis. Outre la connaissance de la situation, il y a l’interprétation dans
une optique de foi : « Il faut donc évaluer les faits en fonction de leur ca-
pacité “à faciliter ou à rendre plus difficile pour les jeunes la croissance de
126 Cf. Ibid., 6.
127 Ibid., 8.
128 La « mémoire », terme cher à Don Vecchi, se définit comme « l’expérience heu-
reuse, d’un peuple ou d’une congrégation, qui se transmet ». Cf. Le principali diffi-
coltà emerse dal dibattito sulla relazione di don G.E. Vecchi, in ILE, Convegno sul
Sistema Preventivo.
129 Cf. Dicastero PG, Metodologia, Sussidio 1, 9-13.

37.5 Page 365

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 365
leur humanité dans la foi” ».130 En revanche, aucune analyse des ressources
humaines, sociales et matérielles présentes dans l’œuvre n’est suggérée, ce
qui peut être interprété, dans le cadre de l’anthropologie implicite du pro-
jet, comme une implication logique d’une image de l’homme tournée vers
l’avenir qui ne regarde pas le passé.131 Ce n’est que rétrospectivement qu’on
est arrivé à la conviction que sans une conscience claire des ressources, il
n’est pas possible de planifier de manière réaliste, surtout en cette période
de restructuration et de crise du personnel salésien.132
La deuxième étape de la planification opérationnelle implique la for-
mulation des objectifs, la spécification de la méthode et l’étude du style
éducatif. Les objectifs généraux sont repris du chapitre précédent.133 Pour
spécifier les objectifs, il est nécessaire d’établir les résultats souhaités à la
fin de l’intervention, de déterminer leur urgence tant sur la base des valeurs
fondamentales que sur la base de la situation concrète, de formuler les
objectifs spécifiques sous une forme claire et communicable, de décider
des critères d’évaluation. Les objectifs fixés de cette manière tendent à
accroître la clarté et la mesurabilité propres à la gestion par objectifs.134 Ils
déterminent ensuite la « méthode », qui se concrétise dans l’organisation
des activités éducatives qui leur sont liées et dans l’identification des in-
terventions, des rôles et des fonctions. L’étude du style éducatif, qui devait
s’inscrire dans le moment de la conception opérationnelle, est cependant
insuffisamment traitée, le lecteur étant renvoyé aux actes du chapitre pour
130 Ibid., 14. Cf. aussi CG 21 (1978), no. 13 cité par le Sussidio qui se réfère à Evangelii
Nuntiandi, no. 19.
131 Cf. Vecchi, Per riattualizzare il Sistema Preventivo, in ILE, Convegno sul Sistema
Preventivo, 3.
132 Cf. le « fossé entre la quantité de propositions et la possibilité de les mettre en
œuvre » relevé par Vecchi dans J.E. Vecchi, Verso una nuova tappa di Pastorale
Giovanile Salesiana, in Il cammino e la prospettiva 2000, SDB, Roma 1991, 88.
133 Cf. CG 21 (1978), nos. 90-92.
134 Cf. l’accent mis par le Management By Objectives (MBO) sur la clarté et la me-
surabilité des objectifs qui ont été proposés, par exemple, par les études pionnières
d’Edwin A. Locke et qui a influencé le management dans les années 1970, dans
E.A. Locke, Toward a theory of task motivation and incentives, dans «Organisa-
tional Behavior & Human Performance» 3 (1968) 157-189. Plus tard, dans les an-
nées 1980, la théorie s’est développée en parlant d’objectifs SMART qui présentent
cinq caractéristiques: Spécifiques, Mesurables, Assignables, Réalistes et liés au
Temps.

37.6 Page 366

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366 Pédagogie salésienne après Don Bosco
répondre ensuite à quatre questions sur la mise en place de l’environnement
et de la relation éducative.135 L’accent mis sur la conception systémique a
été marginalisé dans la méthodologie du PEPS. Le document suivant ten-
tera plus tard de proposer une étude approfondie du style éducatif,136 mais
ce n’est qu’un ajout ultérieur qui n’entre pas dans la logique linéaire : situa-
tion, programmation opérationnelle, vérification.
La troisième et dernière étape de la planification est la vérification.
Celle-ci doit être réalisée à partir de deux perspectives qui s’enrichissent
mutuellement : la comparaison de toutes les parties du projet avec la pra-
tique salésienne, qui constitue l’examen de la fidélité à la tradition ; et
l’examen des résultats obtenus, qui montre l’aspect de l’efficacité opéra-
tionnelle du projet.
Le document qui devait accompagner les premiers pas du projet salé-
sien est un petit bijou qui résume les premières idées sur le projet éduca-
tif-pastoral salésien. On appréciera la minceur du document, la relecture
synthétique du CG21 (1978) et la composition orientée vers l’opérationnel.
L’aspect méthodologique du processus de planification proposé, résumé
dans le schéma linéaire situation - planification opérationnelle - vérifica-
tion, est resté inchangé, avec des ajouts mineurs, jusqu’à aujourd’hui.137 La
logique du processus systémique, bien qu’absente de la partie méthodolo-
gique, est réitérée dans les thèmes de l’équilibre entre la formation des per-
sonnes et les tâches de planification, du groupe animateur et de l’accompa-
gnement des communautés. Dans les documents qui suivront, l’attention
portée à l’intégration communautaire sera maintenue, puisque la CEP sera
le premier des cinq domaines (dimensions) du PEPS,138 mais les thèmes se-
ront traités séparément par la suite.139 L’attention portée à l’unité organique
135 Cf. Dicastero PG, Metodologia, Sussidio 1, 25-26.
136 Le Sussidio 2 tentera par la suite de proposer un approfondissement sur le style
pédagogique, mais ce n’est qu’un ajout ultérieur qui, même s’il témoigne de l’atten-
tion intégrale de Vecchi, n’entrera pas dans l’approche méthodologique linéaire. Cf.
Dicastero PG, Elementi e linee per un PEPS, Sussidio 2, 13-14.
137 Voir les moments de planification dans les trois éditions du Quadro di riferimento
pour la Pastorale Salésienne des Jeunes.
138 Cf. Dicastero PG, Elementi e linee per un PEPS, Sussidio 2, 14-15.
139 Cf. la division des quatre dimensions du PEPS et le chapitre séparé sur la CEP dans
Dicastero per la Pg, Quadro di riferimento, 11998, 45-55 qui reflète les conclusions
dul CG24 (1996) Salesiani e laici: comunione e condivisione nello spirito e nella

37.7 Page 367

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 367
est exprimée par Vecchi dans les expressions synthétiques suivantes :
Souvent, lorsque nous parlons du système préventif, nous ne dé-
passons pas la considération individuelle : il est facile de penser à
un éducateur. [...] Il nous est plus difficile de saisir et de mettre en
œuvre ce que le mot système signifie, c’est-à-dire la convergence et
la référence mutuelle, le caractère organique de divers éléments. [...]
La communauté éducative élabore le projet. [...] Un projet crée une
communauté.140
5.2.3.2. Approfondissements et applications du projet dans différents mi-
lieux éducatifs (1979-1981)
Le deuxième document, intitulé Éléments et orientations pour un pro-
jet pastoral-éducatif, est paru en octobre 1979, dix mois seulement après
la publication du premier. En de nombreux points, il complétait et clarifiait
les thèmes du précédent, mais le paradigme de base s’est déplacé, passant
du processus de programmation-recherche de Stenhouse à un projet-pro-
duit bien structurer dans le style de Bloom ou de Hainaut. Le dicastère
introduit la discussion en notant que, vu que le PEPS « a fait fortune, le
mot risque d’être utilisé dans des sens multiples et génériques et de ne plus
servir, dès lors, à comprendre une question précise ».141 Pour cette raison,
trois termes souvent confondus sont précisés : le cadre de référence, en-
tendu comme un ensemble de lignes directrices idéales ; le projet éducatif,
qui est le plan général d’intervention, indiquant les objectifs opérationnels,
suggérant les lignes et les moyens concrets, créant les rôles et les fonctions ;
la programmation, définie comme le moment de la répartition des tâches,
qui exige que le projet soit décliné en termes de personnel, de temps et de
lieux.142
missione di don Bosco et du CG25 (2002) La comunità salesiana oggi. Le point
central de la réflexion sur la CEP n’est pas seulement sa référence au PEPS, mais
l’accent est mis sur la relation entre la CEP et la communauté salésienne.
140 Vecchi, Per riattualizzare il Sistema Preventivo, in ILE, Convegno sul Sistema Pre-
ventivo, 1.5-7.
141 Dicastero PG, Elementi e linee per un PEPS, Sussidio 2, 6.
142 Cf. Ibid. 6-7.

37.8 Page 368

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368 Pédagogie salésienne après Don Bosco
La partie centrale de ce deuxième volume précise cinq domaines
d’intervention : la CEP, la dimension éducative-culturelle, la dimension
d’évangélisation et de catéchèse, l’orientation vocationnelle et l’expérience
associative. Pour chaque domaine, on décrit les orientations, l’objectif gé-
néral et les objectifs spécifiques, les critères et les choix d’intervention.
Les rôles et fonctions seront développés dans les documents à suivre car
ils varient selon la structure éducative. Avec la division en cinq secteurs,
on perd de vue les priorités globales d’une œuvre salésienne, qui ne sont
pas traitées, et on court le risque de diviser les interventions et les activités
par secteurs, causant une fragmentation de la mission éducative-pastorale
conçue par dimensions, comme le soulignent les études sur l’organisation.
L’objectif premier du projet, qui est d’unir la communauté éducative
et pastorale au niveau de la mentalité et de l’action,143 se perd en fait dans
la division du projet en domaines, orientations, objectifs, critères et choix
d’intervention qui, en résumé, représentent deux cent cinquante éléments
interconnectés à différents niveaux. Ce nombre déjà élevé pourrait encore
augmenter, car il est prévu que les communautés concrétisent davantage
chaque élément en détaillant les rôles, les fonctions et les interventions.
Même l’idée émise par le premier document d’un groupe d’animation de
la province n’est plus mentionnée, les suggestions ne sont plus aussi faci-
lement applicables dans les CEP locales. Il semble clair que les nouveaux
documents du Dicastère pour la PG ont évolué vers une plus grande théori-
sation analytique, et cette direction qui sera confirmée par les lignes de la
troisième série de ces outils, qui déclinera et précisera davantage les PEPS
dans les différents milieux : paroisse, oratoire et école.144
Dans ces milieux, la présence des cinq domaines du PEPS est donc
assez hétérogène car les textes ne sont pas structurés par domaines. La
CEP est traitée dans chaque volume dans un chapitre séparé ; le domaine
de l’éducation, celui de l’évangélisation et celui de la vie associative se
trouvent parfois explicitement dans un chapitre séparé, ou sont présents
143 Cf. Dicastero PG, Elementi e linee per un PEPS, Sussidio 2, 7-8.
144 Cf. Dicastero per la Pastorale Giovanile, Elementi e linee per un Progetto Edu-
cativo-Pastorale nelle parrocchie affidate ai Salesiani, Sussidio 3a, [s.e.], Roma
1980; Id, Elementi e linee per un Progetto Educativo-Pastorale negli oratori e cen-
tri giovanili salesiani, Sussidio 3b, [s.e.], Roma 1980; Id., Elementi e linee per un
Progetto Educativo-Pastorale nelle scuole salesiane, Sussidio no. 3c, [s.e.], Roma
1980.

37.9 Page 369

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 369
dans divers éléments dispersés dans différentes parties des trois docu-
ments. Le domaine des vocations, réduit à quelques phrases, est pratique-
ment marginalisé. Le document suivant, paru en septembre 1981 avec le
numéro quatre, et qui traite des Lignes essentielles pour un plan provincial
de promotion des vocations, comblera cette lacune, mais du point de vue
d’une dimension distincte, organisée séparément et planifiée de manière
centralisée par la province.145
5.2.3.3. Mise en action de la programmation dans les années 1980
La période de coordination de Don Vecchi a été caractérisée par l’étude,
la pratique et l’accompagnement de la programmation, ce qui a contribué
à une plus grande stabilité et clarté sur les objectifs finaux de l’éducation
et a facilité une approche globale des différents milieux.146 Il faut égale-
ment mentionner les efforts du dicastère, qui a aidé certaines régions dans
la seconde moitié des années 1980, et la proposition d’un cours pour les
délégués provinciaux de la pastorale des jeunes qui a eu lieu à la Maison
Généralice de novembre 1986 à janvier 1987.147 À côté des progrès et des
lumières au niveau de l’animation, on peut aussi voir quelques ombres, sur-
tout au niveau opérationnel local et au niveau des mentalités. On peut no-
ter, tout d’abord, une « disparité entre la quantité de propositions et la pos-
sibilité de leur mise en œuvre ».148 Parmi les aspects concrets du manque de
traduction opérationnelle, nous pouvons souligner les suivants :
– les étapes de mise en œuvre ont été trop courtes : la succes-
sion constante de nouvelles propositions a empêché une réelle
145 Dicastero per la Pastorale Giovanile, Lineamenti essenziali per un Piano Ispetto-
riale di Pastorale Vocazionale, Sussidio 4, [s.e.], Roma 1981.
146 Cf. Vecchi, Verso una nuova tappa di PG, in Il cammino e la prospettiva 2000, 83.
147 Cf. Dicastero per la Pastorale Giovanile, Programma per il sessennio 1984-1989,
in La società di san Francesco di Sales nel sessennio 1984-1990. Rapport du Rec-
teur Majeur Don Egidio Viganò, SDB, Roma, 1990, 148 et les matériaux de l’ac-
compagnament p.e. pour la Délégation Nationale de la PG de l’Espagne cf. Centro
Internacional Salesiano de Pastoral Juvenil/Roma, Comunidad educativa en for-
mación. Guiones para educadores, 5 voll., CCS, Madrid 1985-86.
148 Cf. Vecchi, Verso una nuova tappa di PG, in Il cammino e la prospettiva 2000, 88.

37.10 Page 370

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370 Pédagogie salésienne après Don Bosco
assimilation.149 La devise du recteur majeur « du papier à la vie »
indiquait l’intériorisation nécessaire mais insuffisante, le danger de
la médiocrité spirituelle et l’affaiblissement de l’identité. Il semble-
rait que dans certaines régions le projet n’ait produit que le change-
ment de quelques noms, le modèle pastoral et la mentalité restant les
mêmes que précédemment ;
– une implication différente entre le niveau provincial et les réalités
locales : la planification éducative et pastorale a d’abord impliqué
les responsables de l’animation au niveau provincial, tandis que les
communautés locales ont eu du mal à se l’approprier ;150
– La pastorale comme objet d’animation mais pas de gouvernement :
les indications dans le domaine pastoral n’ont été que des encoura-
gements généraux, mais pas des poussées structurelles innovantes,
décisives et opérationnelles, avec l’application de personnes, de
moyens et de lignes directrices indispensables ;
– Trop d’attentes et d’exigences : les communautés devaient accélérer
le rythme d’apprentissage à une époque qui exigeait des convictions
profondes, un problème lié à la difficile mais nécessaire formation
du personnel ;
– Une mauvaise coordination : les travaux du dicastère, des centres de
PG et des équipes provinciales ont donné lieu à des propositions au-
tonomes qui n’ont pas toujours été coordonnées. Parmi les facteurs,
citons : la préoccupation pour la présence des propositions sur le mar-
ché plutôt que pour la mise en œuvre des indications ; des canaux de
communication souvent problématiques entre le dicastère et les pro-
vinces; le manque de personnel dans les structures d’animation ;
– l’ambiguïté et la multiplicité des indications : l’élaboration, la mise
en œuvre et le suivi du PEPS nécessitaient des critères unificateurs,
tout en tenant compte de la multiplicité des contextes, ce qui rendait
problématique une proposition uniforme.151
149 E. Viganò, Discorso di apertura del Rettor Maggiore, in CG22 (1984), no. 19.
150 Cf. J.E. Vecchi, Pastorale, educazione, pedagogia nella prassi salesiana, in Il cam-
mino e la prospettiva 2000, SDB, Roma 1991, 26.
151 Cf. La società di san Francesco di Sales nel sessennio 1984-1990, 1990, 151-159;
Vecchi, Verso una nuova tappa di PG, in Il cammino e la prospettiva 2000, 88-89;
P. Chávez Villanueva, “E si commosse per loro perché erano come pecore senza

38 Pages 371-380

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38.1 Page 371

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 371
Une autre question, importante au niveau pédagogique, est l’approche
sectorielle du projet en cinq zones avec les subdivisions ultérieures par
milieux. La perte de l’intégrité du PEPS est signalée à la fois explicite-
ment, en critiquant la fermeture dans un secteur, et implicitement, en in-
sistant sur l’intégrité et l’harmonie de la proposition éducative-pastorale.
Les observations sur la division entre évangélisation et éducation dans la
période étudiée sont clairement exprimées par Viganò dans la lettre sur La
nouvelle éducation. Analysant la culture contemporaine, il observe que
« l’éducation des jeunes, si fondamentale et indispensable dans toute so-
ciété, non seulement n’est pas liée en fait à l’évangélisation, mais en est
séparée parce qu’elle est considérée comme un secteur culturel avec un
champ de développement autonome ».152 L’insistance sur la grâce de l’uni-
té montre clairement que la tendance à séparer les deux domaines n’est
pas seulement virtuellement possible, mais qu’elle est un problème présent
dans la pastorale salésienne. Tonelli le confirme en parlant de la pastorale
de ces années : « Une des limites du travail de ces années a été... le jeu de
l’avant” et de l’après”. Certains ont dit : d’abord l’éducation et ensuite la
proclamation. D’autres ont préféré inverser les temps ».153
Dans son analyse du rapport entre éducation et évangélisation dans la
Congrégation, Frigato note que, « malgré la multiplicité des définitions,
le rôle de la foi est essentiellement “extrinsèque” par rapport au proces-
sus éducatif. En outre, la foi et l’éducation sont considérées comme des
dimensions “distinctes”, “mutuellement autonomes” et des “pôles en ten-
sion” ».154 Une séparation entre la pastorale des jeunes de ces années et
la dimension vocationnelle, liée à un manque d’attention à cette dernière,
est reconnaissable aussi bien dans la structure du document du CG21155
que dans l’organisation des thèmes des documents du Dicastère pour la
pastore, e si mise a insegnare loro molte cose” (Mc 6,4). La Pastorale Giovanile
Salesiana, in ACG 91 (2010) 407, 9-10.
152 E. Viganò, La nuova educazione, in ACG 72 (1991) 337, 5.
153 Tonelli, Ripensando quarant’anni, 41-42.
154 Frigato, Educazione ed evangelizzazione, in Bozzolo – Carelli (eds.), Evangeliz-
zazione e educazione, 89.
155 Cf. les parties du document sur les salésiens évangélisateurs des jeunes: Il progetto
educativo e la fecondità vocazionale, in CG21 (1978), nos. 80-119 et Alcuni ambi-
enti e vie di evangelizzazione, in CG21 (1978), nos. 120-165.

38.2 Page 372

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372 Pédagogie salésienne après Don Bosco
pastorale des jeunes. Celui-ci a détaché le domaine vocationnel de la pas-
torale prévue dans les différents milieux. Le peu d’attention accordée au
problème des vocations au cours de ces années est également attesté par le
CG23156 et Tonelli.157
Le piège des distinctions et des sections, dont le contenu était précisé
au moyen d’une foule d’indications, impliquait la création de très longues
listes d’éléments entre lesquels les connexions n’étaient pas toujours spé-
cifiées. Tout cela représentait un danger difficile à affronter dans le cadre
du paradigme de l’autonomie, de l’analyse sectorielle et de l’exécution li-
néaire. En attendant, la seule façon de faire une synthèse semblait être le
volume Pastorale salésienne des jeunes,158 qui rassemblait les différents
thèmes sous forme d’images symboliques, en donnait l’explication et ren-
voyait ensuite le lecteur à une bibliographie plus étendue sur le sujet. La
manière de présenter le contenu d’éléments hétérogènes au moyen d’une
image évitait le problème de l’explication des relations entre les éléments
et donnait une impression d’unité. Plutôt que de « tenter une synthèse de
l’héritage pédagogique salésien et du projet actuel »,159 le livre était une
présentation sympathique d’une « lecture facile et agréable »160 des thèmes
pastoraux. Comme il s’agit de la dernière publication avant le CG23, le
volume peut être considéré comme l’icône des contenus et des aspirations
de la pastorale des jeunes entre 1978 et 1990.
5.2.4. Les années 1990 : éducation à la foi et spiritualité salésienne
Dans son analyse de l’évolution de la spiritualité salésienne dans la
période postconciliaire, Aldo Giraudo constate un détachement de la spi-
ritualité par rapport à la dimension éducative-pastorale, dénonçant une
« prière qui oscille entre l’intellectualisme et l’émotionnel, souvent inca-
pable de passer dans la vie »; et il signale des expériences de pastorale des
156 Cf. CG 23 (1990), nos. 251-253.
157 Cf. Tonelli, Ripensando quarant’anni, 48-49.
158 Cf. Dicastero per la Pastorale Giovanile, Pastorale giovanile salesiana, SDB,
Roma 1990.
159 Ibid., 5.
160 Ibid.

38.3 Page 373

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 373
jeunes qui tendent « à se résoudre ou à se refermer sur elles-mêmes, de na-
ture gratifiante et anesthésiante, sans réelle cohérence et qualité intérieure.
Si tel était vraiment le cas [...] les projets éducatifs-pastoraux risqueraient
de devenir des efforts inutiles, une pratique sans âme et sans colonne ver-
tébrale ».161 En outre, les thèmes de la spiritualité salésienne étaient plutôt
liés à la sphère de la formation, ne trouvant pas de correspondance dans les
réflexions pastorales, concentrées plutôt sur les projets et la méthodologie
dans la logique de l’animation.
Le Chapitre général 23, tenu en 1990, a eu la claire intention de combler
cette lacune, également sous l’impulsion de la réflexion ecclésiale sur la
nouvelle évangélisation. Le recteur majeur, dans l’introduction aux actes
du CG23, précise comment la nouvelle évangélisation exige une nouvelle
éducation pour les salésiens, en affirmant que la méthodologie salésienne
pour éduquer les jeunes à la foi « se base sur deux piliers caractéristiques
et complémentaires : la “spiritualité” et la “pédagogie”. Ce sont deux dy-
namismes sur lesquels converge le système préventif ».162 C’est à partir
de là que se développent les thèmes d’une spiritualité pédagogique qui va
au-delà de la superficialité spirituelle qui se manifeste dans la nature géné-
rique des propositions éducatives. Don Viganò conclut la présentation des
actes par une ultime synthèse dans laquelle réapparaissent les équilibres
fondamentaux de son magistère :
Le secret pour y parvenir réside dans le témoignage de l’intériorité
apostolique qui, par la grâce d’unité, fait de nous des “pasteurs” et
des “pédagogues” : des pédagogues, parce que nous sommes les pas-
teurs des jeunes, et des pasteurs, parce que nous sommes des éduca-
teurs chrétiens. J’ai conclu le Rapport sur le sexennat 1984-1990 en
“soulignant quelle est la condition fondamentale la plus pressante
pour notre activité salésienne ; elle s’exprime - disais-je - par un mot
qui devient un appel pour nous : la spiritualité !163
161 A. Giraudo, Interrogativi e spinte della Chiesa del postconcilio sulla spiritualità
salesiana, in C. Semeraro (ed.), La spiritualità salesiana in un mondo che cam-
bia, Salvatore Sciascia, Caltanissetta 2003, 154. Voir aussi p. 158-159 sur l’urgence
d’études interdisciplinaires pour unifier l’organisationnel, le spirituel et le culturel.
162 E. Viganò, Presentazione, in CG23 (1990), 13.
163 Ibid., 16-17.

38.4 Page 374

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374 Pédagogie salésienne après Don Bosco
La spiritualité est également un facteur de cohésion du mouvement sa-
lésien des jeunes, présente pour la première fois comme une catégorie dans
la réflexion du chapitre. Dans ce mouvement, tous les groupes vivent les
valeurs de la spiritualité salésienne des jeunes à différents niveaux, selon
la logique des cercles concentriques : « des plus éloignés, pour qui la spiri-
tualité est un point de référence à peine perçu à travers un environnement
dans lequel ils se sentent accueillis, à ceux qui font consciemment et expli-
citement leur la proposition salésienne. Ces derniers constituent le “noyau
animateur” de l’ensemble du mouvement ».164
Dans les actes du CG23, la spiritualité est caractérisée par quelques
adjectifs emblématiques : elle est salésienne, jeune et donc éducative. Par
la suite, le recteur majeur écrira une lettre sur la nouvelle éducation, in-
sistant sur la nécessité de « se sanctifier en éduquant », souhaitant que les
éducateurs aient une « intériorité apostolique renouvelée qui est la racine
de notre caractère propre dans l’Église. Il faut ajouter ici que la spiritualité
salésienne représente aussi pour nous la force sanctifiante de la synthèse
dans la “nouvelle éducation” ».165 Le résumé suivant apparaît comme un
commentaire des documents du CG23 :
L’éducation est “le lieu privilégié de notre rencontre avec Dieu”. Elle
implique une spiritualité apostolique particulière, à la fois pastorale
et éducative, “toujours attentive au contexte du monde et aux dé-
fis de la jeunesse : elle exige souplesse, créativité et équilibre, et re-
cherche ardemment des compétences pédagogiques appropriées. À
sa racine se trouve cette consécration apostolique qui, de l’intérieur
de son souffle vital pour les âmes, s’approprie les valeurs pédago-
giques et les vit comme une expression concrète de la spiritualité”. Il
ne s’agit pas seulement d’une spiritualité de l’éducation en général,
mais d’une véritable spiritualité de l’éducation à la foi !166
Viganò invite les éducateurs salésiens à se donner une spiritualité qui
ne détache pas l’être de la personne de ses actions et qui lie toujours l’inten-
tion évangélisatrice à l’intention éducative. Dans la spiritualité éducative
164 CG23 (1990), no. 276.
165 Viganò, Nuova educazione, 37.
166 Ibid.

38.5 Page 375

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 375
réside le secret du « génie de l’artiste » éducateur chrétien et de la « grâce
d’unité » qui assure l’inséparabilité vitale entre l’union avec Dieu et le dé-
vouement aux autres, entre l’intériorité évangélique et l’action apostolique,
entre le cœur qui prie et les mains qui travaillent, évitant les solutions ex-
trêmes de l’« activisme » et de l’« intimisme ».167
Don Juan Vecchi, pendant les années de son rectorat (1996-2002), s’est
positionné dans la lignée de l’héritage laissé par Viganò, en écrivant dans
ses circulaires beaucoup plus sur le thème de la spiritualité que dans la
période précédente. Les adjectifs qu’il préfère pour la décrire sont « salé-
sienne » et « juvénile », la situant dans un contexte vital, communautaire,
relationnel, pastoral-éducatif-pédagogique, vocationnel et communicatif.
Ce n’est qu’en arrière-plan que sont développés les thèmes spécifiques liés
à la spiritualité, tels que la charité, l’action, l’expérience, le travail, le pro-
jet, la praxis, l’animation, la vie quotidienne, l’amitié, la prière et les sacre-
ments.168
Une intéressante synthèse du parcours de réflexion sur la spiritualité
salésienne a été offerte par Vecchi lors des Journées de spiritualité de la
Famille Salésienne en 1995.169 Il valorise l’aspect ascétique et mystique de
la rencontre avec Dieu à travers deux types de médiations incluses dans un
unique univers sacramentel : celles des célébrations et pratiques rituelles
(prière) et celles des pratiques et des techniques (travail). En un mot, « le
travail et la prière qui se fondent dans le sacrement total d’une vie orientée
vers Dieu et mue par la charité ».170 Pour actualiser la spiritualité salésienne
dans le contexte des années 1990, il propose trois convictions :
167 Cf. Ibid., 39 et références au CG 23 (1990), no. 332.
168 Cf. le contexte sémantique de l’utilisation des mots clés « spiritualité », « spiritual-
ité salésienne des jeunes » et « spiritualité salésienne » dans le CD joint au volume
J.E. Vecchi, Educatori appassionati esperti e consacrati per i giovani. Lettere cir-
colari ai Salesiani di don Juan E. Vecchi. Introduzione, parole chiave e indici a cura
di Marco Bay, LAS, Roma 2013.
169 J.E. Vecchi, Il sistema preventivo esperienza di spiritualità in A. Martinelli - G.
Cherubin (eds.). Il sistema preventivo verso il terzo millennio. Atti della XVIII Set-
timana di Spiritualità della Famiglia salesiana. Roma, Salesianum 26-29 gennaio
1995, SDB, Roma 1995, 221-243.
170 Ibid., 242. Dans sa formulation synthétique, Vecchi se réfère à Sistema preventivo
vissuto come cammino di santità. Settimana di Spiritualità della Famiglia salesiana.
Roma 1980, LDC, Leumann (TO) 1981.

38.6 Page 376

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376 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Il existe une expérience spirituelle, presque cachée dans la vie édu-
cative quotidienne, connue seulement de manière fragmentaire
par ceux qui la vivent ; il est possible de créer une communion sur
la base de cette expérience au niveau de la Famille salésienne ; les
jeunes peuvent la percevoir et y trouver un chemin de vie dans l’Es-
prit. L’effort pour formuler un chemin de spiritualité des jeunes sa-
lésiens répond à ce dernier point.171
On note cependant une certaine divergence : d’une part, les recteurs
majeurs parlent de la spiritualité salésienne liée à la grâce d’unité, mais
d’autre part, les formulations présentes dans le CG23 et dans les deux pre-
mières éditions du Cadre de référence la lient à la logique de la subdivision
en différentes dimensions. Pour sa part, le CG23 propose d’éduquer les
jeunes à la foi en les sensibilisant à un projet original de vie chrétienne :
« Le jeune apprend à exprimer une nouvelle manière d’être croyant dans le
monde, et organise sa vie autour de certaines perceptions de la foi, de choix
de valeurs et d’attitudes évangéliques : il vit une spiritualité ».172 Or celle-ci
est présentée en quelques-uns de ses éléments centraux qui ne sont pas tou-
jours liés aux dimensions du PEPS. En comparant les diverses dimensions,
les domaines et les noyaux, on peut voir l’effort de cette période pour expri-
mer l’unité de la proposition éducative salésienne. Il semble que la période
Viganò-Vecchi, caractérisée par une riche production pastorale et pédago-
gique, se termine avec les deux éditions du Cadre de référence écrites selon
la mentalité du projet-produit réparti par dimensions et par milieux et avec
une attention aux structures de coordination et aux étapes méthodologiques,
où fait défaut cependant une vision de base unitaire et anthropologiquement
fondée. Ce sera le défi que la période successive devra relever.
5.2.5. La révision des projets provinciaux et la coresponsabilité avec
les laïcs
L’examen des projets provinciaux avait été décidé par le CG23, mais
171 Vecchi, Il sistema preventivo esperienza di spiritualità in Martinelli - Cherubin
(eds.), Il sistema preventivo verso il terzo millennio, 221.
172 CG23 (1990), no. 158.

38.7 Page 377

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 377
malgré l’accent mis par le Chapitre sur l’opérabilité et le caractère concret,173
il n’a voulu examiner que la qualité formelle des projets provinciaux écrits ;
« pour le moment, il n’est pas entré dans la vérification de l’application
réelle de ces projets dans les œuvres ».174 L’étude des PEPSI accorde « une
grande attention aux principes »175 écrits et à l’exhaustivité des thèmes
traités dans le projet lui-même, en soulignant plusieurs fois le choix de ne
pas vouloir entrer dans la question de l’opérativité. On peut percevoir la
différence de perspective par rapport à ce qu’attendait Viganò, qui dans la
lettre de convocation du Chapitre avait parlé de la nécessité de « vérifier
l’efficacité de l’éducation salésienne par rapport à la vie de foi des jeunes
avec lesquels nous travaillons, pour ensuite revoir de manière plus incisive
les projets éducatifs-pastoraux de chaque province et des différentes mai-
sons ».176
Le décalage entre l’accent opérationnel du CG23 et la révision effec-
tuée est également perceptible lorsqu’on compare certaines des exigences
du chapitre avec la méthode de révision des projets provinciaux. L’attention
du Chapitre s’est portée sur l’insertion vivante des œuvres individuelles
dans l’Église locale et dans le territoire, sur l’examen de la qualité pé-
dagogique, de la signification et de l’éventuelle relocalisation des œuvres
elles-mêmes.177 L’enquête et l’analyse subséquente n’ont toutefois concerné
que les délégués provinciaux et leurs équipes, en étudiant avant tout l’ex-
haustivité des textes du projet.
Le questionnaire, composé de 45 questions, utilisait un schéma basé sur
la question suivante : Comment le PEPSI traite-t-il (indique, décrit, définit,
considère, analyse, est attentif, rend explicite) une question spécifique (di-
mension, objectif, aspect, moyen éducatif, processus, choix, concept) ? Les
réponses possibles étaient : beaucoup, suffisamment, peu, absent. L’étude
173 Cf. CG 23 (1990), no. 230.
174 L. Van Looy, Il Progetto Educativo Pastorale nelle Ispettorie, in ACG 75 (1994)
349, 36.
175 Dicastero per la Pastorale Giovanile, Il Progetto Educativo-pastorale salesiano.
Rilettura dei progetti ispettoriali. Risultati dell’inchiesta ai delegati ispettoriali di
PG e loro équipes sul “Progetto educativo-pastorale”, SDB, Roma 1995, 6. Cfr.
anche Van Looy, Il PEP nelle Ispettorie, 34-38.
176 Viganò, Convocazione del Capitolo Generale 23°, 7.
177 Cf. CG 23 (1990), no. 230.

38.8 Page 378

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378 Pédagogie salésienne après Don Bosco
a mis l’accent sur l’exhaustivité et la mise à jour des textes du projet et
a révélé une satisfaction substantielle dans ce domaine. Cependant, sur
les 45 questions du questionnaire, seules trois portaient sur le fonctionne-
ment du projet, et ce, de manière générale. Les conclusions de l’enquête
peuvent être présentées en se référant aux données statistiques du docu-
ment d’orientation Le projet éducatif-pastoral dans les provinces (1994)
élaboré par van Looy. Le conseiller pour la pastorale des jeunes a mis en
évidence les problèmes suivants du projet :
1) L’absence de méthodologie dans la programmation. 38% des maisons
ne disposent pas d’un projet écrit. 17% des provinces n’ont pas de
PEPSI approuvé par le Chapitre provincial. Parmi les provinces qui
ont un projet, dans 76% des cas, il a été écrit seulement par quelques
salésiens sans la participation coresponsable des autres.
2) Le sens de la coresponsabilité des laïcs dans la communauté édu-
cative-pastorale est faible. Dans 36% des maisons, la CEP n’a pas
été mise en route. 78% ne savent pas comment la CEP doit garantir
le charisme salésien et 67% déclarent ne pas très bien comprendre
comment confier la coresponsabilité aux laïcs. 78% des commu-
nautés ne sont pas très au clair sur la fonction de la communauté
salésienne comme formatrice des laïcs.
3) Le manque d’intégration dans l’environnement ecclésial et social.
Seuls 3% considèrent que les relations avec les organismes sociaux
et politiques sont importantes et 4% seulement les relations avec les
organismes culturels. L’insertion dans l’Eglise locale est importante
pour 19% des réponses ; les relations avec les familles des destina-
taires sont importantes pour 11% et 14% souhaitent avoir des rela-
tions avec d’autres organisations éducatives.
Certains résultats, notamment dans le domaine de la collaboration avec
les laïcs au sein de la CEP et sur le territoire, ont été perçus comme alar-
mants. Les trois quarts des communautés salésiennes n’envisagent pas la
collaboration avec les laïcs et, logiquement, la même proportion s’applique
aux projets développés uniquement par certains salésiens sans la participa-
tion des autres. On comprend donc le choix de la Congrégation de traiter
le thème de la communion et du partage entre salésiens et laïcs dans le

38.9 Page 379

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 379
prochain CG.178
Le Chapitre général 24 a été une étape importante dans les vingt an-
nées de réflexion menées par Viganò et Vecchi. Le thème de la communion
et du partage entre les laïcs et les salésiens, en plus des modalités déjà
mentionnées de la Famille salésienne, de la CEP et du mouvement salésien
des jeunes,179 a été élaboré autour du concept de « coresponsabilité » qui
exprime la nécessité d’un nouveau rapport entre salésiens et laïcs : « Un
changement de mentalité est nécessaire : grandir ensemble, se former en-
semble ».180 La coresponsabilité devient un mot central du document, utili-
sé presque cinquante fois, et constituant un point d’arrivée plus ambitieux
que la simple communion, le partage ou la collaboration entre salésiens et
laïcs. Le numéro 22 des Actes introduit le concept dans cette perspective :
La participation à la mission salésienne se présente aussi comme
une réalité variée, graduelle et progressive : elle consiste à passer de
la simple présence obligée de celui qui travaille dans l’œuvre, offre sa
compétence et rien de plus, ou parce qu’il fait partie de la paroisse
salésienne, à la collaboration pour des raisons de travail ou de libre
choix, et à la coresponsabilité de ceux qui assument la mission com-
mune avec nous. Le chemin de l’implication conduit à la communion
dans l’esprit ; celui de la coresponsabilité, ensuite, au partage de la
mission salésienne. La communion et le partage, l’implication et la
coresponsabilité, sont les deux faces de la même médaille.181
Dans le document du chapitre, le concept de coresponsabilité n’est pas
défini. Bien que la plupart des occurrences soient exhortatives, il est pos-
sible de relever d’autres thèmes importants : la coresponsabilité des laïcs
est placée dans l’unique mission et s’exerce comme un processus de toute
178 Cf. le thème et le contenu du CG24 (1996): Salesiani e laici: comunione e condivisi-
one nello spirito e nella missione di don Bosco. Cf. également l’analyse plus appro-
fondie de quelques projets provinciaux in Vojtáš, Progettare e discernere, 81-88.
179 Cf. CG24 (1996), nos. 39-51.
180 CG24 (1996), no. 101. Au niveau des attitudes et des méthodologies de l’éducation
partagée voir no. 103, pour les aspects opérationnels voir nos. 106-148.
181 CG24 (1996), no. 22. [en italiques les concepts utilisés pour décrire la relation
salésien-laïcs].

38.10 Page 380

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380 Pédagogie salésienne après Don Bosco
la communauté éducative-pastorale, qui met au centre les jeunes et leurs
besoins en élaborant un projet éducatif-pastoral salésien.182 Le modèle opé-
rationnel, « partagé un peu partout, reconnu comme valable et comme le
seul praticable dans les conditions actuelles, est le suivant : “les salésiens
comme noyau animateur [de la CEP], l’implication et la coresponsabili-
té des laïcs, l’élaboration d’un projet possible, adapté aux destinataires,
aux forces et au contexte” ».183 L’organe central qui anime et coordonne la
coresponsabilité est le Conseil de la CEP et/ou le Conseil de l’Œuvre, qui
remplit son rôle à la fois par la réflexion, le dialogue, la planification et la
révision de l’action éducative-pastorale, et par l’attribution claire des rôles
et des fonctions des salésiens et des laïcs.184
L’introduction ambitieuse de la catégorie de coresponsabilité devrait
avoir des répercussions surtout dans la mentalité des salésiens. Don Vi-
ganò, dans la lettre de convocation du Chapitre, exprime un aspect impor-
tant : « Une communauté plus attentive aux besoins et à la coresponsabilité
des laïcs s’engage du côté de l’identité : la primauté de la spiritualité ».185
Après le CG24, le nouveau recteur majeur Juan Edmundo Vecchi a propo-
sé une réflexion en cohérence avec les idéaux tracés par le Chapitre, avec
une clairvoyance telle qu’elle les rendra pertinents au moins pour un quart
de siècle jusqu’au CG28, qui en 2020 reprendra la réflexion sur la cores-
ponsabilité entre salésiens et laïcs dans la mission et la formation.
Dans ses lettres circulaires, Don Vecchi exprime à plusieurs reprises,
outre les significations mentionnées ci-dessus, un concept de corespon-
sabilité avec les laïcs qui est à la fois spirituel et opérationnel,186 étendant
en même temps l’application du principe aux jeunes coresponsables dans
l’accompagnement de leur parcours et aux communautés de jeunes cores-
ponsables,187 à la coresponsabilité des institutions et des familles, à la
182 Cf. Ibid, nos. 119-120.
183 Ibid, no. 39.
184 Cf. Ibid, nos. 121, 171.
185 E. Viganò, Convocazione del Capitolo Generale 24, in ACG 75 (1994) 350, 22-23.
186 Cf. J.E. Vecchi, La Famiglia Salesiana compie venticinque anni, in ACG 78 (1997)
358, 14.
187 Cf. J.E. Vecchi, Santità e marttirio allalba del terzo millennio, in ACG 80 (1999)
368, 31; Id., Verso il Capitolo Generale 25°, in ACG 81 (2000) 372, 25.

39 Pages 381-390

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39.1 Page 381

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 381
coresponsabilité dans les initiatives sociales188 et aussi en ce qui concerne
la vie des communautés religieuses et les relations entre les provinces.189
La lettre la plus clairvoyante, qui expose les implications pour l’avenir
qui découlent de ses vingt années de réflexion, notamment le principe de
coresponsabilité, est intitulée « Pour vous j’étudie ».190 À l’intérieur de la
circulaire, outre le thème de la formation intellectuelle, Juan Vecchi es-
quisse la figure du « nouveau salésien » qui correspond aux exigences de la
« nouvelle évangélisation » et de la « nouvelle éducation ». Il ne s’agit pas
d’une légère modification, mais de quelque chose de plus radical. Le salé-
sien fait partie d’un « nouveau modèle opérationnel », celui des orienteurs
pastoraux, premiers responsables de l’identité salésienne des initiatives et
des œuvres, animateurs d’autres éducateurs au sein d’un noyau moteur. Il
devient nécessaire de devenir et de rester capable d’interpréter la culture
de manière créative, d’animer un large environnement éducatif, d’accom-
pagner avec d’autres éducateurs les processus de maturation et de crois-
sance, d’orienter les personnes, d’interagir dans le contexte social.191 Le
nouveau salésien est un personnage aux multiples facettes : formateur, té-
moin, compagnon, disciple, animateur de communauté, leader et gestion-
naire d’organisations et de projets. En résumant les indications de Vecchi,
on découvre une série de caractéristiques requises de l’éducateur salésien
du nouveau millénaire :
1) Une identité de croyant, une force spirituelle qui le rend capable d’un
dialogue convaincu avec les autres dans un climat de liberté. Cela
exige que la foi et les raisons de son espérance soient comprises et
vécues avec profondeur et transparence ;
2) Une identité salésienne claire dans la mesure où il est le premier res-
ponsable de l’identité salésienne des initiatives et des œuvres. Pour
188 Cf. J.E. Vecchi, Si commosse per loro (Mc 6,34). Nuove povertà, missione salesiana
e significatività, in ACG 78 (1997) 359, 29 et Id., Avvenimenti di Chiesa e di Fami-
glia, in ACG 79 (1998) 364, 18.
189 Cf. J.E. Vecchi, «Il Padre ci consacra e ci invia», in ACG 79 (1998) 365, 42; Id., Ver-
so il Capitolo Generale 25°, 29; Id., Malattia e anzianità nell’esperienza salesiana,
in ACG 82 (2001) 377, 25.
190 J.E. Vecchi, “Io per voi studio..” (C 14) La preparazione adeguata dei confratelli e
la qualità del nostro lavoro educativo, in ACG 78 (1997) 361, 3-47.
191 Cf. Ibid. 17-18.

39.2 Page 382

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382 Pédagogie salésienne après Don Bosco
cette raison, il doit avoir une plus grande connaissance, théorique
et pratique, des problèmes de la jeunesse et de l’éducation et savoir
proposer avec autorité des objectifs et des itinéraires éducatifs ;
3) Une capacité de confrontation ouverte, intelligente et proactive avec
les nouveaux phénomènes et les tendances culturelles, sociales des
jeunes, lui permettant de tenter de faire l’annonce au cœur de la vie,
en interprétant les nouveaux langages et codes de sens ;
4) Une compétence transversale pour assurer un encadrement pastoral,
animer les éducateurs du « noyau dur » et former des adultes cores-
ponsables du travail éducatif, au-delà de la simple amitié.192
Dans un certain sens, le thème de la qualification des confrères lancé
au Chapitre Général 19 lors du Concile Vatican II revient sur le devant.
Auparavant, on pensait que la qualification ferait sortir les salésiens des
collèges, qui n’étaient plus adaptés aux besoins de l’époque. Au tournant
du millénaire, la nouvelle exigence de qualification demande aux salésiens
non seulement de changer le « lieu » et la « structure » de l’éducation, mais
d’abandonner la logique des rôles et des environnements figés et de se pen-
ser dans une nouvelle logique communautaire, processuelle et d’accompa-
gnement des jeunes et des adultes coresponsables.
5.3. Les lignes pédagogiques des principaux auteurs sa-
lésiens de référence
5.3.1. Le second Braido, fondateur de l’Institut d’histoire salésienne
En simplifiant, on pourrait dire que l’effort d’étude de la pédagogie
salésienne a été mené par Pietro Braido en deux phases, la première carac-
térisée par une approche large et systématique de la philosophie de l’éduca-
tion et la seconde marquée par des tentatives de reconstruction historique
192 Cf. Ibid.

39.3 Page 383

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 383
de « Don Bosco éducateur ».193 Ses publications entre le milieu des années
1950 et la fin des années 1970 se caractérisent par un paradigme d’inter-
disciplinarité et par des collaborations avec des collègues de la faculté des
sciences de l’éducation de l’UPS. À partir des années 1980, cependant, son
effort d’étude le plus important et prioritaire est lié aux activités de l’Ins-
titut d’histoire salésienne, fondé en 1981, année de la publication des deux
volumes intitulés Esperienze di pedagogia cristiana nella storia.194 Son
nouveau travail s’est concentré sur l’objectif : « rendre disponibles, sous
des formes scientifiquement valides, les documents du riche patrimoine
spirituel laissé par Don Bosco et développé par ses continuateurs »195 à
travers « l’édition critique des sources significatives, à commencer par les
écrits de Don Bosco ».196 Depuis 1984, des éditions critiques des différents
documents relatifs à l’expérience éducative de Don Bosco sont publiées
dans la revue Ricerche Storiche Salesiane et rassemblées dans le volume
des Scritti pedagogici e spirituali.
Dans la période suivante, Braido commente le développement de la
recherche critique sur Don Bosco, autour du Centenaire de 1988, dans un
article au titre significatif « Un tournant dans les études sur Don Bos-
co »,197 dans lequel il analyse les résultats du premier Congrès internatio-
nal d’études sur Don Bosco.198 Ses convictions sur l’utilité de procéder de
manière historico-critique prennent une distance marquée par rapport aux
Memorie biografiche, qualifiés de « légende dorée »,199 avec un jugement
193 Voir la subdivision des périodes, les focus et les références bibliographiques dans les
contributions de Chiosso, Lafranchi, Biancardi et Motto en C. Nanni et al. (eds.), Pi-
etro Braido. Una vita per lo studio, i giovani e l’educazione, LAS, Rome 2018, 19-89.
194 Cf. P. Braido, Esperienze di pedagogia cristiana nella storia, 2 vols, LAS, Roma
1981.
195 Statuts de l’Institut historique salésien, art. 1, in « Ricerche Storiche Salesiane » 1
(1982) 1, 5.
196 Ibid. Article 2.
197 Cf. Pietro Braido, Una svolta negli studi su don Bosco, in « Ricerche Storiche
Salesiane » 10 (1991) 355-375.
198 Cf. Don Bosco nella storia. Atti del 1° Congresso Internazionale di studi su Don
Bosco a cura di Mario Midali, LAS, Roma 1990; Saint Jean Bosco. Recherches sur
la vie et l’oeuvre d’un prêtre éducateur italien du dix-neuvième siècle. Editées et
présentées par Francis Desramaut, LAS, Roma 1990..
199 Braido, Una svolta negli studi su don Bosco, 356.

39.4 Page 384

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384 Pédagogie salésienne après Don Bosco
plus critique que l’essai classique sur les Memorie de Desramaut, déjà men-
tionné en parlant de la période précédente.200 Braido se positionne contre
« le traditionalisme, le conservatisme, la “célébration”, la considération
“intra-salésienne”, comme cela est également apparu lors du récent Cen-
tenaire ; en opposition à un Don Bosco beaucoup plus réaliste et “inséré”
dans l’histoire ».201 Ainsi, à travers la démythologisation, il critique les
« surestimations arbitraires », constate les limites et les « lacunes de l’his-
toriographie salésienne plus traditionnelle visant à exalter le “héros” ».202
5.3.1.1. La synthèse « Prévenir et non réprimer ».
Le dernier volume sur le Système préventif de Don Bosco, écrit à la
fin de sa carrière, alors qu’il était déjà professeur émérite depuis dix ans,
adopte dans son intégralité la logique historico-critique. Braido reformule
complètement la partie plus systématique en se basant sur des sources plus
fiables que les Memorie biografiche, utilisées au contraire plus de mille
fois comme source de références bibliographiques dans la première et la
deuxième édition du Système préventif. La préférence est donnée aux édi-
tions critiques des principaux documents pédagogiques, aux documents
d’archives, à la série des Opere Edite, aux Memorie dell’Oratorio, à la
correspondance de Don Bosco. Les Mémoires biographiques et le Bulletin
salésien ne sont cités que comme sources secondaires. Des documents tels
que le petit traité sur le Système préventif dans l’éducation de la jeunesse,
la Lettre de Rome et les Mémoires confidentiels, qui figuraient auparavant
dans les Appendices, ne se trouvent plus dans Prevenire non reprimere et
la lecture du volume doit donc être accompagnée de l’anthologie publiée
précédemment.
Si on le compare aux éditions précédentes du manuel du Système
200 « Desramaut est moins convaincant lorsque, dans ses remarques finales, il semble
presque assumer une double lecture des Mémoires biographiques: “édifiante”, tou-
jours valable; “scientifique”, insuffisante pour les besoins d’un travail historique
sérieux. Il semble plus correct de penser que même la lecture “spirituelle” doit être
faite avec un esprit critique, qui aide à distinguer, précisément dans un but d’”édifi-
cation”, la vérité sur Don Bosco des superstructures arbitraires et déformantes », in
Braido, Una svolta negli studi su don Bosco, 358.
201 Braido, Una svolta negli studi su don Bosco, 356.
202 Cf. Ibid., 361-362.

39.5 Page 385

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 385
préventif (1955, 1964), Prevenire non reprimere doit être lu comme une
publication de reconstruction plus historique que systématique de Don
Bosco éducateur. En ce qui concerne la méthode, nous constatons la frag-
mentation inhérente à la méthode historico-critique et liée à la quantité
de sources de valeur différente et d’études adoptant des approches dif-
férentes. Cette difficulté avait déjà été exprimée par Braido auparavant,
affirmant qu’« il semble manquer, avant tout, un concept, une intuition,
un fait qui puisse servir de point de connexion unitaire, incontestable et
indiscutable ».203
Au fil du temps, Braido mûrit sa conscience du concept de « prévention »
comme clé de la vision globale appliquée substantiellement à l’ensemble de
l’action éducative de Don Bosco.204 Dans Prevenire non reprimere, l’au-
teur a fait son choix en affirmant que « la formule “système préventif”
[...] est apte à exprimer tout ce qu’il a dit et fait en tant qu’éducateur ».205
En plus de déterminer le choix du titre, la prévention structure l’ensemble
des chapitres. En effet, le volume pourrait être considéré comme un traité
sur la prévention selon Don Bosco, contextualisé historiquement dans les
huit premiers chapitres et synthétisé autour de noyaux thématiques dans
les huit chapitres suivants. La manière de procéder est « prudente » et, à
certains égards, « asystématique », afin de répondre aux exigences de la
rigueur de la méthode historique, et les jugements sont très réfléchis afin de
ne pas entraîner le lecteur dans des interprétations arbitraires. La richesse
des références historiques et la connaissance des multiples interprétations
de la figure de Don Bosco sont surprenantes.206
En cohérence avec le choix du principe préventif, la partie qui traite
de la contextualisation historique, déjà présente dans son manuel de 1964,
est enrichie et développée en incluant les chapitres : Mieux prévenir que
réprimer ; La réalité préventive avant la formule ; Naissance d’une for-
mule : système préventif et système répressif ; Figures du système pré-
ventif proches de Don Bosco.207 A la lumière des recherches approfondies
203 Braido, Il Sistema Preventivo di don Bosco, PAS Verlag, Zürich 1964, 19.
204 Cf. Ibid., 65.
205 Braido, Prevenire non reprimere. Il sistema educativo di don Bosco, LAS, Roma 2006, 7.
206 Voir les indications bibliographiques dans Braido, Prevenire non reprimere, 405-415.
207 Dans les chapitres susmentionnés, Braido a intégré plusieurs parties de son étude
précédente Breve storia del “Sistema preventivo”, LAS, Roma 1993.

39.6 Page 386

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386 Pédagogie salésienne après Don Bosco
de l’Institut d’histoire salésienne, les questions sur les influences et les
dépendances de Don Bosco à l’égard d’autres auteurs sont recalibrées, le
situant dans l’histoire de la catéchèse post-tridentine et de l’éducation ca-
tholique.208
Au vu de la quantité de sources disponibles, la tâche de tisser les liens
dans la partie systémique de Prevenire non reprimere (chapitres 10-18)
a été beaucoup plus ardue. Il semble que la justesse et l’exactitude de la
reconstruction historique soient préférées à la vision globale des différents
thèmes, alors que celle-ci est éclairante et pleine d’applications dans les
deux premiers volumes sur le système préventif. Un cas concret, qui peut
servir d’exemple, est la séparation des thèmes de la « pédagogie du cœur »
et de la « pédagogie de la correction » : d’abord présentés dans un seul
paragraphe, ils ont été séparés dans le dernier volume. De même, le thème
de la familiarité, lié à la pédagogie de la gaieté qui crée un environnement
éducatif, était une perspective théoriquement féconde, qui s’est ensuite
perdue dans les distinctions.
L’idée unitaire de la préventivité risque d’être un récipient (relativement)
vide également pour des raisons contextuelles étrangères à l’auteur. Avec
la perte d’une philosophia-theologia perennis communes, qui unissait l’ap-
proche ricaldonienne vers le milieu du siècle, nous passons dans la période
postconciliaire à la logique des disciplines et des dimensions, qui devraient
être interdépendantes, mais sont souvent seulement autonomes.209 La mens
essentiellement néo-scolastique de Braido l’avait guidé dans la première
édition, où il a procédé de manière argumentative à partir de la primauté
du « religieux-surnaturel », pour développer ensuite « le naturel » à partir
de la raison, comprise comme la concrétisation applicative et organisation-
nelle des idéaux et des valeurs religieuses. De même, d’autres thèmes déve-
loppés dans la partie de la théologie de l’éducation ont disparu : l’efficacité
surnaturelle ex opere operato différente d’un soutien purement « psycho-
logique » (réconfort, joie, émotion, etc.) ; l’augmentation réelle de la grâce
et de la vie divine ; la croissance de la personnalité surnaturelle ; le binôme
208 Il s’agit d’un chemin de réflexion déjà proposé par Fascie dans les années 1930 pour
démanteler le triomphalisme exagéré sur l’originalité de Don Bosco. Cf. B. Fascie,
Del metodo educativo di Don Bosco. Fascie, Del metodo educativo di Don Bosco.
Fonti e commenti, SEI, Torino 1927.
209 Cf. M. Vojtáš, Implicazioni metodologiche del principio religioso nell’educazione
salesiana, in «Orientamenti Pedagogici» 64 (2017) 1, 11-36.

39.7 Page 387

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 387
naturel-surnaturel ; la prière comme moyen « ontologique » d’éducation,
aussi bien psychologique que morale.
D’autres variables contextuelles comme la crise de l’internat salésien,
la multiplication de la diversité des contextes éducatifs au niveau planétaire
et le changement du monde des jeunes dans les années 1990, semblent
avoir incité Braido à abandonner, pour des raisons plus que compréhen-
sibles, diverses idées-synthèses des deux premières éditions, qui pouvaient
sembler exagérées ou déplacées. Contre les tendances des pédagogies de
1968 post-autoritaires, Braido affirme au contraire dans Prévenir et non
réprimer la centralité de l’éducateur dans le système préventif, en aban-
donnant l’hypothèse d’une
Pédolâtrie, d’un pédocentrisme, quand on pense que, dans le
concept de Don Bosco, comme dans le concept chrétien, l’éducateur
du “système préventif ” est celui qui “sert” réellement l’élève. Sans
devenir le “maire” de la “ville” de Don Bosco, l’enfant est, dans sa
famille éducative, le petit roi et, comme dans toute famille, il bé-
néficie de tous les privilèges et de l’attention des “aînés” ; le garçon
doit pouvoir parler et agir avec une liberté confiante et s’exprimer et
se manifester dans ce qu’il est. Il est fait pour la joie bruyante de la
vie dans la cour de récréation, le chant, le théâtre, les excursions ; et
même ses “supérieurs” et “professeurs” sont obligés de la partager,
d’y prendre part, en renonçant à leurs exigences d’”adultes”.210
Dans Prevenire non reprimere Braido affirme avec une grande insis-
tance (avec des échos ricaldoniens) que « le protagoniste absolu est l’éduca-
teur, détenteur des pleins pouvoirs exécutifs, judiciaires et punitifs, tandis
que l’élève est appelé essentiellement à l’exécution dans la coopération, à
un co-protagonisme subordonné ».211 Le système éducatif fonctionne ou
ne fonctionne pas si les éducateurs se consacrent totalement aux élèves,
portent le fardeau de l’éducation et garantissent sa fécondité. En ce sens, la
reformulation de Braido, un demi-siècle plus tard, est un ajustement à une
époque radicalement différente plutôt qu’un changement d’idées.
210 Ibid., 434.
211 Braido, Prevenire non reprimere, 290.

39.8 Page 388

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388 Pédagogie salésienne après Don Bosco
5.3.1.2. La rigueur scientifique et le problème des dépendances
L’intention d’adopter une méthode scientifique précise et sûre est,
comme nous l’avons vu, évolutive, mais toujours présente dans la vie de
Pietro Braido. La cohérence et la linéarité sont des catégories que Braido
reconnaît également chez Don Bosco, lorsqu’il le définit comme un homme
« linéaire, droit, sincère ». Don Bosco est pour lui « sincère » en matière de
bonté, de raisonnement, de discipline et d’attitude envers la religion et la
piété.212 Son attitude pourrait être éclairée par le message final du Congrès
international de 1989, rédigé par le cardinal salésien Antonio Maria Ja-
vierre Ortas, qui invitait au « service inconditionnel de la vérité », concrè-
tement au service du « vrai » Don Bosco : « le voir tel qu’il est, et non
tel qu’on voudrait qu’il soit ». Braido choisit ce texte comme résumé final
de l’article sur le tournant des études sur Don Bosco.213 Outre l’utilisation
croissante de la méthode historico-critique, déjà mentionnée, Braido aime
également la précision sémantique des termes, ce qui se traduit par l’utili-
sation de guillemets : l’utilisation de termes techniques ou historiques est
toujours signalée. Dès la première édition, on trouve des expressions-titres
comme : « système préventif », « fondement » de la pédagogie, « salut des
âmes », « crainte de Dieu », « bonne éducation », « sensus Ecclesiae »,
« amorevolezza » comme « principe » pédagogique, « fondement » métho-
dologique, « pédagogie du cœur », « famille » et « joie », les « gardiens »
de la vie familiale : les « assistants » et le « directeur », pédagogie de la
« piété », « pédagogie préventive », discipline « familiale », éléments de
« didactique », etc. Dans certains passages de ses publications, l’utilisation
technique des termes est si élevée qu’elle semble paradoxalement plus dé-
routante qu’éclairante.
Le problème de la fiabilité des sources et de la recherche des dépen-
dances devient plus aigu dans la deuxième édition de 1964 et le guidera
dans l’insertion de l’éducateur Don Bosco dans l’histoire du XIXe siècle.214
Par la suite, l’horizon temporel s’élargit et la contextualisation, dans le vo-
lume Breve storia del sistema preventivo, embrasse l’ensemble de l’éduca-
tion chrétienne des deux millénaires. Emblématique en ce sens est le cas de
212 Cf. Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 143.
213 Una svolta negli studi su don Bosco, 375.
214 Cf. Braido, Il Sistema Preventivo, 21964, 7.

