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VOLUME IV

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MEMOIRES BIOGRAPHIQUES
DE
JEAN BOSCO

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Mgr Louis FRANSONI
Archevêque de Turin

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MEMOIRES BIOGRAPHIQUES
DE
JEAN BOSCO
recueillis par
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Prêtre salésien
———
VOLUME IV
———
———
(traduction présentée par M. Yves Le Coz, salésien coadjuteur)
——
2017

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DECLARATION DE L’AUTEUR
—————
En conformité avec les décrets d’Urbain VIII, du 13 mars
1625 et du 5 juin 1631, avec également les décrets de la Sacrée
Congrégation des Rites, je le déclare solennellement : à l’ex-
ception des dogmes, des doctrines et de tout ce que la Sainte
Eglise Romaine a défini, en toute autre chose qui concernerait
des miracles, des apparitions et des Saints non encore canonisés,
je n’entends ni ajouter ni réclamer d’autre foi que l’humaine. En
aucune façon je ne veux devancer le jugement du Siège
Apostolique, dont je fais profession et me glorifie d’être un fils
très obéissant.
—————
Propriété littéraire.
Tous les droits de reproduction et de traduction
sont réservés aux " Editions S. D. B. ".
Editions S. D. B.
Edition extracommerciale
Direction générale Opere Don Bosco
Via della Pisana, 1111
Casella Postale 18333
00163 Roma

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Présentation
Qui, parmi les disciples ou simplement les amis et les
curieux de saint Jean Bosco, n’a jamais entendu parler des
Memorie Biografiche di Don Giovanni Bosco ? Ceux qui fré-
quentent un peu les bibliothèques salésiennes ne manqueront pas
d’y découvrir ces vingt gros volumes en italien, dont certains ont
de six à huit cents pages et dont le total dépasse le chiffre de
seize mille pages. Comment a-t-on pu écrire tant de choses sur
un seul homme, fût-il un saint comme Don Bosco ?
Cette longue série n’est pas sortie de presse du jour au
lendemain. Plus de quarante ans s’écoulèrent entre le début et la
fin de la publication. En effet, le premier tome parut en 1898 et
le dernier en 1939. Ils sont l’œuvre de trois salésiens : on doit au
Père Jean-Baptiste Lemoyne les neuf premiers, au Père Ange
Amadei le dixième, et au Père Eugène Ceria les neuf derniers.
Le tome vingt est un index analytique général des matières et
des personnes.
L’importance des Memorie dans la tradition salésienne est
immense. Outre le fait que l’œuvre a reçu les recommandations
officielles de la part des successeurs de Don Bosco, il s’avère
que tous ceux qui ont écrit sur le saint de la jeunesse ont puisé
de façon directe ou indirecte dans cette abondante source. La
série inaugurée par Don Lemoyne en 1898 est, en effet, à la base
de nos connaissances sur saint Jean Bosco, et sur son œuvre, sa
spiritualité et sa pédagogie.
Pour comprendre leur genre littéraire, il convient de rappeler
que les tomes sont sortis dans le climat enthousiaste du procès
de canonisation du fondateur des salésiens, ouvert en 1890 et
conclu avec la canonisation en 1934. La lecture des Memorie est
un monument à la sainteté de Don Bosco, qui nous restitue le
climat, l’ambiance, les choix et les charismes du saint éducateur.

1.10 Page 10

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Après la publication des deux derniers tomes en 1939, mais
surtout à partir des années 1950, de nouvelles études historiques
ont paru, montrant la valeur permanente de l’œuvre et certaines
de ses limites. N’y aurait-il pas une part de « légende dorée » à
laquelle les auteurs, surtout Lemoyne, auraient cédé ? En 1962,
le Père Francis Desramaut, salésien et historien français, a fait
une étude détaillée et précise du tome premier, mettant à jour les
sources utilisées par Don Lemoyne, sa mentalité et sa façon de
travailler. Malgré les soupçons d’enjolivement des sources et la
volonté d’édification, concluait le Père Desramaut, l’œuvre de
Don Lemoyne sera toujours utile aux historiens de Don Bosco.
Pour Don Pietro Stella, salésien et historien italien, auteur d’un
« petit guide critique » pour lire les Memorie Biografiche, il
s’agit là d’un document daté d’une époque et d’une mentalité,
mais qui reste une base de départ toujours utile pour remonter
aux sources utilisées par les auteurs Lemoyne, Amadei et Ceria.
Pour toutes ces raisons, et malgré les limites dues au temps et
à la mentalité, les Memorie ont fait l’objet de traductions en
espagnol, en anglais et en flamand. Pourquoi ne pas tenter une
traduction en français ? A l’origine de la traduction française, il
y a l’initiative du Père Gérard Balbo, alors supérieur provincial
de Paris, qui a sollicité des traducteurs dans les années 1990
pour faire paraître les Mémoires biographiques de saint Jean
Bosco en français dans des délais raisonnables. Ont répondu à
son appel : pour le volume II, le Père Philippe Frémin ; pour le
volume IV, le Coadjuteur salésien Yves Le Coz ; pour le volu-
me V, le Père Marceau Prou ; pour le volume XII, Sœur
Joséphine Depraz, Fille de Marie Auxiliatrice ; et, pour l’Index,
le Père Frémin. Ce dernier a supervisé la traduction de tous les
volumes. Il a donc révisé l’ancienne traduction des volumes II,
IV et V, déjà publiés, qui, de ce fait, ne servent plus et sont
désormais remplacés. Il travaille actuellement à la traduction du
volume III, en vue d’une prochaine publication.

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2.1 Page 11

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Les textes de ces premiers volumes disponibles en français
nous permettent de connaître le Don Bosco des « années d’or »
de l’Oratoire Saint-François-de-Sales à Turin-Valdocco. Le to-
me II, qui couvre les années 1841-1846, raconte les premières
années du prêtre diocésain Jean Bosco, la naissance et les
premières années « romantiques » de l’Oratoire « volant », jus-
qu’à son implantation dans le hangar Pinardi au Valdocco. Le
volume III, consacré aux années turbulentes 1847-1849, décrit
les vicissitudes de l’Oratoire durant la guerre d’indépendance
italienne et les débuts de la maison d’accueil. Dans le volume IV
sont relatés les événements qui se succédèrent de 1850 à 1853,
en particulier le fonctionnement des classes, la construction de
l’église Saint-François-de-Sales et les initiatives de Don Bosco
comme écrivain et éditeur. Le volume V couvre les années
1854-1857, marquées par la naissance des premiers ateliers
professionnels et par les premiers essais de fondation d’une
congrégation. Quant au volume XII, qui concerne l’année 1876,
il s’intéresse surtout aux premières missions salésiennes en
Amérique du Sud et aux débuts de l’Institut des Filles de Marie
Auxiliatrice.
Pour aider le lecteur, quelques remarques s’imposent. Avant
tout il faut signaler que la mise en page du texte français
correspond exactement à la mise en page du texte original
italien, ce qui facilite la consultation et la confrontation. Le
dernier volume des Mémoires biographiques contient l’Index
traduit de l’italien ; il permet de trouver facilement les infor-
mations à la page indiquée dans chaque volume déjà traduit, et
aussi dans les volumes non encore traduits.
A qui s’adressent ces Mémoires biographiques de saint Jean
Bosco ? Les éditeurs pensent aux membres francophones de la
Famille salésienne répandus sur les divers continents, avec une
préférence pour ceux et celles qui sont en formation. C’est la
raison pour laquelle le Père Ivo Coelho, Conseiller pour la for-

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mation, a pris à cœur cette parution. La Famille salésienne
francophone d’aujourd’hui ne saurait ignorer ce trésor de
salésianité maintenant disponible, au moins en partie, dans sa
propre langue. Aussi est-il souhaitable qu’aux volumes déjà
parus s’ajoutent sans trop tarder les autres qui manquent
encore.
Le Recteur Majeur, le Père Ángel Fernández Artime, par la
voix du Père Ivo Coelho, a bien voulu encourager la pu-
blication en français de cet ouvrage de base.
Rome, le 24 juin 2017
Morand WIRTH sdb
Université Pontificale Salésienne

2.3 Page 13

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A L’AUGUSTE MERE DU SAUVEUR
MARIE IMMACULEE
est offert
NOTRE PAUVRE TRAVAIL
EN SIGNE D’UNE IMMENSE GRATITUDE

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2.5 Page 15

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CHAPITRE I
Rébellion et fidélité.
Les chefs de chœur des sectes s’efforçaient d’ins-
tituer un Etat qui ne gouvernât plus au nom de Dieu, et qui fît
les lois non pas selon Dieu, mais au nom du peuple et
selon le vouloir changeant du peuple, [les lois] qu’eux-mêmes, en
usant de leurs artifices, auraient formulées. Ils voulaient ren-
verser peu à peu ce qu’hypocritement ils avaient jusqu’alors
prêché comme devant être respecté, de manière cependant à
empêcher les peuples de s’en apercevoir, ou seulement lors-
que déjà ils y seraient préparés au moyen de la corruption
des mœurs, au moyen d’erreurs absorbées par l’esprit à
partir des journaux, des livres, des pièces de théâtre, des
écoles, et des réunions politiques. Dans ce but, en prêchant la
nécessité de l’indépendance de la nation, ils se faisaient les
apôtres de [toute] liberté : de pensée, de conscience, de religion
et de presse. C’était la liberté telle que la définit S[aint] Pierre :
Velamen habentes malitiæ libertatem [faisant de la liberté un
voile sur leur malice] (1), c’est-à-dire rien d’autre au fond qu’une
guerre contre tout ce qui de loin ou de près rappelle à l’orgueil
—————
(1) 1 P 2,16.

2.6 Page 16

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2
humain qu’il y a un Dieu auquel on doit une obéissance abso-
lue. Et c’est pour cela que les législateurs membres de sectes ont
proclamé et proclament : Nous sommes la loi et au-dessus de la
loi il n’y a personne, ni Dieu, ni Eglise. Ils considèrent l’Eglise
Catholique comme une simple société privée, sans valeur, sans
droits, sans intérêt pour la vie civile, séparée de l’Etat et, pire
encore, ennemie au point qu’on doit la combattre incessamment.
Rex sum ego ! [Je suis Roi !] proclama Jésus Christ ; mais, eux,
ils lui répondent : Nolumus hunc regnare super nos [Nous ne
voulons pas que celui-là règne sur nous].
Mais Isaïe menaçait : væ qui condunt leges iniquas
[malheur à ceux qui établissent des lois injustes] (1). La politique, quel
que soit son genre, dit Bonald, est rendue forte par tout ce qu’elle
accorde à la religion et elle est appauvrie par tout ce qu’elle lui refuse.
Là où le respect envers la Papauté vient à manquer, le respect envers
le Souverain s’éteint. Dans son testament, à l’intention de Louis XIV,
dressé contre l’Eglise par de perfides conseillers, le célèbre Colbert
disait ceci : « Ce n’est jamais impunément que le fils se révolte
contre son père. Toutes les entreprises que Vous mènerez contre le
Souverain Pontife retomberont sur Votre Majesté elle-même ».
Et malheureusement ceux qui gouvernent les peuples
méprisèrent l’Eglise et furent fascinés par la révolution : celle-ci
veut la souveraineté du peuple, pour rendre le monarque esclave du
parlement, le parlement esclave des masses. Son dernier mot :
Qu’il n’y ait plus de Dieu, qu’il n’y ait plus de roi, qu’il n’y
ait plus de patron. Abolition de la propriété ! Socialisme et com-
munisme ! Cependant la voix et la prière de la sainte Eglise,
ainsi que le bras tout-puissant de Dieu, rendront vain le projet
insensé, mais pas suffisamment pour que les nations qui ont
apostasié n’aient pas à payer le tribut de leur rébellion.
—————
(1) [Is] 10,1.

2.7 Page 17

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3
Toutefois, comme sel de la terre et lumière du monde, il n’y
avait pas de nation, il n’y avait pas de ville et, je dirais presque, de
bourg, où ne purent pas fleurir de saintes personnes de toute con-
dition, et en particulier des Evêques, des prêtres et des religieux :
ceux-ci, tandis qu’ils invoquaient les miséricordes divines sur les
hommes, soulageaient les malheureux par des œuvres héroïques de
charité, accordaient à Dieu et à l’Eglise l’obéissance qu’ils leur
devaient et que pour leur part leur refusaient les insensés. Parmi
eux on comptait D. Bosco. Il s’était proposé comme code de ses
actions le décalogue, les commandements de l’Eglise, les obligations
de son état, et il mettait un grand soin à les observer avec une
totale fidélité. Il était si pénétré de l’esprit de cette observance que,
pendant toute la durée de sa vie, il ne put, sembla-t-il, faire autrement.
On n’eut jamais à apercevoir chez lui, sur tout l’ensemble de son
existence, un défaut ou bien une négligence dans l’accomplisse-
ment de ses devoirs comme chrétien, comme ecclésiastique, comme
chef de Communauté, comme Supérieur d’une Congrégation ; et il
était très respectueux des règles qu’à celle-ci il avait données.
Dans le même temps il éprouvait une grande peine à
voir comment par beaucoup était violée la loi divine, à entendre
qu’on blasphémait le nom de Dieu, de N[otre] S[eigneur] Jésus Christ
et de la Bienheureuse Vierge ; il était profondément pris d’amer-
tume à apercevoir comment l’immoralité attentait à l’innocence de
tant de jeunes gens ; son cœur saignait s’il apprenait qu’était ou-
tragé le Pape, et méconnus les droits de l’Eglise. Et son obéissance
aux commandements de cette bonne Mère s’attachait de très près
aux plus petites prescriptions, aux cérémonies et aux rubriques
sacrées, aux diverses réponses des Sacrées Congrégations Romaines,
et il exigeait qu’en fissent autant ceux qui dépendaient de lui.
Pour les affaires elles-mêmes où était laissée la liberté d’inter-
prétation et de mise en pratique, il choisissait l’opinion la plus
conforme à l’esprit de l’Eglise.

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4
Le Théol[ogien] Savio Ascagne affirmait : « Je le connus
irréprochable en tout et je n’ai jamais éprouvé en mon cœur le
moindre soupçon qu’il ait perdu l’innocence baptismale ».
Le Théol[ogien] Reviglio déposa ce témoignage : « L’hor-
reur pour la faute était chez lui tellement profonde que, pendant
les onze années où j’ai vécu avec lui, je ne le vis jamais com-
mettre délibérément un péché véniel ».
Et D. Michel Rua n’hésitait pas à dire : « J’ai vécu aux
côtés de D. Bosco pendant trente-sept ans, et plus je pense à
son style de vie, aux exemples qu’il nous a laissés, aux ensei-
gnements qu’il nous a donnés, plus grandissent en moi à son
égard l’estime et la vénération, l’opinion qu’il était saint de
sorte que je peux dire que sa vie appartint tout entière au
Seigneur. Observer D. Bosco dans ses actions, même les moin-
dres, me faisait plus impression que lire et méditer n’importe
quel livre de piété ».
C’est la même conviction qu’ont exprimée plusieurs
centaines de ceux qui, pendant quelque temps entre 1846 et 1888,
habitèrent avec le cher D. Bosco.
—————

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5
CHAPITRE II
Jeunes recueillis à l’Internat de Valdocco Père, sauvez-moi Un
jeune garçon cafetier menacé D. Bosco fait la quête pour ses
gosses La Providence ne fait jamais défaut Contre-
poisons Le petit mot du soir et les questions Les
Quarante heures et les classes de chant Une étrange appa-
rition au petit théâtre Amour, humilité et vigilance.
Continuons dans nos récits. Tandis que D. Bosco s’oc-
cupait de la culture, religieuse comme morale, des jeunes qui étaient
plus de 700 à l’Oratoire S[aint]-François de Sales ouvert les diman-
ches et les jours de fête et qu’il veillait sur les 1 000 qui [globalement]
fréquentaient [l’Oratoire] S[aint]-Louis de Gonzague et celui de l’Ange
Gardien, il ne perdait pas de vue les jeunes gens pauvres de son in-
ternat naissant. Bien plus il considérait ces derniers comme la pupille
de ses yeux et en prenait un soin tel que le plus zélé et affectueux des
pères n’en prendrait pas de plus grand. Cette année-là ses élèves
étaient environ quarante. Presque continuellement lui écrivaient des
curés, des parents, ou d’autres personnes pour lui recommander
quelque enfant. D. Bosco, en écoutant le récit de tant de misères, s’en
trouvait ému et, craignant qu’à cause d’un refus de sa part ce garçon
n’allât ensuite mal finir, souvent il l’accueillait. Aux prières des jeunes
eux-mêmes il ne pouvait résister.
L’Inspecteur scolaire de La Spezia, M. Bonino Alvaro,
nous racontait en 1884 le fait suivant plein de charme, dont il

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6
fut témoin lorsqu’il fréquentait l’Oratoire en tant que catéchiste,
alors qu’il était maître d’école primaire de la ville en 1850.
Un père était devenu protestant à Turin, pour recevoir les
trente deniers, avec lesquels les ennemis de Dieu payaient les
apostasies. Le malheureux prétendait voir sa femme et son fils
faire de même, mais il ne pouvait pas y réussir, car la brave
dame était ferme dans la religion et maintenait ferme son petiot.
C’étaient des Savoyards. La pauvre mère pleurait et priait. Et
voici qu’une nuit le fils eut un rêve. Il lui semblait être traîné au
temple des Protestants et se débattre en vain pour résister à cette
violence. Mais tandis qu’il luttait ainsi, voici qu’apparaît un prêtre :
celui-ci le libère des mauvaises griffes et le conduit avec lui.
S’étant réveillé le matin, il racontait le rêve à sa maman, qui
cherchait tous les moyens pour placer son fils dans une insti-
tution, car le père ne voulait pas renoncer à son projet perfide.
Au cours de la semaine, elle rencontra par hasard une personne
qui lui conseilla de se présenter à D. Bosco à Valdocco et de
voir si à l’Oratoire elle pourrait trouver un refuge pour son fils.
Elle y alla avec son garçon le dimanche matin et, ayant appris
que c’était le moment d’une cérémonie, elle entra dans l’église.
Et voici que D. Bosco sort pour célébrer. Monsieur Bonino
Alvaro était agenouillé à côté de cet enfant ; dès que ce dernier
vit D. Bosco, il cria à plusieurs reprises, comme s’il n’arrivait
pas à se maîtriser, [en français dans le texte original] : C’est lui,
maman ! c’est lui[-]même ! c’est lui[-]même ! c’est-à-dire le prêtre
qui lui était apparu en rêve. Le petit criait, la maman pleurait et
M. Bonino, après avoir donné l’avertissement qu’à l’église ce
n’était pas un lieu pour crier ainsi, en voyant qu’il ne réussissait
pas à le calmer, conduisit la mère et le fils à la sacristie, où il
entendit le récit du rêve et comment en D. Bosco le fils avait
reconnu le prêtre libérateur. Entre-temps D. Bosco revenait à la
sacristie et il n’avait pas encore complètement ôté les vêtements
sacrés que l’enfant court se serrer contre ses genoux, en lui disant :

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3.1 Page 21

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7
Mon Père, sauvez-moi ! — D. Bosco l’accepta chez lui et le
petit Savoyard resta plusieurs années à l’Oratoire.
Combien d’autres jeunes en danger furent sauvés par
Don Bosco du fait qu’il les avait rencontrés lui-même et accueillis
chez lui ! Un jour, il entrait dans un certain café de Turin et
vint le servir un jeune à l’aspect avenant. Tandis que le garçon
versait le café, D. Bosco commença à lui demander avec affec-
tion de ses nouvelles, et puis, d’interrogation en interrogation, il
en vint à sonder son cœur. Le jeune, vaincu par ses manières
paternelles, n’eut pas de secrets avec lui et lui manifesta entière-
ment l’état de son âme, qui était bien déplorable. Le dialogue
était cependant entrecoupé, car, de temps en temps, le jeune
allait servir de nouveaux clients, mais il revenait toujours à
côté de D. Bosco tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre.
D. Bosco parlait à voix basse et personne, pas même le patron,
ne s’aperçut d’un dialogue aussi intéressant.
D. Bosco finit par lui dire : Demande la permission à ton
patron de venir à l’Oratoire et ensuite nous déciderons quelque
chose.
Le patron ne donnera jamais cette permission.
Mais, toi, en ce lieu tu ne dois plus rester.
Je le vois, je le comprends ; mais comment faire ?
Enfuis-toi.
Mais où ?
Chez tes parents.
— Je n’en ai plus : ils sont morts ; je suis seul.
Alors viens avec moi.
Et où ?
A Valdocco, à tel numéro.
Et quand serai-je là-bas ?
Prends tes affaires et au plus vite que tu peux cours chez
moi. Fais en sorte que personne ne puisse s’apercevoir de ton
intention ; et viens ; il ne te manquera ni le pain, ni le toit, ni

3.2 Page 22

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8
une éducation qui puisse te fournir un heureux avenir. Je te
servirai de père.
D. Bosco sortit de la boutique. Le lendemain le jeune garçon
s’était enfui et arrivait à l’Oratoire avec ses pauvres affaires sous le
bras. Il devint un excellent chrétien et pendant plusieurs années
il fut le modèle des élèves de l’Oratoire.
Mais de ce [jeune] et des autres D. Bosco devait s’occuper
pour les nourrir et entretenir, les chausser, les vêtir. Il ne pouvait, en
raison de la situation des personnes qui recommandaient comme de
celles qui étaient recommandées, compter à son avantage sur l’aide
d’une pension ; et pour la majeure partie ses pensionnaires ne ga-
gnaient rien, ou bien peu. Il n’avait pas de rétributions, et manquait de
tout autre revenu. C’est pourquoi les dettes, à cause également des
Oratoires des dimanches et des jours de fête, augmentaient démesu-
rément et, bien souvent n’ayant pas où puiser pour s’en acquitter, dans
les délais et selon la mesure exigés par les créanciers, il était menacé
par le danger ou de laisser souffrir ses enfants ou de les reconduire à
qui les lui avait confiés. Mais ni à l’une ni à l’autre des deux
alternatives son cœur charitable ne pouvait se résigner.
C’est pourquoi, lui qui mettait la plus grande confiance
en Dieu, dans les promesses de Notre-Dame, dans la certi-
tude de sa mission personnelle, vous l’auriez vu sortir de temps
en temps au cours de la semaine, se rendre tantôt chez telle
personne de la ville tantôt chez telle autre, et avec les manières
les plus humbles, et avec la plus belle amabilité du monde
solliciter quelques secours pour eux. Si, l’ayant rencontré dans la
rue, on lui demandait où il allait, il répondait : Je vais faire la
quête pour mes gosses ! ; et il allait de l’avant.
C’était un sacrifice héroïque, dont seul Dieu peut appré-
cier la valeur. « Selon son propre aveu, nous écrit Mgr Cagliero, son
naturel était fougueux et altier, en raison duquel il ne pouvait souffrir
de résistance et éprouvait en lui une lutte inexprimable lorsqu’il
devait se présenter à quelqu’un pour demander l’aumône. Pour-
tant, au moyen d’actes très fréquents pour contrarier [ce naturel], il sut

3.3 Page 23

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9
se dominer de façon à s’approcher, et de très bon cœur, non
seulement de ceux qui, il le savait, étaient disposés à lui porter
secours, mais également des personnes elles-mêmes qui, il en avait
connaissance, étaient pour lui plus ou moins des étrangers ou des
adversaires. Et, n’obtenant pas la première fois ce qu’il désirait,
il se présentait maintes et maintes fois avec une amabilité qui
subjuguait les esprits. Et cela je peux l’attester, soit parce que
plus tard de très nombreuses fois je l’accompagnais lors de ces
visites, soit en raison des confidences que pour mon instruction
il me faisait parfois.
» Pour ses jeunes il ne s’épargnait ni fatigues ni humilia-
tions. Parfois il ne trouvait que de bonnes paroles ; souvent il
rencontrait des réponses mortifiantes, des insultes et d’amers
refus, mais il souffrait tout avec joie sans s’offenser, ni jamais
diminuer l’ardeur de sa charité. Il multipliait ses lettres aux
personnes aisées, en les suppliant pour obtenir des secours,
et, un jour à quelqu’un qui lui avait envoyé un billet rempli
d’insultes, il répondait en chargeant l’un des siens de lui
écrire et en indiquant à [ce secrétaire] les mots qu’il devait
employer : Ecris-lui, dit-il, que s’il ne veut pas ou ne peut
pas aider mes orphelins, il est libre de le faire ; mais que
cependant m’injurier parce que je m’occupe d’eux ne fait pas
plaisir au Seigneur ; toutefois, en lui présentant mes respects,
assure-lui que je ne garde pour cela aucun ressentiment. Ce
monsieur, en recevant cette lettre, mit de l’eau dans son
vin, et dès ce moment-là il devint un ami et un admirateur de
D. Bosco ».
D. Bosco cependant n’était pas importun ou agaçant.
Il se contentait de présenter les besoins qu’avaient ses jeunes
sans préciser la somme nécessaire ; et il laissait ceux qui l’écou-
taient tirer eux-mêmes de son discours la conséquence sur le
plan de la charité et celui de la logique. Bien des fois on
l’interrogeait sur la somme qu’il lui fallait et il répétait le dis-
cours déjà présenté, sans faire cas de la demande. Cette méthode
qu’il suivait lui procurait des aumônes encore plus grandes que
ce qu’il pouvait espérer de la part des personnes les plus
généreuses.

3.4 Page 24

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10
Toutefois il ne se présentait pas toujours à la manière
d’un suppliant devant quelques riches messieurs ; mais dans des
cas extraordinaires il leur imposait avec affection, comme quel-
qu’un qui a autorité pour agir ainsi, le versement d’une somme
importante, et il obtenait tout ce qu’il demandait. Et ce fut là
aussi une des merveilles de D. Bosco, qui apparaissait comme un
représentant d’une volonté surnaturelle. En temps voulu [seront
exposés] les faits.
Il ne retenait pas un sou pour lui, et souvent il dut lui-même
se priver du nécessaire pour le donner à ses pensionnaires. Tout
ce qui lui était donné en aumône, il le destinait entière-
ment de grand cœur pour eux. L’usage qu’il faisait de l’argent
était celui qui convenait à un habile administrateur ; et lorsqu’il
était nécessaire de faire des dépenses, il savait les faire de bon-
ne manière et en temps opportun. C’était l’opinion qu’avaient de
lui ceux qui le connaissaient. « Un jour, racontait Brosio Joseph,
pour des affaires à négocier, je me trouvais, des années plus
tard, dans un cercle de gros commerçants, de banquiers, de jour-
nalistes, parmi lesquels il me sembla reconnaître également les
rédacteurs de la Gazzetta del Popolo [Gazette du Peuple], Govean
et Bottero. Bien qu’[ils fussent] hostiles à la Religion et donc
ennemis de D. Bosco et de l’Oratoire, j’entendis qu’ils n’avaient
pas honte de répéter que, si D. Bosco avait été ministre, le
royaume serait sans dettes. Une telle estime était la cause de
la confiance que reposaient en lui les citoyens lorsqu’ils lui
donnaient leurs offrandes ».
Bien des fois cependant il semblait que les secours
étaient sur le point de manquer. En 1850, par suite de la guerre
et plus tard à cause d’autres sinistres événements, cette chère
petite famille se trouva souvent dans la gêne. On savait parfois que
pour le lendemain dans la réserve il n’y avait pas un pain ni
dans la maison un centime, mais Don Bosco ne montra jamais le
moindre doute ou la crainte de rester privé de ressources ; et,
sans cesse tranquille et sans cesse joyeux, il disait : Mangez,
mes enfants, car il y aura de quoi ! En effet, la Divine
Providence ne l’abandonna jamais : et, tandis que le nombre des

3.5 Page 25

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11
jeunes pensionnaires augmentait chaque jour davantage, et que les
conditions de l’époque devenaient très lourdes, il ne dut jamais
éloigner de l’Oratoire pas même un pensionnaire par man-
que du nécessaire. Ce fut là une récompense accordée à sa vie
entière, qui, on peut bien le dire, n’a pas été autre chose qu’un
ensemble d’actes de charité héroïque envers le prochain, car
il se prodiguait à travers toutes sortes de fatigues et de saintes
activités.
Mais c’est de la sollicitude la plus délicate qu’il faisait
preuve en ce qui concernait les intérêts de l’âme. Les moyens de
perversion devenaient chaque jour davantage harcelants et funes-
tes. Du fait de la liberté de la presse, on diffusait à pleines
mains, dans les usines et dans les ateliers, des livres et des
revues très pernicieux. Il était par ailleurs très fréquent
d’entendre des patrons et des domestiques, des commerçants et
des vendeurs, des tailleurs et des cordonniers mettre sur le tapis
des questions de religion et de morale et parler avec affectation
et suffisance, comme s’ils étaient autant de docteurs de la
Sorbonne. C’est pourquoi la foi et les bonnes mœurs étaient
soumises à la plus grande épreuve. Or D. Bosco, obligé d’en-
voyer ses jeunes gens en ville pour y apprendre une profession
ou un métier, prenait avant tout des informations détaillées sur
l’honnêteté des personnes chez lesquelles il voulait les confier,
et, si nécessaire, il les enlevait aussi d’un endroit pour les
remettre à un autre qui pouvait lui offrir de plus sûres garanties.
En plus de cela il allait souvent demander des nouvelles au
patron sur leurs comportements, faisant ainsi connaître combien
lui tenait à cœur leur fidélité au travail et, dans le même temps,
combien il lui importait de voir ses chers protégés ne rencontrer
de dangers ni pour la moralité, ni pour la religion. A la maison,
ensuite, il restait avec eux le plus qu’il lui était possible ; avec
de belles manières, il était aux écoutes sur ce qu’ils avaient pu
entendre ou voir de mal durant la journée ; et ensuite comme un
médecin expérimenté et affectueux il donnait tout de suite le
contrepoison, pour faire sortir de leurs esprits les maximes mal
absorbées et pour effacer de leur cœur les mauvaises impressions
qu’ils en avaient reçues.

3.6 Page 26

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12
Depuis la première année déjà, il avait l’habitude
d’adresser un petit mot après les prières du soir ; mais si au
commencement il le faisait rarement et seulement à la veille des
dimanches et des fêtes ou à l’occasion de quelque solennité, cette
année-ci au contraire il se mit à le faire très souvent et presque
tous les soirs. Dans son petit discours, qui durait de deux à trois
minutes, il exposait tantôt un point de doctrine, tantôt une vérité
morale, et cela au moyen de quelque apologue, que les jeunes
écoutaient avec le plus grand plaisir. Il visait surtout à les prémunir
contre les opinions insensées de l’époque, et contre les erreurs des
protestants, qui circulaient, à la façon d’un serpent, à travers Turin.
Parfois pour mieux attirer leur attention et pour graver plus profon-
dément dans leur esprit une bonne maxime, il leur racontait un fait
édifiant, qui s’était produit pendant la journée, ou qu’il tirait de
l’histoire, ou de la vie d’un saint. D’autres fois, comme il avait fait et
faisait également avec les externes de l’Oratoire, il proposait une
question à résoudre, ou une demande, auxquelles il faudrait donner
une réponse adéquate ; comme, par ex[emple], que signifient les mots
« Dieu » et « Jésus Christ » ; que revêt la dénomination d’« Eglise
Catholique » ; que signifie « Concile » ; pourquoi le Seigneur punit le
pécheur impénitent avec des peines éternelles, et ainsi de suite de cette
teneur. Le plus souvent il laissait quelques jours de délai pour répon-
dre. On donnait la réponse sur un billet portant le prénom et le nom de
l’auteur ; et une petite récompense revenait à celui qui tapait dans le
mille. De cette façon D. Bosco faisait réfléchir et, en attendant, il
ouvrait à lui-même le chemin pour développer les vérités les plus
utiles, que l’on n’oubliait plus. Ce petit mot [du soir] était toujours
précédé de la remise des objets que les jeunes retrouvaient perdus
dans la maison et dans la cour. D. Bosco en faisait l’annonce et
ceux à qui ils appartenaient se présentaient pour les retirer.
Entre-temps aux diverses pratiques de piété et [aux diverses]
solennités religieuses qu’il avait instituées dans le but d’encourager

3.7 Page 27

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13
la fréquentation de la confession et de la communion, il ajoutait
chaque année l’exposition du Saint Sacrement, dite des Quarante
heures ; et dans la petite chapelle-hangar, magnifiquement
décorée, elle durait trois jours avec messe chantée, vêpres et
Tantum ergo en musique et sermon chaque jour, comme c’est
l’usage dans les paroisses. C’était une nouvelle occasion de
donner de l’exercice aux classes de musique. Il divisait les jeu-
nes en trois groupes, en chacun desquels il mettait pour soutenir
le chant l’un de ses élèves déjà bien formé et connaissant bien
les notes. Parmi eux [il y avait] Bellia Jacques.
« D. Bosco, écrivit Tomatis Charles, tapotait sur un très
misérable piano pour nous faire apprendre ses mélodies et par-
fois il entraînait un peu à jouer du violon un [jeune] désireux
d’étudier le maniement de cet instrument, pour accompagner
quelque solo. Un jour, en 1850, il s’inspira d’un air qu’il entendit
jouer par les trompettes des soldats qui venaient s’exercer dans
les environs de l’Oratoire, et il écrivit un Tantum ergo à une
seule voix, que je conserve et que bien des fois je chantai, en
allant avec lui et avec d’autres compagnons musiciens aux céré-
monies sacrées célébrées à Turin, dans les villages voisins et plus
souvent à la Crocetta. Egalement Reviglio Félix aidait D. Bosco
dans le chant de 1850 à 1856.
» D. Bosco préparait un cadeau pour ses musiciens quelque
temps après. Il faisait l’acquisition d’un petit orgue à clavier
dont les tuyaux étaient tous en bois, construit peut-être deux
siècles auparavant. Il était tout fendu, peu harmonieux, mais
pourtant il servait à exercer les doigts du joueur débutant. Tous
se rappellent qu’un tuyau ayant la soupape cassée émettait cer-
tains hurlements disgracieux qui provoquaient chez les jeunes les
rires les plus savoureux. Cet instrument avait été placé dans la
chambre proche de celle de Don Bosco, et plusieurs parmi les
premiers qui en jouèrent devinrent des organistes de valeur.

3.8 Page 28

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14
» Musique et théâtre vont de pair, et D. Bosco continuait
à donner aux jeunes l’amusement d’agréables représentations. Il
excluait cependant toute pièce dramatique qui pouvait exiger des
dépenses de costumes.
» Cette exigence de sa part occasionna quelques scènes plai-
santes, qui restèrent mémorables même bien des années après.
Ayant préparé un drame intitulé Les trois Rois Mages, les acteurs
tinrent entre eux une petite conjuration secrète et, sous prétexte
de vêpres solennelles qui, disaient-ils, devaient être chantées à
l’Oratoire, ils se présentèrent au Refuge et dans quelques parois-
ses en demandant de pouvoir emprunter quatre chapes. Il fallait
aussi un manteau pour Hérode. Les ayant obtenus facilement,
étant allés au nom de D. Bosco, ils les cachèrent avec un soin
jaloux, et au moment d’entrer en scène, les voilà triomphants, les
chapes sur les épaules. Il est superflu de décrire les rires
convulsifs des spectateurs et la figure ridicule de ces jeunes,
auxquels D. Bosco faisait aussitôt ôter ces vêtements sacrés. Une
joyeuse et naïve insouciance entrait dans le caractère de la
majeure partie de mes compagnons, qui cependant étudiaient ou
travaillaient avec amour. Entre-temps continuaient les cours du soir.
D. Bosco nous enseignait l’arithmétique et la calligraphie, et sa
présence infusait en tous un sentiment de joie inexprimable.
» Ce que nous admirions en lui, dans ces circonstances et dans
mille autres, c’était comment à la fermeté il unissait toujours la
douceur dans les manières, la patience et cette longanimité sans
limites grâce à laquelle il surmontait les obstacles ou ne s’en créait
pas, tant dans les petites choses que dans les grandes, et com-
ment il conduisait tout à un heureux résultat. Par-dessus tout
nous attirait son humilité.
» Un soir, en enseignant le système métrique et en faisant des
calculs sur le tableau, par hasard il se trompa, et en consé-
quence il ne réussissait pas à mener à terme la résolution du
problème. La classe nombreuse écoutait avec attention et ne com-

3.9 Page 29

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15
prenait pas. Quant à moi, ayant aperçu où était l’erreur, je
me levai et, de la manière que je considérais comme la meil-
leure, je la corrigeai. D’autres maîtres d’école n’auraient pas
apprécié une semblable observation en public ; mais D. Bosco
accepta avec affection mon avis et dès cet instant il me prit en
plus grande considération, de sorte que j’en restai bouche bée.
» Par ailleurs sa vigilance sur notre conduite était incessante,
car il ne souffrait pas que le démon lui dérobât les âmes ».
Jusqu’ici [le récit de] Charles Tomatis. Pour la discipline
en ces années 1849-1850, D. Grassini [= Grassino] l’aidait, en
exerçant la charge de Préfet, et en venant demeurer à l’Oratoire,
lorsque D. Bosco était appelé à prêcher dans les différentes
parties du Piémont.
—————

3.10 Page 30

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16
CHAPITRE III
Visite de sénateurs à l’Oratoire Dialogue Lettre à
Don Bosco venant du Ministère de l’Intérieur Siccardi prépa-
re la loi sur les Immunités Ecclésiastiques Mgr Fransoni à
Pianezza et visite de D. Bosco L’Archevêque lui conseille de
fonder une Congrégation Religieuse.
Les travaux continuels de D. Bosco faisaient accorder à
l’Oratoire une considération de plus en plus grande. A Turin on
en parlait beaucoup et, une fois oubliées les premières appréhen-
sions, de très nombreuses personnes l’estimaient et en disaient du
bien. Chacun le jugeait d’après les faits un moyen très opportun
pour éloigner de la porte de la prison tant de pauvres jeunes, en
les faisant au contraire devenir de bons chrétiens et d’honnêtes
citoyens, car les bons résultats étaient pour tous évidents et
on ne pouvait les nier. A cause de la rumeur publique, à cause
de rapports privés, et ensuite à cause d’un vote du Sénat, le
Gouvernement lui-même fut amené à marquer son intérêt pour
lui. A cette époque, une personne bienveillante, monsieur Vol-
potto [= Volpato], parent de la famille Gastaldi, et qui occupait
un poste éminent dans l’Etat, conseilla à D. Bosco de mettre
d’une certaine façon l’œuvre de l’Oratoire sous la protection du
Gouvernement. D. Bosco ne consentit pas, et alors ce monsieur,
à son insu, mais en son nom, adressa par l’intermédiaire de la
Chambre Haute une requête au Ministère Public pour une sub-
vention à l’avantage de ses jeunes. Le Sénat, avant de prendre

4 Pages 31-40

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4.1 Page 31

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17
une décision et de recommander l’affaire au Gouvernement,
voulut recueillir les moindres renseignements. C’est pourquoi il
nomma une Commission ad hoc avec la charge de faire une
visite à l’Oratoire, de s’informer et ensuite de faire un rapport.
La Commission parlementaire était composée de trois Sénateurs,
qui furent le comte Frédéric Sclopis (1), le marquis Ignace
Pallavicini, et le comte Louis de Collegno.
Donc, en exécution de la haute charge, les trois nobles mes-
sieurs, au mois de janvier 1850, se rendirent à l’Oratoire à Valdocco
l’après-midi d’un dimanche ou d’une fête. Il était environ deux heures,
et plus de 500 garçons, dans l’ardeur de leur récréation, occupés qui
dans un passe-temps, qui dans un autre, offraient d’eux-mêmes à l’ob-
servateur attentif le plus agréable spectacle. A regarder une si grande
foule de jeunes réunis en un même lieu, en train les uns de courir, les
autres de sauter, ceux-ci de faire de la gymnastique, ceux-là de mar-
cher sur des échasses, assistés çà et là par divers prêtres et laïcs, ces
messieurs en restèrent [ébahis]. Après quelques instants le comte Sclo-
pis s’écria : Quel beau spectacle ! Beau, en vérité, répondit le
—————
(1) En parlant du comte Frédéric Sclopis, on entend parler de l’un des
plus illustres nobles piémontais, du magistrat d’une très grande honnêteté, du
conseiller de toute confiance de la Couronne, du président du Sénat, de
l’arbitre pour la paix entre les deux plus grandes Puissances maritimes,
l’Angleterre et les Etats-Unis, lors de l’affaire enchevêtrée du navire
Alabama ; d’un homme en somme de réputation mondiale et de sentiments
religieux et catholiques. Tandis que son nom circulait honoré et applaudi
dans les deux hémisphères, tandis que lui parvenaient des félicitations de tous
les pays, des télégrammes de toutes les personnes pour l’heureuse issue de
ladite affaire, il fut pourtant beau de voir l’éminent personnage en attribuer le
bon résultat au Père des lumières, et le 17 septembre 1872 écrire dans le livre
de ses souvenirs entre autres ces mots : « Nous revenons de Genève après
avoir eu la preuve de vos bénédictions, ô Seigneur… Un profond et très
intense devoir de gratitude me rapproche étroitement vers vous, mon Dieu ».
Voir Caractère et Religiosité du comte Frédéric Sclopis, petite brochure
précieuse écrite par la remarquable plume d’un autre illustre noble turi-
nois, le baron Antoine Manno, Turin 1880.

4.2 Page 32

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18
marquis Pallavicini. Quelle chance aurait Turin, ajouta le
comte de Collegno, quelle chance aurait Turin si dans son sein
surgissaient beaucoup d’institutions comme celles-ci. Alors nos
yeux, reprit Sclopis, ne seraient pas si souvent blessés par l’aspect
désagréable d’une jeunesse pauvre aussi nombreuse qui, les diman-
ches et les jours de fête, s’ébat dans les rues et sur les places, en
grandissant dans l’ignorance et dans les mauvaises mœurs.
Don Bosco, qui se trouvait dans un groupe de jeunes,
vit ces messieurs qu’il ne connaissait point et s’approcha d’eux.
Une fois échangées les premières civilités, eut lieu un dialogue,
qu’avec l’aide de l’un et de l’autre, et spécialement de Don Bosco,
nous avons pu reconstituer, du moins en substance.
Sclopis. — Nous étions en train d’observer avec étonnement le
spectacle de tant de jeunes réunis en un même lieu [occupés] en
de joyeux passe-temps, un spectacle qui nous semble extrême-
ment rare. Nous savons que l’âme de tout cela est le Prêtre
Bosco. V[otre] S[eigneurie] voudrait-elle avoir la bonté de nous
présenter à lui ?
D. Bosco. Messieurs, vous êtes justement en sa présence ; le
pauvre Don Bosco, c’est moi. — Cela dit, il les pria de bien vouloir
daigner passer devant et il les conduisit dans sa petite chambre.
Scl[opis]. — Je me réjouis beaucoup de faire aujourd’hui con-
naissance de votre personne ; car de réputation Don Bosco
m’était déjà connu depuis longtemps.
D. B[osco]. Je dois ma réputation non à mes mérites, mais
plutôt à la langue de mes jeunes gens.
Pallavicini. Ce sont des juges très compétents et tout à fait
véridiques, puisque ex ore infantium [par la bouche des tout-petits],
comme dit le prophète, perfecisti laudem [tu as préparé une louange].
Scl[opis]. — L’information concernant cette œuvre que Vous [diri-
gez] est remontée ces jours derniers à la Chambre du Sénat, et
la haute Assemblée nous a chargés de recueillir des renseignements
exacts afin de faire un rapport à ce sujet. Je suis le comte Sclopis,
celui-ci est le marquis Pallavicini, celui-là est le comte de Collegno.

4.3 Page 33

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19
D. B[osco]. — Cette pauvre institution eut jusqu’ici de bien
nombreuses et [bien] chères visites, mais celle-ci sera certaine-
ment comptée parmi les plus précieuses. Messieurs, demandez
tout ce qui est nécessaire : je serai heureux de vous satisfaire en
tout ce que je sais et je peux.
Scl[opis]. — Quel est le but de cette œuvre que Vous [dirigez] ?
D. B[osco]. Le but est de recueillir, les dimanches et les
jours de fête, le plus grand nombre de jeunes qui, ou bien parce
qu’ils sont négligés par leurs parents ou abandonnés, ou bien parce
qu’ils viennent d’ailleurs, au lieu de se rendre aux cérémonies sacrées
et au Catéchisme, flâneraient et joueraient à travers la ville en faisant
les galopins. Ici, au contraire, attirés par l’amour des passe-temps,
ainsi que par de petits cadeaux et par de belles manières, ils sont
retenus dans une joyeuse récréation sous les yeux de plusieurs as-
sistants. Entre-temps le matin ils y ont l’occasion de s’approcher des
Sacrements Sacrés, [participent à] la Messe et entendent un court
sermon qui est adapté à eux. L’après-midi ensuite, après quelques
heures d’un honnête divertissement, ils se rassemblent à la Chapelle
pour le Catéchisme, pour le chant des Vêpres, pour l’exposé d’un
enseignement et la Bénédiction [du Saint Sacrement]. En peu de
mots : le but est de réunir les jeunes pour faire d’eux d’honnêtes
citoyens en les faisant devenir de bons chrétiens.
Pall[avicini]. — Très noble but. Il serait désirable qu’on multi-
pliât de telles institutions dans cette ville.
D. B[osco]. — Grâce à Dieu, l’année 1847, une [institution] sem-
blable fut ouverte près de la Villa Royale, le Valentino, et une
troisième fut inaugurée naguère au Faubourg Vanchiglia.
Collegno. Très bien ! Très bien !
Scl[opis]. Quel est le nombre approximatif des jeunes qui
fréquentent ce lieu ?
D. B[osco]. Ils sont généralement, pour chaque dimanche ou
chaque jour de fête, 500 et souvent plus. On compte presque
autant en chacun des autres.
Coll[egno]. En moyenne ils sont donc 1 500 jeunes, habitant dans
cette ville, recueillis par une main qui pourvoit au nécessaire et, au

4.4 Page 34

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20
moyen de la Religion, dirigés sur le chemin de la moralité et de
l’honneur. C’est un grand avantage pour cette métropole ; c’est un
grand soutien pour notre Gouvernement.
Pall[avicini]. Depuis quand avez-Vous commencé cette insti-
tution que Vous [dirigez] ?
D. B[osco]. Je commençai à recueillir quelques garçons plus
frustes et ayant besoin d’un soin spécial dès 1841, et j’y fus
poussé pour avoir fait l’expérience que beaucoup, quoique légè-
rement espiègles, n’étaient pas méchants, mais que laissés à
eux-mêmes ils s’adonnaient facilement à une très triste vie et
finissaient en prison.
Scl[opis]. — Votre œuvre est vraiment philanthropique et d’une
grande importance sociale. Ce sont de telles œuvres que le Gou-
vernement doit encourager et soutenir. Et pour votre réconfort je
Vous dis que l’Intendance et toute la Famille Royale apprécient
cette œuvre et lui donneront leur appui.
Coll[egno]. Quels moyens V[otre] S[eigneurie] emploie-t-elle
pour éduquer à une vie morale et tenir en ordre une si grande
multitude de jeunes ?
D. B[osco]. — L’instruction et une charité pleine de douceur, de
patience et d’indulgence sont les uniques moyens. Ici l’amour
l’emporte sur le bâton, ou mieux règne tout seul.
Pall[avicini]. Nous aurions besoin que cette méthode fût adoptée
dans tant d’autres institutions et spécialement dans celles où l’on
purge une peine. Dans ce cas ne seraient plus nécessaires tant de
gardiens et de gendarmes et, ce qui vaut mieux, on formerait à
la vertu le cœur de tant de gens enfermés, qui après des années
et des années de punition en sortent pires qu’auparavant.
Scl[opis]. Ces garçons sont-ils tous de cette ville ?
D. B[osco]. Non, monsieur le Comte, mais plusieurs sont des
régions de Biella, de Verceil, de Novare et d’autres provinces du
Royaume ; certains sont de Milan et de Côme et même de la Suisse.
Venus dans cette capitale pour chercher du travail, du fait qu’ils
sont éloignés des regards de leurs parents, ils seraient exposés à
un danger évident de devenir de mauvais chrétiens.

4.5 Page 35

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21
Scl[opis]. Ajoutez donc : et des citoyens méchants, et ils ne
tarderaient pas à donner beaucoup de travail à la Police et au
Gouvernement lui-même.
A ce moment un jeune, d’environ 12 ans, vint frapper à
la porte de la petite chambre pour transmettre une commission à
Don Bosco, qui le fit rester. La confiance et la simplicité de
l’enfant plurent à Sclopis et il l’interrogea : [] Comment
t’appelles-tu ? — Je m’appelle Joseph Vanzino. — De quel pays
es-tu ? De Varese. Quel métier fais-tu ? Je suis tail-
leur de pierres. As-tu encore tes parents ? Mon père est
mort. Et ta mère ?
A cette demande le brave garçon baissa les yeux, cour-
ba la tête et devint honteux et muet. Dis-moi, ajouta Sclopis,
as-tu encore ta mère ? Peut-être est-elle morte, elle aussi ?
Alors le pauvre garçon, d’une voix gênée et émue,
répondit : Ma mère est en prison.
Cela dit, il fondit en larmes. A cette vue le Comte, ses
accompagnateurs et Don Bosco furent attendris et une larme furtive
leur apparut au coin de l’œil. Après un instant de silence le bon
monsieur reprit la conversation et dit : Pauvre fils, tu me fais pitié ;
mais ce soir où iras-tu dormir ? — Jusqu’ici je dormais dans la
maison de mon patron, répondit-il en s’essuyant les yeux, mais
aujourd’hui D. Bosco m’a promis de me prendre chez lui et de me
compter au nombre de ses pensionnaires. Comment ? demanda
alors Sclopis tourné vers Don Bosco, en plus de l’Oratoire Vous
assurez également l’ouverture d’un Internat de bienfaisance ?
D. B[osco] — La nécessité voulut ainsi, et pour le moment j’en
héberge une quarantaine, pour la plus grande partie de pauvres
orphelins ou des jeunes parmi les plus abandonnés. Ils mangent et
dorment dans cette petite maison, et vont travailler en ville, les uns
dans un atelier, les autres dans un autre.
Pall[avicini]. Ce sont les miracles de la charité catholique.

4.6 Page 36

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22
Coll[egno]. Mais où puisez-Vous les ressources pour supporter
[les frais] d’un tel centre d’accueil ? Etant donné que quarante bouches
de jeunes consomment beaucoup de pain.
D. B[osco]. Fournir la nourriture et le vêtement à ces chers
garçons que je [reçois] est certainement une tâche bien difficile,
et qui parfois me donne pas mal de préoccupation ; étant donné
que, pour la plus grande partie d’entre eux, ils ne gagnent enco-
re rien, et que certains reçoivent un si maigre salaire qu’il ne
suffit pas à les chausser et à les vêtir. Mais, à parler en vérité,
je dois le dire, jusqu’ici la divine Providence ne m’a jamais encore
abandonné ; et même j’ai tellement confiance que Dieu sera encore
envers moi prodigue de ses faveurs, que je désire avoir un local
plus vaste, afin d’augmenter le nombre de mes pensionnaires.
Scl[opis]. Pourrait-on visiter l’intérieur de la maison ?
D. B[osco]. Pourvu que vous veuillez daigner [le faire] ; la maison
est si misérable, que, je le crains, votre regard en sera blessé.
Selon leur désir, D. Bosco les accompagna dans le dor-
toir au rez-de-chaussée, où l’on entrait par une porte très basse.
Le Sénateur Sclopis, qui y entra le premier, en la franchissant
reçut un choc sur son chapeau qui, renversé, serait tombé à terre, si
Pallavicini, sur le nez de qui il vint buter, ne le lui avait pas
retenu par derrière. Le remarquable Comte dit en souriant : Dans
les salles du Roi ceci ne m’arriva jamais. Et le Marquis ajouta à son
tour : Et à moi il ne tomba jamais de chapeau sur le nez.
Ayant visité cet endroit, les trois Sénateurs furent con-
duits à la cuisine. La brave Marguerite était à ce moment-là en
train de mettre en ordre les plats et les marmites : Voici ma
mère, dit D. Bosco ; voici aussi la mère de nos orphelins.
Scl[opis]. — D’après ce qu’il semble, vous êtes également la
cuisinière, n’est-ce pas mère ?
Marg[uerite]. Pour gagner le Paradis, nous faisons un peu de tout.

4.7 Page 37

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23
Scl[opis]. Quelle sortes de nourriture donnez-vous aux jeunes ?
Marg[uerite]. Du pain et de la soupe, et de la soupe et du pain.
Scl[opis]. Et combien pour votre D. Bosco ?
Marg[uerite]. Elles sont vite comptées : pour lui une seule.
Scl[opis]. — C’est un peu trop peu une seule ; mais au moins
vous la lui ferez très bonne ?
Marg[uerite]. Très bonne ! Imaginez-Vous qu’il mange presque
toujours la même, matin et soir, du dimanche au jeudi.
A ces mots ces trois messieurs rirent de très bon cœur.
Scl[opis]. — Et pourquoi jusqu’au jeudi, et non pas d’un diman-
che à l’autre ?
Marg[uerite]. Parce que pour le vendredi et le samedi, jours
d’abstinence, j’en fais une maigre.
Scl[opis]. — J’ai compris. On voit que vous êtes une cuisinière très
économe. Je crois cependant qu’à notre époque votre méthode pour
faire la cuisine n’aura pas beaucoup de développement dans le monde.
Pall[avicini]. — N’avez-vous personne pour vous offrir un coup de
main ?
Marg[uerite]. — Les autres jours, j’ai bien sûr un bon aide ; mais
aujourd’hui il a beaucoup à faire, et me laisse seule.
Pall[avicini]. Et qui est donc votre garçon cuisinier ?
Marg[uerite]. Le voici, dit-elle en souriant et en indiquant du
doigt D. Bosco.
Scl[opis]. — Je Vous félicite, D. Bosco. Je n’avais aucun doute
que Vous fussiez un bon éducateur de la jeunesse et même un
habile écrivain ; mais j’ignorais encore que Vous eussiez aussi des
connaissances en gastronomie.
D. B[osco]. — Je voudrais Vous inviter à me voir à l’œuvre, et
surtout au moment où je fais la polenta.
Tous se mirent à rire et, ayant salué la brave femme, ils
sortirent de la cuisine.
En attendant, comme il était déjà temps de terminer la récréa-
tion, D. Bosco en fit donner le signal, et les trois messieurs eurent une

4.8 Page 38

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24
nouvelle surprise. Ce fut de voir tant de jeunes arrêter rapide-
ment tout jeu et [tout] passe-temps et se mettre en file, pour se
rendre avec ordre dans l’Eglise.
Les Sénateurs visitèrent ensuite chacune des classes de
Catéchisme ; puis ils assistèrent aux Vêpres et à l’exposé d’un
enseignement, et reçurent, avec les jeunes, la Bénédiction du
Saint Sacrement, faisant l’édification de tous par leur attitude
pieuse. Sortis de la Chapelle, ils prirent plaisir à s’attarder enco-
re un peu dans la cour au milieu des jeunes, en interrogeant
tantôt l’un tantôt l’autre. — Quel métier fais-tu ? demanda le
Comte Sclopis à l’un d’eux. — Je suis cordonnier. Saurais-tu
me dire quelle différence il y a entre le cordonnier et le save-
tier ? Le savetier, répondit le jeune garçon assez instruit, est
celui qui coud et raccommode les savates ou les chaussures en
mauvais état ; le cordonnier au contraire est celui qui en fait des
neuves. Par exemple, vos belles chaussures ou vos belles bottes
sont faites par le cordonnier. — Bravo, dit le Comte, tu m’as
donné une réponse magistrale.
D. B[osco]. Il est en effet très assidu à notre cours du soir.
Pall[avicini]. Ici ont lieu aussi les cours du soir ?
D. B[osco]. Oui, pour Vous servir. Nous les avons commen-
cés dès 1844 au profit des jeunes qui, ou bien parce que toute
la journée ils sont occupés dans leurs travaux, ou bien parce
qu’ils sont déjà trop avancés en âge, ne peuvent pas fréquenter
les écoles municipales. D’ici une heure, ils commencent dans ces
pièces voisines.
Pall[avicini]. Sur quel enseignement portent-ils ?
D. B[osco]. — Les premiers éléments de lecture et d’écriture, la
grammaire, l’Histoire Sainte et l’histoire de la patrie, la géographie,
l’arithmétique et le système métrique. Il y a aussi une classe pour ceux
qui apprennent le dessin et la langue française ; et n’y manquent pas
les leçons de musique vocale et [de musique] instrumentale.
Pall[avicini]. Et qui Vous donne un coup de main ?

4.9 Page 39

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25
D. B[osco]. — Ces ecclésiastiques et ces laïcs que j’appelle mes
coopérateurs. Ces personnes charitables m’aident, non seulement pour
ce besoin, mais en plusieurs autres. Entre autres choses ils s’appli-
quent à trouver d’honnêtes patrons pour les jeunes, qui restent sans
emploi, et à fournir des chemises, des chaussures et un vêtement
décent à ceux qui autrement ne pourraient plus se rendre au travail.
Coll[egno]. Braves gens ! Ce sont eux les bienfaiteurs de
l’humanité, ce sont eux qui méritent bien de la patrie.
Scl[opis]. D. Bosco, conclut alors le Comte Sclopis, Chef de la
Commission, je n’ai pas l’habitude de l’adulation ; mais avec toute la
franchise du cœur je Vous avoue, et aussi au nom de mes collègues,
que nous partons d’ici hautement satisfaits et, comme Catholiques et
comme citoyens et Sénateurs du Royaume, nous applaudissons à votre
œuvre, et nous faisons des vœux pour qu’elle prospère et se répande.
Avant de s’en aller le comte Sclopis sortit une aumône et la
donna à D. Bosco pour ses jeunes les plus nécessiteux. Et à partir de
ce jour tous les trois devinrent des bienfaiteurs de son œuvre.
Mais si les éloges rendus à cette Institution apportaient un
grand réconfort à celui qui en prenait tant de soin, devait aussi revêtir
une importance, tout autre que légère, le vif intérêt dont faisaient
preuve les personnages du Royaume les plus dignes de considération.
Du Ministère, quelques jours plus tard, D. Bosco recevait
la lettre suivante en réponse à l’une de ses requêtes :
Secrétariat Royal d’Etat pour les affaires de l’Intérieur.
Division 5, N. 563.
Turin, le 12 Février 1850.
Très ill[ustre] et T[rès] R[évérend] M[aître] Très hon[oré],
Il ne m’est pas possible d’accéder d’une quelconque façon à la
demande de V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et T[rès] R[évérende]
jusqu’à l’approbation définitive du Budget de ce Ministère par le

4.10 Page 40

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26
Parlement National ; j’aurais désiré le faire, pour aider en tout ce je
peux au développement d’une œuvre qui honore hautement celui qui,
avec des sentiments de charité chrétienne, s’en faisait le promoteur
afin de réduire le plus possible le nombre de ces malheureux qui, pri-
vés à la fleur de l’âge d’une personne capable de donner à leur cœur
une formation en accord avec les vrais principes de la religion et de la
civilisation, parviennent, en vivant la vie des tristes sires, à ravager la
société par leur mauvais exemple et à préparer pour eux une misérable
fin. Ce qui m’apporte cependant la plus grande satisfaction, c’est de
pouvoir ici Vous attester la plus sincère admiration pour le zèle inlas-
sable dont Vous Vous montrez prodigue à l’avantage de la jeunesse
pauvre et en danger : que cette [admiration], je le souhaite, serve au
moins à Vous réconforter et à Vous donner du courage pour continuer
dans votre rude, mais philanthropique dessein.
Me réservant de prendre en totale considération votre demande, dès
que sera obtenue l’approbation du Budget par le Parlement, j’ai l’hon-
neur de me déclarer avec une estime pleine de respect
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et T[rès] Rév[érende]
Très dév[oué] et très obl[igé] Serviteur
POUR LE MINISTRE LE P[remier] OFFICIER
DI S[an] MARTINO
Mais plus que [de recevoir] un secours pécuniaire il importait
à D. Bosco d’amener le Gouvernement à louer son œuvre par un acte
public et à montrer son approbation et l’intérêt qu’il y prenait. Cela
devait, par une disposition de la Divine Providence, tempérer à son
égard la malveillance injuste et les soupçons de réaction politique que
beaucoup nourrissaient contre le clergé et lui servir de bouclier dans
les nouvelles perturbations qu’on préparait en haine de l’Eglise.
Dans les conseils secrets des sectes et du Gouvernement on
avait décidé d’entreprendre l’abolition légale de l’Immunité Ecclésias-

5 Pages 41-50

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5.1 Page 41

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27
tique ; mais auparavant, en voulant simuler le respect envers l’auto-
rité de l’Eglise, on prit la décision de reprendre avec le [Souverain]
Pontife les démarches pour un nouveau concordat, qui avaient échoué
en 1848, soit à cause de la mauvaise foi des commissaires piémontais,
soit à cause du départ de Rome de Pie IX. Dans ce but et pour obtenir
de Monseigneur Fransoni et de Mgr Artico leur renoncement à
leur diocèse, en novembre 1849 le comte Joseph Siccardi avait
été envoyé à Gaète. Mais le Pape ne voulut pas transiger dans les ter-
mes que prétendait le Gouvernement Subalpin, bien qu’il fût prêt à
quelques concessions ; et quant aux deux Evêques il repoussa les
injustes prétentions. Le comte Siccardi, s’étant alors fâché, rompit les
pourparlers, et vint à Turin. Le Pape, afin que le Roi ne fût pas induit
en erreur, chargea Mgr André Charvaz de l’assurer de sa bienveil-
lance envers lui et de lui exposer les graves obligations que lui
imposait son ministère apostolique. Et le Roi Victor[-Emmanuel II]
dans l’une de ses lettres promit au Pape qu’il ferait respecter les
droits de l’Eglise et protégerait les deux Evêques.
Depuis longtemps déjà les journaux des membres des
sectes et des brochures en grand nombre travaillaient à rendre
odieux aux yeux du peuple les privilèges de l’Eglise, en en
proposant l’abolition. Et voici que, le 25 février 1850, le Comte
Siccardi, qui avait reçu le Portefeuille de la Justice, propose au
Parlement l’abolition totale des Immunités, à savoir du For Ecclé-
siastique.
C’était le plus ancien de tous les tribunaux aussi bien en
Piémont que dans les autres états catholiques ; il avait son fondement
dans le droit et la justice, comme cela ressort de l’Ecriture S[ainte] et
des décisions des Souverains Pontifes et des Conciles. Les magistrats
n’étaient-ils pas jugés par les magistrats, les sénateurs et les ministres
par les sénateurs, les militaires par les militaires, le commerce et la
marine par des tribunaux spéciaux ? Les députés eux-mêmes, durant
les sessions du Parlement, ne pouvaient être mis en prison sans
l’autorisation de la Chambre.

5.2 Page 42

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28
On voulait donc l’asservissement du clergé au pouvoir civil.
En attendant, au commencement de cette année, Mgr Franso-
ni avait décidé de ne plus différer son retour dans son diocèse.
Les temps se faisaient de plus en plus incertains et difficiles. Le
clergé [dont les membres avaient] grandi lors d’une longue période
de paix, d’harmonie entre les deux pouvoirs, de soumission des
peuples à l’autorité maternelle de l’Eglise, n’avait absolument
aucune expérience des luttes qu’on préparait ; et il ne trouvait pas
d’orientation sur la nouvelle mer démontée où il devait naviguer.
En conséquence, le 22 janvier, l’Archevêque avait envoyé
une lettre pastorale, en donnant communication aux fidèles de l’indult
de Carême, en renouvelant l’interdiction des journaux licencieux et
[des journaux] hérétiques, et en annonçant le rétablissement du
Gouvernement Pontifical. Le 25 février il avait quitté Chambéry,
et le 26 il fixait sa demeure à Pianezza, en donnant, au moyen
d’une lettre, connaissance de son arrivée au Souverain et en ajoutant
qu’il venait poussé par la voix du devoir, à laquelle il ne pouvait
résister sans une faute grave.
Le Roi lui envoya plusieurs personnages distingués, et
même des ecclésiastiques, chargés de chercher à travers divers
prétextes à le persuader de retourner à l’étranger ; mais lui avec
assurance répondait qu’il resterait.
D. Bosco, à son tour, s’empressait de se rendre à
Pianezza, à une distance de Turin d’environ dix kilomètres. Il
était allé tout seul et à pied. En le voyant Monseigneur lui
adressa affectueusement, avec un sourire, ces mots :
homini soli ! [Malheur à l’homme seul !]. [] Et D. Bosco
avec délicatesse sans autre explication lui répondit prompte-
ment : Angelis suis Deus mandavit de te, ut custodiant te in
omnibus viis tuis [Il a pour toi donné ordre à ses anges de te garder
en toutes tes voies]. Maintes fois D. Bosco vint ici lui rendre
visite, car il avait beaucoup de choses à lui dire, et l’Archevêque le
chargeait d’affaires nombreuses et confidentielles ; et puis qui saura
dire comment l’affection l’attirait vers son premier bienfaiteur ? Et
Mgr Fransoni, malgré les lourdes préoccupations qui le serraient de

5.3 Page 43

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29
près, parlait volontiers de l’œuvre des Oratoires des dimanches et des
jours de fête qu’il considérait comme la sienne propre pour l’avoir
encouragée en la patronnant, et il faisait preuve de beaucoup d’in-
quiétude et d’empressement pour son avenir. Avant de partir de
Turin il avait à plusieurs reprises fait appeler D. Bosco pour
l’exhorter à prévenir d’une façon ou d’une autre toute possibilité
d’anéantissement de cette œuvre. Il lui exprimait le vif désir de
voir la constitution d’une société, susceptible de favoriser de plus en
plus le développement de l’éducation des jeunes gens pauvres et
de garder [de cette éducation] l’esprit et les coutumes tradition-
nelles que le plus souvent on a l’habitude d’apprendre à partir
de la seule expérience. Et à présent il lui répétait : Comment
ferez-vous pour continuer votre œuvre ? Vous êtes mortel comme
les autres hommes, et si vous n’y veillez pas, vos Oratoires
mourront avec vous. C’est pourquoi il est bon que vous pensiez
à la manière de faire en sorte qu’ils survivent après vous.
Cherchez donc un successeur qui prenne au moment voulu votre
place. — Et il concluait qu’il était nécessaire de commencer une
Congrégation religieuse.
—————

5.4 Page 44

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30
CHAPITRE IV
Bonne réussite des jeunes de l’Oratoire des dimanches et des
jours de fête D. Bosco fait le catéchisme au milieu d’un
champ, et l’étonnement de quelques Anglais Prudence de
D. Bosco lorsqu’il va visiter les Oratoires Le Marquis de
Cavour enseigne le catéchisme Deux autres catéchistes
célèbres Relations amicales entre l’Abbé Rosmini et D. Bos-
co Projet présenté par D. Bosco à Rosmini.
Au milieu des appréhensions et des espérances, alors
qu’on venait d’accomplir à l’Oratoire les célébrations de la
récollection, le 18 février, après le premier dimanche de Carême,
commençaient à Valdocco, à Porta Nuova et à Vanchiglia les
catéchismes préparatoires à Pâques. Toutefois on n’avait en rien
innové dans les coutumes des années écoulées, si ce n’est que le
dimanche on ne récita plus le Chapelet le soir, mais au con-
traire avant ou après la messe.
Entre-temps les yeux de tout le Piémont, peut-on dire, s’é-
taient tournés vers ces Oratoires avec différents jugements ;
et il ne manquait pas de ces personnes, incapables de faire le
bien et méchantes, qui se moquaient de D. Bosco et de ses élè-
ves : Ce sont de petits vauriens, disaient-elles, et vous n’en ferez
rien de bon. Et elles durent ensuite revenir sur leur jugement, en
voyant comment au contraire il en façonnait de parfaits ouvriers,
d’honnêtes commerçants, des professeurs, des avocats, des militaires

5.5 Page 45

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31
de valeur et de saints prêtres. Pour ce qui est des ouvriers, nous
dirons qu’en 1862 D. Bosco écrivit un aperçu historique sur l’Oratoire
Saint-François de Sales. Ce document fut publié et on peut remarquer
que chaque année il avait réussi à placer plusieurs centaines de jeunes
chez de bons patrons, grâce auxquels ils apprirent leur métier.
Tous les dimanches il recevait les visites de nombreuses
personnes qui voulaient voir comment était donnée l’instruction
religieuse. Et c’était vraiment un spectacle digne d’être contemplé.
Tandis que certains faisaient le catéchisme à la chapelle, d’autres
dans la sacristie et dans des salles attenantes, d’autres dans la
cour et dans le jardin potager devant la maison, D. Bosco
rassemblait les vauriens les plus typés et il allait s’asseoir avec
eux au milieu d’un champ un peu à l’écart, là où mainte-
nant se trouve l’église Marie-Auxiliatrice, dans un espace libre
entre les pommes de terre et les haricots. Après le salut habi-
tuel : Oh ! vous êtes vraiment mes plus grands amis, il
commençait ses explications catéchistiques.
Mgr Cucchi venait un Dimanche à l’Oratoire avec quelques
Anglais qui désiraient voir de façon sûre avec leurs propres yeux
combien de vérité il y avait dans ce que les bruits qui couraient
racontaient à propos du prêtre de Valdocco. Le bon prélat
leur avait dit : Vous verrez qui est D. Bosco ! Ne voulant
pas cependant qu’il fût prévenu de leur arrivée, sans dire
un mot aux nombreux jeunes qu’ils croisaient, ils le cherchèrent
dans l’église et dans la maison, d’un côté et de l’autre, et ne
purent le rencontrer. Finalement ils sortirent par la grille et
Monseigneur découvrit dans un pré un groupe de jeunes à
l’ombre d’un arbre et sans plus il s’écria : Là-bas il y
a des jeunes ; donc il y sera, lui. En effet, D. Bosco était
assis en train de faire le catéchisme à une vingtaine de
voyous, parmi les plus grands, et d’aspect intrépide, qui pour-
tant étaient suspendus très attentifs à ses lèvres. Il est
là ! — ajouta Mgr Cucchi. Ces messieurs anglais s’arrêtèrent pen-

5.6 Page 46

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32
dant un bon moment à observer, ébahis, ce spectacle, et puis ils
s’écrièrent : Si tous les prêtres faisaient ainsi, en catéchisant
même au milieu des champs, le monde serait vite entièrement
converti.
La tranquillité de ce moment, Don Bosco l’avait gagnée
avec de nombreux moyens ingénieux antérieurs. Des foules
d’enfants accouraient également aux catéchismes à Porta Nuova
et à Vanchiglia et c’est pourquoi D. Bosco envoyait là-bas la
majeure partie de ses jeunes abbés et les catéchistes qui avaient
le plus d’expérience. Il n’omettait pas cependant de les surveiller
et il arrivait, non rarement, inattendu au milieu d’eux. Cependant
il sortait de l’Oratoire coiffé de sa barrette, tandis que plus loin
l’attendait quelqu’un de confiance avec son chapeau ; et il agis-
sait ainsi pour empêcher les jeunes de Valdocco de connaître son
absence et pour les amener à garder la certitude qu’il se trouvait
dans la maison.
Mais du fait qu’il subvenait aux besoins de ces deux
Oratoires, venait à lui manquer pour diverses raisons le person-
nel pour Valdocco. Du côté de la discipline, il en avait donné la
charge à D. Grassino y compris pour les externes. Mais pour ce
qui regarde les catéchismes il se trouvait parfois dans l’embarras.
Cependant il remédiait à cette insuffisance en invitant quiconque
à ces moments-là se présentait à lui muni de la science néces-
saire. C’est de cette façon que fut engagé le Théol[ogien]
Marengo, qui continua à catéchiser pendant environ huit ans et,
quand il fut empêché par d’autres occupations, il ne manqua pas
de venir écouter les confessions et aider D. Bosco de toutes les
façons grâce auxquelles cela lui était possible.
Un autre jour survint le Marquis Gustave de Cavour en
compagnie d’un monsieur de ses amis, alors qu’étaient déjà com-
mencés les catéchismes. Connaissant les habitudes de D. Bosco,
il se dirigea sans plus vers le pré où il était au milieu de ses gar-
nements. S’étant approché, il lui présenta son ami, en le priant
de bien vouloir le conduire pour visiter l’Oratoire : [ce monsieur] dési-
rait en connaître l’origine, le but et le fonctionnement. — Comme

5.7 Page 47

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33
vous voyez, monsieur le Marquis, lui répondit D. Bosco, j’ai ici
quelques enfants à catéchiser. Si vous voulez avoir la bonté de les
occuper un peu, je serai heureux de satisfaire votre compagnon. Le
Marquis consentit, s’assit au milieu de ces pauvres garçons et continua
les interrogations que D. Bosco avait commencées. Et le bon prêtre
emmena alors cette personne étrangère à la maison visiter les diffé-
rentes classes.
Une autre fois, un dimanche ou un jour de fête, l’après-midi,
D. Bosco eut la visite de deux prêtres, étrangers à la région, très
célèbres. Se trouvant à Turin, ils se présentèrent à l’Oratoire pour fai-
re connaissance avec D. Bosco. Il était environ deux heures. Les
jeunes étaient en train de trouver leur place et D. Bosco, voyant qu’il
manquait plusieurs catéchistes, se torturait l’esprit pour en improviser
et organiser les classes, lorsque les deux Ecclésiastiques, qui s’étaient
approchés de lui, montrèrent l’envie de lui parler.
Il y a monsieur l’Abbé que voici, dit l’un des deux en faisant
allusion à son compagnon, et moi aussi, qui désirons visiter votre
Oratoire et observer la méthode que V[otre] S[eigneurie] y suit.
Très volontiers, répondit D. Bosco, je vous ferai visiter l’O-
ratoire dans tous ses détails ; mais plutôt après les cérémonies : à
présent, comme vous voyez, je suis ici totalement occupé au
milieu de ces centaines de jeunes. Mais c’est Dieu qui en ce moment
vous a envoyés. Ayez la bonté de m’aider à faire le Catéchisme
et ensuite nous parlerons tout à notre aise. Vous, ajouta-t-il à
l’adresse de l’un d’eux qui lui semblait avoir une plus grande
autorité, voudriez-vous, je vous prie, faire le catéchisme à la
classe qui est dans l’emplacement de la chorale, là où sont les
[enfants] plus grandelets ?
Bien volontiers ! répondit ce prêtre.
— Vous, continua D. Bosco en s’adressant au second, vous aurez
dans le chœur la classe des [jeunes] plus dissipés !
Le second religieux, lui aussi, accéda à l’invitation avec la meil-

5.8 Page 48

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34
leure volonté du monde. D. Bosco donna à tous les deux le caté-
chisme du diocèse et, sans demander qui ils étaient, il les conduisit
dans les classes assignées et ainsi il put veiller à l’ordre général dans
l’Eglise. Le jeune Michel Rua, qui depuis l’année 1849 avait com-
mencé à fréquenter régulièrement l’Oratoire, était présent à cette
rencontre ; et il put les observer assis au milieu des garçons et il en
admira l’attitude. Ces prêtres semblaient à D. Bosco des personnes
très distinguées et il s’aperçut qu’ils faisaient le catéchisme à mer-
veille. S’étant placé dans un endroit d’où il pouvait entendre celui qui
catéchisait dans l’emplacement de la chorale, il l’entendit parler de la
foi à l’aide d’exemples et de comparaisons. — La foi, disait-il, tourne
autour de ces choses qu’on ne voit pas ; au sujet des choses que nous
voyons, on ne dit pas : « Je les crois » ; les choses que nous voyons,
nous les soumettons à notre appréciation ; on croit au contraire les
choses qui ne nous sont pas présentes de façon sensible. Ainsi main-
tenant que nous sommes sur la terre, nous croyons à la vie éternelle,
car à présent nous ne la possédons pas ; mais quand nous aurons la
chance de nous trouver au ciel, ces choses, nous ne les croirons plus,
mais nous les soumettrons à notre appréciation, nous en profiterons.
Don Bosco, en entendant ces explications, et d’autres, si
solides et toutefois très adaptées à l’intelligence des jeunes, le
pria de bien vouloir leur faire après les vêpres le cadeau d’un
petit sermon. Cet abbé lui fit remarquer qu’il était étranger à la
maison et donc que cela ne convenait pas : les jeunes avaient
besoin d’entendre une voix qu’ils connaissaient. Don Bosco insista et
en même temps il invita aussi l’autre à bien vouloir donner la
bénédiction du Saint Sacrement ; et tous deux acceptèrent sans
difficulté. Pendant la durée du sermon, l’autre prêtre assistait les
jeunes. Une fois terminées les cérémonies sacrées, D. Bosco
était impatient d’avoir un entretien avec eux pour savoir qui ils
étaient. — Ce révérend est l’abbé Rosmini, fondateur de l’Insti-
tut de la Charité ! — répondit l’un d’eux en indiquant l’autre.

5.9 Page 49

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35
D. Bosco, hautement surpris, s’écria : — L’Abbé Rosmini !
le philosophe !
Oh ? le philosophe ! répondit en souriant Rosmini.
Un personnage si célèbre, continuait D. Bosco ; celui qui
écrivit tant de livres de philosophie !
Eh, oui ; j’ai écrit quelques livres ! répondit Rosmini
avec un air exprimant l’humilité et le détachement au point
d’émerveiller D. Bosco, qui ajouta : — Alors je ne m’étonne
plus si vous avez fait le catéchisme aussi bien et avec tant de
substance. Et vous, continua-t-il en se tournant vers l’autre,
voudriez-vous également me dire votre nom ?
D. Joseph Degaudenzi [= De Gaudenzi].
Chanoine Archiprêtre de Verceil ?
Précisément.
Oh comme je suis content de connaître la personne de
quelqu’un que déjà je connaissais si bien par correspondance
épistolaire. Un homme si célèbre pour sa charité et son zèle !
Tous deux s’attardèrent ensuite à parler longtemps
avec D. Bosco, et dès ce moment-là ils devinrent des admira-
teurs, des amis et des bienfaiteurs de l’Oratoire.
Lorsqu’ils eurent pris congé, les jeunes auxquels le cha-
noine avait fait le catéchisme demandèrent à D. Bosco qui était
ce prêtre, et il répondit : — Ce prêtre est un de ceux qu’on
choisit pour en faire un Evêque. Il habite Verceil et il est l’un
des [chanoines] titulaires de cet Archidiocèse ! Et, en effet, le
chanoine Degaudenzi [= De Gaudenzi] fut plus tard Evêque de
Vigevano et une splendide sommité de l’Episcopat Catholique.
L’abbé Rosmini vint encore d’autres fois rendre visite à
Don Bosco, accompagné du Marquis Gustave de Cavour.
« Rosmini, racontait le Prof[esseur] Tomatis Charles, de
Fossano, vint honorer de sa présence les cours du soir ; il se
plut à faire à plusieurs reprises le catéchisme et parfois il assista

5.10 Page 50

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36
aux cérémonies religieuses de l’Oratoire, qui avaient pour nous
un charme merveilleux. Lui aussi en resta si enthousiasmé qu’il
les comparait à celles qu’on fait dans les pays des tribus pri-
mitives au milieu des forêts, ou dans les églises cachées des
missions de villes encore païennes, comme le seraient celles de
la Chine et de l’Inde. Il surprit même D. Bosco tandis que sous un
mûrier il instruisait un beau nombre de jeunes gens. Et ce fut
pour lui un tableau consolant, dont il tint à dire : Le calme
tendre de ce bon prêtre est l’indice de son désir ardent pour le
repos éternel du paradis, auquel il parviendra avec les milliers d’êtres
sauvés par lui, qui, tout comme à présent sur la terre, lui feront
une couronne affectueuse un jour dans la gloire des bienheu-
reux. — Il vint même à l’Oratoire un jour ouvrable tandis que les
apprentis rentraient de leurs ateliers. D. Bosco les appela autour de
l’Abbé, qui interrogea les uns et les autres et eut pour tous, et
donc aussi pour moi, une parole d’encouragement : puis il visita
notre petite maison, en restant ému pour cette extrême pau-
vreté ».
A une autre époque les élèves de l’Oratoire jouèrent un
petit drame, bien imaginé et écrit par D. Bosco lui-même, devant
Rosmini et le Marquis Cavour, dont l’Abbé était toujours l’hôte
quand il venait à Turin. Turchi Jean en fut le protagoniste.
Rosmini, en venant à Valdocco, avait l’habitude de rester
pendant longtemps et avec une grande familiarité dans la cham-
bre de D. Bosco. Dès les premières visites il lui avait confié
qu’il avait une somme de son Institut à faire fructifier dans une
banque, et il lui demandait un avis approprié et une suggestion
adaptée. Il aurait cependant préféré la donner en prêt à quelque
famille honnête sans faire d’acte public, pourvu qu’il restât dans
le même temps sûr de son coup.
Bien, dit D. Bosco, qui méditait de construire un bâti-
ment à Valdocco ; je sais à qui Vous adresser. C’est une personne

6 Pages 51-60

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6.1 Page 51

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37
qui, je crois, possède la confiance de votre [Institut]. Bientôt je
Vous écrirai au sujet de l’un de mes projets qui, j’espère, ne
Vous déplaira pas.
En effet, quelques jours après il écrivait ainsi à Stresa :
Très ill[ustre] et Très révérend Monsieur,
La part favorable que V[otre] S[eigneurie] Très ill|[ustre] et Très
rév[érende] prend dans tout ce qui concerne le bien public, et
spécialement le salut des âmes, m’incite à Vous exprimer une
manière de voir, déjà manifestée à D. Fradelizio et naguère
communiquée à D. Pauli.
Il s’agit de construire un nouveau bâtiment pour un Oratoire
qui a pour but l’éducation civile, morale et religieuse de la jeu-
nesse la plus abandonnée. Déjà plusieurs Oratoires semblables
sont ouverts à Turin, à la tête desquels que ce soit ou non une
bonne chose je me trouve. La moisson n’est pas sans épines,
mais elle est abondante et on peut en espérer de grands fruits.
Mais il faut des ecclésiastiques, et des ecclésiastiques bien formés
dans la charité.
Ne pourrait-on pas de quelque prudente façon introduire l’Ins-
titut de la Charité dans la Capitale ? Par ex[emple], si V[otre]
S[eigneurie] Très Cél[èbre] contribuait pécuniairement pour le
nouvel édifice, dans lequel commenceraient à venir et à habiter
quelques étudiants de l’Institut et ainsi insensiblement à prendre
part aux multiples œuvres de charité, en fonction du besoin qui
est grand ? Qu’y réfléchisse V[otre] S[eigneurie] dans sa prudence
et, au cas où dans ce but Vous prendriez le parti d’essayer
quelque chose, comptez sur moi dans toutes les décisions qui
pourront apporter l’avantage des âmes et la plus grande
gloire de Dieu. D. Pauli a tout vu et, connaissant pleinement
mon intention, il peut expliquer l’affaire mieux que ne le permet
la brièveté d’une lettre.

6.2 Page 52

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38
Tandis que je Vous prie de bien vouloir accorder un bienveillant
pardon à la familiarité peut-être excessive avec laquelle j’écris, je
Vous assure que c’est pour moi le plus grand honneur de pou-
voir me déclarer
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très rév[érende]
Turin, 11 mars 1850.
Très hum[ble] Serviteur
BOSCO J[ean] Prêtre.
Au Très illustre et Très célèbre Monsieur l’Ab[] D. Antoine
Rosmini, Chev[alier], Supérieur de l’Institut de la Charité.
Stresa.
mes :
L’abbé Rosmini faisait répondre à D. Bosco en ces ter-
Stresa, 4 avril 1850.
Très Rév[érend] et Très est[imé] D. Jean,
L’Œuvre pie, projetée par V[otre] Rév[érende] S[eigneurie] et
proposée dans votre très aimable [lettre] du 11 mars dernier, plut
beaucoup à mon Vénéré Supérieur Don Antoine Rosmini, et il
désire pouvoir y contribuer efficacement. Cependant, le projet de
cette [Œuvre] ne lui semblant pas suffisamment développé et
élucidé, tant dans votre lettre susdite que dans le rapport que lui
en fit oralement D. Pauli à son retour de votre Capitale, il sou-
haiterait ardemment, avant de s’y engager pour y prendre part,
en avoir de plus grands éclaircissements. C’est pourquoi lui
semblerait tout à fait nécessaire un entretien avec V[otre] Rév[é-
ren]de S[eigneurie], car en s’exprimant oralement on s’entend
beaucoup mieux que par écrit, et il est beaucoup plus facile
d’arriver à quelque conclusion. Donc si V[otre] Rév[éren]de S[ei-
gneurie] pouvait faire un petit tour à Stresa, en nous honorant une

6.3 Page 53

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39
seconde fois de sa présence, Vous nous feriez un nouveau cadeau, et
Vous pourriez tout à loisir Vous entendre avec mon Très rév[érend]
Père. Dans l’affirmative, Vous feriez une bonne chose de dai-
gner nous avertir du moment exact où Vous y viendriez.
En attendant, en portant un baiser sur vos mains, et avec les
respects très cordiaux de mon Supérieur, dont je viens de parler,
et de tous les autres qui ici Vous connaissent, j’ai l’honneur
d’être
Votre Très Dév[oué] Serviteur
C[harles] GILARDI P[rêtre].
D. Bosco ne tardait pas à expliciter ses idées par une
description précise, en écrivant à D. Charles Gilardi :
Turin, 15 avril 1850.
Très Rév[érend] et très ch[er] D. Charles,
Je me réjouis beaucoup [de savoir] que le projet présenté au
Très vén[éré] D. Antoine Rosmini a pu être reçu avec plaisir et
je trouve, moi aussi, que nous avons besoin d’un entretien entre
nous ; mais un concours de plusieurs circonstances rend incertai-
ne l’époque à laquelle je pourrais faire un petit tour jusqu’à
Stresa, comme je désire grandement.
J’estime donc qu’il est bon de ramener ma manière de voir à
quelques points particuliers, en m’offrant pour donner les éclaircis-
sements que l’on pourrait désirer à ce sujet. Mon projet a deux
aspects : l’un d’avoir un subside matériel et une aide spirituelle pour
les Oratoires qui, la Providence Divine en a ainsi disposé, furent ou-
verts sur les trois côtés principaux de la ville ; l’autre, pour savoir, en
faisant un essai, si le Seigneur a choisi ce moment et ce moyen pour
développer l’Institut dans la Capitale, en vue d’adoucir les blessures,
très nombreuses et très graves, celles qu’on a déjà faites et celles
qu’on menace de faire à la Religion. Comme vous le voyez bien,

6.4 Page 54

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40
il faut faire preuve de toute la simplicité de la colombe, mais ne pas
oublier la prudence du serpent. Tenir chaque chose adroitement
cachée afin que l’homme ennemi ne vienne pas en courant
semer l’ivraie.
Néanmoins les affaires publiques devant avoir une légalité
publique afin qu’aucune des parties n’ait à en subir de dommage
vis-à-vis des lois, ainsi je présente à votre Très ill[ustre] et Très
rév[érend] Supérieur le projet suivant, qui, me semble-t-il, peut
taper dans l’œil du public sans que nous soyons pris pour point
de mire.
1. Il s’agit de construire une maison à trois niveaux avec, à
côté, une église pour l’Oratoire. Le bâtiment serait construit dans
un [terrain] plat entouré de murs, de 38 ares, c’est-à-dire 100
planches [voir * page 41], à Porta Susina section Valdocco.
2. Le Pr[être] Bosco cède six chambres, et même plus, à l’Ins-
titut de la Charité pour les étudiants qui viendraient suivre leurs
cours dans la Capitale, ou pour d’autres selon le bon vouloir du
Supérieur. Dans une situation de ce genre, se présente l’ouver-
ture d’un champ d’action pour pratiquer des œuvres de charité en
faveur des Oratoires, d’hôpitaux et des prisons, d’écoles, etc.
3. Le Pr[être] Bosco est disposé à offrir ses services en tout ce qui
peut apporter de l’honneur et des avantages à l’Institut.
4. L’Institut de la Charité contribuerait pour la construction
avec la somme par ex[emple] de douze mille francs à payer en
plusieurs versements : au début au milieu vers la fin [de
l’édification] du bâtiment.
5. Cette somme serait garantie par une hypothèque sur l’em-
placement et sur le corps du bâtiment.
6. En cas de mort du Pr[être] Bosco, l’Institut acquiert la propriété
d’une portion de bâtiment à fixer, sinon il aura droit à la somme
fournie.
Tout cela est ma manière de voir : remarquez cependant
que le Gouvernement et la Ville, qui ont une propension
pour l’instruction publique, se montrent favorables aux Ora-
toires, et ont déjà plusieurs fois manifesté le désir d’établir des

6.5 Page 55

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41
cours quotidiens dans chacun des trois Oratoires ; ce à quoi
je n’ai pas encore pu souscrire par manque de maîtres.
Disons tout en peu de mots : mon intention est de procurer un
avantage à l’Institut de la Charité, en faisant en sorte qu’il vienne
insensiblement dans la Capitale. Si c’est ce que veut le Sei-
gneur, nous pourrons en faire l’essai.
En attendant, ayez la bonté de saluer de ma part l’excel-
lent D. Antoine Rosmini, tandis que je prie le Seigneur qu’Il
Vous conserve tous les deux dans un service profitable à la
religion, opprimée de tant de manières de nos jours, et je suis
de tout cœur
De V[otre] S[eigneurie] Très ch[ère] et Tr[è]s rév[éren]de
Très hum[ble] Serviteur
D. BOSCO J[ean].
—————
* Planche : mesure agraire équivalant, en Piémont, à 38 mètres carrés.
—————

6.6 Page 56

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42
CHAPITRE V
Séance du Sénat à l’avantage de l’Oratoire Débats Déci-
sion favorable.
Un peu plus d’un mois s’était écoulé depuis la visite
des trois illustres Sénateurs à l’Oratoire de Valdocco, quand au
début de mars on vint à savoir que la haute Assemblée s’était
occupée des affaires de l’Oratoire. En vérité, le premier de ce
mois [de mars], sous la présidence du marquis Alfieri, les Séna-
teurs débattaient, parmi les autres, deux requêtes presque analogues,
déjà annoncées depuis le onze janvier de la même année. L’une,
sous le N° 47, était ainsi conçue : « Bruno Joseph-Charles,
professeur, propose que l’on s’occupe au moyen d’une loi de
l’accueil et de l’éducation des jeunes livrés à l’oisiveté et au
vagabondage ». — L’autre, sous le N° 48, était de cette teneur :
« Bosco Jean, Prêtre, expose comment grâce à son activité ont
été fondés trois Oratoires dans les abords de Turin en vue de
l’éducation morale et de l’instruction des jeunes laissés à l’aban-
don, et il demande que le Sénat veuille bien contribuer avec une
décision opportune à la subsistance de ces Institutions ».
Le rapporteur en était le marquis Ignace Pallavicini, qui, une
fois venu le tour de la première requête, se leva et, au nom de la
Commission établie à cet effet, parla ainsi, selon l’extrait que nous
faisons des Actes Officiels, dans la séance du 1er mars 1850.

6.7 Page 57

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43
Sénateur Pallavicini. Le professeur Joseph-Charles Bruno, chi-
rurgien de l’hospice pénitentiaire des jeunes vauriens, à l’aide de la
requête marquée N° 47, se montre à juste titre ému par le nombre très
important de jeunes gens livrés à l’oisiveté, des orphelins et des jeunes
abandonnés par leurs parents, bien souvent des oisifs et des fugitifs
loin du toit paternel : dormant dans les rues, ils parcourent la ville en
vendant des allumettes ou des rats-de-cave, ou de petits imprimés, et
donc ils ne se livrent pas à un métier stable, et sont sans abri fixe ;
c’est pourquoi ils grandissent orientés vers la fainéantise, l’oisiveté, le
délit, les condamnations, en s’habituant depuis l’enfance à enlever des
poches avec un art très raffiné tantôt un mouchoir, tantôt la boîte [à
tabac], tantôt la montre : c’est le présage très funeste de plus graves
délits. Pour obvier à un si déplorable désordre, le méritant professeur
voudrait que ces galopins fussent arrachés à leur vie désœuvrée et
installés au contraire dans quelque établissement, afin d’y apprendre
en même temps que les maximes religieuses un métier de quelque
utilité qui leur serve plus tard de moyen suffisant pour avoir
d’honnêtes ressources ; et dans ce but il propose l’institution de
la Générale, qui assure des études agricoles et forestières et qui a été
récemment remise en service suivant les principes modernes de la
réforme pénitentiaire et munie de tous les moyens utiles susceptibles
de fournir une éducation morale, [un enseignement au niveau des études]
primaires, et [une formation] professionnelle. Pour renforcer sa pro-
position, il cite l’exemple de ce qui est pratiqué à Lausanne, en
Belgique et en France, et il demande instamment une loi qui s’occupe
de ce qui est proposé. Votre Commission ne peut pas ne pas donner
une très grande approbation aux visées bénéfiques et philanthropiques
du zélé professeur et, convaincue comme elle est (et elle croit bien que
sa conviction présente est partagée avec elle par le sénat tout entier)
que c’est une mesure très utile, qu’on ne doit pas différer davantage,
celle de s’occuper efficacement d’un si grand désordre et de remplir
de jeunes les maisons d’instruction, afin que restent vides d’adultes les
prisons et les bagnes, elle vous propose de tout cœur de transmettre

6.8 Page 58

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44
une telle requête au Ministre de l’Intérieur, afin qu’il veille sans
retard et efficacement à enlever la cause d’une si grande dépra-
vation qui surgit continuellement pour les galopins.
Sénateur Giulio. Je demande la parole.
Le Président. La parole est au Sénateur Giulio.
Giulio. — Les sentiments d’humanité manifestés par l’auteur de la
requête et auxquels donne son approbation la Commission, dont
nous venons d’entendre le rapport, sont certainement partagés par
chacun de nous ; et bien sûr nous formons tous le même vœu
pour qu’on porte un remède efficace à des maux que l’auteur de
la requête et la Commission déplorent à juste titre. On peut
toutefois craindre, ou plutôt il est certain que les moyens
proposés par l’auteur de la requête, et que le Sénat approuverait
d’une certaine façon avec le renvoi de la requête au Ministre,
bien loin de déraciner le mal que l’on déplore, aboutiraient à
l’aggraver et à l’accompagner par d’autres maux plus grands.
Avant de prononcer le renvoi proposé, le Sénat réfléchira cer-
tainement dans sa sagesse pour voir s’il est possible que le
Gouvernement se charge directement de l’éducation de tous ces
enfants, s’il est désirable que, le pouvant, il le fasse, si, au cas
où il le pourrait, l’encouragement, qu’on viendrait donner à la
négligence des parents, ne serait pas un mal beaucoup plus nui-
sible que celui qu’on voudrait éviter.
Je ne prolongerai pas davantage ces observations, sûr qu’elles
suffiront à mettre le Sénat en garde contre un sentiment d’huma-
nité dont les effets pourraient être très différents de ceux qu’on
propose d’éviter. —
A ce moment-là le Sénateur Giulio proposait ce qu’on
appelle l’ordre du jour contre la requête du professeur Bruno,
autrement dit il proposait que le Sénat passât outre, sans la
prendre en considération, et sans la renvoyer ni la recommander
au Gouvernement du Roi.

6.9 Page 59

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45
Le Président. — L’ordre du jour étant proposé par le Sénateur
Giulio, je le mets aux voix, car il a la priorité. Que ceux qui
passent à l’ordre du jour veuillent bien se lever.
Après le décompte des voix suivi de la contre-épreuve,
l’ordre du jour [demandé par] le Sénateur Giulio est approuvé, et
c’est pourquoi ladite requête demeura inexaucée.
Ce malheureux résultat de la première demande faisait
craindre qu’un sort de même genre n’arrivât à la seconde ; mais
l’affaire alla bien autrement. Et voici l’heureux aboutissement de
la requête de D. Bosco, malgré l’opposition du Sénateur Giulio.
Sénateur Pallavicini. — Analogue, pour l’objet et le but qu’on
propose, à celle dont je viens à peine d’avoir l’honneur de vous
présenter le rapport, bien qu’elle diffère beaucoup dans les
moyens à employer, est la requête N° 48, qui concerne le distin-
gué et zélé ecclésiastique de cette ville, [le] Prêtre Jean Bosco.
Désireux, lui aussi, [d’œuvrer à] l’avantage de tant de jeunes
dévoyés et en même temps de la société tout entière, il se
dévoua depuis quelque temps déjà, avec le consentement de
l’Autorité Ecclésiastique et [de l’Autorité] Civile, pour rassembler
les dimanches et les jours de fête, et en divers lieux, des jeunes
gens de 12 à 20 ans, et 500 au moins fréquentent l’Oratoire
situé à Valdocco.
Comme à cet endroit il ne pouvait pas en tenir davantage en
raison du nombre croissant, il y a trois ans, il en ouvrait un
autre à Porta Nuova, et enfin un troisième à Vanchiglia, et dans
ces trois lieux au moyen d’enseignements et de classes et de
récréations on inculque les bonnes mœurs, l’amour pour le bien,
le respect envers les autorités et envers les lois, selon les princi-
pes de notre sainte Religion, à quoi il faut ajouter les cours
appropriés autour des éléments de base de la langue italienne, de
l’arithmétique et du système métrique ; et enfin un Internat fut
ouvert pour recueillir 20 à 30 jeunes des plus abandonnés et des
plus nécessiteux.
La sainte œuvre tient ainsi debout grâce aux secours de zélées et
charitables personnes, à savoir des ecclésiastiques comme des gens du

6.10 Page 60

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46
monde, car la ville de Turin ne reste pas en arrière pour ce qui
est des pieuses Institutions et des dons charitables au profit du
pauvre et de l’ignorant.
Mais les dépenses augmentèrent chaque année, et le Deman-
deur est écrasé par la location des locaux, qui monte à 2 400 l[ires] ;
par [les frais] de l’entretien de l’Internat et de la Chapelle correspon-
dante, auxquelles s’ajoutent les dépenses quotidiennes que l’extrême
misère de beaucoup d’enfants rendent indispensables, et donc il
se trouve obligé de cesser la continuation d’une Institution si
digne d’éloges, car il doit trop fréquemment avoir recours aux
personnes qui jusqu’à présent lui vinrent en aide. Il voudrait par
conséquent que le Sénat prît en bienveillante considération une
œuvre si utile, et la soutînt par ses décisions.
La Commission ne se contenta pas de ce qui était exposé par
l’auteur de la requête ; et, bien qu’elle eût déjà connaissance d’une si
salutaire Institution, elle se procura néanmoins de plus amples infor-
mations, et elle apprit qu’en plus des devoirs religieux qu’on y
accomplit les dimanches et les jours de fête à l’avantage de tels
jeunes, auxquels on donne également l’instruction nécessaire, les
méritants fondateurs s’étaient fixé un autre but, et c’était de leur
enseigner, en plus des choses déjà dites, le dessin linéaire,
l’Histoire Sainte, l’Histoire de la patrie, et les notions de la loi
adaptées aux [gens du] peuple, à quoi on aurait ajouté la gym-
nastique, les jeux d’adresse, les courses, etc., etc.
On pensait aussi qu’il était bon de provoquer l’émulation par
quelques expositions d’objets d’art, d’industrie, d’organiser quelques
séances récréatives et culturelles et de distribuer des récompen-
ses. On voulait faire tout cela, mais on ne put pas tout réaliser
à cause de l’insuffisance de ressources et à cause des événements
critiques survenus. L’idée que je vous ai donnée d’une telle Institu-
tion la fait d’elle-même apparaître comme éminemment religieuse,
sociale, utile, sans que j’aie à employer beaucoup de mots pour
vous en persuader. Quel très grand dommage ce serait pour la ville
tout entière, si une telle Institution, au lieu de prospérer et d’atteindre

7 Pages 61-70

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7.1 Page 61

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47
le développement que s’étaient proposé ces bons amis du peuple
qui la suivent dans sa croissance, devait s’interrompre ou disparaître
totalement, du fait de ne pas trouver un bras secourable qui soutienne
aussi ce bien, quoique incomplet, que jusqu’à présent l’on garde
en bon état. Votre Commission croirait manquer à elle-même, au
Sénat qui l’honora d’une charge aussi digne d’estime, à la Société, si
avec toute la conviction de son âme, elle ne vous proposait pas d’en-
voyer une telle requête au Ministère de l’Intérieur, afin qu’il veuille
bien venir efficacement au secours d’une Œuvre si utile et si avan-
tageuse.
Giulio. — A mon profond regret je m’acquitte pour la seconde fois
d’un devoir déplaisant, celui de vous empêcher de vous engager sur
une voie, dans laquelle nous sommes tous attirés par notre cœur, la
voie de la charité légale [voir * page 51], voie, je crois, funeste, voie
sur laquelle, j’espère, le Sénat ne voudra pas s’engager à propos d’u-
ne requête.
Je propose encore sur cette requête l’ordre du jour.
Sclopis. Les considérations exposées pour la seconde fois par
mon honorable collègue, monsieur le Sénateur Giulio, touchent assu-
rément à l’une des plus grandes questions qu’on agite de nos jours
dans la Société Européenne. Ce n’est ici ni le lieu ni le moment de la
débattre ; mais ce serait sans doute, je ne dirai pas anticiper le juge-
ment sur la question, mais une façon de décourager ces Institutions,
qui (provenant de gestes de bienfaisance de personnes privées) enten-
dent faire face à une immense lacune, qui est dans notre Société
actuelle, si le Gouvernement ne donnait pas quelques secours.
Et ici il me semble qu’il ne convient pas de voir qu’on
apporte une réponse à la question de la charité légale, tandis
qu’on sollicite un secours, une aide en partie seulement sub-
sidiaires. Lorsqu’on traita dans d’autres pays la grande question
des gestes de bienfaisance des services publics, je crois que
ceux, qui à très juste titre voulaient en exclure les principes
absolus, reconnurent toutefois que, là où il y a impossibilité de

7.2 Page 62

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48
trouver des secours du côté des particuliers et où le Gouver-
nement, d’autre part, sans s’engager dans des institutions qui lui
soient propres, peut combler, à défaut d’autres solutions, au
moins temporairement, quelque lacune, il peut et doit le
faire.
Je vois par ailleurs un besoin, si urgent, si pressant de s’occu-
per de la situation des garçons qui en sortant de ces écoles
enfantines, dont nous avons ici présent le méritant promoteur, se
retrouvent ensuite presque abandonnés au moment où les pas-
sions se réveillent, [] le sang bout. Je crois important que le
Gouvernement subventionne les œuvres de bienfaisance les plus
urgentes, sans toutefois s’engager d’une manière permanente dans
ces institutions.
C’est pourquoi dans ce cas j’inviterais le Gouvernement à agir
ainsi, et à veiller en sorte qu’il y ait un moyen de faire face à
ces très graves exigences. Par conséquent, en déclarant que la
Commission n’a pas eu l’intention (et je crois que la
Commission est de mon avis) d’entrer dans un débat sur la
charité légale, mais seulement de solliciter un subside, que le
Gouvernement donnerait comme à tant d’autres Etablissements
[aidés par des gestes] de bienfaisance des services publics,
j’insisterai dans la demande de l’envoi au Ministre de l’Inté-
rieur.
Et je le dis avec la plus profonde conviction, car justement
(ainsi que j’avais déjà l’honneur de m’exprimer dans cette
Assemblée en une autre circonstance), le Conseil Municipal,
ayant dû examiner la situation des Ouvriers, a dû avertir qu’il y
a un grand défaut d’assistance de ce côté-là ; et, sans exposer le
Gouvernement à prendre une décision absolue, il peut d’autre
part être utile de maintenir en vie ces institutions qui ensuite
avec d’autres ressources pourront sans doute devenir plus dura-
bles. Le Gouvernement doit le faire ; c’est un grand remède au
mal présent, une grande anticipation d’un bien futur.

7.3 Page 63

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49
Giulio. — Je répondrai premièrement à l’ensemble des
remarques du Sénateur Sclopis en deux mots seulement. Les
Gouvernements sont tenus à distribuer la justice aux citoyens,
non à distribuer des aumônes, car en disposant non pas de biens
[qui leur seraient] propres, mais au contraire des biens des
citoyens, ils ne peuvent en disposer si ce n’est pour des motifs
de justice. Ces considérations, que je crois indubitables, me
paraissent suffisantes pour démontrer qu’un Gouvernement n’est
pas obligé d’apporter sa contribution avec des fonds qui ne sont
pas les siens pour subvenir à l’entretien d’œuvres de bienfaisan-
ce, fussent-elles recommandées par des sentiments d’humanité et
de religion.
Les Gouvernements n’ont pas d’autres dons de bienfaisance à
distribuer que la justice pour tous.
Sclopis. Le Gouvernement doit être juste avant tout ; oui, mais le
Gouvernement doit être également prévoyant ; le Gouvernement ne
doit pas s’engager dans des établissements de charité légale, mais il
doit apporter des subsides dans les urgences extraordinaires. Dans ce
cas-là, la [ligne] absolue n’est pas la meilleure voie qu’on puisse tenir.
Le fait d’être exclusif, surtout dans les urgences actuelles, pourrait
conduire à faire cesser d’espérer le bien de nombreuses institutions,
qui nous sont recommandées non seulement par la voix de la
charité, mais aussi par celles de la prévoyance politique.
Sauli. — J’ajouterai que ces institutions ne sont pas de simples
[affaires d’]aumônes, mais des institutions d’éducation morale et
religieuse, auxquelles, je crois, le Gouvernement est tenu.
Pallavicino-Mossi. Je me permets de faire remarquer au Sénat
qu’il n’y a pas longtemps il avertit qu’il était opportun de donner une
éducation, imposée d’autorité, aux garçons qui vagabondent par les
rues : cet avertissement il l’exprima au moyen de l’un de ses votes
approuvant dans ce but un projet de loi présenté par le Ministre à la
Chambre. Or à quoi tend la requête dont nous fut fait le rapport ? Elle
tend à donner une éducation nullement différente de celle que je viens
d’indiquer. Donc, si le Gouvernement était disposé à subvenir aux

7.4 Page 64

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50
besoins de cette éducation, il peut très bien encore maintenant
faire face aux dépenses nécessaires à cela, sans entrer dans la
théorie de la charité légale.
Sclopis. — Le Gouvernement l’a fait dans une occasion récente à
propos des chauffoirs [voir ° page 51], et il en a été récompensé
par la reconnaissance de tous les citoyens.
Le Président. — Deux propositions sont faites. L’une de la Com-
mission qui recommande la requête au Gouvernement pour un
subside ; l’autre du chevalier Giulio, Sénateur, qui voudrait que
le Sénat passât à l’ordre du jour. Je mettrai aux voix l’ordre du
jour, en tant qu’il est celui qui doit avoir la priorité.
Mis aux voix, l’ordre du jour n’est pas approuvé.
Le Président. Je mets aux voix les conclusions de la Com-
mission.
Ces dernières sont adoptées ; et c’est pourquoi la deman-
de de D. Bosco fut renvoyée au Ministre de l’Intérieur afin qu’il
vînt à son secours pour la subsistance de son Institution.
Cette décision de la Chambre Haute fut d’une très
grande importance ; du fait que depuis ce jour l’ensemble de
l’Oratoire et de l’Internat annexe fut pris en considération par le
Gouvernement lui-même, qui de temps en temps montra son
approbation à son sujet tantôt en en louant le noble but, tantôt en y
envoyant des subsides, tantôt en y recommandant des garçons pauvres
comme dans un lieu sûr, où ils pourraient apprendre à devenir d’hon-
nêtes citoyens, utiles à eux-mêmes, à leur famille, à l’Etat.
Egalement différents journaux irréligieux de la ville, en
faisant écho au Sénat, publièrent des articles de louange en faveur de
D. Bosco, et pour le moment n’osèrent plus dire du mal de lui.
Mais D. Bosco, s’il avait un motif de se réjouir du
bon effet produit par ces débats au Sénat, n’éprouvait pas moins
de douleur pour les nouvelles qui lui étaient parvenues de son
Archevêque. Le Roi Victor-Emmanuel lui avait écrit de sa main une

7.5 Page 65

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51
lettre, en lui disant qu’avant de rentrer dans le diocèse, il aurait
dû attendre d’être rappelé ; et que, comme on savait qu’il était
peu favorable au gouvernement constitutionnel, il pensait néces-
saire que par une lettre pastorale il déclarât ne pas s’y opposer.
Et l’Archevêque, par des lettres du 4 mars, annonçait son arri-
vée imminente à Turin, remerciait le clergé et les laïcs pour les
preuves d’attachement qu’il lui avait données, louait leur constance
dans la foi catholique ; et, avec des mots d’éloge à l’adresse de
l’éminente famille de la Maison de Savoie, il affirmait que tous
devaient se reconnaître assujettis au Statut donné par le Roi
Charles-Albert, puisque son premier article déclare avec des mots
très explicites : La Religion Catholique Apostolique Romaine est
la seule religion de l’Etat.
—————
* Charité légale : gestes de bienfaisance, imposés par la loi à l’Etat,
à l’avantage d’une Institution ou de citoyens.
° Chauffoirs : ces locaux publics étaient destinés à accueillir au
chaud les pauvres durant l’hiver ; en 1844 six furent inaugurés à Turin
dans les quartiers plus populaires.
—————

7.6 Page 66

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52
CHAPITRE VI
Une fête du Statut répugnante Le Parlement approuve la loi
Siccardi Mgr Fransoni rentre à Turin Douloureuse semai-
ne sainte La Communion Pascale dans les Oratoires des
dimanches et des jours de fête Consignes aux jeunes L’exemple
des fils convertit les pères Insultes envers l’Archevêque Le Sé-
nat et l’abolition des Immunités Ecclésiastiques Retour de Pie IX à
Rome Un complot contre la vie du Pape déjoué Séance
récréative et culturelle à l’Oratoire en l’honneur de Pie IX.
Le mois de mars, qui par les bons chrétiens était
sanctifié en préparation à Pâques, était rendu triste cette année-là
par des événements répugnants. Le 4, anniversaire de la promul-
gation du Statut, il y eut des fêtes officielles dans l’église de la
Grande-Mère-de-Dieu, où on célébra la Sainte Messe et on chanta le
Te Deum, tandis qu’étaient rangés, dans la magnifique et immense
place Victor-Emmanuel située en contrebas, les bataillons de la
garde nationale et toutes les Institutions de garçons de la ville.
Un espace avait été également réservé pour les jeunes de l’Inter-
nat de Valdocco, mais ces derniers n’apparurent pas. D. Bosco
était décidé à interdire de même aux jeunes de l’Oratoire des
dimanches et des jours de fête toute manifestation que l’on di-
sait politique, parce qu’il savait où ces [manifestations] iraient
finir. Il dut beaucoup s’employer avec divers moyens ingénieux, com-
me l’affirme le Chan[oine] Anfossi, pour atteindre son but, de 1850 à

7.7 Page 67

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53
1855 ; mais il tint toujours ferme, et réussit sans inconvénients.
En effet, en ce même jour, 4 mars, le déferlement
anticlérical effréné des foules sur les places et dans les rues
contre les prêtres et les insultes sous les fenêtres du Légat
Pontifical [= Nonce], Mgr Antonucci, furent bien déplorables. Les
menaces obligèrent les propriétaires et les locataires à pavoiser
les maisons ; et une projection de pierres lancées avec fureur
dans les fenêtres obtint une illumination spontanée et générale.
Entre-temps au Parlement touchait à sa fin la discussion
de la loi qui enlevait au Clergé le privilège du For [ecclésias-
tique]. Les meilleurs orateurs catholiques de la Chambre com-
battaient ce projet, mais pour la majeure partie les députés, des
hommes sans foi et sans religion, ne se souciaient que peu des
droits et nullement des devoirs religieux. C’est pourquoi ils
répondaient aux arguments des catholiques par des bruits, des
rires, des murmures de désapprobation, et ils applaudissaient
aux odieuses diatribes de Brofferio et de ses autres compères. Et
le 9 mars, avec cent trente voix contre vingt-six, ils approu-
vaient le projet. Ne servirent à rien les fortes réclamations du
Cardinal Antonelli, du Nonce et des Evêques, et des journaux
catholiques, pour que l’on ne violât pas les droits publics de
l’Eglise et que fût respecté le premier article du Statut.
L’Armonia [L’Harmonie] fut confisquée et condamnée ; les
prédicateurs de Carême menacés et importunés, et celui de
S[an] Dalmazzo éloigné de Turin. Tandis que le clergé avait reçu
l’interdiction de présenter des requêtes contre l’abolition de ce
privilège, on encourageait celles des laïques en faveur de la loi.
La Gazzetta del Popolo [Gazette du Peuple], maîtresse de la place
et donneuse de leçons au Parlement, avait, en même temps que
d’autres journaux libéraux, raillé avec acharnement les sénateurs
et les députés qui défendaient la justice.
C’est dans ces circonstances que, le 15 mars, Mgr Fransoni
rentrait finalement à Turin, établissait sa demeure au palais archiépis-

7.8 Page 68

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54
copal et allait présenter ses civilités au Souverain dans son
palais royal. Mais Victor-Emmanuel l’accueillit froidement et
plutôt irrité.
Le 28 était le jeudi saint. D. Bosco, ce matin-là, dit à
D. Giacomelli : — Allons à la Cathédrale observer s’il y a
quelque chose de nouveau. Et ils allèrent et assistèrent à la
préparation des saintes huiles. Sur la place, près de la voi-
ture de son Excellence, en compagnie de quelques-uns des plus
robustes jeunes gens de Valdocco, le directeur du journal catho-
lique La Campana [La Cloche] se tenait prêt à risquer le tout
pour le tout si l’Archevêque recevait une insulte. Il fut cepen-
dant sifflé tandis que de la Cathédrale il revenait au palais. Il
reçut le même affront dans les rues le vendredi saint. Il fut
respecté le samedi pendant qu’il allait à la Chapelle de la Cour
et qu’il en revenait : il y fit la cérémonie de la Communion
Pascale pour le Roi et pour sa famille.
Tandis qu’au centre de Turin on manifestait bruyamment
en insultant Mgr Fransoni, à la périphérie de la ville, dans les trois
Oratoires de Porta Nuova, de Vanchiglia et de Valdocco, près de deux
milliers de jeunes gens du peuple, bien instruits dans le catéchisme,
après trois jours de sermons et une bonne confession, s’approchaient
de la Table Eucharistique, pour accomplir le devoir pascal. Beaucoup
faisaient pour la première fois la sainte Communion.
D. Bosco avait fait imprimer chez Paravia six mille billets
pour les distribuer à ses chers élèves. On y lisait :
« Trois consignes aux jeunes pour conserver le fruit de la
Communion Pascale.
» Chers jeunes, si vous voulez conserver le fruit de la Sainte
Communion que vous faites en ce temps Pascal, mettez en pratique
ces trois avis. Ils rendront content votre cœur et seront source de
bonheur pour votre âme.
» 1° Sanctifiez le dimanche et les jours de fête, ne manquant
jamais d’entendre avec dévotion la sainte Messe et de prendre
part à l’écoute de la parole de Dieu, c’est-à-dire des sermons,
des enseignements et des catéchismes.

7.9 Page 69

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55
» 2° Fuyez comme la peste les mauvais compagnons ; c’est-à-dire
tenez-vous à l’écart de tous ces jeunes qui blasphèment ou
prononcent en vain le Saint Nom de Dieu ; [qui] font des cho-
ses déshonnêtes ou en parlent. Fuyez aussi ceux qui parlent mal
de notre sainte Religion Catholique, en critiquant les ministres
sacrés et surtout le Pontife Romain, Vicaire de Jésus Christ. De
même que celui qui critique la conduite de son père est un
mauvais fils, ainsi est un mauvais chrétien celui qui critique le
Pape, qui est le père des fidèles chrétiens qui sont dans le mon-
de entier.
» 3° Approchez-vous souvent du Sacrement de la Pénitence. Ne
laissez pas passer un mois sans vous confesser, et aussi [sans]
communier en tenant compte de l’avis du confesseur.
» Après la communion arrêtez-vous le plus que vous pouvez
pour remercier le Seigneur et lui demander la grâce de ne pas
mourir en [état de] péché mortel.
» Un seul Dieu : s’il est pour moi un ennemi, qui me sau-
vera ?
» Une seule âme : si je la perds, qu’en sera-t-il de moi ?
» Un seul péché mortel mérite l’enfer : qu’en sera-t-il de
moi si je meurs dans un tel état ?
« Ecoute bien ce que je te dis, mon cher fils :
Trompeur, le monde l’est ; l’ami, le vrai, c’est Dieu ».
Les jeunes gens cependant n’étaient pas les seuls à profiter de
la charité apostolique de D. Bosco ; également nombreux étaient leurs
pères qui avaient recours à l’Oratoire pour mettre en ordre avec Dieu
les comptes de leur conscience, négligés depuis des années. Au fur et
à mesure qu’on avançait dans le Carême ils avaient constaté que
l’enseignement du catéchisme apportait dans leur maison un plus
grand respect et [une plus grande] obéissance. Ils écoutaient, rapporté
par leurs fils qu’ils avaient interrogés, ce que D. Bosco leur recom-
mandait, c’est-à-dire la docilité et l’amour envers les parents et

7.10 Page 70

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56
l’obligation de prier pour eux, puisque Dieu veut qu’il en soit
ainsi, et parce qu’on doit leur être reconnaissant pour les nom-
breuses fatigues qu’ils endurent pour la famille. Tout de suite de
semblables leçons leur inspiraient de la sympathie et de l’estime
pour le prêtre. Le soir où leurs fils s’étaient confessés, ils les
avaient vus revenir à la maison remplis de joie au point de faire
disparaître tout préjugé contre le sacrement de la Pénitence, et
connaître le bonheur d’une conscience tranquille. Et lorsqu’ils les
voyaient devant eux, poussés par le conseil de D. Bosco, en
train de leur demander pardon de toutes les peines qu’ils leur
avaient causées dans le passé et de promettre une obéissance
sans limites pour l’avenir, le remords s’éveillait dans leur cœur :
ils se rappelaient les exemples peu bons qu’ils leur avaient don-
nés et, profondément émus, ils les embrassaient. Puis le jour de
la première communion, beaucoup, invités aussi par D. Bosco,
les accompagnaient à l’Oratoire et, en observant leur comporte-
ment à l’église, leurs visages rayonnants et beaux comme ceux
des anges alors qu’ils revenaient de l’autel, ils sentaient s’éveil-
ler dans leur cœur quelque chose d’inconcevable, ils enviaient la
joie de leur fils, et leurs yeux se remplissaient de larmes,
tandis qu’ils se rappelaient les années de leur innocence. Ce
jour-là, ils n’apparaissaient pas au bistrot ; chez eux la table était
dressée, et ils goûtaient la vie de famille et le bonheur d’une âme
tranquille et aimée. C’est pourquoi ils commençaient à éprouver
de la répugnance pour les désordres qui bien des fois leur avaient
causé des chagrins amers ; une salutaire mélancolie les obligeait
à réfléchir ; une lutte entre le bien et le mal éclatait dans leur
cœur ; et la grâce du Seigneur triomphait, [obtenue] par les prières
de leurs fils. Les uns allaient dans la chapelle attendre que D. Bosco
vînt dans le chœur, les autres se présentaient à lui dans la sacristie
lorsqu’il avait fini de célébrer la Messe et d’autres montaient dans sa
chambre tard dans la soirée pour n’être dérangé par personne. Et
D. Bosco qui au premier coup d’œil comprenait ce qu’ils voulaient

8 Pages 71-80

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8.1 Page 71

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57
de lui, les accueillait avec un visage enjoué, les invitait à lui confier
leurs peines de conscience, leur assurait qu’ils parleraient à un
ami qui avait déjà vu toutes sortes de misères dans le monde si
bien que plus rien ne l’étonnait : il les encourageait à vaincre le
respect humain, il les invitait à s’agenouiller et à se confesser.
Et ils le faisaient : et, contents et heureux, ils revenaient chez
eux pour être dorénavant la consolation de leurs familles. Et à
partir de ce moment-là avec elles ils récitaient les prières matin
et soir, assistaient aux cérémonies religieuses de l’église le
dimanche, s’approchaient fréquemment des sacrements de la
Confession et de la Communion, et venaient parfois à l’Oratoire
pour passer la soirée dans une agréable détente.
C’était là un autre grand avantage qu’apportaient à Turin
les Oratoires des dimanches et des jours de fête.
Mais, si D. Bosco voyait que ses fatigues étaient cou-
ronnées de fruits aussi beaux, le Dimanche de Pâques fut à
même d’apporter de nouvelles blessures au cœur du bon Arche-
vêque. A sa sortie par le portail de la Cathédrale, malgré les
deux lignes de carabiniers qui lui faisaient une haie jusqu’à sa
voiture et les rangs d’un escadron de cavalerie et d’un bataillon
de gardes nationaux qui se tenaient là, Il fut cependant accueilli
par une tempête furieuse de sifflets, de cris et de menaces, qui
couvraient les hourras, les applaudissements et les autres signes
de respect qui lui venaient des Catholiques. Parmi ces coura-
geux il y avait les jeunes adultes les plus sûrs de l’Oratoire
S[aint]-François de Sales, envoyés par D. Bosco quelques heures
auparavant, pour que, dans l’impossibilité où ils étaient de faire
autre chose, au moins ils applaudissent. De cela nous donna
l’attestation le Théol[ogien] Reviglio Félix. Il avait appris l’in-
sulte sacrilège qui était en train d’être préparée par ces violents.
Ceux-ci, en effet, s’étant jetés contre la voiture, en frappaient de
leurs poings les carreaux, et essayaient de couper les mancelles
de la voiture. Et les troupes regardaient impassibles. Par bonheur
l’Archevêque fut tiré de ce grand danger grâce à la perspicacité

8.2 Page 72

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58
du cocher, qui, au moyen de deux puissants coups de fouet sur
les mains et sur les oreilles de ces gredins, les avait empêchés de
couper et avait fait avancer les chevaux.
On voulait à tout prix obliger Mgr Fransoni à s’éloigner
de Turin. En effet, le Sénat devait prendre une décision sur les
Immunités Ecclésiastiques et, le 8 avril, sur quatre-vingts sénateurs
seulement vingt-neuf s’opposèrent à la loi, et ainsi elle fut ap-
prouvée. Le soir de ce jour et de plusieurs autres qui suivirent,
une bande de patriotes émigrés secourus par le Gouvernement et
de jeunes voyous payés et incités par les agitateurs, qui avait déjà
sifflé Mgr l’Evêque de Chambéry tandis qu’il allait au Sénat,
parcourait les rues de la ville en proférant des imprécations con-
tre le Clergé et en hurlant : Vive Siccardi ! Le pire de ce chahut
fut réservé au palais Archiépiscopal. En criant A bas l’Archevê-
que, à bas les Services diocésains, à bas le Délégué Pontifical
[= Nonce], ils brisèrent à coups de pierres bien des carreaux aux
fenêtres et essayèrent de forcer le portail. Pour mettre un terme
à cette manifestation sauvage accoururent des soldats d’infanterie
et de cavalerie.
Le 9, Sa Majesté sanctionnait la loi qui, parmi les
autres mesures odieuses, soumettait les évêques et les prêtres au
jugement des tribunaux laïques ; et le Nonce Apostolique, ayant
demandé les passeports et fait au Roi une visite d’adieu, partait
le 12 pour Rome.
Parmi les intentions secrètes des sectes on avait fait
figurer la destitution de l’Episcopat et la rébellion du clergé.
Elles espéraient que les prêtres et les curés de la campagne
enfreindraient la discipline et que se formerait un clergé civil, un
clergé à la solde et au service de l’Etat. Mais l’Eglise devait
resplendir avec un nouvel éclat ; et de nouveaux exemples de
sacrifice, de générosité et de constance apparaissaient comme une
nouvelle floraison dans le clergé et dans le laïcat.
Entre-temps, venant tempérer la douleur des catholiques
et remplir de joie leurs cœurs, se produisait un fait providentiel :
le retour de Pie IX à Rome. Après que les Français eurent enle-

8.3 Page 73

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59
vé la capitale du monde catholique des mains des républicains,
ayant laissé passer quelque temps pour qu’on remît un peu en
ordre les choses bouleversées par les rebelles, le [Souverain]
Pontife, volontairement en exil, décidait de faire retour au milieu
de son peuple, qui avec une grande impatience l’attendait. C’est
pourquoi, s’étant déjà rendu de Gaète à Portici et à Naples, il
partait de là le 4 avril et, après un voyage de huit jours qui fut
pour lui un glorieux triomphe, le 12, il remettait le pied dans la
Ville glorieuse, au milieu de manifestations d’apparat, de fêtes et
d’acclamations, si cordiales et splendides qu’aucun Souverain et
sans doute aucun Pape n’en avaient jusqu’alors reçu d’égales. Et
non seulement Rome, mais le monde entier en exulta. Pour leur
part, les jeunes de l’Oratoire, lorsqu’ils apprirent par D. Bosco
cet heureux événement, en éprouvèrent une grande consolation,
au point d’en verser des larmes de très forte joie.
D. Bosco, ayant reçu de Rome le récit détaillé de ce voyage
mémorable, fit en sorte qu’il fût publié ; et LArmonia [L’Harmonie]
reproduisait les articles de l’Osservatore Romano [Observateur
Romain]. En même temps, par ordre de Mgr Fransoni dans tou-
tes les églises de l’Archidiocèse, et donc aussi à l’Oratoire de
Valdocco, avec une joie sincère et une vive gratitude, eurent lieu
pendant huit jours des actions de grâces à la Divine Providence.
Cependant les faveurs accordées par le Seigneur au [Sou-
verain] Pontife pour le garder au service de l’Eglise n’étaient pas alors
toutes connues. Tandis que le Pape demeurait encore à Gaète, un
groupe d’anarchistes et de républicains, sous l’inspiration de Mazzini,
avait décidé à Genève de faire assassiner le Pape par quatre sicaires
déguisés en prêtres. La police de Paris en avait averti le Cabinet de
Turin et l’avocat Jean-Baptiste Gal, employé au Ministère des Affai-
res Etrangères qui recevait ces dépêches, en avisa confidentiellement
D. Cafasso ; et peut-être aussi que D. Bosco fut au courant du
secret, puisque le même avocat nous racontait en 1890 combien
était grande la confiance qu’il avait en lui aussi depuis 1841.