39.9 Page 389

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 389
la relation entre Don Bosco et la tradition oratorienne en Italie.
Dans la première édition, Braido trouvait « des expressions, des po-
sitions, des attitudes caractéristiques de Don Bosco éducateur », dans la
biographie de saint Philippe Néri par Bacci, qui avait paru à Rome pendant
les dernières années de la formation théologique de Don Bosco. De nom-
breuses affinités et expressions, comme l’insistance sur « la beauté de la
vertu et la laideur du vice », rapprochaient les deux saints.215 De même, il
mesurait la proximité de Don Bosco par rapport à la tradition des oratoires
lombards. Tout en reconnaissant une certaine originalité de don Bosco,
Braido notait que « don Bosco aussi bien que son biographe affirment,
en ce qui concerne l’aspect organisationnel, une dépendance explicite par
rapport aux oratoires lombards ».216 Dans les volumes suivants, l’impor-
tance accordée à certains documents diminuera et l’on tentera d’insérer
Don Bosco plutôt dans un flux historique plus large, celui de la catéchèse
post-tridentine.
Un dernier domaine dans lequel l’auteur applique une attitude de ri-
gueur scientifique est celui des rêves de Don Bosco. Dès la première édi-
tion, Braido s’est abstenu de les utiliser comme source et, à l’exception du
rêve des neuf ans inséré dans le parcours vocationnel, les insère dans le
domaine de l’éducation à la chasteté en adoptant une Traumdeutung sym-
bolique : « Ses “rêves”, si pleins de luttes et de batailles, de victoires et
de défaites, ne sont rien d’autre que la traduction symbolique d’une vision
réaliste et concrète que Don Bosco avait, par expérience et par une très
heureuse intuition naturelle et surnaturelle du cœur et des âmes des jeunes,
des innombrables difficultés dans lesquelles leur vertu risque de faire nau-
frage à chaque instant ».217 Son aversion personnelle pour le triomphalisme
surnaturaliste, dont les rêves sont le symbole, subsistera jusqu’à la fin de
son parcours de recherche, lorsqu’il introduira sa dernière grande œuvre
par un passage de la lettre de Don Bosco à Cagliero sur la méfiance envers
les rêves.218
215 Cf. Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 76-80.
216 Ibid., 87.
217 Braido, Il Sistema Preventivo, 11955, 312-313.
218 Cf. P. Braido, Don Bosco prete dei giovani nel secolo delle libertà, vol. 1, LAS,
Rome 22003, 3.

39.10 Page 390

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390 Pédagogie salésienne après Don Bosco
5.3.1.3. Mise à jour du système préventif
Il semble que le second Braido, qui développe de plus en plus de
conscience et de compétence dans le domaine historique, ait mûri une re-
lation dialectique entre la méthodologie « historico-critique » et la mé-
thodologie « interdisciplinaire » des sciences de l’éducation. La question
de l’actualisation du système éducatif de Don Bosco, présente dans les
deux premières éditions du Système préventif, est progressivement aban-
donnée pour une insistance croissante sur le problème des sources, ce qui
implique l’utilisation de la méthode historico-critique. Laissant de côté ses
vastes centres d’intérêts interdisciplinaires, Braido ne participe plus aux
rencontres Scholé, n’élabore pas les théories de l’interdisciplinarité, ne par-
ticipe pas aux colloques salésiens, se concentre sur des recherches pure-
ment historiques. Le travail autour de l’encyclopédie Educare n’a pas eu de
continuité et il semblerait que l’interdisciplinarité ait été utilisée par Braido
plus pour l’organisation de la Faculté des sciences de l’éducation que pour
repenser ou actualiser le système préventif.
Sa confrontation entre le système préventif et la pédagogie scientifique
ne semble pas aller au-delà de l’époque du Concile.219 En effet, dans Préve-
nir et non réprimer, il se réfère encore à Herbart et Makarenko, en parlant
de « pédagogie contemporaine, pédocentrique et activiste, des nouvelles
écoles, du Montessorisme »,220 positions qui étaient courantes jusqu’au mi-
lieu du siècle dernier. Braido semble se méfier des courants de la « péda-
gogie institutionnelle » qui prômeut l’autogestion de l’éducation par les
jeunes.221 Aucune référence ne semble non plus valoriser la pédagogie
critique, celle du projet, ni la pédagogie constructiviste ou structuraliste.
Braido n’est plus le protagoniste du travail interdisciplinaire sur les mo-
dules du Projet éducatif pastoral dans les années 1980, un projet qui aurait
219 Cf. S.S. Macchietti, Ricerca storica e coscienza pedagogica. Riflessione sugli stu-
di di storia dell’educazione di P. Braido, in J.M. Prellezo (ed.), L’impegno dell’ed-
ucare, Studi in onore di Pietro Braido promossi dalla Facoltà di Scienze dell’Edu-
cazione dell’Università Pontificia Salesiana, LAS, Roma 1991, 17-27; B. Bellerate,
A.S. Makarenko tra ideologia e educazione. Dalla biografia alle interpretazioni, in
Prellezo (ed.), L’impegno dell’educare, 29-40.
220 Braido, Prevenire non reprimere, 2006, 7.
221 Ibid., 387-390.

40 Pages 391-400

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40.1 Page 391

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 391
pu être en continuité avec les volumes d’Educare.222
Les positions réservées de Braido sur les innovations postconciliaires
devraient être étudiées plus en profondeur, mais on peut déjà glaner quelques
idées dans son dernier article publié dans Ricerche Storiche Salesiane. Il
n’est pas enthousiasmé par la division postconciliaire entre pastoralistes et
pédagogues et affirme que « dans la ligne du Concile Vatican II, on a voulu
donner une empreinte pastorale innovante à l’action éducative salésienne
traditionnelle, en introduisant dans la littérature salésienne, avec force et
de façon permanente, un terme qui jusqu’alors lui était étranger »,223 à sa-
voir celui de « pastorale » précisément. Ses considérations sur le Chapitre
général spécial, intitulé « Fidélité et utopies », suggèrent une distance par
rapport à certaines positions concernant le modèle d’aggiornamento mis
en avant dans la période postconciliaire.224 Quoi qu’il en soit, le deuxième
Braido révèle une certaine nostalgie quant à la refonte du système préven-
tif. Il commente ainsi l’évolution du XIXe Chapitre général, qui prévoyait
Un traité sur l’éducation salésienne pour notre temps, auquel le
Conseil Supérieur pourrait donner son approbation officielle.
C’était le document de conclusion, un sommet, dans lequel, avec
l’aide d’experts dans le domaine des sciences de l’éducation, on es-
quissait une sorte de synthèse de la pastorale pédagogique des
jeunes “innovante” pour une “nouvelle éducation” et une version
actualisée du système préventif. Mais elle n’a probablement pas eu
une grande résonance, étant loin des habitudes et de la culture géné-
rale de la Congrégation et du manque de personnel préparé, surtout
en périphérie.225
222 Cf. J.E. Vecchi - J.M. Prellezo (eds.), Progetto Educativo Pastorale. Elementi mod-
ulari, LAS, Roma 1984.
223 Braido, Le metamorfosi dell’Oratorio salesiano, 330.
224 On y trouve aussi les évaluations de Viganò qui rendent compréhensible la distance
entre les deux: « Même si [chez Viganò] la sympathie pour la recherche historique
scientifique était moins visible, il fondait la référence continue et intense au fonda-
teur sur une évidente connaissance expérientielle [..] aidée en outre par une intuition
pénétrante de la figure de Don Bosco ». Cf. Braido, Per una storia dell’educazione
giovanile nell’oratorio dell’Italia contemporanea. L’esperienza salesiana, LAS,
Roma 2018, 311.
225 Braido, Le metamorfosi dell’Oratorio salesiano, 333.

40.2 Page 392

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392 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Il semble que le dix-neuvième chapitre de Prevenire non reprimere
soit le manifeste de l’actualisation du système préventif. Braido s’éloigne
du modèle de remise en question effectué par une équipe d’experts ou par
l’expert historique et en même temps systématique. Il propose un « re-
nouvellement [...] confié à l’engagement théorique et pratique persistant et
répété des individus et des communautés ».226 En ce sens, il conclut que le
système de Don Bosco était « fondamentalement dogmatique », mais qu’il
était aussi « “pédagogie” en quelque sorte “expérimentale”, pratiquée, vé-
rifiée, perfectionnée... dans cet “atelier pédagogique” qu’était l’Oratoire du
Valdocco ».227 Braido renvoie donc la tâche de mise à jour à d’autres, mais
il en trace certaines lignes, réévaluant les contributions des pédagogues
classiques comme Komenský, Locke, Rousseau et appréciant les contribu-
tions de certains collègues comme Franta, Thévenot, Milanesi, Castellaz-
zi, Lutte, Grasso, Groppo et Pellerey.
Dans ses recherches dans le domaine de l’éducation, Braido a toujours
été un « herbartien », un savant rigoureux, voire sévère,228 méfiant à l’égard
des diverses solutions faciles et simplistes, c’est-à-dire celles des simples
vulgarisateurs triomphalistes du système préventif, y compris l’approche
« catholique » de Casotti jusqu’aux solutions « pastorales » postconciliaires,
parfois hâtives et dépendantes des modes intellectuelles de l’après-Concile.
Une rigueur qui, d’une part, lui a permis de donner une valeur indéniable
à ses reconstructions historiques et à ses analyses scientifiques, mais qui,
d’autre part, ne lui a pas permis de formuler un « projet préventif valable
dans le présent et pour l’avenir » ou un « nouveau système préventif ».229
En considérant les deux principes clés de la multiplicité et de l’unité au sein
des sciences de l’éducation qui résument la réflexion de sa vie,230 on voit
le paradoxe qui consiste à invoquer nominalement l’unité mais en pensant
226 Braido, Prevenire non reprimere, 5.
227 Ibid., 404.
228 Cf. R. Lafranchi, Pietro Braido e la sua teoria dell’educazione, in Nanni et al.
(eds.), Pietro Braido. Una vita per lo studio, i giovani e l’educazione, LAS, Roma
2018, 22-23.
229 Cf. Braido, Prevenire non reprimere, 377. 391.
230 Voir l’intervention de Braido à l’occasion du volume publié en son honneur le 3 mai
1991, puis publié dans P. Braido, Pedagogia perseverante tra sfide e scommesse, in
«Orientamenti Pedagogici» 38 (1991) 899-914.

40.3 Page 393

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 393
dans les catégories et les subdivisions des disciplines. De cette manière,
faute de principe intégrateur, on en arrive à réduire l’interdisciplinarité à
une multidisciplinarité, au sein de laquelle les différentes approches sont
placées les unes à côté des autres sans interagir de manière significative.
Le simple concept d’« éducation », dans le cas des sciences de l’éducation,
et de « prévention », dans le cadre de l’éducation salésienne, ne suffit pas,
car il s’agit de concepts sujets à des interprétations très différentes et très
larges.
En conclusion et au-delà de la simple division entre le premier et le
deuxième Braido, on pourrait suggérer une approche à la fois harmonieuse
et respectueuse de l’évolution de la pensée de l’auteur, traduite dans un
plan de lecture. Il faudrait commencer par la première édition du Système
préventif de 1955, qui exprime mieux sa synthèse et les transitions entre
les parties ; poursuivre avec Don Bosco educatore : Scritti e testimonianze
de 1992, qui rapporte la documentation sur l’expérience éducative de Don
Bosco dans l’ordre chronologique ; pour finir, Prevenire non reprimere de
1999, qui se concentre sur les noyaux thématiques du Système préventif en
les insérant dans l’histoire de l’éducation du XIXe siècle.
5.3.2. Collaboration entre le département PG et l’UPS autour du
projet
La collaboration entre le Dicastère pour la Pastorale des Jeunes et la
Faculté des Sciences de l’Education de l’Université Pontificale Salésienne a
commencé par une série de rencontres et de publications à partir de janvier
1979. Est apparu un intérêt commun pour approfondir certains points du
système préventif en relation avec le PEPS, qu’on a essayé de mieux définir
après le CG21.231 En ce qui concerne cet effort de collaboration et le thème
de la programmation, nous nous arrêtons surtout sur le Séminaire Proje-
ter l’éducation aujourd’hui avec Don Bosco de 1980,232 sur la publication
231 Cf. J.E. Vecchi, Presentazione, dans R. Gianatelli (ed.), Progettare l’educazione
oggi con Don Bosco. Séminaire promu par le Dicastère de la Pastorale des jeunes
de la Direction Générale “Opere Don Bosco” en collaboration avec la Faculté des
Sciences de l’Éducation de l’Université Pontificale Salésienne, Rome 1-7 juin 1980,
LAS, Roma 1981, 9.
232 Cf. Ibid.

40.4 Page 394

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394 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Projet éducatif salésien. Éléments modulaires de 1984233 et sur le congrès
de 1987 sur la Pratique éducative-pastorale et sciences de l’éducation.234
5.3.2.1. Le séminaire Projeter l’éducation aujourd’hui avec Don Bosco
(1980)
Le premier séminaire conjoint, qui s’est tenu à Rome avec la participa-
tion de chercheurs et d’agents de la pastorale en Europe, a dû faire face à
trois difficultés du projet, que Vecchi a clairement résumées dans sa pré-
sentation des travaux. La première difficulté consistait dans l’ambiguïté du
concept et de la mise en œuvre du « projet » : « Il s’agit parfois de petits
traités, de déclarations de principes, de conférences sur un aspect péda-
gogique avec des indications pratiques, d’exhortations à prendre certaines
orientations ».235 Le deuxième aspect problématique consistait en « une
préparation culturelle inadéquate. [...] Il est difficile d’arriver au noyau
essentiel du système préventif, avec une compréhension des éléments his-
toriques dans lesquels il s’est présenté ».236 L’approche développée au cours
du séminaire pour la solution de ce problème allait dans le sens de l’appro-
fondissement systématique et scientifique du système préventif comme ga-
rantie de créativité et de fidélité pastorales. Le séminaire s’est engagé dans
cette voie de réflexion, en proposant de nouveaux éclairages sur les thèmes
suivants : l’amorevolezza dans la relation éducative ; la mise en place de la
CEP ; l’éducation à la liberté, à la sexualité, à l’engagement sociopolitique ;
l’évangélisation ; la liturgie ; le sens de l’Église et l’orientation profession-
nelle. La troisième difficulté rencontrée, qui n’a été traitée que marginale-
ment, est la préférence pour les interventions éducatives individuelles et
non pour la convergence communautaire.237 En fait, comme nous l’avons
observé précédemment, le thème de la relation entre la communauté et le
projet n’émergera plus fortement que dans les années 1990.
Les études approfondies, bien que visant l’aspect pratique, étaient de
233 Cf. Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto Educativo Pastorale.
234 Cf. J.E. Vecchi - J.M. Prellezo (eds.), Prassi educativa pastorale e scienze dell’ed-
ucazione, SDB, Roma 1988.
235 J.E. Vecchi, Presentazione, dans Gianatelli (ed.), Progettare l’educazione oggi, 14.
236 Ibid.
237 Cf. Ibid., 14-15.

40.5 Page 395

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 395
nature générale, proposant des modèles théoriques d’interprétation, des
documents à prendre en compte, des dimensions à suivre, des niveaux à
approfondir et des structures à mettre en place. Il semble que le choix
explicite du Séminaire, à savoir être une aide pour les confrères à la re-
cherche d’indications opératoires,238 n’ait pas réussi à façonner l’ensemble
des interventions. Les actes, qui couvrent plus de 300 pages, ont été divisés
en secteurs, mais sans une refonte organique ou des indications méthodolo-
giques concrètes. Bien qu’il s’agisse d’un « effort partiel et incomplet »,239
le séminaire s’inscrit dans un processus de refonte du système préventif.
Parmi les contenus intéressants et innovateurs, nous nous arrêterons sur
les contributions de Herbert Franta sur l’amorevolezza et de Riccardo To-
nelli sur la communauté éducative-pastorale. Les deux auteurs ont mis en
pratique deux méthodes différentes en ce qui concerne l’actualisation de
la pédagogie salésienne : la première met en lien des modèles scientifiques
spécifiques, soigneusement sélectionnés, actualisant ainsi la tradition salé-
sienne ; la seconde est plutôt de type théorique-exhortatif et fait référence
à des thèmes d’actualité ou à succès de l’époque selon une logique de com-
paraison entre l’époque de Don Bosco et aujourd’hui.
Dans sa contribution, Franta repense la conception salésienne de
l’amorevolezza, en élargissant les horizons vers les conditions relation-
nelles, formatives, organisationnelles et récréatives qui favorisent les atti-
tudes typiques de l’amour bienveillant comme mode relationnel de l’édu-
cateur. En tant que psychologue humaniste, il propose l’amorevolezza
comme étant
l’ensemble des sentiments (joie, bonheur, etc.) et d’états émotion-
nels agréables (expériences significatives actuelles) des membres
(éducateurs et jeunes de la communauté éducative) ; sentiments et
états émotionnels qui découlent de leur propre expérience de vie,
dans une communauté de type familial insérée dans son contexte
environnemental, où chacun fait l’expérience de pouvoir être soi-
même et de former sa personnalité dans un contact authentique
avec les autres, considérés comme des personnes de valeur, dans
238 Cf. Ibid., 15.
239 Ibid., 16.

40.6 Page 396

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396 Pédagogie salésienne après Don Bosco
une relation de respect et d’amitié authentique.240
Reprenant les études pédagogiques et communicatives sur le climat
scolaire, l’auteur développe l’amorevolezza comme un système interdépen-
dant de relations à trois niveaux : entre les éducateurs, entre les élèves
et dans l’interaction entre éducateurs et élèves.241 Le système considère
ensuite la charité pastorale dans le cadre de la dimension émotionnelle ;
la responsabilité comme la concrétisation de la dimension de contrôle ; et
l’assistances comme une « présence relationnellement active ». La contri-
bution de Franta relie la salésianité, dans les interprétations de Viganò,
Stella et Braido, à la pédagogie contemporaine sans discontinuité, en of-
frant un nouveau cadre de référence harmonieux avec différentes implica-
tions pratiques et organisationnelles.
Une approche différente, généralement plus suivie par les participants
du Séminaire, a été la réflexion sur la communauté éducative-pastorale
de Riccardo Tonelli. En restant au niveau des principes théoriques, l’au-
teur a structuré son intervention selon les étapes suivantes : la situation,
la tradition salésienne, l’actualisation des connaissances et les directives
opérationnelles. Même dans les indications méthodologiques, l’accent est
mis davantage sur les principes inspirateurs que sur leur traduction procé-
durale et méthodologique. L’auteur s’exprime ainsi :
Chaque communauté crée ses propres structures de discussion et
de dialogue. Après en avoir affirmé la nécessité, nous ne pouvons
donc donner que quelques exemples, en nous appuyant sur des tra-
ditions éducatives assez répandues : conseils à différents niveaux,
assemblées, méthodologies de planification et de définition des ob-
jectifs et de vérification, organes de coordination et de décision...
Il n’est pas inutile de rappeler que l’exercice correct de ces struc-
tures participatives requiert une compétence technique, à acquérir
240 H. Franta, Relazioni interpersonali e amorevolezza nella comunità educativa sale-
siana, in Gianatelli (ed.), Progettare l’educazione oggi, 21.
241 Voir par exemple W. Klafki, Studien zur Bildungstheorie und Didaktik, Beltz,
Weinheim 1964; H. Fend, Schulklima. Soziale Einflussprozesse in der Schule,
Beltz, Weinheim-Basel 1977; K. Mollenhauer, Theorien zum Erziehungsproz-
essen, Juventa, München 1972. En outre, l’accent est mis sur Pestalozzi, Buber et
Lewin.

40.7 Page 397

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 397
par l’étude de disciplines spécialisées (la dynamique de groupe, par
exemple, et l’animation socioculturelle). Cette confiance et ce res-
pect des appareils techniques représentent une exigence salésienne
précise, conséquence logique de la conscience qu’il existe une rela-
tion étroite entre l’éducation (et les sciences de l’éducation qui y sont
liées) et l’évangélisation.242
Les questions méthodologiques sont donc considérées comme tech-
niques et la confiance dans cet appareil technique est requise au nom d’un
axiome épistémologique. Malheureusement, l’auteur n’a pas abordé les dif-
férences entre les divers modèles de participation, qui peuvent être consi-
dérables, comme le montre la variété des théories dans les sciences de l’or-
ganisation et de la gestion. Le caractère générique de l’exhortation pourrait
conduire à une utilisation indiscriminée de diverses méthodologies, qui
pourraient à leur tour être contradictoires, et à la rupture correspondante
entre les principes inspirateurs de la pastorale salésienne et la méthodolo-
gie très technique de la planification des années 1970.
Dans les autres interventions du Séminaire, il y a aussi des parties des-
tinées à répondre aux besoins opérationnels,243 mais il est intéressant de
noter qu’il s’agit surtout de recommandations ponctuelles qui contrastent
avec l’ancienne « mentalité collégiale » ou qui citent les indications opé-
rationnelles du magistère ecclésial et salésien.244 Dans le style des CG et
des interventions de la Pastorale des Jeunes, l’approche opérationnelle se
traduit par la production de listes d’éléments à mettre en œuvre, sans une
étude approfondie de leurs interdépendances. En conclusion, on peut no-
ter que le Séminaire a préféré l’approche théorique et a relégué le sens du
mot « projet » dans la sphère des chercheurs qui présentaient les nouvelles
242 R. Tonelli, Impostazione della comunità educativa in un contesto pluralista, in
Gianatelli (ed.), Progettare l’educazione oggi, 83.
243 Tonelli, Impostazione della comunità educativa, in Gianatelli (ed.), Progettare
l’educazione oggi, 72-86; C. Nanni, Educazione alla libertà responsabile, in Ibid.
110-118; J. Aldazabal, Liturgia, preghiera personale, devozione mariana, in Ibid.
226-229, 234-238, 243-246 et P. Gianola, Orientamento vocazionale, in Ibid. 318-
324.
244 Dans les parties consacrées aux applications pratiques on cite en particulier les
Constitutions rénovées, le CG 21 (1978), le CGS (1972), les lettres de Viganò et les
documents du Concile Vatican II.

40.8 Page 398

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398 Pédagogie salésienne après Don Bosco
tendances de leur domaine d’étude sans recréer un système préventif
comme un « ensemble organique de convictions, d’attitudes et d’interven-
tions méthodologiques ».245
5.3.2.2. La publication du Projet éducatif salésien. Éléments modulaires
(1984)
La ligne de l’actualisation de la pédagogie salésienne par domaines ou
dimensions a été renforcée par autre événement dans la collaboration entre
le dicastère et la FSE de l’UPS : la publication du volume Progetto Edu-
cativo Pastorale. Elementi modulari de 1984. Le volume, de près de cinq
cents pages, tentait de répondre aux difficultés de la planification, comme
le soulignait Vecchi : « Une fois qu’on a compris la dynamique et appris
les techniques, on se rend compte que les véritables difficultés se situent
davantage à la racine. Elles ont leur origine dans la compréhension fonda-
mentale de certains points clés concernant l’éducation et la pastorale ».246
Trente-quatre thèmes ont été retenus et organisés sous la forme d’un mo-
dule divisé en quatre parties : la définition de chaque élément, avec des
références conceptuelles ou historiques ; l’accent mis sur l’importance de
l’élément ; le contenu essentiel ; la bibliographie. L’objectif n’était pas de
donner des recettes à appliquer, mais d’élargir la prise de conscience et de
former une mentalité en offrant « un cadre de référence sûr et substantiel-
lement complet »247 sur les questions clés du PEPS.
Les auteurs se sont concentrés sur la description des développements
dans les sciences de l’éducation et de la pastorale dans son ensemble, sans
baser leur étude sur les expériences ou les traditions salésiennes, à l’excep-
tion des modules spécifiques écrits par Vecchi. Cela se voit dans l’approche
générale des modules, qui commence presque toujours par les développe-
ments récents dans une discipline scientifique. Cette approche, comme une
arme à double tranchant, a favorisé l’utilisation du volume également en
dehors des cercles salésiens, mais en perdant la spécificité de l’éducation et
de l’approche salésienne ou en la rendant implicite. Les thèmes de l’identité
245 Vecchi, Presentazione, dans Gianatelli (ed.), Progettare l’educazione oggi, 14.
246 J.E. Vecchi, Presentazione, in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo pasto-
rale, 5.
247 Cf. Ibid., 8.

40.9 Page 399

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 399
salésienne du projet éducatif-pastoral, du développement historique du
système préventif et de la comparaison avec les expériences actuelles de
l’éducation-pastorale salésienne sont présents presque exclusivement dans
le module sur le système préventif, préparé par Vecchi.248 Ce module est
une excellente synthèse de l’actualisation du système préventif, mais c’est
une unité en soi qui n’imprègne pas, comme paradigme de base, le reste de
la publication.249
Ce livre est un excellent mini-dictionnaire des sciences de l’éduca-
tion et de la pastorale pour les chercheurs en programmation. Les thèmes
suivent les références fondamentales d’un projet : aspects généraux, ob-
jectifs, méthodologies, sujets et milieux et couvrent tout le domaine de
la planification, offrant un large éventail de thèmes et de points de vue
pastoraux, théologiques, philosophiques, psychologiques, sociologiques et
didactiques. Les éléments de méthodologie, traités dans les modules sur
le projet éducatif-pastoral, sur les objectifs, sur l’itinéraire éducatif et sur
l’évaluation,250 sont toutefois davantage liés au domaine de l’éducation sco-
laire, laissant de côté les spécificités de l’oratoire, de la paroisse, de la vo-
cation et de la mission. Ce fait est également confirmé par Vecchi lorsqu’il
affirme que
les termes projet et programmation ne sont entrés dans le langage
pédagogique que relativement récemment. [...] Cela semble être dû
davantage à un développement global dans le domaine des sciences
de l’éducation qu’à des raisons particulières, dans lesquelles la
connexion organique des besoins du processus complexe de crois-
sance de la personnalité dans la phase évolutive est apparue plus
clairement. L’impulsion décisive est venue de la didactique, qui a
introduit le concept de curriculum.251
248 Cf. J.E. Vecchi, Sistema Preventivo, in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo
pastorale, 72-89.
249 Notons « la difficulté de réaliser l’unité de perspective » signalée par Vecchi, Pre-
sentazione, dans Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo pastorale, 7-8.
250 Cf. M. Pellerey, Itinerario, in Vecchi – Prellezo (eds), Progetto educativo pasto-
rale, 188-196; Id., Obiettivi, in Ibid., 93-100; S. Sarti, Valutazione, in Ibid., 310-321
e Vecchi, Progetto educativo pastorale, in Ibid., 15-25.
251 J.E. Vecchi, Progetto educativo pastorale, in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto
educativo pastorale, 15.

40.10 Page 400

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400 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Pour les aspects qui concernent directement la méthodologie de la pla-
nification, on peut noter que Vecchi, dans le module sur la planification,
confirme ce qui est proposé dans les documents du Dicastère pour la Pas-
torale des Jeunes. Il mentionne les quatre aspects du contenu du projet
déjà rencontrés dans les documents : les orientations idéales (cadre de ré-
férence), l’analyse de la situation, les choix opérationnels et, enfin, la vé-
rification. La partie contenant les lignes directrices idéales est renforcée,
en harmonie avec l’accent mis sur l’étude des idées clés dans les études
approfondies de la même publication, ce qui en fait un niveau du projet
à part entière.252 Une autre caractéristique de la proposition de Vecchi est
l’accent mis sur l’harmonisation des différents éléments du projet, qui re-
flète la situation fragmentée de la condition des jeunes et de la société. Le
projet doit proposer : un cadre unitaire et cohérent de valeurs, une vision
organique, des lignes opérationnelles qui fassent converger les rôles, les in-
terventions et les services.253 Malgré son insistance sur l’organicité, Vecchi
s’est efforcé de sortir du paradigme scientifique-technique de la planifica-
tion comprise de manière linéaire et non systémique.254
Si nous analysons le volume sous l’angle de la relation entre éducation
et évangélisation, nous constatons une nette préférence pour les thèmes
éducatifs. Le module de base de Giuseppe Groppo intitulé « Évangélisa-
tion et éducation » est structuré autour du paradigme d’une évangélisation
qui nécessite l’éducation et la promotion humaine, laissant de côté l’enga-
gement inverse. Le développement du thème est explicitement sous l’in-
fluence du tournant anthropologique, se référant à Gustavo Gutiérrez et à
Johann Baptist Metz pour l’aspect théorique.255 Les aspects opérationnels,
252 Cf. Ibid. 22-23.
253 Cf. Ibid. 16-19.
254 Cf. Vecchi, Presentazione, in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo pastorale,
5-6. Pour la « technicité » de la planification, compréhensible dans la période des an-
nées 1970 et du début des années 1980, cf. les exemples que Vecchi donne pour clari-
fier les concepts de la planification: le passage de la voiture à cheval à l’automobile, la
différence entre un traité d’ingénierie et le dessin d’un bâtiment, la planification com-
me une carte avec une boussole in Vecchi, Per riattualizzare il Sistema Preventivo, in
ILE, Convegno sul Sistema Preventivo, 2-3 et Vecchi, Progetto educativo pastorale,
in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo pastorale, 16 et 19.
255 Cf. G. Groppo, Evangelizzazione e educazione, in Vecchi - Prellezo (eds.), Proget-
to educativo pastorale, 38-39.

41 Pages 401-410

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41.1 Page 401

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 401
en revanche, sont influencés par la fortune des communautés ecclésiales
de base. Conformément à l’argumentation des modules de Nanni et d’Al-
berich, on propose avant tout une éducation libératrice et humanisante,
mettant à profit les limites du modèle préconciliaire, le phénomène de la
sécularisation et la sensibilité accrue au dialogue, à la collaboration et à
l’associationnisme spontané. L’évangélisation est décrite sur un ton peu
concret, lui réservant un rôle d’inspiration et de signification pour l’action
éducative. Emilio Alberich interprète l’évangélisation génériquement dans
ce sens comme « proclamation et témoignage de l’Évangile par l’Église, à
travers tout ce qu’elle dit, fait et est ».256 En réservant les méthodologies à
la sphère éducative, il esquisse « une éducation à la foi seulement de façon
indirecte. Les choix de foi des chrétiens, en tant qu’individus et en tant que
communauté, deviendront de plus en plus libres et responsables, de plus
en plus mûrs, au fur et à mesure de la maturation humaine des chrétiens
qui les font et des communautés dans lesquelles ils vivent leur expérience
de foi ».257 On perçoit un souci clair de sortir de la « forteresse de la foi
préconciliaire » de type ricaldonien en s’ouvrant aux réalités « humaines ».
Paradigmatique en ce sens est la conclusion du module de Nanni :
Il est évident d’autre part que l’éducation se spécifie en tant qu’œuvre
“laïcale”. [...] L’éducation est en effet significative en elle-même dans
la mesure où elle est une œuvre radicalement humaine, orientée
vers la promotion de cette réalité qui a la dignité d’une fin: l’homme.
Pour cette raison, les individus et les communautés chrétiennes
peuvent trouver dans l’activité éducative un lieu de rencontre avec
“tous les hommes de bonne volonté”, croyants et non-croyants, en
vue de la recherche d’une qualité de vie différente, en vue de la pro-
motion humaine individuelle et collective, en vue de la construction
de sociétés à l’échelle humaine.258
Outre quelques déséquilibres dans la partie mentionnée des « aspects
256 E. Alberich, Catechesi, in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo pastorale,
62.
257 Groppo, Evangelizzazione e educazione, in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto edu-
cativo pastorale, 41.
258 C. Nanni, Educazione, in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo pastorale, 37.

41.2 Page 402

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402 Pédagogie salésienne après Don Bosco
généraux », il y a plusieurs modules qui apportent des innovations ou des
stimuli importants pour la pédagogie salésienne. Les deux contributions
de Vecchi sur le projet éducatif-pastoral et sur le système préventif fonc-
tionnent comme introduction et conclusion de la partie systématique des
aspects généraux. En outre, le troisième module de Juan Vecchi sur l’orien-
tation et la pastorale des vocations est très intéressant pour les distinctions
méthodologiques qu’il opère entre une orientation de type psychologique
et une pastorale des vocations au sens large. Les deux contributions d’Her-
bert Franta sur l’assistance comprise comme la présence active de l’édu-
cateur et sur la relation éducative complètent sa proposition de repenser
les catégories typiques de l’amorevolezza, de l’assistance et de l’environ-
nement éducatif familial. Dans les modules d’Aldo Ellena, de Mario Pollo
et de Riccardo Tonelli apparaissent les facettes de la théorie de l’anima-
tion, auxquelles nous consacrerons un espace par la suite. Les sections
consacrées aux objectifs et aux itinéraires par Michele Pellerey, donnent
un aperçu de la synthèse et du contexte de la planification des années 1980.
Intéressantes sont les considérations sur les théories du leadership propo-
sées par Pio Scilligo dans le module sur le groupe, qui montrent sa maîtrise
du sujet et son actualisation dans le domaine de la planification.
Même si le texte souligne que le premier objectif de la planification
est la vision unitaire et organique de l’éducation, confirmant à nouveau les
indications du CG21, Don Vecchi note la difficulté d’atteindre l’unité de
perspective et la continuité de style.259 La nécessité de l’interdisciplinarité
et des outils et interventions de convergence est bien notée, mais le mé-
ta-message du volume est plutôt déterminé par la division en modules avec
la fragmentation des thèmes, des termes, des outils, des aires linguistiques
et des domaines de recherche des différentes sciences. Les instruments et
les interventions de convergence ne sont pas clairement lisibles et même
le module de « promotion intégrale », qui pourrait être unitaire par ex-
cellence, est composé de nombreuses distinctions et sous-sections.260 La
259 Cf. Vecchi, Presentazione, in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo pasto-
rale, 8.
260 Le module comprend trois tâches pour les communautés chrétiennes, trois pro-
cessus différents d’humanisation, quatre aspects du salut chrétien, cinq caractéris-
tiques de l’éducation spécifiquement chrétienne, deux types de dispositions de la
maturité humaine (le premier intègre cinq aspirations humaines, le second trois
traits positifs), quatre dimensions de l’intégration personnelle, deux descriptions de

41.3 Page 403

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 403
fragmentation n’est certainement pas intentionnelle, mais elle est l’effet
d’une science qui tend vers la spécialisation et qui est donc nécessairement
fragmentée.
En tenant compte de l’objectif de cet essai, on peut affirmer, en syn-
thèse, que la publication encyclopédique de 1984 est une source très riche
pour l’étude du background théorique de l’éducation salésienne et pour les
perspectives qu’elle offre dans le domaine méthodologique. La perspective
proprement pastorale, qui pourrait développer sa propre méthodologie, en
creusant la logique de l’évangélisation avant tout dans sa dimension spiri-
tuelle et vocationnelle, occupe peu l’attention et se limite à quelques appro-
fondissements circonscrits.
5.3.2.3. Le congrès Praxis éducative-pastorale et sciences de l’éducation
(1987)
La tendance à la fragmentation des approches et le fossé entre les
sciences et la praxis éducative pastorale ont été abordés lors du centenaire
de la mort de Don Bosco lors du séminaire sur « La praxis éducative pas-
torale et les sciences de l’éducation ».261 Le séminaire a réuni des salésiens
d’une trentaine de contextes différents et, à la différence des initiatives
précédentes, il a voulu favoriser une « convergence dialectique entre théo-
rie et pratique »,262 entre la sensibilité des chercheurs et celle des acteurs
de l’éducation. Les communications étaient structurées en quatre parties :
perspective historique, situation actuelle, nouvelles questions, lignes direc-
trices et propositions.
Dans la première partie, après avoir abordé la figure de Don Bosco
éducateur dans la mémoire historique et l’étude de la pédagogie dans la
Congrégation, on a présenté l’utilisation des sciences de l’éducation dans
trois expériences pédagogiques salésiennes récentes et significatives : les
sciuscià de Rome à Borgo Don Bosco, la maison de rééducation d’Arese
la maturité chrétienne, dont la seconde est divisée en quatre caractéristiques, etc.
Voir Groppo, Promozione integrale, in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo
pastorale, 113-131.
261 Cf. J.E. Vecchi - J.M. Prellezo (eds.), Prassi educativa pastorale e scienze dell’ed-
ucazione, SDB, Roma 1988.
262 J.E. Vecchi - J.M. Prellezo, Introduzione, in Vecchi - Prellezo, Prassi educativa, 6.

41.4 Page 404

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404 Pédagogie salésienne après Don Bosco
et l’expérience de Bosconia-la Florida en Colombie. Giancarlo Milanesi a
noté l’utilisation substantiellement éclectique et fonctionnelle des sciences
de l’éducation, même dans l’originalité de l’approche salésienne qui, selon
les cas, se juxtapose au psychologisme et ne sélectionne que certaines tech-
niques ou méthodes, en restant critique envers les présupposés anthropo-
logiques des différentes sciences. En ce qui concerne la programmation au
niveau éducatif-pastoral, on observe dans les deux premières expériences
une moindre influence des sciences de l’éducation dans la formulation du
projet et en même temps l’utilisation de la science plutôt ex post, pour
justifier les choix éducatifs déjà faits.263 La programmation de l’œuvre de
Bosconia-la Florida, considérée comme la plus explicitement liée à un cadre
articulé de sciences de l’éducation, est décrite comme étant attentive aux per-
sonnes impliquées dans le programme, au cadre conceptuel, aux objectifs,
aux stratégies et à l’évaluation. L’éclectisme est toutefois noté, mais contrai-
rement à d’autres œuvres, il est présenté comme intentionnel et justifié.264
Le thème du projet en éducation et pastorale n’est abordé directement
que dans le rapport de Vecchi, qui le considère comme un outil éducatif
à l’ère de la complexité. Dans les provinces qui utilisent la planification,
on peut observer les premiers fruits : une plus grande convergence entre
l’évangélisation et l’éducation, une attention à la mise en place de l’en-
vironnement, une attention aux besoins des destinataires et une innova-
tion dans les contenus et la méthodologie. Don Vecchi, à partir des données
des vérifications lors des Visites d’ensemble265 et du Rapport sur l’état de la
Congrégation, estime que le chemin parcouru par les provinces au cours de la
dernière décennie, est encore dans une phase initiale, non exempte de difficul-
tés, et voit la planification presque absente dans les communautés locales.266
263 Cf. G. Milanesi, L’utilizzo delle scienze dell’educazione nell’impegno dei salesiani
per i giovani “poveri, abbandonati, pericolanti”, in Vecchi - Prellezo, Prassi ed-
ucativa, 89-90 et 97-99.
264 Cf. Milanesi, L’utilizzo delle scienze dell’educazione, in Vecchi - Prellezo, Prassi
educativa, 108-115.
265 Les « visites d’ensemble » sont un instrument d’animation du recteur majeur et du
Conseil Général. Au cours des visites, les responsables de la Congrégation vérifient
le chemin en cours dans les différentes réalités salésiennes régionales et assurent,
dans le respect des diversités spécifiques, la convergence et l’unité.
266 Cf. J.E. Vecchi, Pastorale, educazione, pedagogia nella prassi salesiana, in Vec-
chi - Prellezo, Prassi educativa, 140-142. Cf. aussi E. Viganò, La Società di S.

41.5 Page 405

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 405
Les autres interventions concernent la diversité des perspectives théo-
logiques et éducatives et leur manque de structuration épistémologique ; la
nécessité d’une synthèse opérationnelle qui impliquerait des choix réfléchis
et clairs ; la nécessité d’une nouvelle pastorale dans des situations influen-
cées par le sécularisme, les changements culturels en cours, la marginali-
sation, la crise des associations salésiennes et la diffusion des mass media.
Au niveau des propositions, une nouvelle pastorale est évoquée de manière
générique, caractérisée par une formation pédagogique plus approfondie,
etc. Les discussions contiennent également des suggestions concrètes pour
l’utilisation des sciences de l’éducation dans la pratique salésienne. Parmi
les instruments indiqués figurent les PEPS à valoriser et à approfondir, la
création de centres d’études et l’utilisation des contributions des centres de
consultation existants, la constitution d’équipes d’animation pédagogique
au niveau provincial, la fondation de revues, la pratique du « scrutinium
educationis », l’application de l’analyse institutionnelle et de l’évaluation
pédagogique.267 À la fin des années 1980, on sentit le besoin de poursuivre
dans la ligne de la collaboration entre la FSE et les différents dicastères de
la Congrégation pour promouvoir aussi bien la prise de conscience de la
nécessité de la compétence pédagogique que l’étude et l’acquisition de la
compétence éducative, surtout dans la phase de la formation permanente.
Les propositions s’inscrivaient toutefois davantage dans le cadre de sou-
haits et de brainstorming que dans celui d’un plan systématique d’anima-
tion et de gouvernance visant à établir des priorités, à prévoir des modali-
tés, à répartir les ressources et à planifier des échéances.
Dans les différentes interventions du congrès est apparu un fossé entre
la critique de l’« eclectisme pragmatique » des salésiens dans l’utilisation
de la science et le flou générique des propositions éducatives pour les sa-
lésiens comme éducateurs-pasteurs. On pourrait dire que la précision dé-
libérée des méthodes utilisées dans les sciences de l’éducation, le peu de
continuité avec l’éducation salésienne traditionnelle et la difficile intégra-
tion des différentes disciplines liée au fait de n’avoir qu’une petite élite de
pédagogues préparés au niveau de la Congrégation ont rendu irréalisables
les pas les plus concrets dans la ligne des conclusions du séminaire. La
Francesco di Sales nel sessennio 1978-83, SDB, Roma 1983, no. 170.
267 Cf. Sintesi dei lavori e conclusioni, in Vecchi - Prellezo, Prassi Educativa, 324-
326.

41.6 Page 406

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406 Pédagogie salésienne après Don Bosco
planification éducative-pastorale, comme expression concrète de l’appli-
cabilité des sciences de l’éducation à la praxis éducative-pastorale, a été
mentionnée pour dire la nécessité de « valoriser et approfondir le PEPS ;
[...] soutenir la validité et la centralité de l’évaluation éducative à tous les
niveaux ; appliquer l’analyse institutionnelle à notre contexte ».268
Le congrès, qui conclut une décennie de collaboration étroite entre
la FSE de l’UPS et le Dicastère pour la PG, révèle la présence de deux
« mondes » existentiels et mentaux. Le premier, composé principalement
de chercheurs-experts, critiques dans leur évaluation de la praxis éduca-
tive-pastorale, exprime avec force et radicalité « la nécessité de la quali-
fication éducative de l’action salésienne à tous les niveaux, en commen-
çant par les personnes et en s’étendant ensuite aux orientations générales,
aux projets spécifiques de chaque secteur d’intervention, aux actes éduca-
tifs-pastoraux individuels ».269 Dans le second « monde », plus large, plus
étroitement lié à la vie quotidienne des œuvres salésiennes, « à une époque
d’expansion et d’accélération des changements éducatifs comme celle d’au-
jourd’hui, il manque la capacité d’assumer le renouvellement des contenus
déterminé par l’évolution de la culture et la réforme des structures et de
savoir faire les choix appropriés avec compétence ».270 L’évolution future
des années 1990 semble indiquer un éloignement progressif de ces deux
« mondes », ce qui impliquera également une diminution progressive de
l’intensité de la collaboration entre l’UPS et les différents dicastères.
5.3.3. Réflexions pédagogiques des FMA : réciprocité, coéducation et
éducation au féminin
Les voies de la nouvelle évangélisation proposées par l’Eglise pour
permettre aux jeunes générations la rencontre vitale avec le message
chrétien, ont mis la Famille salésienne au défi de reconsidérer le rapport
entre éducation et évangélisation en élaborant des perspectives spécifiques
« nouvelles ». Outre les perspectives de Don Viganò et de Don Vecchi, qui
268 Ibid., 326.
269 Ibid., 327.
270 E. Viganò, La Società di S. Francesco di Sales nel sessennio 1978-83, in Vecchi -
Prellezo, Prassi educativa, 148.

41.7 Page 407

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 407
proposent des lignes de synthèse plus générales, nous trouvons des thèmes
de réflexion pédagogique intéressants et originaux chez les Filles de Marie
Auxiliatrice. De même qu’il y a eu un mouvement de collaboration entre
l’UPS et le gouvernement central des SDB, les années 1980 et 1990 ont
été pour l’Institut des FMA le temps de la diffusion des réflexions nées à
l’intérieur de la Faculté Pontificale des Sciences de l’Education Auxilium,
transférée à Rome en 1978, et qui vivait une période de consolidation.
Mère Marinella Castagno, Supérieure Générale de 1984 à 1996, ré-
sume l’engagement des FMA en soulignant en particulier les deux points
principaux. D’une part, dans le sillage de Viganò et Vecchi, elle soutient la
thèse de l’harmonie entre l’éducation et l’évangélisation en affirmant que
« l’éducation des jeunes est le chemin de l’évangélisation ou plutôt c’est un
chemin unique, parce qu’il n’y a pas de sens à une œuvre éducative qui ne
conduit pas au Christ et il n’y a pas d’évangélisation qui n’inclut pas toute
la culture ».271 D’autre part, Mère Castagno exhorte les sœurs à approfondir
leur mission éducative en faveur des jeunes, en gardant à l’esprit la « spé-
cificité féminine » qui caractérise l’Institut depuis ses origines, mais dont
l’importance est particulièrement mise en valeur dans le moment histo-
rique autour du centenaire de 1988.
En effet, les FMA poursuivent la réflexion de Vatican II qui, en ce qui
concerne la question de la femme, est passé de sa formation pratique au
rôle de la maternité à l’éducation de la femme en général, c’est-à-dire de
l’éducation à une seule fonction à la formation de la personne dans son en-
semble.272 La perspective du Concile sur l’éducation des femmes est donc
ouverte à de nouvelles exigences de promotion et d’ouverture sociale que
les FMA accueillent, les mettant en dialogue avec le système préventif. Si
auparavant la participation des femmes à la vie politique et sociale était
considérée presque comme une « concession », dans la période postcon-
ciliaire elle a été comprise comme un droit de la « femme-sujet » qui,
consciente d’être une personne, demande à être considérée comme telle. Les
formations proposées aux jeunes femmes étaient donc plus respectueuses
271 M. Castagno, Lettera circolare (28 mars 1987) no. 690, in E. Rosso (ed.), Parole
che giungono al cuore con il sapore di Mornese. Circulaires de Mère Marinella
Castagno 1984-1996, Istituto FMA, Roma 2008, 132.
272 Cf. Dau Novelli, L’educazione femminile, in Galli (ed.), L’educazione cristiana
negli insegnamenti degli ultimi pontifici. Da Pio XI a Giovanni Paolo II, Vita e
pensiero, Milano 1992, 221.

41.8 Page 408

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408 Pédagogie salésienne après Don Bosco
de leur autonomie, afin de les encourager à faire un libre choix quant à la
réalisation de leur identité dans une perspective sociale.273
L’accentuation de la question féminine et de ses implications éduca-
tives dans l’Institut des FMA et dans les documents élaborés par celui-ci
est apparue en particulier lors du Congrès « Vers l’éducation de la femme
aujourd’hui », voulu et convoqué par la supérieure générale, Mère Mari-
nella Castagno, à l’occasion du centenaire de la mort de Don Bosco. Le
Congrès, organisé par la Faculté des Sciences de l’Education Auxilium,
proposait d’approfondir le charisme éducatif des FMA en repensant les
modalités de mise en œuvre, afin d’offrir dans la diversité des différents
contextes socioculturels une proposition d’éducation intégrale des jeunes
femmes.274
À partir de la seconde moitié des années 1980, en lien avec la réinter-
prétation de l’identité de la femme et de sa vocation par le magistère ec-
clésial,275 on assiste à une plus grande prise de conscience de la condition
féminine et l’évolution des conditions sociales montre clairement que la
coéducation des jeunes est la voie privilégiée pour améliorer la famille et
la société. Les thèmes autour desquels les FMA rassemblent les différentes
instances d’actualisation du système préventif concernent la dimension re-
lationnelle, communautaire et sociale de la méthode de Don Bosco. La
dimension relationnelle du système préventif de Don Bosco trouve son ex-
pression la plus éloquente dans l’amorevolezza. Cette voie méthodologique
est choisie comme la plus appropriée pour élaborer une pédagogie qui pro-
meut la vie et collabore avec l’Église à l’humanisation de la culture.276
273 Cf. les nouveaux accents déjà dans les Atti del Capitolo Generale XIV dell’Istituto
delle Figlie di Maria Ausiliatrice tenutosi a Torino – Casa Generalizia dal 26 agos-
to al 17 settembre 1964, Torino, Istituto FMA 1965.
274 Cf. Castagno, Lettre circulaire (28 mars 1987), 131-132 et A. Colombo (ed.), Verso
l’educazione della donna oggi. Atti del Convegno Internazionale promosso dalla
Pontificia Facoltà di Scienze dell’Educazione “Auxilium”, Frascati 1o - 15 agosto
1988, LAS, Roma 1989.
275 Cf. Jean-Paul II, Lettre apostolique Mulieris Dignitatem, in AAS 80 (1988) 1653-
1729. Les thèmes de la lettre ont déjà été développés auparavant dans les catéchèses
consacrées par Jean-Paul II au thème de l’amour humain et dans l’exhortation apos-
tolique Familiaris Consortio. Cf. Id., Uomo e donna li creò, LEV, Roma 1985.
276 Cf. “A te le affido” di generazione in generazione. Atti del Capitolo Generale XX
delle Figlie di Maria Ausiliatrice (Roma 18 settembre-15 novembre 1996), Istituto
FMA, Roma 1997, 6-7.

41.9 Page 409

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 409
Le congrès de 1988, déjà mentionné, a vu la redécouverte de la caté-
gorie de la réciprocité comme critère d’interprétation de l’identité person-
nelle et des relations entre les personnes et les cultures. Grâce à la récipro-
cité on propose l’élaboration et le partage de la richesse diversifiée d’être
un homme et d’être une femme. Les parcours éducatifs proposés par les
FMA s’enrichissent donc de nouveaux objectifs tels que la formation à une
conscience réaliste de soi dans l’assomption de sa propre identité, la ma-
turité des relations interpersonnelles, la gestion équilibrée des conflits, le
renforcement du sens de la collaboration et de la solidarité entre les sexes
et dans les relations sociales plus larges, la planification de l’existence dans
le sens de l’acceptation de la diversité culturelle et de la réciprocité.
Sur la question de la réciprocité le rôle déterminant fut celui d’An-
tonia Colombo, première doyenne de l’Auxilium et ensuite supérieure
générale de l’Institut des FMA de 1996 à 2008. Sa sensibilité particu-
lière aux questions féminines l’a amenée à promouvoir de nombreuses
initiatives, à spécialiser ses publications, à établir des relations d’étude
et d’amitié avec des personnalités religieuses et laïques qui s’intéressent
à la question de la femme et, en particulier, avec les représentantes du
Centre des femmes italiennes « Progetto Donna », le mouvement fémi-
niste catholique. Dans son magistère, en effet, il y a une orientation déci-
sive et continue vers la nécessité de développer un modèle personnaliste
« uniduel » au niveau anthropologique et pédagogique : un humanisme
de réciprocité dans l’horizon trinitaire.277 Sa proposition affirme avec
conviction la réciprocité comme fondement anthropologique de l’éduca-
tion salésienne vécue au féminin.278 La supérieure générale précise le
cadre de référence anthropologique et théologique des choix éducatifs
des FMA dans l’affirmation suivante :
La relation mutuelle d’amour et de don qui les unit est la base de
toutes les relations humaines. Être l’image de Dieu est le fondement
277 Cf. A. Colombo, Educazione all’amore come coeducazione, in Educare all’amore.
Actes de la XVIe Semaine de Spiritualité pour la Famille Salésienne, SDB, Roma
1993, 125-126.
278 Cfr. A. Colombo, La profecía a la que está llamada la educación salesiana hoy, in
C. Arango - T. Fernández - E. Garay (eds.), Escuela salesiana: memoria y profecía.
100 años de presencia en Colombia de las Hijas de María Auxiliadora (Santa Fe de
Bogotá 17-20 septiembre 1997), Editorial Carrera, Santa Fe de Bogotá 1998, 222-226.

41.10 Page 410

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410 Pédagogie salésienne après Don Bosco
de l’être relationnel d’une personne, de son existence en relation avec
l’autre soi. Nous ressemblons à Dieu dans la mesure où nous établis-
sons des relations qui favorisent la vie sous le signe de la réciprocité,
de l’échange de dons. La réciprocité se nourrit de la capacité de la
personne d’élargir sa propre expérience pour inclure celle de l’autre.
Il ne s’agit pas de pure philanthropie, ni de simple altruisme, car la
réciprocité n’est pas une action unilatérale qui nous rend soumis,
dépendants, mais une volonté de recevoir, ainsi que de donner, une
capacité à mettre l’autre personne en position de rendre la pareille,
de correspondre, de sentir qu’elle a quelque chose à communiquer,
à offrir.279
La réciprocité fait implicitement référence à une anthropologie propo-
sée de différentes manières par Martin Buber, Emmanuel Lévinas et Em-
manuel Mounier, qui a pour point fixe l’idée que l’être humain est « une
relation » et non simplement « en relation ». Dans la réflexion pédagogique,
cela signifie la nécessité de différencier la relation de réciprocité de celle
d’échange. Dans les relations de réciprocité, il y a une bidirectionnalité
comme dans la relation d’échange, mais la réciprocité diffère de cette der-
nière car celui qui donne quelque chose en premier doit mettre celui qui
reçoit en condition de réciprocité. La réciprocité dans la réflexion des FMA
concerne les relations interpersonnelles, dont la meilleure icône est la re-
lation entre l’homme et la femme. Cela implique que pour construire une
authentique culture de la réciprocité, il est essentiel de partir d’un appro-
fondissement des spécificités fondamentales de l’homme et de la femme.280
Au-delà de l’accent mis sur les spécificités et les conditions de la réciproci-
té, des réflexions ont également été développées qui soulignent la logique
de la gratuité et de la gratitude.281
Dans les contextes où la discrimination à l’égard des femmes persiste,
il importe avant tout de racheter les valeurs féminines traditionnellement
279 Colombo, lettre circulaire du 24 septembre 2000, no. 823.
280 Cf. la section « Système préventif et réciprocité » dans M. Borsi - P. Ruffinatto
(eds.), Sistema Preventivo e situazione di disagio. L’animazione di un processo per
la vita e la speranza delle nuove generazioni, LAS, Roma 2008, 165-167.
281 Cf. A. Meneghetti - M. Spólnik (eds.), Gratitudine ed educazione. Un approccio
interdisciplinare, LAS, Roma 2012.

42 Pages 411-420

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42.1 Page 411

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 411
considérées comme « faibles » et de promouvoir une culture qui recon-
naisse la dignité des femmes en droit et en fait. Dans son livre sur l’évolu-
tion de la relation éducative dans l’histoire des FMA, sœur Piera Ruffinatto
résume le chemin parcouru jusqu’en 1990, en soulignant la méthodologie
de la coéducation :
Considérant que le processus de réélaboration du « soi » féminin
est intimement lié à celui de l’homme, au niveau pédagogique on
considère la relation dans l’optique de la coéducation. L’élément dis-
criminant de la différence entre les hommes et les femmes doit donc
se traduire par des parcours éducatifs qui permettent de passer de
la simple présence de garçons et de filles à une relation interper-
sonnelle entre les sexes, orientée par le dialogue et la confrontation
qui favorise la maturation intégrale de la personne et l’ouvre au don
de soi dans l’amour. La coéducation devient donc à la fois le but du
processus éducatif et le contenu de la relation elle-même, puisqu’elle
tend à former à l’amour comme mode de vie.282
La traduction méthodologique du principe de réciprocité dans la mé-
thode de coéducation a connu divers développements. Dépassant la sphère
spécifique de la coéducation des garçons et des filles, sœur Maria Marchi
affirme qu’au niveau pédagogique l’éducation est par nature coéducative,
en ce sens qu’il n’y a pas d’éducation s’il n’y a pas de relation interperson-
nelle entre les sujets, élargissant ainsi le champ sémantique de la coéduca-
tion vers la relation comme constitutive de l’être humain. Pour Marchi, la
loi de la réciprocité est en permanence interactive, de sorte que la consis-
tance de l’identité d’une personne dépend de l’intensité et de la qualité
de ses relations ; et en même temps la qualité de la relation dépend de la
consistance et de la qualité de l’identité personnelle : « L’éducation est donc
toujours coéducation parce qu’il y a deux personnes qui s’éduquent ; deux,
en fait, sont les protagonistes nécessaires pour que le processus éducatif
ait lieu ».283 Dans les déclarations citées, nous pouvons voir une tendance
282 P. Ruffinatto, La relazione educativa. Orientamenti ed esperienze nell’Istituto del-
le Figlie di Maria Ausiliatrice, LAS, Roma 2003, 483-484.
283 M. Marchi, Verso l’educazione della donna. Alcune indicazioni metodologiche, in
Colombo (ed.), Verso l’educazione della donna oggi, 355.

42.2 Page 412

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412 Pédagogie salésienne après Don Bosco
générale de la pensée postconciliaire, déjà mentionnée, qui tendait à révi-
ser les principes de base en créant des binômes de critères, comme éduca-
tion-évangélisation, éducation-animation, éducation-coéducation, etc. En
général, ces binômes ne se traduisaient guère par des parcours éducatifs
concrètement intégrés.
La conclusion de sœur Piera Ruffinatto, en revanche, semble plus
concrète, liant la nouvelle conscience féminine de soi, mise en œuvre dans
un contexte de coéducation et donc orientée vers la promotion de relations
réciproques, à l’éducation aux valeurs de solidarité, de participation et de
citoyenneté active.284 Par la suite, la réinterprétation de l’éducation salé-
sienne dans la perspective de la réciprocité conduira à se concentrer sur
le thème de la familiarité.285 Le système préventif est essentiellement la
réciprocité dans les relations qui naissent de l’esprit de famille, du poten-
tiel éducatif de l’amabilité salésienne et qui s’expriment dans la simplicité
du comportement interpersonnel et communautaire. En outre, la présence
d’éducateurs dans les milieux éducatifs favorise le témoignage d’une re-
lation positive et respectueuse entre les hommes et les femmes au-delà
des stéréotypes culturels. La réciprocité dans la mission éducative encou-
rage ainsi l’expression de la richesse personnelle dans la participation et la
coresponsabilité.286
Il semblerait que le paradigme de la réciprocité ait connu un sort simi-
laire à celui de l’« éducation intégrale » : tous deux sont des concepts de
synthèse mais avec un champ sémantique trop vaste pour être utilisés dans
n’importe quel contexte comme solution à n’importe quel problème, avec
des implications pratiques très incertaines et différentes selon les diverses
situations. De la même manière qu’on a affirmé initialement l’intégralité
des dimensions dans le projet éducatif-pastoral, mais qu’ensuite on n’a étu-
dié presque exclusivement que les contenus des dimensions individuelles,
de la même manière le principe anthropologique de la réciprocité a été
284 Cf. P. Ruffinatto, Educare “buoni cristiani e onesti cittadini” nello stile del Siste-
ma preventivo. Il contributo delle Figlie di Maria Ausiliatrice, in G. Loparco – M.T.
Spiga (eds.), Le Figlie di Maria Ausiliatrice in Italia (1872-2010). Donne nell’educa-
zione. Documentazione e saggi, LAS, Roma 2011, 64.
285 Comisión Escuela Salesiana América, II Encuentro continental de Educación
Salesiana. Hacia una cultura de solidaridad, Editorial Don Bosco, Cuenca (Ecua-
dor) 2001, 153.
286 Cf. Ibid., 152.