8.4 Page 74

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60
D. Cafasso avait écrit aussitôt à Gaète et le projet fut
déjoué (1), l’affaire demeurant secrète jusqu’en 1898, année de la
mort de l’Avocat Gal. Ce fait est authentique et l’on pourrait en
trouver les preuves dans les correspondances et les notes diplo-
matiques du Ministère des Affaires Etrangères.
Pour tous ces motifs D. Bosco voulut donner de solen-
nelles démonstrations de son affection envers le Pape. Une ode
merveilleuse avait été publiée ces jours-là à Rome pour célébrer
l’événement mémorable et D. Bosco, après l’avoir expliquée aux
jeunes, la fit bien des fois déclamer en diverses séances récréa-
tives et culturelles. Nous croyons opportun d’en enrichir ces
pages. La voici :
Il est revenu : de Rome
Jusqu’au ciel une ovation s’élève …
Le Tibre, pris d’orgueil,
En dirigeant ses eaux jusqu’à la mer voisine
Reprend à son tour … Il est revenu
Le Tage, le Garigliano, le Rhin, la Seine
Dressent le front hors du sein qui les a fait naître ;
Grâce aux joyeux accents qu’à l’envi ils répètent
D’un [pôle] à l’autre pôle
Un écho, un unique écho,
Annonce au monde entier :
A Rome est revenu le Successeur de Pierre !
Bien qu’ils ne portent pas de chaînes, [on croit voir]
Encombrer le chemin de malheureux esclaves
Suivant, vaincus, le char de triomphe [et de gloire] …
Un Ange du Ciel le précède :
[voir * page 61]
Marchent en faisant cercle autour de lui
La charité, la foi,
L’espérance divine,
Qui, pour être une plante éternelle,
A pris naissance au pied de la Très sainte Croix !
—————
(1) Italia Reale Corriere Nazionale [Italie Réelle Courrier National],
18-19 mai 1898.

8.5 Page 75

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61
Silence ! … Ecoutez ! … Le chant religieux
Dans l’antique Basilique résonne,
Tel le doux murmure,
Que font des Archanges les ailes,
Lorsqu’ils entourent le trône de Dieu !
L’immense foule se tait.
L’Auguste Pontife,
Au milieu des nuages d’encens,
Les yeux humides, marche timide,
Et de la tombe de Pierre s’approche …
La tiare aux trois couronnes,
Qui impose des lois au monde entier,
Il la dépose au pied de l’autel ;
Il incline sa tête consacrée,
Tandis qu’un rayon de soleil,
Pénétrant au travers de la coupole immense
Tel l’arc-en-ciel, signe de paix et d’espérance,
Ajoute au visage une majesté divine !
Salut, Elu de Dieu !
Salut, don sublime du Ciel glorieux !
Salut, clément, pieux °,
Serein dans le combat contre l’action perverse,
Plus grand alors qu’assis sur le trône suprême !
Viens, Père ! Du haut du Vatican
Tends ta main consacrée …
Dans une humble attitude
Toute la terre attend le vénérable signe ;
Et qu’en entonnant le cantique de Sion #,
Le monde entier répète :
A Rome est revenu le Successeur de Pierre !
—————
* Char de triomphe : image du général victorieux dont le char est
suivi par le groupe des prisonniers vaincus, habituellement enchaînés.
Ici, semble-t-il, il s’agit de mettre en relief le triomphe du Pape, plus
que la situation réelle de ceux qui le suivent.
° Pieux : cet adjectif fait ici écho au nom du Pape Pie IX.
# Sion : manière ici de désigner Rome.

8.6 Page 76

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62
CHAPITRE VII
Mgr Fransoni prisonnier dans la Citadelle Visites des jeunes
de l’Oratoire à l’Archevêque Souscription pour une crosse
d’évêque Mgr Fransoni et D. Bosco à Pianezza Une
nouvelle société d’apostolat parmi le clergé Fondation des
conférences S[aint]-Vincent-de-Paul à Turin D. Bosco et les
Conférences.
De nouvelles sources d’amertume étaient préparées
pour l’Archevêque de Turin. Le 15 avril, l’intrépide successeur
de S[aint] Maxime, en s’acquittant avec un prudent courage de son
ministère apostolique, sans faire allusion à ceux qui avaient voté et
approuvé la loi Siccardi, écrivait une lettre pastorale secrète aux curés
du Diocèse, qu’ils auraient à communiquer à tous les ecclésiastiques
de leurs paroisses. A travers elle, il donnait [aux membres] du clergé
des règles précises de conduite, pour leur éviter de buter contre la
nouvelle loi qui ne pouvait les dispenser de leurs obligations et
pour ainsi maintenir sauve leur conscience ; dans le même temps il
leur ordonnait, au cas où il leur arriverait d’être cités en justice, de ne
pas comparaître sans la permission du Supérieur Ecclésiastique.
Mais la Police soupçonneuse, en demandant aux maires d’é-
pier pour savoir si le clergé avait reçu de la part des Evêques
des instructions contraires à la loi sur les immunités, vint très

8.7 Page 77

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63
vite à connaître la lettre de Mgr Fransoni. En conséquence,
le 21 avril, elle la faisait confisquer dans l’imprimerie Botta,
dans les bureaux de poste et dans le palais Archiépiscopal, en
ordonnant de fouiller dans le cabinet de travail lui-même de
l’Archevêque.
On ne tarda pas à citer Mgr Fransoni devant le tribunal
civil pour rendre compte de sa lettre, et Il répondait qu’il en de-
manderait la permission au Pape et que, si celle-ci venait, il se
présenterait. Les juges n’acceptèrent pas de sa part cette raison.
Il fut donc condamné, par contumace, à 500 lires d’amende et à [la
peine d’]un mois de prison ; et le 4 mai, jour où l’on célèbre à
Turin la fête du Très s[aint] Suaire, à une heure de l’après-midi,
il fut conduit, pour la purger, dans la citadelle de Turin. L’affliction
que tous les braves gens éprouvèrent en apprenant un tel fait est in-
descriptible ; beaucoup de personnes en pleurèrent amèrement : parmi
elles les élèves de D. Bosco, car ils aimaient l’Archevêque comme
leur protecteur et leur père. Le chef de bataillon lui-même, le comte
Viallardi [= Vialardi], en l’accueillant à la citadelle, ne put retenir ses
larmes, et le commandant général Imperor lui céda son logement
personnel. Le soir même, grâce à la complaisance du commandant,
Monseigneur put recevoir les condoléances d’une délégation du Cha-
pitre Métropolitain ; et puis, les jours suivants, accédèrent jusqu’à lui
beaucoup de personnes de la noblesse turinoise et du clergé.
D. Bosco s’y rendit parmi les premiers, et même il s’arrangea
pour faire venir diverses délégations de ses jeunes en vue de consoler
le vénérable prisonnier. Il envoyait Reviglio Félix avec un compa-
gnon : revenus à la maison ils racontaient comment ils avaient traversé
deux ou trois cours entourées de murailles avec des sentinelles et des
carabiniers à chaque pas, et étaient finalement parvenus en présence
du généreux défenseur des droits de l’Eglise. Mgr Fransoni, dans le
logement qui lui avait été réservé, avait accueilli avec bonté les
hommages qu’ils lui présentaient au nom de D. Bosco et à cha-
cun des deux il avait fait cadeau d’un chapelet.

8.8 Page 78

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64
Quelques jours plus tard, allèrent à la citadelle cinq
autres jeunes de l’Oratoire. Bellisio et trois autres furent retenus
dans le dernier vestibule à ciel ouvert par les soldats qui
gardaient différentes pièces d’antichambre. A un seul, à l’orfèvre
Ritner, il fut permis d’entrer ; et lorsqu’il sortit il présentait à
ses compagnons avec une profonde émotion quatre chapelets aux
grains céruléens que leur envoyait le saint Archevêque. Bellisio,
qui était entré à l’Oratoire cette année-là, conservait encore jalou-
sement en 1902 ce précieux chapelet et l’utilisait pour prier.
Entre-temps par le Vicaire général avaient été ordonnées
des prières publiques dans toutes les églises de l’Archidio-
cèse ; et les manifestations d’affection et d’estime à l’égard de
l’Archevêque continuaient.
Le 27 mai 1850 LArmonia [L’Harmonie] invitait les
piémontais à offrir une crosse à Mgr Fransoni. Les [personnes]
les plus importantes du Clergé et des laïcs répondirent volontiers
à cette proposition. Les membres des sectes en éprouvèrent un
profond dépit. Comme on divulguait de temps en temps dans
LArmonia [L’Harmonie] les noms des souscripteurs, ces [membres
des sectes] se mirent à en réimprimer [la liste] qu’ils faisaient
vendre à travers la ville par des galopins qui criaient à tue-tête :
La liste des réactionnaires et des conservateurs rétrogrades.
Pendant ce temps, la Gazzetta del Popolo [Gazette du Peuple]
avec des manières triviales rudoyaient ceux qui favorisaient cette
manifestation [d’affection], parmi lesquels se trouvait le Chan[oine]
Gastaldi ; elle ne put empêcher de recueillir en peu de temps
plus de 8 000 lires ; et la crosse eut une grande valeur, même
d’un point de vue artistique. Le nom de D. Bosco Jean apparut,
le 10 juin, dans la première liste des donateurs avec l’offrande
de cinq lires.
Le 2 juin, qui était un dimanche et où prenaient fin les
trente jours fixés par la sentence, de bon matin, Mgr Fransoni
fut mis en liberté. Il dit ce jour-là : Une autre fois, ce n’est
plus à la citadelle mais [dans la forteresse] de Fenestrelle que je serai
conduit ! Il resta peu de jours à Turin et ensuite se retira à Pianezza

8.9 Page 79

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65
pour reposer son esprit du tourment que devaient assurément lui
avoir causé les événements qui viennent d’être décrits.
D. Bosco l’y suivit pour entendre son jugement définitif
sur la méthode employée dans la direction de l’Oratoire et [pour
savoir] si cette [méthode] pouvait servir d’esquisse ou de fonde-
ment pour les règles d’une société religieuse ; et en même temps
pour avoir de sa part des mots de réconfort et aussi un appui.
Monseigneur approuva les idées de D. Bosco et ensuite il
ajouta : Je voudrais pouvoir vous donner mon appui mais,
comme vous le voyez, moi-même je ne suis pas sûr du
lendemain. Faites comme vous pouvez ; continuez donc coura-
geusement l’œuvre commencée ; je vous donne tous les pouvoirs
qui dépendent de moi, je vous donne ma bénédiction, je vous
donne tout ce que je peux. Il n’y a qu’une chose que je ne
peux vous donner : à savoir vous libérer des soucis qui pourront
venir sur vous.
Mais dans sa captivité l’Archevêque avait été réconforté
par deux événements, qui devaient apporter aux âmes des avan-
tages inestimables.
Au début de cette année-là, entre les prêtres les plus
zélés, qui prenaient part aux conférences spirituelles habituelle-
ment tenues une fois par semaine dans l’église du Cottolengo,
était fondée une espèce de société, qui prenait le nom de
S[aint] Vincent de Paul, et elle se réunissait dans une salle du
Séminaire. A ces réunions participaient des hommes de grande
doctrine et [de grande] sainteté : le Chan[oine] Vogliotti, le Théo-
l[ogien] Borel, le Théol[ogien] Louis Anglesio Supérieur de la Petite
Maison, D. Joseph Cafasso, le Théol[ogien] Vola, Monsieur Durando
Supérieur des prêtres de la Mission, le Chan[oine] Eugène Galletti, le
Prof[esseur] d’histoire de l’Eglise François Barone, le Chan[oine]
Bottino, D. Ponsati, D. Destefanis, D. Cocchi [= Cocchis] et no-
tre D. Bosco. Le Théol[ogien] Robert Murialdo faisait fonction de
secrétaire de la Société. Ces laborieux ecclésiastiques étudiaient
les manières les plus efficaces pour donner de la ferveur aux
prêtres dans la pratique de leurs devoirs ; et ils encourageaient une

8.10 Page 80

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66
action catholique bien vivante. Ils avaient pour objectif surtout
les catéchismes, qui alors étaient pas mal en décadence dans les
paroisses, et notamment ils s’employaient à encourager l’instruction
religieuse dans les deux Faubourgs S[an] Salvario et S[an] Donato, à
cette époque plus détachés du centre de la ville et quasiment délais-
sés. Ils s’occupaient encore de procurer des prédicateurs pour les
missions là où on leur en demandait, et de fournir de catéchistes les
Oratoires des dimanches et des jours de fête, qu’ils reconnaissaient
comme étant le grand besoin du moment. Ils jetaient les premières
semences de diverses associations parmi lesquelles la société contre le
blasphème, [celle] contre la profanation des dimanches et des jours de
fête, et [celle pour] la publication de bons livres contre la propagande
Vaudoise. Ils commençaient le catéchisme dans les prisons correc-
tionnelles et à la Générale, internat de tant de jeunes vauriens.
D. Bosco était assidu, le plus qu’il pouvait, à ces réu-
nions ; et d’après le déroulement [des faits] dans notre récit, il
apparaîtra de toute évidence comment il était l’un des membres
pleins de zèle pour accomplir toutes les œuvres proposées ou com-
mencées, à l’exception d’aucune.
Dans le même temps de bons chrétiens laïques s’orga-
nisaient pour former comme une légion sacrée à côté du clergé ;
et le 13 mai 1850 était fondée à Turin la première Conférence
S[aint]-Vincent-de-Paul, sur le modèle de celles qu’Ozanam avait
instituées en France en 1833. De Gênes était venu le Comte Roch
Bianchi, président de la première conférence génoise née en 1846,
puisque c’était sur son incitation que l’on commençait une œuvre si
salutaire. D. Bosco l’avait soutenu de ses conseils. Le Comte avait été
le promoteur convaincu d’autres conférences en Italie. La céré-
monie inaugurale eut lieu à la sacristie de l’église paroissiale des
S[aint]s-Martyrs. Les membres fondateurs furent sept : le Rév[érend]
D. Baptiste Bruno Curé des S[aint]s-Martyrs, le père André Barrera
prêtre de la Doctrine Chrétienne, le Marquis Dominique del Carretto
di Balestrino, l’av[ocat] François-Louis Rossi, le Chevalier Louis

9 Pages 81-90

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9.1 Page 81

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67
Ripa di Meana colonel en retraite, l’ingénieur Guy Goano, le
Comte Roch Bianchi. Invité, D. Bosco y prit part et eut le
fauteuil d’honneur. La conférence se rassembla au nom de Dieu
et fut mise sous les prodigieux auspices de Marie Immaculée et
le patronage des saints martyrs Soluteur, Adventeur et Octave.
L’av[ocat] Rossi fut élu président. Acceptèrent d’être les premiers
membres Honoraires S[on] E[xcellence] Mgr Louis Fransoni, Sil-
vio Pellico et D. Bosco, qui dans les débuts assistait à ces
conférences et en fut toujours le membre d’honneur, l’ami, le
vénéré protecteur. L’Œuvre de S[aint] Vincent se développa sans
une hâte inquiète mais avec une persévérante constance. Les
visites que faisaient les membres dans les taudis misérables et
souvent crasseux des pauvres, avec des secours matériels, avec
des avis, des réconforts, des admonitions, étaient comme l’appa-
rition d’anges qui apportaient le salut et la paix. Elles procuraient
l’instruction religieuse, rendaient chrétiennes les unions illégiti-
mes. Avec seulement 24 lires et 15 centimes les membres
s’apprêtèrent à pratiquer les œuvres de charité, en commençant
les visites aux pauvres et la distribution des secours après la
troisième réunion tenue le 26 mai 1850. Leurs premières bienfai-
trices furent les augustes et charitables Reines Marie-Thérèse et
Marie-Adélaïde, et la Marquise de Barolo.
La Conférence des S[aint]s-Martyrs fut agrégée à la Société
du Conseil Général, résidant à Paris, le 1er septembre 1850, et en 1853,
alors que les membres actifs étaient soixante-trois et les membres
honoraires trente et un, furent formées en ville quatre conférences
distinctes et comme premier président du Conseil Particulier fut
élu le 15 septembre le Comte Cays, qui en avait été un membre
très zélé. En 1856 comme il y avait déjà à Turin onze confé-
rences et dix-neuf en dehors de cette ville, le Conseil Général de
Paris institua un Conseil Supérieur auquel fut assigné comme district
tout le Piémont. Le Comte Cays en fut président jusqu’en 1868.

9.2 Page 82

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68
D. Bosco eut une très grande part dans la fondation de la
première conférence : il eut aussi une [très grande part] dans [la fon-
dation] d’autres [conférences], que de diverses manières il protégea et
aida, spécialement lorsque surgirent contre elles de fortes opposi-
tions. Entre lui et la bienfaisante Société existaient les plus étroites
relations, et le bon prêtre confiait au patronage de cette [Société]
les jeunes sortis de la prison, qu’il avait amenés sur le bon sentier.
Bien plus quelques membres de la Société S[aint]-Vincent firent
même partie avec lui d’un service de protection, légalement consti-
tué, pour surveiller efficacement et éduquer les jeunes sortant d’une
maison de correction, remis en liberté par le Service de Police.
D. Bosco leur recommandait également d’avoir un amour
de père à l’avantage des enfants des pauvres auxquels ils rendaient
visite et ces [personnes] généreuses favorisaient la création des
Oratoires des dimanches et des jours de fête, encourageaient les
catéchismes et les écoles. On ne peut pas dire le nombre de tous ceux
qui ont bien mérité de la Patrie et de l’Eglise. Les jeunes gens
protégés et soutenus financièrement par eux furent en cinquante
ans au nombre de presque 100 000.
Pendant de nombreuses années D. Bosco allait assister à
la grande réunion générale des conférences, que l’on faisait en
décembre avec beaucoup de solennité, tantôt dans l’église des
[Saints]-Martyrs, tantôt dans celle des Marchands, et chaque fois il
prenait la parole. Il connaissait à fond l’esprit de S[aint] Vincent
de Paul et en présentait les exemples et les maximes. Parfois il
parlait sur l’obligation de faire l’aumône, la manière de la faire
et la récompense préparée par le Seigneur ; d’autres fois, il montrait
que la foi sans les œuvres ne sert à rien, et qu’il faut faire le
bien tant que pour nous c’en est le moment. Certaines exhortations
adressées aux membres roulaient sur la nécessité de se former un
caractère chrétien et religieux de manière que les paroles et les
actions soient toujours régies selon les maximes de l’évangile, et
sur l’importance de faire preuve d’affabilité et de douceur lors-
qu’il s’agit de donner des conseils à propos de la religion ;
certaines autres concernaient les pauvres qui recevaient une visite

9.3 Page 83

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69
et des secours : il faisait entrer dans les esprits l’idée de rap-
peler à [ces pauvres] comment la Divine Providence, après avoir
été invoquée, accourut d’une manière parfois merveilleuse à
l’aide de ses amis plongés dans la souffrance ; ainsi que la
promesse infaillible du Seigneur, à savoir que celui qui souffre
dans la résignation avec Jésus Christ partagera à jamais sa
gloire. Ses paroles produisaient un admirable effet, car les
personnes de toute catégorie sociale et de toute condition,
tant du clergé que du laïcat, le tenaient pour un homme tota-
lement de Dieu et de nombreux membres des Conférences
rivalisaient même d’efforts pour secourir ses œuvres.
Mais vint finalement un jour où l’on n’entendit plus sa
voix dans ces réunions. Dans les dernières années de sa vie, il
se retira et n’apparut plus. Il avait accompli sa mission, et son
action était superflue. Les Conférences S[aint]-Vincent prospé-
raient merveilleusement. En effet en 1900 à Turin elles étaient
dix-sept et trente et une dans le Piémont. En cinquante ans elles
avaient rendu visite à plus de 40 000 pauvres et leur avaient
distribué en subside un million et demi. D. Francesia demanda
un jour à D. Bosco pourquoi il n’allait plus aux conférences
générales, alors qu’il y comptait tant d’amis ; et il eut pour
réponse : — Je n’ai plus rien à faire en cette circonstance. A
présent ce ne serait pas autre chose que d’y aller pour faire de
la figuration. Il fuyait les applaudissements avec lesquels il
aurait sûrement été accueilli.
Mais ses chers amis et bienfaiteurs ne l’oublièrent point,
et le 6 mai 1900, quatre cents membres de la Société de S[aint] Vin-
cent de Paul se réunissaient dans la maison Salésienne de Valsalice
pour assister à une pieuse cérémonie religieuse près de la tombe
de D. Jean Bosco. Ils commémoraient le cinquantième anniver-
saire de la Fondation des Conférences à Turin et dans le Piémont.
S[on] E[minence] le Cardinal Richelmy célébrait la Messe et distri-
buait le pain Eucharistique. Les représentants des conférences étaient

9.4 Page 84

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70
en majeure partie des ouvriers et des agriculteurs. Dans une sal-
le de Valsalice était tenue une réunion plénière et ensuite les
membres des Conférences s’asseyaient pour de joyeuses agapes.
Et on fit aussi plusieurs fois les louanges de D. Bosco, dont les
restes durent tressaillir de joie, eux qui se trouvaient au milieu
de ce triomphe de la charité.
Chaque phrase de ce chapitre, nous l’avons recueillie ou
bien dans les rapports officiels des Conférences, ou bien dans des
informations imprimées, manuscrites ou orales, émanant non
seulement des membres de l’Œuvre de Saint Vincent, mais
également de plusieurs anciens élèves : en témoins qu’ils étaient,
ils nous relatèrent ce que nous avons exposé.
—————

9.5 Page 85

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71
CHAPITRE VIII
Fêtes et canzoni à l’Oratoire Décadence des anciennes Corpo-
rations d’ouvriers Sociétés d’ouvriers irréligieuses Société de
secours mutuel fondée par D. Bosco Son règlement Guerre
contre cette Société Le bien qu’elle a apporté et la semence qu’el-
le a jetée Le milieu ouvrier : aspirations, misères, séductions, et
action catholique.
Les Fêtes de S[aint] Louis et de S[aint] Jean-Baptiste
avaient été célébrées à l’Oratoire avec une grande solennité : les cours
de récréation avaient retenti des hymnes à D. Bosco, et nous
avons encore entendu l’écho de ces anciennes canzoni qui pen-
dant de nombreuses années furent répétées. Elles se composent
de vers à l’état brut, mais elles nous font plaisir autant que celles qui
furent ensuite écrites par beaucoup de personnes de valeur qui
honorent les muses. Craignant cependant qu’elles ne tombent dans
l’oubli, nous accordons la plus haute estime à ces pauvres pages
grâce à la beauté des chers sentiments de nos anciens compagnons.
Allons, frères, qu’en ce jour le cœur
Se montre plein de reconnaissance
Envers Don Bosco bon pasteur
Pour le grand bien qu’il nous fit.
Allons, soufflez dans les trompettes,
Martelez les cloches,
Invitez le voisinage
A faire fête en ce jour.
Et criez : Il est la lumière
Envoyée chez nous par le Seigneur
Pour que fût éclairée
La jeunesse inexperte.
Il est un appui pour les petits vieux,
Pour l’enfant qui n’a pas de pain ;
Il soutient les gamins d’âge tendre
Et les guide vers la vertu.

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72
Donc que tous les pauvres diables
Fassent retentir les airs
De beaux hymnes et de belles pensées
Que se réjouisse ce jour.
Et prosternés devant Dieu
Supplions-le de tout cœur :
Qu’il garde l’homme pieux
Ici chez nous pour longtemps.
A l’amour de ses jeunes D. Bosco répondait par une nouvelle
preuve de sa charité : pour juger de l’importance de celle-ci, il est
nécessaire que nous remontions un peu en arrière de quelques années.
En 1847 existaient encore à Turin les restes médiévaux des
anciennes Universités, à savoir des corporations d’arts, de métiers et
de commerce, avec leurs confréries et un prêtre comme modérateur.
Celles-ci s’occupaient des âmes des membres en leur facilitant
l’accomplissement de tous les devoirs religieux ; celles-là, des
questions temporelles en favorisant l’instruction des apprentis, en
procurant du travail, en tenant des caisses d’épargne, en soignant
les malades, en prêtant assistance aux vieillards, aux veuves, aux
orphelins, en établissant des allocations pour les jeunes qui fondaient
un foyer, en prémunissant le public contre les fraudes des artisans et
des commerçants, en procurant les fonds pour les activités de leurs
magnifiques Oratoires.
Mais l’esprit soi-disant libéral n’avait pas tardé à contaminer
la majeure partie de ces associations, en leur enlevant le caractère
religieux qu’elles avaient par le passé, et en les soustrayant à la
dépendance des Autorités Ecclésiastiques. Et même dans ces [asso-
ciations], on le vit souvent, les membres étaient comme divisés en
deux catégories ; les uns, les libéraux, administraient les patrimoines
et les œuvres de charité ; et seulement les membres catholiques en
revêtaient les uniformes et en fréquentaient les offices religieux.
En même temps que la décadence, conséquence de l’instinct
de faire du mal de ces sociétés, surgissaient diverses associations
prenant leur inspiration dans la Franc-Maçonnerie, qui, sous le couvert

9.7 Page 87

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73
de la charité ou [de la] philanthropie, cachaient la sinistre déci-
sion de pervertir dans leurs réunions les idées des membres tant
sur le plan politique que sur le plan religieux.
Là on propageait des fables contre l’Eglise catholique ;
on inventait, on faisait imprimer et on diffusait des histoires
infamantes contre les Evêques, les prêtres et les religieux, en
n’épargnant rien pour les rendre antipathiques auprès [des gens] du
peuple. Au bout de peu de temps, ceux-ci, pour une partie,
eurent les idées si perverties et ressentirent de si mauvaises
impressions qu’un ministre de Dieu n’était plus en sécurité dans
les rues de la très civilisée ville de Turin elle-même.
Une de ces associations fut celle qu’on appelait Société
des ouvriers. Plusieurs, qui s’y étaient déjà inscrits, ne tardèrent
pas à s’apercevoir qu’ils avaient mis le pied dans un piège, et
ils furent assez prompts pour l’en retirer sans tarder ; mais mal-
heureusement, pour un bon nombre, ils y restèrent et firent bien
vite misérablement naufrage dans les mœurs et dans la foi. Les
bons catholiques n’avaient pas encore porté leurs soins à se
rendre favorables les ouvriers, en entreprenant de soutenir les
intérêts de [ces derniers], puisque jusqu’à peu d’années en arrière
c’étaient les Corporations d’ouvriers qui les défendaient.
C’est pourquoi D. Bosco, après avoir organisé avec la com-
pagnie de S[aint] Louis une nouvelle confrérie, s’aperçut que celle-ci
ne suffisait pas à unir avec des liens serrés les ouvriers ; et qu’il était
nécessaire de les attirer par quelques avantages matériels. Or, pour
empêcher que les jeunes externes de l’Oratoire n’eussent envie de
s’inscrire à des sociétés dangereuses, Don Bosco imagina d’en établir
une entre eux, ayant pour but le bien-être corporel, sans le disjoindre
de l’avantage spirituel de ses membres. A cette fin il pensa imposer
aux membres la condition d’être déjà inscrits à la Compagnie de
S[aint] Louis, dans laquelle on fait acquérir la pratique de la fréquen-
tation des sacrements tous les quinze jours. Il commença donc à

9.8 Page 88

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74
en parler avec les plus adultes, en expliqua le but, les avantages
et les conditions, et son projet fut accueilli avec une approbation
unanime. Puis il proposa qu’un comité [émanant] d’eux en prît
l’initiative et il eut leur adhésion.
L’Association, sous le titre de Société de secours mutuel,
fut inaugurée dans la chapelle le premier juillet 1850, et réussit
à merveille à obtenir le but fixé. D’où l’on voit que la première
graine de ces innombrables Sociétés ou Unions d’Ouvriers catho-
liques, qui en ces dernières années [= autour de 1900] pullulèrent
en de nombreuses villes d’Italie, fut jetée par D. Bosco lui-même
parmi les jeunes de son Oratoire. Il me semble utile ici d’en
citer entièrement le règlement, soit en souvenir de ce qui fut
fait, soit comme règle pour quiconque voudrait la fonder ailleurs,
en apportant les modifications et les ajouts que les temps et les
personnes demandent.
Le règlement était précédé par cet Avertissement, qui
portait la signature de D. Bosco :
« Devant vous, chers jeunes, voici un règlement pour votre
Société. Il vous servira de règle afin que la Société marche avec ordre
et avec profit. Je ne peux m’empêcher de louer votre ardeur et votre
diligence pour la promouvoir. Elle est une réelle prudence. Vous
mettez en réserve un sou par semaine, sou que l’on considère comme
peu de chose quand on le dépense, et qui vous rapporte beaucoup si
vous vous trouvez dans le besoin. Ayez donc toute mon approbation.
» Seulement je vous recommande, tandis que vous vous mon-
trerez zélés pour le bien de la Société, de ne pas oublier les
règles de la Compagnie de S[aint] Louis, dont dépend l’avantage
fondamental, c’est-à-dire celui de l’âme.
» Que le Seigneur infuse la vraie charité et la vraie joie dans
vos cœurs, et que la crainte de Dieu accompagne chacune de vos
actions ». Le règlement suivait.
1° Le but de cette Société est de prêter secours à ces compa-

9.9 Page 89

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75
gnons qui tomberaient malades, ou se trouveraient dans le be-
soin, ayant été involontairement privés de travail.
2° Personne ne pourra être admis dans la Société s’il n’est pas
inscrit dans la Compagnie de Saint Louis, et celui, qui pour
quelque motif cesserait de faire partie de cette Compagnie, ne
sera plus considéré comme membre de la Société.
3° Chaque membre paiera un sou chaque dimanche et ne
pourra jouir des avantages de la Société que six mois après son
acceptation. Il pourra cependant avoir droit immédiatement au
secours de la Société si, en entrant, il paie 1,50 [une lire
et demie], pourvu qu’alors il ne soit ni malade ni sans tra-
vail.
4° Le secours pour chaque malade sera de 50 centimes par
jour jusqu’à son rétablissement en parfaite santé.
Par ailleurs, au cas où le malade serait accueilli dans quelque
Œuvre pie, le secours cessera, et il ne lui sera pas versé si ce
n’est à sa sortie pour le temps de sa convalescence.
5° D’autre part ceux qui, sans que [ce soit de] leur faute, res-
teront privés de travail, commenceront à percevoir le secours
susdit huit jours après leur cessation de travail. Au cas où le
subside devrait dépasser la durée de vingt jours, le Conseil
prendra à ce sujet les décisions opportunes pour l’augmentation
ou pour la diminution.
6° On acceptera avec reconnaissance toutes les offrandes faites
au bénéfice de la Société, et on fera chaque année une collecte
particulière.
7° Celui qui pendant un temps notable négligerait de payer sa
cotisation, ne pourra pas jouir des avantages de la Société tant
qu’il n’aura pas acquitté la cotisation arrivée à échéance et pen-
dant un mois il ne pourra prétendre à rien.
8° La Société est administrée par un directeur, un directeur
adjoint, un secrétaire, un secrétaire adjoint, quatre conseillers, un
visiteur et son remplaçant et un trésorier.

9.10 Page 90

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76
9° Tous les administrateurs de la Société, en plus d’être ponc-
tuels dans le paiement d’un sou chaque dimanche, auront le plus
grand soin d’observer les règles de la Compagnie de S[aint]
Louis pour s’occuper ainsi de leur sanctification personnelle et
encourager les autres à la vertu.
10° Le directeur de la Société est naturellement le Supé-
rieur de l’Oratoire. Celui-ci veillera avec soin à ce que les
administrateurs fassent leur devoir, et que le besoin des membres
soit satisfait aux termes du présent règlement.
11° Le directeur adjoint aidera le directeur, donnera au secré-
taire les ordres opportuns pour les réunions, et présentera en
Conseil tout ce qui pourrait être avantageux pour la Société.
12° Le secrétaire aura soin de recueillir le dimanche les cotisations,
en notant ponctuellement ceux qui remplissent leur obligation, et en
cela il fera preuve d’une grande charité et [d’une grande] gentillesse.
C’est aussi la préoccupation du secrétaire d’envoyer des billets au
trésorier, sur lesquels il aura pu noter le prénom, le nom, le do-
micile du malade ; toutes les décisions de quelque importance
prises dans le Conseil seront enregistrées par le secrétaire. En
cette multiplicité de choses il sera aidé par le secrétaire adjoint,
qui, si le besoin se présente, le remplacera.
13° Les quatre conseillers diront leur manière de voir au sujet
de tout ce qui concerne l’avantage de la Société, et participeront au
vote, aussi bien en ce qui touche à l’administration des affaires
qu’à la nomination d’un membre.
14° Le visiteur de la Société est naturellement le Directeur
spirituel de la Compagnie de S[aint] Louis. Celui-ci se rendra en
personne chez le malade, afin de vérifier le besoin et d’en faire
au secrétaire le rapport qui s’impose. Dès qu’il aura obtenu le
billet convenable, il le portera chez le trésorier, après quoi il trans-
mettra au malade le secours alloué. En remettant le secours, le
visiteur aura le plus grand soin de rappeler au malade quelques
maximes de notre Sainte Religion, et de l’encourager à recevoir

10 Pages 91-100

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10.1 Page 91

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77
les Sacrements Sacrés, au cas où s’aggraverait la maladie. En
cela il sera aidé par son remplaçant, qui montrera le plus grand
empressement à aider le visiteur, spécialement pour porter les
secours et consoler les malades.
15° Le trésorier gérera avec soin les fonds de la Société et en
rendra compte tous les trois mois. Mais il ne pourra pas donner
de l’argent à quelqu’un sans un billet apporté par le visiteur,
signé par le directeur, [billet] sur lequel on aura pu déclarer la
réalité du besoin.
16° La charge de quelqu’un appelé à un service [dans la Socié-
] durera un an ; il pourra cependant être réélu.
17° Tous les trois mois le Conseil rendra compte de son
administration.
18° Le présent règlement commencera à être en vigueur le
premier juillet 1850.
A chaque sociétaire fut remis comme carte de membre
un livret ayant pour titre Société de Secours Mutuel groupant
quelques personnes de la Compagnie de S[aint] Louis fondée à
l’Oratoire S[aint]-François de Sales. Turin, Imprimerie Speirani et
Ferrero, 1850. Sous le frontispice était imprimée la devise, [ins-
pirée du] Psaume 133 : « Oh oui, frères, comme il est agréable et
avantageux de s’établir en société ».
A la fin y était joint le formulaire d’inscription ainsi
libellé :
Le Jeune
fils de
demeurant
de profession
a été inscrit dans la Société le
du mois de
l’an 18
Pour le Règlement il a payé 15 cent[imes].
Le SECRÉTAIRE
Le DIRECTEUR.

10.2 Page 92

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78
Cette société ainsi organisée répondit à merveille à son
but, mais éveilla les colères de ceux qui faisaient converger tous
leurs efforts pour corrompre les gens du peuple, et les avoir à
leurs ordres en certaines occasions.
Brosio Joseph écrivait ceci à Don Bonetti Jean : « En
face de la porte d’entrée de notre petite église de Valdocco,
séparée de notre cour par un mur de clôture, se dressait
l’auberge dite la Jardinière. Elle était le refuge des voleurs, le
rendez-vous des vagabonds. Là se rassemblaient les fainéants, les
joueurs, les ivrognes, les musiciens ambulants, les dompteurs
d’ours, les désœuvrés de toutes sortes et avec eux les membres
des sociétés d’ouvriers libérales alors naissantes, qui avaient leur
siège principal dans la ruelle Sainte-Marie dans une cave sou-
terraine. Les Chefs secrets de cette société étaient quelques
protestants et certains messieurs de très mauvaise conduite. Si,
les années précédentes, les orgies des anciens clients de la
Jardinière causaient du dérangement, toutefois ils n’étaient pas
expressément hostiles envers l’Oratoire. Mais cette année-là les
huées au moment des cérémonies sacrées visaient évidemment à
faire enrager D. Bosco et à se moquer de lui avec des gros
mots triviaux. Ces vauriens étaient payés par les agitateurs pour
faire entendre à l’Oratoire toute la rage de ces derniers.
» D. Bosco voyait la nécessité d’éloigner de Valdocco cette
batterie avancée du démon ; mais ce n’était pas une entreprise
facile, soit en raison des dépenses considérables, soit parce qu’il
était dangereux d’offenser cette racaille, prête à n’importe quelle
violence : il eût été plus facile de lui permettre l’occupation
d’une maison qu’elle considérait comme étant sa propriété.
» D. Bosco en eut maintes fois des preuves écœurantes. Un jour il
fut appelé dans la sacristie où quelques hommes l’attendaient et
il alla aussitôt croyant qu’ils voulaient se confesser. Mais dès
qu’il fut entré ces [hommes] fermèrent les portes. Alors plusieurs

10.3 Page 93

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79
jeunes parmi les plus adultes, au nombre desquels Buzzetti et
Arnaud, soupçonnant que quelque chose se tramait, passèrent par
le chœur de l’église et de là se tinrent aux écoutes en regardant
par la serrure de la porte qui donnait dans la sacristie. De fait
ils entendent tout à coup parler fort et de façon très excitée ces
méchants hommes, venus pour discuter avec D. Bosco. Mais les
ayant, en peu de mots, confondus, et comme ils ne savent plus
quoi lui répondre, ils se mettent à lui dire rageusement beau-
coup de grossièretés. D. Bosco cherchait à les calmer, mais les
autres s’enflammaient encore plus et sortaient les couteaux. A ce
moment les jeunes qui guettaient firent du bruit et enfoncè-
rent la porte ; et ces malheureux s’enfuirent par le seuil qui
s’ouvrait sur la cour.
» Entre-temps se produisaient certaines désertions mystérieuses
de jeunes parmi les plus grands, qui faisaient partie de notre
société de Secours Mutuel, sans qu’on pût en connaître la raison.
Lorsque voici qu’un jour deux messieurs habillés avec beaucoup
d’élégance m’arrêtèrent. Ils parlaient français, une langue que je
connaissais bien, et, après une conversation cordiale, ils m’offrirent
une grosse somme d’argent, environ 600 lires, avec la promesse
qu’ils me procureraient aussi un emploi avantageux, si toutefois
j’abandonnais l’Oratoire et si j’entraînais au dehors mes compa-
gnons, sur lesquels, ils s’en étaient informés, j’avais une grande
influence. Je m’indignai en raison de cette offre, et en quelques
mots je leur répondis : D. Bosco est mon père et je ne
l’abandonnerai pas et je ne le trahirai pas pour tout l’or du
monde ! — Ces messieurs, je sus ensuite qu’ils étaient l’âme de
cette clique d’ouvriers, ne s’offensèrent pas ; ils me prièrent de
réfléchir et, plusieurs autres fois, par intervalles, ils renouvelèrent
leur offre d’argent, que je refusai toujours. Je compris alors
comment une vile somme d’argent avait séduit certains de mes
malheureux compagnons en les faisant abandonner l’Oratoire.
» J’avais tout raconté à D. Bosco, mais seulement à lui, et nous
jugeâmes qu’il était prudent de tenir secrets ces faits, pour ne pas

10.4 Page 94

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80
éveiller la convoitise de certains [jeunes] moins solides dans la
vertu, et dans le même temps de prier, en redoublant la vigilan-
ce et les moyens d’attirer à l’Oratoire ».
Mais pourtant, malgré cette guerre, la société ouvrière de
D. Bosco augmenta en nombre pendant plusieurs années, et y
furent admis à titre exceptionnel quelques apprentis de la ville,
excellents chrétiens, afin que leur exemple entraînât dans l’ordre
les nouveaux arrivés. En 1856, la société était florissante et
Villa Jean, lui aussi, voulut y être inscrit, sur l’invitation de son
compagnon Gravano. En 1857, cette même [société] se changea
en conférence et, en ayant son siège à l’Oratoire, elle fut an-
nexée aux [conférences] S[aint]-Vincent-de-Paul pendant un temps
considérable.
D. Bosco s’était également donné du mal dans cette
institution pour deux autres motifs très graves qui l’avaient con-
vaincu. Il fit partie des personnes peu nombreuses qui avaient
compris dès le début, et il l’a dit mille fois, que le mouvement
révolutionnaire n’était pas un tourbillon passager, car les promesses
faites au peuple n’étaient pas toutes contraires à l’honnêteté, et
beaucoup répondaient aux aspirations universelles des prolétaires
exprimées avec vigueur. Ils désiraient obtenir une égalité com-
mune à tout le monde, sans distinction de classes, une plus
grande justice et une amélioration de leur sort.
D’autre part, il le voyait, les richesses commençaient à
devenir le monopole de capitalistes au cœur sans pitié, et les patrons
imposaient à l’ouvrier isolé et sans défense des contrats injustes soit
par rapport au salaire, soit relativement à la durée du travail ; et
la sanctification des dimanches et des jours de fête était souvent
empêchée de façon brutale ; et [il voyait] que ces causes devaient
produire de tristes effets : la perte de la foi chez les ouvriers, la
misère de leurs familles et l’adhésion aux maximes subversives.
C’est pourquoi pour servir de guide et de frein pour les
classes ouvrières, il considérait comme un parti nécessaire [à prendre]
que le clergé s’approchât d’elles. Il ne pouvait pas donner à sa Société

10.5 Page 95

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81
de Secours Mutuel le développement qu’auraient demandé les
besoins de l’époque, quoiqu’il méditât de construire pour les jeunes
apprentis un grand nombre d’internats. Mais pour le moment il
prévoyait que la direction, la surveillance sur les registres des som-
mes versées, l’administration, la distribution des secours à la longue
ne lui seraient plus possibles. Il résista, il fit des progrès ; mais
ensuite il dut s’arrêter, d’autant plus que son entreprise ne fut pas
secondée par ceux qui pouvaient le faire ; et même au contraire
il ne fut pas exempt de critiques. Cependant il eut le mérite de
donner la première impulsion et le modèle à tant d’autres asso-
ciations parmi les ouvriers catholiques, pour en améliorer le sort, en
satisfaire les justes réclamations et ainsi les soustraire à l’influence
tyrannique des révolutionnaires. La première des unions ouvrières
catholiques, établie en Italie, fut celle de Turin, en 1871, sous
l’impulsion d’une poignée de jeunes généreux. Malheureusement
les sectes avaient déjà rassemblé les ouvriers et établi entre eux
et à leur propre avantage le secours mutuel ; toutefois mieux
vaut tard que jamais. Ces unions chrétiennes augmentèrent en
nombre dans tout le Piémont et dans d’autres parties d’Italie, et
elles eurent l’assistant ecclésiastique, pour le grand avantage de la
cause catholique et pour la bien grande consolation de D. Bosco.
Plusieurs d’entre elles, au moyen d’un diplôme, le proclamèrent leur
Président d’Honneur. L’esprit du Seigneur planait sur le monde et, au
moyen de nouvelles institutions, il pourvoyait aux nouveaux besoins.
Le Pr[être] Kolping fondait en Allemagne la Société Catholique des
jeunes garçons ou apprentis : [groupés] autour des sièges propres
[à la Société établis] en beaucoup de villes, ils atteignent à présent le
nombre de beaucoup de dizaines de mille. La France donnait
aussi un bien noble exemple : de riches industriels contribuèrent
généreusement à introduire dans leurs immenses usines le bien-être
d’un travail rémunérateur, chrétien et sans anxiété pour l’avenir.
Entre autres Léon Harmel, appelé le bon père, le père de l’ouvrier, un
ami intime de D. Bosco dans la conformité de sentiments.

10.6 Page 96

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82
CHAPITRE IX
Un cadeau du Pape aux jeunes des Oratoires La fête des
Chapelets Article d’un journal catholique Lettre du Car-
dinal Antonelli Indulgences.
Si à Valdocco régnait l’affection pour le prêtre, ailleurs
s’enracinait la hargne contre l’Eglise. Benoît XIV avait accordé au
Piémont, en Vicariat perpétuel, quelques fiefs, propriétés de l’Eglise,
avec l’obligation de payer chaque année à Rome, le 28 juin, un
calice de 2 000 écus ; ce pacte avait été ratifié par une solennelle
convention le 5 janvier 1740, et on l’avait toujours maintenu.
En 1850 cependant on ne voulut plus payer le calice, parce
que l’Etat proclamait qu’il était propriétaire de tout et que l’Eglise
était une association sans droits. Mais l’angélique Pie IX, bien
qu’offensé de tant de façons, aimait les Piémontais et offrait aux
fils de Don Bosco une nouvelle occasion [de vivre un moment] de
grande allégresse. Les lecteurs se rappelleront que lorsque le Pape
reçut en exil leur petite obole * de 33 lires, il la mit de côté
pour en faire en temps voulu, comme il le dit alors, un usage
particulier. Durant son séjour à Gaète, le Saint-Père avait parlé plu-
sieurs fois de cette offrande, et avec beaucoup de complaisance il
l’avait montrée à quelques voyageurs, qui étaient venus lui rendre
hommage. Eh bien, un jour, il fit appeler près de lui l’Eminen-
tissime Cardinal Antonelli, prit cette petite somme, y ajouta autant
—————
* Cf. Mémoires Biographiques, au vol. III, p. 508.

10.7 Page 97

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83
qu’il était nécessaire et lui dit : « Faites acheter avec cet argent
autant de chapelets qu’il sera possible ». L’ordre fut tout de
suite exécuté, et on acheta une bonne soixantaine de douzaines
[de chapelets] rangés en deux gros paquets. Quand il les eut
devant lui, Pie IX les bénit et les remit de sa propre main au
Cardinal nommé plus haut, en disant : « Que l’on envoie ces
chapelets aux apprentis du prêtre Bosco, et que ce soit un signe
de l’amour d’un père pour ses fils ». Ayant reçu l’auguste
commandement, l’Eminentissime [Cardinal] Antonelli envoyait ce
cadeau au Nonce Apostolique de Turin, en l’accompagnant de la
lettre suivante :
Très ill[ustre] et Très rév[érend] Monsieur,
Me souvenant de ce dont je faisais part à V[otre] S[ei-
gneurie] Très ill[ustre] et Très rév[érende] dans ma dépêche du 14
mai de l’an dernier, je Vous remets par l’intermédiaire du
Conseil général pontifical de Gênes deux paquets de chapelets bénis
par Sa Sainteté, à distribuer aux bons apprentis du prêtre Bosco.
J’aurais voulu avant ce jour concrétiser cette démonstration
[d’affection] du Saint-Père, si la multiplicité et la gravité des
affaires m’en avaient laissé le loisir.
Daignez faire apprécier le cadeau en raison de sa haute pro-
venance, et avec des sentiments de l’estime la plus distinguée je
me déclare
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très rév[érende]
Portici, 2 avril 1850.
J[acques] Card[inal] ANTONELLI.
Celui qui veut bien réfléchir au fait que le Pape est la
personne la plus grande et la plus vénérable qui existe sur la
terre, et porter son attention sur les affaires, d’une ampleur
démesurée et d’une importance très grave, que Pie IX avait ces
jours-là entre les mains, ne tardera pas à reconnaître qu’une telle

10.8 Page 98

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84
sollicitude de sa part pour de pauvres enfants était d’une valeur
incomparable. C’est pourquoi, lorsque Don Bosco leur annonça
que le très aimable [Souverain] Pontife, avant de quitter son exil, non
seulement s’était rappelé de leur condition bien modeste, mais avait
envoyé un cadeau, leur cœur de jeunes tressaillit de joie et l’at-
tente pour en avoir une part leur semblait de mille ans. Ayant bien
réfléchi à l’aspect singulier de la chose, D. Bosco, à son retour de la
Retraite [spirituelle] de S[ant]Ignazio, où le Curé de S[an] Dalmazzo,
de Turin, avait prêché les conférences et le Vicaire Général de
Fossano les méditations, jugea bon de distribuer ces chapelets de
façon solennelle, en célébrant à cette occasion une fête particulière
pour garder un souvenir perpétuel de l’événement. Ce dernier fut
encore rappelé par la publication d’un petit livre, écrit par D. Bosco,
avec le titre : Brève information sur la fête organisée pour
distribuer le cadeau de Pie IX aux jeunes des Oratoires de
Turin. Turin, 1850, Imprimerie des Fils Botta, successeurs.
Le dimanche 21 juillet arriva donc ; l’église était décorée
comme pour une fête. Le soir, tous les jeunes des Oratoires se
réunirent dans [l’Oratoire] S[aint]-François de Sales, en tant que fondé
le premier. Bien qu’un bon nombre [d’entre eux] restât en dehors
de la Chapelle, toutefois celle-ci en était remplie. Brosio Joseph,
le bersaglier, avec sa grande armée, faisait la haie pour le bon
ordre. Le très célèbre Père Barrera, de la Doctrine Chrétienne,
orateur de grand renom, prononçait un très beau discours de cir-
constance. Sa manière de faire, pleine de clarté et de dignité, les
tendres expressions avec lesquelles il parla du Pasteur suprême de
l’Eglise retinrent l’attention des jeunes auditeurs et les émurent
profondément. Entre autres choses, il disait : « Savez-vous, jeunes,
pourquoi Pie IX vous a envoyé ce cadeau ? Je vais vous le
dire, moi : Pie IX est toute tendresse pour la jeunesse, et avant
même de devenir Pape, il s’employait en diverses sortes d’occu-
pations pour l’instruire, l’éduquer, la conduire vers la vertu. Il vous
envoya un chapelet, parce que, du temps où il était encore un simple

10.9 Page 99

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85
homme vivant dans le monde, il avait déjà une grande dévotion
envers la Très sainte [Vierge] Marie. Moi-même, je le vis plu-
sieurs fois, en public et en privé, donner des signes peu
ordinaires de dévotion envers la Grande Mère de Dieu ».
Une fois terminé le sermon et la bénédiction du Saint
Sacrement ayant été donnée, les jeunes passèrent, l’un derrière
l’autre, en file devant l’autel, et chacun recevait un chapelet des
mains du chanoine Joseph Ortalda qui en faisait la distribution,
assisté par le théologien Simonino et par le Père Barrera, nom-
mé plus haut. Les grains de chapelets étaient rouges, enchaînés
par un fil de métal blanc. Avec les jeunes gens, parmi lesquels
il y avait Rua Michel et Savio Ascagne, se trouvaient également
plusieurs prêtres et d’autres personnes attachées au service de
l’Oratoire ; et c’était un spectacle édifiant de les voir s’approcher
tous avec vénération et s’estimer heureux de posséder un objet
donné en cadeau par le Vicaire de Jésus Christ. Vu le nombre
immense des participants, les chapelets venus du Pape ne furent
pas suffisants. On dut donc s’en procurer plusieurs centaines à
Turin et les distribuer avec les autres pour ne pas provoquer de
mécontentement.
Une fois effectuée la distribution, on sortit de l’église :
alors un jeune se présenta devant les Ministres sacrés, entourés
de plusieurs personnages de qualité, et au nom de ses compa-
gnons il commença à dire :
Très illustres Messieurs,
« S’il y avait un prince, un roi, un empereur qui, en portant un
regard bienveillant sur l’un de ses sujets, daignait lui faire un
cadeau, ce serait là une grande faveur capable de rendre com-
plètement rempli de satisfaction et de fierté le sujet qui aurait
une telle chance.
» Que d’autre part le Successeur du Prince des Apôtres, le
Chef de la Religion Catholique, le Vicaire de Jésus Christ, au
milieu des multiples affaires auxquelles il doit vaquer pour diri-
ger et gouverner le monde catholique tout entier, puisse avoir une

10.10 Page 100

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86
pensée vers nous, pauvres apprentis, voilà, oh oui ! voilà une si
grande bonté que nous en restons hautement confondus, et dans
notre humble situation nous sommes seulement capables de par-
ler avec les sentiments intenses de la gratitude.
» Mais donc si dans notre condition bien modeste nous
pouvions faire parvenir nos paroles à l’oreille d’un si bon Père,
avec courage nous voudrions donner libre cours à notre cœur
pour dire : Très bienheureux Père, nous comprenons, nous au-
tres, la haute provenance et la grandeur du cadeau que vous
nous avez fait, et nous reconnaissons en même temps le devoir
de gratitude qui nous étreint. Mais comment donc pouvons-nous
l’accomplir ? Avec les moyens basés sur la fortune ? Non, cela,
nous ne le pouvons pas, quant à nous, et vous n’ambitionnez
même pas ces choses. Peut-être avec un élégant discours ? Nous
n’en sommes pas tellement capables. Ah ! nous connaissons bien,
nous autres, ô Très bienheureux Père, ce que, vous-même, vous
voulez.
» C’est l’amour de père qui vous pousse à vous souvenir de
nous, et nous comme des fils affectionnés nous conserverons tout
notre amour pour Vous et pour ce Dieu dont sur la terre vous
êtes le représentant. Et que jamais nos lèvres ne s’entrouvrent
pour prononcer un mot qui puisse être désagréable à un tel
bienfaiteur, et que jamais notre cœur ne conçoive une pensée
indigne de la bonté d’un si tendre Père.
» Le désir de voir que nous sommes résolument orientés vers
la vertu vous pousse à vous souvenir de nous ; et nous vous
assurons qu’étroitement unis à cette divine Religion, dont vous
êtes le Chef suprême, nous saurons la soutenir, dans l’offrande
de nous-mêmes, prêts à perdre n’importe quoi, fût-ce même la
vie, au lieu d’en être séparés pendant un seul instant.
» Du reste, en laissant à la sublime sagesse de Votre Sainteté
de suppléer à notre insuffisance, unanimes nous disons ceci : en
reconnaissant en Vous le Successeur du Prince des Apôtres, le
Chef de l’Eglise Catholique et [donc] de l’unique vraie Religion
à laquelle quiconque refuse d’être uni périt éternellement, nous

11 Pages 101-110

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11.1 Page 101

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87
supplions Votre Sainteté de bien vouloir daigner ajouter un
nouveau bienfait en nous accordant, à nous vos humbles fils, la
bénédiction apostolique.
» D’une telle façon, nous autres, en conservant sans cesse le
souvenir de cet heureux jour, tout au long de notre vie nous
garderons avec beaucoup d’estime et d’affection un si beau don,
et lors de notre dernier soupir il nous sera doux de dire : Le
Vicaire de Jésus Christ, le grand Pie IX, en exerçant un trait de
son immense bonté, m’a fait cadeau d’un chapelet auquel un
crucifix est accroché : en portant dévotement à celui-ci des bai-
sers pour la dernière fois, j’expire l’âme en paix.
» En attendant, vous, très illustres Messieurs, si d’une manière
ou d’une autre vous pouviez faire parvenir ces sentiments qui
sont les nôtres au Pape, notre Chef suprême, nous vous serions à
jamais reconnaissants devant Dieu et devant les hommes, en vous
rendant les grâces les plus cordiales et [les plus] durables ».
Une fois ces paroles prononcées, quelques jeunes gens
offraient un petit bouquet de fleurs, et d’autres chantaient joyeu-
sement :
Daignez accueillir
Ce tribut d’amour :
A notre honneur il ne peut être dit,
Messieurs, c’est à vous qu’il est dû.
Au tout début de l’aube, au son
Du bronze du matin,
Dans le pauvre jardin,
Nous l’avons cueilli pour vous.
Pour vous qui, en un jour de joie
Dédié au bon cœur de Pie,
Avez daigné nous remettre
Ce dont il fit l’envoi.
Ce pour quoi nous gardons durable
De lui le souvenir : notre cœur
Le lui rende en amour,
Lui garde une foi pure.

11.2 Page 102

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88
Le chant terminé, de tous les côtés retentirent, prolongés
et joyeux, des cris de VIVE PIE IX, VIVE LE VICAIRE DE
JÉSUS CHRIST ! Et les applaudissements n’auraient pas pris fin
aussi vite, si le bersaglier n’avait pas joué de la trompette, en
appelant ses camarades aux divertissements de la manœuvre mili-
taire. Pour rendre plus variée la fête on organisa une bataille
fictive, à savoir la défense et l’assaut d’une espèce de forteresse,
entourée de petits tertres qui en représentaient les bastions. Les
défenseurs et les assaillants déployèrent tellement d’énergie, de
vivacité et d’obéissance aux ordres des commandants que mes-
sieurs les invités s’en montrèrent très contents et un général
d’armée qui était dans la cour de récréation s’écria : Les jeu-
nes de D. Bosco seraient capables de défendre la patrie.
La fête des chapelets fit grand bruit à Turin. Partout on
en parlait, en portant aux nues la bonté de Pie IX, et en ayant
de plus en plus en estime les Oratoires des dimanches et des
jours de fête, étant donné qu’ils avaient sa faveur et sa bénédiction.
Même les journaux s’en occupèrent, et l’un de ceux qui avaient
le plus de crédit publiait sur elle un article si bien conçu que nous
manquerions à notre devoir d’historiens si nous ne le reportions pas
ici. Le voici donc :
« Un nouveau trait, c’est ainsi que [s’exprimait] LArmonia [L’Har-
monie] du 26 juillet 1850, un nouveau trait de générosité est
venu révéler au monde qu’est toujours identique à lui-même le
cœur déjà tant acclamé du Vicaire de Jésus Christ. Tel fut le
cadeau qu’il faisait distribuer aux jeunes des trois Oratoires de
cette capitale. Nous voulons espérer que quelques aperçus à ce
sujet ne seront pas pour déplaire à nos lecteurs.
Il est désormais connu de tous que quelques prêtres pleins de
zèle renouvellent chez nous les exemples des Vincent de Paul et
des Jérôme Emilien. Ils prennent sur eux de sortir des dangers
de la rue et des places tous ces jeunes gens qui, abandonnés à
eux-mêmes, gaspilleraient inutilement, pour ne pas dire de mau-

11.3 Page 103

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89
vaise façon, le dimanche et les jours de fête : ils les rassemblent
dans un endroit abrité pour les instruire dans les vérités religieu-
ses, dans les choses les plus nécessaires à la vie en société et
les amuser ces jours-là dans d’honnêtes divertissements. Cette
activité charitable, qui se mettait en route avec de très faibles
commencements, fut si bénie par le Seigneur qu’à présent elle
est d’une très grande importance. Elle ne compte pas encore
deux lustres de vie, et déjà elle atteint le nombre de plus d’un
millier de jeunes qui y accourent avec assiduité. Comme un seul
local ne suffisait plus à offrir un abri pour tous, trois furent
ouverts dans les secteurs principaux de la ville. Le Sénat du
Royaume, à la suite d’une décision prise à l’unanimité, insistait
auprès du Gouvernement du Roi, pour qu’il soutînt une institu-
tion qui mérite si bien de la religion et de la société. La Mairie
déléguait une Commission spéciale pour reconnaître le bien qu’on y
faisait et pour aider à le réaliser.
Finalement le Chef Suprême lui-même, le Pape Pie IX, du haut de
son trône pontifical, tournant son regard paternel vers les petites
œuvres de bienfaisance chrétienne [tout autant, et] pas moins, que vers
les grandes, daignait la bénir et la favoriser de la manière suivante.
Lorsque ce glorieux Successeur de S[aint] Pierre s’exilait à Gaète,
les bons fidèles, à l’imitation de ce qu’accomplissaient les premiers
chrétiens à l’égard du Prince des Apôtres, non seulement rivali-
saient d’efforts pour faire monter de ferventes prières vers le
Très-Haut afin qu’Il lui allégeât les fatigues, lui adoucît les
peines de l’exil et bien vite le redonnât à son Siège, mais en
outre ils tâchaient, selon leurs forces, de contribuer à lui fournir
les moyens matériels qui étaient indispensables pour mener une
vie moins dure dans une terre qui n’était pas la sienne. Parmi
ces [bons fidèles] ne furent pas dans les derniers les jeunes des
trois Oratoires de Turin. En déposant leur obole dans les mains
du Prêtre Don Jean Bosco (c’est le nom de l’ecclésiastique zélé
qui dirige cette Œuvre), ils le priaient de la faire remettre avec
humilité et respect au Saint-Père par l’intermédiaire de S[on]
E[xcellence] le Nonce Apostolique.

11.4 Page 104

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90
Dans l’offrande bien petite mais généreuse, Pie IX, à l’imita-
tion de Celui qu’il représente sur terre, vit les deux pièces de
monnaie de la veuve de l’Evangile, et il dit : Ce don est trop
précieux pour qu’on doive l’utiliser comme les autres ; il deman-
de à être conservé comme un cher souvenir ; et en disant cela il
écrivait dessus le nom des donateurs et le mettait de côté. Le
don étant revenu sous ses yeux dans une époque moins triste, il
faisait donner l’ordre d’acquérir deux gros paquets de chapelets,
à chacun desquels était accrochée une petite croix, et il envoyait
ces [chapelets], bénis de sa main, au prêtre nommé ci-dessus, afin
qu’ils fussent distribués aux jeunes des Oratoires.
Une telle cérémonie était fixée au dimanche 21 juillet, à savoir le
dimanche qui vient de s’écouler, et dans l’Oratoire central situé dans
la région de Valdocco.
Lorsque tous furent rassemblés, le méritant Père Barrera, au
moyen de son élocution claire et fervente qui illumine les esprits
et ravit les cœurs, leur tenait un agréable discours sur le pré-
cieux don. Il partait d’une allusion au fait biblique du jeune
Daniel et de ses compagnons : en face de tous les artifices de
séduction employés envers eux à la cour du roi de Babylone, ils
voulurent rester fidèles à la religion et aux lois de leurs ancê-
tres, et pour cela ils reçurent de Dieu une récompense temporelle
comme échantillon et arrhes de l’éternelle. — De même vous,
continuait-il, du fait que vous vous êtes conservés fidèles à la
religion de Jésus Christ, dévoués envers son Vicaire, non
seulement dans la félicité, mais encore dans le malheur, en
fermant l‘oreille aux paroles des personnes séduites et séductrices
qui cherchaient à vous donner des conseils dans un autre sens,
vous avez gagné ces très douces arrhes que vous envoie le
Rédempteur par l’intermédiaire de son Vicaire. — Il se mettait
ensuite à parler du don en touchant au vol un mot pour dire
comment les Romains de l’Antiquité avaient l’habitude de cou-
ronner de feuilles de chêne ceux qui par quelque action héroïque
s’étaient signalés en portant secours ou en procurant le salut à
leurs concitoyens, et il montrait comment Pie IX, en leur faisant
cadeau de ce chapelet [en italien, ‘corona’ : couronne], visait à cou-
ronner la force d’âme déployée par eux : à eux de tâcher de le tenir en

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91
très grande estime, de s’en servir pour prendre courage en tou-
tes sortes de combats qu’il leur arriverait de supporter pour la
cause de Dieu ; en contemplant la petite croix qui lui était
accrochée, à eux de garder le souvenir du fait que c’est seu-
lement souffrir avec le Christ qui ouvre le chemin vers la gloire
qu’il nous a méritée.
La brièveté d’un article ne nous permet pas de nous attarder
sur les très nombreuses choses dont il a parlé, notamment
lorsqu’il se mettait à traiter de son thème favori, la dévotion
envers la divine Mère, et, pour leur donner envie de l’aimer de
mieux en mieux, il leur rappelait l’exemple du si cher [Souve-
rain] Pontife, qui depuis ses plus tendres années avait vécu dans
une très grande dévotion envers elle.
C’était un spectacle plein de tendresse que d’admirer tant de
jeunes qui étaient suspendus avec la plus grande attention aux
lèvres de l’orateur éloquent et qui buvaient avec avidité chaque
mot ; elle apparaissait, avec une très grande évidence, l’émotion
qu’un tel discours suscitait dans ces cœurs vierges, surtout lors-
que l’orateur, en touchant un mot de la manière dont ils devaient
répondre à tant de gentillesse du Saint-Père, leur disait : On
paie l’amour par l’amour ; pensez à présent à l’amour que vous
porta Pie IX, alors que parmi tant de fils qu’il compte depuis le
lieu où se lève le soleil jusqu’à l’endroit où il se couche, au
milieu de tant d’occupations qui assiègent continuellement ce
cœur, il a pensé à vous, il a agi pour vous ; tâchez donc de
l’aimer, mais de l’aimer tellement ! car qui est avec lui est avec
le Christ ; promettez donc, jurez-lui fidélité, amour jusqu’à la
mort. Si à ces mots les lèvres de ces jeunes gens restaient
muettes, parlaient cependant avec éloquence leur visage enflam-
mé, leur regard, les larmes qui à un bon nombre tombaient des
yeux, si bien que chacun pouvait avoir l’assurance que le Souverain
[Pontife] Pie était ardemment aimé de retour par ces cœurs. Dès la fin
du sermon, en reconnaissance on les faisait prier à haute voix Jésus
dans le Saint Sacrement pour le Souverain Pontife, puis pour le
Souverain et la Famille Royale et pour tous leurs sujets. Après
qu’on eut donné la bénédiction du Saint Sacrement, ils recevaient
au pied de l’autel le chapelet offert par Pie IX. Il était beau de

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voir comment, après l’avoir reçu, ils ne finissaient jamais de le
couvrir de baisers et de le serrer sur leur cœur.
Ils sortirent de l’édifice religieux : alors une escouade, consti-
tuée à la façon des agents de la police urbaine et formée dans
l’Oratoire lui-même – c’est elle qui avait assuré le bon ordre de la
cérémonie exécutait quelques évolutions militaires ; un chœur de
jeunes faisait monter par le chant un hymne de remerciement à
l’adresse de l’immortel [Souverain] Pontife, tandis que le reste faisait
retentir l’air de joyeux hourras, et portait aux nues le nom véné-
ré du Vicaire de Jésus Christ.
C’est ainsi que l’on terminait une très joyeuse fête de famille
provoquée par le Père des croyants. Les nombreuses personnes,
tant de l’Eglise que du monde, accourues pour se joindre aux
spectateurs, en voyant que la religion était si profondément enra-
cinée dans ces tendres cœurs, auguraient bien d’elle, et à nous,
qui étions parmi [ces personnes], il semblait voir qu’était réalisé
le verset du psaume : Ex ore infantium et lactentium perfecisti
laudem propter inimicos tuos, ut destruas inimicum et ultorem
[Par la bouche des tout-petits et des nourrissons, tu t’es préparé une
louange à cause de tes adversaires pour détruire l’adversaire et le
revanchard] ». Jusqu’ici [s’exprimait] le remarquable périodique.
Quelque temps après la fête des chapelets, D. Bosco, par
l’intermédiaire du cardinal Antonelli, envoyait ses remerciements
et ceux, filiaux, des jeunes au Saint-Père pour le cadeau envoyé,
et il y joignait le compte rendu de ladite fête. Son Eminence,
après en avoir informé Pie IX, communiquait bien vite la haute
satisfaction de ce dernier à D. Bosco lui-même, et il l’en remer-
ciait aussi au moyen de cette lettre très bienveillante :
Très illustre Monsieur,
Je présentai au Saint-Père le contenu de la lettre de V[otre]
Seigneurie Très ill[ustre] du 28 du mois dernier, par laquelle
Vous exprimiez les sentiments de cordiale reconnaissance que
Vous et vos élèves avez conçus en raison de l’envoi des chape-
lets bénits. Sa Sainteté en éprouva une véritable satisfaction, et
elle souhaite que les jeunes gens confiés à vos soins continuent
dans le chemin de la vertu.

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93
Elle accueillit d’autre part la requête jointe au courrier que
Vous m’adressiez, et cette même [requête] est déjà en cours (1).
J’ai reçu les exemplaires qui m’ont été envoyés du petit livre
publié à l’occasion du même envoi [celui des chapelets], et je
Vous remercie de cette attention. Espérons que le Seigneur, de
nouveau provoqué par les prières que sans cesse on lui présente
dans les Oratoires que Vous dirigez, daignera accorder à l’Eglise
des jours plus heureux.
Animé de cette confiance j’ai le plaisir de Vous confirmer mon
estime distinguée.
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
Rome, 13 septembre 1850.
Très aff[ectionné] pour vous servir
JACQUES CARD[inal] ANTONELLI.
—————
(1) Les Faveurs accordées à D. Bosco par l’Autorité Ecclésiastique de
Turin et par le S[ain]t-Siège jusqu’en 1850 étaient personnelles. Le Directeur
de l’Oratoire les communiquait avec les limites et aux personnes pour
lesquelles elles avaient été accordées. La Faveur accordée qui suit est la
première [qui soit] faite au Supérieur de la Congrégation Salésienne. Pour la
première fois, dans la supplique au Pape, D. Bosco parle de Congréga-
tion de S[aint] François de Sales, nom sous lequel on entend tous ceux
qui dirigeaient les Oratoires, et [ceux] qui ou prêtres ou laïcs offraient
leur activité à l’avantage des jeunes qui les fréquentaient. Rome acceptait
cette dénomination.
Très bienheureux Père,
Le prêtre turinois Jean Bosco explique respectueusement à Votre Sainteté
qu’a été légitimement fondée dans cette ville une Congrégation sous le
titre et la protection de S[aint] François de Sales, dont il est Directeur, et qui
n’a pas d’autre but que celui d’instruire dans la Religion et dans la piété la
jeunesse laissée à l’abandon. Il supplie Votre Sainteté afin qu’Elle daigne lui
accorder les grâces spirituelles suivantes :
1° Une Indulgence Plénière à gagner par chacun de ceux qui s’ins-
crivent à la Congrégation susdite, ayant été faites tout d’abord la
Confession et la Communion sacramentelles ;

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Ce sont là les signes bien clairs de l’immense bonté du
Pontife Romain envers D. Bosco et envers nos jeunes.
Ainsi l’Eglise exprimait dès lors son approbation pour une
œuvre qui faisait preuve d’être hautement avantageuse pour la
société civile et pour la Religion catholique.
—————
2° Une semblable [Indulgence], le jour de la fête du Saint, pour les
Membres qui s’approcheront au cours de ce jour-là des Sacrements ;
3° Une Indulgence Plénière lors de la solennité de l’Assomption de Marie,
à gagner par tous les Membres qui, s’étant confessés et ayant communié,
prieront pour la gloire et l’exaltation de la Sainte Mère Eglise ;
4° Une Indulgence Partielle de 300 jours, à gagner par tous ceux qui,
bien qu’ils ne soient pas membres, prennent part à la procession qu’en
l’honneur du Saint mentionné ci-dessus on a l’habitude de faire le pre-
mier dimanche de chaque mois de l’année.
Ex audientia SS. Die 28 Septembris 1850.
Sanctissimus Dominus Noster Pius Divina Providentia Papa IX Oratoris
precibus per me infrascriptum relatis benigne annuit iuxta petita absque
ulla Brevis expeditione.
DOMINICUS FIORAMONTI
[voir traduction page 756]
SS. D. N. S. ab Epistolis Latinis.
A l’audience du 28 septembre, Sa Sainteté, en voulant également donner un
signe de sa paternelle affection envers les jeunes qui fréquentent les Oratoires
de la ville de Turin, étendait verbalement à la Compagnie de Saint Louis les
mêmes indulgences que celles qui étaient accordées à la Congrégation de
S[aint] François de Sales, et cette extension de faveurs était communiquée à
D. Bosco dans une lettre du Rapporteur avec le Rescrit lui-même. Le Pape de
surcroît avait accordé l’indulgence plénière à ceux qui sanctifieraient six
dimanches sans interruption en l’honneur de S[aint] Louis ; et l’on pouvait
choisir ces dimanches avant ou après la fête du Saint ou dans le cours de
l’année. On peut gagner une telle indulgence en chacun de ces dimanches,
pourvu que l’on s’approche des Sacrements et que l’on fasse en ce jour
quelque œuvre de piété. Ainsi de même il accordait 300 jours d’indulgence à
tout fidèle qui prendrait part à la procession mensuelle en l’honneur de
S[aint] Louis, et le jour où on célèbre la fête du saint Patron de chaque
Oratoire. Toutes les indulgences susdites furent accordées à perpétuité.

11.9 Page 109

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95
CHAPITRE X
Mort du Chev[alier de Rossi] di Santarosa Expulsion des Ser-
vites Monseigneur Fransoni à Fenestrelle Condamnation
d’autres Evêques Perquisitions chez les Oblats et émeutes
populaires D. Bosco et les Oblats Manifestation contre
l’Oratoire déjouée Restitution aux Servites des affaires que
leur avait prises le fisc Hérésie honteuse de D. Gri-
gnaschi D. Bosco lui rend visite dans les prisons d’Ivrea.
Au Père Supérieur de l’Ordre des Serviteurs de Marie,
qui avec le Père Charles Baima était allé à Pianezza, Mgr Fran-
soni disait : — L’hydre est lâchée, on verra de tristes choses se
produire ; le plan est préparé, les moyens sont prêts. Puis, en
faisant allusion à l’expulsion des fils de S[aint] Ignace, il ajou-
tait : — D’abord Jésus (les Jésuites), puis Marie (les Servites),
ensuite tous les autres saints (les ordres religieux) et moi… moi
je devrai aller en exil. Vous le verrez !
Et les tristes prévisions se réalisèrent, rendant plus vives
en D. Bosco et en ses jeunes les douleurs du passé.
L’un de ceux qui avaient voté la loi Siccardi, en encou-
rant les excommunications, fut le Chev[alier] Pierre Derossi [= de
Rossi] di Santarosa, Ministre de l’agriculture et du commerce. Il
appartenait à la paroisse S[aint]-Charles, administrée par les Ser-

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96
vites de Marie, dont était curé, supérieur et provincial le Père
Buonfiglio Pittavino, religieux qui à une grande bonté de cœur
unissait une fidélité inébranlable à son devoir. Vers la fin de juillet,
Santarosa tombe gravement malade et demande les sacrements. Il
s’était certes confessé, mais pour recevoir le Saint Viatique il lui
est demandé par le curé une rétractation suffisante du mal accompli
contre l’Eglise. Santarosa la refuse, mais finalement aux derniers
instants de sa vie il s’y soumet, et meurt le soir du 5 août sans
avoir ainsi pu recevoir le Viatique.
Parents, amis, ministres, sénateurs, députés, parmi les-
quels le Comte Camille de Cavour, journalistes et crieurs de
journaux tempêtent et hurlent à l’intolérance du Curé et de
l’Archevêque, en les accusant d’avoir violenté la conscience du
défunt ; une nuée de fainéants et de types soudoyés, presque tous
bannis de divers Etats d’Italie, braillent dans les rues, attaquent
le Couvent des Servites, avec des mots de cannibales menacent
la vie du curé, et il s’en fallut de peu qu’ils ne le missent en
pièces. Pendant le transport funéraire, ils ne cessèrent pas de le
conspuer et de le menacer, et les cris et les sifflements furent
assez intenses et fréquents pour couvrir le chant du Miserere.
Le 7 août le Père Pittavino et tous ses confrères avec
lui étaient expulsés du Couvent, dont le Gouvernement prenait
possession ; et, après qu’on les eut fait monter dans des voitures
déjà préparées et escortées par les gendarmes, ils furent conduits
pour une partie à Alexandrie et pour une autre à Saluzzo.
Après les Serviteurs de Marie, vint le tour de Mgr Fransoni.
Le lendemain de la mort de Santarosa, au nom du Gouverne-
ment, le comte Ponza de San Martino, accompagné du chev[alier]
Alphonse La Marmora, Ministre de la guerre, se porte à Pianez-
za, où l’Archevêque se trouvait en résidence de campagne, et lui
demande de renoncer à sa charge d’Archevêque. Il répond non, avec
intrépidité, et avec une parole franche il ajoute : « J’estimerais
que je suis un vil personnage si, en des moments aussi critiques

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12.1 Page 111

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pour la Religion, je renonçais au diocèse ». Et voici que le len-
demain, 7 août, les gendarmes se portent à Pianezza et le conduisent
comme prisonnier dans la forteresse de Fenestrelle, située là-haut dans
les Alpes, où règne un long et très rigoureux hiver avec des vents, des
neiges, des brouillards épouvantables. Le gouverneur Alphonse de
Sonnaz l’accueillit aimablement, mais dut l’emprisonner dans quel-
ques pièces et le tenir sous une étroite surveillance. Le Ministère lui
refusa même de pouvoir se confesser à l’un des capucins aumôniers
du fort. Peu après on enlevait au Théologien Guillaume Audisio,
célèbre pour l’éducation qu’il donnait au clergé, la présidence de
l’Académie de Superga, pour le punir d’être l’un des rédacteurs de
LArmonia [L’Harmonie], l’Académie restant à partir de ce moment-là
sans pensionnaires. Dans le même temps, en raison de la loi Siccardi,
l’Archevêque de Sassari était condamné à un mois de prison, qu’il
purgea enfermé dans son palais vu son mauvais état de santé ; et
l’Archevêque de Cagliari, privé de sa Mense et chassé du Royaume,
était conduit de force à Civitavecchia.
A Turin une partie de la population était hors
d’elle-même à cause de la peur, une autre partie [était] comme
ivre, dans une surexcitation provoquée par les invectives des
journaux et par l’horreur des faits calomnieux qu’on racontait.
Une canzone remplie d’injures contre Mgr Franzoni était chantée
par un aveugle au son d’une guitare à travers toutes les rues et
[toutes] les places au milieu de la populace.
Le 12 août 1850 le Préfet de Police allait en grande
solennité avec douze gendarmes perquisitionner la maison des
Oblats à Notre-Dame de Consolation de Turin pour avoir des
preuves de la culpabilité de Fransoni ; mais il ne trouva
rien. On prétendait que les Oblats étaient ses complices au
détriment de l’Etat. La plèbe habituelle manifestait dans le
tumulte, car on avait fait courir des bruits de complots, et
[la manifestation] était si violente qu’on dut augmenter le
nombre des agents de police et des gendarmes, et ensuite appe-
ler les bersagliers et à la fin la garde nationale sans toutefois

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98
disperser cet attroupement de racaille et de désœuvrés. Le soir
l’émeute était à un tel point qu’il fallut employer la force pour
contenir le déferlement impétueux de la foule. Le Préfet de
Police, s’étant alors présenté à la porte du Couvent, lut une
déclaration, d’où il résultait que, malgré les enquêtes les plus
soigneuses, on n’avait cependant pas pu trouver le moindre
indice de culpabilité chez ces religieux. Les foules se disper-
sèrent, mais les journaux au service de la révolution imprimèrent
que des preuves de complot il y en avait et que les coupables
avaient fait disparaître toute trace de conspiration.
C’est à cette occasion que, d’après ce qui fut raconté par le
Théologien Reviglio, D. Bosco écrivit un petit livre ou bien
quelques articles pour défendre les ordres religieux ; et qu’égale-
ment, grâce à l’influence dont il jouissait auprès de personnages
revêtus d’autorité, il put empêcher l’expulsion des Oblats en
détournant pour cette fois de leur tête une ruine déjà décidée et
imméritée. On connaît bien la grande affection qu’il portait à ces
religieux et comment plusieurs de ses jeunes, encouragés par les
éloges qu’il leur rendait, s’inscrivirent parmi les membres de
cette société.
Cependant tandis qu’il défendait les Oblats, il dut penser
à lui, contre les dures attaques préparées dans les repaires des
sectes. Il était connu comme un ardent défenseur des droits de
l’Eglise, et les ennemis de cette dernière avaient décidé leur
plan, et ils l’exécutèrent ensuite toujours, en cherchant à faire
diminuer son action et son emprise chaque fois qu’ils tramaient
de nouvelles offensives contre elle et contre le Pape. C’est pour-
quoi ils le dépeignaient aux [gens du] peuple comme un ennemi
des nouvelles Institutions et comme un prêtre guidé par l’esprit des
Jésuites, un éducateur fanatique de bigots hypocrites et opposé à
la liberté. Ils le désignaient lui aussi comme complice de
l’Archevêque dans des complots réactionnaires. Alors donc, pour
le 14 de ce même mois d’août, avait été préparée une odieuse ma-
nifestation contre le petit internat S[aint]-François de Sales, pour

12.3 Page 113

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99
le détruire, en en chassant D. Bosco. Dans le public rien n’avait
alors transpiré de ce projet, lorsque M. Volpotto [= Volpato],
cette personne même qui avait envoyé au nom de D. Bosco la
supplique à la Chambre Haute, vint le jour même l’avertir du
danger qui le menaçait, afin qu’il s’éloignât. D. Bosco, ayant alors
appelé sa mère, lui dit de préparer le repas pour ce soir-là. Oh ça,
par exemple ! [] fit remarquer Marguerite pourquoi me donnes-tu
cet ordre ? Pourquoi crains-tu que je ne le prépare pas ? Pour que,
quoi qu’il arrive, ajouta D. Bosco, vous soyez sûre que je ne partirai
pas de Turin.
Vers quatre heures du soir, d’après l’avertissement, la
foule en émeute devait parvenir à l’Oratoire ; mais personne ne
parut, le jour suivant non plus, le troisième [jour] non plus.
Qu’était-il arrivé ? La populace, après avoir piaillé contre les
Oblats de Marie, avait compté se rendre à Valdocco. Le flot des
gens était déjà sur le point de se jeter dans cette direction,
lorsqu’un des manifestants, qui connaissait D. Bosco et en
avait reçu des marques de bienveillance, monta sur une borne,
éleva la voix et dit : Mes amis, entendez-moi. Quelques-uns
parmi vous voudraient descendre à Valdocco pour crier aussi
contre D. Bosco. Ecoutez mon conseil, et n’y allez pas. Nous
sommes un jour ouvrable, c’est-à-dire qu’il n’y a que lui, sa
vieille mère, et quelques pauvres jeunes pensionnaires. Au lieu
de [crier] à mort, nous devrions crier vive, car D. Bosco
aime et aide les enfants du peuple.
Un autre orateur monta après le premier et cria : D. Bosco
n’est pas un ami de l’Autriche ! C’est un philanthrope ! C’est
l’homme du peuple ! Laissons-le en paix ! N’allons crier ni
vive ni à mort, et rendons-nous ailleurs. Ces paroles cal-
mèrent et arrêtèrent la bande qui alla casser les oreilles aux
Dominicains et aux Barnabites.
En attendant, une surprise désagréable et non prévue se
produisait pour D. Bosco. Le Gouvernement, qui s’était emparé aussi

12.4 Page 114

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100
du mobilier trouvé dans le couvent des Servites, en envoya une
partie à l’Oratoire de Valdocco. Certains auraient voulu que
Don Bosco refusât ce mobilier. Au contraire D. Bosco l’accepta,
mais sans remerciements, et aussitôt il avertit le Père Pittavino à
Saluzzo en lui demandant d’envoyer [quelqu’un pour] retirer ce
qui était de leur propriété : il le priait seulement de lui céder
une table, dont il avait besoin pour ses jeunes ; elle lui fut
volontiers donnée. De cette façon les R[évérends] P[ères] Servites
récupérèrent leur bien, et D. Bosco, sans léser la justice, évita
un conflit avec le Gouvernement qui aurait pu lui causer un
grand préjudice. Ce fait fut raconté au Chan[oine] Anfossi par le
Rév[érend] P[ère] François Faccio de l’Ordre des Serviteurs de
Marie, ancien Curé de S[aint]-Charles.
Mais pendant que se succédaient ces événements glo-
rieux pour le clergé, Jésus ayant enseigné qu’est bienheureux
celui qui souffre pour la justice, c’est un grave affront que
recevait l’ordre sacerdotal des suites de la condamnation de
D. Antoine Grignaschi. Ce dernier était natif de Corconio,
sur le bord du lac près d’Orta S[an] Giulio, au diocèse de
Novare. Ordonné prêtre, il obtint la charge de recteur à
l’église de Cimamulera à partir de 1843. Il s’était mis, par
une duperie sacrilège, à insinuer qu’il était Dieu qui accom-
plissait sa troisième apparition, le Christ Jésus lui-même en
personne de nouveau réincarné. Il disait qu’il était descendu
sur terre pour fonder une nouvelle église, qui devait rem-
placer le Catholicisme, et donc il prêchait des maximes
contraires à la vraie foi. Il accomplissait également des choses
merveilleuses et étranges qu’on ne pouvait attribuer qu’à une
intervention diabolique, mais ses admirateurs disaient qu’elles
étaient des miracles divins. A propos d’une femme qu’il avait
enjôlée, nommée Lana, il affirmait qu’elle était la Vierge Marie.
La fille se prêtait à jouer cette comédie ; ostensiblement elle
portait des vêtements et prenait une allure qui, selon ses
idées, étaient propres à Notre-Dame ; et D. Grignaschi la
faisait monter au milieu de l’église sur un banc, ayant devant
elle des bougies allumées, comme si elle était une statue. Les

12.5 Page 115

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101
femmes, des moins que rien, agrégées à la nouvelle secte allaient
s’agenouiller devant elle et la prier.
Un ecclésiastique, envoyé par les Services Diocésains, entra
dans l’église et vit la vénération sacrilège qu’on accordait à cet-
te ignoble personne ; mais il ne dit rien pour ne pas soulever
d’émeutes et, une fois passé dans la sacristie, il demanda au
bedeau :
Quelle fête célébrez-vous aujourd’hui ?
— Il n’y a aucune fête en ce moment.
Mais quel titre porte cette statue de Notre-Dame qui est
dans l’église ?
Ah, ajouta le sacristain en haussant les épaules ; s’agit-il de
la Vierge rouge ?
Quoi ? Vierge rouge ?
Oui, la Vierge de D. Grignaschi.
Ayant eu connaissance de ces tromperies sacrilèges,
l’Evêque de Novare destitua Grignaschi de la paroisse et le
suspendit du ministère sacerdotal. Ce dernier, étant venu à Turin,
se rendit à l’Oratoire et exposa ses doctrines à D. Bosco, qui,
saisi d’horreur, essaya au moyen de raisonnements et de pro-
messes de le sortir du mauvais chemin. Mais il ne parvint pas à
un résultat, et Grignaschi, après avoir erré en différents endroits,
y compris dans la région de Casale-en-Montferrat, s’établissait
dans une bourgade près de Viarigi, petit village du pays d’Asti,
en faisant venir avec lui la Vierge rouge, qui était sa servante
Ce fut là le théâtre principal de ses exploits qui sont loin d’être
glorieux. Après avoir dupé, par de nouveaux artifices d’illu-
sionnisme et de spiritisme, et le prêtre chargé d’administrer la
paroisse et les autres prêtres du voisinage, au moyen de ses
hérésies il faisait sortir du bon sens et pervertissait une grande
partie de cette population. Grignaschi faisait un usage scélérat des
sacrements, apparaissait dans les maisons les portes étant fermées,
devinait les pensées les plus cachées, feignait des ordres venus du ciel
et commettait des actions infâmes. Les gens semblaient hypnotisés.
Quand il était au loin, on voyait des hommes et même des jeu-
nes partir à pied et faire 18 ou 20 milles [= près de 50 km] et plus

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102
avec beaucoup de peine en chemin et à jeun, seulement pour le
voir et entendre une de ses paroles. Il restait assis pour recevoir
ses adeptes, qui s’agenouillaient en sa présence, et il les absol-
vait au moyen des paroles suivantes : Ego Dominus Jesus
Christus te absolvo a peccatis tuis in nomine Patris et Filii et
Spiritus Sancti. Amen [Moi le Seigneur Jésus Christ je t’absous de
tes péchés au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen]. Il
répandait çà et là ses doctrines impies par l’intermédiaire de
personnes qu’il avait trompées et induites à feindre la sainteté et
la vertu, dans le but pervers d’être déclaré un homme tout à fait
extraordinaire et un autre Sauveur.
Son regard avait un je ne sais quoi capable d’envoûter et
d’entraîner les âmes. Les gens en parlaient beaucoup. Monsieur B…
se moquait de ce qu’on disait sur ce regard magique et voulut
rendre visite à Grignaschi. Entré dans cette maison, il fut aussi-
tôt saisi par une mystérieuse horreur, et lorsqu’il fut en présence
de ce malheureux, celui-ci le regarda fixement de telle manière
qu’il resta séduit ; et au son de sa voix : — Je t’attendais ; je le
savais que tu devais venir, il tomba à genoux. A partir de cet
instant, il lui appartint totalement. Il lui fit croire que lui-même,
B…, était S[aint] Paul, tandis qu’un autre de ses amis était
S[aint] Pierre. B… croyait réellement être S[aint] Paul et il se
laissa pousser la barbe et se prêta dans une très grande obéis-
sance avec son compagnon à tout ce que voulait Grignaschi :
[faire] des prières, de longues pénitences, aller dans les auberges,
se mettre à genoux au milieu des tables, prier les gens de ne
pas vouloir offenser le Seigneur par des blasphèmes, des intem-
pérances, des jeux ; et d’autres choses semblables qu’ils auraient
certainement refusées avec indignation de faire si elles leur
avaient été ordonnées auparavant, alors qu’un tel engouement ne
les tenait pas encore. Tous les autres habitants étaient comme
eux, à part de très peu nombreuses exceptions, ou peut-être
aucune. B… lui-même, en nous racontant l’affaire, ne savait pas
s’expliquer cette obsession. Et c’était une personne riche, de bon
sens, de charité et assez instruite.
Il dut sa conversion aux sermons de D. Bosco.

12.7 Page 117

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103
En attendant, les turpitudes de la secte en arrivèrent au point
qu’elles furent notoires et que le Procureur du Roi fit mettre en
prison Grignaschi avec treize de ses principaux complices, parmi
lesquels la Vierge rouge, et il les fit conduire devant les
Magistrats [de la Cour] d’Appel à Casale[-en-Montferrat]. Les jour-
naux de cette année-là sont remplis du scandaleux procès.
Le 15 juillet 1850, malgré la défense de l’avocat Ange
Brofferio, Grignaschi fut condamné à la réclusion et aux affiliés
de son groupe furent infligées d’autres peines. L’arrestation de
Grignaschi avait mis en grande agitation la commune de Viarigi
car, pour une majorité d’entre eux, les habitants étaient fanati-
ques de la nouvelle secte ; si bien que le Gouvernement, afin que
l’ordre ne fût pas troublé, y établit une garnison militaire. Mais
l’usage de la force ne suffisant pas à y ramener le calme, les
Evêques de Casale[-en-Montferrat] et d’Asti s’y rendirent pour
adresser des paroles de charité et de paix. Puis y demeura seul
Mgr Artico, et au moyen d’une prédication de cinquante jours,
au moyen de secours généreux aux pauvres et de visites aux
malades, il fit cesser les oppositions et les scandales, reçut les
abjurations de beaucoup et obtint l’éloignement de la garnison
militaire. Ainsi revenait la tranquillité ; mais pour un bon nom-
bre ces membres de la secte campaient sur leurs erreurs.
Entre-temps D. Grignaschi avait été conduit au Château
d’Ivrea pour y expier pendant sept ans son faux et répugnant mys-
ticisme. En tant qu’homme, nous dirions, possédé par le démon, il
s’obstinait à se montrer convaincu d’avoir une mission divine ;
mais la solitude de cette détention devait se faire bien pesante
pour lui. D. Bosco cependant pensait à lui ; et, d’après ce que nous
racontait le théologien Savio Ascagne, comme il allait deux ou trois
fois par an à Ivrea, il s’empressa de se rendre dans ces prisons.
Plusieurs fois il put parler au malheureux hérésiarque et sut s’insinuer
dans son cœur au point de le convaincre du mal qu’il avait cau-
sé à lui-même et aux autres avec ses très graves scandales ; et il finit

12.8 Page 118

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104
par obtenir de lui une promesse d’un changement de vie, en
commençant par expier ses fautes au moyen de la résignation
chrétienne. Voyant que le condamné appréciait ses visites, il
revenait pour s’entretenir avec lui, en lui apportant d’opportuns
subsides d’argent, à chaque fois qu’il allait dans cette ville pour
prononcer un sermon à la cathédrale, prêcher la retraite spirituel-
le aux jeunes abbés du Séminaire, ou pour traiter avec l’Evêque
au sujet des Lectures Catholiques et des affaires concernant le
bien de l’Eglise.
—————

12.9 Page 119

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105
CHAPITRE XI
D. Bosco et le Comte de Cavour Une conjecture Mgr Fransoni
en exil et visite de D. Bosco Les secrétaires du Comte.
A cette époque le Comte Camille de Cavour était tota-
lement pour l’Oratoire. Il est surprenant de voir comment D. Bosco
parvenait à obtenir l’appui d’illustres personnages qui pourtant
s’opposaient à l’Eglise. Ces derniers, avec les plus belles et les
plus séduisantes manières, avec les plus généreuses promesses de
l’aider dans ses entreprises charitables, avec l’offre de marques
d’honneurs insignes, avec la bienveillance accordée à ses nombreuses
demandes, pouvaient, sembla-t-il, soumettre à une dangereuse épreuve
son pieux attachement et sa fidélité envers le Saint-Siège ainsi
qu’envers ses principes religieux. Ses jeunes avaient été choisis, de
préférence à ceux qui appartenaient à des œuvres pies reconnues,
pour tirer les numéros du jeu du Loto Royal, et deux parmi les plus
petits, portant des insignes spéciaux, allèrent tous les quinze jours
pendant de nombreuses années accomplir cette tâche. Une rétribution
était pour cela payée par le Gouvernement à l’Oratoire. D. Bosco
cependant avec une héroïque force morale se montrait toujours un
défenseur de la cause de Dieu, sans l’ombre de respect humain.
Néanmoins, et cela a provoqué tant de fois notre étonnement
personnel, il suivait dans ces cas-là les règles dictées par l’Ecclé-

12.10 Page 120

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106
siastique : « Si un puissant t’appelle à venir près de lui,
retire-toi à l’écart ; car c’est justement pour cela qu’il t’appellera
et t’appellera de plus belle. Ne sois pas importun pour ne pas
être chassé ; et ne te tiens pas en arrière au point d’être oublié.
Ne le retiens pas pour parler avec lui comme tu ferais avec un
égal et ne te fie pas à ses nombreuses paroles : parce qu’en te
faisant parler il te mettra beaucoup à l’épreuve, et que sous
forme de jeu il t’interrogera pour t’arracher tes secrets. Son
esprit impitoyable tiendra compte de tes paroles et ne s’interdira pas
de te faire du mal. Veille sur toi et fais très attention à ce que
tu entends quand on te parle ; car tu chemines au bord de ta ruine.
Mais en écoutant cela comme en rêve, réveille-toi (1) ».
Donc le Comte Camille, profond connaisseur des hom-
mes et des passions et qui possédait l’art très difficile de savoir
s’en servir adroitement à ses propres fins, venait avec une
certaine fréquence rendre visite à D. Bosco à Valdocco. Et il
voulait que, de temps en temps, ce dernier se rendît pour le
repas de midi ou le petit déjeuner dans son hôtel particulier. En
était témoin Tomatis Charles. [Le Comte] montrait qu’il éprouvait
un grand plaisir à entendre [D. Bosco] parler des Oratoires des
dimanches et des jours de fête, et il l’interrogeait sur ses projets
et sur ses espoirs dans le développement futur de son œuvre,
tandis qu’il lui assurait qu’il lui apporterait tous les secours pos-
sibles. D. Bosco s’entretenait avec lui en usant de ces manières
respectueuses qui conviennent à un inférieur, en répondant tantôt
avec franchise, tantôt avec circonspection ; mais toujours avec
cette amabilité qui liait les cœurs. Le Comte ne cessa pas de se
montrer bienveillant lorsqu’il succéda à Santarosa au Ministère du
commerce, et, lorsqu’il devint Président du Cabinet et l’âme du
—————
(1) [Si] 13,[9-14] .

13 Pages 121-130

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13.1 Page 121

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107
Gouvernement. « Le Comte Camille, nous racontait plus tard
D. Bosco, qui en Piémont fut l’un des Chefs dirigeant les sectes
et qui fit un mal immense, me considérait comme l’un de ses
amis. A plusieurs reprises il me conseilla de faire ériger en per-
sonne morale l’Œuvre des Oratoires. Un jour, en me poussant à
suivre son avis, il ne me promettait rien de moins qu’un million
pour le développement de mon œuvre. Ne sachant pas quoi pen-
ser d’une telle offre et quoi répondre à qui la faisait, je demeurai
silencieux, souriant en moi-même, et il reprit : Donc que
décidez-Vous ? Et je répondis avec délicatesse que j’étais
désolé de ne pouvoir accepter un aussi beau cadeau. Et
pourquoi ? ajouta le Comte en me regardant avec étonnement.
Pourquoi refuser une somme aussi importante, alors que Vous
avez besoin de tout et de tous ? Parce que, Monsieur le Ministre,
fis-je remarquer avec tranquillité, si j’acceptais, demain il me
serait enlevé, et peut-être Vous-même me reprendriez ce million,
qu’aujourd’hui Vous m’offrez avec tant de générosité. Le Comte,
devant ce franc-parler, ne se fâcha pas et changea de conversation ».
Mais ne semble-t-il pas que D. Bosco lisait l’avenir d’un homme qui
pousserait à la suppression des Ordres Religieux, à la confisca-
tion du patrimoine de l’Eglise ? Et n’est-elle pas admirable sa
franchise pour dire la vérité ? Et dans ces offres de subsides,
plusieurs fois répétées, même de la part du Gouvernement, est-il
possible de supposer que Cavour n’avait pas un but caché ? de
supposer qu’il n’avait pas un projet prémédité ?
D. Bosco lui-même nous raconta également [ceci] : « Je
n’étais pas trop porté à m’asseoir à la table du Comte, malgré ses
invitations empressées ; mais comme parfois j’avais à traiter avec lui
d’affaires importantes, il me fallait me rendre à son hôtel particulier
ou au palais du Ministère. Mais plusieurs fois, et déjà il était
Ministre, il me dit résolument ne pas vouloir me donner audience,
sinon à l’heure du repas de midi ou du petit déjeuner, et que,

13.2 Page 122

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108
si j’avais besoin de quelque faveur de sa part, à moi de m’en souvenir,
à sa table il y avait toujours une place pour moi. Ce sont là, me
faisait-il remarquer, les moments où nous avons la possibilité de parler
avec la plus grande liberté. Dans les bureaux il y a trop de monde, et
nous pouvons à peine nous dire deux mots en vitesse, en frisant l’im-
politesse, et puis [nous devons] nous séparer aussitôt. Et également
le Marquis Gustave, son frère, avait établi les mêmes heures, et il ne
voulait pas autrement, pour causer de mes affaires. Et je dus m’ac-
commoder à une si aimable mais pour moi pesante condition. D’autant
plus qu’un jour, m’étant présenté pour des motifs urgents au bureau du
Comte, ce dernier refusa de me recevoir, et il ordonna à un domes-
tique de me conduire dans un salon. Là il m’invita à l’attendre, car il
voulait absolument me faire déjeuner avec lui, en promettant qu’il
m’écouterait. Alors il m’accordait tout ce que je demandais ».
Nous avons plusieurs fois réfléchi pour savoir quelle chose
d’importance D. Bosco put demander au Comte Camille. Il semble
qu’il ait plaidé auprès de lui la cause des Oblats ; il est d’autre part
certain que par son intermédiaire il a obtenu du Gouvernement des
locaux pour la première loterie ainsi que des remises de la taxe pos-
tale ; pour autre chose nous n’avons pas d’information. Il ne semble
pas qu’il s’agisse de dons car nous n’en avons pas trouvé mention
dans les papiers de D. Bosco et lui-même n’en parla jamais ; ni encore
de protection contre quelque injustice, car alors les autorités se mon-
traient favorables à l’Oratoire. Or, comme D. Bosco n’ajouta aucune
explication au sujet des choses accordées auxquelles il fait allusion,
nous pouvons, nous semble-t-il, déduire qu’il y a eu des demandes et
des agréments sauvegardés par un secret promis et tenu. D’autant plus
que nous savons avec certitude que de très graves affaires furent
réglées par lui de cette manière avec d’autres personnages. C’est pour-
quoi nous nous demandons : Et D. Bosco n’aura-t-il rien tenté pour
alléger d’une manière ou d’une autre la captivité de son Archevê-
que ? De temps en temps il se rendait à Fenestrelle chez le Curé,

13.3 Page 123

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109
D. Guigas Jean-Baptiste, son ami, et là il prêchait. C’est un fait,
d’après les attestations d’anciens élèves, qu’en 1850 il y alla aussi.
Nos notes, prises voilà désormais sept lustres, n’ont pas de date du
jour et du mois. Toutefois, en examinant où D. Bosco a pu séjourner
au cours de cette année-là, de quels endroits il a pu expédier ses
lettres, nous sommes restés persuadés que ce déplacement ne put
avoir lieu que dans les derniers jours d’août ou dans les pre-
miers de septembre.
Interrogé bien des années après sur le motif pour lequel
il s’était rendu à Fenestrelle cette année-là, il répondit sans
plus : Je désirais voir ces sommets dans la montagne où se
produisit la bataille de l’Assietta, car je projetais d’écrire une histoire
d’Italie. Dès lors nous sembla un peu étrange cette promenade de
simple passe-temps : c’était là, en effet, une chose contraire aux
habitudes de D. Bosco, spécialement à une époque où il était si
accablé par les préoccupations ; et étrange aussi le motif qu’il
alléguait, puisque c’est seulement en 1856 qu’était publiée l’Histoire
d’Italie. Toutefois alors nous n’avons pas pensé à pousser davan-
tage nos investigations, car nous étions loin de soupçonner qu’il
pût y avoir un mystère. Mais à présent, si l’on réfléchit au fait
qu’à l’intérieur des murs noirs de la forteresse se trouvait
enfermé son Archevêque, que, lui [D. Bosco], il était en relation
avec la famille du commandant du fort, Alphonse de Sonnaz, ce
déplacement qu’il fit ne pourrait-il pas être en rapport avec ces mots :
Alors Cavour m’accordait tout ce que je demandais ? N’aura-t-il pas
cherché à arriver jusqu’à la prison de son Pasteur, ou bien à lui
faire parvenir, oralement ou par écrit par l’intermédiaire d’une
personne de confiance, quelque information désirée ? Ce pourra
être là une supposition de notre part, mais il est certain cepen-
dant que D. Bosco nous affirmait un jour : On ne saura jamais une
grande partie des choses que j’ai faites au cours de ma vie !
En attendant, ces jours-là, par ordre de Massimo d’Azeglio,
Mgr Fransoni, sans preuves de culpabilité, sans procès, avait été

13.4 Page 124

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110
dépouillé des biens de sa mense et condamné à être banni
du Royaume. C’est pourquoi le 28 septembre on le fit sortir de
la forteresse et conduire aux frontières à travers les Alpes.
L’illustre défenseur de l’Eglise choisissait pour lieu de son exil
la ville de Lyon, où les Autorités, civiles comme militaires,
ecclésiastiques comme laïques, rivalisèrent d’efforts pour lui ren-
dre hommage. Là lui fut présenté le magnifique bâton pastoral,
don des piémontais. Depuis Lyon il continua à gouverner son
Archidiocèse, de la meilleure façon qu’il pouvait, jusqu’à sa
mort. Les ennemis de ce grand Archevêque en inventèrent de
toutes sortes pour attaquer sa réputation et le désignèrent même
comme conspirateur contre le Gouvernement du Roi ; mais efforts
inutiles. Le Pape, les Evêques du Piémont, de la Savoie, de la
Ligurie et d’autres régions, les catholiques, je dirais, du monde
tout entier, en louèrent la conduite et lui offrirent, même à l’ai-
de de riches cadeaux, une attestation de leur haute admiration.
L’histoire véridique, par ailleurs, a déjà mis en claire lumière
toute son innocence et, tandis qu’elle gardera pour toujours une
page glorieuse à son impérissable mémoire, elle ne cessera pas
d’infliger une marque d’infamie indélébile à ses persécuteurs.
Mgr Fransoni, même éloigné, ne cessa jamais de proté-
ger l’Oratoire et de le favoriser de toutes les manières, et de
recommander à D. Bosco la nécessité, dans la perspective de sa
mort, de pourvoir à la continuation de son œuvre. Egalement par
l’intermédiaire du Théol[ogien] Borel et du Théol[ogien] Robert Mu-
rialdo, qui étaient allés à Lyon, il lui fit répéter un avertissement
similaire. Et D. Bosco, de son côté, avait toujours recours à lui pour
avoir un conseil. Bien plus le Chan[oine] Anfossi, Prof[esseur], affir-
me comme une chose certaine que très peu de temps après D. Bosco
alla à Lyon rendre visite à son Archevêque, en faisant preuve
d’un franc courage, même en face de ceux qui l’avaient exilé.
Nous finirons en disant que les relations amicales avec
le Ministre Cavour cessèrent en 1855, lorsque furent supprimées

13.5 Page 125

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111
de nombreuses maisons religieuses. Mais le Comte ne se déclara
jamais hostile à D. Bosco. La Divine Providence, presque pour
plaisanter, avait mis au moment voulu à ses côtés deux [personnages]
admirateurs cordiaux de l’Oratoire et excellents catholiques. Le
premier était l’Av[ocat] Jean-Baptiste Gal, déjà nommé, qui, à la
chute du pouvoir de Gioberti, avait été choisi par le Comte
Camille pour être son secrétaire particulier, et jusqu’en 1861 il
put connaître toutes les manœuvres secrètes de la politique. Atta-
ché ensuite aux Affaires extérieures pendant 10 bonnes années,
ayant demandé sa retraite au Gouvernement en 1870, il venait
rendre visite plusieurs fois par an à son ami D. Bosco, tantôt de
Torgnon, son pays natal dans le Val d’Aoste, et tantôt de
S[an] Remo où il avait l’habitude de passer l’hiver. Le second
fut le Chev[alier] Cugia Delitala, qui succéda à Gal dans la
charge de secrétaire particulier et y resta jusqu’à la mort de
Cavour. Nous conservons les poésies pleines d’affection et de
beauté que Delitala présentait à D. Bosco le jour de sa fête
patronale. D. Bosco avait des amis partout.
—————

13.6 Page 126

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112
CHAPITRE XII
Retraite spirituelle à Giaveno Lettre de D. Bosco au Théo-
l[ogien] Borel Amour plein d’affection de D. Bosco pour
les retraitants Le marchand et les singes Les sermons de
D. Bosco Visite à la Sacra di S[an] Michele [voir dans le bas de la
page 118] Le retour à Turin Guérison d’une fièvre persis-
tante Menaces contre les jeunes de l’Oratoire et pardon.
En septembre, D. Bosco conduisit un grand nombre
de ses jeunes pour passer une semaine de retraite spirituelle
dans le petit Séminaire de Giaveno, qui alors, en raison des
vacances, était vide d’élèves. S’y rendirent à pied les jeunes de
l’Internat et un bon nombre d’habitués [de l’un ou de l’autre] des
trois Oratoires, qui purent obtenir la permission de leurs parents
ou de leurs patrons. Guidés par l’excellent Théol[ogien] Robert
Murialdo, ils faisaient joyeusement le voyage, en chantant des
cantiques à la Très sainte [Vierge] Marie ou des chansons mora-
les apprises à l’Oratoire. Don Bosco partit par la diligence, soit
pour aller préparer le repas de midi à Avigliana, soit pour
accompagner quelques-uns d’entre eux qui en raison d’un em-
pêchement de maladie ne pouvaient pas faire le voyage à pied.
Parvenus à Avigliana, ils firent halte et au moyen d’un repas de
midi plutôt bien fourni ils se restaurèrent sur le bord du lac
[dans un coin] charmant. A cette occasion ils eurent la chance
précieuse d’entrer en relation étroite avec le pieux et charitable
prêtre D. Victor Alasonatti, qui nourrissait tant d’estime pour
l’Oratoire et un intense amour pour D. Bosco.

13.7 Page 127

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113
Pour les frais nécessaires, pour la nourriture et les cho-
ses semblables, pendant la retraite [spirituelle], D. Bosco avait
obtenu de l’Œuvre de Saint Paul un subside spécial, qui fut une
véritable providence. Les prédicateurs furent le chanoine Arduino,
archiprêtre de la Collégiale de Giaveno, homme très célèbre pour la
doctrine et le zèle, le Théologien Giorda et D. Bosco ; leur aide
pour les confessions était le Théol[ogien] Robert Murialdo, direc-
teur de l’Oratoire de l’Ange Gardien. Afin que le pieux exercice
fût utile à un plus grand nombre d’âmes, il s’arrangea pour
faciliter aux jeunes de la commune d’y prendre part, eux aussi ;
et le bien obtenu de tout cela fut grand pour tous.
D. Michel Rua, après de nombreuses années, raconte
encore avec une vive émotion le soin paternel que D. Bosco
prenait de lui et de tous les autres, en supportant les actes de
vivacité enfantine de beaucoup et en obtenant d’une façon affec-
tueuse le silence et l’attention aux moments indiqués.
Au sujet de cette retraite [spirituelle] D. Bosco écrivait
ceci au Théol[ogien] Borel :
Très ch[er] M. le Théologien,
J’espère accomplir un geste agréable à V[otre] S[eigneurie] Très
ch[ère] en Vous faisant part que notre retraite [spirituelle] a excel-
lemment commencé. Le nombre inter totum [tout le monde compris]
s’élève à cent trente ; à table nous ne sommes que cent cinq, les au-
tres viennent de l’extérieur pour assister aux cérémonies sacrées.
Les prédicateurs sont M. le Curé pour la méditation, le Théol[ogien]
Giorda Junior pour les conférences ; tous les deux donnent plei-
nement satisfaction à mon attente et à celle des jeunes.
De quatre à cinq heures, c’est la récréation, et aujourd’hui en
sortant de la chapelle pas même un seul ne voulut en profiter et
tous voulaient aller dans la salle de réflexion.
A ces jeunes je voudrais donner un souvenir, et pour cela je
Vous laisse me procurer ce que Vous estimez, médailles, croix,
etc. J’oubliais de Vous dire que, dans ma chambre à l’Oratoire

13.8 Page 128

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114
sous le Bureau (Barracon *), il y a des chapelets achetés il y a
quelque temps ; qui sait s’il n’est pas bien d’en donner un à
chacun ? Faites donc de la façon suivante : allez chez moi,
prenez les chapelets au nombre de cent trente ; près d’eux, il y
a des [livres] Jeunesse Instruite reliés en or *, envoyez-m’en une
douzaine ; en faisant de tout cela un seul paquet, remettez-le à la
diligence de Giaveno, qui part chaque jour à quatre heures de
Turin, de l’Auberge de la Forge, et faites part aussi à ma mère
que je vais notablement mieux ; le Théol[ogien] Murialdo est un
peu enroué, Savio a les fièvres, le concierge de Vanchiglia aus-
si ; les autres vont tous bien. Priez afin que tout aille bien.
Saluez D. Pacchiotti, D. Bosio et nos autres prêtres de l’Ora-
toire.
Je n’ai plus le temps d’écrire : faites part du contenu de
cette lettre à D. Cafasso. Que le Seigneur Vous accompagne :
Dominus det [Que Dieu {nous} accorde {sa paix}].
Giaveno, 12 Septembre 1850.
[Votre] ami très aff[ectionné]
D. BOSCO J[ean].
P.S. Un petit balluchon a été oublié dans la cuisine, joint à
un paquet enveloppé dans du papier, que je [Vous] prie de join-
dre à ce dont il est parlé ci-dessus.
Dans cette lettre on évoque le souvenir de la récréation.
D. Bosco s’attardait souvent à causer avec ses retraitants qui
après le repas de midi ou après celui du soir venaient tous
autour de lui. Brosio Joseph écrivit : « Il avait toujours quelque
anecdote agréable à raconter, quelque nouvelle plaisanterie pour
les égayer. Il ne prenait pas de tabac [à priser], et il empêchait
ses élèves d’en prendre ; mais, l’un des premiers jours, il sortit
de sa poche une grosse boîte pleine à ras bord de ce [produit].
Tous les jeunes furent [comme agrippés] à ses vêtements en en
—————
* . Barracon (mot dialectal) signifiant petite boutique, meuble utilisé
pour le marché ; ici sans doute espace dans lequel D. Bosco range la
réserve d’objets de valeur commerciale.
. reliés en or : livres dont la reliure porte des lettres ou des motifs dorés.

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115
demandant une pincée, et D. Bosco répondit : Oui, volontiers
si c’était nécessaire : c’est pourquoi j’en donnerai à tous ceux
qui ont une tabatière. Aussitôt quelques-uns, déjà plus âgés,
parmi lesquels Gillardi Jean et Randù Joseph, présentèrent leur
boîte car ils prisaient ou sur le conseil du médecin ayant mal
aux yeux ou à la tête, ou bien en raison d’une vieille habitude.
A ceux-là D. Bosco remplit les tabatières et il leur fournit le tabac
pour tout le temps que dura la retraite [spirituelle]. Des attentions de
cette espèce lui gagnaient merveilleusement les cœurs ».
Mais surtout pendant ces récréations D. Bosco interro-
geait l’un ou l’autre sur le sujet du sermon et sur les faits les
plus importants. Un matin il avait fait la conférence à propos du
scandale ; c’est pourquoi pendant la récréation de l’après-midi,
comme il se trouvait entouré par de nombreux jeunes, parmi
lesquels plusieurs de la paroisse, il se mit à demander ce qu’il
avait dit. Il en interroge un, et il ne lui répond pas ; il deman-
de à un autre, et il se trouve dans l’embarras ; il passe à un
troisième, à un quatrième, à un cinquième, et tous se grattent la
tête sans donner de réponse satisfaisante. [] Oh ! pauvre de
moi, s’écria alors Don Bosco ! Ou j’ai parlé en allemand, ou
vous avez dormi. Finalement tout à coup se fait entendre un
petit garçon : Moi, moi, cria-t-il, je me souviens. De quoi te
souviens-tu ? — Je me souviens de l’exemple des singes.
Le récit de D. Bosco, sur le mode d’une parabole, avait
été celui-ci.
Un marchand, en portant sur son dos, à l’intérieur d’une
caisse à marchandises (en piémontais bóita), ses différents pro-
duits à vendre, voyageait d’un village à l’autre pour les écouler.
Une fois parmi les autres, il fut surpris par la nuit avant d’arri-
ver à une certaine ville. C’était l’été ; dans le ciel brillait la lune
blafarde, et le marchand, fatigué de la longue route, décida de pren-

13.10 Page 130

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116
dre du repos sur le sol auprès d’un arbre gigantesque. Puis pour
se protéger la tête de l’humidité de la nuit, ayant ouvert sa
caisse, il tire l’un des bonnets blancs dont il était approvisionné
en abondance, le met sur sa tête et ainsi s’endort. Le pays était
la patrie des singes, et les branches de cette plante en étaient
couvertes. Les magots, ayant vu cet homme avec le bonnet sur
la tête, poussés par leur instinct, veulent l’imiter. Que font-ils ? Un
commence à descendre tout doucement jusqu’en bas, fouille avec ses
pattes dans la caisse à marchandises ouverte, en tire un bonnet, se
l’arrange sur la tête et remonte sur l’arbre. Alors tous, l’un
derrière l’autre, en font autant, et le jeu ne cesse pas tant qu’il
reste un bonnet. Le marchand dormait à poings fermés, et les
singes pour la première fois dormirent eux aussi avec le petit
bonnet sur la tête, comme de délicates demoiselles. Entre-temps
la nuit s’était écoulée. De l’Orient se levait déjà belle et
rougeoyante l’aurore matinale, annonciatrice de l’astre du jour, et
notre marchand, s’étant réveillé, se lève pour reprendre sa route.
Mais quelles ne furent pas sa surprise et sa douleur, quand il
s’aperçut que lui avaient été volés tous les bonnets ! Pauvre de
moi, cria-t-il, il y a eu les voleurs ; je suis ruiné. Mais en
observant mieux et en réfléchissant plus attentivement, il ajouta :
et pourtant il semble que non ; s’il y avait eu les voleurs, ils
m’auraient tout dérobé et pas seulement les bonnets ; je n’y
comprends rien. A cet instant il lève par hasard les yeux,
et voit tous les singes coiffés d’un bonnet. Ah ! crie-t-il aussitôt,
les voilà les gredins ; et bien vite il se met à leur faire peur, en
lançant des pierres pour les obliger à lui redonner en la lâchant
sa marchandise ; mais les singes, en sautant d’une branche à
l’autre, faisaient semblant de ne pas comprendre. Après plusieurs
heures d’efforts inutiles, le pauvre marchand, ne sachant plus
désormais que faire, se met les mains dans les cheveux, presque
de désespoir, et jette rageusement à terre le bonnet qu’il avait
encore sur la tête. Ayant vu ce geste, les singes en font autant,

14 Pages 131-140

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14.1 Page 131

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117
et en un clin d’œil une pluie de bonnets tombe de l’arbre pour la
consolation du marchand affligé.
Les jeunes gens, avait conclu D. Bosco, font à peu près
comme les singes. S’ils voient quelqu’un d’autre faire le bien, ils le
font eux aussi ; si [c’est] le mal, ils l’imitent encore plus vite.
D’où la grande nécessité de mettre sous leurs yeux des exemples
édifiants, et de les éloigner à mille lieues des scandales.
Par ailleurs, après avoir constaté que, parmi tant de choses
qu’il avait dites dans son sermon, les jeunes se souvenaient à
peine de certains faits, D. Bosco se fit une grande obligation d’é-
mailler fréquemment le tissu de ses conférences d’exemples et de
comparaisons qui frapperaient mieux leur imagination, et par ce
moyen il pourrait se frayer un chemin pour éclairer l’esprit et
émouvoir le cœur ; et cela réussit avec un très heureux résultat.
En effet, il prêchait et glissait une flamme dans ses
récits avec tant d’affection pour le salut des âmes, qu’un jour il
s’émut au point d’éclater en de forts sanglots et, descendu de la
chaire, il dit au jeune abbé Savio Ascagne d’une façon humble
et presque mortifié : [] Je n’ai pu me maîtriser. — Mais chez
les auditeurs émus il produisit un effet indicible.
Il lui appartint de faire la clôture de cette retraite [spiri-
tuelle] et il donna la consigne suivante : Faites chaque mois la
récollection. Faites bien chaque mois la récollection. Faites
infailliblement et bien chaque mois la récollection. — C’est
D. Rua qui en garda le souvenir.
Pour récompenser leur docilité, et pour détendre leur
esprit, le lendemain de la clôture de la sainte retraite [spirituelle]
D. Bosco emmena ses élèves faire une promenade jusqu’à la
Sacra di San Michele. La fanfare de Giaveno voulut les accom-
pagner pour les réjouir de ses douces harmonies. Le trajet sur la
montée escarpée apporta l’un des plus délicieux amusements.
Leur capitaine montait une petite bête de somme, et les

14.2 Page 132

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118
jeunes faisaient cercle autour de lui, tantôt en plaisantant avec le
bourricot, tantôt en répétant la canzone, alors très familière, qui
commençait [ainsi] :
Et vive D. Bosco,
Qui nous conduit
Toujours vers la lumière
De la vertu,
Qui en lui moins brillante
Jamais ne fut.
D. Bosco, par contre, en faisant une variante pour le
premier vers, chantait : Et vive Roberto, en adressant le reste de
l’éloge au Théo[ogien Robert] Murialdo, son compagnon de voya-
ge. De temps en temps on faisait un court arrêt ; les musiciens
soufflaient dans les trompettes, et les notes harmonieuses, en
battant sur une cime qui les renvoyait sur une autre, remplis-
saient d’échos majestueux les vallées situées plus bas. A ce bruit
insolite les oiseaux effrayés voletaient d’un arbre à l’autre ; les
paysans sortaient de leurs pauvres habitations pour écouter ; et le
petit âne dressait les oreilles, et avec son braiment vulgaire il
essayait d’être dans le ton de la fanfare ; c’étaient des scènes
d’un agrément indicible. Parvenus au but tant désiré, ils y furent
accueillis avec un tendre élan d’affection par les aimables Pères
Rosminiens, qui assuraient l’administration religieuse de ce célèbre
sanctuaire. D. Bosco était lié à ces derniers par une grande ami-
tié, et lorsqu’ils étaient en voyage, n’ayant pas eux-mêmes de
maison à Turin, ils étaient hébergés à Valdocco. Les jeunes visi-
tèrent ensuite l’église, l’établissement et ses souvenirs vétustes ;
ils en entendirent l’histoire [racontée] par D. Bosco, en en recueillant
des notions très utiles.
D. Bosco, quel que fût le pays où il allait avec ses
jeunes, avait l’habitude de raconter l’histoire du lieu et de quel-
ques faits mémorables qui s’y étaient produits. C’est pourquoi il
leur dit : « Ce sanctuaire S[aint]-Michel-de-la-Cluse, [en italien]
communément appelé Sacra di S[an] Michele, parce qu’il est
consacré en l’honneur de cet Archange, est l’une des plus
célèbres Abbayes des Bénédictins dans le Piémont. De simple

14.3 Page 133

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119
ermitage qu’il était vers l’an 900, construit sous l’inspiration de
S[aint] Michel par un certain Jean de Ravenne, homme de sainte
vie qui s’était retiré là, il fut transformé quelques années après
par Hugues de Montboisier [= Montboissier], dit le Décousu, gen-
tilhomme d’Auvergne, en une majestueuse église de style gothique,
avec un grand Couvent annexe pour l’habitation des moines. Hu-
gues, qui faisait construire à ses frais ce monastère, en pénitence
de ses péchés, pour le pardon desquels il avait fait le pèlerinage
de Rome, laissa la charge des travaux à Atverto ou Avverto,
Abbé de Lusathe en France ; celui-ci, une fois terminée la construc-
tion de l’édifice, fit venir pour l’habiter les moines Bénédictins qui
élurent Atverto lui-même pour être leur premier Abbé. La réputation
de leur sainteté s’étant répandue rapidement, le monastère vint à
compter jusqu’à 300 moines ; et des Papes et des Evêques, des
Rois et des Ducs rivalisèrent d’efforts pour faire des largesses en
privilèges et en cadeaux à ce [monastère]. Mais comme on avait
perdu la discipline primitive de la règle, il fut en 1383 érigé en
Abbaye en commende sous le patronage des Comtes de Savoie, et
continua ainsi jusqu’à l’invasion française, au début de ce siècle, lors-
que avec le reste fut aussi supprimée la célèbre Abbaye. Cependant
restauré et embelli pour effacer les ravages du temps grâce à la ma-
gnificence de nos bons souverains Charles-Félix et Charles-Albert, il
fut cédé aux Pères Rosminiens, qui aujourd’hui vous accueillirent
avec tant d’affection et de générosité. Entre ce mont sur lequel nous
sommes actuellement, appelé Pircheriano [= Pirchiriano ; ‘ mont des
porcs ’], et l’autre mont appelé Caprasio [‘ mont des chèvres ’] qui
se tient devant vous, vous voyez là en bas une vallée large d’un peu
plus de mille pas. Celle-ci forme la cluse ou la gorge de Suse, ainsi
appelée parce qu’elle ferme presque le passage aux armées qui par là
descendraient de la France. Ce passage est célèbre dans l’histoire en
raison du stratagème de Charlemagne qui, pour secourir le Pontife de
Rome, ayant franchi la Cluse, prit à revers Didier, roi des Lombards,
et l’ayant battu, il mit fin à leur règne en Italie ».

14.4 Page 134

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120
Bien qu’aux jeunes il ne fût pas déplaisant d’apprendre
des choses que jusque là ils ignoraient, toutefois vers midi une
autre curiosité occupait en priorité leur esprit. La promenade du
matin et l’air extrêmement pur qui soufflait sur ces chaînes alpines
avaient suscité à l’intérieur d’eux un besoin, auquel on donne le
nom d’appétit ; et même plus qu’appétit, leur [besoin] pouvait être
dit une vraie faim. C’est pourquoi, pendant la visite, en passant
d’un lieu à un autre, ils ne pouvaient se retenir de lancer de
temps en temps un coup d’œil furtif vers le réfectoire, et pour eux
l’heure du repas de midi mettait mille ans à venir. Cette [heure]
arriva finalement, et bien qu’ils ne fussent pas tous musiciens, ils
mangèrent néanmoins tous avec un appétit musical *.
Ensuite, n’ayant pas de quoi fournir une compensation
satisfaisante à leurs charitables hôtes, ils les rétribuèrent en
chantant et en jouant de la musique. Donc, si les garçons
de D. Bosco se réjouirent ce jour-là, bien plus encore se
montrèrent heureux les bons Pères, qui étant venus au milieu
d’eux les conduisaient çà et là pour visiter les alentours et les
autres curiosités dignes, elles aussi, d’une attention particulière.
Plusieurs heures de nouveaux divertissements s’étant écoulées, ils
se rassemblèrent tous au pied de l’autel et, après le chant des
litanies, on donna la bénédiction du Saint Sacrement.
Ayant ainsi invoqué la protection du Ciel, on fit encore
jouer la musique, on adressa une cordiale salutation aux vigilants
gardiens du Sanctuaire renommé, et vers cinq heures de l’après-midi,
une fois accomplie par ces bons Pères une distribution de petits pains
avec l’accompagnement de fruits excellents, pleins de reconnaissan-
ce, ils prirent congé d’eux et commencèrent à descendre. Arrivés à
S[ant’]Ambrogio [di Torino], endroit où la route se divise en deux, on
fit une courte halte. Les musiciens jouèrent une symphonie joyeuse, à
la fin de laquelle ceux de Turin crièrent Vive les gens de Giaveno et
ceux-ci répétèrent Vive les Turinois, et avec les signes de la plus
affectueuse amitié ils se séparèrent, les uns pour rentrer à Giaveno, et
les autres à Turin par la route de Rivoli. Leur marche fut accom-
—————
* Appétit musical : pour exprimer un appétit énorme le dialecte pié-
montais parle d’un ‘ appétit de musiciens ’.