42.3 Page 413

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 413
déclaré selon la méthodologie de la coéducation, mais ensuite seule l’édu-
cation de la femme a été étudiée en profondeur.
Les difficultés générales pour « passer du papier à la vie » ne dépendent
pas seulement d’un manque de planification, de gouvernement ou de res-
sources insuffisantes. À notre avis, il faut noter les paradoxes au sein d’un
paradigme de solutions anthropologiques générales qui expriment des
synthèses (surtout linguistiques) avec des implications indéterminées sur
les processus éducatifs.287 Un autre exemple de la dynamique décrite sont
les différents courants d’animation que nous allons explorer dans le para-
graphe suivant.
5.3.4. L’animation socioculturelle de Tonelli, Pollo et Ellena
L’« animation », un concept qui a connu un grand succès dans les mi-
lieux salésiens dans les années 1980, est liée au contexte de la seconde
moitié des années 1960, à un moment de crise de l’école traditionnelle,
exprimé en Italie dans la Lettre à une enseignante de Lorenzo Milani.288
Au cours de ces années, certains enseignants et gens de théâtre ont lancé
des expériences théâtrales dans le cadre de la scolarité obligatoire et on vit
apparaître les premières expériences d’animation dans les quartiers popu-
laires. La période où l’animation a pris son essor est celle de 1968 et des
années qui ont immédiatement suivi, où l’animation a incarné une grande
partie de la tension politique de l’époque. Dans les années 1980, l’anima-
tion s’oriente vers des horizons plus éducatifs, en collaborant avec des or-
ganismes institutionnels d’éducation et de socialisation.289
La dénomination « animation » a connu un grand succès, surtout dans
287 Pour la coéducation voir l’incertitude sur la possibilité de la mettre en œuvre et si
oui, sous quelle forme et avec quels critères pédagogiques, étant donné que certains
courants du féminisme préfèrent l’accompagnement entre femmes et considèrent
la coéducation comme un possible facteur d’oppression, en C. Barbieri, Natura,
finalità e criteri della coeducazione, oggi, in C. Semeraro (ed.), Coeducazione e
presenza salesiana. Problemi e prospettive, LDC, Leumann (Torino) 1993, 192-194
et J. Schepens, Studio introduttivo, in Ibid., 13-14.
288 Cf. Scuola di Barbiana (ed.), Lettera a una professoressa. Edizione speciale “quar-
ant’anni dopo”, Libreria Editrice Fiorentina, Firenze 2007.
289 Cf. M. Pollo, L’animazione culturale: teoria e metodo, LAS, Roma 2002, 13-15.

42.4 Page 414

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414 Pédagogie salésienne après Don Bosco
les pays latins, mais dans chacun d’eux,290 elle a pris une définition dif-
férente, allant de l’éducation informelle au développement communau-
taire, en passant par une méthode d’éducation holistique. En France, en
revanche, il semble que l’animation se soit définie en continuité avec les
propositions d’éducation informelle ou non formelle du passé, en remon-
tant à l’éducation populaire du XIXe siècle qui répondait aux besoins de la
société industrielle et qui exigeait ce type d’approche, en fournissant égale-
ment les ressources nécessaires.291 Dans le contexte anglo-saxon, selon une
catégorie d’auteurs, l’équivalent du terme « animation » en anglais serait
community development, restreignant le sens au domaine de l’animation
des quartiers urbains.292
Enfin, en Italie, on peut distinguer trois grands courants d’animation,
dont deux où l’action et la contribution des salésiens ont été fondamen-
tales.293 Le premier, également dans l’ordre chronologique, se réfère au
théâtre d’expression et à l’animation théâtrale, qui est né comme un moyen
de libérer l’expressivité et l’imagination à travers la fête et le jeu.294 Le
290 Les auteurs des entrées sur l’animation dans le Progetto educativo pastorale. El-
ementi modulari se confrontent avec les auteurs italiens, mai aussi avec A. Valle
d’Espagne, P. Griéger de France, J. Limbos de Belgique francophone et A. Beau-
champ, R. Graveline, C. Quiviger du Canada francophone. Cf. M. Pollo - R. Ton-
elli, Animazione, in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo pastorale, 309 et
A. Ellena, Animatori, in Ibid. 362-363.
291 Il faut noter les activités de l’Association Catholique de la Jeunesse française fondée
en 1886. Les débuts de l’animation organisée remontent au début du XXe siècle avec
la fondation de l’Union Nationale des Colonies de Vacances catholique en 1909 et
de la Fédération Nationale des Colonies de Vacances en 1912. Les activités des or-
ganisations protestantes, socialistes, scoutes, etc. sont également mentionnées dans
les activités d’animation. Voir J.P. Augustin - J.C. Gillet, L’animation profession-
nelle. Histoire, acteurs, enjeux, Harmattan, Paris-Montréal 2000, 23-40.
292 J.M. Barrado García, La animación sociocultural, un esfuerzo de aclaración, in
« Documentación Social » 26 (1982) 49, 12.
293 Cf. Pollo, L’animazione culturale, 12. Mario Pollo ajoute, en outre, deux autres vo-
lets de l’animation: l’animation à l’intérieur des villages touristiques et l’animation
destinée uniquement à l’utilisation des techniques propres à l’animation, mais ils ne
seront considérés que comme secondaires et comme des dérivés des trois premiers
volets.
294 Voir la collection d’expériences d’animation théâtrale dans les écoles du Piémont
et de Lombardie dans F. Passatore et al, Io ero l’albero (tu il cavallo), Guaraldi,
Rimini 1972.

42.5 Page 415

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 415
deuxième concernait l’animation culturelle et ses principaux auteurs étaient
Mario Pollo et le salésien Riccardo Tonelli, directeur de la revue Note di
Pastorale Giovanile. Le troisième courant, aux accents plus sociaux, s’est
développé autour du salésien Aldo Ellena et de la revue Animazione so-
ciale. Nous nous attarderons sur les deux derniers cars ils ont eu le plus
grand impact sur la conception de l’animation dans le domaine salésien et
ont contribué à l’élaboration de certains aspects de la planification et de la
communauté éducative-pastorale.
5.3.4.1. L’animation culturelle de Mario Pollo
Selon cette conception, « l’animation culturelle est une méthodologie
de formation globale qui vise à une croissance et à une évolution harmo-
nieuse de l’individu considéré comme une unité indivisible et non comme
une somme de parties ou de fonctions. Cette croissance ou maturation
passe par la prise de conscience que l’individu et les groupes sociaux
vivent dans un monde symbolique et que, par conséquent, ils doivent avant
tout développer leur capacité à apprendre, utiliser et créer des systèmes
symboliques ».295 Cette définition nous offre quelques éléments qui consti-
tuent les thèmes centraux de la publication fondamentale de Mario Pollo
intitulée L’animazione culturale : teoria e metodo (L’animation culturelle :
théorie et méthode), qui a partiellement influencé l’anthropologie de l’ani-
mation également dans les milieux salésiens en passant par la médiation de
Riccardo Tonelli sur un certain nombre de thèmes: la globalité de la per-
sonne insérée dans un monde symbolique, l’animation comme méthodolo-
gie pour une formation intégrale, l’interaction entre les individus dans les
groupes sociaux, la communication-création avec l’utilisation de systèmes
symboliques, et enfin la méthodologie de la recherche.
L’homme, sujet et objet de l’animation, est conçu, selon la conception
d’Ernst Cassirer, comme animal symbolicum. Celle-ci rejoint la théorie
de la communication de Bernard Kaplan et la théorie des systèmes de
Ludwig von Bertalanffy, impliquant une conception particulière du sym-
bole, et s’applique aux « systèmes vivants » de James Miller.296 De cette
295 M. Pollo, L’animazione culturale: teoria e metodo. Una proposta, LDC, Leumann
(Torino) 1980, 33.
296 Cf. les volumes cités dans le texte: E. Cassirer, Essay on man, Yale University

42.6 Page 416

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416 Pédagogie salésienne après Don Bosco
anthropologie plutôt éclectique on attend des résultats chargés de sens :
« De nombreux chercheurs sont convaincus que le seul véritable débou-
ché pour les sciences humaines, si elles veulent sortir de la banalité de
nombre de leurs résultats, est de s’attaquer à l’étude de l’homo symbolicus.
À ce niveau, sur le terrain unificateur de la culture, il est alors possible
de mettre en place une perspective interdisciplinaire correcte ».297 L’es-
pace consacré aux thèmes théoriques-philosophiques, par opposition aux
thèmes pratiques-processuels, montre que l’intérêt premier de l’auteur est
la construction d’une base théorique.298 Selon l’auteur, l’animation offre
une approche globale de la méthodologie de la formation :
C’est sans doute une typologie très grossière que de voir dans
l’homme une sphère de vie affective, une autre de vie intellectuelle
et enfin une de vie sociale. […] L’animation culturelle tend à dépas-
ser toute cette série de dichotomies qui ont longtemps caractérisé
les choix humains, comme rationalité-émotionnalité, corps-esprit,
pensée-instinct. [… L’unité de l’homme] “est garantie par le fait qu’il
construit et habite des mondes symboliques”.299
Une conception intégrale de l’homme inclut également la dimension
religieuse, qui est toutefois élaborée dans les coordonnées entre mystique
et science. On commence avec Ludwig Wittgenstein qui affirme les limites
de la connaissance : « Il y a vraiment de l’inexprimable. Cela se montre,
c’est ce qui est mystique... Ce dont nous ne pouvons pas parler, nous devons
le taire ».300 Par la suite, Pollo comprend la dimension religieuse comme
l’inexprimable, comme un symbolisme de nature non linguistique, et l’ani-
mation comme une communication existentielle, considérée comme un
Press, New Haven 1944; B. Kaplan, An approach to the problem of symbolic rep-
resentation: nonverbal and verbal, in «Journal of communication» 2 (1961) 52-62 e
J.G. Miller, Living systems, McGraw-Hill, New York 1978.
297 Pollo, L’animazione culturale, 13. Cf. également Tonelli, Comunità educativa, in
Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo pastorale, 405-406 et Pollo - Tonelli,
Animazione, in Ibid. 288-293.
298 Cf. Pollo, L’animazione culturale, 15-31.
299 Ibid., 34-35.
300 L. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, in Pollo, L’animazione culturale, 67.

42.7 Page 417

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 417
instrument qui « réussit cette opération difficile, impossible »,301 à savoir
exprimer l’inexprimable. Symptomatique est la conclusion dans laquelle
l’auteur affirme qu’en pratique « je ne sais pas comment cela se passe ;
alors acceptant l’invitation de Wittgenstein [...], ayant essayé de trop parler
de ce dont on ne peut pas parler, je me tais ».302 La marginalisation de la
dimension religieuse reléguée dans la sphère de la mystique a été l’une des
raisons de mettre pratiquement hors-jeu l’évangélisation directe comme
une dimension problématique, assimilable au prosélytisme. En revanche,
une religiosité générique, une spiritualité de la recherche de sens, une her-
méneutique de l’expérience spirituelle ou une analyse psychologique et
existentielle des motivations profondes, etc. seraient plus acceptables.
Pollo consacre également une partie de ses publications à la program-
mation éducative, suivant un principe général : « Le lien entre tout prin-
cipe et toute théorie éducative et sa traduction en une activité éducative
concrète, dans un système social donné, est la programmation ».303 Il s’agit
d’une opération difficile et pour « ne pas contredire une véritable pratique
de libération, il est nécessaire que la programmation ne soit pas réalisée
dans un bureau par l’animateur ou par les animateurs, mais qu’elle soit
construite par l’animateur avec le groupe qui est le sujet-objet de l’ani-
mation ».304 Pour échapper au mécanicisme, et aux solutions irréalistes,
l’auteur mentionne l’existence de modèles systémiques de planification,
sans toutefois indiquer les auteurs de référence. Il veut justifier la planifica-
tion éducative comme étant compatible avec la conception de l’animation
culturelle, mais il ne nous propose pas de procédures, de modèles ou de
méthodologies concrètes, restant délibérément au niveau des principes et
des généralités.305
301 Pollo, L’animazione culturale, 73.
302 Ibid. Cf. l’influence de l’approche de Pollo sur le modèle anthropologique qui sous-
tend la description de la dimension religieuse de l’homme dans Pollo - Tonelli,
Animazione, in Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo pastorale, 297-298.
303 Pollo, L’animazione culturale, 51.
304 Ibid., 51.
305 Ibid., 66.

42.8 Page 418

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418 Pédagogie salésienne après Don Bosco
5.3.4.2. Les implications pédagogiques de l’animation selon Riccardo To-
nelli
Certaines indications méthodologiques en matière de planification pro-
viennent de Riccardo Tonelli, qui a utilisé les concepts de programma-
tion et de planification dans la pastorale des jeunes dès 1968.306 L’auteur se
concentre avant tout sur une approche générale de la pastorale des jeunes
et non sur la méthodologie, qu’il considère comme une question technique,
qui ne relève pas de la planification qui
requiert une compétence technique, à acquérir par l’étude de dis-
ciplines spécialisées. […] Cette confiance et ce respect envers l’ap-
pareil technique sont une exigence salésienne précise, conséquence
logique de la conscience qu’il existe une relation étroite entre l’édu-
cation (et les sciences de l’éducation) et l’évangélisation.307
Malgré l’accent théorique de son approche, il offre une élaboration in-
téressante des étapes de la planification dans son article déjà mentionné
Per fare un progetto educativo de 1980. Parlant de l’éducation à la foi, il
reprend les deux schémas de planification mentionnés par Michele Pelle-
rey,308 mais en changeant le point de départ.309 Le Diagramme F montre la
comparaison entre les deux modèles.
306 Cf. la monographie qui a tenté d’esquisser quelques propositions relatives à la pro-
grammation déjà au cours de la deuxième année de la revue dans «Note di Pastorale
Giovanile» 2 (1968) 8-9, 4-84 et en particulier R. Tonelli, Riunioni di verifica, in
«Note di Pastorale Giovanile» 2 (1968) 8-9, 60-65 et Id., Punti fermi per una pro-
grammazione valida, in «Note di Pastorale Giovanile» 3 (1969) 8-9, 43-59. Pour
la planification cf. Id., Un progetto di pastorale giovanile per i giovani d’oggi, in
«Note di Pastorale Giovanile» 13 (1979) 1, 3-21 et Id., Per fare un progetto educa-
tivo, in «Note di Pastorale Giovanile» 14 (1980) 6, 57-66.
307 Cf. R. Tonelli, Impostazione della comunità educativa in un contesto pluralista, in
R. Gianatelli (ed.), Progettare l’educazione, 83; Pollo - Tonelli, Animazione, in
Vecchi - Prellezo (ed.), Progetto educativo pastorale, 309 et Tonelli, Comunità
educativa, in Ibid, 415.
308 Cf. Pellerey, Progettazione didattica, SEI, Torino 1979, 38.
309 Cf. Tonelli, Per fare un progetto educativo, 60.

42.9 Page 419

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 419
Diagramme F : L’organisation des étapes du projet chez Pellerey et Tonelli.
Tonelli rejette les deux schémas de Pellerey pour des raisons épisté-
mologiques discutables, car le premier privilégie l’objectivité, sans tenir
compte de la situation, et le second privilégie trop la subjectivité. Il pro-
pose donc un autre « modèle herméneutique ». Les objectifs et les ques-
tions qui découlent de l’analyse de la situation doivent être lus à la lumière
de « l’événement de Dieu ». Tonelli déclare : « Nous devons utiliser la foi
comme clé de lecture. Elle ne peut pas remplacer les sciences descriptives.
Mais les sciences descriptives ne peuvent se passer de la foi lorsqu’elles
veulent nous dire ce dont l’homme a besoin dans les profondeurs de son
existence ».310 L’interprétation à la lumière de l’événement de Dieu est im-
portante aussi bien pour la lecture de la condition des jeunes que pour la
formulation des objectifs, que l’auteur entend dans un rapport étroit avec
les vérités de la foi, « pour éviter que la réinvention des objectifs ne dé-
bouche sur le vidage et la réduction anthropologique de l’événement de
Dieu ».311 Comme dans les autres contributions de Tonelli, la théorisation
pastorale reste au niveau de l’énonciation des principes sans descendre au
niveau méthodologique sur la manière de réaliser cette interprétation à la
lumière de l’événement de Dieu.
Comme directeur de la revue Note di Pastorale Giovanile pendant
310 Ibid., 61.
311 Ibid.

42.10 Page 420

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420 Pédagogie salésienne après Don Bosco
quatre décennies, Tonelli a produit de nombreuses réflexions sur de nom-
breux domaines liés à la pastorale des jeunes. N’étant pas un auteur ty-
pique de la pédagogie salésienne, mais plutôt un théologien pastoral « en
général », nous n’avons pas l’intention de proposer une synthèse de sa pen-
sée, mais nous nous attarderons sur le thème fondamental pour la période
que nous considérons : le rapport entre éducation et évangélisation, qui
pour lui doit être conçu autour du nœud de l’animation.312 Comme il le dit
lui-même dans son évaluation des quarante ans de son engagement, ses
premières réflexions dans la période qui a suivi 1968 partaient du négatif
et du problématique pour ensuite passer au positif et au proactif. Contrai-
rement aux modèles inspirés par Ricaldone, Tonelli a affirmé la puissance
de l’événement de l’Incarnation - Dieu se fait homme en Jésus - qui s’est
ensuite traduite par deux critères fondamentaux pour un renouvellement
de la pastorale des jeunes postconciliaire :
Le premier concerne la signification théologique de la vie quoti-
dienne, le grand sacrement de la présence et de la rencontre avec
Dieu, en Jésus. Partant de la vie, il a été possible de reformuler un
projet sérieux de spiritualité et de réécrire, au moins dans les grandes
lignes, le chemin sacramentel et celui de la célébration. Le second
critère remet l’accent avec force sur l’urgence de l’éducation, précisé-
ment dans sa dimension théologique. La vie est un sacrement de la
rencontre avec Dieu lorsqu’elle est authentique, construite et expri-
mée selon le projet de Dieu, rencontré en Jésus. […] L’éducation est
le moyen privilégié par lequel nous pouvons restaurer la qualité de
vie de chaque personne.313
D’un modèle préconciliaire moraliste, volontariste, sacrementaliste et
hiérarchique, on est passé à un modèle inclusif, égalitaire, graduel, huma-
niste et éducatif. Le choix de l’éducation a été perçu par Tonelli comme
« une expression concrète de notre amour de la vie et de notre action au
312 Cf. par exemple la synthèse emblématique de la pensée de Tonelli sur le rapport en-
tre éducation et évangélisation dans le 7e cahier de l’Animateur qui en résume tous
les thèmes principaux, in R. Tonelli, La scelta dell’animazione nell’educazione
alla fede, LDC, Leumann (TO) 1983, 1-32.
313 R. Tonelli, Ripensando quarant’anni di servizio alla pastorale giovanile, interview
publiée par Giancarlo De Nicolò, in «Note di Pastorale Giovanile» 43 (2009) 5, 18.

43 Pages 421-430

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43.1 Page 421

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 421
service de la maturation de la vie des jeunes ».314 Il est intéressant d’analy-
ser la définition de l’éducation qui découle de ces hypothèses : « Éduquer
signifie, dans la perspective de la vie, établir une relation à travers laquelle
des sujets différents, heureux d’être différents, échangent des expériences
et des raisons d’espérer, afin de se rendre réciproquement cette joie de
vivre, cette liberté d’espérer et cette capacité à être les protagonistes de
leur propre existence, qui nous sont très souvent violemment volées par les
modèles culturels dominants ».315
Dans la continuité de l’approche de Mario Pollo, la dimension de l’évan-
gélisation est vue sous l’angle du « mystère » dont on ne peut trop parler et
qu’on ne peut traduire concrètement : « La foi naît de l’expérience du mys-
tère ». Dans l’épistémologie de Tonelli, l’éducation a la force du concret,
elle croit dans son pouvoir transformateur. L’évangélisation, par contre, a
les mains liées par l’inexprimable, le mystique, la nécessaire préévangé-
lisation, le respect de la croissance concrète du jeune et le danger d’être
prosélyte à l’ancienne. Et donc elle se réalise à travers la « sacramentalité
répandue dans la vie quotidienne » réalisée par les processus éducatifs.
Bien que Tonelli affirme que l’une des limites est le jeu de l’« avant » et
de l’« après » dans la relation entre l’éducation et l’évangélisation, il prédit
néanmoins que : « En général, l’éducation précède l’évangélisation. Elle
l’accompagne toujours. Elle revient souvent avec force après les premières
expériences d’immersion dans le mystère ».316 Pour Tonelli, l’animation est
placée ici comme une inspiration qui n’est pas seulement une technique
instrumentale, mais un pari global sur l’homme et un projet global pour
sa maturation. Dans le cadre de la relation entre l’éducation et l’évangéli-
sation,
L’animation, en tant que mode global de réalisation de l’éducation,
devient le lieu où sont repensés et concrétisés les problèmes, les
perspectives et les choix typiques de l’éducation à la foi. Et, en même
temps, grâce au dialogue avec les exigences inaliénables des pro-
cessus qui accompagnent la transmission de la foi, l’animation peut
mieux se comprendre et se reformuler en termes plus adéquats,
314 Ibid., 28.
315 Ibid.
316 Ibid., 42.

43.2 Page 422

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422 Pédagogie salésienne après Don Bosco
tout en restant un processus autonome, orienté vers d’autres buts et
d’autres dimensions de la vie humaine.317
Dans une telle approche, Tonelli reconnaît très honnêtement la limite
la plus sérieuse du travail effectué ces dernières années : dans le projet
de pastorale des jeunes, nous en sommes souvent restés aux prémisses
(épistémologiques et relativement générales).318 Les fruits de sa proposition
sont, à notre avis, liés au moment historique qui a favorisé l’association-
nisme spontané des jeunes, l’appréciation éducative du groupe et de sa dy-
namique, le désir de s’engager dans la transformation du monde qui s’est
traduit par l’engagement dans le volontariat. Enfin et surtout, les itinéraires
d’éducation à la foi, également promus par notre auteur, ont conduit cer-
taines provinces à développer une proposition éducative qui respectait les
groupes d’âge avec des tâches adaptées à leur évolution.
En conclusion, on peut affirmer que, surtout dans le cadre de l’oratoire,
la proposition d’animation de groupe pourrait réussir, à condition qu’elle
soit jointe à la formation systématique entre pairs des animateurs-éduca-
teurs, au sein d’une CEP opérationnelle, coresponsable et régie par le cri-
tère de la continuité. Dans le milieu scolaire, très fort dans diverses régions
de la Congrégation, l’animation ne s’est pas développée comme une mé-
thode éducative globale, se réduisant généralement à l’animation d’événe-
ments et de célébrations qui marquaient l’année pastorale. D’où la critique
du CG 25 sur la pastorale des événements et la nécessité d’une logique plus
orientée vers les processus.319
5.3.4.3. L’animation sociale d’Aldo Ellena
Un troisième type de proposition s’articulait autour des activités du
salésien Aldo Ellena, diplômé en Philosophie à Turin et en Théologie à
l’Université Pontificale Grégorienne, enseignant et animateur culturel dans
la capitale du Piémont dans les années 1950 et 1960, fondateur de la re-
vue Animazione sociale à Milan en 1971 et auteur, dans le Progetto edu-
cativo pastorale. Elementi modulari, du module sur les animateurs. Ses
317 Ibid., 44.
318 Cf. Ibid., 44-45.
319 Cf. CG 25 (2002) nos. 37, 44 et 47.

43.3 Page 423

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 423
réflexions sur l’animation sont étroitement liées aux expériences d’anima-
tion et de formation des animateurs,320 devenues par la suite l’objet d’étude
des premiers Quaderni di animazione sociale. Ellena avait déjà abordé des
questions sociologiques, politiques et anthropologiques avec la traduction
et l’édition de Psicologia dei leaders de Harroux et Praet, de l’Enciclopedia
Sociale, du Dizionario di Sociologia et des deux volumes sur la Presenza
educativa.321
En regardant de plus près les trois premiers Quaderni di animazione
sociale, on remarque l’intérêt pour l’animation, comprise comme une pra-
tique sociale qui « propose de faire prendre conscience et de développer
les potentialités latentes, réprimées ou écartées d’un individu, d’un groupe
ou d’une communauté ».322 L’animation est proposée, en outre, non pas
comme une nouvelle profession spécifique, ni même comme une manière
de faire extérieure , mais comme une « nouvelle manière d’assumer un
profil professionnel dans une société en mutation ».323 Les activités d’ani-
mation sont décrites dans le domaine physique, dans les domaines de la so-
cialité, de l’expressivité et de la créativité. Dans les Quaderni, le thème de
l’animation est lié aux thèmes du volontariat, du temps libre, des valeurs,
de l’engagement sur le terrain, de la participation, du groupe et de la masse.
Chez Ellena on remarque surtout une attention particulière à la formation
des animateurs, synthétisée dans le module qu’il a édité dans l’encyclopé-
dique Projet éducatif pastoral publié par Vecchi et Prellezo.
Dans la théorie de l’animation sociale d’Ellena, comparée à celle de
Tonelli et Pollo, l’objectif pratique de l’animation, considérée comme une
méthodologie pour la formation en vue de la transformation sociale, est
320 Cf. G. Contessa - A. Ellena - R. Salvi, Animatori del tempo libero, Società Editrice
Napoletana, Napoli 1979; G. Contessa - A. Ellena, Animatori di quartiere, Società
Editrice Napoletana, Napoli 1980 et P. G. Branca - G. Contessa - A. Ellena, Ani-
mare la città, Istituto di Scienze Amministrative e di promozione sociale, Milano
1982.
321 Cf. H. Harroux - J. Praet, Psicologia dei leaders, SEI, Torino 1957; A. Ellena
(éd.), Enciclopedia sociale, vol. 1: Introduzione ai problemi sociali, Paoline, Roma
1958; F. Demarchi - A. Ellena (éd.), Dizionario di Sociologia, Paoline, Roma 1976
et A. Ellena (éd.), Presenza educativa, 2 vols, LDC, Leumann (TO) 1976-77.
322 Contessa - Ellena - Salvi, Animatori del tempo libero, 132.
323 Contessa - Ellena, Animatori di quartiere, 91. Voir aussi Ellena, Animatori, dans
Vecchi - Prellezo (eds.), Progetto educativo, 355 et 357.

43.4 Page 424

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424 Pédagogie salésienne après Don Bosco
évident. Les expériences des équipes qui se sont réunies autour de lui pour
planifier, réaliser et évaluer tant la formation des animateurs que les in-
terventions sur le terrain, rendent ses propositions opérationnelles et mé-
thodologiquement plus stimulantes. L’aspect manquant est l’absence d’un
cadre de référence anthropologique plus large et d’inspiration chrétienne.
Dans la proposition d’Ellena, l’animation semble trop liée à la transfor-
mation de la société et manque d’une vision plus clairvoyante qui pourrait
la rendre pertinente même en dehors du contexte des années chaudes de
l’après-Concile.
Malgré les limites mentionnées, en observant l’application concrète de
l’animation qui a eu lieu dans les quartiers populaires dans le cas d’Ellena
et dans les groupes de jeunes dans le cas de Tonelli, on peut saisir une nou-
veauté méthodologique pertinente. Il s’agit de la dynamique de groupe qui,
même si elle a été vécue dans le contexte postconciliaire italien particulier
des années 1960 et 1970, constitue la contribution indirecte la plus signi-
ficative à la méthodologie du PEPS. Elle contrebalance l’individualisme
implicite de la proposition de Stenhouse et d’autres concepteurs de curricu-
lums, centrée sur l’enseignant comme individu et non sur la communauté
éducative.
En plus de l’accentuation du rôle du groupe et de la communauté dans
le processus éducatif et de planification, on peut accepter l’insistance de
Tonelli (mais pas sa concrétisation) sur l’importance du moment hermé-
neutique dans la planification. L’interprétation de la situation et des objec-
tifs à travers le regard de foi constitue, pour des raisons évidentes, une don-
née manquante dans les théories curriculaires, alors qu’elle est requise par
le lien fondamental entre l’éducation et l’évangélisation au sein du PEPS.324
5.3.5. La scission méthodologique entre religion et éducation
Avant Vatican II, l’aspect intégral et fondateur de la philosophia pe-
rennis et de la théologie néo-scolastique qui s’y rattache soutenait l’ap-
proche pédagogique de Ricaldone et du premier Braido dans son ouver-
ture aux différentes pédagogies et à leurs méthodologies. Dans la période
postconciliaire, en revanche, les sciences humaines sont perçues comme
324 Cf. CG 21 (1978), no. 13.

43.5 Page 425

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 425
relativement autonomes par rapport à la théologie,325 apportant des ap-
proches et des logiques différentes dans la sphère méthodologique. Ce fait
est particulièrement évident dans l’élaboration du projet, où la priorité est
donnée à la recherche de réponses opérationnelles à des besoins concrets
recherchés à travers la méthode technique de la programmation, tandis que
la théorie n’apparaît plus que dans la position d’une « théorie de la praxis »
ou d’un « cadre de référence » souvent peu organique.
Dans ce sens, il est évident que durant la période postconciliaire, il
ne pouvait y avoir « une » méthodologie éducative salésienne et qu’il fal-
lait introduire la logique de l’éducation par dimensions, chacune avec ses
contenus et ses méthodes préférés.326 Les déclarations ex post sur la néces-
sité d’intégrer les dimensions n’ont souvent servi que de remède impossible
à une mentalité non intégrée. Même au sein de la réflexion sur l’éducation
à l’UPS, la « pédagogie » est mise de côté et on préfère les « sciences de
l’éducation » comme concept multidisciplinaire qui n’a eu souvent l’in-
terdisciplinarité que comme référence idéale.327 Il est compréhensible que
dans les « années chaudes », on ait beaucoup parlé d’« interdisciplinarité »
mais pour signifier l’« autonomie », de sorte que les discussions épistémo-
logiques ont été influencées par les questions d’organisation de l’Univer-
sité ou de la Faculté des sciences de l’éducation. L’horizon culturel de la
trilogie Educare des années 1950 a définitivement disparu et les tentatives
de réflexion des années 1980, comme le Progetto Educativo Pastorale,
révèlent plutôt les capacités de quelques-uns qu’une vision élaborée de ma-
nière unitaire.
L’application de cette autonomie devient paradigmatique dans le do-
maine de prédilection de Ricaldone, qui est la catéchèse. Cesare Bissoli,
bibliste et catéchiste, explique de manière emblématique son approche, sui-
vie depuis plusieurs décennies, de la manière suivante :
325 Cf. Gaudium et spes, no. 36; Gravissimum educationis, no. 10 et Apostolicam actu-
ositatem, no. 7.
326 Cf. Dicastero PG, Elementi e linee, Sussidio 2 et les publications suivantes du Di-
castère.
327 Intéressantes et révélatrices sont les discussions interminables du Collège des en-
seignants de l’Institut supérieur de pédagogie (depuis 1973 Faculté des sciences de
l’éducation de l’UPS) sur le principe de l’interdisciplinarité. Cf. par exemple les
procès-verbaux, in Verbali Collegio di Facoltà 1971-75 in Archivio FSE.

43.6 Page 426

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426 Pédagogie salésienne après Don Bosco
De la Parole de Dieu (la Bible), nous pouvons tirer une pédagogie,
mais non pas comme un ensemble d’indications spécifiques qui se-
raient les mêmes pour tous (en d’autres termes, des recettes toutes
faites), mais comme une modalité globale, ou plutôt un esprit, des
motivations fondatrices, des raisons profondes de penser et de faire
l’éducation. Il en va de même pour ce que l’on appelle les “réalités
terrestres”, telles que le pouvoir politique, la polis et son gouverne-
ment, l’économie, la bioéthique, etc. Ce n’est donc pas la manière
dont nous éduquons, mais la raison pour laquelle nous éduquons, qui
est au cœur de la révélation biblique.328
L’auteur réagit à juste titre contre une perception réductrice de l’Évan-
gile comme un livre de recettes, mais dans son argumentation, il nie la
possibilité de tirer des indications méthodologiques de la révélation chré-
tienne. Le nominalisme de la « méthode évangélique » de Ricaldone, qui a
baptisé la méthode activiste, semble dévoilé et la voie est ouverte à toutes
les méthodologies scientifiques, didactiques et éducatives du moment. La
force ordonnatrice du principe de « religion » dans le système de Ricaldone,
avec toutes ses applications minutieuses, a ensuite été soufflée par la crise
du « collège salésien » tant dans la perception des salésiens que dans celle
des élèves.329 Le modèle du collège salésien en tant qu’institution « totale »,
qui permettait l’intégration de différentes dimensions et méthodologies,
n’était plus considéré comme adapté aux besoins de l’époque, tandis que la
structure et le style de l’oratoire en tant qu’ensemble plus fluide de diffé-
rentes « institutions » étaient revalorisés : « Une attention toute particulière
doit être accordée à l’œuvre “primordiale” de l’oratoire [...] afin qu’il réus-
sisse à attirer et à servir le plus grand nombre de jeunes, avec une variété
d’institutions (centres de jeunes, clubs, associations diverses, cours, école
du soir...) ».330 L’actualisation de la méthodologie éducative de l’oratoire
328 C. Bissoli, Bibbia e Pastorale Giovanile. Intervista a Cesare Bissoli a cura di Gi-
ancarlo De Nicolò, in «Note di Pastorale Giovanile» 42 (2008) 7, 20. Pour une vision
plus approfondie, voir C. Bissoli, Bibbia e educazione. Contributo storico-critico
ad una teologia dell’educazione, LAS, Roma 1981.
329 Cf. P.G. Grasso, La Società Salesiana tra il passato e l’avvenire. Risultati di un’in-
chiesta tra ex allievi salesiani, Edizione extra-commerciale riservata, PAS, Roma
1964, 45-152.
330 CG19 (1965), 103.

43.7 Page 427

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 427
s’est ensuite orientée vers l’animation, comprise comme une méthodologie
éducative graduelle et respectueuse, mais aussi comme une méthode de
gouvernement basée sur la distribution des rôles et la participation.
Les aspects les plus concrets de l’éducation sur le plan méthodologique
relevaient du domaine de la « planification », qui était toutefois influencé
par une anthropologie sous-jacente réductrice. De l’étude des auteurs qui
ont inspiré le modèle PEPS émerge l’image de l’homme liée à la conception
pédagogique par objectifs, qui à son tour montre de fortes dépendances
par rapport au management by objectives.331 Peter Drucker, l’auteur le plus
important du management par objectifs à l’époque, définit sa philosophie
d’action comme celle qui transforme les besoins objectifs en objectifs d’ac-
tion. L’homme est conçu simplement comme un être libre et rationnel qui
décide de mettre en œuvre un objectif qui n’est pas imposé par d’autres
mais reflète un besoin réel. La réalisation ultérieure de l’objectif se fait
principalement par l’instrument de la maîtrise de soi.332 La conception par
objectifs a cherché à impliquer les acteurs dans le processus décisionnel
de formulation des objectifs faite en équipe, en dépassant la traditionnelle
fidélité aux devoirs et l’obéissance aux hiérarchies. Cette tendance, parti-
culièrement ressentie dans les organisations laïques, était en phase avec le
monde salésien, qui s’éloignait de la collégialité, laissant la « religion » et
l’« évangélisation » dans le conteneur inoffensif d’une « dimension ».
L’image de l’homme « moderne » qui pense rationnellement, traduit
ses besoins en objectifs et agit par l’effort de sa volonté et la maîtrise de
soi, est passée dans la planification salésienne à travers l’idée d’une action
rationnelle qui suit un parcours linéaire (situation, objectif, moyens, véri-
fication) et la division de la croissance en dimensions qui doivent être pla-
nifiées de manière autonome (éducation, évangélisation, associationnisme,
vocation). Cette anthropologie a introduit dans l’éducation salésienne un
système réactif (vis-à-vis des situations) et un système indifférent (vis-à-
vis des individus) sous différentes formes. En principe, ce ne sont pas les
personnes qui importent, mais les grandes coordonnées, les besoins démo-
graphiques et la réalisation des objectifs qui en découlent.
331 Voir l’analyse plus détaillée dans Vojtáš, Progettare e discernere, 113-149.
332 Cf. P.F. Drucker, Management. Tasks, Responsibilities, Practices, Truman Talley
Books, New York 1986, qui reprend de nombreux éléments de son importante pub-
lication précédente The Practice of Management, Harper&Row, New York 1954.

43.8 Page 428

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428 Pédagogie salésienne après Don Bosco
La pédagogie vocationnelle est un autre domaine dans lequel la relation
difficile entre la méthodologie éducative et la « religion » est évidente. La
vocation se décline en « projet de vie », déplaçant les accents du suivi d’une
vocation à la création d’un projet, de la fidélité aux coordonnées de l’ap-
pel à la vie authentique d’un projet de vie. Dans ce sens, la déclaration du
CG21 sur la pédagogie vocationnelle est intéressante : « la découverte d’un
appel personnel, l’option libre et réfléchie pour un projet de vie, consti-
tuent le but et le couronnement de tout processus de maturation humaine
et chrétienne »,333 ce qui peut être interprété (au moins) de deux façons. La
première est plutôt cognitive et annonce l’importance de la vocation dans
les processus de maturation. Le second mode est plus éducatif-pratique :
si la découverte de l’appel est un couronnement, elle n’est évidemment pas
le point de départ. Il n’est pas approprié pour l’éducateur de commencer
immédiatement à mettre en œuvre des stratégies vocationnelles, car il y a
des étapes préalables à respecter. Ces antécédents sont au moins les deux
mentionnés : la croissance en liberté et les critères réflexifs-culturels du
projet de vie.
La seconde interprétation entre dans une logique de report opération-
nel et dans le jeu d’une éducation qui vient « en premier » et d’autres di-
mensions qui viennent « après ». La logique des phases est également pré-
sente dans les documents du Dicastère pour la pastorale des jeunes. Quand
on aborde le sujet de l’orientation vocationnelle explicite, il y a d’abord la
phase de la disponibilité, puis une phase d’examen et enfin le choix voca-
tionnel.334 En effet, la position peu intégrée de la dimension vocationnelle
dans le projet éducatif pastoral est visible dans diverses publications, offi-
cielles ou d’étude, des vingt dernières années du XXe siècle. Dans la troi-
sième série de documents concernant le PEPS dans les oratoires, les écoles
et les paroisses salésiennes, la question de la vocation se réduit à quelques
phrases, elle est pratiquement marginalisée. Le document suivant, paru en
1981, qui traite plutôt des Orientations essentielles pour un plan provincial
de promotion des vocations, comble cette lacune, mais du point de vue
d’une catégorie pastorale distincte, organisée séparément et planifiée par
le centre de la province.335 La responsabilité de la promotion des vocations
333 CG21 (1978), no 106.
334 Cf. Dicastero PG, Elementi e linee, Sussidio 2, 48-49.
335 Cf. Dicastero PG, Lineamenti essenziali per un Piano Ispettoriale di Pastorale

43.9 Page 429

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 429
est confiée en principe à l’inspecteur et au directeur ; concrètement à un
promoteur des vocations au niveau provincial et aussi au niveau local, une
figure qui dans la majorité des contextes locaux n’a pas eu une concréti-
sation significative. Au niveau des œuvres, la seule structure qui mettait
principalement en œuvre une logique vocationnelle était l’aspirantat, qui
était généralement en crise pour les mêmes raisons que celles qui avaient
conduit à la crise des collèges.
À l’époque du CG23, qui reprend le thème de l’éducation à la foi, nous
pouvons constater un changement de sens autour de la dimension vocation-
nelle. D’une vocation comprise comme le choix d’un état de vie, nous pas-
sons à la vocation comme personnalisation de la foi. Dans la synthèse de la
Pastorale Salésienne des Jeunes de 1990, on parle de vocation à quatre ni-
veaux : humain, baptismal, salésien et personnel, ce qui inclut le choix d’un
projet de vie concret.336 La méthodologie éducative et vocationnelle privilé-
giée semble être le travail bénévole et l’engagement pour la transformation
du monde. Le CG23 va dans ce sens lorsqu’il nomme « l’engagement et la
vocation dans la ligne de la transformation du monde » comme l’un des
quatre domaines de la maturité chrétienne.337 Dans le même chapitre sont
mentionnés les noyaux de la spiritualité des jeunes salésiens. Comme il n’y
a pas de noyau explicitement « vocationnel », on propose l’« amitié avec le
Seigneur Jésus » et le « service responsable ».338
Suite au CG23, dans les années 1990, le concept d’itinéraires personnels
d’éducation à la foi a également été introduit. Un exemple de réflexion dans
ce sens est celle de Jacques Schepens qui fait de l’individualisation la clé
de la refonte postconciliaire de l’éducation salésienne. Sa proposition péda-
gogique s’articule autour de l’individualisation émotionnelle, rationnelle et
morale et du sens ultime de la vie des jeunes. Dans la dernière dimension,
centrée sur le sens de la vie, la question est posée : « Comment le je de l’af-
firmation “je crois” peut-il grandir et devenir un je personnel ? »,339 ce qui
Vocazionale, Sussidio 4.
336 Cf. Dicastero per la PG, Pastorale giovanile salesiana, 72-73.
337 Cf. CG 23 (1990), no. 116 et suivants.
338 Cf. Ibid., no. 161 et suivants.
339 Cf. J. Schepens, Die Pastoral in der Spannung: Zwischen der christlichen Botschaft
und dem Menschen von heute, Don Bosco, München 1994 et ensuite développé
dans Id. - R. Burggraeve, Emotionalität, Rationalität und Sinngebung als Faktoren

43.10 Page 430

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430 Pédagogie salésienne après Don Bosco
laisse la foi et la vocation dans un horizon d’autotranscendance, de mystère
et de symbolisme sans appel personnel de Dieu.
Le sujet de la vocation, sous l’influence des logiques mentionnées de
progressivité, de dimensions, de milieux spécialisés et de personnalisa-
tion, a été traité comme une catégorie « spéciale » et non « centrale », y
compris dans les revues spécialisées. On peut analyser les index des Note
di Pastorale Giovanile dans la période de 1967 à 1997 pour le domaine de
la pastorale des jeunes et des Orientamenti Pedagogici entre 1954 et 1988
pour le domaine plus explicitement éducatif. Dans les index des trente pre-
mières années de la première revue, la proposition vocationnelle ne figure
ni dans les choix de base ni dans le projet concret. Vers la fin de la liste des
entrées, dans la catégorie « Attention aux catégories spéciales de bénéfi-
ciaires » on trouve le concept, structuré selon la logique de la personnali-
sation entre orientation, profession et vocation.340 Dans la deuxième revue
pédagogique, la vocation ne figure même pas dans l’index des sujets ou
des secteurs. Les quelques articles qui traitent du sujet l’envisagent prin-
cipalement comme une vocation ecclésiastique, religieuse ou sacerdotale
et adoptent une perspective médicale, psychologique ou pédagogique, ap-
profondissant les hypothèses de caractère, les aspects motivationnels, le
processus de discernement et les méthodologies formatives du religieux.341
Le concept de vocation n’est pas un des points forts de l’animation cultu-
relle de Tonelli. Des obligations d’une « religion » préconciliaire perçue
comme moralisatrice et pesante, il est passé au concept plus universaliste
mais aussi plus générique de « spiritualité ». La tâche de l’éducateur serait
avant tout de s’« incarner », d’accepter le jeune de manière incondition-
nelle. Surtout, dans les propositions éducatives-pastorales liées à la théorie
de l’animation, on propose une conception intégrale de l’homme, qui in-
corpore toutefois sa dimension religieuse-spirituelle dans les coordonnées
entre mysticisme, subjectivisme et science. En 1981, lors des Colloques
sur la vocation salésienne, Tonelli reprend l’anthropologie symbolique et le
christlicher Werterziehung. Eine Interpretation des pädagogischen Erbes Don Bo-
scos für heute, Don Bosco, München 1999.
340 Cf. Indice NPG 50 anni: Voci tematiche – Autori – Dossier, dans bit.ly/npg-it-index.
341 Cf. les index analytiques sur le sujet: Vocazione, dans «Orientamenti Pedagogici»
10 (1963) 6, 1165; Vocazione, dans «Orientamenti Pedagogici» 25 (1978) 1313 et
Vocazioni, dans «Orientamenti Pedagogici» 35 (1988) 6, 1092.

44 Pages 431-440

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44.1 Page 431

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 431
silence non argumenté de Wittgenstein,342 en proposant une logique expé-
rientielle d’acceptation inconditionnelle qui crée les conditions pour pou-
voir raconter l’histoire de Jésus.343 À la fin de son intervention, il reprend
un concept de vocation chrétienne, et termine de manière emblématique
comme suit :
L’accueil est donc le lieu où se développe ce processus d’éducation
libératrice qui redonne à chaque jeune sa propre vie, le libère de
l’aliénation et fait de lui le protagoniste de sa propre libération et
de celle des autres. L’accueil est le lieu où s’accomplit le salut. La
communauté accueille inconditionnellement afin de témoigner de
la dignité radicale de chaque personne. Dans l’accueil, elle exhorte
les personnes à vivre leur dignité retrouvée comme une responsa-
bilité envers elles-mêmes, les autres et l’histoire. L’accueil est le lieu
et la condition de la formation : le lieu d’une expérience vocation-
nelle intense, fascinante, jusqu’à son éventuelle radicalisation dans
la consécration et le ministère ordonné.344
342 Cf. R. Tonelli, Accoglienza e formazione dei giovani nella comunità, in F. Desra-
maut - M. Midali, La vocazione Salesiana. Colloqui sulla vita salesiana Barcelone
(Spagna) 23-28 août 1981, LDC, Leumann (TO) 1982, 203-204 et 207. Il est in-
téressant de noter le retour immédiat sur l’intervention de Tonelli qui réagit sur le
caractère générique de la proposition. Cf. Ibid. 217.
343 Cf. Ibid., 207-212.
344 Ibid., 215.

44.2 Page 432

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432 Pédagogie salésienne après Don Bosco
5.4. Outils et ressources
5.4.1. Tableau chronologique
5.4.2. Bibliographie sélective
Bissoli C., Bibbia e educazione. Contributo storico-critico ad una teologia
dell’educazione, LAS, Roma 1981.
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44.3 Page 433

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434 Pédagogie salésienne après Don Bosco
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Van Looy L., Mentalità di itinerario, in ACG 74 (1993) 345, 50-56.
Van Looy L., Il Progetto Educativo Pastorale nelle Ispettorie, in ACG 75
(1994) 349, 33-41.
Vecchi J.E., Progetto educativo pastorale, in Vecchi – Prellezo (eds.),
Progetto educativo pastorale. Elementi modulari, 15-25.

44.7 Page 437

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5. Programmation et animation, deux dimensions pédagogiques fondamentales 437
Vecchi J.E., Il progetto educativo pastorale, in ACG 67 (1986) 316, 39-47.
Vecchi J.E., Pastorale, educazione, pedagogia nella prassi salesiana, in Il
cammino e la prospettiva 2000, SDB, Roma 1991, 7-38.
Vecchi J.E., Verso una nuova tappa di Pastorale Giovanile Salesiana, in Il
cammino e la prospettiva 2000, SDB, Roma 1991, 39-106.
Vecchi J.E., Il sistema preventivo esperienza di spiritualità, in A. Marti-
nelli – G. Cherubin (eds.), Il sistema preventivo verso il terzo millen-
nio. Atti della XVIII Settimana di Spiritualità della Famiglia salesiana.
Roma, Salesianum 26-29 gennaio 1995, SDB, Roma 1995, 221-243.
Vecchi J.E., La Famiglia Salesiana compie venticinque anni, in ACG 78
(1997) 358, 3-41.
Vecchi J.E., Si commosse per loro (Mc 6,34). Nuove povertà, missione
salesiana e significatività, in ACG 78 (1997) 359, 3-36.
Vecchi J.E., Verso il Capitolo Generale 25°, in ACG 81 (2000) 372, 3-34.
Vecchi J.E., Educatori appassionati esperti e consacrati per i giovani. Let-
tere circolari ai Salesiani di don Juan E. Vecchi. Introduzione, parole
chiave e indici a cura di Marco Bay, LAS, Roma 2013.
Vecchi J.E. – Prellezo J.M. (eds.), Progetto educativo pastorale. Elementi
modulari, LAS, Roma 1984.
Vecchi J.E., – Prellezo J.M. (eds.), Prassi educativa pastorale e scienze
dell’educazione, SDB, Roma 1988.
Viganò A. – Viganò F., Don Egidio Viganò, settimo successore di Don
Bosco. Frammenti di vita, LDC, Leumann (TO) 1996.
Viganò E., Il progetto educativo salesiano, in ACS 59 (1978) 290, 3-42.
Viganò E., Il nostro impegno africano, in ACS 61 (1980) 297, 3-29.
Viganò E., Riprogettiamo insieme la santità, in ACS 63 (1982) 303, 3-28
Viganò E., La Famiglia Salesiana, in ACS 63 (1982) 304, 3-45.
Viganò E., Il Capitolo Generale XXII, in ACS 63 (1982) 305, 5-20.
Viganò E., La nuova evangelizzazione, in ACS 70 (1989) 331, 3-43.

44.8 Page 438

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438 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Viganò E., Nuova educazione, in ACG 72 (1991) 337, 3-43.
Vojtáš M., Progettare e discernere. Progettazione educativo-pastorale
salesiana tra storia, teorie e proposte innovative, LAS, Roma 2015.
5.4.3. Ressources en ligne
Sources, documents, recherches, publications en texte intégral, maté-
riel photographique, en lien avec ce chapitre.345
Bibliographie complète, index des auteurs, index des sujets pour l’en-
semble de la publication.346
345 Cf. salesian.online/pedagogia5
346 Cf. salesian.online/pedagogia-dopo-db

44.9 Page 439

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6. NOUVELLE ÉVANGÉLISATION
ET ÉDUCATION POUR LE TROISIÈME
MILLÉNAIRE (1998-2018)
6.1. Situation : le postmoderne et la Congrégation salé-
sienne
À partir de ce que nous avons approfondi dans les chapitres précédents,
nous pourrions décrire de manière approximative la période postconciliaire
en contexte salésien comme une période qui a accueilli divers courants de
la pensée moderne en contraste mental avec le traditionalisme de la période
ricaldonienne. La science analytique, la division par disciplines, l’anthro-
pocentrisme, les modèles démocratiques-bureaucratiques de gestion de la
Congrégation, le recours à la science et à la technologie (dans la conception
ou dans la communication) sont des signes forts de l’empreinte moderne de
cette époque. Avec l’arrivée du troisième millénaire, le nouveau contexte
vital marqu par une postmodernit en mutation se fait sentir au sein de la
Congrégation salésienne dans les effets de la crise de l’économie, des valeurs
et des vocations en Occident, dans la croissance démographique des régions
non occidentales et dans les effets concrets du vieillissement dans diverses
provinces avec la nécessaire réduction des œuvres.
6.1.1. La situation mondiale au troisième millénaire entre précarité
et liquidité
La fin du monde bipolaire et la victoire du « monde libre » sur le « monde
communiste », qui avaient alimenté la politique et les prédictions d’avenir

44.10 Page 440

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440 Pédagogie salésienne après Don Bosco
dans les années 1990, se sont estompées et sont devenues insignifiantes
au tournant du millénaire. La perte des coordonnées de la guerre froide a
laissé la place à l’éclatement de divers conflits locaux et a fait émerger de
nouveaux contrastes mondiaux non moins redoutables : entre le Nord riche
et le Sud pauvre, entre l’Occident et l’Islam agressif suite aux guerres des
États-Unis d’Amérique au Moyen-Orient. La Russie, après une décennie
chaotique sous la présidence de Boris Eltsine, apparaît comme un État stra-
tégique sur la scène internationale, notamment après l’annexion de la Cri-
mée et lors d’interventions à l’étranger, comme pendant la guerre civile en
Syrie. Le leadership de fer de Vladimir Poutine, combiné à la croissance
économique de la Chine, de l’Inde et des autres pays du BRICS, a créé
un puissant contrepoids à une démocratie libérale marquée par une crise
interne au cours de la première décennie du nouveau millénaire. Dans la
deuxième décennie, en revanche, la Chine se distingue par une croissance
économique et des investissements de centaines de milliards dans les pays
en voie de développement.1
La crise économique de 2008, due également à la déréglementation des
marchés financiers, l’arrivée de nouveaux instruments monétaires et l’uti-
lisation des algorithmes des dark pools, ont porté un coup sévère au mythe
de la croissance économique illimitée et au « dogme » du succès capita-
liste. L’éphémère enthousiasme pro-démocratie du printemps arabe après
2010, avec son utilisation massive et idéalisée des social media, s’est éva-
noui après quelques années, laissant la région dans une situation instable
et poussant des masses de personnes à émigrer. En outre, la montée des
partis et des leaders populistes en Occident a enlevé encore plus de crédit
au système démocratique. L’année 2020 est marquée par la mise en œuvre
définitive du Brexit et les tensions internes au sein de l’Union européenne,
la présidence de Donald Trump aux États-Unis, la guerre économique et
cybernétique sino-américaine, les fake news diffusées par algorithme, le
développement économique mondial incertain et la diminution du rôle des
organismes internationaux tels que l’ONU. Tout cela crée une image du
monde radicalement différente de l’ère précédente, très liquide et peu sûre,
1 Cf. Sabatucci G. - V. Vidotto, Storia contemporanea. Dalla Grande Guerra a oggi,
Laterza, Bari 2019; W.J. Duiker, Contemporary World History, Cengage Learning,
Stamford, CT 2014; J. Marr - R. Cherry, Investing in Emerging Markets. The BRIC
Economies and Beyond, Wiley, Chicester 2010; J. Staniszkis, Post-Communism.
The Emerging Enigma, Institute of Political Studies, Warsaw 1999.

45 Pages 441-450

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45.1 Page 441

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 441
sans garanties et sans grand espoir pour l’avenir.2
L’Amérique latine a connu une série d’élections à haut risque au cours
du nouveau millénaire, avec la montée de certains régimes socialistes sui-
vie de leur chute. L’effondrement économique du Venezuela a provoqué
la plus grave crise migratoire de l’histoire de la région et l’intervention du
Fonds monétaire international avec le plus important plan de sauvetage
jamais mis en place. La Bolivie a connu l’ascension d’Evo Morales avec
une politique de socialisme indigène et sa chute en 2019. L’imprévisibilité a
de nombreux visages : changements radicaux dans les agendas politiques,
expériences financières et crises économiques, impact des cartels de la
drogue sur la situation d’insécurité notamment en Amérique centrale, ten-
sion migratoire aux confins des États-Unis, destruction de l’environnement
notamment au Brésil qui a demandé la convocation d’un Synode spécial
pour la région panamazonienne en 2019.3
L’Afrique, à la veille des révolutions d’indépendance, était le continent
de l’espoir et des grandes attentes. Au cours de la troisième décennie sui-
vant l’indépendance, l’optimisme manifeste a été remplacé par les teintes
plus sombres des conflits ethniques et politiques, des gouvernements mi-
litaires, des guerres civiles, des mouvements islamiques, de la pauvreté et
des maladies. Avec l’essor de la re-démocratisation dans les années 1990 et
le panafricanisme résultant de la formation de l’Union africaine, l’Afrique
semblait destinée à reconquérir son destin tant vanté. Au troisième millé-
naire, cependant, la crise se poursuit, avec l’absence d’une bonne gouver-
nance, la personnalisation du pouvoir de l’État, la propagation des maladies
et l’échec politique dans l’éducation, ainsi que dans l’économie et le déve-
loppement des infrastructures. Bien que dotée d’abondantes ressources hu-
maines et naturelles, l’Afrique reste un continent sous-développé, régi par
des capitaux extérieurs, notamment chinois.4
En résumé, le monde du troisième millénaire semble bien caractérisé
2 Cf. A. Bayat, Revolution without Revolutionaries. Making Sense of the Arab Spring,
Stanford University Press, Stanford CA 2017.
3 Cf. BBVA - OpenMind, The age of perplexity. Rethinking the World we Knew,
Penguin Random House, Madrid 2018; World Bank, World Development Report,
World Bank, Washington DC 2017; sinodoamazonico.va.
4 Cf. R.A. Olaniyan - E.A. Ifidon, Contemporary Issues in Africa’s Development.
Whither the African Renaissance, Cambridge Scholars Publishing, Newcastle upon
Tyne 2018; UNDP, Human Development Report, UNDP, New York 2015, 208-211.

45.2 Page 442

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442 Pédagogie salésienne après Don Bosco
par l’acronyme anglais VUCA, qui exprime les caractéristiques de Volati-
lité, Incertitude (Uncertainty), Complexité et Ambiguïté. Les changements
se produisent très rapidement et sont de nature différente, ce qui fait qu’il
est très difficile de prévoir le cours des événements. Les modèles basés sur
la causalité linéaire ne fonctionnent plus en raison de la complexité et de
l’interconnexion des phénomènes. Enfin, l’ambiguïté des interprétations,
provoquée par la fin des grands récits de la modernité, rend plus fluides
également les concepts et les théories.
6.1.2. La Congrégation salésienne vers une interculturalité peu occi-
dentale
Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, les changements
mondiaux n’affectent pas toujours immédiatement le monde salésien et, s’ils
le font, ils ne l’affectent pas de la même manière dans les différentes ré-
gions. En ce troisième millénaire, il semble que l’on puisse distinguer deux
« mondes » dans le monde salésien : les anciennes régions euro-américaines
et les nouvelles régions d’Asie et d’Afrique, en pleine expansion. Globale-
ment, de 2002 à 2020, le nombre des salésiens a diminué de 10%, mais la ré-
partition par groupes d’âge à la fin de la deuxième décennie contient quelque
promesse : les salésiens de 30 et 40 ans dépassent d’un millier le nombre
des quinquagénaires et les sexagénaires, qui sont à leur tour légèrement plus
nombreux que les confrères de plus de soixante-dix ans.5
Cependant, la différenciation démographique est un phénomène régio-
nal et provoque un mouvement de migration interrégionale. Évidemment,
la situation ne se limite pas aux seuls salésiens : au niveau des autres ordres
religieux et du clergé diocésain, on observe des dynamiques très similaires.
Il suffit de regarder les données de la mobilité du clergé diocésain avec un
changement surtout dans la deuxième décennie du nouveau millénaire. En
2017, par exemple, nous remarquons que plus de 6 500 prêtres africains et
asiatiques se déplacent vers l’Europe et l’Amérique, par rapport à ceux qui
se déplacent dans la direction opposée.6 Le vieillissement du personnel
5 Cf. Società di San Francesco di Sales, Dati e statistiche. Capitolo Generale 28°,
Sede Centrale Salesiana, Roma 2020, 27.
6 Cf. les flux migratoires des prêtres entre les continents. Note de l’Office central

45.3 Page 443

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 443
salésien est le plus fort dans la région méditerranéenne de l’Europe, avec
une moyenne d’âge de 66 ans et plus de 1 500 confrères de plus de 70
ans. Les régions les plus jeunes sont l’Afrique et l’Asie du Sud (Inde) avec
un âge moyen compris entre 41 et 43 ans. Plus de 58% des confrères de
moins de trente ans sont originaires d’Afrique ou d’Asie du Sud. Ce fait
influence également le déplacement du centre de gravité culturel et linguis-
tique : plus de la moitié des confrères en formation (en y incluant ceux du
quinquennium) parlent anglais.7 En 2002, la majorité des nouveaux profès
étaient originaires d’Amérique et d’Europe, alors qu’en 2020 déjà les trois
quarts des nouveaux profès viennent d’Asie et d’Afrique.8
Au cours des trente dernières années, le nombre moyen de salésiens
dans les communautés est resté inchangé en Asie et en Afrique, avec 7,3
religieux par présence. En revanche, en Amérique et en Europe, ce chiffre
est passé de 9,6 en 1990 à 7,6 en 2020.9 En outre, il faut considérer que près
de 40% de ces confrères ont déjà plus de soixante-dix ans (dans la région
méditerranéenne, le pourcentage des plus de soixante-dix ans est encore
plus élevé, atteignant 52%).10 En ce qui concerne la cohérence numérique
des communautés, le cumul des responsabilités est un phénomène plus
complexe. Notons seulement que les données statistiques montrent que les
salésiens qui se consacrent à plein temps aux œuvres éducatives-pasto-
rales sont au nombre de 13 849 et ceux qui se consacrent à temps partiel à
l’une d’entre elles 13 063.11 À cela il faut ajouter le travail de près de 2.000
directeurs de communauté et de leurs économes et les engagements hors
communauté qui ne sont pas signalés. En outre, les confrères qui ne se
consacrent pas à temps plein au travail éducatif en raison de leur âge, de
leur santé ou parce qu’ils sont encore en formation initiale ne doivent pas
être pris en considération. Si l’on additionne les chiffres, on constate que
le dédoublement ou le triplement des rôles est un phénomène très répandu,
des statistiques ecclésiastiques (05 juillet 2019), in observatoromano.va/fr/news/i-
f lows-migrateurs-de-prêtres-between-continents.
7 Cf. M. Bay, Giovani Salesiani e accompagnamento. Risultati di una ricerca inter-
nazionale, LAS, Roma 2018, 35.
8 Cf. Dati e statistiche. Capitolo Generale 28°, 18.
9 Cf. Ibid, 83.
10 Cf. Ibid., 26.
11 Cf. Ibid., 95.