14.5 Page 135

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121
plie au milieu de joyeux cantiques, de la récitation de pieuses
prières et de la narration de charmantes anecdotes effectuée tour
à tour par D. Bosco et par le Théol[ogien] Murialdo ; ce dernier,
en se plaçant de nouveau sur [le sujet de] la sainte Retraite [spi-
rituelle], leur laissa comme consigne de réciter chaque jour de
leur vie un Ave Maria, pour obtenir la grâce qu’aucun de ceux
qui l’avaient faite n’eût à se perdre en enfer. — Quel doux plaisir ce
sera donc, leur disait ce bon religieux, quelle joie ce sera donc
quand nous pourrons faire tous ensemble nos belles promenades
sur les éternelles et très riantes collines du Paradis !
Ils parvinrent à la ville de Rivoli : la nuit était quelque
peu avancée et, pour la plupart, ils étaient fatigués à n’en plus
pouvoir. Il restait encore à faire 12 kilomètres. D. Bosco n’eut
pas le cœur de faire continuer [aux jeunes] la route jusqu’à Turin
dans cet état et, les ayant conduits dans une auberge, il chercha
[à savoir] combien de diligences et d’omnibus on pouvait déni-
cher afin de les faire transporter par ces véhicules. Mais on n’en
trouva pas en nombre suffisant, et c’est pourquoi des jeunes, une
vingtaine, durent se résigner et continuer le voyage à pied. Mais
D. Bosco pensa à ces derniers d’une autre manière et, après les
avoir déridés par des paroles aimables, il fit venir à lui Brosio,
celui qu’on appelait le Bersaglier, et lui remit une somme
d’argent pour qu’il les fît tous reprendre des forces avec un bon
dîner ; et ainsi fut fait. Revint alors dans les esprits le bon Jésus
qui, à la vue des foules affaiblies pour l’avoir suivi, s’écria tel
un Père affectueux : J’ai pitié de ces personnes : Misereor super
turbas ; et il leur procura de quoi ne pas défaillir en route.
Après avoir pris un peu de repos et d’alimentation,
l’arrière-garde se remit en chemin en direction de Turin. La nuit
était déjà très avancée, et pour chasser la peur de l’esprit
des plus timides et pour faire paraître moins long leur
trajet, le Bersaglier employa un stratagème : il saisit deux
pierres, invita les autres à en faire autant, et tous à un
moment commencèrent à les battre ensemble. De cette façon,
furent improvisées une musique et une illumination de dernière

14.6 Page 136

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122
fabrication, et au milieu de ce martèlement et de ces étincelles
de pierres ils parvinrent à l’Oratoire vers onze heures du soir.
Le 21 septembre 1850 D. Bosco signait et présentait sur pa-
pier timbré la liste des noms d’une bonne centaine de ces retraitants à
la direction de l’Œuvre pie de S[aint] Paul, qui paya la dépense entière
de leur retraite [spirituelle]. Une liste de neuf autres noms complétait la
précédente, si bien que d’après nos archives on peut connaître la
majeure partie de ceux qui allèrent à Giaveno et leur âge * (1).
—————
* Certains parmi les plus jeunes semblent être indiqués avec un âge
supérieur à leur âge réel. La raison est sans doute d’ordre administra-
tif. Quelques exemples sont signalés par un °.
(1) Nous lisons ceci dans un document autographe de D. Bosco :
Retraite [spirituelle] à Giaveno 1850. Brosio Joseph, 21 ans Cumino
Joseph, 17 Diato Barthélemy, 18 Reffo Hermann, 18 Gaspardone
Thomas, 18 Testore Michel, 17 Costa Eugène, 19 Tirone
Dominique, 18 Piumatti Jean, 18 Beglia Jacques, 17 Buzzet-
ti Joseph, 18 Rastelli Jean, 19 Reviglio Félix, 18 Reviglio Joseph,
17 Caglieri Hyacinthe, 18 Gastini Charles, 18 Chiosi Joseph,
16 Canale Joseph, 22 Fornasio Clément, 21 Libois Michel,
18 Borselli François, 20 Gotti Etienne, 18 Micheletti
l’aî[], 19 Micheletti le ca[det], 17 Pagani Félix, 16 Montanaro
Laurent, 25 Porporato Laurent, 16 Ghiotti Antoine, 28 Pasquale
Michel, 16 Gillardi Jean, 48 Manuele Matthieu, 17 Chiala °
César, 16 Bruno Georges, 17 Bertolino Jacques, 17 Bosselli
Je[an]-Bapt[iste], 16 Margaretelli Etienne, 16 Bruna Joseph,
16 Savio ° Ange, 17 Bargetti François, 20 Costante Zéphyrin,
17 Valfrè Jean, 20 Croce Alexandre, 16 Jeu[ne abbé] Casetti Fran-
çois, 16 Bardissone Jean, 17 Comoglio Joseph, 23 Rovetti Joseph,
38 Marchisio Dominique, 16 Locatelli François, 17 Ferrero Jean,
16 Rua ° Michel, 16 Jeu[ne abbé] Savio Ascagne, 18 Odasso Joseph,
16 Rossi François, 17 Bracotti Jean, 18 Battagliotti Joseph,
18 Audenino Victor, 16 Ippolito Louis, 17 Perim Jean, 16 Vas-
chetti Victor, 17 Falchero François, 19 Pasero Laurent, 17 Alasia
Félix, 17 Casassa Joseph, 16 Gorino Pierre, 33 Forno Ber-
nard, 38 Piovano Pierre, 25 Gilardi Dosithée, 40 Casanova
Alphonse, 26 Gauter Jean, 22 Rovere Jules, 19 Bajetti Jean,
25 Serale Pierre, 16 Castagna Jacques, 16 Gatta Ber-
nard, 22 Rovaretto Antoine, 17 Reviglio Joseph, 16 Giovannino

14.7 Page 137

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123
Nous avons voulu raconter en détail l’histoire de cette
Retraite [spirituelle] et de cette promenade, parce chez les jeunes
elle demeura gravée comme l’un des plus agréables souvenirs, et
pour que l’on connaisse mieux le soin de D. Bosco à faire
servir Dieu dans une sainte joie.
A certains cette promenade donna également la raison de
croire aux vertus singulières de D. Bosco. Pour obtenir de Dieu des
guérisons et d’autres grâces, il suggérait, c’était son habitude, à
ceux qui avaient recours à lui [de faire] des prières spéciales et
parfois même un vœu. Le jeune Reviglio Félix avait supporté
pendant plusieurs mois les fièvres tierces, qui l’avaient mis dans
un tel état que les médecins le déclarèrent phtisique. D. Bosco
l’avait conduit à Giaveno, et au cours de la confession, comme
nous le raconta Reviglio lui-même, il lui suggéra de faire le vœu de
recevoir le Sacrement de pénitence tous les huit jours pendant
l’espace de six mois. Dans le même temps il lui conseillait
quelques pieuses pratiques. Ce moyen fut plus efficace que tous
les médicaments qui jusqu’alors n’avaient pas eu d’effet, et en
peu de temps le jeune homme fut remis en parfaite santé.
Un autre jeune, ayant environ vingt-sept ans, l’un des plus
âgés qui fréquentaient alors l’Oratoire, faisait la Retraite [spirituelle] ;
il vaut mieux taire son nom : il entre dans la sacristie tandis que
—————
Augustin, 16 Giacomelli Antoine, 21 Barrucco Joseph, 35 Lione
François, 17 Costa Eugène, 19 Comba Antoine, 18 Usseglio Jean,
19 Tessa Charles, 17 Brunelli Jean, 19 Ricci François, 16 Vesso
Georges, 17 Rosso Félix, 21 Ferro Félix, 17 Demateis Jean,
22 Ferro Michel, 20 Picco Je[an]-Bapt[iste], 20 Rolando,
17 Luciano Delphin, 20 Marnetto Paul, 25 Randù
Joseph, 45 Rosa Hyacinthe, 18 Guardi, 19 Cagno Jac-
ques, 16 Pezziardi Albert, 16 Santi Modeste, 17 Giovale Gaudence,
17 Plano Jean, 16 Depetris, 21 Dalmasso François, 17 Rufino
François, 17 Giay Irénée, 19 Davico Louis, 23 Usseglio Louis, 20.

14.8 Page 138

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124
D. Bosco était prêt pour aller célébrer la Messe. Brosio Joseph
tenait déjà le missel pour la servir et ce jeune le lui arrache des
mains grossièrement et se met en route tout de suite. D. Bosco,
qui fut toujours l’homme du pardon, en voyant Bosio subir une
telle offense, lui fit aussitôt un signe de l’œil de céder et de se
tranquilliser. Mais après la messe, l’ayant pris à part, il lui
dit : Brosio, tu as fait une belle action en cédant. Tu verras
en son temps qui est ce jeune ! Et malheureusement D. Bosco
prévoyait juste.
En effet, quelque temps après ce [garçon] se vendait aux
protestants, désertait l’Oratoire et était au premier rang parmi les
chahuteurs et les blasphémateurs de la Jardinière. A plusieurs
reprises il apparaissait, menaçant, dans les parages de l’Ora-
toire pour effrayer les jeunes et ainsi les pousser à se tenir loin
de D. Bosco ; mais ce dernier avait déjà dit quelque chose à
Brosio au sujet de la conduite de ce misérable, et c’est pourquoi
le Bersaglier le surveillait. Un jour, il se présenta à la grille
d’entrée de la cour, armé d’un long stylet, prêt à s’en servir si
quelqu’un avait essayé de le repousser. Un enfant courut aussitôt
avertir le Bersaglier, tandis que ses autres compagnons remplis
d’épouvante s’étaient enfuis vers l’extrémité opposée. Brosio
s’approcha de lui, en le priant de se retirer, d’abord de façon
affectueuse et ensuite dans une attitude assez résolue ; mais, en
voyant qu’il ne pouvait rien obtenir, car ce querelleur ivre cher-
chait des prétextes pour en venir au corps à corps, il se retira,
en l’observant à distance respectueuse. Mais ce forcené ne tarda
pas à tomber entre les mains de la justice, et D. Bosco, appelé
à déposer contre lui, lui obtint le pardon et la remise de peine,
et il se contenta de supplier le tribunal de bien vouloir protéger
sa personne et l’Oratoire : ce qui fut exécuté par l’envoi de ce sujet,
reconnu dangereux, loin de la ville de Turin. D. Rua apprit cela
de la personne qui avait accompagné D. Bosco au tribunal.

14.9 Page 139

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125
CHAPITRE XIII
Achat du champ des rêves Pourparlers avec Rosmini pour un
prêt et projet d’une construction à Valdocco Don Bosco pour
la seconde fois à Stresa A Castelnuovo Indulgences pour
la Chapelle des Becchi Lettre de D. Bosco au Théol[ogien]
Borel Cagliero Jean rencontre D. Bosco.
Au cours des mois précédents D. Bosco n’avait pas
écarté de ses visées les propositions faites à l’Abbé Rosmini. C’est
pourquoi le 20 juin, avec un acte passé devant le notaire Turvano, il
faisait l’acquisition, auprès du Séminaire de Turin, d’un terrain d’une
journée ([mesure piémontaise équivalant à] 38 ares), cultivé comme
potager et de forme triangulaire, pour le prix de 7 500 lires.
C’est cet emplacement même où, après d’autres reventes et
achats, se dressent aujourd’hui [1904] l’Eglise Marie-Auxiliatrice
et les ateliers de l’imprimerie avec la cour annexe.
Le Père Gilardi Charles avait entre-temps écrit de Stresa
à D. Bosco, [en disant] que l’Abbé Rosmini acquiesçait volon-
tiers à sa demande de lui donner une somme à titre de
prêt. D. Bosco lui répondait ainsi :
Très ill[ustre] Monsieur,
C’est avec une grande satisfaction que j’ai reçu la lettre très
aimable de V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] exprimant les senti-

14.10 Page 140

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126
ments du Très rév[érend] M. l’Abbé Rosmini, et elle me fit
d’autant plus plaisir, car l’offre dépasse mon attente.
J’accepte donc le prêt de vingt mille francs à employer dans le
bâtiment dont nous avons déjà parlé, en en donnant une
assurance-[crédit] hypothécaire et en nous réservant de venir
en des temps meilleurs à des décisions relatives aux moments,
aux lieux et aux personnes. Mais comme à présent je suis très
accablé par les loyers, je demanderais donc seulement de me
faire grâce de l’intérêt pendant trois ans, jusqu’au moment où,
entrant en possession du nouvel Oratoire, je serais déchargé en
partie du loyer actuel. Je dis cela seulement pour ma conve-
nance, et non comme condition du contrat, puisque j’accepte la
proposition même sans d’ultérieurs avantages.
Pour nous entendre de façon adéquate, voyant nécessaire la
présence des deux parties, j’attendrai seulement que soit terminé
le projet déjà commencé de la nouvelle construction pour le por-
ter personnellement chez Vous et avoir ainsi les sages avis du
Très Cél[èbre] Monsieur l’Abbé Rosmini.
Présentez mes sentiments de la plus vive gratitude à votre
très vénéré Supérieur et dans l’espérance que le Seigneur, qui
disposa les choses pour que fussent commencés nos pourparlers,
veuille les achever pour sa plus grande gloire et pour l’avantage
spirituel de nos âmes et de celle d’autrui, je considère comme
un honneur de pouvoir me déclarer
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
Turin, 13 juillet 1850.
Très hum[ble] Serviteur ami
D. BOSCO J[ean]
Chef des Garnements.
Le Père Gilardi, comme procureur des Rosminiens,
répondait ceci au Directeur du pieux Internat à Valdocco :

15 Pages 141-150

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15.1 Page 141

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127
Stresa, 26 juillet 1850.
Ayant commencé par présenter les excuses que je Vous dois
pour avoir jusqu’ici tardé à répondre à votre très aimable [lettre]
du 13 de ce mois, [je dirais que] mon Très rév[érend] P[ère]
D. Antoine Rosmini ne pourrait, même pas dans les trois pre-
mières années, se priver de l’intérêt du capital convenu ; mais il
pourrait Vous accorder d’en différer au-delà des trois années le
versement effectif, au moyen des billets à ordre, ou pagherò *
comme il les appelle, que Vous lui feriez en attendant.
Le Très rév[érend] Sus[nommé] avec beaucoup de plaisir a
compris votre détermination à venir bientôt nous voir et il désire
que Vous ne tardiez pas trop, également pour cette raison que la
somme d’argent serait presque entièrement prête à être mise
n’importe quand à votre disposition, etc., etc.
C[harles] GILARDI P[rêtre].
D. Bosco lui écrivait de nouveau :
Très ch[er] D. Charles,
Je crains que mon retard à me rendre à Stresa ne cause quel-
ques doutes au sujet de notre entente ; c’est pourquoi je crois bon
d’écrire à V[otre] S[eigneurie] Très ch[ère] et de Vous exprimer que
l’unique motif de mon retard actuel est bien l’attente du plan et
du projet de la maison à construire. M. Bocca m’a assuré qu’au
cours de cette semaine il finit le travail désiré, de sorte que la
semaine prochaine j’espère pouvoir me rendre à Stresa. Toutefois,
devant le 9 septembre être engagé pour une session de Retraite
Spirituelle, il s’ensuivra que, si je ne vais pas la semaine prochaine, je
ne le pourrai pas avant le 16 du prochain [mois de] septembre.
—————
* Pagherò : le mot italien ‘ pagherò ’ veut dire ‘ je paierai ’.

15.2 Page 142

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128
C’est le motif pour lequel je n’ai pas pu effectuer mon voyage à
Stresa, comme je le désirais. C’est pourquoi je Vous prie de me
faire excuser auprès du Très rév[érend] M. l’Abbé Rosmini et de
lui assurer que je suis toujours dans la même détermination.
Tandis qu’avec les sentiments de la plus grande vénération, je
considère comme un grand honneur de pouvoir me dire de tout
cœur in Domino [dans le Seigneur]
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très ch[ère]
Turin, 27 août 1850.
Très obl[igé] Serviteur
D. BOSCO J[ean].
Donc le 16 septembre 1850 D. Bosco partait de Turin
pour Stresa. Il allait pour s’entendre au sujet d’affaires et de
constructions ; mais dans le même temps il voulait mieux obser-
ver le règlement et la méthode disciplinaire de cette maison, qui
était la principale de la Congrégation des prêtres de la charité,
et le noviciat.
Parvenu à Santhià vers minuit il confessait le conducteur
de la diligence ; ensuite, ayant atteint Verceil et Novare, il des-
cendait à Arona. Il avait fait le projet de se rendre à Stresa par
le bateau. Au bureau de la diligence cependant il trouvait le
Marquis Arconati, son ami et bienfaiteur de l’Oratoire, qui lui pro-
posa de ne pas faire le trajet sur l’eau et de monter dans sa voiture
personnelle, puisqu’il pensait l’accompagner. De cette façon il
espérait que le voyage serait moins pénible pour D. Bosco. Dans
cette même occasion le Marquis proposait [de faire] une visite à
Alexandre Manzoni. D. Bosco accepta la cordiale invitation.
Attelés, les chevaux arrivèrent en peu de temps à Lesa, où en
cette saison Manzoni demeurait en villégiature. Ils furent accueil-
lis en toute amabilité, et là D. Bosco fit le dejuné [= déjeuner]
avec le grand écrivain, qui avait avec lui quelques parents et qui lui

15.3 Page 143

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129
fit voir ses manuscrits tout barbouillés à cause des nombreuses
corrections. D. Bosco n’eut pas d’autre contact avec Manzoni
pendant sa vie que l’arrêt de ces quelques heures ; mais cela lui
suffisait pour que de plus en plus il se persuadât que la sim-
plicité pour écrire est le fruit de longs travaux.
Reparti avec le Marquis, il fut conduit à Stresa, où il fut
accueilli sur des airs de grande fête par l’Abbé Rosmini et par
ses religieux, qui caressaient l’espoir de l’avoir toujours ensuite
comme confrère. Là il resta seulement cinq ou six jours et
eut de longs entretiens avec l’Abbé. On parla également des
biens Ecclésiastiques, auxquels avidement on portait de graves
atteintes. On voyait clairement que les anciennes formes des
Ordres religieux ne pouvaient plus subsister devant les usur-
pations dont les Gouvernements menaçaient leurs propriétés
collectives. Il fallait donc trouver le moyen d’assurer l’existence
d’une société de manière qu’un Gouvernement se trouvât devant
le droit commun des citoyens pris individuellement et en même
temps que subsistât le lien sacré des vœux. Don Bosco
avait résolu le problème dans sa tête, mais l’Abbé Rosmini
avait été parmi les premiers à concilier dans les règles de
son Institution le vœu de pauvreté avec la possession per-
sonnelle. Il présenta donc à D. Bosco les Constitutions des
Prêtres de la Charité, en en racontant l’histoire, les raisons et
l’approbation obtenue de Rome. Il avait établi que chaque
membre conservait la propriété de ses biens aux yeux de
l’autorité civile, mais ne pouvait les aliéner, ou en disposer
d’une autre façon, sans le consentement du supérieur ; et
ainsi, tandis que le vœu de pauvreté restait essentiellement sauf,
on évitait les dangers de la propriété collective. La chose
paraissait au commencement si nouvelle que la Congrégation
romaine, à laquelle était confié l’examen des constitutions,
avait avancé de graves difficultés. Mais, comme il avait fait
remarquer que l’essence de la vertu se tient dans l’âme et
non dans les choses extérieures, et que la pauvreté religieuse

15.4 Page 144

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130
consiste dans le détachement de toute affection pour les riches-
ses et dans la prompte disposition à s’en priver, et à vivre la
pauvreté effective, ces [constitutions] obtinrent l’approbation. — Et il
concluait : Notre Congrégation ne sera jamais supprimée, car
il n’y a rien à gagner !
A Stresa se produisit un fait digne d’être rappelé. Une
dame riche et cultivée, Anne-Marie Bolongaro, avait donné à l’Abbé
Rosmini une villa, des mieux situées sur les bords du Lac Majeur,
avec un jardin annexe et un petit bois. Comme beaucoup de savants
venaient lui rendre visite pour le connaître personnellement, pour
s’entretenir avec lui, pour entendre ses enseignements, il avait,
afin de ne pas causer de dérangements dans la maison du novi-
ciat, transféré cette année-là son domicile dans cet hôtel particulier.
Là-bas ses hôtes se rassemblaient pour des discussions scientifiques,
et avec une plus grande commodité ils y étaient logés. Comme
D. Bosco était hébergé au Couvent, Rosmini l’invita un jour à
déjeuner dans la maison de Madame Bolongaro : en consentant,
[D. Bosco] se trouva dans une réunion [voir * page 138] de
scientifiques et de philosophes de cette époque, pour une part
des alentours, pour une part venus de loin. Les commensaux
étaient environ trente et parmi eux Nicolas Tommaseo, le poète
et romancier Grossi, le napolitain Roger Bonghi, et le médecin
[Louis-Charles] Farini, de Russi ; et d’autres qui figurèrent ensuite dans
les révolutions italiennes. Farini avait publié l’Histoire de l’Etat
Romain, et il parut modéré dans ses jugements. D. Bosco avait
lu ce volume, mais n’en connaissait pas l’auteur et il se doutait
encore bien moins de ce qu’il se trouvât présent à la réunion.
A table on discuta de sujets politiques et religieux ; mais les
jugements émis par les commensaux n’étaient pas tous droits. Chez
tous il y avait un penchant vers le libéralisme dans le vrai sens
actuel du mot ; on critiquait les mesures de la Cour romaine, et
on louait les Gouvernements d’Italie qui par des actes illégi-
times avaient placé des obstacles aux droits du S[aint]-Siège.

15.5 Page 145

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131
L’Abbé Rosmini ne se montra pas opposé à certaines de ces
observations qui concernaient la politique, et D. Bosco, qui était
de tout son cœur attaché au S[aint]-Siège, et au Pape de façon
spéciale, en était grandement révolté ; mais se trouvant dans la
maison d’une autre personne, au milieu d’hommes ayant la
réputation d’être chevronnés dans les études, il écoutait sans
prononcer un mot. A un certain moment on vint à parler des
nouvelles relations de l’Eglise avec l’Etat en Piémont ; on pre-
nait la défense de la Brochure de Rosmini La Constitution selon
la justice sociale, publiée en 1848 et interdite par la Sacrée
Congrégation de l’Index ; on parlait même des élections des
Evêques à remettre aux comices du clergé et du peuple. Ces
discussions s’étaient enflammées de sorte qu’elles sortaient des
limites de l’entretien de voisin à voisin. D. Bosco restait comme
une personne qui ne s’occupe pas des conversations d’autrui.
Rosmini à un moment fit signe aux convives de parler plus
doucement et ensuite d’arrêter, et à voix basse il dit à
Bonghi : Il y a Don Bosco ! Mais Bonghi avec une insolence
juvénile répondit à Rosmini, en croyant que D. Bosco ne l’en-
tendait pas : Il ne comprend rien cet imbécile ! D. Bosco
fit semblant de n’avoir pas entendu cette insulte ; mais Rosmini,
à qui de tels propos ne plaisaient pas du tout, et qui savait
combien D. Bosco était estimable, demeurait pensif. Et voici
qu’au moment de sortir de table les conversations roulent sur
l’Histoire de l’Etat Romain de Farini, qui venait d’être publiée.
Rosmini qui avait observé comment D. Bosco était resté taciturne
pendant tout le temps du repas, l’invita à exposer, lui aussi,
quelques-unes de ses idées. Don Bosco consentit volontiers, en sai-
sissant la balle au bond. Sans acrimonie, mais avec franchise, au
milieu de la curiosité universelle, il fit remarquer que l’Histoire de
Farini n’était pas digne d’une grande louange en raison de certaines
inexactitudes historiques et en raison du déshonneur qu’il répan-
dait parfois sur le pouvoir temporel des Papes ; en montrant

15.6 Page 146

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132
qu’il connaissait à fond les écrits de Farini. Tous les con-
vives se mirent à rire devant cette critique inattendue, en
approuvant habilement ce qu’il disait, et en l’incitant à continuer
ses remarques. D. Bosco, ne se doutant de rien, poursuivait.
Lorsqu’il s’agissait de l’honneur de l’Eglise et du Pape, il ne
transigeait pas. Farini, impassible sur son visage, gardait le
silence ; les autres prenaient un plaisir fou avec cet incident.
Finalement imaginez quelle fut la surprise de D. Bosco lorsqu’il
lui fut dit : Connaissez-Vous le docteur Farini ?
Je ne le connais pas !
Le voici ! J’ai l’honneur de Vous le présenter. D. Bosco
ne se troubla pas ; il salua aimablement Farini, lui demanda
pardon, en déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’offenser quel-
qu’un ; et il maintint ce qu’il avait dit, en continuant à lui faire
observer avec une grande délicatesse comment il était tombé
dans plusieurs grosses erreurs dans le chapitre des Affaires
de la Romagne. Tous croyaient que Farini s’en indignerait, se
mettrait en colère et se défendrait ; mais il montra au contraire
qu’il appréciait beaucoup cette critique judicieuse, et il remercia
Don Bosco, en lui disant : On voit que Vous êtes expert et que
Vous connaissez bien l’histoire ; votre franchise me plaît : jusqu’à
présent personne ne m’a fait à quelque moment ces observations.
Rosmini lui-même demeura étonné du courage de D. Bosco
et quand il fut seul avec lui il s’écria : Je ne me serais pas
hasardé à dire à Farini de telles choses. Un autre avait ad-
miré D. Bosco : Nicolas Tommaseo.
Vers la fin de cette semaine D. Bosco retourna à Turin
par la diligence, car le dimanche il voulait se trouver au milieu
de ses jeunes de l’Oratoire des dimanches et des jours de fête.
De là, vers la fin de septembre, il partait pour Castelnuovo.
N’oublions pas les fatigues qu’il avait supportées durant cette année,
en assurant de façon suivie le cours de langue latine aux quatre
jeunes Buzzetti, Gastini, Bellia, Reviglio. Et à présent il les

15.7 Page 147

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133
conduisait avec lui aux Becchi pour la fête du Rosaire, qu’on devait
célébrer avec une solennité particulière en raison des faveurs spi-
rituelles demandées au Pape et accordées par lui (1) ; et également
pour leur permettre d’avoir un peu de détente, vraiment méritée après
leur intense application à l’étude, dont nous avons parlé dans le
volume précédent [pp. 550-551. 572. 620]. En même temps qu’eux il
conduisait avec lui plusieurs autres de ses élèves.
Dans les villages par lesquels il passait en allant à la maison
paternelle ou en en revenant, il s’attardait avec les personnes qu’il
rencontrait et, après avoir, avec un aimable intérêt, demandé des nou-
—————
(1)
Très bienheureux Père,
Dans la bourgade de Castelnuovo du diocèse de Turin il y a une
Chapelle dans laquelle on célèbre la Messe et on donne la Bénédiction
du Saint Sacrement. Il semblerait au Suppliant, D. Jean Bosco, que
pour accroître la dévotion des fidèles, V[otre] Sainteté pourrait accorder
les grâces spirituelles suivantes :
1° Une Indulgence partielle de 300 jours à quiconque prendra part au
sermon et à la bénédiction [du Saint Sacrement] les jours de la neuvaine
de Notre-Dame du Rosaire, pratique de piété qu’on a l’habitude d’ac-
complir en cette Chapelle ;
2° Une Indulgence plénière à tous ceux qui, s’étant confessés et ayant
communié, visiteront cette Chapelle, en priant selon l’intention du Pon-
tife Romain pour les besoins de la S[ainte] Eglise.
Que de la grâce, etc.
Ex audientia SS. Die 28 Septembris 1850.
Sanctissimus Dominus Noster Pius Divina Providentia Papa IX Oratoris
precibus per me infrascriptum relatis benigne annuit iuxta petita, absque
ulla Brevis expeditione.
DOMINICUS FIORAMONTI
[voir traduction page 756]
SS. D. N. ab Epistolis Latinis.
Très bienheureux Père,
Le Prêtre Turinois J[ean] Bosco, Directeur des Oratoires portant le titre du
saint Ange Gardien, de S[aint]-Louis de Gonzague, et de S[aint]-François de
Sales, établis à Turin pour instruire dans la religion et dans la piété la jeu-
nesse laissée à l’abandon, supplie Votre Sainteté de bien vouloir daigner lui

15.8 Page 148

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134
velles des choses de la campagne, il n’omettait pas de glisser
dans ses propos quelque rappel [d’ordre] spirituel : — Que c’est
beau le paradis ; mais il n’est pas fait pour les crétins… et
courage. — D’autres fois il disait : Comme ce sera beau
lorsque nous verrons Dieu face à face. — Souvent on l’entendait
répéter : Envoyez-vous vos enfants au catéchisme et aux Sa-
crements ? Ayez une pleine confiance en notre bonne mère,
la Très s[ainte Vierge] Marie. Fuyez le péché si vous voulez
que Dieu bénisse vos champs et vos vignobles. Quand il
parlait, c’était un sermon permanent, quelle que fût l’affaire qu’il
avait entre les mains. A Buttigliera tous se rappellent encore les
paroles dites par D. Bosco tantôt à l’un, tantôt à l’autre en cette
occasion.
Parvenu aux Becchi il ne tardait pas à écrire une lettre
au Théol[ogien] Borel, toujours prêt à veiller sur l’Oratoire lors-
que son ami s’en éloignait.
Très ch[er] M. le Théologien,
A l’occasion du déplacement à Turin de Comba pour quelques
commissions, je ne pense pas faire une action désagréable en
Vous donnant certaines nouvelles à notre sujet.
Depuis cinq jours que je suis ici il me semble avoir beau-
coup gagné en santé, mais pas avec l’abondance habituelle des
—————
accorder au moins ad triennium [pour trois ans] la faculté de bénir des
chapelets, des crucifix, des médailles, avec les applications des saintes
indulgences.
Que de la grâce, etc.
Ex audientia SS. Die 28 Septembris 1850.
Sanctissimus Dominus Noster Divina Providentia Pius Papa IX Ora-
toris precibus per me infrascriptum benigne annuit, eidemque petitam
facultatem ad triennium tantum valituram indulsit, absque ulla Brevis
expeditione.
DOMINICUS FIORAMONTI
[voir traduction page 756]
SS. D. N. ab Epistolis Latinis.

15.9 Page 149

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135
autres années. Senescimus annis [Nous vieillissons avec les années].
Savio a tout à fait éliminé les fièvres, Reviglio va aussi,
semble-t-il, de mieux en mieux, les autres vont bien, si ce n’est
l’inquiétude due à un continuel et terrible appétit : mais il y a
une bonne polenta.
Je m’occupe à corriger un résumé d’Histoire de la Maison
Royale de Savoie que M. Marietti veut rééditer. Avant de partir
nous avons eu peu de temps pour nous parler, mais agissez en
bon père de famille pour cette maison qui est la vôtre et la
mienne : si Vous avez besoin d’argent, allez voir D. Cafasso et
il Vous remettra tout ce qu’il faut.
Je verrais la nécessité d’une promenade à Castelnuovo qui
ferait du bien tant à moi qu’à Vous ; et, si Vous l’estimez, [la
nécessité aussi] d’une bonne balade à faire avec M[essieurs les]
T[héologiens] Vola, Carpano, Murialdo (qui me déclara qu’il
viendrait très volontiers depuis Moncalieri) et aussi D. Ponte.
Une fois fixé le jour pour le départ, de bonne heure, par
le train à vapeur, j’espère être en mesure d’envoyer pour l’itiné-
raire un guide qui sans doute ne vous laissera pas toucher le sol
pendant le trajet. O quam bonum et jucundum habitare fratres in
unum ! [Oh qu’il est bon et doux d’habiter en frères tous ensemble !].
Ecrivez-moi beaucoup de choses sur Vous, sur l’Oratoire et sur
le Refuge, et tandis que je prie le Seigneur de Vous accompa-
gner, je Vous prie de saluer nos habituels amis de l’Oratoire et
de me croire toujours
De V[otre] S[eigneurie] Très ch[ère]
Ami très aff[ectionné]
D. BOSCO JEAN.
Castelnuovo d’Asti, 30 Septembre 1850.
P.S. — J’ai reçu au bon moment la faculté de donner la béné-
diction du Saint Sacrement ; de cela, [rendons] grâces.
Tandis que j’écris, je reçois votre lettre, qui me dit plusieurs choses
que je désirais savoir. Je Vous recommande un de nos pensionnaires,
Rossi Joseph cordonnier, avec Constantino, car depuis quelques

15.10 Page 150

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136
jours je le vois se promener à travers Turin, sans se soucier de
son métier.
D. Bosco avait écrit au Théol[ogien] Borel de s’adresser,
pour avoir de l’argent, à D. Cafasso ; mais ses besoins devaient
être nombreux, car il avait chargé son représentant légal d’aliéner
quelques pièces de terre de sa propriété à Valdocco. En effet, le
6 octobre 1850, avec un acte passé devant le notaire Turvano, il
vendait à Nicco Michel un terrain de 38 centiares 250 lires ; à
Franco Marianne, veuve Audagnotto, 3,89 ares pour 2 250,62 lires ;
à Ferrero Jacques et à Mo Juvénal 6 centiares pour 37,16 lires.
Entre-temps à Castelnuovo D. Bosco vit devant lui pour
la première fois un jeune garçon : Cagliero Jean, âgé d’environ
douze ans, natif de ce bourg, qui lui était présenté par le curé
D. Antoine Cinzano, pour qu’il examinât sa vocation et l’acceptât à
l’Oratoire de Turin. Cagliero lui-même, à présent Evêque, nous
racontait sa première rencontre avec D. Bosco : — L’impression
que je reçus fut celle de reconnaître en Don Bosco un prêtre
d’une valeur singulière, soit en raison de la manière et du
charme attirant avec lesquels il m’accueillit et soit en raison du
respect et de l’honneur avec lesquels il était traité par mon bon
curé et par mes maîtres d’école à Castelnuovo et par les autres
prêtres ; impression qui en moi ne s’effaça et ne diminua jamais,
mais crût toujours davantage pendant les trente-trois ans durant
lesquels je vécus avec lui à ses côtés. Donc Don Bosco, après
m’avoir interrogé, fixa mon entrée à l’Oratoire pour l’année sui-
vante.
Ayant accepté Cagliero, Don Bosco resta pendant quelque
temps encore aux Becchi et, en mettant à profit ces [moments]
pour la conclusion de son affaire avec l’Abbé Rosmini, il lui
écrivait ceci :

16 Pages 151-160

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16.1 Page 151

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137
Au Très ill[ustre] et Très cél[èbre] M. l’Ab[] D. Antoine
Rosmini, Supérieur Général de l’Institut de la Charité. Stresa.
Très ill[ustre] et Très révérend Monsieur,
J’informe V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] que les circonstan-
ces relatives à ma santé m’ont amené à passer quelques semaines de
plus à la campagne. A présent, Dieu merci, m’étant rétabli, j’es-
père, sur la journée de demain, pouvoir revenir à la Capitale.
C’est pourquoi Vous pouvez indiquer les mesures que Vous jugez
convenir en ce qui regarde le prêt dont nous avons parlé. On peut
faire, me semble-t-il, l’assurance-crédit au moyen de l’hypothèque sur
l’immeuble ou au moyen d’une disposition testamentaire immédiate :
en cela je m’en remets à tout ce que Vous jugerez meilleur.
Je ne peux manquer de renouveler ici mes plus cordiaux remer-
ciements pour l’accueil plein de gentillesse et d’amabilité dont j’ai été
l’objet en ces jours heureux que j’ai passés à Stresa ; et tandis que je
Vous souhaite de la part du Seigneur tout ce qui peut Vous être utile,
tant pour le maintien en bonne santé de votre personne très vénérée
que pour l’accroissement de l’Institut, je considère comme le plus
grand honneur de pouvoir signer en me disant
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très révérende
Castelnuovo d’Asti, 25 octobre 1850.
Très hum[ble] Serviteur
D. BOSCO JEAN (près du Refuge).
Le lendemain, réponse lui était faite :
Stresa, 26 octobre 1850.
D. Jean T[rès] R[évérend] et Très ch[er],
A votre aimable lettre écrite le 25, jour à peine terminé, je
suis chargé de répondre par mon Supérieur D[irect]eur l’Ab[]
Rosmini, qui Vous présente affectueusement ses respects.

16.2 Page 152

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138
Il est bien disposé à indiquer les mesures relatives au prêt
concerté ; mais auparavant il désirerait au plus haut point que
V[otre] S[eigneurie] R[évérende] fît faire par un habile architecte,
en conformité avec les règles, un projet de la maison que Vous
avez l’intention de construire selon les accords qu’ici on a
passés avec Vous et [un projet] tel qu’il puisse être approuvé par
M. l’Ab[] Rosmini lui-même.
La somme des 20 mille francs, il Vous la verserait en une
seule fois au moment de faire le relatif document notarié pour
l’obligation et l’assurance-crédit que Vous concluriez avec lui, et
cela aussi pour éviter la multiplicité des documents notariés qui
seraient nécessaires en versant la somme en plusieurs fois. Ensuite
Vous pourriez pour votre compte personnel faire le placement
avec intérêt de la partie qui ne Vous serait pas nécessaire dans
l’immédiat. Ce qui serait avantageux pour V[otre] S[eigneurie] car
Vous pourriez en recevoir un intérêt supérieur à celui par lequel
Vous seriez engagé envers M. l’Abbé ci-dessus nommé. Fina-
lement ce dernier choisirait que V[otre] S[eigneurie] lui assurât
ladite somme au moyen d’une hypothèque sur le terrain et sur
l’immeuble à construire, plutôt que par testament, pour la raison
aussi que, dans ce second cas, lui ou celui qui agirait à sa pla-
ce devrait se soumettre à la taxe de succession, qui vers des
personnes étrangères est de 10 pour 100, etc.
C[harles] GILARDI.
—————
* Au sujet de cette réunion : voir Mémoires Biographiques au Volu-
me XVI, pp. 613-616.
—————

16.3 Page 153

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139
CHAPITRE XIV
L’Archevêque permet la prise de soutane de quatre étudiants de
l’Oratoire : ils constituent le premier groupe Rua Michel,
élève des cours de latinité Le Chan[oine] Gastaldi avant d’entrer
chez les Rosminiens recommande l’Oratoire à sa mère Manière
facile pour apprendre l’Histoire Sainte, à l’usage du peuple chré-
tien.
Don Bosco jugeant que ses quatre élèves en langue
latine pouvaient subir avec un succès louable l’examen pour
revêtir la soutane, et ayant un besoin urgent de leur aide dans
les Oratoires, écrivit de Castelnuovo, à ce sujet, à l’Archevêque
pour obtenir les permissions opportunes. C’est pourquoi de Lyon
Mgr Fransoni répondait à D. Bosco le 23 octobre 1850 :
Très cher D. Bosco,
Je suis désolé de ne pouvoir donner satisfaction à votre
demande en vue d’admettre, hors du moment voulu, à l’examen pour
l’habit clérical les jeunes qui m’ont été recommandés, Reviglio Félix,
Bellia Jacques, Buzzetti Joseph et Gastini Charles, car, si j’ouvrais
cette voie, aussitôt cesserait la mesure prise par mon prédéces-
seur qui fixait un seul examen par an pour les postulants tous
ensemble. Quelques très rares fois j’ai accepté le compromis de

16.4 Page 154

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140
tolérer que quelqu’un revêtît l’habit clérical sans diplôme, et qu’il
subît ensuite l’examen à l’époque établie pour tous. C’est par
conséquent ce que je peux faire pour vos [jeunes] recommandés
et il me semble que je puisse être à la hauteur de ce que Vous
désirez, car avec cela Vous atteignez votre but. Conservez donc
cette lettre pour votre justification, et entre-temps donnez le plus
d’exercice possible aux jeunes pour assurer de mieux en mieux
le résultat de l’examen.
Priez pour moi qui suis de tout cœur
Votre dév[oué] et obl[igé] Serviteur
LOUIS Archev[êque] de Turin.
D. Bosco fut reconnaissant envers l’Archevêque pour sa
bonté et, revenu à Turin, il continua à donner ses cours jusqu’à
la fin de l’année. Pendant quatorze bons mois il avait fait classe
de latin presque tous les jours, dans la matinée, et pendant cinq
ou six heures consécutives. Il était donc temps de faire donner à
ses élèves un examen au moins privé. De cela il chargea le
Prêtre Chiaves, Docteur en Théologie, et D. Matthieu Picco,
Professeur de Rhétorique, qui ne purent en aucune manière s’ex-
pliquer comment il avait été possible en peu de temps à
Don Bosco de préparer des élèves aussi bien instruits. Et il les
déclarèrent capables de figurer parmi les étudiants de philo-
sophie.
La satisfaction éprouvée par D. Bosco pour cet examen
avait été précédée par un grand gain et par une perte non peti-
te. Nous avons vu le jeune garçon Rua Michel prendre part à la
retraite spirituelle de Giaveno. Il avait achevé le cours primaire
aux écoles des disciples de [saint Jean-Baptiste de] La Salle ; pen-
dant l’année, le Frère Michel, son maître d’école, qui était très
aimé des écoliers, connaissant son intelligence et son esprit
de piété, son amabilité, sa prudence, son amour pour le travail,
lui avait proposé de se faire inscrire comme confrère dans

16.5 Page 155

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141
son Institut Religieux. Le jeune garçon, qui lui témoignait en
retour beaucoup d’amour, consentait à la cordiale invitation, et
répondait : — Si pour l’année scolaire prochaine Vous revenez
dans votre école, je ferai ce que Vous me conseillez.
Rua habitait à Valdocco pas très loin de l’Oratoire : son
père maraîcher était un brave chrétien de la vieille école, et sa
mère ne se montrait pas inférieure à maman Marguerite pour
bien éduquer ses enfants. Le voisinage des deux maisons attirait le
jeune Michel à l’Oratoire, même les jours ouvrables. Lorsqu’il eut
passé le dernier examen et que fut terminée l’année scolaire,
Don Bosco qui, avec l’intuition qui lui était propre, avait effec-
tué un bon pronostic de ses rares qualités, lui demanda s’il
n’aimerait pas devenir prêtre. Michel lui répondit : Oh oui,
beaucoup ! Eh bien, prépare-toi à étudier la langue latine.
Alors le jeune garçon lui exposa l’invitation que son
maître d’école lui avait faite et la réponse qu’il lui avait don-
née. D. Bosco, en entendant cela, n’ajouta plus rien, mais ses
paroles avaient produit une vive impression. En attendant, Dieu
conduisait les événements. Le Frère, Maître d’école, avait été
enlevé de son établissement sur l’ordre des Supérieurs et muté
pour enseigner dans une autre localité lointaine. Michel, libéré
de cette façon de son engagement, demanda à ses parents et
obtint d’eux de pouvoir suivre le conseil de D. Bosco. En
donnant la chère nouvelle au père spirituel de son âme, Michel
lui présentait les attestations d’inscription au second degré et
au premier degré du tableau d’honneur obtenues chaque mois
[dans les classes] supérieures de l’école primaire pendant les an-
nées 1848-49 et 1849-50, pour son excellente conduite et [son
excellente] application à l’étude. Ces [attestations] furent si chères
à D. Bosco qu’il voulut les garder pour lui, qu’il les conserva
tant qu’il vécut, et elles existent encore dans nos archives.
Durant les trois mois de vacances d’automne D. Bosco confia
Rua Michel, ainsi que les jeunes Ferrero et Marchisio à D. Merla,
qui les instruisit dans les bases de la langue latine. Mais après la fête

16.6 Page 156

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142
de la Toussaint, D. Bosco qui ne pouvait plus assumer lui-même
régulièrement leur instruction, commença à les envoyer au cours
privé du Professeur Bonzanino Joseph, qui avait le permis d’ensei-
gner pour les trois classes du premier cycle des Etudes Secondaires.
Ce dernier enseignait, près de la place Saint-François d’Assise,
dans la maison qui appartenait à la famille Pellico et dans les
pièces mêmes où le bon Silvio avait écrit Mes prisons ; et il
accueillait volontiers la demande de D. Bosco. Cependant le soir
D. Bosco faisait une révision de grammaire à tous, leur enseignait
le système métrique et les exerçait à tenir des comptes.
Michel Rua continuait à habiter avec ses parents pendant
plus d’un an encore, tandis que se joignit à ses condisciples,
mais comme élève interne de l’Oratoire, Savio Ange. Assidu aux
cours, Michel étudiait avec grand profit, de sorte qu’à la fin de
l’année scolaire 1850-51, à l’étonnement des enseignants, il con-
cluait par un examen au résultat excellent et avec de grands
éloges les trois classes du premier cycle des Etudes Secondaires.
Dès ce moment-là D. Bosco l’envoyait, avec Savio Ange
et d’autres, à Vanchiglia et à Porta Nuova, assister les jeunes et
leur faire le catéchisme, et il continua ainsi pendant plusieurs
années.
D. Bosco allait souvent demander des nouvelles de ses
élèves au Professeur Bonzanino. Un jour Savio Ascagne et, avec
lui, Rua Michel se rendaient à l’Oratoire S[aint]-Louis, et Savio
dit en confidence à Rua : Ecoute, Michel ; D. Bosco m’a dit
qu’il est allé demander de tes nouvelles au Prof[esseur] Bonza-
nino et qu’il en reçut de très élogieuses. Et il m’ajouta que, sur
toi, il avait fait ses projets et que dans l’avenir tu lui serais
d’un grand secours. — Rua Michel n’oublia jamais ces paroles.
D. Bosco avait donc gagné un nouvel élève précieux,
mais dans le même temps il perdait un cher ami. Le Chan[oine] Collé-
gial Laurent Gastaldi, Théol[ogien], des prêtres de S[aint]-Laurent

16.7 Page 157

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143
à Turin, qui avait commencé un fructueux apostolat de prédica-
tion, s’était décidé à renoncer au Canonicat, fortement désireux
d’une vie plus austère et plus studieuse. Admirateur de Rosmini,
partisan de sa philosophie, défenseur à travers la presse de ses
doctrines, il se sentait attiré par une vive sympathie vers la
Congrégation des Prêtres de la Charité ; et c’est pourquoi, en
abandonnant les commodités de vie et les honneurs, étant allé à
Stresa, il entra dans ce noviciat. Mais là, ayant peu à peu
changé ses principes philosophiques, une fois écoulée la période
probatoire, les supérieurs lui enlevèrent quelque temps plus tard
le professorat de [Philosophie] Rationnelle, et sur sa demande ils
l’avaient envoyé missionnaire en Angleterre ; quand il fut parve-
nu là-bas, ils lui permirent de tenir une correspondance avec les
journaux italiens, mais ils lui défendirent d’écrire sur des sujets
philosophiques. En effet, toutes les nouvelles d’Angleterre, pu-
bliées dans LArmonia [L’Harmonie] de Turin et écrites par lui,
parlent exclusivement de faits d’histoire. Entre-temps, poussé par
un zèle plein de vigueur pour la gloire de Dieu et pourvu d’une
intelligence singulière, il s’était familiarisé facilement avec la
langue anglaise, en prêchant pendant plusieurs années le Catholi-
cisme aux Anglicans [voir * page 145].
Cependant il ne cessait pas d’aimer D. Bosco, et même
avant de partir pour Stresa et pour l’Angleterre il avait dit à sa
mère : En ce qui me concerne, pour suivre ma vocation, je
vous abandonne corporellement ; mais, vous, ne veuillez pas vous
lamenter à cause de mon départ : résignez-vous aux volontés di-
vines, et à ma place considérez comme votre fils D. Bosco et
ses pauvres jeunes gens. Les soins que vous auriez pour moi,
prodiguez-les à cette famille naissante et vous ferez ce qui sera
pour moi le plus cher et, auprès du Seigneur, d’un grand mé-
rite. Comme lui dit son fils, ainsi fit la mère, et à partir de
ce moment-là elle ne laissait passer aucun jour, ou presque, sans
aller, malgré son âge avancé, rendre visite à l’Oratoire, accom-
pagnée de la sœur du théologien et de la fille de cette dernière,
en continuant à s’occuper d’une manière particulière de tenir en bon
ordre le linge, de le raccommoder et aussi d’en fournir du nouveau

16.8 Page 158

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144
quand c’était nécessaire. Et tant qu’elle vécut, elle fut toujours
une insigne bienfaitrice de toutes les œuvres de D. Bosco.
Mais si le Chan[oine] Gastaldi désirait ardemment les
missions d’Angleterre, D. Bosco s’employait continuellement à
conserver la foi en Italie. Une autre brochure était sortie de sa
plume avec le titre : Manière facile pour apprendre l’Histoire
Sainte, à l’usage du peuple chrétien. Il présentait sous forme de
dialogue les faits de l’ancien [Testament] et [ceux] du nouveau
Testament en trente courts chapitres, avec des demandes et des
réponses extrêmement concises mais claires, de sorte qu’elles res-
taient tout de suite gravées dans l’esprit du lecteur. Il donnait la
raison d’être de son écrit dans les termes suivants :
« L’Histoire Sainte que voici est destinée à l’usage des Chré-
tiens, et spécialement de ceux qui à cause de leurs occupations
ou à cause d’un manque d’études ne peuvent parcourir des
livres de plus grande ampleur et d’érudition plus élevée.
» Mon but est de faire observer comment sont contenues dans
la Bible de nombreuses vérités professées par les Catholiques et
niées par les ennemis de notre sainte Religion. Ce petit livre est
un résumé de l’Histoire Sainte que j’ai composée, et que l’on
utilise déjà dans beaucoup d’écoles publiques. En écrivant j’ai
cherché à suivre, autant que cela me fut possible, des résumés
d’Histoires Saintes joints à quelques catéchismes approuvés dans
divers diocèses. J’espère que tous ceux qui liront cette Histoire
s’emploieront à la répandre dans les écoles et dans les familles,
persuadé comme je le suis qu’elle apportera un avantage à notre
Sainte Religion. Que Dieu bénisse tous ceux qui travaillent pour
le bien des âmes, qu’Il mette dans leurs cœurs la force et le
courage afin qu’ils puissent persévérer sur le chemin de la
vérité, en les comblant des bénédictions célestes qui sont néces-
saires pour la vie présente et pour la [vie] future ».
Pour inviter les Juifs à [venir vers] Jésus Christ, il avait pré-
senté la destruction de Jérusalem, prophétisée et réalisée ; et pour
convaincre les fidèles à propos des erreurs des Protestants, il traitait

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145
de la Bible et de la tradition, du gouvernement et des carac-
tères de la véritable Eglise, et des Sociétés séparées de l’Eglise
Catholique. A ses jeunes il donnait ces dialogues à étudier, et
dans les séances récréatives et culturelles on les entendait répé-
ter : S[aint] Pierre fut établi par Jésus Christ chef de l’Eglise
et son Vicaire. Les Apôtres et les Evêques reconnurent S[ain]t
Pierre pour leur chef. A Saint Pierre succèdent les Papes
investis de la plénitude de son autorité. — L’explication de la
Bible et le témoignage de la tradition, nous devons les recevoir
seulement de l’Eglise Catholique, parce que Jésus Christ Lui a
donné, et à personne d’autre, l’autorité infaillible pour la con-
servation de la foi. Les erreurs contre la foi furent toujours
condamnées par les Papes, et leurs sentences furent toujours
respectées par les vrais chrétiens comme [si elles étaient] sorties
de la bouche même de Jésus Christ. Jésus Christ a promis
qu’il assistera son Eglise jusqu’à la fin des siècles.
A ce petit livre D. Bosco ajoutait ensuite une carte
géographique de la Terre Sainte, et en 1855 il en faisait faire
une deuxième édition. Le nombre des exemplaires diffusés parmi
les [gens du] peuple au moyen des sept éditions successives est
incalculable.
—————
* Au sujet de ce départ en Angleterre : voir Mémoires Biogra-
phiques au Volume XVI, p. 616, (note 1).
—————

16.10 Page 160

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146
CHAPITRE XV
D. Bosco, modèle d’amour filial La fête patronale de sa
mère Humilité de maman Marguerite et sa simplicité Accueil à
l’égard des personnes distinguées Reconnaissance aux bien-
faiteurs Esprit de pauvreté et de justice.
Honore ton père et ta mère, a dit le Seigneur : et
D. Bosco était un modèle pour les jeunes dans l’observance de ce
commandement, et il fut toujours très tendre dans la façon d’ai-
mer ses parents. Il parlait souvent et avec affection de son père
que, peut-on dire, il n’avait même pas connu, et il priait chaque
jour pour le repos de son âme. Il avait pour sa mère toutes les
attentions dignes du plus respectueux des fils et il la consolait
dans sa vieillesse avec une piété émouvante. Tandis que d’une
part il ne se produisait jamais qu’il fît passer son amour pour elle
avant son amour pour Dieu, d’autre part il l’assistait, et l’aidait
en tout ce qui dépendait de lui. Il lui obéissait, se soumettait
docilement à ses conseils et n’entreprenait rien d’important sans
lui en toucher un mot. Il était heureux car son désir était satis-
fait de la voir coopérer au bien des élèves, et être comme la
mère de tous. Il parlait d’elle avec vénération, et lui professait
une très vive reconnaissance pour les fatigues et les sollicitudes
qu’elle avait supportées pour l’élever. Il faisait son éloge spéciale-
ment parce que de très bonne heure elle lui avait appris à aimer
et à servir Dieu, en mettant en lui une grande horreur pour le

17 Pages 161-170

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17.1 Page 161

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147
péché. Egalement dans son âge le plus avancé il rappelait le
souvenir de sa mère avec tendresse, avec un respect filial et non
sans une vive émotion de cœur. Bien que dans sa profonde
humilité il parlât avec beaucoup de plaisir de sa basse extraction
et que maman Marguerite apparût toujours comme une simple
paysanne, pourtant, quelle que fût la condition des personnes
présentes, il l’honorait grandement devant elles.
Il voulait même voir les jeunes lui obéir et la res-
pecter et, si quelquefois l’un d’entre eux, par légèreté d’âge ou
par caprice, se montrait à son égard moins respectueux, en
parlant dans les mots du soir il inculquait l’obéissance, en
disant : Moi-même, qui suis le Directeur de la maison, j’o-
béis à ma mère et je la respecte : faites-en autant, vous ! Et
en même temps il faisait connaître aux jeunes les fatigues qu’elle
supportait pour eux, et il énumérait les grands services qu’elle leur
rendait. Il en tirait même des arguments pour rappeler les mères
qu’ils avaient laissées à leurs maisons, en répétant les paroles de
Tobie : Honore ta mère à tous les moments de ta vie, car tu dois te
rappeler comment et combien elle a souffert pour toi (1).
D. Bosco ne ratait pas une occasion pour lui rendre
honneur. L’aimable simplicité de sa mère apparaissait avec cons-
tance même dans les moments plus solennels.
Sa fête patronale tombait au mois de novembre, et
les jeunes la célébraient affectueusement ; la veille au soir
D. Bosco les conduisait lui-même pour lui apporter un petit
bouquet de fleurs. La brave mère les accueillait en sou-
riant, et elle écoutait tranquillement, et sans dire un mot,
les morceaux de prose et les poésies qu’ils lisaient. Une fois
cette lecture terminée, elle répondait ; mais c’était en quelques
mots : Là ! Je vous remercie, bien que je ne fasse rien
—————
(1) [Cf. Tb] 4,3-[4].

17.2 Page 162

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148
pour vous. Celui qui fait tout, c’est D. Bosco. Toutefois je vous
remercie de vos souhaits et de vos compliments, et demain, si
D. Bosco le permet, je vous donnerai un plat en plus.
Alors le cri de Vive Maman résonnait avec fracas et on
levait la séance.
D’après les paroles de Marguerite on voit qu’elle n’avait
pas d’autre but que d’exalter son D. Jean en présence des jeu-
nes et de le faire considérer comme l’unique autorité.
Cette humilité, qui lui était propre, la faisait aimer de
tout le monde, et elle était donc vénérée par tous ceux qui la con-
naissaient et également par ceux qui s’étaient entretenus pendant
peu de temps avec elle à l’Oratoire. Dès les premiers moments
de sa venue à Turin, à peine était-elle connue des citoyens des
quartiers voisins, elle ne fut pas appelée par un autre nom que
par celui de maman. Elle traitait avec la même douceur et la
même charité le Duc, le Marquis, le riche banquier, le cordon-
nier et le ramoneur.
Beaucoup de nobles messieurs et de nobles dames et les
Evêques eux-mêmes, [tous] d’éminents bienfaiteurs de la maison,
en venant rendre visite à Don Bosco, ne manquaient jamais
d’apparaître dans l’encadrement de la porte de Marguerite et de
la saluer aussi bien en arrivant qu’au moment de partir. Sa franche
vertu, sa simplicité de manières et son bon sens exquis faisaient
l’objet de leur plus vif plaisir. Si parfois ils ne trouvaient pas D. Bosco
chez lui, ou bien si à ce moment-là il recevait quelqu’un en audience,
sans plus ils se résolvaient à attendre en s‘attardant avec Maman
Marguerite. A cette époque, il n’y avait pas d’antichambre, et ces
messieurs, ne voulant pas entrer pour ne pas causer de dérange-
ment, trouvaient que c’était une chose peu convenable de rester
sur le balcon en plein air, au soleil ou à la pluie.
Ils frappaient donc à la porte de Marguerite : Maman, on
peut ? La brave femme était assise au milieu de quelques
chaises, sur lesquelles étaient amoncelés pour être rapiécés, les
vêtements pauvres et déchirés des jeunes : Venez, entrez, mes

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149
[bons] messieurs, répondait-elle toute joyeuse ; que Dieu vous
bénisse ; et, débarrassant les chaises, elle les leur présentait
en les invitant à s’asseoir. C’étaient les personnes les plus riches
en biens patrimoniaux, les plus haut situées en intelligence, les
plus pourvues de science, les plus célèbres pour la réputation que
pouvait posséder Turin ; mais elle ne se troublait pas, ne per-
dait rien de son habituelle aisance ; et même parfois elle disait
en toute simplicité : Si vous permettez, je termine trois Ave
Maria, que j’ai commencés, et ensuite je serai entièrement à
vous écouter.
Faites donc ! répondaient ces messieurs en souriant, car ils
étaient entrés exprès pour jouir de sa simplicité ; et Marguerite
terminait en toute paix sa prière. Ensuite elle commençait la
conversation ; mais si parfois celle-ci languissait, à voix basse
elle commençait d’autres prières.
Souvent ces messieurs s’entretenaient avec elle pendant
des demi-heures ou des heures entières en l’interrogeant et en la
faisant parler. Ils se délectaient infiniment de ses réponses, de
ses réflexions et des proverbes qui fleurissaient toujours à propos
sur ses lèvres. Parfois, en raison de cette familiarité qu’ils
avaient avec elle, ils allaient jusqu’à lui proposer des questions
de morale, d’histoire, de politique. Marguerite conservait toujours
une tranquillité parfaite et sereine. Jamais elle ne restait troublée,
ou impatiente, ou honteuse, ou gênée. Ses réponses ne donnaient
pas l’impression de sottise, de présomption ou de légèreté. Le
bon sens et le Catéchisme venaient souvent à son aide ; un bon
mot ou un proverbe sur sa propre ignorance, le récit d’un fait
[qu’elle avait] vu, ou bien entendu raconter, ou également qui lui
était arrivé personnellement, lui donnaient matière pour éluder les
interrogations qu’elle ne comprenaient pas. Ses nobles visiteurs
riaient de bon cœur, car c’est à dessein qu’ils l’entraînaient
sur ces conversations, dans le désir d’admirer la manière dont se
tirait d’embarras une pauvre paysanne qui à peine alors, peut-on
dire, était sortie pour la première fois des confins de son petit
coin de campagne. Marguerite, elle aussi, riait de bon cœur.

17.4 Page 164

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150
Et il faut ici faire remarquer qu’en toute circonstance la
brave dame restait toujours égale à elle-même, fût-elle même
l’objet des plaisanteries, ou encore provoquée par des paroles
irrévérencieuses ou contrariée dans ses projets.
Envers les bienfaiteurs de la maison et de son fils, elle
nourrissait une reconnaissance très vive et inaltérable. Elle aurait
voulu les payer de retour pour leur charité ; mais comment fai-
re ? Par ses paroles elle montrait son cœur, en se plaignant de
l’impossibilité où elle se trouvait de remplir ce devoir, et par ses
manières aimables elle cherchait à faire tout ce qui pourrait leur
être agréable. Lorsqu’il lui semblait qu’en raison du trop grand
froid ou en raison d’une trop forte chaleur ses visiteurs avaient
besoin de quelque réconfort, elle avait aussitôt sa proposition à
faire : Accepteriez-vous une tasse de café ? Ces messieurs
remerciaient en affirmant qu’ils n’en avaient pas besoin ou qu’ils
l’avaient déjà pris ; mais elle insistait avec des manières si cor-
diales, avec un mais oui, mais oui tellement prévenant et
suppliant, que ces messieurs consentaient, et elle, toute contente,
allait le préparer.
Lorsque vers midi arrivaient quelques curés, elle ne
croyait pas pouvoir trouver de manière polie pour leur faire
davantage plaisir que de les inviter à table. Elle insistait affec-
tueusement en répétant : — Si vous m’aviez annoncé votre
arrivée, si je l’avais apprise, j’aurais préparé quelque chose de
meilleur ; toutefois restez : vous ferez une grande joie à
mon fils. Ces bons prêtres, uniquement pour lui faire plaisir
et pour s’entretenir tout à leur aise avec D. Bosco, acceptaient
l’invitation. Mais qui était de la ville revenait ensuite manger
chez lui et qui n’en était pas allait à la recherche d’une auberge
pour se restaurer. En ces temps-là à l’Oratoire il y avait quel-
que chose, mais moins que le strict nécessaire pour un moine.
Toutefois Marguerite savait rechercher avec habileté les
moyens de faire quelque aimable surprise à ceux qu’elle
considérait, et ils l’étaient, comme les anges de la Providence.

17.5 Page 165

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151
Lorsque lui arrivaient de son pays des fruits précoces ou rares,
ou si Joseph lui avait apporté quelque lièvre ou quelque volatile
précieux, elle était en fête et envoyait aussitôt son don aux
familles pour lesquelles elle témoignait tant d’affection.
Mais surtout elle tenait la promesse que souvent elle
faisait aux bienfaiteurs : — Je prierai pour vous Dieu d’agir à
notre place, et de vous accorder toutes les formes de prospérité
que vous méritez bien.
Ces relations avec des personnes importantes ne chan-
gèrent rien dans ses idées et dans ses manières habituelles de
faire. Sous l’influence de l’amour pour la vie de privations
endurée par N[otre] S[eigneur] Jésus Christ, elle répétait maintes
fois : [] Je suis née pauvre et je veux vivre et mourir pauvre.
Elle avait l’habitude de temps en temps, pour rendre les
visites, d’aller dans les hôtels particuliers des bienfaiteurs, où
elle était accueillie avec grande joie. Malgré cela elle ne
voulut jamais cesser de porter sa robe de paysanne, ni
permettre l’emploi pour elle d’étoffes ou de linge d’une certaine
valeur. Ils le savent, ces messieurs, que je suis pauvre,
s’écriait-elle, et par conséquent ils me pardonneront la grossièreté
de mon vêtement. Toutefois ce linge était toujours si propre-
ment tenu qu’il réjouissait quiconque s’entretenait avec elle.
Mais avec le temps et après plusieurs années où elle
avait porté le même vêtement, celui-ci, bien que sans taches,
était néanmoins devenu décoloré et rapiécé.
Un jour D. Bosco lui disait : — Maman, pour l’amour
de Dieu, procurez-vous une autre robe. Il y a déjà tant d’années
que vous portez celle-là !
Oh, alors donc ! Et il ne te semble pas qu’elle aille encore
bien cette robe ?
Bien ? Je vous dis qu’elle n’est plus correcte. Viennent chez vous
le Comte Giriodi et la Marquise Fassati, et certainement il n’est
pas convenable que vous les receviez avec cette robe. Aucun de
ceux qui balaient dans la rue n’est habillé plus mal que vous.

17.6 Page 166

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152
Mais comment veux-tu que je fasse pour m’acheter une
robe alors que nous n’avons rien ?
— C’est vrai que nous n’avons rien ; mais plutôt que de vous
voir déguenillée de la sorte, nous cesserons d’acheter du vin,
nous laisserons le plat de résistance et, vous, procurez-vous le
nécessaire.
— S’il en est ainsi, allons-y donc pour cette dépense.
Et combien coûtera un vêtement ?
Vingt lires !
Les voici !
Marguerite, ayant pris les vingt lires, s’en alla recom-
mencer ses travaux. Passe une semaine, il en passe deux, passe
un mois et Marguerite portait toujours la même robe. Finalement
D. Bosco l’interrogeait : Maman ! Et le vêtement neuf ?
Ah oui ! Tu as raison ! Mais comment fait-on pour l’acheter
si je n’ai pas un sou ?
Et les vingt lires ?
Oh ! à cette heure elles sont dépensées ! Avec celles-là j’ai
acheté du sel, du sucre, des oignons et des choses semblables.
Puis j’ai vu un pauvre jeune qui était sans chaussures et j’ai dû
lui en acheter une paire. Il me subsista quelque reste, et j’ai
pourvu de pantalon un tel, et de cravate tel autre.
— D’accord : vous avez bien fait, mais je ne peux plus sup-
porter de vous voir dans cet état ; il y va de mon honneur !
Je le regrette : il faut y remédier ; mais comment faire ?
Eh bien ; je vous donnerai vingt autres lires, mais cet-
te fois j’exige absolument que vous procuriez le nécessaire à
vous-même.
Je procurerai le nécessaire, si c’est ce qui te plaît.
Voici les vingt lires ; mais rappelez-vous que je désire vous
voir finalement habillée avec plus de dignité !
Sois tranquille, sois tranquille !
Mais on était revenu au point de départ : tout était dépensé
pour les jeunes. Une bienfaitrice lui offrit une belle mantille de soie

17.7 Page 167

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153
très grande. Après l’avoir examinée avec attention, Margue-
rite dit à la sœur de D. Giacomelli : A quoi pourra servir ce
[signe de] richesse ? Moi, pauvre paysanne, habillée de soie ?
Non je ne veux nullement me faire tourner en ridicule ! Et,
ayant pris les ciseaux, elle décousit toute la mantille, et s’en
servit pour tailler quelques gilets pour les enfants recueillis.
Comme il y avait déjà dans la maison quelques jeunes
abbés et quelques prêtres, D. Bosco avait dû à leur intention
ajouter un plat supplémentaire pour le repas de midi. Elle aurait
pu manger comme les Supérieurs, car il y en aurait eu aussi
pour elle. Pourtant elle ne se nourrissait que de polenta froide,
avec un poivron, un oignon, quelques radis assaisonnés seu-
lement de sel, et elle était très satisfaite. Les pauvres,
s’écriait-elle souvent, n’ont pas toujours la nourriture qui, à moi,
ne manque pas, et donc je peux me dire au rang des dames
riches.
Parfois quelques personnages très distingués, comme un
Evêque, un curé, venant à l’Oratoire, s’approchaient d’elle,
et, en lui tendant la boîte qui avait de la valeur, l’invitaient à
prendre une pincée de tabac.
Marguerite refusait toujours en remerciant.
Mais, à vous qui restez continuellement assise et occupée,
ne vous semble-t-il pas que vous ferait du bien ce réconfort ?
— Monsieur, j’ai à acheter des chaussettes pour les jeunes !
Et moi, je vous fais cadeau de cette boîte !
V[otre] S[eigneurie] est trop bonne, mais Vous savez que les
habitudes coûtent et beaucoup… et nous sommes pauvres.
Malgré la grande pauvreté qui régnait dans la maison,
elle était d’une justice rigoureuse pour donner à chacun ce qui lui
revenait de droit, et en toute occasion le cœur de cette femme se
montrait plein de délicate attention pour tous. Un jour, avec la jeune
Giacomelli, elle alla faire sa provision d’aiguilles, de fil, de boutons
dans une boutique en face de l’église du Corpus Domini [Corps du
Seigneur ; voir page 580], et, ayant tout payé, elle revenait à la maison

17.8 Page 168

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154
avec ses achats. Chemin faisant, elle refaisait les comptes dans
sa tête et elle trouva qu’il y avait une différence de trois ou
quatre lires au détriment du marchand. A partir de ce moment-là
elle fut incapable de rester en paix et, rentrée à la maison, elle
dit à la [jeune] Giacomelli : Retourne tout de suite à la bouti-
que pour reconnaître si réellement il y eut une erreur ; mais aie
la délicatesse d’appeler à l’écart l’employé qui nous a vendu la
marchandise et de parler de manière à ne pas te faire voir par
le patron.
La jeune fille fit la commission avec exactitude, et, en
rapportant les paroles de maman Marguerite, elle mit dans la
main de l’employé ces lires. L’employé resta surpris, et lui de-
manda qui était celle qui l’avait si bien instruite sur ce qu’elle
devait faire ou dire :
— C’est la maman de D. Bosco, répondit la [jeune] Giacomelli.
Eh bien, dites-lui que je la remercie beaucoup, surtout pour
l’attention dont elle a fait preuve à mon égard. Si vous vous
étiez adressée au patron lui-même, je serais perdu, car il m’au-
rait certainement renvoyé et je me serais retrouvé sans pain.
Remerciez-la donc, cette bonne dame, et dites-lui aussi de venir
se fournir dans cette boutique, que je la servirai mieux, et à un
meilleur prix, que n’importe quelle autre personne.
Tous ces récits nous furent répétés par le Théol[ogien]
Savio Ascagne, par Tomatis, par Buzzetti et surtout par D. Bos-
co lui-même.
—————

17.9 Page 169

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155
CHAPITRE XVI
D. Bosco et l’assistance aux malades et aux mourants Admi-
rable conversion d’un athée Autre conversion d’un membre
de secte Une vilaine affaire bien embarrassante avec les
sectes.
Les aimables vertus de Marguerite, reproduites et
portées à la perfection chez son fils jusqu’à l’héroïsme,
inspiraient aux gens, en chacun de leurs moments difficiles, une
confiance illimitée envers D. Bosco. D’une manière particulière,
sa charité envers les malades et les mourants était si notoire à
Turin que fréquemment, non seulement les jeunes externes de
l’Oratoire, mais les malades des hôpitaux et de la ville le
faisaient appeler pour lui confier les secrets de leur âme. Les
familles souhaitaient au plus haut point sa venue, car il savait
réconforter leurs êtres chers avec des manières si douces qu’il
les amenait à recevoir, sans se troubler, et avec facilité, le saint
Viatique. Dans sa foi vive il s’empressait également pour que
leur fût administré le sacrement des malades avec la bénédiction
papale, de sorte qu’ils mouraient réconfortés par l’espérance
chrétienne. Et à de bien nombreuses reprises, témoigne D. Rua,
le Seigneur récompensait cette foi qui l’habitait et cette solli-
citude qui l’animait en accordant la santé même corporelle aux
malades qu’il assistait, dès la réception de l’Huile sainte.
Il était également admirable dans sa manière de faire
disparaître les craintes angoissantes de certaines âmes pieuses,

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qui, parvenues à leurs derniers moments, redoutaient grandement
les peines du Purgatoire. Il savait parler si bien des mérites que
l’on gagne avec les indulgences, des peines que l’on purge en
supportant avec résignation les douleurs de la maladie, de
l’offrande généreuse de la vie personnelle à Dieu, de la charité
parfaite qui efface toute faute, au point de les remplir d’une
confiance, apte à consoler, dans la miséricorde de Dieu. Il
ajoutait qu’on célébrerait de nombreuses messes à leur intention
et qu’il prierait et ferait prier pour elles. Et si parfois quel-
qu’une ne cédait pas facilement aux raisons invoquées, poussé
par sa charité, pour l’apaiser et la réconforter, il lui assurait qu’il
assumait lui-même une partie des expiations qu’elle aurait dû
trouver dans l’autre monde. Et, en effet, il lui arriva d’être une
fois frappé par un mal de dents très fort, qui pendant une
semaine ne lui donna de répit ni le jour ni la nuit. Inter-
rogé par D. Rua pour savoir comment cela lui était arrivé, il lui
déclara confidentiellement que, pour soulager un pauvre mourant,
il avait fait la promesse [à cet homme] de prendre sur lui les
peines que lui, [le malade], aurait dû souffrir au Purgatoire.
En raison de la bonté et de l’habileté si grandes qu’il
avait pour accomplir ce ministère sacré, il lui arrivait souvent
d’être appelé par des parents ou par des amis de malades qui
refusaient obstinément ou différaient leur réconciliation avec Dieu.
C’est lui qu’ils invitaient de préférence à un autre prêtre, con-
vaincus qu’il réussirait à les ramener à la sagesse et à les aider
à faire une bonne mort. Il possédait à un degré éminent ce que
S[aint] Paul appelle Gratias curationum [Dons des guérisons].
Un certain avocat, habitant en ville dans la paroisse
S[aint]-Augustin, tomba malade, et la maladie était au point de
ne plus laisser aucun espoir de guérison en raison de son âge
avancé. La vie de cet avocat n’avait pas été celle d’un chrétien,
mais bien plutôt [celle] d’un athée, de telle sorte qu’il détestait

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ce qui touche à la religion. Dès que le curé eut connais-
sance de cela, il alla lui rendre visite et fit tout ce que peuvent
suggérer la charité et la prudence pour ranimer en lui des
sentiments chrétiens, afin de pouvoir le confesser ; mais tout fut
inutile et le curé fut repoussé vilainement. Divers prêtres zélés
essayèrent, ils mirent en œuvre tout ce dont ils furent capables :
mais tout fut en vain ; et certains qui voulurent insister furent
renvoyés avec bien peu d’amabilité. Le malade répétait qu’il ne
voulait entendre parler ni de prêtres ni de confession. Il finit par
intimer à ceux de sa famille l’ordre de ne permettre, de façon
absolue et pour aucun motif, qu’un prêtre s’approchât de lui. La
conversion de cet homme semblait vraiment désespérée. Toute-
fois la charité sacerdotale sut trouver d’autres moyens.
Le Théol[ogien] Robert Murialdo, l’un de ceux qui lui
avaient rendu visite, vint un matin à l’Oratoire en donner con-
naissance à Don Bosco, afin qu’il voulût bien faire, lui aussi,
l’essai de sauver cette âme qui menaçait de se perdre. D. Bosco
dit que volontiers il ferait le possible. En même temps il se mit
tout de suite à examiner la façon de procéder pour rendre visite
à ce malade, et après y avoir beaucoup réfléchi il ne trouva pas
de raison ou de prétexte sous lesquels il pourrait s’introduire
dans cette maison. Néanmoins, sorti de l’Oratoire, il se mit en
chemin et, en passant près de l’Eglise Notre-Dame de Conso-
lation, il y entra et s’y arrêta quelque temps afin de prier la
Très s[ainte Vierge] Marie pour le malade. Puis il prit le chemin
de la maison de l’avocat. Il était entré par la porte, avait monté
l’escalier, se trouvait déjà sur le palier du malade, était presque
sur le seuil ; et il ne savait trouver aucune façon de procéder
pour s’introduire, malgré sa recherche pour imaginer la nature
des accueils qui lui seraient faits. Mais tout à coup sort d’un
couloir un enfant qui fréquentait l’Oratoire et, dès qu’il le vit, il
se mit aussitôt à crier : D. Bosco ! D. Bosco ! Comment
allez-Vous ? et il s’approcha de lui en le saluant respectueu-
sement.
Je vais bien, lui répondit D. Bosco. Et toi, tu te trouves ici
dans ta maison ?

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— Oui, c’est là que j’habite. Venez trouver ma mère, venez.
Maman, maman, il y a D. Bosco.
D. Bosco suivit le jeune garçon chez lui : tout content il le
présenta à sa mère qui était venue à sa rencontre.
Ils s’assirent et firent un brin de conversation, lorsque tout à
coup l’enfant dit : Savez-vous, D. Bosco ? Ici tout près il y a
un malade.
Et lui, en cachant son jeu : Et comment va-t-il ?
— Son état s’est beaucoup aggravé ; venez le voir.
Oui, mais voudra-t-il me recevoir ? il faut d’abord savoir si
cela lui fait plaisir ; si ma visite ne le dérange pas ! Va voir ;
[va] demander ; dis-lui ceci : D. Bosco est venu trouver ma mère ;
nous lui avons dit que vous étiez malade, et si cela vous faisait
plaisir, il viendrait vous trouver.
— Je vais tout de suite, répondit l’enfant.
Il court, ouvre la porte d’entrée qui donnait dans l’habitation
de l’avocat, et sans rien dire aux gens de la maison ni s’occu-
per d’eux, il traverse les pièces et se rend près du malade et lui
dit : — Monsieur l’avocat, D. Bosco est venu chez nous ; nous
lui avons parlé de vous et c’est pourquoi il désirerait venir
vous trouver. Il est chez moi, savez-vous ! Cela vous fait-il
plaisir qu’il vienne vous voir ? Voyez, il vous donnera la béné-
diction et il vous fera guérir, car je sais que beaucoup de
personnes qui étaient malades, dès que D. Bosco leur eut donné
la bénédiction, guérirent aussitôt.
Le malade demanda : Qui est ce D. Bosco ?
— C’est le prêtre qui là-bas à Valdocco rassemble tant de
jeunes gens à l’Oratoire tous les dimanches et les jours de fête,
répondit l’enfant ; qui en reçoit même tant parmi les plus pau-
vres dans sa maison et il subvient à leurs besoins et leur
enseigne un métier.
Oh ! bien, reprit le malade, je sais qui est D. Bosco… [] Il
resta un moment à réfléchir et puis il dit : [] Eh, là ! qu’il
vienne ; oui, qu’il vienne, s’il est D. Bosco.

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A peine cela fut-il dit, le jeune courut jusqu’à D. Bosco qui
parlait encore avec sa mère, et il lui dit que le malade l’atten-
dait. D. Bosco, sans plus tarder, va et se présente au malade, qui
s’écria aussitôt qu’il le vit, en le saluant aimablement : Oh,
D. Bosco ! Je suis content de vous voir. Je vous remercie d’un
si grand dérangement et de tant de gentillesse.
Et lui [de dire] : — Oui, c’est bien moi ; [] et puis il ajouta
en riant : [] Observez un peu : ai-je bien la physionomie d’un
honnête homme ?
Le malade répondit : Pas trop mal, pas trop mal.
Et comment se fait-il qu’un homme robuste et courageux
comme vous reste à présent dans ce lit ?
Il fut un temps où j’avais mon mot à dire : maintenant il
faut céder ; … mais asseyez-vous.
Oh permettez donc ; si cela ne vous dérange pas, je reste
debout.
Non, non, asseyez-vous ; cela me fait de la peine de vous
voir ainsi debout. — Alors D. Bosco s’assit à côté du malade et
commença à causer avec lui sans jamais parler de confession. La
conversation fut très variée et fut amenée sur de nombreuses
questions de politique, de loi, de médecine, d’armée, de philoso-
phie, etc. Don Bosco le suivait toujours, et il sut en tout point
lui répondre et le satisfaire si bien que l’avocat, rempli d’éton-
nement, lui dit finalement : — Vous semblez l’encyclopédie en
personne. — Trois quarts d’heure s’étaient déjà écoulés et D. Bosco
voulait prendre congé ; s’étant donc levé, il fit le geste de saluer
le malade, qui lui dit : Vous voulez déjà partir ? Restez donc
si cela ne vous dérange pas.
D. Bosco : Il est temps que je m’en aille chez moi à cau-
se de quelques affaires ; je ne peux plus rester.
Oh, restez encore un peu.
Non, je dois aller ; mais si cela vous fait plaisir, je vien-
drai de nouveau vous trouver.
Oui, venez de nouveau. Entre-temps il avait pris entre
les siennes la main de D. Bosco et il la tenait serrée.

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D. Bosco l’exhorta à prendre courage et le salua pour la se-
conde fois au moment de partir.
Ce monsieur, sans répondre, continuait à le retenir en le regar-
dant fixement.
Alors D. Bosco, en souriant, [lui dit] : Je sais ce que vous
voulez.
Ce que je veux ? Est-ce possible ? voyons un peu !
Vous voulez que je vous donne ma bénédiction.
Alors tout étonné il s’écria : — C’est exactement cela ! Mais
comment est-il possible que vous le sachiez ? Il y a trente-cinq
ans que je déteste les prêtres et la religion, et maintenant que
pour la première fois me vient à l’esprit cette pensée, D. Bosco
la devine aussitôt ! Alors donnez-la-moi donc.
Oui, volontiers ; et que voulez-vous que nous demandions au
Seigneur ?
Que je guérisse.
— Je regrette de vous le dire, mais s’il était décrété là-haut
que vous devez passer à l’éternité ?
Comment le savez-vous ? Les médecins me disent tous que je
vais mieux, que je reprenne courage, que bientôt je serai guéri !
Moi aussi je vous encourage, lui ajouta D. Bosco avec une
grande affection ; pourtant il est décidé ainsi : Vous ne guérirez
plus. Je ne peux rien obtenir pour votre guérison ; je peux tou-
tefois vous donner la bénédiction, et ce que je demanderai sera
que le Seigneur vous donne le temps pour pouvoir régler les
comptes de votre conscience, mettre votre âme dans la grâce de
Dieu et faire une sainte mort.
Ces paroles ne firent toutefois pas beaucoup d’effet ; le malade
demeura presque indifférent. Néanmoins, il reçut la bénédiction
et, avant que D. Bosco ne le quittât, il lui dit avec un certain
élan : Venez encore me trouver, vous savez !
Cela faisait 4 ou 5 heures que D. Bosco était revenu
à l’Oratoire, lorsque arrive un domestique pour le chercher au

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nom du malade, en disant que l’avocat désirait beaucoup une
autre visite de sa part. La nuit était déjà proche ; D. Bosco y
alla. Dès que l’avocat le vit, il fut content et dit : Oh ! je
désirais beaucoup une autre visite de votre part. Ce matin vous
m’avez diverti et fait rire.
— Ce n’était rien ce matin : ce soir je veux vous faire rire encore
plus. Dites un peu : je sais que chez vous on fait du bon café
et, si vous me l’accordez, j’en prendrais volontiers une tasse.
— C’est même un très grand plaisir que vous me faites.
Il appela aussitôt la personne de service :
Vite, vite une tasse de café pour D. Bosco.
Bien que pour lui cette boisson s’avérât plutôt fastidieuse
qu’utile, D. Bosco la prit ; puis il dit aux personnes de la mai-
son : Retirez-vous donc maintenant, nous voulons causer entre
nous deux.
Resté seul avec le malade, il s’assit et commença à lui donner
la bénédiction, en disant : Dominus sit in corde tuo, etc. [Que le
Seigneur soit dans ton cœur]. Mais l’autre ne comprenait pas, et il
ne faisait pas sur lui le signe de la sainte croix… et il deman-
da : Que faites-vous ?
Rien ; faites, vous, le signe de la sainte croix.
Et pourquoi ?
Ne cherchez pas le pourquoi, faites ce que je vous dis.
Mais vous voulez me confesser ?
Ne parlez pas de confession maintenant ; signez-vous ;
n’êtes-vous pas capable de vous signer ? Je voudrais voir qu’un
avocat, savant et estimé comme vous [l’êtes], ne sache pas faire
le signe de la sainte croix !
Certainement que je sais.
Voyons un peu. Je ne crois pas ce que je ne vois pas.
Vous le voulez ? Eh bien, voici ; et il commença à se
signer : Au nom du Père, etc.
Alors D. Bosco se servit du don spécial qu’il avait de connaî-
tre exactement, quand c’était nécessaire, l’état de conscience du

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pénitent sans qu’il parle ni qu’il se soit déjà confessé à lui.
C’est pourquoi il commença à l’interroger ainsi : Dites un
peu, monsieur l’Avocat, combien de temps y aura-t-il que vous
ne vous êtes plus confessé ?
Mais vous voulez me confesser ?
Ne parlons pas de cela à présent ; laissez-moi faire ; vous
savez ce que je vous ai promis : je veux vous rendre content ;
écoutez-moi ; donc il y a tant d’années, [] et il précisa le
nombre [], que vous ne vous êtes plus confessé ?
— C’est précisément le temps que vous avez dit, mais vous
savez que je ne veux pas me confesser ?
Ne parlez pas de cela ! Entre-temps il continuait en
disant : Vos affaires à ce moment-là allaient de telle et de
telle autre façon. Alors votre situation était ainsi et ainsi. Et
il précisait à merveille.
Tout à fait cela ; mais il semble que vous connaissiez ma
vie !
Ensuite, dans telle circonstance, vous avez fait ceci et
encore cela.
— C’est bien vrai ; je regrette, j’ai fait du mal. Oh je voudrais n’a-
voir pas agi de la sorte. De cette manière D. Bosco, un à la fois,
disait tous les péchés du malade, qui devenait de plus en plus
pensif et de plus en plus ému et, à chaque péché que D. Bosco lui
présentait, il s’écriait : Celui-là, je le regrette ; celui-ci m’humilie ;
j’ai vraiment fait du mal ! [] A chaque expression de repentir
D. Bosco lui prenait la main et lui disait : Cher monsieur,
prenez courage. Ces mots paraissaient blesser son cœur, et
chaque fois que D. Bosco les répétait, ils rendaient plus vive son
émotion et lui faisaient tomber une larme des yeux. Il arriva ainsi au
terme de sa confession, en versant comme un enfant des larmes
très abondantes de vrai repentir. Ayant reçu l’absolution, il s’é-
criait : D. Bosco ! Vous m’avez sauvé ! au début je ne me
serais confessé pour rien au monde ; j’étais disposé à faire n’importe

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quelle bêtise plutôt que de céder ; mais vous avez su me prendre
habilement, vous m’avez vaincu ; merci ; maintenant je ferais mille
confessions : mon cœur est rongé par la douleur, et toutefois j’éprouve
une très grande consolation, ce que je n’ai jamais éprouvé, et n’aurais
pu imaginer. Que l’on me porte donc le S[ain]t Viatique. A ce
moment-là arrivaient pour lui rendre visite deux ou trois de ses
amis, qui certainement essaieraient de détruire tout ce qui avait été
fait.
Alors D. Bosco, qui en avait été averti, dit au malade : Si
quelques personnes venaient vous rendre visite, devons-nous leur
dire de vous laisser tranquille et de revenir demain, parce que
maintenant vous avez besoin de repos ?
— Donnez donc l’ordre dans ce sens, répondit le malade.
Ainsi fut fait, et ces personnes prirent la chose en bonne part
et s’en allèrent pour revenir le lendemain. D. Bosco sortit alors et
toute la famille, qui était rentrée dans la pièce, fut remplie de joie en
apprenant du malade les manières employées par D. Bosco pour le
reconduire à Dieu.
Le lendemain matin, après qu’il eut reçu le saint Viatique et
le Sacrement des malades, revinrent ses vieux amis et compagnons
que l’incroyance et une vie déréglée sous prétexte de liberté lui
avaient donnés, et on les fit entrer. Ayant appris qu’il avait accompli
ses devoirs de bon chrétien, ils commencèrent à se moquer de lui, qui
par faiblesse avait capitulé devant les ordres intimés par le prêtre.
Mais le malade, auquel D. Bosco avait suggéré ce qu’il devait dire à
ces gens-là répondit avec franchise : — A l’heure de la mort, on juge
les choses sous des points de vue bien différents, et cette heure
s’approche aussi pour vous. Après la vie présente, il y en a une autre
avec un enfer de peines interminables. Est-ce que par hasard vous
prétendriez que, moi, je suis assez sot pour me précipiter au milieu des
flammes ? Vous avez un joli rire : rira bien qui rira le dernier. Vous
dites ne pas croire à la vie future et à l’éternité ; mais il y en a trop
d’autres qui affirment leur existence, et vous n’êtes donc pas raisonna-

18.8 Page 178

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164
bles si vous ne vous en souciez pas. A supposer même seu-
lement que fût douteuse l’existence de l’enfer, ne serait-ce
pas une stupide insouciance de vivre avec tant d’indifférence et
avec le danger manifeste d’y tomber, si réellement il existait.
Est-ce que peut-être ce n’est pas la marque d’une personne de
bon sens, quand il s’agit d’éternité, que de prendre la voie la
plus sûre ? Pourquoi me tourner en ridicule ? Je suis plus pru-
dent que vous !
Ses amis, devant cette déclaration, ne surent pas quoi répondre
et, après quelques mots brefs et dénués de sens, ils se retirèrent.
L’avocat vécut encore une semaine, recevant chaque jour de la
part de D. Bosco une visite et du réconfort ; et, en le remer-
ciant, il expirait dans les bras du Seigneur.
Un autre jour, une dame distinguée venait à Valdocco
chercher D. Bosco, en le priant chaudement d’aller trouver untel,
gravement malade et désormais en fin de vie. Il s’agissait d’un
personnage mêlé à la politique, très haut placé dans les échelons
des sectes. Il s’était catégoriquement refusé à recevoir le prêtre,
en assurant que cela se terminerait mal pour l’ecclésiastique qui ose-
rait s’approcher de son lit. C’est seulement avec difficulté qu’il
avait permis qu’on appelât D. Bosco. Et D. Bosco, rempli de
confiance en Dieu et sous la protection de la Bienheureuse Vier-
ge, y alla. Dès qu’il fut entré dans la chambre et qu’il eut
fermé la porte, ce monsieur, ayant rassemblé les quelques forces
qui lui restaient encore, lui dit brusquement : — J’ai cédé aux
prières instantes d’une personne que j’estime et que j’aime ; mais
venez-vous comme ami ou comme prêtre ? Je n’aime pas les
farces, et je ne suis pas ami des bouffonneries. Malheur à vous
si vous prononcez devant moi même seulement le nom de la
confession. En disant cela, il saisit deux pistolets, qu’il avait
placés l’un d’un côté, l’autre de l’autre côté de l’oreiller. Il les
pointa sur la poitrine de D. Bosco et s’écria : Rappelez-vous
bien qu’au premier instant où vous prononcerez devant moi le
nom de la confession, un coup de ce pistolet sera pour vous et
celui de cet autre pour moi : puisque, pour moi, il n’y a plus
que quelques jours de vie.

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165
D. Bosco lui répondit avec calme dans un sourire [en lui di-
sant] de rester bien tranquille, car il ne lui parlerait jamais de
confession, sans sa permission. Puis il l’interrogea sur sa
maladie, sur ce qu’en disaient les médecins et sur la méthode
des soins choisis. Sa manière de parler était si aimable, si inté-
ressante et pleine de réconfort qu’il ne fatiguait pas celui qui
l’écoutait, attendrissait les cœurs, même les plus insensibles, et
éveillait en eux de la sympathie et de la confiance envers sa
personne. Avec les hommes cultivés il se servait d’un moyen
ingénieux qui bien des fois le conduisit à son but pieux. Il fai-
sait allusion à quelque fait contemporain intéressant, le comparait
à quelque événement historique des siècles précédents, et il le
choisissait de manière qu’il coïncidât avec la vie de quelque im-
pie fameux, connu pour ses actions ou pour ses écrits. Son art
était de se faire interroger. En décrivant la mort de ce person-
nage, qui selon toute apparence était mort impénitent, il donnait
toutefois cette conclusion : Certains, arrivés à ce point de
l’histoire, disent qu’il s’est damné ; moi, je ne le dis pas, ou du
moins je ne me sens pas de le dire, car je sais que la misé-
ricorde de Dieu est infinie et ne révèle pas ses secrets aux
hommes.
Et c’est ainsi que D. Bosco s’était également ingénié avec ce
malade qui, surpris et tout ému, l’interrompit : Comment, il y
a encore de l’espoir même pour celui-là ?
Et pourquoi pas ? Et il lui démontrait avec des paroles,
peu nombreuses mais chaudes et persuasives, comment Dieu était
disposé à pardonner les péchés, fussent-ils énormes et en grande
quantité, à celui qui se repent de tout cœur, et que la plus grave
offense que l’on puisse lui faire est bien de douter de sa misé-
ricorde.
Ce monsieur resta alors quelque temps absorbé dans ses pensées, et
puis il lui tendit la main et lui dit : — S’il en est ainsi, ayez la
bonté de me confesser !
D. Bosco le prépara, le confessa et, dès que le malade eut
reçu l’absolution, baigné de larmes, il se répandit en exclama-

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166
tions de joie, en affirmant qu’il n’avait jamais goûté personnelle-
ment une si grande paix durant sa vie, comme en ce moment-là.
Dans le même temps il se soumettait de bon gré à toutes les
prescriptions de l’Eglise. Entre-temps, le malade fut averti de
l’arrivée de deux messieurs à la physionomie bourrue, qui se
tenaient sur leurs gardes dans la salle. C’étaient deux membres
de la loge [maçonnique] ; le malade ordonna de les faire entrer
dans la pièce et, dès qu’ils apparurent, il leur cria : Partez
tout de suite : hors de chez moi.
Ils lui répondirent : Mais vous savez bien ! Nos engage-
ments sont…
Le malade sortit alors de la table de nuit un des pistolets,
qu’il avait placés là, et en le montrant il ajouta : Il était
préparé pour les prêtres, et à présent il vous est destiné si vous
ne partez pas. Pas un mot de plus !
— S’il en est ainsi, nous sortirons, répondirent les deux, en
lançant un coup d’œil menaçant vers le prêtre ; et ils s’éloignè-
rent.
Le lendemain lui fut porté le Saint Viatique ; mais avant
de communier il appela dans sa chambre toutes les personnes de
la maison et il demanda publiquement pardon pour le scandale
qu’il leur avait donné. Après [qu’il eut reçu] le Viatique, sa santé
s’améliora grandement, de sorte qu’il vécut encore deux ou trois
mois, qui furent employés par lui dans la prière, à demander
souvent à tous ceux qui lui rendaient visite le pardon de ses
scandales, et à recevoir plusieurs fois encore Jésus dans le Saint
Sacrement en donnant à ses proches la plus grande édification.
Cette conversion mettait cependant D. Bosco dans une
vilaine affaire bien embarrassante. Ce monsieur lui avait remis,
peu avant de mourir, les diplômes et les insignes de ses grades
dans la secte, ainsi que les documents contenant les noms des
complices, qu’il gardait avec un soin jaloux dans un autre en-
droit. D. Bosco les lut et s’étonna devant ces noms. C’étaient des
personnes qui aux yeux du monde apparaissaient comme de bons
catholiques et qui ensuite jouèrent les rôles principaux dans les
révolutions italiennes. Parmi elles, plusieurs ecclésiastiques venus
d’autres diocèses pour établir leur domicile à Turin. D. Bosco appela

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167
aussitôt son confident Buzzetti Joseph, qui était un jeune d’une
discrétion à toute épreuve. Jusqu’en 1849 il avait travaillé dans
son métier de maçon et maintenant, en faisant des études, il
s’occupait uniquement à aider Maman Marguerite dans les tra-
vaux de la maison et à assister l’infirmerie. Il gardait l’argent
pour les commissions, et une fois D. Bosco, ne se souvenant
plus de lui avoir donné un écu, entendit comme réponse, alors
qu’il lui en présentait un second : [] Voulez-vous me le don-
ner deux fois ? Sa fidélité était proverbiale. D. Bosco le
chargea donc d’extraire deux copies de ces documents fatals, en
lui donnant l’ordre que l’une des copies fût brûlée, l’autre con-
servée par Buzzetti lui-même et cachée avec les originaux sans
dire à D. Bosco lui-même où il l’avait placée. Il était néces-
saire qu’il attendît le moment opportun pour demander conseil à
ses Supérieurs. Il avait jugé qu’il était préférable de remettre aux
Services diocésains cette copie, au lieu de faire autrement dans
le but de ne pas provoquer de l’hostilité et des brimades contre
eux à une époque aussi orageuse.
Entre-temps quelques membres des sectes, envoyés par leurs
chefs, avaient couru jusqu’à la maison du défunt, qui venait tout
juste d’expirer, pour s’emparer de ces documents délicats qu’ils
craignaient de perdre, et, les ayant en vain recherchés, ils com-
prirent aussitôt en quelles mains ils pouvaient se trouver. Et ce
jour même, deux messieurs se présentèrent à D. Bosco et, d’a-
bord avec des manières aimables et ensuite avec décision, ils lui
demandèrent ces documents. D. Bosco chercha à se dérober, trouva
des prétextes, et affirma avoir vu ces feuilles qu’ils demandaient,
mais ne pas savoir pour le moment où elles étaient gardées.
D’autres personnes étant arrivées, il finit par les renvoyer ; et ces
[messieurs] partirent en bougonnant.
D. Bosco s’empressa de demander des instructions aux
Services diocésains. En effet, comme il le prévoyait lui-même,
quelques heures plus tard les deux messieurs revinrent et, cette
fois-ci, avec des menaces. D. Bosco répondait qu’il ne savait pas
quels droits ils pouvaient avoir sur des documents, qui lui
avaient été confiés par un ami, et donc qu’il ne se croyait

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168
pas autorisé à violer un tel secret. Par ailleurs il affirmait que ces
documents n’étaient d’aucune importance, car ils ne contenaient
que quelques noms.
Ces messieurs se calmèrent, en voyant comment D. Bosco mani-
festait qu’il n’en faisait pas grand cas, et ils s’abaissèrent avec
de belles manières à des supplications, en montrant comment, si
on avait révélé ces noms, il en serait venu du déshonneur et du
préjudice pour les personnes et pour leurs familles.
D. Bosco se laissa persuader et, ayant remis les documents
authentiques, il prenait prétexte de leurs paroles elles-mêmes pour
démontrer combien était mauvaise la voie dans laquelle ils s’étaient
mis, combien elle était dangereuse pour leur âme, et aux yeux
de la société civile elle-même.
Les autres laissèrent dire, bredouillèrent des excuses et parti-
rent. Ils ne tardèrent cependant pas à réapparaître pour la
troisième fois, et après de longues périphrases ils lui demandè-
rent s’il avait près de lui une copie de ces documents. Dans le
même temps ils lui faisaient comprendre que la secte avait des
moyens pour se venger.
D. Bosco répondit franchement non. En effet, l’unique copie
avait été remise à qui de droit. Les autres insistaient, et D. Bos-
co assura qu’en vérité il en avait pris une copie, mais qu’il
l’avait jetée aux flammes ; c’est pourquoi ils se tinrent tranquil-
les. Il parlait cependant d’égal à égal, sans se laisser intimider.
Ces messieurs étaient sur le point de s’éloigner, mais ils revin-
rent en arrière, en lui demandant de jurer le secret. D. Bosco se
montra plutôt offensé par le fait qu’ils le croyaient capable de
causer du tort à quelqu’un et il se refusa à jurer ; il promit
cependant que personne n’apprendrait de lui quelque chose qui
pût les compromettre. Et c’est ainsi, sembla-t-il, que prenait fin
cette dangereuse histoire ennuyeuse.
Toutefois il se produisit un fait, mais nous n’osons pas
assurer qu’il est une conséquence de cette querelle. Cette même

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169
année-là, tandis qu’une nuit D. Bosco traversait une partie
obscure de la Place du Château, deux inconnus qui s’étaient
approchés de lui et qui avaient sorti les poignards, lui sautèrent
dessus. Mais un certain m[onsieur] Rolando, qui plus tard racon-
tait l’incident à D. Michel Rua, passait à une courte distance
avec un de ses amis : dès les premiers mouvements de ces
gredins, s’étant aperçus du guet-apens, ils accoururent tous les
deux avec les solides gourdins dont ils étaient munis, et ils les
obligèrent à s’enfuir.
—————

19.4 Page 184

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170
CHAPITRE XVII
Une Pieuse Union provisoire de laïcs catholiques pour empê-
cher les progrès de l’impiété D. Bosco prêche le jubilé à
Milan Faits édifiants Conférence annuelle en remercie-
ment à la Très s[ainte Vierge] Marie Immaculée Notre-Dame
de Rimini.
La vie de D. Bosco devient chaque jour plus riche de
travaux et de mérites. Vers la fin de 1850, il est sur le point
d’effectuer un déplacement à Milan. Le Souverain Pontife avait
annoncé publiquement un nouveau Jubilé pour réparer les nom-
breux torts causés aux âmes par les haines de parti, par les
guerres et par les rébellions. D. Séraphin Allievi, Directeur à
Milan de l’Oratoire S[aint]-Louis, situé rue S[ainte]-Christine, in-
vitait D. Bosco à venir le prêcher à ses jeunes. Cet Oratoire des
dimanches et des jours de fête, très florissant, avait pour but d’ins-
truire les enfants les plus pauvres, les plus délaissés et ignorants
de la ville, de les accueillir alors qu’ils ont perdu le droit
chemin, de les éloigner du jeu et des bistrots, et, en un mot, de
les éduquer chrétiennement. D. Blaise Verri était un modèle pour
prier, pour confesser, pour prêcher et pour conduire parmi ces
jeunes le développement d’un grand nombre de vocations, tant
ecclésiastiques que religieuses, il habitait chez D. Séraphin et il
était très ami de D. Bosco pour en avoir connu de près les rares
vertus : il l’attendait donc avec une vive impatience. L’invitation

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avait été faite en plein accord avec l’Archevêque Mgr Romilli.
Egalement le curé de S[aint]-Simplicien, église paroissiale de l’Ora-
toire S[aint]-Louis, avait non seulement approuvé cette décision,
mais avec de vives insistances de sa part il renouvelait l’invi-
tation à D. Bosco, dans l’espoir de se servir de son ministère
sacré pour le grand bien de sa propre population.
Volontiers D. Bosco consentit à faire ce voyage, et il en
avait demandé l’assentiment auprès de l’autorité ecclésiastique et
la permission à l’autorité civile et à la Légation Autrichienne. Le
passeport porte des signes particuliers que nous avons jugé bon
de ne pas omettre : âge : 35 ans ; taille : 38 onces * ; cheveux :
châtain foncé ; front : moyen ; sourcils : châtains ; yeux : id ;
visage : ovale ; teint : brun ; situation : maître d’école primaire.
Mais avant de partir il désirait assister à l’heureux abou-
tissement de quelques réunions qu’on avait organisées pour opposer
une digue efficace à l’erreur envahissante. Depuis les débuts de
l’Oratoire, il avait tout entier dans l’esprit le programme des
œuvres qu’exigeait de lui la Divine Bonté. Il mesurait, ce que
d’autres ne comprirent que plus tard, la nature de l’aide que
pouvait être, pour les Evêques et pour le Clergé, le laïcat catho-
lique s’il était éduqué et conduit de manière à contribuer à la
défense de la société chrétienne menacée. Dans le même temps,
ne lui échappait pas l’importance, pour obtenir ses fins, d’une
association capable de lier étroitement dans un commun accord
ses bienfaiteurs. Se trouvait donc également dans son esprit une
tentative pour commencer, quoique de façon très petite et avec
beaucoup de réserves de prudence, la pieuse union de ceux qui
furent ensuite appelés Coopérateurs Salésiens. Le document sui-
vant fait connaître le projet fermement soutenu par D. Bosco.
—————
* Once : En Piémont mesure de poids, mais aussi de longueur. Une
once correspond à 4,2 cm. Ici, une taille proche de 1,60 m.

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Copie de délibération constitutive.
L’écrit suivant est formulé pour servir de preuve positive et
solennelle à ceci : se sont réunis des amis, ici soussignés, tous
des catholiques et des laïcs, qui, affligés par les abus de la
presse libre sur des sujets religieux et par la guerre sacri-
lège que de nombreux mauvais chrétiens ont déclarée contre
l’Eglise et ses ministres, ainsi que par le danger de voir que
dans le Piémont la vraie religion serait supplantée par le Protes-
tantisme, après avoir reçu l’avis favorable de cinq Ecclésiastiques
très savants, parmi les plus distingués et zélés du clergé de cette
Capitale, sont parvenus aux décisions suivantes :
1° De se constituer eux-mêmes en Pieuse union provisoire sous
l’invocation de S[aint] François de Sales, en préférant ce Saint
pour une raison d’analogie entre la situation actuelle de notre
pays et celle de la Savoie à l’époque dudit Saint qui, par son
zèle éclairé, sa prédication prudente et sa charité illimitée l’a
libérée des erreurs du Protestantisme.
2° Que cette pieuse société provisoire soit le commencement
d’une association sur une vaste échelle qui, avec la contribution
de tous les membres et avec les autres moyens licites, légaux et
corrects qu’elle pourra se procurer, s’occuperait de toutes les
œuvres de bienfaisance que, sur le plan de l’instruction, sous
l’aspect moral ou l’aspect matériel, on reconnaîtra les plus aptes
et expéditives pour empêcher l’impiété de faire d’ultérieurs pro-
grès et pour, si c’est possible, l’éradiquer là où déjà elle aurait
pris racine.
3° A commencer par cette union provisoire, puis pour la
Société, ou Association comme elle viendrait à s’appeler, que ce
soit une institution laïque, pour que certaines méchantes gens ne
puissent pas l’appeler, dans leur jargon à la mode, un truc
de curés pour se faire du fric. Mais que, malgré cela, on

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n’en exclue pas les bons ecclésiastiques pleins de ferveur qui vou-
dront bien aider au développement de la société au moyen de
leur adhésion, au moyen de leurs lumières et au moyen de leur
coopération, selon l’esprit et les buts de cette institution.
4° Pour régulariser l’existence morale et l’activité de cette
société provisoire, les quelques participants ici présents se sont
réparti entre eux par consentement mutuel les fonctions de la
société de la façon suivante :
Premier Membre Fondateur. Bognier Joseph-Marie.
Deuxième Membre Fondateur. Roggieri Dominique.
Troisième Membre Fondateur. Donna Dominique.
Quatrième Membre Fondateur. Battistolo Pierre.
Cinquième Membre Fondateur. Bognier Léandre.
Sixième Membre Fondateur. Gilardi Je[an]- Bapt[is]te.
Septième Membre Fondateur. Bosso Amédée.
Et pour tenir le rôle de secrétaire on délègue le Membre
Fondateur Bognier. Comme Trésorier on mandate le Membre
Fondateur Roggieri Dominique.
On prend acte de la collecte qui s’est faite ici entre nous, et
qui a produit la somme de cinq lires qui furent remises ici à
m[onsieur] le Membre Fondateur Roggieri en sa qualité de
Trésorier, pour servir de première obole [faite] à la société, à ne
dépenser qu’à la suite d’un ordre du jour régulier de cette
[société].
5° Tous les Membres Fondateurs susdits, participant à cette
réunion, auxquels s’est ajouté, au cours de la séance, m[onsieur]
Borel Joseph, ici présent, s’engagent à s’employer, pour autant
que cela dépend d’eux, à procurer à la société le plus grand
nombre de nouveaux membres qu’il sera possible, toujours
cependant avec les précautions nécessaires, pour ne pas introdui-
re d’hypocrites, ou des frères de catholicité équivoque ou d’un
zèle exagéré.
6° Que Dimanche prochain ait lieu une nouvelle réunion avec
la présentation des nouveaux membres que l’on aura pu acquérir,

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à l’heure et à l’endroit qui seront indiqués par le premier Membre
Fondateur.
7° Que dans la semaine le Membre Fondateur Bognier présen-
te une copie de cet acte aux notabilités, tant chez les laïcs que
chez les ecclésiastiques, qu’il jugera capables d’aider au dévelop-
pement de notre Institution, en les priant d’adhérer, en écartant
cependant aussitôt toute démarche ultérieure avec qui se montrera
plutôt opposé que favorable.
Lu et approuvé :
Turin, le dix-sept novembre mil huit cent cinquante, à huit heures du
soir.
Ont signé sur l’original :
Bognier Joseph.
Gilardi Je[an]-Bapt[is]te.
Dominique Roggieri.
Bognier Léandre.
Donna Dominique.
Borel Joseph.
Battistolo Pierre.
Suivent les signatures des membres adhérents et les
montants des offrandes volontaires.
Au bas de la page est écrite cette Instruction :
On proposera en premier lieu la chose comme un simple désir,
puis comme une nécessité, ensuite comme un projet, à mesure
que celui qui écoute donne en son âme un écho favorable ; mais
pour peu qu’il se montre réticent, on s’écartera aussitôt de toute
démarche ultérieure, aussi pieuse et excellente que soit la personne.
On notera cependant les réponses et les observations obtenues,
pour aider à la conduite de la Société.
Les personnes, qui pour des motifs particuliers ne consentiront
qu’à condition que leur nom reste secret, ne seront connues que
par le Membre Fondateur qui les aura inscrites. Elles figureront de

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façon anonyme, en marquant seulement une initiale sur la liste
de la Société, ou encore avec l’appellation de bienfaiteur.
On fera peut-être trois catégories : Membres, adhérents et
bienfaiteurs. Que tous soient prévenus que les membres auront à
payer au moins 20 sous par mois, en plus de la première
offrande. Les autres, quelque petite monnaie, selon ce qu’ils
voudront chaque semaine.
Une fois terminées ces réunions, D. Bosco partait de
Turin le 28 novembre à 2 heures de l’après-midi, et avec un
voyage sans interruption, en passant par Novare et par Magenta,
il arrivait à Milan le lendemain à 11 heures du matin. Il avait
beaucoup souffert pendant le voyage à cause du mouvement de
la voiture.
Les temps qui couraient étaient très difficiles. Après les
fameuses journées [voir * page 182], [la ville de] Milan semblait
être assise sur un volcan encore allumé. Les libéraux et les sec-
tes continuaient sans cesse à diriger leurs projets vers la Lombardie,
en attendant et en cherchant l’occasion d’en chasser les Allemands
[voir ° page 182]. D’autre part ces derniers épiaient et connais-
saient presque en totalité les projets et les brigues des conjurés,
et ils redoublaient de vigilance. De temps en temps les arresta-
tions et les très lourdes condamnations pour crime de lèse-majesté
provoquaient la terreur chez les citoyens. La police autrichienne
tenait mille yeux bien ouverts, également sur le clergé et sur les
prédicateurs, car elle craignait que, du haut des chaires sacrées,
on ne fît des allusions à l’insurrection récemment maîtrisée. En
attendant, par crainte du Gouvernement, les curés hésitaient à
commencer les missions sacrées pour préparer [les fidèles] à
gagner le Jubilé : les rassemblements en grand nombre dans les
églises auraient pu donner prise à des mouvements d’agitation
politique ou provoquer des suspicions, des interdictions et des
répressions. Les orateurs sacrés ne s’avisaient pas de monter en
chaire, car une de leurs phrases mal interprétée pouvait être la
cause de démêlés.
C’est dans ces circonstances critiques que D. Bosco allait

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loger chez D. Séraphin Allievi et D. Blaise Verri, et il annonça
au curé de S[aint]-Simplicien qu’il commencerait aussitôt la prédi-
cation pour le Jubilé dans son église. Mais le curé, peut-être sur
la suggestion de conseillers timides, avait changé d’avis : il fit
remarquer que c’était une chose de prêcher à l’intérieur et com-
me en privé dans l’Oratoire S[aint]-Louis, et que c’en était une autre
de prêcher à une grande foule dans une église publique ; et il
déclara d’une façon absolue qu’il ne pouvait pas permettre que
l’on commençât cette mission sans d’abord en parler avec l’Ar-
chevêque. — Oh, quant à cela, je m’en occupe ! répondit
D. Bosco ; et sans plus il se rendit chez Mgr Romilli pour lui
demander cette permission.
Le Prélat, qui était bien vu de la Cour de Vienne, ne la
lui refusa pas ; mais tout d’abord il cherchait à le dissuader.
Voyant cependant que D. Bosco était rempli de courage et ne
craignait rien, il lui dit : — Monsieur l’Abbé, je n’ai rien con-
tre, mais si vous prêchez, prenez-en sur vous la responsabilité.
S’il vous arrive malheur, je n’ai rien à y voir. Vous savez que
nous vivons dans une époque dangereuse.
Et je prêcherai, répondit D. Bosco, de la manière qu’on
utilisait pour faire les sermons il y a cinq cents ans.
— Vous êtes libre, je vous le répète, conclut l’Archevêque. Si
vous vous sentez la hardiesse, allez donc et prêchez. Personnel-
lement je ne vous le commande pas et je ne vous le conseille
pas, mais je vous le permets de bon gré. Rappelez-vous cepen-
dant que, si grande que puisse être votre prudence, elle ne le
sera jamais trop.
Et D. Bosco commença à prêcher à S[aint]-Simplicien.
Dès le premier sermon la foule accourut avec une curiosité et une
anxiété que l’on ne pourrait décrire. Au milieu de ces fièvres révolu-
tionnaires l’indifférence politique semblait impossible. On attendait
une chose et se présentait une autre bien différente. Il prêchait ni plus
ni moins comme l’aurait fait un orateur sacré deux ou trois siècles
auparavant. Avec une grande franchise et [une grande] affection il
invitait les pécheurs à faire pénitence ; et ce qu’il fallait dire pour le

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changement radical des mœurs, il l’exposait sans ambages, en ne
s’occupant de personne. Au sujet de ce qu’on agitait dans le
cœur des gens du peuple et qui ne laissait pas se relâcher la
vigilance résolue du Gouvernement, il ne fit pas la moindre
allusion et il évita de raconter toute comparaison ou tout fait,
même ancien, qui auraient pu être jugés, même de loin, une
évocation des circonstances de l’époque : en toutes choses il se
comportait entièrement comme s’il n’existait pas de questions
politiques et qu’il n’en avait jamais existé. C’est pourquoi aucu-
ne des autorités n’eut à lui faire la moindre observation. Tous
ses auditeurs ne trouvaient dans ses paroles, [prises] en long et
en large, rien d’autre que la méditation sur les fins dernières et
les enseignements sur la manière de se confesser et de commu-
nier. [La ville de] Milan fut émerveillée par la façon de prêcher
dont il procédait.
Son style était celui de S[aint] Alphonse-Marie de Liguori.
Nous autres, de ces entretiens spirituels donnés à Milan, nous
avons conservé les esquisses écrites par lui-même ; et l’on com-
prend comment sa parole avait toujours une force irrésistible.
Bien que lent pour parler, il imprimait pourtant ses sentences
dans le cœur de celui qui l’entendait. Que nous suffise comme
échantillon l’exorde de son sermon sur le jugement universel :
« Et jusques à quand, ô pécheurs, abuserez-vous de la bonté de
Dieu, jusques à quand continuerez-vous à l’offenser ? Déjà crient
vengeance les compagnons entraînés au péché par vous ; déjà
crient vengeance les églises dans lesquelles vous commettez tant
d’irrévérences ; déjà crient vengeance les sacrements profanés au
moyen de tant de sacrilèges ; déjà crient vengeance le soleil, la
lune, les étoiles, témoins de votre rébellion contre leur Créateur ;
déjà, crie vengeance la terre dont vous avez fait le théâtre de
vos iniquités ; déjà crient vengeance les anges eux-mêmes qui
voudraient venger les insultes faites par vous à leur Dieu. Et
jusques à quand abuserez-vous à votre profit de la patience de
ce miséricordieux Seigneur ? Cela vous dérange sans doute de
changer de vie ? Ne tremblez-vous pas devant l’épée de la
justice divine, déjà dégainée pour vous frapper ? Eh bien, con-

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tinuez à blasphémer son saint Nom, continuez aussi à dire du
mal contre notre S[ainte] Religion et contre ses ministres, conti-
nuez aussi à murmurer contre votre prochain, continuez aussi à
tenir de mauvaises conversations, continuez aussi à profaner les
dimanches et les jours de fête, faites vite pour crucifier de nou-
veau, sur ce bois dur, Jésus plein de bonté, car le temps qui
vous reste est court, l’éternité s’avance, est imminente, déjà les
éclairs étincellent dans l’air et sont sur le point de s’abattre sur vous,
déjà est en place le tribunal où siègera le Juge Eternel. Ne vous
faites donc pas d’illusions ; n’espérez pas de salut : le bras du
Seigneur est déjà étendu et vous n’aurez pas de lieu pour y
échapper. Au jugement je vous attends, au jugement nous devrons
tous comparaître et rendre un compte très serré de nos actions ;
de tout ce que nous aurons fait, que ce soit une omission du
bien, que ce soit une action mauvaise… ». C’était la politique
pour l’éternité.
[Comme il était] beau d’observer alors dans l’église cer-
tains hommes aux grosses moustaches, postés à l’affût seulement
pour observer si lui échappaient quelques paroles contre le Gou-
vernement ou contre la situation alors vécue dans les affaires
publiques. Et de temps en temps, également ces [hommes]-là ne
pouvaient pas s’empêcher d’essuyer une larme, terrifiés à la pen-
sée du jugement et de l’enfer.
Il n’avait pas encore terminé ce triduum avec deux ser-
mons par jour à S[aint]-Simplicien que, le lundi après le premier
dimanche de l’Avent, le 2 décembre, à des heures diverses il
commençait à l’Oratoire S[aint]-Louis la retraite spirituelle qui
devait durer aussi trois jours. D. Séraphin avait regroupé ses
jeunes par centaines.
D. Bosco qui accomplissait tant de merveilles parmi ses
jeunes de Valdocco, devait également attirer à lui les cœurs des jeu-
nes de Milan. De nombreuses années après, D. Séraphin Allievi en
donnait en notre présence un bien cher témoignage. De ces sermons de
Don Bosco nous avons également les points principaux qu’il avait

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notés sur un feuillet. En premier lieu il parla de la parabole
d’une mère qui envoie en voyage ses deux fils, en adjoignant à
chacun un compagnon, et qui leur donne les avis nécessaires
pour qu’ils puissent, avec un trésor qu’elle leur confie, arriver
sains et saufs à une ville lointaine où les attend leur père. Ils
partent, rencontrent diverses aventures et également un ennemi
qui s’efforce de leur faire mépriser les avis maternels. L’un des
deux suit [ces avis] et réussit bien, l’autre les néglige et réussit
mal. Application. Les deux fils, c’est nous ; la mère, c’est la
S[ainte] Eglise ; les compagnons, les anges gardiens ; le voyage,
notre vie mortelle ; la ville, le paradis ; le père qui nous attend, le
Seigneur ; l’ennemi, le démon ; le grand trésor, notre âme. Sur cette
idée fondamentale il développa les thèmes de la fin de l’homme,
du salut de l’âme, du scandale, de la mort qui peut se produire
à l’improviste, de la confession sacramentelle et du paradis.
Ses paroles finales furent celles qu’il avait déjà prêchées
aux retraitants de Giaveno. Il laissait comme consigne : Cha-
que mois : préparation à une bonne mort et moyens de la
réaliser.
Pendant ce temps-là, divers Recteurs d’églises, ayant
acquis la certitude que sa prédication à S[aint]-Simplicien non
seulement n’avait donné le moindre prétexte ni à des désordres
ni à des violences, mais avait eu une heureuse réussite avec
beaucoup de fruit pour les âmes, l’appelèrent dans leurs églises.
Il consentit volontiers, et prêcha à S[anta] Maria Nuova, à
S[aint]-Charles, à S[aint]-Louis et à Sant’Eustorgio, ainsi que l’af-
firme D. Rocca Louis pour en avoir entendu parler par ses
parents et des concitoyens milanais. Parfois il faisait une seule
prédication par jour dans l’une des églises susnommées, parfois
jusqu’à cinq sermons par jour dans diverses églises.
Tandis qu’il prêchait un triduum à S[aint]-Roch, il reçut
une invitation des pères Barnabites, dont il avait connu certains à

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Moncalieri, pour aller prêcher la retraite spirituelle à Monza. A
l’époque, entre Milan et Monza, existait l’unique chemin de fer
que l’on possédait dans les terres lombardes. D. Bosco partait de
Milan à 10 heures et demie du m[atin], prêchait à Monza et à
une heure de l’après-midi il était déjà à Milan pour le sermon à
S[aint]-Roch. Le nombre de ceux qui venaient se confesser était
très grand.
Un jour, tandis que D. Bosco allait à son confessionnal
entouré de pénitents, un jeune homme le prit par la soutane, le
tira dans un banc au milieu de l’église, qui était plutôt obscure
car les rideaux étaient abaissés, et il lui dit : Confessez-moi
ici ! — D. Bosco s’assit et l’autre se jetant à genoux se con-
fessa. Ayant fini la confession, ce jeune dit à D. Bosco : Vous
confessez exactement comme, et avec les mêmes mots, un prêtre
auquel je me confessais à Turin il y a des années.
Et si ce prêtre-ci était ce prêtre-là ? lui répondit D. Bosco.
Vous D. Bosco ! s’écria le jeune en le regardant fixement.
Exactement D. Bosco ! dit le bon prêtre. Ce jeune
homme fondit alors en larmes, tellement furent grandes la con-
solation et la tendresse qu’il éprouvait en cet instant.
D. Bosco, non seulement ne fut pour cette prédication
exposé à aucune situation fâcheuse, mais en divers endroits, s’é-
tant trouvé au milieu des soldats et des officiers autrichiens, il
était très volontiers rencontré. D’autant plus qu’il mettait à profit
le peu de langue allemande, qu’il avait appris en 1846, pour leur
inspirer quelques bons sentiments.
Entre-temps, suivant son exemple, d’autres prêtres s’étaient
mis à prêcher, et, en raison de cela, plus tard l’Archevêque lui
témoigna sa vive reconnaissance.
Cette prédication avait duré 18 jours. Don Bosco revenait à
Turin en passant par Magenta et Novare. Comme d’habitude, il con-
fessa le conducteur de la diligence [voir # page 182] et, au moment

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d’une halte, un garçon d’écurie dans l’écurie. Avec les auber-
gistes, d’autre part, eurent lieu les mêmes scènes charmantes de
sermons et d’invitations à penser sérieusement à l’âme.
A la Barrière dite de Milan, il trouvait les jeunes Rua
Michel et Savio Ange qui l’attendaient.
Dès qu’il arriva à Turin, sa première pensée fut de don-
ner un témoignage de reconnaissance envers la Très s[ainte Vierge]
Marie en rappelant les nombreuses grâces qui par Elle avaient
été accordées à l’Oratoire. C’était l’une de ses pratiques particu-
lières, je dirais presque un geste de confiance familière. Depuis
l’année 1842, il avait l’habitude de tenir une conférence à ses fils, le
jour de l’Immaculée [Conception], autour du thème dont on vient
de parler : la première fois aux jeunes gens, puis aux catéchis-
tes seuls, ensuite aux jeunes abbés ; et enfin il la continua aux
Salésiens pendant toutes les années de sa vie, c’est-à-dire au fur
et à mesure que, son Institution se développant, les uns pre-
naient de l’importance et de la suprématie sur les autres. Si
quelque rare fois il en était empêché, il n’omettait jamais de la
tenir avant que ne terminât l’année.
Et, cette année-là, pour allumer de plus en plus chez ses
chers [fils] la dévotion envers la Mère du Divin Sauveur, lui
donnait également un motif de prendre la parole un fait qui
remplissait l’Italie du bruit qu’il faisait. A Rimini, dans la petite
église Sainte-Claire, on vénérait un tableau de la Très s[ainte]
Vierge sous l’invocation : Reine Mère de Miséricorde. A la tom-
bée de la nuit du 11 mai trois braves dames qui s’étaient mises
à prier devant Elle, avec un grand étonnement et [une grande]
consolation, remarquèrent un mouvement dans les pupilles de la
sainte image, dans le sens horizontal et [dans le sens] vertical ;
parfois doucement elles s’élevaient au point de se cacher sous les
paupières avec un léger changement dans la couleur du visage sacré.
La ville, comme dans le temps d’un éclair, fut remplie de la nouvelle
surprenante et tout entière elle se pressait autour de cet autel. Et le
prodige très sensible, évident, continua pendant environ huit mois

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devant des milliers et des milliers de témoins. Les mœurs en
plein changement dans tout le peuple, les sacrements fréquentés
d’une manière étonnante, une source de grâces qui dès lors
commencèrent à jaillir en permanence, le procès diocésain
rigoureux qui reçut l’approbation de la Sacrée Congrégation des
Rites, l’Office et la Messe propres accordés pour ce prodige, la
couronne d’or concédée par le Souverain Pontife, l’église trans-
formée dans une élégante architecture de croix latine et dédiée
en novembre de cette même année, étaient autant de témoigna-
ges de la vérité du prodige.
Avec la vive joie occasionnée par cette nouvelle gloire
de Notre-Dame et avec les douces émotions causées par les
Fêtes de Noël, D. Bosco parvenait à la fin de 1850.
—————
* A l’époque des révolutions de 1848, Milan a connu :
- le 3 janvier (la journée des cigares), une manifestation contre
Metternich ;
- les 18-22 mars (les cinq journées), une bataille pour l’expul-
sion des Autrichiens.
° Allemands : pour désigner ici les peuples de langue allemande et
en particulier les Autrichiens qui dominaient l’Italie du Nord.
# Diligence : il s’agit d’une diligence, appelée autrefois vélocifère,
qui assurait un service rapide sur de longues distances.
—————

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CHAPITRE XVIII
Esprit de pénitence Recommandations aux jeunes Témoins
permanents de la vie de D. Bosco Son repos et sa nourri-
ture L’Abbé Stellardi et le Chan[oine] Ronzino [= Ronzini] à
la table de D. Bosco Ses distractions Le firmament lors
d’une nuit sereine.
Les vertus de D. Bosco étaient éminentes comme ses œu-
vres. Il avait pris pour lui servir de modèle la vie mortifiée, tant
intérieure qu’extérieure, du Divin Sauveur, en crucifiant ses passions
personnelles et ses inclinations naturelles. Même à ses élèves il
recommandait cette mortification, en proclamant qu’à celui qui veut se
réjouir avec Jésus Christ dans le ciel, il est nécessaire de souffrir avec
lui sur la terre. Il insistait près d’eux spécialement sur le fait d’être
tempérants dans la nourriture, pour boire et pour dormir, en disant que
le démon tente de préférence les personnes intempérantes. Bien qu’il
prît des décisions pour que la nourriture fût abondante, afin que cha-
cun eût de quoi se sustenter sans nuire à sa santé, surtout parce que ses
commensaux étaient jeunes, toutefois il établit qu’en fût éloignée toute
préparation superflue. Il ne tolérait pas que quelqu’un se plaignît du
cuisinier et des aliments dont il se nourrissait lui-même ; cependant si
quelqu’un avait besoin d’une alimentation différente, il la fournissait
volontiers. Il exhortait tous à éviter la gloutonnerie et l’empressement
excessif pour manger, en répétant la sentence : prima digestio fit

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in ore [la première digestion se fait dans la bouche]. Il établissait
que le vin fût donné aux jeunes abbés en quantité très modérée,
en affirmant que l’eau de bonne qualité convient bien mieux
pour étancher la soif et fait davantage de bien à la santé. Il
insistait beaucoup sur la tempérance dans l’usage du vin. En
prêchant il avait l’habitude de répéter les paroles de l’Ecriture :
In vino luxuria [Dans le vin la luxure]. Il faisait attention [pour
voir] si quelqu’un, pour le plaisir de savourer le vin, buvait par
petites gorgées, ou bien s’il buvait un vin généreux sans le mouiller :
ce qui arrivait rarement, c’est-à-dire lors des fêtes solennelles et
s’il y avait des invités à table. Et sur ce point il faisait aux élèves ses
recommandations. Il les exhortait également chaudement à ne jamais
aller au lit pendant les heures de l’après-midi, en les prémunis-
sant, comme il disait, ab incursu et demonio meridiano [contre
l’attaque et le démon de midi]. Mais il leur permettait pendant la
saison estivale, soit dans la salle commune d’étude, soit dans la
classe, de dormir une demi-heure ou trois quarts d’heure, en ap-
puyant les bras ou la tête sur le bureau ou sur le banc.
Il avait l’habitude de dire : Donnez-moi un jeune qui
soit tempérant pour manger, pour boire ou pour dormir, et vous
le verrez plein de vertus, assidu dans ses devoirs, toujours prêt
quand il s’agit de faire du bien, et porté à aimer toutes les
vertus ; mais si un jeune est gourmand, porté à aimer le vin,
dormeur, peu à peu il aura tous les vices. Il deviendra étourdi,
paresseux, instable, et tout ira mal pour lui. Combien de jeunes
furent ruinés par le vice de la gourmandise. Jeunesse et vin sont
deux feux. Vin et chasteté ne peuvent cohabiter ensemble !
Ses paroles s’avéraient d’autant plus efficaces que ses dis-
ciples le virent toujours tempérant en tout. Néanmoins le degré
d’héroïcité de cet esprit de pénitence, à l’instar de celui de S[aint]
Philippe Néri, en raison de son ingéniosité et pour son plus grand
mérite, ne put être remarqué pendant des années et des années par de
très nombreuses personnes étrangères à la maison qui le connaissaient
sans en être des familiers. Même ceux qui se tenaient continuellement
dans son entourage ne s’en formèrent un jugement sûr qu’après de

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185
continuelles et longues observations, tant il était jovial et facé-
tieux. [Pris globalement] ceux-ci furent, du début jusqu’à la
fin de sa vie, des témoins continuels et parfois importuns, de
nuit et de jour, à la maison et hors de la maison, de chacune,
même la moindre, de ses actions. Depuis 1841 Buzzetti Joseph,
depuis 1848 Savio Ascagne, depuis 1852 Rua Michel, Cagliero
Jean et ensuite Cerruti François, Bonetti Jean et enfin Berto
Joachim, qui à partir de 1864 fut son secrétaire intime, son con-
fident, jusqu’en 1888 environ : et avec eux des milliers et des
milliers d’autres, auprès desquels pour un grand nombre nous
avons recueilli ce que nous sommes sur le point de dire.
Dès les débuts il ne manqua pas de gens portés à la
critique pour interpréter d’une façon plutôt inexacte certains de
ses actes, en les jugeant d’après les apparences ; mais ils durent
maintes et maintes fois revenir sur leur jugement après un
examen impartial. Nous parlerons d’un fait arrivé vers 1850, au
sujet duquel nous écrivit Brosio Joseph.
« L’Oratoire était même fréquenté par de jeunes externes
grands et très enclins à la critique ; par légèreté ils jetaient un
blâme sur n’importe laquelle des plus petites choses, et non seu-
lement parmi leurs compagnons, mais aussi parmi les personnes
tout à fait étrangères à l’Oratoire. D. Bosco, à cause d’une indis-
position qui le tenait, mangeait de la soupe même le soir les jours de
jeûne ; mais elle n’était assaisonnée qu’avec du sel et je le savais.
Alors la coutume générale imposait que les jours de jeûne, au
repas léger du soir, on ne servît pas de soupe. Or il arriva
qu’un jeudi saint après le lavement des pieds, que D. Bosco
faisait lui-même, il invitât à table avec lui le soir les treize
jeunes qui avaient tenu le rôle des apôtres : cette année-là, moi,
je représentais S[aint] Paul. Pour eux fut mis sur la table un
abondant plat de maigre et, selon l’habitude, Maman Marguerite
apporta de la soupe à D. Bosco. Et voici qu’aussitôt un jeune dit à un
autre : Tiens, regarde ; D. Bosco mange de la soupe ce soir alors
que c’est un jour de jeûne ! Moi, en entendant ces mots, je désirai

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186
que D. Bosco donnât une bonne leçon à de tels êtres scrupuleux
et je dis à haute voix à [Maman] Marguerite : Eh, mère si
bonne ! Vous avez donné de la soupe à D. Bosco aujourd’hui
alors que c’est un jour de jeûne : ne savez-vous pas qu’on ne
peut pas en manger ? A ces mots que je venais de sortir,
toutes les personnes qui se trouvaient dans cette pièce se mirent
à rire. La maman et la tante de Don Bosco se défendaient en
disant que la soupe assaisonnée avec seulement du sel était bien
loin d’être savoureuse. D. Bosco ne soufflait pas mot et moi, qui
désirais qu’il parlât, je faisais semblant de ne pas comprendre et je
continuais à enfoncer le clou, en expliquant que de soupe ce soir-là on
ne devait pas en apporter à table. Alors D. Bosco, qui peut-être
comprit ce que je voulais, fit un discours si émouvant sur le
sujet en question, sur la nécessité qui dispense même d’une loi,
sur la faiblesse de son estomac après l’écoute de tant de
confessions, que le jeune, qui avait pris le risque d’avancer son
mot imprudent, pleurait ; et à partir de ce moment-là je n’en-
tendis plus critiquer les usages de l’Oratoire ».
Après ces explications, nous passons à présenter des
faits et des témoignages en rapport avec l’esprit de mortification
de Don Bosco, bien qu’ils concernent plusieurs années.
« Moi, c’est ainsi que s’exprime le premier jeune abbé
de l’Oratoire, le Théol[ogien] Savio Ascagne, je ne le vis jamais
pratiquer de pénitences extraordinaires ; cependant, à mon avis,
dans sa vie ordinaire de bon prêtre, il apparaissait extraordinaire.
Il ne m’est pas connu qu’il portait un cilice, qu’il se donnait la
discipline jusqu’au sang, qu’il se provoquait de la douleur avec
des jeûnes prolongés ou d’autres macérations ; mais pourtant il
pratiqua la mortification corporelle si assidue, constante et minu-
tieuse, avec tant de facilité et un si grand plaisir qu’on peut
comparer sa vie à celle des moines les plus austères et des
pénitents les plus rigides. Etant donné ses maladies et, de façon
continuelle, les fatigues, les soucis, les préoccupations, les adver-
sités, les persécutions, chaque jour, et même je dirais chaque
heure, il eut sa croix qu’il porta patiemment ».