45.4 Page 444

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444 Pédagogie salésienne après Don Bosco
avec pour conséquence à la fois une surcharge de travail et une relativisa-
tion des rôles institutionnels et éducatifs, suivant davantage le principe du
« possible » que celui de « l’idéal ».
La tendance à la multiplication des emplois est visible dans la croissance
des œuvres pendant la diminution et le vieillissement du personnel salésien.
Entre 2002 et 2020, le nombre de la plupart des œuvres est en augmentation.
Le nombre d’écoles dans le monde augmente d’environ un cinquième, tant en
termes de structures que de jeunes qui les fréquentent. Alors que le nombre
de salésiens et de laïcs dans les écoles professionnelles reste constant, de nou-
velles filières sont ouvertes et encore plus de jeunes sont accueillis (environ
35%) sans tenir compte des nouveaux services de formation professionnelle
continue et d’éducation des adultes. Au cours des 18 années étudiées, il y a
eu une augmentation de 600 paroisses : le nombre de paroisses ad personam
a diminué, tandis que le nombre de paroisses dans les territoires de mission a
augmenté. Les services destinés aux jeunes marginalisés ont augmenté tant
au niveau de la présence des salésiens (à temps plein et à temps partiel) qu’au
niveau des structures. Le nombre d’oratoires festifs et journaliers a doublé,
tandis que le nombre des centres de jeunes a diminué de près de la moitié
(mais pas le nombre de structures).12
Diagramme G : Salésiens présents dans les différentes œuvres éducatives-pastorales.
Comme on peut le voir sur le diagramme G, en 2019 la majeure partie
12 Cf. Dati e statistiche. Capitolo Generale 28°, 97-226.

45.5 Page 445

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 445
des salésiens est engagée dans les écoles, ce qui semble confirmer un choix
« traditionnel » de valorisation du milieu scolaire. Cependant, si l’on consi-
dère la situation du personnel en ajoutant les membres de la Famille salé-
sienne, il semblerait que l’œuvre par excellence, sur la base des chiffres,
soit la paroisse, dans laquelle plus de 15 000 d’entre eux sont engagés ; en
deuxième position se trouvent les oratoires/centres de jeunes avec 9 000
personnes et en troisième position les écoles avec un personnel voisin de
8 000. Les paroisses, plutôt que d’être une force charismatique, semblent
être l’œuvre la plus faible du point de vue de l’identité salésienne : elle n’est
pas représentée par une personne qui leur soit affectée au niveau du Dicas-
tère pour la Pastorale des Jeunes et est plutôt liée à la mentalité « diocé-
saine » qui varie d’un contexte à l’autre. Le recteur majeur souligne le dé-
ficit d’identité charismatique salésienne, en mentionnant des phénomènes
ecclésiaux tels que « l’abandon fréquent de la vie religieuse en faveur de
la vie sacerdotale paroissiale, la prise en charge facile des paroisses par les
Instituts, qui les considèrent comme des lieux de refuge et de recyclage
plutôt que de véritables centres de mission ».13
Le nécessaire renforcement de l’identité salésienne indiqué dans le
Rapport sur l’état de la Congrégation en 2020 n’est pas seulement lié aux
effets décentralisateurs de l’individualisme postconciliaire et du bricolage
post-moderne. Il y a aussi la nécessité, déjà fortement soulignée par Don
Vecchi dans son magistère,14 d’accompagner et de former ensemble les laïcs
qui sont de plus en plus présents à plein temps dans nos œuvres. Le défi
s’applique surtout aux écoles, où en moyenne un salésien à plein temps doit
accompagner 18 laïcs, la plupart avec un contrat de travail, et suivre envi-
ron 340 jeunes au quotidien. La proportion de jeunes par salésien est éga-
lement similaire pour l’oratoire/centre de jeunes, mais la différence réside
dans la collaboration plutôt ponctuelle et moins rémunérée avec les laïcs,
dont le nombre est presque le double par rapport aux écoles. La formation
professionnelle, en revanche, grâce à des institutions plus petites, semble
pouvoir offrir une approche plus personnalisée, où la proportion est de 13
13 A. Montan, Il religioso presbitero nella Chiesa oggi: attualità, contenuti, prospet-
tiva di un qualificato seminario della CISM, in Á. Fernández Artime, Relazione del
Rettor Maggiore al Capitolo Generale 28, 16.
14 Cf. J.E. Vecchi, “Io per voi studio...”(C 14). La preparazione adeguata dei confra-
telli e la qualità del nostro lavoro educativo, in ACG 78 (1997) 361, 3-47.

45.6 Page 446

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446 Pédagogie salésienne après Don Bosco
laïcs et 200 élèves pour chaque salésien à plein temps.15 Bien entendu, ces
chiffres sont des moyennes mondiales, il s’agit donc d’approximations qui
devraient faire l’objet d’une étude plus approfondie.
Les laïcs qui n’appartiennent pas à la Famille salésienne et qui sont présents
dans les maisons salésiennes avec un contrat sont environ 90 000 en 2020 et
deux tiers d’entre eux sont des enseignants ou des professeurs. Les autres sont
des employés ou des consultants dans des œuvres ou des services provinciaux
L’existence de divers programmes de formation pour les laïcs au niveau régio-
nal, national ou provincial est développée et consolidée surtout dans les deux
régions d’Amérique. Il est surprenant que, malgré la forte impulsion donnée par
le CG24, la mission partagée et la formation conjointe des salésiens et des laïcs
ne figurent pas parmi les domaines et les objectifs des trois projets sexennaux au
niveau de la Congrégation pendant la période étudiée. Le partage de la mission
est une prise de conscience qui mûrit lentement dans la Congrégation, marquant
un changement important dans le modèle de l’ecclésiologie de communion et de
la théologie des laïcs du Concile Vatican II.16
6.1.3. Benoît XVI et François : des accents éducatifs différents mais
complémentaires
Les différents parcours intellectuels et pastoraux des deux derniers
papes, qui caractérisent leurs pontificats, se reflètent également dans l’im-
portance qu’ils accordent à l’éducation. Benoît XVI, pontife de 2005 jusqu’à
sa démission en 2013, a fait résonner fortement le concept d’« urgence
éducative » dans son discours concis et très lucide au diocèse de Rome
sur les tâches de l’éducation. Sa brillante analyse commence par identifier
une fracture dans la mentalité et les relations entre les générations au sein
d’une culture qui paralyse les intentions éducatives des adultes :
La tentation est certainement forte chez les parents, les enseignants
et les éducateurs en général de baisser les bras, et même avant cela, le
risque de ne pas comprendre quel est leur rôle, ou plutôt la mission
15 Cf. Dati e statistiche. Capitolo Generale 28°, 97-226.
16 Cf. Á.F. Artime, Relazione del Rettor Maggiore al Capitolo Generale 28. Formazi-
one, [s.e.], [s.l.] 2020, 4.

45.7 Page 447

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 447
qui leur est confiée. En réalité, ce qui est en cause ici, ce ne sont
pas seulement les responsabilités personnelles des adultes ou des
jeunes, qui existent et ne doivent pas être occultées, mais aussi une
atmosphère répandue, une mentalité et une forme de culture qui
conduisent les gens à douter de la valeur de la personne humaine,
du sens même de la vérité et du bien, et finalement de la bonté de la
vie. Il devient alors difficile de transmettre d’une génération à l’autre
quelque chose de valable et de certain, des règles de conduite, des
objectifs crédibles autour desquels construire sa vie.17
Joseph Ratzinger réfléchit souvent dans ses discours sur le climat cultu-
rel postmoderne, surtout en Occident, parlant de fondements ébranlés et de
manque de certitudes essentielles, mais il ne s’arrête pas à la critique : les
difficultés sont interprétées dans le cadre d’une aventure de la liberté pour
laquelle chaque génération doit prendre ses propres décisions. Contraire-
ment à la culture et à la science,18 il n’y a pas, dans l’éducation, d’accumula-
tion de contenus et de connaissances : « Même les plus grandes valeurs du
passé ne peuvent être simplement héritées, elles doivent être faites nôtres
et renouvelées par un choix personnel souvent douloureux ».19 Pour le Pape
Benoît, la liberté de croissance progressive, dans son équilibre délicat avec
la discipline éducative, est placée dans un contexte relationnel d’autori-
té éducative crédible, fruit de l’expérience et de la compétence qui s’ac-
quièrent avant tout par la cohérence de la vie et de l’engagement personnel,
expression de l’amour véritable. Ainsi, une authentique éducation chrétienne
se situe entre deux vertus théologales : elle commence par la charité, qui, en
donnant proximité et confiance, crée les conditions d’une autorité éducative,
et elle se nourrit d’une espérance fiable, âme de l’éducation qui surmonte la
crise de confiance dans la vie. La lettre du pape termine sa synthèse par des
références à l’encyclique Spe Salvi, affirmant que seul Dieu
17 Benedetto XVI, Lettera alla diocesi e alla città di Roma sul compito urgente
dell’educazione (21 gennaio 2008), in bit.ly/vatican-va-2008-01-21.
18 Benoît XVI fait une lecture profonde de la transformation du binôme chrétien
foi-espérance en la synthèse moderne raison-liberté dans un parcours allant de Ba-
con à Marx dans l’encyclique Spe Salvi, nos. 16-23.
19 Benedetto XVI, Lettera alla diocesi e alla città di Roma.

45.8 Page 448

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448 Pédagogie salésienne après Don Bosco
est l’espoir qui résiste à toutes les déceptions ; seul son amour ne
peut être détruit par la mort ; seules sa justice et sa miséricorde
peuvent guérir les injustices et récompenser les souffrances endu-
rées. L’espérance qui se tourne vers Dieu n’est jamais une espérance
pour moi seul, elle est toujours une espérance pour les autres aussi :
elle ne nous isole pas, mais nous rend unis dans le bien, elle nous
encourage à nous éduquer mutuellement dans la vérité et l’amour.20
Alors que Benoît XVI se concentre davantage sur les fondements théo-
logiques de l’espérance chrétienne, le pape François reprend le thème d’un
point de vue plus pastoral. Il affirme que « nous ne devons pas nous laisser
voler l’espérance »,21 encourage les hommes et les femmes de notre temps
à affronter positivement les changements sociaux, à s’immerger dans la
réalité avec la lumière rayonnante de la promesse du salut chrétien. L’ac-
cent mis sur le visage miséricordieux de Dieu constitue la marque du para-
digme du pape François en matière d’éducation, avec un accent particulier
sur la sensibilité aux personnes souffrantes et marginalisées22. Il développe
des thèmes tels que l’engagement concret en faveur de la création dans l’en-
cyclique Laudato Si’, l’invitation aux jeunes à non balconear, c’est-à-dire à
s’engager dans la vie, l’éducation à l’amour conjugal dans Amoris Laetitia,
jusqu’à un parcours éducatif et vocationnel autour du Synode des jeunes
qui se poursuit avec le Pacte Educatif Global.
Partant de la critique d’une pseudo-éducation qui tranquillise les jeunes
et les transforme en êtres domestiqués et inoffensifs, le Pape François pro-
pose une éducation qui enseigne la pensée critique et offre un chemin de
maturité dans les valeurs, dans lequel les jeunes sont appelés à être les
protagonistes de leur parcours de croissance.23 Alors que Benoît XVI déve-
loppe le thème des raisons de la foi en éducation, François, faisant jouer sa
logique pastorale, critique surtout « l’élitisation de l’éducation » qui produit
20 Ibid.
21 François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium (24 novembre 2013), in AAS
105 (2013) 1019-1137, no. 86.
22 Cf. François, Misericordiae Vultus. Bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire de la
miséricorde (11 avril 2015), in AAS 107 (2015) 399-420, no. 15.
23 Cf. François, Evangelii Gaudium, nos. 60, 64, 106.

45.9 Page 449

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 449
un educational divide.24 Ses propositions partent d’une Église vue comme
« hôpital de campagne » qui met en jeu la logique de la proximité et de la
miséricorde avec les jeunes rejetés et exclus, pour repenser les institutions
universitaires catholiques dans leur mission d’évangélisation des diffé-
rentes cultures dans le scénario multiculturel contemporain :
Les études ecclésiastiques ne peuvent pas se limiter au transfert de
connaissances, de compétences et d’expériences aux hommes et aux
femmes de notre temps, qui souhaitent grandir dans leur conscience
chrétienne, mais doivent acquérir la mission urgente d’élaborer des
outils intellectuels capables de se proposer comme paradigmes d’ac-
tion et de pensée, utiles à la proclamation dans un monde marqué
par le pluralisme éthico-religieux. Cela exige non seulement une
profonde conscience théologique, mais aussi la capacité de conce-
voir, d’élaborer et de mettre en œuvre des systèmes de représenta-
tion de la religion chrétienne capables de pénétrer profondément
dans des systèmes culturels différents.25
Certes, les lectures qui interprètent les pontificats de Jean-Paul II, Be-
noît XVI et François dans une logique de discontinuité, renforçant l’oppo-
sition entre conservateurs et progressistes, ne manquent pas. Les interpré-
tations des récents pontificats, associées aux idées sur Vatican II, ne sont
que la pointe de l’iceberg d’une dynamique postmoderne très complexe.
Plus que les différences réelles entre les pontificats, la recherche indique
que l’opposition est en grande partie le résultat de la dynamique de com-
munication du troisième millénaire dans l’entrelacement du paradigme de
la post-vérité, des social media et du traitement algorithmique des moteurs
de recherche.26 Nous aborderons brièvement cette question et les effets
24 Cf. J. Bergoglio, Scegliere la vita, Bompiani, Milano 2013, 94-95 e Papa Frances-
co, La mia scuola, a cura di F. De Giorgi, La Scuola, Brescia 2014.
25 François, Constitution apostolique Veritatis Gaudium concernant les universités et
les facultés ecclésiastiques (27 décembre 2017), in AAS 110 (2018) 1-41, no. 5.
26 Voir par exemple B.B. Hawks - S. Uzunoğlu, Polarization, Populism and the New
Politics. Media and Communication in a Changing World, Cambridge Scholars,
Newcastle upon Tyne 2019; S. Flaxman - S. Goel - J.M. Rao, Filter Bubbles, Echo
Chambers, and Online News Consumption, in Public Opinion Quarterly 80 (2016)
S1, 298-320; M.X. Delli Carpini - F.L. Cook - L.R. Jacobs, Public Deliberation,

45.10 Page 450

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450 Pédagogie salésienne après Don Bosco
éducatifs des new media dans la section suivante.
6.1.4. Le numérique comme instrument, espace et symbole d’une gé-
nération
La conception de l’homme postmoderne accentue encore les tendances
fondamentales de l’époque précédente : liberté de choix à l’extrême, empi-
risme cognitif et pragmatisme éthique. Au troisième millénaire, l’homme
serait une potentialité indéfinie qui se crée lui-même par ses propres choix
jusqu’à l’autodétermination complète. En partant des choix les plus petits
et les plus communs que l’on fait dans les expériences du temps libre, dans
l’expression de soi, dans les relations, on en arrive à la logique des choix
des compétences que le sujet met en œuvre au cours de son éducation ou
de sa formation, jusqu’à vouloir changer la culture à laquelle on appartient,
son identité de genre, ou in extremis choisir de ne pas exister si la réalité
ne correspond pas à son attente.
Le contexte culturel postmoderne est donc imprégné de nihilisme phi-
losophique (il n’y a rien de stable, de vrai et de valable), de relativisme
éthique (l’individu est au-delà du bien et du mal) et de « genderisme » an-
thropologique (oscillant entre le choix du genre et les procédures unisexes).
À la multiplicité potentielle des choix s’ajoute l’effet paralysant d’une ava-
lanche d’études empiriques et des méthodologies qui en découlent sur les
petits aspects (ou dimensions) de la vie. Le caractère fragmentaire de cet
empirisme pragmatique conduit finalement la majorité des personnes à
adopter une standardisation paradoxale des modes de vie, édulcorée par
d’apparentes personnalisations banales : je peux choisir l’image de fond de
l’écran mais pas les données que le système collecte et partage à mon sujet
avec des tiers et à des fins lucratives. Avec le conditionnement du monde
numérique, nous risquons de nous enfermer dans une bulle cognitive basée
sur des préférences, créant ainsi des consommateurs algorithmiques.27 De
Discursive Participation, and Citizen Engagement. A Review of the Empirical Lit-
erature, in Annual Review of Political Science 7 (2004) 1, 315-344.
27 Voir l’étude intéressante de M.S. Gal - N. Elkin-Koren, Algorithmic Consumers,
dans «Harvard Journal of Law & Technology» 30 (2017) 2, 1-45 qui montre com-
ment les algorithmes n’affectent pas seulement les connaissances mais ont des im-
plications économiques et sociales importantes.

46 Pages 451-460

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46.1 Page 451

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 451
toute évidence, les effets des nouveaux médias sont les plus forts sur la
nouvelle génération de jeunes, appelée iGen par opposition à la xGen qui a
grandi avec la télévision des années 1980-1990. La chercheuse en psycho-
logie Jean Marie Twenge présente dix caractéristiques intéressantes des
jeunes du troisième millénaire :
- Immaturité (enfance prolongée au-delà de l’adolescence) ;
- Internet (l’activité en ligne comme passe-temps universel) ;
- Incorporéité (déclin des interactions sociales personnelles) ;
- Instabilité (crise de la santé mentale) ;
- Irréligiosité (perte des références religieuses et spirituelles) ;
- Isolement (accent mis sur la sécurité et non sur l’engagement com-
munautaire) ;
- Incertitude (précarité des modèles de travail) ;
- Indétermination (identité fluide sur la sexualité, le mariage et la pro-
création) ;
- Inclusivité (la tendance à accepter les différences et les minorités) ;
- Indépendance (en termes de convictions politiques).28
Le salésien Fabio Pasqualetti fait une lecture intéressante de la dyna-
mique de la continuité parmi les dernières générations de jeunes. La dy-
namique, née avant le numérique, qui est au cœur de la société actuelle
est l’importance du spectacle. Les aspects comme la beauté, l’harmonie,
la véracité, l’éthique ou la cohérence sont secondaires ou ne sont pas pris
en compte ; ce qui importe, c’est l’impact : « Le pragmatisme et l’hédo-
nisme présents dans de nombreux comportements adultes dénoncent un
renoncement à prendre des responsabilités. Tout cela avant l’avènement de
l’utilisation du net ».29 Je pense qu’il est légitime de percevoir la révolution
28 Cf. J.M. Twenge, iGen. Why Today’s Super-Connected Kids are Growing Up Less
Rebellious, More Tolerant, Less Happy and Completely Unprepared for Adulthood
and What That Means for the Rest of Us, Atria Books, New York 2017.
29 Cf. F. Pasqualetti, Dietro le quinte della rete, in M. Vojtáš - P. Ruffinatto (eds.),
Giovani e scelte di vita: Prospettive educative. Actes du congrès international or-
ganisé par l’Université pontificale salésienne et la Faculté pontificale des sciences

46.2 Page 452

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452 Pédagogie salésienne après Don Bosco
communicationnelle actuelle à la lumière d’autres révolutions commu-
nicationnelles dans l’histoire : de l’oral à l’écrit, de l’écrit à l’imprimerie
de Gutenberg. Chaque changement n’annule pas le précédent, mais l’in-
tègre dans une nouvelle synthèse qui devra gérer le flux d’informations, de
conversations et de « textes ». Auparavant, il existait des systèmes de ges-
tion tels que les bibliothèques, les collections privées, les communautés de
scientifiques avec leurs revues, les index des livres interdits, le samizdat,
et tout un système de gestion économique autour des maisons d’édition. À
l’ère du numérique, il y a, au contraire, l’indexation algorithmique comme
Google, la robo-censure, les collections numériques, les collections d’éva-
luations d’utilisateurs, les projets collaboratifs comme Wikipédia, la désin-
formation des fake news, les contenus cachés ou illégaux du dark web, etc.
Les parallèles soulignés il y a vingt ans par l’économiste international
James Dewar sont intéressants : les changements de l’ère numérique pour-
raient être aussi spectaculaires que ceux de l’imprimerie de Gutenberg, qui
a contribué de manière significative à la transition du Moyen Âge à l’ère
moderne ; l’avenir numérique sera dominé par des conséquences involon-
taires, comme à l’ère de l’imprimerie ; il faudra des décennies avant de voir
tous les effets de l’ère numérique. Alors que les événements se produisent
plus rapidement de nos jours et que l’information est presque immédiate,
la dynamique profonde du développement des réseaux durera des décen-
nies, car elle est liée aux rythmes d’apprentissage humains et (inter)géné-
rationnels. Malgré la rhétorique du changement rapide, les changements
culturels importants et permanents se produisent à leur propre rythme non
rapide, comme le montre une étude intéressante sur les parallèles entre les
révolutions de la communication dans l’histoire.30
En tant que salésiens, nous avons fait l’expérience de la première géné-
ration, qui a grandi vers le milieu du XIXe siècle, de la transition entre la
culture de la communication orale de la campagne et la culture urbaine de
l’imprimé. L’effort d’alphabétisation a été le moteur des écoles salésiennes,
adaptant un modèle de lycée classique avec une attention à la modernité, et
les éditeurs salésiens ont trouvé des modèles de gestion qui combinaient la
diffusion des livres aux classes populaires avec l’apprentissage des artisans
de l’éducation Auxilium Rome, 20-23 septembre 2018, LAS, Rome 2019, 84.
30 Cf. J.A. Dewar, The information age and the printing press: Looking backward to
see ahead, Rand, Santa Monica CA 1998.

46.3 Page 453

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 453
typographes et relieurs. Une attention similaire sera nécessaire pour la
transition de la culture de l’imprimé à la culture visuelle et interactive du
numérique. Pour l’instant, il semblerait que les salésiens soient présents
dans le monde numérique (avec des fortunes diverses), mais pas encore
avec un modèle qui crée une synergie entre l’éducation et la production de
médias numériques.
Dans la Congrégation salésienne, les documents faisant référence à la
mission dans le domaine de la communication sociale ne manquent pas,
certains d’entre eux datant déjà du troisième millénaire, comme le Manuel
pour la communication sociale rédigé sous la direction de Don Martinel-
li.31 Le premier document qui prend au sérieux la culture numérique est
la lettre du recteur majeur Don Pascual Chávez de 2005 portant le titre
Avec le courage de Don Bosco dans les nouvelles frontières de la com-
munication sociale.32 La lettre reprend certaines des stimulations précé-
dentes et propose un changement de mentalité (qui n’a pas encore eu lieu)
en reprenant la proposition de 1981 de Don Viganò, qui envisageait pour
les salésiens une formation à la communication sociale à trois niveaux :
le niveau général de base, celui des animateurs, des agents éducatifs et
pastoraux et celui de la spécialisation. Vingt ans plus tard, en l’an 2000,
Don Vecchi avait déjà réitéré cette nécessité, en écrivant sur l’urgence de
la qualification : « Le seul chemin utile à suivre est celui de la formation.
La nouvelle alphabétisation, c’est-à-dire la capacité de lire et d’écrire dans
la culture médiatique, concerne tous les hommes et, en ce qui concerne la
foi, tous les croyants. Combien plus les éducateurs et les évangélisateurs
devraient-ils s’y intéresser ! »33
Il semble que les interventions sur la communication au cours des
quarante dernières années aient suivi une double modalité typiquement
salésienne : d’une part l’exhortation générale sur les principes ; d’autre
part les étapes concrètes mais partielles dans les réponses aux situations
31 Cf. Dicastero per la Comunicazione Sociale, Manuale per la comunicazione so-
ciale, SDB, Roma 2005.
32 Cf. P. Chávez Villanueva, Con il coraggio di Don Bosco nelle nuove frontiere della
comunicazione sociale, in ACS 86 (2005) 390, 3-46.
33 J.E. Vecchi, La comunicazione nella missione salesiana “È straordinario! Fa sen-
tire i sordi e fa parlare i muti”, dans Chávez Villanueva, Con il coraggio di Don
Bosco, 43.

46.4 Page 454

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454 Pédagogie salésienne après Don Bosco
problématiques, qui requièrent une attention immédiate. Un autre besoin
de formation semble concerner l’utilisation des médias sociaux par les sa-
lésiens. En 2014, le Dicastère pour la communication sociale a publié le
document Conseils pour l’utilisation des médias sociaux, en s’inspirant
des documents de la Conférence épiscopale d’Allemagne, fournissant des
lignes directrices prudentes et transparentes pour l’utilisation d’Internet et
des réseaux sociaux aux niveaux individuel, communautaire et institution-
nel.34
6.1.5. Les jeunes adultes et les IUS comme nouveau champ d’action
Au cours des trente dernières années, les institutions universitaires sa-
lésiennes (IUS) ont connu une forte croissance. L’investissement salésien
dans l’enseignement supérieur est dû à plusieurs facteurs : d’une part, il
y a la croissance générale des institutions universitaires dans le monde,
sous la poussée des besoins de la société post-industrielle ; d’autre part, il
y a la sensibilité de la Famille salésienne à l’accompagnement des jeunes,
qui ont besoin de rythmes de maturation plus longs que dans les époques
précédentes. Compte tenu de l’histoire du développement du réseau IUS,
il semble approprié de retracer deux séries de motivations.35 Le premier
part des besoins éducatifs-pastoraux du monde des jeunes ; le second, par
contre, répond plutôt aux besoins de formation des salésiens. Tous deux
s’inspirent donc de réflexions aux accents différents.
Les dernières décennies du siècle dernier ont été caractérisées en Occi-
dent par la possibilité pour les jeunes issus des classes populaires d’accéder
à l’enseignement supérieur. L’université n’était plus considérée comme un
espace réservé à quelques privilégiés, mais plutôt comme un milieu acces-
sible à une grande partie des jeunes. En outre, l’âge de la jeunesse a égale-
ment été allongé et le terme « jeune adulte » a été introduit pour désigner
les personnes ayant atteint l’âge légal, mais qui sont encore en cours de
34 Cf. F. González, Presenza nelle reti sociali in ACG 97 (2016) 423, 33-42.
35 Cf. M. Olmos, Origen y desarollo de las Instituciones Salesianas de Educación
Superior. Visión crítica del proceso histórico de las IUS, in M. Farfán (ed.), Caris-
ma salesiano y educación superior, Editorial Universitaria Abya-Yala, Quito 2019,
21-44.

46.5 Page 455

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 455
maturation et de formation, dans la tranche d’âge de 18 à 28 ans.36 Surtout
dans le contexte européen, les salésiens de Don Bosco ont développé des
réflexions sur la pastorale des jeunes étudiants universitaires depuis les
années 1980, tandis que vers la fin du millénaire, on a commencé à prêter
attention aux institutions salésiennes d’enseignement supérieur nées dans
d’autres contextes. Dans cette évolution, on reconnaît une façon de procé-
der typiquement salésienne : d’abord répondre aux besoins des jeunes, ex-
périmenter différents programmes et projets et enfin clarifier les solutions
institutionnelles.
Juan Edmundo Vecchi, en tant que conseiller pour la pastorale des
jeunes et ensuite comme recteur majeur, est l’une des figures centrales de
l’animation et de la pensée concernant l’enseignement supérieur salésien.
En 1988, il aborde pour la première fois de manière organique le thème
« Les salésiens et la pastorale des étudiants universitaires », en organisant
une rencontre au niveau européen.37 Il a été noté que « l’accent est pour
l’instant presque entièrement mis sur la pastorale des étudiants universi-
taires. Cette action pastorale s’exerce dans les foyers/résidences universi-
taires (plus d’une vingtaine), dans certaines aumôneries, moins dans les
clubs ou cercles universitaires. Le monde universitaire ne semble pas être
mis en avant dans la pastorale globale de la jeunesse ».38 Les conclusions
de la rencontre contiennent quelques synthèses et motivations pour la pas-
torale salésienne dans le « monde universitaire » :
- l’âge de la jeunesse s’est allongé ;
- les études universitaires deviennent accessibles aux jeunes des classes
populaires ;
- les étudiants universitaires sont de plus en plus laissés pour compte
et en danger ;
- l’éducation des étudiants universitaires est requise en raison du prin-
cipe de continuité ;
36 Déjà le CG 22 (1984) affirme au no. 71 qu’ « il est important de ne pas s’arrêter à
l’adolescence.. mais d’aller au-delà, vers la jeunesse, où se produisent actuellement
des phénomènes culturels et religieux intéressants ».
37 Cf. J.E. Vecchi, Presentazione, in C. Nanni (ed.), Salesiani e pastorale tra gli uni-
versitari, SDB, Roma 1988, 5-7.
38 Sintesi conclusiva, in Nanni (ed.), Salesiani e pastorale tra gli universitari, 162-163.

46.6 Page 456

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456 Pédagogie salésienne après Don Bosco
- le monde universitaire est un lieu privilégié pour la formation des
dirigeants.
Parmi les formes de malaise et les nouvelles formes de pauvreté chez
les étudiants universitaires, il y a essentiellement deux séries de problèmes.
La première est relationnelle : l’abandon à soi-même, l’individualisme, le
déracinement, l’anonymat des milieux universitaires, la crise des instances
de participation. Un deuxième ensemble tourne autour des aspects problé-
matiques de l’université en tant que telle : la réduction à l’économique et
l’instrumentalisation de la culture, la forte compétitivité induisant la peur
de l’échec, un avenir professionnel incertain.39 Comme réponses à cette si-
tuation, les auteurs de la rencontre indiquent la promotion d’une pédagogie
de l’environnement et d’une pédagogie de l’accompagnement personnel.
C’est dans ce contexte que se place le projet d’orientation élaboré par Um-
berto Fontana sur des bases psychologiques au début des années 1990,40
tandis que la proposition de Carlo Nanni dépasse la mentalité purement ré-
active par rapport aux besoins et propose de manière proactive la pastorale
auprès des étudiants universitaires comme champ privilégié de la pastorale
vocationnelle.41
Alors qu’en Europe, pour des raisons sociologiques et culturelles, le
modèle de la pastorale des étudiants universitaires semblait prévaloir, en
Amérique latine se sont développées les universités et les institutions salé-
siennes d’enseignement supérieur. Le contexte, la législation et les oppor-
tunités ont favorisé la naissance d’universités répondant à la demande des
classes populaires pour une plus grande professionnalisation. Juan Vecchi
déclare à propos des IUS qu’« au début, l’objectif principal était d’organiser
le service pour créer des opportunités d’enseignement supérieur dans le
milieu populaire et d’occuper les espaces culturels disponibles ».42 Alors
39 Cf. Ibid., 40-41.
40 Cf. U. Fontana - G. Piccolboni (eds.), Costruiamo un professionista. L’esperienza
di Costagrande, Mazziana, Verona 1993 et U. Fontana, L’orientamento universi-
tario, in « Rassegna CNOS » 10 (1994) 1, 57-61.
41 Cf. C. Nanni, Offerte salesiane agli universitari, in Nanni (ed.), Salesiani e pasto-
rale tra gli universitari, 45 (all 39-58).
42 J.E Vecchi, Io per voi studio” (C 14). La preparazione adeguata dei confratelli e
la qualità del nostro lavoro educativo, in ACG 78 (1997) 361, 43.

46.7 Page 457

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 457
qu’on était parti d’une proposition académique structurée au niveau du
milieu, Vecchi souligne maintenant le défi à relever, à savoir former des
équipes qualifiées professionnellement, pastoralement et salésiennement,
capables de créer des propositions alternatives par rapport à la mentalité
dominante : « Après avoir accompli le premier effort d’organisation que de
telles initiatives requièrent, il est temps d’aborder, de manière décisive et
communautaire, la qualification culturelle et pastorale, en commençant par
la préparation des confrères et des laïcs ».43 C’est dans cette même ligne de
proposition et d’attention que s’inscrit le développement récent des colleges
en Asie du Sud (Inde), conçus comme des structures d’enseignement supé-
rieur dédiées à la professionnalisation des jeunes issus des secteurs ruraux
et populaires.
Autour de la formation des salésiens de Don Bosco est né un autre
type d’enseignement supérieur au niveau des idées mais aussi au niveau
des mentalités, qui structure par la suite les projets, les curriculums et les
modèles éducatifs implicites. Ceci est particulièrement évident dans les
IUS qui sont nées, avec plus ou moins de continuité, à partir d’une maison
d’études philosophique ou théologique visant à la formation des salésiens.
La nécessité de qualifier les salésiens dans les études supérieures a culmi-
né dans la lettre déjà mentionnée de Don Vecchi de 1997, intitulée Pour
vous j’étudie, à laquelle se réfère la création du réseau des IUS.44 Celles-ci
sont explicitement placées dans le contexte de la formation d’un « nouveau
type de salésien » qui correspond aux exigences de la « nouvelle évangéli-
sation » et de la « nouvelle éducation ». Don Vecchi demande une synergie
entre les IUS et les provinces, en vue de créer un nouveau modèle éducatif
de salésiens culturellement préparés, capables de discerner, animer, guider
et accompagner.45
À partir de ces références idéales, les IUS, qui ne sont pas conçues ex-
clusivement pour la formation des religieux salésiens mais aussi au service
des jeunes générations, ont un vaste potentiel de rayonnement de pensée et
d’action et « doivent définir leur orientation en conformité avec le carac-
tère catholique et leur philosophie éducative en harmonie avec les critères
43 Ibid, 43-44.
44 Cf. J.E Vecchi, Un servizio per le istituzioni universitarie salesiane, in ACG 79
(1998) 362, 97-99.
45 Cf. Vecchi, Io per voi studio”, 17-18.

46.8 Page 458

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458 Pédagogie salésienne après Don Bosco
salésiens, se constituant comme des centres de formation des personnes
et d’élaboration d’une culture d’inspiration chrétienne », en surmontant la
tentation de céder à la mentalité dominante. D’où la nécessité et l’urgence
d’« aborder, de manière décisive et communautaire, la qualification cultu-
relle et pastorale, en commençant par la préparation des confrères et des
laïcs ».46
6.1.6. Éducation post-industrielle, lean management et importance
d’un leadership de la transformation
Le contexte postmoderne a évidemment aussi influencé les concepts
pédagogiques du troisième millénaire. Dans le monde VUCA, incertain et
en constante évolution, il est nécessaire, d’une part, de former des person-
nalités flexibles, capables de s’adapter, de repenser et de disposer d’un en-
semble différencié de compétences et, d’autre part, de donner aux adultes
une identité claire, fondée sur des attitudes éthiques et vertueuses et expri-
mée dans une vision-mission personnelle. Les propositions d’une planifi-
cation linéaire et technique des années 1980 (y compris chez les salésiens)
inspirée par le management by objectives ne semblent plus correspondre au
contexte et au monde vital des nouvelles générations.47
En pédagogie, les compétences différenciées s’expriment de différentes
manières. L’une des plus populaires est la théorie des « intelligences mul-
tiples » développée par Howard Gardner, qui propose une éducation qui
tourne autour de la triade du vrai, du beau et du bien. Il existe différents
types d’intelligence capables de développer une flexibilité qui peut être uti-
lisée dans l’étude de sujets très spécifiques ainsi que dans l’approfondisse-
ment de thèmes généraux de l’humanité.48 Edgar Morin, quant à lui, parle
46 Cf. Ibid., 40 et 44.
47 Cf. M. Vojtáš, Pedagogia salesiana della scelta e della vocazione. Evoluzioni,
riletture, proposte, in M. Vojtáš – P. Ruffinatto (eds.), Giovani e scelte di vita:
Prospettive educative. Atti del Congresso Internazionale organizzato dall’Univer-
sità Pontificia Salesiana e dalla Pontificia Facoltà di Scienze dell’Educazione Aux-
ilium Roma, 20-23 settembre 2018, LAS, Roma 2019, 347-382.
48 Cf. H. Gardner, Truth, Beauty, and Goodness Reframed: Educating for the Virtues
in the Age of Truthiness and Twitter, Basic Books, New York 2011 et Id., Sapere per
comprendere. Discipline di studio e discipline della mente, Feltrinelli, Milano 2009.

46.9 Page 459

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 459
dans sa perspective de « pensée complexe » qui interconnecte des éléments
individuels de connaissance dans une position raisonnée par rapport à la
totalité de la réalité. Cette pensée inachevée se déplace dans les limites
entre la connaissance scientifique, les croyances, la connaissance pratique
et l’évidence du non-savoir, échappant ainsi à la fois aux exemplifications
du positivisme fonctionnaliste et à la paralysie tragique de la recherche
d’une synthèse impossible.49
Les positions de Gardner et de Morin tournent autour de la nature pro-
blématique de la connaissance dans l’ère postmoderne. D’autres auteurs, en
revanche, se distinguent d’eux en empruntant des voies plus processuelles
que gnoséologiques, proposant de nouveaux modes d’apprentissage. Do-
nald Schön développe une conception de la « réflexion en cours d’action »,
particulièrement prégnante dans les professions complexes telles que celles
d’éducateur, d’enseignant, de consultant ou de psychologue. L’activité édu-
cative n’est pas considérée comme une séquence mécanique d’activités
programmées, mais comme un dialogue constant de négociation entre les
personnes, de médiation entre les objectifs ultimes, les projets implicites
et explicites et les intuitions sur l’état des personnes et des situations, etc.
L’accent mis par Schön sur le processus est développé dans les années 1990
par Jack Mezirow qui propose l’apprentissage transformateur. La relation
éducative est théorisée comme un conseil ou un mentorat sur des questions
profondes qui nécessitent un examen critique des hypothèses sociales, psy-
chologiques et épistémologiques sous-jacentes.50 La théorie de la transfor-
mation influence également le domaine de l’organisation, dans lequel Noel
Tichy et Mary Devanna proposent le leadership transformationnel, avec
des développements supplémentaires proposés par Otto Scharmer qui éla-
bore le concept de transformation spirituelle profonde.51
Réagissant à l’individualisme moderne, certains pédagogues proposent
des théories qui valorisent les variables sociales et communautaires dans
49 Cf. E. Morin, Educare per l’era planetaria. Il pensiero complesso come metodo
di apprendimento nella condizione umana di errore e incertezza, Armando, Roma
2004.
50 Cf. J. Mezirow et al., Fostering Critical reflection in adulthood. A Guide to Trans-
formative and Emancipatory Learning, Jossey-Bass, San Francisco 1990 et ID,
Transformative Dimensions of Adult Learning, Jossey-Bass, San Francisco 1991.
51 C.O. Scharmer, Theory U. Leading from the Future as it Emerges. The Social Tech-
nology of Presencing, SoL, Cambridge MA 2007.

46.10 Page 460

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460 Pédagogie salésienne après Don Bosco
l’apprentissage. Le salésien Mario Comoglio, expert reconnu du coope-
rative learning en Italie, s’inscrit dans le sillage de la pensée développée
par Kurt Lewin et Morton Deutsch, en proposant un modèle de relations
d’interdépendance pro-positives dans l’apprentissage en groupe. Dans sa
proposition, le thème du partage de l’objectif d’apprentissage comme fac-
teur moteur, celui du potentiel de groupe, des compétences sociales pro-
positives, de l’analyse des motivations intérieures, de l’estime de soi ou de
la santé mentale sont développés en abordant les craintes, les peurs et les
angoisses dans l’apprentissage.52 Étienne Wenger, qui propose la « com-
munauté de pratique », va dans une direction similaire en valorisant les
pratiques sociales partagées qui, en plus de favoriser l’apprentissage de
connaissances et de compétences, construisent l’identité d’une community
of practice qui va au-delà d’un simple project team réuni uniquement au-
tour de la tâche à accomplir.53
Avec Alasdair MacIntyre, un autre courant de pensée pédagogique a
vu le jour, mettant l’accent sur la formation du caractère éthique. La pro-
position de David Carr, par exemple, montre que les perspectives libérales
ne sont pas suffisantes pour fonder la moralité de la vie sociale et démocra-
tique. Son éthique de la vertu dépasse la seule logique des droits, propo-
sant des principes particuliers et généraux indépendants des perspectives
communautaristes et constructivistes.54 L’analyse des vertus, des habitudes
et des attentions intériorisées s’étend également au domaine de la planifica-
tion de l’éducation, en équilibrant la technicité de l’époque précédente avec
un leadership éthique, communautaire et orienté vers le service.55
52 Cf. G. Chiosso, I significati dell’educazione. Teorie pedagogiche e della formazi-
one contemporanee, Mondadori, Milano 2009, 169-172 qui évalue le volume de
M. Comoglio - M.A. Cardoso, Insegnare e apprendere in gruppo. Il Cooperative
Learning, LAS, Rome 1996.
53 Cf. E. Wenger, Communities of Practice. Learning, Meaning, and Identity, Cam-
bridge University Press, Cambridge 1998; E. Wenger - R. Mcdermott - W.M. Sny-
der, Cultivating Communities of Practice, Harvard Business School, Boston MA
2002.
54 Cf. D. Carr, The moral roots of citizenship. Reconciling principle and character in
citizenship education, in Journal of Moral Education 35 (2006) 4, 443-456.
55 Cf. Vojtáš, Progettare e discernere, 152-161.

47 Pages 461-470

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47.1 Page 461

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 461
6.1.7. Quels jeunes émergent du Synode 2018 ?
Les tendances du troisième millénaire dans le monde de la jeunesse et
la réflexion ecclésiale qui en découle ont émergé à l’occasion du Synode des
évêques sur « Les jeunes, la foi et le discernement des vocations ». Dans ce
paragraphe, nous voulons approfondir l’image des jeunes et de la famille
salésienne telle qu’elle est apparue autour de l’événement du Synode, plu-
tôt que l’évolution complexe de la pensée entre le Document Préparatoire,
l’Instrumentum laboris, le Document Final de la réunion pré-synodale,
le Document Final de l’Assemblée Générale des Evêques et l’Exhortation
Apostolique Christus vivit.
Une nouveauté importante du synode a été la manière dialogique de
travailler avec le questionnaire en ligne lancé aux jeunes du monde en-
tier pendant la phase préparatoire des travaux. L’objectif était de « donner
virtuellement à chaque personne âgée de 16 à 29 ans, où qu’elle se trouve
dans le monde, la possibilité de raconter son histoire et d’apporter sa propre
contribution au parcours du Synode ».56 En effet, le questionnaire a permis
aux personnes d’exprimer librement des opinions et des états d’esprit à tra-
vers des questions ouvertes, avec la possibilité de faire des demandes et des
propositions en vue de la préparation de l’Instrumentum laboris. Le deu-
xième objectif du questionnaire, celui de dresser un portrait de la réalité
des jeunes dans les différentes régions du monde, n’a été que partiellement
atteint en raison du digital divide et de la participation seulement partielle
de zones entières, comme l’Amérique du Nord.57
La majorité (plus de 70 %) des jeunes ayant participé à l’enquête se per-
çoivent comme responsables, capables d’entretenir des relations positives
avec les autres, y compris avec les personnes âgées, et, au niveau cognitif,
comme empathiques, dotés d’un esprit critique et de rêves à réaliser. En re-
vanche, les compétences transversales qui semblent être moins communes
sont la gestion des conflits, l’image positive de soi et le leadership. Au-de-
là des différences de continent ou de genre, l’image de l’avenir est liée à
l’épanouissement professionnel (un emploi stable selon les aptitudes), puis
56 Cf. Sinodo dei vescovi, Il mondo delle nuove generazioni attraverso il questionario
online. The world of new generations according to the online questionnaire, a cura
di Osservatorio Giovani dell’Istituto Toniolo, LEV, Città del Vaticano 2018, 4.
57 Cf. Ibid., 7.

47.2 Page 462

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462 Pédagogie salésienne après Don Bosco
vient la famille (avoir sa propre famille et ses enfants), et vers la fin vient
un engagement pour la transformation sociale combiné à une méfiance
envers les institutions.58 Au niveau religieux, suivre Dieu est associé aux
concepts de « vie », « vérité », « salut » et « père » avec des pourcentages
très proches. Il est intéressant de noter que le terme « bonheur » atteint les
valeurs les plus élevées en Amérique latine et les plus basses en Europe, où
le concept de « doute » réapparaît plus fréquemment.59 Dans les réponses
sur les associations avec le concept central de « vocation », il y a des indi-
cations de continuité et de discontinuité par rapport à l’époque précédente.
Bien que l’épanouissement personnel à travers un projet de vie, qui com-
prend une dimension de service, soit toujours important, la discontinuité
avec la période postconciliaire se manifeste par une importance accrue de
la foi, du don de soi et une moindre importance des questions antiautori-
taires liées à la peur ou à la contrainte.60
Le document final de la jeunesse pré-synodale offre ensuite un aperçu
intéressant sur la perception de soi. Il est clair que, comme le questionnaire
en ligne, il s’agit d’une représentation des jeunes en contact avec l’Eglise, et
non de l’ensemble du monde de la jeunesse. Il est stimulant de lire le Docu-
ment pré-synodal dans le déroulement de ses grands thèmes : 1. le besoin
de communautés solidaires, édifiantes, authentiques et accessibles comme
lieu de croissance ; 2. la joie et la responsabilité sacrée d’accompagner les
jeunes sur leur chemin de foi en Jésus et de discernement vocationnel ; 3.
l’appel à une Église authentique qui promeut le protagonisme des jeunes ;
4. la concrétisation : lieux, initiatives et instruments.61
Au niveau salésien, le congrès « Jeunes et choix de vie » qui s’est tenu
quelques semaines avant l’Assemblée générale des évêques a été significa-
tif. Les interventions sur les spécificités des différents mondes de la jeu-
nesse dans les divers continents ont permis de prendre conscience de leurs
caractéristiques. Voici quelques-unes des plus stimulantes : une culture
numérique égocentrique, individualiste et consumériste ; un accent mis sur
58 Cf. Ibid. 9-19.
59 Cf. Ibid, 36-40.
60 Ibid., 43.
61 Sinodo dei Vescovi Xv Assemblea Generale Ordinaria «I giovani, la Fede e il dis-
cernimento vocazionale», Riunione pre-sinodale. Documento finale, Roma 19-24
marzo 2018, in bit.ly/synod-va-2018.

47.3 Page 463

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 463
l’éducation pour se préparer au monde du travail en Afrique et en Amé-
rique latine ; un besoin d’empowerment des jeunes en Asie, caractérisé
par « l’espoir et le désespoir » ; les dilemmes entre l’esclavage de la mode
et une religiosité européenne home made ou un catholicisme latino-amé-
ricain « à ma façon » ; la nécessité de surmonter une fausse non-conflic-
tualité qui est socialement désengagée.62 Franco Garelli, dans sa lecture
de la recherche auprès des agents pastoraux salésiens, propose une liste de
binômes caractérisant l’ambivalence des mondes des jeunes :
les jeunes sont décrits comme : plus joyeux qu’optimistes, plus so-
ciables que volontaires, plus curieux qu’intéressés, plus actifs que
confiants ; en même temps, ils apparaissent plus courageux que forts
(capables de réagir aux difficultés), plus ouverts que profonds (et
“croyants”), plus généreux que réfléchis ; la dernière place attribuée
à la cohérence semble être le signe le plus clair d’une condition am-
bivalente, typique des sujets qui luttent pour mettre en ordre leurs
choix et leur agenda de vie.63
La lecture des interviews permet de comprendre comment on parle
des jeunes (de manière communicative), mais on « lit » l’âme salésienne
(de manière méta-communicative).64 Malgré toutes les limites de la re-
cherche sélective, qui n’atténue cependant pas l’aspect le plus authentique,
la propension des salésiennes et des salésiens est de regarder les jeunes
d’aujourd’hui en termes globalement positifs, tout en enregistrant les nom-
breuses tensions et contradictions qui les habitent. Il ne s’agit pas tant
d’une vision « bonne » ou « naïve » de la condition des jeunes que d’une
lecture « mature » des jeunes générations qui semble être soutenue par
l’expérience et la pratique éducative. L’image qui se dégage de ce travail
dense n’est pas celle d’un sujet « abstrait » et « généralisé », mais celle de
jeunes « en chair et en os » qui se rencontrent dans les maisons salésiennes.
Garelli confirme le trait typique du discernement salésien, qui ne se situe
62 Cf. Vojtáš - Ruffinatto (eds.), Giovani e scelte di vita: Prospettive educative, 31-
201.
63 Cf. F. Garelli, Presentazione della ricerca “Giovani e scelte di vita” e conclusioni,
in Vojtáš – Ruffinatto (eds.), Giovani e scelte di vita, 190.
64 Cf. Ibid., 199.

47.4 Page 464

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464 Pédagogie salésienne après Don Bosco
pas dans des lectures sociologiques objectives, mais qui est plutôt le fruit
« d’une vérification quotidienne, objet d’une vérification continue et du-
rable dans la dynamique ordinaire de la vie et de la relation éducative ».65
6.2. Les lignes pédagogiques diffusées par Rome au tour-
nant du millénaire
6.2.1. Domènech et les synthèses du Cadre de référence (1998 et 2000)
Au début des années 1990, le recteur majeur Pascual Chávez Villa-
nueva résume en ces termes la situation au plan éducatif-pastoral, et an-
nonce la naissance du Cadre de Référence pour la Pastorale Salésienne des
Jeunes : « Il existait un patrimoine de réflexion et de pratique pastorale
salésienne extraordinairement riche et cohérent, dont on a senti le besoin
d’avoir une vue d’ensemble et de recueillir les lignes fondamentales dans
une synthèse organique à la disposition de tous afin d’en faciliter l’assimi-
lation personnelle et d’orienter la pratique. Le Dicastère pour la Pastorale
des Jeunes a essayé de répondre à ce besoin en offrant aux provinces et aux
communautés le recueil organique mentionné ci-dessus et en promouvant
ces dernières années un processus systématique de formation pastorale,
en particulier des confrères qui ont la responsabilité de l’animation et du
gouvernement ».66
En effet, après le CG 24 (1996), qui a approfondi la réflexion sur la
communion et la coresponsabilité avec les laïcs, en lien étroit avec le thème
de la CEP, le nouveau recteur majeur Juan Vecchi a exprimé le besoin
d’un « cadre de référence spirituel qui, avec la “grâce d’unité” propre à la
consécration apostolique salésienne, conduise les salésiens à traduire leur
effort de connaissance et d’action en une expérience de vie dans l’Esprit.
Nous avons souvent répété qu’il est nécessaire d’unir dans notre esprit et
65 Ibid., 200.
66 P. Chávez Villanueva, “E si commosse per loro perché erano come pecore senza
pastore, e si mise a insegnare loro molte cose” (Mc 6,4). La Pastorale Giovanile
Salesiana, in ACG 91 (2010) 407, 20.

47.5 Page 465

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 465
dans notre vie la spiritualité, la pastorale, la pédagogie , le chemin de sain-
teté, l’engagement pastoral, l’éducation des jeunes et du peuple ».67 Les
deux périodes de six ans (1996-2008) de l’animation d’Antonio Domènech
sont marquées par la volonté de faire en sorte que le modèle salésien de la
pastorale des jeunes devienne une nouvelle mentalité grâce aux rencontres
spéciales pour la formation des responsables provinciaux de ce secteur et
à l’effort d’élaboration organique des contenus dans les deux éditions de la
La Pastorale salésienne des jeunes. Cadre fondamental de référence. La
manière dont le conseiller a animé les deux lignes d’action est appréciable,
puisque la deuxième édition du Cadre de référence reflète également les
réactions des équipes provinciales lors des réunions de formation.68 Cette
publication est un pas important pour la pastorale des jeunes et permet de
saisir certains choix fondamentaux qui ont influencé la pédagogie salé-
sienne ces dernières années.
6.2.1.1. La première édition du Cadre de référence (1998)
Le volume de synthèse réalisé par le Dicastère pour la Pastorale des
Jeunes, deux ans après le Chapitre Général 24, a voulu répondre au besoin
ressenti par diverses provinces, communautés et confrères d’une vision
pastorale globale. L’objectif était donc d’offrir un recueil organique de pro-
positions existantes ; en fait, le Cadre énumère une cinquantaine de docu-
ments datant du dernier quart de siècle.69 Il y avait également la volonté de
proposer un cadre de référence unitaire et quelques critères opérationnels
pour guider l’animation pastorale.70 Ce n’était pas une tâche facile, étant
donné la quantité de matériel, les distances dans le temps et les différents
67 J.E. Vecchi, “Io per voi studio...” (C 14). La preparazione adeguata dei confratelli
e la qualità del nostro lavoro educativo, in ACG 78 (1997) 361, 37.
68 Cf. Dicastero per la Pastorale Giovanile, La pastorale giovanile salesiana.
Quadro di riferimento fondamentale, SDB, Roma 22000, 7.
69 Voir la liste des documents d’inspiration dans Dicastero PG, Quadro di riferimen-
to, 11998, 11-12.
70 Cf. Dicastero PG, Quadro di riferimento, 11998, 10. Le cadre de référence est con-
sidéré par le recteur majeur Pascual Chávez comme une « collection organique »
qui répond à « la nécessité d’avoir une vue d’ensemble complète et de rassembler les
lignes fondamentales dans une synthèse organique et partagée », in Chávez Villan-
ueva, La PG Salesiana, 20.

47.6 Page 466

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466 Pédagogie salésienne après Don Bosco
objectifs pour lesquels il a été écrit. Connaissant le background du do-
cument, il est nécessaire de l’aborder avec des attentions herméneutiques
différentes, sans s’attendre à une organicité facile, une parfaite linéarité de
l’argumentation ou des solutions pratiques d’usage immédiat.
La publication suit une subdivision en six chapitres qui expriment une lo-
gique de concrétisation opérationnelle, du plus général aux applications : les
éléments fondamentaux de la pastorale salésienne des jeunes, le PEPS dans
ses dimensions, la CEP et son animation, les différentes œuvres et services,
les structures d’animation et les lignes méthodologiques pour construire et
vérifier le projet. Dans les différents chapitres, le matériel produit au cours
des dernières décennies a été synthétisé et rassemblé pour « offrir une
synthèse des lignes fondamentales de la pastorale salésienne des jeunes, en
vue d’une meilleure assimilation et application concrète dans les PEPS ».71
Dans les paragraphes suivants, nous nous attardons sur certains thèmes
intéressants pour la pédagogie salésienne, tels que les dimensions prises
en compte dans les projets, l’idée de communauté et la méthodologie de la
planification.72
6.2.1.2. Le dilemme de l’unité organique et de la division en dimensions
dans le PEPS
Le deuxième chapitre du Cadre, qui se concentre sur les fondements
du projet éducatif-pastoral, est structuré selon la logique des quatre dimen-
sions qui suit la division du deuxième document sur le PEPS, publié en
1979, mais en supprimant le thème de la communauté, puisque l’identité
et l’animation de la CEP, qui étaient le contenu de ce domaine, constituent
un chapitre à part. Pour mieux voir le développement et l’articulation de
la proposition éducative-pastorale salésienne dans les vingt ans de 1979 à
1998, il semble utile de faire une comparaison des différents types de divi-
sion en domaines introduits dans les divers documents salésiens.
71 Dicastero PG, Quadro di riferimento, 11998, 5.
72 Nous laisserons de côté l’analyse de la partie où il est question des principes
généraux, car ils renvoient aux contenus traités dans le chapitre 5, et la partie des
œuvres en raison de la particularité des éléments rapportés, qui se réfèrent de toute
façon aux documents du début des années 1980.

47.7 Page 467

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 467
Schéma H : Dimensions, critères, domaines et noyaux de l’éducation salésienne.
Dans le Schéma H nous comparons par ordre chronologique : les cinq
domaines du PEPS proposés dans le Document 2 (1979) ;73 les quatre ca-
ractéristiques du critère oratorien selon les Constitutions (1984) et la divi-
sion des articles du Règlement général qui concernent le PEPS (1984) ;74 les
domaines du projet éducatif-pastoral dans le volume Pastorale salésienne
des jeunes (1990) ;75 les domaines de la maturition chrétienne, définis par
le CG23 (1990) et utilisés dans l’élaboration des itinéraires d’éducation à
73 Cf. Dicastero PG, Elementi e linee per un progetto, Sussidio 2, 15.
74 Cf. Const. 40 et Règl. 5-10.
75 Cf. Dicastero PG, Pastorale giovanile salesiana, SDB, Roma 1990, 63-73.

47.8 Page 468

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468 Pédagogie salésienne après Don Bosco
la foi ;76 les noyaux fondamentaux de la spiritualité salésienne des jeunes,
définis par le même Chapitre ;77 enfin, les domaines du projet dans la Pas-
torale Salésienne des Jeunes. Cadre fondamental de référence (1998).78
Les quatre dimensions (éducation-culture, évangélisation-catéchèse,
associations, vocation) sont présentes dans tous les documents qui traitent
directement de la CEP. Le choix du Cadre de référence de traiter le thème
de la CEP dans un chapitre distinct présente à la fois des avantages et
des inconvénients. L’avantage de ce choix est l’élargissement de l’espace
et l’importance implicite donnée à la CEP, compréhensible après le CG24
qui avait approfondi et accentué le thème de la communion d’esprit et de
mission commune des salésiens et des laïcs. D’autre part, le risque colla-
téral de la division en deux chapitres est la séparation mentale du projet
par rapport à la communauté, ce qui conduit à la conséquence pratique et
très commune, si nous considérons les projets des années 1990 qui ont été
analysés, de ne pas prêter attention à la construction et à la formation de
la CEP au cours de la planification éducative-pastorale. Une autre accen-
tuation, apparue vers 1990, n’est pas suffisamment renforcée : il s’agit du
service et de l’engagement des jeunes pour la transformation du monde,
que le CG23 avait mis en évidence à la fois comme domaine de maturation
chrétienne et comme noyau de la spiritualité salésienne. Le thème de la
division en dimensions est automatiquement lié à la nécessité de souligner
la croissance intégrale et l’unité organique de tous les éléments du projet.
Le texte s’exprime à ce sujet de la manière suivante:
Le PEPS, en tant que médiation de la pastorale salésienne des
jeunes, doit exprimer l’unité organique des différents objectifs, in-
terventions et actions qui s’entrecroisent et sont tous orientés vers le
même but, manifestant leur complémentarité concrète et formant
une unité globale. Cette organicité s’exprime dans les quatre dimen-
sions du PEPS.79
76 Cf. CG 23 (1990), nos. 116-118.
77 Cf. CG23 (1990), nos. 158-161. Cf. aussi Dicasteri per la Pastorale Giovanile
FMA-SDB, Spiritualità Giovanile Salesiana. Un dono dello Spirito alla Famiglia
salesiana per la vita e la speranza di tutti, [s.e.], Roma 1996.
78 Cf. Dicastero PG, Quadro di riferimento, 11998, 26-39.
79 Ibid., 26.