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187
Le même ajoutait : « C’est ma ferme conviction qu’il
passait des nuits entièrement blanches, pour vaquer à la prière,
écrire ses livres, étudier, faire son courrier, et organiser avec
Dieu ses œuvres ». « Une fois Don Bosco me confia, disait
D. Rua, que jusqu’à l’âge de cinquante ans il n’avait pas dormi
plus de cinq heures par nuit, en veillant à son bureau une nuit
entière chaque semaine ; et j’en fus témoin jusqu’à l’année 1866,
car je voyais toujours la lumière allumée dans sa chambre
jusqu’au delà de minuit. De 1866 à 1871 il commença à
s’accorder six heures de repos en continuant à veiller une nuit
par semaine. Ordinairement cependant, pendant la belle saison, il
se levait à 3 heures du matin et se couchait à 11 heures et
demie du soir. De cela s’apercevait son secrétaire D. Berto qui
dormait dans la chambre voisine. Après la maladie de Varazze
en 1872, il dut se résigner à prendre sept heures de repos et
renoncer à veiller une nuit par semaine. Ce qui n’empêchait pas
cependant que quelquefois il revînt à la vieille habitude ».
A son tour, Bisio Jean nous affirma : « Quant à moi,
appelé à faire le service de sa chambre, de 1864 à 1871, je
trouvai plusieurs fois son lit intact et, comme je lui exprimais
mon regret pour le fait qu’il ne s’était pas reposé, il répondait
qu’à cause du grand travail il n’avait pu se coucher ».
Le matin, il était prompt à se lever avec tous les autres
à 5 heures ou à 5 heures et demie, même au plus rude de
l’hiver, dès que la cloche de la communauté donnait le
premier tintement. Il sortait de son pauvre lit, qu’il garda,
presque jusque dans les dernières années, dans la chambre
elle-même où il donnait audience ; et, bien qu’à cause de
sa trop grande faiblesse, son corps parfois transpirât, et beau-
coup, et qu’il dût supporter une grande fatigue pour s’habiller, il
le fit toujours lui-même. Lorsque les jeunes descendaient dans
l’église, il était déjà à sa place pour les confessions, et avant et

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188
pendant la messe de communauté il écoutait chaque jour les
pénitents, et cela tant que les forces le lui permirent. C’est
seulement les dernières années qu’il prolongeait son repos jus-
qu’à six heures, car autrement il aurait contristé ses fils.
Si l’aube le surprenait à la table où il avait passé la
nuit à travailler, il se levait de la chaise et allait confesser les
jeunes, et, une fois la Messe célébrée, il retournait à son bureau.
Si rien d’autre ne le retenait, il vaquait aussitôt à l’expédi-
tion de ses travaux, avec toute la puissance de son esprit, et il
leur sacrifiait tout ce qui est nécessaire à la vie. « L’hiver, dit
Bisio, ci-dessus nommé, il se mettait à travailler sans jamais se
chauffer au moyen du feu. Il me semblait impossible qu’avec le
froid intense il pût écrire sans que la plume tombât de sa main.
Et je ne l’ai jamais entendu se plaindre du froid, ni de la
chaleur, ni de n’importe quel désagrément ».
Au petit déjeuner pendant de nombreuses années il ne
prenait pas autre chose qu’une petite tasse de café mélangé avec
de la chicorée, boisson qui ne faisait envie à personne, en y
mêlant quelques gouttes de lait seulement lorsqu’il était contraint
par quelque indisposition. Pendant quelque temps et rarement il y
trempait si peu de pain, et du pain ordinaire, qu’il ne risquait
sûrement pas de rompre le jeûne, et à la fin il abandonna même
cela. Nous ferons remarquer qu’il observait rigoureusement les
abstinences prescrites par l’Eglise, et qu’il jeûnait tous les
samedis, jour qui plus tard dans les règles qu’il donna aux
Salésiens fut échangé avec le vendredi.
Midi ayant sonné, parfois il était encore retenu dans sa
chambre par les audiences, qui furent une cause, comme nous le
verrons, des plus grandes de ses mortifications, c’est pourquoi
ordinairement il arrivait très en retard au réfectoire. D’autant
plus que sur ce trajet il était souvent arrêté par plusieurs person-
nes, qui l’une après l’autre voulait lui dire ou entendre de lui
quelques mots ; et parfois il en rencontrait de celles qui ne con-

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naissaient pas la discrétion, le retenant longuement. Et lui, avec
une patience admirable et un calme total, il écoutait, répondait et
cherchait à donner satisfaction à chacun. Si celui qui lui servait
de secrétaire faisait, dans son inquiétude, quelques remontrances
aux indiscrets, D. Bosco l’avertissait en l’invitant à tolérer et à
permettre que chacun pût venir à lui, car il était trop désolé de
les voir partir insatisfaits.
Parvenu au réfectoire, si les habituels commensaux étaient
déjà sortis, il déjeunait, entouré des jeunes arrivés à l’improviste
qui l’entouraient au point de lui enlever presque le moyen de
respirer, assourdi par leur vacarme, au milieu d’un nuage de
poussière et d’une ambiance certainement peu agréable aux sens,
mais source d’un très grand plaisir pour lui qui ne recherchait
pas son confort, mais bien plutôt l’avantage de ses enfants.
Parmi eux Monseigneur Cagliero Jean nous disait : « La
table de D. Bosco fut toujours très frugale, pour ne pas dire de
piètre qualité. Jeune garçon en 1852 et en 1853, j’assistais à son
déjeuner et à son dîner. La soupe et le pain étaient les mêmes
que ceux que nous mangions ; et le plat de résistance que lui
préparait sa bonne Maman Marguerite était le plus souvent com-
posé de légumes avec quelquefois de très petits morceaux de
viande ou d’œufs ; fréquemment de courges assaisonnées : et je
voyais que le même plat présenté le matin revenait réchauffé le
soir. Bien plus, je le voyais parfois revenir pendant plusieurs
jours et même jusqu’au jeudi si c’était une tarte aux pommes ».
Mais lui pourtant ne s’occupait pas des préparations de sa mère.
Il suivait toujours la maxime de Saint François de Sales : « Ne
rien demander et ne rien refuser » et également le conseil de
l’Apôtre Paul : Manducate quæ apponuntur vobis [Mangez ce
qui vous est servi ; S[aint] Paul en 1 Co 10,27 - quoique cette citation
latine soit plutôt en Lc 10,8].
Quelque temps après cependant, par égard pour ses
commensaux, à la soupe et au plat de résistance il ajouta
quelques fruits ou un peu de fromage, et, en 1855, un second
plat pour le déjeuner lorsque quelques prêtres vinrent demeurer

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avec lui. Seulement le premier plat avait de la viande et le
second des légumes cuits, ou bien de la salade. Si en guise de
soupe on préparait la polenta, avec quelques assaisonnements,
cette dernière tenait lieu aussi d’un plat de résistance. D. Bosco
avait également l’habitude de recommander aux cuisiniers d’é-
viter les mets excitants, et cela, semble-t-il, était fait par amour
de la moralité.
Et D. Bosco préférait les pommes de terre, les navets et
les légumes pourvu qu’ils fussent bien cuits, quoique insipides,
en alléguant comme raison qu’ils convenaient davantage à son
estomac ; et il répétait fréquemment la maxime : — L’homme
doit manger pour vivre et non pas vivre pour manger. De
temps en temps ses jeunes abbés cherchaient à lui faire apporter
quelque plat plus adapté à sa santé délicate ; mais s’il s’aperce-
vait de cette particularité, il se plaignait et priait le Préfet de la
maison de donner à la cuisine des ordres aptes à empêcher le
renouvellement de semblables attentions. Son indifférence au
sujet de la qualité et de l’assaisonnement des aliments était
admirable. Les plus savoureux étaient ceux qui flattaient le
moins son goût. On ne l’entendit jamais se plaindre de la
nourriture. Il advint parfois qu’après lui se servit de soupe un
autre qui, dès le premier instant où il la goûtait, la laissait à
cause d’une saveur qui lui répugnait, mais, lui, sans en faire cas,
l’avait mangée. Parfois on lui apportait des œufs ou d’autres
mets qui commençaient à s’altérer et, lui, s’en nourrissait tran-
quillement sans donner signe de s’en apercevoir. Il avait pris la
résolution de ne jamais dire : Ceci me plaît, ceci ne me plaît
pas. Mais lorsque la soupe était meilleure, soit à cause du
bouillon, soit à cause de l’assaisonnement, bien des fois on le
vit y verser de l’eau de la carafe, avec l’excuse qu’il devait la
refroidir, du fait qu’elle était trop chaude. Même le pain lui
servait pour s’exercer à la mortification et en même temps pour
encourager l’esprit d’économie. Il avait fondé dans la maison une
espèce de compagnie, dite des morceaux de pains, dont les
membres se proposaient de se servir de préférence de tous les

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restes du pain, laissés lors des repas précédents, même par
les autres, avant de rompre un petit pain encore entier. Et
Don Bosco était le premier à en donner l’exemple.
D’autre part il mangeait en quantité si frugale que nous
étions, nous autres, étonnés [de voir] comment il pouvait résister
à tant de fatigues. Sa nourriture suffisait simplement à le mainte-
nir en vie. Interrogé sur la raison pour laquelle il s’astreignait à
tant de privations, il répondit avec humilité à celui qui écrit ces
mémoires [biographiques] : — Avec tant d’affaires que j’ai à ré-
gler, à cause du grand travail continuel de mon esprit, si je
n’avais pas agi ainsi, mes jours se seraient vite arrêtés. — Et ce
fut sa coutume pendant tout le temps de sa vie. Même plusieurs
fois il s’astreignait à des abstinences extraordinaires. « Parfois,
nous répétait Buzzetti Joseph, observateur attentif de toutes les
plus petites actions de D. Bosco, si pour déjeuner ou pour dî-
ner, alors qu’il ne restait rien de ce qui avait été préparé en
cuisine, arrivait à l’improviste de l’extérieur un ami, il se privait
lui-même du plat principal pour le donner tout entier à l’hôte.
Mais il savait le faire avec tant de grâce et une telle rectitude
dans les prétextes que le commensal ne s’apercevait pas de son
artifice ».
Egalement dans le boire il fut un modèle de tempérance.
Le peu de vin qu’il buvait, [c’était] propter stomachum [à cause
de l’estomac], comme dit S[aint] Paul, mais tellement étendu qu’il
perdait presque sa nature. Jusqu’en 1858, au moins, sa cave était
en partie approvisionnée par la Mairie, qui envoyait à l’Oratoire,
presque chaque semaine, une quantité d’échantillons, de spécimens,
de fonds de tonneaux qui restaient sur le marché du vin, le blanc étant
mélangé avec le rouge, le doux avec le fort et parfois le sain avec le
tourné. Et il se servait de ce dernier, bien qu’il fût originaire d’un pays
où l’on fait un vin excellent. Souvent il oubliait de boire, absorbé qu’il
était en bien d’autres pensées, et il revenait aux voisins de table de le
lui verser dans le verre. Et alors, si le vin était bon, il cherchait
aussitôt l’eau pour le rendre meilleur, disait-il. Et il ajoutait en sou-

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riant : — J’ai renoncé au monde et au démon, mais pas aux
pompes : — en faisant allusion à celles qui extraient l’eau des
puits. A chaque repas il buvait un seul verre.
Mgr Jean Bertagna, qui connaissait bien la vie intime de
D. Bosco, affirma un jour à son sujet : « Pour la tempérance il
fut un exemple rare : dans sa maison jamais il ne rechercha le
raffinement ; au contraire il semble qu’il aurait pu se permettre
pour lui et pour les autres une certaine qualité, bien meilleure ».
Mais D. Bosco avait un idéal de perfection qui lui était
personnel. Vers 1860, ayant dû améliorer la nourriture en raison
des besoins de ceux qui habitaient avec lui, il mangeait sans
difficulté ce qui était mis devant lui. Toutefois souvent nous
l’entendîmes s’écrier : — J’espérais que dans ma maison tous se
seraient contentés seulement de soupe et de pain et au plus d’un
plat de légumes. Je vois cependant que je me suis trompé. Mon
idéal était une Congrégation [qui fût un] modèle de frugalité et
[j’imaginais] que j’aurais laissé telle à ma mort celle que je pen-
sais fonder. Mais à présent je me suis persuadé que mon idée
n’était pas réalisable. Mille causes me poussèrent peu à peu à
suivre l’exemple de tous les autres Ordres religieux. Soupe, deux
plats, et fruits. La Sacrée Congrégation elle-même n’aurait pas
approuvé les règles, si j’avais été trop rigoureux en limitant la
qualité des aliments ; et pourtant maintenant encore il me semble
que l’on pourrait vivre comme je vivais, moi, dans les premiers
temps de l’Oratoire.
Néanmoins, chose incroyable ! dans les premiers lustres de
l’Oratoire, raconte D. Turchi Jean, à Turin il se disait dans la
bouche de quelques-uns que D. Bosco se montrait pauvre en
paroles, mais que chez lui il menait plutôt un train cossu. Bien
plus il y eut quelqu’un qui osa dire, non sans un peu de mé-
chanceté : D. Bosco fait rester ses jeunes en mauvaise santé
et, en attendant, lui sait se maintenir en bon état.
Il y eut donc des personnes qui voulurent connaître les
déploiements de luxe de Don Bosco. L’Abbé Stellardi, accompa-

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193
gné de plusieurs messieurs, avait été invité à déjeuner chez le
Comte d’Agliano et, pendant que l’on causait, la conversation
tomba sur D. Bosco. L’Abbé disait que les repas de Don Bosco
étaient comme ceux qui conviennent à une personne qui brasse
beaucoup d’argent. Parmi les convives, les uns étaient d’accord,
les autres non. Les uns disaient que D. Bosco mangeait très
pauvrement ; les autres au contraire que sa table était très somp-
tueuse. Pour mettre un terme à la question l’Abbé s’offrit pour
aller de façon inattendue surprendre Don Bosco, au moment où
il se mettait à table. Et voici qu’il apparaît un jour à l’Oratoire
un peu avant midi sous le prétexte d’un renseignement à deman-
der ; et, après s’être quelque temps entretenu avec D. Bosco, il
le pria de bien vouloir l’inviter à table en sa compagnie, car ses
affaires ne lui permettaient pas de retourner à Soperga [= Super-
ga ; prononcer Souperga]. Bien volontiers, répondit D. Bosco ;
mais laissez-moi d’abord avertir ma mère de l’honneur que vous
nous faites, car nous n’avons pas pour le moment ce qu’il faut
pour vous recevoir à table comme vous le méritez, ni les plats
comme V[otre] S[eigneurie] en voit porter sur sa table.
Non ; faites-moi ce plaisir ; ne donnez aucun avertissement
à la cuisine. Ce que vous servez d’habitude me suffira.
Après un instant d’insistance de part et d’autre on alla à
table. D. Bosco, s’étant tourné vers maman Marguerite, lui
dit : — Vous voyez, nous avons ici avec nous l’Abbé Stellardi.
— Tu pouvais m’en informer avant ; à présent je n’ai rien de
préparé, dit Marguerite.
— Mais, lui, il ne veut rien d’autre que notre repas, — s’écria
D. Bosco en souriant.
— Oui, oui, ajouta l’Abbé, je me contente de prendre le repas
comme le prend D. Bosco.
— Et donc qu’il en soit ainsi ! donna pour réponse maman Mar-
guerite, qui aussitôt servit à table. La soupe était faite avec du
riz accompagné de châtaignes et de farine de maïs. D. Bosco mangea
du meilleur appétit, mais l’Abbé en goûta une demi-cuillerée et,

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en faisant une grimace dans la direction opposée, ne put l’ava-
ler et dit : Oh ! je mangerai le plat principal.
Comme premier mets fut apporté un morceau de merlu
assaisonné avec une huile tout autre que surfine. D. Bosco
continua à manger ; mais ce monsieur, ayant perçu l’odeur de
cette huile, fit un geste de désagrément et laissa tout. Les jeunes
abbés qui déjeunaient avec lui, et qui plus tard décrivirent cette
scène, retenaient avec peine leur rire. Comme second plat vint
sur la table un peu de cardon bouilli en eau salée, et pour
dessert une tranche de fromage frais. L’Abbé ne put rien
absorber et, après son départ de l’Oratoire, il alla sans tarder
chez la famille d’Agliano en disant : [] De grâce, donnez-moi
à manger car je ne tiens plus debout d’épuisement. — Et il
racontait ce qui était arrivé, tandis que tous riaient savoureu-
sement. Le Comte d’Agliano connaissait D. Bosco et il avait
déjà en attendant plaisanté sur la désillusion prévue de l’Abbé,
habitué à avoir dans sa maison une cuisine somptueuse, avec un
choix d’aliments. Ainsi l’Abbé put se convaincre, et il le
dit plus tard en de nombreux lieux, que le repas de Don Bosco
était tout autre qu’enviable.
Un autre ecclésiastique éminent, dans un but différent,
mais avec la persuasion qu’il y avait quelque chose de vrai dans
ce qu’on disait au sujet de D. Bosco, était venu à l’Oratoire
pour traiter je ne sais quoi. C’était le Chanoine de la Cathédrale
métropolitaine Ronzini César. L’heure du repas de midi étant
venue, D. Bosco l’invita à y prendre part. Le Chanoine s’excusa
tout d’abord, et finit ensuite par accepter. L’ensemble des plats est
comme d’habitude modeste et pauvre : du bouilli et des choux.
Don Bosco cependant, en l’honneur de son invité, avait fait
ajouter un peu de hors-d’œuvre. Le Chanoine apprécia beaucoup
cette gentillesse et, en prenant congé, il dit à son hôte : On
m’avait fait croire qu’à l’Oratoire une bonne table était servie
pour vous ; mais à présent je suis persuadé qu’il en va bien
diversement. Et en le regardant, les yeux pleins de larmes, et

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en lui serrant la main il répéta : Ah ! D. Bosco ! J’en suis
content, très content !
Plus tard, à cause de certains qui souffraient de la poi-
trine, il avait fait mettre quelque morceau de viande en plus,
même pour le dîner. Et cela était nécessaire pour celui qui se
donnait à l’étude ou aux fatigues du ministère sacerdotal, comme
aussi pour accorder son consentement à ceux qui, étant de con-
dition aisée, désiraient faire partie de la famille de l’Oratoire.
Lui-même, il avait également vu comment plusieurs personnes,
des prêtres ou des laïcs, venues habiter avec lui, avaient essayé
de vivre plusieurs mois selon les règlements, mais qu’à la fin,
ne pouvant pas s’adapter à ce style de vie, elles avaient dû se
retirer et s’inscrire auprès d’un autre Ordre religieux.
Mais la soupe et le pain, il les laissa toujours les mê-
mes que ceux servis aux jeunes pensionnaires.
Toutefois, nous l’avons entendu plusieurs fois se plaindre
de cette abondance de viande, comme il disait, car il faisait re-
marquer qu’elle pouvait exciter les passions. Et ce fut dans cette
circonstance que sans le vouloir il fit un aveu tout simple et
franc de son esprit de pénitence, en disant : — qu’il s’était tou-
jours abstenu de manger de la viande, car il avait craint le réveil
hostile de la concupiscence ; et il ajoutait étonné : Peut-être les
autres ne sont-ils pas sensibles, comme je le suis moi, et qu’ils
n’ont pas à s’accrocher aux mêmes précautions !
En effet, généralement, il s’abstenait des viandes ; ou
plutôt il semblait les avoir presque en horreur et, pour autant
qu’il le pouvait, il évitait d’en manger, sous prétexte que ses
dents très gâtées lui faisaient mal et qu’il ne pouvait pas les mâcher.
Mais, détestant toujours la singularité, il acceptait parfois ce qui
lui était offert. Si on lui demandait quelle portion il préférait, il
avait l’habitude de dire : Pour moi la portion de viande la plus
agréable, c’est la plus petite ! Cependant il laissait une partie

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dans le plat et, le peu qu’il mangeait, il ne l’assaisonnait jamais
avec du sel. C’est seulement dans les dernières années de sa vie
qu’il capitula et accepta de s’en servir plus fréquemment, en
vertu des ordres répétés des médecins.
Après le repas de midi, fatigué par les mauvaises
nuits, passées à travailler, ou avec des insomnies, ou avec
des tourments infligés par le diable, comme il le confia à
Mgr Cagliero et à plusieurs de ses intimes, épuisé par de grands
labeurs, vaincu par la fatigue, parfois il faisait un somme
pendant un court moment à table, assis sur la chaise sans appui
et en baissant la tête sur la poitrine. Alors les personnes pré-
sentes, dans le plus grand silence, sortaient du réfectoire sur la
pointe des pieds pour ne pas le réveiller. Mais il ne lui arriva
jamais de prendre à cette heure-là du repos sur son lit, pas
même dans la dernière période de sa vie. C’était pour lui l’heu-
re la plus pesante de la journée, parce qu’il avait l’habitude de
sortir dans Turin, pour rendre visite aux bienfaiteurs, mener à
terme des affaires pressantes et chercher des secours pour son
œuvre. Travaillé par le besoin de dormir, il prenait en sa com-
pagnie un jeune garçon qui connaissait bien la ville, en lui
disant : Conduis-moi dans tel endroit et dans tel autre ; mais,
toi, reste attentif car le sommeil pourrait me vaincre et me faire
trébucher. Et, appuyé de la main sur le bras du jeune, tout
en marchant, il somnolait, comme si ce mouvement et ce mo-
ment d’assoupissement lui suffisaient pour faire disparaître la
fatigue due au fait de n’avoir pas dormi.
Une fois, ayant passé plusieurs nuits blanches et oublié
cette précaution, il se trouva seul sur la petite place [Notre-Dame
de] Consolation, sans même savoir où il était ni où il voulait
aller. Un cordonnier, qui habitait près de là, s’approcha de lui et
lui demanda ce qu’il ressentait, s’il avait mal, ou s’il était de
mauvaise humeur.
Non, lui répondit D. Bosco ; mais j’ai sommeil.
Eh bien, venez donc chez moi ; vous dormirez un peu et
puis vous reprendrez votre route pour vos affaires. Don Bos-

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22.1 Page 211

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197
co accepta, entra dans cette petite échoppe, s’assit à une table de
cordonnier et dormit de deux heures et demie jusqu’à cinq
heures de l’après-midi. Lorsqu’il s’éveilla, il se plaignit auprès
du cordonnier de ce qu’il ne l’avait pas réveillé : Oh, cher
Père, lui répondit ce brave homme ; je vous voyais si épuisé,
vous dormiez si profondément appuyé à ce mur ! Je vous re-
gardais avec dévotion, en pensant aux nombreuses fatigues que
vous aviez dû supporter !
Parfois il lui arriva, en sentant que les forces lui manquaient,
d’entrer dans une boutique, en priant le maître des lieux de le laisser
reposer un instant. Si le boutiquier était l’une de ses connaissances,
aussitôt bien volontiers il lui présentait une chaise, car il était au
courant. Si le boutiquier n’était pas une connaissance, D. Bosco,
interrompant les habituelles offres de marchandise, lui disait dans
un geste de confidence : Faites-moi le plaisir de me permettre de
m’arrêter ici ; de me donner une chaise pour que je puisse me reposer
un peu. Et le patron [de répondre] : Oui, oui ; faites donc
à votre aise. — A peine assis, D. Bosco s’endormait. Entre-temps
allaient et venaient les clients étonnés de voir un prêtre dormir
en cet endroit. Quelques minutes cependant suffisaient pour le
remettre en forme et, lorsque prenant congé il remerciait, [le
patron reprenait] : Excusez-moi : qui êtesvous ?
Je suis D. Bosco !
Mais pourquoi ne pas me le dire ? Voulez-vous une tasse de café,
un peu de vin ? Et ces braves boutiquiers étaient ensuite
contents de pouvoir raconter cette petite aventure.
Jamais il ne buvait quelque chose et ne touchait à la
moindre miette, quelle qu’elle fût, en dehors de l’heure des
repas, excepté dans les dernières années de sa vie, au cours
desquelles, en raison de sa grande difficulté à digérer, il prenait
sur ordre du médecin un peu de vermouth, avant d’aller à
table ; mais non acheté, car au contraire reçu en cadeau de la
charitable famille du Théol[ogien] Carpano ; mais si on ne le lui
présentait pas, il ne le demandait pas. De même aussi il se
permettait à cette époque-là un peu de camomille, lorsqu’on lui

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198
en offrait, tandis qu’il vaquait pendant de nombreuses heu-
res aux confessions. Durant la journée, quoiqu’il fût fatigué et
épuisé par les audiences, avec parfois la gorge sèche à
cause de la soif, étant sujet à une grande inflammation dans la
bouche, il ne demandait même pas d’eau, et lorsque quelquefois
son secrétaire, D. Berto, lui en apportait par compassion, en
l’importunant pour qu’il bût au moins pour lui faire plaisir, il en
prenait seulement quelques gouttes sous prétexte qu’elles le fai-
saient transpirer. Bisio Jean racontait qu’il ne l’avait jamais vu
boire un rafraîchissement et que, lui ayant présenté un jour au
moment des grandes chaleurs de l’été une boisson avec de la
glace en morceaux et du citron, il la refusa gracieusement en
disant : Prends-la toi ! Il ne voulut jamais dans sa cham-
bre de vins, de sirops [de fruits], de liqueurs ; et si on lui en
faisait cadeau, il les envoyait à la réserve commune ou à
l’infirmerie pour les malades, ou il les faisait ranger pour les
donner à son tour aux bienfaiteurs. De temps en temps il
recommandait à ses jeunes élèves, à ses jeunes abbés et à ses
prêtres de ne pas garder près d’eux ces gourmandises souvent
dangereuses ; et il ne se fatiguait pas de répéter une semblable
recommandation, et punissait même ceux qui la transgressaient.
Lorsque dans les maisons qui lui accordaient l’hospitalité lui était
offert du vin, il s’y dérobait gentiment, ou sous le prétexte qu’il
pouvait lui causer un mal de tête ou avec d’autres excuses.
Il voulait qu’on supprimât les goûters avec vin, fruits et
autres produits alimentaires, en disant que venter pinguis non
gignit mentem tenuem [un ventre gras n’engendre pas d’esprit
fin]. Il ne fit jamais de collation entre le repas de midi et le
dîner ni dans sa propre maison, ni dans celle d’autrui, ni même
lorsque invité, soit seul, soit en compagnie de ses jeunes, il s’y
rendait. Dans de telles circonstances, s’il était seul, et que l’invi-
tation était un cas extraordinaire, il se contentait de s’entretenir
en d’utiles conversations avec les personnes de la maison. Si ses
jeunes l’accompagnaient, il n’avait qu’un soin empressé, celui
qu’ils fussent servis autant qu’ils voulaient et que le voulait la
personne qui invitait, en respectant les convenances ; mais, lui, il
ne goûtait rien, en alléguant comme raison qu’il avait à faire

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199
pour eux. Tout au plus il se limitait à quelques gouttes de vin
étendu pour consentir en quelque sorte aux amabilités d’autrui.
« En tant d’années que je vécus avec lui, dit Don Rua, je me
souviens de l’avoir vu une seule fois en dehors du repas avec
quelques grappes de raisin en période de vendanges, et même
alors [c’était] plutôt afin de donner du courage à ses jeunes qu’il
avait conduits exprès à la campagne pendant quelques jours de
vacances ».
Il ne parlait jamais d’aliments ni de boissons et, par
l’exemple et par le conseil, il détournait aussi les jeunes de
conversations et de désirs semblables. Il prenait part avec un
égal appétit aux grands banquets, auxquels il était obligé de
participer, comme aux simples repas de l’Oratoire. Tous voyaient
qu’il mangeait par nécessité. En lui n’apparaissait pas l’ombre
d’un manque de mortification et il évitait le trop grand em-
pressement. Celui qui s’assit à table à ses côtés pendant de
nombreuses années peut attester que, lorsqu’il prenait de la
nourriture, il était comme distrait, toujours occupé à d’autres
choses, ne faisant pas la distinction entre nourriture et nourriture.
Il arriva ceci : on lui demandait lors du repas s’il avait déjà
mangé du second plat, ou seulement du premier ; comme aussi,
alors qu’il venait tout juste de se lever de table, pour une
circonstance particulière on causait de ce qui avait été servi à
table : mais il ne savait pas le dire. Il s’était habitué à modérer
le sens du goût, jusqu’au point d’en perdre presque l’excitation.
En effet, alors qu’il prêchait dans une paroisse de cam-
pagne la retraite [spirituelle], vers la fin de cette dernière, étant
un soir sorti du confessionnal à une heure avancée, il rentra au
presbytère lorsque tous, et même le curé, étaient déjà au repos.
Comme il en ressentait le besoin, il alla à la cuisine pour
prendre un peu de dîner. A la clarté d’un lumignon qui se
trouvait là allumé, il chercha à voir si on lui avait gardé une
assiette de soupe, et il vit une petite casserole dans le fourneau
sur la cendre chaude. Croyant qu’elle contenait la soupe,
l’ayant prise et ayant trouvé une cuillère, il mangea tranquil-
lement ce qu’il croyait être une petite polenta de semoule. Mais

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200
quelle ne fut pas le lendemain la stupeur de la cuisinière,
lorsque, cherchant l’amidon qu’elle avait préparé pour empeser le
linge, elle ne le trouva plus ! La brave femme ne finissait
pas de s’en plaindre. Cependant le curé, s’étant douté de quelque
chose, interrogea D. Bosco et à son grand étonnement personnel
il apprit que [D. Bosco] avait mangé de l’amidon sans s‘en
apercevoir. De l’affaire, [le curé] faisait souvent un sujet de con-
versation, en décrivant à ses amis la mortification admirable du
serviteur de Dieu.
D. Bosco était si loin de donner satisfaction à son pa-
lais qu’à la ressemblance des saints il paraissait éprouver une
espèce de répugnance chaque fois qu’il devait se mettre à table.
A plusieurs reprises il eut le geste de quelqu’un qui s’indigne
d’avoir à se plier à une telle nécessité, et il disait : Quelle
bassesse pour l’homme de devoir tous les jours se nourrir
d’aliments matériels. — Et il avait l’habitude de répéter fré-
quemment : De deux choses je désirerais me passer : dormir
et manger. — Il avait souvent besoin que quelqu’un l’avertît de
l’heure du repas, car autrement il l’oubliait.
Et bien souvent lui échappait même l’idée d’avoir ou
non déjà déjeuné. Parfois il sortait en ville le matin et, rentré
vers deux heures de l’après-midi, il se mettait à son bureau.
Marguerite, croyant qu’il avait été reçu à table chez quelque
bienfaiteur, avait déjà rangé ce qu’elle avait préparé, débar-
rassé la table et éteint le feu. Vers quatre heures, ne soutenant
plus l’activité de son esprit, tandis que sa vue se troublait
et que les forces lui manquaient, D. Bosco posait la plume en
pensant : Mais pourquoi la tête me tourne-t-elle ? Serait-ce
que je ne vais pas bien ? Et il se promenait pour se déten-
dre. Toutefois, ne pouvant plus tenir debout, il appelait sa mère.
De quoi as-tu besoin ? lui disait Marguerite en apparais-
sant à la porte.
Je me sens faible ; la tête me tourne ; je me sens un peu
mal.
Et où as-tu déjeuné aujourd’hui ?

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201
Curieuse demande ! A la maison ! Avez-vous oublié ?
Oh ! à la maison, sûrement pas ; je peux t’en assurer, moi.
Donc ?
— Donc tu n’as pas déjeuné ; à midi tu n’étais pas à la mai-
son et jusqu’à 2 heures j’ai tenu la soupe au chaud. Je croyais
que tu avais pris ton déjeuner ailleurs.
Alors je comprends pourquoi je suis si affaibli. Et en
riant maman Marguerite allait mettre la casserole sur le feu.
D. Reviglio racontait ceci : étant déjà curé à Turin, il
entrait un jour à l’Oratoire tandis que D. Bosco déjeunait tout
seul vers cinq heures de l’après-midi, après avoir travaillé de
nombreuses heures à son bureau. Il avait devant lui une assiette
en étain, mangeait des haricots mal assaisonnés, et rien d’autre,
et toute sa nourriture se réduisait à si peu que lui, Reviglio, en
ressentit un serrement de cœur.
Au repas du soir il avait l’habitude de prendre quelque
chose de moins qu’au repas de midi, en enseignant par l’exem-
ple tout ce qu’il recommandait également à ses jeunes, à savoir
de maintenir léger l’estomac le soir. Souvent, il lui arrivait de
dîner très tard, surtout le samedi, la veille des fêtes et à l’occa-
sion de la récollection. Tant que vécut sa mère, la nourriture au
moins était chaude, et quelques rares fois légèrement plus sub-
stantielle qu’à l’habitude. — Une fois, racontait le Théol[ogien]
Savio Ascagne, Marguerite, voyant son fils épuisé, lui prépara une
soupe avec un jaune d’œuf dedans. Mais, lui, voyant que, moi
aussi, j’étais très fatigué, la partagea avec moi. — La maman
disparue, le cuisinier, pas toujours prévoyant, mettait de côté
pour lui une soupe cuite depuis environ quatre heures, et Don
Bosco se contentait de celle-là, devenue de la bouillie et parfois
trop salée. Le plat de légumes frits, de cardes bouillies, non seule-
ment n’était pas appétissant, mais tel qu’on devait le repousser.
Nous nous rappelons encore comment, toujours content et sans

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chercher autre chose, il brisait la croûte de ces pâtes ou de ce
riz qui s’était formée à la chaleur du four ; quelquefois il com-
mençait à pêcher sous cette écorce et ensuite il mangeait celle-ci
bien que froide et dure sans donner le moindre signe de dégoût.
Dans le même temps il parlait de choses utiles, totalement étran-
gères au dîner, avec quelques-uns des siens, jeunes abbés et prêtres,
qui l’avaient attendu pour lui tenir compagnie à cette heure avancée :
il ne pensait même plus au travail qu’il avait fourni ; eux le
voyaient alors si exténué. Ils auraient désiré lui faire préparer
quelque chose de meilleur, mais, lui, il ne voulait pas de pré-
férences, le cuisinier sur son ordre était allé dormir, et le feu
dans la cuisine était éteint. Si quelqu’un lui proposait de faire
cuire un œuf, il répondait immanquablement : La soupe des
jeunes me suffit, ainsi que cette nourriture ; ou bien : Si
ce plat de résistance a suffi pour les autres, pourquoi ne doit-il
pas suffire pour D. Bosco ? — Et il refusait n’importe quoi
d’autre, malgré les longues heures de confessionnal, la Messe et
le sermon qui le lendemain l’empêcheraient de prendre de quoi
se réconforter avant 11 heures ou midi.
Le soir, il était le dernier à se retirer dans sa chambre,
visitant d’abord les dortoirs, s’arrêtant à donner quelque mesure
pour la bonne marche de la maison ou tenant une réunion aux
jeunes abbés. Alors qu’il restait seul, la pensée de Dieu l’empor-
tait souvent dans un moment d’exaltation, en le laissant comme
stupéfait. Il nous racontait : Dans les années 1850-51-52, après
avoir toute la journée du samedi travaillé et confessé et être resté à
raconter des choses drôles, après le dîner, aux jeunes qui ser-
vaient au réfectoire ou, après les prières, aux jeunes abbés, je
montais vers 11 heures dans ma chambre. Parvenu sur le balcon, je
m’arrêtais à contempler les espaces infinis du firmament, je m’orien-
tais au moyen de la grande ourse, je fixais le regard sur la lune, puis
sur les planètes, puis sur les étoiles ; je pensais, je contemplais la

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beauté, la grandeur, la multitude des astres, l’éloignement immense
entre eux, la distance par rapport à moi ; et, en m’enfonçant
dans ces pensées, je montais jusqu’aux nébuleuses et au-delà
encore ; et, en réfléchissant au fait que la dernière étoile de la
dernière nébuleuse ainsi que chacune de celles qui par millions
forment ce groupe pouvaient être comme un centre d’où l’on
pouvait jouir d’un spectacle semblable à celui dont on jouit à
partir de la terre, quelle que soit la région, quel que soit le
point à partir desquels le regard se dirige à la ronde dans une
nuit sereine, j’étais tellement pris par cela que me venaient les
vertiges. L’univers m’apparaissait une œuvre si grande, si divine,
que je ne pouvais pas tenir devant un tel spectacle, et mon
unique moyen d’en sortir était de courir vite dans ma cham-
bre… — Tous les jeunes à ce moment-là restaient surpris,
retenant leur souffle, attendant ce que dirait encore D. Bosco ; et
lui, ayant fait une courte pause, reprenait : — … et je courais
me fourrer dans les draps. Les jeunes riaient devant cette
sortie et D. Bosco concluait : — C’est seulement là, dessous,
dans ce trou, qu’il me semblait n’être pas si petit et méprisable.
D. Bosco, devant de telles merveilles sidérales, était si
impressionné que souvent il entrait en conversation avec ses
amis à propos de l’énorme distance des astres les plus proches
de nous et ensuite des plus éloignés de la terre et encore
visibles, ainsi que de leur immense volume. Et il se plaisait à
calculer les dix millions d’années qu’il faudrait, à la vitesse de
la lumière de 300 000 kilomètres par seconde, pour arriver à
certaines étoiles. — Notre esprit s’y perd, s’écriait-il, et ne peut
s’en faire une idée, si faible soit-elle. Comme est merveil-
leuse la toute-puissance de Dieu !
Avec ces pensées sublimes il entrait dans sa chambre ;
mais il ne prenait pas de repos, sauf si la fatigue l’y obligeait.
Parfois, habillé comme il était et, sans s’en apercevoir, il se je-
tait sur le lit et restait ainsi à dormir jusqu’au matin. Mais
souvent il était tourmenté par l’insomnie et pendant ces quelques

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204
heures où il restait au lit en priant, il rêvait au sujet de ses
projets et sur les manières de les réaliser. Mais son compor-
tement était le même la nuit que le jour. Celui qui dormait dans
la pièce voisine, en entendant un cri et en craignant que D. Bosco
n’eût mal, entra à plusieurs reprises dans sa chambre à l’impro-
viste et sur la pointe des pieds. Et il vit qu’il était couché sur
le lit, assoupi, sur le dos, la tête un peu redressée, les mains
jointes sur la poitrine, dans une attitude si correcte qu’il sem-
blait être un de ces corps de saints que l’on conserve sur les
autels à la vénération des fidèles à l’intérieur de leurs châsses de
cristal. Nous-mêmes, ainsi que beaucoup d’autres, nous pouvons
en rendre témoignage.
—————

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CHAPITRE XIX
Comment D. Bosco refrénait rigoureusement tous ses sens Mor-
tification pour parler, pour écouter, pour travailler Magnifique
éloge de Don Bosco écrit par Mgr Cagliero Pénitences
extraordinaires et secrètes de D. Bosco Il ne les permet pas
à ses élèves Ses douloureuses et continuelles maladies.
Le comportement de D. Bosco révélait sans cesse sa
grande modestie et [sa grande] mortification. On le voyait se
tenant très droit, même lorsqu’il était à genoux. Assis, il ne po-
sait jamais une jambe à cheval sur l’autre ; il n’appuyait jamais
le dos contre le dossier de la chaise ou du sofa ; s’il n’écrivait
pas, il tenait les mains jointes sur la poitrine, avec les doigts
croisés. On ne le vit jamais rechercher une position plus com-
mode ou se coucher sur un sofa, sauf s’il y était obligé par un
grave malaise. Lorsqu’il s’asseyait, son comportement était si digne
qu’il imposait le respect. Il fut approché par surprise de très nom-
breuses fois, de jour comme de nuit ; il fut même épié par la
fente de la porte tandis qu’il travaillait tout seul, ou qu’il médi-
tait ; et on dut toujours admirer sa modestie, qui n’aurait pu être
plus grande. Tout à fait semblable était son aspect lorsqu’il se
tenait debout ou qu’il se promenait. Il ne s’appuyait jamais au
bras d’un autre, également dans son âge plus avancé, sauf les
fois où, les forces lui manquant, il menaçait de tomber. Et il se
soutenait ainsi, mais seulement pendant de courts instants. Une

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206
seule fois en de nombreuses années, après avoir refusé le bras
qui lui était offert par quelqu’un qui le voyait traîner pénible-
ment les pieds, il le demanda et s’y appuya, car autrement il se
serait écroulé sur le pavé de la rue. Mais tant qu’il put, les bras
croisés derrière le dos, il se tenait en équilibre par lui-même.
Ses gestes dont nous parlons étaient inspirés par la vertu
de tempérance : en sont une preuve les recommandations [qu’il
adressait] à ses jeunes de ne pas négliger les petites mortifica-
tions occasionnées par le fait de garder une attitude correcte et
modeste en priant, en étant assis, en étudiant, en se promenant,
et [inspirés aussi] par sa ferme résolution, pratiquée pendant toute
sa vie et jamais transgressée, de ne pas accorder d’apaisement à
ses sens.
Il confessait les jeunes en étant assis sur une simple
chaise à haut dossier, mal à l’aise, toujours sans appui et les
bras en l’air pour tenir son visage et celui de son pénitent à
l’abri de son mouchoir blanc. L’hiver, il supportait ces longues
heures dans l’atmosphère glacée de l’emplacement réservé à la
chorale ou de la sacristie et, l’été, l’exhalaison de tant de jeunes
qui l’entouraient l’empêchait presque de respirer. Comme s’ajou-
tait à la multitude des internes celle des externes, il n’est pas
étonnant [d’apprendre] qu’il était tourmenté par certains insectes
qui abondaient. Mais il les supportait avec indifférence, sans faire
apparaître qu’il éprouvait des désagréments.
Lorsque plus tard il allait sur la Riviera, étant au con-
fessionnal, il était piqué par les moustiques à la figure et aux
mains et, tandis que les pénitents s’en libéraient avec leur
mouchoir, D. Bosco les laissait mordre autant qu’ils le vou-
laient ; et ensuite, en descendant pour le dîner et en apercevant
ses mains couvertes de piqûres, il disait en plaisantant aux
Supérieurs de la maison : Voyez comme les moustiques
aiment bien D. Bosco ! — C’est pour cette raison qu’un matin
il sortit de sa chambre le visage tout gonflé et taché de sang.
Tous ceux qui le rencontraient le plaignaient ; mais cette figure
était toujours hilare.

23 Pages 221-230

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207
Pour sa part il était très patient pour supporter les désa-
gréments des saisons, et il exhortait ses fils à les accepter des
mains de Dieu comme une source de mérites. Un froid intense
sur les pieds le faisait souffrir, et, cependant, il ne voulut jamais
se servir de la chaufferette.
Tout le monde remarquait constamment sa mortification
dans le parler. Toujours modéré, il causait avec calme, lentement
et avec une douce gravité. Il évitait toute parole inutile ; il avait
horreur des conversations profanes, des manières [de parler] trop
vives, des expressions marquant de l’emportement et de l’exci-
tation. Il parlait peu, attribuant de l’importance à chaque parole,
qui ne tombait jamais en vain, parce qu’elle instruisait toujours
et édifiait. Si parfois il disait quelque chose d’amusant ou de
subtil, pour réconforter lui-même ou les autres, il se le permet-
tait avec beaucoup de parcimonie et toujours en y mêlant
quelque pensée tout à fait empreinte de spiritualité. Il refrénait sa
langue, qui ne descendait jamais jusqu’à la causticité, à l’ironie
ni à des plaisanteries plus ou moins déplacées dans la bouche
d’un prêtre. Il ne pouvait supporter les offenses à la charité, et
l’une de ses recommandations les plus répétées était justement
celle de fuir n’importe quelle grossièreté dans les gestes et dans
le langage. Il ne permettait pas que l’on dît des médisances, et
sans laisser les interlocuteurs s’en apercevoir, il détournait adroi-
tement la conversation sur d’autres sujets. Il causait même
longtemps lorsqu’il s’agissait de respecter les convenances ; mais
s’il n’y avait pas de nécessité particulière il savait garder le
silence, surtout pour vaquer à ses occupations.
Il montrait une très grande capacité à se modérer à
l’égard des personnes qui par malveillance, ou par erreur, le con-
trariaient ou le traitaient injustement. Dans ces cas-là, plus les
expressions de l’adversaire étaient aigres et insolentes, plus
celles de D. Bosco étaient douces et bienveillantes. « Je me
rappelle, déclare Mgr Cagliero qu’un tel, venu lui parler dans
l’escalier avec des façons de faire exprimant la colère et des
paroles malséantes, ayant été vaincu par ses réponses affables et
par ses manières aimables, se calma et lui en demanda pardon

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208
pardon alors même que nous, les jeunes, étions présents ». Par-
fois, ne pouvant persuader celui qui s’opposait à lui, il gardait
totalement le silence.
Cette capacité à se modérer l’animait également lorsqu’il
recevait des lettres injurieuses. Il avait l’habitude de ne pas
répondre ou plus ordinairement encore de répondre avec douceur.
Que de fois il retourna des bienfaits en échange d’insultes !
A celui qui ne savait pas demeurer suffisamment calme
pour répondre, il donnait cette consigne : — N’écris pas de
paroles offensives : Scripta manent [Les écrits restent].
Je vous recommande chaudement ceci, disait-il fré-
quemment aux siens ; évitez dans votre langage les manières
aigres et mordantes : sachez vous supporter les uns les autres en
bons frères.
Un prêtre était sur le point de publier un de ses livres
sur l’instruction et sur l’éducation et il lui demandait des règles
et des conseils. Je te recommande, lui répondit-il, une
chose en particulier : n’offense pas la charité. — Et sa capacité
à se modérer est reflétée par ses écrits, où tout est calme et
limpide sans une ombre d’acrimonie.
Il refrénait l’appétit naturel de voir et de connaître des
choses qui ne le concernaient pas. Bien qu’il eût un goût raffiné
pour juger des œuvres d’art, il ne se laissait pas séduire par la
curiosité de visiter des monuments, des palais, des pinacothè-
ques, des musées. En quelque endroit où il se trouvait, le plus
souvent il avait les yeux tournés vers le sol, de sorte qu’il
n’apercevait pas les personnes, même lorsqu’elles le saluaient.
C’était pour lui une mortification très pénible que de renoncer à
la lecture de livres qui excitaient son désir pour les sciences, la
littérature ou l’histoire. Cependant, pour vaquer aux œuvres de
charité que la Divine Providence lui avait confiées, il s’en abste-
nait presque toujours, à moins que [ces matières] ne lui fussent
nécessaires. Rarement il lisait ou se faisait lire des journaux, et
seulement dans les occasions où ils donnaient des informations

23.3 Page 223

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209
[qui portaient] sur quelques faits glorieux ou douloureux pour l’Eglise
Catholique, ou qui regardaient directement ses propres Institu-
tions. Mais il demandait de temps en temps que quelqu’un lui
rapportât les nouvelles principales du jour, en particulier dans les
moments des plus grandes agitations politiques, afin de donner à
d’autres une orientation pour juger certains faits publics et pour
ne pas en être tout à fait ignorant lors des conversations aux-
quelles par sa situation il devait se trouver mêlé. Toutefois on
voyait ouvertement qu’il n’avait pas beaucoup le désir de savoir.
Il n’admettait pas d’autre part un journal qui ne fût pas sincè-
rement catholique ; et il recommandait, en insistant, à ses élèves
de se garder de la vaine curiosité de lire des livres ou des jour-
naux qui ne seraient pas utiles à leur propre situation.
Il ne faisait pas usage de tabac à priser, bien qu’il en
eût besoin en raison de son mal d’yeux et en raison de son
continuel mal de tête ; des maux causés par le sang qui montait
à la tête à la suite de ses occupations assidues et pesantes. Le
médecin lui ayant conseillé d’en prendre, il en conservait un peu
dans une boîte microscopique de carton-pâte qui lui avait été
offerte par des amis et dans laquelle entraient avec difficulté
deux doigts ; mais, ou bien il oubliait de l’ouvrir, ou bien il en
prenait rarement quelques grains. Le plus souvent, il se conten-
tait de l’approcher du nez pour en sentir l’odeur et se réveiller,
en provoquant l’éternuement. Il s’en servait au cours des conver-
sations et lors des voyages pour se faire des amis, comme il
disait, en en proposant, lorsque c’était indiqué par les convenan-
ces, à des compagnons de voyage et en s’ouvrant ainsi la route
pour entamer la conversation ; spécialement pour dire quelque
bonne parole à certains qui avaient peu de religion. C’est pour-
quoi parfois la boîte lui servit d’appât pour pêcher des âmes
pour Dieu. Quelques très rares fois il en offrait à l’un de ses
jeunes, auquel il disait : Prends ; cela chasse toutes les mau-
vaises pensées. Et la consommation de ce tabac était si peu
élevée que le Théologien Pechenino, qui le lui fournissait, lui
remplissait cette tabatière une seule fois par an. Par ailleurs si
quelqu’un d’autre lui en offrait, il se livrait à une plaisanterie :

23.4 Page 224

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210
il y plongeait le petit doigt, et il aspirait sur le pouce. Et dans
le même temps il recommandait à ses élèves de ne pas utiliser
de tabac [à priser] sans la prescription du médecin et il interdi-
sait à tous de façon absolue l’usage du [tabac pour] fumer, jusqu’à
mettre cette habitude au rang des empêchements pour être reçu à
l’Oratoire et dans la Congrégation.
Il ne humait jamais l’odeur des fleurs. Si un garçon lui
en offrait une, il l’acceptait et l’appréciait ; et en souriant il
l’approchait de son nez en contractant les narines et en souf-
flant dessus au lieu d’en aspirer l’odeur suave ; ensuite il
s’écriait : [] Oh quelle odeur précieuse, quel agréable parfum a
cette belle fleur ! Il faisait le même geste en recevant en
cadeau, de la part de personnes bienveillantes, un bouquet de
fleurs, pour faire plaisir à qui le lui avait offert ; et il l’envoyait
aussitôt dans l’église à l’autel de Notre-Dame.
Aimant la propreté, pour se laver il n’employait pas les
savonnettes, et il avait l’habitude de recommander aux jeunes
abbés, aux prêtres et aux coadjuteurs de ne pas utiliser de par-
fums, seulement bons pour la vanité.
De même aussi il ne prenait pas de bains, pas même au
plus chaud de l’été, et rarement il ne s’y résigna que sur l’ordre
des médecins. Il se privait des promenades de simple détente,
alors qu’elles lui étaient recommandées tous les jours pour le
grand avantage qu’en aurait retiré sa santé peu solide. Mais
fidèle aux résolutions prises au moment de son ordination sacer-
dotale, s’il sortait de la maison, c’était pour rendre visite à un
malade, pour se rendre à quelque hôpital, pour trouver des
secours pour ses fils. Ou bien il sortait pour chercher une
cachette dans laquelle il donnerait suite à son courrier et à la
composition des œuvres qu’il publiait ; résultat que difficilement
il aurait pu obtenir à l’Oratoire, assiégé comme il était par les
audiences. Et pour sortir il se faisait accompagner par l’un de
ses coadjuteurs ou l’un de ses jeunes, en causant de choses
utiles ou instructives.
Au cours des voyages, son esprit ne restait jamais au repos :

23.5 Page 225

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211
il corrigeait les épreuves d’imprimerie, lisait et annotait les let-
tres pour les réponses, priait, ou méditait.
« Un jour, racontait D. Rua, je devais, pour ma part
l’accompagner dans le train de Troffarello [= Trofarello] à Villa-
stellone. Tandis que nous nous approchions de la gare, le sifflet
de la [locomotive à] vapeur nous avertit de son départ. D. Bosco,
sans se troubler le moins du monde, tira de sa poche un gros
cahier, se mit en chemin à pied et, le crayon à la main, n’ôta
plus les yeux de ces feuilles jusqu’à l’arrivée à Villastellone.
Lorsque nous fûmes parvenus en ce lieu, il me dit : — C’est
bien vrai qu’à quelque chose malheur est bon ; si nous avions
rejoint le train, je n’aurais pas pu corriger tout ce petit ouvrage.
Ainsi j’ai réussi à le finir et aujourd’hui même je pourrai l’en-
voyer à l’imprimerie. — Il avait toujours l’habitude d’agir ainsi
dans ses voyages ; et lorsque sa vue ne le lui permit plus, il
engageait plus fréquemment des conversations édifiantes [»].
On aurait dit [que constituaient] un réconfort [pour lui] une
sortie à la campagne au cours de laquelle il accompagnait ses
jeunes, ou bien les promenades qu’il faisait avec eux dans les
premières années de l’Oratoire sur les collines qui environnent
Castelnuovo. Mais si pour les autres elles apportaient un soula-
gement, pour lui elles devenaient une source de préoccupations
sérieuses, de fatigues et de grands soucis, car il devait penser à
tout et à tous. Mais elles aboutissaient à ce qui était recherché :
une véritable mission tant en faveur des élèves qu’en faveur des
villages au milieu desquels il passait.
Il se priva toujours de toutes sortes de divertissements, et ne
prit jamais part à des fêtes publiques de pure récréation, à des
spectacles, même honnêtes, à des revues militaires, à des illu-
minations, à des entrées en ville de princes, bien que plusieurs
fois il fût invité et sollicité pour participer. Pratiquant au plus
haut point comme il le faisait la mortification des yeux, tandis
qu’il permettait les feux d’artifice pour divertir les jeunes, lui,
s’il était dans la cour de récréation, n’y prêtait pas attention, s’il
était dans sa chambre, il ne sortait pas sur le balcon. Si on le

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212
priait de venir y assister, il s’excusait en disant que ses yeux ne
supportaient pas ces jets de lumière trop vive, et qu’ils lui
faisaient mal. Nous nous rappelons qu’un soir au cours duquel
tout l’intérieur de l’Oratoire était artistiquement illuminé, il resta
pendant plus d’une heure près de la fenêtre afin de permettre
aux jeunes de le voir, mais en tournant toujours le dos et le
côté par rapport à la zone où les petites flammes étaient plus
entremêlées et variées. Quelquefois au cours de l’année il parti-
cipait aux représentations dramatiques de l’Oratoire, mais, lui, il
s’y résolvait pour instruire et égayer ses jeunes, pour leur don-
ner un motif de contentement, pour les encourager à l’étude,
pour leur démontrer que la piété n’est pas ennemie de l’allégresse
honnête, pour tenir compagnie et faire honneur aux personnes de
qualité qu’il invitait ; mais il ne s’accordait pas de distraction. Il
félicitait, applaudissait, mais nous remarquions que son regard
tranquille ne fixait pas la scène et les acteurs. Du reste, lorsque
sa présence n’était pas requise, il préférait se retirer dans la
solitude de sa petite chambre.
Le contrôle total sur les passions et la maîtrise de son cœur
étaient admirables, en modérant les sentiments de sympathie, de
sensibilité, comme aussi de colère et d’aversion, de façon à les
soumettre toujours à la droite raison, aux enseignements de la
foi, et à les tourner vers la plus grande gloire de Dieu.
Tous ceux qui le connurent de près durent l’admirer. En effet,
une vie aussi extraordinaire et sérieuse était chez lui si sponta-
née qu’il aurait éprouvé une grande peine à faire autrement.
C’étaient des dispositions qu’il possédait à un degré héroïque.
A présent, une allusion à ses occupations. On ne le vit
jamais un instant oisif. Lorsqu’il parlait de la fatigue et du
travail et qu’il répondait à qui lui demandait comment il pou-
vait supporter sans faiblir, il disait : — Dieu m’a fait la grâce
qu’au lieu d’être pour moi un poids, le travail et la fatigue
fussent pour moi toujours une récréation et un réconfort. Et
en 1885, en raison de l’importance et de la multitude des lettres

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213
qui demandaient une réponse de sa main, il restait enfermé dans
sa chambre du matin au soir pendant plusieurs semaines. On
l’interrogea : Est-il possible que Vous n’en ayez pas eu assez
de cette ennuyeuse occupation, sans sortir pour respirer un peu
d’air plus salubre ? Vois, répondit-il : je le fais avec le plus grand
plaisir du monde. Il n’y a rien qui me plaise plus que cela.
Et c’est ainsi qu’il répondait en diverses circonstances, si on
le plaignait tantôt pour les confessions interminables, tantôt pour les
prédications, pour les loteries, pour les publications, pour ses autres
préoccupations variées : — Il n’y a rien qui me plaise plus que cela.
« Dans la souffrance, écrivit D. Bonetti, il éprouvait une
très grande joie, qui apparaissait même sur son visage, et c’est
pourquoi il ne cessait jamais d’entreprendre, et n’abandonnait
pas un travail si antipathique et si pénible qu’il fût, en faisant
partager l’idée qu’il éprouvait une plus grande peine à le cesser
qu’à le continuer ».
Mgr Cagliero écrivait : « Moi-même et tous mes confrè-
res, nous avons cette conviction : bien qu’avec un soin jaloux
notre cher père cherchât à soustraire aux regards extérieurs ses
mortifications, ses abstinences et ses pénitences, au point que sa
vertu nous semblait ordinaire et partagée avec n’importe quel
prêtre exemplaire, et [bien] qu’il n’effrayât personne, qu’il infusât
au contraire chez autrui le courage et l’espoir de pouvoir l’imiter,
toutefois [il a dû sans cesse] conjuguer sa santé délicate, les désagré-
ments cachés, le détachement des biens de ce monde, la très sévère
pauvreté, spécialement dans les vingt-cinq premières années de son
Oratoire, le manque de nourriture, la privation de distractions, de
réconforts, de divertissements et de tout bien-être, et surtout les
fatigues continuelles de l’esprit et du corps ; nous pouvons affir-
mer en toute vérité que D. Bosco a mené une vie si remplie de
mortification et de pénitence, comme ne le font que les âmes
parvenues à une perfection et à une sainteté des plus hautes. Et
toutes ces mortifications étaient chez lui si faciles et si natu-
relles qu’elles nous donnèrent la conviction que le serviteur de
Dieu a possédé la vertu de tempérance à un degré héroïque ».

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214
Exacte, cette affirmation de Mgr Cagliero, et nous avons
des arguments pour être persuadés que D. Bosco pratiquait
également des pénitences extraordinaires. Nous avons commencé
à les supposer lorsqu’un jour il nous dit que pour obtenir du
Seigneur une grâce très remarquable et nécessaire il avait dû
avoir recours à des moyens proportionnés et qu’il avait atteint
son but. Cependant il ne voulut pas nous dire, malgré notre
prière instante, quels étaient ces moyens. Il ne faut pas garder le
silence sur le fait suivant : alors que sa tenue était si correcte en
chaque geste de sa personne, il levait de temps en temps
légèrement les épaules, comme s’il avait sur les hanches quelque
objet qui lui occasionnait du désagrément ou de la douleur. Un
petit cilice piquant, qui n’eût pas à faire douter de l’usage
auquel il était destiné, il fallait peu d’habileté pour le réaliser ;
et D. Bosco avait un épiderme très délicat. C’est là notre opi-
nion, et nous ne l’avons pas abandonnée pendant plus de trente
années de suite. Charles Gastini, en refaisant le lit [de D. Bosco],
trouva un matin, éparpillés sur le matelas et recouverts par le
drap, quelques morceaux de fer, qui avaient certainement été
oubliés par D. Bosco dans la hâte de se lever pour aller à
l’église. Le jeune ne réfléchit pas plus loin et, ayant mis les
morceaux de fer sur le bureau, il n’en parla pas à Don Bosco.
Le lendemain, il ne vit plus cette ferraille et elle ne parut plus
au cours des divers mois pendant lesquels il continua à remettre
en ordre cette chambre. D. Bosco ne lui en souffla pas mot, et
c’est seulement de nombreuses années après que Gastini réfléchit
sur ces objets bizarres, et il comprit à quel usage ils avaient dû
servir. « Une autre fois, raconte Mgr Cagliero, furent trouvés
dans ce lit quelques cailloux et des morceaux de bois ». D. Bos-
co avait donc trouvé la façon de tourmenter la nuit son corps
déjà éreinté, et de se rendre pénible ce peu de sommeil.
Mais, craignant que quelqu’un n’eût pu découvrir ce
secret, et s’étant mis plus attentivement sur ses gardes, bien
souvent, il refaisait lui-même son lit, balayait et rangeait sa

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215
chambre, et époussetait les pauvres meubles. Joseph Brosio le
surprit un jour dans ce ménage et D. Bosco lui sortit une très
belle leçon de morale au sujet d’une chambre bien ordonnée ;
mais Brosio remarqua également avec surprise que c’était seu-
lement en de semblables circonstances que souvent la porte était
fermée à clef.
Cependant les plus grandes formes d’austérité, il les
réservait, semble-t-il, pour les jours qu’il allait passer auprès de
ses plus intimes bienfaiteurs, chez qui l’étendue des bâtiments et
l’éloignement de la chambre qui lui était attribuée par rapport à
celles de la famille de ses hôtes lui donnaient une plus grande
sécurité contre les investigations indiscrètes. Il acceptait parfois
l’invitation d’une vénérable et noble dame, et il se rendait à sa
maison de vacances, toujours tranquille et toujours jovial. Or une
personne de la famille, à une heure avancée de la nuit, peut-être
en 1879, en traversant la salle dans laquelle donnait la porte de
la chambre où était D. Bosco, entendit à l’intérieur un bruit
sourd, monotone et prolongé comme [s’il s’agissait] de coups. El-
le fit des suppositions, mais n’en parla à personne ; elle se plaça
à son poste d’observation, et constata que ce phénomène se
répétait chaque fois que D. Bosco était hébergé, et elle se
convainquit que D. Bosco, en imitant S[aint] Vincent de Paul,
obtenait du Seigneur de très nombreuses grâces. Ayant quelques
années plus tard confié la chose à quelques autres messieurs ha-
bitués à recevoir D. Bosco, elle apprit qu’eux aussi avaient fait
la même observation, et qu’ils étaient persuadés que le serviteur
de Dieu se donnait la discipline. A [ce dernier] toutefois, par
prudence et amabilité, aucun ne fit à quelque moment mention
de cette découverte. Et avec un soin jaloux il tenait cachées
certaines de ses pénitences, soit par humilité, soit parce que ce
n’était pas l’exemple qu’il voulait laisser aux membres de sa
Congrégation. Ce n’étaient pas les pratiques qu’il avait l’habitude
de recommander, et avec ses pénitents eux-mêmes il n’était que
bonté et compassion.
La même personne déjà mentionnée avait l’habitude de
s’adresser à lui pour le sacrement de la Confession et elle lui

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216
demanda un jour la permission de pouvoir s’infliger quelque
pénitence corporelle, comme avaient fait certains saints dont elle
avait lu la biographie. Cette personne était d’une constitution très
délicate et fragile. D. Bosco n’approuva pas ce qu’elle lui
demandait et comme elle insistait pour connaître le moyen de
recopier en elle les souffrances de Notre Seigneur Jésus Christ, il
répondit : Oh, vois-tu ! Les moyens ne manquent pas. Le
chaud, le froid, les maladies, les choses, les personnes, les évé-
nements… Il y en a des moyens pour vivre mortifié !
Egalement à ses jeunes il interdisait de se livrer à des
formes d’austérité trop rigoureuses, faisant remarquer que le
démon lui-même suggère parfois pour ses fins personnelles de
telles pénitences extraordinaires. Quand l’un de ses élèves ou de
ses pénitents lui demandait la permission de faire des jeûnes
prolongés, ou bien de dormir à même le sol, ou de pratiquer
d’autres mortifications pénibles, il avait l’habitude de les changer
en mortifications des yeux, de la langue, de la volonté et en
exercices de charité. Et, tout au plus, il leur permettait de
délaisser le goûter ou une partie du petit déjeuner. Du reste il
répétait : Mes chers jeunes ! Je vous fais une recomman-
dation : non pas pénitences et disciplines, mais travail, travail,
travail !
Et cette mortification qu’il pratiquait, continue, labo-
rieuse, tranquille, apparaît non seulement héroïque mais presque
surhumaine, si l’on réfléchit au fait qu’il était sujet à des
maladies qui le tourmentèrent tout le temps de sa vie sans lui
accorder de répit, et qu’il supporta avec une force d’âme digne
d’un saint. Dès le commencement de son apostolat, il lui arrivait
de cracher du sang, un mal qui de temps en temps se renou-
velait et en raison duquel les médecins lui avaient prescrit de
faire immanquablement tous les jours une promenade, car autre-
ment sa vie ne durerait pas longtemps. A partir de 1843, il
commença à avoir mal aux yeux avec des brûlures, causées par
les longues veilles et par le fait continuel de lire, d’écrire et de
corriger des publications, et ce mal augmenta lentement jusqu’au
point de lui provoquer l’extinction de l’œil droit.

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217
En 1846, se répandit dans ses jambes une légère tu-
méfaction qui s’accrut beaucoup en 1853, en lui apportant des
douleurs et en s’étendant jusqu’aux pieds ; et elle augmenta sans
cesse d’année en année, si bien que dans les derniers temps il
avait du mal à marcher, et qu’il fut obligé d’utiliser des chaus-
settes élastiques. Comme il était incapable de se déchausser tout
seul, il fallait que quelqu’un lui rendît ce service. Celui qui
prêtait son concours pour ce geste de charité filiale s’étonna [de
voir] comment la chair faisait un pli au-dessus du bord de ses
chaussures, et il ne savait pas comment lui, D. Bosco, pouvait
supporter de rester debout pendant des heures. Ce gonflement
douloureux, D. Bosco avait l’habitude de l’appeler gentiment : sa
croix quotidienne.
Dans le même temps il était bien souvent tourmenté par
de forts maux de tête, de sorte qu’il lui semblait que son crâne
s’était dilaté, comme lui-même, parfois, le manifesta à D. Rua ;
et Don Berto constata un tel soulèvement. Egalement d’atroces dou-
leurs aux dents lui duraient, bien des fois, plusieurs semaines, et
des insomnies persistantes ne lui accordaient pas de repos.
Ajoutez des palpitations de cœur qui lui rendaient dif-
ficile la respiration et il sembla même qu’une de ses côtes avait
cédé sous cette poussée.
Dans les quinze dernières années de sa vie, aux anciennes
maladies s’ajoutèrent de nouvelles. De temps en temps il était visité
par les fièvres miliaires avec de fréquentes éruptions cutanées.
Sur son os du sacrum s’était formée une excroissance de chair
vive, de la grosseur d’une noix : lorsque sur cette [excroissance] il
s’asseyait ou posait dans le lit son corps, il en ressentait une
grande souffrance. De cette torture, il ne parla jamais à quicon-
que, et il ne chercha point à s’en délivrer en la montrant au
médecin qui aurait pu y remédier facilement avec une petite
incision ; mais il ne voulut pas par amour de la modestie chré-
tienne. Ceux qui se tenaient autour de lui depuis des années et
des années s’apercevaient qu’il semblait souffrir en restant assis et,
comme ils l’avaient interrogé, il se contenta de répondre : Je suis

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mieux debout ou en me promenant. Rester assis me cause des
tracas. Et pourtant il continua à utiliser une simple chaise de
bois à haut dossier. Enfin pendant les cinq dernières années,
l’affaiblissement de la colonne vertébrale l’obligea à se courber
sous le poids de ses croix.
Avec tant de désagréments, pour lesquels un autre,
mis dans sa situation, se serait porté malade ou se serait abstenu
de tout travail, il ne ralentit jamais son habituel pas de géant
pour lancer et achever ses merveilleuses entreprises. Alors que
croissaient les difficultés et les maladies, il augmentait son cou-
rage, en disant : — D. Bosco fait ce qu’il peut ! Et il put
tant que les œuvres de son zèle s’étendirent sur toute la terre.
Et tout cela sans jamais se plaindre de ses tribulations,
sans jamais donner signe de la moindre impatience, au point que
toujours de bonne humeur et facétieux, il semblait jouir d’une
excellente santé. Avec son aspect habituellement joyeux et sou-
riant et avec ses conversations agréables et édifiantes il donnait
du courage et de la joie à tous ceux qui s’approchaient de lui,
et il les renvoyait tous consolés.
Bien qu’il considérât la vie comme un don de Dieu et
qu’il aimât vivre longtemps pour travailler à sa plus grande
gloire, il pensait toutefois sans cesse avec plaisir au jour de la
mort qui lui ouvrirait les portes du ciel. En raison de ce désir
qu’il avait il ne pria jamais pour sa propre guérison, lais-
sant aux autres de prier par exercice de charité. Les médecins
qui venaient régulièrement rendre visite aux malades, spéciale-
ment le docteur Gribaudo, son compagnon de classe, l’exhortaient,
quand ils apprenaient qu’il était très opprimé et semblait s’éva-
nouir, à faire attention à lui. Quant à lui, bien rarement il
donnait de l’importance à leur conseil ou s’en tenait à l’une des cho-
ses ordonnées, et il répondait : — Mais, si je vais bien, je n’ai pas
besoin, moi, de tant de précautions ! Et il entrait dans des sujets de
médecine, de sorte que les docteurs disaient que lorsqu’ils se
trouvaient avec D. Bosco ils devaient toujours subir un examen.

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Lorsque les maladies se déclaraient, il ne se remettait
jamais entre les mains des médecins s’il n’y était pas obligé par
quelqu’un qui lui commandait ; et alors il s’en tenait à leurs
prescriptions, mais se montrait indifférent à l’amélioration, ou à
l’aggravation. Même alors cependant, si un motif de charité ou
de religion l’obligeait à un travail ou à un voyage, il se risquait
courageusement, fût-ce toutefois contre l’avis des docteurs, bien
content de perdre la vie pour l’Eglise et pour les âmes.
Dans ces pages nous avons apporté les témoignages de
quelques-uns de nos confrères, en avançant de plusieurs années
leur apparition sur la scène de nos récits. Mais il était néces-
saire qu’à tout moment et en toute circonstance que nous serons
sur le point d’exposer, les lecteurs eussent sous les yeux la vie
constamment mortifiée de notre admirable fondateur.
—————

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CHAPITRE XX
La Foi catholique assaillie par les Vaudois et défendue par
D. Bosco Deuxième édition de la Jeunesse Instruite et Fonde-
ments de la Religion Catholique Un libraire vaudois Une
sentinelle vigilante Construction d’un temple vaudois à
Turin Avis aux Catholiques Acharnement des membres des
sectes contre l’enseignement de la Théologie Népomucène
Nuytz Constituant un premier groupe, quatre élèves de
l’Oratoire prennent la soutane Vie retirée et héroïsme de
Maman Marguerite Deux lettres d’un ancien élève Indul-
gences.
Le roi Charles-Albert, comme nous l’avons dit, avait
émancipé les Protestants. Il semblait que par cet acte il entendait
seulement leur donner la liberté d’exercer ouvertement leur culte,
sans préjudice pour la Religion Catholique. Mais les hérétiques ne
l’entendirent pas ainsi et c’est pourquoi, à peine obtenus cet acte et la
liberté de presse, ils s’étaient vite mis à faire parmi [les gens] du peu-
ple une propagande sans répit de leurs erreurs en employant tous les
moyens possibles, particulièrement des livres et des tracts nuisibles
comme la peste. Comparurent entre autres les journaux : La Buona
Novella [La Bonne Nouvelle], La Luce Evangelica [La Lumière Evan-
gélique] et Il Rogantino Piemontese [Le Petit arrogant Piémontais] ; et
puis, en grand nombre, des livres bibliques falsifiés, de petit format,
commencèrent à se répandre dans nos villages, à pénétrer dans les

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221
familles, à circuler entre les mains de tous, en en pervertissant
l’esprit, en en corrompant le cœur, en instillant somme toute
dans les âmes le venin des plus funestes doctrines.
Dans le même temps de scélérats trafiquants d’âmes se
présentaient à tous ceux dont ils venaient à connaître la situation de
gens tourmentés ou accablés par les dettes, et ils leur offraient
une somme à une double condition : s’inscrire à leur secte et aban-
donner la vraie foi de leurs ancêtres. Et malheureusement il y
avait de ces miséreux qui, appâtés par le scintillement de ces
pièces de monnaie, ne savaient pas résister à la tentation.
Apportait une aide à la propagande hérétique le journal
LOpinione [L’Opinion], dans lequel, entre autres ennemis de l’E-
glise, continuait à écrire, plus impudemment que tous, [Aurelio]
Bianchi-Giovini, auteur d’une ignoble et calomnieuse Histoire des
Papes et d’autres œuvres infâmes. Il s’ajoutait que les Protestants
étaient préparés à cette propagande, et les Catholiques ne l’étaient
point pour lui opposer une barrière, l’empêcher, ou du moins en
réduire les désastreuses conséquences. En plaçant leur confiance
dans les lois civiles, qui jusqu’alors avaient protégé la Religion
Catholique des assauts de l’hérésie ; en plaçant surtout leur con-
fiance dans le premier article du Statut qui porte : La Religion
Catholique, Apostolique, Romaine est la seule Religion de l’Etat,
les Catholiques se retrouvèrent comme des soldats réveillés à
l’improviste par le son de la trompette guerrière, et appelés à
descendre sur le champ de bataille, sans avoir d’armes adaptées
à combattre des ennemis équipés en tout point. En effet, les
Catholiques avaient besoin de petits journaux de bonne qualité
pour les diffuser à pleines mains, et ils en possédaient très peu ;
il fallait surtout des brochures simples et peu coûteuses, et au
contraire on n’avait que des ouvrages volumineux de grande
érudition. Etaient donc en danger de perdre la foi non seulement
les jeunes, mais tout le bas peuple, à la séduction desquels
visaient les ennemis de l’Eglise.

24.6 Page 236

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222
En voyant cela, notre D. Bosco sentit son cœur
s’enflammer de charité et de zèle : dans le but de préser-
ver ses chers jeunes des erreurs qui se glissaient comme des
serpents, il fournit un moyen de salut également à des milliers,
bien plus à des millions d’autres personnes.
Il composa et publia donc quelques tableaux synopti-
ques au sujet de l’Eglise Catholique, des feuilles volantes riches
de consignes et de maximes morales et religieuses adaptées à
l’époque, et il se mit à les répandre gratuitement parmi les
jeunes et parmi les adultes par milliers d’exemplaires, spécia-
lement à l’occasion de retraites spirituelles, de missions sacrées,
de neuvaines, de triduums et de fêtes.
Et la charité très habile de notre bon Père ne se limita
pas à de simples feuilles ; car en 1851 il fit également paraître une
deuxième édition de la Jeunesse Instruite avec, sur le frontispice, l’i-
mage de S[aint] Louis et les vers : Venez, jeunes gens, offrez
au Divin Cœur la virginale candeur car je vous proté-
gerai. et il y ajouta à la fin six chapitres sous la forme de
dialogue qui portaient comme titre commun : Fondements de la
Religion Catholique. Ceux-ci démontraient qu’il n’y a qu’une seule
vraie religion ; que les sectes des Vaudois et des Protestants
n’ont pas les notes caractéristiques qui montrent un lien avec la
Divinité, que ne se trouve pas en elles la véritable Eglise de
Jésus Christ ; que les Protestants sont séparés de la source de la vraie
vie qu’est le Divin Sauveur, et qu’eux-mêmes conviennent que les
Catholiques peuvent se sauver et se trouvent dans la véritable Eglise.
Il n’omettait pas un avertissement sur ce que doivent faire les
Juifs, les Musulmans et les Protestants pour sauver leurs âmes.
Dans les rééditions suivantes de la Jeunesse Instruite
D. Bosco étendit ces solides enseignements sur dix chapitres :
il ne voulut jamais que [ces chapitres] fussent séparés du corps
du livre, afin que les Chrétiens les eussent continuellement sous
la main, avec les explications du dogme de l’Infaillibilité
Pontificale. Plus tard, on voulait faire de ces Fondements un
petit volume à part, mais D. Bosco s’y opposa absolument : il
était persuadé qu’après leur séparation de son livre, personne ne

24.7 Page 237

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223
les lirait. Ils doivent être un Vade-mecum ! s’écria-t-il.
Et ces Fondements, déjà sous la forme succincte de leur
présentation de 1851, durent sembler aux Protestants un coup
assez sérieux porté à leurs fausses doctrines, car ils circulaient,
tout comme l’Histoire de l’Eglise et l’Histoire Sainte, entre les
mains de tant de milliers de jeunes, vers lesquels de préférence
[les Protestants] tendaient leurs filets. D. Bosco, dans la conclu-
sion, avait écrit : « Tous ceux qui persécutèrent l’Eglise dans les
temps passés n’existent plus, et l’Eglise de Jésus Christ existe
toujours. Tous ceux qui persécutent l’Eglise actuellement, d’ici
quelque temps ne seront plus là ; mais l’Eglise de Jésus Christ
sera toujours la même, car Dieu a engagé sa parole en disant
qu’Il la protégerait et qu’Il serait toujours avec elle jusqu’à la
fin du monde ».
D. Bosco eut à éprouver une grande consolation tandis
qu’il travaillait à la deuxième édition susdite. Un soir, revenant
de l’imprimerie à la maison et passant par ce qu’on appelle
Porta Palazzo [= Porte du Palais], il s’arrêta sous les arcades à
gauche et il observait un comptoir de livres en vente. Le ven-
deur lui dit que ces livres n’étaient pas faits pour lui, car
c’étaient des livres de Protestants. Alors il répondit : Je vois
qu’ils ne sont pas faits pour moi ; mais plus tard serez-vous content,
au moment de mourir, d’avoir vendu de tels livres ? Et en le
saluant il s’en alla. Tandis que D. Bosco s’éloignait, le vendeur
demanda à ses voisins qui était ce prêtre, et il lui fut répondu
qu’il était D. Bosco. Le lendemain il se rendit chez [ce dernier] :
il eut une conversation avec lui, puis il finit par lui apporter
tous ses livres et par se remettre sur la bonne voie.
En attendant, D. Bosco était informé avec certitude que
l’hérésie vaudoise s’insinuait et faisait chaque jour davantage de
chemin dans plusieurs communes. A Valdocco affluaient des per-
sonnes de toute espèce qu’une sympathie providentielle attirait
vers D. Bosco et certaines d’entre elles lui rapportaient tout ce

24.8 Page 238

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224
qui se passait dans les réunions des sectes ou des protestants,
leurs espérances, leurs désastreux succès, avec une familiarité
particulière. Il y eut quelqu’un pour aviser D. Bosco de ne pas
y ajouter foi ; mais, lui, se tenait sur le qui-vive, prenait des ren-
seignements et en avertissait fidèlement les Services diocésains.
Cependant un Ecclésiastique distingué s’en montra importuné, en
raison de l’importance que D. Bosco semblait attribuer à de
telles révélations. Toutefois le bon prêtre ne cessa pas, au prix
d’humiliations, d’accomplir son devoir. Parmi d’autres cas sem-
blables, les Protestants s’étaient infiltrés en douce à Ciriè, et
commençaient à faire des adeptes. L’ayant su, Don Bosco ne
garda pas le silence : Et quoi ? lui répondit cet Ecclésiastique :
Savez-vous ce que ne savent pas les autres ? A Ciriè, il y a deux cu-
rés ; et ces derniers n’ont-ils pas d’yeux ? Croyez-vous que nous
ne sommes pas informés de tout ce qui arrive ? Donc à présent
la lumière ne doit-elle venir que de Valdocco ? D. Bosco ne
répliqua pas ; mais quelque temps passa et l’ivraie crût d’une
manière si visible qu’on dut en toute hâte commencer à Ciriè une
mission pour s’opposer aux hérétiques et réfuter leurs erreurs.
Diverses autres paroisses durent également être prému-
nies, et D. Bosco en eut le mérite principal.
Pendant qu’il s’occupait avec empressement de tout cela,
de la bouche d’un pauvre malheureux nommé Wolff [= Wolf],
qui avait apostasié et qui, selon les habituelles contradictions du
cœur humain, lui racontait toutes les décisions et toutes les acti-
vités de ses coreligionnaires, il apprit que les Vaudois étaient
résolus à élever un temple à Turin. En effet, dans ce but ils
avaient demandé à la Mairie de leur octroyer un terrain à bâtir
auprès du jardin public. Les Protestants à Turin étaient un peu
plus de deux cents. La Mairie n’avait pas consenti, bien
que le projet fût appuyé par l’Avocat général près de la Cour
d’Appel. Alors les hérétiques achetèrent à leurs frais un autre
terrain le long de l’avenue du Roi, à peu de distance de l’Ora-
toire S[aint]-Louis, ayant reçu l’autorisation, au moyen de décrets

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225
royaux du 17 décembre 1850 et du 17 janvier 1851, de
construire le temple projeté. Après l’approbation par la
commission de l’urbanisme des plans de ce [temple] et des
bâtiments annexes, la Mairie cherchait à gagner du temps en
voulant décliner toute responsabilité aux yeux des Catholiques ;
mais le Ministre de l’Intérieur Galvagno fit connaître les mesu-
res décrétées par le Souverain et il fallut accepter de voir cesser
les nobles oppositions à cette honte qu’on voulait occasionner
pour la ville. Dès que la chose devint publique, les Turinois, et
même tous les Catholiques du Piémont, en furent vivement
affligés et prièrent le Seigneur de tenir loin de leur pays un si
grand scandale. Les Evêques réclamèrent dans une lettre col-
lective adressée au Roi, au nom de la Religion, du Statut,
de l’honneur de la Maison de Savoie, en citant les mesures du
code pénal et du code civil. Mais on ne tint pas compte de ces
réclamations et on commença aussitôt la construction du temple
pour l’exercice du culte réformé protestant. C’est ainsi que rece-
vaient un appui ceux qui menaient une guerre des plus terribles
contre la Religion Catholique.
Dès qu’il eut connaissance de ces menées, D. Bosco, pas
encore satisfait de ce qu’il avait déjà fait, composa et publia un
petit livre intitulé : Avis aux Catholiques. Cela mérite la peine
d’en reproduire ici l’avant-propos.
« Peuples Catholiques, ainsi écrivait-il, ouvrez les yeux. On vous
tend de très nombreux pièges en essayant de vous éloigner de
cette Religion unique, vraie, sainte, qui ne se conserve que dans
l’Eglise de Jésus Christ.
» Ce danger fut déjà de plusieurs façons dénoncé par nos
Pasteurs légitimes, par les Evêques, placés par Dieu pour nous
défendre de l’erreur et nous enseigner la vérité.
» La voix infaillible elle-même du Vicaire de Jésus Christ nous
avertit de ce filet insidieux tendu aux Catholiques, à savoir que
de nombreux malveillants voudraient déraciner de vos cœurs la

24.10 Page 240

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226
Religion de Jésus Christ. Ces gens-là se trompent eux-mêmes et
trompent les autres ; ne les croyez pas.
» Serrez-vous plutôt d’un seul cœur et d’une seule âme autour
de vos Pasteurs, qui toujours vous enseigneront la vérité.
» Jésus dit à S[aint] Pierre : Tu es Pierre et sur cette pierre je
bâtirai mon Eglise, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas
contre elle, car je serai avec ses Pasteurs tous les jours jusqu’à
la consommation des siècles.
» Et, cela, il l’a dit à S[aint] Pierre et à ses successeurs, les
Pontifes Romains, et à aucun autre.
» Celui qui vous dit des choses différentes de tout ce que je
vous dis, ne le croyez pas : il vous trompe.
» Soyez intimement persuadés de ces grandes vérités : Là où il
y a le successeur de S[aint] Pierre, là il y a la véritable Eglise
de Jésus Christ. Personne ne se trouve dans la vraie Religion,
s’il n’est pas Catholique ; personne n’est Catholique sans le Pa-
pe.
» Nos Pasteurs, et spécialement les Evêques, nous unissent au
Pape, le Pape nous unit à Dieu.
» Dans l’immédiat lisez les avis suivants qui, bien gravés dans
votre cœur, suffiront pour vous préserver de l’erreur.
» Par ailleurs ce qui maintenant est ici brièvement exposé, sous
peu vous le trouverez longuement expliqué dans un livre spécial.
» Que le Seigneur des miséricordes infuse à tous les Catho-
liques assez de courage et une constance assez grande pour se
maintenir de fidèles pratiquants de cette Religion, dans laquelle
nous avons eu le bonheur de naître et d’être éduqués.
» Une constance et un courage, qui nous rendent prêts à
souffrir n’importe quel mal, fût-ce même la mort, plutôt que de
dire ou faire quelque chose qui soit contraire à la Religion
Catholique, vraie et seule Religion de Jésus Christ, hors de
laquelle personne ne peut se sauver ».
A cette espèce de manifeste, adressé non plus seulement aux
jeunes, mais en général aux Piémontais et en particulier aux Turinois,

25 Pages 241-250

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25.1 Page 241

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227
faisaient suite les Fondements de la Religion Catholique, publiés
peu auparavant dans la deuxième édition de la Jeunesse Instrui-
te ; et l’on promettait dans le même temps un livre spécial
nouveau qu’il était en train d’écrire. Ce [livre] aurait pour but de
mettre en garde les âmes contre les pièges des hérétiques, de les
instruire dans les vérités qu’il est le plus nécessaire de connaître, de
démasquer l’erreur des ensorceleurs, d’en arrêter la mauvaise in-
fluence et, ainsi, de confirmer dans la foi les catholiques. C’était le
livre qui eut pour titre : Le Catholique instruit dans sa religion.
L’écoulement des Avis aux Catholiques fut extraordi-
naire ; en seulement deux ans on en diffusa plus de deux cent
mille exemplaires. Mais si ce petit ouvrage fut très agréable pour
toutes les bonnes personnes, il irrita les Protestants et les fit
monter sur leurs grands chevaux. Alors qu’ils croyaient avoir la
possibilité de dévaster tout à leur aise, à la manière des anciens
Philistins, le champ du Seigneur, ils voyaient devant eux un
nouveau Samson venir dévoiler leurs ruses, briser leurs rangs,
bouleverser leurs troupes afin de défendre le peuple de Dieu.
Avec cette publication et avec les autres nombreuses qui
la suivirent, D. Bosco indiquait au monde l’arme la plus puis-
sante pour combattre les ennemis de la religion et jalonnait la
route pour tous ceux qui voudraient accourir pour prendre la
défense de la société chrétienne menacée. A cette époque-là tout
semblait mort dans le camp catholique, et D. Bosco le réveilla à
Turin.
Et il ne se lassait pas de diffuser de tous côtés son dernier
ouvrage. Entre autres, il en envoyait 150 exemplaires à D. Scesa,
maître des novices à Stresa, avec une lettre du 3 mars 1851 ; et
à ce propos il écrivait ceci à son Professeur, le Théol[ogien]
Appendino [= Appendini], à Villastellone.
Très aimé M. le Théologien,
J’envoie à V[otre] S[eigneurie] très aimée cent exemplaires des
Avis aux Catholiques, en vous faisant seulement observer que si

25.2 Page 242

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228
vous vous occupez de ces livres, vous perdez la protection de la
Gazzetta del Popolo [Gazette du Peuple] et qui sait davantage
encore, car ce minuscule petit livre, bien qu’à peine visible, va à
l’encontre [de ce journal dont la direction] fait tout ce qu’elle peut
pour en avoir et en brûler [des exemplaires].
Néanmoins, si vous vous occupez de diffuser les bons livres
(et c’est, je crois, une excellente [forme] d’aumône), Vous serez
a fulmine tutus [à l’abri de la foudre].
Le montant * de ce que vous devez est :
Livres déjà expédiés . . . . . . . . . . . 1 95
Avis aux Catholiques 100 exemplaires . . . . . 5 00
6 95
que j’espère pouvoir aller percevoir moi-même sur place.
Aimez-moi dans le Seigneur, donnez-moi des ordres et, si je
suis utile à quelque chose, ce sera pour moi un grand plaisir de
pouvoir vous servir avec cette filiale affection avec laquelle je
me dis en signant
D[e] V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et très ai[mée]
Très obl[igé] serviteur et élève
BOSCO J[ean] Pr[être]
Chef des garnements.
* Unité non précisée : vraisemblablement en “ lires ”.
Mais malheureusement les Protestants avaient leurs com-
plices parmi les législateurs qui ne rataient pas une occasion
pour faire des propositions et avancer des accusations contre
l’Eglise. En mars il y eut au Parlement un débat acharné contre
l’enseignement théologique, que l’on disait rempli d’erreurs, de
doctrines surannées et d’une morale basse et corruptrice. On pro-
clama avec beaucoup de cris qu’il valait mieux donner plus de
développement aux études bibliques, comme chez les Protestants.
On voulait attribuer au Gouvernement la nomination des profes-
seurs dans les collèges épiscopaux et qu’aux Evêques on enlevât
la direction de l’enseignement théologique ; on déclara publique-
ment qu’on devait supprimer dans les Universités et dans les
collèges les Oratoires et les Congrégations [= Réunions spirituelles]
et laisser aux jeunes la pleine liberté d’être athées ou croyants.
Mais le Comte Camille de Cavour, qui ne s’était pas encore

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229
déclaré ennemi du clergé, parla plutôt en faveur de l’enseigne-
ment épiscopal, et ainsi ces actions de fureur n’eurent pas à
cette époque-là d’autre effet qu’une lettre du Ministre de
l’Instruction Publique [adressée] aux Evêques, par laquelle il
essayait de leur imposer certaines conditions pour l’enseignement
théologique et qui provoquait de leur part de fortes réclamations.
L’irritation des membres des sectes était produite par
l’orthodoxie de pensée qui caractérisait les Docteurs du Collège
Théologique de l’Université de Turin, à l’exception du professeur
de droit canonique Népomucène Nuytz, pauvre théologien laïque,
presque ignorant d’histoire, formé à partir des livres de Febro-
nius et de Van Espen, janséniste par imitation. Depuis plusieurs
années il donnait des cours et avait été mis sur cette chaire
justement pour qu’au moyen de ses mauvais enseignements il
pervertît les jeunes ecclésiastiques. Il soutenait hardiment de très
graves erreurs au sujet des droits du sacerdoce et de l’empire,
sur le sacrement du mariage et sur les excommunications. Cer-
tains de ses traités avaient été frappés par la condamnation d’un
Bref Pontifical. Les journaux et le Gouvernement lui apportaient
leur soutien. Les Evêques adressaient une requête au Roi, pour
qu’il fît cesser ce scandale, et ils furent un peu écoutés. L’ensei-
gnement du Droit Canonique fut suspendu ; et, peu après, Nuytz
fut remplacé par Philibert Pateri, qui n’était pas moins que lui
régaliste * et hostile aux droits de l’Eglise, mais qui avait plus
d’égards. Nuytz mourait en 1870, sans recevoir les Sacrements,
en se refusant à faire des rétractations.
En attendant, cette année-là, le Ministre cherchait à
inciter les séminaristes à fréquenter l’Université, en invitant les
Services de l’Archidiocèse à les avertir que, pour nommer aux
bénéfices, le Gouvernement continuerait toujours à faire pas-
ser en priorité les Ecclésiastiques qui auraient obtenu les grades
dans les études universitaires. Les Evêques ne consentirent pas à
voir les étudiants en formation pour le service du sanctuaire
suivre de tels cours sur le droit canonique.
—————
* Régaliste : ici, défenseur de la doctrine qui affirme la supériorité
de l’autorité du Roi sur celle de l’Eglise.

25.4 Page 244

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230
Mais cela ne suffisait pas. En plus de la liberté, l’erreur
devait recevoir sa récompense. Le 16 mars 1851, un décret royal
déclarait institution civile l’Ordre religieux équestre des S[aint]s
Maurice et Lazare, fondé par l’autorité des [Souverains] Pontifes
qui l’avaient doté de biens et de rentes ecclésiastiques ; et il
supprimait la profession [de foi] religieuse que les commandeurs
et les personnes pourvues des biens de l’Ordre devaient pro-
clamer solennellement. On faisait cela pour pouvoir ainsi en
conférer également les honneurs et les rentes à des juifs, à des
protestants et à des hétérodoxes.
Nous avons écrit cette page pour que l’on comprenne
toujours mieux quelle était la lutte que D. Bosco avait engagée.
Entre-temps, il avait vu s’accomplir l’un de ses vœux ar-
dents. Le 2 février, jour de la Purification de Marie, au cours
duquel cette année-là on célébrait également à l’Oratoire la fête
de S[aint] François de Sales, les jeunes Joseph Buzzetti, Félix
Reviglio, Jacques Bellia, Charles Gastini avaient revêtu la souta-
ne. Présidait la cérémonie le Théol[ogien] Collégial Ortalda Joseph,
Chanoine Théologien de la Cathédrale Métropolitaine ; en une si
belle occasion il développa les idées du texte de l’Evangile de
ce jour : Positus est hic in resurrectionem et in ruinam multo-
rum [Cet enfant est placé en vue du relèvement et de la chute de
beaucoup], et il expliqua aux nouveaux jeunes abbés quelle serait
leur mission s’ils étaient à la hauteur de la grâce reçue.
D. Bosco, comblé d’une immense joie, ne se contenta
pas de la solennité à l’église, mais il voulut préparer un repas
auquel il invita également le Chan[oine] Ortalda, le Théol[ogien]
Nicco, le Chan[oine] Nasi et le Docteur Collégial Théol[ogien]
Chan[oine] Berta. Ce fut un banquet qui resta mémorable. Les
cuisiniers donnèrent la preuve de leur habileté, car D. Bosco ne
fut jamais regardant avec ses amis, mais aucun des commen-
saux ne put manger le pot-au-feu et boire le café. Tandis que
Maman Marguerite était occupée aux préparatifs de la table et
avait déjà fait chauffer le café dans une marmite, sa sœur Ma-
rianne Occhiena, qui après la mort de D. Lacqua, son employeur,

25.5 Page 245

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231
demeurait à l’Oratoire, avait par inadvertance mis la viande à
cuire dans cette même marmite. Comment il s’est fait que fus-
sent servis à table ces petits plats délicieux, nous ne le savons
pas ; mais le Chan[oine] Berta, nous étions alors en 1901, nous
racontait le goût étrange qu’ils avaient, sans qu’il en sût la
cause ; et [il nous rapportait] qu’aucun des convives ne pouvait en
avaler, tandis qu’en personnes bien éduquées elles ne montraient
pas leur répugnance. Alors nous lui expliquâmes ce mystère et
lui, en riant, mais avec admiration, ajouta que D. Bosco avait
mangé avec indifférence un petit morceau de cette viande nau-
séabonde et absorbé sa tasse de café assaisonnée de graisse.
Le lendemain de leur prise de soutane les quatre nouveaux
jeunes abbés commencèrent à aller aux cours de philosophie donnés
par les Théologiens Farina et Mottura, et aux leçons particulières
chez le Chan[oine] Berta, et quelques mois après D. Bosco, pour
faire face aux dépenses qui en découlaient pour lui, fit écrire par
chacun d’eux une supplique au Roi pour obtenir un subside, qui
fut accordé (1).
D. Bosco pouvait finalement espérer que les nouveaux
jeunes abbés seraient pour lui ; mais cette tentative elle aussi,
—————
(1) Voici l’une des quatre réponses reçues :
A M. le Jeune abbé Charles Gastini à Turin.
Au moyen d’une dépêche du Secrétariat Royal d’Etat pour les Affaires
Ecclésiastiques [du Ministère] de la Justice du 30 septembre der[nier] il a
été notifié à l’Administration Générale de l’Economat R[oyal] Apostolique
que S[a] M[ajesté] avait daigné accorder à V[otre] S[eigneurie] Très Dis-
tin[guée] un subside [pris] sur cette caisse, pour la somme de 90 lires.
J’en avise V[otre] S[eigneurie] afin que vous vous présentiez personnel-
lement, ou bien que vous chargiez quelque personne connue que vous
munirez de votre blanc-seing dûment légalisé, pour percevoir le mon-
tant du Mandat correspondant.
Turin, le 3 octobre 1851.
L’ECONOME GÉNÉRAL ROYAL APOSTOLIQUE
Ab[] MORENO.

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232
préparée par lui avec tant de zèle, ne devait pas réussir, puisque
comme nous le raconterons, deux d’entre eux quittèrent la
soutane quelque temps après, deux autres sortirent de l’Oratoire
pour plusieurs raisons indépendantes de leur volonté et furent des
prêtres zélés dans leurs diocèses. Reviglio cependant devint un
puissant auxiliaire de D. Bosco pour l’Oratoire S[aint]-François et
pour l’Internat jusqu’en 1857.
Les trois autres aussi l’aidèrent efficacement dans l’œuvre
des Oratoires, soit pour catéchiser et instruire les jeunes, externes
comme internes, soit pour les assister à l’église et durant les
récréations, soit pour leur donner des leçons de chant.
Marguerite se réjouissait de voir augmenter les vocations
ecclésiastiques autour de D. Bosco ; mais elle aimait mener une
vie retirée, et avec sa grande perspicacité elle connaissait ce qui
lui convenait et ce qui ne lui convenait pas. Dès l’instant où la
maison fut organisée et où D. Bosco commença à s’asseoir à
table en compagnie de ses premiers jeunes abbés et [de ses pre-
miers] prêtres, on ne l’a plus vue manger avec lui. D. Bosco
aurait désiré que quelquefois elle apparût, mais elle savait tou-
jours s’excuser. Comme parfois il avait l’habitude d’inviter les
jeunes gens les plus braves à table avec lui, il insista pour qu’en
s’asseyant au milieu d’eux et en les assistant, elle s’efforçât
d’empêcher les impolitesses, le bruit trop élevé des voix, et de
leur faire éviter de se salir, ou de manger avec trop d’avidité.
D’une manière particulière, lorsqu’il avait pour commensaux des
personnes qui étaient venues de l’extérieur de la maison ou des
étrangers qu’il avait invités, il désirait empêcher tout ce qui
aurait pu donner à ces messieurs une raison de trouver à redire.
Maman Marguerite consentit finalement, quoique à contrecœur ;
elle y alla pendant environ une semaine, mais ensuite on ne la
vit plus. — Ce n’est pas ma place, dit-elle à Don Bosco ; la
présence d’une femme en cet endroit, détonne.
Cependant malgré son aspect tranquille il ne faut pas
croire qu’elle passait sa vie à Valdocco sans tribulations. Une
femme, qui aime l’ordre et l’économie domestique, ne peut pas

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233
voir d’un bon œil quelqu’un gaspiller ce qui lui coûta de la
dépense et de la fatigue. Et comment empêcher de jeunes
garçons, remplis d’une très grande vivacité, de causer plus d’une
fois, non par mauvais esprit, mais par étourderie, des dommages
qui ne sont pas sans importance et donc d’apporter quelques
ennuis à la bonne maman ?
Toutefois, comme de tels faits se renouvelaient, un beau
jour de 1851, Marguerite entra dans la chambre de son fils, et
lui dit : Ecoute-moi. Tu vois qu’il n’est pas possible que je
fasse bien avancer les affaires de cette maison. Tes jeunes tous
les jours font quelque nouveau truc de leurs exploits. Ici ils me
jettent par terre le linge propre étendu au soleil, là ils piétinent
le potager et tous les légumes. Ils n’ont aucun soin de leurs
vêtements et les déchirent de sorte qu’il n’y a plus moyen
d’arriver à les rapiécer. Tantôt ils perdent les mouchoirs, les
cravates, les chaussettes ; tantôt ils cachent les chemises et les
caleçons, et on ne peut plus les retrouver ; tantôt ils emportent
les ustensiles de cuisine pour leurs jeux qui tiennent du caprice
et ils m’obligent à tourner pendant une demi-journée à droite et
à gauche pour les chercher. En somme j’y perds la tête au
milieu d’une si grande confusion. J’étais bien plus tranquille
lorsque j’étais en train de filer dans mon étable sans casse-tête
et sans anxiété. Tu vois ! J’aurais presque envie de rentrer là-bas
dans notre petite maison aux Becchi, pour finir en paix ces
quelques jours qui me restent encore à vivre.
D. Bosco regarda en face sa mère, et plein d’émotion,
sans parler, il lui montra le crucifix qui pendait au mur.
Marguerite regarda ; ses yeux se remplirent de lar-
mes : Tu as raison, tu as raison ! — s’écria-t-elle ; et sans
plus elle retourna à ses occupations. A partir de cet instant
jamais plus une parole de mécontentement ne lui échappa des
lèvres.
En effet, depuis lors elle sembla insensible à ces misè-
res. Un jour, un de ces jeunes dissipés épouvantait les poules et,
en les poursuivant, les faisait courir en dispersion dans les prés
environnants. Marianne, la sœur de Marguerite, criait de toute la

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234
voix qu’elle avait dans son gosier, afin que le garnement laissât
en paix les poules, et elle se donnait du mal pour les ramener
vers le poulailler.
Marguerite, en entendant ce criaillement, vint dehors et,
après avoir observé l’affaire avec un calme total, elle dit à sa
sœur : Là, là ! Apaise-toi ! Aie patience ! Que veux-tu y
faire ! Tu vois bien qu’ils ont du vif-argent dans les veines !
Mais, si à l’Oratoire il y avait quelques étourdis, le cœur de
tous les jeunes brûlait pour D. Bosco d’un amour constant : et
ils le maintenaient bien vif une fois sortis de l’Institution pour
rentrer dans leurs familles et se lancer dans une carrière ou une
situation. Parmi les meilleures preuves que nous pourrions appor-
ter, nous choisissons pour le moment les deux lettres suivantes,
d’époques différentes, écrites par l’[ancien] élève Comba Antoine.
La première est postée à Rumilly, en Savoie, avec la
date du 16 février 1851 et adressée à D. Bosco : « Je ne saurais
comment exprimer la joie et la satisfaction que j’éprouve en
recevant une de vos chères lettres, désirée depuis beaucoup de
temps. Oh, combien de fois par la pensée je me porte là-bas
dans cet enclos riant et joyeux ! Oh, à combien de reprises par
l’esprit je me trouve parmi vous ! Tantôt je m’y présente sous
un aspect, tantôt sous un autre. Ne croyez pas que ma mémoire
soit assez ingrate pour oublier si vite le bon Oratoire, alors
qu’au contraire elle sera perpétuelle ; oui, ils seront éternels ces
jours heureux qu’avec vous je passai.
» Je me réjouis et j’adresse de très nombreuses félicitations
pour l’heureuse réussite de mes compagnons, à savoir qu’ils aient
revêtu la soutane ; ce que j’espère avec l’aide de Dieu faire un
peu plus tard. Dans cette école de rhétorique j’ai beaucoup de
travail à accomplir ; mais j’en suis très content puisque j’ai déjà
obtenu la deuxième place… Nous avons un très bon supérieur,
qui a été très longtemps à Rome ; il connaît remarquablement
l’italien. Tous les vendredis nous en avons un cours. Quelquefois
je vais le trouver, et nous causons en italien ; nous sommes très
amis ; je l’ai choisi comme confesseur. Nous avons d’excellents

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235
professeurs… nous sommes 57 pensionnaires. Le mardi, le jeudi
et le dimanche, après le repas de midi, nous allons tous ensem-
ble en promenade… Je ne saurais rien ajouter si ce n’est que
Vous disiez bien des choses de ma part à votre mère, à votre
frère Joseph, à D. Grassino, à Savio, à Bellia, à Buzzetti, à
Gastini, à Reviglio, à Angeleri, à Piumatis, à Aellisio, à Toma-
tis, à Canale, à Arnaud, etc., etc., sans oublier le Théol[ogien]
Vola, le Théol[ogien] Borel, le Théol[ogien] Carpano, etc., etc. Je
serais désireux de recevoir une lettre de mon compagnon Bellia,
dans laquelle il me donnerait quelques nouvelles de Turin et me
ferait le plaisir de m’envoyer une copie de la canzone : È
consumato il calice [Le calice est bu jusqu’au bout] avec le pre-
mier couplet en musique. Je crois que Buzzetti l’a sous forme
imprimée. Quand Vous m’écrivez, je Vous prie de ne pas
affranchir les lettres ».
Et cette affection ne durait pas seulement quelques
années après le départ de l’Oratoire de Comba ; mais en 1882,
le 11 septembre, il écrivait une deuxième lettre de Montauroux
par Callian, département du Var.
Très ch[er] ami et ancien compagnon D. Rua,
Tout d’abord je Vous remercie infiniment, comme aussi
Don Lago, de votre lettre commune, très remplie d’affection, du
15 août dernier, qui nous donna tant de consolation. Donc merci
et merci beaucoup.
Nous avons récité en famille les prières prescrites, et grâ-
ce à Jésus au Saint Sacrement, à la B[ienheureuse] V[ierge]
Marie Auxiliatrice, aux puissantes prières de notre père tou-
jours très aimé, D. Bosco, et à celles de vous autres tous,
très chers amis et excellents frères, nous avons été consolés
en voyant que ma bonne épouse a pu aller à la messe
lors du beau jour de la Nativité de la V[ierge] M[arie]. Une fois
D. Bosco m’écrivait en Savoie : Garde-toi dans la sainte
crainte de Dieu, aime-moi toujours dans le Seigneur et, si en
quelque chose je peux te servir, tu me trouveras toujours
ton ami très affectionné. D. Jean Bosco. Et je l’ai toujours

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236
aimé, le très cher D. Bosco ; je n’ai jamais oublié l’Oratoire,
mes chers compagnons, et je me rappelle toujours avec joie les
petites canzoni d’une époque déjà bien éloignée :
D’une vive jubilation
Exultant tous,
Que chez nous soit chanté
Un bel hymne d’amour
Pour notre aimable
Et cher pasteur
Et vive D. Bosco
Qui nous conduit
Toujours vers la lumière
De la vertu,
Qui en lui moins brillante
Jamais ne fut.
Que mille fois béni
Soit notre père élu (bis),
Notre joie et notre amour.
Ah ! Ah ! pour toi
Dont le ciel nous donna le soutien (bis).
Nous croîtrons en vertu,
Appliqués dans l’étude (bis)
Assidus au travail.
Ah ! Ah ! pour toi
Dont le ciel nous donna le soutien (bis).
Si, près de nous, tu viens t’asseoir
Rempli d’amour, ô souris-nous ! (bis)
Nous sommes fils de ton amour.
Ah ! Ah ! pour toi
Sous l’aile de la foi (bis).
Ce groupe uni ensemble
Passera une vie heureuse (bis)
Dans les joies du Seigneur.
Ah ! Ah ! pour toi
Sous l’aile de la foi !
Vive D. Bosco !
Adieu, D. Rua, adieu, ô tous mes chers compagnons et amis :
adieu.
Toujours très affectionné
COMBA ANTOINE.

26 Pages 251-260

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26.1 Page 251

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237
Alors qu’à présent nous reprenons, pour notre part, le fil
du récit, il faut ici remarquer comment D. Bosco au mois de
février obtenait du S[aint]-Père une autre faveur spirituelle, en
sachant bien que indulgentiæ tantum valent quantum sonant [les
indulgences procurent autant d’effet que ce qui s’y trouve indiqué], et
que, lorsqu’on dit qu’une rémission est pleine et totale, elle l’est
aussi effectivementt. Ayez une grande estime pour les indul-
gences, disait-il aux jeunes, et c’est dans cet esprit qu’il
écrivait ceci au Pape :
Très bienheureux Père,
Le Prêtre Jean Bosco, en union avec ses confrères prêtres
chargés des Oratoires pour les apprentis de la ville de Turin,
supplie humblement V[otre] S[ainteté] d’accorder l’indulgence
plénière à tous ces jeunes qui fréquentent chaque dimanche et
chaque jour de fête lesdits Oratoires : ils la gagneraient, après
s’être confessés et avoir communié, lors du dernier dimanche de
chaque mois.
Que de la grâce, etc.
« Ex audientia SS.mi SS.mus Dominus Noster Pius Papa IX
omnibus Christi fidelibus, de quibus tantum in precibus, Ple-
nariam Indulgentiam semel in mense, in ultima nempe cujuslibet
mensis dominica acquirendam, dummodo vere pœnitentes et
confessi SS.mum Eucaristiæ Sacramentum sumpserint, nec non
aliquam ecclesiam seu oratorium publicum visitaverint, ibique per
aliquod temporis spatium juxta mentem Sanctitatis Suæ orave-
rint, benigne concessit, Præsenti ad septennium valituro absque
ulla Brevis expeditione.
Datum Romæ ex Secreteria S[acræ] Congregationis Indul-
gentiarum die 18 februarii 1851.
(L. S.)
[voir traduction page 757]
F. Card. ASQUINIUS Bp.
A. Archipr. Prinzivalli Substitutus ».

26.2 Page 252

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238
CHAPITRE XXI
Monsieur Pinardi propose à D. Bosco l’achat de sa maison à
Valdocco Prêt de l’abbé Rosmini à Don Bosco Un geste
visible de la Divine Providence Contrat et achat de la
maison Reconnaissance à Rosmini.
L’Oratoire S[aint]-François était encore installé sur un
terrain ne lui appartenant pas. La location de toute la maison
Pinardi, quoique matériellement lourde, avait néanmoins constitué
un grand gain moral ; mais elle ne suffisait pas encore à rassurer
totalement D. Bosco. Ceux qui avaient été délogés de ce taudis
ne pouvaient pas s’en consoler ; et ils criaient : — N’est-il pas
répugnant qu’une maison, qui depuis si longtemps était le lieu de
rendez-vous, de distraction, de joyeuse vie, soit tombée entre les
mains d’un prêtre intolérant ?
Mais entre-temps quelqu’un, afin de rentrer dans cet empla-
cement et, par avidité du gain, de le faire revenir à être un lieu
de débauche et de mauvaises mœurs, proposa à monsieur Pinardi
un loyer presque double de celui que payait D. Bosco. Mais
l’honnête homme ne voulut pas manquer de parole ; et même en
bon chrétien, se trouvant très content de voir sa maison servir à
une œuvre sainte, il avait plusieurs fois exprimé le désir de la
vendre, au cas où D. Bosco voudrait l’acheter ; mais, ou bien
parce que peut-être il croyait posséder un joyau, ou bien parce
que peut-être il avait besoin d’argent, il ne demandait rien de
moins que la somme considérable de quatre-vingt mille lires. A

26.3 Page 253

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239
une telle prétention D. Bosco répondait toujours qu’il lui était
impossible de prendre en charge une semblable dépense.
Mais fixez vous-même un prix et nous verrons ; insistait
m[onsieur] Pinardi.
Je ne peux pas le faire après une demande aussi exorbi-
tante, ajoutait D. Bosco.
A soixante mille lires, est-ce que cela peut aller ?
Excusez-moi, mais je ne peux pas faire d’offres, moi.
Je viens à ma plus basse proposition, à mon dernier mot :
Cinquante mille lires !
— N’en parlons plus, en restant cependant toujours amis.
En ce temps-là le jeune ingénieur Spezia habitait dans
une pièce au voisinage de l’Oratoire. Un matin D. Bosco le ren-
contra et, en voyant sur son visage un air de grande innocence,
il en resta frappé : il l’arrêta et lui demanda dans quelle branche
d’activité il était employé à Turin. — J’ai obtenu, répondit le
jeune, il y a peu de jours, le diplôme d’architecte, et je m’occu-
pe de pouvoir me procurer le moyen d’exercer ma profession.
Ayant entendu cela D. Bosco l’invita à visiter la maison
Pinardi et à estimer quel serait le prix honnête à fixer pour l’a-
chat de ce bâtiment, avec le hangar et le terrain environnant. Le
jeune architecte s’excusait, car réellement il ne savait pas encore
ce que coûtaient les constructions et les terrains. Il dut cepen-
dant consentir et son estimation, plutôt élevée, retint l’idée que
cette propriété pouvait avoir la valeur de vingt-cinq à trente mil-
le lires. En prenant congé de lui, D. Bosco lui dit : Voyez ;
une autre fois j’aurai besoin de Vous. — Et l’architecte Spezia
se souvint de ces paroles, lorsque D. Bosco lui confia les plans
pour la construction de l’Eglise Marie-Auxiliatrice.
Il ne semblait donc pas facile pour le moment d’acqué-
rir la maison de Valdocco, d’autant plus que D. Bosco n’avait
aucune chance de pouvoir se procurer toute la somme importante

26.4 Page 254

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240
d’argent qu’il prévoyait nécessaire. Lui et sa mère avaient déjà
aliéné tout leur avoir au profit des jeunes gens et dans leur
maison ils n’avaient plus désormais aucune ressource. Bien plus
il manquait même l’argent pour acheter le pain en ces jours-là.
Mais, au début de 1851, Dieu faisait voir qu’il est le
maître des cœurs et qu’il avait destiné cet emplacement pour
notre Oratoire. Et voici de quelle façon.
C’était l’après-midi d’un dimanche ou d’un jour de fête.
Les jeunes étaient déjà rassemblés dans la Chapelle : le Théo-
l[ogien] Borel prêchait, et Don Bosco se tenait dans l’entrée de
la cour, afin d’empêcher les désordres et les attroupements des
jeunes gens qui continuaient à arriver.
Dans la sinistre maison qui était voisine, quelques instants
auparavant, avait eu lieu une violente bagarre. Un officier était là
étendu à terre à quelques mètres de distance, la tête en mauvais
état, et baignant complètement dans son sang, que c’en était une
pitié de le voir. A ce moment apparaît monsieur Pinardi, indigné
parce que déjà plusieurs fois il avait été appelé dans les services
de police, pour de semblables affaires avec effusion de sang, à
déposer comme témoin, ce qui entraînait une perte de temps et
le danger de se faire haïr par les auteurs des blessures. Il se
présenta donc à D. Bosco tout pensif, les bras croisés : Il est
grand temps d’en finir, — commença-t-il ; — c’est une chose
qui ne va plus ; c’est un continuel désespoir : des bagarres et
toujours des bagarres.
Moi, je voulais acheter cette maison, fit remarquer
D. Bosco, [] mais, vous, vous ne voulez pas me la vendre, et
donc comme propriétaire vous en aurez encore des ennuis à
cause de certains voisinages.
Moi, je ne veux pas la vendre ? Halte-là, — s’écria Pinardi
sur un ton badin et à la fois résolu ; D. Bosco achètera ma
maison !
Halte-là, répondit D. Bosco, il faut que monsieur
Pinardi veuille me la vendre pour le prix qu’elle vaut, et je
l’achète aussitôt.

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241
— Eh oui que je vous la vends pour ce qu’elle vaut.
Et combien ?
Ce que je vous ai déjà demandé : quatre-vingt mille lires.
— Je ne peux pas faire d’offres.
Offrez, offrez.
Je ne peux pas.
Pourquoi ?
— Parce que c’est un prix exagéré, et, moi je ne veux pas
offenser celui qui le demande.
Offrez donc ce que vous voulez.
Me la donnez-vous pour sa valeur ?
— Parole d’honneur que je vous la donne.
Serrez-moi la main, et ensuite je ferai l’offre.
De combien donc ?
Les mois derniers, ajouta D. Bosco, moi-même, je
l’ai fait estimer par l’un de vos amis, et mon ami aussi, qui
m’assura que dans l’état actuel [le prix de] cette maison doit être
négocié entre vingt-six et vingt-huit mille lires ; et moi, afin que
ce soit une affaire conclue, je vous en offre trente mille.
Est-ce que vous ferez en plus le cadeau d’une broche de
500 francs à ma femme ?
Je ferai aussi ce cadeau.
Me paierez-vous comptant ?
Je paierai comptant.
Quand ferons-nous le contrat ?
Quand il vous plaira.
— D’ici quinze jours à partir de demain et en un seul paiement.
Comme vous voulez.
— Cent mille francs d’amende pour celui qui fait machine ar-
rière.
— Et qu’il en soit ainsi, — conclut D. Bosco ; et même, si
vous êtes content, je donnerai en plus un repas auquel seront
invitées les personnes que vous indiquerez.

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242
— Jusqu’à neuf ou dix ?
— Oui, jusqu’à neuf ou dix. — Et ainsi cette affaire fut con-
clue en quelques minutes.
A D. Bosco l’acquisition de cette maison tenait beaucoup
à cœur et il craignait que, s’il ne concluait pas tout de suite,
m[onsieur] Pinardi ne changeât d’idée et ne la vendît à des
personnes qui offriraient davantage. Mais où trouver trente mille
lires, et en un temps si court ?
Il écrivait aussitôt à l’Abbé Rosmini, qui se trouvait à
Stresa.
Très ill[ustre] et Très révérend Monsieur,
Je me fais un devoir d’informer V[otre] S[eigneurie] Très ill[us-
tre] et Très rév[érende] qu’au moment où l’on exécutait le plan
du nouveau bâtiment futur se présenta à moi une meilleure
occasion d’avoir l’équivalent avec un plus grand profit.
Le propriétaire de la maison que j’habite actuellement, en
raison de certaines circonstances qui lui sont personnelles, est
disposé à vendre et, comme il en a été discuté à ce sujet, on
pourrait conclure le contrat, selon lequel on acquerrait un corps
de bâtiment de vingt secteurs habitables, avec également un em-
placement de 95 planches, complètement enclos. Le prix est de
vingt-huit mille cinq cents fr[ancs] [voir ° page 248].
Remarquez ici que ce qui a été acheté pour le nouveau
bâtiment, en le vendant sans hâte, s’élèverait à pas moins
de 30 000 fr[ancs] : de sorte que serait échangé un emplacement
contre un autre, d’une extension à peu près égale, construit et
enclos. Les deux emplacements sont voisins et jouissent des
mêmes conditions quant à la distance par rapport à la ville.
Si V[otre] S[eigneurie] était actuellement disposée à prêter la somme
sur laquelle d’autres fois nous nous sommes déjà concertés, ce serait
un grand bien pour l’Oratoire. Le nouvel achat serait entièrement
réglé, et Vous pourriez assurer votre argent sur une maison et un
emplacement exempts de toute charge. Dans l’amélioration par la

26.7 Page 257

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243
suite du bâtiment, une partie quelconque pourrait être transfor-
mée selon notre bon vouloir [pour devenir] l’Internat mentionné.
Le P[ère] Puecher, D. Scesa, D. Pauli ont pleine connaissance
de l’endroit, puisqu’il est précisément celui où existent l’Oratoire
S[aint]-François de Sales, l’Internat pour les jeunes laissés à l’a-
bandon, etc. J’attends seulement un signe de Votre part pour
conclure le contrat.
Dans l’espérance que Vous vouliez bien coopérer à cette
œuvre, que personnellment je considère comme étant de la plus
grande gloire de Dieu, je Vous souhaite tout bien venant du
Seigneur en considérant que j’ai le plus grand honneur de pou-
voir me déclarer
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très révérende
Turin, 7 janvier 1851.
Très humble Serviteur
BOSCO J[ean] Pr[être].
D. C[harles] Gilardi s’empressait de lui répondre :
Très Rév[érend] et Très ch[er] Don Jean Bosco,
En réponse à votre vénérée [lettre] du sept de ce mois de
janvier, mon Très rév[érend] Supérieur D. Antoine Rosmini, qui
Vous présente affectueusement ses respects, m’ordonne de Vous
écrire que, si l’emplacement et le bâtiment, qu’actuellement Vous
habitez à Valdocco, et qui Vous seraient vendus par le proprié-
taire, étaient réellement libres de toute autre charge, il serait très
disposé à Vous fournir la somme de 20 000 lires aux conditions
qui furent déjà convenues réciproquement ; c’est pourquoi Vous
pouvez compter sur ladite somme pour l’achat : cette [somme]
Vous sera remise pour une part en argent et pour une part en
coupons ou obligations de l’Etat avec production d’intérêts,
quand Vous ferez signe, et Vous passerez le contrat de prêt.

26.8 Page 258

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244
Je saisis l’occasion pour Vous souhaiter toutes les bénédictions
du Seigneur que l’on peut désirer pour la nouvelle année com-
mencée et pour beaucoup d’autres : [qu’elles viennent] sur Vous,
et sur les œuvres de charité entreprises par Vous. Veuillez me
rappeler au bon souvenir de votre excellente mère, et croyez-moi
toujours
Stresa, 10 janvier 1851.
Votre dévou[é] et obl[igé] serviteur
CHARLES GILARDI prêtre.
Mais vingt mille lires n’étaient pas trente, et l’on devait
en trouver encore dix. Dieu, cependant, ne délaisse jamais les
besoins de ses serviteurs ; et Lui qui avait commencé l’œuvre la
mena à bon terme. Et voici un geste visible de sa Divine
Providence en faveur de notre Oratoire.
Un dimanche soir, entre à l’Oratoire Don Joseph Cafas-
so. Il était vraiment insolite de voir l’illustre ecclésiastique se
rendre à l’Oratoire un jour comme un dimanche, puisqu’il était
sans cesse occupé dans l’église S[aint]-François d’Assise. Donc il
s’approche de D. Bosco pour lui dire : Je suis venu vous
donner une nouvelle qui ne vous déplaira pas. Une personne
charitable (la Comtesse Casazza-Riccardi) m’a chargé de vous
porter dix mille lires, à dépenser dans ce que vous jugerez à
même de servir à la plus grande gloire de Dieu. Deo gra-
tias, répondit D. Bosco, voilà qui arrive vraiment au bon
moment. Et dans le même temps il lui raconta comment peu
avant il avait conclu l’achat de la maison Pinardi et qu’il
commençait à se mettre l’esprit à la torture pour trouver la
somme totale convenue. Les deux prêtres ne purent pas ne pas
voir dans ce fait le doigt de Dieu, et quel ne fut pas l’éton-
nement de Pinardi lorsque, à peine écoulée une semaine depuis
qu’il avait reçu la parole donnée, le 14 janvier il vit paraître
devant lui D. Bosco qui lui disait : [] Quand voudrez-vous
que nous fassions l’acte notarié, l’argent est prêt, et c’est

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245
tout or ! Le lendemain fut fixé pour le compromis de vente ;
Pinardi reçut en acompte de la main à la main sans acte
juridique deux mille lires ; et il fut invité au repas, selon la
promesse.
Entre-temps D. Bosco s’empressait d’accomplir toutes les
démarches nécessaires pour faire rédiger sous forme légale l’acte
notarié public, et il écrivait à ce sujet à D. Charles Gilardi :
Très ch[er] et T[rès] Rév[éren]d Monsieur,
Pour donner suite à votre lettre très appréc[iée] que Vous
m’avez écrite de la part du Très ill[ustre] et Très rév[érend]
Ab[] Rosmini, j’ai examiné attentivement le dossier de l’Hypo-
thèque de la maison Pinardi, dont il s’agit et, l’ayant trouvée
libre de toute charge et d’hypothèque, j’arrivai à la conclusion
du Contrat. Dans la passation de l’Acte notarié on ne mettra pas
d’autre hypothèque sur cette maison et sur l’emplacement que
[pour] les vingt mille francs prêtés par le bienfaiteur M. l’Abbé
Rosmini. Il reste seulement que m[onsieur] Rosmini, nommé
ci-dessus, veuille bien déléguer une personne qui le représente,
soit pour vérifier que l’immeuble se trouve vraiment libre, soit
pour la passation de l’Acte notarié.
En attendant, présentez mes plus sincères remerciements à
votre Très vén[éré] Supérieur pour tout ce qu’il veut bien faire
pour nous, et j’espère que cette œuvre de charité, du moment
qu’elle sert à la plus grande gloire de Dieu, fera descendre sur
lui et sur tout l’Institut les bénédictions divines.
Presque tous les jours je passe un peu de temps avec le cher
D. Costantino et [avec] D. Nicolino. Aimez-moi dans le Seigneur,
et croyez que je suis de tout cœur dans le Seigneur
Turin, le 15 janvier 1851.
Très ob[ligé] Serviteur
D. BOSCO J[ean].
P.S. Un peu à la hâte et dérangé par le vacarme des garne-
ments.

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246
Enfin arriva à Turin le prêtre Charles Gilardi, procureur
général des Rosminiens, qui apportait les vingt mille lires. — C’est
vraiment Dieu qui me les a envoyées, s’écria D. Bosco, et il dit
cela de façon si ressentie que le bon religieux en fut ému.
On lit dans la minute notariale : « Le 19 février 1851,
avec un acte passé devant le notaire Turvano, François Pinardi
vend en commun aux prêtres Jean Bosco, Théol[ogien] Jean Borel,
Théol[ogien] Robert Murialdo, Joseph Cafasso les terrains et les
constructions qui jouxtent la propriété de messieurs Filippi, frè-
res, à l’est et au nord ; la rue de la Jardinière au sud ; et la
propriété de madame Marie Bellezza à l’ouest. Le prix est con-
venu pour la somme de 28 500 lires, qui pour 20 000 lires est
payée par M. le Rév[érend] Charles Gilardi en tant que représen-
tant de Monsieur l’Abbé Antoine Rosmini-Serbati ; et pour le
reste on délivre un sous-seing ».
Il fallait encore 3 500 autres lires pour les frais acces-
soires, et elles furent ajoutées par le Comm[andeur] Joseph Cotta,
dans la banque duquel était passé l’acte notarié. Ce monsieur
était la première personne à apporter une protection et un sou-
tien à l’Oratoire, et il le fut toujours tant qu’il vécut.
Comme on le voit, notre D. Bosco eut en cette occasion
une nouvelle preuve de la divine Bonté en faveur de son
Œuvre, et il conçut une confiance et une conviction de plus en
plus grandes dans le fait que la Providence ne lui ferait jamais
défaut, pas même pour l’avenir. Et nous croyons que cette
confiance illimitée, que cette conviction, qui ne se démentirait
jamais au cours de presque 50 ans, sont parmi les principales
causes de l’activité de Don Bosco. Le monde lui-même voudrait
parfois l’appeler un homme audacieux : mais d’après l’heureuse
réussite de ses entreprises il est au contraire obligé de l’appeler
un homme providentiel ; et il a raison de le faire.
Et il était tel à cause du concours généreux de tant de cœurs
chrétiens ; et parmi ceux-ci il y eut l’Abbé Rosmini qui fournit la

27 Pages 261-270

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27.1 Page 261

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247
plus grande partie des ressources nécessaires pour que l’Oratoire
Saint-François de Sales eût son propre siège. Et, en donnant ce
prêt à quatre pour cent, il avertit par ailleurs que les intérêts
seraient payés lorsqu’il les réclameraient et il ne demanda ja-
mais avec insistance l’intérêt ni le capital. Toutefois D. Bosco,
fidèle à ses obligations, arrêtait chaque année les comptes avec
le procureur C[harles] Gilardi. Rosmini fut ami avec D. Bosco
jusqu’au dernier instant de sa vie, et ses religieux lui portaient la
même affection : et D. Bosco les payait de retour, même par
devoir de reconnaissance, comme déjà on l’a vu d’après ses
lettres ; et parmi celles-ci nous le montre une que nous citons
d’autant plus qu’elle fait allusion aux prédications qu’il fit au
cours de ces mois-là. Elle est adressée à un autre prêtre de
l’Institut de la Charité, muté à la Sacra di S[an] Michele.
Très ch[er] D. Fradelisio [= Fradelizio],
Je m’avoue proprement coupable de négligence : au milieu des
occupations, de quelques embarras, de quelques tournées [voir *
page 248] et du fait que je suis un garnement, je n’ai pas répon-
du à vos très gentilles lettres ; c’est pourquoi sans chercher
d’excuses je me déclare coupable et je demande que m’en soit
accordée une bienveillante indulgence.
En attendant, je Vous envoie l’exemplaire des livres qui m’ont
été demandés, auxquels je joins quelques autres petites choses
que je juge à même de servir, là où Vous êtes, à attirer ces
enfants qui dans votre personne trouvent un père. J’y ajoute la
note de tout ce que j’ai dépensé pour quelques commissions
faites à Turin.
J’ai beaucoup regretté de ne m’être pas trouvé chez moi quand
Vous êtes passé ici à Turin ; cependant puisque Vous demeurez
à présent dans un lieu moins éloigné que ne l’est Stresa, j’es-
père Vous voir bientôt, et ici dans la grande famille des
garnements. Je considère comme un geste de la Providence que
Vous soyez allé à la Sacra : quant à moi, je juge que Vous ferez

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248
du bien à ces populations ; votre bon cœur le peut et le veut ;
ces gens du peuple paient de retour.
Beaucoup de salutations à D. Cesare et aux autres que je
connais ; aimez-moi dans le Seigneur ; si je suis utile à quelque
chose, donnez-moi des ordres, je ne serai plus si négligent.
Turin, le 18 janvier 1851.
Ami très aff[ectionné]
D. BOSCO J[ean].
—————
* Quelques tournées : allusion aux déplacements pour des prédica-
tions.
° La lire neuve [du Piémont], instituée en 1816, était équivalente au
franc de France [voir volume II (p. 488 - milieu) des Mémoires Biographiques].
—————

27.3 Page 263

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249
CHAPITRE XXII
Les financiers du monde D. Bosco et la banque de la Divine
Providence Projet de l’Eglise S[aint]-François de Sales Le
Carnaval à Valdocco Catéchismes du Carême D. Bosco à
l’Oratoire S[aint]-Louis Projets des Députés contre les Ordres
religieux et la loi de la Mainmorte Les travaux d’excavation
pour les fondations de la nouvelle église.
Don Bosco, en achetant et en revendant la maison
Moretta, en faisant l’acquisition du champ que nous dirons de
Marie Auxiliatrice, en devenant propriétaire de la maison Pinardi,
tandis que les personnes peu perspicaces pouvaient le croire
intéressé à son propre profit, faisait au contraire les premiers pas
dans une nouvelle aire de combat, auquel l’appelait le Seigneur.
En face d’un monde matériel et financier, dans lequel
tiennent les premières places les sciences dites économiques, la
mécanique avec ses diverses machines, les monopoles avec l’ac-
cumulation de millions ; au milieu de tant de spéculateurs, de
banquiers, d’égoïstes, d’hommes qui ne portent pas de soucis ou
qui ont un orgueilleux mépris de la Divine Providence, avides
seulement d’accumuler des richesses, parce que [«] l’argent l’em-
porte sur tout [»] (1) : Dieu faisait se lever un homme qui, sans
—————
(1) [Qo] 10,19.

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250
capitaux, sans [avoir un] nom dans les milieux du commerce,
sans associations d’actionnaires, sans la pratique des systèmes
économiques modernes, conduira ses œuvres à des proportions
colossales, maniera des millions et des millions, que lui fournira
la charité et qui tous seront dépensés par lui pour la gloire de
son Seigneur et pour le salut des âmes. L’argent, pour lequel il
n’éprouvera pas la moindre affection, ne sera qu’un moyen pour
atteindre le but.
Qu’on veuille bien réfléchir un instant à la vie entière
de D. Bosco. Il ressentait en lui la dignité et l’assurance d’[être]
un administrateur des trésors de la Divine Providence ; mais
comme un serviteur fidèle il commença à faire valoir les talents
que le Père de famille avait déposés en lui. Sa règle [de condui-
te] fut la maxime de S[aint] Ignace de Loyola : « Travailler
comme si le résultat d’une affaire dépendait uniquement de nos
sueurs, et dans le même temps nous défier de nous-mêmes com-
me si tout dépendait uniquement du Seigneur ». C’est ce principe qui
est la cause de ces mille moyens qu’il imagina pour faire appel
à la charité chrétienne des fidèles, en ne se lassant jamais tant
que les œuvres entreprises n’étaient pas achevées et au prix de
toutes les fatigues et les souffrances les plus lourdes. Et le
serviteur fidèle n’en vit jamais échouer une, parce que Dieu ré-
compensait ses vertus. Lorsque l’argent lui manquait, la banque à
laquelle il avait recours était celle de la Divine Providence ; et
pour obtenir d’elle les chèques de paiement il vécut, et voulut que
vécussent aussi ses élèves, dans la véritable pauvreté évangélique.
Cependant avant d’entreprendre ses nombreuses œuvres, il les
avait longuement méditées dans l’oraison, il s’était recommandé
aux prières de ses fils et d’autres pieuses âmes et, pour s’assu-
rer de mieux en mieux de faire la volonté du Seigneur, avec
constance jusqu’à ses derniers jours, il demanda conseil à des
prêtres prudents, à des supérieurs ecclésiastiques et au Pontife
Romain lui-même. De tout ce que nous disons, portent un ample
témoignage D. Rua et tous ceux qui vécurent avec D. Bosco.

27.5 Page 265

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251
Donc la pauvreté volontaire, la prière continuelle, l’hu-
milité sincère le rendaient digne de cette mission qu’il avait
reçue. Qu’on ajoute la solidité de sa confiance en Dieu. Ainsi
Mgr Cagliero et D. Rua purent nous dicter la page suivante :
« D. Bosco avait l’habitude de dire, et nous l’entendîmes plu-
sieurs fois : — Le maître de mes œuvres, c’est Dieu, Dieu qui
les inspire et les soutient et Don Bosco n’est rien d’autre que
l’instrument ; c’est pourquoi Dieu se trouve engagé à ne pas fai-
re triste figure. La Très s[ainte Vierge] Marie par ailleurs est ma
protectrice, elle est ma trésorière. Et lorsque se faisaient plus
grand le manque de ressources ou plus importantes les difficultés
ou les tribulations, on le voyait plus joyeux qu’à l’ordinaire, de
sorte qu’en le voyant dire avec plus de fréquence et d’esprit des
plaisanteries, nous disions : Il faut que Don Bosco ait vraiment
beaucoup d’ennuis, puisqu’il se montre aussi souriant. — En ef-
fet, en examinant les circonstances dans lesquelles il se trouvait
alors, et en l’interrogeant, nous venions à découvrir les nouveaux
et graves obstacles qui surgissaient devant lui. Mais Don Bosco
répétait sans cesse ces paroles de S[aint] Paul : Omnia pos-
sum in eo qui me confortat [je peux tout en celui qui me rend
fort]. — Il était sûr que Dieu, comme d’autres fois, après l’avoir
mis à l’épreuve, l’exaucerait. Personne n’apercevait chez lui l’a-
gacement ou l’ennui. Ces soucis continuels étaient pour Don
Bosco des choses si naturelles que, [pourrait-on] presque [dire], il ne
s’en rendait pas compte, et cela durait du matin au soir et un
jour après l’autre ; et toujours comme si ce n’était pas lui qui en
supportait le poids. Il ne se donnait aucune prétention et on le
voyait humble comme quelqu’un qui n’avait rien à faire, et qui
n’avait rien fait ».
Et pourtant on ne pouvait pas dire qu’était aisé le
maniement des trésors que la Providence Divine déposait dans
ses mains, puisque pour administrer tout cela il devait néces-
sairement se servir de l’action d’autrui. Il était avisé pour
préparer tout projet, attentif dans le choix des personnes, très
minutieux pour chercher à ce que fût faite la plus grande
économie possible, précis pour demander à examiner les con-
trats, mais dans le même temps non méfiant. Ayant choisi une

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252
personne qui avait la réputation d’honnêteté, il se comportait
comme le Prêtre Yehoyada à l’époque du Roi Joas lors de la
réparation du temple. « On ne faisait pas rendre des comptes par
ceux qui recevaient l’argent pour payer les artisans, mais ils
l’administraient selon leur honnêteté (1) ».
Toutefois, ayant le cœur ouvert, étant incapable de
tromper, il crut parfois qu’il y avait chez les autres le même
amour pour la justice que celui qu’il déployait dans chaque
contrat ; et, ne connaissant pas les intrigues employées par les
gens du monde, il fut, dans les activités commerciales avec eux,
plusieurs fois trompé, en basant ses calculs sur un devis con-
cernant des dépenses qu’il vit ensuite monter à des sommes plus
élevées. Quelquefois les fournisseurs, spécialement dans ses
débuts, le trahirent de diverses manières ; d’autre fois, contraint
par des circonstances impérieuses, il rencontra des personnes
peu délicates qui l’obligèrent à vendre pour peu ce qui valait
beaucoup, et à acheter pour beaucoup ce qui valait peu. Ne
manquèrent ni les fraudes ni les vols, car Don Bosco ne
pouvait pas toujours avoir l’œil à tout. Et cela ne doit pas
étonner. Jésus, béni [de Dieu], n’avait-il pas confié à un
Judas la bourse des aumônes ? Ayant multiplié les lieux
d’activité, il chercha des personnes de son Institution pour
l’aider dans ces divers besoins ; et il trouva finalement des
hommes très honnêtes, d’une confiance à toute épreuve, mais
quelques-uns ne s’y connaissant pas toujours en affaires, n’étant
pas aptes à certaines opérations commerciales, et [restant] sou-
vent tout dépourvus de l’argent qui était indispensable, puisque
D. Bosco avait sa caisse qui était vide. Ajoutons encore que les
dettes de l’Oratoire montaient souvent à des sommes énormes, et
cela sans avoir un centime de revenu. Et pourtant Don Bosco,
presque en se promenant sur le bord d’une faillite, fit toujours
—————
(1) [2] R 12,[16].

27.7 Page 267

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253
face à tous ses engagements ; ses créanciers ne perdirent jamais
un centime ; continuellement s’élevèrent des bâtiments ; et ses
jeunes en nombre immense et sans cesse croissant ne manquèrent
jamais de la moindre chose. Pour pousser les usines de France,
d’Autriche, d’Angleterre à faire l’envoi d’un grand nombre de
marchandises à ses maisons, il suffisait de son nom comme
garantie ; beaucoup de prêts lui furent accordés simplement sur
parole ou avec un document sans forme légale, et il y eut des
banques en Amérique qui d’abord versèrent aux Salésiens de
grosses sommes, et ensuite envoyèrent à Don Bosco, sous le
nom de qui le prêt était établi, les lettres de change en blanc
pour qu’il les signât, et c’est ce qu’il fit.
Tout cela ne fut-il pas un miracle éclatant, conti-
nuel pendant presque un demi-siècle ? N’est-il pas évident que
Don Bosco fut l’homme que Dieu voulut présenter au monde
matérialiste pour lui faire toucher de la main ce que peut, sans
les calculs et les moyens habiles des hommes, le soutien de la
Divine Providence pour celui qui place en Elle une confiance
sans limites ?
Il faut donc tenir compte aussi de cette mission de
Don Bosco pour avancer dans notre récit, au moment où nous
devons dire ici qu’en 1851 avec D. Cafasso, avec le Théol[ogien]
Borel et avec D. Giacomelli il avait plusieurs fois manifesté son
idée de mettre vite la main à l’œuvre pour la construction de
son futur et grandiose Oratoire. Et même un jour, vers le début
de l’année, tandis qu’il était entouré de ses jeunes, il leur parla
de l’avenir splendide de la maison de Valdocco, d’arcades qui
entoureraient une vaste cour, en décrivant également, comme si
déjà cela arrivait, les fêtes qu’on célébrerait dans une grande
église, et les musiques qui y résonneraient, ainsi que le concours
des foules qui accourraient au pied des autels.
Don Bosco décidait par conséquent au mois de mars
de commencer aussitôt la construction d’une chapelle plus digne

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pour le culte divin, et plus appropriée au besoin croissant.
L’ancienne, comme nous l’avons déjà exposé, avec l’adjonction
de quelques petites pièces, s’était bien sûr pas mal agrandie,
mais elle ne cessait pas d’être insuffisante et inadaptée. Comme
pour y entrer il fallait descendre deux marches, l’hiver et par
temps de pluie elle était souvent inondée et remplie d’humidité.
L’été, par ailleurs, à cause du manque de hauteur et du peu
d’aération, on s’y évanouissait et on y étouffait en raison de la
chaleur excessive : c’est pourquoi bien peu de jours de fête s’é-
coulaient sans que quelque jeune garçon fût pris de défaillance,
et par suite porté dehors comme asphyxié. Il était donc non
seulement utile mais nécessaire de commencer un édifice sacré
portant davantage à la prière, ayant plus de capacité d’accueil et
offrant une plus grande salubrité.
Mais de quelles ressources pouvait disposer Don Bosco,
alors que peu de semaines avant il avait payé la maison Pinardi ?
Brosio Joseph écrivait ainsi à D. Bonetti Jean : « Un jour de
semaine je suis allé lui rendre visite et je le trouvai dans la
cour : pensif, il tenait en main une lettre. En redoutant la natu-
re de la cause de cette préoccupation, je l’interrogeai ; et Don
Bosco me présenta la lettre pour me la faire lire. C’était un
fournisseur qui menaçait de le faire citer en justice s’il ne lui
payait pas aussitôt environ deux mille lires en acompte de [la
dette portée sur] son avoir. Ayant terminé de lire cette lettre, je
baissai la tête en réfléchissant à ce que seraient la peine et la
honte pour Don Bosco à devoir comparaître en jugement et à
entendre qu’il était condamné pour dettes ; et un long soupir
m’échappa. Don Bosco au contraire tout tranquille me dit : Com-
ment se fait-il, mon cher Brosio, que tu pousses des soupirs
pour cela ? Crois-tu que la Providence Divine m’abandonne ?
Prions et tu verras ce que fera Notre-Dame pour l’Oratoire ! Et
nous sommes allés prier à la chapelle. Une fois terminée la
prière, voici que se présente un monsieur qui désirait parler avec
Don Bosco et lui remettait l’argent nécessaire pour cet acquit-
tement.

27.9 Page 269

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255
[»] Cette somme réparait un seul trou, car il lui restait encore
d’autres dettes à éteindre, en ne comptant pas les dépenses con-
tinuelles à faire. La petite église était de dimensions trop peu
élevées pour contenir tant de jeunes, les locaux beaucoup trop
étroits pour loger les pensionnaires. Comment faire ? Où prendre
assez d’argent pour subvenir à tous les besoins ? J’ai présenté
ces remarques à Don Bosco et il me dit : — J’ai l’intention de
faire en son temps une loterie ; il manque seulement le local
[d’exposition des lots] et les objets qui devraient servir de lots
pour les donateurs. Où donc prendre toutes ces choses ? Et en
parlant ainsi il souriait. Vous, lui répondis-je, qui connaissez
tant de messieurs riches, demandez-leur les objets nécessaires, et
je ferai ce que je pourrai auprès de commerçants que je con-
nais, et Vous verrez une loterie qui sera surprenante. Et nous
avons convenu de cela. Mais Don Bosco garda pour lui ses
projets, à propos des buts et à propos de la manière de faire
appel à la charité publique. La construction de l’église devait
fournir les sommes nécessaires pour mettre debout l’Internat et
pour recueillir les jeunes. Et, ces buts, il sut les atteindre tous
les trois, chaque fois qu’il se disposait à [accomplir] une entre-
prise grandiose qui était la principale : celle-ci devait soutenir les
deux autres, également importantes ».
Un soir de ces mêmes jours Don Bosco disait à sa mè-
re : A présent je veux que nous élevions une belle église en
l’honneur de S[aint] François de Sales. Mais où prendras-tu
l’argent ? lui demanda la bonne Marguerite. Tu sais que de nos
biens nous n’avons plus rien ; tout a déjà été vidé pour donner
la nourriture et le vêtement à ces pauvres jeunes. Donc avant de
t’assujettir aux dépenses pour une église tu dois y réfléchir deux
fois, et bien t’entendre avec le Seigneur. — Et nous ferons précisé-
ment ainsi. Si vous aviez de l’argent, m’en donneriez-vous ? Tu
peux t’imaginer avec combien de plaisir. — Eh bien, conclut le
fils, Dieu, qui a tellement plus de bonté et de générosité que vous, de

27.10 Page 270

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256
l’argent, il en a pour tout le monde et, pour une œuvre qui doit
servir à sa plus grande gloire, j’espère qu’il m’en enverra quand
et où il faudra.
Avec cette confiance Don Bosco fit un jour appeler l’ingé-
nieur, monsieur le chev[alier] Blachier [= Blanchier], le conduisit
sur l’endroit à choisir pour l’édifice sacré et le pria de faire un
projet ; presque au même moment, ayant fait venir un certain
m[onsieur] Frédéric Bocca, il lui demanda s’il voulait s’engager
pour entreprendre l’exécution de [ce projet]. Bien volontiers,
répondit ce dernier. Mais je vous avertis, ajouta Don Bosco,
qu’il pourrait m’arriver quelquefois de ne pas avoir l’argent pour
les dépenses opportunes. Et alors nous irons plus lentement
dans les travaux. Mais non, car, moi, je voudrais nous voir
aller en vitesse, et d’ici un an avoir l’église bien finie. — Nous
irons aussi en vitesse, reprit l’entrepreneur. — Donc commencez,
conclut Don Bosco. Quelque chose en caisse, il y en a déjà ; le
reste, la Divine Providence nous l’enverra en son temps.
Tandis que l’on prenait ces mesures, approchait le Carê-
me, et dans les derniers jours de carnaval, pendant diverses
matinées, les jeunes de l’Oratoire, internes comme externes, ac-
complissaient la récollection. « Je me rappelle, nous écrivait le
Chan[oine] Anfossi, que chaque année pendant le carnaval en
compensation des nombreux désordres qui sont commis, Don
Bosco nous exhortait à recevoir la S[ainte] Eucharistie et à faire
des moments d’adoration devant le tabernacle. Et tandis qu’il
parlait, en pensant aux insultes que recevait Jésus dans le Saint
Sacrement, spécialement ces jours-là, il pleurait et nous faisait
pleurer nous aussi. Il nous recommandait également d’accomplir
nos pratiques de piété le plus dévotement qu’il fût possible avec
l’intention de gagner l’indulgence plénière qui y était jointe, et il
disait : [] Procurons un bon carnaval aux pauvres âmes du
purgatoire, en contribuant à les faire entrer plus vite dans les joies

28 Pages 271-280

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28.1 Page 271

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257
du paradis. Il insistait aussi pour nous inviter à ne pas ou-
blier dans nos prières nos bienfaiteurs. Ensuite, bien qu’à Turin
on fît étalage de nombreux divertissements publics et que toute
la ville fût en mouvement avec ses masques, nous autres jeunes
garçons, nous ne sentions point le besoin de sortir à travers
Turin ; il ne nous venait même pas l’idée d’en demander la
permission ; cependant en compensation Don Bosco nous procu-
rait quelques divertissements dans la cour et au petit théâtre ».
Le 11 mars les catéchismes de carême étaient organisés.
A l’Oratoire S[aint]-Louis, le Directeur, Pr[être], D. Pierre Ponte,
eut avec lui le jeune Pr[être] Théologien Félix Rossi [voir * page
260]. Le Théol[ogien] Léonard Murialdo commençait à fréquenter
l’Oratoire de l’Ange Gardien à Vanchiglia, dirigé ensuite par le
Théol[ogien] Robert Murialdo, son cousin, et il s’y rendait tous
les dimanches et tous les jours de fête pour y faire le catéchis-
me. Pour aider ces prêtres zélés et d’autres encore, Don Bosco
envoyait de Valdocco, non seulement des jeunes abbés, mais ses
jeunes eux-mêmes les plus solides et les plus sûrs, qui remplis-
saient ce rôle également tous les dimanches de l’année. En 1851
par déférence pour le Curé du Faubourg de la Doire, dans la
paroisse duquel se trouvait l’Oratoire de Valdocco, il commença
également à les envoyer faire le catéchisme dans son église
S[aint]s-Simon-et-Jude et il continua toujours ainsi, excepté de
courtes interruptions, pendant de longues années.
D. Bosco faisait le catéchisme à l’Oratoire de Valdocco,
mais il avait l’œil sur tout et sur tous.
Nous avons le témoignage que nous a donné m[onsieur]
Cristino Nicolas : « Je fus parmi les premiers à faire partie de
l’Oratoire Saint-Louis et je le fréquentai pendant plusieurs années.
Bien des fois D. Bosco s’y rendait, soit pendant le carême soit au
cours de l’année et parfois accompagné de nobles et distingués
personnages de la ville qui l’aidaient, et il était accueilli avec un
enthousiasme difficile à décrire. Il présidait aux catéchismes et aux
cérémonies, prêchait et stimulait le zèle de ses collaborateurs.
Moi, j’admirai souvent l’ascendant que D. Bosco avait sur ces

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258
jeunes gens. Parfois quelques-uns en furie se battaient et D. Bosco
s’approchait en disant très calmement : Eh là ! Eh là ! et
il les prenait, comme en les caressant, par une oreille ; et à ce
geste instantanément ils s’apaisaient.
» Parfois, en récompense pour les plus appliqués, il les con-
duisait pour déjeuner ou bien dans la maison de campagne du
Théol[ogien] Vola à S[ainte]-Marguerite, ou bien à Sassi chez le
bon curé [de l’endroit]. En se tenant au milieu des jeunes, il en
étudiait attentivement les penchants, la piété et la conduite pour
voir s’il découvrait des indices de vocation ecclésiastique. Entre
autres, comme il lui semblait que je pouvais fournir une bonne
réussite, il me confia au Théol[ogien] D. Pierre Ponte, pour qu’il
me fît commencer l’étude de la langue latine. Mais je ne réussis
pas, car mon frère aîné n’eut pas la patience d’attendre que le
cours des études fît apparaître plus clairement ma vocation, et
c’est pourquoi je dus m’orienter vers un art libéral. Mais à
d’autres, aidés directement par D. Bosco fut conféré le sacerdo-
ce ; d’autres apprirent d’honorables professions, tous l’aimèrent,
beaucoup se montrèrent reconnaissants envers lui, et souvent ils
allaient lui rendre visite à Valdocco. Et moi, depuis le jour où il
mourut, je ne peux manquer de me rendre toutes les semaines
sur sa tombe à Valsalice ».
D. Bosco apportait les mêmes soins à l’Oratoire de Van-
chiglia.
A l’approche de la fête de Pâques, qui en 1851 tombait
le 20 avril, la sainte activité des triduums et des confessions
battait son plein : les Capucins du Mont [= du couvent situé au
Mont des Capucins] à Portanuova et les Oblats de [la Vierge]
Marie de Notre-Dame de Consolation à Valdocco s’offraient,
comme d’autres fois dans l’année, à exercer le ministère sacré,
avec les désagréments que cela leur apportait. Les chœurs des
jeunes gens préparés à la première communion chantaient le can-
tique que D. Bosco leur avait enseigné et [qui fut] cette année-là
ajouté à la Jeunesse Instruite :
A nous aussi est enfin accordé
le Banquet des Anges, etc.

28.3 Page 273

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259
Et les [membres du] clergé, tant séculier que régulier, se
donnaient du mal en ville et dans la province pour aider à la
sanctification des âmes et en même temps, il convient aussi de
le dire, à la formation de bons citoyens fidèles au Souverain et
obéissants aux lois de l’Etat ; sans faire mention des autres
innombrables bienfaits, moraux comme matériels, qu’ils procu-
raient aux populations. Mais les membres des sectes ne voulaient
pas, ou plutôt haïssaient, le vrai bien et ils désiraient ardemment
enlever toute influence à la religion.
Au Parlement, qui désormais avait l’aspect d’une assemblée
de protestants, vers la fin de mars, au milieu des grossièretés et
des insultes envers le clergé, avait été proposée une réforme des
Ordres monastiques : on voulait interdire l’émission des vœux
solennels aux novices avant l’âge de vingt et un ans et imposer
aux novices, d’un sexe comme de l’autre, au cours des deux
années précédant la profession, une période d’au moins six mois
continus de vie en dehors du cloître ; [on voulait] que celui qui
accepterait une profession religieuse non permise fût condamné à
la relégation et que celui qui ferait alors profession fût privé des
droits civils. Cependant on n’en vint pas au vote, et peu de
jours après, comme les projets de suppression des Bénéfices et
des Ordres religieux n’étaient pas encore bien mûris, sur ceux-ci
on commença à prélever de lourds impôts, et, en laissant
exemptes les églises, on frappait les habitations des curés et des
bénéficiers. Le 15 avril le Roi signait la nouvelle loi qui
abolissait les dîmes en Sardaigne, et le 23 mai il sanctionnait
celle de [= contre] la mainmorte, qui s’étendait aux provinces,
aux communes et aux institutions de charité et de bienfaisance ;
mais, tandis que pour ces dernières le quota était fixé au demi
pour cent, pour les Institutions Ecclésiastiques, il fut élevé à
quatre.
En attendant, vers la fin de mai, Don Bosco, une fois
démoli en partie le mur intérieur qui séparait les deux cours, fit
commencer les travaux d’excavation pour la construction de
l’Eglise projetée, si bien qu’au début de l’été on put en jeter les
premières fondations. Mais, comme les maçons de temps en temps

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260
se laissaient aller à des blasphèmes, Don Bosco les fit venir
chez lui, les pria de ne plus blasphémer, et, pour empêcher
l’offense du Seigneur, il promit que chaque samedi il leur
donnerait à chacun un et même deux verres de vin, à la
condition pour eux de quitter cette mauvaise habitude. Les
maçons promirent et tinrent leur parole, et pendant plus d’un an
chaque samedi Marguerite leur apportait un petit tonneau, qui
était vidé pour rendre honneur à Dieu, pour souligner le mérite
de D. Bosco et pour rafraîchir le gosier de ces ouvriers.
—————
* François ou Félix : Le texte italien des Mémoires Biographiques
utilise l’un ou l’autre. On rencontre par ailleurs Paul. [Voir au volu-
me IV, p. 572 et au volume V, pp. 38. 558-59. 639].
—————

28.5 Page 275

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261
CHAPITRE XXIII
D. Bosco demande des offrandes aux bienfaiteurs pour la
construction de la nouvelle église Réponse de l’abbé Rosmi-
ni Don Bosco à Biella et sa rencontre avec le Père Goggia A
Oropa Lettres encourageantes des Evêques A Valdocco la
fête de S[aint] Jean et [celle] de S[aint] Louis D. Bosco à
S[ant]Ignazio et à Lanzo : ses prévisions.
Don Bosco, n’avait pas perdu de temps dans la recherche
d’offrandes auprès des fidèles afin de commencer l’église projetée, et
entre autres il avait recours à l’Abbé Rosmini.
Très ill[ustre] et Très rév[érend] Monsieur,
Le peu de temps pendant lequel V[otre] S[eigneurie] Très
ill[ustre] et Très rév[érende] put rester ici à Turin ne nous permit
pas de vous faire voir la manière dont on désirait construire
notre église, et restaurer notre maison ; raison pour laquelle, une
fois le projet réalisé, j’ai pensé réunir une dizaine de personnes
expertes en ces matières, afin de faire examiner le travail à
réaliser.
Une réflexion fut donc menée sur le plan et sur la manière de l’exé-
cuter : et à la suite de quelques observations d’ordre hygiénique et
d’ordre économique il fut décidé de commencer la construction de

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262
l’église. Mais, comme les ressources pour effectuer une telle
œuvre sont uniquement basées sur les offrandes des particuliers,
selon la manière et la quantité que chacun désire librement pour
donner sa contribution, je me permets avec le plus grand respect
d’inviter V[otre] S[eigneurie] à bien vouloir nous prêter une aide
bienfaisante. La dépense pour l’église fut estimée dans les cal-
culs de l’architecte à trente mille francs ; par les offrandes faites
en matériaux, en argent et en travaux accomplis sur le chantier,
nous avons déjà quinze mille francs. Il nous en manquerait en-
core autant. Remarquez cependant que n’importe quelle somme,
même très petite, sera reçue avec la plus grande gratitude, et ce
sera toujours pour moi un plaisir très intense de pouvoir Vous
compter au nombre des bienfaiteurs qui contribuèrent à la con-
struction d’une église sous le titre de S[aint] François de Sales,
la première que dans le Piémont on ait élevée en faveur de la
jeunesse laissée à l’abandon.
Par ailleurs, pour ce qui est de la restauration de la maison, il
fut décidé de la surélever entièrement d’un étage, ce qui double
l’espace de l’actuelle habitation ; d’autre part les ressources pour
ce deuxième ouvrage sont basées sur le morceau de terrain mis
en vente, et le résultat (il est déjà en partie vendu) nous en
paraît bon.
Persuadé que dans votre bonté Vous voudrez bien nous conti-
nuer votre aide bienfaisante, je Vous remercie de tout cœur de
ce que Vous avez fait à notre égard, en priant le Seigneur pour
que dans ses saints désirs Il veuille Vous accorder de l’aide et
Vous être favorable de la façon qui servira à la plus grande
gloire de Dieu.
Par ailleurs, tandis que de tout cœur je me recommande
moi-même à vos pieuses prières, avec les sentiments de la plus
vive gratitude je me déclare en toute vénération
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très rév[érende]
Turin, 28 mai 1851.
Très reconnais[sant] Serviteur
BOSCO J[ean] Pr[être].

28.7 Page 277

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263
De Stresa le 1er juin 1851 le P[ère] Gilardi lui répondait
ainsi :
Très Rév[éren]d et très ch[er] D. Jean,
Ce fut une grande consolation pour le Très Rév[éren]d P[ère]
D. Antoine Rosmini de lire dans votre respectable [lettre] du
28 r[écemment] é[coulé] comment Dieu bénit votre zèle empressé,
en Vous préparant les ressources pour édifier l’église et agrandir
la maison destinées à l’œuvre charitable qu’Il Vous inspira de
développer : et, lui aussi, il désirerait ardemment pouvoir y
contribuer au moyen d’une large offrande ; mais sa situation
actuelle et les nombreuses dépenses qu’il a dû supporter ces
dernières années, et qui lui incombent encore, ne lui permettent
pas de seconder tout votre désir. Toutefois, au cas où cela
plairait à V[otre] S[eigneurie], il Vous offrirait un certain nombre
de livres de ses Œuvres : en les faisant vendre, Vous en
convertiriez le prix en subside pour cette construction que Vous
assumez. Si l’expédient Vous convient, faites-m’en signe, afin
que je puisse mettre à exécution…
P[ère] GILARDI.
D. Bosco, reconnaissant, envoyait sa réponse.
Turin, 4 juin 1851.
Très ch[er] et Très Rév[érend] D. Charles,
Dans la personne de V[otre] S[eigneurie] Très ch[ère] je remer-
cie Monsieur le Très rév[érend] Abbé Rosmini de la part qu’il
veut bien prendre à notre édifice qui vient de commencer et qui
est destiné pour la maison du Seigneur.
S’agissant d’une offrande de charité, on accepte donc n’importe
quelle somme ; et même, je l’espère, les livres pourront facilement se
transformer en argent. Ayez seulement la complaisance de me
faire savoir la manière dont Vous désirez me les envoyer et, moi,

28.8 Page 278

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264
je serai prêt à les recevoir ; il me serait aussi avantageux pour
ma gouverne personnelle, si Vous m’indiquiez approximativement
à quel prix ces livres sont mis ailleurs en vente.
Je regrette beaucoup la nouvelle au sujet de D. Charles Rusca :
j’espère cependant in Domino [dans le Seigneur] que la maladie
ne sera pas ad mortem [pour la mort]. De toute façon, j’ai déjà
prié et je continue à prier pour que soit faite la très sainte
volonté divine.
Je Vous salue de tout cœur et je Vous remercie en me disant
De V[otre] S[eigneurie] Très ch[ère]
Très obl[igé] serviteur
BOSCO J[ean] Pr[être].
Entre-temps D. Bosco, selon son habitude lorsqu’il devait
commencer une entreprise plus importante, avait établi de se
rendre au sanctuaire de Notre-Dame d’Oropa pour invoquer, avec
toute l’effusion du cœur, son aide maternelle. « Je l’en avais
prié, nous écrivit D. Jacques Bellia, et il vint faire la clôture du
mois de Marie à Pettinengo. C’était la première fois que dans ce
village on célébrait une cérémonie aussi émouvante. En prêchant,
D. Bosco tira son sujet d’un petit bouquet de lis, de roses, de
violettes et d’autres fleurs pour parler des vertus, avec la pra-
tique desquelles on peut devenir agréable à Marie. Il habita une
semaine chez nous, en donnant beaucoup d’édification, et plu-
sieurs se confessèrent dans notre maison.
» A son passage ensuite à Biella dans l’église S[aint]-Philippe,
lui fut demandé son celebret, mais il ne l’avait pas avec lui.
Interrogé pour savoir s’il connaissait quelqu’un qui pût témoigner
en sa faveur, il répondit : Oui : p[ar] ex[emple] le Père Gog-
gia. Mais il ne le connaissait que de réputation. Et voici que
le Père Goggia entre dans la sacristie. Les deux prêtres, dès
qu’ils se virent, s’embrassèrent, chose que fit de rares fois dans
sa vie D. Bosco, en s’appelant l’un l’autre par leur nom, sans

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265
s’être jamais vus. Je restai saisi d’étonnement, car le nom de D. Bos-
co n’avait pas été prononcé, et je dus observer avec d’autres
qu’un saint embrassait l’autre, sans avoir jamais auparavant fait
connaissance entre eux.
» Au cours de ce voyage, il alla à Oropa, y célébra la Messe
et fut invité par le Recteur à revenir pour y rester jusqu’à trois
mois, en travaillant dans ses manuscrits et en célébrant en com-
pensation pour le Sanctuaire. D. Bosco accepta et remercia, en
pensant que quelques semaines de calme et de prière devant la
sainte représentation [de la Vierge], si toutefois cela lui était pos-
sible, lui apporteraient un grand réconfort. Et de fait, quelque
temps après, il y retourna ; mais [les responsables de] l’administra-
tion avaient changé et il ne lui fut pas accordé de demeurer ».
Jusqu’ici [s’exprimait] D. Bellia.
Revenu du Sanctuaire d’Oropa Don Bosco s’empressa de
faire préparer les plans de l’église à construire, et, avec une
demande de sa part pour obtenir l’approbation, il les présenta à
la Mairie. Aussitôt après il commença à écrire des lettres à un
grand nombre de personnes dont il connaissait la propension à
faire le bien, en leur exposant le besoin dans lequel se trouvait
le secteur de Valdocco d’avoir un édifice dédié au culte divin,
en leur demandant de venir à son aide, et en leur transmettant
un bulletin de souscription formulé par lui (1).
Quant à lui, pendant plusieurs mois de suite, il ne cessa pas
d’écrire son courrier et il en reçut les réponses, même des Evê-
ques du Piémont, auxquels il avait adressé sa chaleureuse demande,
—————
(1) Pour la construction d’une église à l’Oratoire de Valdocco sous
le titre de S[aint]-François de Sales pour la jeunesse en danger :
J’offre l’aumône de ……… francs en totalité ……
Ou bien répartis comme suit :
Pour l’année en cours : dix francs payés.
Pour l’année à venir 1852 : dix francs à payer.
Turin, 20 juin 1851.
N. N.

28.10 Page 280

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266
en les priant de bien vouloir se faire les promoteurs dans leurs
diocèses de la souscription. Les Prélats se déclaraient très prêts à
l’aider ; mais ils déploraient la difficulté d’obtenir les offrandes
demandées, ayant eux-mêmes bien des dépenses auxquelles ils ne
pouvaient faire face par manque de fonds, que la charité refroidie
laissait désirer. Les uns avaient des églises à construire ou à
réparer, les autres se trouvaient dans une très grande difficulté
sur le plan financier, d’autres étaient accablés par le poids d’ins-
titutions à soutenir dans une ville et un diocèse très pauvres, et
harcelés par de multiples demandes pour des œuvres charitables
et d’autres ne relevant pas de la charité. Néanmoins, en promet-
tant qu’avec le temps ils ne failliraient pas à son attente, l’un
envoie son obole, un autre accepte des messes qu’il célébrera en
laissant les honoraires à la disposition de Don Bosco. Mais sur-
tout on doit remarquer la déférence qui émane de leurs réponses.
Ecrivent l’Evêque de Fossano : « Je Vous encourage dans le
Seigneur à continuer avec ardeur votre œuvre, et Dieu ne Vous
délaissera pas dans sa Providence. Conservez à mon égard votre
amitié » ; [] l’Evêque d’Alba : « Dieu ne fera pas défaut à
V[otre] S[eigneurie] qui accomplit une si bonne œuvre. Quant à
moi, je ne manque pas de prier S[a] D[ivine] M[ajesté] de Vous
bénir » ; — l’Evêque de Suse : « Le Théol[ogien] Gey m’a remis
la lettre très app[réciée] de V[otre] S[eigneurie] T[rès] Rév[érende],
dans laquelle Vous m’informez du projet d’ajouter une église aux
grandes œuvres que le Seigneur Vous inspire de faire en faveur
de la jeunesse laissée à l’abandon » ; — l’Evêque de Saluzzo :
« On ne peut pas faire tout ce que l’on voudrait. En tout cas, je
Vous envoie une marque évidente du cas que je fais de l’œuvre
sainte entreprise par votre zèle » ; l’Evêque de Vigevano :
« Toujours occupée à de bonnes œuvres, V[otre] S[eigneurie] Très
ill[ustre] et Rév[érende] gagnera un nouveau titre [pour être com-
blée] de mérite et pour [recevoir] les bénédictions du Ciel avec
l’église publique que Vous Vous êtes proposé de construire à
l’avantage particulier des personnes qui habitent entre le fau-
bourg de la Doire et le Martinetto ».
Mais il semble que toutes ces lettres soient résumées
dans celle de l’Evêque de Mondovì.

29 Pages 281-290

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29.1 Page 281

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267
T[rès] Rév[érend] Monsieur,
Je n’ai jamais entendu parler de V[otre] S[eigneurie] T[rès]
R[évérende] et Très est[imée] et des œuvres saintes dans les-
quelles Vous Vous employez actuellement au bénéfice de la
jeunesse, sans remercier vraiment de tout cœur le Seigneur
d’avoir, à cette époque si corrompue, suscité en Vous un Prêtre
rempli de son esprit et d’un saint zèle pour le salut des âmes.
Vous pouvez donc Vous imaginer aisément combien, personnelle-
ment, je serais disposé à Vous aider pour la bonne réussite de
l’entreprise à propos de laquelle Vous m’avez écrit. Mais si nom-
breux sont les engagements que j’ai assumés, si nombreuses les
dépenses auxquelles je dois être soumis, qu’il me faut me limi-
ter pour le moment à mon bon vouloir. Pour ne pas dire que,
seulement au niveau des églises, quatre, et parmi elles deux
paroissiales, sont en train présentement d’être construites dans
mon Diocèse. Je ne peux absolument pas me dispenser de con-
tribuer, pour autant que me le permettent mes forces, à ces
constructions, qui furent entreprises sur mon encouragement et à
la suite de la promesse de mon aide. Je ne parle pas du nombre
immense de pauvres, auxquels je dois parfois fournir la nourritu-
re, le logement et le vêtement, ni de la difficulté, ressentie en
ces jours d’une façon générale et par moi en particulier, d’avoir
de l’argent, en raison de quoi souvent je ne peux pas subvenir à
d’énormes besoins. Pour ces motifs, il ne m’est pas possible d’ap-
porter à présent à V[otre] S[eigneurie] T[rès] R[évérende] et Très
est[imée] le secours que l’on attend de moi pour l’installation de la
nouvelle église que Vous avez commencée. Cependant il ne se
produira pas que j’oublie votre demande. Je m’en souviendrai,
moi-même, toujours pour la satisfaire, si ce n’est pas maintenant,
lors de la première circonstance favorable. Je chercherai aussi à re-
commander votre généreuse entreprise à ces pieuses et charitables
personnes dont je peux espérer quelque offrande. En attendant, ce dont
je ne dois pas actuellement me dispenser, c’est de Vous présenter mes
plus cordiales félicitations pour le grand bien que Vous faites et de

29.2 Page 282

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268
prier le bon Dieu de bénir de plus en plus les œuvres saintes
que Vous avez commencées et de leur être favorable. Vous
aussi, souvenez-Vous de moi dans vos ferventes prières, et
veuillez agréer la marque évidente de la considération distinguée
et affectueuse avec laquelle j’ai le plaisir de me déclarer…
Mondovì, 12 août 1851.
Fr[ère] J[ean]-THOMAS Evêque.
Au milieu de ces échanges de lettres, durant la journée
du 24 juin, tandis que les jeunes, à Valdocco, célébraient la fête
patronale de D. Bosco, le Conseil de l’Urbanisme, qui s’était
réuni à l’Hôtel de ville, approuvait les plans pour la nouvelle
église S[aint]-François et donnait le permis de construire. Le 30,
le P[remier Adjoint au] Maire Bursarelli communiquait à D. Bos-
co une copie de la décision attendue qui avait été prise.
A la fête de S[aint] Jean-Baptiste succédait celle de S[aint]
Louis. Avec des planches on avait couvert toutes les tranchées
des fondations de la nouvelle église et, en face de la porte de
l’ancienne, s’élevait une grande estrade pour les invités. Cette [es-
trade] et la cour étaient ornées de tapis et de tentures ; et deux
rangées de longues perches d’échafaudage, [qui étaient] revêtues
de toiles de différentes couleurs et [de chacune] desquelles pen-
dait une oriflamme, jalonnaient depuis la porte de la petite église
jusqu’à la grille extérieure le chemin que devait suivre la pro-
cession.
A cette fête solennelle avait été invité l’Evêque de Fos-
sano ; mais, empêché, il en envoyait ses excuses à D. Bosco (1)
—————
(1) Très cher D. Bosco,
Vous pouvez Vous imaginer avec quel plaisir et [quelle] joie de l’es-
prit je me rendrais à votre pieuse institution le 29 prochain et pour la
fête de S[aint] Louis et pour administrer la Confirmation, si des affaires
urgentes d’une part et le fait d’avoir donné ma parole d’autre part de
me rendre le même jour dans une paroisse du diocèse pour le même
but ne m’en empêchaient pas. Gardez-moi donc à votre disposition

29.3 Page 283

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269
et, à sa place, prêtait ses services l’Evêque de Pinerolo.
L’Armonia [L’Harmonie] du 4 juillet 1851 relate cette fête :
« Dimanche dernier (29 juin) à l’Oratoire Saint-François de Sales
à Turin on célébra la fête de S[aint] Louis de Gonzague de la
manière la plus pieuse et la plus solennelle. Pendant la matinée,
grande fréquentation des Sacrements Sacrés ; Mgr Renaldi, ayant
fait précéder une chaleureuse exhortation, administra [la Confir-
mation avec l’onction du] Saint Chrême à près de quatre cents
personnes, entre jeunes et adultes. Pour une fête solennelle
célébrée par une jeunesse solidement chrétienne, il ne manqua
pas la musique des voix de jeunes pleines d’harmonie, les re-
présentations de dialogues scéniques et des choses analogues ; les
préparatifs [furent] modestes et exécutés avec maestria ; [le lâcher]
d’un ballon [et le tir] d’une bonne quantité de fusées et de feux
d’artifice concluaient la charmante journée. La gaieté, la joie, la
sérénité étaient gravées sur les visages de cette nombreuse jeu-
nesse, qui à regret quittait ce séjour de réjouissances. Ce fut la
fête d’une famille de plus de 1 500 jeunes qui, au milieu des
vivats les plus cordiaux et les plus religieux jaillis d’un seul
cœur et d’une seule âme, étaient suspendus aux lèvres de leur
père affectueux. Pour donner une splendeur magnifique à cette
fête solennelle, il nous manquait une église appropriée, puisque
pour les deux tiers les participants durent rester dehors à cause
du petit volume et de l’étroitesse de l’édifice actuel, mais notre
esprit trouve sa joie dans la divine Providence, qui semble pré-
—————
pour une autre occasion et croyez bien que ce sera pour moi une vraie
consolation de prêter mon concours à tous vos désirs. Oh ! ce sera réel-
lement un jour de fête lorsque je pourrai me retrouver au milieu de
vos bons élèves. Que Dieu les bénisse tous, comme moi-même de tout cœur
je les bénis. Présentez mes respectueuses excuses aux généreux messieurs
que V[otre] S[eigneurie] me nomme et qui m’invitent par votre intermé-
diaire, et persuadez-les de croire à la peine que j’éprouve de ne pas
pouvoir répondre à cette invitation. Les bonnes nouvelles que Vous me
donnez au sujet de mes Fossaniens me consolent : continuez envers eux vos
charitables soins ; saluez de ma part l’ami Borel et croyez-moi…
L[ouis], E[vêque] de Fossano.

29.4 Page 284

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270
parer les moyens pour une église nouvelle plus convenable pour
le culte divin, plus adaptée aux besoins actuels ».
Nous rappellerons encore que le Jeu[ne abbé] Reviglio,
sur une suggestion de D. Bosco, avait mis sur le balcon trois
barils remplis d’eau, dans chacun desquels il avait mélangé une
matière colorante différente. De ces [barils] partaient trois petits
tuyaux qui, descendant vers la cour et passant sous terre,
aboutissaient à un bassin. — Là, le soir, jaillirent à l’improviste
trois jets avec trois couleurs, pour l’étonnement et la joie
immenses des jeunes. Il fallait peu pour les contenter.
Peu après cette fête D. Bosco se rendait à S[ant’]Igna-
zio, sur les hauteurs de Lanzo, pour la Retraite [spirituelle] où le
Théol[ogien] Gastaldi prêchait les conférences et le Père Molina,
Prêtre du Calvaire, les méditations. De ce déplacement effectué
par D. Bosco, Joseph Brosio nous donne un compte rendu en ces
termes : « La bienveillance, ou mieux l’affection, de D. Bosco à
notre égard ne peuvent être décrites. Il avait toujours peur de
voir ses fils souffrir de quelque privation, ou ne pas être con-
tents de lui (1). Sur l’espace d’environ quarante-six années j’ai
—————
(1) L’intérêt que D. Bosco prenait pour les jeunes apparaît dans une de
ses lettres adressée le 29 août 1851 à D. Chiatellino, maître d’école à
Carignano : « Je juge bon de faire part à V[otre] S[eigneurie] très chère que
B… Joseph, père du garçon que Vous avez recommandé, à la suite de la lettre
ci-jointe, rappela chez lui son fils sur la suggestion de M. Chiusano Michel.
» Bien que cela m’ait plu, parce que, je le suppose, les parents du jeune
susdit ne se trouvent plus tellement dans un grand besoin, et aussi parce que
cela me redonne une place pour quelqu’un des nombreux quémandeurs, j’ai
cependant pas mal regretté, parce que le fils avait après une longue applica-
tion fait beaucoup de progrès dans la conduite, surtout dans le travail.
» Moi-même, V[otre] S[eigneurie], M. Chiusano, nous avons fait ce que
nous avons pu ; que le Seigneur continue ce que nous avons essayé de
faire…
» Saluez de ma part affectueusement votre cousin Chiusano Michel, les
personnes de votre maison, également de la part des personnes de notre
Oratoire, et aimez-moi dans le Seigneur, tandis que je me dis, etc. [»].

29.5 Page 285

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271
toujours reconnu que D. Bosco ne fut jamais avare pour aider
les jeunes, qu’il désirait qu’ils fussent toujours tous joyeux, en
cherchant continuellement les moyens les plus susceptibles de satis-
faire leurs aspirations ou leurs envies, lorsqu’elles étaient réalisables
et justes. Je pourrais raconter plus d’un fait à ce propos.
» D. Bosco nous conseillait même, à nous les externes, de par-
tir en un lieu à l’écart, si nous le pouvions, pour faire chaque
année la retraite spirituelle ; et au cas où nos occupations ne le
permettraient pas, d’employer au moins un jour à ajuster les
affaires de notre conscience de la façon que nous aurions désiré
nous trouver sur le point de mourir. Or, moi, j’avais beaucoup
de plaisir à aller à S[ant]Ignazio près de Lanzo faire la retraite
spirituelle, et D. Bosco me conduisit avec lui et me voulut
comme compagnon de table, de récréation et de promenade.
Nous étions presque toujours ensemble. Au déjeuner et au dîner,
il manifestait la crainte de me voir manger et boire trop peu, et
il faisait en sorte que ma portion prise au plat de résistance fût
abondante. Parfois le soir il me disait : — Encore aujourd’hui tu
as peu mangé. Tu es jeune. Fais attention à ce que ton estomac
n’ait pas à en souffrir.
» Après la retraite [spirituelle], descendus à Lanzo, nous som-
mes allés visiter le village et ses alentours. Lorsque nous fûmes
parvenus sur un beau sommet, nous nous sommes arrêtés à
observer attentivement l’endroit. D. Bosco demeura pensif pen-
dant un peu de temps, et je le regardais, et il ne savait
pas quoi me dire de ce changement soudain. Après un long
silence il me prit par la main et s’écria : Comme convien-
drait bien ici un Oratoire et quelle belle position pour un
collège ! Et là 14 ans après, son Collège était implanté !
» En arrivant à Turin il me dit : Ecoute, cher Brosio ; si tu
étudies, tu prendras le diplôme de maître d’école et ainsi tu
deviendras enseignant… Pense que je t’aime, et beaucoup, com-
me un fils, et, je te le promets, tant que D. Bosco aura un
morceau de pain, il le partagera toujours avec toi. Souvent il me

29.6 Page 286

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272
répéta ces paroles. Je m’apercevais que les intentions de son
esprit étaient fixées sur des classes primaires et sur un collège, et
finalement un jour je lui répondis : Eh bien, oui, D. Bosco ;
j’étudierai pour être maître d’école. — En effet, j’ai étudié ; si
ce n’est que, m’étant vite fatigué, je continuai dans ma profes-
sion de commerçant ; mais je ne perdis rien de la confiance que
D. Bosco m’accordait d’une manière familière.
» J’avais également le plaisir d’aller au Sanctuaire d’Oropa, et,
D. Bosco ne pouvant pas m’accompagner, il me remit un billet
pour le Recteur [du Sanctuaire], qui me reçut comme si j’étais un
personnage distingué. Je fus hébergé dans les chambres des
prêtres et un domestique fut attaché à mon service… Et, avec
moi, furent très nombreux ceux qui en diverses occasions éprou-
vèrent les effets de traits semblables de la bonté de D. Bosco ».
—————

29.7 Page 287

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273
CHAPITRE XXIV
Autres démarches de Don Bosco pour obtenir des subsides Pro-
messe généreuse du Roi Bénédiction et pose de la première
pierre de l’église Discours du P[ère] Barrera Fêtes, dialogue
scénique et nouvelle prédiction Don Bosco et les Juifs.
Au cours des mois de juin et de juillet D. Bosco
n’avait pas cessé un instant de s’occuper de la construction de
son église.
A certains, il sembla que D. Bosco était trop importun
avec ses demandes d’aumônes et qu’il montrait presque trop
d’empressement pour obtenir de l’argent. Mais nous ferons
remarquer qu’il ne demandait pas pour lui, qu’il était toujours
grandement dans le besoin, que ses dettes il ne pouvait jamais
les éteindre entièrement, que sans une vertu héroïque il n’aurait
pas pu se soumettre à tant de sacrifices de tout genre.
En effet, le 18 juin, avec un acte passé devant le notai-
re Porta, il avait été obligé de vendre à m[onsieur] Jean-Baptiste
Coriasso l’un de ses terrains près de la Maison Moretta qui me-
surait 3,43 ares [343 mètres carrés] pour le prix de 2 500 lires :
[ce terrain] touchait à l’ouest au champ des rêves. Coriasso y construi-
sait une petite maison avec un atelier de menuiserie sur l’emplacement
qui à présent [1904] est occupé par la porterie de l’Oratoire.
D. Bosco, une fois cette vente effectuée, expédiait, en plus
des bulletins de souscription, des invitations exprimées sur un ton
familier à ses amis : nous reproduisons ici à titre d’échantillon l’une
d’entre elles qui fut adressée à la Sacra di S[an] Michele.

29.8 Page 288

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274
Très cher D. Fradelizio,
Rempli du désir de voler sur le [mont] Pirchiriano, j’en suis
empêché par mes occupations. La cause principale de ces occu-
pations est l’église à construire à laquelle V[otre] S[eigneurie]
Très ch[ère] doit (non sub gravi [pas sous une obligation grave])
prendre part. De quelle manière ? Pas avec des briques qui sont
trop lourdes ; pas avec de l’argent, parce que, à Turin, il y a la
Zecca [= Atelier où l’on frappe la monnaie] : Vous devrez prendre
part en m’envoyant quelques faisceaux de bois, quelques poutres
de mélèze, un certain nombre de liteaux ou de montants pour
faire le toit à ma pauvre église. Recommandez-moi aussi à ce
sujet à m[onsieur] le Curé de S[ant’]Ambrogio ; et que inter totos
et omnes [tous ensemble] m’aident pour la couverture de l’édifice
déjà commencé.
Cette lettre de ma part manque de beaucoup de qualités, mais
tolérez-la comme écrite par un garnement ; et même faites-moi
une belle réprimande, pourvu que Vous m’envoyiez quelques
faisceaux de bois.
Veuillez offrir mes plus cordiales salutations à D. Puecher, à
Don Gagliardi, à D. Costantino, à D. Flecchia ; et tandis que je
Vous souhaite tout bien venant du Seigneur, je me recommande
de tout cœur à vos prières, en me disant
Turin, 4 juillet 1851.
Très obl[igé] Serviteur et ami
BOSCO JEAN Pr[être]
(près du Refuge)
P.S. — L’examen du Jeune abbé Nicolini a été bien réussi ; il
doit encore subir l’[examen] public lundi.
Et il n’oubliait pas de s’adresser également à de très
riches personnages qui n’étaient pas habitués à faire la charité.
Tantôt il n’obtenait pas de réponse, et tantôt il renouvelait les

29.9 Page 289

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275
démarches même en prévoyant une [réponse] négative. Cependant,
mettant sa confiance en Dieu, il disait : Faisons pour notre
part tout ce que nous pouvons, et le Seigneur fera avec sa bonté
ce que nous ne pouvons pas. — Et après avoir laissé s’écouler
un temps notable il renouait ses essais sous une autre forme.
C’est pourquoi, peu après la mi-juin, il avait présenté au
trône du Roi Victor-Emmanuel une supplique, dans laquelle il
rappelait avec gratitude sa souveraine bienveillance envers les
jeunes de l’Oratoire, il lui donnait connaissance de la construc-
tion de la nouvelle église, il le priait de bien vouloir daigner
venir en poser la première pierre, et, au cas où cela ne pourrait
se faire, il suppliait Sa Majesté de bien vouloir, en suivant,
comme il l’avait fait jusqu’alors, les traces glorieuses de son
auguste Père, continuer en faveur de notre Institution son appui
souverain. Eh bien, peu après, D. Bosco recevait du Secrétariat
Royal d’Etat la lettre suivante très importante :
Turin, le 5 juillet 1851.
Très Rév[éren]d M[onsieur] Très resp[ecté],
Son Excellence le Duc Pasqua, Préfet du Palais Royal, à qui
ce Ministère a dû transmettre pour une raison de compétence le
recours qui a été présenté par V[otre] S[eigneurie] T[rès] Rév[é-
rende], a dans sa lettre du 25 [juin] dernier fait savoir que,
lorsqu’il a soumis aux décisions royales les demandes adressées,
Sa Majesté vit avec une véritable satisfaction la décision prise
par V[otre] S[eigneurie] et par d’autres personnes charitables de
recueillir des jeunes dans l’Oratoire établi là-bas, afin de leur
procurer une éducation religieuse et morale.
Et que pour cela, dans le désir de favoriser la réalisation
de cette œuvre pie et ne pouvant, vu ses nombreuses occu-
pations, prendre part à la pose de la première pierre de la

29.10 Page 290

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276
nouvelle église, dont a été projetée la construction, il a daigné
donner dès à présent une preuve de son cœur Royal généreux,
en manifestant l’intention de contribuer de quelque manière en
faveur d’une telle œuvre, lorsque s’en présentera le cas.
Cela me fait bien plaisir de faire savoir à V[otre] S[eigneurie]
T[rès] Rév[érende] les dispositions favorables manifestées par
Sa Majesté à l’égard d’une institution si digne de louanges en
raison du but charitable vers lequel elle est dirigée et, ne
pouvant pas ne pas ajouter pour ma part personnelle un apport
d’éloge pour les soins pleins de zèle avec lesquels Vous la
développez et la dirigez, je profite de l’occasion propice, qui se
présente à moi, pour me déclarer avec une estime distinguée
De V[otre] S[eigneurie] T[rès] Rév[érende]
Très dévoué Serviteur
Pour le Ministre
Le premier Officier DEANDREIS.
Entre-temps comme on travaillait avec une grande ar-
deur, les fondations de l’église étaient arrivées au niveau du sol,
et D. Bosco et les autres ecclésiastiques chargés des Oratoires
présentaient, dans les Services diocésains, une supplique adressée
à l’Archevêque, en demandant la faculté d’en bénir la première
pierre. Le 18 juillet le Chan[oine] Célestin Fissore, Provicaire
Général, au nom de Mgr Fransoni absent, acquiesçait par lettre à
la demande, en accordant à D. Bosco, ou à un autre prêtre
auquel il demanderait, la faculté de [donner] cette bénédiction et
[d’accomplir] la cérémonie selon le Rituel Romain.
C’est au 20 juillet que fut fixée la pose de la pierre
angulaire. Les six cents, et plus, jeunes de l’Oratoire, comme
autant de trompettes, avaient répandu cette nouvelle à travers
toute la ville : au soir de ce jour se trouva sur les lieux une
bien grande foule de gens, comme on n’en avait jamais vu dans
ce quartier.
La bénédiction de la pierre aurait certainement été faite
par Mgr Louis Fransoni, qui aimait tant D. Bosco et son Œuvre ;

30 Pages 291-300

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30.1 Page 291

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277
mais malheureusement cet intrépide Prélat demeurait en exil à
Lyon. Il était remplacé pour la bénir par l’Ab[] Moreno, Cha-
n[oine], économe général ; et pour la mettre en place intervenait
monsieur le Comm[andeur] Joseph Cotta, grand ami des pauvres
et bienfaiteur insigne des œuvres de D. Bosco. De tout cela on
rédigea un procès-verbal approprié, dont une copie, jointe à des
pièces de monnaie, grandes et petites, des médailles et d’autres
souvenirs, fut déposée à l’intérieur de la pierre elle-même. Le
Maire Bellono versa la première truelle de mortier.
A cette occasion le célèbre P[ère] Barrera, de la Doctrine
Chrétienne, ému à la vue de la grande foule accourue et édifié par le
beau nombre de Prêtres, de Nobles et de Dames de Turin, qui fai-
saient cercle autour de lui, monta sur un tas de terre, et improvisa un
discours merveilleux. Il commençait par ces mots : Messieurs,
la pierre, qui vient d’être bénie et placée dans les fondations de
cette future église, a deux grandes significations. Elle signifie le
grain de sénevé qui grandira en arbre mystique, près duquel de
nombreux garçons, comme les oiseaux des airs, viendront chercher
refuge ; elle signifie encore que l’Œuvre des Oratoires, basée sur
la foi et sur la charité de Jésus Christ, sera ce rocher immobile
contre lequel lutteront en vain les ennemis de la Religion et les
esprits des ténèbres. — L’orateur démontrait ensuite avec tant
d’éloquence l’une et l’autre des idées qu’il venait de proposer
que tout l’auditoire était comme dans l’extase, suspendu à ses
lèvres. Mais le discours fut caractérisé par une comparaison et
une prière. Il compara les temps d’alors à un ouragan qui mena-
ce de dévastation et de ruine les villes et les villages. Dans
cette épreuve périlleuse, que voyons-nous, messieurs ? demanda
l’illustre [prêtre] de la Doctrine [Chrétienne]. Nous voyons cha-
que être vivant saisi de peur et de tremblement rechercher pour
soi un abri. Les gens rentrent chez eux ; les bêtes sauvages des
champs s’enfuient vers leurs tanières ; et les oiseaux des airs vo-
lent chacun vers son nid, ayant de la chance s’ils l’ont construit

30.2 Page 292

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278
sur un arbre bien solide et sûr. Les temps qui courent devien-
nent mauvais, mauvais surtout pour la jeunesse pauvre. Voilà ici
un arbre, qui enfoncera profondément ses racines et la cime ne
sera pas abattue à cause des vents qui soufflent. A l’ombre de
cet arbre, dans l’enceinte de cet édifice sacré viendront des
milliers de jeunes gens pour trouver un abri et une défense
contre des erreurs, semées aujourd’hui par des hommes impies et
par des écrivains vénaux ; un abri et une défense contre des
maximes destructrices de toute idée de vertu et de morale ; un
abri et une défense également [en protection] des flèches enflam-
mées des ardentes passions juvéniles, excitées par les mauvais
exemples et par les scandales de personnes de toute condition.
Déjà il me semble voir des jeunes gens regroupés en bandes
s’envoler, comme des colombes terrifiées, les uns d’un côté et
les autres d’un autre, et se diriger ici comme vers un lieu sûr, et se
réunir ici non seulement pour y trouver un abri et une défense,
mais un aliment, mais une nourriture pour la vie temporelle et
[la vie] éternelle. Messieurs qui m’écoutez, de grâce ! par le
conseil et par l’action employez-vous à faire en sorte que cet
arbre croisse devenant vite très grand, étende ses branches à tra-
vers toute la ville, et recueille sous lui tant de pauvres jeunes
gens, qui en déshonorant la Religion, en offensant la morale,
viennent s’ébattre les dimanches et les jours de fête dans les
rues et sur les places, au risque de devenir ainsi le déshonneur
d’eux-mêmes, la honte des familles, le désordre et la désolation
de la société civile. Votre charité, ô Messieurs, ne pourrait pas
désormais être employée dans une œuvre plus utile à l’Eglise et
à l’Etat ; car c’est de la jeunesse bien ou mal éduquée que
dépend la vie ou la mort des familles, des royaumes et du mon-
de. — A la fin le bon Père, s’étant adressé à Jésus Christ, lui fit une
prière si belle qu’elle fit venir les larmes à beaucoup. — Et
vous, mon Dieu, dit-il, Vous, notre Sauveur Jésus Christ, symbo-
lisé dans la pierre posée ici, de grâce ! avec la force de votre

30.3 Page 293

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279
bras tout-puissant protégez l’Œuvre de cet Oratoire. Peut-être
sera-t-elle par les impies maudite ? eh bien, Vous, bénissez-la ;
combattue ? eh bien, Vous, défendez-la ; haïe ? eh bien, Vous,
aimez-la comme la pupille de vos yeux. Elle a tous les titres à
votre bienveillance, car elle a pour but de recueillir, d’instruire,
d’éduquer ces enfants qui, en votre vie mortelle, constituaient les
délices de votre cœur, et [qui] sont et seront toujours l’objet de
vos gentillesses pleines d’amour, comme les petits agneaux de
votre troupeau, comme la fleur la plus noble du jardin de votre
Eglise. Oui, que sous votre protection continue cette Œuvre
impérissable ; et même que sa semence, emportée par le vent de
votre grâce, se répande partout et qu’aient à s’écrouler les colonnes
qui soutiennent le firmament avant qu’elle-même ne vienne à
cesser sur la terre. — Les paroles de l’éloquent religieux eurent
un effet admirable, et à présent elles apparaissent presque inspi-
rées par le Ciel, elles apparaissent comme prophétiques, car elles
se réalisèrent et continuent à se réaliser lumineusement.
Après que l’Abbé Antoine [= Octave] Moreno eut signé
la déclaration attestant que la pierre avait été bénie par lui, on
commença une gracieuse séance récréative et culturelle. Le Jeu[ne
abbé] Bellia lut un discours de circonstance, certains élèves quel-
ques courtes poésies, et six jeunes parmi les plus petits des externes
récitèrent un petit dialogue scénique, écrit par D. Bosco, tandis
qu’ils apportaient un bouquet de fleurs à présenter au Maire.
Petit Jean, Charles, César, Augustin, Pierre, Manfred.
César Petit Jean ! As-tu pensé à ce que tu dois dire à ces
messieurs avant de leur présenter notre très humble offrande que
voici ?
Petit Jean Tu sais bien que, moi, je ne suis pas capable.
César As-tu au moins étudié la leçon qu’on t’a assignée en
classe pour ce beau jour ?
Petit Jean — Oui, je l’ai étudiée, mais…

30.4 Page 294

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280
César Quoi mais ? l’as-tu déjà oubliée ?
Petit Jean Dis-moi seulement le premier mot et le reste,
c’est moi qui le dirai !
César En classe on ne doit pas faire ainsi ! Donc ou com-
pliment, ou une leçon [en plus]. Si tu l’as étudiée, récite ce que
tu sais !
Petit Jean Puisque je ne sais plus toute la leçon, alors je
dirai ce que je pourrai. Messieurs, moi, je vous remercie de la
part de mes compagnons pour tout le dérangement que vous
avez pris pour nous.
Augustin Moi, je remercie m[onsieur] le Maire et, dans sa
personne, je remercie la Mairie pour toutes les faveurs faites à
notre Oratoire.
Charles Moi, je dirai tout autant à m[onsieur] le Chanoine
Moreno, à M. le Chevalier Cotta et à tous nos bienfaiteurs que
voici. Merci à tous.
Pierre Moi, je parle aussi de la part de mes compagnons.
Nous aimons la religion, nous aimons la patrie, nous aimons le
savoir et la vertu.
Manfred — Ne sachant plus dire autre chose, j’invite mes
compagnons à dire à haute voix : Vive le Maire ! Que vivent
toujours heureux tous ces messieurs, qui aujourd’hui sont venus
parmi nous !
A tous plurent les manières dégagées et naïves de ces
frustes enfants du peuple, [observés] tandis qu’après avoir parti-
cipé à la fête en maintenant le bon ordre, l’équipe formée pour
ce service, composée des gymnastes de l’Oratoire et commandée
par le Bersaglier Brosio, concluait les divertissements de toute
espèce en exécutant des évolutions militaires, comme elle avait
l’habitude de le faire lors de toutes les fêtes solennelles.
Lorsque la nuit fut tombée et que la foule se fut retirée,
D. Bosco resta seulement avec ses internes, auxquels la cons-
truction de cette église semblait la plus grande œuvre que
pourrait faire D. Bosco. Et au Jeu[ne abbé] Reviglio, qui manifes-

30.5 Page 295

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281
tait son profond étonnement pour l’église S[aint]-François, il ré-
pondit avec une totale assurance, comme s’il avait des trésors à
sa disposition : — Oh, ceci n’est rien ; tu verras que l’on
construira ici… devant… autour… — et il décrivit la maison
colossale qu’actuellement on contemple. Et tandis qu’il parlait,
les jeunes notaient attentivement ses paroles, et attendaient la
réalisation de ses prédictions, bien qu’alors n’apparût aucune
probabilité d’un bon résultat.
La nouvelle construction cependant suffisait pour accroî-
tre l’enthousiasme des jeunes de l’Oratoire, et avec eux venaient
souvent des garçons juifs. D. Bosco avait témoigné tant d’amour
et de tendresse envers leurs coreligionnaires [qui avaient été] ses
condisciples à Chieri et il avait aidé aux conversions d’Abraham
et de Jonas : il accueillait donc très volontiers [ces jeunes]. Il
confia un jour l’un d’eux au Jeu[ne abbé] Savio Ascagne pour
qu’il l’instruisît, et le jeune fut baptisé. Beaucoup d’autres se
seraient de bon gré convertis, mais ils avaient l’empêchement de
leurs parents. Après l’émancipation, en fréquentant les écoles
publiques, qu’ils le voulussent ou ne le voulussent pas, ils
écoutaient quelques enseignements de catéchisme, et ils devaient
éprouver une incitation vers le christianisme. Mais les parents ne
manquaient pas de les prémunir, [en leur disant] de bien se gar-
der des chrétiens comme d’ennemis, contre lesquels il était un
devoir pour eux d’entretenir une haine implacable. Et si l’un
donnait des signes de pencher vers les Catholiques, ils l’enle-
vaient aussitôt des écoles.
« J’en ai connu beaucoup de ces enfants, nous disait
D. Bosco dans ses dernières années, qui brûlaient du désir d’em-
brasser notre sainte religion ; et parce qu’ils insistaient dans leur
volonté de venir à la foi chrétienne, leurs familles se mirent à
les appeler des ingrats, des traîtres à leur religion, des diffama-
teurs de leur parenté et à les menacer [en disant] qu’ils les
déshériteraient, les expulseraient de la maison paternelle au cas
où ils ne changeraient pas de résolution. Et j’en connais égale-

30.6 Page 296

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282
ment certains qui furent enfermés pendant longtemps dans une
pièce, comme dans une prison, afin de les empêcher de devenir
chrétiens. Et cela ne doit pas causer de surprise. Le Judaïsme
moderne n’est plus la loi sainte d’autrefois, annoncée par les
prophètes et confirmée par les miracles. Il a la Bible, mais tient
en une plus grande estime le Talmud, inspirateur de haine
contre les chrétiens, et blasphémateur de Dieu en en niant
indirectement l’existence.
» Au cours de ma vie bien souvent il m’arriva de traiter avec
des Juifs adultes, et fréquemment la conversation tomba sur des
questions de religion ; cela faisait pitié d’entendre, en parlant du
Messie, comment ils discutaient de cette très importante vérité.
Certains, interrogés par moi, me touchèrent presque jusqu’à
l’indignation à cause de leurs réponses cyniques. Il y en eut un
à qui je demandai s’il croyait au Messie et qui me répon-
dit : ‘ Mon Messie, c’est l’argent de ma bourse ’. Un autre, à
une interrogation semblable, me répliqua : ‘ Un bon repas est pour
moi un vrai Messie ’. Qu’a-t-on donc à répondre à de telles per-
sonnes ? Pour le plus grand nombre d’entre eux, ils passent la
vie dans l’ignorance de leur propre religion, sans se soucier du
Messie et en fuyant quiconque voudrait s’employer à les instrui-
re. Les Rabbins refusaient toujours d’entrer dans un tel sujet.
» Cependant ce n’est pas à tous qu’était inconnu N[otre] S[ei-
gneur] Jésus Christ, mais ils restaient dans le Judaïsme, n’y étant
retenus que par l’intérêt. Il n’y a pas longtemps qu’un Juif, qui
s’était fait instruire dans la religion chrétienne, se montrait très
disposé à recevoir le Baptême, avec assez de vérité pour qu’on
payât à sa place certaines dettes qu’il avait contractées. Un au-
tre m’assura qu’il embrasserait notre religion, au cas où avec
cela il ne serait pas obligé de renoncer à l’héritage de son père.
Un troisième, homme très savant, était prêt à se convertir,
pourvu que de ma part lui fussent assurés les moyens de sa
subsistance à l’aide d’une grosse somme. Il était Rabbin. Néan-
moins, je trouvai aussi parmi les Juifs des personnes honnêtes

30.7 Page 297

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283
dans les contrats et bienfaisantes et quelques-unes, peu nom-
breuses, qui vivaient selon la loi de Dieu, et il me sembla
qu’elles restaient de bonne foi dans l’attente du Messie ».
D. Bosco comptait, parmi les Juifs aussi, des amis et de
deux [d’entre eux] nous parlerons en temps voulu. Pour le moment
disons qu’un jour, en accompagnant D. Bosco à travers Turin,
nous avons vu un monsieur d’aspect respectable qui, s’étant
approché de lui avec révérence, se mit à parler d’une manière
telle que nous étions persuadés qu’il était catholique. Après qu’il
eut pris congé, D. Bosco nous dit : Vois-tu ce monsieur ?
Toutes les fois qu’il me rencontre, il s’entretient avec moi
longuement. Sais-tu qui il est ? Un Rabbin ! Il connaît la vérité,
mais ne l’embrasse pas par crainte de la pauvreté à laquelle il
serait réduit au cas où il perdrait l’honoraire important que lui
fournit la Synagogue. Plusieurs fois, moi-même, je l’exhortai à
mettre sa confiance dans la Providence, mais il lui manque le
courage.
Et D. Bosco était rempli de compassion pour les
Juifs et il priait et exhortait les autres à prier pour une nation
qui fut un jour le peuple de Dieu, destiné à entrer à la fin des
temps dans le sein de l’Eglise.
Et, tant qu’il vécut, il continua à procurer comme il
pouvait leur salut. Même les adultes, comme nous l’avons vu,
furent l’objet de ses soins et, au cours du récit, nous pré-
senterons d’autres faits. Il les traitait avec charité et les
hébergeait lorsqu’ils le lui demandaient. Il recueillit également
des jeunes gens, les instruisit et les baptisa.
Le 17 juillet 1851 Mgr Louis Calabiana, Evêque de
Casale, lui recommandait un jeune israélite nommé Deangelis,
appelé par surnom Jean des Pharisiens. Ce dernier était envoyé de
Casale à Turin pour voir s’il y avait une place à l’Hospice des
Catéchumènes pour être instruit dans la religion catholique et
pour le soustraire aux persécutions de ses coreligionnaires, car le
Ghetto de Casale s’était mis sens dessus dessous pour empêcher

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284
le jeune d’accomplir sa vocation. S’il n’y avait pas d’accueil
dans l’Hospice, l’Evêque priait D. Bosco de recevoir Deangelis
parmi ses fils, au moins pour une courte durée, sûr de le con-
fier à un père, et en promettant de payer toutes les dépenses
pour la subsistance.
D. Bosco était heureux de recevoir de tels jeunes, et de
les présenter à Jonas, de Chieri, qui, toujours son bon ami,
venait souvent lui rendre visite à l’Oratoire.
—————

30.9 Page 299

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285
CHAPITRE XXV
Jean Cagliero Les impressions et les jugements du jeune
Turchi accepté à l’Oratoire La Commémoration de tous les
défunts à Castelnuovo Cagliero est conduit par D. Bosco à
Valdocco Son témoignage sur la pauvreté de la maison ainsi
que sur la bonté et le zèle de D. Bosco Cagliero et Rua
suivent des cours Formules de contrats de travail pour les
apprentis.
Au début d’octobre D. Bosco arrivait au hameau des
Becchi pour la fête de Notre-Dame du Rosaire, en y conduisant
plusieurs de ses élèves. Le jeune Cagliero Jean l’avait attendu
avec impatience. Ses compagnons de Castelnuovo le reconnais-
saient pour leur chef dans tous les divertissements. Un Evêque
était venu donner la confirmation dans la paroisse : le jeune gar-
çon, admirant la manière d’être habillé de Monseigneur, s’était fait
une mitre et une chape en papier ; à partir d’un roseau il avait
façonné une crosse, ensuite assis sur une échelle il se faisait
porter sur les épaules des compagnons au milieu de la troupe
des enfants qui applaudissaient au petit évêque, tandis qu’il les
bénissait avec sérieux. Ce lutin si vif, mais bon, bénéficiait des
sympathies de Don Cinzano, qui le laissait venir librement au pres-
bytère, le chargeait de quelques petits services, et beaucoup plus
encore lorsque D. Bosco lui eut promis de l’accepter à l’Oratoire. Et

30.10 Page 300

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286
c’est ici que Jean Cagliero commença à se sentir pris d’affection
et d’enthousiasme pour D. Bosco.
Cagliero lui-même nous racontait : — J’entendais conti-
nuellement les éloges [faits] de D. Bosco. Mes compatriotes, et
spécialement ma mère, mes cousins et mes amis, me disaient
qu’ils avaient vu au cours de l’enfance du jeune Bosco quelque
chose d’extraordinaire qui le distinguait de ses compagnons de
même âge et que son comportement, sa modestie et sa douceur
révélaient un jeune plus que riche de vertus. Moi-même, je
connaissais à Castelnuovo plusieurs de ses condisciples des
années d’études secondaires et de séminaire, comme m[onsieur]
Matta, de Morialdo, le docteur Allora et l’avocat Musso. Ils me
parlaient toujours du serviteur de Dieu avec assez de révérence et
d’éloge envers sa bonté et sa vertu pour le considérer plus qu’un
modèle de perfection chrétienne, qu’un modèle de vie sainte. Le
médecin Allora [nous] a dit par ailleurs, à moi et à d’autres,
qu’à Chieri dans le groupe de ses compagnons il était tenu en
odeur de sainteté. D. Cinzano, Curé-Doyen de Castelnuovo, en me
parlant de lui répétait : « Moi-même, j’ai toujours vu en D. Bosco
quelque chose qui n’était pas ordinaire : n’étaient pas ordinaires
sa piété, sa jovialité, sa réserve, son obéissance, son humilité,
etc. Il était extraordinaire en tout [»]. Et ensuite en faisant allu-
sion à sa ténacité dans le bien et dans ses œuvres entreprises, il
avait l’habitude de me dire en plaisantant : [«] D. Bosco fut
toujours extravagant et entêté comme les Saints [»].
Donc Cagliero, dès qu’il sut l’arrivée de D. Bosco, s’em-
pressa de courir aux Becchi et, d’après l’aspect grave, composé,
modeste du bon prêtre, il reconnut aussitôt que ce dernier était
paré de ces nombreuses vertus dont il avait entendu parler.
Revenu à la maison, il invita un compagnon, un certain Jean
Turchi, qui avait 16 ans, à y aller lui aussi. « Cagliero, nous
rapportait Don Turchi, à présent chevalier et professeur de belles
lettres, me dit tant de choses excellentes sur D. Bosco, que,
moi, de Castelnuovo je me portai aux Becchi. Arrivé là, je fus

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287
frappé de découvrir un prêtre si pénétré de son ministère et si
affable, ce à quoi je n’étais pas du tout habitué ; et dès ce
moment-là j’en conçus une idée et une impression ineffaçables.
A voir ensuite la manière pleine d’amour et d’affection dont il
parlait avec moi et avec les autres jeunes, j’en restai enthou-
siasmé. Il m’examina un peu sur les matières que j’étudiais et
sur le choix de l’état [de vie] : il finit par me dire : Pour ma
part, je connais ton père et je suis son bon ami ; dis-lui de ve-
nir demain me trouver ! Mon père vint, et c’est ainsi qu’il
fut conclu que j’entrerais à l’Oratoire vers la mi-octobre.
» Conduit à Valdocco pour les études, j’appris de mes compagnons
comment D. Bosco accomplissait des choses extraordinaires, et
cette réputation, je dus le constater, allait toujours en s’agrandis-
sant ; et je vis les cours du soir qu’il dirigeait et, entre autres
maîtres d’école, le Théol[ogien] Chiaves et un certain Monsieur
Geninatti. Les murs de la nouvelle église S[aint]-François étaient
à la hauteur des grandes fenêtres, et moi aussi avec mes compa-
gnons je m’appliquai aussitôt à mettre des briques jusque sur les
échafaudages. Les dimanches et les jours de fête prenaient part
aux cérémonies d’église de très nombreux jeunes externes, et
nous nous divertissions tant, entre autres jeux, dans les exercices
militaires faits avec des montures de fusil dont la fabrique
d’armes n’avait plus usage. Mais surtout ce qui me frappa lors
de mon entrée à l’Oratoire, ce fut d’y trouver une piété, dont je
n’avais pas idée, et je dois affirmer que je compris alors ce que
veut dire se confesser. Il y avait une fréquentation de Sacre-
ments, non seulement les dimanches et les jours de fête, mais
aussi les jours ouvrables. Don Bosco nous recommandait de
répartir entre nous, le long de la semaine, les jours pour les commu-
nions, afin qu’elles fussent sans interruption. Pour une très grande
partie, nous allions nous confesser à lui, bien que les dimanches
et les jours de fête il y eût aussi quelques autres prêtres pour
l’aider. La délicatesse de beaucoup de jeunes pour s’approcher de la
sainte table était si grande que les jours ouvrables, tandis qu’il
se préparait pour la Messe, il avait presque toujours quelqu’un
qui lui confiait à l’oreille quelque peine ou quelque scrupule pour

31.2 Page 302

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288
être sûr de pouvoir faire tranquillement la communion. Alors, et
toujours, j’ai vu à l’Oratoire un bon noyau de jeunes d’une pié-
té si solide et si admirable qu’il donnait le ton et attirait tous
les autres au bien. Et Don Bosco cherchait avec beaucoup de
zèle à ce qu’on fît les catéchismes. Ses sermons étaient pleins de
saveur. Il avait l’habitude d’exposer l’Histoire de l’Eglise d’une
manière facile, claire, attrayante et, avant de terminer son pro-
pos, il avait l’habitude d’interroger l’un des auditeurs pour faire
sur la réponse quelques remarques, ou pour déduire quelques
conséquences pratiques. Par ailleurs, le soir après les prières, il
nous donnait depuis la petite chaire des avertissements si appro-
priés qu’une fois retiré dans ma chambre j’en ressentais une
impression et une joie que je ne peux exprimer. D. Bosco
éduquait les jeunes et les portait au bien en s’aidant de la per-
suasion, et ceux-ci l’accomplissaient avec des transports de joie.
Il procédait toujours avec douceur ; en donnant des ordres il
nous priait presque, et nous nous serions astreints à n’importe
quel sacrifice pour le contenter. Ainsi je vis marcher de mieux
en mieux l’Oratoire au cours des dix années où j’y demeurais,
c’est-à-dire jusqu’à mon ordination sacerdotale ; et après avoir
visité de nombreuses Institutions je n’en trouvai aucune qui en-
tretînt autant de piété que celle de D. Bosco, dont je goûtai
toujours, même à distance, la bienveillance ». Jusqu’ici [s’expri-
mait] D. Turchi.
C’est l’acceptation définitive d’un autre jeune que
Don Bosco faisait à Castelnuovo le 1er novembre 1851 : elle
laissera un souvenir éternel dans les annales de l’Oratoire. [A
savoir] celle de Jean Cagliero, resté orphelin de père depuis
quelques jours.
Cette année 1851, le jour de la Toussaint, D. Bosco
devait arriver de Turin à Castelnuovo d’Asti pour prononcer
l’allocution [du jour] des morts. Cagliero avec une anxiété fébrile
avait précédé ses compagnons dans la sacristie quelques heu-
res avant le début de la cérémonie. Il désirait être désigné pour

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289
accompagner en qualité d’enfant de chœur le prédicateur jusqu’à
la chaire. Ayant revêtu la soutane et le surplis, il attendait
patiemment, tandis que ses compagnons de même âge étaient
allés à la rencontre de Don Bosco ; et lorsqu’il arriva, il eut la
joie de voir que son désir était satisfait.
D. Bosco fit un de ces sermons admirables que l’on
n’oublie plus. Il dit être passé, en venant, devant la grille du
Cimetière et avoir entendu des voix plaintives qui l’appelaient
par son nom. Il s’approcha et vit au milieu des croix sortir de
ces tombes les âmes : — Dis à mon fils, lui disait l’une, dis à
ma fille, lui disait l’autre, que je me trouve au purgatoire, que,
moi, je l’ai toujours aimé[e], et pourtant il [elle] ne pense plus à
moi. — C’était un mari, une femme, un fils, un ami qui lui
donnaient des commissions à apporter aux gens du pays, pour
qu’ils se remuent pour les libérer d’atroces tourments ! D. Bosco
décrivait ces scènes qui inspiraient la pitié, ces tendres lamenta-
tions, ces souvenirs du passé, avec tant de vivacité, de simplicité
et de vérité que les auditeurs pleuraient. La quête recueillie fut
très abondante, environ 150 lires. A ceux qui s’étonnaient des
offrandes abondantes que ses sermons lui faisaient recevoir, il
répondait : Pour obtenir [des gens] du peuple la charité il faut
leur faire comprendre que c’est leur intérêt de faire abondam-
ment l’aumône, également en vue d’obtenir du Seigneur des
avantages temporels, et que c’est au contraire leur détriment
d’être avares avec les âmes saintes, ou avec l’Eglise ; qu’avoir
des protecteurs au ciel est avantageux aussi pour les campagnes.
Ces [protecteurs] éloignent les châtiments, les malheurs, les tem-
pêtes, les maladies, les insectes des plantes, les sécheresses, etc.,
etc. C’est le secret pour inciter les gens à faire l’aumône, autre-
ment on obtient peu ou même on n’obtient rien.
Ayant fait le sermon, D. Bosco descendait à la sacristie
et, s’étant tourné avec un air doux et affable vers son petit
servant, il lui dit :
Il semble que tu aies quelque chose à me dire, et à me ma-

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290
nifester l’un de tes ardents désirs. N’est-ce pas ?
— Oui, c’est bien cela, répondit le jeune garçon, le visage tout
enflammé ; je veux justement vous dire une chose qui depuis
longtemps me préoccupe ; je veux venir avec vous à Turin,
continuer les études et devenir prêtre.
Bien, tu viendras avec moi, lui dit D. Bosco : m[onsieur] le
Curé m’a déjà parlé de toi ; dis à ta mère de t’accompagner ce
soir au presbytère et nous nous entendrons.
Au son lugubre des cloches qui invitaient les fidèles à
prier pour les défunts, au milieu du triste recueillement de la
population, la mère et le fils entrent dans la maison du curé.
Ma bonne Thérèse, dit alors en plaisantant ce cher prêtre et
père de tant d’orphelins déjà, vous êtes venue à temps : moi
déjà, je vous attendais ; parlons donc de notre affaire. Est-il vrai
que vous voulez me vendre votre fils ?
Oh ! le vendre, non, s’écria la brave mère ; mais si vous
l’acceptez avec plaisir, je vous en fais plutôt cadeau.
— C’est mieux encore, répondit D. Bosco ; alors préparez-lui
son petit baluchon. Demain il viendra avec moi et je lui servirai
de père.
Le lendemain Jean Cagliero était prêt, et aux premières
heures de l’aube il se trouvait à l’église pour servir la Messe à
Don Bosco. Par tous ses mouvements il montrait une extrême
vivacité. De Castelnuovo à Turin D. Bosco faisait le voyage à
pied.
Eh bien, Cagliero, allons-nous à Turin ?
Allons.
Et ta mère ?
Elle est contente ; et moi à présent je suis avec D. Bosco !
Ils se mirent en route. Tantôt Cagliero marchait à côté
de D. Bosco, tantôt il le précédait en courant, tantôt il l’atten-
dait, tantôt il restait en arrière pour cueillir quelques fruits dans

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291
les haies et ensuite il le rejoignait, tantôt il sautait le fossé et
s’ébattait à travers les prés. De temps en temps D. Bosco
l’interrogeait, et ses réponses étaient d’une admirable candeur. Il
parlait de son présent, de son passé, de ses projets dans l’ave-
nir. Il racontait tout ce qu’il avait fait à la maison, il dévoilait
les secrets les plus cachés de son cœur. Il était si sincère que
D. Bosco eut à dire qu’en peu d’heures il l’avait connu si
parfaitement que, s’il s’était agi de le confesser, il n’aurait plus
eu à faire autre chose que de lui donner l’absolution.
Cagliero nous parlait de ses impressions [reçues] au cours
de ce voyage : « D. Bosco ne me causait que de Dieu, de la
Très s[ainte] Vierge, [en me demandant] si je m’approchais des
Sacrements, si j’avais de la dévotion pour Notre-Dame, ainsi que
d’autres choses spirituelles. Et parfois aussi en plaisantant il
m’invitait à être bon. Finalement nous arrivâmes à Turin.
» Je me rappelle toujours avec plaisir le moment de mon en-
trée à l’Oratoire le soir du 2 novembre. D. Bosco me présenta à
la bonne maman Marguerite, en disant : Voici, maman, un
jeune garçon de Castelnuovo, qui a la ferme volonté de devenir
bon et d’étudier.
» La maman répondit : — Oh oui, tu ne fais rien d’autre que
de chercher des garçons, tandis que, tu le sais, nous manquons
de place.
» D. Bosco ajouta en souriant : Oh, quelque recoin, vous le
trouverez !
» En le mettant dans ton bureau, répondit la maman.
» — Oh, ce n’est pas nécessaire. Ce jeune garçon, comme vous
voyez, n’est pas grand, et nous le mettrons à dormir dans le pa-
nier des gressins ; et avec une corde nous l’attacherons là-haut à
une poutre ; et voici l’endroit tout à fait trouvé à la manière de
la cage des canaris. La mère rit et entre-temps me chercha
un emplacement, et il me fut nécessaire pour ce soir-là de dor-
mir avec l’un de mes compagnons du côté du pied de son lit.

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292
» Le lendemain je vis que tout était pauvre dans cette petite
maison. Basse et étroite la pièce de D. Bosco, nos dortoirs
[situés] au rez-de-chaussée ayant de petites dimensions et le pa-
vement de pierres de route, et manquant du moindre mobilier, à
l’exception de nos paillasses, de nos draps et de nos couvertu-
res. La cuisine était très exiguë et dépourvue de vaisselle, sauf
quelques écuelles en étain peu nombreuses avec la cuillère
respective. Les fourchettes et les couteaux et les serviettes, nous
les vîmes plus tard bien des années après, achetés ou offerts par
quelques pieuses et charitables personnes. Notre réfectoire était
un hangar, et celui de D. Bosco une petite pièce, à côté du
puits, qui servait de salle de classe et de lieu de récréation. Et
tout cela coopérait à nous garder dans la condition basse et
pauvre dans laquelle nous étions nés et dans laquelle nous nous
trouvions éduqués par l’exemple du serviteur de Dieu, qui
éprouvait beaucoup de plaisir, lorsqu’il pouvait lui-même nous
servir au réfectoire, se prêter à tenir en ordre le dortoir, nettoyer
et rapiécer les habits, et autres services semblables.
» Sa vie commune, qu’il menait avec nous, nous persuadait
que, plus que dans un internat ou un collège, nous nous trou-
vions comme en famille, sous la direction d’un père tout rempli
d’amour et n’ayant pas d’autre souci que celui de notre bien,
spirituel comme temporel.
» Il aimait se faire petit avec les petits, et même quelquefois il
arrivait que l’un de nous oubliait le respect qui lui était dû ; et
alors, plus que par D. Bosco, qui tolérait tout des enfants, il
était averti par les plus grands, qui disaient : Tiens-toi com-
me il faut ! Ne vois-tu pas qu’en nous choquant, tu choques et
tu malmènes aussi D. Bosco ? S’il est si bon avec nous, nous
devons, nous aussi être bons avec lui !
» Fréquemment nous voyions des messieurs qui venaient rendre
visite à D. Bosco, attirés par la réputation de ses œuvres, et
pour un grand nombre ils s’étonnaient de le trouver assis sur un

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293
tréteau de bois, et même à terre et comme caché au milieu d’un
groupe nombreux d’enfants, tandis qu’il nous amusait avec de
charmants récits et de plaisantes facéties, ou tandis qu’il jouait
avec nous à la main chaude, ou encore faisait une compétition
d’agilité pour battre les paumes de ses propres mains et ensuite
celles du compagnon (la gauche contre la droite, la droite contre
la gauche).
» Il n’avait rien de plus à cœur si ce n’est de voir les jeunes
sauver leur âme. S’il constatait que quelqu’un était moins bon, il
s’ingéniait pour l’approcher, lui dire quelques bonnes paroles à
l’oreille ; et ensuite il le faisait surveiller pour le pousser vers le
bien et le raffermir dans la piété ! Il avait totalement confiance
que Dieu l’aiderait dans l’éducation et dans l’instruction chrétien-
nes de tant de jeunes gens.
» Je me rappelle ceci : j’étais encore un petit élève de l’Ora-
toire quand je l’entendis raconter avec une sainte simplicité, et
bien souvent, qu’il avait demandé au Seigneur une place au paradis
pour dix-mille de ses jeunes. Et il ajoutait qu’il l’avait obtenue,
à une condition : pas d’offense du Seigneur de notre part : Oh !
mes enfants, disait-il, sautez, courez, jouez, piaillez ; mais ne
faites pas de péchés, et votre place est assurée au paradis.
» En voyant plus tard que les jeunes augmentaient en nombre,
nous lui demandions si dix-mille places au ciel étaient suffi-
santes pour nous. Alors il ajouta qu’il avait demandé un espace
plus vaste pour beaucoup d’autres jeunes, qui viendraient et ob-
tiendraient leur salut éternel avec l’aide de Dieu et avec la
protection de la Très s[ainte Vierge] Marie.
» Et de sa part des paroles comme celles-ci faisaient un effet,
d’une importance tellement supérieure, en raison du fait que son
esprit prophétique était manifeste de mille façons et en mille
circonstances et occasions, et c’était une conviction commune à
l’Oratoire que D. Bosco savait les choses occultes ». Jusqu’ici
[s’exprimait] Mgr Cagliero lui-même.

31.8 Page 308

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294
Donc, après la Commémoration de tous les fidèles défunts,
Cagliero commença son cours classique de latinité en fréquentant
l’école du Prof[esseur] Bonzanino avec Turchi, Savio Ange et
d’autres. Dans le même temps Michel Rua avait été admis à
l’école privée de D. Matthieu Picco, professeur d’humanités et de
rhétorique qui enseignait dans un appartement d’une maison, près de
la paroisse S[aint]-Augustin. Cet éminent enseignant, à la prière
de D. Bosco lui-même, se chargea bien volontiers de l’instruire
dans la classe des humanités. Et là aussi fut splendide la réus-
site du jeune Rua, qui continuait à habiter chez ses parents.
D. Bosco continuait toujours à aider ses élèves dans
les études classiques. Et il était vraiment un maître pour donner
des conseils, afin qu’ils pussent étudier avec beaucoup de profit
la grammaire latine. De cela le Prof[esseur] D. Cerruti François
apporte un ample témoignage. D. Bosco leur disait, et particu-
lièrement à Rua Michel : Veux-tu apprendre la langue latine
comme il faut ? Traduis d’abord en italien un passage d’un
auteur classique ; ensuite, en ne regardant plus le texte, remets
en latin ta traduction et à la fin compare avec le texte ta
composition latine. Avec cet exercice, fait tous les jours pendant
un mois, je t’assure que tu comprendras de très nombreuses
difficultés sans avoir besoin de dictionnaire.
Tandis que D. Bosco trouvait pour chacun des étudiants
une place dans une classe, avec un soin non moindre il s’oc-
cupait du profit, dans leur profession, de ses apprentis, qu’il
envoyait depuis l’Oratoire pour apprendre leur métier et pour
travailler dans les ateliers de Turin. Pour empêcher leur conduite
morale, leur éducation et leur instruction d’en éprouver quelque
préjudice, toujours vigilant, non seulement il continuait à aller sou-
vent leur rendre visite, mais il s’astreignait à conclure avec les
patrons des conventions spéciales, et il entendait qu’on les observât
rigoureusement. Et cela mérite ici la peine d’en citer quelques-unes,
car elles nous donnent une idée de cette époque et aussi nous
épargnent des observations, qui ne seraient pas inutiles.

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295
Contrats de travail.
« En vertu du document d’écriture privée que voici, qui peut
être présenté aux autorités sur la simple demande de l’une des
parties et qui est rédigé dans la Maison de l’Oratoire S[aint]-François
de Sales entre M. Charles Aimino et le jeune Joseph Bordone,
élève dudit Oratoire, assisté de M. Ritner Victor, qui se porte
caution pour lui, il est convenu ce qui suit :
1° M. Charles Aimino reçoit comme apprenti dans son art de
verrier le jeune Joseph Bordone natif de Biella : il promet, en
s’en faisant une obligation, de lui enseigner cet [art] sur l’espace
de trois années complètes, dont la fin aura lieu le premier
décembre mil huit cent cinquante-quatre, et de lui donner au
cours de son apprentissage les enseignements nécessaires et les
meilleures règles concernant son art et en même temps les avis
opportuns relatifs à sa bonne conduite, en le corrigeant, dans le
cas de quelque manquement, par des paroles et non autrement ;
et il s’oblige aussi à l’occuper continuellement dans des travaux
relatifs à son art et non étrangers à celui-ci, en ayant le souci
qu’ils ne dépassent pas ses forces.
2° Le même maître devra laisser entièrement libres tous les
dimanches et tous les jours de fête de l’année à l’apprenti, afin
qu’il puisse, ces [jours-là], s’appliquer aux cérémonies sacrées,
aux cours du dimanche et à ses autres devoirs, en tant qu’élève
dudit Oratoire.
Au cas où l’apprenti, pour cause de maladie (ou pour un au-
tre motif légitime) s’absenterait de son devoir, le maître aura
droit à une compensation pour tout l’espace de temps qui
excédera quinze jours au cours de l’année. Une telle indemnité
sera effectuée par l’apprenti au moyen d’autant de journées de
travail, lorsque sera fini l’apprentissage.

31.10 Page 310

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296
3° Le même maître se fait une obligation de verser jour-
nellement des lires à l’apprenti au cours des années susdites :
c’est-à-dire pendant la première une lire, pendant la deuxième
une lire et cinquante [centimes], pendant la troisième deux lires
(selon la coutume on lui accorde chaque année 15 jours de
vacances).
4° Le même patron s’oblige à la fin de chaque mois à noter
en toute franchise la conduite de son apprenti sur une feuille
qui, dans ce but, lui sera présentée.
5° Le jeune Joseph Bordone promet et se fait une obligation
d’offrir pendant tout le temps de l’apprentissage son service au
maître, son patron, avec promptitude, assiduité et attention ; d’ê-
tre docile, respectueux et obéissant envers ce [patron] et de se
comporter à son égard comme le demande le devoir d’un bon
apprenti ; et, par précaution et en garantie de cette obligation
prise par [le jeune], se porte caution pour lui M. Ritner Victor,
Orfèvre, qui est ici présent et accepte : il se charge de l’o-
bligation de réparer tout dommage causé au maître patron, dans
le cas où ce dommage aurait été produit par la faute de l’ap-
prenti.
6° S’il arrivait le cas où l’apprenti commettrait une faute pour
laquelle il serait renvoyé de l’Oratoire (tout rapport entre lui et
le Directeur de l’Oratoire venant à cesser), cesseraient alors
aussi toute influence et toute relation entre le Directeur dudit
Oratoire et le maître patron ; mais si la faute de l’apprenti ne
concernait pas de façon particulière le maître, celui-ci devrait
néanmoins mener à exécution le présent contrat passé avec
l’apprenti et ce dernier accomplir chacun de ses devoirs envers
le maître jusqu’au terme convenu, sous la seule caution proposée
ci-dessus.
7° Le Directeur de l’Oratoire promet d’offrir son assistance
pour le bon résultat de la conduite de l’apprenti et d’accueillir
avec empressement n’importe quelle doléance qu’au respectif pa-

32 Pages 311-320

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32.1 Page 311

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297
tron il arriverait de présenter à cause de l’apprenti recueilli chez
lui.
A tout cela, aussi bien le maître patron que l’apprenti élève,
assisté comme [indiqué] ci-dessus, en ce qui à chacun d’eux
revient et appartient, promettent de s’appliquer pour l’observer
sous peine des dommages et intérêts [»].
Turin, novembre 1851.
Charles Aimino.
Joseph Bordone.
D. J[ean]-Bapt[iste] Vola Théol[ogien].
Ritner Victor qui se porte Caution.
D. Bosco Jean
Directeur de l’Oratoire.
Les premières conventions étaient faites sur un simple
papier, mais celles de l’année suivante sont sur papier timbré :
telle est la convention entre M. Joseph Bertolino, maître menuisier
demeurant à Turin et le jeune Joseph Odasso, natif de Mondovì,
avec l’intervention du Rév[érend] Prêtre Jean Bosco et avec l’as-
sistance et la caution du père dudit jeune, Vincent Odasso, natif
de Garessio et domicilié à Turin. Dans cette [convention] on
demande que l’écriture soit faite sur deux documents originaux :
on spécifie que le patron est obligé de donner à l’élève, relati-
vement à sa conduite, morale comme civique, les avis opportuns
et salutaires que devrait donner un bon père à son propre fils ;
de le corriger avec un amour de tendresse en cas de quelque
manquement de sa part, toujours cependant avec de simples
paroles d’admonition et jamais avec quelques actes de mauvais
traitement ; on déclare en termes exprès que celui qui se porte
caution est seulement obligé si un dommage, causé par l’ap-
prenti au patron, peut être avec raison imputé à qui endommage,

32.2 Page 312

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298
c’est-à-dire s’il s’avérait provenir d’une volonté manifestée et
méchante et non pas être un simple effet de caractère acciden-
tel, ou la conséquence d’une inexpérience dans le métier ; on
déclare que l’assistance de D. Bosco offerte pour la bonne
conduite du jeune cessera à partir du moment où le jeune ces-
serait d’appartenir à l’Oratoire. Suivent les signatures de Joseph
Bertolino, d’Odasso Joseph, d’Odasso Vincent, du Pr[être] Bosco
Jean. La Convention porte la date du 8 février 1852.
Ces conventions varient dans la durée du temps [d’ap-
prentissage], dans la paie journalière, selon l’âge et l’habileté de
l’enfant, et selon l’importance, la difficulté du métier que l’on
devait apprendre. Mais à lire ces articles on pourra comprendre
combien de contrariétés, combien de difficultés surgissaient à tout
instant pour donner du souci à D. Bosco. Combien d’ennuis,
combien de peines, mais qui n’étaient pas à même de troubler sa
sérénité. Il s’agissait souvent de patrons trop exigeants et de
jeunes irréfléchis. Toutefois sa charité apportait toujours un
remède à tout : et cette charité qui l’animait, spécialement envers
les jeunes, comme elle apparaît éclatante à chaque ligne de ces
contrats rédigés ou adaptés par lui-même !
—————

32.3 Page 313

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299
CHAPITRE XXVI
La Compagnie de S[aint] Louis Conférences Choses éton-
nantes accomplies par D. Bosco Il prédit l’avenir de la
Maison de Valdocco et des autres Oratoires des dimanches et
des jours de fête Il annonce la mort prochaine de quelques
jeunes et une guérison inespérée Il révèle l’état des cons-
ciences Le don des larmes.
La Compagnie de S[aint] Louis de Gonzague était
florissante dans les Oratoires de Portanuova et de Vanchiglia,
enrichis d’indulgences qui devaient aussi être étendues à tous les
autres Oratoires qu’on ouvrirait dans l’avenir ; mais c’était à
Valdocco qu’elle portait les fruits les plus précieux et les plus
abondants. Là, D. Bosco présidait, lui qui, l’aimant comme la
pupille de ses yeux, invitait une fois par an à table avec lui
l’assemblée des jeunes externes. [La Compagnie] tenait de temps
en temps ses réunions dans la chapelle, et un secrétaire rédigeait
les procès-verbaux. En faisaient partie les meilleurs jeunes
externes et les jeunes internes, car D. Bosco voulait que ces
derniers y fussent tous inscrits. Et ils s’empressaient de donner
leur nom et portaient sur eux la médaille de S[aint] Louis.
A cette Compagnie s’étaient même agrégés, comme
membres honoraires, d’illustres personnages de la noblesse turi-
noise, qui n’hésitaient pas à prendre part à la fête, à s’orner eux
aussi de la médaille de S[aint] Louis et à accompagner la proces-

32.4 Page 314

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300
cession. Les responsables officiels de la Compagnie devaient
prendre avec le Président de chaque fête les accords voulus pour
[organiser] celle de S[aint] François de Sales et [celle] de S[aint]
Louis. Au cours des neuf jours qui précédaient [l’une ou l’autre
de] ces deux fêtes, on chantait à l’église l’Iste confessor [‘ Ce
confesseur ’ : hymne servant pour S[aint] François de Sales] ou l’In-
fensus hostis [‘ Ennemi juré ’ : hymne servant pour S[aint] Louis de
Gonzague], avec quelques prières ou un petit sermon, ou au
moins un peu de lecture de la vie du Saint, ou de quelques
vérités de la foi. Le dimanche précédent, lors des cérémonies du
matin et du soir, en vue de la fête solennelle, on exhortait les
jeunes à [prévoir de] s’approcher des Sacrements de la confession
et de la communion. Et l’on n’omettait jamais de les avertir de
l’indulgence plénière que ces jours-là ils pouvaient gagner. Ces
mesures furent ensuite enregistrées dans le Règlement des Oratoires
des dimanches et des jours de fête. Jointe à la Compagnie de
S[aint] Louis, la Société de secours mutuel prospérait sans cesse
et également ses responsables officiels et ses membres plus dis-
tingués étaient invités à table par D. Bosco une fois par an.
D. Bosco réunissait souvent dans sa chambre ceux qui
lui étaient les plus fidèles et qui étaient les plus remarquables
pour leur bonté, afin de leur donner des instructions particu-
lières sur la marche de l’Internat et de l’Oratoire et sur la
manière de surveiller fraternellement. Là D. Bosco les éduquait
selon son but, à l’aide des exemples de S[aint] Louis, et il leur
disait : Rappelez-vous que S[aint] Louis passait plusieurs heures
par jour devant le Très s[aint] Sacrement. Il aimait plus que
les autres compagnons ceux qui le méprisaient. Etant encore
dans le monde, il se rendait à l’église pour enseigner le caté-
chisme aux ignorants, en corrigeait les mœurs et cherchait à les
apaiser dans les rixes et dans les discordes. S[aint] Louis,
instruisant à Rome les pauvres, les conduisait auprès de quelque
confesseur pour qu’ils fussent absous de leurs fautes et remis
dans la grâce de Dieu. Si nous ne pouvons pas faire le
catéchisme aux jeunes pauvres, conduisons-les là où d’autres
les instruiront. Combien d’âmes nous pourrons ainsi enlever
du sentier de la perdition et les remettre sur la route qui les

32.5 Page 315

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301
conduira à être sauvés. Et alors combien de grâces S[aint] Louis
nous obtiendra de Dieu.
Il n’y a pas lieu de dire combien furent efficaces les
paroles de Don Bosco, soit en raison de la sainteté de sa vie,
soit en raison de la persuasion générale qu’il réalisait des choses
étonnantes. Et c’était naturel, S[aint] Paul disant : Celui qui
s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un seul esprit (1). Il n’y
a par conséquent aucune difficulté pour qu’il puisse en connaître
certains secrets, et parfois se servir de sa toute-puissance. Quant
à D. Bosco il est incontestable que Dieu voulut accompagner ses
éminentes vertus de dons surnaturels et de grâces gratis datæ
[données gratuitement, sans quelque mérite de celui qui les reçoit] qui,
tout en lui étant d’une grande aide pour procurer la gloire divi-
ne et le salut des âmes, manifestaient aux hommes sa céleste
mission. En effet, il était pourvu de l’esprit prophétique, de la
lecture dans les cœurs, de la connaissance des choses occultes et
secrètes, du don des larmes et de celui des guérisons et des
miracles.
D. Savio Ascagne, qui habita à l’Oratoire de 1848 à
1852 et D. Vacchetta, son compagnon, nous assurèrent que, dès
les débuts de la maison, D. Bosco annonçait que Dieu bénirait
ses projets et ses œuvres, et qu’il leur parlait de l’Oratoire qu’ils
verraient s’agrandir merveilleusement.
D. Turchi Jean, venu à l’Internat en 1851, nous con-
firmait que dès ce moment-là D. Bosco parlait d’une grande
maison, de grands ateliers et en particulier d’une imprimerie
propre, pour promouvoir la gloire de Dieu au moyen de la
diffusion de bons livres, destinés à répandre et à conserver la
religion et la vertu chez les jeunes et à s’opposer aux erreurs
des Protestants et au déluge des très mauvais livres.
—————
(1) 1 Co 6,17.

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302
Monsieur Villa Jean, qui commença à fréquenter l’Ora-
toire comme externe en 1855, nous a appris que, lui-même, il
avait reçu la confirmation de ces prophéties de la bouche de
beaucoup de ses compagnons qui, depuis diverses années avant
lui, fréquentaient à Valdocco les réunions des dimanches et des
jours de fête, et en avaient été des témoins auriculaires. Et mê-
me d’autres ajoutèrent : « D. Bosco, pour exhorter les membres
de la Compagnie de S[aint] Louis, racontait parfois comment il
avait vu en rêve l’essor et le développement merveilleux de
l’Œuvre des Oratoires, indiquant ainsi, sans la nommer, sa future
Congrégation. Avec cela il en venait même à leur faire connaî-
tre l’importance et l’extension qu’atteindrait la Compagnie. Par
humilité, il parlait, lui, de rêves ; mais tous les jeunes étaient
intimement persuadés que D. Bosco leur annonçait tout ce qu’il
avait connu par le don de prophétie ».
Et une preuve qu’ils devinaient juste consistait dans la
réalisation sous leurs yeux des prédictions d’événements proches.
D. Rua Michel raconte : « Depuis les premiers jours de
ma fréquentation de l’Oratoire, de 1847 à 1852, je me le
rappelle, chaque fois que devait mourir quelque jeune de la
Compagnie de S[aint] Louis, D. Bosco annonçait quelque temps
auparavant un tel événement. Il n’en prononçait jamais le nom,
mais il disait plutôt : — D’ici quinze jours, ou bien, d’ici un
mois, un de la Compagnie sera appelé à l’éternité ; ce peut être
moi, ce peut être l’un de vous. Tenons-nous prêts ! Une
crainte salutaire tenait attentifs les jeunes pour noter si cette
annonce était véridique. A l’époque de la prédiction, ceux aux-
quels faisait allusion D. Bosco comme étant appelés à l’éternité,
étaient tantôt sains et robustes et tantôt maladifs ; mais les morts
se produisaient dans les temps fixés. Moi-même plusieurs fois
j’ai entendu donner de telles annonces, parfois j’en ai reçu
l’information par mes compagnons et toujours j’ai vu se réaliser
les prédictions. Il prédit la mort de mon frère ainsi que d’autres
dont je me souviens ». Rua Louis, frère aîné de Michel, était mort

32.7 Page 317

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303
le 29 mars 1851 : il comptait 19 ans. Il fréquentait l’Oratoire et
avait une conduite admirable.
Egalement Buzzetti Joseph nous dictait l’attestation sui-
vante d’un fait ayant eu lieu en 1850.
« Un soir D. Bosco, après avoir parlé à quelques jeunes de la
Compagnie de S[aint] Louis qu’il réunissait pour une conférence
spéciale, leur dit alors que tous étaient sur le point de prendre
congé de lui : Comptez-vous donc : la prochaine fois que
nous nous réunirons, il en manquera un. Tous comprirent que
cette expression il en manquera indiquait le passage à
l’autre monde. C’est pourquoi il se produisit que ceux qui
recevaient le plus les confidences, parmi lesquels le frère de
D. Rua Michel, le prirent à part et lui demandèrent qui d’entre
eux manquerait. D. Bosco chercha tout d’abord à donner une
réponse évasive, mais, sous la pression, il dit : Le nom de
celui qui mourra commence par la lettre B.
» En entendant cette réponse franche, les jeunes se regardèrent
l’un l’autre. — Qui sera celui-là ? Parmi les [jeunes] présents
à la conférence il n’y en avait que deux dont le nom commen-
çait par la lettre B et, chose singulière ! bien qu’ils ne fussent
pas parents, tous les deux s’appelaient Burzio. Les jeunes se
firent l’un à l’autre la recommandation [de garder] le secret, et
attendirent pour voir auquel des deux arriverait ce sort. Tous les
deux jouissaient alors d’une excellente santé.
» Le plus jeune des deux Burzio était un petit S[aint] Louis et
D. Bosco le tenait en grande odeur de vertu. Un dimanche,
tandis que D. Bosco célébrait et que les jeunes assistaient au
saint Sacrifice, ce Burzio demeura comme absorbé dans ses pen-
sées, puis poussa quelques cris plaintifs et à la fin s’évanouit.
Ses compagnons attribuèrent cela à un malaise ; mais D. Bosco,
qui avait entendu les cris, voulut l’interroger sur leur motif. Le
jeune répondit : — Au moment de l’élévation, j’ai vu l’hostie toute
ruisselante de sang, et en même temps j’ai entendu une voix

32.8 Page 318

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304
formidable qui disait : — C’est là une représentation de la manière
dont sera traité Jésus dans le Piémont avec les sacrilèges.
» Et ce saint jeune garçon fut celui qui mourut avant que ne
fût tenue la conférence suivante ».
Buzzetti faisait allusion aussi à des faits semblables,
ayant eu lieu quand D. Bosco était encore au Refuge.
« Et, ajoutait D. Rua, il annonça non seulement la mort,
mais aussi la guérison de nombreuses fois, même dans des cas
désespérés. Je me rappelle un certain jeune abbé Viale, mon
compagnon, qui tomba une fois gravement malade en 1853. Il
n’y avait plus d’espoir de guérison. D. Bosco alla le trouver à
l’Hôpital et, lui ayant recommandé d’avoir recours à quelque
Saint, je ne sais pas lequel, peut-être S[aint] Louis, il lui promit
que dans les trois jours il reviendrait près de lui et le trouverait
assis sur le lit en train de manger une part de nourriture, et que
bientôt il se lèverait totalement libéré de son mal. C’est ainsi
qu’il prédit ; c’est ainsi que cela se réalisa précisément ».
Tous les noms que nous avons cités sont ceux de jeu-
nes appartenant à la Compagnie de S[aint] Louis : c’est par eux
et par de nombreux autres que nous avons entendu également
raconter comment D. Bosco était dès ce moment-là pourvu par
Dieu du don de la lecture dans les cœurs. Ils nous faisaient le
récit de révélations ayant eu lieu au cours des confessions et en
dehors d’elles et que les uns confiaient aux autres. Il avait con-
nu leurs pensées les plus intimes, et aussi tout ce qu’ils avaient
oublié ou tu lors des confessions précédentes. Comme une
eau profonde, disent les Proverbes, ainsi les pensées de l’homme
dans son cœur ; mais l’homme sage les puisera (1).
Les jeunes en étaient convaincus et certains qui avaient
quelque grave affaire embrouillée sur la conscience évitaient de
—————
(1) [Pr] 20,5.

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305
rencontrer D. Bosco, espérant ainsi qu’il ne découvrirait pas et
ne connaîtrait pas leur obstination dans le mal ou leur misère
intérieure. « Beaucoup, ainsi l’atteste un éminent professeur à
propos de lui-même, sentant dans leur conscience qu’ils étaient
poursuivis par le remords de quelque faute, étaient tenus par une
force mystérieuse loin de D. Bosco pendant les conversations
privées, mais en même temps ils sentaient qu’ils étaient poussés
à aller au plus vite se jeter à ses pieds pour en faire la con-
fession. Et alors bien des fois ils entendaient D. Bosco rappeler
avec précision leurs fautes qui remontaient même à plusieurs an-
nées, et cela à leur grande surprise ; et de plus la confession,
faite auprès de lui, leur devenait très facile et les laissait l’âme
complètement satisfaite, parce que grâce à sa suggestion ils pou-
vaient exposer, sans en omettre une, toutes leurs fautes, avec les
circonstances respectives. D’autres, au contraire, allaient vers lui
avec préoccupation et avec joie pour avoir l’assurance d’être
dans la grâce de Dieu, c’est-à-dire que la confession qu’ils
étaient sur le point de faire recevrait avec l’aide de D. Bosco la
pleine approbation du Seigneur ».
Il y eut un certain personnage, illustre et savant, qui,
ayant su par un grand nombre que D. Bosco faisait des
prophéties, lisait dans les cœurs, révélait des choses occultes,
émit des doutes en disant ceci : étant d’une intelligence très
subtile et se tenant bien au courant des affaires de l’Oratoire, du
caractère et des coutumes des jeunes et de ceux qui l’appro-
chaient, [D. Bosco] pouvait naturellement prévoir certaines choses
[qui demeuraient] imprévues pour les autres et il devinait avec
sagacité ce qui était caché aux personnes moins averties. Nous
autres, nous concédons que D. Bosco possédait un tel discerne-
ment naturel, et nous ajouterons que prodigieuse était sa faculté
de retenir les noms des personnes, les physionomies, les faits et
les paroles et que parfois pour le bien du prochain il est
possible qu’il ait profité de ces connaissances. Mais les choses
extraordinaires si nombreuses qui furent rapportées soit par les
externes soit par les élèves, et celles, innombrables que nous
avons vues nous-mêmes nous obligent à conclure que là-dedans

32.10 Page 320

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306
il y avait certainement une énorme quantité de surnaturel. Du
reste, les qualités naturelles elles-mêmes de Don Bosco, em-
ployées toutes sans exception héroïquement pour la gloire de
Dieu, étaient, c’est évident, récompensées au moyen de dons
aussi sublimes pour que son zèle fût plus fructueux. Le bon
serviteur de l’Evangile a dit à son maître : Ta mine en a
rapporté dix. Et Il lui dit : — C’est bien, bon serviteur ;
puisque tu t’es montré fidèle dans une toute petite affaire, reçois
le gouvernement de dix villes (1).
D. Savio Ascagne nous laissa un témoignage clair.
« C’était une opinion communément exprimée à l’Oratoire de-
puis 1848 que Don Bosco détectait les péchés des jeunes, et les
lisait sur leur front. Les jeunes pour le mettre à l’épreuve
disaient : Don Bosco, devinez mes péchés. Et quelquefois
D. Bosco se mettait à parler confidentiellement à l’oreille de
quelqu’un, et ce dernier laissait voir qu’il les avait devinés,
puisqu’il ne parlait plus. Un soir, se trouvait dans une telle con-
versation un jeune garçon de Verceil, appelé Jules. Celui-ci dit à
Don Bosco avec insistance : Pour moi aussi, devinez les péchés
que j’ai commis. — Et D. Bosco lui parla secrètement à l’oreille
comme il faisait avec les autres. Ce [garçon], ayant entendu les
paroles de D. Bosco, se mit à pleurer en s’écriant : — C’est lui,
c’est lui qui a prêché la mission dans telle église, — en faisant
allusion à quelque église de la région de Verceil. Ce jeune n’é-
tait arrivé de cette région lointaine que ce jour-là, sans avoir été
connu à quelque moment par D. Bosco, et ce dernier n’avait jamais
confessé dans l’église indiquée : je crois donc que D. Bosco a
connu le domaine intérieur de ce jeune par une lumière surnaturelle.
Elle était si répandue cette opinion disant que D. Bosco lisait les
—————
(1) Lc 19,16-[17].