47.9 Page 469

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 469
Malheureusement, l’exhortation à l’unité du PEPS n’est pas accompa-
gnée de suggestions méthodologiques qui pourraient répondre à la question
du « comment » y parvenir, et on ne va pas au-delà de la formulation d’ex-
pressions générales telles que : provoquer un développement positif de la
réalité culturelle du groupe humain vers une synthèse foi-vie ; éduquer à
une personnalité unitaire et harmonieuse où les dimensions et les aspirations
sont hiérarchisées selon leur valeur ; l’option vocationnelle est une dimension
toujours présente, dans tous les moments, activités et phases de notre action
éducative et pastorale ; le groupe de jeunes doit déboucher sur l’insertion so-
ciale et ecclésiale selon sa propre option vocationnelle ; à la formule heureuse
« éduquer en évangélisant », nous ajoutons éduquer en socialisant, etc.80
La logique et la composition du deuxième chapitre du PEPS se carac-
térisent par la division en quatre dimensions. Même des éléments comme
la prévention du malaise des jeunes, la spiritualité salésienne des jeunes,
le style éducatif de l’animation et le mouvement salésien des jeunes sont
placés en conséquence dans les différentes dimensions et leur potentiel
multidimensionnel d’intégration synergique n’a pas été exploité. Le texte
exprime le paradoxe de vouloir concrétiser la proposition à l’intérieur des
dimensions et de souligner en même temps la nécessité d’une intégration
inter-dimensionnelle.
6.2.1.3. La communauté éducative-pastorale en fonction du projet
La prédominance d’une logique de planification est perceptible tant
dans la place réservée au chapitre sur la CEP que dans les expressions qui
définissent ses rôles de manière fonctionnaliste : « Le premier élément
fondamental pour la réalisation de la pastorale salésienne des jeunes est la
communauté. Une communauté qui implique, dans une ambiance fami-
liale, les jeunes et les adultes, les parents et les éducateurs, jusqu’à ce qu’elle
puisse devenir une expérience d’Église, révélatrice du projet de Dieu ».81
Pour renforcer l’argument, on indique que la « convergence des intentions
et des convictions de toutes les personnes impliquées » est nécessaire pour
l’élaboration et la réalisation du projet. Le problème de la division analy-
tique du projet en dimensions, comme on l’a vu au paragraphe précédent,
80 Cf. Ibid. 27-38.
81 Dicastero PG, Quadro di riferimento, 11998, 45.

47.10 Page 470

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470 Pédagogie salésienne après Don Bosco
est présenté comme une tâche à résoudre au niveau de la convergence pra-
tique des interventions dans la communauté.82
Dans les deux premières éditions du Cadre de référence, les accents
du CG24 sur la communion et la coresponsabilité avec les laïcs sont bien
visibles. Le protagonisme des jeunes, l’implication et la formation des pa-
rents et des laïcs engagés à différents niveaux de responsabilité et de col-
laboration sont souvent affirmés. Les auteurs valorisent l’apport de chaque
vocation, la dimension expérientielle de la vie communautaire et l’engage-
ment au sein de l’Église et sur le territoire, tant comme point d’agrégation
que comme centre d’irradiation et agent de transformation.83 Malgré l’in-
sistance sur la CEP élargie et rayonnante, on perçoit parfois un arrière-plan
théorique qui donne la priorité à la planification technique et efficace. La
communauté, en ce sens, n’est qu’une «­ exigence ecclésiale » ; une « condi-
tion nécessaire à l’action éducative » qui « est un fait social » ; elle est
ensuite une conséquence des choix du « système préventif [...] qui exige un
environnement de participation » ; enfin, la communauté est un élément
décisif de l’évangélisation considérée comme « une tâche » qui se réalise à
travers le témoignage et le service de la communauté.84
6.2.1.4. La méthodologie dans l’élaboration et la vérification du PEPS
Le dernier chapitre, qui porte sur les lignes méthodologiques d’élabora-
tion et de vérification du PEPS, conclut le volume et doit être la traduction
opérationnelle des chapitres précédents. Le titre lui-même n’exprime pas
l’intention d’exposer la méthodologie de la programmation, il ne propose
que des lignes directrices et les quelques cinq pages du texte en témoignent.
L’absence d’un examen approfondi de l’aspect méthodologique est confir-
mée à la dernière page du texte, où il est recommandé de « penser à une
méthodologie qui favorise la participation de tous les groupes et organes
82 Le renversement de l’importance entre le projet et la communauté n’est élaboré que
dans la troisième édition du Cadre, qui décrit la vie communautaire comme une
caractéristique de la vie ecclésiale, qui se traduit ensuite par un projet communau-
taire considéré comme la réalisation de la mission. Cf. Dicastero PG, Quadro di
riferimento, 32014, 136-137.
83 Cf. Dicastero PG, Quadro di riferimento, 11998, 45-48.
84 Cf. Ibid., 45-46.

48 Pages 471-480

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48.1 Page 471

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 471
de la CEP en fonction de leurs responsabilités et de leurs possibilités ».85
Cela laisse la liberté de choisir une méthodologie, mais d’un autre côté il y
a un risque que la CEP marche sans méthode unificatrice et tombe dans les
pièges du bureaucratisme ou de l’efficacité des méthodes prédominantes.
Pour résumer son contenu, on peut dire que la publication offre des élé-
ments et des lignes de planification en résumant les propositions des deux
documents de 1978-1979.86 On y précise en outre :
- les niveaux de la programmation (cadre, projet, plan annuel, pro-
grammation, itinéraire) ;
- les étapes de la programmation (analyse de la situation, projet, véri-
fication) ;
- les critères de la programmation (implication de tous, participation
de tous, clarté des points de référence, clarté des différents niveaux
de participation, évaluation continue) ;
- la CEP comme sujet du processus.87
Même si l’importance de l’aspect méthodologique est affirmée, quand
on déclare par exemple que « le chemin que nous parcourons ensemble
et la méthodologie utilisée sont plus importants que le texte qui en ré-
sulte »,88 le Cadre de référence ne lui consacre que quelques lignes, lais-
sant ouvertes de nombreuses autres questions qui peuvent paralyser toute
la proposition pastorale. En voici quelques-unes : comment bien formuler
un objectif, de sorte qu’il exprime un concept de manière adéquate et qu’il
soit réalisable ? Les objectifs, les lignes d’action, les critères, les rôles, les
fonctions doivent-ils être répartis en dimensions ou non ? Comment l’uni-
té organique est-elle créée ? Quels groupes au sein de la CEP devraient
participer et intervenir aux différents niveaux du projet (maison, section,
groupe, personne) ? Faut-il toujours partir « du haut », c’est-à-dire du cadre
de référence, et descendre jusqu’aux niveaux les plus concrets, ou est-il
85 Ibid., 122.
86 Cf. Dicastero PG, Progetto Educativo Pastorale. Metodologia, Sussidio 1 e Id.,
Elementi e linee, Sussidio 2.
87 Cf. Dicastero PG, Quadro di riferimento, 11998, 117-122.
88 Ibid., 117.

48.2 Page 472

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472 Pédagogie salésienne après Don Bosco
également conseillé de travailler « à partir du bas », en partant des expé-
riences pilotes, des bonnes pratiques ? Quelle est la relation entre un itiné-
raire et le projet ? La participation de tous à la planification salésienne est-
elle une condition nécessaire ou un point d’arrivée ? Quelle est la logique
entre les différents éléments du projet, de sorte que des choix appropriés
puissent être faits dans des situations réelles de manque de personnel, de
motivation, de temps et d’autres ressources ? Ces questions méthodolo-
giques sont le signe de l’impasse emblématique entre le papier et la vie.89
6.2.1.5. Ajouts méthodologiques à la deuxième édition du Cadre de réfé-
rence
Antonio Domènech et son équipe prirent des mesures concrètes pour
promouvoir le caractère organique de la proposition salésienne, en prépa-
rant la traduction du Cadre de référence en plusieurs langues et en organi-
sant des cours régionaux de sensibilisation pour les équipes provinciales.
« Toujours à la suite de cet effort et de l’expérience des cours régionaux, le
dicastère a recueilli une série de suggestions pour rendre le texte plus clair
et plus précis »90 et a publié la deuxième édition en juillet 2000. L’un des
principaux changements a été le déplacement du troisième chapitre sur la
CEP de la section sur le « modèle opérationnel » à celle sur les « éléments
de base ». Ainsi, la dimension communautaire a été au moins partielle-
ment affirmée comme une réalité fondamentale, non seulement sur le plan
pragmatique et opérationnel, bien qu’elle soit encore perçue à la suite du
PEPS comme dans la première édition. Dans cette section, nous détaillons
les améliorations les plus intéressantes concernant la méthodologie dans
l’élaboration du projet. Les propositions sont le fruit des contributions des
provinces, mais on peut reconnaître les influences de José Raúl Rojas et
de ses conceptions sur « recherche et action participatives au sein de la
communauté », ainsi que celles de Jerome Vallabaraj, spécialiste de la ca-
téchèse mais aussi des modèles organisationnels de transformation.91
89 Pour les réponses possibles aux dilemmes de la programmation, voir l’analyse du
background théorique des méthodes dans Vojtáš, Progettare e discernere, 113-173.
90 Dicastero PG, Quadro di riferimento, 22000, 7.
91 Cf. J. Vallabaraj, Empowering the Young Towards Fullness of Life, Kristu Jy-
oti, Bangalore 2003 et E. Alberich - J. Vallabaraj, Communicating a Faith That

48.3 Page 473

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 473
Le premier perfectionnement opérationnel intéressant concerne le cadre
du projet qui est lié non seulement à « une déclaration de principes définis-
sant une philosophie de l’éducation »,92 mais plutôt à la réponse « aux ques-
tions : Qui sommes-nous et que faisons-nous ? Que voulons-nous et où
voulons-nous aller ? »93 Dans ce sens, la relation avec les concepts de mis-
sion, de vision et de proposition éducative, qui n’apparaissaient pas dans
la première édition, apparaît clairement. La publication propose également
les contenus souhaités dans le cadre de la vision-mission : les destinataires,
les convictions et les valeurs de la province, la présentation de la mission
concrète comme réponse à leurs besoins, les critères fondamentaux du
processus et les objectifs finaux.94
Une deuxième amélioration concerne la subdivision plus logique des
phases de la planification. La phase générale est la création du cadre de ré-
férence, la deuxième phase plus concrète est le projet éducatif-pastoral, et
à un niveau plus spécifique il y a le plan pastoral annuel, la programmation
et l’itinéraire. Dans l’édition précédente, cette spécification faisait défaut et
il y avait un risque de confondre les trois types de concrétisation, qualitati-
vement différents, du plan annuel, de la programmation et de l’itinéraire.95
Au niveau des étapes de planification (analyse de la situation, planification
opérationnelle et vérification), il n’y a pas eu beaucoup d’approfondisse-
ment ou de clarification. On note une tendance à la précision des termes de
gestion, en remplaçant le terme « choix éducatifs-pastoraux » par le terme
plus approprié et commun « objectifs généraux » dans la phase de plani-
fication opérationnelle. Au moment de la vérification, les indications trop
précises de la première édition sont simplifiées par l’ajout d’un important
objectif dans le processus : vérifier « si un véritable processus éducatif a
été créé à travers les différentes activités (continuité, interaction, nouvelles
possibilités et ressources générées, protagonisme du sujet, etc.) ».96
La tâche emblématique de la CEP énoncée à la dernière page de la
Transforms. Alberich - J. Vallabaraj, Communicating a Faith That Transforms. A
Handbook of Fundamental Catechetics, Kristu Jyoti, Bangalore 2004.
92 Dicastero PG, Quadro di riferimento, 11998, 117.
93 Dicastero PG, Quadro di riferimento, 22000, 129.
94 Cf. Ibid, p. 129-130.
95 Cf. Ibid., 131.
96 Ibid., 136.

48.4 Page 474

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474 Pédagogie salésienne après Don Bosco
publication, à savoir « penser à une méthodologie qui favorise la partici-
pation de tous »,97 reste inchangée dans la conclusion de la section sur les
orientations méthodologiques. Les évaluations du recteur majeur Pascual
Chávez Villanueva en 2010 y font référence, quand il affirme l’existence
de la pensée par secteur et soulève la question méthodologique : « Il faut
accorder beaucoup plus d’attention [...] à une approche basée sur le modèle
salésien de la pastorale des jeunes qui favorise une vision plus unifiée et
intégrale de la pastorale [...] et le développement de méthodologies adé-
quates pour aborder positivement la complexité de la pastorale et dépasser
la pensée par secteur ».98
6.2.2. Sainteté, spiritualité et évangélisation dans le magistère de
Pascual Chávez Villanueva
Reprenant la formulation du CG 25 : « Dieu doit être notre première
“occupation” »,99 le recteur majeur Pascual Chávez Villanueva, qui venait
d’être élu au cours de ce même Chapitre, a exprimé dans le concept de
« sainteté » son choix pour le programme du sexennat. Le concept de sain-
teté n’était pas seulement une synthèse, mais dans sa conception globale un
programme de vie, un choix de gouvernement et une proposition éducative
qui se traduit par l’urgence de l’évangélisation.100 Par un tel choix Pascual
Chávez a conclu le parcours de la pensée postconciliaire qui, partant de la
réforme de la Congrégation dans son ensemble, dans les textes fondateurs
comme dans les structures de coordination, avait continué avec la réflexion
sur l’importance de la communauté, tant religieuse qu’éducative-pas-
torale pendant le rectorat de Don Vecchi, pour arriver à l’importance
d’une conversion de chaque personne de la Famille salésienne.101 Dans le
97 Ibid., 139.
98 Chávez Villanueva, La Pastorale Giovanile Salesiana, 2010, 24.
99 CG25 (2002), no. 191.
100 Cf. P. Chávez Villanueva, Cari Salesiani, siate santi!, in ACG 83 (2002) 374, 3-37
et Id, “Sei tu il mio Dio, fuori di te non ho altro bene”, in ACG 84 (2003) 382, 7.
101 Afin de reconstruire le contexte herméneutique de la proposition de Don Chávez, il
est important de considérer les lettres de ses prédécesseurs auxquelles elle est liée
dans Chávez, Cari Salesiani, siate santi!, 6.

48.5 Page 475

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 475
magistère de Don Chávez, il est clairement indiqué que la personne, dont
la « tâche essentielle » est de marcher vers « le but le plus élevé », est le
sujet du changement de mentalité postconciliaire souhaité, souvent évoqué
et espéré dans les documents et peu remarqué par la « base ».
Dans sa lettre programmatique, Pascual Chávez se rattache à la Lettre
apostolique Novo millennio ineunte de Jean-Paul II, plaçant au centre de sa
réflexion la priorité et « la tâche essentielle » de la sanctification, qui n’est
rien d’autre que « la haute mesure de la vie chrétienne ordinaire ».102 Contre
la tendance à la superficialité spirituelle, déjà dénoncée par Don Viganò, le
recteur majeur affirme un parallélisme entre charité et sainteté : « Quand
on atteint celle-ci tout est atteint ; quand on la manque, tout est perdu,
comme on l’affirme à propos de la charité [...], qui est l’essence même de
la sainteté ».103 Concrètement, la lettre présente les saints de la Famille
salésienne comme autant d’« études monographiques » du fondateur, en
tirant d’eux une synthèse de la spiritualité salésienne qui naît de la charité
pastorale vécue dans l’esprit de famille et de joie, et qui s’exprime ensuite
à travers l’humilité du travail quotidien et dans la synthèse équilibrée entre
travail et tempérance, assume la dimension oblative et harmonise ainsi
contemplation et action.104
La priorité de la sainteté jette une lumière différente sur certains des
concepts clés de la période postconciliaire tels que la planification, l’in-
carnation et l’aggiornamento. Toujours en se référant au document pro-
grammatique du Pape pour le nouveau millénaire, on constate en effet que
la sanctification est avant tout un don de Dieu et son initiative salvatrice,
de sorte que penser que les résultats dans ce domaine dépendent de notre
capacité à faire et à planifier est considéré comme une tentation. Bien sûr,
une réelle collaboration à l’initiative divine est nécessaire mais pas suffi-
sante, et nous sommes donc invités à investir toute notre intelligence et nos
ressources opérationnelles au service du Royaume, mais nous ne devons
jamais oublier que « sans le Christ, nous ne pouvons rien faire ».105
Les implications pour l’éducation semblent reprendre les lignes de Paul
Albera, quand il affirme que « notre sainteté constitue la meilleure garantie
102 Jean-Paul II, Novo millennio ineunte, in Chávez, Cari Salesiani, siate santi ! , 12.
103 Chávez, Cari Salesiani, siate santi! , 12.
104 Cf. Ibid. 8-10.
105 Jean-Paul II, Novo millennio ineunte, in Chávez, Cari Salesiani, siate santi! , 12.

48.6 Page 476

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476 Pédagogie salésienne après Don Bosco
d’une évangélisation efficace, parce qu’en elle réside le témoignage le plus
important à offrir aux jeunes auxquels s’adressent nos diverses activi-
tés ».106 Les salésiens, en tant qu’éducateurs des jeunes à la sainteté,107 sont
appelés à actualiser aussi bien leurs propositions éducatives que le style
de leur présence parmi les jeunes. En effet, la nécessité de valoriser les
propositions de haute qualité de vie, qui développent un désir inhérent à
tous les jeunes, se conjugue avec l’importance de la présence éducative qui
accompagne les parcours des personnes, car les chemins de la sainteté sont
personnels.108 Toute la proposition de spiritualité salésienne des jeunes du
CG23 est donc relue dans le contexte de l’éducation à la sainteté, proposée
à tous. La vie quotidienne, la joie, l’amitié avec le Seigneur, l’appartenance
à l’Église, l’engagement apostolique et la présence de Marie Auxiliatrice
sont proposés comme des étapes de l’unique chemin de sainteté.109
Les idées fondamentales de la lettre programmatique sont reproposées
un an plus tard dans la lettre « Tu es mon Dieu, en dehors de toi je n’ai
pas d’autre bien », qui lie plus fortement la consécration des salésiens à la
mission éducative-pastorale. Se référant à la dernière biographie de Don
Bosco écrite par Pietro Braido, le recteur majeur note que c’est la mission
qui a demandé la naissance d’un groupe de personnes consacrées et donc
la vie religieuse est née au service de la mission salésienne.110 Cependant,
il élargit le lien entre consécration et mission avec un second mouvement
inverse qui envisage une mission déterminée par le choix de Don Bosco
d’avoir des éducateurs-consacrés. La mission éducative et pastorale salé-
sienne se confond avec la mission de la vie consacrée appelée à témoigner
de la primauté de Dieu et de maintenir vivante la conscience des valeurs
fondamentales de l’Évangile.111
Don Pascual Chávez développe ses réflexions à partir du thème central
106 Jean-Paul II, Discorso ai partecipanti al Capitolo Generale, dans CG25 (2002), no.
170.
107 Cf. CG 25 (2002), no. 143.
108 Cf. Jean-Paul II, Novo millennio ineunte, in Chávez, Cari Salesiani, siate santi! ,
21.
109 Cf. Chávez, Cari Salesiani, siate santi! , 22-25.
110 Cf. P. Chávez Villanueva, “Sei tu il mio Dio, fuori di te non ho altro bene”, in ACG
84 (2003) 382, 6-8.
111 Cf. Ibid, 19 et 26.

48.7 Page 477

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 477
de son rectorat, l’identité de la vie consacrée dans la période postconci-
liaire,112 afin d’esquisser une révision de quelques concepts importants
pour la pastorale et l’éducation. Analysant le malaise de la vie consacrée
et critiquant le modèle libéral de celle-ci, il dénonce une lecture théolo-
gique réductrice du principe de l’incarnation, qui relègue au second plan
ou omet absolument la nouveauté qui nous vient de Dieu à travers l’incar-
nation elle-même. Désireuse de surmonter les structures rigides du passé,
la conception libérale de la vie religieuse estimait que « le renouveau devait
être une adaptation à la modernité, reprenant le meilleur des Lumières, de
l’émancipation, des droits de l’homme. De cette manière, la personne, sa
conscience, sa dignité et son propre projet ont été placés au centre ».113 Le
recteur majeur dénonce le plus grand problème du modèle « libéral », ac-
tuellement en crise profonde, qui prétend évangéliser la culture moderne,
mais ne fait que l’assumer au détriment des choix et des valeurs évan-
géliques. La conséquence est que les personnes consacrées sécularisées
restent transformées par la logique du monde, au lieu de devenir des évan-
gélisateurs de la culture.114
Il est clair que ces observations ont des implications pour l’éducation
salésienne et la pastorale des jeunes. On en trouve une synthèse claire dans
la circulaire de 2010 sur la pastorale salésienne des jeunes, qui reprend les
documents du Chapitre général 26 dans la logique de la mission éducative
et évangélisatrice.115 Les perspectives d’avenir tracées par Pascual Chávez
expriment à la fois le souci d’une pastorale évangélisatrice, clairement
orientée vers l’annonce du Christ et l’éducation à la foi, et l’attention portée
à la pleine insertion de l’évangélisation dans le domaine de l’éducation, en
recherchant la « cohérence entre les contenus transmis ou les méthodologies
utilisées avec les valeurs de la foi chrétienne (rencontre entre culture et foi)
et pour assurer une vie chrétienne capable de qualifier évangéliquement la
112 Cf. P. Chávez Villanueva, Testimoni del Dio vivente. Natura e futuro della vita
consacrata una visione salesiana, LEV, Roma 2012.
113 Chávez Villanueva, “Sei tu il mio Dio, fuori di te non ho altro bene”, 20.
114 Cf. Ibid, 24.
115 Cf. P. Chávez Villanueva, «E si commosse per loro, perché erano come pecore
senza pastore, e si mise a insegnare loro molte cose» La Pastorale Giovanile Sale-
siana, in ACG 91 (2010) 407, 3-59.

48.8 Page 478

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478 Pédagogie salésienne après Don Bosco
vie privée, professionnelle et sociale des personnes ».116 Le domaine qui ré-
vèle la synthèse foi-culture-vie est la croissance vocationnelle. Don Chávez
reprend l’invitation du CG26 : « Aujourd’hui, nous ressentons plus forte-
ment que jamais le défi de créer une culture de la vocation dans tous les mi-
lieux, afin que les jeunes découvrent la vie comme un appel et que toute la
pastorale salésienne devienne réellement vocationnelle ».117 et il ajoute que
la pastorale qui génère des vocations apostoliques et consacrées n’existe
pas sans une annonce explicite de la vocation, une proposition personnelle
décisive et un accompagnement spirituel constant.118
Les appels spirituels sur l’urgence de l’évangélisation, le principe de
l’imitation des modèles et l’élan vers la sainteté semblent être des échos
lointains de la « pédagogie céleste » de Don Albera. Il existe cependant
d’autres aspects du magistère de Don Chávez qui démontrent son attention
aux questions contemporaines, notamment l’attention portée à la nouvelle
pauvreté et aux droits de l’homme. L’intégration des deux pôles de son ma-
gistère (consécration - mission) apparaît également dans la lettre de convo-
cation du CG26. Don Chávez lit chez Don Bosco les traces d’une théologie
spirituelle et d’une consécration active : « Le choix du travail donne à sa
manière d’interpréter l’ascèse un accent particulier : elle n’est qu’en vue de
l’action apostolique. [...] Il préférait ne pas s’attacher de manière rigide à
certains schémas ; il vaut mieux une lecture pratique, pastorale, spirituelle
plutôt que théologique-spéculative ».119
En ce sens, la première partie de la devise « Da mihi animas cetera
tolle », exprime le zèle pour le salut des âmes qui, dépassant le modèle
libéral et sécularisé d’une foi uniquement subjective, se concrétise dans
l’urgence de l’évangélisation et dans la nécessité de susciter des vocations
à la vie consacrée salésienne. La deuxième partie complémentaire de la
devise, « cetera tolle », signifie le détachement ascétique de tout ce qui peut
nous éloigner de Dieu et des jeunes. C’est là qu’interviennent les réflexions
sur la pauvreté évangélique et le choix préférentiel pour les jeunes « les
116 Ibid., 50.
117 CG26 (2008), no. 53.
118 Cf. Chávez Villanueva, La Pastorale Giovanile Salesiana, 51.
119 P. Chávez Villanueva, «Da mihi animas, cetera tolle» Identità carismatica e pas-
sione apostolica. Ripartire da Don Bosco per risvegliare il cuore di ogni salesiano,
in ACG 87 (20063) 394, 39.

48.9 Page 479

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 479
plus pauvres, les plus abandonnés et les plus exposés au danger », selon la
logique des « nouvelles pauvretés » et des « nouvelles frontières ».120
6.2.3. Chávez : l’attention aux nouvelles pauvretés et la voie des
droits de l’homme
Dans le discours de clôture du congrès international Système préventif
et droits de l’homme, le recteur majeur présenta la qualité de l’expérience
éducative de Don Bosco à travers sa capacité à voir la réalité sociale, à en
saisir le sens et à en tirer des conséquences opérationnelles. De la compas-
sion pour les jeunes en danger découle un choix de consécration de la vie
qui part de la paternité miséricordieuse de Dieu pour développer des pro-
jets éducatifs, préventifs et sociaux. Chávez rappelle l’observation du pape
Benoît XVI sur l’urgence éducative, déclarant qu’il s’agit à la fois d’un déni
du droit à l’éducation dans les pays en développement et d’une trahison de
la mission éducative dans les sociétés avancées et excessivement compéti-
tives.121 Une interprétation religieuse-sociale similaire est également pro-
posée dans la circulaire sur la pastorale des jeunes :
Dans de nombreuses sociétés et cultures dans lesquelles nous exer-
çons notre service éducatif et pastoral, se développe une culture qui
marginalise la religion et plus particulièrement le christianisme, un
style de vie qui favorise le développement de la pauvreté matérielle
et spirituelle pour beaucoup et qui multiplie les facteurs d’exclusion
sociale... Dans un tel environnement, les valeurs religieuses et les
motivations des croyants, qui à d’autres moments transparaissaient
et étaient perçues au service de l’éducation et de la promotion hu-
maine, sont souvent insignifiantes et non pertinentes.122
120 Cf. Ibid., 37-42.
121 Cf. P. Chávez Villanueva, La Missione Salesiana e i diritti umani in particolare i
diritti dei minori, in Dicastero Della Pastorale Giovanile Della Congregazione
Salesiana, Sistema Preventivo e Diritti Umani. Atti del Congresso Internazionale.
2-6 gennaio 2009 Roma, Volontariato Internazionale per lo Sviuppo, Roma 2009,
78-79.
122 Chávez Villanueva, La Pastorale Giovanile Salesiana, 49.

48.10 Page 480

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480 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Les perspectives d’un projet éducatif intégral - de l’annonce de Jé-
sus-Christ et du développement des valeurs humaines, culturelles et so-
ciales - sont présentes aussi bien dans le congrès sur les droits de l’homme,
déjà mentionné, que dans les interventions de Don Chávez dans les uni-
versités de Gênes et de Bari en 2007.123 « L’éducateur, selon le cœur de
Don Bosco [...] cherche à réveiller ou à approfondir chez les jeunes une
ouverture au sens religieux de la vie, à développer la capacité de découvrir
dans la réalité quotidienne les signes de la présence et de l’action de Dieu,
à communiquer la conviction de la profonde cohérence entre la foi et les
valeurs humaines de solidarité, de liberté, de vérité, de justice, de paix ».124
Citant le discours de Benoît XVI à l’assemblée de la Conférence épis-
copale latino-américaine, le recteur majeur convient que dans une société
sans Dieu, on ne trouve pas le consensus nécessaire sur les valeurs morales
et la force de vivre selon le modèle de ces valeurs. Il y a des équilibres sub-
tils à maintenir, à la fois théoriques et pratiques. Dans le langage des droits
de l’homme, il est utile de dialoguer et d’insérer la pédagogie salésienne
dans les différentes cultures du monde, et en même temps on ne peut pas
oublier l’orientation des jeunes vers le Christ dans leur vocation de fils
de Dieu. En pratique, la coexistence des différentes logiques est encore
plus délicate, et il faut offrir aux mineurs les éléments nécessaires à un
développement adéquat, holistique et complet, dans les aspects physiques,
mentaux, culturels, spirituels, moraux, sociaux et politiques. Sur le plan
opérationnel, les mineurs et les marginaux doivent être les protagonistes
des projets proposés, et les éducateurs salésiens sont invités à collaborer
avec d’autres sujets dans une logique de réseau.125
Des orientations similaires résonnent dans les deux discours prononcés
par Don Pascual Chávez dans des universités italiennes en 2007. Il a sou-
ligné le drame de l’humanité actuelle dans la fracture entre l’éducation et
la société, qui est exacerbée par le fossé toujours plus grand entre l’école
123 Cf. P. Chávez Villanueva, Educazione e Cittadinanza. Formare “salesianamente”
il cittadino, Lectio à l’occasion de la remise du doctorat honoris causa à l’Université
de Gênes le 23 avril 2007, in bit.ly/unige-it-2007-04-23; P. Chávez Villanueva,
Cristianità e prevenzione, in Università degli Studi di Bari, L’educatore, oggi.
Tratti per un profilo di san Giovanni Bosco. Seminario di studio del 26 aprile 2006,
Servizio Editoriale Universitario, Bari 2007, 11-28.
124 Chávez Villanueva, La Missione Salesiana e i diritti umani, 81.
125 Ibid. 82-84.

49 Pages 481-490

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49.1 Page 481

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 481
et la citoyenneté. Une nouvelle école et une nouvelle logique sociale sont
proposées à partir de l’idéal de la paideia classique. Dans la continuité de
la tradition bimillénaire de l’éducation classique et chrétienne, il y a le fil
conducteur toujours valable de la formation d’un esprit capable de juger
avec liberté et de s’insérer dans la société avec responsabilité. Sans nier
les objectifs pratiques de l’éducation, ses buts sont d’un ordre humaniste
plus élevé. En ce sens, l’école salésienne doit dépasser la contradiction pé-
dagogique qui consiste à considérer l’école comme un simple moyen de
reproduction idéologique, ou comme une formation de type militaire, ou
simplement destinée à la formation technique requise par le système éco-
nomique.126
Dans l’actualisation de la pédagogie salésienne résonne l’idée du « salut
de l’âme », but ultime de l’éducation préventive de Don Bosco, définie au-
jourd’hui comme une existence humaine individuelle, sociale et religieuse
accomplie.127 La proposition du recteur majeur offre quelques intuitions de
synthèse fécondes, qui tiennent compte du contexte postmoderne et mul-
ticulturel. Avec honnêteté, cependant, il parle aussi de l’incomplétude des
actualisations, de la nécessité d’aller au-delà des questions pour refonder,
repenser et actualiser les modèles éducatifs concrets. Se référant implici-
tement à la pensée de Braido, il affirme que les racines historiques sont
solides, « les sources sont claires et à partir d’elles peut renaître, sous des
formes riches d’avenir, ce “nouveau système préventif” actualisé, déjà es-
péré par le recteur majeur Don Egidio Viganò, mais pas encore composé
organiquement ».128
6.2.4. Nouveaux projets et méthode du discernement
Le magistère de Don Pascual Chávez n’insiste pas seulement sur les
dimensions théoriques et spirituelles, mais signale différents défis opé-
rationnels autour du titre « mentalité de projet ». Le lien entre les idées
d’inspiration et les méthodologies éducatives et pastorales est repris dans
la proposition de réinterprétation actualisée du système préventif au niveau
126 Chávez Villanueva, Educazione e Cittadinanza, 2.
127 Cf. P. Chávez Villanueva, Cristianità e prevenzione, 20.
128 Ibid., 27.

49.2 Page 482

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482 Pédagogie salésienne après Don Bosco
théorique et pratique, qui s’articule entre les grandes idées de base et les
grandes orientations méthodologiques.129 Même dans la réflexion sur les
droits de l’homme, leur lien avec une logique de la vertu apparaît. Le rec-
teur majeur affirme que l’efficacité du parcours des droits de l’homme dans
l’action éducative-pastorale salésienne se développera si mûrit la convic-
tion de la relation inaliénable entre l’éducation et l’évangélisation au niveau
de l’inspiration et les liens entre les vertus personnelles et sociales au ni-
veau opérationnel :
Il faut rappeler que l’évangélisation s’est toujours développée en
même temps que la promotion humaine et la libération chrétienne
authentique. Aimer Dieu et aimer le prochain vont de pair : dans le
plus humble nous trouvons Jésus lui-même et en Jésus nous trou-
vons Dieu (cf. Deus caritas est, 15). Pour la même raison, une ca-
téchèse sociale et une formation adéquate à la doctrine sociale de
l’Église seront également nécessaires. La vie chrétienne s’exprime
non seulement dans les vertus personnelles, mais aussi dans les ver-
tus sociales et politiques.130
Au niveau concret, il y a d’autres exigences de nature opérationnelle :
l’effort nécessaire et continu pour assimiler et mettre en pratique le mo-
dèle salésien de la pastorale des jeunes ; la redéfinition de nos présences
pour les rendre plus significatives ; l’animation de plus en plus connectée
et coordonnée entre les dicastères missionnaires salésiens (pastorale des
jeunes, communication sociale et missions).131 Il est également nécessaire
de surmonter les structures du passé. Dans le magistère sur la vie consa-
crée aussi, on note une attention aux modèles pratiques de participation et
aux nouveaux modèles de vie. Dans le passé, nous courions le risque de
nous enfermer dans un réseau de préceptes et de normes, qui n’aidaient
pas toujours les gens à mûrir et à vivre selon la liberté des enfants de Dieu.
Plus encore, les formes de vie religieuse telles que la vie communautaire ou
129 Ibid., 12.
130 Benoît Xvi, Discours inaugural de la cinquième conférence du CELAM (13 mai
2007), no. 3 cité dans Chávez Villanueva, La Missione Salesiana e i diritti umani,
81.
131 Cf. Chávez Villanueva, La Pastorale Giovanile Salesiana, 47ff.

49.3 Page 483

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 483
les manières de prier, même renouvelées dans la période postconciliaire,
ne correspondent pas toujours aux nouvelles situations dans lesquelles la
vie et la mission doivent être menées aujourd’hui. Ces formes et structures
qui oscillent entre le traditionnel et le renouveau postconciliaire ne par-
viennent pas à exprimer les nouvelles valeurs, comme le sens du dialogue
et de la participation. On a le sentiment que la direction dans laquelle nous
devons aller est bien connue, mais en réalité nous n’avons pas encore trou-
vé un modèle de vie et d’action qui facilite et soutienne ce chemin.132
Entre-temps, sous la pression des problèmes opérationnels dans les
communautés et dans la restructuration des provinces, face à de nouveaux
problèmes qui exigeaient de nouveaux résultats, on a opté pour le « vieil »
instrument de la programmation avec des noms « nouveaux ». L’idéal de
la sainteté salésienne et l’équilibre entre l’éducation et l’évangélisation de-
vaient être traduits en pratique par la méthode du discernement dans des
projets personnels, communautaires et organiques au niveau provincial.133
La méthode du discernement a été proposée pour l’étude des aspects
fondamentaux des deux premiers Chapitres généraux du troisième millé-
naire et, par la suite, également pour l’élaboration du projet personnel de
vie salésienne et du projet de vie communautaire salésienne.134 Les ins-
tructions d’Antonio Domènech pour le projet organique provincial ne men-
tionnent pas l’expression « méthode du discernement », mais contiennent
un nouveau schéma de mise en place du projet en trois étapes : appel,
situation, mise en œuvre ;135 il diffère de la méthode proposée par Vecchi
132 Cf. Chávez Villanueva, ”Sei tu il mio Dio, fuori di te non ho altro bene”, 14.
133 Cf. Chávez Villanueva, Cari Salesiani, siate santi! , 26-28 et 33-34.
134 Cf. P. Chávez Villanueva, Presentazione, dans CG25 (2002), 15-16; Id., Presen-
tazione, dans CG26 (2008), 11-12; F. Cereda, Il Progetto della Comunità Salesiana.
Processo di discernimento e di condivisione. Lettre aux Pères Inspecteurs et aux
Conseils provinciaux, aux Délégués provinciaux à la formation et à la Commission
provinciale de la formation (13 décembre 2002); Id., Formazione permanente. Il
Progetto Personale di Vita. Un cammino di fedeltà creativa verso la santità. Lettre
aux Pères Inspecteurs et aux Conseils provinciaux, aux Délégués provinciaux à
la formation et à la Commission provinciale de la formation (21 juin 2003); Id.,
Formazione iniziale. Il Progetto Personale di Vita. Un cammino di identificazione
con la vocazione salesiana. Lettre aux Pères Directeurs et aux membres des Com-
munautés de formation, aux Pères Inspecteurs et aux Délégués provinciaux pour la
formation (5 juillet 2003).
135 Cf. A. Domènech, Il Progetto Organico Ispettoriale, in ACG 84 (2003) 381, 35-42.

49.4 Page 484

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484 Pédagogie salésienne après Don Bosco
pour l’élaboration des projets éducatifs-pastoraux, qui partait de la situa-
tion, proposait ensuite les aspects opératifs et passait enfin à la vérification.
Au point de départ de la méthode de discernement il s’agit d’identifier
l’« appel de Dieu », qui permet de saisir les appels urgents et les priorités.
La province, la communauté et la personne se demandent ce que Dieu les
appelle à être et à faire afin de garantir le sens de leur vie et de leur action.
La question centrale dans l’appel de Dieu est de distinguer ce qui est fon-
damental de ce qui est secondaire, afin de ne concentrer uniquement sur les
besoins prioritaires et sur les choix de base. Une innovation dans le projet
éducatif et pastoral pourrait consister à être proactifs et à donner plus de
place à la question de l’appel, au lieu de rétrécir les horizons avec des des-
criptions, souvent réductrices, de la situation.
La deuxième étape du discernement est l’analyse de la « situation »,
qui doit permettre de saisir les ressources qui sous-tendent l’espérance, les
limites et les défis, mais toujours en référence aux choix fondamentaux
identifiés et décrits dans l’appel de Dieu. Dans la méthode du discernement
on introduit l’analyse SWOT des forces et faiblesses internes et des oppor-
tunités ou menaces externes.
La troisième étape de la méthode de discernement consiste à identifier
les « lignes d’action ». Au début on identifie les processus qui doivent être
activés afin de passer des défis à une meilleure configuration au niveau de
la mentalité et des structures. Une fois les processus identifiés, on tente de
rendre le parcours plus concret en indiquant des étapes concrètes et des in-
terventions spécifiques. Francesco Cereda, conseiller pour la formation de-
puis 2002, résume ainsi la méthode du discernement : « Les trois moments
du discernement pourraient alors s’exprimer par des attentes, des appels, des
désirs dans la première étape, qui présente l’appel de Dieu ; des ressources,
des difficultés et surtout des défis dans la deuxième étape, qui décrit la si-
tuation de la communauté ; des objectifs, des stratégies ou des processus et
des interventions dans la troisième étape, qui identifie les lignes d’action ».136
Par rapport à la logique du PEPS, on a ajouté la perspective du change-
ment de mentalité, de sorte que le modèle peut être moins linéaire et moins
mécanique. Il y a des objectifs mesurables et concrets à poursuivre, mais le
but n’est pas seulement de les atteindre. Il s’agit de suivre un appel et de chan-
ger de mentalité, et pas seulement d’améliorer un aspect concret du processus
136 Cereda, Il Progetto della Comunità Salesiana.

49.5 Page 485

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 485
éducatif et pastoral. C’est ainsi que la méthode du discernement conduirait à
un projet plus rationnel et intégral,137 créant une vision138 qui permettrait un
changement de mentalité, en y incluant également les ressources spirituelles139
et les motivations.140 Ces aspects nous semblent convaincants et importants
dans les projets personnels et communautaires, alors qu’ils semblent plus diffi-
ciles à mettre en œuvre au niveau provincial et mondial. En fait, il serait utile
d’examiner de plus près les différences de méthode aux différents niveaux
du projet : selon toute vraisemblance, il n’y aura pas de méthode unique pour
un projet au niveau personnel et au niveau mondial. Si nous cherchions une
méthode unique, elle serait forcément purement nominale.
La plus grande difficulté de la méthode du discernement est cependant
de placer le moment de « l’appel de Dieu » au début du projet, ce qui conduit
à percevoir la vocation comme une réalité désincarnée et à la réduire, opé-
rationnellement, à des citations de documents qui nous « interrogent ». Il
semblerait que le moment de considérer la situation n’arrive que plus tard
et ne serait qu’en fonction de la recherche de solutions opérationnelles.141 En
fait, plus tard, autour de la réflexion du CG27 et du CG28, nous revenons à
137 Le CG 25 (2002) espère que le fruit du discernement sera un passage « d’une pasto-
rale des activités et des urgences à une pastorale des processus ». Cf. CG 25 (2002),
no. 44.
138 La construction d’une vision partagée et d’une vision personnelle est l’un des ré-
sultats du discernement. Cf. le Discorso del Rettor Maggiore Don Pasqual Chávez
Villanueva alla chiusura del CG25, dans CG25 (2002), no. 185 et Cereda, Formazi-
one iniziale. Il progetto personale di vita, 2003.
139 La méthode de discernement part de la Parole de Dieu à travers la Lectio Divina
et le discernement des signes des temps. Cf. Chávez, Presentazione, dans CG25
(2002), 15-16 et CG25 (2002), no. 81.
140 Cereda donne quelques indications : « Dans l’élaboration nous n’absolutisons pas
le raffinement méthodologique ; nous essayons plutôt d’atteindre les confrères en
profondeur, en partant de leur expérience et de l’expérience de la communauté elle-
même ». En outre, « il faut arriver à un point où les confrères sont prêts, même sans
enthousiasme excessif, à s’engager dans cette voie. La communauté réalise le projet,
non pas parce qu’elle y est contrainte, mais parce qu’elle en ressent le besoin, non
pas parce qu’elle y est obligée, mais parce qu’elle le veut ». Cf. Cereda, Il progetto
della comunità salesiana, 2002. Cf. également CG 25 (2002), no. 73.
141 Une autre difficulté est l’absence de références théoriques concernant la méthode
du discernement, ce qui implique l’impossibilité de reconstruire l’arrière-plan
théorique de la méthode. Certaines analyses épistémologiques et méthodologiques
sont proposées dans Vojtáš, Progettare e discernere, 150-314.

49.6 Page 486

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486 Pédagogie salésienne après Don Bosco
l’ordre précédent des étapes, en parlant de : 1. écoute, 2. lecture, 3. chemin.142
Un autre problème réside dans la multiplication du nombre de projets (utili-
sant des méthodes différentes), qui deviennent de plus en plus difficiles à coor-
donner et à synchroniser. L’interaction aux différents niveaux est envisagée
tant par Domènech, à partir de la proposition du Projet organique provincial,
que par l’équipe de Fabio Attard dans la troisième édition du Cadre de réfé-
rence pour la pastorale des jeunes.143 Il n’est pas surprenant que souvent les
provinces suivent un chemin plus simple en investissant dans un seul projet
organique, approuvé par les chapitres provinciaux et envoyé à la maison gé-
néralice, laissant de côté la planification éducative-pastorale : l’élaboration du
PEPS en effet n’est pas demandée avec la même insistance qu’auparavant.144
L’attention au niveau central va plutôt dans le sens d’un renforcement des
lignes théologiques et charismatiques de base afin de reformuler le Cadre de
référence, comme nous le verrons dans le paragraphe suivant.
6.2.5. Attard et la troisième édition du Cadre de référence
Recevant le mandat du CG26 pour une adaptation du Cadre de réfé-
rence, Fabio Attard, conseiller général pour la Pastorale des Jeunes, a or-
ganisé avec son équipe une large consultation sur le nécessaire « approfon-
dissement de la relation entre évangélisation et éducation, afin d’actualiser
le système préventif et d’adapter le cadre de référence pour la pastorale
des jeunes ».145 Dans l’interview qu’il a accordée à la fin de son mandat de
douze ans, il a décrit rétrospectivement deux dangers liés à la relation entre
l’éducation et l’évangélisation :
Une certaine efficacité fonctionnelle de l’éducation aux dépens de
142 Cf. la structuration du document CG27 (2014).
143 Cf. Domènech, Il Progetto Organico Ispettoriale, 42 e Dicastero PG, Quadro di
riferimento, 32014, 280.
144 Cf. P. Chávez Villanueva, La Società de San Francisco de Sales nel sessennio
2008-2014, SDB, Rome 2014, 42-57 et Á. Fernández Artime, La Società di san
Francesco di Sales nel sessennio 2014-2020, documento interno al CG28 (2020),
parte prima “La Congregazione nei settori di animazione”, cap. 3 “Settore per la
Pastorale Giovanile”.
145 CG26 (2008), no. 45.

49.7 Page 487

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 487
l’appel fondamental à être “signes et porteurs de l’amour de Dieu au-
près des jeunes”, et d’autre part une certaine insistance sur l’évangé-
lisation qui perd sa dynamique éducative, sa capacité de processus
et de croissance graduelle. Dans ce cas, le processus d’évangélisation
est réduit à un processus détaché de l’histoire, de la réalité vivante
dans sa complexité.146
Don Attard mentionne d’autres défis qui ont été pris en compte dans
la révision du Cadre de référence : la peur d’évangéliser, l’enfermement
dans un horizon uniquement humain, la difficulté d’admettre le change-
ment d’époque, l’échec de l’institution, la mentalité du « on a toujours fait
comme ça » et, enfin, la sous-estimation du désir de recherche chez les
jeunes.147 Certains de ces défis se rapportent à la période postconciliaire
et concernent surtout les générations qui ont grandi à cette époque, tandis
que d’autres caractérisent plutôt le troisième millénaire, les jeunes, les ani-
mateurs et les éducateurs.
La troisième édition du Cadre de référence de la pastorale salésienne
des jeunes veut s’inscrire dans la continuité des éditions précédentes, en
les enrichissant d’une réflexion théologique, spirituelle et charismatique
plus accentuée. Dans les chapitres nouveaux ou fortement révisés, on re-
trouve des éléments présents dans la réflexion de la Congrégation dans les
premières années du troisième millénaire. Certains thèmes émergent plus
fortement, apportant une contribution précieuse à l’équilibre interne de la
pastorale éducative salésienne :
- la nécessité de s’ouvrir à la vie et à la culture des jeunes d’aujourd’hui
(chapitre 1) ;
- l’importance de s’inspirer du Christ Bon Pasteur et de s’insérer dans
l’Église évangélisatrice (chapitre 2) ;
- l’insistance sur la relation entre l’éducation et l’évangélisation (cha-
pitre 3) ;
- la conception du système préventif compris « comme une proposition
146 Dodici anni di PG/1: Il passato, una storia di Congregazione. Intervista a d. Fabio
Attard, consigliere generale uscente della PG Salesiana a cura di Renato Cursi, Gi-
ancarlo De Nicolò e Jesús Rojano, in «Note di Pastorale Giovanile» 54 (2020) 1, 43.
147 Cf. Ibid., 44-46.

49.8 Page 488

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488 Pédagogie salésienne après Don Bosco
de vie chrétienne (spiritualité salésienne des jeunes) et comme une
méthodologie pédagogique pratique »148 [chapitre révisé] ;
- l’importance méthodologique du processus transversal de discernement.
Le magistère du pape Benoît XVI, les provocations de Pascual Chávez
et le défi évident d’une sécularisation « interne » des ordres religieux dans
la période postconciliaire contribuent à renforcer le rôle de l’évangélisa-
tion. Une plus grande présence du langage théologique est évidente dans
les quatre premiers chapitres et on y manifeste le désir d’actualiser la pasto-
rale des jeunes. Le raisonnement se développe en trois temps : Jésus-Christ
est l’évangélisateur qui proclame la communion avec le Dieu-Amour ;
l’Église est le « mystère de communion et de mission » animé et soutenu
par l’Esprit Saint ; la Congrégation salésienne participe à l’évangélisation
de l’Église avec le choix spécifique de la mission auprès des jeunes.149 De
manière cohérente, le chapitre sur la communauté éducative-pastorale est
placé avant le chapitre sur le PEPS et la dimension éducative-culturelle est
précédée par l’éducation à la foi, inversant l’ordre de la deuxième édition.
Malgré le renforcement de la partie théologique, le modèle de « pro-
motion intégrale » est confirmé. L’intégralité, qui apparaît plus de 80 fois
dans le texte, est un concept qui relie Caritas in Veritate de Benoît XVI, à
travers la conception intégrale de la personne dans toutes ses dimensions,
aux formulations du Système préventif sur le « bon chrétien et l’honnête
citoyen », jusqu’à affirmer l’aspect intégral des dimensions du projet édu-
catif-pastoral salésien pour la pleine croissance du jeune.150 Le concept
s’élargit ensuite à une promotion intégrale des peuples, à un humanisme
intégral, si bien que l’adjectif « intégral » caractérise la vision, la réflexion,
le développement, la croissance, la promotion, la formation, la libération,
la maturation, jusqu’à arriver à la globalité des droits de la personne et de
la vie institutionnelle (dans la nouvelle partie dédiée aux Institutions Salé-
siennes d’Enseignement Supérieur). L’intégration des diverses dimensions
du projet est également renforcée par les choix transversaux de la pastorale
des jeunes concernant la vocation, la mission, le volontariat, la communi-
cation sociale et l’animation du mouvement salésien des jeunes.
148 Dicastero PG, Quadro di riferimento, 32014, 77.
149 Cf. Dicastero PG, Quadro di riferimento, 32014, 41.
150 Cf. Ibid.

49.9 Page 489

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 489
Compte tenu de toutes les attentes auxquelles le texte est censé répondre,
il est compréhensible que la troisième édition du Cadre de référence ne soit
pas facile à lire, car elle contient plusieurs couches de réflexion et de rédac-
tion et est deux fois plus longue que l’édition précédente. Étant donné que
le magistère postconciliaire de la Congrégation s’élargit à chaque sexennat,
les critères, les différentes logiques, les mentalités à changer se multiplient,
mais aussi les champs de mission, les structures d’animation et de planifi-
cation. Le dicastère a donc introduit dans le sexennat 2014-2020 un cours
pour les délégués provinciaux de la pastorale des jeunes, où l’on reprend et
l’on étudie le texte. Je pense que, en plus de l’attention nécessaire à l’étude
d’un texte complexe, il serait utile de développer et de simplifier les aspects
méthodologiques de la proposition éducative-pastorale. Il est facile d’énu-
mérer les critères de jugement pour les projets, les itinéraires et les activi-
tés, mais il serait également utile d’indiquer les étapes et l’attention portée
à la « manière de faire » et de passer « du papier à la vie ». Cette attention
est également exprimée par Fabio Attard, dans l’interview susmentionnée,
où il affirme l’urgence de planifier afin de ne pas tomber dans les deux
extrêmes : improviser ou faire comme on a toujours fait.151
La question de la méthode surgit autour du thème paradigmatique des
projets et des itinéraires. C’est un domaine qui est abordé plus en détail
dans la dernière partie du dernier chapitre. Les PEPS provinciaux et locaux
sont inclus dans un ensemble de documents qui guident l’action à diffé-
rents niveaux. Une place importante est occupée par le projet organique de
la province, par le Directoire provincial et par la programmation annuelle,
pour laquelle on donne des spécifications supplémentaires. À titre d’illus-
tration, nous nous référons au schéma I sur les interrelations dans le Cadre.
La programmation annuelle devient un « mini-projet » qui concrétise l’ob-
jectif de l’année en objectifs spécifiques (processus, interventions, tâches
et répartition du personnel), qui doivent être évalués à la fin de l’année.
Le planning doit également inclure l’organigramme de la province ou de
l’œuvre et le calendrier.152
151 Dodici anni di PG. Intervista a d. Fabio Attard, 49.
152 Cf. Dicastero PG, Quadro di riferimento, 32014, 282-283 e 285-288.

49.10 Page 490

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490 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Diagramme I : Interdépendances entre les projets.153
L’idée de planification ainsi exposée ne semble pas avoir été substan-
tiellement affectée par le changement de perspective des trois premiers
chapitres sur le fondement théologique. Au niveau de la terminologie, on
accentue le rôle du discernement, compris comme l’attitude transversale
d’écoute du plan de Dieu,154 mais les étapes du projet (analyse de la situa-
tion, planification opérationnelle, vérification) restent inchangées dans leur
logique de planification par objectifs. Le discernement n’est pas intégré
dans les étapes de la planification, mais il est conçu comme une attention
153 Ibid., 280.
154 Cf. Ibid. 27-28 et 290-292.

50 Pages 491-500

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50.1 Page 491

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 491
globale qui accompagne tout le processus afin d’éviter l’extrémisme de la
planification technique, commerciale, économique, politique d’une part, ou
celui du spiritualisme d’autre part. Le caractère statique, rigide et anonyme
de la planification doit être relativisé par l’introduction du discernement,
qui a pour tâche de garder au centre de tout « l’âme éducative-pastorale
du PEPS, la nature évangélique de sa proposition de salut au jeune dans le
Christ ».155
Par rapport à la deuxième édition, qui suggérait de manière générique
de « penser à une méthodologie qui favorise la participation de tous »,156
la troisième édition nomme trois méthodologies de discernement, à choisir
selon les circonstances et les contextes : voir-juger-agir ; appel de Dieu-si-
tuation-lignes d’action ; révision de vie.157 Un type d’approche similaire
est répété dans les projets d’itinéraires d’éducation à la foi dans le chapitre
sur le système préventif. Les itinéraires sont conçus comme des projets
s’inscrivant dans une logique évolutive : « Il est nécessaire de traduire la
synthèse théorique en itinéraires pédagogiques structurés et en étapes gra-
duelles, en fonction de la condition des enfants et des jeunes qui doivent les
mettre en œuvre (objectifs, attitudes, connaissances, engagements concrets
et expériences) avec certains contenus clairement définis ».158 Au lieu d’une
méthode, on propose quatre domaines de maturation humaine et chrétienne
(qui ne sont pas directement alignés sur les quatre dimensions du PEPS) et
deux séries de critères à prendre en compte.159
En suivant l’évolution des trois éditions du Cadre de référence nous
pouvons en tirer un certain nombre d’enseignements. Le premier concerne
la manière de créer des synthèses complètes et actualisées qui vieillissent
en fonction du niveau d’actualisation concrète. Il semblerait qu’après le pro-
chain Synode ou la parution d’un nouveau document magistériel, le Cadre
devrait être réécrit. En revanche, le mode symbolique-essentiel utilisé dans
155 Ibid., 292.
156 Dicastero PG, Quadro di riferimento, 22000, 139.
157 Cf. Dicastero PG, Quadro di riferimento, 32014, 281-282.
158 Ibid., 99.
159 Le Cadre de référence propose des critères opérationnels (flexibilité, continuité,
orientation, organicité) et méthodologiques (caractère concret, symbole, récit, in-
ternalisation, expérience, protagonisme et participation, personnalisation et social-
isation) dans Dicastero PG, Quadro di riferimento, 32014, 99-103.

50.2 Page 492

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492 Pédagogie salésienne après Don Bosco
le volume de 1990 sur la Pastorale salésienne des jeunes semble moins su-
jet au vieillissement : les idées fondamentales et leurs relations exprimées
dans un projet qui laisse place à l’interprétation est une forme plus stable,
simple et créatrice de mentalité. Un autre enseignement concerne la néces-
sité de veiller à la relation subtile/délicate entre l’approche anthropologique
et les lignes méthodologiques. Dans les deux premières éditions, la métho-
dologie était privilégiée, impliquant une anthropologie susceptible d’être
améliorée ; dans la troisième édition, l’approche anthropologique a été ren-
forcée, occultant la clarté méthodologique de la première. La recherche
reste ouverte, mais on peut affirmer que nous disposons de nombreux élé-
ments qui nous orienteront dans la construction future d’une méthodologie
plus évoluée et mieux équilibrée entre discernement et opérativité, en nous
laissant guider par cette stimulante et belle ligne de fond : « L’approche
pédagogique de la méthode, en lien étroit avec celle des contenus et de la
dynamique, est importante. [...] En ce sens, la méthode est aussi le mes-
sage ».160
6.2.6. Le bicentenaire et les premières années du rectorat de Don
Fernández Artime
La préparation des célébrations du deuxième centenaire de la naissance
de Don Bosco a été esquissée par Don Pascual Chávez bien à l’avance, pré-
parant une période de trois ans marquée par trois propositions successives :
la connaissance du Don Bosco historique (étrenne 2012),161 la redécou-
verte de son système préventif (étrenne 2013)162 et l’approfondissement de
la spiritualité salésienne autour du thème de la charité pastorale (étrenne
2014).163 Le dernier thème de la spiritualité de l’évangélisation s’inspire
160 Ibid., 101.
161 Cf. P. Chávez Villanueva, “Conoscendo e imitando Don Bosco, facciamo dei
giovani la missione della nostra vita“. Première année de préparation du Bicente-
naire de sa naissance, in ACG 93 (2012) 412, 3-39.
162 Cf. P. Chávez Villanueva, “Come Don Bosco educatore, offriamo ai giovani il
vangelo della gioia attraverso la pedagogia della bontà”. Deuxième année de
préparation du Bicentenaire de sa naissance, in ACG 94 (2013) 415, 3-29.
163 Cf. P. Chávez Villanueva, “Da mihi animas, cetera tolle”, Attingiamo all’esperien-
za spirituale di Don Bosco, per camminare nella santità secondo la nostra specifica

50.3 Page 493

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 493
déjà explicitement de l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium du
pape François, qui « présente une vision de la manière dont l’Église devrait
être : sans peur du monde moderne, à la recherche de nouvelles manières
de prêcher l’Évangile, plus missionnaire, plus miséricordieuse, plus coura-
geuse pour effectuer tous les changements nécessaires ».164 La subdivision
des années de préparation est devenue un paradigme de la tripartition qui
s’est également reflétée dans la formulation du premier volume des Sources
salésiennes divisé en parties historique, éducative et spirituelle, et a condi-
tionné en partie la réalisation des congrès scientifiques du bicentenaire :
en partie parce qu’un congrès historique a eu lieu en 2014 et un congrès
pédagogique en 2015, mais il manquait un événement d’approfondissement
scientifique sur la spiritualité salésienne.
Le Zeitgeist ecclésial au moment du bicentenaire tourne autour de la
pastorale pratique du Pape François, avec quelques insistances sur les at-
titudes de proximité avec les plus petits, la sortie vers les périphéries et la
logique synodale. En effet, son magistère est valorisé si on le lit dans une
perspective pastorale-relationnelle plutôt que dans une optique de réforme
dogmatique ou de remises en question théoriques. Don Ángel Fernández
Artime, élu au CG27 en 2014, est en phase avec les lignes du pape, déve-
loppant un style d’animation dans le sillage de Renato Ziggiotti, visitant les
différentes provinces de la Congrégation et animant les processus autour
du recteur majeur en écoutant les situations concrètes. En reprenant la ri-
chesse des réflexions postconciliaires, c’est le temps de la mise en œuvre,
des modèles pastoraux intégraux et de l’accompagnement de processus dé-
centralisés et nécessairement lents, avec des rythmes liés à la démographie
modifiée de la Congrégation.
Ce sera un travail de plusieurs décennies, à la recherche de modèles
pour une vie communautaire cohérente, profonde et interculturelle, avec
la présence de « nouveaux salésiens » qui savent vivre une synthèse entre
la profondeur spirituelle, l’accompagnement des jeunes et des éducateurs
adultes, discerner et planifier les itinéraires de formation et gérer la coor-
dination des communautés éducatives-pastorales en cercles concentriques.
Les leçons de l’histoire concernant la « régularisation » des maisons d’étude
vocazione “La gloria di Dio e la salvezza delle anime”. Troisième année de prépa-
ration du Bicentenaire de sa naissance, in ACG 95 (2014) 417, 3-46.
164 Cfr. Ibid., 4.

50.4 Page 494

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494 Pédagogie salésienne après Don Bosco
de la congrégation à l’époque de Don Rinaldi ou la restructuration lente et
partielle de la période post-Vatican II sont des exemples du temps néces-
saire à un changement profond. L’alternance de temps de remise en ques-
tion innovante et d’assimilation pratique vitale est à accepter avec humilité
pour ne pas tomber dans une guerre culturelle entre ceux qui exaltent la
gloire du passé lointain et ceux qui ont intériorisé la sécularisation libé-
rale-progressiste en instrumentalisant l’histoire, la pensée et, notamment,
les deux derniers pontificats. Comme il ressort du rapport sur l’état de
la Congrégation en 2020, nous ne sommes pas à l’abri de l’attraction des
solutions populistes, cléricales ou sécularisées qui signalent un déficit de
l’identité charismatique salésienne.165
Le déroulement des deux derniers Chapitres généraux a montré l’épui-
sement des potentialités du modèle postconciliaire d’une « refonte du ma-
gistère » qui nécessite ensuite un passage « du papier à la vie ». Les Cha-
pitres de 2014 et 2020 ont renforcé la composante « processus de discer-
nement » liée à la situation mondiale de la Congrégation. La synthèse du
CG 27 entre la mystique de la vie intérieure, la prophétie de la communion
et le service éducatif-pastoral des jeunes n’est pas, en soi, théoriquement
innovante si on inverse l’ordre du schéma des Constitutions : « Envoyés
aux jeunes en communauté à la suite du Christ ».166 Tout en soulignant l’ac-
tualité de certaines orientations pour l’après-Vatican II, comme la nécessité
d’aller vers les périphéries et vers les pauvres ou encore de planifier avec
les laïcs, on se préoccupe de concrétiser des questions pratiques comme la
protection des mineurs, la cohérence des communautés et la transparence
dans la gestion des biens et des œuvres.167
Dans la circulaire sur les « cinq fruits du bicentenaire »,168 Don Fernán-
dez Artime résume la vision d’avenir autour du « rêve » d’une Congré-
gation de salésiens heureux, hommes de foi pleins de Dieu, passionnés
par les jeunes les plus pauvres et donc missionnaires, évangélisateurs et
éducateurs dans la foi. Dans cette approche, nous retrouvons le schéma
165 Cf. Á. Fernández Artime, La Società di san Francesco di Sales nel sessennio 2014-
2020, 1-2, 15-17 e 25-26.
166 Cf. la deuxième partie des Constitutions des SDB, articles 6-95.
167 Cf. CG 27 (2014), nos. 35, 52 et suivants, 60, 71, 73 et suivants.
168 Cf. Á. Fernández Artime, «Perché abbiano la vita e l’abbiano in abbondanza»
(Giov. 10, 10) Cinque frutti del bicentenario, in ACG 96 (2015) 421, 3-26.

50.5 Page 495

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 495
de la « double fidélité » qui constitue un des équilibres des premiers cha-
pitres du nouveau Cadre de référence : fidélité à la sensibilité des jeunes et
fidélité au sensus Ecclesiae.169 Dans la partie plus éducative, concernant la
présence auprès des jeunes les plus pauvres, Don Ángel relit le magistère
postconciliaire sur l’option préférentielle pour ces derniers en l’appliquant
au style de vie salésien. Reprenant l’argumentation du pape François dans
Evangelii Gaudium sur la mondialisation de l’indifférence et la « culture
du gaspillage »,170 le recteur majeur affirme, dans les derniers Chapitres
Généraux, le lien intrinsèque entre le choix des jeunes pauvres et un style
de vie correspondant, sobre, transparent et orienté vers le service.
Ne vous repliez pas sur vous-mêmes, dit le Pape, ne vous laissez pas
asphyxier par les petites querelles de ménage, ne restez pas prison-
niers de vos problèmes…. Il y a toute une humanité qui attend : des
personnes qui ont perdu tout espoir, des familles en difficulté, des
enfants abandonnés, des jeunes à qui tout avenir est barré, des ma-
lades et des vieillards abandonnés, des riches pleins de biens et au
cœur vide, des hommes et des femmes en quête du sens de la vie,
assoiffés de divin.171
C’est ainsi que dans le magistère salésien du troisième millénaire, nous
passons de l’approche de l’éducation en soi à l’importance du lien entre
l’identité, le style de vie des éducateurs et les choix du projet en éducation.
Au troisième millénaire, la démographie des éducateurs a changé, carac-
térisée par la dynamique de la coresponsabilité avec les éducateurs laïcs
dans un Occident vieillissant et par la croissance des vocations consacrées
dans d’autres contextes avec des dangers d’autoréférence et de cléricalisme.
Dans ses diverses étrennes, le recteur majeur reprend dans une logique
opérationnelle certains thèmes qui nécessitent une traduction plus concrète.
L’exemple emblématique est le thème de l’accompagnement, choisi comme
étrenne pour 2018. Au début du commentaire, Don Fernández Artime se
169 Cf. Dicastero PG, Quadro di riferimento, 32014, 35.
170 Cf. François, Evangelii Guadium, nos. 53-58 dans Artime, Cinque frutti del bicen-
tenario, 16-17.
171 Cf. Francesco, Lettera Apostolica a tutti i consacrati in occasione dell’Anno della
Vita Consacrata, in Artime, Cinque frutti del bicentenario, 17.

50.6 Page 496

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496 Pédagogie salésienne après Don Bosco
demande, et ce n’est pas une question rhétorique : « Qu’est-ce que nous
attendons ? Pourquoi ne décidons-nous pas d’être beaucoup plus dispo-
sés à accompagner tous nos jeunes dans ce qui est le plus important pour
leur vie ? Qu’est-ce qui nous retient ? Pourquoi “s’occuper” ou “passer du
temps” à autre chose alors qu’il s’agit d’une véritable priorité éducative et
évangélisatrice ? ».172 Il semblerait que la disparité entre la quantité crois-
sante de stimuli théoriques-idéaux et la diminution des forces ait atteint
un point de non-retour. C’est le « fossé entre la quantité de propositions et
la possibilité de les mettre en œuvre »173 que Don Vecchi avait signalé au
début des années 1990 et qui s’est encore accentué.
En ce sens, la dynamique de l’alternance entre des périodes de plus
grande réflexion et celles des passages à l’action, l’épuisement du mo-
dèle capitulaire postconciliaire et, en particulier, la dynamique démo-
graphique de la vie consacrée contemporaine doivent être considérées
comme fondamentales. D’autres événements, tels que le déménagement
de la maison généralice et l’inachèvement du CG28 à cause de la pan-
démie mondiale, peuvent être interprétés comme des « événements
symboliques » d’un changement d’époque. Les effets de la pandémie du
Covid19, qui a interrompu les travaux du Chapitre général, mais qui a
également mis en doute divers modèles pastoraux, nous pousse à repen-
ser la « présence » salésienne et la relation éducative à la recherche de
nouveaux équilibres.
6.3. Les courants de pensée en pédagogie salésienne au
troisième millénaire
6.3.1. La vision historico-critique de l’éducation salésienne
Peu après le centenaire de 1988, Don Pietro Braido est devenu profes-
seur émérite, ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre son travail à l’Institut
172 Á. Fernández Artime, Strenna 2018 “Signore, dammi di quest’acqua” (Gv 4,15).
Coltiviamo l’arte di ascoltare e di accompagnare, in ACG 99 (2018) 426, 4-5.
173 Cf. Vecchi, Verso una nuova tappa di PG, in Il cammino e la prospettiva 2000, 88.

50.7 Page 497

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 497
d’histoire salésienne et de récolter les fruits de son engagement de toute
une vie dans ses deux volumes de synthèse Don Bosco prete dei giovani
nel secolo delle libertà et dans les quatre articles denses sur l’histoire de
l’oratoire dans l’Italie contemporaine. Sa systématicité et sa précision ty-
piques sont également devenues déterminantes pour la forme de ses der-
nières publications. Dans la préface du volume sur l’histoire de l’oratoire,
Paolo Alfieri exprime avec clarté la clé interprétative de la contribution
de Braido dans la « détermination du rapport exact de chaque expérience
avec la totalité du contexte historique » comme « condition fondamentale
pour une évaluation objective et le terme le plus sûr pour une comparaison
courageuse et innovatrice, au-delà des raideurs irrationnelles et des solu-
tions éclectiques et transformistes ».174 Ces déclarations se trouvent dans
l’introduction du volume sur les expériences de pédagogie chrétienne dans
l’histoire du début des années 1980 et sont l’expression du « second Brai-
do », historien de l’éducation.175
L’image de Don Bosco éducateur se dessine dans les deux volumes
substantiels de 2002 dans une alternance continue et minutieuse entre sa
personnalité et la présentation d’expériences individuelles. Braido évite à
la fois l’analyse des « images mentales », une méthode typique de Pietro
Stella, et le style narratif de Desramaut, bien que ces auteurs soient utilisés
comme synthèses de référence. La biographie-testament de Pietro Braido
se voulait « la summa vitae de Don Bosco, pleine de situations et d’évé-
nements qui se recoupent et qui seraient insuffisamment représentés par
des déclarations générales ».176 Au centre il y a la critique des sources, à
travers laquelle Don Bosco devient aussi un « témoin problématique de lui-
même », et la priorité est donnée par l’auteur à la « multiplicité du faire ».177
Le déroulement typique de la méthode historico-critique des deux volumes
de Braido intègre en fait deux mondes appartenant au passé : l’univers de
174 P. Alfieri, Per una storia dell’educazione giovanile nell’oratorio dell’Italia con-
temporanea. Il contributo di Pietro Braido sull’esperienza salesiana, in Braido,
Per una storia dell’educazione giovanile nell’oratorio, 15.
175 Cf. P. Braido, Presentazione, in Id., Esperienze di pedagogia cristiana nella storia,
LAS, Roma 1981, vol. 1, 6.
176 P. Braido, Don Bosco prete dei giovani nel secolo delle libertà, LAS, Roma 22003,
17.
177 Cf. Ibid. 15-17.

50.8 Page 498

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498 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Don Bosco dans un Piémont en transition du monde rural au monde in-
dustriel et le monde « moderne » du Braido critique, précis et méticuleux,
opposé au triomphalisme symbolisé par les Mémoires biographiques et ali-
menté par la dialectique liberté-tradition.
Les perspectives de la refonte pédagogique de Braido se déplacent en-
core dans un univers post-ricaldonien entre les coordonnées de la discipline
et de l’activisme de « l’école nouvelle », avec des solutions d’équilibre entre
néo-thomisme, modernité et sciences humaines. La mise à jour proposée
dans le célèbre chapitre XIX de Prévenir et non réprimer se place dans ces
coordonnées de dépassement de « l’antinomie classique autorité-liberté »,
en proposant à nouveau la centralité de l’enfant et de son activité natu-
relle et spontanée. Les références vont aussi bien aux pères fondateurs Ko-
menský, Locke et Rousseau qu’aux courants plus récents de la personnali-
sation, de l’autogestion ou du protagonisme des jeunes.178 Braido envisage
un chemin impossible à suivre, car il combine l’appréciation des « progrès
incommensurables » des sciences de l’éducation et les contributions plus
radicales de Lutte, Milanesi ou Grasso dans l’ère post-Vatican II179 avec les
intuitions sectorielles de Pellerey, Castellazzi, Thévenot et autres.180
Si nous plaçons les propositions de Braido dans le contexte du troi-
sième millénaire, elles semblent peu convaincantes, car nous sommes les
témoins directs (du moins en Occident) de la nature problématique des so-
lutions modernes et anthropocentriques. L’hybris moderne s’estompe et on
perçoit la fragmentation de la société, la fragilité de la condition humaine,
les limites d’une science indifférente à la qualité de la vie. En outre, dans
le domaine ecclésial, on assiste à une revalorisation de la méthode histori-
co-critique, excellemment résumée dans la préface de Jésus de Nazareth
de Benoît XVI,181 et en même temps à une sectorisation des sciences de
l’éducation, qui s’associent les unes avec les autres plus pour des raisons
178 Cf. Braido, Preneire non reprimere, 378-385 et 395-397.
179 Cf. Ibid., 399-401.
180 Cf. Ibid. 394, 399 et 402. Dans les indications bibliographiques, Braido signale
également d’autres contributions à l’innovation qui comprennent des cétudes de
psychologie, de sociologie, d’histoire, des actes de congrès, des pratiques éduca-
tives sociales et interculturelles proposées par les salésiens et les Filles de Marie
Auxiliatrice. Cf. Ibid., 413-415.
181 Cf. J. Ratzinger Benedetto XVI, Gesù di Nazaret, Rizzoli, Milano 2007, 7-20.

50.9 Page 499

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 499
diplomatiques et pratiques que sous l’effet de dynamiques épistémolo-
giques.182 Une déclaration implicite de mécontentement à l’égard de l’in-
terdisciplinarité de facto est, par exemple, l’insistance sur la nécessité du
principe de transdisciplinarité dans Veritatis Gaudium du pape François.183
Pietro Stella notait également dans ses dernières années que « malheureu-
sement, l’université salésienne n’a pas servi de courroie de transmission
pour un système éducatif renouvelé : j’ai l’impression que ce renouvelle-
ment a été parcellaire ».184
Suite à Braido et aux perspectives paradoxales du dernier chapitre
de Prevenire non reprimere, il est devenu à la mode de parler de la né-
cessité de changer nos façons de penser en produisant une liste toujours
plus longue de défis à relever, mais sans proposer une actualisation inté-
grale plus concrète. On ajoute de plus en plus de « défis », mais on ne les
aborde pas avec le même sérieux et la même méticulosité que l’on met
dans l’exposition des problèmes. En réalité, il semble que le triomphalisme
des Mémoires biographiques ne soit pas le problème principal, mais plutôt
la faible connaissance de l’histoire de Don Bosco et des salésiens. Don
Pascual Chávez, dont la sensibilité biblique savait apprécier l’importance
d’une interprétation historique équilibrée, a valorisé les contributions de
Braido et de l’Institut d’histoire salésienne surtout autour de la préparation
des célébrations du Bicentenaire :
D’autre part, les événements de ces dernières années – le 150e anni-
versaire de la fondation de la Congrégation, le centenaire de la mort
de Don Rua, le 150e anniversaire de l’unification de l’Italie - ont ac-
cru en nous une mentalité historique, qu’il faut se réapproprier. […]
182 La centralité unificatrice de la philosophie de l’éducation ou de la métaphysique
au sein des sciences de l’éducation telle qu’envisagée par le « premier Braido » n’y
apparaît pas. Cf. P. Braido, Umanesimo e pedagogia, PAS, Torino 1957, 15-46; Id.,
Introduzione alle Scienze dell’educazione, in P. Braido et al, Educare. Sommario di
scienze pedagogiche, PAS Verlag, Zürich 31962, vol. 1, 19-20; Id., La teoria dell’ed-
ucazione e i suoi problemi, PAS Verlag, Zürich 1968, 10-13; 131-133.
183 Cf. François, Constitution apostolique « Veritatis Gaudium » sur les universités et
les facultés ecclésiastiques, no. 4c, à l’adresse bit.ly/vatican-va-2018-01-29.
184 Pietro Stella raconte son parcours d’historien de Don Bosco (14 décembre 2006),
in M. Lupi - A. Giraudo, Pietro Stella. La lezione di uno storico, LAS, Roma 2011,
123.

50.10 Page 500

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500 Pédagogie salésienne après Don Bosco
C’est une occasion pour nous tous d’entrer en contact avec le grand
travail accompli au cours de ces années. Enfin, le point 7 motive la
nécessité d’­avoir une image actuelle de Don Bosco.185
Le travail précieux des chercheurs de l’Institut d’histoire salésienne en-
richit continuellement le monde salésien avec des contributions qui recons-
truisent également l’éducation salésienne jusqu’au milieu du XXe siècle.
En 1996 est entrée en action également l’Association des chercheurs en
histoire salésienne (ACSSA), dont le « but est de promouvoir les études
sur l’histoire salésienne, en encourageant la recherche, la mise à jour et la
collaboration entre ses membres, et en animant la Famille salésienne d’un
point de vue historiographique ».186 Parmi les contributions les plus signi-
ficatives, citons les deux volumes sur l’éducation salésienne entre 1888 et
1922, le volume sur l’éducation salésienne en des temps difficiles et les
contributions lors du congrès sur l’histoire du charisme salésien à l’occa-
sion du bicentenaire.187 La publication et les traductions des Sources salé-
siennes, voulues par le CG26 et réalisées par l’Institut d’histoire salésienne,
ont été importantes pour la diffusion des connaissances historiques.188
De nombreuses sources, reconstitutions historiques de maisons salé-
siennes, de provinces, de régions, des recherches sur des personnes et des
thèmes divers et d’autres publications contenues dans les séries de l’ISS, de
l’ACSSA et du Centre d’études Don Bosco de l’UPS sont à la disposition
185 Chávez Villanueva, “Conoscendo e imitando Don Bosco, facciamo dei giovani la
missione della nostra vita“. Primo anno di preparazione al Bicentenario della sua
nascita, in ACG 93 (2012) 412, 10.
186 Statuts de l’Association des chercheurs en histoire salésienne (ACSSA) mis à jour le
24 mai 2016, art. 1, dans iss.sdb.org/?page_id=142.
187 Cf. J.G. Gonzáles et al. (eds.), L’educazione salesiana dal 1880 al 1922. Istanze
ed attuazioni in diversi contesti. Atti del 4° Convegno Internazionale di Storia
dell’Opera salesiana Ciudad de México, 12-18 febbraio 2006, 2. voll., LAS, Roma
2007; S. Zimniak – G. Loparco (eds.), L’educazione salesiana in Europa negli anni
difficili del XX secolo. Atti del Seminario Europeo di Storia dell’Opera salesiana
Cracovia, 31 ottobre – 4 novembre 2007, LAS, Roma 2008 e A. Giraudo et al (eds.),
Sviluppo del carisma di Don Bosco fino alla metà del secolo XX. Atti del Congresso
Internazionale di Storia Salesiana Roma, 19-23 novembre 2014. Relazioni, LAS,
Roma, 2016.
188 Cf. Istituto Storico Salesiano, Fonti Salesiane. 1. Don Bosco e la sua opera. Rac-
colta antologica, LAS, Roma 2014.

51 Pages 501-510

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51.1 Page 501

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 501
des lecteurs, qui semblent toutefois peu nombreux. Le scénario de l’his-
toriographie salésienne est assez complexe et différencié et il n’est pas fa-
cile d’y évoluer sans une formation professionnelle. Dans plusieurs pays,
on constate également une disproportion fréquente entre l’importance de
l’activité salésienne et la rareté de l’historiographie.189 Il existe un besoin
croissant d’une sélection de matériaux essentiels, d’études transversales et
de synthèses significatives susceptibles d’éclairer les réflexions des péda-
gogues, des pastoralistes, des théologiens et des philosophes de l’éduca-
tion. Sans ce type de publication, on avancera, comme cela arrive souvent,
sur des voies parallèles avec des logiques difficilement conciliables et, à
la fin, avec des fruits qui ne sont pas toujours pertinents pour le vécu des
membres de la Famille salésienne dans les différents contextes au niveau
de l’éducation, de la formation et de la planification. Une utilisation intelli-
gente de l’ordinateur et des instruments télématiques pourrait être une res-
source stratégique pour le développement significatif de l’historiographie
salésienne, pour créer des bases de données et effectuer des recherches
multicritères avec l’utilisation d’algorithmes d’analyse textuelle et séman-
tique.
6.3.2. Pastorale des jeunes et priorité à l’évangélisation
Comme nous l’avons vu dans le paragraphe sur la troisième édition du
Cadre de référence de la Pastorale Salésienne des Jeunes, certaines des
simplifications des années 1980 et 1990 qui tournaient autour du binôme
éducation-évangélisation se sont révélées insuffisantes et réductrices, ré-
duisant souvent implicitement ou explicitement la synthèse de Viganò à
une logique de dimensions égales, à la planification d’itinéraires éducatifs
parallèles ou simplement à un slogan. Les approches développées sur la
base de cette logique des dimensions présentent généralement la dimen-
sion religieuse de manière relativement autonome par rapport aux autres,
en l’exprimant par les thèmes d’une spiritualité générique centrée sur la
recherche de sens et la pratique de certaines valeurs humaines.
C’est ainsi que Roger Burggraeve et Jacques Schepens ont élaboré, au
189 G. Loparco - S. Zimniak (eds.), La storiografia salesiana tra studi e documentazi-
one nella stagione postconciliare, LAS, Roma 2014, 14 et 20.

51.2 Page 502

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502 Pédagogie salésienne après Don Bosco
tournant du millénaire, une actualisation du trinôme raison-religion-amore-
volezza dans les coordonnées de l’appropriation individuelle par le jeune
de la maturité dans les domaines de l’affectivité, de la rationalité et du sens
de la vie.190 Chaque domaine de la maturité est actualisé par des réflexions
pertinentes et intéressantes sur le temps de la jeunesse, considéré comme
une période d’appropriation personnelle des valeurs et des comportements.
Le risque de cette approche, cependant, est de concevoir ces domaines
comme relativement et pratiquement indépendants et de réduire la « reli-
gion » à un domaine de spiritualité générique à partir de concepts de moti-
vation comme le sens de la vie et des valeurs en général. Le christianisme
vient « après », comme une « concrétisation supplémentaire ».191
Une approche similaire a été présentée par Michele Pellerey au Congrès
de Pédagogie Salésienne en 2015 ; elle propose la réinterprétation du tri-
nôme classique comme un système de relations qui se base sur la carac-
téristique « raisonnable », est orienté vers une spiritualité juvénile et est
animé par le don de soi et la réciprocité affective.192 La logique systémique
qui unit et interconnecte le trinôme est intéressante, tout comme l’attention
portée à la redécouverte de la sagesse pratique, de l’intuition éducative, du
principe du don ou de la spiritualité juvénile. Voici un passage synthétique
qui illustre bien l’insistance et l’importance d’une approche spirituelle dans
l’éducation :
Un développement authentique de la dimension profondément re-
ligieuse de la vie humaine ne semble pas possible sans des expé-
riences existentielles radicales qui nous poussent à aller au-delà de
190 Cf. R. Burggraeve - J. Schepens, Emotionalität, Rationalität und Sinngebung als
Faktoren christlicher Werterziehung. Eine Interpretation des pädagogischen Erbes
Don Boscos für heute, Don Bosco, München 1999. Une synthèse a été publiée en
français sous le titre J. Schepens, Affectivité rationalité sens de la vie. Le trinôme
salésien: raison, religion, affection, réactualisé dans le langage contemporain,
Don Bosco, Paris 2001.
191 Cf. Schepens, Affectivité rationalité sens de la vie, 24.
192 M. Pellerey, La professionalità educativa e la competenza pedagogica. Attenzioni
irrinunciabili dell’offerta formativa della famiglia salesiana oggi, in V. Orlando
(ed.), Con Don Bosco educatori dei giovani del nostro tempo. Atti del Convegno
Internazionale di Pedagogia Salesiana 19-21 marzo 2015 Roma Salesianum/Ups,
LAS, Roma 2015, 190-206.

51.3 Page 503

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 503
la superficialité du quotidien, de la temporalité de l’immédiat, de la
matérialité de la consommation. Non seulement cela, mais il existe
probablement le besoin d’un apprentissage qui initie également
dans le domaine culturel une recherche persistante d’une vérité plus
incisive sur la réalité humaine, personnelle et sociale, et sur la réa-
lité de l’univers qui nous entoure. Il est nécessaire que les parcours
éducatifs, y compris ceux des écoles, soient un lieu et un temps pour
des expériences éthiques, esthétiques et de vérité authentique, pour
des expériences existentielles qui appellent un réveil de l’intériori-
té, pour un accompagnement sur les chemins d’un voyage, d’une
aventure spirituelle vers le sens ultime de la vie, vers les buts fon-
damentaux de l’existence, vers une rencontre personnelle profonde
avec l’Absolu.193
Sans diminuer la valeur de certaines applications intéressantes et signi-
ficatives des approches mentionnées, il faut aussi signaler leurs faiblesses
et le fait d’une plus grande résonance au centre de la Congrégation des
approches liées plus explicitement aux thèmes de l’évangélisation, du dis-
cernement, de l’accompagnement et de la vocation. En simplifiant, je pense
qu’il ne s’agit pas d’un passage des sciences de l’éducation à la théologie,
comme on l’interprète souvent, mais plutôt d’un passage de la simplifica-
tion de la théologie fondamentale de Karl Rahner, qui perçoit la religiosité
comme une transcendance inhérente à la vie humaine liée au mystère qui
nous dépasse,194 à la théologie inspirée par von Balthasar, dans laquelle la
croix du Christ, qui manifeste la gloire et l’amour de Dieu, est l’événement
central de l’histoire humaine et le regard de la foi est présent dès le début
de toute réflexion. Nous illustrons ci-dessous quelques passages de la re-
formulation théologique de la relation entre l’évangélisation et l’éducation
qui a vu le jour en Italie du Nord.195
En résumé, nous pouvons partir de l’analyse de Paolo Zini, qui reprend
193 Ibid. 193-194.
194 Cf. K. Rahner, The experience of God today, in Pellerey, La professionalità edu-
cativa, 194.
195 Cf. A. Bozzolo - R. Carelli (eds.), Evangelizzazione ed educazione, LAS, Roma
2011 et la synthèse des parties théoriques dans R. Sala, Evangelizzazione ed edu-
cazione dei giovani. Un percorso teorico-pratico, LAS, Roma 2017, 47-168.

51.4 Page 504

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504 Pédagogie salésienne après Don Bosco
les prémisses historiques et culturelles des processus de sécularisation qui
contribuent aujourd’hui à rendre plus difficile l’intégration pacifique entre
la pratique éducative et l’annonce de l’Évangile. Si l’on se réfère à la pensée
de Voltaire, Locke et Hume, on peut voir la première rupture entre la pen-
sée spéculative et la pensée pratique. La foi est perçue comme appartenant
à la sphère subjective et c’est plutôt la raison pratique qui équilibre les rela-
tions sociales autour de l’idée fondatrice de tolérance qui peut être ration-
nellement et publiquement partagé par tous.196 La séparation de la foi et de
la raison se reflète également dans d’autres oppositions entre l’extériorité
du droit public et l’intériorité de la conscience subjective ; entre la connais-
sance des moyens et la connaissance des fins, jusqu’à la séparation entre
la rationalité vérifiable et la foi purement subjective, mystique et inexpri-
mable, typique de certains représentants du Cercle de Vienne. S’inspirant
de l’ouvrage fondateur de Charles Taylor, The Secular Age, l’auteur exa-
mine ensuite les effets des dissociations au niveau des processus sociaux et
culturels qui ont défini la modernité. Du contexte d’intolérance religieuse
des XVIIe et XVIIIe siècles découlent les processus de considération du
« Nom de Dieu » comme un danger pour la société civile, l’occultation
sociale de la pratique croyante, la sécularisation de la préoccupation édu-
cative et l’« asthénie » complaisante de la liberté.197
La proposition théologique d’Andrea Bozzolo, Roberto Carelli et les
développements ultérieurs de la pastorale des jeunes de Rossano Sala se
situent dans le cadre des conceptions de la théologie fondamentale de
von Balthasar, avec des références aux conceptions de la « conscience
croyante » de Pierangelo Sequeri, à la phénoménologie du don de Jean-
Luc Marion et aux anthropologies trinitaires de Klaus Hemmerle et Piero
Coda.198 Andrea Bozzolo propose des réflexions fondamentales et les élé-
ments indispensables du concept d’évangélisation, en dépassant la division
196 Cf. P. Zini, Il divorzio tra fede e cultura. Alle origini della questione educativa, in
Bozzolo - Carelli (eds.), Evangelizzazione ed educazione, 293-299.
197 Cf. P. Zini, Il destino dell’educazione tra i lumimenti della ragione e l’obscuramen-
to della fede, in Sala, Evangelizzazione ed educazione dei giovani, 48-79.
198 Cf. les abondantes références bibliographiques dans Sala, Evangelizzazione ed
educazione dei giovani, 203-207. D’une importance fondamentale pour la propo-
sition est P. Sequeri, Il Dio affidabile. Saggio di teologia fondamentale, Querini-
ana, Brescia 1996 et J.-L. Marion, Dato che. Saggio per una fenomenologia della
donazione, SEI, Torino 2001.

51.5 Page 505

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 505
entre la foi considérée comme le but et l’éducation comme le moyen d’y
parvenir. L’évangélisation n’est pas seulement la diffusion d’un message,
mais doit être comprise de manière plus approfondie comme le rayonne-
ment de l’événement de la révélation à travers la vie de ceux qui ont ac-
cepté son pouvoir transformateur et peuvent ainsi devenir une médiation
pour les autres. C’est dans ce sens courageux et stimulant qu’il faut lire
Evangelii gaudium, « où le pape François montre comment l’évangélisation
ne peut se faire qu’au sein d’un dialogue et d’un processus dynamique ».199
Dépassant le clivage moderne entre subjectivité croyante et objectivité du
message évangélique, l’auteur propose une vision de la tradition comme
un processus vivant et dynamique de dialogue continu avec Dieu qui parle
dans l’histoire humaine. De manière cohérente, la priorité est donnée à
l’action de l’Esprit, à la proclamation du kérygme de Jésus crucifié et res-
suscité, et non au contenu systématisé et aux méthodologies. En traçant
ainsi le scénario sur l’évangélisation, la révélation et la tradition, le fonde-
ment argumentatif est la personne de Jésus qui unit la vision du divin et de
l’humain, dépassant ainsi les clivages modernes entre la dévotion privée et
le destin du monde, entre la doctrine et l’animation, entre le mystère et le
quotidien. Cela implique que
Le lien entre évangélisation et éducation ne doit pas être com-
pris comme la coordination de deux instances extrinsèques, mais
comme la déclinaison d’une polarité présente à l’intérieur même de
la révélation. Nous disons qu’il s’agit d’une polarité interne parce
que Dieu se révèle précisément pendant qu’il “éduque” son peuple,
montre son visage pendant qu’il le libère, se présente comme le Sei-
gneur absolu pendant qu’il le conduit comme un berger attentif.200
Dans la continuité de la vision qu’il propose, Bozzolo souligne la né-
cessité de redécouvrir la valeur éducative intrinsèque du christianisme
également à travers la formation de la conscience et du comportement du-
rant toutes les phases de la vie. De cette façon, nous récupérons un élément
fondamental présent dans l’éducation salésienne, malheureusement perdu à
199 A. Bozzolo, L’evangelizzazione: le dimensioni costitutive della missione ecclesiale,
in Sala, Evangelizzazione ed educazione dei giovani, 91.
200 Ibid., 104.

51.6 Page 506

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506 Pédagogie salésienne après Don Bosco
cause de la critique postconciliaire des positions problématiques et rigides
de la « méthode de l’Évangile » de Pietro Ricaldone. Par rapport à l’anima-
tion des groupes de jeunes typique de la période précédente, on renforce
la dimension ecclésiologique de l’éducation. Le contexte de l’éducation et
de l’évangélisation n’est pas celui des groupes sociologiques avec leurs dy-
namiques mais une communauté ecclésiale, «­ mémoire vivante du Christ
et espace privilégié d’accès à la rencontre avec Lui ».201 De toute évidence,
l’Église est considérée comme semper reformanda selon les perspectives
du pape François, moins cléricale, plus pastorale, missionnaire et évangéli-
satrice chez tous les baptisés appelés à la sainteté.
En lien avec cette perspective nous trouvons l’approche théologique
de l’éducation proposée par Roberto Carelli. Dans la première partie de sa
contribution, il revient avec plus de radicalité sur les scénarios de pensée
déjà proposés par Zini et Bozzolo, en soulignant l’asymétrie, le drame, la
gratuité totale du projet de Dieu, la vie humaine comme transcendance
fascinante et « insupportable », allant jusqu’à déclarer que « l’éducation
coïncide avec l’éducation de la foi, et que la pédagogie est fondamenta-
lement mystagogie ».202 À notre avis, ce qui ressort de son intervention,
c’est la dichotomie qui alimente la pars destruens de la pédagogie du XXe
siècle et non la logique d’une alliance déclarée mais non poursuivie avec
des arguments valables.203
Par la suite, Rossano Sala développe une approche de théologie pastorale
dont la clé de lecture est la donation accomplie par Jésus, idée centrale pour
comprendre l’histoire du salut. L’anthropologie du don oriente ensuite les
sept critères de la pastorale des jeunes et les formes de l’action pastorale. Les
autres critères pastoraux tournent autour du contenu substantiel du don de
soi : la proximité de la vie comme synthèse de l’incarnation de Dieu, de l’as-
sistance salésienne et des accents d’Evangelii gaudium qui comporte un style
empreint de sympathie, de compassion, de cordialité et de partage de vie
avec les jeunes. L’engagement éducatif-pastoral est proposé dans le cadre du
201 Ibid., 110.
202 R. Carelli, L’educazione e le sue articolazioni, in Sala, Evangelizzazione ed edu-
cazione dei giovani, 138.
203 Cf. Ibid. 141-142. L’auteur articule les quatre thèses de sa contribution en opposition
à la pédagogie moderne, qui devient à son tour le contexte et une clé interprétative
de sa contribution.

51.7 Page 507

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 507
discipulat chrétien, compris comme large et articulé, unifié par la référence
à l’amitié, à la filialité et à la nuptialité avec Jésus-Christ, concrétisé dans
l’appel-vocation. « Le but ultime de toute chose ne peut être que la “commu-
nion”. Il devient clair que l’incarnation-proximité est en vue de la croix-do-
nation et qu’elle est en vue de la communion-communauté. La direction du
chemin en théologie pastorale est donc claire : incarnation (proximité), croix
(don), communion (communauté) ».204 La communion, considérée comme un
style ecclésial gagnant, est vécue dans la logique de la stratégie alternative
des béatitudes et non dans celle des droits, afin de proposer le point unitaire
et unifiant de la sainteté pour tous, typiquement salésienne.
Pour aborder la proposition des auteurs présentée ici, il faut considé-
rer leur perspective particulière, dite « intradisciplinaire », c’est-à-dire la
valorisation de l’apport des sciences humaines uniquement au sein de la
théologie.205 C’est dans le domaine de la théologie fondamentale appliquée
à la pastorale des jeunes que l’on trouve la plus grande contribution au
dépassement du rapport dimensionnel, sectoriel et de compromis entre
éducation et évangélisation. Ce courant de pensée, même s’il ne se situe
pas explicitement dans le domaine de la pédagogie salésienne, doit être
pris en considération en raison de son apport et de son influence sur la
formulation de la troisième édition du Cadre de référence pour la pastorale
salésienne des jeunes. Je pense qu’il y a encore place pour un dialogue et
une alliance entre les idées, les critères et les propositions exposés avec
d’autres contributions de pensée, d’expérience et de planification provenant
du monde entier, afin de ne pas rester préférentiellement enraciné dans une
théologie fondamentale trop spécifique. Si les réflexions anthropologiques
peuvent avoir un sens dans certains contextes occidentaux qui ont subi les
effets du modèle « trop incarné » de la pastorale des jeunes postconciliaire,
ce n’est pas le cas pour la majorité des contextes salésiens qui connaissent
d’autres dynamiques culturelles, sociales, éducatives, interreligieuses et
institutionnelles. Il sera nécessaire et stimulant d’aborder la perspective
204 Sala, Evangelizzazione ed educazione dei giovani, 217. Pour la partie sur les critères
de la pastorale des jeunes, voir pp. 209-241.
205 Cf. Ibid. 257-258 qui met en valeur la contribution de S. Lanza, Teologia pastorale,
in G. Canobbio - P. Coda (eds.), La teologia del XX secolo. Un bilancio. 3. Pros-
pettive pratiche, Città Nuova, Roma 2003, 393-475. Il convient de noter que la per-
spective « intradisciplinaire » ne tient pas compte de l’option « transdisciplinaire »
proposée dans Veritatis Gaudium du pape François.

51.8 Page 508

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508 Pédagogie salésienne après Don Bosco
d’une « synodalité missionnaire », patiente et humble, qui prend en charge
à la fois l’identité et les processus, la réflexion et la planification.
6.3.3. L’accompagnement, nouveau paradigme pour l’éducation
postmoderne
Comme c’est souvent le cas dans les changements d’époque, il semble-
rait que l’insistance récente sur l’accompagnement ne soit pas seulement
une tendance répondant aux nouveaux besoins des jeunes, mais aussi un
retour critique sur l’approche de l’époque précédente. En fait, ce qui était
au premier plan dans l’ère postconciliaire, c’était le concept de liberté per-
sonnelle (dans un contexte expérimental de lutte contre la standardisation
d’un internat « ricaldonien »). Si la liberté est conçue comme un principe
ordonnateur, il s’ensuit logiquement qu’il existe des tentatives au niveau
de la pensée pédagogique et de la pratique éducative pour diminuer toute
interférence dans les choix personnels. Dans ce contexte, on peut com-
prendre la résistance postconciliaire à une conception de la direction spi-
rituelle traditionnelle liée à la confession (perspective morale) et à la res-
ponsabilité du directeur (perspective juridique), comme on peut le voir par
exemple dans la lettre de Luigi Ricceri de 1976 réagissant à la situation de
crise,206 dans les réflexions de Guido Gatti qui place la direction spirituelle
dans un contexte d’anciens et de nouveaux paradigmes moraux, et dans
les lectures d’Albert Druart qui voit la tradition salésienne de la direction
spirituelle jusqu’en 1965 liée à la pratique du rendement de compte.
La perspective qu’on a suivie fut celle d’une « orientation » comprise comme
une relation d’aide dans le sillage de la psychologie humaniste de Rogers et
Carkhuff.207 Dans son volume encyclopédique sur le projet éducatif-pastoral du
milieu des années 1980, Juan Edmundo Vecchi reconnaissait l’importance du
concept d’orientation, mais reconnaissait aussi ses limites quand il affirmait :
206 L. Ricceri, Abbiamo bisogno di esperti di Dio. La direzione spirituale personale,
dans ACS 57 (1976) 281, 894.
207 Cf. L. Cian, Le critiche mosse alla direzione spirituale salesiana dalla psicologia
contemporanea. Contestazioni e orientamenti, in Desramaut - Midali, La direzi-
one spirituale, 181-210, et l’un des différents modèles utilisés dans le milieu salésien
dans A. Arto, Metodologia per impostare un processo di autoaiuto. Il modello di
R. Carkhuff, dans « Animazione Sociale » 8-9 (1994), 26-33.

51.9 Page 509

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 509
Même s’il existe des liens étroits et des domaines communs entre
l’orientation professionnelle et la maturation vocationnelle, les deux
réalités sont fondamentalement différentes en ce qui concerne les
présupposés théoriques dont elles partent et la réflexion qui leur
sert. […] L’orientation vocationnelle relève de la pastorale et part
d’une réflexion théologique, même si elle suppose des critères pé-
dagogiques et admet des instruments d’enquête psychologique, en
tirant le meilleur parti de leurs conclusions. […] Assumer et suivre
une vocation, c’est être attentif au Seigneur qui appelle. [...] Une
orientation vocationnelle qui minimiserait ou annulerait cette réali-
té perdrait ses racines et sa spécificité biblico-chrétienne.208
Plus loin, tout en affirmant que l’accompagnement personnel par l’édu-
cateur est irremplaçable, Vecchi propose le concept d’« entretien éduca-
tif-pastoral », qui doit dépasser une mentalité basée sur l’orientation et
remplir les tâches suivantes :
- créer une relation dans laquelle le jeune peut devenir plus libre et
plus capable de se percevoir lui-même, et de percevoir la réalité et
les signes de Dieu ;
- offrir des éléments pour une meilleure vision de l’intériorité de la
personne et des motivations pour le comportement ;
- disposer la personne à accepter et à comprendre les motions de l’Esprit ;
- aider à synthétiser les diverses expériences et à les orienter vers un
projet de vie en Dieu ;
- accompagner et soutenir l’œuvre de Dieu dans le jeune pour dévelop-
per une spiritualité chrétienne sûre ;
- équilibrer pédagogiquement les dynamiques qui ne sont pas propices
à la croissance chrétienne.209
Vecchi énumère ensuite les (nombreuses) qualités requises pour pou-
voir être un accompagnateur. Il enrichit les traits typiques présents dans
208 J.E. Vecchi, Orientamento e pastorale vocazionale, in J.E. Vecchi - J.M. Prellezo
(Eds.), Progetto Educativo Pastorale. Elementi modulari, LAS, Roma 1984, 242-243.
209 Cf. Ibid.., 254-255.

51.10 Page 510

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510 Pédagogie salésienne après Don Bosco
la tradition salésienne, comme être capable d’une assistance responsable,
témoigner d’une maturité joyeuse et accompagner dans les occasions non
formelles en partageant la vie, sans oublier une préparation théologique et
psychologique nécessaire et une formation spécifique dans le domaine des
vocations. Il faut noter comment Vecchi lui-même peine à indiquer une bi-
bliographie salésienne sur le sujet et comment, par la suite, la catégorie de
l’« entretien éducatif-pastoral » n’a pas eu beaucoup de succès. N’ayant pas
été incluse dans les deux premières éditions du Cadre de référence, elle est
restée une proposition qui pourrait renvoyer à l’image d’un « écart entre la
quantité des propositions et la possibilité de les mettre en œuvre »210 souli-
gné avec beaucoup d’honnêteté par Don Vecchi lui-même.
Le thème de l’accompagnement, qui est au cœur de la pastorale des
jeunes depuis le CG26, a fait l’objet de reconsidérations, d’études et de
recherches. Le volume sur L’accompagnement spirituel. Un itinéraire pé-
dagogique spirituel dans une lecture salésienne au service des jeunes,211
qui résume les résultats des quatre séminaires organisés depuis 2010, est
important à cause de son approche multidisciplinaire et la richesse de ses
contributions. Celles-ci approfondissent à la fois la tradition salésienne de
l’accompagnement de François de Sales et de Don Bosco et les défis pasto-
raux contemporains, notamment ceux liés à la postmodernité, au multicul-
turalisme et à la formation des accompagnateurs.212 Dans les paragraphes
suivants, nous passons en revue quelques passages stimulants pour la pé-
dagogie salésienne.
6.3.3.1. Les caractéristiques de l’accompagnement salésien
En tant qu’accompagnateur spirituel, François de Sales élabore une
210 Cf. J.E. Vecchi, Verso una nuova tappa di Pastorale Giovanile Salesiana, in Il
cammino e la prospettiva 2000 (= Documenti PG 13), SDB, Roma 1991, 88. Pour
d’autres aspects de l’opérationnalité des propositions des années 1980, voir Vojtáš,
Progettare e discernere, 71-75.
211 Cf. F. Attard - M. A. García (eds.), L’accompagnamento spirituale. Itinerario ped-
agogico spirituale in chiave salesiana al servizio dei giovani, LDC, Torino 2014.
212 Voir aussi la publication de Louis Grech intéressante pour la richesse de son con-
tenu et son approche intégrée dans L. Grech, Salesian Spiritual Companionship
with young people today inspired by the praxis and thought of St John Bosco, Hori-
zons, Qormi 2018.

52 Pages 511-520

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52.1 Page 511

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 511
pédagogie à partir de la dialectique des désirs et de la tension vers l’union
avec Dieu. L’accompagnement salésien est une aide à la personne pour
qu’elle prenne conscience et perfectionne son désir d’union avec Dieu, ce
qui implique un renforcement de la résistance aux désirs contraires en su-
bordonnant tout au désir de Dieu.213 Cette ligne commune de la spiritualité
chrétienne se distingue par certaines particularités de l’approche salésienne :
attention personnalisée et proactive à toute la personne ; centralité de l’amour
; gradualité et respect des rythmes, des conditions et des particularités de
chaque personne. Ces dernières caractéristiques façonnent également la
forme d’accompagnement définie comme « direction d’amitié », renforçant
le climat de confiance, la confiance mutuelle, la liberté et aussi les relations
de paternité/filialité. La contribution de Józef Struś met en évidence les
caractéristiques de l’accompagnateur qu’était saint François de Sales : plein
de charité, de science et de prudence, respectueux du caractère irréductible
de chaque personne, faisant preuve de douceur, d’humilité, de respect, et
avec la prudence et l’équilibre nécessaires.214
En faisant interagir les différentes interventions, on y discerne des
attentions méthodologiques plus pratiques qui tournent autour du style
salésien d’accompagnement personnel et relationnel. Les attitudes décen-
tralisatrices de l’amour bienveillant (préférence pour le bien de l’autre) et
de l’humilité (connaissance de ses propres limites et valorisation de la pe-
titesse et de la banalité) contribuent à créer un climat qui favorise une
attention constante à la présence de Dieu dans la vie quotidienne ordinaire
de la personne accompagnée. Même si les auteurs s’accordent à dire qu’il
n’existe pas de méthode salésienne d’accompagnement au sens technique
et moderne de ce terme, ils proposent quelques éléments méthodologiques
sur ce processus.215
Parmi les traits communs à François de Sales et à Don Bosco, qui
pourraient devenir des critères pour l’accompagnement salésien, on peut
213 Cf. E. Alburquerque, San Francesco di Sales come direttore spirituale. Prassi pas-
torale della direzione spirituale del Vescovo di Ginevra, in Attard – García (eds.),
L’accompagnamento spirituale, 23-25.
214 Cf. J. Struś, La persona del direttore spirituale secondo san Francesco di Sales, in
Ibid, 53-64.
215 C’est l’opinion commune de McDonnell, Alburquerque, Struś et Finnegan, qui par-
lent de profil, de caractéristiques, de modèle, d’esprit ou de style salésien plutôt que
de méthodologie. Cf. Ibid. 23, 77-80, 99-100, 198-199.

52.2 Page 512

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512 Pédagogie salésienne après Don Bosco
signaler : l’importance de la dimension relationnelle, l’attention au quo-
tidien, une spiritualité de l’action et l’anthropologie du cœur, qui opère
dans l’accompagnement en se servant des désirs, des tendances, des attrac-
tions et des inspirations les plus profondes. Les différences entre le style
de l’évêque d’Annecy et celui du prêtre des jeunes du Valdocco sont dues
au choix des destinataires (adultes de la noblesse et jeunes du milieu po-
pulaire), aux options du contexte dans lequel se déroule l’accompagnement
(personnel ou communautaire) et surtout aux préférences par rapport aux
sources utilisées (lettres personnelles ou récits biographiques).
Le choix préventif et l’accompagnement de Don Bosco, qui s’adresse
également aux préadolescents, placent le début de la relation éducative
avec le jeune dans des situations informelles et des activités éducatives ou
pastorales non directement liées à l’accompagnement. Une fois que le ca-
nal de communication interpersonnelle a été établi et que la confiance mu-
tuelle a été établie dans un contexte « non structuré », l’accompagnement
personnalisé peut commencer. Le début des entretiens dépend des besoins
du jeune, qui recherche des conseils pratiques en lien avec des situations
concrètes ou ave les tâches d’un sujet en période de croissance. On de-
mande à l’éducateur salésien beaucoup d’empathie et de souplesse dans la
première étape, encore partiellement « fluide ».216 Lorsque la conversation
entre dans une phase plus suivie, il peut y avoir un programme de ren-
contres régulières d’accompagnement.217 Une autre forme de l’accompa-
gnement est l’attention au milieu éducatif à travers la figure du catéchiste.
Aldo Giraudo note que :
Tout cela s’est transmis dans la tradition salésienne jusqu’à une
époque relativement récente. Pendant plus de cent ans, l’accompa-
gnement spirituel des préadolescents et des adolescents a été une
priorité, au point que chaque œuvre salésienne avait un confrère
qui s’y consacrait spécialement, le “catéchiste” (qui n’était pas
216 Cf. la synthèse des éléments procéduraux dans les récits biographiques de Don
Bosco dans A. Giraudo, Maestri e discepoli in azione, in G. Bosco, Vite di giovani.
Le biografie di Domenico Savio, Michele Magone e Francesco Besucco. Saggio
introduttivo e note storiche a cura di Aldo Giraudo, LAS, Roma 2012, 28-30.
217 Cf. E. McDonnell, La direzione spirituale in san Francesco di Sales. Linee fonda-
mentali del metodo spirituale e pedagogico nella prospettiva salesiana, in Attard
– García (eds.), L’accompagnamento spirituale, 69.

52.3 Page 513

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 513
simplement un “animateur pastoral”). Il était choisi avec grand soin,
sur la base de qualités humaines et apostoliques spécifiques. Il avait
pour mission d’assister le directeur dans la gestion spirituelle de la
communauté et dans le travail de formation personnalisé. Il devait
veiller à la moralité du milieu, assurer la qualité de la formation
chrétienne : catéchèse, vie de prière, sacrements, préparation des
fêtes, récollections mensuelles et retraite annuelle. Il devait encou-
rager les compagnies (associations) religieuses et assurer leur rôle
de formation. Il était invité à rechercher des occasions de dialogue
personnel avec chaque personne, à suggérer des textes pour la mé-
ditation et la lecture spirituelle, et à porter une attention particulière
aux vocations.218
Le même auteur observe également qu’à partir de Vatican II, l’accom-
pagnement communautaire par la création d’un milieu favorable est entré
en crise, surtout parce qu’il n’est pas lié à un rôle éducatif avec des tâches
concrètes, se dissolvant ainsi dans le concept générique d’animation. La
pédagogie de l’accompagnement communautaire est intégrée à l’accompa-
gnement personnel régulier pendant la confession et à l’accompagnement
informel dans le cadre des loisirs et autres activités de la journée. Le dia-
logue de l’accompagnement explicite est souligné plus clairement par Don
Bosco pendant les périodes de crise de croissance des jeunes219 et dans les
moments de discernement vocationnel. Il faut noter que le volume, dès le
début de la réflexion sur l’accompagnement, est implicitement ou explici-
tement lié à la pédagogie vocationnelle et/ou aux parcours de formation de
la vie consacrée.
6.3.3.2. Défis et réponses contemporaines
La réflexion de Jack Finnegan est éclairante car il situe l’accompagne-
ment dans le contexte postmoderne et post-séculier actuel et signale l’im-
portance de l’Occident. La crise se traduit, surtout après la contestation de
218 Cf. A. Giraudo, Direzione spirituale in san Giovanni Bosco. Connotazioni pecu-
liari della direzione spirituale offerta da don Bosco ai giovani, in Ibid., 151.
219 Giraudo parle en termes de crise mystique, éthique et émotionnelle dans Giraudo,
Maestri e discepoli in azione, in Bosco, Vite di giovani, 29-30.

52.4 Page 514

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514 Pédagogie salésienne après Don Bosco
1968, par des attitudes d’émancipation de tout pouvoir ou influence dans
un contexte de rejet des métarécits. Il semble paradoxal de parler de la
personne humaine comme étant « centrale » et de la placer ensuite dans un
monde fragmenté, déconnecté, complexe et pluraliste qui, par conséquent,
n’a pas de centre, de logique ou de passé commun. Le consumérisme nar-
cissique et individualiste influence évidemment aussi le rapport à la spiri-
tualité et à l’accompagnement spirituel, préférant une spiritualité subjec-
tive sans rapport avec les religions institutionnalisées, le goût de l’exotisme
et de l’excitation, la division entre le sacré et le profane, le refuge dans le
sentiment et dans un mysticisme irrationnel et une expérience évasive et
subjectivement libératrice des lois métaphysiques ou pragmatiques, etc.220
Bien que l’auteur propose plus de questions que de réponses, il souligne
que l’une des tâches les plus importantes de l’accompagnement et de la
nouvelle évangélisation consiste à « redéfinir la rationalité », en passant
d’une pensée sécularisée et des critères mondains à une pensée chrétienne
qui « signifie l’acceptation directe ou indirecte de toutes choses en relation
avec notre destin éternel de fils et de filles du Roi ».221
L’accent mis sur les problématiques occidentales est en partie contreba-
lancé par la contribution de Joe Mannath sur les contextes multireligieux,
bien que l’auteur n’aborde que le contexte salésien indien (à l’exclusion des
provinces du nord-est). L’approche du sujet montre clairement que l’utili-
sation de termes tels que « multireligiosité » et « multiculturalisme » est
souvent ambiguë et renvoie implicitement à une contrepartie, déplaçant la
sémantique vers le non-occidental ou simplement le « différent ». Il existe
de multiples modèles multireligieux et multiculturels, notamment en Asie ;
il convient de les étudier dans leur spécificité, sans oublier les contextes
multireligieux occidentaux tels que les États-Unis d’Amérique ou d’autres
pays qui connaissent une forte immigration et des communautés ethniques
diverses en leur sein.222
220 Cf. J. Finnegan, L’accompagnamento spirituale. Le sfide del postmoderno e
post-secolare nell’Occidente contemporaneo, in Ibid., 195-198.
221 Cf. D.N. Entwistle, Integrative Approaches to Psychology and Christianity. An
Introduction to Worldview Issues, Philosophical Foundations and Models of Inte-
gration, in Ibid., 206.
222 Cf. J. Mannath, Spiritual accompaniment of young people in multi-religious sce-
narios: contexts, possibilities, limits, perspectives, in Ibid. 211-213.

52.5 Page 515

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 515
Miguel Ángel García Morcuende conclut le volume en réaffirmant
l’importance de l’accompagnement personnel dans la pastorale salésienne
des jeunes. Partant des caractéristiques du monde des jeunes et de la sub-
division du Cadre de référence en accompagnement par le milieu, accom-
pagnement dans les groupes et accompagnement personnel,223 l’auteur sou-
ligne enfin deux aspects importants dans l’acquisition de la « grammaire
de la foi » : la personnalisation et le discernement évangélique. Le discours
sur l’accompagnement personnel a également des implications pour l’envi-
ronnement éducatif salésien :
Bien que le groupe et l’environnement dans la tradition salésienne
fournissent déjà un certain niveau de soutien, tous les jeunes ont
besoin d’un espace personnel de discussion. Dans le contexte d’une
maison salésienne, on respire des valeurs, des attitudes et des habi-
tudes, mais pour enraciner et consolider une identité chrétienne, il
est nécessaire de personnaliser. [...] Si nous n’offrons pas cet envi-
ronnement personnalisé du “face à face”, la croissance personnelle
dans l’univers personnel sera laissée à la merci d’autres influences
dans lesquelles les jeunes vivent immergés : les réseaux sociaux, le
groupe de pairs ou la rue.224
L’accompagnateur salésien ne devrait pas être un manager étourdi vi-
vant sous la pression du temps et des occupations. Considérer l’accompa-
gnement comme un art et une science et comme un apostolat à part entière
demande beaucoup d’attitudes, d’attention et de maturité de la part des
accompagnateurs, qui doivent être formés à travers des parcours spéci-
fiques.225 Les exigences se multiplient, car « il ne suffit pas d’offrir des pro-
cessus de formation adaptés à chaque âge ; il faut offrir des processus per-
sonnalisés et différenciés, des itinéraires concrets et adéquats, des projets
223 Cf. Dicastero PG, Quadro di riferimento, 32014, 114-117. Note: le concept d’accom-
pagnement se retrouve 140 fois dans la troisième édition du Cadre de référence de
la Pastorale Salésienne des Jeunes et constitue une clé d’interprétation.
224 M.A. García Morcuende, L’accompagnamento personale nella proposta educati-
vo-pastorale salesiana, in Attard - García (eds.), L’accompagnamento spirituale,
271.
225 Cf. Ibid., 267-276.

52.6 Page 516

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516 Pédagogie salésienne après Don Bosco
pastoraux cohérents, intelligents et audacieux pour différencier l’attention
personnelle, pour chercher de nouveaux chemins formatifs ».226 Logique-
ment, on peut en conclure qu’il est important d’encourager les vocations
d’accompagnateurs d’adolescents et de jeunes, ce qui n’est pas une tâche
facile compte tenu des exigences.
Ce volume de synthèse sur l’accompagnement semble conclure un par-
cours de plus d’un demi-siècle. De l’accompagnement à travers l’attention
au milieu de l’époque de Ricaldone, centré sur l’observation uniforme des
règlements, l’attention s’est déplacée au cours de la période post-Vatican II
vers l’animation des groupes, qui se fait souvent dans une logique huma-
niste générique sans attention à l’évangélisation, laissant de côté les pra-
tiques préconciliaires de la direction spirituelle à travers la confession et
l’entretien avec le directeur, considérées comme uniformisantes. Au troi-
sième millénaire, on poursuit la trajectoire, qui copie en partie la sensibilité
occidentale, en passant de l’animation générique de groupes et d’une pas-
torale des événements à un accompagnement spirituel personnel à l’aide
d’une grammaire explicite de la foi, qui comprend également une proposi-
tion de vocation.
Même si nous parlons en termes très généraux, il semble que la pratique
pastorale montre également des risques évidents dans l’approche actuelle :
1. un modèle pastoral dans lequel il y a quelques élus autour d’un « gou-
rou » spirituel ; 2. le manque d’accompagnateurs spirituels qui répondent
à toutes les exigences et critères. Dans la section suivante, nous voudrions
donc approfondir la vision d’ensemble de l’accompagnement salésien qui
ressort des recherches et des publications récentes.
6.3.3.3. Un regard global et réaliste sur l’accompagnement
Actuellement, l’accompagnement dans le monde salésien, qu’il soit ec-
clésial ou laïc, devient une nécessité. Si auparavant, la personnalisation se
faisait « contre les autres », avec un esprit critique et en brisant les sché-
mas habituels, aujourd’hui, la situation générale a changé. Au niveau des
références, l’horizon du sens a été liquidé et brisé. Sur le plan psycholo-
gique, le phénomène de l’anxiété de la performance est en augmentation.
226 Ibid., 276. La citation fait référence à Dicastero PG, Quadro di riferimento, 32014,
99-103, 285.

52.7 Page 517

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 517
Sur le plan professionnel, la concurrence mondiale a rendu plus difficiles
les conditions de réussite dans la vie. Contrairement aux générations pré-
cédentes, les jeunes d’aujourd’hui ont besoin de personnaliser leur vie en
s’appuyant sur une relation de soutien et en évoluant au sein de celle-ci
dans un contexte communautaire crédible.
Cependant, il faut noter que malgré les appels et la rhétorique, il semble
en fait que l’accompagnement personnel en milieu salésien soit assez né-
gligé. Plus de 72% des pré-novices salésiens déclarent n’avoir découvert
l’accompagnement spirituel qu’au pré-noviciat.227 Si les trois quarts de
ceux qui sont entrés dans la formation salésienne ont pris une décision
importante sans être accompagnés, nous ne pouvons que spéculer sur ce
que sera le pourcentage pour la grande majorité des jeunes des maisons sa-
lésiennes.228 Même les accompagnateurs en formation salésienne qui effec-
tuent ce service parce que c’est leur « rôle » ne déclarent qu’un engagement
relativement intense. Près de la moitié d’entre eux accompagnent cinq per-
sonnes ou moins et 30 % déclarent accompagner de 6 à 15 personnes.
En termes de temps, près des trois quarts des accompagnateurs vont de
quelques heures consacrées à cette activité à quelques jours par semaine,
jusqu’à une rencontre tous les 2-3 mois.229
Tout en étant conscient des différences de contextes, qui sont appa-
rues dans la recherche précitée de Marco Bay,230 je voudrais proposer une
double perspective sur l’accompagnement différencié et isomorphique.
Nous pouvons accepter la réflexion de l’Instrumentum laboris du Synode
sur les jeunes, en lien avec toute la tradition de la spiritualité qui insiste
sur le caractère fondamental de l’accompagnement dans une perspective
large :
Les accompagnateurs peuvent être des hommes et des femmes,
des religieux et des laïcs, ou des couples ; la communauté joue
227 Cf. M. Bay, Giovani Salesiani e accompagnamento. Risultati di una ricerca inter-
nazionale, LAS, Roma 2018, 47.
228 Cf. également Á. Fernández Artime, Strenna 2018 “Signore, dammi di quest’ac-
qua” (Gv 4,15). Coltiviamo l’arte di ascoltare e di accompagnare, in ACG 99 (2018)
426, 4-5.
229 Cf. Bay, Giovani Salesiani e accompagnamento, 420-421.
230 Cf. Ibid, 455-493.