33 Pages 321-330

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33.1 Page 321

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307
péchés sur le front, que plusieurs cherchaient tous les beaux
moyens pour se couvrir le front afin qu’il ne pût les lire.
» Mon frère, D. Ange, m’a dit qu’une fois Don Bosco, en se
levant le matin, écrivit quelques avis à divers jeunes de l’Ora-
toire, parmi lesquels un [était] pour mon frère susnommé. Je lui
demandai : Te les a-t-il devinés, tes défauts ? Et il me
répondit oui. Dans la manière dont il me parla on voyait qu’il
s’agissait de défauts cachés, et qu’on ne pouvait les connaître
que par une lumière surnaturelle ».
Oh, en D. Bosco, il n’y avait pas de simulation, ni de
respect humain, et ce qu’il disait avait pour motif un devoir
sacré, d’autant plus grave qu’étaient plus remplis de miséricorde
les desseins de Dieu. Et les jeunes en étaient certains, en voyant
comment chacun de ses actes, chacune de ses paroles étaient
inspirés par un zèle calme, prudent, serein. Par ailleurs le don
des larmes était une preuve évidente de la grande union qu’il
avait avec Dieu et de l’amour tendre qu’il lui portait. Il versait
parfois de douces larmes durant la célébration de la sainte
Messe, d’autres fois lorsqu’il distribuait la sainte Communion, et
même simplement en bénissant l’assemblée après le saint Sacri-
fice. En parlant le soir aux jeunes et dans les conférences
à ses collaborateurs, ou en donnant ses courtes et efficaces
consignes au terme de la retraite spirituelle, et en faisant allu-
sion au péché, au scandale, à la modestie, à la réponse des
hommes, faible ou nulle, pour payer de retour l’amour de
Jésus Christ, ou à la crainte de voir l’un des siens aller iné-
luctablement à sa perte éternelle, bien souvent, à cause de
l’émotion, il était interrompu par les larmes au point de les
provoquer également chez ses auditeurs. Et au milieu des larmes,
son visage fut parfois vu tout rayonnant par ses braves jeunes,
comme l’affirmait D. Jean Bonetti. Mgr Cagliero écrivit : « Tan-
dis que D. Bosco prêchait sur l’amour de Dieu, sur la perte des
âmes, sur la passion de Jésus Christ [qu’il a vécue] le vendredi saint,
sur la S[ainte] Eucharistie, sur la bonne mort et sur l’espérance

33.2 Page 322

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308
du paradis, je le vis, moi-même, plusieurs fois, et le virent mes
compagnons, verser des larmes tantôt d’amour, tantôt de douleur,
tantôt de joie ; et de saint transport lorsqu’il parlait de la Très
s[ainte] Vierge, de sa bonté et de sa pureté immaculée ».
Cela arrivait souvent lorsqu’il prêchait dans les églises
publiques. D. Reviglio le vit verser des larmes au Sanctuaire
Notre-Dame de Consolation tandis qu’il faisait le sermon sur le
jugement universel, en décrivant la séparation des réprouvés
d’avec les élus. D. Dalmazzo François remarqua plusieurs fois
qu’il pleurait, spécialement lorsqu’il touchait le sujet de la vie
éternelle, de sorte qu’il poussait à la componction les pécheurs
obstinés, qui après le sermon cherchaient à le joindre pour se
confesser.
Nous-mêmes, qui rédigeons ces pages, nous fûmes les
témoins avec mille autres de ce don divin qui fut donné à
D. Bosco dès l’époque où il fondait l’Oratoire et même avant ;
et il dura jusqu’à sa mort.
Du don des guérisons et [de celui] des miracles, nous
avons déjà parlé ; mais ce n’est rien en comparaison de ce qui
reste à en dire ; et tout ce que nous avons raconté dans ce
chapitre n’est qu’une petite amorce d’un sujet inépuisable.
—————

33.3 Page 323

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309
CHAPITRE XXVII
Un article de Geoffroy Casalis Symptômes de mécontente-
ment dans les Oratoires Insolence pardonnée Prétention
illégitime Lettre du Théol[ogien] Borel à D. Ponte Répon-
se La fête de l’Immaculée La première décennie.
Geoffroy Casalis, dans son Dictionnaire géographique,
historique, statistique, commercial, écrivait un article intitulé :
Institutions de bienfaisance, dans le Volume XXI publié en 1851.
Après avoir raconté avec beaucoup d’éloges la fondation des trois
Oratoires de Don Bosco à Turin, il concluait :
« Les avantages que retirent les jeunes qui fréquentent ces
Oratoires sont le dégrossissement des mœurs, et l’éducation de
l’intelligence et du cœur, de sorte qu’en peu de temps ils
acquièrent une manière d’agir affectueuse et civilisée, se mettent
à aimer le travail et deviennent de bons chrétiens et d’excellents
citoyens. Ces fruits, que l’on retire en abondance, finiront certai-
nement par pousser le Gouvernement à prendre en considération
une œuvre qui s’avère d’une très grande utilité pour la classe la
plus pauvre du peuple, en mettant à profit le zèle qui anime les
nombreux prêtres qui se sont donnés à ce genre de bienfaisance,
grâce auquel on peut arracher de l’oisiveté, et rendre utiles à la
patrie et à la société de nombreux jeunes, qui sans les soins
qu’on leur prodigue, feraient sans doute une triste fin. Nous ne

33.4 Page 324

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310
voulons pas ici passer sous silence que le méritant Théologien
Carpano a conçu l’idée d’ouvrir un établissement pour recueillir
ceux parmi les ouvriers qui, sortis récemment d’un Hôpital, ne
trouvent pas tout de suite du travail, ou sont encore incapables
de [travailler] parce que leur santé n’est pas encore solide, et il
ne tardera pas à mettre à exécution son heureuse idée si ne lui
manquent pas les appuis sur lesquels il compte fermement.
» Quelqu’un dira peut-être que nous nous attachons trop aux
détails pour parler de ces Institutions ; mais c’est un jugement
bien différent que formeront en eux ceux qui savent que, la
reconnaissance publique étant l’unique récompense que reçoivent
pour leurs fatigues continuelles et pesantes les méritants per-
sonnages qui dépensent leur vie au profit des jeunes, il serait
injuste de leur refuser cette part de gratitude à laquelle ils ont
un droit bien mérité ».
Le Théol[ogien] Carpano s’était donc retiré [des activités
de l’Oratoire Saint-François de Sales] et, à son grand regret, il
abandonnait cette œuvre qu’il avait vue naître, et se développer
également en raison de sa coopération. En 1851, était encore à
la tête de l’Oratoire S[aint]-Louis Don Pierre Ponte, aidé par
l’Ab[] Charles Morozzo, par le Pr[être] Ignace Demonte, par
l’Av[ocat] Bellingeri, par le Théol[ogien] Rossi et par l’Av[ocat]
D. Berardi. Mais D. Ponte, excellent ecclésiastique, était cepen-
dant un homme qui était très impressionnable, et il se laissait
embobiner par certains catéchistes, mécontents des manières
employées par Don Bosco pour régler la marche des Oratoires
de Vanchiglia et de Porta Nuova. Ces personnes attribuaient les
œuvres de son zèle à un esprit d’ambition, à une envie de do-
miner, « bien qu’il ne me semblât jamais, affirmait le Théol[ogien]
Murialdo Léonard, que telle était son intention : je devais au
contraire admirer l’heureux et bénéfique développement de son
œuvre ».
Mais cette prospérité devait être attribuée à l’unité de
commandement : D. Bosco voulait qu’elle fût respectée, tandis
que les bougonneurs auraient voulu la briser. C’est que malheu-

33.5 Page 325

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311
reusement, pour parler d’une manière générale, les hommes
n’estiment que ce qu’eux-mêmes croient pouvoir faire, et ne
voient pas d’un bon œil qu’il y ait quelqu’un qui aille très en
avant des autres dans ce genre de choses ou dans tel autre, en
particulier si ce quelqu’un est pour eux un égal. Ils se croiraient
humiliés s’ils l’admiraient. L’envie, déguisée en zèle, est définie
par Tommaseo : « Admiration réprimée par haine et par tristes-
se ».
C’est pourquoi, avec peu de bienveillance, on interpré-
tait, bien qu’ils fussent pleins d’égards, les ordres de D. Bosco,
et les murmures continus et méchants se répandaient, bien qu’en
des noyaux restreints, d’un Oratoire à l’autre. La passion aveu-
glait les esprits. Se manifestaient des symptômes de difficulté à
supporter l’obéissance. D. Bosco souffrait et gardait le silence
pour ne pas pousser les choses à l’extrême ; mais on lui faisait
aussi grief du silence. Toutefois il était prêt à agir le moment
venu, parce que la zizanie commençait à lever.
Joseph Brosio écrivit à D. Bonetti :
« Un dimanche après les cérémonies de l’après-midi ne voyant
pas D. Bosco dans la cour et ne sachant pas le motif de son
absence inhabituelle, j’allai le chercher dans tous les coins de la
maison. Finalement je l’ai trouvé dans une chambre, contristé et
presque en pleurs. En le voyant abattu de la sorte, je le priai en
insistant de me dire le motif de cette mélancolie. Don Bosco,
qui ne m’avait jamais refusé la moindre chose, cédant à mes
demandes répétées, me raconta qu’un jeune (et il me dit le nom)
l’avait outragé d’une telle manière qu’il lui causait une grand
peine. Mais en ce qui me concerne, ajouta-t-il, cela n’a pas
d’importance pour moi ; ce qui me fait mal, c’est que ce jeune
irréfléchi se trouve sur le chemin de la perdition.
» Ces paroles me blessèrent fortement le cœur et je me mis aussitôt
en route pour demander raison [de son offense], et avec âpreté, à
ce jeune, et lui faire ravaler ses insolences. Mais D. Bosco, qui

33.6 Page 326

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312
se rendit compte de mon changement d’état d’âme, m’arrêta et,
s’étant mis à rire de tout cœur, il me dit : Tu veux punir
l’offenseur de D. Bosco et tu as raison ; mais la vengean-
ce, nous la ferons ensemble ; es-tu content ?
Oui, lui répondis-je ; mais l’indignation en cet instant ne me
laissa pas entrevoir que D. Bosco entendait se venger par le
pardon. De fait il m’invita à faire avec lui une prière pour
l’insulteur, et je crois qu’il a également prié pour moi, car j’ai
ressenti un changement subit dans mes idées, et l’indignation
contre ce compagnon se transforma en un amour tel que s’il
avait été à côté de moi, je l’aurais même embrassé.
» La prière terminée, je racontai à D. Bosco la modification de
mon état intérieur et il me dit : La vengeance du vrai
catholique étant le pardon et la prière en faveur de la personne
qui nous offense, ainsi toi, ayant prié pour ce compagnon, tu as
fait ce qui plaît au Seigneur, et c’est pourquoi à présent tu te
trouves content. Si tu fais toujours ainsi, tu auras une vie heu-
reuse ».
C’était cela qui animait D. Bosco dans les contrariétés ;
et le fait mentionné ci-dessus rendait évident que déjà, égale-
ment à Valdocco, quelqu’un prenait parti en faveur des dissidents.
Comme s’accentuait le danger de schisme, on forma alors en
quelque sorte un Comité de prêtres, pour chercher la manière de
l’éloigner. Il y avait le Théol[ogien] Robert Murialdo, le Théo-
l[ogien] Tasca, le Prof[esseur] Barone, Berizzi, D. Cocchis et le
Chan[oine] Saccarelli, fondateur de la Sainte Famille. D. Ponte,
invité à présenter ses doléances, resta ferme dans ses prétentions
et il ne voulut pas prendre part à cette réunion. D. Bosco était
prêt à faire n’importe quelle concession, mais pas à renoncer à
la suprématie qui lui revenait de droit.
Il y eut entre-temps un moment de trêve. Comme la Marquise
de Barolo cherchait un aumônier qui fût affecté à sa maison, D. Bosco
recommanda à D. Cafasso le choix de D. Ponte qui désirait une telle

33.7 Page 327

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313
charge ; et la Marquise consentit à la proposition du Supérieur
du Convitto. La noble dame, vers la mi-octobre, partait pour
Rome avec Silvio Pellico et D. Ponte, qui dans une lettre au
Théol[ogien] Borel manifestait ses résolutions et se plaignait de
choses graves qu’il disait ne pas pouvoir supporter. D. Bosco
confiait alors au Théol[ogien] Rossi l’Oratoire S[aint]-Louis.
Le Théol[ogien] Borel s’était empressé d’exprimer sa ré-
ponse à D. Ponte de manière à ne pas offenser la sensibilité de
ce dernier, et par cette lettre on a quelques explications sur les
dissensions qui avaient surgi.
Très cher et Très Rév[érend] D. Ponte,
Le bien des Oratoires nous tenant toujours beaucoup à cœur,
du moment que nous reconnaissons que l’union entre les mem-
bres, quel que soit le rang qu’ils occupent, est le meilleur
conseil, car ainsi nous aurons Dieu avec nous, alors donc soyons
tous d’accord, avec l’aide de Dieu, pour favoriser cette union
tant désirée, soit en nous serrant davantage entre nous dans cet
esprit, soit en enlevant tout ce qui s’y oppose. Entre autres cho-
ses, nous n’en doutons pas, constitue un préjudice considérable
pour l’union le fait de retenir pour soi et de se réserver la
propriété et l’usage des choses qui sont fournies au bénéfice
d’un Oratoire, en interdisant aux autres Oratoires d’en profiter ;
comme aussi dans le même Oratoire le fait qu’un membre puis-
se se servir des objets qui y existent pour l’usage de l’Oratoire,
en ayant interdit aux autres membres [de s’en servir] en son
absence. Soyons aussi tous d’accord, en pensée et en volonté,
pour que chaque Oratoire, dans la personne de son Directeur,
considère comme faites à tous les trois les offrandes qu’il a
reçues : il nous reste dans un tel cas à informer les personnes
bienfaitrices de l’esprit qui nous dirige et des Fondations de
l’Oratoire. A cette décision nous ont conduits le contenu de la
lettre de V[otre] R[évérende Seigneurie] et ce qui fut fait ensuite
dans la même ligne. Donc, comme il peut se produire, dans la

33.8 Page 328

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314
petitesse de nos ressources en matériel, qu’à l’occasion de quel-
que fête solennelle manquent certains objets dans un Oratoire, il
est bien que les autres coopèrent [en prêtant du matériel], de
même que nous avons l’habitude de coopérer par l’apport de
personnes et au moyen de l’action ; et s’il arrive que l’un de
nous estime bon de prêter une de ses affaires ou qu’il prenne
chez d’autres dans le même but quoi que ce soit, en plus de lui
être très reconnaissant, c’est notre intention que cela lui soit
restitué et porté chez lui le plus tôt possible, comme on l’a
toujours pratiqué : nous en avons un exemple avec la crèche, qui
gracieusement nous fut prêtée à plusieurs reprises pour l’Oratoire
S[aint]-Louis.
Et par ailleurs nous ne devons pas en raison de cela craindre
que ne soit sur le point de cesser l’assistance de Dieu aux Ora-
toires. Au contraire il faut espérer une plus grande bénédiction.
Chacun des membres rend plus universelle sa charité, élargit devant
soi le chemin pour faire un plus grand bien à la jeunesse, je
serais sur le point de dire qu’il entre plus profondément dans la
communion des saints, qu’il retranche tout ce qui sent le bien
personnel, ou la volonté propre, pour entrer dans l’esprit pur de
charité non embarrassé par des précautions particulières. Et l’in-
térêt de chaque membre n’est pas moindre, car rien n’est soustrait au
bien particulier de l’Oratoire auquel il est affecté, au contraire il
a l’avantage que si quelqu’un d’autre profite d’être en commu-
nion avec lui, lui aussi profite d’être en communion avec les
autres. Que cela soit dit à présent et pour toujours. Oh, que soit
béni le Seigneur lorsque nous sommes tous fermes dans le même
esprit, et qu’ainsi unis nous élevons notre jeunesse dans tous les
côtés de la ville.
Je suis heureux de pouvoir Vous annoncer que les Oratoires sont
suffisamment assistés, et que la jeunesse continue avec la même af-
fluence, [la même] docilité et [le même] comportement religieux. En
raison de l’absence du très cher D. Grassino, le Seigneur a mis au
cœur du Théol[ogien] Murialdo d’assumer sa charge, et déjà il en a
pris possession. Le très cher Théol[ogien] Rossi fait preuve de dili-
gence à l’Oratoire S[aint]-Louis, et jusqu’à la Toussaint il fera le
sermon du soir tandis que je continue le matin. A S[aint]-François de
Sales D. Bosco pourvoit ; autrement il supplée lui-même.

33.9 Page 329

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315
La nouvelle église est arrivée au dernier niveau des échafau-
dages et avant l’hiver on couvrira avec les tuiles.
J’ai reçu des nouvelles du [voyage pour] arriver à Florence qui
s’effectua bien pour madame la Marquise et pour V[otre] R[évé-
rende Seigneurie]. Je regrette seulement que M. Pellico en ait
souffert. Hier, le 22, les sœurs Madeleines ont renouvelé les
prières pour le nouveau départ pour Rome de leur fondatrice et
bienfaitrice. Personnellement, je ne cesse pas d’adresser chaque
jour mes vœux au Seigneur pour la réussite, la longue vie et la
joie de cette [dame]. Je n’ai pas de nouvelles importantes à
donner par rapport au Monastère ou au Refuge. Il me semble
que tout marche très bien et que Vous puissiez rassurer madame
la Marquise et contribuer à sa tranquillité par cette information.
Les Prêtres vont tous bien, comme aussi le soussigné qui à
cette heure se trouve à la maison et se fait un devoir de rester
le plus qu’il lui est possible, tant pour le bien des familles que
pour faire plaisir à la personne qui les aime tellement et leur
vient tant en aide.
Je veux encore prier d’une chose V[otre] R[évérende Seigneurie],
et c’est de me faire savoir le plus tôt possible votre sentiment
au sujet de ce que je Vous ai écrit ci-dessus sur les Ora-
toires et sur notre esprit pour les diriger ; et quels ordres vous
êtes sur le point de donner au sujet des choses qui ne sont pas
du ressort des Oratoires.
Dans l’attente d’un si grand service, en vous renouvelant mes
sentiments de parfaite estime et de très sincère charité, je passe
à l’honneur de me déclarer
De V[otre] R[évérende Seigneurie] Très chère
Turin, 23 octobre 1851.
Très dév[oué] et très aff[ectionné] ami et serviteur
J[ean] BOREL Pr[être]
Directeur du Refuge.
Au Prêtre D. Pierre Ponte Rome.

33.10 Page 330

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316
Voici la réponse reçue par le Théol[ogien] Borel :
Au Théol[ogien] Borel Jean, Directeur du Refuge.
Très cher et Très Rév[érend] M. le Théologien,
J’ai reçu avec grand plaisir la lettre que V[otre] R[évérende Sei-
gneurie] a daigné m’écrire ; pendant que je la lisais mon cœur
s’est réjoui. J’avais un très grand besoin de recevoir des nouvel-
les des Oratoires : l’absence de celles-ci provoquait en moi des
inquiétudes ; Dieu merci à présent elles sont calmées.
Venons à l’objet principal de la lettre. L’union que V[otre]
R[évérende Seigneurie] désire tant entre les directeurs des Ora-
toires est ce qui constitue l’objet principal de mes vœux, et de
tout cœur je désire ardemment le moment où, une fois dissipées
les divergences, tous d’accord, nous pourrons sûrement espérer
une aide plus abondante de la part du Seigneur et une plus
grande récompense pour nos fatigues. Personnellement je crois
que l’origine de la désunion, que jusqu’à présent on déplore entre
nous, provient du fait de ne pas avoir un chef à qui s’adresser
[voir * page 318] et du mutisme en quantité excessive qui y rè-
gne ; et je ne suis pas, quant à moi, le seul à déplorer cette
chose. Que V[otre] R[évérende Seigneurie] agisse de manière à
porter remède à ces inconvénients et sera enlevée la cause de la
désunion.
Ce fut en toute conscience et avec un examen approfondi que
j’ai pris la décision que je vous ai déjà fait connaître et je ne
peux absolument pas la changer ; et au cas où les objets que j’ai
laissés à l’Oratoire de Porta Nuova seraient source de désagré-
ment, à peine arrivé à Turin, je les ferai enlever. Mais au cas
où ils seraient dès à présent source de dérangement, je donnerai
les ordres opportuns pour que, même en mon absence, ils soient
enlevés. Pour l’avenir (si le Seigneur veut que j’emploie encore
mes faibles forces au profit des Oratoires), de bon gré je m’a-
dapterai à la décision prise de faire cause commune ; à savoir
que, dans la personne du Directeur respectif, on considère com-
me faites à tous les Oratoires les offrandes faites à l’un [d’eux]

34 Pages 331-340

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34.1 Page 331

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317
et, si le cas se présente, j’informerai les personnes bienfaitrices
de l’esprit qui nous dirige et de la situation des Oratoires.
Je me réjouis beaucoup de ce que grâce aux soins de V[otre]
R[évérende Seigneurie] et du très cher Théol[ogien] Rossi l’Ora-
toire de Porta Nuova marche toujours bien. Quant à moi, bien
qu’éloigné de corps, avec le cœur je suis toujours au milieu de
vous et dans mes faibles prières je ne fais que recommander
cette œuvre à Dieu ; et d’ici peu devant me rendre, comme je
l’espère, à l’audience du Vicaire de J[ésus] Christ je demanderai
pour les Directeurs et pour les garçons la sainte bénédiction.
Notre voyage jusqu’ici a été bon. Madame la Marquise jouit
d’une bonne santé et elle fut très contente des bonnes nouvelles
de ses établissements. M. Pellico, après quelques jours de ma-
ladie, va bien à présent. Que V[otre] S[eigneurie] prie pour moi
et fasse aussi prier les garçons. Saluez tous les prêtres des
Oratoires et dans l’espoir réconfortant d’avoir sous peu par la
bonté de V[otre] S[eigneurie] d’autres nouvelles de la bonne mar-
che des Oratoires, je me déclare avec le plus profond respect et
avec l’effusion du cœur la plus ressentie
De V[otre] Seig[neurie] Très ch[ère]
Rome, 4 novembre 1851.
Très dév[oué] serviteur et l’ami toujours plus aff[ectionné]
D. PONTE PIERRE.
Pendant ce temps-là Don Bosco avait éprouvé une vive
satisfaction à cause des lettres encycliques du 21 novembre par
lesquelles le Pape avait accordé un jubilé : et avec ce dernier il
se prépara à une joie encore plus grande.
Le jour du 8 décembre de cette même année 1851 se
terminait la première décennie depuis le commencement de l’O-
ratoire, et le dimanche précédent D. Bosco le rappela aux jeunes

34.2 Page 332

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318
avec des paroles très affectueuses. Il aurait voulu célébrer ce
dixième anniversaire de son Institution avec une particulière
solennité ; mais la nouvelle église n’étant pas encore totalement
prête, il se contenta de pousser dans leur ferveur ses élèves à
remercier avec lui la Vierge Immaculée pour la maternelle
bienveillance, avec laquelle elle les avait jusqu’alors entourés et
protégés, et de raconter dans les grandes lignes les plus belles
grâces reçues durant cet espace de temps ; il leur recommanda,
pour donner une preuve de leur filiale gratitude, de s’approcher
ce jour-là des Sacrements sacrés en l’honneur de Marie.
Tous consentirent ; et c’est sous le manteau de la Reine
céleste que l’on commençait la seconde décennie. La première,
on peut l’appeler période de naissance et d’enfance, la seconde,
de croissance et de jeunesse.
Mais la première période finissait avec un fait que l’on
peut dire précurseur du destin. Le Prof[esseur] Rayneri écrivait ceci
dans l’un de ses écrits publié en 1898 en hommage à D. Bosco :
« L’après-midi d’un dimanche de 1851, on avait fait une loterie ;
les gagnants étaient nombreux, et à cause de cela ceux qui étaient
contents étaient nombreux. Pour finir depuis le balcon D. Bosco
jeta des bonbons à droite et à gauche, et ils étaient également
nombreux ceux qui avaient la bouche toute sucrée. Il était facile
que fussent redoublés par nous les hourras. D. Bosco, descendu
du balcon, fut pris et levé comme en triomphe, ce qui était un
signe de la plus grande joie, lorsqu’un jeune étudiant, appelé à
devenir jeune abbé, dit : [] O Don Bosco, si Vous pouviez
voir toutes les parties du monde et en chacune d’elles beaucoup
d’Oratoires ! D. Bosco (il me semble le voir) tourna tout
autour son regard plein de majesté, de douceur, et répondit : Qui
sait si ne doit pas venir le jour où les fils de l’Oratoire seront
répandus à travers le monde entier ! Il fut prophète ».
—————
* “ Un chef à qui s’adresser : on pourrait aussi traduire : un cap
où se diriger. De toute façon, D. Ponte semble, devant un certain
mutisme, déplorer un manque d’orientations, de directives.

34.3 Page 333

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319
CHAPITRE XXVIII
Insuffisance de ressources pour la construction de l’église Cir-
culaire de l’Evêque de Biella Généreuses subventions du
Roi La première grande loterie.
Au cours des mois écoulés de cette année D. Bosco
n’avait pas cessé un instant de se donner du mal pour construire
son église. En août, l’édifice sacré sortait déjà de terre, haut de
quelques mètres, lorsqu’il s’aperçut qu’étaient presque épuisées
ses finances. Avec l’aide de quelques personnes méritantes il
avait recueilli 35 mille lires. Mais celles-ci avaient fondu comme
glace au soleil. Il fallut alors recourir à la charité publique.
L’Evêque de Biella, Mgr [Jean]-Pierre Losanna [= Losana], en
réfléchissant au fait que le nouvel édifice et l’Institution des
Oratoires constituaient un avantage particulier pour les garçons
maçons de son Diocèse qui résidaient pendant la majeure partie
de l’année à Turin, invita ses Curés à y contribuer avec leur
obole. Dans ce but il envoya lui-même la circulaire suivante :
T[rès] Rév[érend] Monsieur,
Le remarquable et pieux Prêtre D. Bosco, animé d’une charité
vraiment évangélique, commença à rassembler les dimanches et
les jours de fête à Turin tous les jeunes qu’il rencontrait, laissés

34.4 Page 334

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320
à l’abandon et disséminés sur les places et dans les rues de la
longue et populeuse région qui s’étend entre le Faubourg de la
Doire et le Martinetto, et à les recueillir dans un emplacement
approprié, tant pour leur [offrir] un honnête divertissement que
pour leur instruction et leur éducation chrétiennes. Sa sainte acti-
vité pleine d’ingéniosité fut telle que la Chapelle, installée en ce
lieu, devint si exiguë par rapport aux besoins qu’actuellement el-
le ne serait pas suffisante pour contenir plus d’un tiers sur plus
de six cents qui déjà y accourent. Poussé par l’amour d’un si
grand bien [à faire], il se prépara à l’œuvre ardue de construire
une Eglise correspondant aux besoins de son pieux projet, et il
s’adressa donc à la charité des fidèles Catholiques, afin de pou-
voir faire face aux trop lourdes dépenses qui sont nécessaires
pour l’achever. C’est d’autre part avec une particulière confiance
qu’il a recours à cette Province et à ce Diocèse par mon inter-
médiaire, étant donné que, sur plus de six cents qui déjà se
réunissent autour de lui, et fréquentent son Oratoire, plus d’un
tiers (au-delà de 200) sont des jeunes du pays de Biella, dont plu-
sieurs même sont par lui recueillis dans sa maison et gratuitement
pourvus de tout ce qui leur est nécessaire pour la nourriture et
pour le vêtement, afin qu’ils puissent apprendre une profession.
Donc non seulement un motif de charité, mais aussi un motif de
justice réclament de notre part un tel secours, c’est pourquoi, en
ce qui me concerne, je prie V[otre] Rév[érende] S[eigneurie] de bien
vouloir informer vos bons Paroissiens sur cette affaire qui revêt tant
d’intérêt, d’avoir recours aux personnes plus aisées, et de réserver un
dimanche ou un jour de fête pour une [quête] d’aumônes à faire en
Eglise dans ce but : la [quête] sera aussitôt transmise aux Services
diocésains d’une manière sûre, et dans une enveloppe portant sur une
étiquette tant la somme incluse que le lieu de sa provenance.
Tandis que les fils des ténèbres essaient d’ouvrir un temple pour y
enseigner l’erreur, ce qui entraîne la perdition de leurs frères (1),
—————
(1) [L’Evêque] fait allusion au temple que les protestants étaient en
train de construire à Turin dans l’Avenue Victor-Emmanuel.

34.5 Page 335

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321
les fils de la lumière fortunés manqueront-ils pour ouvrir une
Eglise, afin d’y enseigner la vérité, ce qui entraîne leur salut, et
[celui] de leurs frères, et surtout [s’il s’agit de] compatriotes ?
Par conséquent dans le vif espoir de pouvoir dès que possible,
avec les offrandes qui nous parviendront, offrir une aide confor-
table à l’entreprise de cet homme de Dieu sur lequel on ne tarit
pas d’éloges, et en même temps une attestation publique de la
piété éclairée et reconnaissante de mes Diocésains envers une
œuvre si sainte, si utile, ou plutôt si nécessaire par les temps
qui courent, je saisis cette occasion pour me redire avec la plus
grande estime et la plus grande affection
De V[otre] S[eigneurie] T[rès] Rév[érende]
Biella, le 13 septembre 1851.
Dév[oué] et Obl[igé] Serviteur
J[ean]- PIERRE Evêque.
Cet appel produisit la somme de mille francs. Ce n’était
pas un grand apport, mais le Souverain accomplissait sa promes-
se du 5 juillet.
Economat Général Royal Apostolique.
Au R[évérend] Pr[être] Jean Bosco,
Au moyen d’une dépêche du Secrétariat Royal d’Etat pour les
Affaires Ecclésiastiques [du Ministère] de la justice du 30 septem-
bre à présent passé il a été notifié à l’Administration Générale
de l’Economat R[oyal] Apostolique que S[a] M[ajesté] avait dai-
gné accorder à V[otre] S[eigneurie] T[rès] R[évérende] la somme
de 10 000 lires [prises] sur cette caisse à Vous payer par ver-
sements successifs, c’est-à-dire 3 000 lires dès à présent et la
somme restante dans les années suivantes et aux époques où
cette caisse se trouvera en mesure de faire face aux paiements
correspondants, ce subside étant à affecter de façon particulière à
l’édification d’une Eglise pour l’établissement philanthropique que

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322
Vous avez fondé pour les jeunes apprentis pauvres dans le
secteur de Valdocco, comme aussi aux dépenses qui reviennent
régulièrement pour l’éducation religieuse de ces jeunes ; ainsi que
pour la subsistance des individus que, vu l’abandon dans lequel
ils se trouvent, il y a lieu de recueillir en cet endroit.
J’en avise V[otre] S[eigneurie] afin que Vous Vous présentiez
personnellement, ou bien que Vous chargiez quelque personne
connue que Vous munirez de votre blanc-seing dûment légalisé,
pour percevoir le montant du Mandat correspondant.
Turin, le 2 octobre 1851.
L’Econome Général Royal Apostolique
Ab[] MORENO.
Victor-Emmanuel accordait à D. Bosco une autre sub-
vention très opportune quelques jours après. [Liste civile : partie des
dépenses de l’Etat destinée aux frais privés du Souverain et de la Cour].
Surintendance générale de la liste civile.
Turin, le 10 octobre 1851.
A M. le Théologien Bosco,
J’ai l’honneur de faire part à V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
que S[a] M[ajesté] a daigné, à l’audience du 5 de ce mois,
prendre en considération la situation qui m’est indiquée dans
votre lettre très appréciée et que j’eus personnellement l’honneur
de lui soumettre, en accordant pour la construction d’une Eglise
rattachée à votre établissement un subside de 1 000 lires.
Je m’empresse d’informer V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] de
ce nouveau geste de la Générosité du Souverain, pour votre
gouverne, en vue d’une décision opportune de votre part, afin
qu’il Vous plaise de faire connaître l’époque où Vous désirez
que soit effectué le paiement correspondant, et, en Vous priant de

34.7 Page 337

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323
bien vouloir m’indiquer la personne à l’ordre de laquelle, au moment
convenable, pourra être établi le mandat nécessaire, j’ai l’hon-
neur de me réaffirmer avec une considération bien distinguée
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
Très dévo[] et Très ob[ligé] Serviteur
S. M. PAMPARÀ.
Mais D. Bosco, tandis qu’il remerciait le Roi de ses
offrandes, cherchait à réduire le plus qu’il pouvait les dépenses
et, devant encore payer à la Mairie les droits fixés pour
l’expédition du permis de construire, il demandait dans une lettre
du 22 octobre à en être dispensé. Le Maire lui répondait ainsi :
Turin, le 23 octobre 1851.
Ne pouvant selon les règles consenties accorder la remise des
droits fixés pour l’expédition du permis, que V[otre] S[eigneurie]
T[rès] Illustre et T[rès] R[évérende] aurait dû retirer avant de fai-
re entreprendre la construction de l’Eglise, qui en était l’objet,
j’ai fait le nécessaire pour la gratuité de l’expédition, en en
faisant couvrir le montant par la caisse à partir de fonds desti-
nés à l’aide de bienfaisance, eu égard à la pieuse destination
vers laquelle est orientée cette mesure.
Je Vous adresse donc dans ce pli le certificat lui-même de
permis, qui doit rester auprès de la personne qui dirige la
construction, afin d’éviter la contravention qui pourrait être
dressée au cas où ce document ne serait pas exhibé à la
demande des agents municipaux autorisés à [faire] cela.
Et avec l’espoir que vos sollicitudes religieuses pourront trou-
ver un prompt accomplissement, j’ai l’honneur de me réaffirmer
avec une considération très respectueuse et appropriée…
Le Maire G. BELLONE [= Bellono].

34.8 Page 338

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324
Mais l’argent n’était jamais en quantité suffisante, bien
qu’avec un acte du 20 novembre 1851 passé devant le notaire
Turvano, il vendît à Jean Emanuel 1,99 are [199 mètres carrés] du
terrain provenant du Séminaire pour 1 573 lires. Toutes ces
sommes ne furent toutefois que quelques gouttes d’eau sur un
terrain desséché. C’est pourquoi il fut nécessaire d’avoir recours
à un autre moyen. Ce fut alors que Don Bosco entreprit la
première grande loterie d’objets qu’il avait imaginée, c’est-à-dire
d’objets provenant de petits dons en grand nombre qu’il espérait
de la générosité des Catholiques. La réalisation de ce projet était
extrêmement pénible, mais indirectement il en avait déjà préparé
la réussite.
D. Bosco était infatigable pour demander des secours aux
autorités gouvernementales, humble dans les manières, mais avec
la franchise de quelqu’un qui travaillait efficacement pour le bien
public. C’est pourquoi il frappait à toutes les portes, entrait dans
tous les bureaux, se présentait à chaque ministère, faisait appel à
la Province et à la Mairie, s’adressait aux membres de la famille
royale. Chaque branche de l’Administration de l’Etat avait reçu
ses multiples requêtes. Souvent il en écrivait jusqu’à dix par
semaine, et en général il était exaucé. Beaucoup de dons étaient
effectués à travers des mandats de seulement 10, 15, 20 lires, et
avec ceux-ci il se présentait aux bureaux de trésorerie pour
encaisser, et il était toujours accueilli avec entière politesse.
Cependant pour obtenir ce qu’il avait l’intention [d’at-
teindre], il devait s’astreindre à un grand nombre de fatigues,
d’humiliations et d’ennuis. Il fallait des connaissances, des ami-
tiés, des personnes capables de le recommander, et donc des
visites et des lettres continuellement. Toutes les fois qu’on chan-
geait un ministre, un maire, un préfet, un chef de bureau, il
devait trouver le moyen d’approcher le [nouveau] pour se le
rendre favorable. Et ensuite mettre en mouvement des connais-
sances, des protecteurs, et toujours des lettres et toujours des
visites. Ce qui lui importait n’était pas tellement que le subside
reçu fût grand ou petit, mais plutôt que le subside donné fût l’é-

34.9 Page 339

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325
quivalent d’une approbation de l’autorité pour son œuvre. Il pré-
voyait le cas d’hostilité, et il voulait pouvoir répondre : — C’est
vous qui m’avez jusqu’ici aidé, et vous ne pouvez pas détruire
ce qu’un jour vous estimiez être conforme aux lois et digne de
votre protection.
De fait, il réussissait dans ce qu’il avait l’intention [d’at-
teindre], et la loterie en fut une preuve.
Il commença à faire des recherches pour [trouver] les
personnes méritantes à même de vouloir l’aider dans cette
entreprise de charité. Quarante-six [hommes] de condition diverse,
des artisans, des messieurs riches et des prêtres, parmi lesquels
en premier le Théol[ogien] Chev[alier] Anglesio, Directeur de la
Petite Maison de la Divine Providence, acceptèrent d’être Orga-
nisateurs ; quatre-vingt-six dames de la bourgeoisie et de la
noblesse, et parmi celles-ci, et pas la dernière, la Marquise Marie
Fassati, née de Maistre, dame [de cour] de S[a] M[ajesté] la
Reine Marie-Adélaïde, consentirent avec plaisir à être Organisa-
trices. Dans le même temps D. Bosco formait et établissait le
Comité qu’il devait présider. Furent membres de ce [Comité] :
Arnaud de S[an] Salvatore, comte César.
Baricco T[héologien] Pierre, adjoint au m[aire], secrétaire.
Bellingeri Av[ocat] Gaétan.
Blanchier Chev[alier] Frédéric, ingénieur.
Bocca Frédéric, entrepreneur.
Borel T[héologien] Jean, supérieur du Refuge.
Bosco D. Jean, directeur de l’Oratoire.
Bossi Amédée, commerçant.
Cappello chev[alier] Gabriel, dit Moncalvo, conseiller muni-
cipal.
Cotta chev[alier] Joseph, sénateur du Royaume, conseiller
municipal, trésorier.
Cottin Hyacinthe, intend[ant], cons[eiller] mun[icipal].

34.10 Page 340

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326
D’Agliano de Caravonica Chev[alier] Laurent.
Dupré Chev[alier] Joseph, cons[eiller] mun[icipal].
Gagliardi Joseph, quincaillier.
Murialdo T[héologien] Robert, chap[elain] de cour.
Ortalda T[héologien] Jos[eph], Chan[oine], directeur de l’œu-
vre pie de la Prop[agation] de la Foi.
Ritner Victor, estimateur en orfèvrerie.
Rocca Av[ocat] Louis, cons[eiller] mun[icipal].
Ropolo Pierre, serr[urier], cons[eiller] mun[icipal].
Scanagatti Michel.
Une fois achevées toutes les démarches nécessaires pour
cette organisation, il présentait des mémoires pour obtenir l’ap-
probation gouvernementale.
Turin, décembre 1851.
Très ill[ustre] m[onsieur] l’Intendant,
Les soussignés, désireux de procurer une longue durée à
l’Oratoire S[aint]-François de Sales dont il est fait mention dans
la circulaire jointe à cette lettre, s’apercevant que devenait cha-
que jour plus malcommode le local qui avait été affecté à
l’usage de chapelle, en raison du nombre toujours croissant des
jeunes qui y viennent pour accomplir les devoirs religieux les
dimanches et les jours de fête et pour recevoir une bonne édu-
cation intellectuelle et morale, décidèrent de construire une église
plus digne et plus vaste. S’étant mis courageusement à l’œuvre
au moyen d’offrandes privées, ils purent la mener jusqu’à l’a-
chèvement du toit. Mais les travaux qui restent encore à faire
requièrent une somme considérable et ils ne veulent pas laisser
l’entreprise inachevée : aussi eurent-ils l’idée de faire un appel au
public pour des gestes de bienveillance, afin de recueillir auprès
de personnes charitables le plus grand nombre possible d’objets,
pour en faire ensuite une loterie publique.

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35.1 Page 341

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327
En obéissance à la loi du 24 février 1820, modifiée par les [lettres]
patentes royales du 10 janvier 1833 et par les instructions pu-
bliées par l’Administration Générale des Finances R[oyales] en
date du 24 août 1834, les soussignés recourent à V[otre] S[ei-
gneurie] Très ill[ustre] en invoquant votre approbation pour la
loterie projetée.
Dans ce but ils ont l’honneur de Vous présenter, aux termes
des instructions citées, un projet de Circulaire dans laquelle sont
brièvement tracés l’histoire et le but de la Pieuse Institution et
se trouve indiqué le moyen sur lequel ils ont l’intention de
s’appuyer pour la collecte des dons : ils y joignent aussi la
planification de la loterie.
Tout profit que l’on pourra retirer de la loterie envisagée sera
dédié à l’achèvement de la nouvelle chapelle ; par ailleurs les fonds
qui seront recueillis resteront auprès du Sénateur Cotta : ayant, lui
aussi, signé cette lettre, il accomplira les fonctions de trésorier.
Prêts à donner à ce sujet toute explication complémentaire, les
soussignés déclarent s’en remettre en toute chose aux disposi-
tions des Instructions précitées de l’Administration des Finances.
Persuadés que V[otre] S[eigneurie] voudra bien accorder l’ap-
probation implorée, pour le bien d’une œuvre modeste certes,
mais tout autant avantageuse pour la pauvre jeunesse populaire,
ils Vous expriment à l’avance les plus vifs remerciements.
Suivent les signatures.
La planification présentée pour la loterie était la suivante :
1. On recevra avec reconnaissance n’importe quel objet arti-
sanal, industriel, c’est-à-dire des travaux de broderie et de tricot,
des tableaux, des livres, des tissus de drap, de toile et des
choses semblables.
2. Au moment de la remise de l’objet, sera délivré un récépissé,
papier sur lequel seront décrits la qualité du don et le nom du

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328
donateur, à moins que ce dernier n’aime conserver l’anonymat.
3. Les billets de la loterie seront émis en nombre proportion-
né à la valeur des objets, et dans les limites indiquées par la
loi, c’est-à-dire avec le bénéfice du quart.
4. Les billets seront détachés d’une feuille à souche, et seront
munis de la signature de deux membres du Comité. Leur valeur
est de 50 centimes.
5. On fera l’exposition publique de tous les objets au cours
du prochain mois de mars, et elle durera sur l’étendue d’au
moins un mois. Il sera donné avis, dans la Gazzetta Officiale
[Journal Officiel] du Royaume, du moment et du lieu où se fera
cette exposition. Sera également indiqué le jour qui sera fixé
pour le tirage public des numéros gagnants.
6. Les numéros seront tirés un à la fois. S’il arrive que par
erreur on en tire deux, on ne les lira pas, mais ils seront remis
dans l’urne.
7. On tirera autant de numéros qu’il y a de lots à
gagner. Le premier numéro gagnera l’objet correspondant mar-
qué du numéro 1 ; de même le second, et ainsi de suite jusqu’à
ce que l’on ait tiré autant de numéros qu’il y a de lots.
8. Dans le Giornale Officiale [Journal Officiel] du Royaume
seront publiés les numéros gagnants, et trois jours après on com-
mencera la distribution des lots.
9. Les lots non retirés après trois mois seront considérés comme
cédés au bénéfice de l’Oratoire.
M. l’Intendant Général de Turin accordait, par son dé-
cret du 9 novembre 1851, la permission désirée, et [celle-ci] était
transmise à D. Bosco par la Mairie.

35.3 Page 343

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329
A D. Bosco, Directeur de l’Oratoire Saint-François de Sales,
qui fonctionne, les dimanches et les jours de fête, à l’exté-
rieur de la Porte de Suse, dans le Quartier Valdocco.
VILLE DE TURIN.
Turin, le 17 décembre 1851.
Je transmets à V[otre] S[eigneurie] T[rès] Révérende une copie
du Décret de l’Intendance par lequel on autorise la loterie d’objets
implorée par Vous à l’avantage de l’Oratoire S[aint]-François de
Sales, qui fonctionne les dimanches et les jours de fête.
D’autre part comme le décret établit que la Direction de cette
loterie doit toujours bien s’entendre avec monsieur le Maire de
Turin, qui est chargé de surveiller l’accomplissement des mesu-
res relatives, je prie V[otre] S[eigneurie] de daigner envoyer à
cette Mairie la copie de tous les papiers que Vous avez
présentés à l’Intendance Générale, et de tout autre document
relatif à cette démarche, afin que puisse avoir lieu la surveillan-
ce imposée, et que tout procède avec la régularité voulue.
Je saisis l’occasion pour réaffirmer que je Vous porte toute
l’estime voulue
L’adjoint au maire
BARICCO.
D. Bosco s’empressa de publier, en indiquant la date du
20 décembre 1851, l’appel du Comité à la pitié des concitoyens,
approuvé par l’Intendance Générale.
Très illustre Monsieur,
Une modeste œuvre de bienfaisance fut entreprise, il y a dix
ans, dans la circonscription de cette ville sous le titre d’Ora-
toire S[aint]-François de Sales, orientée uniquement vers le bien
intellectuel et [le bien] moral de cette partie de la jeunesse qui,

35.4 Page 344

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330
à cause de l’incurie des parents, à cause de la fréquentation
habituelle d’amis pervers ou à cause du manque de ressources
pécuniaires, se trouve exposée à un continuel danger de cor-
ruption. Quelques personnes, qui aiment la bonne éducation [des
gens] du peuple, virent avec douleur que devenait chaque jour
plus grand le nombre des jeunes oisifs et mal conseillés qui,
vivant d’aumône ou de fraude en traînant dans les carrefours et
dans les rues, sont un poids pour la société et souvent un ins-
trument pour faire toute sorte de mal. Elles virent aussi avec un
sentiment de profonde tristesse un grand nombre de ceux, qui se
sont dédiés avec application à l’exercice des métiers et des
industries de la ville, gaspiller le dimanche et les jours de fête
dans le jeu et dans les excès le maigre salaire gagné au cours
de la semaine et, désireuses de porter remède à un mal dont
sont à craindre de très funestes conséquences, elles décidèrent
d’ouvrir une maison de réunion dominicale où les uns et les
autres pourraient avoir tout le loisir de satisfaire aux devoirs
religieux, et recevoir en même temps un enseignement, un mes-
sage, un conseil pour conduire chrétiennement et honnêtement
leur vie. Fut donc fondé un Oratoire dédié à Saint François de
Sales avec les ressources que fournit la charité de ces [âmes]
généreuses qui ont l’habitude de faire des largesses en tout ce
qui vise le bien public ; il s’organisa autant qu’il était nécessaire
pour célébrer les cérémonies religieuses, et pour donner aux jeu-
nes une éducation morale et [une éducation] civique ; divers petits
jeux capables de développer les forces physiques et de récréer
honnêtement l’esprit furent aussi adoptés, et ainsi on chercha à
rendre utile et en même temps agréable leur séjour en ce lieu.
Il est difficile de dire avec quelle faveur a été accueillie l’in-
vitation, que l’on fit aux jeunes gens sans aucune publicité et de
cette manière seulement que l’on souhaite entre les personnes
d’une même famille, de venir tous les dimanches et les jours de
fête à l’Oratoire ; ce qui encouragea à agrandir l’enclos et à y

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331
introduire avec le temps les améliorations qu’une charité ingé-
nieuse et prudente put suggérer ; c’est pourquoi on commença à
enseigner d’abord les dimanches, et puis chaque soir pendant la
saison hivernale, la lecture, l’écriture, les éléments de l’arithmé-
tique et de la langue italienne, et une étude particulière fut mise
en place pour rendre familier à ces jeunes gens pleins de bonne
volonté l’usage des mesures légales dont, étant pour la plupart
engagés dans des métiers, ils sentaient le plus grand besoin.
Inculquer dans leurs cœurs l’affection envers les parents, la
bienveillance fraternelle, le respect envers les autorités, la recon-
naissance envers les bienfaiteurs, l’amour de l’effort à fournir, et
plus que toute autre chose instruire leurs esprits dans les doctri-
nes catholiques et morales, les retirer de la mauvaise voie, leur
infuser la sainte crainte de Dieu, et les accoutumer de bonne
heure à l’observance des préceptes religieux, voilà ce pour quoi
pendant deux lustres, par des prêtres et des laïcs pleins de zèle,
est fourni un travail assidu et sont voués les plus grands soins.
Ainsi, tandis qu’il y a des gens qui de façon louable s’em-
ploient à répandre les lumières de la science, à faire progresser
les arts et les métiers, à être favorables aux industries et à édu-
quer les jeunes gens aisés dans les collèges et dans les lycées,
dans le modeste Oratoire Saint-François de Sales on distribue
largement l’instruction religieuse et [l’instruction] civique à ceux
qui, bien qu’ils aient été moins favorisés par la fortune, ont aus-
si la force et le désir d’être utiles à eux-mêmes, à leurs familles
et au pays.
Cependant, reconnaissant [qu’était devenu] malcommode en peu
de temps, à cause du nombre toujours croissant des jeunes, le
local qui avait été affecté à l’usage de chapelle, et ne voulant pas
laisser à moitié chemin une entreprise aussi bien engagée, les
Organisateurs, remplis de confiance dans la générosité de leurs
concitoyens, décidèrent de commencer un bâtiment plus vaste et
mieux approprié au besoin, et d’assurer de cette façon la durée
d’une institution éducative aussi utile. Fut supprimé tout retard,

35.6 Page 346

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332
on surmonta les incertitudes, et avec courage on jeta les fon-
dations du nouvel Oratoire.
Les offrandes, les cadeaux, les encouragements de toute espèce
ne manquèrent pas jusqu’à présent, et l’on progressa tellement
dans le travail que dans l’espace de quelques mois on put par-
venir à la formation du toit.
Mais pour mener à terme l’édifice, les ressources ne suffisent
plus, et il est nécessaire que l’inépuisable charité du public
vienne au secours des gestes de bienfaisance de personnes
privées. C’est dans ce but que les Organisateurs, soussignés, de
cette œuvre charitable s’adressent à V[otre] S[eigneurie] en invo-
quant votre contribution, et en Vous proposant un moyen qui,
ayant déjà été employé avec un bon résultat dans d’autres
Institutions méritantes, n’échouera certainement pas pour l’O-
ratoire S[aint]-François de Sales. Ce moyen consiste dans une
loterie d’objets, que les soussignés eurent l’idée d’entreprendre
pour faire face aux dépenses d’achèvement de la nouvelle cha-
pelle, et à laquelle V[otre] S[eigneurie] voudra bien, il n’y a pas
de doute, prêter son concours, en réfléchissant à l’excellence de
l’œuvre à laquelle elle est destinée.
Quel que soit l’objet qu’il plaira à V[otre] S[eigneurie] d’offrir,
en soie, ou en laine, ou en métal, ou en bois, ou bien un
ouvrage d’un artiste réputé, ou d’un modeste ouvrier, ou d’un
artisan laborieux, ou d’une dame charitable, tout sera accepté
avec gratitude, parce qu’en fait d’action de bienfaisance toute
petite aide est une grande chose, et parce que les offrandes
même légères d’un grand nombre peuvent, regroupées, suffire à
achever l’œuvre désirée.
Les soussignés ont confiance dans la bonté de V[otre] S[ei-
gneurie], sûrs que la pensée de contribuer à la bonne éducation
de la jeunesse laissée à l’abandon ne pourra manquer d’inviter
votre cœur à subvenir d’une manière ou d’une autre. Du reste,
puissent servir à recommander auprès de Vous la pieuse insti-
tution, les gestes singuliers de bienfaisance avec lesquels des
personnes de toute catégorie et de tout rang en ont encouragé

35.7 Page 347

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333
l’implantation et favorisé l’extension. Puisse surtout servir le vœu
émis par le premier Corps législatif de l’Etat qui, après avoir
pris en bienveillante considération [cette institution], nommait une
Commission spéciale pour obtenir sur elle des renseignements
précis et, après en avoir reconnu l’utilité, la recommandait chau-
dement au Gouvernement du Roi. Puissent également servir le
généreux subside décrété à son avantage pendant deux années
consécutives avec un vote unanime de la Mairie turinoise, la
particulière largesse avec laquelle S[a] M[ajesté] le Roi et S[a]
M[ajesté] la Reine daignèrent lui venir en aide, et la spéciale
bienveillance avec laquelle de vénérables Prélats et de très dis-
tingués personnages se plurent à la recommander à la charité
publique.
Les soussignés présentent à V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
des remerciements anticipés pour l’aimable coopération que Vous
voudrez apporter pour le bon résultat de la loterie projetée, et ils
implorent pour Vous toute bénédiction venant du Ciel.
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
Très obl[igés] Serviteurs
LES ORGANISATEURS ET LES ORGANISATRICES.
Au bas de la feuille de cet appel étaient imprimés les
noms de Messieurs les Organisateurs et de Mesdames les Orga-
nisatrices, avec le post-scriptum : « Les objets seront reçus par
Messieurs les Organisateurs et par Mesdames les Organisatrices
et pour une plus grande commodité on pourra les déposer chez
Messieurs :
Gagliardi Joseph, quincaillier, en face de l’Eglise de la Basili-
que [Saints-Maurice-et-Lazare] Chiotti Charles, march[and] de
faïence et de porcelaine, dans [la rue] Dora Grossa en face de
l’Eglise des S[aint]s-Martyrs Pianca et Serra, march[ands], rue
Notre-Dame-des-Anges, maison Pomba n. 6 Hyacinthe Marietti,
impr[imeur]-libraire, sous les arcades de l’Université [rue du Pô] ».
Ainsi D. Bosco, à travers l’envoi tous azimuts de quel-
ques milliers de ces invitations à la charité dont on vient de
parler, sanctifiait aussi les Fêtes de Noël.

35.8 Page 348

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334
CHAPITRE XXIX
Le premier réfectoire des jeunes Changement de systè-
me dans la distribution de la nourriture Différentes
catégories de jeunes Le premier règlement intérieur : les
dortoirs Deux lettres pour des acceptations de jeu-
nes Tolérance paternelle Cagliero commence l’étude de la
musique Tendresse maternelle Marguerite et les malades.
Au début de 1851 les pensionnaires ne se dispersaient
plus dans la cour ou dans la maison pour manger la soupe lors des
repas de midi et du soir, mais ils commencèrent à s’asseoir à quel-
ques tables disposées sous un hangar et, comme beaucoup avaient
grandi en âge, on avait accordé en plus à tous un petit pain pour le
petit déjeuner. Mais en 1852 il y eut un autre progrès. D. Bosco cessa
la distribution des 25 centimes par jour à chaque jeune, parce que
certains, ne sachant pas bien mener leur barque, les dépensaient en
friandises, en restant ensuite sans pain. Ayant supprimé les petits ré-
cipients, il les remplaça par des assiettes creuses en étain de grande
capacité, et à partir de ce moment-là le pain fut fourni par le service de
distribution de la maison : on ajoutait régulièrement pour le repas de
midi, le jeudi et le dimanche, quelque morceau d’un plat de résis-
tance. Plus tard, on distribuait tous les jours, le midi, le plat de
résistance ou les fruits et, lors des fêtes, un verre de vin.
D. Bosco s’ingéniait autant qu’il le pouvait pour donner
à ses jeunes la nourriture nécessaire ; et il n’arriva jamais que

35.9 Page 349

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335
celle-ci manquât, pas tellement raffinée, mais saine et abondante.
La soupe et le pain étaient toujours à la pleine disposition de
tous, qui en mangeaient à satiété. On veillait cependant à ce que
du pain ne fût pas emporté en dehors du réfectoire, et pour
atteindre ce but on accorda une moitié de petit pain pour le
goûter. D. Bosco marchandait pour que le pain fût de première
qualité et, comme le Chev[alier] Cotta lui avait suggéré de nour-
rir ses jeunes avec des gressins, il voulut faire l’essai pendant
une semaine. Mais, s’apercevant que cet aliment, quoique des
plus raffinés, ne lui donnait pas satisfaction parce qu’il fallait le
manger avec lenteur car il était sans mie, il arrêta aussitôt. Lors
des solennités et des fêtes de la maison il leur accordait quelque
chose de plus : ordinairement cela consistait dans ce qu’on met
sur le pain au petit déjeuner, dans un modeste hors-d’œuvre et
un bon verre au repas de midi. Egalement pour le vêtement il
ne laissait rien manquer aux plus pauvres.
Pour la plus grande partie, les jeunes avaient des con-
ditions de vie à l’Oratoire meilleures que celles qu’ils pouvaient
avoir dans leurs propres familles, et ils étaient en pension
gratuite. En général D. Bosco donnait la préférence aux orphe-
lins les plus nécessiteux et laissés à l’abandon, exposés au
danger de commettre des délits, ou à être corrompus par les
scandales qui les touchaient en famille, ou à rester pris dans les
filets de quelque mauvais compagnon. Il disait tout ému et les
larmes aux yeux : — Pour ces jeunes je ferai n’importe quel
sacrifice : je donnerais même volontiers mon sang pour les
sauver. Et il recommandait à ses collaborateurs la même
compassion.
Cependant il exigeait quelque légère contribution finan-
cière de la part de ceux qui avaient encore leurs parents, ou
possédaient quelque avoir, ou avaient des bienfaiteurs : il avait
l’habitude de dire qu’il n’est pas juste de subvenir aux besoins
de ces jeunes-là à travers les œuvres publiques de bienfaisance,
qui doivent servir seulement pour ceux qui se trouvent dans une
véritable nécessité. Cependant la subsistance de n’importe lequel
d’entre eux était toujours plus coûteuse que ce qu’il aurait pu

35.10 Page 350

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336
verser ; ce à quoi D. Bosco suppléait avec les secours qui lui
étaient fournis par la Providence.
Ce qu’il leur donnait était donc supérieur à ce à quoi ils
auraient pu prétendre et de nombreuses fois lui-même blâmait le
système de certaines Institutions modernes suivant lequel les
jeunes pensionnaires pauvres reçoivent des conditions de vie su-
périeures à leur situation et ensuite, devant sortir de l’Institution,
ils ne s’adaptent pas à certaines privations, ce qui entraîne pour
eux un dommage matériel et même moral.
Il y avait aussi à l’Oratoire en ces premiers temps d’autres
jeunes gens qui appartenaient à des familles plutôt aisées : celles-ci
priaient D. Bosco d’accepter leurs enfants pour leur éducation,
étant disposées à contribuer avec une pension même importan-
te ; et ces [jeunes gens] avaient des conditions de vie spéciales.
D. Bosco les admettait à la table de ses jeunes abbés, pour leur
faire recevoir un bon exemple. Mais cette exception ne fut pas
de longue durée, c’est-à-dire [qu’elle dura] jusqu’au moment où
D. Bosco ouvrit d’autres collèges dans ce but en 1860 et 1863.
Mais entre les étudiants et les apprentis, [entre] qui payait la
pension et qui ne la payait pas ou bien versait une rétribution
exiguë, entre jeunes abbés et pensionnaires régnaient la plus vive
amitié et la plus sincère égalité. D. Bosco faisait se lier tous les
cœurs. Bon comme la plus aimante des mères, juste, sans par-
tialité en faveur de quelqu’un, affectueux même envers les personnes
destinées à servir, sachant apprécier et rémunérer les mérites,
vigilant envers les malades, prêt à secourir les nécessiteux, paci-
ficateur charmant dans les petites discordes en disant : Que celui
qui a la plus grande prudence en fasse usage, il souffrait lors-
que les jeunes s’éloignaient, même pour un court instant, et il se
servait de tous les moyens ingénieux pour les garder près de lui
pendant les vacances, même gratuitement, parce qu’il craignait de les
voir, s’ils s’en allaient avec des ailes, revenir avec des cornes.
Mais la rare tranquillité, que les jeunes généralement
sains et robustes goûtaient grâce à ses attentions, n’arrivait pas

36 Pages 351-360

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36.1 Page 351

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337
sans quelques situations désagréables : la soupe qui, vu la grande
quantité, n’était pas toujours selon tous les goûts, les locaux exi-
gus et pauvres, les élèves en trop grand nombre pour que sa maison
pût les contenir à l’aise et plusieurs autres désagréments qui ne
dépendaient pas de la volonté et de la diligence de D. Bosco.
Toutefois l’amour que les jeunes portaient envers l’Oratoire, mê-
me ceux qui payaient une pension, est une chose incroyable.
Aujourd’hui encore les élèves des temps anciens le racontent, et
parmi eux le Chan[oine] Ballesio : « La soupe et le plat de résis-
tance n’étaient pas à la hauteur des temps. En pensant à la
manière dont on mangeait et dont on dormait, nous nous éton-
nons à présent d’avoir pu alors passer par là sans en souffrir
quelquefois et sans nous lamenter. Mais nous étions heureux,
nous vivions d’affection. On respirait dans un monde d’idées
splendides, qui nous remplissait complètement de lui, et nous ne
pensions pas à autre chose ».
D. Bosco, cette année-là, avait également commencé à
établir quelques règles disciplinaires, puisque, dans les débuts de
l’Oratoire, il n’y avait pas de règlements écrits. Comme il n’y
avait à l’intérieur [de l’Oratoire] ni écoles, ni ateliers, la classifi-
cation des jeunes était faite à partir des chambrées, et c’est
pourquoi en chaque dortoir fut affecté un jeune abbé ou un
jeune homme comme assistant et fut affiché un tableau qui con-
tenait les articles à observer dans la maison. En voici la teneur.
1. Tout jeune devra obéir à l’assistant ou à celui qui le rem-
place : ceux-ci sont obligés de rendre compte de tout ce qui est
fait et de tout ce qui est dit dans le dortoir.
2. On ne peut, sans permission, introduire dans le dortoir
aucune personne, même un parent : et les jeunes d’un dortoir ne
peuvent pas non plus aller dans celui des autres sans une
permission spéciale des Supérieurs.
3. Que chacun fasse en sorte de donner le bon exemple aux

36.2 Page 352

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338
compagnons, en particulier dans la fréquentation des Sacrements,
en s’en approchant au moins tous les quinze jours.
4. Que chacun ait soin de la propreté tant de sa personne que du
dortoir.
5. Le soir, après la récitation des prières, que l’on vienne
aussitôt dans la chambre et que l’on ne reste pas à tourner dans
la cour : on observera ensuite un silence rigoureux pour ne pas
déranger ceux qui ont besoin de se reposer.
6. Le matin, au signal du lever, chacun s’habillera avec la
plus grande modestie, en observant le silence exigé.
7. Il est strictement interdit de vendre ou d’acheter n’importe
quel objet ou de garder de l’argent près de soi. Quiconque au-
rait de l’argent doit le remettre au Préfet, qui en tiendra le
compte et le fournira dans les cas de besoin.
8. Il est aussi interdit d’écrire sur les murs de la maison, de
planter des clous ou de casser quelque chose sous le moindre
prétexte.
9. On recommande la charité fraternelle et, pour cela, de sup-
porter patiemment les défauts des compagnons et de ne jamais
les offenser.
10. Sont rigoureusement défendus tout acte inconvenant et tou-
tes sortes de mauvaises conversations.
11. Que celui qui observera ces règles soit béni par le Sei-
gneur. Que chacun se rappelle que celui qui commence à vivre
en bon chrétien pendant sa jeunesse, mènera une bonne vie jus-
qu’à sa vieillesse, et Dieu le gardera jusqu’à cet âge.
N. B. Ce règlement sera lu d’une voix claire le premier diman-
che de chaque mois à tous ceux du dortoir.
JEAN BOSCO Pr[être].
Ce règlement, par lequel les jeunes étaient appelés les
fils de la maison dans l’original primitif, fut peu à peu pas mal
modifié et réduit à la forme exposée ci-dessus.

36.3 Page 353

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339
Les jeunes en ces temps mémorables jouissaient d’une
liberté extrêmement grande : ils étaient comme en famille. Mais
au fur et à mesure que surgissait un besoin ou que naissait un
désordre, D. Bosco, graduellement restreignait la liberté à l’aide
de quelques nouvelles règles opportunes. Et les jeunes, recon-
naissant la nécessité de ces nouvelles mesures, s’y assujettissaient
volontiers, mais ils les reprochaient à ceux qui avec leurs man-
quements en avaient été la cause. Ainsi une à une, à divers
intervalles, furent établies les règles disciplinaires qui forment à
présent [1904] le règlement des Maisons Salésiennes.
Chaque chambrée ou [chaque] dortoir étaient sous la
protection d’un Saint patron, dont le nom était écrit sur la porte
d’entrée et chaque année les jeunes qui en faisaient partie célé-
braient la Fête [de ce Saint] en s’approchant tous des Sacrements,
et, une fois la permission obtenue, en décorant et en ornant de
lumières l’image du Saint, en chantant des hymnes, en récitant
des prières devant cette [image]. Ils choisissaient l’heure de la
journée ou du soir susceptible de moins déranger l’horaire géné-
ral et invitaient les Supérieurs. Etait présent un président de la
fête choisi par eux, et un jeune homme ou un jeune abbé faisait
le panégyrique. Parfois on donnait à poser un baiser sur la reli-
que. C’était là un moyen qui, joint aux autres, allumait de plus
en plus la ferveur de la dévotion. On considérait la chambrée
comme un sanctuaire. Dans chaque dortoir, et ensuite dans les
salles d’étude, D. Bosco prescrivit qu’il y eût le coquillage avec
l’eau bénite, dont on faisait usage. Il y avait le petit autel avec
la statue de Notre-Dame et le crucifix. Tous les jours du mois
de mai on récitait avant de se coucher une petite prière devant
la représentation de Marie, ornée de nombreuses lumières et de
tentures. Ces coutumes furent réduites parce que l’on plantait
trop de clous dans le mur, mais elles durèrent longtemps. Par-
fois les fêtes du Saint Patron de la chambrée donnaient lieu en
celle-ci à une belle séance récréative et culturelle, en la présence
de D. Bosco lui-même. Nous avons trouvé et nous conservons quel-

36.4 Page 354

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340
ques sonnets composés et récités au cours de différentes années suc-
cessives par les jeunes étudiants de la chambrée Saint-Augustin
en l’honneur du grand Evêque d’Hippone et dédiés à D. Bosco,
à Don Alasonatti Victor, et à l’un de leurs présidents, Berruto
Jean.
Pour ce qui est de l’ordre général, D. Bosco vit l’im-
portance qu’il y eût, dans la maison, un représentant permanent
de son autorité : et, lorsqu’il devait s’éloigner de Turin pendant
quelques jours, il invitait, comme il l’avait fait l’année précé-
dente, aussi en 1852 D. Grassino à habiter à Valdocco.
Son zèle et sa prudence lui suggéraient les mesures dites,
tandis que sa charité envers les jeunes paraissait aussi à travers
les lettres qu’il écrivait à ceux qui les recommandaient.
Le Rév[érend] Don François Puecher, de l’Institut de la
Charité, par lettre depuis Stresa, lui souhaitait la bénédiction de
Dieu sur sa loterie, le saluait en union avec le Théol[ogien]
Gastaldi et, au nom de l’Ab[] Rosmini, disposé à payer une
pension mensuelle, il lui recommandait un jeune. D. Bosco
répondait le 16 Février 1852. « A la suite de la lettre de V[otre]
S[eigneurie] Très ill[ustre] et très ch[ère], j’ai aussitôt fait venir le
jeune garçon C… Je me suis attendri rien qu’à le voir ; il a
exactement l’aspect de quelqu’un qui souffre la faim dans son
corps et dans son âme ; cependant son caractère me parut
excellent, de sorte que je lui ai dit de venir chez moi au cours
de cette semaine, afin de le garder quelques jours à titre d’essai,
sans lui en dire plus. Je suis d’avis de l’envoyer quelque temps
encore en classe pour mieux connaître si le Seigneur l’appelle
aux études ou à un métier… Quoi qu’il en soit, je compte
conserver ici ce jeune parce que je m’aperçois que le besoin est
trop grave ». Et, quelque temps après, il écrivait au Rév[érend]
D. Gilardi : « Le jeune C… est très remarquable dans la bonne
conduite et dans la piété ; il montre un penchant pour l’état
ecclésiastique, tient les premières places dans le troisième cours
de grammaire latine ; il donne de bons espoirs à son sujet pour

36.5 Page 355

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341
l’avenir ; mais il approche seulement de quatorze ans ; il faut faire en
sorte qu’il continue ses études ».
Il adressait une autre lettre au C[hevalier *] Xavier Pro-
vana de Collegno [* il sera Comte à partir de 1884].
Très ill[ustre] Monsieur,
Je comprends totalement combien il est important que nous
nous occupions du jeune recommandé par la bonté de V[otre]
S[eigneurie] Très ill[ustre] et je Vous assure que je lui porterai
tout l’intérêt possible.
Si ce n’est que je me trouve dans un moment bien difficile,
ayant peu de ressources et étant tout à fait privé de locaux,
toutefois donnez-moi cinq ou six jours de temps, et je ferai en
sorte de lui trouver quelque occupation, et ensuite de le placer
ou ici ou chez quelque autre personne sûre.
Je Vous remercie de tout cœur du bon souvenir que Vous
conservez pour moi, recommandez-moi au Seigneur et agréez
que je me dise avec la plus grande vénération
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
Turin, 21 février 1852.
Très obl[igé] serviteur
BOSCO JEAN Pr[être].
Entre-temps les cours de latinité donnaient d’excellents
fruits. Le jeune Cagliero, lui aussi, faisait preuve d’une belle
intelligence et d’une humeur joyeuse. Toujours le premier dans
les jeux et dans les divertissements, chef et maître de gymnas-
tique, et entreprenant au plus haut degré.
Mais son tempérament fougueux, il ne semblait pas dans
les débuts qu’il fût possible de le modérer. En particulier lors-
qu’il se rendait aux cours, il n’y avait pas moyen qu’il pût se
plier à aller de conserve avec les autres compagnons. Le jeu[ne
abbé] Rua, qui était chargé de la surveillance, ne réussissait pas
à le tenir dans les rangs. A peine sorti de l’Oratoire, il courait

36.6 Page 356

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342
jusqu’à la place [de] Milan où étaient les charlatans, donnait un
coup d’œil sur les jeux et, lorsque les compagnons arrivaient à
la porte du prof[esseur] Bonzanino, ils trouvaient Cagliero qui
déjà les attendait tout trempé de sueur.
Rua lui disait souvent : Pourquoi ne viens-tu pas
avec les autres ?
Oh, la belle affaire ! ça me plaît davantage à moi comme
ça ; quel mal y a-t-il à passer par une route plutôt que par une
autre ?
— Et l’obéissance ?
— L’obéissance ? Ne suis-je pas ponctuel pour arriver aux
cours ? Et même est-ce que je n’arrive pas toujours avant les
autres ? Moi, le travail, je le fais, la leçon, je la sais toujours ;
donc pourquoi vous ennuyer pour ces bricoles ?
Et il continuait à aller seul, pour le plaisir fou de voir
les charlatans. Quelqu’un proposa à D. Bosco qu’il serait mieux
d’envoyer chez lui un jeune qui aimait si peu la discipli-
ne ; mais D. Bosco, qui avait en très grande estime la franchise
de Cagliero, ne voulut rien savoir. En effet, l’année suivante, le
jeune Cagliero, après quelques avertissements de D. Bosco, de-
vint plus respectueux de la règle et ne tarda pas à être le
modèle de tous.
La nature l’avait doté de nombreuses et belles qualités,
et D. Bosco, qui avait découvert en lui une heureuse disposition
pour la musique, lui en enseigna les premiers rudiments et le
confia au jeune abbé Bellia pour qu’il continuât à l’exercer. Il
désirait former un maître [de musique] capable d’écrire des cho-
ses faciles pour les [gens du] peuple, et il le fit s’appliquer
sérieusement à cette étude, grâce à une bonne méthode dont on
vit rapidement les résultats. Un jour, vint à être absent celui qui
pour marquer un jour de fête jouait de l’harmonium à l’église.
Qui jouera à sa place le dimanche ? Quelle figure fera-t-on à
l’église sans instruments et sans chants ? Cagliero voit l’embar-
ras de la situation et il ne veut pas qu’il soit dit qu’à cause de

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343
l’absence de quelqu’un a été perdant l’Oratoire. Avec une vo-
lonté énergique supérieure à [celle de] son âge, il fait tant et se
donne tant de mal que le dimanche suivant il s’assied à l’har-
monium et d’une main sûre il joue les mélodies qu’on avait
l’habitude d’entendre les dimanches précédents.
Après cette belle réussite, sa passion pour la musique se
fit de plus en plus irrésistible, et il restait des heures et des
heures au piano détraqué. Il faisait sortir, avec tant de fougue,
des notes peu harmonieuses pour une oreille profane qu’un jour
la bonne Marguerite perdit quelque peu patience et elle n’hésita
pas à menacer pour rire le jeune musicien, qu’elle aimait en
bonne mère. En effet, douce, aimable, patiente, en toute cir-
constance, grande ou petite, elle montrait la grande charité
qu’elle nourrissait envers les pauvres jeunes gens. Souvent il
arrivait que l’hiver quelques-uns étaient obligés par leur patron
de travailler jusqu’à une heure très avancée ; ne les voyant pas
paraître avec les autres au repas du soir et ayant appris l’urgen-
ce du travail, elle s’écriait : Pauvres enfants ! souvenons-nous
de garder la soupe au chaud ! — Et elle n’avait pas le courage
d’aller se reposer, mais elle restait toujours à les attendre jus-
qu’à 11 heures et parfois jusqu’à minuit, en tremblant de froid.
Lorsqu’ils arrivaient, elle les réjouissait également avec un reste
du plat de résistance qu’elle avait mis en réserve.
Parfois l’un des plus petits, le soir du dimanche, après les
cérémonies d’église, allait à la cuisine. — Que veux-tu, petiot ?
Maman, donnez-moi un petit pain.
— Mais n’as-tu pas déjà mangé ton goûter ?
— Oui, mais j’ai encore tellement faim !
Pauvre garçon, prends ; [] et elle le lui donnait ; mais
ne le dis à personne, autrement tes autres compagnons arrivent
aussi, et ensuite ils me laissent les morceaux de pain au milieu
de la cour.
Maman, soyez tranquille, je ne le dis à personne.

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344
Et il courait jusqu’à la cour de récréation avec son petit
pain dans la main. Ses compagnons, en voyant qu’il mangeait,
venaient autour de lui :
— Qui te l’a donné, ce pain ?
Le petiot répondait aussitôt, la bouche pleine : Maman Mar-
guerite.
Et les autres couraient tout droit chez elle, qui ne savait pas
dire non.
Le dimanche suivant, le même enfant revenait demander du
pain : Toi, lui disait Marguerite, la semaine dernière tu as
raconté à tout le monde que je t’ai donné du pain et tu m’as
mise dans une drôle de situation. C’est pourquoi aujourd’hui je
ne t’en donne plus.
Mais est-ce que je devais dire un mensonge ? Ils m’ont
interrogé et j’ai dû répondre selon la vérité.
Tu as raison, il ne faut pas dire de mensonge. Et sans
plus elle le contentait.
Comme on le voit, les braves jeunes avaient une grande
emprise sur son cœur. Lorsque, à l’Oratoire, on avait commen
les cours pour les étudiants, l’un d’entre eux, revenu de la clas-
se et ayant reçu le pain pour le goûter, allait dans la pièce de
Marguerite et lui disait : — Rien d’autre ?
Et cela ne te suffit pas ? répondait Marguerite.
Le jeune commençait à manger son pain et ensuite il répé-
tait : — Maman, je ne peux pas l’avaler.
Et pourquoi ?
Il est sec ! Si vous aviez un peu de fromage ou une tran-
che de saucisson, ce serait meilleur.
Vas-y, vas-y, gros gourmand ! Remercie la Providence d’a-
voir du pain blanc.
Oh maman ! reprenait avec un quasi-gémissement le petit
malin, en la regardant fixement et en excitant sa pitié. Oh
maman !
Et Marguerite finissait par lui donner tout ce qu’il demandait.
Nous avons rappelé ces deux humbles faits, que quel-
qu’un dira peut-être trop ordinaires, parce que nous est plus chère

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345
une goutte d’amour qu’un océan de choses glorieuses, grandes,
merveilleuses, et parce qu’ils concernent deux de nos compa-
gnons qui furent ensuite décorés de très hautes dignités.
De cela, on peut également déduire ce qu’elle faisait
pour les jeunes gens lorsqu’ils étaient mélancoliques ou malades.
Pour les premiers, elle ne cessait pas de mettre en œuvre tous
les moyens pour faire revenir le sourire sur leurs lèvres ; pour
les seconds, elle rivalisait pour l’esprit de sacrifice et pour les
soins continuels avec n’importe quelle mère, puisse-t-on trouver
la plus affectueuse. Un mal de tête, un mal de dents que
quelqu’un pouvait avoir, lui causaient beaucoup de peine. Les
jeunes gens, dès qu’ils éprouvaient quelque léger malaise, avaient
recours à elle, et, de son côté, elle était prête à leur rendre ser-
vice, de jour et de nuit. Si elle avait entendu un gémissement,
des pleurs, elle n’était pas tranquille tant qu’elle n’en avait pas
appris la raison. Si, à cause de la maladie, quelqu’un était obli-
gé de se coucher, elle était toujours autour de lui ; elle préparait
les médicaments, allait travailler auprès de son lit, le veillait
quand les autres allaient dormir. Pour tout dire brièvement, que
serve le fait suivant. Un jeune tomba malade, atteint d’une
maladie contagieuse et, le médecin ayant prescrit qu’il fût isolé
des autres, Marguerite se porta à ses côtés comme une infir-
mière pleine d’affection. Lorsqu’il fut décidé de le conduire à
l’hôpital et qu’elle vit qu’on le transportait pour descendre les
escaliers, elle le suivit en silence jusqu’au seuil ; quand les
personnes de service soulevèrent le brancard et se mirent en
route, elle fondit en larmes.
Marguerite était l’ange gardien de l’Oratoire.
—————

36.10 Page 360

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346
CHAPITRE XXX
Apostasies Sermon sur la Virginité de la Très s[ainte Vierge]
Marie Zèle et charité de D. Bosco envers les personnes
trompées par les hérétiques Discussions avec les partisans
des Vaudois et avec leurs pasteurs Un sermon perfide ;
l’aigle et le renard Le jubilé à l’Oratoire S[aint]-François de
Sales Constructions des Vaudois autour de leur temple.
Les Vaudois continuaient par la parole et par la presse à
répandre leurs erreurs dans les diverses couches de la population, en
offrant 80 lires à qui se faisait inscrire à leur secte. Quelques-uns des
jeunes des Oratoires des dimanches et des jours de fête, qui avaient
causé de grandes peines à D. Bosco, et dans certaines affaires avaient
pris le parti contre lui, s’étaient laissés entraîner à l’apostasie, en
acceptant cette vile somme d’argent. Il vint donc en conséquen-
ce que leur haine cherchait à se déverser contre leurs anciens
compagnons qui, ainsi les en avertissait leur conscience, les con-
sidéreraient dorénavant comme des renégats. Un soir, Tomatis
rentrait à la maison vers les 9 heures. En passant près de l’église
Notre-Dame de Consolation, il descendait vers l’Oratoire lorsqu’il
s’aperçoit que deux individus le talonnent. Pris de peur, il presse
le pas, et eux aussi. Il se met à courir et peut entrer dans la
cour et fermer la porte à temps, car, s’il avait pris un instant de
retard, ils l’auraient rejoint. Il alla, sans tarder, raconter le fait à

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37.1 Page 361

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347
D. Bosco, qui prit des mesures pour quelques précautions capa-
bles de protéger la sécurité de la communauté.
« D. Bosco, nous écrivit Joseph Brosio, éprouvait une forte
souffrance à cause de ces défections et de ces trahisons. Un di-
manche il prêchait à Valdocco contre les erreurs des protestants
et avec des paroles enflammées il se lamentait de ces jeunes qui
se laissaient tromper par les chefs de chœur de l’impiété, et il
démasquait les ruses trompeuses dont ces derniers se servaient
pour conduire à une perdition certaine la jeunesse. A un moment il
interrompit le sermon, comme il avait l’habitude de faire quelquefois,
et il se mit à interroger quelques-uns des enfants, afin que le
sujet fût bien compris par leurs compagnons. De cette façon il
élucida les raisons qui défendaient invinciblement quelques-uns
des dogmes niés par les protestants, principalement la virginité de
Notre-Dame. D. Bosco s’enflamma tellement pour développer son
sujet que son visage devint resplendissant comme s’il était la
flamme d’une lampe à huile. Cela, je l’ai vu moi-même ». Nous
dirons en temps voulu comment dans une autre circonstance nous
fûmes également témoins d’une semblable merveille.
En attendant, D. Bosco avait commencé à se dévouer
avec une grande sollicitude à l’œuvre de la conversion des
hérétiques. Pendant bien des années sa constance fut telle qu’il
eut la consolation de recevoir, en nombre considérable, des abju-
rations d’apostats et de personnes qui étaient nées dans l’hérésie.
Il est inutile de dire combien il se réjouissait lorsqu’il pouvait
agréger quelqu’un à la véritable Eglise.
Fréquemment il recevait la visite de ceux qui, trompés
par les Vaudois, avaient renié la foi et, avec une totale bien-
veillance, il les accueillait, leur expliquait les vérités catholiques
avec beaucoup de clarté, leur montrait comment ils avaient été
entraînés au mal par séduction, les amenait à voir le mauvais
pas qu’ils avaient fait : en les encourageant à ne jamais déses-
pérer de la miséricorde de Dieu. Dans le même temps il les
aidait autant qu’il pouvait. Certains étaient dans le besoin, et lui,
après les avoir instruits, il leur donnait quelque subside. Il en ac-

37.2 Page 362

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348
cueillit d’autres à l’Oratoire afin qu’ils fussent soustraits à
l’occasion de retomber dans l’erreur et pour pouvoir mieux les
catéchiser. Il recueillit quelques pauvres garçons protestants, les
instruisit, et les convertit. Il reconduisit des familles entières au
bercail de Jésus Christ, en procurant à quelques-unes le moyen
de vivre honnêtement de leur propre travail. De tout ce qui est
dit ici, D. Rua rend témoignage.
Certains des néophytes vaudois venaient plus à l’Oratoire
pour discuter que pour se convertir, et D. Bosco donnait son
consentement. « Moi-même, nous a dit le Chan[oine] Anfossi, j’ai
assisté plusieurs fois à ces discussions qu’il soutenait, et elle
était admirable la subtilité des arguments qu’il employait, et il
apparaissait clairement que non seulement il avait étudié de fa-
çon particulière dans l’intention de réfuter les erreurs du
Protestantisme, mais que de plus il recevait du ciel une lumière
spéciale ; et cela se voyait encore à travers la grande charité
avec laquelle il s’entretenait avec ces personnes plongées dans
l’erreur. Ces dernières n’utilisaient pas toujours envers lui des
manières polies, mais il ne cessa jamais de les traiter avec
douceur. Il disait que cette vertu est la plus nécessaire en
particulier avec les hérétiques ». En effet, s’ils s’aperçoivent
qu’on veut l’emporter sur eux, alors ils se préparent, non pas à
connaître la vérité, mais à la combattre ; et les vives contes-
tations ferment la porte de leur cœur, tandis que l’affabilité
l’aurait ouverte. En effet, Saint François de Sales, bien que très
habile dans la controverse, gagnait davantage les hérétiques avec
sa douceur qu’au moyen de la science. La force d’une discus-
sion sans la douceur n’a jamais converti quiconque.
Et plusieurs, parmi les présomptueux dont on parle plus
haut, furent convaincus par D. Bosco, et remis dans la barque de
Pierre.
Les prétendus pasteurs vaudois ne tardèrent pas à s’aper-
cevoir du zèle avec lequel D. Bosco s’employait pour faire
revenir à la foi catholique les dévoyés. Certains d’entre eux
vinrent donc eux-mêmes chez D. Bosco, avec l’espoir de le con-

37.3 Page 363

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349
tredire et de s’en vanter ensuite publiquement. Mais ils ne pu-
rent jamais y réussir, non seulement à cause de la solidité de ses
arguments, mais parce qu’il savait les arrêter dans leurs prome-
nades d’un sujet à un autre, dans lesquelles ils sont maîtres, soit
à cause de leur ignorance, soit à cause de l’art qu’ils ont de
rendre impossible la conclusion d’une thèse déterminée. D. Bosco
laissait parfois l’argumentation directe et positive, et procédait par
interrogations, spécialement lorsqu’il s’agissait de l’histoire de l’E-
glise, des conciles, des S[aint]s Pères, et leurs réponses [données]
à tort et à travers tombaient dans de tels anachronismes, à faire
rire les mouches. Par ailleurs il était très expert pour obtenir,
même d’un adversaire assez cultivé, des concessions dont cette
personne n’avait pu prévoir les conséquences, et il lui créait de
tels embarras et de telles difficultés dont elle ne pouvait pas se
dépêtrer. C’est pourquoi ces messieurs s’en retournaient tout pe-
nauds.
Entre-temps aussi, cette année-là, il continuait à diffuser
une nouvelle édition de la petite brochure intitulée Avis aux
Catholiques, [des avis] qui par milliers d’exemplaires procuraient
un très grand bien dans le Piémont et spécialement à Turin.
Cependant, tandis que D. Bosco combattait l’hérésie installée en
dehors du cercle des murs de Valdocco, la vilaine bête essayait
de semer l’ivraie dans l’Oratoire lui-même.
Un certain frère mineur réformé du couvent S[aint]-Thomas à
Turin, le Père Vital Ferrero, frère de quelques jeunes garçons qui
fréquentaient l’Oratoire, était devenu très ami de D. Bosco. Ce
[religieux] sut si bien dissimuler la méchanceté de son cœur que
D. Bosco, croyant qu’il était une personne de confiance, l’avait plu-
sieurs fois invité à déjeuner avec lui. Donc, en cette année 1852, il le
chargeait de faire le panégyrique de Saint François de Sales le
jour de la Fête. Le moine monta en chaire, et commença à par-
ler dans un dialecte piémontais qu’il possédait très bien. Les
descriptions qu’il esquissait étaient vivantes. Il dépeignit S[aint]
François qui, à pied, fatigué, gravissait la montagne pour sauver

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350
les âmes, et qui, lui, rapiéçait ses habits qu’il avait abîmés ; et,
par là, il établit le parallèle avec d’autres qui roulent en voiture
et envoient leurs vêtements chez le tailleur. Avec ces autres il
faisait allusion aux Evêques.
Puis il présenta une parabole de l’aigle et du renard.
L’aigle était sur un arbre, et le renard se traînait par terre,
couvert de plaies répugnantes, porteuses de peste, et en voulant
dissimuler ses plaies il cherchait à se cacher dans les haies pour
ensuite aller au milieu des animaux et les infecter. Mais l’aigle
resta à regarder pendant un peu de temps tous les mouvements
sournois du renard et puis il cria aux animaux de toutes espè-
ces : Méfiez-vous du renard ! Et le prédicateur perfide
concluait : Mes enfants, savez-vous qui était l’aigle ? Luther !
Savez-vous qui était le renard ? L’Eglise Catholique !
A cette conclusion D. Bosco, qui jusqu’à ce moment-là
avait été avec une immense peine attentif à chacune de ses
paroles, s’avança vers la chaire tandis que le moine descendait
et, l’ayant pris par le pan de son habit, lui dit d’une voix
vibrante, de sorte que tous les jeunes entendirent : Vous êtes
indigne de porter ce vêtement !
Ce malheureux, peu de temps après, quittait le couvent
avec la permission des supérieurs, sous le prétexte d’assister son
vieux père. Cependant, parvenu à la maison habillé en prêtre
séculier, il chassa son père, le mettant à la rue, puis il jeta le
froc aux orties, et finit par se donner au protestantisme à travers
une profession publique de foi hétérodoxe, sous la conduite du
pasteur vaudois Amédée Bert. Envoyé à Londres afin qu’il per-
vertît les Italiens qui résidaient là-bas, il mourut la même année
d’un coup de couteau reçu d’un compatriote.
Le malheureux était venu prêcher à l’Oratoire en accord
avec les protestants ; mais il n’avait pas su se comporter avec
sagacité, jetant tout de suite la peau de mouton. Les jeunes qui

37.5 Page 365

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351
l’entendirent se rappelaient encore, environ 40 ans plus tard et
dans le moindre détail, la parabole impie. Tant était grande l’im-
pression qu’avait faite ce récit sur leurs esprits !
Et D. Bosco leur avait raconté avec une grande douleur l’a-
postasie de ce malheureux, en le recommandant à leurs prières.
Avec un tel coup mal réussi, l’hérésie avait fait con-
cevoir contre elle une plus grande horreur dans l’esprit de ceux
de l’Oratoire, et D. Bosco se servit également d’un heureux
événement pour les confirmer de plus en plus dans les bonnes
résolutions. En 1851, le Pape avait accordé à tous le Jubilé. En
dehors de Rome on pouvait le gagner l’année suivante. Le Théol[o-
gien] Jean Borel, au nom de D. Bosco, avait supplié les Services
diocésains de permettre aux jeunes des Oratoires, assistés par les
prêtres qui les dirigeaient, d’accomplir les cérémonies de péni-
tence dans leurs chapelles. Si on lui concédait cette disposition,
il exprimait l’espoir d’obtenir un plus grand fruit spirituel. Le
Chan[oine] Philippe Ravina, Vicaire général, accordait volontiers
le 2 février 1852 la faculté demandée. Ces visites [pénitentielles],
comme ensuite on eut toujours l’habitude de les faire à l’Oratoi-
re, furent accomplies selon le nombre prescrit, en sortant de la
chapelle en procession et en y rentrant de même. Avec une
grande ardeur les jeunes firent en sorte de gagner l’indulgence,
étant remplis de ferveur par les sermons de D. Bosco ; aux élè-
ves internes et aussi à un certain nombre d’externes, pour leur
éviter d’oublier ces jours solennels, [D. Bosco] donna le conseil
[suivant] : que chacun écrive, sur une feuille, les résolutions qu’il
a prises et, cette [feuille], qu’il la conserve près de soi ou bien
qu’il la lui remette, et alors il la garderait.
Aux jeunes la proposition plut. En grand nombre ils écri-
virent en mettant en haut de leur feuille le titre : Mon jubilé, ou
bien leur propre nom. D’autres signèrent leur résolution, par ex[em-
ple] : Je suis Sacco Jean-Baptiste. Je promets et maintiens ma
promesse. — Les quelques feuilles que l’on conserve encore, avec

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352
la simplicité des expressions, les répétitions et les fautes de
grammaire manifestent que ceux qui les ont écrites étaient des
apprentis débutants, ou de nouveaux étudiants entrés depuis peu
de temps à l’Oratoire.
Voici quelques-uns de ces écrits : Je dois fuir ceux
qui blasphèment. — Je dois fuir ceux qui ont l’habitude de se
quereller, et je promets de ne plus me quereller avec quicon-
que. Je dois promettre de ne plus blasphémer et dire de
mauvaises choses. Je dois fuir les mauvaises compagnies avec
lesquelles je vais. — Je promets d’être diligent dans mes devoirs
et plus dévot à l’église. — Je dois m’approcher plus fréquem-
ment des Sacrements Sacrés. Je dois promettre de fuir ceux
qui parlent mal de l’Eglise. — Cette phrase se lit sur toutes ces
petites feuilles ; c’est l’indice évident qu’elle avait été suggérée
et expliquée par D. Bosco. Nous devons dire la même chose de
l’ordonnancement des idées, car il est uniforme : c’est peut-être le
même que celui qu’il mettait dans ses sermons. Nous en citons
un exemplaire en entier, un peu corrigé, à titre de document :
« VOICI LE JUBILÉ DE ROCCHIETTI
FUIR.
1° Je dois fuir les mauvaises compagnies.
2° Je dois fuir ceux qui parlent mal de la Religion Catholi-
que.
3° Je dois fuir les mauvaises conversations.
IMITER.
1° Je dois imiter S[aint] Louis de Gonzague.
2° Je dois imiter ceux qui ont une très grande dévotion
envers le Seigneur et envers les saints, et suivre leurs bons
conseils.
3° Je dois imiter ceux qui parlent bien de la Religion Catho-
lique.

37.7 Page 367

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353
PROMETTRE.
1° Je dois promettre au Seigneur de ne plus jamais pécher pen-
dant tout le temps de ma vie.
2° Je dois promettre de fuir les mauvaises compagnies, les mau-
vaises conversations et ceux qui ont l’habitude de blasphémer mon
Seigneur Dieu, ou de prononcer son nom en vain.
3° Je dois promettre de ne dire de mensonges ni pour avancer des
excuses ni pour une autre cause, et de ne pas blasphémer ou dire de
mauvaises choses, et de fuir le mal.
Rocchietti Pierre, je promets et je maintiens toujours ma pro-
messe pour tout le temps de ma vie ».
Ce billet et avec lui beaucoup d’autres avaient été remis
par les jeunes à D. Bosco pour qu’il pût les avertir au cas où
ils oublieraient leurs promesses. Une si grande confiance dans le
bon père était leur sauvegarde.
Entre-temps les Vaudois, auprès du temple qu’ils édi-
fiaient, commençaient à fonder des écoles pour des fillettes de
familles aisées, d’autres pour des jeunes pauvres des deux sexes,
une école maternelle, un hôpital, une Diaconia [Service à l’image de
celui des diacres de la primitive Eglise] pour distribuer des subsides
aux pauvres, et à peu de distance un collège pour de jeunes
vaudois apprentis. Mais à cette activité dans le mal, largement
rémunérée par l’Angleterre, D. Bosco opposait son activité dans
le bien avec de grands sacrifices : à des constructions profanes
où serait enseignée l’erreur et aurait retenti le blasphème, des
édifices sacrés dans lesquels on prêcherait la vérité et on glori-
fierait le saint nom de Dieu ; aux trésors accumulés des Sociétés
Bibliques, l’obole de la foi et de la charité.
Pendant ce temps-là, il continuait avec ardeur les prépa-
ratifs pour la loterie.

37.8 Page 368

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354
CHAPITRE XXXI
Dons pour la loterie A la recherche d’un local pour
l’exposition Largesse du Roi Exposition des lots pour la
loterie Exonération des frais de poste L’estimation des
dons Ouverture de l’exposition Le Comte de Cavour Un
malheur.
Les premiers jours de l’année 1852 trouvèrent D. Bosco
tout occupé dans sa loterie. Une deuxième édition de l’Appel fut
publiée avec la date du 16 janvier pour demander des dons de
toutes parts. Et cela impliquait d’écrire des milliers et des
milliers d’adresses. C’était la première fois qu’on avait recours
de cette façon à la charité publique pour la construction d’une
église et l’Appel reçut un accueil très favorable.
« D. Bosco qui voulait que je fusse mêlé à toutes ses
affaires, écrivit Brosio Joseph, me confia différentes charges pour
la loterie de 1852, et ensuite pour celle de Portanuova, et c’est
pourquoi je l’accompagnais lors des visites qu’il rendait aux per-
sonnes de haut rang et riches, et dans le même temps aux mai-
sons où se trouvaient des malades ». Pour l’instant de nombreux
dons arrivaient. S[a] M[ajesté] la Reine Marie-Adélaïde envoyait un
verre en cristal rouge avec le couvercle ; un coussinet pour
aiguilles en velours rouge, avec un support en bronze doré ayant
la forme d’un petit fauteuil ; un autre en velours vert avec un
support en ivoire ; un verre en cristal blanc et bleu ; un service

37.9 Page 369

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355
à café et à lait pour deux personnes, composé de huit pièces, en
porcelaine blanche, avec des fleurs en relief. S[a] M[ajesté] la
Reine Mère Marie-Thérèse offrait deux vases en bronze dorés et
argentés, un petit bureau en bois marqueté et douze autres ob-
jets. S[on] A[ltesse] R[oyale] la Duchesse de Gênes donnait un
presse-papiers en bronze avec un groupe de trois statuettes.
Egalement toute la cour royale et la noblesse turinoise se
distinguèrent par leurs propres offrandes. Le Souverain Pontife
Pie IX, Sa Majesté le Roi Victor-Emmanuel avaient fait
comprendre que de quelque manière ils voulaient apporter leur
contribution. Et le travail augmentait pour D. Bosco. Il fallait
tenir un registre des dons reçus, notés un par un, avec le nom
des personnes qui les offraient, les numéroter, les garder, écrire
des lettres de remerciement aux principaux donateurs. Mais où
les exposer, pour donner aux habitants de la ville la possibilité
de les voir ? La pauvre maison de Valdocco n’avait certainement
pas de salles capables de répondre à ce besoin. C’est pourquoi
D. Bosco, avec la permission reçue du supérieur des Domi-
nicains, demandait un local au Marquis Alphonse La Marmora,
par l’intermédiaire du Théologien D. Pierre Baricco, Adjoint au
Maire. A ce dernier le Ministre répondait.
Ministère de la Guerre. Division [de l’]Adm[inistration] Milit[aire].
Turin, le 16 Janvier 1852.
A la suite de la requête présentée par le Rév[érend] Don Jean Bosco,
Directeur de l’Oratoire S[aint]-François de Sales à Valdocco, pour
pouvoir utiliser, dans la partie du couvent S[aint]-Dominique, en
cette Capitale, encore actuellement à la disposition de l’Admi-
nistration militaire, 3 pièces pour l’exposition des objets donnés
pour la loterie en vue de l’achèvement de la nouvelle chapelle
de l’Oratoire susdit, et vu le but philanthropique et bienfaisant
auquel tend une telle requête, je me suis empressé de la satisfai-

37.10 Page 370

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356
re et j’ai pour cela pris les mesures auprès de l’administration
Générale [du Ministère] de la Guerre pour que, lorsque se présen-
tera D. Bosco, ci-dessus nommé, ou quelqu’un en son nom, les
pièces en question soient temporairement mises à sa disposition.
Je fais part d’une telle décision à V[otre] S[eigneurie] Très
ill[ustre] pour éclairer dans leur action le Comité pour la loterie
susdite et le prêtre Bosco.
LE MINISTRE SECRÉTAIRE D’ETAT
ALPHONSE LA MARMORA.
Mais, comme le nombre des dons augmentait sans cesse,
ces trois pièces étaient évidemment insuffisantes ; c’est pourquoi
D. Bosco s’adressa à l’Abbé Gazzelli [= Gazelli] de Rossana,
aumônier de Sa Majesté, pour qu’il voulût bien appuyer auprès
du Souverain une supplique par laquelle il lui demandait de bien
vouloir lui accorder l’usage de quelques salles dans l’un des
bâtiments appartenant à la Couronne. L’Abbé Gazzelli [= Gazelli]
recevait la réponse suivante.
Surintendance Générale de la liste civile.
Turin, le 18 février 1852.
Très ill[ustre] Maî[tre] Très hon[oré],
Comme il n’y a, dans les bâtiments royaux, aucun local dont
on puisse disposer pour l’exposition des objets de la loterie que
l’on veut faire au profit de l’Oratoire S[aint]-François de Sales à
Valdocco, je ne saurais pas de quelle autre manière l’on pour-
rait satisfaire la demande présentée à ce sujet par le Rév[érend]
D. Bosco, et appuyée par V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
et T[rès] Rév[éren]de, si ce n’est en louant pour ledit usage le
local du jeu du Trincotto ou jeu de paume, contigu à l’Acadé-
mie des amateurs d’art dramatique.

38 Pages 371-380

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38.1 Page 371

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357
Le locataire actuel de ce local serait disposé à le laisser
à D. Bosco pendant tout le mois de mars, mais à condition
qu’au jour du premier avril il lui soit de nouveau donné com-
plètement vide, parce que pour cette époque-là il a déjà été loué
comme les années passées à la société de développement des
Beaux-Arts pour son exposition annuelle.
Je prie V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] de communiquer ce
projet à Don Bosco, et, s’il le croit de sa convenance, j’aurai
l’honneur d’en référer à S[a] M[ajesté] et de lui proposer de
daigner autoriser le paiement du loyer relatif sur les fonds de sa
caisse privée.
Cependant ledit locataire actuel ayant fait remarquer que les
châssis des fenêtres du local du Trincotto sont de la propriété
exclusive de la Société de développement des Beaux-Arts, et
qu’en conséquence il ne serait pas autorisé à les faire mettre en
place, il sera bon que V[otre] S[eigneurie] Très Ill[ustre] informe
également de cela D. Bosco, afin qu’il puisse faire sans tarder
les démarches qu’il estimera nécessaires auprès de la Société
mentionnée ci-dessus dans le but d’obtenir qu’ils lui soient
prêtés.
Dans l’attente d’une réponse de votre part pour que je fasse ce qui
est opportun, j’ai l’honneur d’être avec une considération très
distinguée,
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
Très dév[oué] et très obl[igé] serviteur
S. M. PAMPARÀ.
Et le roi faisait émettre un mandat de 200 lires, pour
payer le loyer demandé à l’usager du Trincotto. Mais comme la
durée que le locataire actuel pouvait accorder pour l’exposition
était trop courte, on commença des démarches auprès de la Mai-
rie, qui mettait aimablement à la disposition de D. Bosco une
très vaste salle derrière l’Eglise S[aint]-Dominique. Don Bosco en
donnait l’information, par courrier, à l’Abbé Gazzelli [= Gazelli],

38.2 Page 372

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358
en y joignant une autre supplique pour le Roi, et l’Abbé trans-
mettait les deux feuilles au Marquis Pamparà. La réponse qu’eut
l’Aumônier du Roi fut la suivante :
Surintendance Générale de la liste civile.
Turin, le 15 mars 1852.
Très ill[ustre] Maître Très hon[oré],
Pour les motifs exprimés par le Rév[érend] prêtre Don Bosco
dans la lettre que V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] m’a transmi-
se le 25 février dernier, et donc en raison de l’impossibilité de
tirer profit du local du Trincotto, qui avait été offert, pour pré-
senter au public les objets de la loterie [lancée] en faveur de
l’Oratoire S[aint]-François de Sales à Valdocco, ledit Prêtre méritant
aurait déjà obtenu pour cet usage un autre local : S[a] M[ajesté],
à qui j’ai eu l’honneur de rapporter les demandes suppliantes de
D. Bosco, confirmées par la lettre de recommandation de V[otre]
S[eigneurie] Très ill[ustre], afin que lui soit néanmoins accordée la
somme qu’on aurait versée au propriétaire du Trincotto, a daigné les
accueillir favorablement et décider que la somme de 200 lires, con-
venue pour le loyer du local ci-dessus mentionné, serait payée au
Prêtre susdit sur les fonds de la caisse royale privée, afin qu’il
l’emploie dans l’œuvre charitable entreprise.
Tandis que je donne cette réponse à la lettre très appréciée de
V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] portant la date ci-dessus indi-
quée, je me fais un devoir de Vous prévenir qu’a déjà été
transmis à la Trésorerie de la liste civile le mandat nécessaire à
l’ordre de D. Bosco, et j’ai l’avantage de Vous exprimer le
témoignage de ma considération très distinguée.
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
Très dév[oué] et très obl[igé] serviteur
S. M. PAMPARÀ.

38.3 Page 373

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359
Une fois perçu ce don du Souverain, dans la grande
salle accordée par la Mairie, on disposa, tout autour, des tables
équipées de gradins, ornées de façon décorative, sur lesquelles on
étala tous les dons numérotés, 3007, et enregistrés, avec le nom
des donateurs et suivant cet ordre, dans un catalogue soigneuse-
ment dressé. Ce dernier était publié par les soins de D. Bosco
dans une brochure de 158 pages, avec le premier appel du
Comité aux concitoyens, avec la planification de la Loterie et la
liste des organisateurs et des organisatrices. On le vendait au
prix de 50 centimes au profit de l’Oratoire S[aint]-François de
Sales dans la salle de l’Exposition et chez les libraires Hyacin-
the Marietti et Paravia.
Guidé par une gentille pensée, D. Bosco y avait placé dans
les premières pages la dédicace suivante.
AUX
ILLUSTRES ET MÉRITANTS MESSIEURS
AUX
AIMABLES ET CHARITABLES DAMES
QUI DANS LEUR PITIÉ CONTRIBUÈRENT GÉNÉREUSEMENT
A RENDRE RICHE ET ABONDANTE EN OBJETS
LA LOTERIE
POUR ACHEVER L’ÉGLISE DE L’ORATOIRE MASCULIN
S[AINT]-FRANCOIS DE SALES
À VALDOCCO
EN TÉMOIGNAGE DE LA PLUS VIVE GRATITUDE
LES ORGANISATEURS ET LES ORGANISATRICES
D. D. D. *
Au milieu de toute cette succession de choses, D. Bosco
avait écrit au Comte Camille de Cavour, en le priant également
—————
* Faut-il lire :
Dédicace Du Document ?

38.4 Page 374

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360
de le faire exonérer des frais de poste. Le Marquis Gustave lui
avait répondu en ces termes :
A D. Bosco.
Très resp[ectable] D. Bosco,
Turin, le 16 février 1852.
Mon frère, ayant examiné l’appel de V[otre] S[eigneurie] T[rès]
Rév[éren]de pour la loterie de bienfaisance en faveur de l’œuvre
des jeunes laissés à l’abandon, me charge de vous faire savoir
qu’il est pleinement décidé à vous donner sans aucun délai l’au-
torisation voulue dans ce but, aussitôt que lui sera parvenue par
les voies régulières la requête opportune. Voyez en conséquence
à solliciter dans le bureau compétent l’expédition du dossier à
travers les formalités nécessaires. Dans ce but vous pourrez, au
cas où vous le voudriez, montrer à qui sera sur l’affaire cette lettre
écrite par moi-même, et affirmer que le Ministre des finances a
déjà pris l’engagement positif d’accorder l’autorisation susdite.
Je saisis l’occasion pour me déclarer avec des sentiments spé-
cialement distingués de considération,
De V[otre] S[eigneurie] Révérende
Très dév[oué] et très obl[igé] serviteur
G[ustave] DE CAVOUR.
D. Bosco lui avait envoyé la requête en bonne et due
forme : et le Gouvernement lui fit grâce de divers frais de pos-
te, soit pour des circulaires et des plis, soit pour envoyer et
recevoir des dons et des billets. Mais, tandis que les projets de
D. Bosco avançaient à pleines voiles, surgit un écueil. Selon les
prescriptions de la loi les billets à mettre au tirage de la loterie
devaient être en nombre proportionné à la valeur des dons. Un
estimateur fut donc délégué par l’Autorité pour en faire l’exper-

38.5 Page 375

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361
tise. Elle fut faite ; mais D. Bosco s’estima lésé et il présenta
une réclamation sur papier timbré à l’Intendance Générale.
Très ill[ustre] monsieur l’Intendant Général,
Le soussigné, au nom du Comité institué pour la loterie en
faveur de l’Oratoire S[aint]-François de Sales à Valdocco, explique
respectueusement à V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] que, bien
que le Comité susdit soit très satisfait de la diligence avec
laquelle l’estimateur délégué par V[otre] S[eigneurie] fit l’expertise
à propos des objets du secteur commercial, toutefois ce [Comité]
regrette de devoir se conformer au jugement [porté pour] des
objets d’art qui sont en dehors de la sphère de l’estimateur
habituel, pour les motifs suivants :
1° Parce que de nombreux objets d’art ne furent même pas
estimés au cinquième de la valeur donnée par des personnes de
compétence notoire, ce qui serait au détriment de l’œuvre, dont
les membres distingués du Comité et la charité publique assu-
ment la protection.
2° Diverses personnes informées de la valeur inexacte établie
pour les objets qu’elles ont donnés cessent de contribuer avec
leurs offrandes.
3° Parce qu’une telle expertise cause continuellement des incon-
vénients et des retards pour la progression de la loterie, ce que
le public regrette et qui est au détriment de l’œuvre elle-même.
Pour ces motifs, le réclamant supplie V[otre] S[eigneurie] Très
ill[ustre] de bien vouloir prendre en bienveillante considération
l’avantage de cette œuvre en déléguant la personne, que vous
croirez être pour le meilleur de l’affaire, afin de fixer la juste
valeur pour les objets d’art que la charité publique a déjà offerts
et offre encore.
Dans une pareille manière de faire, m[onsieur] Ange Olivero
peut, en laissant de côté les objets d’art, continuer son expertise
pour les objets du secteur commercial, et les membres du Comi-

38.6 Page 376

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362
té, heureux de pouvoir favoriser le bien de cette institution cha-
ritable, pourront aussi se trouver à l’abri des plaintes du public.
Persuadé [d’obtenir] cette faveur, le soussigné au nom du Comité se
déclare
Humble réclamant
BOSCO JEAN Pr[être]
DIRECTEUR DE L’ORATOIRE S[AINT]-FRANCOIS DE SALES.
La demande de D. Bosco fut accueillie favorablement.
L’Intendant Général de la division administrative de Turin.
Vu le recours présent par lequel le prêtre J[ean] Bosco, Direc-
teur de l’Oratoire S[aint]-François de Sales, à qui a été autorisée
par décret de ce Bureau Général du 5 mars dernier l’ouverture
d’une loterie d’objets, [recours] par lequel il se porterait à de-
mander la nomination d’un expert spécial pour les objets de
beaux-arts, puisque ne semblent pas suffisamment proportionnées
les valeurs attribuées aux dons de ce genre par l’estimateur
Olivero :
On nomme comme expert pour l’estimation des objets de
beaux-arts offerts en faveur de la susdite loterie monsieur le
professeur Cusa, secrétaire de l’Académie Albertine *, qui devra
soigneusement examiner les dons indiqués et, ayant reporté à
côté de chacun d’eux, sur la liste dressée à cet effet sur papier
timbré, la valeur correspondante, en faire aux autorités de ce
bureau son rapport assermenté.
Turin, le 22 mars 1852.
Pour l’Intendant Général
RADICATI.
—————
* Du nom du Roi Charles-Albert.

38.7 Page 377

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363
Une fois toutes ces démarches terminées, LArmonia [L’Har-
monie] du Dimanche 21 mars, dans un supplément au num[éro] 34,
pouvait publier l’annonce suivante : « Hier (19 mars) on a ouvert
l’exposition de la loterie d’objets destinée à l’achèvement de l’O-
ratoire masculin à Valdocco sous la direction de D. Bosco. Les
objets exposés s’élèveront, pour le dire en peu de mots, au
nombre de plus de trois mille ; nous ne parlerons pas de la
valeur de ces [objets], ce serait trop long, nous dirons seulement
que contribuèrent à cette loterie des personnages importants par-
mi lesquels il nous est agréable de citer S[a] M[ajesté] la Reine
Régnante, S[a] M[ajesté] la Reine Mère, le Duc Pasqua, Préfet
des Palais R[oyaux], le Très ill[ustre] Maire de la ville, etc. Nous
sommes heureux de dire que la Gazzetta Piemontese [Gazette
Piémontaise] d’aujourd’hui fait de cette œuvre de bienfaisance
l’éloge bien mérité ».
Entre-temps, la seconde expertise des dons ayant été
jugée acceptable, les organisateurs et les organisatrices conti-
nuèrent à déployer un zèle admirable, en offrant et en cherchant
des dons et ensuite pour distribuer des billets. Le nombre total
des objets recueillis atteignit bien vite la somme de 3251,
et on ajouta un supplément à la liste déjà publiée. En fonction
de leur valeur, on obtint l’autorisation d’émettre cent mille bil-
lets. Et ce travail aurait été aussi un travail ingrat s’il n’avait
pas été soutenu par un grand amour. Imprimer des cahiers
entiers, inscrire deux fois les numéros dans l’ordre progressif,
séparer de la souche les billets, mettre le cachet de l’Oratoire et
la signature de deux membres du Comité sur chaque billet et sur la
souche, faire les expéditions et enregistrer ces dernières qui fu-
rent sans nombre ; et ensuite envoyer les circulaires continuelles,
les reçus pour les paiements encaissés, [tout cela] n’accordait pas
un instant de repos. Dans toutes les villes principales et [dans
tous les principaux] villages de l’Etat, fut pleine de noblesse la
compétition qui anima des personnes, ecclésiastiques comme laï-
ques, pour contribuer à l’œuvre charitable ou de retenir ces billets
pour elles-mêmes ou de les écouler auprès de leurs connaissan-
ces et de leurs amis, en en transmettant le montant à D. Bosco.

38.8 Page 378

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364
En acceptèrent aussi les sénateurs, les députés et les conseillers
de la Mairie.
Lui pendant ce temps-là, comme si tout ce travail n’était
qu’un rien, ne se lassait pas d’envoyer ses lettres autographes
aux personnes charitables les plus dignes d’estime en les accom-
pagnant de billets de loterie.
Par l’intermédiaire de Jean Francesia quelque temps plus
tard il en envoya une au Chan[oine] Vogliotti. Ce dernier la lut
et dit ensuite à celui qui l’avait apportée : « Je ne veux pas
accepter ces billets ; mais D. Bosco m’a écrit une lettre si belle
et si émouvante que je ne peux m’empêcher de lui envoyer la
somme correspondante. Voici cinquante lires. Mais dites-lui que
c’est sa lettre aussi belle qui m’a convaincu et vaincu ».
Les habitants de la ville accouraient en grand nombre
pour voir les lots de la loterie. Le Marquis Gustave de Cavour
avait promis de s’y rendre.
A D. Bosco.
Très respectable Monsieur,
Turin, le 22 février 1852.
Diverses occupations urgentes m’ont fait tarder à répondre
jusqu’à présent à votre lettre très appréciée du 18 [du mois]
courant. Je me réjouis de ce que la loterie entreprise par Vous
pour la sainte et bienfaisante œuvre à laquelle Vous consacrez
tant de fatigues se présente bien. Je ne manquerai pas d’aller
visiter l’exposition des objets donnés dans ce but charitable et de
prendre des billets, et j’espère que l’œuvre elle-même tirera un
résultat avantageux de ce projet. J’avais dès le début remarqué
que le local dont Vous pouviez disposer pour cette loterie était
peu adapté au but poursuivi, et je me réjouis de ce que le Gou-
vernement Vous en ait accordé un autre plus convenable.

38.9 Page 379

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365
En attendant, je profite de cette occasion pour me réaffirmer
avec une considération spécialement distinguée et bien dévouée
De V[otre] S[eigneurie] Révérende
Très dév[oué] et très obl[igé] serviteur
G[ustave] DE CAVOUR.
Le Marquis tint sa promesse et le Comte Camille, lui
aussi, se rendit à cette exposition, accompagné par le Comte
Brozzolo [= Brozolo]. D. Bosco se porta à la rencontre du Com-
te à l’entrée de la salle, la tête découverte, et le conduisit pour
examiner les objets les plus précieux, en tenant sans cesse
humblement sa barrette à la main.
Pour éviter la venue des voleurs qui s’introduiraient dans
les locaux où étaient exposés les lots, D. Bosco avait établi
qu’avec un autre jeune adulte le jeu[ne abbé] Buzzetti se rendrait
y passer la nuit. Pour être plus en sécurité, ces derniers avaient
l’habitude de garder près d’eux un petit pistolet chargé seule-
ment de poudre, pour donner l’alarme aux voisins au moyen
d’une explosion s’il s’en présentait le besoin. Or donc, un soir
du début de mars, tandis qu’à l’Oratoire Buzzetti chargeait son
pistolet pour aller monter la garde habituelle, cette [arme] prit
feu, et le bouchon de charge, en frappant l’index de sa main
gauche, en enleva totalement la chair. Il fut aussitôt porté à
l’Hôpital de l’Ordre des Saints Maurice et Lazare, qui était alors
près de Porta Palazzo [= Porte du Palais], où l’on dut lui ampu-
ter le doigt. Revenu deux ou trois jours après avec le bras en
écharpe, il reprit aussitôt ses fonctions habituelles, en enseignant
le chant des antiennes pour les vêpres du Dimanche et en ne
cessant pas de prêter son aide dans les travaux très lourds qui se
multipliaient pour la loterie. A partir de cette année-là, Buzzetti
fut le bras droit de D. Bosco dans toutes les nombreuses lote-
ries que [ce dernier] organisa, et il acquit une aptitude et une
perspicacité étonnantes dans ces préparations compliquées.

38.10 Page 380

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366
CHAPITRE XXXII
Une épine pour D. Bosco La passion empêche l’intelligence
de voir clair Une sage observation du Théol[ogien] Léonard
Murialdo Lettre de D. Cafasso à D. Ponte Assemblée
méchante et orageuse Défection et guerre déclarée Insul-
tes, fermeté et patience.
En même temps que D. Bosco organisait la loterie, en
gardant son visage sans cesse souriant, il dissimulait une épine
aiguë, qui cependant n’avait pas la force d’affaiblir l’énergie de
ses actions. Nous avons déjà exposé les malentendus qui vers la
fin de 1851 avaient commencé à mettre en désaccord les esprits
de certains, qui s’occupaient des Oratoires des dimanches et des
jours de fête. Il y avait des personnes qui semblaient opposées à
la bonne marche de l’Oratoire de Valdocco, parce que D. Bosco
ne tenait pas compte de leurs prétentions. Elles rivalisaient pour
répandre la zizanie parmi les jeunes qui le fréquentaient, en ne
laissant passer aucune occasion d’où elles tireraient des prétex-
tes pour lancer des médisances. Parmi ces [personnes] il y avait
surtout quelqu’un que, pour respecter son véritable nom, nous in-
diquerons sous celui de D. Rodrigo. Il y en eut certains qui lui
prêtaient l’oreille, car « les paroles de celui qui a l’habitude de
critiquer paraissent simples, mais elles pénètrent jusqu’au fond
des entrailles (1) ».
—————
(1) Pr [26],22.

39 Pages 381-390

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39.1 Page 381

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367
Mais ici on demandera : Pourquoi D. Bosco s’était-il as-
socié de tels collaborateurs ? Parce qu’ils étaient bons et zélés ;
si ce n’est que, la passion empêchant leur intelligence de voir
clair, ils ne raisonnaient plus. — Mais n’étaient-ils pas témoins
de tant de vertus qui ornaient D. Bosco ? Quand bien même ils
les auraient reconnues, dans l’état d’esprit où ils se trouvaient,
ils ne pouvaient pas les apprécier. Au demeurant, ils n’ap-
prochaient D. Bosco que les dimanches et les jours de fête,
occupés dans leurs catéchismes et au milieu du remue-ménage
d’une foule très nombreuse de jeunes gens, de sorte qu’ils
n’avaient pas de temps pour l’étudier avec pondération. Et puis
D. Bosco faisait preuve de tant de simplicité dans chacune de
ses paroles, dans chacune de ses actions, et dans les faits les
plus extraordinaires qu’il accomplissait il se donnait si peu d’im-
portance que, parvenus à leurs oreilles, ils étaient jugés avec des
critères purement communs ou même comme des illusions de
l’imagination.
Le Théol[ogien] Léonard Murialdo, hostile à toute dissen-
sion, soutien durant des années de l’Oratoire de l’Ange Gardien
et de [l’Oratoire] S[aint]-Louis, ami sincère et constant de D. Bosco,
bien qu’il ne vécût pas proche de lui en raison des lourdes
occupations qui lui incombaient au long de la semaine, racontait
le jugement qu’il s’était formé sur lui en ces années-là, et com-
ment il l’avait reconnu après une longue étude pour l’être qu’il
était.
« Au début je discernai en D. Bosco un prêtre très zélé, mais
sans reconnaître en lui un saint. Je commençai à le soupçonner
tel, et mon estime alla en grandissant de plus en plus, lorsque com-
mencèrent à parler en sa faveur ses œuvres qui révélaient un
homme non ordinaire et à même de faire proclamer : Digitus
Dei est hic ! [Le doigt de Dieu est là !] [] et qui rappelaient, du
moins d’une certaine manière, la parole de notre Seigneur Jésus
C[hrist] : Opera quæ ego facio in nomine Patris mei, hæc
testimonium perhibent de me [Les œuvres que je fais au nom de
mon Père me rendent témoignage].
» D’autre part D. Bosco fut l’un de ces serviteurs de Dieu qui
font consister la sainteté dans le fait de se sacrifier pour le salut

39.2 Page 382

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368
des âmes et pour la gloire de Dieu, selon la devise qui, si je ne me
trompe, était familière à S[aint] Joseph Calasanz : Qui orat bene
facit, qui juvat melius facit [Celui qui prie fait bien, celui qui vient
en aide fait mieux]. [] Je ne relève chez D. Bosco ni prières
prolongées, ni pénitences extraordinaires ; mais je constate le
travail sans relâche, incessant pendant une longue suite d’années
dans des œuvres servant la gloire de Dieu, avec des fatigues
sans interruption, au milieu de croix et de contradictions de
toutes sortes, avec un calme et une tranquillité tout à fait
uniques, et avec un résultat pour la gloire divine et le bien des
âmes tout à fait prodigieux. — Or Dieu n’a pas l’habitude de
choisir comme instrument spécial de la grande œuvre de la
sanctification des âmes des hommes méchants ni médiocres en
fait de vertu ». Ainsi [s’exprimait] le Théol[ogien] Murialdo.
Si donc alors D. Rodrigo et ses compagnons ne virent
pas ce que ne voyait pas le très savant et déjà très avancé dans
la vie spirituelle Théol[ogien] Murialdo, il n’y a pas à s’en éton-
ner. Entre-temps D. Cafasso cherchait à ramener à la bonne
harmonie les esprits agités et il écrivait la lettre suivante :
Au T[rès] Rév[érend] D. Ponte Pierre chez Madame la Marqui-
se de Barolo. Naples.
Très cher D. Ponte,
Turin, 6 janvier 1852.
Je croyais pouvoir répondre à votre très chère [lettre] avant
votre départ de Rome, mais je n’en ai pas eu le plaisir, et cela
ne me fut en aucune manière possible en raison de la suite
continuelle d’occupations et de situations embrouillées. En venant
tout de suite à l’objet le plus important en cette période de
temps, je commence par Vous recommander de renoncer à tou-
tes sortes d’inquiétude et d’angoisse au sujet de la décision à
prendre pour l’affaire dont Vous me parlez, car les compa-
gnons, j’en suis certain, n’agissent pas par esprit d’obligation, ni

39.3 Page 383

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369
de mauvaise humeur envers Vous, ni par envie de couper les
ponts, car au contraire, je le sais, ils espèrent toujours en votre
coopération, lorsque, souhaitons-le, le Seigneur Vous voudra de
nouveau à Turin, et fût-ce donc bientôt. V[otre] S[eigneurie] peut
en conscience se décider comme elle croit, car c’est Vous qui
êtes le vrai maître, et, si Vous voulez que je Vous donne l’un
de mes sentiments, dans l’état actuel des choses, je pense que
Vous feriez bien de céder toute chose, non pas à quelque in-
dividu, mais bien à l’usage des Oratoires avec la faculté cepen-
dant de Vous en servir Vous-même avant tout autre, tant que
Vous pourrez prêter votre concours, comme je l’espère, à cette
œuvre du Seigneur à laquelle Vous êtes lié. Oh, si Vous pensez
faire diversement, agissez donc en toute liberté, et considérez
comme non dit tout ce que je Vous ai suggéré.
Je Vous répète de nouveau de rester joyeux, calme et tran-
quille ; partout il y aura des croix, mais en tout lieu font aussi
plaisir au Seigneur la tranquillité et la paix.
Ayez la bonté de dire à Madame la Marquise que même de
loin on peut prier les uns pour les autres, et que je ne l’oublie
pas dans mes faibles prières. Tous mes respects à M. Pellico et
considérez-moi toujours comme, [ce que] je Vous suis et de tout
cœur,
Votre très affect[ionné]
CAFASSO JOSEPH Pr[être].
Mais les demandes pleines d’affection et de tendresse de
D. Cafasso n’aboutirent pas, et entre-temps à l’Oratoire se dé-
roulait une scène répugnante, comme on n’en vit ni avant ni
après. D. Rodrigo, avec ses compagnons, avaient ourdi un complot
pour réduire à rien l’Oratoire, comme ils disaient eux-mêmes ;
c’est pourquoi ils cherchaient à enlever à D. Bosco les plus
grands jeunes, Germano, Gastini et d’autres externes qui étaient
les catéchistes dans les classes. « Au terme d’un dimanche,
écrivit Brosio Joseph, après les cérémonies du soir, nous fûmes
invités par certains messieurs à une conférence pour résoudre une

39.4 Page 384

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370
question qui, disait-on, concernait notre honneur. Quelques-uns
des plus instruits et [des plus] intelligents flairèrent un piège, et
n’y prirent pas part. En effet, il s’agissait ni plus ni moins que
d’accuser D. Bosco de nous avoir insultés et déshonorés dans les
lettres adressées au public, en nous appliquant la flétrissure du
titre de vagabonds et de voleurs. Cette accusation était une arme
déloyale, au moyen de laquelle ils se considéraient assurés de
mettre le désordre, et en partie ils y réussissaient, dans une œu-
vre qui prospérait avec l’aide de Dieu. Nous ayant réunis, nous
les catéchistes, dans une pièce de l’Oratoire au rez-de-chaussée,
D. Rodrigo sortit et nous lut l’appel écrit et publié par D. Bos-
co pour la loterie. Ayant fini la lecture, il nous fit remarquer
cette phrase : [] Quelques personnes qui aiment la bonne
éducation [des gens] du peuple, virent avec douleur que devenait
chaque jour plus grand le nombre des jeunes oisifs et mal
conseillés qui, vivant d’aumône ou de fraude en traînant dans
les carrefours et dans les rues, sont un poids pour la société et
souvent un instrument pour faire toute sorte de mal… Pour cette
raison elles décidèrent d’ouvrir une maison de réunion domini-
cale ’. Pour la plupart, ces catéchistes étaient d’honnêtes jeunes,
appartenant à de bonnes, et même aisées, familles d’ouvriers et
de commerçants, et d’autres de la même condition qu’eux fré-
quentaient l’Oratoire. Comme il est évident, l’Appel ne faisait
pas mention d’eux, parce que ce n’était pas son but. Mais l’ora-
teur concluait : — C’est à vous, précisément à vous, que fait
allusion D. Bosco et c’est une injure atroce dont nous devons lui
demander réparation !
» Lorsqu’il eut fini, on vit parmi ces jeunes irréfléchis une très
grande agitation. A un moment je demandai la parole, et on fit
silence dans la salle. Pour connaître et déjouer les intrigues de
ces têtes échauffées, il me fallait, quant à moi, ne pas me mon-
trer leur adversaire ; en conséquence je commençai à parler en
ces termes : — Compagnons, aucun de vous ne m’accusera
d’avoir pour notre honneur un amour moindre que celui dont
chacun de vous l’aime. Toutefois, pour ne pas nous risquer à
une décision prématurée, je conseillerais de nous entendre à pré-

39.5 Page 385

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371
sent sur ce qui est à faire. Si D. Bosco, ayant reconnu son
erreur, se plie à nos désirs, que toute l’affaire soit finie ; si au
contraire il refuse de se rétracter, il sera en ce cas inévitable de
réagir, et, moi, je prétends vous donner l’exemple d’un homme
qui sait quel respect est dû à sa propre personne et à sa famil-
le ; vous autres, vous me verrez le premier à défendre ce qui
nous tient le plus à cœur : l’estime de nos concitoyens. Mais,
avant d’en venir à cette extrémité, examinons avec calme si les
phrases de cet appel requièrent de notre part une protestation
violente. Je crains que nous ne nous montrions trop susceptibles.
Que l’on observe si vraiment nous sommes offensés et si ces
phrases conduisent à notre déshonneur. On leur a donné une
interprétation qui ne me semble pas authentique. Je crois que, si
dans l’Appel il n’y a pas quelques phrases pour distinguer les
deux catégories des jeunes de l’Oratoire, cela est dû sans doute
à une erreur d’imprimerie, ou bien à une omission involontaire
d’un copiste, car je craindrais de me montrer trop audacieux et
méchant, si je croyais qu’avec cette [omission] D. Bosco a voulu
attenter à l’honneur de jeunes qu’il aime tant. Voyons donc si
l’affaire ne peut pas s’arranger à l’amiable. Mon avis est qu’u-
ne simple remontrance faite par nous à D. Bosco est plus que
suffisante pour obtenir des explications ; comme aussi une répa-
ration si réellement elle nous revient de bon droit. Lui-même
sera le premier à proposer le moyen d’une réconciliation, si
désirée par lui et que nous ne devons pas repousser. D’une telle
façon on évitera pour lui et pour nous de graves embarras, qui
pourraient être une cause de plus grands ennuis pour les deux
parties, sans laisser le moindre bon effet et avec le danger pour
nous d’avoir le dessous.
» Je me tus : il me semblait avoir même trop accordé à leur
ressentiment irraisonné, fougueux. Un silence glacial accueillit
mes paroles, et ensuite peu à peu d’un murmure de désapproba-
tion on passa à de telles huées que cette réunion semblait être

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372
[celle d’]une bande de possédés. Les organisateurs et les partisans
de cette espèce de révolte ne ratèrent pas une occasion aussi
favorable pour leurs buts. Ils avaient toléré mon intervention en
faveur de la paix et de la concorde afin de cacher plus faci-
lement leurs pièges, de tester les esprits de l’assemblée, et
d’acquérir la certitude de leur victoire.
» C’est pourquoi, dès que les cris furent quelque peu apaisés,
D. Rodrigo se leva et, un silence rigoureux s’étant établi, il par-
la ainsi : — Mes chers amis, j’aime votre honneur autant que
celui qu’à l’instant vous avez écouté, mais je l’aime d’une
manière différente. Je veux vous voir maintenir à un haut ni-
veau le sentiment de votre dignité. (Voix : Bravo !) Certainement
je suis un ami de la paix (?) et je me croirais digne d’être
exécré par tous si je poussais nos amis à une dissension sans
motif : mais qui ne voit pas de motifs dans le cas présent ?
C’est sans doute vous, ô chers amis, qui avez provoqué D. Bos-
co, ou est-ce lui qui avec son imprudent appel a poussé jusqu’à
l’extrême votre patience ? (C’est vrai : Bravo !) Votre compagnon
Brosio, qui vient à l’instant de parler, a dit que des remarques
aimables suffiraient à faire corriger les phrases de cette circulaire
et à réparer ainsi votre honneur. Mais vous, savez-vous, ô chers
amis, comment aboutiraient dans les circonstances présentes les
pourparlers amicaux ? Dans une mascarade, dans une farce humi-
liante de plus ; vous vous entendrez reprocher cette conférence
elle-même, dans laquelle à présent nous traitons de nos droits, et
vous serez invités à demander pardon (agitation). Oui ! des ex-
cuses ! Voulez-vous envoyer à ceux qui foulent aux pieds votre
honneur une députation chargée de leur présenter des excuses ?
Dites ! Le voulez-vous ?
» A ce moment-là éclata dans la pièce un rugissement de fu-
reur et il fut décidé que tous devraient abandonner l’Oratoire et
D. Bosco. Ainsi fut proclamé le schisme ».
D. Rodrigo et ses complices avaient leur plan prééta-

39.7 Page 387

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373
bli. D. Cocchi [= Cocchis] Jean, ayant repris son ancien projet
d’Oratoire, avait demandé la Chapellenie de Saint-Martin aux
Moulins de la ville et la faculté d’y rassembler les garçons les
dimanches et les jours de fête ; et la Mairie la lui accordait par
son Arrêté du 15 février 1852. Cette petite église avait été l’une
des premières stations où s’arrêta D. Bosco, lorsqu’il allait à la
recherche d’un lieu pour fonder de manière stable son œuvre.
C’est donc près de S[aint]-Martin que ces messieurs plantèrent
leur quartier général pour la guerre contre D. Bosco, et on ne
les vit plus à Valdocco. D. Cocchi [= Cocchis], qui n’avait pas
de raisons suffisantes pour juger de leurs litiges, les associa à
cause de la nécessité où il se trouvait d’avoir des collaborateurs
à la direction de son nouvel oratoire. C’est là que commencèrent
à venir en prêtant leurs services les catéchistes déserteurs de Val-
docco le dimanche qui suivit le jour de cette néfaste conférence.
Le soir, trois jeunes adultes, des plus effrontés, se présentèrent à
D. Bosco sous différents prétextes pour poser des questions sur
l’Appel pour la loterie. « J’étais dans la cour, écrit encore Joseph
Brosio, qui amusait les jeunes au moyen de la manœuvre mili-
taire et, en passant par hasard auprès de la sacristie, j’entendis qu’à
l’intérieur on hurlait fort. J’entrai pour voir ce qu’il y avait de nou-
veau, et je vis un voyou qui finissait tout juste de parler. Sur son
visage bouleversé se lisaient le dédain et le mépris. Je m’arrêtai
et j’entendis que D. Bosco, tout tranquille, lui répondait que,
dans l’Appel, on ne parlait pas d’une manière particulière des
diverses classes des jeunes qui fréquentaient l’Oratoire, mais bien
au contraire d’une manière générale, c’est-à-dire de la plus gran-
de partie de ceux qui le fréquentaient ; et qu’à l’Oratoire en
général il y avait justement de ces jeunes auxquels la circulaire
faisait allusion. En conséquence, le jeune honnête et comme il
faut, reconnu comme tel par tous, et auquel était confié le rôle
de catéchiste, ne devait pas prendre en mauvaise part quelques
phrases qui n’étaient pas pour lui ; au contraire il devait se glori-

39.8 Page 388

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374
fier de venir dans un Oratoire de cette nature pour coopérer à
une bonne œuvre. — Et en parlant ainsi, D. Bosco citait les
noms de nombreux jeunes distingués, de familles honorables,
et [ceux] de respectables messieurs qui venaient à l’Oratoire dans
ce but ; et il terminait en faisant remarquer qu’aucun d’entre eux
n’avait pensé avoir reçu une offense de sa part, et qu’il était
impossible de supposer que D. Bosco concevait l’idée sotte de
vouloir les offenser injustement et à son détriment.
» Mais ce voyou qui avait été envoyé avec les deux autres par
les adversaires pour imposer une réparation d’honneur, enflam
par la colère, n’entendait pas et n’écoutait même pas les raisons
de D. Bosco et donc il proférait des termes injurieux et gros-
siers contre lui et contre tous les jeunes de l’Oratoire, en disant
que D. Bosco dans cet Appel avait dépeint avec vérité sa propre
personne elle-même et celle des siens, et que par conséquent ses
compagnons avaient bien fait de s’éloigner du repaire d’une ra-
caille de cette espèce. Le gant de la provocation était jeté et je
le relevai au nom de tous les jeunes qui s’étaient approchés et
frémissaient. Les poings serrés je m’avançai contre le malappris,
mais D. Bosco me retint avec la bienveillance d’un père très
aimant, qui savait compatir. En prenant ensuite la défense de ses
fils outragés, il réprimanda sévèrement cet insensé, en disant qu’il
était un garnement, et en menaçant de le chasser de l’Oratoire.
Celui-ci, ayant vu que les choses tournaient mal, baissa les bras
et se retira avec les deux autres ; mais malheureusement, peu de
temps après, il se fit lui-même connaître pour ce qu’il était ; et
il s’agrégea à des compagnies si scandaleuses qu’il perdit de
façon irréparable, auprès de ceux qui le connaissaient, l’honneur
dont il se vantait d’être si jaloux ».
Les jeunes abbés de l’Oratoire n’avaient pris aucune part
à ces agitations et D. Bosco n’en parlait pas volontiers. Le
Jeu[ne abbé] Savio Ascagne disait : — Personnellement, je n’ai
jamais entendu D. Bosco murmurer contre l’un de ses adversai-
res. J’avais une fois laissé échapper une petite critique : il me fit une
correction prompte et bienveillante.

39.9 Page 389

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CHAPITRE XXXIII
Pièges des adversaires de D. Bosco Repas et goûters à
l’œil Effets des médisances L’Archevêque et le docu-
ment nommant D. Bosco comme Directeur en Chef des trois
Oratoires Lettre laudative de Mgr Fransoni au Direc-
teur de l’Oratoire de Vanchiglia D. Bosco renvoie les
perturbateurs Nouveaux moyens ingénieux et nouveaux
catéchistes Réconciliation Une boîte d’allumettes.
Don Rodrigo et ses émissaires ne cessaient pas de
s’approcher de temps en temps de l’Oratoire de Valdocco pour
inviter les jeunes plus adultes à aller en promenade hors de la
ville avec eux, ces derniers payant les repas et les goûters dans
les auberges ; de sorte que presque tous les dimanches et les
jours de fête il manquait aux cérémonies un certain nombre de
ces jeunes. Ils étaient spécialement avides d’enlever à D. Bosco
Brosio, qui semblait être, et il l’était, son bras droit. D’abord ils
lui offrirent des cadeaux en argent et en objets pour qu’il fût au
service de leur parti : il demeurerait cependant à Valdocco pour
observer. Un bénéficier de S[aint]-Jean lui promit beaucoup d’a-
vantages s’il s’inscrivait à l’Oratoire des Philippins et le fréquentait.
Cependant Brosio, qui voulait préparer ses contre-mines, leur fai-
sait bon accueil et donnait des réponses ambiguës.
Il décrivit ainsi les pièges des adversaires de D. Bosco :
« Un dimanche, D. Rodrigo vint m’inviter pour une prome-
nade à la campagne, et, moi, je fis aussitôt part à D. Bosco

39.10 Page 390

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376
de cette proposition, bien qu’il m’eût été interdit par lui de
parler de ces réunions déplaisantes. D. Bosco me permit d’ac-
cepter, et, moi, j’allai volontiers pour voir quelle tournure
prendraient les choses. Le Dimanche suivant, après les cérémo-
nies du matin, je partis donc de l’Oratoire pour me retrouver à
l’endroit convenu, c’est-à-dire à Porta Palazzo [= Porte du Palais].
Se trouvaient déjà là tous les autres compagnons, qui m’attendaient
avec messieurs les chefs de la Clique : ceux-ci cependant croyaient
que je ne serais pas venu. En me voyant paraître, ils firent une
grande fête et dans leur contentement ils me couvrirent de bai-
sers et m’embrassèrent. D. Rodrigo s’écria : — Aujourd’hui la
fête sera plus belle car nous avons avec nous notre ami intime,
notre cher bersaglier ! Puis nous partîmes ; en prenant la
route nationale de Milan, nous sommes allés à l’auberge du
Centaure, et dès notre arrivée là-bas nous furent servis des
rafraîchissements. A midi était préparé un repas somptueux : on
ne pouvait désirer davantage. Les vins étaient exquis et en gran-
de abondance. Après le repas commencèrent les divertissements.
» On jouait aux boules, on chantait, on courait et un vin excellent
était sans cesse servi. C’est de cette manière qu’on passa toute
la journée. Vers le soir nous sommes revenus en ville et lorsque
nous sommes arrivés à Porta Palazzo, nous allâmes tous, non à
la bénédiction [du Saint Sacrement] mais prendre le café, et après
nous nous sommes séparés pour nous rendre chacun dans sa
propre habitation avec l’invitation cependant à nous retrouver
tous le dimanche matin suivant dans l’église S[aint]-Martin.
» Moi, au lieu d’aller à la maison, je vins à l’Oratoire pour rendre
compte à D. Bosco de toute la journée, et lui demander ce que
je devais faire pour le Dimanche suivant. D. Bosco, après avoir
tout écouté, me dit d’y aller. Le Dimanche fixé, nous nous som-
mes retrouvés à l’Eglise indiquée. Une fois la messe terminée,
nous fûmes conduits au café dit des Galeries S[aint]-Charles, qui
se trouvait à Porta Nuova (à présent : rue de Rome) pour faire
le petit déjeuner.

40 Pages 391-400

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40.1 Page 391

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377
» En ces deux circonstances les sermons ne manquaient pas de
nous encourager à quitter l’Oratoire, en nous disant que Dieu se
trouvait partout et qu’en n’importe quel lieu qui le voulait pou-
vait devenir saint.
» L’après-midi je revins à l’Oratoire pour mettre au courant de
tout D. Bosco, en lui disant que j’étais de nouveau invité le
Dimanche suivant à un grand goûter ; mais D. Bosco ne me
laissa plus aller avec ces braves gens.
» D. Rodrigo m’avait fait cadeau de six écus d’argent (30 li-
res) en espérant avec cela mieux atteindre son but qui était de
me lier indissolublement à leurs réunions. Je ne voulais pas les
accepter ; mais il m’allégua tant de raisons, en mettant en même
temps la somme d’argent dans mes mains, que je restai, dans
l’embarras et dans l’enchantement, comme une statue de marbre.
Dès que je reçus cette somme d’argent, je perdis ma paix, fus
pris de remords, croyant avoir déjà trahi D. Bosco pour le seul
fait de l’avoir acceptée, et je la donnai aussitôt en aumône à un
pauvre père de famille qui en avait un extrême besoin. Après
cela je courus à l’Oratoire pour exposer à D. Bosco ce que
j’avais fait, et il me dit que j’aurais pu la garder, cette somme,
sans scrupule, mais que j’avais accompli une belle action à la
donner en aumône ». Ainsi [s’exprimait] Brosio.
D. Rodrigo ne manquait pas d’argent, et, en effet, il en
était largement pourvu, et pendant beaucoup de temps, par des
personnes très riches, qui croyaient sincèrement contribuer à des
œuvres de charité. Comme la langue se porte avec insistance là
où la dent fait mal, Don Rodrigo, qui avait de nombreuses rela-
tions en ville, parlait en mal contre le pauvre D. Bosco avec
une passion qu’il baptisait zèle ; et c’est pourquoi il lui avait
aliéné le cœur de beaucoup parmi ceux qui le secouraient. Nous
pensons que se situe à cette époque un fait que raconta le
Théol[ogien] Léonard Murialdo, relatif à la mansuétude de D. Bos-
co : « Un jour confidentiellement il me relatait le tort qui lui
avait été causé par des personnes qui avaient médit contre lui et

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ce qu’il avait jugé devoir dire au chef des médisants : Voyez
un peu le tort que Vous m’avez fait, lui dit-il : Vous m’avez
obligé à changer tous mes bienfaiteurs ! — D. Bosco n’avait pas
de doutes sur le développement de ses œuvres, car il était sûr
que, des bienfaiteurs, il en aurait toujours : c’était le changement
qu’il regrettait, étant donné que s’éloignaient de lui certains pre-
miers et chers soutiens ».
Mais pour aider D. Bosco dans cette lutte Mgr Fran-
soni apportait sa contribution. Ayant été depuis le lieu de son
exil informé de ces activités méchantes, tout d’abord il encou-
ragea D. Bosco et ensuite il voulut le prémunir ; c’est pourquoi,
au moyen d’un décret, il l’établit officiellement Directeur en
Chef de tous les Oratoires fondés par lui. Voici la teneur de ce
décret ou document de nomination.
LOUIS [de la parenté] DES MARQUIS FRANSONI
CHEV[alier] DE L’ORDRE SUPRÊME DE L’ANNONCIADE
PAR GRÂCE DE DIEU ET DU SIÈGE APOSTOLIQUE
ARCHEVÊQUE DE TURIN
Au Très Rév[érend] D. Jean Bosco, de Castelnuovo, Prêtre de
notre Diocèse : Salut.
En Vous félicitant, digne Prêtre de Dieu, d’avoir su avec une charité
pleine d’habileté fonder, dans l’Oratoire public S[aint]-François de
Sales à Valdocco, la Congrégation des jeunes pauvres, que l’on
ne peut jamais assez louer, nous jugeons qu’il est juste de vous
témoigner, au moyen de cette Lettre, notre parfaite approbation
en vous établissant en titre Directeur Spirituel en Chef de l’Ora-
toire S[aint]-François de Sales, auquel nous voulons que soient unis,
placés sous sa dépendance, [l’Oratoire] Saint-Louis de Gonzague
et celui du S[aint]-Ange Gardien, afin que l’œuvre entreprise sous

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379
de si heureux auspices fasse des progrès et s’amplifie dans le
lien de la charité, pour la vraie gloire de Dieu, et pour la
grande édification du prochain, vous accordant toutes les facultés
qui sont nécessaires et opportunes pour le saint but.
En attendant, nous envoyons, pour qu’on les insère dans les
actes de nos Services de l’Archevêché, ces Documents à titre
d’original, avec la faculté [accordée] à notre Chancelier d’en
délivrer des copies.
Donné à Turin le trente et un Mars, l’an mil huit cent cinquante-deux.
Signé : PHILIPPE RAVINA Vic[aire] Général,
et si[gné] à la main BALLADORE Chancel[ier].
Pour copie conforme à l’original
Turin, le 12 Mai 1868
Lu et approuvé
Théol[ogien] GAUDE Pour le Chancelier. (1)
—————
(1) Les Faveurs et les Facultés accordées par l’Autorité Ecclésiastique de
Turin à l’Oratoire S[aint]-François de Sales étaient :
1° De célébrer la Messe lue et [la Messe] chantée, [de] donner la Bénédiction
du Saint Sacrement, [de] faire des Triduums, des Neuvaines, des Retraites spiri-
tuelles ;
2° [De] faire le Catéchisme, [de] prêcher, [d’]accepter les enfants à la Sainte
Communion, [de] les préparer à la Confession, à recevoir la Confirmation ;
3° Facultés d’accomplir en n’importe laquelle de nos Eglises le devoir Pas-
cal, tant pour les enfants que pour les adultes qui y viendraient. [De] bénir les
objets du culte, l’habit clérical et [d’]en revêtir les jeunes gens qui manifes-
teraient une vocation ecclésiastique, mais [seulement ceux qui sont] destinés au
service des Oratoires et demeurent à l’Internat annexe.
Ces facultés laissaient souvent des incertitudes dans leur application. C’est
pourquoi le même Monseigneur Fransoni, par document du 31 Mars 1852, les
accordait de façon absolue et sans limites, c’est-à-dire donnait toutes les facul-
tés qui seraient utiles ou nécessaires pour le bon succès des choses qui se
produisaient dans la direction de l’Oratoire S[aint]-François de Sales à Valdoc-
co, [de l’Oratoire] S[aint]-Louis à Porta Nuova, [de l’Oratoire] du S[aint]-Ange
Gardien à Vanchiglia.

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380
De même au Théol[ogien] Murialdo, qui coopérait gran-
dement à la réussite des projets de D. Bosco à l’Oratoire de
Vanchiglia, l’Archevêque donnait la marque d’estime suivante :
LOUIS [de la parenté] DES MARQUIS FRANSONI
CHEVALIER DE L’ORDRE SUPRÊME DE L’ANNONCIADE
CHEVALIER DE GRAND-CROIX
DÉCORÉ DU GRAND CORDON
DE L’ORD[re] DES S[aint]S MAUR[ice] ET LAZARE
PAR GRÂCE DE DIEU ET DU SIÈGE APOSTOLIQUE
ARCHEVÊQUE DE TURIN
Au T[rès] Rév[érend] M. le Théol[ogien] Norbert [= Robert] Murialdo,
Prêtre de Turin : Salut.
En considération de l’engagement spontané et du zèle ardent,
avec lesquels, en digne prêtre, vous vous occupez avec dili-
gence et assiduité de l’institution Chrétienne des jeunes pauvres
qui se réunissent dans l’Oratoire public du Saint-Ange Gardien
dans le quartier Vanchiglia de cette ville, nous croyons que cela
mérite la peine de vous donner au moyen de cette Lettre un
témoignage public de notre pleine approbation en vous établis-
sant en titre Directeur Spirituel de l’Oratoire susnommé à la
seule condition que par votre intermédiaire on conserve toujours
fidèlement l’unité et la dépendance vis-à-vis de D. Jean Bosco,
Directeur en Chef de l’Oratoire S[aint]-François de Sales à Val-
docco et fondateur de cette Pieuse institution, en vous accordant
les facultés nécessaires et opportunes pour le saint but.
En attendant, nous envoyons pour qu’on l’insère dans les actes

40.5 Page 395

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381
de nos Services de l’Archevêché ce décret à titre d’original avec
la faculté [accordée] à notre Chancelier d’en délivrer des copies.
Donné à Turin le trente et un mars mil huit cent cinquante-deux.
Signé dans l’original PHILIPPE RAVINA Vic[aire] Gén[éral],
Scel[] et à la main BALLADORE Chancel[ier].
Ainsi d’après l’Original
BALLADORE ff. Chancel[ier].
Les adversaires de D. Bosco ne pouvaient pas essuyer
une défaite plus manifeste. Chacune de leurs prétentions de su-
prématie dans les trois Oratoires était partie en fumée. Il y a
six choses, disent les Proverbes, que hait Yahvé, sept que son
âme abomine : … un faux témoin qui profère des mensonges, le
semeur de litiges entre frères (1).
Mais, en attendant, que se produisait-il pour les anciens
catéchistes ? Ils n’avaient pas osé couper entièrement les ponts
avec D. Bosco ; mais le matin des Dimanches ils se présen-
taient à lui pendant quelques instants et ensuite ils couraient à
leur nouveau rendez-vous, où les attendait D. Rodrigo. Le soir
ils n’apparaissaient pas, et se réunissaient tous à l’Oratoire
S[aint]-Martin. D. Bosco dit un jour à Gastini Charles ces paro-
les graves : — Tous m’abandonnent, mais j’ai Dieu avec moi et
de qui dois-je avoir peur ? L’œuvre est la sienne et non la
mienne, et il pensera à la porter en avant.
Pendant quelques dimanches D. Bosco patienta ; mais voyant
que cette mauvaise plaisanterie continuait, il décida d’en finir avec
—————
(1) Pr 6,16-19.

40.6 Page 396

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382
ceux qui voulaient avoir, comme on dit, un pied dans deux
étriers [jouer sur deux tableaux]. Le matin d’un dimanche ou d’un
jour de fête, tandis qu’ils faisaient leur habituelle apparition, il
les rassembla dans sa petite salle à manger. Ces personnes lui
avaient fait cadeau d’une sonnette [actionnée] à la main qui, lors-
qu’on la faisait fonctionner dans la cour, devait appeler les
jeunes à la Messe. D. Bosco entrevit dans l’intention de certains
de ces donateurs une arrière-pensée. Il commença, toutefois, à
leur manifester sa reconnaissance personnelle, mais il conclut
franchement et avec calme : Moi, je ne suis pas content de
vous : qui veut s’en aller, s’en aille ; qui ne veut plus venir, res-
te donc là où cela lui plaît le mieux. Quant à moi, je me
formerai de nouveaux catéchistes. J’ai recommencé à zéro
d’autres fois et je suis prêt à repartir à zéro également aujour-
d’hui. — Cela dit, il les regarda fixement avec un visage hilare
et il se retira. Ces personnes malavisées vinrent encore le
dimanche suivant : ils entourèrent D. Bosco, mais sans lui don-
ner le moindre signe d’affection, puis ils disparurent et ne se
firent plus voir à l’Oratoire S[aint]-François de Sales. A [l’Ora-
toire] S[aint]-Martin ils avaient, eux au goûter, du poulet, du
saucisson, des friandises, des fruits et du vin et d’autres nour-
ritures de choix. Mais étaient-ils ensuite vraiment contents ? L’un
d’eux, qui avait un jour rencontré son compagnon Francesia, lui
dit : Là-bas à S[aint]-Martin, on est bien ; mais il nous
manque quelque chose qui nous faisait venir plus volontiers à
l’Oratoire de Valdocco. — Ce quelque chose, c’était D. Bosco
avec son affabilité paternelle, avec sa charité exempte de toute
recherche intéressée.
En effet, ces jeunes, une fois passés les bouillonne-
ments de ces premières années, ravivèrent tellement leur affection
pour D. Bosco que, revenus se serrer autour de lui, ils furent
pour lui des amis tendres et constants pendant tout le temps de
sa vie. De cela, D. Bosco les payait de retour. Il n’avait pas
oublié les services qu’ils avaient rendus, à lui et à l’Oratoire,
comme catéchistes ; et il oublia les peines qu’ils lui avaient
causées en un moment d’excitation des passions. Il accueil-
lait donc toujours, avec beaucoup de joie, ceux qui, ayant accédé

40.7 Page 397

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383
à une honorable profession dans la société, venaient lui rendre
visite ou passer une journée avec lui ; il en hébergea d’autres,
qui étaient nécessiteux, dans sa maison, et l’un d’eux eut une
charge et une paie convenables dans les ateliers de l’Internat,
parce que, peu habile dans son métier, il n’aurait pas pu fournir
le nécessaire à sa famille.
Cependant, les animosités battant leur plein, Brosio, qui
voyait qu’en de tels moments une réconciliation n’était pas
possible, rompit toute relation avec les novateurs. « Pour la
grande masse des jeunes, continue-t-il à écrire, les caprices de
ces messieurs n’avaient aucune importance, et ils étaient tous
pour D. Bosco. A cause de cela, D. Rodrigo était irrité, en
voyant qu’il échouait, et D. Bosco pour déjouer ses artifices
augmenta tous les divertissements au moyen de nouveaux jeux
agréables. Comme la cour n’était pas suffisamment vaste pour
nos manœuvres et pour les parties de boules, on allait dans le
champ et dans le terrain vague, là où à présent se trouve
l’Eglise Marie-Auxiliatrice, pour jouer et pour faire les exercices
militaires. Plusieurs fois, pour donner un plus grand défoulement
à notre bataillon, nous nous sommes avancés jusque sur les prés
du Faubourg S[an] Donato, toujours en manœuvrant à travers la
campagne, en faisant ainsi une promenade militaire. Arrivé là,
j’allais acheter deux gros paniers de fruits avec l’argent que
m’avait donné D. Bosco dans cette intention, et j’en faisais la
distribution à tous mes soldats. La gymnastique et la course à
pied étaient toujours à l’ordre du jour. Souvent j’invitais à la
course même D. Bosco, qui acceptait et, ce qui faisait s’étonner
tout le monde, il prenait presque toujours la récompense attri-
buée au premier qui arriverait au but ».
Mais, entre-temps, D. Bosco avec sa volonté de fer avait
recommencé à zéro pour se procurer de nouveaux catéchistes,
d’autant plus que, pour une partie, ces événements s’étaient pro-
duits au début des enseignements de carême. Le carême avait
commencé le 25 février et finissait avec Pâques le 11 avril, et,
quant à lui, il ne pouvait pas retirer du personnel de l’Oratoire
S[aint]-Louis, ni de celui des Saints Anges Gardiens, qui rassem-

40.8 Page 398

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384
blaient environ un millier d’enfants, auxquels on faisait aussi un
peu d’école. Des anciens à Valdocco lui était resté seulement le
jeune garçon de 14 ans Jean Francesia, qui habitait encore chez
ses parents. A ce dernier il ajouta alors Jean Cagliero, d’autres
du même âge que lui, internes, et quelques jeunes abbés, qui
furent toujours prêts aux signes qu’il ferait. C’étaient, peut-on
dire, des gosses, et pourtant ils tinrent chacun leur classe de
vingt ou vingt-cinq gamins remplis de vivacité ; et ils s’appli-
quaient à remplir leur office. C’est pourquoi, bien que plusieurs de
leurs écoliers fussent plus grands que leur catéchiste, il ne ve-
nait jamais à l’esprit de quiconque l’envie de déranger. Et puis
D. Bosco tournait en surveillant. Il avait prescrit qu’on ensei-
gnât à étudier le catéchisme à la lettre, en en faisant même
donner de temps en temps un aperçu lors de séances publiques,
et en distribuant de petites récompenses. Les nouveaux catéchis-
tes, avec une aisance et une prudence supérieures à [celles de]
leur âge, assistaient les dimanches et les jours de fête les nom-
breux externes pendant leur préparation à la confession, durant la
sainte messe et le sermon qu’on faisait aussitôt après, [durant] les
cérémonies du soir, et durant les récréations. Souvent ils étaient
chargés de distribuer un pain également aux jeunes externes,
d’autant plus si [ces derniers] avaient fait la communion : pour
beaucoup d’entre eux, en effet, cela constituait une grande gêne
de revenir à jeun chez eux pour le petit déjeuner. D. Bosco se
réjouissait de les voir obtenir une aussi bonne réussite, et il ne
se fatiguait pas de leur répéter : — Pour l’amour de Dieu, je
recommande de ne jamais laisser seuls les jeunes, mais de les
assister toujours, continuellement et partout. Et pour les en-
courager il leur expliquait cette devise de S[aint] Augustin :
Animam salvasti, animam tuam prædestinasti [Si tu as sauvé une
âme, tu as procuré le salut à ton âme].
Les catéchismes du carême touchaient à leur fin, bénis
de façon évidente par le Seigneur, et l’on commençait le tri-
duum de préparation pour Pâques, qui resta gravé chez les
jeunes à cause d’une anecdote ainsi décrite par le Prof[esseur]
Raineri.
« On était près de Pâques : le soir d’un jour ouvrable, Don Bosco

40.9 Page 399

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385
faisait l’enseignement sur le thème : Fuir les occasions du mal,
fuir les dangers. A un certain moment il dit : Que celui qui
ne veut pas brûler, se tienne loin du feu. Voici, justement à
cet instant, que prennent feu les petites boîtes des allumettes
qu’un jeune jardinier avait en poche pour les porter chez lui.
Aussitôt il s’élève de la fumée, et un crépitement intense se fait
entendre, au point d’attirer l’attention de tous. Jamais un pré-
cepte ne fut si promptement suivi d’un exemple et confirmé par
lui. Tous rirent de bon cœur et donnèrent raison à leur pré-
cepteur, qui rit lui aussi ; mais son rire, on le voyait, on ne
l’entendait jamais ».
Même les autres Oratoires portaient d’excellents fruits.
Là-bas D. Bosco était toujours aidé par des prêtres zélés et par
le Théol[ogien] Borel, qui passait souvent d’un Oratoire à l’autre
en faisant le catéchisme et en prêchant avec une ardeur et une
efficacité merveilleuses. Lui-même toutefois de temps en temps y
venait, et avec combien de joie et avec combien de hourras, il
était reçu par les jeunes ! Lors de ces visites qu’il y accom-
plissait il avait l’habitude de faire le sermon, et après les
cérémonies il cherchait à tenir près de lui les enfants, et il
adressait à chacun un conseil particulier très adapté et approprié
au caractère, comme s’il avait toujours été leur ami intime. Et
Dieu le bénissait, et beaucoup de jeunes qui auparavant don-
naient peu d’espoir de bonne réussite sortaient des Oratoires
avec une amélioration, et se comportaient en hommes de foi et
d’honneur dans les emplois qu’ensuite ils occupaient.
Une fois terminées les fêtes pascales, les nouveaux caté-
chistes, qui appartenaient à la Compagnie de S[aint] Louis, avec
une ardeur croissante continuèrent leur mission et l’étendirent
même aux élèves internes. D. Bosco désirait ardemment les voir
tous apprendre les cantiques et le chant grégorien, et en 1852,
comme il avait déjà commencé l’année précédente, on arrêtait les
cours le samedi soir pour qu’on apprît les antiennes et la psal-
modie pour les vêpres du Dimanche. Tous les soirs, il y avait

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386
aussi le catéchisme pour ceux qui étaient plus ignorants dans les
choses de la religion : Don Bosco voulait les admettre à la
Communion dès qu’ils en seraient capables. — Il faut, disait-il,
que le Seigneur prenne possession de leurs cœurs avant qu’ils ne
soient corrompus par le péché. Tout cela, il le faisait ou par
lui-même ou par l’intermédiaire de ses catéchistes, qui également
remplaçaient quelque maître absent dans les cours du soir.
Ils se prodiguaient en outre pour les cérémonies d’église.
En 1851 D. Michel-Ange Chiatellino avait écrit la musique d’u-
ne Messe et celle de quelques tercets de Litanies, [musiques]
qu’il avait offertes à Don Bosco ; ils les apprirent et les exécu-
tèrent avec beaucoup de plaisir, et ensuite ils les enseignèrent
aux nouveaux chœurs qui pendant des années se formèrent. En
plus de cela ils avaient appris à s’assister mutuellement et c’est
là le motif pour lequel il n’arrivait pas de désordres de quelque
importance. Parfois certaines récréations pouvaient causer de la
surprise à quelques intransigeants. Comme il n’y avait pas alors
de lieux habités autour de l’Oratoire, les jeunes, en s’ébattant,
s’avançaient jusqu’aux prés de la citadelle éloignés d’environ un
demi-kilomètre ; mais au milieu d’eux courait également et gui-
dait les mouvements l’un de ces plus zélés, qui les ramenait en
sens inverse pour les réunir affectueusement autour de D. Bosco.
Toutes les tempêtes s’étaient donc calmées à l’Oratoire,
et dans le journal modéré mais catholique, La Patria [La Patrie],
paraissait un magnifique article à la louange de l’Histoire Sainte
de D. Bosco. D. Cocchis, appelé entre-temps à d’autres fon-
dations, spécialement à celle des Apprentis, avait confié la
direction de l’Oratoire S[aint]-Martin à D. Ponte. Celui-ci, reve-
nu du voyage avec la Marquise Barolo, s’occupa avec une
grande ardeur de l’instruction des enfants du peuple jusqu’en 1866.
Cette année-là il se retirait, remettant son Oratoire à la société
S[aint]-Vincent-de-Paul, qui en donna au Supérieur des Apprentis
la direction spirituelle ; à présent [1904] [cet Oratoire], transféré
au-delà de la Doire dans ses propres locaux, accueille, les di-
manches et les jours de fête, plus de 400 jeunes gens.

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41.1 Page 401

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CHAPITRE XXXIV
L’explosion de la poudrière Héroïsme du sergent Sacchi Le
chapeau de D. Bosco Visible protection de Marie Faits
divers Une colombe Une poutre enflammée Le jeune
Gabriel Fassio Un Pater et un Ave par l’intermédiaire
de Saint Louis Dégâts à l’Oratoire Valdocco, lieu de
refuge Subventions Une image commémorative D. Bosco et
la Petite Maison de la Divine Providence.
L’an 1852, un terrible malheur, comme la foudre dans
un ciel serein, s’abattait sur la ville de Turin, qui manqua de
peu de devenir un tas de ruines et la tombe de ses habitants.
Au milieu du Faubourg de la Doire, près du cimetière
S[aint]-Pierre-aux-Liens, s’élevait une usine et trois magasins à
poudre. Parfois y étaient rassemblés plusieurs milliers de kilo-
grammes de poudre pour charge explosive et pour la chasse ; et
par conséquent ledit Faubourg et la ville entière avaient dans
leur sein un danger formidable.
Eh bien, le 26 avril, il était onze heures trois quarts du
matin quand à cause de l’imperfection d’un appareil se déclen-
che une étincelle dans un atelier. En moins de temps qu’il n’en
faut pour le dire, le feu prend à deux machines à grener situées
à côté, passe aux tamis, de là à la poudre étendue à l’air libre.
L’embrasement de cette dernière met le feu d’abord à un petit

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388
magasin de poudre pour la chasse, et ensuite à un autre de
poudre pour charge explosive, qui, à un court intervalle l’un de
l’autre, explosent avec un grondement terrible, entendu à quinze
mille [= environ 37 km] alentour, en faisant trembler la ville, en
faisant sortir de leurs gonds les portes, petites et grandes, et en
ne laissant pas aux fenêtres fermées une vitre intacte. La grosse
usine de poudre saute en l’air, les maisons voisines se renver-
sent, sur deux rangées des mûriers séculaires sont à moitié
rompus comme de tendres petites plantes ; des pierres, des clous,
des barres de fer, des poutres enflammées volent dans l’air, et
s’abattent sur les hôtels particuliers, dans les rues et sur les pla-
ces, comme les projectiles d’une immense bombe, en constituant
une menace de massacre et de mort ; à 400 mètres de distance
tombent des blocs de pierre faisant chacun 100, 150 ou 200
kilogrammes ; les hommes employés à la poudrière, frappés à
mort, ou brûlés, ou ensevelis, écrasés sous les décombres, sont
au nombre de vingt et un ; les blessés, de trente-cinq. Pendant ce
temps un épais nuage de fumée, comme un manteau mortuaire,
s’étend sur toute [la ville de] Turin, lui enlève la vue sur le
soleil et la remplit de terreur ; la fin du monde semble être
arrivée. Les uns crient, les autres pleurent, un autre s’enfuit sans
savoir où, car chez la plupart on ignore tout d’abord le lieu et
la cause du désastre. Peu à peu la nouvelle court à ce sujet,
beaucoup dirigent leurs pas depuis l’intérieur de la ville vers la
poudrière ; mais, parvenus dans ses abords, ils en sont repoussés
par les [habitants des] rues voisines qui fuient en foule et annon-
cent de pires désastres imminents. Par ailleurs, plusieurs parmi
les plus courageux en union avec les soldats et avec les gardes
nationaux, le maire Bellono avec les autorités civiles et Sa Ma-
jesté royale elle-même Victor-Emmanuel avec le Duc de Gênes
et avec les Ministres, se portent sur le lieu de la désolation ;
parmi eux il y eut aussi notre D. Bosco.
Au moment de la première explosion, il se trouvait dans
la salle de l’exposition des objets de la loterie dont nous avons
parlé. Au fracas, qui avait ébranlé tous les bâtiments, il était
descendu sur la voie publique, pour savoir ce qui était arrivé. A
cet instant, se fait entendre le second crépitement et, un moment

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389
après, un sac d’avoine tombe d’en haut à côté de lui, manquant
de peu de l’écraser. Il ne tarda pas à déduire qu’avait pris feu
la poudrière, distante de l’Oratoire d’un peu plus de 500 mètres.
Il se dirige aussitôt vers sa maison, dans la crainte qu’il ne se
fût produit quelque sinistre ; mais il la trouve vide, car tous,
sains et saufs, s’étaient enfuis dans les champs et les prés voisins.
Alors, sans le moindre délai, et sans faire attention au danger, il
vole jusqu’au lieu du désastre, afin d’apporter à quelques mal-
heureux le secours du ministère sacré. En chemin, il tombe sur sa
mère, qui tente de le retenir, mais en vain. Survient Charles
Tomatis, et D. Bosco lui ordonne : Rebrousse chemin, va à la
recherche des religieuses qui se sont enfuies de leurs monastères,
çà et là, sur les places et dans les rues, et conduis-les toutes à
la Place Paesana. Là il y a un omnibus qui les transportera à Monca-
lieri chez la Marquise Barolo. Tomatis courut et exécuta l’ordre
reçu, n’arrivant pas à comprendre comment D. Bosco, sans avoir
été averti au préalable, connaissait les mesures prises en cette cir-
constance par la Marquise. Entre-temps D. Bosco, arrivé sur les
lieux, put péniblement se frayer un chemin parmi les immenses
ruines. Quel spectacle poignant ! Des morceaux de cadavres, des
jambes et des bras dispersés çà et là ! Des voix dolentes qui
sortaient encore des décombres fumantes ! Et, ce qui était plus
épouvantable, l’imminence d’une troisième explosion, qui ferait le
carnage de tous les voisins, et même des personnes les plus
éloignées. C’est qu’en effet, les deux magasins, qui avaient pris
feu et causé un massacre et un écroulement si horribles, ne con-
tenaient que quelques dizaines de kilogrammes de poudre ; mais
à quelques mètres d’eux il s’en trouvait également un troisième
ayant le toit arraché, alors que les bâtiments environnants, tous
en feu, remplissaient l’air d’étincelles, et qu’il contenait au moins
quarante mille kilogrammes de poudre ! C’était un terrible vol-
can : s’il prenait feu, sans doute non seulement le faubourg de la
Doire, mais aussi Turin pour une bonne partie s’écrouleraient de

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390
fond en comble ; et un tel danger était imminent. Or qui sauve-
ra Turin ? Marie la sauvera par l’intermédiaire de l’un de ceux
qui avaient de la dévotion pour elle : il est bien juste que son
nom soit aussi transmis par nous à la postérité la plus éloignée.
Il s’agit du sergent fourrier Paul Sacchi, de Voghera,
chef des ouvriers employés à l’usine, rescapé comme par miracle
de l’horrible massacre. A deux bonnes reprises, par la violence
des explosions, lui, il est jeté à terre comme mort ; il se relève
néanmoins, en invoquant la Très s[ainte Vierge] Marie et, lui qui
a les membres moulus, la face, la tête et les mains brûlées,
perdant du sang jusque par les oreilles assourdies et fortement
perturbées, au milieu d’une confusion indescriptible, au cœur du
carnage de ses ouvriers, parmi les larmes et les cris de déses-
poir, il fait preuve d’une perspicacité et déploie un courage tels
qu’ils sont au-dessus de tout éloge. Ayant surmonté les étourdisse-
ments répétés que lui avaient causé les crépitements horribles, il
se rend compte, lui, que le troisième magasin n’est pas encore
atteint, mais que déjà le feu a pris à une couverture qui s’y
trouvait. Devant ce danger de mort prochaine, lui, il ne s’enfuit
pas, oh ! non ; mais, sentant qu’il est poussé comme par une force su-
périeure, il court, il entre haletant, enlève à temps la couverture,
la traîne dehors et reste sur place intrépide, en appelant du secours.
Encouragés par son héroïsme, quelques citoyens accourent rapide-
ment ; s’ajoutent ensuite des soldats et des pompiers, et on organise
promptement divers services ; les uns s’occupent d’éteindre le
feu, qui se manifeste çà et là ; les autres transportent depuis le grand
magasin les 800 barils de poudre qui s’y trouvaient. Le Comte Cays
était là, lui aussi, conseillant, aidant, transportant des blessés.
Sacchi s’empressait de couvrir les barils avec les couvertures de
laine imprégnées d’eau. Ces travaux, dans l’anxiété générale des
esprits, durèrent jusqu’à quatre heures de l’apr[ès-midi] et furent
achevés de façon heureuse. Ainsi, en ce jour d’angoisse, Turin

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391
fut sauvée par l’intervention de Marie, et par l’héroïsme d’un
homme qui dans cette horrible circonstance s’adressa à Elle pour
[demander] conseil et réconfort, et que, tant qu’il continua à
vivre, on aurait pu voir chaque samedi se prosterner devant
l’autel de la Vierge Consolatrice en train d’accomplir un vœu de
remerciement pour l’avoir non seulement sauvé, mais rendu sau-
veur de ses frères. Cet homme simple et honnête qui, au milieu
d’événements très singuliers survenus durant sa vie de jeune,
semble avoir été réservé et protégé par Dieu pour la noble
mission de sauver Turin, reçut dans les premiers jours de la part
de toutes les catégories de la population des marques flatteuses
d’estime et d’honneur ; mais il ne tarda pas à être aussi abreuvé
du fiel de l’ingratitude. D’après certains, il eut le tort d’avoir
attribué publiquement son héroïsme à la Vierge bénie. En effet,
il répétait : Non, je ne suis pas le sauveur de Turin. C’est la
Vierge Consolatrice qui l’a sauvée. — A cause de cela il fut
aussitôt l’objet de sarcasmes, de dérision et de calomnies de la
part de ceux auxquels le nom de Dieu et [celui] de son
Auguste Mère sonnent mal à l’oreille. Les journaux illustrés le
traitèrent d’hypocrite et de bigot. Par ailleurs, il reçut du Gou-
vernement la médaille d’or, qui lui fut conférée sur la place
d’armes ; de la Garde Nationale une couronne d’argent ; et
du Conseil Municipal la Citoyenneté d’honneur de la ville de
Turin, une rue qui porte son nom et une pension annuelle
viagère de 1 200 l[ires]. Mais ni les éloges, ni les moqueries, ni
les honneurs, ni les insultes ne firent changer la manière de
penser chez Paul Sacchi, n’altérèrent en lui sa profonde dévotion
envers Notre-Dame, et il resta tel jusqu’au 24 mai 1884,
fête de Marie Auxiliatrice, dernier jour de sa vie. Avec le grade
de capitaine il s’était rendu tous les jours avec un autre capi-
taine natif de S[an] Giorgio Canavese, son ami, pour adorer
pendant de longues heures dans l’Eglise des Sacramentines
[Adoratrices Perpétuelles de Jésus au Saint Sacrement]. Comme l’Ar-

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392
chevêque Gastaldi avait interdit à quiconque était habillé en civil
de servir dans les cérémonies sacrées, ils s’étaient fait, lui et
son compagnon, raser les moustaches afin de revêtir la soutane.
Pour de vieux militaires, ce n’était pas un mince sacrifice.
Quant à notre D. Bosco, il eut la consolation de [pou-
voir] encore administrer l’absolution à un pauvre ouvrier, qui,
extrait de dessous les ruines, mutilé [à la hauteur] d’une cuisse et
atteint de blessures sur tout le corps, rendait les derniers soupirs.
Si, d’autre part, il ne lui fut pas permis de donner un coup de
main dans le difficile travail matériel, son chapeau rendit néan-
moins un bon service. Au cœur du danger on avait un besoin
urgent de transporter de l’eau, pour empêcher le feu de prendre
aux couvertures étendues sur les barils de poudre. N’ayant aucun
récipient, Sacchi saisit le chapeau de D. Bosco et il s’en servit
tant bien que mal, jusqu’au moment où arrivèrent les seaux et les
pompes. « Dernièrement encore, écrivit D. Bonetti Jean, en 1877,
le brave fourrier me parlait de ce fait vécu pour sa grande satis-
faction, et pour la mienne ».
En vérité, tous furent et restent persuadés que c’est à
une protection spéciale du Ciel qu’est dû le salut de Turin qui
échappa à d’ultérieurs désastres. Les premiers à ressentir les
effets de l’intervention céleste furent les pensionnaires de la
Petite Maison de la Divine Providence, appelée le Cottolengo. La
charitable Institution se dressait à peu de distance de la poudriè-
re, et pour certains de ses bâtiments l’éloignement n’était que de
quatre-vingts à cent mètres. C’est pourquoi lors de la terrible
explosion s’écroulent les toits, les parois et les plafonds ; les
meubles, les penderies et les commodes sont mis sens dessus
dessous ; des ustensiles de tous genres sont jetés çà et là avec
un horrible fracas ; sont arrachées de leurs gonds les portes,
petites et grandes ; pleuvent ensuite de tous côtés des poutres,
des morceaux de bois et de fer, des pierres, des briques et des
débris de toutes espèces. Eh bien, au milieu d’un si grand ébou-
lement, au milieu d’une grêle de projectiles meurtriers, au milieu

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393
de tant de dangers pour la vie, aucune des mille trois cents
personnes de l’Institution n’en fut atteinte. Il y avait des
malades, il y avait des aveugles, des estropiés, des fous, des
bébés, et personne n’en reçut [de mal], pas même la moindre
contusion ou [la moindre] égratignure. Beaucoup virent comme
passer sous leurs yeux la mort ; virent briller au-dessus de leur
tête sa terrible faux ; mais ils n’en furent pas touchés. Au-dessus
du lit où était couché le malade, se détachait et s’écroulait un
grand morceau de plafond, mais il tombait au pied ou sur les
côtés ; ailleurs le mur menaçait ruine, mais dans son inclinaison
il restait comme suspendu en l’air, et donnait le temps d’en
retirer le lit avec son malade ; dans les chambres des enfants se
renversait le toit, tombaient de très nombreuses tuiles, mais
pas même une sur les petits lits et sur les berceaux des inno-
cents. L’infirmerie des filles idiotes ou hébétées contenait plus de
vingt lits, et depuis environ trois ans il n’était jamais arrivé
qu’elle fût vide de malades, surtout avant midi. Ce matin-là,
comme si elles pressentaient ce qui était sur le point de se
passer, elles s’étaient toutes levées et rassemblées dans la pièce
voisine. Entre-temps se produit l’explosion et elle lance sur cette
infirmerie un long et gros tronçon de poutre, qui défonce le toit
et pénètre au milieu de la chambre, en entraînant la plus grande
partie du plafond, et en écrasant jusqu’aux lits de fer ; mais les
lits étaient vides.
Cependant, les faits les plus consolants et qui montrent
la protection visible de Marie, ce sont ceux, inexplicables, qui
concernent ses représentations. Dans toutes les pièces on voyait
les penderies, les armoires, les portes elles-mêmes arrachées du
mur et renversées à terre à cause de la violence de l’explosion ;
mais on admirait toujours encore le cadre de la Vierge, accroché
à la paroi. Dans l’infirmerie dite Sainte-Thérèse, à la hauteur de
deux mètres, se trouvait une statue de Marie sous une cloche de
verre ; elles tombent toutes les deux sur le plancher, mais et la

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394
cloche et la statue demeurent parfaitement intactes. Dans le long
dortoir des orphelins toutes les fenêtres donnant du côté de la
poudrière, étaient murées par des briques. Se produit le désastre :
chacune des maçonneries se renverse, à l’exception de deux aux-
quelles étaient suspendus deux tableaux de Marie. Dans un
couloir souterrain, qui relie une partie de la maison à l’autre, à
la hauteur de plus de trois mètres, reposait dans une niche spé-
ciale une statue en bois de l’auguste Reine du Ciel. Au moment
de l’explosion, tandis qu’alentour tout le mur tombe à terre, la
statue, semble-t-il, en est comme lentement descendue plutôt que
précipitée, car elle se trouva debout sur sa base et entourée par
les gravats. On aurait dit qu’elle était, comme en vie, descendue
pour réconforter de plus près ceux qui, cherchant leur salut,
passaient par ce corridor en criant pitié. Dans l’Oratoire privé,
appelé le Sanctuaire, déjà très cher au vénérable Cottolengo,
étaient accrochés au mur environ 300 cadres [ou tableaux] de
dimensions diverses, avec leur verre ou leur vitre respectifs,
représentant les sanctuaires les plus célèbres et les plus marqués
par des miracles qui s’élèvent dans le monde en l’honneur de la
Mère de Jésus. Cet [Oratoire] était situé en face de la poudrière,
et donc exposé au premier assaut de la violente tourmente et
sans protection. Eh bien, le terrible volcan explose très près ;
dans la pièce [située] derrière le Sanctuaire, protégé par le mur,
tombent à terre de grosses et lourdes penderies, s’écroule une
partie du plafond, se fracasse la porte et la barre de fer qui la
ferme s’entortille comme une corde ou une bougie molle ; et les
cadres ? Les cadres du Sanctuaire restent à leur place avec leurs
verres respectifs intacts. Dans l’Eglise de la Communauté et dans la
Chapelle du Rosaire se trouvait la statue de Marie, enfermée
dans sa niche. A la distance de six mètres se fend le grand arc
principal qui soutient la coupole de l’Eglise ; l’orgue qui était au
fond d’une tribune est renversé par terre et déplacé de quelques
pas ; s’ouvre tout grand le châssis porteur des larges vitres qui

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395
ferment la niche ; mais la statue de Marie, [représentée] comme
Protectrice et Reine, reste immobile avec sa couronne sur la tête
et elle permet seulement que tombe de ses oreilles l’un de ses
pendants.
Mais dans un langage encore plus éloquent la Vierge
très puissante montra sa visible protection en ces jours-là ; et
c’est avec les deux faits suivants.
Dans le vestibule d’entrée de la charitable Institution du
Cottolengo, près des deux portes qui donnent sur la voie publi-
que, se trouvait, comme il se trouve aujourd’hui encore, fixé à
un simple lambris de bois un tableau d’un mètre de hauteur, sur
lequel est représentée de main de maître la Vierge Consolatrice.
Le tableau était, comme maintenant, protégé par une plaque de
verre, entouré de fleurs, de cœurs d’argent et d’autres gracieux
ornements. Devant cette vénérable représentation, pour qui entre
et pour qui sort, l’habitude est de réciter l’Ave Maria. Dans sa
partie intérieure qui fait passer dans la cour située plus bas, le
vestibule se trouve en face de la poudrière et sans la moindre
protection intermédiaire. Donc, lors de l’explosion des deux
magasins, la secousse produite fut telle que s’ouvrirent avec vio-
lence même les portes fermées de l’Institution ; plus de dix mille
vitres de ses fenêtres furent réduites en miettes tandis que les
châssis furent sortis de leurs gonds et renversés et mis en mor-
ceaux ; bien plus, dans toute la rue Doragrossa et dans d’autres
[rues] de la ville distantes de plus d’un kilomètre on ne voyait
plus aux fenêtres un carreau intact ; furent lancées, dans le ves-
tibule susnommé, des nuées et des nuées de projectiles de tous
genres : briques, cailloux, fer et bois ; de hautes et lourdes pen-
deries, qui se dressent là tout près, sont renversées en un rien de
temps ; dans la partie opposée, c’est-à-dire en arrière du tableau,
la très forte porte de noyer qui donne dans la rue, fermée avec
un gros verrou de fer, s’ouvre toute grande en deux parties en
brisant le verrou en question ; se casse et se fracasse l’angle

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396
lui-même du mur contre lequel était appuyé le tableau de la
Vierge ; et ce dernier ? Chose étonnante à dire ! Ce [tableau] res-
te immobile avec toutes ses décorations et avec sa [plaque de]
verre entière ! La belle représentation de Marie sous un aimable
aspect disait, semblait-il, à ses fils frappés de terreur : Ego sum,
nolite timere : Je suis là, moi, votre Mère ; n’ayez pas peur, je
serai votre bouclier, je serai votre défense. Un monsieur, venant
quelques heures après de l’intérieur de la ville, entrait dans ce
vestibule : en voyant encore intacte la [plaque de] verre placée
devant la représentation de Marie, alors que dans les maisons on
ne voyait même pas un carreau et que dans les rues on mar-
chait sur les [morceaux de] verre, il sentit de mystérieux frissons
parcourir tout le milieu de son corps, et le cœur rempli d’une
immense joie il pleura de consolation comme un enfant. A tout
dire, cet enchaînement de faits, pour autant qu’on se soit efforcé
de l’expliquer par les lois de la physique, personne ne put y
parvenir, et donc il fallut, et il faut, y voir la main de Dieu
tout-puissant et la protection de la divine Mère, qui montrait par
là qu’elle veillait sur les destinées de Turin.
Mais un fait qui a resplendi plus que tout autre et qui
fait toucher du doigt le patronage de la Très sainte [Vierge] Ma-
rie en ce jour d’épouvante, est celui que nous présenterons ici à
travers les paroles elles-mêmes du jamais assez regretté Mgr An-
glesio qui, à ce moment-là, était déjà depuis dix ans Supérieur
de la prodigieuse Institution du Cottolengo.
« Parmi tous les immeubles (ainsi écrit-il lui-même) qui, en
longeant sur deux côtés la poudrière, faisaient comme une haie,
le plus proche de tous, et à la distance d’à peine 80 mètres,
était une humble masure, appelée Nazareth, de deux niveaux,
rez-de-chaussée compris. Elle contenait au rez-de-chaussée plus
d’une vingtaine d’[individus] idiots ou crétins, à l’étage supérieur
une trentaine de pauvres garçons, atteints d’une maladie chro-
nique ou permanente, âgés de quatre à neuf ans ; comme le
plancher du grenier, toutes les poutres du toit venaient reposer
sur un pilier placé au milieu de la vaste chambrée : sur ce pilier

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42.1 Page 411

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397
et [au-dessus] du toit, on avait élevé une autre colonne en terre
cuite, précisément une de celles qui avaient servi pour des bains
chauds ; au-dessus de cette colonne se dressait une statue de la Vierge
Immaculée, haute de plus d’un mètre, vide à l’intérieur, [faite] en
simple plâtre fin, avec autour de la tête une large couronne de douze
étoiles : on aurait dit qu’elle se tenait justement là pour servir de
sentinelle et de bouclier à la Petite Maison, bien plus presque pour
donner des lois à la nature, au fléau et lui déterminer les voies, les
limites. Explosent, en effet, les deux magasins de la poudre à cette si
courte distance et avec cette longue et douloureuse série de consé-
quences qu’on a indiquées plus haut ; une tempête continuelle de
projectiles de tous genres et [de tous] poids est lancée en même
temps que l’indescriptible tourmente dans toutes les directions autour
de l’immeuble Nazareth et contre lui : la colonne porte la marque des
projectiles par lesquels elle est frappée, mais la statue de la Vierge,
déplacée de sa base d’à peine un pouce, reste indemne et intac-
te avec sur la tête sa couronne ; et tandis qu’avant elle était
tournée vers le vestibule de la maison, à présent on voit son visage
regarder vers la poudrière. Comment donc ne pas la reconnaître,
ne pas la saluer et la remercier comme une fidèle gardienne et une
protectrice remplie d’amour ? En effet, le toit situé au-dessous fut
complètement disloqué et en partie renversé sur le plancher, et ce
dernier, ses poutres ayant été cassées, tomba en même temps que les
tuiles dans la pièce où se trouvaient rassemblés tous les jeunes
enfants, les uns couchés dans leur petit lit ou leur berceau, les
autres assis dans leurs petites chaises ou debout ; on aurait pen-
sé qu’à pouvoir échapper à tant de ruines sans doute il n’y aurait eu
personne, ou qu’il y en aurait eu bien peu ; et c’est, en effet, ce que
croyaient et craignaient tous ceux qui avaient vu ou appris par
ouï-dire ce qui se passait ; c’est pourquoi ils accoururent sur les lieux
afin de porter secours à ces innocentes petites créatures en venant à
l’aide des sœurs infirmières ; mais, grâce à la vigilante Mère qui d’en
haut les contemplait, pas même un n’échappa à ses soins amou-

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398
reux ; les plus agiles de ces petits garçons, lors de la première
explosion, se précipitèrent en dehors de la porte, tous les autres
qui n’étaient pas lestes pour la fuite ou étaient couchés dans
leurs petits lits, furent d’une manière ou d’une autre, on ne sait
pas comment, tous protégés, retrouvés sains et saufs. On retrou-
va l’un d’entre eux, que l’explosion avait renversé à terre avec
son berceau, mais celui-ci, retourné sur le jeune enfant, servit à
le couvrir et à le protéger des tuiles et des débris qui l’auraient
atteint. Par ailleurs c’était une scène tout à fait très émouvante
d’entendre au milieu de ces cris et de ces gémissements ces
petites créatures s’écrier : Pardonnez-nous, Très s[ainte Vierge]
Marie, pardonnez-nous, nous serons à l’avenir de braves
garçons ». Jusqu’ici [courait] la plume de Mgr Anglesio (1).
Or les merveilles indiquées, et surtout celle de la faible
colonne, semblèrent des faits tellement singuliers et hors de
l’ordre de la nature que même les juifs, poussés par la curiosité
à venir voir la [colonne], dirent que ce [fait] était un vrai
miracle. Le lendemain, un homme de mauvaise vie errait dans
ces alentours et se répandait en blasphèmes contre Dieu à cause
de ce désastre ; mais, parvenu en face de cette délicate statue et
l’ayant vue là immobile avec sa couronne légère sur la tête, il
demeura muet ; il la regarda fixement pendant un bon bout de
temps, et ensuite il prononça ces paroles textuelles : Ici il doit y
avoir quelque diable ! Selon la nature des choses cela ne peut
pas rester ainsi. Nous autres, nous éprouvons de la compassion
pour ce misérable et nous disons au contraire : Le diable aurait
non seulement mis en morceaux les représentations de la Vierge,
mais il aurait renversé de son trône céleste la Vierge elle-même,
si cela lui avait été donné. C’est pourquoi il est hors de doute
qu’en cet emplacement cette fragile statue, entourée de tant de
ruines, fut un signe visible de l’invisible présence de Marie, qui
—————
(1) Le meraviglie della Divina Provvidenza nella Piccola sua Casa
ecc. per l’intercessione della SS. Vergine [Les merveilles de la Divine
Providence dans sa Petite Maison, etc., grâce à l’intercession de la Très s{ainte} Vier-
ge]. Turin, chez le chev[alier] Pierre Marietti, 1877.

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399
en mère affectueuse veillait sur ses enfants, veillait sur Turin, la
sauvant d’un massacre total.
Et la Vierge Très sainte ne se limita pas à montrer
qu’elle veillait sur Turin à travers les faits merveilleux indiqués
ci-dessus, car en différents autres endroits pieux, exposés eux
aussi à de graves dangers, elle donna une preuve non douteuse
de sa maternelle sollicitude. Dans le Monastère des Madeleines,
distant de la poudrière d’environ 400 mètres, dans le Petit Hos-
pice Sainte-Philomène et dans le Conservatoire [= Pensionnat de
jeunes filles] attenant, trois Institutions de la Marquise Barolo,
étaient logées au moins 500 personnes, entre les sœurs et les
jeunes filles, en bonne santé ou malades, et, elles aussi, de la
première à la dernière furent exemptes de tout malheur. Dans le
mur du Petit Hospice, côté nord, on voyait les marques pro-
fondes des projectiles lancés avec force ; au Monastère des
Madeleines tomba entre autres un bloc de pierre pesant facile-
ment 100 kilogr[ammes], et on y montre encore aujourd’hui une
armoire remplie de pierres, de barres de fer tordues et d’objets
semblables, tombés comme de la grêle dans la cour, sur leur
bâtiment et ayant pénétré jusque dans les chambres et dans les
couloirs ; mais sur plus de cent personnes aucune n’en fut le
moins du monde touchée. Bien plus dans l’infirmerie se trou-
vaient deux sœurs malades, qui depuis longtemps ne se levaient
plus de leur lit. Ce matin vers 11 heures elles demandent à se
lever et à sortir prendre un peu l’air dans le jardin, et la supé-
rieure contre son habitude l’accorde. Eh bien, dès qu’elles sont
sorties, une poutre énorme est lancée sur le toit de l’infirmerie,
le défonce et pénètre à l’intérieur avec une telle violence qu’elle
écrase les lits des deux malades. Par ailleurs, tandis que les
Madeleines, dans leur immense douleur, sont sur le point de ne
plus respecter la clôture et de sortir à la recherche d’un abri
plus sûr, elles voient une blanche colombe voler en planant et
aller se poser sur le sommet de la croix placée sur le toit de
leur saint asile. Elles considèrent cela comme un heureux présa-
ge et disent : Si la colombe s’envole de là, nous sortirons d’ici

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400
nous aussi ; sinon, nous y demeurerons. L’oiseau eut la constan-
ce de rester dans cet emplacement jusqu’à 4 heures du soir,
moment où un messager du Gouvernement venait avertir que le
danger de nouvelles explosions avait disparu.
Et dans notre Oratoire, qu’advint-il de particulier ? Une
poutre enflammée, longue de 6 à 7 mètres, tomba à quelques
pas de la petite maison de D. Bosco, qui, vu la mauvaise
construction, se serait renversée et aurait brûlé dans le même
temps, si la main de Dieu ne l’avait pas retenue, l’empêchant de
s’abattre sur elle. La nouvelle église, [dont la construction était]
encore fraîche, dont les coffrages avaient été enlevés peu de
temps auparavant et dont la voûte n’était pas encore entiè-
rement couverte de tuiles, aurait pu s’écrouler ou se fendre ;
mais la Divine Providence disposa que, bien qu’elle fût près
d’être bénie, elle n’eût cependant encore en place ni portes, ni
fenêtres. C’est pourquoi comme elle était ouverte sur tous les
côtés, le coup porté ne la secoua pas avec tellement de violence
et ne lui causa aucun dommage. Ce qui en souffrit beaucoup, ce
fut l’habitation qui reçut d’effroyables lézardes. Il n’est pas
nécessaire de dire que des vitres, il n’en resta même pas une ;
les fenêtres fermées furent ouvertes avec une si grande violence
que, claquées contre le mur, plusieurs se brisèrent en mille
morceaux. Une porte de la chapelle, du côté nord, et parce
qu’[elle était] gonflée par l’humidité de l’hiver, et parce que la
serrure en [était] rouillée, ne pouvait plus être ouverte depuis
plusieurs mois ; mais l’explosion enleva au sacristain tout souci,
parce que, non seulement elle l’ouvrit, mais elle l’arracha des
gonds, en la jetant au milieu de la chapelle. La même chose se
produisit dans une petite pièce au rez-de-chaussée, à laquelle on
donnait le nom de cellier. Ici également la porte fut arrachée du
mur, et pendant quelques jours les jeunes auraient pu y entrer
librement boire le vin jusqu’à la lie ; dommage : il n’y en avait
pas.
Mais un autre fait, qui tient de l’extraordinaire et même
du surhumain, fut celui que nous sommes sur le point de
présenter. Parmi les jeunes pensionnaires il y en avait un, d’en-

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401
viron 13 ans, ayant pour nom Gabriel Fassio, enfant de mœurs
parfaites et de piété éminente : il apprenait le métier de forge-
ron. D. Bosco avait prédit qu’il mourrait bientôt et il avait de
lui une grande estime et le proposait souvent comme modèle.
Quelquefois il s’écriait : [] Oh, comme il est bon ! [] Eh
bien, ce jeune garçon, un an avant l’explosion fatale, tomba
malade, et fut réduit à la dernière extrémité. Il avait déjà reçu
les secours de notre sainte Religion, lorsqu’un jour, comme
instruit d’en haut, de lui-même, il se mit à répéter : [] Gare à
Turin, gare à Turin Certains compagnons qui se tenaient à
ses côtés lui demandèrent : Et pourquoi gare ? Parce que
[la ville] est menacée d’un grand désastre. — Et lequel ? Un
horrible tremblement de terre. Quand est-ce que cela aura
lieu ? Une année prochaine. Oh ! gare à Turin le 26 avril. Que
devons-nous faire ? — Prier saint Louis de protéger l’Oratoire et
ceux qui y habitent.
Peu après il mourait saintement à l’Hôpital du Cottolen-
go. Vu ses rares vertus et l’accent, nous dirions, inspiré avec
lequel il prononçait ses gare, les jeunes gens de la Maison en
gardèrent une profonde impression et en accueillirent respec-
tueusement le conseil. Ce fut alors qu’à leur demande on ajouta
matin et soir dans les prières communes un Pater, un Ave et un
Gloria [Gloire au Père…] par l’intercession de saint Louis, avec
l’invocation : Ab omni malo libera nos, Domine [De tout mal
délivre-nous, Seigneur] ; dans nos Maisons cette pratique est tou-
jours en vigueur. L’Armonia [L’Harmonie] fit allusion à ce fait et
un journal impie en tira argument pour écrire que c’étaient les
prêtres qui avaient mis le feu aux poudres : insinuation scélérate,
qui en certains cas pouvait allumer de sanguinaires passions de
vengeance.
Le dommage matériel causé par l’explosion de la poudrière
fut immense : beaucoup de bâtiments aux alentours en souffrirent
tellement, que pour [une remise en état, au lieu de] les réparer il
fut nécessaire de les démolir. Compte tenu de cela fut instituée
par le Gouvernement une Commission spéciale chargée d’exa-
miner les maisons les plus endommagées et de distribuer une

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402
subvention aux propriétaires les plus pauvres, afin de les restau-
rer en fonction du besoin. La Commission se rendit également à
l’Internat de Don Bosco, et après avoir vu les dégâts qui y
avaient été faits, elle accorda 300 lires. De la chambre des
Députés aussi, lui en vinrent 200 autres (1).
Sur un fait encore nous ne devons pas garder le silence.
Après les deux explosions qui ont été décrites ci-dessus
et à l’annonce d’une troisième plus terrible qui semblait immi-
nente, beaucoup de personnes habitant les maisons plus ou moins
proches et plusieurs parmi les malades eux-mêmes qui à grand
peine pouvaient se tenir debout, s’étaient rendus dans un champ
près de l’Oratoire, presque en face de l’église en construction.
Là ils faisaient d’excellentes considérations sur la puissance, sur
la justice et sur la miséricorde de Dieu ; là les uns demandaient
pardon, les autres promettaient d’améliorer leur vie, d’autres se
recommandaient aux saints du ciel. Tous par ailleurs mani-
festaient la plus grande confiance dans la protection efficace de
la Vierge Marie ; c’est pourquoi ils rappelaient ses anciens ges-
tes de miséricorde envers Turin, c’est pourquoi ils l’invoquaient
dans ce terrible événement, c’est pourquoi ils récitaient le saint
Rosaire et faisaient résonner l’air de ses louanges. Or il est bon
—————
(1)
Chambre des Députés Bureau des Questeurs.
Turin, le 14 mai 1852.
Ce bureau de présidence ayant décidé qu’à l’occasion de la fête du
Statut, récemment célébrée, seraient prélevées sur les fonds de la
Chambre et distribuées au bénéfice de l’Institution des Apprentis, si
dignement dirigée par Vo[tre] S[eigneurie] Très ill[ustre], 200 lires, je
m’empresse donc de Vous en faire part, en Vous transmettant en même
temps un mandat de paiement pour la somme susdite, que V[otre]
S[eigneurie] pourra faire retirer n’importe quand auprès de m[onsieur] le
Secrétaire de ce bureau sur simple présentation du même mandat.
Je profite de l’occasion favorable pour exprimer à V[otre] S[eigneurie]
Très ill[ustre] les sentiments de ma profonde estime.
Le Questeur
VALVASSORI.

42.7 Page 417

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403
de réfléchir sur le fait que ce champ fut ensuite converti en
[emplacement] du Sanctuaire de Marie Auxiliatrice, auquel con-
tinuent à se rendre et même seulement [à laquelle continuent] à
s’adresser les affligés et les malheureux de toutes parts, pour en
recevoir secours et réconfort, et qui sont exaucés par Elle.
Pendant ce temps-là D. Bosco, revenu du lieu du désastre,
accueillait dans sa maison, en les réconfortant, des jeunes rem-
plis de terreur qui venaient, par bandes, d’autres institutions pour
se réfugier chez lui. Pendant des heures et des heures on enten-
dait le bruit des chariots qui transportaient ailleurs les barils de
poudre. Après le coucher du soleil, D. Bosco fit venir près de
lui ceux qui avaient été recueillis, marqués par la crainte de
quelque nouveau désastre au cours de la nuit, et avant de les
laisser aller au repos il les exhorta à être sages, tranquilles et à
avoir confiance en Dieu : il apporta de telles raisons qu’il les
rassura pleinement.
La représentation de Marie Immaculée, qui porte l’inscrip-
tion Auxilium Christianorum, ora pro nobis [Secours des Chrétiens,
priez pour nous] [], qu’il gardait alors dans sa chambre et que,
nous autres, nous conservons comme un trésor, nous montre le
motif de son assurance pleine de confiance.
En effet, en souvenir de la grâce, il faisait imprimer par
le lithographe Doyen 5 000 exemplaires d’une belle image qu’il
distribuait ensuite aux jeunes vers la fin de juin. Dans le fond
sont représentées la ville de Turin et la poudrière qui explose.
En haut la Vierge Consolatrice, assise sur les nuages et au
milieu des anges, dont on voit le sanctuaire parmi les maisons.
Sur le devant, des jeunes gens à genoux ou debout, les mains
jointes ou écartées, tournés vers Marie ; et un prêtre qui la leur
indique de la main droite, tandis qu’il tient la gauche sur l’é-
paule d’un enfant, qui contemple comme en extase Notre-Dame.
On y lit deux inscriptions.
AU-DESSUS DE L’IMAGE : Dans les dangers et dans les besoins
recourez à Marie.
AU-DESSOUS DE L’IMAGE : Les enfants de l’Oratoire
S[aint]-François de Sales à Marie Consolatrice :

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404
« Nous, qui aux poudres enflammées
« Par tes soins avons pu échapper,
« A tes pieds, grande Vierge,
« Prosternés, nous rendons grâce ».
Mais cela ne suffisait pas à le satisfaire entièrement : il
voulut témoigner au Seigneur sa gratitude par un geste d’une
singulière générosité. On lit dans le numéro 56 de LArmonia
[L’Harmonie], du mardi 11 mai 1852.
« Le Comité directeur de la Loterie d’objets au bénéfice de
l’église qu’on est en train de construire à Valdocco pour l’ins-
truction religieuse et morale des jeunes, lors de la séance du six
[du mois] courant, reconnaissant comme une faveur spéciale du
Ciel le fait qu’ont été conservés intacts les murs du nouvel
édifice, bien que très proches du lieu du désastre qui s’est
produit au Faubourg de la Doire, et ne sachant pas mieux
exprimer sa gratitude envers la Divine Providence si ce n’est en
venant à l’aide de ce merveilleux hôpital qui tire son titre de
cette même [Divine Providence], et qui fut si endommagé lors de
l’accident qui est arrivé, a décidé que la moitié du gain net
accordé par les lois sur la Loterie de charité publique doit
désormais passer au profit de l’Œuvre Cottolengo.
» On atteindra ainsi un double but auprès des personnes généreuses
et bienfaisantes qui voudront encore envoyer quelque objet pour
enrichir la collection déjà abondante ou voudront acheter les bil-
lets qui sont encore disponibles : le bien de la jeunesse pauvre
qui pourra dans la nouvelle Eglise être éduquée à la piété et à
la vertu, et le secours [apporté] à un établissement qui, si l’on
considère ses débuts et si l’on considère sa conservation, est un
miracle de la Providence.
» L’exposition publique continuera tous les jours de 10 heures
du matin à 6 heures du soir, dans le local habituel rue de la
Basilique, N° 3, au 1er étage ; au début de juin aura lieu le
tirage public ».

42.9 Page 419

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405
CHAPITRE XXXV
Le mois de mai à l’Oratoire Lettre de D. Bosco à l’Evêque
de Biella Les Evêques et la Loterie Séance, [portant sur leurs]
études, donnée par les jeunes des cours du soir Eloge de
LArmonia [L’Harmonie] Approbation de l’Abbé Aporti Juge-
ment d’un émigré politique sur l’œuvre de D. Bosco.
La prodigieuse préservation [contre les effets] de l’ex-
plosion de la poudrière allumait de plus en plus la dévotion des
élèves de D. Bosco envers Notre-Dame. Déjà jusqu’à présent,
pendant le mois de mai on faisait tous les jours dans la chapel-
le de l’Oratoire quelques pratiques de piété en son honneur ; et
spécialement le samedi quelque lecture de ses gloires ou un petit
sermon. Mais c’est à partir de cette année que commença la
coutume de lui offrir, dans les dortoirs, régulièrement chaque
soir, pendant le mois des fleurs naturelles, des fleurs spirituelles.
Chaque soir D. Bosco annonçait l’effort spirituel et l’oraison ja-
culatoire pour le lendemain.
L’amour pour Marie rendait plus vive en lui la recon-
naissance envers les bienfaiteurs qui en favorisaient la gloire, et
il écrivait une lettre précieuse à Mgr Losana, Evêque de Biella.
Très ill[ustre] et Très rév[érend] Monseigneur,
Pénétré des sentiments de la plus vive gratitude envers la Divine
Providence, qui a daigné susciter dans la personne de V[otre] S[ei-
gneurie] Très ill[ustre] et Très rév[érende] un éminent bienfaiteur

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406
de l’Oratoire S[aint]-François de Sales, je Vous remercie humble-
ment, Monseigneur, d’avoir avec tant de zèle, par votre circulaire
spéciale du 13 septembre de l’année dernière, recommandé mon
église à la charité de vos fidèles diocésains. Les offrandes con-
stituant la gentille somme de mille lires, que je déclare avoir
reçue de Vous, sont une preuve évidente que tous reconnurent la
nécessité de maintenir intacte la moralité de la jeunesse et d’en
encourager l’instruction chrétienne, et c’est pourquoi remplis de
bonne volonté ils ont répondu à la pieuse attente de leur Pas-
teur. Soyez donc heureux, Monseigneur, d’avoir accompli ce
bienfait en faveur de la jeunesse turinoise, et réjouissez-Vous,
parce qu’il tourne aussi à l’avantage de très nombreux jeunes de
votre diocèse, qui, devant passer une partie notable de l’année
dans la capitale en raison de leur métier, fréquentent en nombre
considérable et de façon exemplaire cet Oratoire pour s’amuser,
s’instruire et sanctifier les jours dédiés au Seigneur.
Vous Monseigneur, Vous savez que, malgré les généreuses
offrandes de personnes pieuses et charitables, vinrent à me man-
quer les ressources pour continuer l’édifice sacré, mais la Divine
Providence me tendit une main bienveillante et sut me procurer
de nouvelles ressources au moyen d’une Loterie d’objets. A pei-
ne annoncée, celle-ci fut accueillie favorablement par la charité
publique et, en très grand nombre, des personnages distingués et
des dames méritantes y prirent part avec un zèle véritablement
catholique et l’encouragèrent de sorte que, grâce à eux, les dons
furent en abondance au-delà de toutes mes attentes, soit pour
leur valeur, soit pour leur nombre, si bien qu’au jour d’aujour-
d’hui ils s’élèvent à plus de trois mille cent ; j’espère à présent
que me sera continué le service des personnes charitables et
aisées à travers l’achat des billets dont dépend seulement la
réalisation de la sainte œuvre.
Ainsi réconforté et aidé, je suis content de Vous annoncer que
les travaux de construction sont continués avec toute l’activité

43 Pages 421-430

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43.1 Page 421

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407
possible, et j’ai confiance dans le Seigneur que le 20 juin pro-
chain, jour dédié pour nous à Marie Consolatrice, l’on pourra,
afin de répondre au besoin dont nous éprouvons l’urgence, en
allant dans la nouvelle église, la bénir et y célébrer les cérémo-
nies sacrées. Vous, ô Monseigneur, imaginez-Vous la joie et la
consolation dont dès à présent je suis pénétré à la seule pensée
de la solennité qui aura lieu en ce jour attendu si impatiem-
ment !
Je ne peux, comme je le voudrais, témoigner ma gratitude à
V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très rév[érende] et à vos
diocésains, et pour les offrandes et pour avoir efficacement
favorisé la loterie : c’est pourquoi mon soin empressé sera d’ac-
cueillir avec la plus grande affection tous les jeunes du pays de
Biella qui fréquenteront l’Oratoire et je n’épargnerai rien en fa-
veur de ceux qui voudront profiter des écoles et de l’instruction
religieuse.
Ce que je peux et ne manquerai pas de faire, c’est de m’unir
aux jeunes, qui d’une certaine manière me sont confiés par la
Divine Providence, et de prier avec eux constamment le Sei-
gneur Dieu de récompenser largement par ses bénédictions V[otre]
S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très rév[érende], et tous ceux qui
dans leur charité contribuèrent et contribuent de quelque manière
que ce soit à cette œuvre de bienfaisance. Permettez-moi,
Monseigneur, de Vous prier encore de bien vouloir continuer
votre protection efficace envers l’Oratoire et de bénir la nouvelle
église, la loterie, et tous les enfants de l’Oratoire, et avec eux
également ma personne, [moi] qui parmi tous en ressens un plus
grand besoin.
Daignez, en attendant, agréer les sentiments de ma sincère
gratitude, de la plus profonde et respectueuse vénération avec
laquelle j’ai l’honneur de me déclarer
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très rév[érende]
Turin, 4 mai 1852.
Très hum[ble], Très dév[oué], Très ob[éissant] Serviteur
BOSCO JEAN Pr[être].

43.2 Page 422

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408
Entre-temps la succession des travaux pour la loterie
n’arrêtait pas un seul instant. Les Evêques du Piémont avec une
charité admirable s’étaient placés au rang des organisateurs et ils
écrivaient à D. Bosco comme suit.
« Je verrai si l’on peut distribuer les 200 billets qui m’ont été
transmis par V[otre] S[eigneurie] T|[rès] R[évérende] et, au cas où
je n’arriverais pas à les écouler tous, comme je le crains, je
Vous les retournerai avec le montant des [billets] distribués avant
le 20 du [mois] courant. En attendant, me recommandant à vos
prières et priant le Seigneur de bénir vos travaux…
Alba, 2 mai 1852.
C. M. E[vêque] ».
« V[otre] S[eigneurie] T|[rès] R[évérende] a parfaitement bien fait de
m’envoyer 300 billets de sa Loterie. Depuis très longtemps j’é-
prouvais un ardent désir d’en avoir et je ne savais pas comment
me les procurer. Je commence par en prendre moi-même 100 et
je m’efforcerai de vendre les 200 autres, et je m’empresserai de
Vous transmettre le montant, et, si c’en était le cas, de Vous en
demander d’autres.
Par ailleurs, venant pour quelque circonstance à Turin, je vous
prie dès à présent de me permettre de visiter cet Oratoire qu’on
est en train de construire, ainsi que les autres Oratoires dont
Vous me parlez et que jusqu’à présent je ne connais pas.
En attendant, priant [pour que sur] Vous [viennent] du Seigneur
toutes les plus abondantes bénédictions que ne peut manquer
d’attirer sur votre tête la sainte Œuvre avec laquelle Vous Vous
êtes dédié, je me déclare…
Saluzzo, 4 mai 1852.
JEAN Archev[êque] Evêque ».
« J’ai reçu la lettre pleine d’amabilité de V[otre] S[eigneurie]
Très ill[ustre] et Très rév[érende] du 13 du mois courant et les
billets de loterie au nombre de trois cents qu’elle contenait
inclus. Daignez inscrire à mon compte que je dois la valeur des
billets en question pour la somme de 150 fr[ancs] que je Vous

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409
ferai payer à la première occasion favorable qui se présentera à
moi.
Que le Seigneur bénisse toutes les sollicitudes de V[otre] S[ei-
gneurie] pour élever à son culte une nouvelle église et agréez…
Vigevano, 21 mai 1852.
PIE-VINC[ent], Evêque ».
« J’ai reçu, en même temps que la lettre appréciée de V[otre]
S[eigneurie] T|[rès] R[évérende] du 21 [du mois] courant, le paquet
contenant 200 billets de la loterie connue de beaucoup et, bien
qu’il ne soit pas possible de pouvoir [sic] les vendre ici tant
pour les circonstances des temps qu’en raison de l’extraordinaire
misère qui y règne et devient de plus en plus grande, toutefois,
comme il s’agit de la construction d’une église, je les garderai
tous, et la semaine prochaine je Vous procurerai l’encaissement
du montant total, soit cent lires.
Acqui, le 24 mai 1852.
F[rère] MODESTE, Evêque ».
« Avant la réception des 200 billets que V[otre] S[eigneurie]
T[rès] R[évérende] et Très est[imée] m’a envoyés, 200 autres
étaient déjà parvenus dans cet Evêché, et j’avais déjà pris les
dispositions pour en acheter un assez bon nombre de dizaines :
c’est pourquoi je n’ai pas beaucoup d’espoir qu’on puisse encore
vendre ceux que Vous avez daigné m’envoyer. Je ferai tout le
possible, mais, je le répète, je n’espère pas que le résultat
corresponde à ma bonne volonté. Dans ce cas il ne me restera
plus qu’à retourner en temps utile à V[otre] S[eigneurie] les billets
non distribués.
En attendant, je me recommande à vos ferventes prières…
Mondovì, 7 juin 1852.
Fr[ère] J[ean]-THOMAS Evêque ».
« En plus des 100 billets que j’ai déjà pris pour mon compte, j’ai
également reçu ceux que Vous m’avez envoyés par la diligence :
je les ai déjà remis à diverses personnes pour qu’ils soient dis-

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410
tribués ; je ferai tout ce que je pourrai pour favoriser la chose.
A moi aussi il déplut beaucoup de n’avoir pu assister à votre
séance ; je viendrai une autre fois.
Priez pour moi [en demandant] que le Seigneur me redonne la
santé : continuez envers moi votre affection…
Fossano, 28 mai 1852.
L[ouis] E[vêque] ».
La séance [portant sur les] études, à laquelle fait allusion
Mons[eigneur] l’Evêque de Fossano, s’était déroulée à l’Oratoire
S[aint]-François de Sales. D. Bosco au moyen d’une lettre cir-
culaire avait envoyé aux bienfaiteurs et à d’autres éminents
personnages l’invitation suivante.
Très ill[ustre] Monsieur,
L’empressement avec lequel V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] a
daigné prendre part aux affaires qui concernent le bien de
l’Oratoire fera, je l’espère, que ne Vous sera pas désagréable la
présente invitation par laquelle je Vous prie de venir dimanche
prochain, le 16 de ce [mois de] Mai, de 2 heures à 5 heures de
l’après-midi, pour honorer de votre présence la séance que les
jeunes de nos cours du soir donnent à propos de leurs études, de
modeste importance, accomplies durant cette année scolaire.
Vous ne verrez pas de grandes choses, mais Vous apercevrez
sans aucun doute le bon cœur et la bonne volonté de nos jeunes
gens rencontrés là.
Le programme de la séance est :
1° Lecture et écriture. — Eléments d’arithmétique, de système
métrique et de grammaire italienne. Chant avec musique.
2° Un peu de géographie sacrée, d’histoire sainte du nouveau
testament. Chant avec musique.
3° Deux dialogues scéniques : voyages en Palestine. Un
jeune non récompensé. Divers morceaux choisis et quelques
poésies seront déclamés et placés entre les différentes branches
d’enseignement.

43.5 Page 425

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411
Persuadé que Vous voudrez bien agréer cette humble invitation
de ma part, je Vous remercie de tout ce que Vous avez fait et
que, je l’espère, Vous voulez bien continuer à faire en faveur de
ces jeunes dont je m’occupe, et je Vous offre mes plus sincères
remerciements en me disant avec un total respect
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
Turin, 14 mai 1852.
Très obl[igé] serviteur
BOSCO J[ean] Pr[être].
D’illustres professeurs, parmi lesquels Aporti, plusieurs
membres de la Mairie, d’autres [invités parmi] les nobles et les
personnages distingués, et Monseigneur Calabiana, Evêque de
Casale, honorèrent de leur présence la réunion. Il n’est pas à
dire combien était grande la surprise de l’assistance, lorsqu’elle
écoutait les déclamations données avec aisance et naturel, les
chants et les sons émis par ces braves jeunes du peuple qui,
endurcis dans les travaux et dans le difficile exercice des plus hum-
bles métiers, montraient que sous le vêtement rêche se trouve
plus d’une fois une intelligence éveillée. Les applaudissements,
qui fréquents et prolongés accueillaient leurs réponses aux
diverses et parfois non faciles interrogations, étaient une preuve
certaine de la satisfaction générale.
L’étonnement grandissait ensuite car, pour la plupart, les
assistants, qui étaient venus avec la pensée d’assister à une séance
donnée par des enfants, y trouvèrent des jeunes dans la pleine vigueur
de l’âge, qui, ne se laissant pas entraîner par les mauvais exemples des
garçons de leur âge, dédiaient à l’étude le temps qui leur res-
tait après le travail, et que d’autres gaspillent dans la débauche.
Pour sûr, maîtriser dans la jeunesse l’impulsion puissante qui la
porte à des amusements et la tourner au contraire vers l’étude
patiente et sérieuse ne sont pas un labeur aisé ! Mais ce qui,
dans la méthode d’instruction, est ardu pour ceux qui nous sou-
tiennent est facile pour le prêtre catholique, qui n’a pas d’autre
méthode que celle que lui suggère la charité chrétienne. Lorsque

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412
vous voyez quelques centaines d’apprentis qui renoncent aux di-
vertissements pour écouter la voix d’un bon et vrai prêtre,
demandez-vous : Qu’est-ce qui retient cette génération ardente, et
si assoiffée de liberté ? L’amour qu’ils ont pour leur père en
[Jésus] Christ. Et qu’est-ce qui nourrit et suscite cet amour
envers leur père ? L’amour que celui-ci nourrit pour ses fils ! Et
ces deux amours-là se font identiques dans l’amour de Jésus
Christ (1).
Nous nous rappelons avoir appris que l’Abbé Aporti, Sé-
nateur du Royaume, enchanté des réponses promptes et exactes
que donnaient ces jeunes apprentis, eut à dire que l’on n’aurait
pu rien attendre de plus non seulement de jeunes gens qui toute
la journée avaient manié la truelle ou l’alêne ou l’aiguille, mais
de ceux-là mêmes qui passaient la majeure partie de l’année sur
les bancs d’une école, suspendus pendant plusieurs heures aux
lèvres d’un maître. — A la fin on distribua les récompenses qui
ne consistèrent pas seulement en applaudissements, mais en di-
vers objets utiles fournis par les bienfaiteurs.
Cette séance récréative et culturelle resta même célèbre
pour la raison suivante : comme on voulait dissiper l’accusation
faite à l’Oratoire à propos de la politique, un jeune garçon dé-
clama une longue poésie, en dialecte piémontais, composée par
D. Bosco ; elle commençait ainsi :
Nui parluma nen d’politica
A le niente nost’affè :
E nui fumma mac la critica
Al pan brun del panatè.
[Nous ne parlons pas de politique,
En rien pour elle engagés :
Et nous ne faisons que la critique
Du pain bis du boulanger].
Une noble dame, qui n’avait pu assister à cette petite
fête, en manifesta à D. Bosco sa peine.
—————
(1) Voir L’Armonia [L’Harmonie], mardi 18 mai 1852.

43.7 Page 427

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413
De ma villa de Chieri, 23 mai 1852.
Très Révérend Monsieur,
L’honorable invitation de V[otre] S[eigneurie] T[rès] Rév[éren]de
ne m’est parvenue qu’hier soir à cause seulement de l’incurie
habituelle du concierge, et j’en suis d’autant plus désolée, car
j’ai dû Vous paraître non seulement impolie, mais ingrate, en
n’apparaissant pas à la très intéressante réunion et en ne Vous
exprimant pas au moins, comme il était de mon devoir, les plus
sincères remerciements. Je prie V[otre] S[eigneurie] de me par-
donner mon absence involontaire, et de m’accorder l’espoir
d’admirer en une autre occasion votre sainte Œuvre.
Je Vous prie, en attendant, d’accepter un document dans lequel
un jeune Av[oca]t, émigré politique, a voulu faire connaître à
l’Italie comment, par la grâce de Dieu, s’est renouvelé, chez
nous, le grand exemple des Calasanz et des Vincent de Paul :
car le prêtre, lorsqu’il suit les maximes de l’Evangile, est estimé
et vénéré comme il le mérite, et par tous indistinctement ; et
même par ceux qui, peu soucieux de la religion, le devien-
draient, si d’une façon plus générale étaient suivies par le clergé
les traces charitables d’un Dieu Sauveur. — Et, en renouvelant à
V[otre] S[eigneurie] T[rès] Rév[éren]de mes plus vifs remercie-
ments pour le grand honneur [que Vous m’avez fait] en ayant eu
un souvenir pour moi en dépit de ma petitesse, je suis heureuse
de me dire avec le respect et la vénération les plus profonds…
De V[otre] S[eigneurie] Très Rév[éren]de
Très obl[igée] et Très dév[ouée] Servante
OCTAVIE MASINO-BORGHESE.
Bien que la critique adressée au clergé dans ce docu-
ment ne soit pas juste, nous l’avons présenté ici parce que les
éloges faits à D. Bosco sont vrais, pour que soient compris l’es-
prit et les opinions de cette époque et parce que les émigrés
politiques avaient des devoirs de reconnaissance envers l’Ora-
toire.

43.8 Page 428

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414
CHAPITRE XXXVI
Charité de D. Bosco envers les pauvres Quelques témoigna-
ges Les émigrés politiques Le saltimbanque François
Crispi Autres réfugiés ayant reçu des bienfaits Ruse non
réussie Action de bienfaisance sur le plan spirituel.
« Ne rejette pas la prière du malheureux éprouvé ; et
tu seras comme le fils obéissant du Très-Haut qui sera bon avec
toi plus qu’une mère (1) ».
Donc l’invitation et la promesse de l’Esprit Saint ajoutaient
une flamme à la charité de D. Bosco envers son prochain. Combien de
jeunes furent recueillis par lui tout à fait gratuitement. Combien
d’orphelins se présentèrent à lui pour des secours et il les accueillit
parmi ses fils. Combien furent acceptés par lui à la suite de promes-
ses des bienfaiteurs ou des parents qui auraient versé mensuellement
une très petite quote-part ; et s’il arrivait que celle-ci n’était pas
payée, il les garda toutefois, pourvu qu’il les vît accomplir exacte-
ment leur devoir. Et combien appartenant à l’Oratoire reçurent
des chaussures, des vêtements, de la nourriture et un métier.
Mais tout pauvre qu’il était, affirme D. Rua, il étendait son
action généreuse de bienfaisance également aux adultes étrangers
à sa maison. « La bonté de son cœur, a dit Mgr Cagliero, n’avait
pas de limites. Très sensible aux malheurs d’autrui, il était rempli
—————
(1) [Si] 4,4.[10].

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415
de compassion pour les pauvres et les personnes souffrantes, et
l’amabilité et la douceur envers eux furent les vertus qui le carac-
térisèrent pendant toute sa vie. Cette charité qui fut la sienne fut
quelque chose d’admirable, et d’autant plus [admirable] si l’on
tient compte de l’époque calamiteuse où il vécut. C’est un grand
nombre de ceux qui manquaient tout à fait de ressources, pour
se procurer par eux-mêmes de quoi vivre, qu’il accueillit à dif-
férents moments dans sa maison, ou provisoirement jusqu’à ce
qu’ils eussent trouvé une occupation utile ou même définitive-
ment ; pour d’autres, il cherchait à les faire rentrer dans des
institutions de bienfaisance ».
Il ne lui arrivait jamais de prendre congé des pauvres
sans [leur laisser] un secours. « Je me rappelle, dit D. Piano,
qu’un jour, alors que, moi, j’étais étudiant de morale à Turin et
que je me trouvais avec Don Bosco, nous rencontrâmes un
pauvre qui lui demanda l’aumône. D. Bosco n’avait pas d’argent
sur lui, comme cela se produisait fréquemment pour lui ; c’est
pourquoi il s’adressa à moi et me demanda si j’avais de l’ar-
gent. Comme je lui avais répondu en ouvrant mon portefeuille,
et qu’il avait vu que j’avais un billet de deux lires, il me pria
de le donner à ce pauvre avec la promesse de me le rendre. En
effet, quelques mois plus tard il me dit qu’il avait une dette en-
vers moi, faisant allusion à ce billet de deux lires, et il me le
présenta. Moi, cependant je ne l’acceptai pas, heureux de pou-
voir coopérer à sa charité ».
D. Dalmazzo écrivait : « J’ai vu moi-même plusieurs fois
Don Bosco donner de très grosses aumônes, spécialement lorsqu’il
s’agissait de personnes déchues ou de femmes abandonnées. Entre
autres fois je l’ai vu distribuer des écus, des pièces de vingt lires, et
plus de trois fois des billets de cent lires. Cela arrivait spéciale-
ment lorsqu’il s’agissait d’apostats revenus à la foi et privés de
moyens de subsistance ; ou bien de personnes non catholiques
entrées dans le giron de l’Eglise et privées de soutien ».
D. Berto ajouta : « En 1874, j’accompagnais D. Bosco.
Un pauvre homme lui demanda l’aumône ; déjà d’autres l’avaient ob-
tenue auparavant. D. Bosco s’adressa à moi pour avoir quelques sous

43.10 Page 430

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416
à lui donner ; mais comme je n’en avais pas sous la main et
que par ailleurs je lui faisais remarquer qu’était trop grand le
nombre des pauvres qui s’approchaient pour pouvoir les satisfaire
tous, il me dit : Ne sais-tu pas qu’il est écrit : Date et da-
bitur vobis [Donnez et il vous sera donné] ? ».
Quand il lui tombait sous les yeux une misère, il cher-
chait toujours, pour autant qu’il le pouvait, à s’en occuper. Un
jour, il était avec D. Rua et D. Dalmazzo dans l’une des rues
principales de Turin. Et voici un garçon maçon, qui traînait une
charrette surchargée et il s’en sentait incapable ; et il le montrait
en pleurant. D. Bosco sans rien dire à ses compagnons, les quit-
te et à leur étonnement ils le voient pousser cette charrette
pendant un temps assez long.
Dans les créatures il contemplait leur Créateur et ne fai-
sait pas de distinction de personnes, en apportant les effets de
son activité bienfaisante à tous, aux riches tout autant qu’aux
pauvres, que ce fût pour une aide spirituelle ou pour une aide
corporelle. Il ne regardait pas aux erreurs, aux fautes, aux ini-
mitiés, aux ingratitudes, aux opinions opposées [aux siennes] ou à
quel parti appartenaient les suppliants. Ni les [sentiments de] sym-
pathie ni [ceux d’]antipathie ne prévalaient en lui. Si l’on pouvait
dire qu’il avait quelque prédilection, c’était pour les plus misé-
rables et pour ceux-ci, avant même d’ouvrir son Internat, il était
d’une générosité admirable, comme déjà nous le répétait D. Re-
viglio. De 1849 à 1860 une nouvelle catégorie de personnes eut
à ressentir les effets de ses actions de bienfaisance et ce fut
celle des émigrés politiques, venus dans le Piémont depuis diffé-
rents états d’Italie et spécialement depuis les terres de Vénétie et
de Lombardie pour se soustraire aux rigueurs des gouvernements
remis en place.
Le premier de ces [émigrés politiques] fut un notaire de Pavie,
qui avait exposé à des risques la condition aisée de sa famille, et à
présent pour vivre il donnait un spectacle sur la place S[aint]-Charles,
à Turin. Il avait dressé un bon nombre de canaris à faire des jeux
singuliers. Il les plaçait sur une table et, à un signal de sa part,

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44.1 Page 431

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417
l’un d’eux chantait, tandis que tous les autres gardaient le silen-
ce. Ensuite il faisait faire une compétition entre deux de ces petits
oiseaux et les efforts de chacun pour vaincre par le chant l’ad-
versaire étaient singuliers. Parfois tous ensemble ils chantaient en
chœur, puis un seul continuait ; ensuite le chœur reprenait ses
airs modulés jusqu’au moment où, ayant fait silence, il en lais-
sait deux faire entendre leurs trilles harmonieux ; en dernier lieu
un grand chœur final terminait la musique. Une foule immense
assistait aux prouesses de ces petits chanteurs, qui se taisaient,
chantaient, en solo ou à l’unisson, sur un signe de leur dresseur.
On se souvient avec un plaisir particulier d’une scène à
laquelle ils donnaient lieu avec un comique digne d’artistes.
Deux canaris entraient en scène [en se plaçant] l’un en face de
l’autre, portant une petite épée en carton attachée à l’une de
leurs petites pattes, et ils commençaient le duel. Mignon leur
geste pour lever l’épée et frapper l’adversaire. L’un, ayant été
touché, boitait comme s’il était blessé. L’autre allait et venait
autour de lui tandis que le blessé tournait sur lui-même en
surveillant les mouvements de l’ennemi. Finalement l’assaillant
levait sa petite patte et faisait tomber un second fendant et
l’autre, touché, se laissait choir comme mort, en demeurant
immobile. Tous les autres canaris, entrant alors en scène de tous
côtés, couraient autour de lui et, en chantant sur un ton plaintif,
tournaient de façon confuse. Ensuite ils le prenaient avec leur
bec et le traînaient sur un petit objet proéminent, placé au mi-
lieu de la table ; et, tandis que le faux mort restait toujours
immobile, avec leur bec ils étendaient sur lui un petit [morceau
de] papier en forme de drap mortuaire et sur ce papier ils
posaient du foin qui était rangé dans un coin de la table. Après
avoir ainsi enseveli et enfoui leur compagnon, ils s’enfuyaient
jusqu’aux extrémités de la table avec des mouvements de tête,
avec des airs modulés entrecoupés et lents, donnant l’apparence
de l’horreur et de la douleur, et là ils levaient le bec comme
pour voir la sépulture et, en remuant sans cesse la tête, ils
reprenaient le chant funèbre. Mais, tout d’un coup, le mort jetait

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418
loin de lui le papier et le foin, d’un bond se mettait debout et
commençait un joyeux air modulé. Alors tous les autres canaris
couraient autour de lui et lui faisaient écho avec un chant d’al-
légresse.
Si on ne l’avait pas vu, il semblait qu’il fût impossible
d’arriver à dresser et à rendre obéissante à ce point une famille
d’oiseaux. D. Bosco en avait entendu parler ; c’est pourquoi,
tandis qu’il rassemblait des jeunes pour les conduire à l’Oratoire
à Porta Nuova, à son passage sur la place S[aint]-Charles, il
s’était arrêté quelque temps pour s’assurer de l’habileté de ce
notaire. Il se produisit alors une aventure étrange. Alors que ces
canaris s’enfuyaient si quelque spectateur venait trop près, ils ne
s’effrayèrent pas à l’approche de Don Bosco, mais ils volèrent
sur ses épaules, sur ses bras et sur sa main, et se laissèrent
caresser par lui. Il ne tarda pas à devenir ami avec le saltim-
banque, le faisant s’intéresser à raconter les différents moyens
employés pour dresser les oiseaux, les nombreux essais effectués
avec diverses espèces, et spécialement la réussite avec les cana-
ris, qui plus que tous se prêtèrent facilement à ses dressages.
L’art de D. Bosco pour s’attirer l’affection des personnes résidait
en ceci : encourager leur génie. C’est pourquoi ce notaire vint de
nombreuses fois à Valdocco, et fut par [D. Bosco] invité à faire
ses Pâques et à envoyer à l’Oratoire l’un de ses jeunes garçons
qui l’avait accompagné dans l’exil.
Il était très content de sa réussite dans cet exercice et de
l’amitié avec D. Bosco, mais vinrent le frapper la méchanceté et
l’envie. Un matin il trouva tous les canaris morts asphyxiés dans
leur cage : un homme méchant y avait introduit une épaisse fu-
mée de tabac. D. Bosco voulut prendre sur lui une partie de la
dépense pour l’entretien du fils de cet homme malheureux, et le
jeune garçon, venu à l’Oratoire, disait à D. Bosco : Mon pè-
re avait travaillé si durement pour dresser ces oiseaux ! Comme
il a souffert à cause de cette mauvaise action !

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419
Le deuxième émigré que D. Bosco secourut était quelqu’un
qui remplirait le monde de sa réputation. En 1852, d’Azeglio et
Cavour n’avaient pas encore pour les émigrés politiques cette ten-
dresse dont ils firent preuve quelques mois plus tard. On avait
proposé à François Crispi d’écrire dans Le Risorgimento, organe
officieux de couleur modérée, si modérée qu’il comptait parmi
ses abonnés un bon nombre de catholiques sincères ; mais Crispi
refusa de façon énergique. Il avait ensuite demandé le poste de
secrétaire de mairie à Verolengo : il ne lui fut pas accordé.
Crispi connut alors la misère. Un jour à Turin il s’arrêta au
passage d’un groupe d’enfants accompagnés par D. Bosco qui,
ayant remarqué les traits empreints de souffrance de cet obser-
vateur et comprenant qu’il avait faim, l’invita à [venir] chez lui
et lui donna à manger. Pendant un mois et demi, il le faisait
souvent asseoir à sa table ; et il s’entretenait avec lui de ses
vastes projets pour l’éducation de la jeunesse, car il voyait que
le pauvre émigré n’avait pas encore pu, au cours de son existence
agitée, se soustraire complètement à l’influence de sa première
éducation chrétienne. Crispi avait loué une petite pièce auprès de
Notre-Dame de Consolation, et D. Bosco chargeait parfois M. Bar-
getti, originaire de Castelnuovo, de lui apporter le repas de midi.
Il lui donna en outre de l’argent, et un jour, ayant vu que
désormais ses chaussures étaient usées, il chargea son cordonnier
de lui en apporter en cadeau de sa part une paire de neuves.
Crispi se confessa aussi à D. Bosco et il passa avec lui un grand
nombre de dimanches et de jours de fête. Il eut ainsi l’occasion de se
pencher sur les miracles qui accompagnent la foi et la charité chré-
tiennes, en en ressentant lui-même les bienfaits, qu’il n’oublia
jamais, bien que pendant de longues années il ne donnât pas
signe de s’en souvenir. Lorsque, après un changement de fortune, il
revint à Turin et qu’il eut pris un logement dans un appartement
de grand standing, une dame, qui l’avait secouru aux temps d’in-
fortune, alla lui rendre visite pour le féliciter ; mais il ne voulut

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420
pas la reconnaître. Don Bosco cependant ne lui donna pas signe
de vie ; lui, il connaissait et estimait les hommes avec justesse.
Egalement un certain M… fut accueilli par D. Bosco à
l’Oratoire, tandis qu’il était dépourvu du nécessaire. Certaines
gens cependant ne changent pas de mœurs, car leur cœur endur-
ci n’est plus sensible aux influences salutaires de la religion.
M… fit voir au jeune Francesia un cahier de souvenirs de sa
vie, où l’on décrivait des gestes peu honorables et érotiques.
Francesia en référa à D. Bosco, qui aussitôt décida de l’enlever
du milieu des jeunes. Toutefois il n’eut pas le courage de le
jeter à la rue, et en 1853 il le fit s’établir dans deux pièces
qu’il avait louées dans [l’Auberge de] la Jardinière. C’était un
membre de secte, qui eut ensuite un emploi lucratif comme
rédacteur de LOpinione [L’Opinion]. Pesaient même sur lui de
graves soupçons [laissant entendre] qu’il était un délateur. Se
trouvant en compagnie d’un ami, il rencontra un jour Francesia,
qui était désormais jeune abbé, et, en se donnant des airs d’im-
portance, il dit à l’autre : — Voici l’un des futurs espoirs de la
patrie ! Avec le cahier de ses souvenirs il avait sans doute
essayé de commencer une éducation patriotique ! Mais, une fois
le scandale enlevé, D. Bosco continuait sa charité par amour de
N[otre] S[eigneur] Jésus Christ.
A ces trois [émigrés] il faut en ajouter un quatrième.
Notre confrère D. Caimo nous écrivit ceci : « Un célèbre Pro-
fesseur d’un Institut Supérieur dont le nom m’a échappé eut à
me déclarer ce qui suit.
Je faisais mes études à Turin. J’étais endetté, et je ne sa-
vais pas à qui m’adresser pour vivre. Je me rendis à l’Oratoire.
Je m’ouvris à D. Bosco et le priai de venir à mon secours. Je
l’aurais payé de retour en faisant un peu de classe à ses
garçons. D. Bosco m’accueillit avec une bonté plus que
paternelle, me secourut comme il put, dit que l’Oratoire était
ouvert pour moi…… mais à la condition, quant à moi, de
m’adapter à la vie commune et d’en accomplir les devoirs……

44.5 Page 435

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421
Vous comprendrez que mes idées, religieuses comme politiques,
disait le professeur, étaient et sont diamétralement opposées [à celles]
de mon bienfaiteur prêtre. Je ne pus rester avec lui ; mon édu-
cation, mes convictions regimbèrent. Je m’en allai, mais avec la
persuasion et la certitude que D. Bosco était un homme singu-
lier, un connaisseur sagace et profond des hommes, un véritable
et très habile éducateur. Moi, cette conviction, je l’ai encore et
je ne rougis pas à le reconnaître et à le déclarer mon bienfai-
teur, et à le proclamer un grand italien et un saint prêtre [] ».
Il apparaît évident que la charité de D. Bosco était sem-
blable à la bonté du Père céleste, qui fait se lever le soleil et
tomber la pluie aussi bien pour les justes que pour les pécheurs.
Toutefois il y eut des émigrés politiques qui lui donnèrent une
grande consolation. Vint frapper à la porte de l’Oratoire, et y
demeura pendant longtemps, le Pr[être] D. Zattini, homme savant
et professeur de philosophie, qui à Brescia avait été pendu en
effigie, condamné pour rébellion. Jamais à l’Oratoire la moindre
parole de politique n’échappa de ses lèvres et volontiers il ac-
cepta de faire classe [pour enseigner] la lecture et l’écriture aux
frustes jeunes externes. Il était, quant à lui, un modèle d’humi-
lité et de piété.
Vint aussi chercher refuge le jeune musicien de talent,
Suttil Jérôme, recherché à Venise par la police pour des paroles
imprudentes. Il se mit à aimer D. Bosco, égaya pendant de nom-
breuses années l’Oratoire avec ses chansons vénitiennes, et, après
être allé en France, il revint à Valdocco, toujours fervent chré-
tien, et là il finissait ses jours. Nous omettons quelques autres.
D. Bosco cependant avait, semblait-il, une intuition spé-
ciale pour distinguer les vrais pauvres de ceux qui faisaient
semblant de l’être. Un soir, à une heure déjà avancée, D. Bosco
se promenait dans une rue de Rome située à l’écart, faiblement
éclairée par un réverbère, lorsqu’une femme s’approcha de lui en
tenant dans ses bras, à ce qui paraissait, l’un de ses enfants

44.6 Page 436

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422
emmailloté et couvert. D’une voix plaintive cette femme deman-
dait que l’on eût compassion pour une pauvre mère de famille
réduite à l’extrême misère. D. Bosco ne répondait pas et
continuait son chemin. Nous, qui étions à côté de lui, émus par
ces prières répétées, lui fîmes remarquer qu’il convenait de faire
l’aumône. Alors D. Bosco, qui pourtant avait une vue très basse,
éleva un peu la voix et dit : [] Mais ne voyez-vous pas
que cette femme nous trompe ? Ce n’est pas un enfant qu’elle
tient dans ses bras, mais un morceau de bois qu’elle a recou-
vert. A ces mots la femme se retira à la hâte et disparut
dans une rue voisine.
Donc excepté le cas où il était pour lui évident qu’on
voulait le tromper, D. Bosco était toujours généreux avec les
pauvres. En raison d’une connaissance certaine des choses, nous
pouvons affirmer que, chaque année, ou en argent pour des au-
mônes nécessaires, ou en remise de dettes [accordée] à qui était
dans la gêne, il versait plusieurs milliers de lires au profit des
indigents. Et non seulement à ces derniers, mais également aux
personnes ayant quelque bien, spécialement s’il s’agissait de pay-
sans et d’ouvriers qui venaient des villages vers Turin, il prêtait
secours de diverses manières, notamment au moyen de l’hospita-
lité. Il s’était proposé pour but d’empêcher les transgressions des
lois de Dieu et de l’Eglise [qui se produisent] avec les tristes consé-
quences du respect humain. Parmi les différents témoignages de
notre assertion, nous apportons celui du marchand Filippello [= Fili-
pello] Jean, de Castelnuovo, [témoignage] qui nous donne aussi un
petit portrait de D. Bosco et de l’Oratoire en ces années-là.
« Venant, quant à moi, de très nombreuses fois à Turin, de
temps en temps je descendais à Valdocco pour rendre visite à
D. Bosco, et, chaque année, je trouvais toujours que le nombre
de jeunes pensionnaires avait augmenté. Un jour je le rencontrai
près du palais royal et, comme c’était un vendredi, il m’invita
avec beaucoup d’insistance à venir déjeuner à l’Oratoire, par crainte,
me disait-il, qu’à l’auberge les aliments maigres ne fussent, eux
aussi, assaisonnés avec quelque matière grasse. Nous nous étions

44.7 Page 437

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423
mis en chemin et à tout moment D. Bosco me faisait signe de
ne plus avancer et de patienter ; et, lui, il restait à parler avec
des personnes de toutes sortes. Puis quand il fut entré dans
l’Oratoire tous les jeunes se pressèrent autour de lui pour lui
poser un baiser sur la main, en lui donnant tant de signes de
respect et d’affection que j’en restai vraiment ému. Etant ensuite
resté à l’Oratoire, également pendant la nuit suivante, je vis le
matin que tous les jeunes se rendaient à l’église pour participer
à la messe célébrée par D. Bosco et moi aussi j’eus le plaisir
d’y participer dans l’ancienne petite église. J’ai alors acquis la con-
viction que les jeunes étaient très braves et je crois que, pour
une partie d’entre eux, s’ils n’avaient pas été mis à l’abri et
bien dirigés par D. Bosco, ils auraient mal fini ».
Et c’est ainsi que la charité de D. Bosco était récom-
pensée, car Dieu fut toujours bon avec lui plus qu’une mère.
—————

44.8 Page 438

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424
CHAPITRE XXXVII
Désir de convertir le monde Esprit de vie religieuse habi-
lement glissé dans la pensée des jeunes La nouvelle église
S[aint]-François de Sales est terminée Bénédiction d’un taber-
nacle et d’une cloche L’Evêque de Verceil et [celui] d’Ivrea
ne peuvent pas participer à la dédicace de l’église Invitation
au Maire, à l’Adjoint au Maire et au Professeur Baruffi, et leurs
réponses Poésie D. Bosco notre Roi.
Don Bosco, durant ce temps-là, ne perdait pas de vue
la Congrégation qu’il devait fonder. Souvent, et cela pendant de
nombreuses années, se trouvant au milieu d’un groupe de ses jeunes
gens ou de ses jeunes abbés, plaisantant comme d’habitude, il finissait
par s’asseoir par terre, les jambes croisées, les élèves étant également
assis autour de lui. Il tenait alors en main son mouchoir blanc : lui
ayant donné la forme comme d’une boule, il le faisait sauter d’une
main dans l’autre. Les jeunes, en silence, observaient ce jeu et il
s’écriait tout à coup : Oh ! si je pouvais avoir avec moi douze
jeunes dont il me fût donné de disposer en maître comme je
dispose de ce mouchoir, je voudrais répandre le nom de N[otre] S[ei-
gneur] Jésus Christ non seulement dans toute l’Europe, mais au-delà,
hors de ses frontières, dans les terres très très lointaines. Et il
n’ajoutait pas d’autre explication. Ces paroles, il les répétait en 1857,
en la présence de D. Piano, qui était encore jeune garçon et qui
est aujourd’hui (1904) curé de la Grande-Mère-de-Dieu, à Turin.

44.9 Page 439

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425
Dans le même temps D. Bosco cherchait à glisser avec
habileté dans les sermons, dans les conférences et dans les
conversations l’amour pour une vie toute dédiée à Dieu et au
salut des âmes. Parfois, il parlait aux jeunes, [en prenant comme
sujet] : l’avantage de la vie commune, [le fait] de ne pas devoir
penser à l’avenir, [celui] de n’avoir pas de soucis pour se procu-
rer tout ce qui est nécessaire à la vie, la bonté de la Providence
qui n’abandonne jamais ses serviteurs. Il présentait cependant sa
pensée toujours indirectement, en ne faisant pas allusion à la vie
religieuse. Il décrivait également quelques traits glorieux des
saints qui avaient dédié leurs jours à Dieu dans les couvents ;
mais sous l’angle poétique et attrayant, de sorte que l’on com-
prît la perfection de cet état [de vie], et sans qu’il semblât en
quoi que ce fût le recommander. L’unique invitation qu’il adres-
sait aux élèves était à bien vouloir l’aider ; et, trouvant un motif
d’assurance dans l’amour qu’ils lui portaient, il exprimait le dé-
sir de les avoir sans cesse à côté de lui, de pouvoir les guider
sans cesse vers le paradis, de pouvoir rester un jour à jamais
avec eux dans la bienheureuse éternité.
Parfois il se servait de mots mystérieux pour provoquer
leur curiosité. — J’ai besoin de ta part d’une chose : quand
feras-tu la confession de la vie future ?
A un autre : Es-tu joyeux ? Vas-tu bien ? A présent
donc il faut que tu te prépares à faire la confession de toute ta
vie future. Au moyen de ces [propos] il entendait parler
spécialement de leur vocation ecclésiastique, en insistant sur
l’importance d’y penser sérieusement et de bonne heure.
De temps en temps à celui-ci et à celui-là : Veux-tu
que je te coupe la tête ? J’ai besoin que tu te laisses couper la
tête ! Au moyen de ces [propos] il indiquait l’obéissance
parfaite au Directeur de l’Oratoire, de laquelle il décrivait
souvent les avantages et les qualités ; mais sans indiquer spécia-
lement dans quel état [de vie] on peut en pratiquer les règles.

44.10 Page 440

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426
Quant à la vertu, il se proposa de ne pas exiger davan-
tage de [ces jeunes] que ce que l’on demande à un bon chrétien
pour sauver son âme. C’est pourquoi il ne parlait pas de médi-
tations méthodiques, ni de retraites spirituelles prolongées. Depuis
ce temps-là déjà il y suppléait pleinement avec d’autres moyens,
et l’on vit des jeunes s’élever au plus haut degré de perfection.
S’il avait donné à sa Maison l’aspect d’une vie trop régulière ou
monastique, il aurait tout perdu. Au cours de cette histoire nous
le verrons monter sans cesse, mais insensiblement, vers son idéal,
c’est-à-dire jusqu’à mener les choses au point de mettre au ni-
veau de toute autre Congrégation la Pieuse Société Salésienne.
Il travaillait d’arrache-pied à [atteindre] ce but, mais le
mot Congrégation, il ne le prononça pas si ce n’est après [une
période de] quatorze ans pendant laquelle il préparait le terrain. Il
prévoyait également que, dès l’instant où il soulèverait quelque
peu le voile qui couvrait son projet, de nombreuses [personnes]
s’opposeraient à lui et lui feraient une guerre opiniâtre, non
seulement [des gens] du monde, mais des évêques et des curés et
les parents des jeunes et les jeunes eux-mêmes. Il avait des
raisons de le prévoir. Et c’est ainsi que cela arriva. En effet, si
d’abord beaucoup l’admiraient, proclamaient haut et fort qu’il
était un homme grand et saint, plus tard il fut pour ceux-là un
fanatique, un obstiné, un présomptueux, un fauteur de discordes,
un homme qui voulait se soustraire à la juridiction d’un autre et
faire un royaume à part. Mais Dieu voulait ainsi.
C’est pourquoi pour surmonter les obstacles prévus, il
travaillait avec attention et se servait de tous les liens pos-
sibles pour s’attacher les jeunes ; voilà la raison pour laquelle de
temps en temps il parlait de sa personne, de ce que le Seigneur
accomplissait par son intermédiaire, [voilà pourquoi] il racontait
certains rêves qui se réalisaient sous les yeux de tous, il faisait
entendre qu’il avait lui-même une mission spéciale pour l’a-
vantage des jeunes, il montrait à tout instant la protection
spéciale de Notre-Dame sur l’Oratoire. Tout cela devait servir
pour faire entendre combien auraient de la chance ceux qui

45 Pages 441-450

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45.1 Page 441

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427
resteraient à prêter leur concours dans un lieu qui avait telle-
ment la prédilection de Marie.
Toutefois, en rapportant de temps en temps à ses jeunes
les faits anciens qui s’étaient produits à l’Oratoire et afin d’em-
pêcher d’entrer dans leurs esprits l’idée que d’une certaine
manière il pouvait faire [ce récit] pour se vanter, il disait : Je
raconte de temps à autre des choses relatives à l’Oratoire des
temps passés, et même [des choses] me concernant. Il me sem-
ble pouvoir dire : Meminisse iuvabit [Rappeler sera utile], parce
que ces faits démontrent merveilleusement la puissance de Dieu.
Il ne me paraît pas que dans ces récits la vanité ait quelque
chose à voir ; oh, non, elle n’a rien à voir, merci Seigneur. Ces
récits enseignent beaucoup de choses. Dieu a voulu daigner
accomplir de grandes choses, en se servant d’un misérable
instrument. Je désire que l’on connaisse cela, pour que nous
élevions notre pensée vers Dieu pour le remercier de tout ce
qu’il voulut faire à notre avantage.
Et il remerciait continuellement le Seigneur, et non seu-
lement pour tant de bienfaits qu’il lui avait prodigués, mais
plutôt aussi pour les nombreuses grâces qui étaient, il le savait,
préparées pour lui. Il suffit que nous rappelions ce que nous
avons déjà dit.
Lorsque D. Bosco, en 1846 et en 1849, faisait des réunions
avec D. Pacchiotti et les prêtres employés en sa compagnie au Re-
fuge, avec D. Cocchis et avec différents autres, et que l’on
parlait et discutait sur la manière d’organiser de façon stable
l’Oratoire, il finissait toujours par répondre aux difficultés, qui
lui étaient avancées, [en disant] que des jeunes abbés et des
prêtres, lui appartenant tous, viendraient à son aide et qu’il
mènerait à accomplissement toute chose. Alors plusieurs de ces
prêtres qui semblaient si remplis de zèle pour les Oratoires, en
l’abandonnant l’un après l’autre, donnaient, semblait-il, un dé-
menti anticipé à la prophétie, qui était pour eux un objet de
rires. Et pourtant ne tardèrent pas à apparaître les premiers
jeunes abbés prédits. Ceux-ci étaient déjà bien vus de chaque
catégorie de personnes, parce qu’en public et en privé ils offraient

45.2 Page 442

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428
leurs services à de nombreuses œuvres de charité, soit pour leurs
compagnons en les assistant, soit en faisant les cours du soir et
le catéchisme dans les différents Oratoires, soit en rassemblant
les jeunes dispersés le Dimanche à travers les prés, en cherchant
pour eux un patron quand ils étaient au chômage, en leur ren-
dant visite sur le [lieu du] travail, en allant parfois dans leurs
maisons quand ils étaient malades, en suivant les indications que
D. Bosco leur avait données ; et, dans le même temps, ils fai-
saient leurs études, en fréquentant les écoles respectives.
En 1852, le Théol[ogien] Pacchiotti prêchait à l’Oratoire
la neuvaine du Saint Esprit. Il était très aimé des jeunes et, le
jour de la fête après le sermon, il fut accompagné pour prendre
quelque rafraîchissement dans une pièce au rez-de-chaussée. Vin-
rent aussi avec lui huit jeunes abbés et ils s’assirent tout autour.
D. Bosco entra alors, et D. Pacchiotti, en lui donnant une légère
tape sur l’épaule et en le regardant fixement avec émotion, lui
dit : A présent je crois que tu auras des prêtres et des jeu-
nes abbés. A présent je crois que tu as une église et une
maison, lui répéta-t-il, revenu une autre fois à Turin, lorsque la
construction de la nouvelle maison était pas mal avancée. Et
quelques-uns de ceux qui auparavant le traitaient de fou, venus
prêcher dans l’église S[aint]-François, ne purent pas s’empêcher
de rappeler qu’ils avaient cru impossible ce que désormais ils
constataient de leurs yeux. Et pourtant ce qu’ils voyaient n’était
qu’un petit début, une tentative de ce qu’ils verraient plus tard.
Et D. Bosco prenait un grand soin de préparer pour ce
jour désiré quelques-uns parmi ceux qui avaient le plus de bonté
et de ferveur, en les habituant à quelques pieuses coutumes des
sociétés religieuses.
C’est pourquoi, de temps en temps, il continuait à tenir
à ces derniers, [réunis] seuls, quelques conférences. Parmi eux se
trouvait le Diacre Guanti Joachim qui faisait classe de langue
latine. Le 5 juin 1852 D. Bosco les rassemblait et les exhortait à se
choisir parmi leurs compagnons un conseiller secret, qui charitable-

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429
ment avertirait celui qui l’avait choisi pour cette fonction des
défauts dans lesquels il serait tombé pour [permettre à celui-ci de]
s’en préserver. Rua Michel choisit pour lui comme conseiller
secret Reviglio et il nous assurait que les avis donnés par son
ami lui profitèrent immensément. Nous avons le souvenir de cet-
te conférence sur une petite carte écrite par Rua Michel en ces
termes :
D. Bosco, D. Guanti, Bellia, Buzzetti, Gianinati, Savio Ange,
Savio Etienne, Marchisio, Turchi, Rocchietti 1er, Francesia, Bosco
François, Cagliero, Germano, Rua.
Ces derniers se réunirent, pour la conférence, le soir du same-
di 5 juin 1852. Dans cette conférence il fut décidé que l’on
devrait dire chaque dimanche [la prière appelée] les sept joies de
la Très s[ainte Vierge] Marie. L’année prochaine on observera qui
parmi eux aura persévéré, dans l’exécution de ce qui a été déci-
dé, jusqu’au samedi fixé, c’est-à-dire le premier samedi du mois
de mai.
O Jésus et Marie, faites devenir tous saints ceux qui sont ins-
crits sur cette petite feuille.
Le motif non déclaré de ces prières était de pouvoir
créer la Pieuse Société Salésienne. Et ils accomplirent avec per-
sévérance cette pratique que D. Bosco leur avait conseillée ; ils
avaient la conviction qu’il leur en viendrait un grand bien.
Entre-temps on fit progresser avec tant de rapidité et d’ar-
deur les travaux de l’église S[aint]-François de Sales qu’au mois
de juin 1852 elle était terminée. Le docteur François Vallauri,
son épouse, madame [Vallauri], et leur très digne fils, le prêtre
D. Pierre, fournirent le maître-autel. Le comm[andeur] Joseph
Dupré fit embellir la chapelle à gauche en rentrant, dédiée à
S[aint] Louis de Gonzague, et procura un autel de marbre. Les
nobles époux Fassati, le Marquis Dominique et la Marquise
Marie, prirent à leur compte la dépense du second autel latéral,
[élevé] en l’honneur de la Très sainte Vierge, et ils l’ornèrent

45.4 Page 444

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430
d’une belle statue de Notre-Dame. Monsieur Michel Scanagatti
offrit des chandeliers élégants ; Don Joseph Cafasso paya la
dépense de la chaire ; un autre bienfaiteur l’emplacement pour la
chorale, pourvu ensuite d’un petit orgue. En somme, si D. Bos-
co déploya à cette occasion une grande activité et un zèle
extraordinaire, la piété des gens de la ville, ou mieux la divine
Providence, l’encouragèrent toujours de leur appui.
Le 7 avril, le Provicaire Général Célestin Fissore avait
accordé à D. Bosco le pouvoir de bénir un tabernacle neuf pour
le service des Oratoires, et, le soir du dimanche 22 mai [pour
cette date : voir * page 439], le R[évérend] D. Gattino, Curé de [la
Paroisse] S[aint]s-Simon-et-Jude, avait béni la nouvelle cloche qui
avait été placée dans le clocher construit à côté de l’Eglise
S[aint]-François de Sales.
Celle-ci, également, attendait sa bénédiction et D. Bosco
désirait avoir quelque prélat pour accomplir la cérémonie sacrée
avec la plus grande solennité. C’est pourquoi il s’adressa d’a-
bord à l’Archevêque de Verceil, et ensuite à l’Evêque d’Ivrea,
avec lequel il s’était déjà entretenu à propos de l’un de ses
projets d’association pour des livres destinés aux gens du peuple.
Aucun des deux, cependant, ne pouvait venir, pour les raisons
qu’on lit dans leurs réponses.
T[rès] R[évérend] et T[rès] illustre Monsieur,
C’est bien volontiers que, personnellement, je viendrais pren-
dre part à la joie de V[otre] S[eigneurie] T[rès] R[évérende] au
zèle de laquelle cette Capitale est redevable du nouvel Oratoire
S[aint]-François de Sales, destiné à l’instruction de la jeunesse turi-
noise, et, ainsi, me trouver au milieu de la bande des nombreux
jeunes gens, qui remplissent de joie une fête si émouvante. Mais
à la veille d’avoir 72 ans, persécuté par la toux et par quelques
désagréments, inséparables compagnons du grand âge, je ne suis
pas en mesure de pouvoir répondre à votre aimable invitation.
C’est pourquoi, tandis que je Vous en remercie dans l’espoir que

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431
Vous conviendrez bien avec moi du bien-fondé du motif pour
lequel je suis empêché, je Vous présente profondément mes res-
pects et me déclare avec une profonde estime…
Verceil, 8 juin 1852.
ALEXANDRE, Archevêque.
Très estimé D. Bosco,
C’est avec un rare plaisir qu’en d’autres circonstances je serais
venu accomplir les cérémonies sacrées pour la bénédiction et
l’inauguration de la nouvelle Eglise élevée par V[otre] S[eigneu-
rie] Très est[imée] et par les zélés collaborateurs ; et je l’aurais
fait avec une véritable joie pour l’Œuvre elle-même, pour Vous,
et pour M. le Docteur Vallauri, Président de fête cette année, à
qui je porte une si grande estime. Mais c’est réellement ainsi :
non possum venire [je ne peux pas venir]. J’ai déjà fixé pour ce
jour-là une cérémonie publique en ville avec l’administration de
la Confirmation ; le lendemain est le jour de ma fête patronale,
et [il y a] une autre cérémonie au petit Séminaire ; puis l’anni-
versaire de mon baptême : ce sont là des jours que je passe
volontiers retiré chez moi ; et, simultanément, ont lieu les exa-
mens de fin d’année des séminaristes étudiant la théologie ou la
philosophie. Je regrette vraiment : non possum [je ne peux pas].
J’aurai un très grand plaisir à lire le manuscrit : Avis aux
Catholiques. J’ai reçu aussi de mon secrétaire une note sur les
deux Amicales [voir ° page 439]. J’ai parlé avec un Ecclésiasti-
que étranger [à nos régions] de la petite Bibliothèque, et tous
conviennent de la nécessité et de l’immanquable succès.
Je désire vivement, et je prie le Seigneur, que soit belle et
féconde de tout le meilleur bien cette fête à laquelle j’assisterai
en esprit ; et, en attendant, il m’est cher de me dire avec une
très particulière estime…
Ivrea, 12 juin 1852.
LOUIS, Evêque d’Ivrea.