52.8 Page 518

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518 Pédagogie salésienne après Don Bosco
également un rôle déterminant. L’accompagnement des jeunes par
l’Église revêt donc des formes variées, directes et indirectes, qui se
croisent dans une pluralité de dimensions et utilisent de multiples
instruments, selon le contexte dans lequel il se déroule et le degré
d’engagement ecclésial et de foi des personnes accompagnées.231
La diversification de l’accompagnement envisage de façon réaliste
différents types d’accompagnement, déjà décrits par Don Vecchi. Les sa-
lésiens qui accompagnent se caractérisent par des styles d’accompagne-
ment différents selon les régions géographiques et culturelles. Les données
doivent être interprétées avec prudence, dans la mesure où les préférences
peuvent être influencées non seulement par le style, la culture et la langue,
mais aussi par le nombre d’accompagnateurs/accompagnés, qui peut être
inférieur ou supérieur. En Europe du Nord et du Centre, on préfère l’ac-
compagnement spirituel, qui privilégie un style de discernement et d’orien-
tation personnalisé avec un dialogue patient et proactif, sans impositions.
En Amérique, on préfère une approche de type coaching, axée sur la réso-
lution de problèmes et/ou le conseil psychologique, ainsi qu’une forte iden-
tité « salésienne » des interlocuteurs. En Asie de l’Est et en Méditerranée,
le coaching situationnel est plus sporadique et spontané, avec quelques ré-
férences à la résolution de problèmes. Dans les régions d’Afrique et d’In-
de, où le nombre de vocations à la vie consacrée est le plus élevé, nous
constatons la présence d’un style de direction plus standardisé et normatif,
avec les risques d’un faible lien entre l’intérieur et l’extérieur, d’une faible
personnalisation et d’une faible autoformation des accompagnateurs par
l’étude.
Une autre question de différenciation concerne les trois expériences
les plus présentes dans les milieux salésiens : l’accompagnement spirituel,
la confession et l’entretien avec le directeur. Il ressort de la recherche une
tendance générale à distinguer les trois moments en se référant à trois per-
sonnes distinctes. Il y a aussi une image du directeur comme homme de re-
lation, paternel et présent dans la maison ; le confesseur idéal est perçu dans
les coordonnées de la miséricorde et de la confidentialité. La « salésianité »
est souvent interprétée en termes relationnels de confiance, de sincérité et
231 “Instrumentum laboris” de la XVe Assemblée générale ordinaire du Synode des
évêques, in bit.ly/vatican-va-2018-06-19, 122.

52.9 Page 519

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 519
de paternité de l’accompagnateur. Si l’on va au-delà des recherches menées
dans le cadre de la formation initiale des personnes consacrées, le principe
de différenciation suppose le dépassement de l’image de l’accompagnateur
« professionnel ». L’attention portée à l’accompagnement de toutes les vo-
cations rend évidemment nécessaire la participation des mères et des pères
de famille, des laïcs compétents et des jeunes eux-mêmes la mission d’ac-
compagnement travers les différents modèles de l’éducation par les pairs.
Parmi les difficultés, citons l’absence d’accompagnement systématique
dans certaines phases de la formation et dans certaines régions, ce qui se
traduit par un nombre insuffisant de rencontres. Malgré l’importance ab-
solue perçue par tous de la confidentialité, « beaucoup de nos répondants
ont l’impression que ce qui est partagé avec un guide est souvent révélé aux
autres ».232 Il y a aussi des séries de questions qui manquent dans les ques-
tionnaires : les thèmes et les « contenus » de l’accompagnement dans les
dimensions de la croissance et de la formation ne sont pas abordés : santé,
consécration, étude, apostolat, communauté, vie spirituelle, vie affective et
relationnelle, etc.
Bien qu’environ 80% des répondants perçoivent l’utilité des outils de
planification dans le domaine personnel (« projet de vie » et « vérification
personnelle »),233 il y a par contre un faible impact formatif de la planifi-
cation éducative-pastorale communautaire, qui est considérée plus comme
une tâche de gestion que comme un lieu de formation à forte densité spi-
rituelle.
Les accompagnateurs et directeurs potentiels des maisons salésiennes
sont peu nombreux et occupés, avant tout, à des tâches de gestion. De
nombreuses études sur l’accompagnement dans le secteur organisation-
nel, ainsi que certaines expériences salésiennes, confirment toutefois une
synergie possible entre la responsabilité de gestion et l’accompagnement.
Il est évidemment nécessaire de sortir des limites étroites de la gestion
technocratique pour aller vers des horizons intégrés qui considèrent la
gestion comme un domaine dans lequel il est possible de vivre la parti-
cipation, la formation, le discernement communautaire et les profondes
232 Dicastero per la Formazione – Dicastero per la Pastorale Giovanile, Giovani
salesiani e accompagnamento. Orientamenti e direttive, Sede Centrale Salesiana,
Roma 2019, 56.
233 Cf. Bay, Giovani Salesiani e accompagnamento, 407.

52.10 Page 520

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520 Pédagogie salésienne après Don Bosco
transformations personnelles et communautaires. Dans cette façon de voir,
l’accompagnement n’est pas la chose supplémentaire à faire, mais il est
la manière de faire, devenant une « forme » de la culture organisation-
nelle des maisons salésiennes, qui structure la gestion des processus et de
l’environnement de l’éducation à différents niveaux. Les éducateurs-ac-
compagnateurs devraient se mettre d’accord sur quelques critères de base
(éthiques, pédagogiques, salésiens) pour tous les niveaux et types d’ac-
compagnement, afin de pouvoir parler d’un style isomorphe : il y a des
concrétisations différentes mais il y a une forme d’accompagnement salé-
sien reconnaissable chez tous.
Diverses formes d’accompagnement peuvent être réalisées par des
équipes ou des personnes ayant une préparation spécifique, comme
les confessions, l’accompagnement spirituel, le conseil psychologique
ou le conseil pastoral, etc. Le potentiel génératif des jeunes ne doit pas
être sous-estimé : de « bénéficiaires » accompagnés, ils deviennent des
« apôtres », selon la tradition salésienne de « l’ange gardien ». Des modes
d’accompagnement plus informels et contextuels tels que le mentorat, le
tutorat, le coaching par les pairs, etc. peuvent être inclus ici.234 D’autres
aspects de l’évolution de la pédagogie salésienne dans le domaine de l’or-
ganisation et de la planification seront explorés dans le paragraphe suivant.
6.3.4. Une pédagogie transformatrice et vertueuse qui va au-delà de
la programmation par objectifs
L’image de l’homme qui pense rationnellement, traduit les besoins en
objectifs et agit par l’effort de la volonté et la maîtrise de soi, est passée
dans la planification éducative-pastorale salésienne à travers l’idée d’une
action rationnelle qui suit une direction linéaire dans son action (situation
objectif moyen vérification) et la division de la croissance en
dimensions qui devront être planifiées avec une autonomie relative (éduca-
tion, évangélisation, associationnisme, vocation). Dans le débat contempo-
rain, cependant, le modèle de l’homme moderne agissant rationnellement
a perdu de son crédit. On a commencé à laisser de côté la programmation
234 Cf. M. Vojtáš, L’arte dell’accompagnamento in chiave salesiana, in ­«Orientamenti
Pedagogici» 65 (2018) 2, 303-322.

53 Pages 521-530

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53.1 Page 521

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 521
par objectifs pour affirmer de plus en plus l’importance
- de la pensée systémique-intégrale et pas seulement linéaire (Deming,
Senge) ;
- du changement transformateur et pas seulement transactionnel (Ti-
chy, Devanna, Mezirow, Scharmer) ;
- du leadership de participation et communautaire (Schein, de Geuss,
Wenger) ;
- de l’excellence au lieu de l’efficacité (de Pree, Bennis, Covey, Gard-
ner) ;
- de la multiplicité des « intelligences » (Polanyi, Agor, Mintzberg,
Argyris, Gardner) ;
- de la spiritualité dans la programmation (Giacalone, Jurkiewitz, Be-
nefiel).235
Ces spécialistes des sciences de l’organisation, qui n’ont été repris
dans la planification salésienne que récemment,236 se rendent compte que
la méthodologie de la programmation par objectifs conduit à des résul-
tats éphémères si elle n’est pas accompagnée de quelques attitudes (vertus)
profondément enracinées chez les éducateurs, qui sont les « exécutants »
du projet à travers des interventions éducatives concrètes. La nature de
la planification et de la mise en œuvre du projet dans la pratique a une
dimension éthique et exige méthodologiquement les vertus pour son fonc-
tionnement, en particulier dans le domaine éducatif et pastoral. En ce sens,
le processus de planification peut et doit aussi être un chemin de formation
aux vertus et aux compétences cognitives et opérationnelles au sein d’une
« communauté de pratique » qui, dans le contexte salésien, se réalise dans
235 Voir les références dans Vojtáš, Progettare e discernere, 150-161.
236 La même inertie était perceptible dans la sphère ecclésiastique au sens large, par
exemple autour du modèle voir-juger-agir. Le pape François affirme que cette
méthode « a subi cette tentation sous la forme de l’asepsie. La méthode voir-juger-
agir a été utilisée, et elle est bonne. La tentation était d’opter pour un “regard”
totalement aseptisé, un “regard” neutre, ce qui est irréalisable ». Cf., Incontro con
i vescovi responsabili del CELAM. Discorso del Santo Padre Francesco, in bit.ly/
vatican-va-2013-07-28.

53.2 Page 522

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522 Pédagogie salésienne après Don Bosco
la communauté éducative et pastorale.237 De nombreux spécialistes de la
programmation, notamment dans le domaine de l’éducation, partagent la
notion d’indissociabilité entre ce que l’on est en tant que personne et la
manière dont on agit concrètement en tant que participant à un projet édu-
catif. En ce sens, l’identité détermine la méthodologie. La transformation
par l’éducation se produit avant tout dans l’interaction des éducateurs et
pas seulement dans les systèmes et les processus organisationnels ou édu-
catifs. Le thème des vertus éthiques et opérationnelles des membres de la
communauté, qui sont la condition sine qua non d’un projet réussi, rend
explicite le paradigme d’un leadership éducatif authentique : « devoir être
le changement que l’on veut créer ».238
Dans la proposition d’un projet pour le changement exposée dans la
publication Progettare e discernere (Projeter et discerner), on a voulu dé-
velopper l’intuition de Don Viganò sur la « nouvelle éducation », qui est
un art qui transforme l’artiste-éducateur au fur et à mesure qu’il crée son
œuvre. Si nous considérons que l’éducation et la pastorale des jeunes s’ap-
parentent à un chef-d’œuvre de l’art figuratif, il devient important d’avoir
une idée claire du « produit » désiré par le créateur : qu’est-ce qui doit être
représenté, comment les personnages seront-ils disposés, quelles émotions
veut-on susciter, dans quel environnement la scène se déroulera-t-elle, etc.
Jusque-là, cependant, il n’y a rien de nouveau, les réponses à ces questions
sont les objectifs de ce que l’on veut produire (paradigme du produit).
Pour qu’une œuvre soit un chef-d’œuvre, le style de l’artiste, la technique,
la méthode et les processus artistiques guidant l’ensemble de l’itinéraire
menant à sa réalisation sont tout aussi importants (paradigme du proces-
sus). En finale et surtout – ou plutôt en premier - il est essentiel de former
et d’accompagner la personne de l’artiste-éducateur qui se trouve devant
la toile blanche, ses mondes intérieurs, son passé, les traditions qui l’ont
influencé, sa motivation, la spiritualité qui fusionne les valeurs en un tout,
ses dilemmes, ses faiblesses, ses questions et surtout les racines de sa vo-
cation d’artiste (paradigme de l’identité). Lorsqu’une œuvre d’art est un
237 Voir la contribution dépassant l’éthique des droits par l’éthique des vertus dans
Darius Grządziel, L’educazione del carattere e l’educazione salesiana alla cittadi-
nanza, in «Salesianum» 77 (2015) 92-126.
238 P.M. Senge - C.O. Scharmer et al., Presence. Exploring Profound Change in Peo-
ple, Organizations, and Society, Currency Doubleday, New York 2004, 147.

53.3 Page 523

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 523
chef-d’œuvre, il y a non seulement une harmonie entre les différentes par-
ties, mais aussi une unité profonde entre l’artiste, le processus et le produit.
Non seulement chaque partie est à sa place, mais son placement renforce à
la fois la logique de l’ensemble et le sens du placement des autres parties.
Diagramme J : Modèles de conception pédagogique :
transmission, transaction et transformation.
Un projet éducatif-pastoral doit être « conçu » et « réalisé » avec une
méthode qui reflète la nature éducative spécifique de l’activité, la vision
et les valeurs qu’il incarne. Le Cadre de référence déclare : « L’approche
pédagogique de la méthode, en lien étroit avec celle des contenus et de la
dynamique, est importante. [...] En ce sens, la méthode est aussi le mes-
sage ».239 Si on veut créer un projet éducatif qui va au-delà d’un simple
transfert des contenus du manuel pour les loger dans la tête (transmission)
ou conditionner un comportement linéaire à travers des activités program-
mées à l’avance (transaction), mais si on veut, au contraire, former les ver-
tus des éducateurs et des élèves, incarner les valeurs, créer une dynamique
de communion et de personnalisation (transformation), il est nécessaire
de revoir aussi bien les vertus opérationnelles du projet que les étapes du
239 Dicastero PG, Quadro di riferimento, 32014, 101.

53.4 Page 524

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524 Pédagogie salésienne après Don Bosco
projet (cf. Diagramme J).240
La formation de l’auteur du projet est liée au processus de conception à
différents niveaux : la mentalité, c’est-à-dire les convictions profondes sur
la réalité, la qualité du caractère cognitif-émotionnel, qui guide le proces-
sus de recherche, et enfin les compétences opérationnelles et organisation-
nelles. Dans ce sens, nous proposons des « vertus de programmation » qui
caractérisent l’action humaine à différents niveaux de profondeur, allant
au-delà de l’anthropologie rationaliste-volontaire limitée de la program-
mation par objectifs. En plus des vertus déjà connues de fidélité créative,
qui ont émergé dans la mise à jour postconciliaire, et de cohérence opéra-
tionnelle implicitement contenue dans le modèle de planification de Don
Vecchi, une grande importance est donnée dans le modèle transformatif à
la vertu de discernement et d’accompagnement personnel et communau-
taire. Le moment stratégique de la planification est l’acceptation de l’« appel »
au changement éducatif lié à la transformation de l’identité. Cela permet
de surmonter la conception technique de la planification et l’accent exagéré
mis sur la formulation précise des objectifs et des activités connexes.
Une planification intégrale et approfondie nécessite un modèle de pro-
cessus qui accompagne la communauté éducative à travers les différents
niveaux de dialogue (voir diagramme K).241 Il existe une conversation plus
rationnelle qui décrit la situation de la manière la plus objective possible.
Un deuxième niveau de dialogue plus empathique consiste à partager
des aspects plus personnels des paradigmes d’interprétation de la réalité,
des attentes, des craintes, des espoirs et nécessite un plus grand degré de
confiance au sein du groupe qui projette.242 Enfin, le troisième niveau d’un
240 Pour l’intégration des concepts d’éducation transformatrice dans les propositions
pédagogiques salésiennes, voir par exemple J. Vallabaraj, Empowering the Young
Towards Fullness of Life, Kristu Jyoti Publications, Bangalore 2003 et E. Alberich
- J. Vallabaraj, Communicating a Faith That Transforms. A Handbook of Funda-
mental Catechetics, Kristu Jyoti Publications, Bangalore 2004.
241 Cf. Vojtáš, Progettare e discernere, 217-314, qui cite Scharmer, Theory U. Leading
from the Future as it Emerges; D. Bohm, Thought as a System, Routledge, London
1994 e D. Bohm, On dialogue. Edited by Lee Nichol, Routledge, New York 1996.
242 Nous pouvons mentionner ici la contribution sur l’élargissement de la rationalité
moderne de M. Pellerey, La professionalità educativa e la competenza pedagogi-
ca. Attenzioni irrinunciabili dell’offerta formativa della famiglia salesiana oggi, in
V. Orlando (ed.), Con don Bosco educatori dei giovani del nostro tempo. Atti del
Convegno Internazionale di Pedagogia Salesiana 19-21 marzo Roma Salesianum/

53.5 Page 525

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 525
dialogue profond est lié à un discernement plus passif et contemplatif, qui
écoute la voix qui appelle à partir de la réalité et qui, dans la conversation,
tend à relier les éléments rationnels aux éléments plus émotionnels des
paradigmes interprétatifs dans l’ensemble spirituellement et motivation-
nellement significatif de la vocation. Ce n’est qu’ensuite que l’on revient
au deuxième niveau du dialogue et que l’appel est explicité narrativement
dans une vision au cours de la quatrième étape de la planification. C’est
également à ce moment qu’il convient d’expérimenter la vision dans de pe-
tits prototypes, afin d’avoir déjà les premiers retours de la pratique. Enfin,
nous arrivons au cinquième moment du projet opérationnel, qui concrétise
la vision, fixe des objectifs et des stratégies dans le but d’orienter tout le
monde dans la direction de la vision.
Diagramme K : Étapes et niveaux de la programmation pour le changement.
UPS, LAS, Roma 2015, 190-198.

53.6 Page 526

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526 Pédagogie salésienne après Don Bosco
La communauté, la narration et la praxis sont les principes qui émer-
gent tant dans le modèle salésien du projet éducatif que dans l’éducation
des vertus et du caractère proposé par Dariusz Grządziel, qui reprend plu-
sieurs exemples de MacIntyre, Carr, Pellerey et Abbà. L’auteur considère
la « communauté de tradition » comme le milieu naturel du développement
du caractère, car l’histoire de la vie de chaque personne, ainsi que l’histoire
de chaque pratique humaine, sont toujours ancrées dans un contexte social
et dans l’histoire plus large des traditions. L’éducation du caractère se dé-
roule principalement dans l’environnement familial, où le jeune, en entrant
en relation avec les autres membres de la communauté, participe à leur vie
morale, en apprenant d’abord des compétences et un comportement moral
exemplaires, puis en apprenant à reconnaître les idéaux respectés. La par-
ticipation à des pratiques vertueuses et les formes narratives qui incarnent
les valeurs et les vertus sont les formes les plus incisives de formation
éthique reconnaissables tant dans le système préventif de Don Bosco que
dans certains courants de pensée contemporains. Les actions individuelles
et les activités éducatives prennent leur sens si elles sont insérées dans un
récit qui les situe dans l’histoire et la tradition d’une communauté à la-
quelle elles appartiennent. La narration et l’appartenance sont des éléments
qui donnent une unité à la vie, qui peut être conçue comme un « tout ».243
La planification et la formation aux vertus peuvent donc s’inscrire idéale-
ment dans un processus de participation communautaire visant à discerner
et à créer une nouvelle version (projet) du récit communautaire (tradition)
qui incite activement les membres à agir avec une conscience nouvelle et
transformée (praxis).
Au-delà de la critique historique, et en intégrant la pédagogie trans-
formationnelle, nous pouvons également réévaluer positivement le lien et
les équilibres subtils entre la pédagogie narrative et la pédagogie du projet
dans la proposition éducative de Don Bosco, qui n’avaient pas été pris en
compte dans le modèle de projet linéaire. La vision racontée sous forme
de conte ou de rêve est complétée par le caractère concret des règlements,
de la répartition des rôles et des tâches ; et le processus est régulé par
243 Cf. Grządziel, L’educazione del carattere e l’educazione salesiana, 102-118 et M.
Pellerey, Processi formativi e dimensione spirituale e morale della persona. Dare
senso e prospettiva al proprio impegno nell’apprendere lungo tutto l’arco della
vita, CNOS-FAP, Roma 2007, 128-129.

53.7 Page 527

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 527
l’accompagnement des personnes et par une attention constante au discer-
nement. La vision formulée n’est donc pas seulement une déclaration d’ob-
jectifs, mais tout un environnement éducatif symbolique construit à partir
de récits, d’histoires, de symboles et de théories, impliquant également le
sens de l’organisation, une réglementation, et la répartition des rôles et des
tâches.244
6.3.5. Formation salésienne des éducateurs adultes
L’importance d’une approche transformatrice et vertueuse devient très
importante dans la formation des éducateurs salésiens, qui ont besoin non
seulement de compétences pédagogiques mais aussi d’un accompagne-
ment dans l’identité salésienne. Déjà à la fin du siècle dernier, Don Vecchi
suggérait que l’un des rôles du salésien du futur, outre celui de « garant du
charisme », serait celui de former et d’accompagner les éducateurs adultes.
Il s’agit d’une nécessité qui découle logiquement du modèle de collabora-
tion/coresponsabilité entre consacrés et laïcs, mais qui s’est accentuée plus
fortement dans l’expérience pastorale concrète de certaines provinces. Il
nous semble intéressant de mentionner quelques modèles de formation plus
développés, orientés vers le thème de l’identité salésienne des éducateurs.
Les provinciaux de la région interaméricaine étaient déjà conscients de
ce besoin de formation au moment du Chapitre Général Spécial et pour y
répondre, ils ont fondé le Centre Régional Salésien de Formation Perma-
nente à Quito en 1974, en confiant sa direction à Don Fernando Peraza
Leal. L’expérience du Centre a été facilitée par le dynamisme novateur que
la réflexion postconciliaire a généré en Amérique, par l’utilisation d’une
langue unique, par la diffusion populaire de l’image de Don Bosco et, enfin
et surtout, par la coordination de Don Peraza, qui a donné une continuité
au projet dans un style sympathique et paternel et dans une atmosphère
de familiarité « oratorienne ».245 L’élément le plus solide de la méthode de
244 Cf. A. Giraudo, L’importanza storica e pedagogico-spirituico delle Memorie
dell’Oratorio, in G. Bosco, Memorie dell’Oratorio di S. Francesco di Sales dal
1815 al 1855. Saggio introduttivo e note storiche a cura di Aldo Giraudo, LAS,
Roma 2011, 5-49; Braido, Il progetto operativo di Don Bosco, 6-7.
245 Cf. R.D. Jaramillo, Il Centro Salesiano Regionale di Formazione Permanente
(Quito – Ecuador), in Orlando (ed.), Con don Bosco educatori dei giovani, 184-189.

53.8 Page 528

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528 Pédagogie salésienne après Don Bosco
formation expérimentale et vitale proposée à Quito n’est pas une théorie
pédagogique explicite de référence,246 mais une « méthodologie » basée
sur l’identification à Don Bosco, favorisant l’émergence d’attitudes, de mo-
tivations, de mentalités, d’options de vie et de décisions. Le critère de for-
mation par l’enseignement et de l’enseignement par la formation se réalise
dans l’équilibre entre le cerveau et le cœur, la connaissance et l’amour de
Don Bosco, la connaissance historique et la stimulation des pratiques ac-
tuelles.247
Dans son approche de l’étude de Don Bosco, Don Peraza a suivi le
critère de « l’absence de dogmatisme et de préjugés », ce qui l’a placé
dans une relation dialectique entre la valorisation et la distanciation par
rapport aux études salésiennes contemporaines : « Dans la transmission
des nouveautés, il est important de garder à l’esprit que le dernier mot n’a
jamais été dit. Beaucoup de choses dans l’interprétation de Don Bosco sont
encore des hypothèses et ce qui est en cours d’investigation ne peut être
présenté comme des déclarations catégoriques ».248 Malgré cela, le cours
de base de quatre ans du Centre de Quito a jusqu’à présent fortement tour-
né autour d’une connaissance progressive de la vie de Don Bosco, à partir
des Mémoires de l’Oratoire, et sans entrer formellement dans les thèmes
de l’actualisation de la pédagogie salésienne. La particularité du cours est
la formation de l’identité salésienne des participants laïcs et consacrés, qui
se réalise à travers une sage alternance entre les moments d’exposition et
d’étude et ceux de participation active dans les travaux de groupe ou dans
l’assemblée.
Au centre d’Oud-Heverlee en Belgique, Carlo Loots et Colette Schau-
mont proposent une approche de la formation salésienne qui n’est pas trop
éloignée de la précédente au plan de la méthode mais plus orientée vers la
pédagogie.249 Leur modèle de formation de l’identité salésienne des laïcs
246 Cf. CINAJ, Evaluación y proyección del Centro Salesiano de Formación Perma-
nente: Elementos para la planificación institucional de servicios y programas, in
Jaramillo, Il Centro Salesiano Regionale, in Orlando (ed.), Con don Bosco educa-
tori dei giovani, 188.
247 Cf. F. Peraza Leal, Iniciación al estudio de don Bosco, Centro Salesiano Regional,
Quito 2003, 1-4.
248 Ibid., 3.
249 C. Schaumont - C. Loots, La formazione dei collaboratori laici: integrare la ped-
agogia salesiana nella propria persona e nel lavoro educativo, in Orlando (ed.),

53.9 Page 529

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 529
considère celle-ci comme une réalité dynamique et processuelle. Se réfé-
rant aux inspirations de Charles Leget,250 ils envisagent l’interaction entre
trois éléments pour créer une identité institutionnelle : le lien avec la tradi-
tion et les perspectives d’avenir, le réseau de relations internes et externes
et l’identité des collaborateurs de référence.
L’histoire d’une institution dans son rapport à la tradition est impor-
tante, car les choix effectués dans le passé déterminent en grande partie
son identité. Elle « ressemble à l’identité d’un individu : chacun a sa propre
histoire de vie, qui est réécrite lorsque des événements importants sur-
viennent. De la même manière, une institution écrit et réécrit sa propre his-
toire. Il s’agit d’un processus continu ».251 Le réseau de relations internes
et externes peut accroître la dimension salésienne à travers la structuration
interne de l’institution et à travers la manière dont se déroulent la commu-
nication et la collaboration entre toutes ses sections. La façon dont l’organi-
gramme est mis en œuvre, la répartition des rôles et des tâches révèlent et
façonnent en même temps l’identité. Le réseau de collaborations externes,
la relation avec les salésiens fondateurs de l’œuvre et avec les différents
organismes civils et ecclésiastiques font également partie de la dynamique
identitaire. Enfin, l’identité des personnes, notamment des personnes clé,
donne un visage à l’institution ou du moins à une partie de celle-ci. Tout
cela a un grand impact interne et externe sur la gestion et l’environnement
éducatif et dégage une inspiration et une force de motivation, implicite-
ment ou explicitement.
L’innovation et l’importance du modèle de Loots et Schaumont est qu’il
considère simultanément les processus d’identité au niveau personnel et
institutionnel. Valorisant les principes de la pédagogie de l’apprentissage
des adultes, ils envisagent des attentions processuelles intéressantes pour
une formation intentionnelle de l’identité qui s’investit activement dans les
processus de développement, de changement et d’apprentissage. Parmi les
exemples d’application il y a les parcours d’initiation des nouveaux colla-
borateurs qui doivent apprendre à intégrer l’identité salésienne dans leurs
Con don Bosco educatori dei giovani, 169-171.
250 Cf. C. Leget, Geloven in wat je doet. Zorginstelling en katholieke traditie, Damon,
Budel 2004 cité comme modèle de référence dans Ibid. 153,155, 158.
251 Schaumont - Loots, La formazione dei collaboratori laici, in Orlando (ed.), Con
don Bosco educatori dei giovani, 158.

53.10 Page 530

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530 Pédagogie salésienne après Don Bosco
attitudes, leurs façons de penser et d’agir. Pour le personnel en service
depuis de nombreuses années, une formation est nécessaire pour raviver
et approfondir les principes fondamentaux, ce qui les aidera à vérifier
leur pratique dans les orientations de base. Le personnel de direction, en
revanche, doit avoir la possibilité d’apprendre à sauvegarder et à donner
corps à l’identité salésienne de l’œuvre à travers des processus d’évaluation
critique de sa gestion à la lumière des critères de la mission salésienne. Ce
sont des personnes clé pour que l’identité salésienne soit visible et recon-
naissable dans le langage, la gestion, la pratique et la mentalité.252
La proposition de Loots et Schaumont, souhaitant « prendre totalement
au sérieux » le message sur la coresponsabilité des laïcs « qui doit être
poussée jusqu’à ce que les laïcs se sentent responsables de la responsabilité
des salésiens »,253 semble aller au-delà de la vision de Don Vecchi et ne
pas considérer les différentes formes d’accompagnement progressif dans la
formation salésienne des laïcs et leur implication dans les responsabilités
éducatives. Soucieux de ne pas percevoir le charisme salésien comme un
« paquet pré-emballé », ils ne parviennent finalement qu’à des processus
herméneutiques, critiques et méthodologiques sous forme de questions qui
dessinent les grandes lignes d’un document de travail.254 La logique du
« processus » étouffe pratiquement les « contenus » charismatiques, qui
perdent ainsi la force de remettre en question l’identité des éducateurs.
Ceci est particulièrement évident dans le domaine de la pédagogie de la
foi, qui devient un « défi » et il suffit que l’éducateur soit prêt à faire un
parcours autour des questions de la foi ou qu’il ait « une certaine affinité
avec la spiritualité éducative ».255 La pédagogie salésienne devient ainsi
une pédagogie de processus basée sur les concepts d’alliance, de confiance,
252 Cf. Ibid., 158-161.
253 Ibid., 152. En arrière-plan de ces conceptions, il y a une interprétation particulière
du rapport de Don Bosco avec les laïcs qui souligne l’importance du concept de
« salésien externe » dans le projet des premières constitutions salésiennes. Cf. Ibid.
150-153.
254 Cf. Ibid, 163-165.
255 C. Schaumont - C. Loots, Preparare un futuro per la pedagogia salesiana. La
formazione come leva. L’esperienza belga, in «Orientamenti Pedagogici» 54 (2007)
5, 899. Le modèle formatif est influencé par le concept de Schepens et Burggraeve
déjà présenté qui associe la religion à la recherche d’un sens à la vie.

54 Pages 531-540

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54.1 Page 531

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 531
de croissance, de jeu, de joie et d’espoir.256 Dans la relation entre contenu,
processus et identité, le modèle de Quito nous semble plus équilibré, même
s’il est moins thématique sur le plan pédagogique.
De nombreuses provinces du monde adoptent des modèles de forma-
tion salésienne des éducateurs et des collaborateurs laïcs. Parmi les plus
développés, étant donné la forte présence dans le domaine scolaire, on peut
citer les cours organisés par les provinces espagnoles et brésiliennes, dé-
veloppés en collaboration entre les salésiens de Don Bosco et les Filles
de Marie Auxiliatrice. Adoptant des modèles d’apprentissage présentiel,
en ligne et mixte, ils ont mis en place la collaboration stratégique des éta-
blissements d’enseignement supérieur salésiens avec le réseau des écoles
salésiennes. Dans le modèle espagnol, les cours s’adressent au personnel
occupant des fonctions de direction et aux coordinateurs pastoraux. Ceux
destinés aux enseignants, en raison du grand nombre de personnes concer-
nées, sont uniquement proposés en ligne. Outre les contenus, le choix mé-
thodologique est intéressant : « La salésianité n’est pas conçue comme un
“module” séparé des autres, mais comme un fil conducteur et le focus qui
éclaire le reste des contenus ».257 Les thèmes de la pédagogie salésienne,
de la proposition éducative-pastorale, des origines charismatiques et du
magistère salésien sont transversaux aux modules sur le leadership, la ges-
tion des projets éducatifs, la qualité, l’innovation et, enfin, les questions
juridiques et économiques. Une autre caractéristique méthodologique in-
téressante est la création de petits groupes au sein des cours en ligne et
l’affectation d’un tuteur à chaque groupe, évitant ainsi le sentiment d’ano-
nymat et favorisant la personnalisation de l’apprentissage.258
Après une expérience déjà relativement longue, il y a le cours en ligne
sur la salésianité proposé par l’Université catholique Don Bosco de Campo
Grande au Brésil. Le cours bien structuré combine les connaissances sur
Don Bosco et François de Sales avec les éléments identitaires de la péda-
gogie et de la pastorale salésiennes, la dynamique du monde des jeunes,
256 Cf. Schaumont - Loots, La formation des coopérateurs laïcs, dans Orlando (ed.),
Con don Bosco educatori dei giovani, 169-171.
257 O. González, Proyecto formativo de directivos y educadores de las Escuelas Sale-
sianas en España, in Orlando (ed.), Con don Bosco educatori dei giovani, 179.
258 Cf. Ibid, p. 178-181.

54.2 Page 532

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532 Pédagogie salésienne après Don Bosco
les perspectives féminines et les aspects psycho-sociaux.259 Par rapport aux
cours en ligne, les doutes et les polémiques sur la possibilité d’une forma-
tion salésienne uniquement à distance ne manquent pas. Il semblerait que
la majorité des propositions en ligne soient un « parapluie » garanti au
niveau national ou provincial qu’il faudrait intégrer à la formation présen-
tielle garantie au niveau local ou provincial. En réalité, la formation serait
donc un cours mixte entre des éléments en ligne et d’autres en présence. La
figure des tuteurs qui accompagnent la formation au niveau virtuel et aussi
local est importante.260 L’expérience de la pandémie de Covid19 est suscep-
tible de modifier l’approche et l’équilibre autour de la formation en ligne,
car presque tous les éducateurs du monde entier ont dû prendre conscience
et faire l’expérience des avantages et des inconvénients des différents mo-
dèles.
6.3.6. Déclinaisons, innovations et intuitions « sectorielles »
Lors de la conférence internationale sur la pédagogie salésienne or-
ganisée à l’occasion du bicentenaire en 2015, on a pu découvrir plusieurs
actualisations, éclairages et bonnes pratiques dans le domaine de la péda-
gogie sociale,261 reprenant en partie les réflexions les plus significatives du
congrès sur le Système préventif et droits de l’homme de 2009. L’attention
aux aspects sociaux a trouvé sa correspondance dans le choix préférentiel
pour les périphéries, dans la fréquente mise en évidence de la logique du
rejet et dans l’option pour les exclus du Pape François, comme nous le li-
sons dans Evangelii Gaudium.262 Le format du congrès, avec une grande
participation d’universitaires et de professionnels, a également influencé
la méthodologie de l’étude de la pédagogie salésienne, préférant la logique
259 Voir virtual.ucdb.br/salesianidade.
260 Cf. González, Proyecto formativo de directivos y educadores, in Orlando (ed.),
Con don Bosco educatori dei giovani, 180-181 et le cours de formation pour tuteurs
des IUS Europe.
261 Cf. V. Orlando (ed.), Con don Bosco educatori dei giovani del nostro tempo. Actes
du Congrès international sur la pédagogie salésienne 19-21 mars Rome Salesianum/
UPS, LAS, Roma 2015.
262 Cf. les références à Evangelii Gaudium dans Á. Fernádez Artime, Ouverture de la
conférence, in Ibid, 13-14.

54.3 Page 533

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 533
d’une « mise à jour sectorielle » qui part des concepts centraux du domaine
de compétence de l’auteur pour ensuite créer des liens avec le système
préventif de Don Bosco ou les présumer implicites. L’avantage de ce type
d’approche est lié à l’étendue des références et au caractère pratique des
outils pédagogiques de chaque secteur. L’inconvénient, par contre, est le
danger de lier la pédagogie salésienne à (presque) n’importe quelle ten-
dance pédagogique contemporaine, en négligeant le lien avec les racines et
les équilibres de l’expérience fondatrice de Don Bosco.
Dans la perspective de Jean-Marie Petitclerc, le concept de la relation
éducative comme une alliance fondée sur la confiance et prévoyant le rôle
de l’éducateur comme médiateur occupe une place centrale. Le postulat
éducatif de la confiance s’exprime dans l’intime conviction de l’éducateur
que chaque jeune, aussi blessé soit-il par la vie, possède une zone de liberté
digne de confiance, qui rend possible une alliance avec lui. Il est essentiel
que le jeune perçoive que nous croyons et espérons en lui, quoi qu’il arrive.
La pédagogie salésienne serait donc une éducation à la fraternité, qui se
trouve dans l’imbrication de l’idéal du bon chrétien et de l’honnête citoyen,
et qui se développe à travers la communication, la prévention et la régula-
tion des conflits.263 La proposition de l’auteur se place dans le contexte des
« droits de l’homme », mais le dépasse par son attention méthodologique.264
La pratique de l’éducation aux droits de l’homme est un autre axe pro-
mu au cours de cette période. Une enquête menée auprès des participants
au CG26 a permis de dégager des enseignements intéressants en termes de
sensibilité aux nouvelles pauvretés et aux nouveaux besoins. En général,
on s’accorde à dire que la promotion des droits est un moyen efficace pour
créer une société plus juste, mais on est plus sceptique quant à savoir si la
« voie éducative des droits » a un potentiel suffisant pour le développe-
ment de l’éducation salésienne ou est utile pour l’actualisation du système
préventif. Cette méfiance se retrouve surtout chez les salésiens européens
et américains.265 Le lien entre la logique des droits et l’évangélisation est
263 Cf. J.M. Petitclerc, Le système préventif repensé dans l’horizon actuel, in Ibid,
83-85 qui s’inspire de X. Thévenot (ed.), Éduquer à la suite de Don Bosco, DDB/
Cerf, Paris 1996.
264 Cf. J.M. Petitclerc, La pédagogie de Don Bosco en douze mots-clés, Éditions Don
Bosco, Paris 2012.
265 Cf. V. Orlando, La via dei diritti umani e la missione educativa pastorale salesiana

54.4 Page 534

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534 Pédagogie salésienne après Don Bosco
encore plus problématique,266 conformément aux principes exposés par
MacIntyre, Carr et Grządziel concernant la non-réductibilité de l’éduca-
tion morale à la seule logique des droits. La présentation des bonnes pra-
tiques lors des congrès de 2009 et de 2015 semble également confirmer
la tendance selon laquelle l’éducation aux droits, liée au domaine de la
pédagogie sociale, est bien présente dans les provinces salésiennes, bien
qu’il s’agisse d’un secteur limité et non inclus dans les activités principales.
En partant du social, on voit apparaître certaines conceptions et intui-
tions significatives, comme l’apprentissage du service, la résilience, l’em-
powerment et le principe de réciprocité. Le processus d’approfondissement
mené par les FMA de 1999 à 2007 sur le Système préventif et les situa-
tions de difficulté a permis de focaliser certains aspects de la méthode salé-
sienne.267 Mara Borsi trouve quelques points de rencontre entre la résilience
et le système préventif : la préventivité, la pédagogie environnementale, la
conception anthropologique ouverte à la transcendance et au mystère. La
qualité du système préventif est liée à des expériences relationnelles saines
et positives dans un environnement favorable.268 Le concept de résilience a
été repris, à la suite de Sœur Borsi, par plusieurs auteurs lors du congrès de
2015 : Carlo Loots, Colette Schaumont et Thierry Le Goaziou en parlent à
propos de l’éducateur et de sa nécessaire formation en la matière ; Thomas
Koshy relie le concept au paradigme de l’éducation « expressive »,269 qui
cherche à découvrir et à exprimer la qualité résiliente présente en chaque
oggi, Risultati della ricerca tra i capitolari del CG26 e prospettive operative, LAS,
Roma 2008, 108-114.
266 Cf. V. Orlando, I diritti umani come via efficace della missione educativa sale-
siana. Risultati della ricerca, in Dicastero Della Pastorale Giovanile Della
Congregazione Salesiana, Congresso Internazionale Sistema Preventivo e Diritti
Umani. 2-6 gennaio 2009 Roma, [s.e.], Roma 2009, 34-36.
267 Cf. M. Borsi - P. Ruffinatto (eds.), Sistema preventivo e situazioni di disagio. L’an-
imazione di un processo per la vita e la speranza delle nuove generazioni, LAS,
Roma 2008.
268 Cf. M. Borsi, Sistema preventivo e resilienza. Un possibile e fecondo dialogo, in
«Salesianum» 73 (2011) 2, 309-332.
269 Cf. la théorie de l’« expressive system » qui va au-delà du système préventif in P.
Gonsalves, Don Bosco’s Peace Culture. A Theory-based Study of his Response to
Conflicts, LAS, Rome 2022; Id., Educating for a Happy Life in Don Bosco’s Way. A
study guide for parents, educators and youth leaders of different faiths, Don Bosco
Institute of Technology – Tej-Presarini DB Communications, Mumbai 2011.

54.5 Page 535

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 535
jeune ; Rafael Bejarano accentue, au contraire, son potentiel transforma-
teur.270
Un autre aspect typique mis en évidence dans la réflexion de l’Institut
des FMA est la réciprocité comme expression de l’anthropologie relation-
nelle, fondée sur la vision de la vie comme un don et, en même temps,
comme un projet de liberté et de responsabilité éthique : « Le fait d’être
créés à l’image du Dieu unique et trine, selon la dualité homme-femme, est
le fondement de l’être relationnel de la personne qui existe en relation avec
l’autre et mûrit dans une dynamique continue de réciprocité ».271 Dans l’ho-
rizon du paradigme de la réciprocité, la relation est incluse et exprimée à
travers la catégorie de l’« accompagnement mutuel » et de l’empowerment,
l’accompagnateur étant compris comme la personne qui ne précède ni ne
suit l’autre, mais qui marche à ses côtés sur le même chemin, en lui indi-
quant les obstacles et en lui enseignant comment les éviter, et en l’aidant à
atteindre son objectif.272 Le principe de réciprocité est en corrélation avec
le modèle relationnel basé sur l’asymétrie et la complémentarité : les éduca-
teurs accordent du crédit et de l’espace à l’initiative et à la prise de décision
des jeunes, et ces derniers, se sentant estimés et acceptés, s’ouvrent à eux
avec confiance, leur offrant les richesses de leur personnalité. En outre, la
réinterprétation du système préventif dans la perspective de la réciprocité
conduit à se concentrer sur le thème de la familiarité.273 La réciprocité est
considérée comme le principe directeur qui favorise la communion en dé-
passant les barrières, les fragmentations et les dissonances également dans
la Famille salésienne et dans sa mission.274
270 Cf. Orlando (ed.), Con don Bosco educatori dei giovani, 168, 217-221, 258-272 et
341.
271 Nei solchi dell’alleanza. Progetto formativo delle Figlie di Maria Ausiliatrice, To-
rino (Leumann), LDC 2000, 28.
272 Cf. les références à l’approche de J.M. García, Accompagnamento spirituale dei
giovani: quadro di riferimento, in Id. (ed.), Accompagnare i giovani nello Spirito,
LAS, Roma 1998, 99-101.
273 Cf Comisión Escuela Salesiana América, II Encuentro continental de Educación
Salesiana. Hacia una cultura de solidaridad, Cuenca - Ecuador, Editorial Don Bo-
sco 2001, 153.
274 Cf. M. Borsi, Sistema preventivo, “sistema aperto”, in Orlando (ed.), Con don Bo-
sco educatori dei giovani, 120-131 et les inspirations fondatrices dans A. Colombo,
Educazione all’amore come coeducazione, in Aa. Vv., Educare all’amore. Actes de

54.6 Page 536

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536 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Une autre tendance dans le domaine pédagogique consiste à repen-
ser le volontariat dans les coordonnées de l’apprentissage par le service.
L’intention de transformer le monde, liée à l’image du volontariat dans les
années 1970-1980 et suivantes, s’enrichit d’un accent mis sur l’intégration
du projet de vie, du service rendu et du processus d’apprentissage. Préve-
nant la difficulté de faire sans apprendre, l’approche américaine poursuit
la synergie win-win-win entre le bénéfice des jeunes, celui des institutions
éducatives et celui des communautés locales.275 Dans le contexte salésien,
au niveau des réflexions, il convient de noter certaines idées présentes dans
les directives sur le volontariat dans la mission salésienne et dans le Cadre
de référence de 2014, qui mettent en évidence le potentiel transversal du
volontariat dans la croissance des jeunes.276 Plus spécifique, sur le thème
de l’apprentissage du service, est la publication éditée par plusieurs FMA
sous le titre « Didactique de la solidarité, service learning et pédagogie sa-
lésienne » qui combine les principes de la tradition pédagogique salésienne
avec un outil qui permet d’apporter méthodologiquement dans la didac-
tique scolaire ordinaire, dans la planification et dans l’évaluation certaines
intuitions typiques du charisme.277
Dans le domaine de l’innovation dans l’éducation formelle, il existe
également d’autres actualisations qui vont de la didactique constructiviste
à la gestion communautaire inclusive et à l’empowerment. L’exemple ty-
pique d’une actualisation sectorielle est la publication de Jorge Álvarez
Medrano sur l’approche constructiviste de la didactique qui est mise en
lien avec le système préventif de Don Bosco.278 Dans le sillage de Casotti
et ensuite de Ricaldone, qui ont vu en Don Bosco un précurseur de l’école
la XVIe Semaine de Spiritualité pour la Famille Salésienne, SDB Roma 1993, 97-
127.
275 Cf. M. Guardiani, Educazione alla prosocialità: impatto sulla maturazione dei
giovani, problemi aperti e potenziali soluzioni, in «Orientamenti Pedagogici» 65
(2018) 1, 133-144.
276 Cf. Dicastero PG, Quadro di riferimento, 32014, 157-161; Dicasteri per la Pasto-
rale Giovanile e per le Missioni, Il volontariato nella missione salesiana. Manuale
di Guida ed Orientamenti, Direzione Generale Opere Don Bosco, Roma 2008.
277 Cf. CIOFS Scuola FMA., Didattica della solidarietà. Service learning e pedagogia
salesiana, FrancoAngeli, Milano 2019.
278 Cf. J.Á. Medrano, Constructivismo y sistema preventivo. Una relectura cualitativa
de la obra maestra de Don Bosco, CCS, Madrid 2010.

54.7 Page 537

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 537
active, l’auteur propose l’approche didactique constructiviste comme étant
salésienne, parce que certains principes lui correspondent, mais sans créer
de liens fondamentaux entre tous les éléments importants qui la consti-
tuent. Le cours d’apprentissage à distance promu par les IUS d’Amérique
latine a évolué de manière similaire, en mettant fortement l’accent sur l’ap-
prentissage coopératif comme moyen concret d’actualiser l’éducation salé-
sienne dans un contexte universitaire.279
Dans le contexte des Institutions Universitaires Salésiennes (IUS) au-
tour du bicentenaire de la naissance de Don Bosco, le thème de l’inclusion
sociale du point de vue de la pédagogie salésienne a connu un développe-
ment important. La présence salésienne dans l’enseignement supérieur est
proposée comme une réponse au défi de la construction d’une société plus
juste et inclusive, en imprégnant la culture organisationnelle et formative
de l’humanisme chrétien qui forme les nouveaux leaders des générations
d’étudiants universitaires. Les séminaires ont abordé les aspects politiques,
économiques et éducatifs de la proposition d’une pédagogie salésienne qui
privilégie à la fois les interventions visant à prévenir la marginalisation ou
l’exclusion sociale et une méthodologie éducative qui construit un milieu
éducatif pluraliste et diversifié.280
6.3.7. Une conclusion ouverte entre le Synode et le Covid19
Autour du Synode de 2018 sur les jeunes, il y a eu une multitude d’ac-
tivités et de publications, comme c’est le cas typique pour un événement
ecclésial mondial de ce genre. Certains facteurs, tels que le rythme rapide
de la succession des différents Synodes pendant le pontificat du Pape Fran-
çois, les circonstances qui ont mis en doute la crédibilité de l’approche
de l’Église catholique par rapport aux jeunes, les oppositions traditiona-
listes-progressistes et la multiplicité des documents officiels autour du
Synode, ont diminué l’impact d’un thème très important pour l’avenir de
279 Pour une évaluation des cours, voir F.U. Botelho - R.M. Vicari, Evaluation of
Distance Course Effectiveness. Exploring the Quality of Interactive Processes, in
« Informática na Educação » 12 (2009) 1, 39-46.
280 Cf. M.S. Villagómez - R. Soffner - A. Rocchi - L. Marques (eds.), Desafíos de la
educación salesiana. Experiencias y reflexiones desde las IUS, Abya-Yala, Quito
2020, 379-521.

54.8 Page 538

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538 Pédagogie salésienne après Don Bosco
l’Église, qui nécessiterait cependant un temps beaucoup plus long pour
avoir des retombées concrètes dans son vécu pastoral. Il semble que même
au niveau salésien, l’accueil ait été plutôt modeste. Certaines réflexions ont
été faites lors de la conférence « Jeunes et choix de vie » qui s’est tenue à
Rome peu avant le Synode, d’autres devaient se concrétiser lors du CG28
en réponse à la question « quels salésiens pour les jeunes d’aujourd’hui ?».
Le congrès international de septembre 2018 a été organisé en collabo-
ration entre l’UPS et l’Auxilium, une étape importante dans la collabora-
tion des deux institutions. Le thème du Synode sur les jeunes, la foi et le
discernement vocationnel a été étendu à la catégorie des choix de vie, afin
de permettre une perspective éducative plus large dans le dialogue entre
les différentes sciences. Le parcours de la conférence a été ponctué de
sessions plénières calquées sur les trois actions : reconnaître, interpréter,
choisir.281
Dans la première session, À l’écoute des jeunes, on a pu percevoir la
portée internationale et interculturelle garantie par plusieurs centaines de
participants, les réflexions du panel sociologique, qui a offert (seulement)
quelques clés d’interprétation pour approfondir les modèles, les styles, les
valeurs et les choix de vie en Europe, en Amérique latine, en Asie et en
Afrique, et les résultats de la recherche parmi les équipes de pastorale des
jeunes des provinces des Salésiens de Don Bosco et des FMA du monde
entier. La deuxième session, Dialoguer pour discerner, était consacrée à
l’approfondissement de la relation entre les jeunes et les choix de vie du
point de vue de la réflexion anthropologique, philosophique, pédagogique
et pastorale, afin d’accompagner les jeunes dans la tâche de transition vers
la vie adulte et la construction de leur identité.
La troisième session, Perspectives éducatives dans une lecture ecclé-
siale et salésienne, a eu pour tâche de reprendre les défis qui sont apparus
dans la réflexion du congrès et de les réinterpréter à partir de l’apport ori-
ginal du charisme éducatif salésien. L’herméneutique de quelques sources
salésiennes, par Wim Collin et Eliane Petri, a offert l’opportunité de com-
parer l’expérience éducative et formative de saint Jean Bosco et de sainte
281 Cf. M. Vojtáš - P. Ruffinatto (eds.), Giovani e scelte di vita, Prospettive educative.
Actes du congrès international organisé par l’Université pontificale salésienne et la
Faculté pontificale des sciences de l’éducation Auxilium Rome, 20-23 septembre
2018, LAS, Roma 2019.

54.9 Page 539

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 539
Marie-Dominique Mazzarello, afin de faire ressortir dans les écrits des
deux fondateurs les attitudes et les valeurs, les modèles et les stratégies
qui aident les jeunes, garçons et filles, à mûrir dans leur vocation humaine
et chrétienne et de décrire les caractéristiques qui qualifient ceux qui les
accompagnent dans leurs choix de vie.
Dans un deuxième temps, à travers une réflexion pédagogique menée
par Piera Ruffinatto, on a voulu montrer comment l’éducation au choix est
une dimension essentielle de la méthode préventive, qui par sa nature même
vise à former des jeunes en tant que bons chrétiens et honnêtes citoyens,
et une méthode privilégiée pour éduquer des convictions, des systèmes de
sens et des cadres de référence sûrs pour la vie. Enfin, dans ma contribu-
tion, j’ai voulu offrir un aperçu de l’actualisation de la pédagogie du choix
et de la vocation et comparer les modèles d’avant et d’après Vatican II aux
besoins actuels, en relisant et en proposant un cadre et quelques outils pour
la pédagogie vocationnelle d’aujourd’hui. D’autres interventions, indiquées
dans le programme comme « communications » et « bonnes pratiques »,
ont ensuite proposé une actualisation des parcours d’accompagnement au
choix dans les différentes sphères de la vie : dans la pastorale scolaire et
universitaire, dans l’oratoire et l’animation, dans le volontariat et l’enga-
gement social, dans les parcours de préparation et d’accompagnement au
mariage, dans la pastorale professionnelle spécifique et, enfin, dans le do-
maine des nouveaux médias.
Les événements et les réflexions autour du Synode sur les jeunes ont
été l’occasion de percevoir l’imbrication et la complexité des différents
mondes de la jeunesse, des pratiques éducatives en place et des critères
pédagogiques, anthropologiques, théologiques et charismatiques. Ainsi
ils ont permis de revivre tes parcours d’une « formation intégrale » telle
qu’elle est décrite dans le Document final du Synode lui-même :
La situation actuelle se caractérise par une complexité croissante
des phénomènes sociaux et de l’expérience individuelle. Dans la
réalité de la vie, les changements qui se produisent s’influencent
mutuellement et ne peuvent être abordés de manière sélective. En
réalité, tout est lié : la vie familiale et l’engagement professionnel,
l’utilisation des technologies et la façon dont nous vivons la com-
munauté, la défense de l’embryon et celle du migrant. Le concret
nous parle d’une vision anthropologique de la personne dans son

54.10 Page 540

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540 Pédagogie salésienne après Don Bosco
ensemble et d’une manière de connaître qui ne sépare pas mais sai-
sit les connexions, apprend de l’expérience en la relisant à la lumière
de la Parole, et s’inspire de témoignages exemplaires plutôt que de
modèles abstraits. Cela appelle une nouvelle approche formative,
qui vise à intégrer les perspectives, à permettre de saisir l’imbri-
cation des problèmes et à savoir unifier les différentes dimensions
de la personne. Cette approche est profondément en phase avec la
vision chrétienne qui contemple dans l’incarnation du Fils la ren-
contre inséparable du divin et de l’humain, de la terre et du ciel.282
Un méta-message du pontificat du pape François, qui va au-delà des
sujets traités, concerne l’attitude fondamentale et le style d’action des chré-
tiens, pour construire une Église toujours plus proche des gens, plus mis-
sionnaire, plus ouverte et, enfin, plus synodale.283 Les processus synodaux,
qui ont également mis en lumière des désaccords et des résistances, ainsi
que les événements liés à la pandémie, qui ont paralysé le travail pastoral et
éducatif pendant une certaine période, nous ont rappelé que ce n’est ni une
fatalité ni un chemin facile. La pandémie a mis en lumière à la fois la fragi-
lité des systèmes, des personnes et des convictions et la résilience présente
dans la volonté de repenser, d’être fidèle de manière créative, et a rappelé
avec force qu’une manière de faire de l’éducation en allant « du papier à la
vie » ne peut pas fonctionner. En ajoutant d’autres critères et des slogans
abstraits et désincarnés aux listes, déjà trop pleines d’exigences pour une
éducation salésienne idéale, on ne ferait qu’augmenter la frustration des
éducateurs et la corrosion des objectifs éducatifs par une rhétorique vide,
la poursuite d’objectifs secondaires non déclarés et l’augmentation insou-
tenable de la distance entre l’idéal et la situation réelle.
« Quels salésiens pour les jeunes d’aujourd’hui ?», telle était la question
posée par le CG28, qui a toutefois été interrompu par l’urgence sanitaire et
n’a pu donner une réponse complète. Il semble toutefois que la convergence
aille davantage dans le sens du processus que du contenu : « Les salésiens
282 Sinodo dei Vescovi, XV Assemblea Generale Ordinaria, I giovani, la fede e il dis-
cernimento vocazionale. Documento finale. Il frutto dell’assemblea sinodale, LDC,
Torino 2018, no. 157.
283 Cf. S. Currò - M. Scarpa (eds.), Giovani, vocazione e sinodalità missionaria. La
pastorale giovanile nel processo sinodale, LAS, Roma 2019.

55 Pages 541-550

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55.1 Page 541

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 541
marchent avec les jeunes d’aujourd’hui ». Dans une période de crise et de
changement d’époque, il n’est pas possible de faire des révisions radicales,
mais on peut mettre à jour le charisme éducatif salésien en adoptant une
approche reconnaissante, fidèle, créative, synodale, transformatrice, ver-
tueuse et patiente.
Si nous entrons dans le paradigme des processus, nous pourrions pen-
ser que les pédagogues et les éducateurs qui projetaient en communauté à
partir des propositions de Don Vecchi, seraient aujourd’hui probablement
capables d’impliquer les laïcs de façon coresponsable dans la mission et
sauraient dans un futur proche marcher synodalement ensemble comme
Famille salésienne. Je pense que, au-delà de la diversité des termes et des
thèmes, il y a des équilibres typiques qui caractérisent l’éducation salé-
sienne et qui sont présents comme un fil rouge dans les périodes que nous
avons parcourues, même avec des accents différents. Ces principes inter-
connectés pourraient être développés selon une triple logique : un système
d’idées fondamentales interconnectées avec une méthodologie des proces-
sus et avec une formation de l’identité en vue d’une actualisation de la
pédagogie salésienne... mais ceci fera l’objet d’une autre publication.

55.2 Page 542

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542 Pédagogie salésienne après Don Bosco
6.4. Outils et ressources
6.4.1. Tableau chronologique
6.4.2. Bibliographie sélective
Alberich E. – Vallabaraj J., Communicating a Faith That Transforms. A
Handbook of Fundamental Catechetics, Kristu Jyoti, Bangalore 2004.
Attard F. – García M.A. (eds.), L’accompagnamento spirituale. Itinerario
pedagogico spirituale in chiave salesiana al servizio dei giovani, LDC,

55.3 Page 543

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6. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième millénaire 543
Torino 2014.
Bay M., Giovani Salesiani e accompagnamento. Risultati di una ricerca
internazionale, LAS, Roma 2018.
Borsi M., Sistema preventivo e resilienza. Un possibile e fecondo dialogo,
in «Salesianum» 73 (2011) 2, 309-332.
Borsi M. Ruffinatto P. (eds.), Sistema preventivo e situazioni di disagio.
L’animazione di un processo per la vita e la speranza delle nuove gene-
razioni, LAS, Roma 2008.
Bozzolo A. – Carelli R. (eds.), Evangelizzazione ed educazione, LAS,
Roma 2011.
Braido P., Don Bosco prete dei giovani nel secolo delle libertà, LAS,
Roma 2003.
Braido P., Prevenire non reprimere. Il sistema educativo di don Bosco,
LAS, Roma 22006.
Capitolo Generale 25 dei Salesiani di Don Bosco, La comunità salesiana
oggi. Documento Capitolare, SDB, Roma 2002.
Capitolo Generale 26 dei Salesiani di Don Bosco, “Da mihi animas, ce-
tera tolle”. Documento Capitolare, SDB, Roma 2008.
Capitolo Generale 27 dei Salesiani di Don Bosco, “Testimoni della ra-
dicalità evangelica”: Lavoro e temperanza. Documento Capitolare,
SDB, Roma 2014.
Capitolo Generale 28 dei Salesiani di Don Bosco, “Quali salesiani per i
giovani di oggi?”. Riflessione postcapitolare, SDB, Roma 2020.
Chávez Villanueva P., Cari Salesiani, siate santi!, in ACG 83 (2002) 374, 3-37.
Chávez Villanueva P., “Sei tu il mio Dio, fuori di te non ho altro bene”, in
ACG 84 (2003) 382, 3-28.
Chávez Villanueva P., Con il coraggio di Don Bosco nelle nuove frontiere
della comunicazione sociale, in ACG 86 (2005) 390, 3-46.
Chávez Villanueva P., Cristianità e prevenzione, in Università degli
Studi di Bari, L’educatore, oggi. Tratti per un profilo di san Giovan-
ni Bosco. Seminario di studio del 26 aprile 2006, Servizio Editoriale

55.4 Page 544

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544 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Universitario, Bari 2007, 11-28.
Chávez Villanueva P., La Missione Salesiana e i diritti umani in particolare i di-
ritti dei minori, in Dicastero PG, Sistema Preventivo e Diritti Umani, 77-85.
Chávez Villanueva P., “E si commosse per loro perché erano come pecore
senza pastore, e si mise a insegnare loro molte cose” (Mc 6,4). La Pas-
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Chávez Villanueva P., “Testimoni della radicalità evangelica”: Chiamati
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55.8 Page 548

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548 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Pontificia Salesiana e dalla Pontificia Facoltà di Scienze dell’Educa-
zione Auxilium Roma, 20-23 settembre 2018, LAS, Roma 2019.
6.4.3. Ressources en ligne
Sources, documents, recherches, publications en texte intégral, maté-
riel photographique, liés à ce chapitre.284
Bibliographie complète, index des auteurs, index des sujets pour l’en-
semble de la publication.285
284 Cf. salesian.online/pedagogia6
285 Cf. salesian.online/pedagogia-dopo-db

55.9 Page 549

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POSTFACE
J’ai accepté avec plaisir l’invitation que m’a faite Don Michal Vojtáš
d’écrire la préface de son précieux volume sur la Pédagogie salésienne
après Don Bosco. J’ai eu le privilège d’avoir entre les mains le brouillon
de son travail et, dès la première lecture, j’ai été très satisfait du sérieux de
l’œuvre, de son caractère scientifique et de sa capacité à suivre le chemin
tracé dans la Congrégation par l’expérience éducative de Don Bosco et son
« traité pédagogique » sur le système préventif, où il a voulu mettre par
écrit, à la suite de nombreuses demandes, ce qui se cachait derrière son
art éducatif, jusqu’à aujourd’hui. De ce point de vue, ses recherches et son
exposé sont très complets et actualisés.
Dès le début, Don Vojtáš a clairement indiqué ce qu’il avait l’intention
de faire et la mise en œuvre qui s’en est suivie. Cela l’a aidé à faire preuve
de rigueur dans le traitement des différents « moments » de l’expérience
éducative et de la réflexion pédagogique. J’ai beaucoup apprécié le cadre
historique de chacune de ces périodes, également parce qu’il a essayé de
retracer le cadre social, politique et culturel dans les différentes régions du
monde.
La tentative de Don Pietro Ricaldone1 de « définir » l’éducation salé-
sienne, bien que des travaux aient été réalisés avant lui par les « conseillers
scolaires » de la Congrégation et par des essayistes comme Don Cerruti et
Don Caviglia, en fait un point de référence dans l’évolution de la pédagogie
1 Cf. P. Ricaldone, Don Bosco Educatore, Libreria Dottrina Cristiana, Colle Don
Bosco (Asti) 1951.

55.10 Page 550

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550 Pédagogie salésienne après Don Bosco
salésienne, d’autant plus qu’il s’agit de son « testament » écrit ou recueilli
à la fin de son long et fructueux rectorat. L’auteur le considère à juste titre
comme une première tentative de faire de la « pédagogie ».
Mais ce sera Don Pietro Braido, surtout le Braido spécialiste de la
philosophie de l’éducation, de l’histoire de la pédagogie, et finalement pé-
dagogue lui-même, qui sera le premier vrai « pédagogue salésien », avant
de se cantonner dans l’histoire pour écrire son chef-d’œuvre en deux vo-
lumes Don Bosco, prêtre des jeunes au siècle des libertés.2 Lui-même est
passé par différentes étapes jusqu’à conclure que le caractère propre de
la « pédagogie salésienne » sera de compter avec un noyau fondamental
qui la constitue et qui est le système préventif de Don Bosco, auquel s’en
ajoutera un autre, à savoir la nécessité de « mettre à jour et d’inculturer »
chaque fois les éléments constitutifs afin d’éviter de tomber dans la réci-
tation de slogans vides de contenu : ce que signifie aujourd’hui raison-re-
ligion-amorevolezza ; ce que signifie aujourd’hui être père-ami-frère ; ce
que signifie aujourd’hui être un « bon chrétien et un honnête citoyen », etc.
Il n’y a aucun doute que c’est le CGS qui a été le Chapitre du chan-
gement profond dans la Congrégation, dans tous les sens du terme, pour
répondre à l’appel du Concile Vatican II, à l’époque des grands change-
ments sociaux, culturels et ecclésiaux, le Chapitre qui, avec le CG21, a
pris cela au sérieux, bien que n’étant pas un congrès de chercheurs, ni une
simple assemblée de confrères, mais une véritable assemblée capitulaire
qui comptait des experts dans le domaine des sciences de l’éducation, à
commencer par Braido, et des confrères totalement immergés dans le do-
maine de l’éducation formelle, non formelle et informelle.
C’est pourquoi la lettre de Don Egidio Viganò3 a une grande valeur,
précisément parce qu’elle présentait le fruit du travail capitulaire du CG21,
qui sera ensuite le point de départ de Don Vecchi comme conseiller pour la
pastorale des jeunes, après l’expérience de Don Giovenale Dho, Don Rosa-
lio Castillo, Don Gaetano Scrivo. Juste pour dire que ce n’est pas comme
si cette pensée avait poussé comme un champignon.
À partir de ce moment, ce sera Don Juan Edmundo Vecchi,4 avec son
2 Cf. P. Braido, Il sistema educativo di Don Bosco, SEI, Torino 1971.
3 Cf. E. Viganò, Il progetto educativo salesiano, in ACS 59 (1978) 290, 3-42.
4 Cf. J. Vecchi, Pastorale, educazione, pedagogia nella prassi salesiana, in Vecchi -
Prellezo (eds.), Prassi educativa pastorale e scienze dell’educazione, SDB, Roma

56 Pages 551-560

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56.1 Page 551

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Postface 551
dicastère, qui élaborera non pas tant une théorie que la mise en pratique du
changement dans l’approche de notre présence dans le domaine éducatif,
ce qui impliquait une configuration différente du Conseil général. Il suffit
de dire que c’est Don Antonio Domènech qui a exposé dans le premier
Cadre de référence ce qui avait été fait jusqu’alors.
Dans son livre, Don Vojtáš définit les différentes périodes de la Congré-
gation du point de vue du genre de travail, c’est-à-dire de l’évolution de la
« pédagogie salésienne ». Cela signifie que, tout en se référant à l’histoire,
d’où les citations du livre de Morand Wirth (Don Bosco en son temps), il
ne prétend pas faire une évaluation des rectorats, qui est quelque chose de
beaucoup plus complexe, comme l’est la vie de la Congrégation dans la di-
versité des contextes, situations, types d’œuvres et d’activités, rapidité. En
effet, lorsque nous rencontrions la Commission préparatoire des Sources
salésiennes, nous n’avons pas voulu aller au-delà de Don Ricaldone, en rai-
son du manque de distance historique. Et j’ai demandé que dans le congrès
historique de novembre 2015 il y ait une conférence du RM sur l’évolution
de la Congrégation depuis le Concile Vatican II, parce qu’il me semblait
que, même en admettant ce qui a été écrit avant, on risquait de présenter
une Congrégation qui n’existe plus aujourd’hui.
En effet, les milieux et les contextes sociaux et ecclésiaux ont été pro-
fondément transformés. Les jeunes ont de nouvelles valeurs et de nou-
veaux critères de vie, qui constituent une véritable nouvelle culture ; les
liens traditionnels de transmission culturelle et religieuse (famille, école,
Église...) ont été affaiblis et souvent rompus. La situation dans laquelle
l’engagement éducatif et pastoral doit être mis en œuvre est diversifiée et
en constante évolution. Il n’est donc pas possible de se limiter à de petits
ajustements des pratiques traditionnelles, ni de penser à un schéma d’ac-
tion qui soit le même pour tous.
C’est pourquoi, il y a déjà quelque temps, avec cette conscience de
plus en plus explicite, on a commencé à concevoir une « nouvelle » pré-
sence salésienne parmi les jeunes,5 une « nouvelle évangélisation »,6 une
1988, 123-150.
5 Cf. P. Chávez Villanueva, Insieme per i giovani dell’Europa. Intervento finale del
Rettor Maggiore nell’incontro degli Ispettori dell’Europa, 5 dicembre 2004. ACG
86 (2005) 388, 113-115.
6 Cf. E. Viganò, La nuova evangelizzazione, in ACS 70 (1989) 331, 3-43.

56.2 Page 552

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552 Pédagogie salésienne après Don Bosco
« nouvelle éducation »,7 voire un « nouveau système préventif ».8 Par ces
affirmations, on a voulu exprimer précisément la nécessité de repenser et
d’approfondir les contenus et l’approche de l’éducation et de la pastorale
salésienne en réponse à la nouvelle situation des jeunes.
Redécouvrir le système préventif
Je voudrais rappeler qu’en préparation du bicentenaire de la naissance
de Don Bosco, j’ai consacré la deuxième année précisément à sa pédago-
gie.9 L’objectif était d’approfondir sa proposition éducative : ce que Don
Bosco entendait offrir aux jeunes et la méthode qu’il utilisait pour ouvrir
les portes de leur cœur, gagner leur confiance, former des personnalités
fortes du point de vue humain et chrétien. Il s’agit donc d’approfondir et
d’actualiser le système préventif.
Comme le programme s’adressait aux membres de la Famille salé-
sienne, notre approche ne pouvait être purement intellectuelle. D’une part,
il est certainement nécessaire d’approfondir la pédagogie salésienne afin
de l’actualiser en fonction de la sensibilité et des besoins de notre époque.
Aujourd’hui, les contextes sociaux, économiques, culturels, politiques et
religieux dans lesquels nous nous trouvons pour vivre notre vocation et
réaliser la mission salésienne ont profondément changé. D’autre part, pour
une fidélité charismatique à notre Père, il est également nécessaire de faire
nôtres le contenu et la méthode de son offre éducative et pastorale. Dans le
contexte de la société actuelle, nous sommes appelés à être des éducateurs
saints comme lui, donnant notre vie comme lui, travaillant avec et pour les
jeunes.
En regardant l’expérience éducative de Don Bosco, nous sommes appe-
lés à la revivre fidèlement aujourd’hui. Certes, nous sommes tous convain-
cus qu’en raison de certaines expressions et interprétations particulières,
son système préventif apparaît résolument « daté », dans la mesure où
7 Cf. E. Viganò. Nuova educazione, in ACG 72 (1991) 337, 3-43.
8 Cf. E. Viganò. Chiamati alla libertà. Riscopriamo il Sistema Preventivo educando
i giovani ai valori. Commento alla Strenna per il 1995, Istituto FMA, Roma 2014,
9-12.
9 Cf. P. Chávez Villanueva, Come Don Bosco educatore, offriamo ai giovani il Van-
gelo della gioia attraverso la pedagogia della bont, in ACG 94 (2012) 415, 3-29.

56.3 Page 553

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Postface 553
il est lié à un monde qui n’existe plus. En fait, il y a eu une multitude
de « révolutions » aux niveaux pédagogique, psychologique, religieux,
politique, culturel, philosophique, technologique et démographique au
cours du XXe siècle. Le monde est devenu un « village global », imprégné
d’innovations médiatiques permanentes et globalisantes, qui influencent
toutes les cultures de la planète. Ce mode de pensée semble être marqué
par de nouveaux critères culturels de productivité, d’efficacité, de calcul
et de rationalité scientifique. Par conséquent, dans ce cadre de lecture des
phénomènes sociaux, de nombreuses anciennes catégories d’interprétation
semblent désormais dépassées.
Maintenant, pour une mise à jour correcte du système préventif, plutôt
que de penser immédiatement à des programmes, des formules, ou de ré-
péter des « slogans » génériques bons pour toutes les saisons, aujourd’hui
notre effort - ai-je écrit - sera celui d’une compréhension historique de la
méthode de Don Bosco, sachant que des considérations particulières de
situation ont donné lieu aux approches de principe, aux élaborations théo-
logiques, anthropologiques, pastorales, pédagogiques qu’il a jugées appro-
priées pour les jeunes de son temps. Cette compréhension historique de-
vrait nous aider à ne pas isoler son expérience, mais à l’appliquer, avec ses
principes, de manière nouvelle. Concrètement, il s’agit d’analyser combien
son œuvre a été différente pour les jeunes, pour le peuple, pour l’Église,
pour la société, pour la vie religieuse, et aussi combien a été différente
sa façon d’éduquer les jeunes du premier Oratoire festif, du petit sémi-
naire du Valdocco, des clercs salésiens et non salésiens, des missionnaires.
Cela n’enlève rien au fait que, déjà dans le premier Oratoire de la maison
Pinardi, il y avait quelques intuitions importantes qui, plus tard, seraient
acquises dans leur valeur plus profonde de synthèse humaniste-chrétienne
complexe :
a) une structure souple (c’est ainsi que Don Bosco pensait l’Oratoire)
en tant qu’œuvre médiatrice entre l’Église, la sociét urbaine et les
groupes de jeunes du milieu populaire ;
b) le respect et la mise en valeur du milieu populaire ;
c) la religion comme base de l’éducation selon l’enseignement de la
pédagogie catholique qui lui a ét transmise au Convitto ;
d) l’imbrication dynamique entre formation religieuse et développement

56.4 Page 554

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554 Pédagogie salésienne après Don Bosco
humain, entre catéchisme et éducation. En d’autres termes, la conver-
gence entre l’éducation et l’éducation la foi (intégration foi-vie) ;
e) la conviction que l’éducation est un outil essentiel pour éclairer l’esprit ;
f) l’éducation, ainsi que la catéchèse, qui est développée dans toutes
les expressions compatibles avec l’étroitesse du temps et des res-
sources : l’alphabétisation de ceux qui n’ont jamais pu bénéficier
d’une quelconque forme de scolarisation, le placement profession-
nel, l’assistance durant la semaine, le développement d’activités as-
sociatives et mutualistes, etc.
g) le plein emploi et l’amélioration du temps libre ;
h) l’amorevolezza comme style éducatif et, plus généralement, comme
mode de vie chrétien.
À partir de la dynamique de son expérience particulière, cette méthode,
appelée à partir d’un certain moment le « système préventif », est devenue
un « système » publicisé et présenté comme une méthode universelle. Don
Bosco l’a proposé et a voulu qu’il soit adopté pour l’éducation et la réédu-
cation des jeunes appartenant aux groupes les plus variés.
Comme on le sait, et comme on peut le lire dans la Charte d’identité de
la Famille salésienne, le Système préventif « représente l’essence de la sa-
gesse pédagogique de Don Bosco et constitue le message prophétique qu’il
a laissé à ses héritiers et à toute l’Eglise. Il s’agit d’une expérience spiri-
tuelle et éducative fondée sur la raison, la religion et l’amour bienveillant.
La raison met en avant les valeurs de l’humanisme chrétien, telles que
la recherche de sens, le travail, l’étude, l’amitié, la gaieté, la piété, la liberté
non séparée de la responsabilité, l’harmonie entre la sagesse humaine et la
sagesse chrétienne.
La religion signifie faire place à la Grâce qui sauve, cultiver le désir de
Dieu, favoriser la rencontre avec le Christ Seigneur dans la mesure où il
offre un plein sens à la vie et une réponse à la soif de bonheur, et s’insérer
progressivement dans la vie et la mission de l’Église.
L’amorevolezza exprime la nécessité pour les jeunes non seulement
d’être aimés, mais aussi de savoir qu’ils sont aimés, afin d’initier une rela-
tion éducative efficace ; c’est un style particulier de relations et un amour
bienveillant qui éveille les énergies du jeune cœur et les fait mûrir jusqu’au
don de soi.

56.5 Page 555

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Postface 555
La raison, la religion et l’amour bienveillant sont aujourd’hui, plus que
jamais, des éléments indispensables de l’éducation et des ferments pré-
cieux pour créer une société plus humaine, en réponse aux attentes des
nouvelles générations ».10
Une fois que nous connaissons correctement ce qui nous a été transmis
du passé, il est nécessaire de traduire dans le présent les grandes intui-
tions et les vertus du système préventif. Il est nécessaire de moderniser ses
principes, ses concepts et ses orientations primaires, en réinterprétant sur
le plan théorique et pratique les grandes idées de base, que nous connais-
sons tous (« la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes » ; « foi vi-
vante, espérance ferme, charité théologique-pastorale » ; « le bon chrétien
et l’honnête citoyen » ; « joie, étude et piété » ; « santé, étude et sainteté » ;
« piété, moralité, culture, civilité » ; « évangélisation et civilisation »... ),
ainsi que les grandes orientations méthodologiques (« être aimé avant d’être
craint » ; « raison, religion, bonté aimante » ; « père, frère, ami » ; « familiari-
té, surtout dans la récréation » ; « gagner le cœur » ; « l’éducateur “consacré”
au bien de ses élèves » ; « ample liberté de sauter, courir, crier à volonté » ...).
Et tout cela au profit de la formation des « nouveaux » jeunes du XXIe
siècle, appelés à vivre et à affronter un éventail vaste et sans précédent de
situations et de problèmes, en des temps résolument changés, dans lesquels
les sciences humaines elles-mêmes sont soumises à une réflexion critique.
En particulier, je voudrais suggérer trois perspectives, en analysant la pre-
mière de manière plus approfondie.
1. La relance de l’« honnête citoyen » et du « bon chrétien ».
Dans un monde profondément changé par rapport à celui du XIXe
siècle, faire fonctionner la charité selon des critères étroits, locaux et prag-
matiques (et ici nous devons reconnaître que Don Bosco n’était certaine-
ment pas en mesure de faire plus que ce qu’il a fait), oublier les dimen-
sions plus larges du bien commun, national et mondial, serait une grave
carence d’ordre sociologique et même théologique. La maturation éthique
de la conscience contemporaine a en effet révélé les limites d’une forme
d’assistance qui, oubliant la dimension politique du sous-développement,
10 Charte d’identité charismatique de la Famille salésienne de Don Bosco, Rome
2012, art. 21.

56.6 Page 556

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556 Pédagogie salésienne après Don Bosco
ne parvient pas à avoir une influence positive sur les causes de la pauvreté,
sur les structures de péché d’où jaillit un contexte social que tout le monde
a toujours dénoncé. Concevoir la charité uniquement comme une aumône,
comme une aide d’urgence, c’est courir le risque d’évoluer dans la sphère
d’un « faux samaritain » qui, au-delà des bonnes intentions, finit parfois
par devenir l’expression d’une solidarité médiocre, parce qu’elle sert des
modèles de développement qui visent le bien-être des uns, tout en dorant la
pilule amère pour les autres.
Rappelons-nous que dans la période postconciliaire, les mots « pau-
vreté de l’Église » et « Église des pauvres » ont eu de nombreux visages,
même contradictoires, et pourtant nous devons aussi nous rappeler que
nous n’avons pas inventé l’Évangile, tout comme nous n’avons pas inventé
son impact tragique sur la politique et l’économie. La foi touche l’histoire,
sans pour autant s’y réduire. Si l’amour du prochain n’est pas tout le mes-
sage chrétien, peut-on nier qu’il est central et essentiel ?
Il a été dit et écrit que, face à l’État moderne qui a pris en charge la pro-
tection et l’assistance sociale des citoyens, l’Église n’avait plus la possibilité
d’intervenir au niveau de la charité et de l’assistance qu’elle avait dans le pas-
sé. La réalité que nous vivons aujourd’hui dément cette hypothèse qui avait
nourri les idéologies laïcistes et étatistes. L’Église revient souvent comme
point de référence, même au sein de l’État-providence. Pendant de nom-
breuses années, nous avons entendu dire que la charité et l’assistance étaient
des outils anciens et inutilisables, qu’ils ne pouvaient plus être utilisés dans
la société moderne et dans l’État démocratique. Aujourd’hui, même dans les
milieux laïcs, on reconnaît la fonction sociale du bénévolat chrétien, de ce
que l’on appelle le troisième secteur - non lucratif - des initiatives qui partent
des paroisses, des associations, des institutions, des Églises locales....
Alors que des milliards de personnes vivent aujourd’hui dans des condi-
tions très éloignées de cette « civilisation de l’amour » prônée par le pape Paul
VI et réaffirmée par ses successeurs jusqu’au pape François et à son encyclique
Fratelli tutti (Tous frères), peut-on trouver « une réponse spécifique » dans la
formule de Don Bosco de « l’honnête citoyen et du bon chrétien »?
En ce qui concerne l’honnête citoyen, une réflexion profonde est néces-
saire, et celle-ci a été aidée par la dernière étrenne 2020 du recteur majeur
« Bons chrétiens, honnêtes citoyens ». Tout d’abord, au niveau spéculatif,
il s’agit d’élargir notre vision à tous les contenus relatifs au thème de la
promotion humaine, juvénile et populaire, tout en prêtant attention aux

56.7 Page 557

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Postface 557
diverses considérations qualifiées de philosophiques, anthropologiques,
théologiques, scientifiques, historiques et méthodologiques pertinentes.
Cette réflexion doit ensuite être concrétisée au niveau de l’expérience
et de la réflexion opérationnelle des individus et des communautés. Je vou-
drais rappeler ici que, pour les salésiens de Don Bosco, un Chapitre général
de grande importance, le CG 23, avait indiqué comme lieux et objectifs
importants de l’éducation la « dimension sociale de la charité » et « l’édu-
cation des jeunes à l’engagement et à la participation à la politique », « un
domaine que nous avons quelque peu négligé et méconnu ».11
Si, d’une part, nous pouvons comprendre le choix de Don Bosco de
ne pas faire autre chose que « la politique du Notre Père » incluse dans la
phrase évangélique qu’il a lui-même citée « Que ta volonté soit faite sur la
terre comme au ciel » (Mt 6,10), d’autre part, nous devons aussi nous de-
mander dans quelle mesure son choix initial d’une éducation au sens strict,
et la pratique conséquente de ses éducateurs d’exclure la « politique » de
leur propre vie, n’ont pas conditionné et limité l’importante dimension so-
cio-politique dans la formation des jeunes. Outre les difficultés objectives
créées par les différents régimes politiques avec lesquels Don Bosco a dû
vivre, les éducateurs enclins au conformisme, à l’isolationnisme, avec une
culture insuffisante et une mauvaise connaissance du contexte histori-
co-social, n’y ont-ils pas également contribué ?
Nous devons donc aller dans le sens d’une reconfirmation actualisée du
« choix socio-politico-éducatif » de Don Bosco. Il ne s’agit pas de promou-
voir un activisme idéologique, lié aux choix politiques de tel ou tel parti,
mais de former une sensibilité sociale et politique, qui conduit de toute
façon à investir sa vie comme une mission pour le bien de la communauté
sociale, avec une référence constante aux valeurs humaines et chrétiennes
inaliénables. Il s’agit donc de travailler à une mise en œuvre pratique plus
cohérente dans le domaine spécifique. En d’autres termes, la reconsidéra-
tion de la qualité sociale de l’éducation - déjà présente, quoique de ma-
nière imparfaite, dans l’option fondamentale de la jeunesse, même du point
de vue des déclarations et des formules - devrait encourager la création
d’expériences explicites d’engagement social au sens le plus large. Mais
cela présuppose également un engagement théorique et vital spécifique,
inspiré par une vision plus large de l’éducation elle-même, ainsi que par
11 Cf. CG 23, nos. 203; 210; 212; 214.

56.8 Page 558

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558 Pédagogie salésienne après Don Bosco
le réalisme et le caractère concret. Les proclamations et les manifestes ne
suffisent pas. Nous avons également besoin de concepts théoriques et de
projets opérationnels concrets à traduire en programmes bien définis et
articulés. C’est précisément ce à quoi le pape François a voulu nous appeler
avec le Pacte mondial pour l’éducation et avec Léconomie de François.
Ceux qui se préoccupent réellement de la dimension éducative tentent
d’utiliser des moyens politiques pour l’influencer afin qu’elle soit prise en
compte dans tous les domaines : de l’urbanisation et du tourisme au sport
et à la radiodiffusion, où les critères du marché sont souvent privilégiés.
Et on devrait en dire autant de la relance du « bon chrétien ». Don Bos-
co, « brûlant » de zèle pour les âmes, a compris l’ambiguïté et le danger
de la situation, a remis en question ses présupposés, a trouvé de nouveaux
moyens de s’opposer au mal avec les rares ressources (culturelles, écono-
miques...) dont il disposait.
Il s’agit de révéler et d’aider à vivre consciemment la vocation de
l’homme, la vérité de la personne. Et c’est précisément en cela que les
croyants peuvent apporter leur contribution la plus précieuse.
Ils savent en effet que l’être et les relations de la personne sont définis
par sa condition de créature, qui n’indique pas une infériorité ou une dé-
pendance, mais un amour gratuit et créateur de la part de Dieu. L’homme
doit son existence à un don. Il est placé dans une relation avec Dieu qui
doit être réciproque. Sa vie ne trouve aucun sens en dehors de cette rela-
tion. L’« au-delà », qu’il perçoit et désire vaguement, est l’absolu, non pas
un absolu étranger et abstrait, mais la source de sa vie qui l’appelle à elle.
Dans le Christ, la vérité de la personne, que la raison saisit initialement,
trouve son illumination totale. Jésus-Christ, par ses paroles mais surtout
en vertu de son existence humano-divine, dans laquelle se manifeste la
conscience d’être le Fils de Dieu, ouvre la personne à la pleine compréhen-
sion d’elle-même et de son destin.
En Lui, nous devenons fils, appelés à vivre comme tels dans l’histoire.
C’est une réalité et un don, dont l’homme doit pénétrer progressivement le
sens. La vocation d’enfant de Dieu n’est pas un luxe, un ajout extrinsèque
à l’épanouissement de l’homme. Au contraire, c’est son épanouissement
total, la condition indispensable de l’authenticité et de la plénitude, la satis-
faction de ses besoins les plus radicaux, ceux qui font partie de sa structure
même de créature.
Mais comment actualiser le « bon chrétien » de Don Bosco ? Comment

56.9 Page 559

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Postface 559
sauvegarder aujourd’hui la totalité humano-chrétienne du projet dans des
initiatives formellement ou majoritairement religieuses et pastorales, contre
les dangers des anciennes et nouvelles formes d’intégrisme et d’exclusi-
visme ? Comment transformer l’éducation traditionnelle, dont le contexte
était « une société mono-religieuse », en une éducation ouverte et en même
temps critique face au pluralisme contemporain ? Comment éduquer les
gens à vivre de manière autonome tout en participant à un monde mul-
ti-religieux, multiculturel et multi-ethnique ? Face au dépassement actuel
de la pédagogie traditionnelle de l’obéissance, adaptée à un certain type
d’ecclésiologie, comment promouvoir une pédagogie de la liberté et de la
responsabilité, visant à former des personnes responsables, capables de
prendre des décisions libres et mûres, ouvertes à la communication in-
terpersonnelle, activement insérées dans les structures sociales, dans une
attitude non-conformiste mais constructivement critique ?
2. Un retour aux jeunes avec plus de qualification
C’est parmi les jeunes que Don Bosco a développé son mode de vie, son
héritage pastoral et pédagogique, son système, sa spiritualité. L’unicité de
la mission des jeunes chez Don Bosco a toujours été réelle, même lorsque,
pour des raisons particulières, il n’était pas matériellement en contact avec
les jeunes, même lorsque son action n’était pas directement au service des
jeunes, même lorsqu’il défendait avec ténacité son charisme de fondateur
pour tous les jeunes du monde, face à la pression d’ecclésiastiques pas tou-
jours bien éclairés. La mission salésienne est consécration, elle est « pré-
dilection » pour les jeunes, et cette prédilection, à l’état initial, nous le
savons, est un don de Dieu, mais c’est à notre intelligence et à notre cœur
de la développer et de la perfectionner.
Le vrai salésien ne déserte pas le domaine de la jeunesse. Un salésien
est quelqu’un qui a une connaissance vitale des jeunes : son cœur bat là où
bat le cœur des jeunes. Le salésien vit et travaille pour eux, s’engageant à
répondre à leurs besoins et à leurs problèmes ; ils sont le sens de sa vie :
travail, école, affectivité, temps libre. Un salésien est quelqu’un qui a aussi
une connaissance théorique et existentielle des jeunes, qui lui permet de
découvrir leurs besoins réels, de créer une pastorale des jeunes appropriée
aux besoins de l’époque.
La fidélité à notre mission, pour être incisive, doit être mise en contact

56.10 Page 560

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560 Pédagogie salésienne après Don Bosco
avec les « nœuds » de la culture actuelle, avec les matrices de la men-
talité et du comportement d’aujourd’hui. Nous sommes confrontés à de
véritables grands défis, qui exigent une analyse sérieuse, des observations
critiques pertinentes, une confrontation culturelle approfondie et la capaci-
té de partager psychologiquement la situation.
Lorsque j’ai présenté aux capitulaires du CG28 un commentaire de la
« Lettre de Rome du 10 mai 1884 », j’ai dit qu’il me semblait éclairant et sti-
mulant de traiter le thème du Chapitre : « Quel salésien pour les jeunes d’au-
jourd’hui ? » parce qu’avec ce thème, dans l’esprit du recteur majeur, nous
avons voulu faire ressortir le désir de donner une réponse charismatique aux
jeunes d’aujourd’hui, surtout les plus pauvres et les exclus. Cela nécessite des
salésiens préparés et prêts à travailler avec l’esprit, le cœur et les mains de
Don Bosco dans l’Église et dans la société, et qui accompagnent les jeunes
dans le monde du travail, dans le monde numérique, dans la défense de la
création, etc.12 Et tout cela devient un rappel de nos origines.
Et j’ai continué : Le danger, aujourd’hui comme hier, qui a fait écrire
à Don Bosco cette fameuse lettre, est la perte de la présence physique des
salésiens parmi les jeunes, de la capacité presque connaturelle de com-
prendre leur culture, et de l’amour transparent, familier, bon, qui révèle
Dieu et les conquiert à Dieu. C’est son testament spirituel, tant le ton qu’il
y a mis est vibrant et si sincère. Et il le fait pour recommander précisément
la présence parmi les jeunes (redécouvrir l’assistance salésienne), cette
familiarité d’autrefois (accompagnement), qu’il faut absolument récupérer,
et qu’on doit cultiver surtout dans les loisirs, dans le temps libre, dans les
structures ouvertes, en étant parmi les jeunes, en partageant leur vie et en
prenant au sérieux leurs rêves, jour après jour (une pastorale des jeunes
et des vocations rajeunie). Tous ces éléments sont amplement développés
dans le Document final du Synode sur la jeunesse et dans la Lettre aposto-
lique post-synodale Christus vivit.13 Tout cela exige un salésien en état de
formation permanente, en mission, en communion avec les laïcs.
Et la lettre – comme le note Don Caviglia14 – ne parle de rien d’autre
12 Cf. A. Fernández Artime, Quali Salesiani per i giovani di oggi? Lettera di convo-
cazione del Capitolo Generale 28º, in ACG 99 (2018) 427, 3-33.
13 Cf. R Sala, Entrevista a don Rossano Sala. Secretario especial del Sínodo, dans
«Mision Jóven» (2019) 510-511, 5-16.
14 Cf. A. Caviglia, Conferenze sullo spirito salesiano, edizione curata da don Aldo

57 Pages 561-570

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57.1 Page 561

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Postface 561
que de la vie des salésiens en récréation. D’où la valeur de la « cour »
comme catégorie qui comprend toutes les activités qui placent le jeune
dans une atmosphère de spontanéité, favorisant son protagonisme et sa
libre expression : parce que c’est là qu’il se montre tel qu’il est, ouvrant
ainsi la porte à son intériorité, disponible ensuite pour accueillir les stimuli
qui lui sont offerts ; toujours à condition que l’éducateur, protagoniste avec
lui et spontané comme lui, ouvre sa propre intériorité pour en faire sortir
les biens vitaux qui font de lui un adulte, un croyant, un éducateur. C’est à
ce moment-là que se déclenche la communication éducative, de l’éducateur
au jeune et du jeune à l’éducateur, faisant naître ce prodige qui est, dans les
deux cas, un enrichissement en humanité.
La cour d’hier et d’aujourd’hui : c’est là que se situe la pédagogie sa-
lésienne et avec elle la mission ; de là se dégage l’un des plus grands défis
de l’éducation aujourd’hui : dans la famille, dans l’école et dans toute autre
institution éducative formelle, non formelle et informelle.
J’ai centré ensuite mon commentaire sur six passages de la lettre :
1) savoir utiliser le langage du cœur
2) comprendre les jeunes
3) avoir à cœur le bonheur
4) être présent
5) dépasser les formalismes
6) partager l’action
Je ne m’attarderai ici que sur les deux premiers.
Savoir utiliser le langage du cœur : Le langage de l’amour est toujours
l’objet d’une « étude assidue » dans le sens que Don Bosco donnait à ce
mot : préoccupation, engagement, passion. Et notre culture se caractérise
aussi par un manque d’attention au langage de l’amour, pire encore, par une
déformation des langages naturels de l’amour, des langages sexuel, affectif
et amical ; de sorte qu’une profonde méfiance s’insinue chez les jeunes :
l’amour est impossible, l’amour est un conte de fées, l’amour est une rareté
qui appartient à quelques privilégiés.
Le salésien doit être un étudiant passionné par le langage de l’amour ;
Giraudo, Centro Mariano Salesiano, Torino 1985, 60.

57.2 Page 562

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562 Pédagogie salésienne après Don Bosco
une leçon qu’il apprend non seulement en s’écoutant lui-même mais aussi
en écoutant les autres : leurs besoins, leurs sensibilités, leurs possibilités
d’expression et leur capacité à recevoir. Aujourd’hui, c’est - me semble-t-
il - le défi fondamental de l’éducateur : pour faire comprendre qu’il aime
vraiment, qu’il aime pour toujours, qu’il aime tout de cet être humain qui
se présente à lui et qui se révèle et change au fil du temps ; pour montrer
qu’il aime même face au rejet, à l’oubli, à la déformation ou au profit ; et
donc convaincre d’aimer, c’est-à-dire faire naître la conviction intérieure
que l’on est digne d’être aimé et, plus encore, que l’on est capable d’aimer
(et c’est la perception de sa propre valeur inaliénable, c’est le fondement
de sa dignité, c’est la racine de toute espérance authentique) ; et faire com-
prendre (mais c’est aussi une grâce) qu’il existe une Source, qui est pour
moi et pour toi, toujours ouverte et disponible, jamais épuisable dans sa
richesse inépuisable.
Comprendre les jeunes : Il y a donc un élément de rationalité qui doit
intervenir, ou plutôt un besoin de connaissance qui doit s’installer et guider
l’éducateur salésien : il s’agit de connaître les jeunes, de comprendre les
situations, les questions, les besoins pour savoir comment y faire face. Un
large éventail de connaissances scientifiques et techniques est nécessaire
pour interpréter la série de valeurs concrètement disponibles et assimilées
par les jeunes pour une croissance valable dans le présent et dans le futur.
Trop d’éducateurs insistent sur le négatif, sur le problématique, sur l’irra-
tionnel, sur le moralement inacceptable, pour se contenter du « non » à
confirmer fermement (souvent en alternance avec le laxisme) plutôt que du
« oui » à proposer avec intelligence (raison), intuition (amour) et courage
combiné à la prudence. La relation devient fonctionnelle et institutionnelle
(quand elle existe encore) ou est ouvertement ou subtilement rejetée, avec
tout ce patrimoine de valeurs que le salésien a en lui et qu’il voudrait (et
d’abord qu’il devrait) transmettre, s’il se veut et s’interprète comme un édu-
cateur.
La compréhension de la culture des jeunes est la base d’un engagement
dans la formation continue, qui nous permet de combler le fossé inévitable
entre nous et les jeunes. C’est cette compétence pédagogique qui, associée
à la sympathie et à l’assiduité, permet de vivre en harmonie avec les jeunes,
en trouvant les moyens de pénétrer leur cœur et de les gagner à la vie et à la
joie. Il me semble que c’est un aspect qui fait défaut dans certains milieux
salésiens ; il suffit de constater la superficialité avec laquelle on commente

57.3 Page 563

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Postface 563
la conduite des jeunes : le désir d’intus legere, de lire à l’intérieur et au-delà
de la donnée, ne transparaît pas ; ou bien il suffit de vérifier la difficulté que
nous éprouvons à tracer des objectifs et à planifier des parcours qui soient
le plus près possible des difficultés et des possibilités concrètes non pas
« des » jeunes, mais de « ces » jeunes. Parce qu’il reste vrai que si nous ne
savons pas « ce que les jeunes aiment », c’est-à-dire ce qui passe dans leur
monde intérieur comme intérêt, attirance, désir, rêve, il est difficile pour
eux de percevoir la valeur des objectifs éducatifs que nous proposons, qui
concernent l’engagement, le travail, le dévouement (tous les ingrédients du
véritable amour !), précisément ceux que Don Bosco suggère quand il parle
d’étude, de discipline, de mortification... « et qu’ils apprennent à faire ces
choses avec amour ».
3. Une éducation qui vient du cœur
Dans ces dernières décennies, les nouvelles générations salésiennes
éprouvent peut-être un sentiment de perplexité face aux anciennes formu-
lations du système préventif : soit parce qu’elles ne savent pas comment
l’appliquer aujourd’hui, soit parce qu’inconsciemment elles l’imaginent
comme un « rapport paternaliste » avec les jeunes. Au contraire, lorsque
nous regardons Don Bosco, vu dans sa réalité vécue, nous découvrons en lui
un dépassement instinctif et ingénieux du paternalisme éducatif inculqué
par une grande partie de la pédagogie des siècles qui l’ont précédé (1500-
1700) ; à cette époque, le discours pédagogique reflétait en fait la société
européenne, qui, même au niveau politique, était structurée de manière
paternaliste. La vie de Don Bosco, en revanche, est un tissu de relations
interpersonnelles avec les jeunes et les adultes, dont découle également son
enrichissement personnel. Mille épisodes et expressions en témoignent,
comme celle-ci : « Laissez-moi vous dire et que personne ne soit offensé :
vous êtes tous des voleurs ; je le dis et je le répète : vous m’avez tout pris
[...] ; il me restait encore ce pauvre cœur, dont vous m’aviez déjà complè-
tement volé les affections [...] ; ils se sont emparés de tout ce cœur, qui n’a
plus qu’un vif désir de vous aimer dans le Seigneur ».15 Ces déclarations
indiquent la symbiose, la modernité, l’actualité au-delà des étiquettes bien
15 G. Bosco. Lettera ai ragazzi di Lanzo (3 gennaio 1876), in Epistolario, a cura di
Francesco Motto, LAS, Roma 2012, vol. 5, 38.

57.4 Page 564

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564 Pédagogie salésienne après Don Bosco
connues : prévention, bonté, charité. La prise de possession du cœur, chez
Don Bosco, est une expression analogique et symbolique. Les jeunes ont
pénétré le cœur de Don Bosco, ils s’y sont retrouvés, ils en ont été enrichis,
ils en ont profité. Aujourd’hui, bien sûr, les modes de relations interperson-
nelles sont différents : société pluraliste, formes globales de connaissance,
internet, voyages, etc.
Et ici, je voudrais insérer une note sur « Système préventif et droits de
l’homme », car la Congrégation n’a aucune raison d’exister si ce n’est pour
le salut intégral des jeunes. Comme Don Bosco en son temps, nous ne
pouvons pas être spectateurs, nous devons être protagonistes de leur salut.
La lettre de Rome de 1884 nous demande aussi aujourd’hui de mettre « le
jeune au centre » comme un engagement quotidien dans toutes nos actions
et comme un choix de vie permanent dans chacune de nos communautés.
Pour cette raison, en vue du salut intégral des jeunes, l’Évangile et notre
charisme d’aujourd’hui nous demandent également de suivre le chemin des
droits de l’homme. Nous ne devons rien négliger pour le salut des jeunes ;
aujourd’hui, il ne nous serait pas possible de regarder un enfant dans les
yeux si nous ne promouvions pas aussi ses droits.
Il est vrai que depuis que la Congrégation s’est sentie interpellée par le
Card. Giovanni Battista Montini, en 1954, lui demandant d’accepter la pri-
son pour mineurs d’Arese et de se mesurer non pas avec les « bons » gar-
çons, mais avec ceux qui avaient été victimes d’expériences négatives, les
salésiens ont accepté le défi et ont donné naissance à une série de nouvelles
présences en faveur des jeunes de la rue, comme l’œuvre de Don Javier De
Nicolò en Colombie et de là dans toute l’Amérique latine, en Asie et en-
suite en Afrique pour les gamins soldats, pour les garçons exploités dans le
tourisme sexuel. Le tournant a été l’élargissement du concept de « préven-
tion » ou de « préventivité », compris non seulement comme l’impossibilité
morale pour les jeunes de pécher, mais comme la capacité d’endiguer ces
expériences négatives afin de reconstruire des personnalités saines et ro-
bustes, insérées dans la société et le monde du travail avec une garantie de
succès. Cela a conduit à une ouverture généreuse et créative aux nouvelles
frontières de la jeunesse, notamment aux nouvelles et anciennes formes de
pauvreté (enfants de la rue, drop-out, immigrants, etc.).
Cependant, ce travail parmi les enfants les plus pauvres, ceux qui
sont dans le besoin et ceux qui sont en situation de risque psychosocial,
n’était considéré que comme un type de travail d’assistance dans le cadre

57.5 Page 565

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Postface 565
du système préventif, mais sans avoir aucun rapport avec les droits de
l’homme, si ce n’est de dénoncer ses violations. Au contraire, le système
préventif et les droits de l’homme interagissent, s’enrichissent mutuelle-
ment. Le système préventif offre aux droits de l’homme une approche édu-
cative unique et innovante par rapport au mouvement de promotion et de
protection des droits de l’homme jusqu’ici caractérisé par la perspective
de la dénonciation « ex post », la dénonciation des violations déjà com-
mises. Le système préventif offre une éducation préventive aux droits de
l’homme, c’est-à-dire une action et une proposition « ex ante ».
En tant que croyants, nous pouvons dire que le système préventif offre
aux droits de l’homme une anthropologie qui s’inspire de la spiritualité
évangélique et voit comme fondement des droits de l’homme la donnée on-
tique de la dignité de toute personne « sans distinction aucune, notamment
de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou
de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de nais-
sance ou de toute autre situation ».16
De même, les droits de l’homme offrent au système préventif de nou-
velles frontières et possibilités de dialogue et de mise en réseau avec
d’autres acteurs afin d’identifier et d’éliminer les causes de l’injustice, de
l’iniquité et de la violence. Les droits de l’homme offrent également au
système préventif de nouvelles frontières et possibilités d’impact social et
culturel, en tant que réponse efficace au « drame de l’humanité moderne
que constitue le fossé entre l’éducation et la société, ainsi que le fossé entre
l’école et la citoyenneté ».17
Dans le nouveau contexte mondialisé, les droits de l’homme deviennent
un outil capable de transcender les étroites frontières nationales pour fixer
des limites et des objectifs communs, créer des alliances et des stratégies
et mobiliser des ressources humaines et économiques.
En guise de conclusion
Je voudrais conclure cette postface au livre de Don Michal Vojtáš en
le félicitant pour ce précieux trésor qu’il apporte non seulement à l’UPS,
16 C’est ce que dit l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
17 Cf. P. Chávez Villanueva, Educazione e cittadinanza. Lectio Magistralis per la
Laurea Honoris Causa, Genova, 23 aprile 2007.

57.6 Page 566

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566 Pédagogie salésienne après Don Bosco
mais à toute la Congrégation, qui aura l’occasion de mieux voir le chemin
parcouru par la « pédagogie salésienne », les défis actuels et ce que l’on
attend de nous aujourd’hui. Je vous remercie de l’occasion que vous m’avez
donnée de lire votre livre, dont j’ai vraiment goûté la lecture et qui m’a fait
beaucoup de bien, comme je suis sûr qu’il en fera à tous ceux qui l’auront
entre les mains, et mon avis ne saurait être meilleur : excellent ! J’espère
que le livre sera très bien accueilli et qu’il suscitera le désir de continuer à
réfléchir sur la « pédagogie salésienne », l’héritage inestimable que nous
a laissé Don Bosco pour l’efficacité de notre présence pastorale éducative
auprès des jeunes.
Don Pascual Chávez Villanueva, SDB

57.7 Page 567

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Postface 567
BIBLIOGRAPHIE, INDEX
ET AUTRES DOCUMENTS EN LIGNE
Les ressources suivantes sur la pédagogie salésienne peuvent être trou-
vées sur salesian.online :18
1. Bibliographie complète du volume
2. Index des auteurs
3. Index des thèmes
4. Index des diagrammes et des graphiques
5. Bibliothèque de référence de volumes en texte intégral
6. Enregistrements vidéo des conférences sur la pédagogie salésienne
7. Matériel multimédia et cours en ligne
18 Voir salesian.online/pedagogia-dopo-db. Le projet salesian.online est né de la col-
laboration du Centre d’études Don Bosco (Université pontificale salésienne, Rome)
et du Centre d’études sur les Filles de Marie Auxiliatrice (Faculté pontificale des
sciences de l’éducation « Auxilium », Rome). Sur le site, vous pouvez trouver des
documents originaux sous une forme fiable et citable: sources, études, recherches et
ressources numériques sur l’histoire, la pédagogie et la spiritualité salésiennes. Les
documents téléchargeables sont organisés par catégories, thèmes, auteurs, entités,
coordonnées temporelles et géographiques.

57.8 Page 568

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57.9 Page 569

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INDEX
PRÉFACE – 5
INTRODUCTION – 9
ABRÉVIATIONS – 18
1. FORMULATIONS PÉDAGOGIQUES DE LA PREMIÈRE
GÉNÉRATION SALÉSIENNE (1888-1917) – 19
1.1. La première génération des salésiens au passage du
siècle  – 20
1.1.1. Le défi de la « libre pensée » anticléricale – 21
1.1.2. La réaction de l’Église prise entre les nouveaux équilibres et le
conservatisme – 23
1.1.3 Identité et évolution de l’école salésienne  – 26
1.1.4. Deuxième révolution industrielle dans les dernières décennies
du XIXe siècle – 28
1.1.5. L’encyclique Rerum Novarum et une plus grande conscience so-
ciale chez les salésiens – 30
1.1.6. La naissance des écoles professionnelles et agricoles salé-
siennes  – 32
1.1.7. Autres œuvres sociales : oratoires, jardins d’enfants et internats
pour les jeunes travailleuses – 34

57.10 Page 570

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570 Pédagogie salésienne après Don Bosco
1.2. Les lignes pédagogiques des supérieurs dans une période de
grande expansion – 38
1.2.1. Michel Rua et la fidélité créative au système préventif de Don
Bosco – 38
1.2.2. Bonté et zèle de l’éducateur pour une éducation profonde et
durable – 43
1.2.3. Les orientations pour les oratoires et les anciens élèves – 46
1.2.4. Applications de Rerum novarum – 49
1.3. Les premières formulations de la pédagogie salésienne par
les collaborateurs de Don Bosco – 52
1.3.1. La Pédagogie sacrée de Giulio Barberis comme texte de forma-
tion de base – 52
1.3.2. Francesco Cerruti, premier conseiller scolaire – 62
1.3.3. Giuseppe Bertello et la transformation des ateliers en écoles
professionnelles – 69
1.4. Outils et ressources  – 73
1.4.1. Tableau chronologique  – 73
1.4.2. Bibliographie sélective  – 74
1.4.3. Ressources en ligne  – 79
2. PÉDAGOGIE PRATIQUE PAR OSMOSE CAPABLE
DE S’ADAPTER À LA SOCIÉTÉ MODERNE (1902-
1931) – 81
2.1. L’oratoire dans la société de masse et les missions à l’âge d’or
du colonialisme – 81
2.1.1. Le phénomène des loisirs et ses implications – 82
2.1.2. La société de masse et l’associationnisme croissant – 84
2.1.3. L’adaptation des oratoires salésiens au début du XXe siècle – 85
2.1.4. La première guerre mondiale et les salésiens – 98
2.1.5. L’après-guerre et l’avènement du fascisme – 101
2.1.6. L’âge d’or du colonialisme et les missions salésiennes – 104
2.1.7. Nouveaux types de présence salésienne – 113

58 Pages 571-580

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58.1 Page 571

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Index 571
2.2. Le magistère des Supérieurs généraux sur l’adaptation
flexible aux conditions réelles – 116
2.2.1. Les équilibres proposés par Paolo Albera autour de la fidélité et
de la piété en éducation  – 117
2.2.2. Filippo Rinaldi et la pratique d’une « saine modernité » – 122
2.2.3. Approche pédagogique de la nouveauté du système préven-
tif – 125
2.2.4. Paternité et union à Dieu comme fondements de l’éducation
salésienne – 126
2.2.5. Formation pédagogique par osmose et importance du stage
pratique – 131
2.2.6. Compagnies salésiennes, Action catholique et autres organisa-
tions de jeunesse – 134
2.3. Auteurs de pédagogie salésienne des années 1920 – 137
2.3.1. Fascie et la pédagogie expérientielle salésienne  – 138
2.3.2. Cimatti et son «Don Bosco educatore» dans sa confrontation
avec le positivisme – 142
2.3.3. Réflexions pédagogiques dans le monde francophone : Scaloni
et Auffray – 148
2.4. Outils et ressources – 153
2.4.1. Tableau chronologique – 153
2.4.2. Bibliographie sélective – 154
2.4.3. Ressources en ligne – 160
3. FIDÉLITÉ À SAINT JEAN BOSCO ET DISCIPLINE EN
DES TEMPS DIFFICILES (1929-1951) – 161
3.1. Le collège salésien, “l’île qui prévient” les influences des
temps difficiles – 162
3.1.1. Les régimes autoritaires et totalitaires qui éduquent un « homme
nouveau ». – 163
3.1.2. La mission éducative de l’Église et les effets de l’encyclique Divi-
ni Illius Magistri.  – 166
3.1.3. Compromis et équilibres salésiens autour de la canonisation de
Don Bosco – 169

58.2 Page 572

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572 Pédagogie salésienne après Don Bosco
3.1.4. Le collège salésien, institution éducative dominante et créatrice
de mentalité – 172
3.2. Directives du recteur majeur Pietro Ricaldone : fidélité, ca-
téchèse et études – 181
3.2.1. L’unité, la formation et l’étude scientifique à l’Institut supérieur
de pédagogie – 182
3.2.2. L’amour comme inspiration et la discipline comme moyen géné-
ral d’éducation – 186
3.2.3. Les développements de la catéchèse sous la forme de la « Croi-
sade ». – 190
3.2.4. La radicalisation de la question des divertissements – 196
3.2.5. Résumé : le paradigme du « collège assiégé ». – 200
3.3. Auteurs de pédagogie salésienne – 201
3.3.1. Leôncio da Silva et l’inspiration néo-thomiste de l’Institut supé-
rieur de pédagogie – 202
3.3.2. ‘“Don Bosco educatore” et les paradoxes d’un manuel “magis-
tral” de pédagogie. – 208
3.3.3. Alberto Caviglia, une voix singulière avec un potentiel pour
l’avenir – 217
3.4. Outils et ressources – 221
3.4.1. Tableau chronologique – 221
3.4.2. Bibliographie sélective – 222
3.4.3. Ressources en ligne – 226
4. AVANT, PENDANT ET APRÈS LES CHANGEMENTS
DE VATICAN II (1952-1978) – 227
4.1. Le contexte social, éducatif et ecclésial à l’époque du concile
Vatican II – 228
4.1.1. La reconstruction d’après-guerre et une conscience mondiale en
croissance – 228
4.1.2. Les développements de la pédagogie catholique jusqu’au milieu
des années 1960 – 230
4.1.3. L’Institut supérieur de pédagogie  – 233

58.3 Page 573

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Index 573
4.1.4. Le tournant du concile Vatican II dans Gravissimum Educa-
tionis – 240
4.1.5. Vatican II et la méthodologie dialogique des Chapitres géné-
raux – 244
4.1.6. L’après-Concile dans la Congrégation – 248
4.1.7. L’Athénée Pontifical Salésien et son nouveau siège à Rome – 251
4.2. Lignes pédagogiques du magistère salésien autour du
Concile Vatican II – 258
4.2.1. Lettres de Renato Ziggiotti dans la logique de la globalisation
du charisme – 258
4.2.2. Le tournant partiel non suivi d’effet du GC19 – 262
4.2.3. Le processus du changement mis en route par le Chapitre géné-
ral spécial – 274
4.2.4. Le Chapitre général spécial et les thèmes éducatifs et pasto-
raux – 278
4.2.5. Les effets opérationnels du CGS – 282
4.2.6. Don Ricceri et la gestion des conflits – 286
4.3. Auteurs et mouvements de pédagogie salésienne au temps
de Vatican II – 290
4.3.1. L’amrevolezza comme clé de lecture du “premier Braido”  – 290
4.3.2. La deuxième édition du « Système préventif » de Braido vers
une sensibilité plus grande à la critique historique – 295
4.3.3. Braido et la méthodologie éducative dans le binôme
« amour-discipline ». – 298
4.3.4. Congrès sur l’actualisation de la pédagogie salésienne – 300
4.3.6. Gino Corallo, une voix singulière de cette époque – 311
4.4. Outils et ressources – 316
4.4.1. Tableau chronologique – 316
4.4.2. Bibliographie sélective – 317
4.4.3. Ressources en ligne – 322

58.4 Page 574

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574 Pédagogie salésienne après Don Bosco
5. PROGRAMMATION ET ANIMATION, DEUX DIMEN-
SIONS PÉDAGOGIQUES FONDAMENTALES (1978-
1998) – 323
5.1. Le dernier quart du siècle et la consolidation opérée par Vi-
ganò et Vecchi – 324
5.1.1. Une mondialisation croissante dans le dernier quart du XXe
siècle – 325
5.1.2. L’Église et la pastorale des jeunes sur les traces de Jean-Paul
II  – 327
5.1.3. Synthèses postconciliaires et consolidation organisationnelle de
la Congrégation (1978-2000) – 331
5.1.4. De la pédagogie aux sciences de l’éducation avec une interdisci-
plinarité (im)possible – 341
5.1.5. Projet pédagogique et théories qui le sous-tendent – 344
5.2. Les lignes pédagogiques du magistère salésien – 347
5.2.1. Les conceptions du projet éducatif-pastoral au CG21
(1978) – 348
5.2.2. Egidio Viganò : planification et nouvelle éducation-évangélisa-
tion – 356
5.2.3. Juan Edmundo Vecchi, animateur de la conceptualisation du
PEPS (1978-1980) – 362
5.2.4. Les années 1990 : éducation à la foi et spiritualité salé-
sienne – 372
5.2.5. La révision des projets provinciaux et la coresponsabilité avec
les laïcs – 376
5.3. Les lignes pédagogiques des principaux auteurs salésiens de
référence – 382
5.3.1. Le second Braido, fondateur de l’Institut d’histoire salé-
sienne – 382
5.3.2. Collaboration entre le département PG et l’UPS autour du pro-
jet – 393
5.3.3. Réflexions pédagogiques des FMA : réciprocité, coéducation et
éducation au féminin – 406
5.3.4. L’animation socioculturelle de Tonelli, Pollo et Ellena – 413

58.5 Page 575

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Index 575
5.3.5. La scission méthodologique entre religion et éducation – 424
5.4. Outils et ressources – 432
5.4.1. Tableau chronologique – 432
5.4.2. Bibliographie sélective – 432
5.4.3. Ressources en ligne – 438
6. NOUVELLE ÉVANGÉLISATION ET ÉDUCATION
POUR LE TROISIÈME MILLÉNAIRE (1998-2018) – 439
6.1. Situation : le postmoderne et la Congrégation salé-
sienne – 439
6.1.1. La situation mondiale au troisième millénaire entre précarité
et liquidité – 439
6.1.2. La Congrégation salésienne vers une interculturalité peu occi-
dentale – 442
6.1.3. Benoît XVI et François : des accents éducatifs différents mais
complémentaires – 446
6.1.4. Le numérique comme instrument, espace et symbole d’une gé-
nération – 450
6.1.5. Les jeunes adultes et les IUS comme nouveau champ d’ac-
tion – 454
6.1.6. Éducation post-industrielle, lean management et importance
d’un leadership de la transformation – 458
6.1.7. Quels jeunes émergent du Synode 2018 ? – 461
6.2. Les lignes pédagogiques diffusées par Rome au tournant du
millénaire  – 464
6.2.1. Domènech et les synthèses du Cadre de référence (1998 et
2000) – 464
6.2.2. Sainteté, spiritualité et évangélisation dans le magistère de Pas-
cual Chávez Villanueva – 474
6.2.3. Chávez : l’attention aux nouvelles pauvretés et la voie des droits
de l’homme – 479
6.2.4. Nouveaux projets et méthode du discernement – 481
6.2.5. Attard et la troisième édition du Cadre de référence – 486
6.2.6. Le bicentenaire et les premières années du rectorat de Don

58.6 Page 576

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576 Pédagogie salésienne après Don Bosco
Fernández Artime – 492
6.3. Les courants de pensée en pédagogie salésienne au troisième
millénaire – 496
6.3.1. La vision historico-critique de l’éducation salésienne – 496
6.3.2. Pastorale des jeunes et priorité à l’évangélisation – 501
6.3.3. L’accompagnement, nouveau paradigme pour l’éducation post-
moderne – 508
6.3.4. Une pédagogie transformatrice et vertueuse qui va au-delà de
la programmation par objectifs – 520
6.3.5. Formation salésienne des éducateurs adultes – 527
6.3.6. Déclinaisons, innovations et intuitions « sectorielles »  – 532
6.3.7. Une conclusion ouverte entre le Synode et le Covid19 – 537
6.4. Outils et ressources – 542
6.4.1. Tableau chronologique – 542
6.4.2. Bibliographie sélective – 542
6.4.3. Ressources en ligne – 548
POSTFACE – 549
BIBLIOGRAPHIE, INDEX
ET AUTRES DOCUMENTS EN LIGNE – 567

58.7 Page 577

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La pédagogie salésienne élabore des réflexions qui vont au-delà de
la reconstruction historique des contextes, des expériences et des
visions originales de Don Bosco sur l’éducation. Les recherches
publiées dans le présent volume, poursuivant cette trajectoire,
étudient principalement les formulations pédagogiques des
générations salésiennes successives et, en termes de méthode,
tentent de dépasser la stérilité des reconstitutions purement
documentaires.
L’intention de relier Don Bosco aux défis éducatifs d’aujourd’hui
passe par l’expérience des différentes époques avec leurs différentes
façons de penser. Elles renforcent certaines idées pédagogiques
nouvelles tout en en omettant d’autres, préfèrent certains modes
d’action, développent des réflexions, les unes prophétiques et
courageuses, les autres plutôt liées à la mentalité du moment ou à
des solutions d’urgence. L’alternance des changements implique
donc une combinaison complexe de dynamiques pendulaires
inévitables entre les visions pédagogiques abordées dans les six
chapitres :
I. Formulations pédagogiques de la première génération
salésienne
II. Une pédagogie pratique capable de s’adapter à la société
moderne
III. Fidélité à saint Jean Bosco et discipline en des temps difficiles
IV. Avant, pendant et après les changements de Vatican II
V. Programmation et animation comme synthèse post-
conciliaire
VI. Nouvelle évangélisation et éducation pour le troisième
millénaire
Michal Vojtáš est salésien de Don Bosco, professeur à la chaire
d’histoire et de pédagogie salésiennes de la Faculté des sciences
de l’éducation de l’Université pontificale salésienne de Rome et
directeur du Centre d’études Don Bosco. Dans le domaine de
la pédagogie salésienne et du leadership éducatif, il a publié les
volumes Progettare e discernere et Reviving Don Bosco’s Oratory.
csdb.unisal.it
salesian.online
ISBN 978-88-213-1554-1