45.6 Page 446

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432
Ayant reçu ces lettres D. Bosco présenta sa demande aux
Services Diocésains.
Très ill[ustre] et Très rév[érend] m[onsieur] le Vicaire,
La construction de la nouvelle église pour l’Oratoire S[aint]-François
de Sales à Valdocco étant parvenue au point que l’on peut décem-
ment y célébrer les divins mystères, le prêtre D. Jean Bosco
supplie humblement V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très
rév[érende] de lui permettre de transférer les pieux exercices
depuis le premier Oratoire dans l’église susdite, en réduisant
celui-là à un usage profane, comme [il supplie] aussi V[otre]
S[eigneurie] de daigner bénir la nouvelle église, ou bien déléguer
à cette fonction quelque Ecclésiastique.
Le susdit.
Les Services diocésains faisaient parvenir avec empresse-
ment leur réponse officielle.
« V[u…]. On délègue m[onsieur] le Curé du Faubourg de la
Doire pour bénir le nouvel Oratoire, selon la forme indiquée
dans le Rituel Romain, bénédiction après laquelle on déclare que
sont transférés en lui les pieux exercices et les facultés accor-
dées à l’ancien, que l’on permet de réduire à un usage profane.
Turin, 19 juin 1852.
PHILIPPE RAVINA Vic[aire] Gén[éral].
T. G. CAVIASSI Secr[étaire].
D. Bosco avait entre-temps envoyé aux bienfaiteurs l’in-
vitation à prendre part à la cérémonie.
Très ill[ustre] Monsieur,
Jour de grande consolation pour moi, et je crois tout autant
pour V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre], est le Dimanche 20 juin
prochain, au cours duquel sont assouvis nos désirs, nos attentes,

45.7 Page 447

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433
avec la bénédiction de la nouvelle église S[aint]-François de
Sales, en faveur de laquelle Vous avez de tant de manières
voulu faire preuve de zèle et de charité.
Il est vrai que l’édifice sacré n’est pas encore achevé, mais les
travaux sont au point que déjà l’on peut procéder à la béné-
diction, y célébrer convenablement les cérémonies sacrées, et
répondre ainsi à notre grand besoin.
La cérémonie sacrée commencera à 8 h. ½ du matin. La
bénédiction sera suivie du saint sacrifice de la messe pour tous
les bienfaiteurs de l’Oratoire ; pendant la messe quelques jeunes
feront leur communion. Ensuite aura lieu un discours de cir-
constance et les cérémonies se termineront par la bénédiction du
Saint Sacrement. Le soir à 3 h. ½, il y aura les vêpres, le
sermon habituel et la bénédiction du Saint Sacrement.
En sortant de l’église, Vous êtes prié de Vous rendre dans le
local de l’ancienne église pour Vous attarder quelques minutes
avec les autres bienfaiteurs de l’Oratoire, et pour, ainsi, nous
réjouir ensemble avec le Seigneur qui d’une manière aussi extra-
ordinaire nous a aidés à accomplir son œuvre.
Vous aurez une place établie pour que Vous assistiez confor-
tablement à la cérémonie sacrée, et c’est mon intention précise
de faire preuve envers Vous dans un tel jour de tous les égards
que votre charité bien connue par expérience et [votre] condition
méritent ; cependant, si dans la multiplicité des choses on ne
peut pas faire preuve de toutes les manières respectueuses, que
pour plusieurs titres Vous méritez, je Vous prie de bien vouloir
m’accorder une bienveillante indulgence, car certainement ce
n’est pas un manque de bonne volonté.
Que V[otre] S[eigneurie] vienne avec les personnes qui sont
dans vos connaissances particulières, et dont Vous savez qu’elles
se sont de quelque manière employées pour cette œuvre de piété
chrétienne ; la fête est commune, que soit commune la gloire
qu’en un tel jour on rend au Seigneur, commun soit aussi, je
l’espère, le bien qui retombera sur nos âmes.
Convaincu que dans votre charité vous voudrez continuer à
favoriser le bien de cet Oratoire qui est le nôtre, avec les senti-

45.8 Page 448

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434
ments de la plus vive gratitude je Vous remercie de tout cœur,
en Vous assurant que cela me sera toujours un grand honneur
toutes les fois que je pourrai me dire
De V[otre] S[eigneurie] Très iIll[ustre]
Depuis l’Oratoire, 16 Juin 1852.
Très ob[ligé] serviteur
BOSCO JEAN Pr[être].
D. Bosco avait aussi invité m[onsieur] le Maire de Turin.
Il y aurait volontiers pris part, comme il l’avait fait à la pose de la
première pierre ; mais il en fut empêché pour diverses raisons,
qu’il daigna faire connaître dans une lettre, qui est un témoi-
gnage de la religiosité du chef de la Mairie Turinoise et de
l’estime qu’il avait pour l’œuvre de l’Oratoire. Voici ce qu’il
écrivait à D. Bosco, en date du 18 juin :
C’est avec une satisfaction bien sentie que le Maire, soussigné,
a reçu l’aimable invitation que V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
et T[rès] R[évérende] lui adresse dans votre lettre appréciée,
mentionnée en marge ; et avec la même intensité il regrette que,
le matin, la cérémonie religieuse, prévue pour célébrer la fête de
la V[ierge] M[arie], Notre-Dame de Consolation, à laquelle il doit
prendre part avec la délégation municipale, et, l’après-midi, la
réunion de la Congrégation de Charité de Reaglie, à laquelle il
est aussi appelé à assister, lui enlèvent [la possibilité] d’en profiter
comme ce serait son bien vif désir. Il est heureux de voir qu’a
été rénovée l’institution de l’Oratoire S[aint]-François de Sales,
qui, grâce à vos soins remplis de zèle, s’est élevée au profit de
notre jeunesse en apprentissage : cette dernière trouvera ainsi un
moyen d’être éduquée à la religion et à la vertu civique.
Il prie donc V[otre] S[eigneurie] de bien vouloir recevoir le
témoignage de son respectueux dévouement.
Le Maire BELLONO.

45.9 Page 449

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435
De semblables motifs empêchaient aussi l’Adjoint au
Maire.
MAIRIE DE TURIN, CABINET DE L’ADJOINT AU MAIRE.
Turin, le 17 juin 1852.
Comme le Dimanche 20, à 9 heures du matin, on célèbre une
messe au Sanctuaire Notre-Dame de Consolation avec la partici-
pation de la Mairie, le soussigné, à son regret, ne pourra pas
assister à la cérémonie pour laquelle il reçoit l’aimable invitation
envoyée par le V[énérable] Pr[être] D. Jean Bosco dans la lettre
du 16 [du mois] courant. Si la nécessité de passer quelques
heures à l’hôtel de ville pour l’expédition des affaires urgentes,
et plusieurs devoirs de famille lui en laissent le temps, il se
trouvera très volontiers l’après-midi à 3 h. ½ à l’Oratoire, et à
l’entrevue qui suivra dans le local de l’Ancienne Eglise.
Le soussigné sait distinguer dans la très aimable invitation la
part qui à ses collègues seulement, et non à lui, peut être
adressée à juste titre : car, non seulement il fut le moindre de
ceux qui ont collaboré à l’œuvre sainte, mais, même en tant que
moindre, il reconnaît être très en arrière de ceux qui auront le
moins œuvré. S’il a une part égale à [celle des] autres, c’est
seulement dans le contentement de [voir] la bonne réussite de
l’entreprise et dans la sincère estime [qu’il a] de celui qui fut le
promoteur et l’auteur de cette même [entreprise], le V[énérable]
Pr[être] Bosco, envers lequel il professe la plus grande considé-
ration, et la gratitude de citoyen, et l’affection de bon chrétien
pour tout le bien que [ce prêtre] opère sous la conduite et la
protection de Dieu.
COTTIN.
Même le fameux naturaliste et archéologue Baruffi écri-
vait ceci à D. Bosco en cette occasion.

45.10 Page 450

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436
Remarquable Monsieur,
Je remercie vivement V[otre] S[eigneurie] de l’aimable invitation
pour la belle solennité de Dimanche, à laquelle je regrette
vraiment de ne pouvoir prendre part, parce que je dois
m’absenter de Turin pendant quelques jours.
Je m’associe cependant de grand cœur à cette œuvre sainte, et
je prie pour que le ciel Vous continue ses faveurs, afin que
Vous puissiez avoir la joie de voir dans leur réalisation des
désirs aussi honnêtes et évangéliques.
Le nom de V[otre] S[eigneurie] restera gravé avec des caractères
indélébiles dans le cœur des Turinois et de tous ceux qui recon-
naissent et savent apprécier les soins charitables que Vous prodiguez
et les sacrifices que Vous faites à l’avantage des pauvres jeunes
laissés à l’abandon pour les ramener sur la bonne voie et leur
procurer avec le pain matériel également celui de l’âme.
Agréez mes respects et mes souhaits cordiaux de prospérité
pour votre digne personne, afin que l’Oratoire, fondé par Vous,
puisse se développer de plus en plus chaque jour et produire les
fruits que la société civile et la religion attendent.
L’occasion présente m’est agréable, dans laquelle je peux Vous
renouveler l’expression des sentiments de ma haute considération
et me déclarer
De V[otre] S[eigneurie] T[rès] Révérende
Turin, 1852 le 18 juin.
Très dév[oué] et Très ob[ligé] Serviteur
G. T. BARUFFI.
D. Bosco, bien que très occupé ces jours-là, sut toutefois
invoquer sa muse, et il composa une ode de circonstance, très
suave dans sa simplicité et que nous reproduisons ici. Elle por-
tait ce titre : Dans le jour où l’on bénissait la nouvelle Eglise de
l’Oratoire S[aint]-François de Sales, les jeunes qui font partie de
cet [Oratoire], au comble de leur joie, exprimaient ainsi les senti-
ments de la plus sincère gratitude envers leurs bienfaiteurs.

46 Pages 451-460

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46.1 Page 451

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437
[I]
[II]
Comme l’oiseau de branche en branche A présent, joyeux, venez à la fête,
Va cherchant un asile sûr
Tels des guerriers après la victoire,
Pour, anxieux, poser son nid
A qui la vraie et sainte gloire
Et tranquille y trouver le repos ;
Seul le mérite a procuré.
Il ne se pose ni en vallées ni en monts, Le Seigneur vous a rétribués,
Ni dans un champ ni en forêt,
La fatigue est couronnée,
Ne le retiennent ni tourbillon ni tempête Notre église est consacrée,
Tant qu’il n’a pas formé son nid :
Que pouvons-nous désirer de plus ?
Ainsi nous, pendant plus de dix ans,
Vite donc, ô chers fils,
Ce nid, nous l’avons cherché,
Courons tous au saint Edifice,
Jamais du ciel ne nous fut donné
Elevons à Dieu un chant
De pouvoir le trouver.
Pour la faveur qu’il nous fit.
Tantôt un pré, tantôt un jardin,
Oh ! Seigneur tout-puissant qui jamais
Tantôt une cour, une salle, une route, Ne refuses quoi que ce soit au misérable,
Parfois une place, une rue
De grâce, à nos prières bienveillant,
Pour nous tel était l’Oratoire.
Toi, en ce jour, écoute-nous.
Lorsque à la fin Dieu compatissant
Fais que cette nouvelle église,
Tourna vers nous son bienveillant regard, A ton nom consacrée,
Alors ce sont deux lustres de retard
Jamais ne soit profanée
Qu’il compensa largement.
Par qui dans son cœur n’a pas la foi.
Il compensa… nous donna les écoles, Fais que tous ceux qui là viendront
Un jardin pour les passe-temps ;
Suppliant, en dévotion pour toi,
Presque un nid pour enfants
Aient satisfaction dans leurs vœux ;
Il arrangea une maison.
Prête secours, donne ta grâce.
Il compensa… Mais que dire de plus ? Et toi, Vierge bienheureuse,
Tout espoir fut satisfait, comblé,
Qui près de Dieu peux tout,
A présent l’église est consacrée,
Bénis tes fils,
Nos cœurs sont rassasiés.
Inspire la foi, l’espérance et l’amour ;
Il est vrai, messieurs bien-aimés,
Fais que jamais pour une action coupable
Plusieurs mois vous avez peiné,
Nous ne cessions d’être tes fils,
Le chaud, le froid, vous avez supporté Toi, libère-nous des dangers
Pour la maison du Seigneur ;
De notre âge imprudent.
Vous refusiez la détente ou le sommeil, Mais que donneras-tu
Rien : privations, souci ou effort,
Aux bienfaisants messieurs,
Rien : la pluie, le tourbillon, le vent
Qui leurs peines et leurs sueurs
Rien n’a ralenti votre zèle.
Ont offertes à ton honneur ?

46.2 Page 452

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438
[III]
[IV]
Tu tresseras là-haut dans le Ciel,
En attendant, le cœur reconnaissant,
Vierge belle, une couronne de fleurs
Nous, en caractères dorés,
Qui puisse changer tout leur mérite
Nous écrirons de tous côtés :
En ce bien qui n’a pas de fin.
VIVE CE JOUR ÉTERNELLEMENT.
[V] Et qu’au bout d’un moment ou bien par accident
Il n’arrive jamais qu’on efface
Ce jour, qui au rang des plus beaux
Chez nous sera toujours placé.
Cette ode fut imprimée à des milliers d’exemplaires,
mise en musique, et les jeunes l’avaient apprise.
Au milieu des préparatifs de la fête à l’Oratoire, inter-
nes et externes étaient tous en joie, et cette [joie] se manifesta
avec une fougue irrésistible le 14 juin [# s’agit-il du dimanche 13 ?]
Le prof[esseur] Raineri, qui fréquenta l’Oratoire de 1846
à 1853, racontait ceci. « C’était # pendant l’après-midi d’un Diman-
che ; D. Bosco nous avait raconté avec tant de clarté, avec cette
façon d’exposer qui lui était naturelle et qui enchantait, l’histoire
du petit berger David devenu Roi et il termina par l’exclama-
tion : [] Voici le petit berger devenu roi ! Nous, tout de suite,
nous nous écriâmes : Vive D. Bosco notre Roi ! [] Sitôt
dit, sitôt fait : les plus grands et plus robustes des jeunes soule-
vèrent avec gentillesse sur leurs épaules D. Bosco et le portèrent
en triomphe à travers la cour-jardin, et nous, en faisant tout un
tour à sa suite, nous chantâmes la chanson apprise ces jours-là :
Comme l’oiseau de branche en branche
Va cherchant un asile sûr, etc.
pour notre immense plaisir, et sans doute le sien. Ce n’est pas
autrement que faisaient les peuples anciens quand ils élisaient
comme Chef l’un de leurs vaillants [soldats] et qu’ils l’élevaient
sur le pavois. Oh oui ! D. Bosco pouvait bien être notre chef,
notre roi ! D. Bosco dans ses enseignements nous donnait des
règles d’or, qui, si elles conviennent à tout le monde, sont
cependant mieux indiquées pour la jeunesse et il est bon de les
rappeler ; en voici quelques-unes :

46.3 Page 453

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439
— Agissez aujourd’hui de sorte que demain vous n’ayez pas à
rougir.
Ne renvoyez pas au lendemain le bien que vous pouvez
faire aujourd’hui, parce que peut-être demain vous n’aurez plus
le temps.
Faisons en sorte de bien nous porter en ce monde et dans
l’autre.
Soyez lents pour juger.
Voulez-vous que votre compagnon vous estime ? Pensez
toujours du bien de tous, et soyez prêts à aider votre pro-
chain et vous serez contents.
» Et après les cérémonies d’église, il passait un peu partout au
milieu des jeunes gens différents quant à l’âge, au caractère, aux
mœurs, à la situation de vie et à l’éducation, tous vifs et oc-
cupés à jouer, en observant le caractère de chacun, en ayant un
mot pour chacun, un mot gentil, un mot qui consolait, qui nous
rendait contents et il semblait qu’il lisait dans notre âme et cha-
cun de nous disait tacitement : [] D. Bosco nous aime ! Oh
si, Don Bosco aimait tout le monde… Comme il est bon d’évo-
quer en pensée ces années de jeunes qui furent les nôtres ! ».
« Et D. Bosco, ajoutait Mgr Cagliero, les accompagnait
lui-même tard le soir jusqu’à l’entrée de la ville pour s’assurer
qu’ils allaient tout de suite par groupes chez eux. En pas-
sant par le Rond-point, où alors on exécutait les sentences
capitales, plus d’une fois on entendit les plus jeunes parmi les
enfants du peuple se dire l’un à l’autre : D. Bosco nous aime tant
que, si l’on nous conduisait à la potence, il trouverait encore le
moyen de nous sauver. [»]. D. Reviglio affirmait la même
chose.
—————
* En 1852 : le 22 mai était un samedi, et le dimanche, un 23.
° Amicale : mot employé pour traduire ‘ Filadelfia ’ [Amitié fraternelle]
ou société du genre ‘ Amitiés Catholiques ’ pour la publication et la
diffusion de bons livres : de cela sortiront les Lectures Catholiques
(Voir Mémoires Biographiques au volume III, p. 541).

46.4 Page 454

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440
CHAPITRE XXXVIII
[Jour de la] bénédiction de l’Eglise S[aint]-François de Sales Pre-
mière Messe Les cérémonies du soir Remerciements Musi-
que et poésie Le journal « La Patria » [La Patrie].
Une fois terminés les travaux nécessaires et préparés
les objets indispensables pour bénir et inaugurer en vue du culte
divin l’édifice sacré, on fit le choix du 20 juin, troisième
dimanche après la Pentecôte, fête solennelle à Turin en l’hon-
neur de la Très sainte [Vierge] Marie sous le doux titre de
Notre-Dame de Consolation. Il serait trop long de décrire les
détails de cette journée mémorable, car pour l’Oratoire ce fut
une journée à peu près unique. On avait élevé un arc [d’hon-
neur] de hauteur colossale à l’entrée de la cour ; il portait, écrits
au sommet en lettres de grande dimension, ces mots :
EN CARACTÈRES DORÉS
NOUS ÉCRIRONS DE TOUS CÔTÉS :
VIVE CE JOUR ÉTERNELLEMENT.
Depuis l’aube, partout dans les prés et les champs envi-
ronnants, on entendait les bandes de jeunes qui venaient à
l’Oratoire chanter les vers suivants écrits par D. Bosco :
Du couchant à son orient
Le soleil reviendra avant,
Et tout fleuve jusqu’à sa source

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441
Reviendra en arrière avant
Que de notre cœur on efface
Ce jour qui au rang des plus beaux
Chez nous sera toujours placé.
Le Curé de la paroisse du Faubourg de la Doire, le
T[rès] R[évérend] Théol[ogien] Don Augustin Gattino, bénit l’église,
selon le rite : il y célébra ensuite la première Messe et tint un
discours savant à une grande multitude de jeunes gens et d’au-
tres participants venus de la ville.
Mais le plus beau de la fête eut lieu le soir. Malgré sa
capacité, la nouvelle église fut littéralement remplie. Y prêcha
notre D. Bosco, et entre autres choses on se rappelle qu’il fit
remarquer l’admirable changement qu’avait opéré cet emplace-
ment : de lieu de récréation, converti en lieu de prière ; de lieu
de piailleries, en lieu de louange et de remerciement envers le
Seigneur ; de lieu de fête bruyante et même de péché, en lieu
d’amour de Dieu et de sainte allégresse. Il passa ensuite à
exhorter les jeunes à honorer dorénavant ce lieu bénit par leur
comportement marqué de dévotion, par la participation aux céré-
monies religieuses et par la fréquentation des Sacrements Sacrés.
Enfin, ayant fait réfléchir [sur le fait] que les églises matérielles
sont une image des âmes, appelées temples de l’Esprit Saint, il
encouragea tous à les conserver toujours propres, c’est-à-dire
sans péché, afin que le Seigneur daignât y établir son agréable
demeure dans le temps présent, et les rendît dignes d’entrer
après la mort dans le grand temple de son éternité bienheureuse.
Une compagnie de la Garde Nationale vint aussi assister,
soit pour conserver le bon ordre qu’avec peine elle put mainte-
nir, si nombreuse était la foule, soit pour honorer la fête et faire
donner les armes dans une salve, qui au moment de la béné-
diction du Saint Sacrement produisit un effet merveilleux. Avec
elle, tentait de rivaliser la Garde de l’Oratoire avec ses fusils

46.6 Page 456

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442
de bois sans canons. Ces détails et plusieurs autres donnèrent à
la fête une teinte assez caractéristique pour [voir] en rester
réjouies les âmes pieuses et portés à l’admiration les hommes du
monde eux-mêmes.
Pendant cette même soirée avaient participé aux [fêtes de]
l’Oratoire les organisateurs et les organisatrices de la loterie,
divers membres du Clergé et de l’Aristocratie de Turin, et
beaucoup d’autres personnes qui avaient pris un rôle actif pour
la construction de la nouvelle église. C’est pourquoi après les
cérémonies sacrées Don Bosco les rassembla tous dans un lieu
spécialement préparé, qui fut celui de l’ancienne chapelle, où de
nobles bienfaiteurs avaient fourni le nécessaire pour le service de
café et de rafraîchissements, et il leur adressa à tous ensemble
une parole de remerciement. Il toucha un mot, dans les grandes
lignes, de ce qui avait été fait ; il signala la sollicitude des uns
et la charité des autres pour la bonne réussite de la pieuse
entreprise, et avec la plus grande complaisance il montra
comment les efforts de tous avaient été le matin heureusement
couronnés à travers la bénédiction de l’édifice sacré. Il dit qu’il
aurait désiré pouvoir récompenser, chacun, et des sacrifices accom-
plis et des peines endurées ; mais que, ne pouvant pas le faire
par lui-même, il prierait et demanderait aux jeunes de l’Oratoire
de prier le Dieu compatissant pour qu’Il les en récompense avec
l’abondance de ses bénédictions pendant la vie présente, et avec
une couronne plus resplendissante pendant la vie future.
A la cordiale allocution de Don Bosco fit suite un beau
motet, mis en musique par le célèbre professeur Joseph Blanchi,
d’agréable mémoire, et exécuté par un chœur de jeunes gens de
l’Oratoire. On remet dans les mémoires qu’un jeune garçon,
ayant pour nom Second Pettiva, de 15 ans environ, interpréta
dans ce chant un solo avec une si belle voix qu’il toucha les
fibres de tous les cœurs et recueillit des applaudissements très
fournis.
En cette occasion, notre Don Bosco, le cœur débordant
d’une joie indicible, sembla représenter la figure du prophète

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443
David, qui, lors du transport de l’arche du Seigneur, s’étant
mêlé à son peuple, fut entendu chanter et jouer dévotement. En
son nom, au nom de ses collaborateurs et des enfants de
l’Oratoire, l’ode écrite pour la circonstance fut lue par un jeune
garçon à l’adresse desdits messieurs, qui l’écoutèrent avec une
satisfaction visible. Le soir, de beaux feux d’artifice organisés et
dirigés par le Théol[ogien] Chiaves dans le champ en face de la
porte de l’Oratoire mirent un terme à l’heureuse journée.
La solennité susdite, et pour le bon ordre avec lequel
elle se déroula, et pour le noble but auquel elle visait, fut con-
sidérée comme revêtue d’une telle importance que même un
journal politique de ces jours-là, intitulé La Patria [La Patrie],
crut bon d’en faire le sujet de l’un de ses articles, que nous
jugeons opportun d’insérer dans ces pages, soit pour compléter
les informations sur ce jour mémorable, soit pour mieux faire
ressortir le critère avec lequel dès cette époque-là les hommes
politiques jugeaient l’œuvre de l’Oratoire en comparaison du
bien-être de la société civile.
« Nous considérons comme notre plus grande chance,
ainsi s’exprimait La Patria [La Patrie], le fait de présager la
carrière littéraire de notre journal [voir * p. 447] en parlant de
l’une de ces œuvres qui résolvent chez nous le problème ardu
d’être ordinaires et d’être toujours intéressantes, nous voulons
parler d’une œuvre de bienfaisance. Notre plus grande chance,
disons-nous, de pouvoir, au milieu de cette société dont nous
cherchons chaque jour les défauts, dont nous sommes tenus de
faire de temps en temps la critique, délaisser pendant un instant
la plume mal tempérée de la politique pour un sujet qui rencon-
tra toujours auprès de notre peuple une si générale sympathie.
» Mais là où se trouve une âme généreuse, comment ne
trouverait-il pas de la sympathie, celui qui avec le zèle d’un
philanthrope, avec la persévérance d’un apôtre, avec la foi d’un
chrétien sacrifie les plus belles années de sa vie, surmonte de
nombreux obstacles au moyen de la seule force d’une volonté
aussi ferme que résignée, et parvient à accomplir après bien des
années de fatigues l’une de ces entreprises, qui peuvent honora-

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444
blement se mettre dans le sillage des institutions d’un [Abbé de
l’]Epée, d’un Assarotti, d’un Cottolengo ? Car, si nous voulons
faire attention à la petitesse des origines à partir desquelles
prirent forme les œuvres de ces personnes éminentes, nous nous
apercevrons facilement que celle de D. Bosco leur ressemble, et
qu’en raison de l’immense portée de son action bienfaisante elle
est digne de se trouver à côté de celle des personnes éminentes
que nous venons de citer. Mais, après avoir parlé des difficultés
rencontrées, nous avons le devoir de ne pas laisser sous silence
les aides qui, en ces temps calamiteux, au milieu des tempêtes
politiques qui ratatinent la bourse des riches et le cœur de tous,
parvinrent de tous les côtés au laborieux cultivateur du champ de
Dieu. Nous ne dirons rien de ces hommes qui se joignirent à
Don Bosco et le secondèrent avec le zèle le plus éclairé, mais il nous
plaît de rappeler les mille formes variées que prit l’inépuisable
charité [des habitants] de la ville pour venir au secours de cette
sainte œuvre ; secours [provenant] de tous les âges, de toutes les
conditions, de riches et de pauvres, de grands et de petits ;
immense socialisme, seul à pouvoir être réalisé et [seul] juste,
parce que suscité par un sentiment saint et admirable en raison
duquel chacun paya selon ses forces, le peintre avec son tableau,
le marchand avec les objets de commerce, mais dans lequel la fem-
me, toujours grande, toujours première lorsqu’il s’agit de charité,
sut répandre toute la délicatesse de son inépuisable bonté.
» Vous voyez, en effet, dans l’exposition d’objets donnés à la
loterie, à travers laquelle on secourt efficacement l’Oratoire, le
sacrifice des divertissements, celui des promenades, celui aussi de
jouets dédiés selon l’âge au réconfort du pauvre ; vous voyez
cette charité multiforme et indirecte, telle qu’elle convient à ces
êtres sensibles et délicats qui composent la plus belle partie des
œuvres de bienfaisance, en les patronnant et en les soutenant
pour laisser à l’homme, espèce plus fruste et moins intelligente,
l’aide, nous dirons, brutale [voir ° p. 447] de l’argent.

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445
» Nous avons dit brutale, parce que nous croyons que le
rapport de celui qui fournit le moyen matériel d’accomplir une
œuvre à celui qui la commence et la mène à sa conclusion est
comme le rapport du soldat au général qui commande ; mais, en
disant brutale, nous ne voulons en rien diminuer la sainteté du
service qu’il rend. En effet, la mission que Don Bosco a placée
sous l’invocation de Saint François de Sales est grande et
digne de considération. Soustraire la jeunesse à l’oisiveté des
dimanches, pour la maintenir dans une occupation religieuse et
honnête, est une chose tellement belle que nous croyons devoir
recourir à la plume simple et donc sublime de son auteur pour
l’esquisser.
» Il avoue pour sa part avoir vu “avec une profonde tristesse
un grand nombre de ceux, qui se sont dédiés avec application à
l’exercice des métiers et des industries de la ville, gaspiller les
dimanches et les jours de fête dans les jeux et dans les excès le
maigre salaire gagné au cours de la semaine et, désireux de
porter remède à un mal dont sont à craindre de très funestes
conséquences, il décida d’ouvrir une maison de réunion domi-
nicale où les uns et les autres pourraient avoir tout le loisir de
satisfaire aux devoirs religieux, et recevoir en même temps un
enseignement, un message, un conseil pour conduire chrétienne-
ment et honnêtement leur vie”.
» Voilà ce qu’est l’œuvre que Don Bosco nous annonce avec
tant de simplicité, et que l’on entreprenait hier en consacrant
l’Oratoire S[aint]-François de Sales à Valdocco. L’Oratoire est
simple et modeste, comme cela convient à qui attend de la
générosité publique son éclat extérieur et le lui doit, mais ses
nefs sont pleines de fidèles, et la foi est le plus bel ornement
de la Maison de Dieu. Ces fidèles accouraient en foule, illu-
minés par ce soleil dont les rayons semblent une bénédiction
pour ceux qui s’ornent d’une joie religieuse et tranquille. Tout
contribuait à faire vivre pour l’éternité ce jour dans le cœur

46.10 Page 460

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446
de chacun, pour l’éternité en ceux qui sont soustraits au vice, et
qui doivent la reconnaissance ; pour l’éternité en ceux qui
patronnèrent l’œuvre et qui reçoivent ce tribut de gratitude.
» La cérémonie religieuse fut solennelle comme cela convient
en de semblables circonstances. Une personne qui, avec ses
vertus éminentes, avec ses vastes connaissances, constitue l’hon-
neur du Clergé turinois, le Pasteur du troupeau du Faubourg de
la Doire lisait un admirable texte de sa composition, dans lequel
il développait les caractères [sacrés] de l’Eglise, comme Maison
de Dieu et comme Maison de prière. Avouons qu’à entendre ces
paroles dans lesquelles, en dépouillant sa manière de raisonner
des concepts prétentieux d’une éloquence bien lissée, il nous
exposait la sainteté de notre foi, la supériorité de notre religion
sur les croyances des autres peuples, nous avons cru que nous
étions transportés à cette époque où l’on prêchait aux peuples
rassemblés sous l’immense temple du ciel ou dans les entrailles
de la terre la parole de ce Dieu, qui mourut pour notre salut.
» Une fois terminée la cérémonie religieuse, tous les organi-
sateurs ou membres du Comité directeur se retirèrent dans une
salle voisine, en s’entretenant sur les émotions d’une si belle
journée et bien vite ils étaient égayés par une ode chantée par
un chœur d’enfants qui l’exécutaient avec beaucoup de per-
fection. La Garde Nationale contribuait à donner un plus grand
lustre à la fête. Honneur à cette jeune [voir # p. 447] institution,
qui mérite tant de reconnaissance de la part de l’Etat et sait
cueillir la circonstance favorable de se mêler au peuple dans les
occasions de joie commune. L’Oratoire est donc achevé, la
mission de Don Bosco est réalisée.
» Nous ne voudrions pas parler ainsi, parce que nous craignons
que la charité [des habitants] de la ville ne se ralentisse à cette
annonce. Pourtant on n’a pas à imaginer les grands secours dont
a besoin cette institution naissante, dans laquelle notre ville
espère trouver une grande aide et un grand exemple à imiter
dans les autres régions du Royaume. Si donc nous n’avons pas pu

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447
passer sous silence la joie que nous avons éprouvée à l’annonce
de la consécration de l’Oratoire, nous ne voulons pas que nos
paroles servent elles-mêmes à refroidir le zèle des habitants qui
pourraient être convaincus que leur œuvre est achevée.
» Don Bosco a entrepris une œuvre noble et l’a conduite avec
persévérance et intelligence ; la population de Turin, qui apprécie
les avantages d’une institution dont le but est de soustraire au
vice tant de jeunes cœurs qui n’ont ni l’expérience ni l’éduca-
tion nécessaires pour le fuir, ne voudra pas laisser incomplète
son œuvre, et voudra se maintenir à la hauteur de cette voix de
charité, dont elle est à juste titre fière » (1).
—————
(1) La Patria [La Patrie], journal politique et littéraire, 21 juin 1852.
* Ce journal ayant commencé le 26 mai 1852, c’est-à-dire un mois
avant de présenter l’article rapporté ci-dessus, paraîtra jusqu’en 1856.
° Brutale : à l’état brut, non raffinée, pure et simple, nue, effectuée
indépendamment des sentiments et de la délicatesse.
# Jeune : La Garde Nationale fut instituée en 1848.
—————

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CHAPITRE XXXIX
Nouveaux règlements de l’église et de l’Internat D. Bosco et
le Saint Sacrement Les Eglises La musique sacrée Les
solennités Le service à l’autel La Sainte Messe La
préparation et l’action de grâces Les cérémonies sa-
crées La Communion et la visite [au Saint Sacrement] à
l’église Union à Dieu.
La bénédiction de l’Eglise S[aint]-François de Sales
ayant été effectuée, D. Bosco précisa dans le règlement de l’O-
ratoire quelques tâches de divers responsables officiels, d’après
lesquelles on peut connaître les coutumes de cette époque. On
célébrait une seule messe et, avant celle-ci, les élèves internes
récitaient et chantaient les Matines de l’Office de la Bienheureu-
se Vierge. D. Bosco prescrivait ceci : « Les Sacristains, tandis que
l’on commence les louanges de la Bienheureuse Vierge, ou au plus
tard lorsqu’on entonne l’hymne, invitent le Prêtre à s’habiller pour
célébrer la Sainte Messe. Chaque dimanche ou chaque jour de fête,
le Guide pour les prières, une fois terminées les louanges de la
Bienheureuse Vierge, récitera d’une voix claire et en alternance
[avec l’assemblée] les prières habituelles ; ensuite il continuera en
lisant les prières qui accompagnent la Messe. Après la messe, les ac-
tes de foi, d’espérance et de charité. Après le sermon, il récitera
cinq Pater et cinq Ave pour les bienfaiteurs de l’Oratoire, etc.,
un autre Pater et [un autre] Ave par l’intercession de S[aint]
Louis et il finira en entonnant Loué soit à jamais, etc. Dans les
fêtes de plus grande solennité, au Sanctus, il lira [les prières pour]

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449
la préparation à la Communion et ensuite [celles pour] l’action de
grâces ». (Art. 2, 3, 4 du premier Règlement).
« Les aides pour l’assistance seront au nombre de quatre.
L’un assumera la vigilance sur la partie voisine de l’autel de la
Bienheureuse Vierge ; l’autre sur celle du côté de l’autel de
S[aint] Louis ; les deux autres sur le reste de l’église dans la
moitié du côté de la grande porte ».
Pour ce qui concerne les Catéchismes : « Dans l’empla-
cement de la chorale, ceux qui ont été admis pour toujours à la
Communion et qui ont au moins quinze ans. Dans la chapelle de
Notre-Dame et [celle] de S[aint] Louis, les autres qui furent ad-
mis pour toujours à la Communion, mais d’âge inférieur à
quinze ans. Les autres catégories seront divisées en classes selon
les connaissances et selon l’âge jusqu’aux plus petits ».
« L’archiviste reçoit la charge d’enregistrer de façon par-
ticulière dans le catalogue les objets destinés ou donnés pour
l’autel de la Bienheureuse Vierge et [celui] de S[aint] Louis ».
La maison Pinardi avait, elle aussi, subi en de telles
circonstances plusieurs changements. L’ancienne chapelle-hangar
fut transformée pour servir de dortoir, de classes et de salle
d’étude. Dans cette dernière D. Bosco rassemblait les étudiants
et, comme Deus scientiarum Dominus [Dieu est Maître des
sciences], il voulut les voir depuis lors continuer, avant de
commencer leurs devoirs, à réciter le Veni Sancte Spiritus [Viens,
Esprit Saint] avec l’Ave Maria et l’invocation à la Très s[ainte]
Vierge Sedes sapientiæ, ora pro nobis [Siège de la sagesse, prie
pour nous]. Dans le dernier quart d’heure avant le repas du soir,
on lisait publiquement quelque livre de faits édifiants, coutume
qui dura de nombreuses années. Don Bosco, tant qu’il le put,
allait avec les jeunes dans la salle d’étude commune pour écrire
et méditer ses écrits.
Mais pour lui, qui avait si profondément enraciné dans
son cœur des habitudes de foi, la nouvelle église devint par-dessus
tout le centre [sur lequel se focalisaient] ses affections. Il demanda
et il obtint aussitôt [la permission] de conserver continuellement le
Saint Sacrement, et l’on ne peut pas dire avec quelle ardeur il en
donna l’information aux élèves. Depuis ce moment-là, quand il avait

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450
quelque peu de répit, il allait adorer le Divin Sauveur, et alors il
semblait être un séraphin plus qu’un homme. Et c’est pourquoi
tout ce qui concernait le culte divin était précisément l’objet des
désirs de son âme. Comme il avait lui-même fait, lorsqu’il avait
été établi responsable principal de la sacristie au Séminaire de
Chieri, de même à présent il montrait un très grand zèle pour
exiger la propreté et l’ordre dans les vases sacrés et dans les
ornements sacrés, et il se montrait très attentif à ce que jamais,
de jour comme de nuit, ne s’éteignît la lampe devant le Saint
Sacrement. C’était son plaisir d’enlever les toiles d’araignées,
d’épousseter l’autel, de balayer l’église, de laver l’estrade.
Lui, si pauvre, contemplait en rêve et puis élevait des
églises d’une magnificence surprenante, et en celles-ci, comme
d’ores et déjà dans ses Oratoires, il exigeait tout l’éclat extérieur
possible et la plus grande propreté, même dans la sacristie. Il
mettait un extrême empressement pour leur décoration et pour le
comportement marqué de dévotion des jeunes gens. Il insistait
pour qu’ils fussent précis dans leur manière de faire le signe de
la croix et les génuflexions. Il ne pouvait pas tolérer que l’on
manquât envers le lieu sacré et envers les saints mystères au
respect qui leur est dû, et il recommandait à tous de bien con-
sidérer qui était Celui qui habite dans ce tabernacle. Il éprouvait
une grande peine lorsqu’il voyait ou apprenait que quelqu’un s’y
tenait avec peu de dévotion ; et sans respect humain il avisait le
négligent, fût-ce même une personne étrangère à la maison. Il
était scrupuleux dans l’exécution de tous les ordres qui avaient
été donnés par le Supérieur Ecclésiastique Diocésain au sujet des
choses du culte. Dans les grandes solennités il interdisait
d’appeler à l’aide des musiciens de théâtre ou de peu de piété
qui seraient venus de l’extérieur, pour la raison qu’ils ne se
tenaient pas correctement et perdaient le respect envers la
présence réelle de Jésus Christ. Il saluait toutes les églises de-
vant lesquelles il passait, même dans les endroits où il en
rencontrait une à chaque pas, et pendant la maladie on le vit se
marquer souvent du signe de la croix et se tourner vers l’église
dans une attitude d’adoration. Aux Prêtres il recommandait d’al-

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451
ler réciter le bréviaire devant le Saint Sacrement. La pensée que
Jésus était peu honoré dans beaucoup de régions de la terre
l’affligeait, et il exhortait des personnes charitables et pieuses à
fournir des objets et des vases sacrés aux églises pauvres et aux
chapelles des missions lointaines et à contribuer à leur construc-
tion et à leur conservation.
Nous ne nous rappelons pas l’avoir vu, même une fois,
assis dans l’église, excepté pendant les sermons. On ne voyait
rien d’affecté dans son attitude. A genoux, immobile dans toutes
les parties du corps, se tenant toujours bien droit dans sa
personne, les mains jointes posées sur le prie-Dieu ou sur la
poitrine ; la tête légèrement inclinée, le regard fixe, le visage
souriant. De tous les bruits qu’on pouvait faire aux alentours,
aucun ne suffisait pour le détourner [de cette attitude]. Qui se
tenait à côté de lui ne pouvait s’empêcher de bien prier, lui
aussi. Sur son visage se reflétaient la foi en la présence du
Divin Sauveur et la charité dont cette présence l’animait.
L’étude de la musique à l’Oratoire était en vue du ser-
vice de l’Eglise, et parfois D. Bosco enseignait lui-même un
cantique, bien qu’il eût [près de lui] beaucoup d’autres personnes
auxquelles [il pouvait] confier cette charge. Pour encourager cet
enseignement, il se portait vers la décision d’obtenir de Pie IX
des indulgences particulières pour le maître de musique et pour
les élèves, et il manifestait un spécial contentement lorsque les
jeunes exécutaient bien le chant grégorien.
En effet, personnellement, il accordait la plus grande
importance à toutes les solennités religieuses. La Messe de Mi-
nuit de la Sainte [fête de] Noël, il n’omit jamais de la célébrer
lui-même jusqu’aux dernières années de sa vie, et il faisait naî-
tre en tous la plus vive dévotion par la joie qui se révélait sur
son visage. Egalement, pendant la semaine sainte, le matin il
accomplissait toutes les célébrations prescrites et le soir les offi-
ces des ténèbres ; et, cela, avec un tel recueillement que les
participants en restaient émus. Mais auparavant il expliquait avec
une grande complaisance à ses jeunes toutes ces admirables céré-

47.6 Page 466

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452
monies. Villa Jean, qui l’entendit en 1855, nous en parlait. La
bénédiction des cierges [à la Chandeleur], celle de la gorge [à la
fête de Saint Blaise], celle des cendres [le mercredi au début du
Carême] et celle des branches d’olivier et des rameaux n’étaient
jamais omises. Il avait établi ceci : chaque année à l’Oratoire
aura lieu pendant trois jours l’exposition des Quarante heures, et
un petit groupe d’apprentis et d’étudiants avec des prêtres et des
jeunes abbés, devront se relayer continuellement pour l’adora-
tion. Alors l’église était aussi ouverte au public et lui-même s’y
rendait en assurant son heure comme les autres. Tant que les
forces le lui permirent, il se rendait à la procession générale du
Saint Sacrement de la Cathédrale avec ses jeunes, qu’il envoyait
également à la paroisse comme aussi à d’autres églises lors des
jours établis pour la même procession pour la rendre plus digne.
Mais si pour un bon nombre de ces cérémonies D. Bosco
gardait pour lui à l’Oratoire le rôle principal, il ne répugnait pas
à assumer les rôles secondaires. Ayant invité un Chanoine à
donner la bénédiction [du Saint Sacrement], il fit fonction de
thuriféraire. En passant près d’une église et en entendant la clo-
chette qui indiquait qu’il manquait un servant, il entrait aussitôt
et, ayant pris le missel, il invitait le prêtre à se rendre à l’autel.
Plusieurs fois, se trouvant dans des Institutions d’éducation, il
accomplit lui-même la fonction d’acolyte.
Cependant, étant très délicat dans chacune de ses maniè-
res de faire, il n’aurait jamais invité à un ministère de dernier
rang quelqu’un qui lui était supérieur, bien qu’il connût que cet-
te personne avait les mêmes sentiments que lui. Toutefois il
savait s’ingénier sans manquer au respect dû.
« Un jour de 1851 environ, raconte le T[rès] R[évérend]
D. Jacques Bellia, je me trouvais avec D. Cafasso et D. Bosco
dans la rue Doragrossa, et c’était la fête de la conversion de
S[aint] Paul. Tout à coup D. Bosco se frappe le front avec sa
main et dit : [] Oh, pauvre de moi ; j’ai oublié d’envoyer qua-
tre jeunes abbés faire le service d’acolytes pour la bénédiction
du Très saint [Sacrement] à [l’Institution appelée] le Dépôt, de
l’Œuvre de S[aint] Paul. Nous avons encore le temps, fit
remarquer D. Cafasso. Et pourquoi ne pouvons-nous pas y aller

47.7 Page 467

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nous-mêmes ? Si nous ne sommes pas quatre, nous sommes
trois ; c’est mieux que personne. — Sitôt dit, sitôt fait. Nous
étions tout près, nous avons rebroussé chemin et sommes arrivés
au moment où le prêtre avançait vers l’autel avec le thuriféraire.
Alors, chacun de nous ayant pris un cierge, nous sommes entrés
avec gravité dans le chœur. D. Cafasso resta à droite, D. Bosco
à gauche et moi au milieu et nous assistâmes ainsi à la
bénédiction. Après cette [cérémonie] le pieux Giacomelli, directeur
de l’Institution, ne finissait pas de remercier D. Cafasso de la
bonté qu’il avait eue de daigner venir ; mais celui-ci lui répondit
qu’était toujours une grande chance le fait d’exercer même le
dernier des ministères dans la maison de Dieu. Quelle leçon
pour certains jeunes abbés qui font la fine bouche ». Jusqu’ici
[s’exprimait] D. Bellia.
D’après un si grand esprit de foi pour ces ministères
secondaires, on peut déduire l’ardeur de notre bon Père dans les
rôles principaux. Pour célébrer la sainte Messe, il avait une
attitude si correcte, était si concentré, si rempli de dévotion, si
précis que les fidèles recevaient de sa part la plus grande
édification. Il prononçait les oraisons et les autres parties de la
Messe que l’on doit dire à haute voix, avec une grande clarté
pour qu’elles fussent entendues de toutes les personnes présentes,
et avec beaucoup d’onction. Il n’employait jamais plus d’une
demi-heure et jamais moins du tiers de l’heure, selon les règles
données par Benoît XIV ; ce qu’il rappelait à ses prêtres. Il
aimait que l’on fît la distribution des saintes espèces plutôt après
la communion du prêtre qu’avant ou après la Messe, pour suivre
l’esprit de l’Eglise et se conformer à l’usage des premiers
siècles du Christianisme ; et il éprouvait un plaisir très particu-
lier à administrer la Communion et on l’entendait prononcer les
paroles avec une grande ferveur d’esprit. Il n’omettait jamais de
célébrer sauf lorsqu’il y avait réellement une très grave néces-
sité. Devant entreprendre des voyages de bon matin, il anticipait
la messe en écourtant son repos, ou il la disait, avec une grande
gêne pour lui, une fois arrivé à destination, bien que l’heure fût

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très tardive. De temps en temps son visage était inondé de larmes.
Parfois il semblait interrompu, nous ne savons pas si c’est par des
ravissements ou par d’autres ferveurs extraordinaires. Il lui arriva
aussi après l’élévation d’apparaître ravi en extase au point qu’il
semblait voir Jésus Christ de ses propres yeux. Souvent, pendant
qu’il consacrait, son visage changeait de couleur et prenait une
telle expression, au point de faire dire qu’il paraissait un saint.
Toutefois, sans aucune affectation, toujours calme et naturel dans
les mouvements de sa personne, il ne laissait entrevoir, surtout
dans les églises publiques, rien d’extraordinaire. Cependant les
fidèles, à Turin et n’importe où il allait, en grand nombre
s’empressaient, et ils en éprouvaient un grand plaisir, d’accourir,
en en sachant l’heure, pour le voir célébrer et avoir le secours
de ses prières. D’autre part les personnes qui avaient la faveur
de l’autel privé considéraient avoir de la chance lorsqu’elles
pouvaient l’avoir pour célébrer la messe dans leur maison.
Et il parlait toujours de l’importance du saint Sacrifice.
Aux siens, en raison de la règle, et à tous les autres, à titre de
conseil, il suggérait d’y prendre part chaque jour, en rappelant
les paroles de S[aint] Augustin, à savoir que ne périrait pas de
mauvaise mort celui qui participe dévotement et avec assiduité à
la sainte Messe. A ceux qui désiraient obtenir des grâces et
recouraient à lui, il recommandait de la faire célébrer, de la
suivre, et d’y participer avec la communion fréquente. Il disait
également que le Seigneur exauce de façon spéciale les prières
bien faites au moment de l’élévation de la sainte hostie.
En même temps il était très précis pour prendre aussitôt
note des offrandes pour des messes et pour s’acquitter de cette
obligation de justice. Mais, des années plus tard, se trouvant
souvent entouré de nombreuses personnes qui dans ce but lui
remettaient l’offrande pour des messes, il prit l’habitude, dans le
doute d’avoir pu en oublier une, de faire célébrer chaque jour
une messe en compensation de celles dont peut-être il ne se
serait pas souvenu.

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Mais cette ardeur, à laquelle il était très attaché, pour
éviter à chaque fidèle de rester privé de tant de grâces célestes
qui lui étaient dues, sa constante ferveur [quand il était] à l’autel,
on doit certainement les attribuer à une pensée continuellement
fixée sur le grand acte qu’il devait accomplir chaque matin. Et
en premier lieu nous dirons que parfois il allait prier dans
l’Eglise S[aint]-François d’Assise devant la chapelle dans laquelle
il avait célébré sa première Messe, et renouveler les résolutions
prises en ce jour solennel. Par ailleurs il portait toujours sur lui
le livret des cérémonies de la Messe et souvent il le lisait pour
ne pas oublier les rubriques, même les moindres. Et c’est selon
cet exemplaire que se formèrent ses prêtres. Le bon marquis
Scarampi a dit à Mgr Cagliero : Je viens si volontiers pren-
dre part à la messe à l’Oratoire parce que les jeunes prêtres de
D. Bosco disent la messe comme s’ils en étaient de vieux :
tandis que je vois que dans d’autres endroits les vieux prêtres
disent la messe comme s’ils en étaient de jeunes, c’est-à-dire
hâtivement. [] Et D. Bosco, en période de retraite spirituelle,
les exhortait à se servir la messe l’un à l’autre, pour découvrir,
en s’avertissant fraternellement, les défauts dont, sans s’en aper-
cevoir, ils auraient contracté l’habitude. Lui-même, il observait et
au besoin il les aidait à se corriger même de très petites choses,
et il suppliait aussi pour que quelqu’un eût la charité de
l’observer pareillement et de le corriger s’il l’apercevait en
défaut.
Pour le saint Sacrifice il faisait, avant, la préparation
nécessaire et, après, l’action de grâces, sauf s’il en était empê-
ché par quelque grave nécessité spirituelle ou morale. En un tel
cas il sacrifiait son plaisir spirituel à la charité pour le prochain.
Mais D. Savio Ascagne se disait être intimement convaincu que
D. Bosco se trouvant ensuite seul dans sa chambre ou à l’église
laissait la liberté à son cœur de s’épancher avec Dieu. Il veillait
à ce que les prêtres de sa maison remplissent ces devoirs, et
comme préparation éloignée il observait et faisait observer un si-

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456
lence rigoureux dans l’église et dans les sacristies elles-mêmes,
tel qu’on l’observe encore à présent. S’il devait traiter de
questions spirituelles, il parlait à voix basse et réservée,
désapprouvant qui faisait le contraire. — Dès l’époque où nous
étions au Séminaire, affirmait D. Giacomelli, il m’expliqua le
sens des lettres S. T. que l’on voit dans les cloîtres anciens, à
savoir : Silentium tene [Garde le silence]. En outre il avait
ordonné qu’après les prières du soir jusqu’au matin après la
messe, plus personne ne parlât. Plusieurs fois il nous arriva
de le rencontrer le matin, lorsqu’il descendait de sa chambre
pour se rendre à l’église. A ce moment-là il acceptait le salut
avec un sourire, se laissait poser un baiser sur la main, mais il
ne prononçait pas un mot, tant était grand son recueillement
personnel en préparation de la messe.
Il voulait que cette dernière fût servie avec une grande
exactitude et ce fut toujours sa passion que d’en enseigner aux
jeunes la manière de faire.
A Sassi en 1902 quelques anciens racontaient à D. Gari-
no comment ils avaient appris de D. Bosco à servir la Messe
alors que ce dernier, qui traversait une période de maladie, avait
été reçu comme hôte par leur curé pendant quelques semaines. Il
établit donc que chaque jeudi on enseignât aux jeunes abbés à
servir la Messe solennelle et que chaque soir on en fit autant
pour les jeunes gens, étudiants comme apprentis, afin de leur
permettre d’apprendre à bien servir la messe dite en privé et à
prononcer lentement et entièrement les paroles. Lorsque quel-
qu’un, en lui servant la messe, laissait voir qu’il ne le faisait
pas avec exactitude, à son retour à la sacristie, avec de belles
manières il l’en avertissait et l’encourageait à mieux apprendre,
en lui disant les fautes qu’il avait commises et il lui promettait
quelque beau cadeau au cas où il se corrigerait. Il avait toujours
cependant des manières polies, [des manières] qui lui étaient tout
à fait propres.
Un jeune garçon, en servant la messe à D. Bosco,
mangeait la moitié de ses mots. D. Bosco, à son retour à la
sacristie et après avoir enlevé les habits sacrés, lui dit à voix
basse : — Mais tu as toujours trop d’appétit !

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Pourquoi ?
— Parce que tu manges jusqu’aux paroles de la Messe.
Le jeune garçon ne répondit pas et le long de la journée il
s’exerça à bien prononcer les paroles qu’il avait l’habitude
d’embrouiller. Le lendemain, il fut appelé de nouveau à lui ser-
vir la messe.
Quand elle fut finie : Eh bien ! dit à D. Bosco le jeune ; et
l’appétit ?
Il diminue, il diminue, répondit D. Bosco.
Un autre jour, racontait D. Milanesio, D. Bosco avertit le
servant d’une faute qu’il avait faite en lui servant la sainte Mes-
se. Le jeune garçon, qui avait une très grande vivacité et qui
était franc, lui répondit : Vous aussi, Vous avez fait une
faute ! Et il lui dit laquelle. Sans doute par inadvertance,
chose rare cependant, il avait béni l’eau à mettre dans le calice
en célébrant la messe des défunts. D. Bosco lui répondit affec-
tueusement : Que veux-tu ? Nous sommes deux sciapin [deux
propres-à-rien, en dialecte piémontais], c’est-à-dire des gâcheurs de
besogne. Et cette réponse de sa part est une preuve de
grande humilité.
Nous rappellerons encore que D. Bosco fut l’apôtre de la
communion fréquente et de la visite quotidienne au Saint Sa-
crement. Souvent en prêchant, pour décrire l’excès d’amour de
Jésus pour les hommes, il pleurait lui-même et faisait pleurer les
autres de sainte émotion. Egalement en récréation, en parlant
parfois de la S[ain]te Eucharistie, son visage s’enflammait d’une
sainte ardeur et il disait souvent aux jeunes : Chers jeunes,
voulons-nous être joyeux et contents ? Aimons de tout cœur
Jésus au Saint Sacrement. — Et à ses paroles les cœurs se
sentaient tout pénétrés de la vérité de la présence réelle de
Jésus Christ. Personne ne peut décrire sa joie lorsque, à l’église,
il put réussir à avoir tous les jours un certain nombre de com-
muniants qui se relayaient. Aux jeunes garçons et aux adultes il
recommandait de se garder dans un état de conscience permet-
tant de pouvoir, avec le conseil du confesseur, s’approcher de la

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sainte table, même tous les jours. Il n’hésitait point à donner
cette permission à qui était suffisamment préparé. Cependant
lorsqu’il parlait de la Communion sacrilège, il le faisait avec de
tels accents que les jeunes sentaient leur sang se glacer et ils
concevaient une véritable peur de cet énorme péché.
D. Giacomelli lui ayant fait une remarque [en soulignant]
comment il était plutôt enclin à permettre avec facilité la Com-
munion aux jeunes, il lui répondit aussitôt que l’Eglise, comme
on [peut le] lire dans les Actes du Concile de Trente, exhorte à
ce qu’à chaque fois que l’on célèbre la Messe, il y ait des
fidèles qui communient. Et pour atteindre ce but, il fondait des
associations et des compagnies, il invitait avec plus d’insis-
tance à l’occasion de triduums, de neuvaines et de fêtes, il
publiait un beau nombre de petites brochures qu’il répandait
parmi [les gens] du peuple, pour un petit prix ou pour rien, à
plusieurs milliers d’exemplaires, mettant dans l’esprit de ses
jeunes d’en faire la lecture. Pour cela il était infatigable pour
confesser, avait une très grande ardeur pour préparer les jeunes
garçons à la première Communion, veillait avec empressement à
ce que ce grand acte [religieux] revêtît la plus haute importance,
avec parfois également une solennité particulière.
Il n’y a donc pas à s’étonner si les communions des
jeunes faisaient plaisir au Seigneur. Souvent D. Bosco, adressant
le mot du soir aux jeunes, les invitait à prier et à faire le
lendemain, ceux qui le pouvaient, la communion avec une
grande foi, en disant qu’il avait besoin de grandes grâces
pour la Maison ; et bien des fois, le soir suivant, on l’entendait
dire que le Seigneur l’avait exaucé. Le bien que lui et les siens
faisaient, les grâces accordées [par le canal] de Notre-Dame et les
aumônes des bienfaiteurs étaient, disait-il, l’effet de l’intercession
et des communions de ses élèves. Il n’attribuait jamais la moin-
dre chose à son mérite. Que de fois nous l’avons entendu
s’écrier : [] Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da
gloriam [Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom
donne la gloire] ; [] et répéter : [] La Divine Providence nous
a envoyé tel ou tel secours.

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Finalement nous ferons observer combien, et cela décou-
le de ce qui a déjà été dit, était grand son esprit d’union à
Dieu, même dans sa vie que l’on dirait extérieure. En examinant
sa prodigieuse activité, très occupée en des œuvres innombrables
de charité et de religion, on serait conduit à croire qu’il était un
homme tout de calcul et d’action, et qu’il se contentait des
prières obligatoires. « Mais non, nous disait le Prof[esseur]
Maranzana, son élève ; par moi-même il fut toujours observé
dans un si grand recueillement personnel, ayant l’âme si paisible
et tranquille, au point de sembler être en contemplation conti-
nuelle des choses célestes : il était sur cette terre pour opérer le
bien, mais son esprit était dans une autre vie ». Et sa vie était
Jésus Christ.
Ses secrétaires le virent toujours commencer ses travaux
en élevant plus intensément son esprit vers Dieu. Tant qu’il le
put et que les forces le lui permirent, il récitait avec les jeunes
les prières du soir, se tenant bien droit dans sa personne et à
genoux à même le sol des arcades, et, s’il apercevait un garçon
faire moins correctement le signe de la croix, il n’omettait pas
de l’en avertir. Même les petites prières qu’on avait l’habitude
de faire avant [de prendre de] la nourriture et après [en avoir pris]
étaient récitées par lui avec une grande tenue. Bien des fois,
écrivit D. Rua, je le surpris recueilli dans la prière pendant les
courts instants où, ayant besoin de répit, il se trouvait dans la
solitude. [] Il exprima également à un confrère en qui il avait
une grande confiance : — Certaines fois je ne peux m’appliquer
correctement à la lecture spirituelle, et alors avant d’aller au lit,
agenouillé à terre, je relis ou au moins je me rappelle posément
quelques versets de l’Imitation de Jésus Christ.
En somme, l’esprit et le cœur fixés en Jésus au Saint
Sacrement, il vivait dans une continuelle prière.

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CHAPITRE XL
Fête solennelle en l’honneur de S[aint] Louis Note comique et
événement douloureux Lettres des Evêques pour la Lote-
rie L’Evêque de Fossano à l’Oratoire Discours mémorable de
l’Evêque de Biella Tirage de la Loterie Mgr Fransoni
félicite D. Bosco.
A l’Oratoire, c’était une succession continuelle de festi-
vités. A [la fête de] S[aint] Jean, pendant laquelle cette année-là on
avait vu pour la dernière fois le traditionnel feu de joie sur la
place du Château, succédait le 29 juin [celle de] S[aint] Louis, auquel
D. Bosco avait dédié un autel dans sa nouvelle église. Quant
à lui, en ces jours-là, disait D. Savio Ascagne, il ne faisait que
parler aux jeunes, avec une grande tendresse, de la pureté de
conscience de ce saint, en le proposant comme modèle à imiter,
et nous pouvions de ses paroles elles-mêmes déduire combien était
également pure son âme. Et dans un élan de sa très vive dévotion, en
se tenant au milieu de nous, il entonnait fréquemment lui-même la
louange de S[aint] Louis. Brosio laissa par écrit ceci : « La fête fut
un nec plus ultra. L’église était toute tapissée à l’intérieur et à
l’extérieur, avec un si grand nombre de cierges au maître-autel et aux
deux autels latéraux qu’elle semblait un paradis. Les Communions
dépassèrent les 300, nombre très élevé car dans les semaines
précédentes il y avait déjà eu deux communions générales. Plus
de huit cents jeunes eurent du pain et du saucisson au petit
déjeuner. Un Evêque dont je ne me rappelle plus le nom célébra

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les rites sacrés. Le saint spectacle d’une belle procession ne manqua
pas. De nombreux invités accoururent. Au moment des cérémonies
sacrées de temps en temps je faisais la quête à l’intérieur et à
l’extérieur du lieu sacré, et j’ai récolté environ 80 lires.
» De service pour le bon ordre, il n’y eut plus seulement ma
grande armée avec les fusils de bois et la simple trompette du
bersaglier, mais également une compagnie de la garde nationale
en grande tenue avec ses tambours, commandée par m[onsieur]
l’officier Dasso, marchand de rubans et notre ami. Tous les
collèges et tous les oratoires passés, présents et futurs n’eurent
pas et n’auront jamais autant de divertissements que nous avons
pu en avoir, nous, au cours de l’après-midi de ce jour ; simples
certes, mais [source] de grande union, de grande vivacité et
[de grande] cordialité chez ceux qui en profitaient. Il y avait la
course en sac, les tours de passe-passe, les évolutions militaires,
la gymnastique, les fontaines dans la cour qui lançaient des jets
rouges et blancs selon les substances colorantes introduites dans
l’eau, et les [lâchers de] ballons. Les petits divertissements étaient
par ailleurs sans nombre.
» Sous une tente se trouvait un grand stand qui sous certaines
conditions distribuait des bonbons, des dragées, des fruits, de la
limonade, de la bière, de l’eau douce, etc., etc. ; et dans toutes
les parties de la cour on voyait d’autres petits présentoirs ambu-
lants pour servir plus commodément les acheteurs. Le Comte
Cays, le Baron Bianco de Barbania, le Chev[alier] Gonella Marc,
le chev[alier] Dupré, le Comte d’Agliano, un général d’armée, le
Marq[uis] Gustave de Cavour, le Comte Viancino, les prêtres Théo-
logiens Carpano, Chiaves, Murialdo Robert, Borel, Vola le junior,
Marengo, et les simples prêtres D. Giacomelli, D. Merlo [= Mer-
la], D. Trivero chapelain de la Basilique Saints-Maurice-et-Lazare et
de très nombreux autres envoyaient à tout instant acheter quelque
chose à distribuer aux jeunes. A moi tout seul j’ai distribué,
ainsi petit à petit, environ dix lires de bonbons par ordre de D. Bosco
et d’autres messieurs. Ces friandises et beaucoup d’autres étaient
un surplus du grand stock qui était disposé dans le stand fixe.

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Au milieu de tant d’abondance D. Bosco ne goûta pas la
moindre chose. Je lui avais donné un bonbon pour qu’il s’hu-
midifiât la gorge, car il était exténué à cause de la chaleur
suffocante, mais il en offrit la moitié à un jeune. Tout pour
nous, rien pour lui.
» Un arc grandiose de branchages dressé au milieu du pré, non
loin du hangar loué par M. Visca, apparut à la tombée de la
nuit splendidement illuminé au moyen de petites flammes, et la
fête se clôtura par de très beaux feux d’artifice et par de grands hour-
ras à D. Bosco. Plus de mille jeunes, dont au moins trois cents
approchaient de 20 ans ou avaient davantage, contenus dans une
cour, n’eurent pas le moindre problème, mais ils étaient tous
d’accord et unis comme autant de frères ». Jusqu’ici [s’exprimait]
le jeune Brosio.
Toutefois comme dans les choses humaines, même les
plus joyeuses, se produit toujours quelque circonstance qui jette
le trouble, ainsi la belle fête avait commencé avec une note
comique et avait fini avec un événement douloureux.
D. Bosco, le matin, avait fait porter à l’Oratoire, depuis
une boutique de la place Notre-Dame de Consolation, du cho-
colat, du café, du lait avec les gâteaux pour vingt personnes. Le
Chev[alier] Cotta, banquier, président de la fête, réglait la dépen-
se. Le garçon de café, étant allé participer à la sainte Messe,
avait laissé sans gardien la pièce dans laquelle il avait déposé le
petit déjeuner. Une fois la Messe terminée, les invités trouvèrent
les cafetières presque vides et les gâteaux en petit nombre. Les uns
crient, les autres rient, d’autres s’écrient en disant que les jeunes
chanteurs restent sans petit déjeuner, et entre-temps D. Bosco
arrive de la chapelle. On dut envoyer chercher en vitesse à la
boutique, qui était assez éloignée, pour fournir le nécessaire. Le
patron du café ne sait pas quoi dire, s’impatiente, mais fournit.
En attendant, tout à coup, D. Bosco est averti que le jeune
externe Vilietti est malade, étendu dans un champ voisin. Il va
et le trouve dans un fossé : — Qu’as-tu ? lui dit-il.

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Je me sens mal ; confessez-moi !
— Qu’as-tu mangé ?
Rien, rien.
Mais dis la vérité. As-tu mangé quelque chose qui t’a fait
mal ?
— Je n’ai rien mangé d’autre qu’un peu de ces trucs qui
étaient dans la sacristie. Pauvre garçon ! A toute vitesse pour
ne pas être surpris, il avait [enlevé] dans une assiette creuse,
[puis] dévoré et absorbé au moins la moitié de ce qui avait été
préparé pour vingt.
D. Bosco sourit devant sa réponse, et Vilietti, aidé par
lui, se leva pour se diriger vers sa maison. Mais tous ces trucs
dans son corps avaient commencé à fermenter. Il se trouvait en
rase campagne, et les arbres étaient peu nombreux. Il cherchait à
se cacher derrière ceux-ci, mais de tous les côtés les gens s’a-
vançaient. Les jeunes l’observaient depuis la cour, en riant de
son embarras et des conséquences de sa gourmandise. Il fut con-
duit chez lui et resta malade durant plusieurs jours. Mais, guéri,
il revint de rares fois à l’Oratoire parce que tous le raillaient.
Auparavant il était catéchiste, sacristain, chanteur, factotum et
homme de confiance des Supérieurs et, alors, se produisit chez
ses compagnons une réaction à son détriment, d’autant plus
grande qu’auparavant il était plus admiré et envié. Ils changèrent
son nom et l’appelèrent celui du chocolat et, en le rencontrant,
ils lui demandaient : Aimes-tu le chocolat ?
D’autre part, le soir, le jeune Chiesa Jean circulait au
milieu de la foule auprès de l’Oratoire en vendant beaucoup de
petites fusées, qu’il portait dans un panier suspendu à son cou.
Celles-ci, allumées et lancées en l’air, augmentaient avec leur
explosion le bruit de la fête. Et voici que quelques étincel-
les parties d’une fusée, qu’imprudemment un compagnon voisin
tenait en main, tombèrent dans le panier. En un instant toutes
ces poudres s’enflammèrent, les habits de Chiesa prirent feu et

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lui, ayant jeté le panier, et rempli de brûlures, courut se jeter
dans l’eau d’un canal. Il fut porté à l’Hôpital. Il était dans un
tel état que les médecins crurent qu’il mourrait la nuit même, et
ils firent céder à son avantage un lit par un convalescent, car
toutes les places étaient occupées. D. Bosco alla aussitôt lui
rendre visite et le bénit. Chiesa guérit lentement, mais lorsque
d’elles-mêmes les croûtes et la peau se détachèrent du visa-
ge, elles avaient ensemble la forme d’un véritable masque. Et ce
fut, nous dirions, un miracle si ses yeux restèrent indemnes.
Ces fêtes n’interrompaient pas les tâches de la loterie.
Des circulaires, les unes après les autres, et par milliers,
annonçaient d’abord le tirage des lots pour le 30 juin et ensuite
avertirent qu’il était différé au 12 juillet.
Les Evêques continuaient à offrir leur aide à D. Bosco.
Mgr Galvano lui écrivait : « J’applaudis sincèrement au
zèle très louable et édifiant que V[otre] S[eigneurie] T[rès]
R[évérende] déploie dans la construction d’un Oratoire approprié,
que l’on ne pouvait pas mieux dédier qu’à ce Saint, qui est un
protecteur très munificent de ces Etats, et qui libéra une partie
remarquable de la Savoie de la peste de l’hérésie, qui en ce
moment, semble-t-il, veut vomir sa bave venimeuse dans notre
Piémont. Que soit donc fait l’éloge dû à votre piété exemplaire,
[à Vous] qui, j’en suis sûr, rencontrerez des obstacles pour l’ac-
complissement de la noble entreprise ; mais ne Vous manqueront
pas les réconforts et les secours que la divine Providence ne
refuse jamais à tous ceux qui mettent une pleine confiance en
Elle.
» En attendant, j’accepte de bon gré les deux cents billets
envoyés que je tâcherai de partager avec mes diocésains, et
Vous recevrez bientôt le montant de [ces billets] par l’inter-
médiaire d’une main amie. Continuez avec ardeur l’œuvre si
bien commencée et qui sera bénie par le Seigneur d’une
façon particulière, comme [étant] celle qui ne pouvait pas mieux

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465
convenir aux circonstances de l’époque. Agréez mes cordiales
félicitations, etc., etc.
Nice, 22 juin 1852.
DOMINIQUE, évêque ».
Et Monseig[neur] Jourdain : « J’ai reçu votre lettre avec
cent billets de loterie. Je tâcherai de les vendre. Et, dans tous
les cas, je mettrai sur le compte de V[otre] S[eigneurie] les
cinquante lires. Je me réjouis que votre église soit terminée, et
que déjà on y célèbre la Sainte Messe ; cela doit apporter une
grande joie à V[otre] S[eigneurie] et aux braves personnes.
L’aimable Providence a béni l’œuvre et récompensé le zèle de
V[otre] S[eigneurie].
» Je Vous remercie sincèrement pour ce que Vous avez déjà
fait, et pour ce que Vous ferez à l’avenir pour mes diocésains
pauvres.
Aoste, le 28 Juin 1852.
ANDRÉ, évêque ».
(Traduction du texte français).
[voir * page 471]
Mgr Gentile lui envoyait également une de ses lettres :
« Ayant ces jours-ci demandé des comptes à quelqu’un que
j’avais chargé de la vente des billets de votre loterie, je trouve
qu’il n’en aurait pas vendu sinon une douzaine environ, parce
que, me dit-il, [des billets] auraient été envoyés de chez Vous à
d’autres [personnes] pour le même but.
» Mais voyant que le jour du tirage est proche, je ne peux
retarder davantage pour donner à V[otre] S[eigneurie] T[rès]
R[évérende] un rapport de la vente. Déjà compte tenu spécia-
lement du fait que quelques jeunes de ce diocèse, ainsi que
Vous l’indiquez, fréquenteront l’Oratoire fondé par le zèle de
V[otre] S[eigneurie], j’avais pris une centaine desdits billets, ainsi
que déjà je l’écrivis une autre fois, et aujourd’hui je me suis
décidé à en prendre autant.

48.10 Page 480

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466
» Par la poste de demain je Vous enverrai le montant des
billets au moyen d’un mandat.
» Il m’est agréable, etc., etc.
Gozzano, 9 juillet 1852.
PHILIPPE, évêque de Novare ».
Et Mgr Biale : « Joints à votre lettre très appréciée du
9 juin dernier j’ai reçu les 200 billets qu’avec tant de charité et
de zèle Vous avez voulu me confier pour les vendre dans mon
diocèse. Tandis que je fais les plus grands éloges de la bonne
œuvre que Vous avez entreprise en ces temps, je suis content de
pouvoir Vous répondre que j’ai vendu tous les billets susdits,
dont le montant n’est pas encore complètement entre mes mains,
mais je vais attendre un peu, pour ensuite l’envoyer en une seu-
le fois à V[otre] S[eigneurie], ou bien le remettre à qui Vous
daignerez m’indiquer.
» En attendant je Vous prie, dès que sera fait le tirage des
objets indiqués, d’envoyer à mon [bureau de] direction dans un
seul colis ceux qui seront appelés à échoir aux acheteurs des
200 billets susdits avec l’indication de chaque numéro [gagnant],
et je les leur ferai rapidement avoir.
» Il m’est bien agréable, etc., etc.
Vintimille, 10 juillet 1852.
LAURENT, évêque ».
Et les Evêques ne se contentaient pas des lettres et
des offrandes, mais ils honoraient de leur présence la pauvre
maison de Valdocco. Tomatis Charles était présent lorsque vint
Mgr Fantini, Evêque de Fossano. D. Bosco l’accueillit avec une joie
de fête, en faisant chanter par Gastini Charles, qui avait une très
belle voix, quelques couplets, écrits à la façon d’une romance
par D. Bosco lui-même en l’honneur du Prélat.

49 Pages 481-490

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49.1 Page 481

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467
Quelques Dimanches après la solennelle bénédiction de
l’église, l’Evêque de Biella, Mgr Losanna [= Losana], arrivait à
l’Oratoire. Monté en chaire, il fit une magnifique allocution,
enflammée parce qu’il savait que des centaines de ces jeunes
gens étaient des apprentis maçons du pays de Biella. Il remer-
ciait la Providence, il remerciait Don Bosco, il encourageait ce
peuple de jeunes, bien petits devant la vie, à fréquenter
l’Oratoire, leur bouclier et leur défense contre l’immoralité et
l’injustice protestantes. En concluant il s’écriait : [] Mais ce
n’est pas ici seulement que D. Bosco est appelé à édifier une
église. Là-bas près de l’avenue du Roi, là-bas à Portanuova,
là-bas près de la synagogue [sic] des disciples de Luther, de
Calvin et de Pierre Valdo, D. Bosco doit en élever une deuxiè-
me. C’est nécessaire, Dieu le veut, D. Bosco le fera. — Et il
fut prophète.
Entre-temps tous les billets de la loterie avaient été mis
en vente. Il y eut quelqu’un qui allait à leur recherche en of-
frant de les payer cinq lires chacun, mais il ne put en trouver,
pour la raison aussi que les organisateurs n’avaient pas encore
restitué les invendus. Pour finir, le tirage des lots fut effectué
publiquement à l’Hôtel de ville. Combien de soin et de peine a
pu coûter cette opération, on le comprend rien qu’à lire le
procès-verbal qui en fut rédigé (1), qu’à penser aux autres cir-
culaires de remerciement à l’adresse des donateurs, aux feuilles
—————
(1) Procès-verbal du tirage de la loterie au profit de l’Oratoire
masculin S[aint]-François de Sales à Valdocco.
L’an du Seigneur mil huit cent cinquante-deux, le 12 Juillet, à deux heures
et demie de l’après-midi, à Turin et sur le balcon de l’Hôtel de Ville, on
commençait le tirage de la loterie d’objets, accordée par décret du 9 décem-
bre 1851 par monsieur l’Intendant Général de la Division au profit de
l’Oratoire masculin S[aint]-François de Sales à Valdocco.
A la suite de la prorogation accordée par monsieur l’Intendant Général
susdit, après l’annonce publiée dans la Gazzetta Ufficiale [Journal Officiel],
à la vue du public, se réunissait la Direction Organisatrice en présence
du très ill[ustre] m[onsieur] le Théologien Collégial D. Pierre Baricco,
Adjoint au maire Délégué, et avec la participation de moi-même, sous-
signé, choisi comme secrétaire.
./..

49.2 Page 482

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468
imprimées portant la liste des numéros gagnants et l’indication
correspondante du lot gagné, aux expéditions de nombreux dons,
aux réponses par lettres manuscrites à ceux qui demandaient des
renseignements, des explications, ou faisaient des réclamations.
—————
Comme la direction avait été autorisée à émettre des billets au nom-
bre de 99 999, monsieur l’Adjoint au maire reconnut l’existence de quatre
urnes tournantes, dans la première desquelles, de couleur bleu foncé, on
devait déposer des boules parfaitement égales et de la même couleur, [portant
chacune un numéro différent], en nombre équivalant à celui des milliers des billets
émis, c’est-à-dire de zéro à 99. Dans la deuxième, de couleur rouge, devaient
être déposées dix boules, c’est-à-dire de zéro à 9 ; dans la troisième, de
couleur jaune, au nombre de dix, c’est-à-dire de zéro à 9 ; dans la quatrième
enfin, de couleur grise, 10 autres, c’est-à-dire de zéro à 9. Ensuite, une fois
reconnu par monsieur l’Adjoint au maire susdit le fait que ces urnes
tournantes étaient totalement vides, les boules furent placées une à la fois par
lui-même dans ces [urnes]. Cette opération terminée, les quatre urnes furent
fermées, et on les fit tourner afin de mélanger les boules. Puis, par la main de
huit jeunes de l’Oratoire à tour de rôle, on commença à tirer un numéro de la
première urne tournante, c’est-à-dire de celle des milliers, ensuite de la
deuxième, c’est-à-dire de celle des centaines, puis de la troisième, c’est-à-dire
de celle des dizaines, enfin de la quatrième, c’est-à-dire de celle des unités.
On répéta cette opération autant de fois qu’il y avait d’objets composant la
loterie, à savoir 3 251. Chaque numéro tiré fut proclamé à haute voix par un
membre de la Direction et [le nombre formé] fut répété dans son entier par un
autre, désigné pour cette tâche, et dans le même temps noté par trois
scrutateurs sur un registre spécial à côté du numéro du lot gagné.
Comme l’opération ne put être accomplie dans la journée, m[onsieur]
l’Adjoint au maire prorogea le tirage au lendemain à 9 heures du matin et
ferma [chaque] urne avec de la cire à cacheter, en déposant dans un lieu sûr
les registres.
L’opération fut reprise au jour et à l’heure établis en présence et avec la
participation des personnes indiquées ci-dessus : comme on n’avait pas pu
parvenir au terme du tirage, il fut de nouveau prorogé par monsieur l’Adjoint
au maire susdit au lendemain à huit heures et demie du matin.
De cette façon l’opération, continuée le lendemain en présence et avec la
participation des personnes indiquées ci-dessus, prit fin à cinq heures et
demie de l’après-midi.
Monsieur l’Adjoint au maire délégué reconnut la régularité du travail opéré
et moi, désigné pour cela puisque choisi comme secrétaire, j’en ai rédigé

49.3 Page 483

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469
De nombreuses personnes qui gagnèrent un don le laissèrent
avec grand plaisir au bénéfice de l’église et ainsi on put retirer un
autre profit. Cependant les frais n’avaient pas été petits. De très
nombreux billets avaient été distribués çà et là et perdus et, à cause de
cela, on en retira le prix de soixante-quatorze mille : une somme
néanmoins considérable. Mais D. Bosco, comme il l’avait promis,
dans sa générosité en donna également une part à la Petite Maison de
la Divine Providence, la remettant au Chan[oine] Louis Anglesio.
Quelques jours après le tirage de la loterie, D. Bosco
avait donné des informations à Mgr Louis Fransoni sur la
solennelle bénédiction de la nouvelle église ; et ce dernier en
témoignait son approbation dans une lettre où se manifestent la
haute estime et la paternelle bienveillance que cet illustre prélat
nourrissait toujours envers l’Oratoire. Nous manquerions à notre
devoir si nous en interdisions l’approche à nos lecteurs.
Très cher Don Bosco,
Lyon, 29 juillet 1852.
Je veux bien supposer que l’église est de la plus stricte simplicité,
mais il me semble prodigieux de penser qu’en onze mois elle fut
construite et rendue utilisable pour les cérémonies. Qu’en soit béni
—————
le présent procès-verbal aux termes de ce qui est prescrit dans le décret de
monsieur l’Intendant Général et, à la suite de monsieur l’Adjoint au maire
susdit et des messieurs qui composent la direction, j’ai signé au bas de ce
[procès-verbal].
Lu et approuvé, Turin, le 14 Juillet 1852.
Théol. D. PIERRE BARICCO A[djoint au] M[aire].
Pr[être] J[ean] BOSCO.
BOCCA FRÉDÉRIC.
Théol. JEAN BOREL.
LAURENT d’AGLIANO.
Le secrétaire choisi
BELLINGERI GAÉTAN avocat.

49.4 Page 484

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470
et remercié le Seigneur, qui Vous donna l’inspiration de l’élever
et la grâce de pouvoir la réaliser à l’avantage de tant de jeunes
qui s’empressent d’y accourir.
Je suis désolé de ce que Vous n’ayez pas pu écouler
totalement les cent mille billets, car les 74 mille vendus, en plus
du fait qu’ils doivent supporter la déduction des frais de la
loterie, sont bien loin de produire pour votre église 32 mille
lires, étant donné que la moitié est généreusement cédée par
Vous en faveur de la Petite Maison. Ce sont deux établisse-
ments voisins pour lesquels on peut dire qu’est visible la main
du Seigneur.
J’ignore encore si mes cent billets ont gagné quelque objet qui
puisse avoir un bon emploi. Dans la liste, ou catalogue, j’ai vu
un certain nombre de [lots] à même d’être appréciés, mais
en général d’habitude il m’échoue un pare-étincelles ou un
porte-serviettes. Je voudrais qu’il fût d’une valeur telle qu’on pût
en faire profiter votre église.
Dans le désir que tous vos Oratoires continuent à prospérer, et
gardant confiance dans la miséricorde du Seigneur, je me déclare
envers Vous avec le plus cordial attachement
Très dév[oué] et très aff[ectionné] serviteur
LOUIS, Archevêque de Turin.
D. Bosco avait reçu cette chère lettre après être revenu, avec
D. Cafasso, de la retraite spirituelle [organisée] à S[ant]Ignazio.
Durant quelque temps on en avait prêché quatre sessions par an,
mais, en 1852, on dut les réduire à deux sessions seulement,
l’une pour les prêtres et l’autre pour les laïcs, car les subsides
que donnait d’habitude l’Œuvre de S[aint] Paul avaient manqué.
C’était là une victoire de l’ennemi du bien.
La Compagnie de S[aint] Paul avait produit pendant plusieurs
siècles des fruits prodigieux en maintenant chez les [gens du] peuple
l’unité et la pureté de la foi et en secourant des misères de tou-

49.5 Page 485

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471
tes sortes. Cependant, à présent, on avait fait courir des bruits
calomnieux contre ses administrateurs, des citoyens parmi les plus
recommandables sur le plan de l’honnêteté et [celui de la] reli-
gion. Les membres des sectes voulaient avoir une place dans
l’administration du riche patrimoine de l’Œuvre qui s’élevait à
plus de six millions. Le Maire avait donc convoqué en juge-
ment à l’Hôtel de ville l’administration de cette Institution de
bienfaisance aux termes d’une loi de 1848 ; et un décret royal
établissait que la nouvelle direction serait composée de vingt-cinq
membres étrangers à la Compagnie à nommer par la Mairie et
de quinze à choisir parmi les Confrères. C’était là une violation
flagrante de la volonté des testateurs. Les Confrères de la Com-
pagnie protestèrent et repoussèrent les prétentions de la Mairie et le
décret royal ; ensuite ils demandèrent qu’au moins les conseillers à
élire fussent égaux en nombre à ceux que donnait la Mairie.
Mais on n’admit pas leurs raisons. Et, le 17 janvier 1852, le
Supérieur avait été contraint de remettre à un Commissaire royal
et les [registres des] actes et les livres des comptes.
—————
* Traduction du texte français : D. Lemoyne indique ainsi que l’ori-
ginal de cette lettre est écrit en français ; par suite le texte présenté
maintenant peut différer de l’original, étant un retour au français à par-
tir du texte fourni en italien.
—————

49.6 Page 486

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472
CHAPITRE XLI
Construction du nouvel Internat Seconde retraite spirituelle à
Giaveno Un saint Apprenti Un sermon de Don Bosco et
la chasteté Un témoin de la vie de Don Bosco en ces
années-là et de sa charité.
Don Bosco, revenu de Lanzo à Turin, commença aus-
sitôt la réalisation d’un autre de ses projets. Avec la nouvelle
église S[aint]-François de Sales on possédait un édifice sacré
suffisant pour le nombre des jeunes qui, les dimanches et les
jours de fête, venaient de différents secteurs de la ville prendre
part aux cérémonies religieuses ; et dans l’ancienne chapelle on
avait également un local approprié pour les cours du soir et les
écoles fonctionnant sur la journée, fréquentés sans cesse par plu-
sieurs centaines de garçons de tout âge et [de toute] condition.
Mais un emplacement manquait toutefois pour offrir un asile à
de nombreux enfants pauvres laissés à l’abandon, qui à chaque
heure du jour se présentaient à D. Bosco et demandaient à être
enlevés du milieu de la rue et recueillis charitablement. Les
quelques chambrettes existantes, dont certaines presque démolies
par l’explosion de la poudrière, ne suffisaient plus au besoin.
C’est pourquoi, ayant considéré la question de la meilleure fa-
çon, D. Bosco dit un jour : « Après avoir fourni une maison au
Seigneur, il est nécessaire d’en préparer une autre pour ses
enfants. Donc mettons-nous à l’œuvre ».
Les plans furent exécutés. La nouvelle construction
devait occuper l’espace du bâtiment Pinardi et s’étendre jusqu’à

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473
la maison Filippi, avec une double rangée de pièces sur trois
niveaux et un couloir étroit au milieu, et avec les caves. A cette
extrémité une aile parallèle et égale en longueur à l’avancée de
l’église S[aint]-François, avec trois pièces sur une seule ligne à
chaque niveau, limitait la cour sur le côté est. On pouvait dire
qu’elle aurait fait une maison de campagne spacieuse. Elle
comportait des mansardes et, au rez-de-chaussée, des arcades
soutenues par des piliers. Un passage sous une large voûte, situé
au milieu, permettait aux chariots d’entrer dans la bande de
terrain derrière la maison. A droite de ce [passage] il y avait
l’unique escalier intérieur, par lequel on montait jusqu’aux man-
sardes et qui donnait de face sur les balcons, et l’on descendait
dans les souterrains, qui pour une partie devaient plus tard être
destinés aux cuisines, aux caves et aux réfectoires. Un second
escalier dans la tour du clocher devait donner dans les couloirs,
dans les mansardes et dans deux pièces situées au-dessus de la
chapelle de Notre-Dame et au-dessus de la sacristie. Sur toute la
longueur des deux étages supérieurs, devant et derrière la mai-
son, couraient deux balcons en pierre avec une balustrade en fer,
par lesquels on entrait dans les pièces qui avaient des portes
vitrées. Le corps principal de la maison mesurait en longueur
environ 40 mètres, en largeur 11,64 mètres. L’aile du côté est
avait 12 ½ mètres de long et 6 de large. La hauteur jusqu’au
faîte du toit : 16 mètres.
Le projet non seulement n’avait rien de grandiose, mais
même il manquait des commodités nécessaires. Les jeunes abbés
et les jeunes eux-mêmes, spécialement Cagliero Jean, avaient fait
remarquer à D. Bosco que les couloirs étaient trop étroits et
obscurs, que les escaliers et les portes manquaient trop de
largeur pour un collège de jeunes, et que les dortoirs des com-
bles étaient très inconfortables à cause de leur faible hauteur.
Mais il répondait toujours : Contentons-nous de peu, laissons
le beau et le commode, et nous serons davantage bien vus et
aidés par la Divine Providence ! Et il leur dit beaucoup plus, à
savoir que la nouvelle maison, justement parce qu’elle est étriquée et

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474
pauvre, serait respectée un jour par les Autorités, civiles comme
militaires, et les jeunes n’en seraient pas chassés. En effet,
quelques années plus tard, en 1859, la Mairie de Turin deman-
dait à D. Bosco, en invoquant le patriotisme, les salles de
l’Oratoire pour y mettre les blessés après la bataille de Solfe-
rino. Don Bosco consentit, mais les commissaires ayant trouvé
trop étroits les escaliers, les couloirs et les portes, le remerciè-
rent et le laissèrent en paix.
Mais on ne pouvait pas détruire la masure primitive, car
il n’y avait pas d’autre local pour dormir. D. Bosco décida donc
d’élever cette partie de construction en premier du côté est, en
commençant par l’endroit où était projeté l’escalier, auprès de la
porte d’entrée. Il s’y apprêta cet été même, peu de jours après
la bénédiction de l’église.
Une fois l’entreprise commencée, les travaux avancèrent
dans un climat d’ardeur. Celui qui ne connaissait pas pleinement
les voies et les sources de la divine Providence en sa faveur, à
observer chaque jour tant d’ouvriers réunis et tant de matériaux
rassemblés, et à voir l’édifice monter comme par enchantement,
demandait : Mais où D. Bosco trouvera-t-il l’argent pour
payer tant de gens, et pour faire une maison si vite ? La
même demande continua à être répétée par les profanes lors de
toutes les entreprises de l’homme de Dieu, qui répondait tou-
jours : — La Providence l’enverra. Le Seigneur connaît nos
besoins et il nous aidera.
Ayant poussé en avant ces travaux, D. Bosco, dans les
premiers jours de septembre, conduisait plus de cinquante de ses
jeunes pour faire la retraite spirituelle au [petit] séminaire de
Giaveno. C’était pour une part des élèves de l’Internat, pour une
autre, de l’Oratoire des dimanches et des jours de fête. Jusqu’à
Rivoli ils allèrent tous en omnibus et, en passant par Avigliana,
ils continuèrent la route à pied. Nous n’entrerons pas dans les
menus détails ; nous dirons seulement que Cagliero et Turchi ont
affirmé qu’eux-mêmes et leurs compagnons sont restés très péné-

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475
très des sermons du Chan[oine] Arduino et [de ceux] de D. Bos-
co ; et que parmi les apprentis externes également il y avait des
modèles de vertu. Parmi ces derniers Morello Joseph, qui le
Dimanche à l’Oratoire assistait aux récréations, se réjouissait des
divertissements des autres, mais rarement y prenait part ; et quand
toute la cour était en mouvement, lui, de belle façon, croyant ne
pas être observé, se retirait à l’église, et sans être dérangé il
priait pour les âmes du Purgatoire, faisait la visite au Saint
Sacrement, récitait le Chapelet, parcourait les stations du Chemin
de Croix. Toutefois malgré ses précautions pour se soustraire aux
regards des autres, quelques compagnons, qui eux aussi se li-
vraient à la dévotion, s’en aperçurent et en suivirent l’exemple.
C’est de cela que dériva l’usage, que l’on conserva à l’Oratoire,
de réciter le Chapelet après la bénédiction du Saint Sacrement à
laquelle prenait part qui voulait sans qu’il n’y en eût la moindre
obligation.
D. Bosco racontait au sujet de Morello : « Un soir à la
tombée de la nuit je me rendais à la maison en passant par
l’avenue qui du Pô conduit à Porta Palazzo [= Porte du Palais].
Arrivé à un certain endroit du chemin, je rattrapai un jeune
garçon qui portait une longue et pesante barre de bois, armée de
grosses chevilles de fer. Il semblait que celui qui la portait,
oppressé par le poids, gémissait, il semblait parler. Pauvre jeune
(me suis-je dit), il faut qu’il soit bien fatigué. — Quand je fus
plus près de lui, je vis que de temps en temps il courbait la
tête, comme on a l’habitude de faire au Gloria Patri [Gloire au
Père], ou quand on nomme quelque chose qui mérite une grande
vénération : de sorte que je pus m’apercevoir qu’il priait. C’était
Morello.
Joseph (lui dis-je), tu me parais très fatigué !
Pas tellement, je suis allé faire une commission pour mon
patron ; je porte le cylindre d’une machine, qui était tombée en
panne, et qu’à présent on a fait remettre en état.
Il me semblait que tu parlais : avec qui le faisais-tu ?

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Eh ! voyez ; ce matin je n’ai pas pu aller à la Messe, c’est
pourquoi je n’ai pas dit le Chapelet, et, puisque je me trouve
seul sur cette avenue, je le récite ici, et je m’empresse parti-
culièrement de le réciter, car aujourd’hui c’est mardi, jour où
mourut une de mes tantes qui m’aimait tellement, et qui m’avait
rendu beaucoup de services. Ne pouvant pas lui témoigner autre-
ment ma gratitude, je récite chaque mardi le Chapelet pour son
âme ».
Or donc, pendant cette retraite spirituelle à Giaveno, on
vit deux choses surprenantes. La première fut à propos de
Morello lui-même et Don Bosco disait encore de lui :
« Au début de chaque sermon Morello se plaçait dans un coin
comme pour observer quel sujet était sur le point de traiter le
prédicateur. Je voyais que parfois il s’approchait plus avant vers
le prédicateur, et parfois il sortait rapidement de l’église. Ayant
remarqué que cela se produisait à plusieurs reprises, je voulus en
connaître la raison.
Joseph, lui dis-je un jour, pourquoi cette nouveauté, et
[pourquoi] ne vas-tu pas directement avec les autres à la place
assignée ? Pour quel motif t’arrêtes-tu au fond de l’église ?
Je le fais, répondit-il, pour ne pas causer de dérangement à
mes compagnons.
De quelle façon, repris-je, crains-tu de causer du dérange-
ment à tes compagnons ?
» Et lui [de dire] : Voyez, si le prédicateur fait le sermon sur
le péché mortel, je ne peux pas supporter ; je sens que je suis
pris aux entrailles d’une telle façon que je dois sortir ou crier.
» Je sus alors pourquoi parfois il sortait subitement de l’église
de l’Oratoire, et en toute hâte, et parfois brusquement il se
mettait même à crier, ou faisait des mouvements étranges. Pour
ce motif, si je m’apercevais qu’il était présent au sermon, je
tâchais de modérer mes expressions ; mais il suffisait de pronon-

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50.1 Page 491

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477
cer les mots péché mortel avec un peu d’émotion, et aussitôt il
bondissait hors du banc et s’enfuyait. C’est pour cette raison
qu’au moment du sermon il avait l’habitude de rester près de la
porte de l’église.
» Son cœur était si bon et [si] affectueux qu’il éprouvait la
plus tendre et [la plus] sensible des impressions en entendant
parler de choses spirituelles. Il suffisait de lui causer du paradis,
de l’amour de Dieu ou de ses bienfaits, il se sentait alors tout
ému. Un jour, tandis qu’il se trouvait autour de moi avec ses
autres compagnons, je lui adressai ces mots : Joseph, si tu es
toujours bon, quel grand festin nous ferons un jour là-haut dans
le ciel avec le Seigneur ! Nous serons sans cesse avec lui, nous
aurons notre joie en lui et nous l’aimerons éternellement ! Ces
paroles, dites presque au hasard, produisirent sur lui une telle
impression qu’aussitôt on le vit pâlir, s’évanouir, et il serait cer-
tainement tombé à terre si ses compagnons ne l’avaient pas
soutenu ».
La deuxième chose surprenante fut un sermon de D. Bosco
sur la chasteté. C’est ainsi que Mgr Cagliero s’en souvenait :
« Pendant la sainte retraite spirituelle que D. Bosco nous prê-
cha au Séminaire de Giaveno au cours des vacances d’automne
de 1852, il nous parla de la chasteté avec tant de chaleur et de
saints transports qu’il nous fit venir les larmes à nous tous et
que nous avons pris la décision de vouloir conserver une si bel-
le vertu jusqu’à la mort ». Et ensuite il ajoutait :
« Placé sous sa direction spirituelle, je reconnus en lui, plus
qu’un Directeur, un père très zélé pour le bien des âmes, et très
désireux d’insuffler dans nos cœurs un amour grand et pur
envers la belle vertu de la chasteté ».
» Je me rappelle que dans les sermons et dans les conférences
que souvent il nous faisait, il était délicat au point qu’il n’osait
pas parler de l’impureté, et pendant plusieurs années je ne
l’entendis jamais discourir sur ce sujet, qui pourtant était traité
par le Théol[ogien] Borel et par le Chanoine Borsarelli ainsi que
par d’autres Prêtres, ses collaborateurs et amis.

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478
» C’est pourquoi, quant à lui, il préférait nous entretenir de la
vertu de la chasteté, la disant une très belle fleur du para-
dis, et digne d’être cultivée dans nos jeunes cœurs, et un
lis très pur qui avec sa blancheur immaculée nous ferait res-
sembler aux anges du ciel. Avec ces belles images et d’autres
encore D. Bosco nous rendait amoureux de cette chère vertu,
tandis que son visage rayonnait d’une joie sainte ; sa voix
argentine sortait chaleureuse et persuasive, et ses yeux se
mouillaient de larmes, dans la crainte que nous n’en ternissions
la beauté et la grande valeur, même seulement à travers de
mauvaises pensées ou de vilaines conversations. Nous, jeunes
gens, tandis que nous l’aimions comme un très tendre père et
faisions preuve envers lui d’une confiance et d’une familiarité
plus que filiales, nous nourrissions un tel respect et [une telle]
vénération envers lui que nous nous tenions en sa présence avec
une attitude religieuse ; et cela parce que nous étions intimement
pénétrés de la sainteté de sa vie ».
D. Bosco, revenu de Giaveno d’où, comme à d’autres
reprises ensuite, il avait conduit les jeunes au sanctuaire de
Trana pour le visiter, apprit que Barthélemy Bellisio, son élève
et [élève] de l’école de peinture, avait été enrôlé comme
militaire. [D. Bosco], qui pour chaque besoin de ses jeunes, pour
autant que cela lui était possible, leur prêtait secours, lui écrivit
à Cherasco où [ce jeune] passait ses vacances d’automne. Il
s’était donné de la peine pour que, vu diverses circonstances de
famille, il ne fût pas appelé sous les drapeaux, et à une de ses
lettres il répondit ainsi :
Très cher Bellisio,
J’ai reçu ta chère lettre et, tandis que j’admire et loue ta dis-
position pour t’adapter à la Divine Providence qui t’appelle au
service militaire, j’ai toutefois estimé bon de te recommander
encore à Monsieur le Comte Lunel, ton grand bienfaiteur, pour
faire encore un essai.

50.3 Page 493

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479
En attendant, toi, prie-le et recommande-toi de nouveau, et
dans le même temps ne cesse pas de renforcer et de redoubler
les instances à Marie, cette chère Mère qui est la nôtre, pour
qu’en toute chose soit faite la divine volonté.
Que le Seigneur t’accompagne ; prie pour moi et crois-moi en
toute chose
Ton très aff[ectionné] ami en J[ésus] C[hrist]
BOSCO J[ean] Pr[être].
P.S. Une multitude de tes compagnons te saluent.
A M. Bellisio Barthélemy. Cherasco.
Et Bellisio partit comme soldat. Le premier soir où il se
trouva dans la caserne de la Citadelle à Turin, après l’extinction
des feux, il entendit près de lui comme un léger murmure.
C’était la prière de son voisin, et très vite il reconnut chez ce
dernier un catholique plein de ferveur. Il ne tarda pas à en
découvrir d’autres, et ils firent ensemble comme un rosaire
vivant, en assumant chacun un jour du mois pour le réciter. A
lui échut le 23 du mois. Deux autres s’étaient munis d’une boîte
à tabac qui se fermait hermétiquement, et ils la remplissaient
d’eau bénite dans les églises et ensuite en cachette ils faisaient
le signe de la croix. Huit mois plus tard Bellisio reçut sa [feuille
de] congé, grâce à des démarches que fit D. Bosco. D. Bosco
disait de lui : Je défis tous les jeunes ensemble de trouver en
Bellisio un défaut !
Ce fut lui qui à partir d’une photographie représenta
D. Bosco en train de confesser, et qui en 1855 fit le portrait de
Maman Marguerite, et le présenta à D. Bosco le jour de sa fête
patronale. Si Bellisio ne l’avait pas fait, on aurait perdu la
mémoire de cette sympathique physionomie.

50.4 Page 494

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480
Nous rappelons le souvenir de Bellisio, parce qu’il est
un des anciens élèves qui transmit beaucoup de renseignements à
D. Bonetti pour écrire les cinq lustres d’histoire de l’Oratoire
Salésien et parce que la lettre présentée ci-dessus est l’une des
premières en ordre chronologique que nous possédions, écrite par
D. Bosco à l’un de ses fils.
En nous l’envoyant Bellisio s’exprimait ainsi :
Très Rév[érend] Monsieur,
Cherasco, 4 Mars 1891.
J’ai lu dans le Bulletin qu’il est désiré, pour le procès de
Béatification de notre très aimé D. Bosco de vén[érable] mémoi-
re, que l’on envoie à Votre S[eigneurie] Très rév[érende] ou des
lettres ou quelque autre de ses écrits qu’une personne peut pos-
séder ; c’est pourquoi, ayant celle-ci, je me fais un devoir de
Vous l’envoyer. En elle il n’y a aucune date, parce que, si je
me rappelle bien, elle aura été mise dans une autre lettre adres-
sée à mon grand bienfaiteur [M.] le Comte Abbé Lunel, qui en
avril 1850 m’avait placé à l’Oratoire. — En rapprochant l’époque
où je fus enrôlé comme soldat, elle a été écrite pendant mes
vacances d’été de 1852. Elle est jaunie par le temps, bien
que je l’ai toujours tenue jalousement enfermée parmi mes
papiers les plus soigneusement gardés. Les nombreuses actions
vues, apprises par ouï-dire, concernant d’autres ou moi-même, se
rapportant à Don Bosco pendant le séjour de plus de six années
passées à contempler l’Image pacifique que nous avions de lui,
je les ai indiquées dans le rapport que j’ai fait par écrit quand,
il y a des années, on demanda dans une circulaire aux anciens
élèves de faire part de tout ce qu’ils virent, entendirent ou qui
fut pour eux le fruit d’une expérience vécue — et ces rapports
seront dans les archives de l’Oratoire. — Comme j’ai lu que les
originaux seront renvoyés, il me sera très agréable de la recevoir
de nouveau, et elle sera toujours pour moi le plus grand et le
plus précieux des trésors, vu l’espoir de son Elévation honori-
fique sur les Autels. — Ma plus haute gloire est d’avoir été de

50.5 Page 495

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481
sa part grandement estimé et comblé de bienfaits. Ce que je
regrette et qui m’afflige, c’est quand je lis le besoin et la
demande d’offrandes pour son Œuvre en général, et que je ne
peux pas répondre comme du profond de mon cœur je désire-
rais, vu les situations critiques et les maladies, ne me restant
plus qu’à offrir à Dieu mon désir et à attendre de Lui un
moment plus favorable pour le satisfaire.
Vous présentant, en attendant, mes respects les plus cordiaux,
qui peuvent s’étendre au très aimé Supérieur général, D. Rua
Michel, etc., j’ai l’honneur de me déclarer de Votre Seigneurie
très Rév[éren]de
très hum[ble], très dév[oué] et très resp[ectueux]
Sujet en D. Bosco
BELLISIO BARTHÉLEMY peintre.
—————

50.6 Page 496

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482
CHAPITRE XLII
D. Bosco aux Becchi Générosité de [son] frère Joseph et son
affection pour les jeunes de l’Oratoire Lettre de D. Bosco au
Jeu[ne abbé] Buzzetti Prise de soutane de Rua Michel et de
Rocchietti Joseph Largesses du Roi D. Bosco n’accepte
pas la croix de chevalier Le Comm[andeur] Louis Cibra-
rio Les décorations, récompense des gestes de bienfaisance.
Le 22 septembre, sur le conseil de D. Bosco, Rua
Michel, après avoir consulté D. Cafasso pour sa vocation, entrait
définitivement comme élève interne à l’Oratoire S[aint]-François
de Sales. Dès ses premières années il avait nourri pour D. Bos-
co une grande affection, qui allait en croissant, unie à un grand
dévouement, à mesure qu’avec l’âge il pouvait mieux apprécier ses
vertus et ses œuvres. Le 23, il partait de Turin avec D. Bosco,
Maman Marguerite et vingt-six compagnons, en se rendant aux
Becchi, et il vit qu’elle aussi la bonne Marguerite jouissait d’u-
ne grande estime non seulement en ce hameau, mais également à
Castelnuovo.
De cette estime des villageois, s’honorait aussi la famille
de cette sainte femme, car au-delà des vertus individuelles on
n’apercevait aucune amélioration dans leur condition [de vie] qui
pût éveiller l’envie.
Bien que les parents de D. Bosco eussent une fortune
très limitée, et qu’il les aimât viscéralement, il ne voulut jamais

50.7 Page 497

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483
venir à leur aide par des dons, en disant que les aumônes des
bienfaiteurs lui étaient données pour ses jeunes et non pour ses
parents. D. Bosco se considérait comme un simple distributeur
des biens de la Providence, et, il le sentait, il devrait Lui en
rendre un compte strict. A une telle pauvreté, [vécue] par ses
parents, il trouvait une saveur particulière, il en parlait avec
plaisir et il exprimait [sa conviction marquée de] la plus grande
confiance que, vivant détachés des biens de ce monde, ils
posséderaient le royaume des cieux, selon la promesse de Jésus
Christ.
Son frère Joseph, bien qu’il fût alors dans une grande
gêne, ne demanda jamais la moindre chose à D. Jean, qui
pourtant était très reconnaissant envers lui, ce dernier ayant tant
contribué à lui permettre de suivre les études pour la carrière
ecclésiastique, et lui ayant cédé sa part de l’héritage venu de
leur père pour qu’il pût se former dans les Services diocésains le
patrimoine nécessaire à l’entrée dans les ordres majeurs. Et
pourtant D. Bosco avait en son frère aîné une confiance entière
et affectueuse, lui faisait part aussi bien de ses joies que de ses
peines, et formait avec lui un seul cœur et une seule âme.
Les obligations de son état contraignaient Joseph à habi-
ter loin de sa mère : malgré cela il ne manquait pas de venir
plusieurs fois par an à Turin pour rester à l’Oratoire, plus ou
moins longtemps selon ce qui lui était possible. Son but était de
profiter de quelques heures en compagnie de D. Jean et de
Marguerite, à laquelle son arrivée causait une grande joie. La
brave mère avait de bonnes raisons d’être fière également de ce
fils. Il était un chrétien très pieux, un père de famille diligent et
affectueux, il avait un cœur généreux et bienfaisant, plus qu’on
ne peut le dire ; et, bien qu’il eût une nombreuse descendance, il
considéra toujours comme siens les jeunes gens de l’Oratoire.
Non content d’envoyer chaque année, en prenant sur son
bien, des provisions de produits alimentaires, à l’époque des
récoltes, il allait à la recherche de secours auprès de sa parenté

50.8 Page 498

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484
et de ses amis, et il savait si bien les pousser à des sentiments
de charité envers les fils de Don Bosco qu’il réussissait à char-
ger plusieurs chariots de noix, de blé, de pommes de terre, de
raisin et il les envoyait à l’Oratoire.
Un jour, il arrivait à Valdocco pour rendre visite à son
frère, et avec le projet d’acheter deux veaux sur le marché de
Moncalieri. Mais, ayant vu la pénurie dans laquelle se trouvait
l’Oratoire et que ce jour-là on devait payer des dettes très pres-
santes, il dit à D. Bosco en sortant sa bourse de sa poche :
« Vois ! Je suis venu pour dépenser 300 lires à la foire de Monca-
lieri ; mais je vois que ton besoin est bien plus urgent que le mien.
C’est pourquoi de tout cœur je te cède cet argent. — D. Bosco
eut du mal à retenir une larme de reconnaissance : Et toi ?
— J’attendrais un autre moment pour faire mon achat.
Mais ne serait-t-il pas mieux que tu me les donnes seule-
ment en prêt ? Je te les rendrai dès que je posséderai cette
somme.
— Et quand l’auras-tu, cette somme, toi qui es toujours acca-
blé de dettes ? Non, non ! Je te les donne et c’est bien comme
cela. Je saurai m’arranger, je trouverai un moyen pour avoir ce
qui m’est nécessaire et, toi, n’y pense plus ».
Il avait des manières si tendres que, lorsqu’il apparais-
sait à l’Oratoire, tous les jeunes allaient à sa rencontre avec
affection et confiance comme vers un père. Ils l’appelaient
monsieur Joseph. Dans les traits il avait beaucoup de ressem-
blance avec D. Bosco et il était à peu près de même taille. Son
aspect manifestait la bonté de son grand cœur. D. Bosco
l’honorait toujours même en présence des personnages les plus
distingués. De temps en temps il l’invitait à parler aux jeunes
depuis la petite chaire d’où il avait l’habitude d’adresser le petit
mot après les prières du soir. Nous devons supposer que Joseph,
étant un simple paysan, se montrait tout d’abord quelque peu
réticent ; mais pourtant il finissait par y aller, et il y restait quel-

50.9 Page 499

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485
que temps, en exposant quelques bonnes maximes en dialecte pié-
montais. Il était animé par le même esprit que son frère. D. Jean
Garino fut présent une fois en 1858.
Joseph tenait sa maison à la disposition de D. Bosco,
qui conduisait aux Becchi tous les ans, tantôt trente, tantôt
cinquante, tantôt cent de ses jeunes pour y prendre un peu de
vacances, et Joseph s’affairait pour tout fournir à tous. Cette
visite était une grande fête pour lui. Les jeunes gens qui pour la
première fois étaient conduits dans cette contrée restaient si
conquis par ses belles manières cordiales qu’ils devenaient
aussitôt ses amis. Pour toutes les dépenses il ne voulut jamais
accepter la moindre compensation en retour.
Toutefois il reçut un avantage, parce que sa maison fut
soumise à un agrandissement indispensable et relativement
important, bien qu’elle restât toujours pauvre. Cet [agrandissement]
consista en une grande chambre élevée sur la maison elle-même
pour fournir un abri aux jeunes qui venaient à la fête du
Rosaire. Mais D. Bosco ne fit rien pour améliorer ou embellir
les pièces primitives. Cependant, après l’agrandissement du local,
le nombre des hôtes augmenta, et donc aussi l’ardeur de
Joseph se fit-elle plus forte pour les surveiller, car ils séjour-
naient aux Becchi quinze ou vingt jours. Comme parmi les plus
sages, il ne manque jamais quelques étourdis, il cherchait à
empêcher que l’un ou l’autre des propriétaires voisins n’eussent
de motifs de se plaindre. C’est pourquoi, après les avoir avertis,
il tenait les jeunes à l’œil pour faire obstacle à tout éparpil-
lement de leur part à travers les champs et les vignes qui
appartenaient à d’autres personnes. Il était obéi ; mais il ne
manqua pas quelques rares infractions à ses ordres. Un dimanche
matin, il vit un gamin dans la cour, et sans plus il lui reprocha
d’être allé dans les vignes. Ce [gamin] niait, alors il lui ré-
pliqua : Mais ne portes-tu pas avec toi ce qui te dénonce ?
Ne vois-tu pas l’herbe qui est restée attachée à ton pan-
talon ? — D. Bosco comptait beaucoup sur l’assistance prudente
de son frère et, l’esprit tranquille, il pouvait s’occuper de la

50.10 Page 500

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486
prédication de la neuvaine du saint Rosaire. Il n’oubliait pas
cependant les jeunes restés à Turin, sur lesquels le Théol[ogien]
Borel assurait la surveillance ; et en bon père il prenait soin de
ceux qui étaient avec lui aux Becchi.
Castelnuovo d’Asti, 29 septembre 1852.
Très cher Buzzetti,
Il faut qu’avant de partir de Turin tu tâches de me faire
quelques commissions.
1. Demander à Jean Ferrero s’il veut venir avec toi. Tu lui
paieras le train à vapeur, comme aussi à Pettiva.
2. Apporter avec toi une bouteille de vin blanc pour la messe.
3. Faire un paquet dans lequel il y ait six paires de guêtres,
une paire de pantalons, une veste, trois paires de chaussettes ; si
[le paquet] est trop lourd, tu peux le confier, s’il est là, à Minin
[voir * page 492] : il a l’habitude ; ou bien à l’omnibus.
4. De saluer m[onsieur] Gagliardi de ma part et [de lui] dire
que je recommande à sa bonté l’Oratoire spécialement pour la
journée de Dimanche. A Marchisio Joseph, je recommande la
surveillance pendant la récréation et ce qu’il peut pendant [le
temps à] l’église. — A Arnaud [dire] d’assurer pour moi l’as-
sistance de [la classe de] chant. — A Fumero que j’ai fait sa
commission.
5. Présente des salutations distinguées à m[onsieur] le Théol[o-
gien] Borel, et dis-lui que, le temps le permettant, s’il vient me
trouver ici il nous fera un grand plaisir, et que sa venue
ne sera pas inutile pour le ministère sacré.
Ici nous allons tous bien ; l’église est toujours bondée de gens,
mais nous sommes bloqués par la pluie. Deo gratias. Salue tous
les fils de la maison et considère-moi dans le Seigneur
Ton très aff[ectionné]
D. BOSCO J[ean].

51 Pages 501-510

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51.1 Page 501

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487
Au très est[imé] monsieur,
M. le Jeu[ne abbé] Joseph Buzzetti à l’Oratoire S[aint]-François
de Sales. Valdocco.
Turin.
Entre-temps arrivait, avec le 3 Octobre, le Dimanche de
Notre-Dame du Rosaire, pendant lequel on devait faire deux
solennelles prises de soutane. Les jeunes s’associaient à la joie
vive de D. Bosco. Le Théol[ogien] Cinzano, Curé-Doyen, célé-
brait la Messe solennelle aux Becchi et ensuite bénissait deux
soutanes. De l’une, il revêtait lui-même le jeune Rocchietti
Joseph, et D. Bertagna Jean aidait Michel Rua à endosser l’au-
tre. Se trouvant ensuite assis à table, le Curé-Doyen s’adressait à
D. Bosco en s’écriant : Te rappelles-tu lorsque, encore sémi-
nariste, tu me disais : J’aurai des jeunes abbés, des prêtres, de
jeunes étudiants, de jeunes ouvriers, j’aurai une musique et une
belle église ? Et que moi je te répondais que tu étais fou ? A
présent on voit vraiment que tu savais ce que tu disais !
Et il fixa ensuite le jour où il attendait pour le repas de
midi à Castelnuovo tout le groupe des Becchi. Cagliero Jean fit
les honneurs de la maison. Germano Jean, notaire, nous écrivait
en 1887 : « J’ai toujours, gravé [dans mon esprit, le souvenir de]
Mgr Cagliero au temps de sa jeunesse, quand nous eûmes
l’occasion de nous voir pour la première fois à Castelnuovo, où
les jeunes au nombre de vingt-six se rendirent chez le curé de
l’endroit en compagnie de D. Bosco. Là-bas on prépara une
polenta en si grosse quantité (avec mon aide notamment) qu’il y
en eut pour tous ; et le jeune Cagliero nous conduisit, à la
bonne franquette, dans la cave du curé, en nous offrant, comme
si c’était à lui, le vin des tonneaux, même le blanc, celui qui
servait pour la Messe. La cordialité juvénile de Cagliero ne
s’oublie pas ».

51.2 Page 502

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488
Après la belle journée passée agréablement avec le
Théol[ogien] Cinzano, Don Bosco se disposa à reconduire à l’O-
ratoire les jeunes avec les deux nouveaux jeunes abbés, dont il
espérait une grande aide.
En effet, Rua se dédia tout entier à la mission que le
Seigneur avait destinée à D. Bosco, et son nom signifiera tou-
jours une âme ornée de toutes les vertus, simple, mais de grande
intelligence, infatigable, capable d’apprendre toutes les sciences aux-
quelles il devra s’appliquer. Les rêves se réalisaient. D. Bosco
put dire finalement : Ce jeune abbé est mien. Il en fit à plusieurs
reprises cet éloge splendide : « Si Dieu m’avait dit : imagine un
jeune paré de toutes les plus grandes vertus et [de toutes les plus
grandes] capacités que tu pourrais désirer, demande-le-moi et,
moi, je te le donnerai, je ne me serais jamais imaginé un Don
Rua ».
Rocchietti Joseph, lui aussi, était un jeune de grande intel-
ligence et de mœurs irréprochables, il nourrissait les mêmes idéaux
pour se dédier tout entier à l’Oratoire ; mais sa santé était très
délicate.
Entre-temps, D. Bosco, revenu de Castelnuovo, trouva,
qui l’attendait, une lettre du Secrétariat Royal du Grand Magis-
tère de l’Ordre des Saints Maurice et Lazare.
Turin, le 11 octobre 1852.
S[a] M[ajesté], reconnaissant le but, noble et pieux, de
l’institution des Oratoires fondés par V[otre] S[eigneurie] T[rès]
R[évérende] au profit de la jeunesse laissée à l’abandon dans
cette capitale, les avantages moraux qui en dérivent et le zèle
inlassable que Vous apportez pour en favoriser le dévelop-
pement, a daigné accueillir avec une particulière bonté vos
demandes et Vous accorder pour l’année en cours au profit de
cette excellente œuvre une subvention de trois cents lires sur le
trésor de l’Ordre des S[aint]s Maurice et Lazare.

51.3 Page 503

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489
Dans la transmission de cette annonce à V[otre] S[eigneurie]
T[rès] R[évérende] je saisis avec plaisir l’occasion pour Vous
offrir les marques de ma considération distinguée.
Le premier secrétaire de S[a] M[ajesté]
pour le Grand Magistère
CIBRARIO Sénateur du Royaume.
D. Bosco remercia, tandis que le Comte Cibrario lui
préparait quelque temps après une gentille surprise. Comme
certificat de bon mérite, il voulut lui conférer la croix de che-
valier de l’Ordre des S[aint]s Maurice et Lazare. Mais D. Bosco
n’aimait pas les honneurs de ce monde, bien qu’il eût beaucoup
de complaisance pour reconnaître et appeler en utilisant les titres
dus ses bienfaiteurs et les autres personnages avec lesquels il
devait traiter. Et voici qu’un matin vient à l’Oratoire un mon-
sieur, tandis que D. Bosco était avec Francesia et Cagliero, et il
lui présente un pli contenant le diplôme signé par le Roi et la
croix. D. Bosco ne l’ouvrit pas en présence des jeunes, car, d’a-
près les cachets et pour avoir pressé avec les doigts l’enveloppe,
il avait deviné l’affaire. Il se rendit donc auprès du Magistère
de l’Ordre des Saints Maurice et Lazare. Et, s’étant présenté au
Comte Cibrario, il commença à le remercier de l’honneur qui lui
était conféré, et puis doucement il lui fit comprendre, sans faire
de manières et avec la plus délicate simplicité, que ne lui con-
venait pas cette marque d’honneur. Et il lui disait : Si on
fait cela par égard à ma pauvre personne, je ne saurais dire
quels mérites on peut reconnaître en moi qui me distinguent de
tant d’autres, et par suite il est de mon devoir, tout en pro-
fessant de la reconnaissance, de ne pas accepter ce titre. Par
ailleurs si par cette croix le Gouvernement entend donner un
signe d’agrément et d’approbation pour l’œuvre que Don Bosco
fonda en faveur de la jeunesse pauvre de Turin, et la favoriser,
j’accepte avec gratitude, en demandant cependant que le titre

51.4 Page 504

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490
de chevalier soit remplacé par une subvention pour mes jeunes.
Cibrario insistait pour que D. Bosco acceptât ; mais lui,
en faisant allusion aux dettes dont il était accablé, répondait en
plaisantant : Ecoutez, monsieur le Comte : si j’étais chevalier
les gens croiraient que D. Bosco n’a plus besoin de secours ; et
puis des croix, j’en ai déjà, et si nombreuses… donnez-moi de
préférence un peu d’argent pour acheter le pain pour les orphe-
lins. Le Comte finit par approuver ; le décret ne parut pas au
journal officiel et la charité de D. Bosco fut appréciée à la
Cour. L’Ordre des Saints Maurice et Lazare fixa alors pour lui
la pension à 500 lires par an, qui fut ponctuellement payée
jusqu’en 1885 ; en 1886 elle fut réduite à 300 et en 1887 à
seulement 150 ; on apportait comme raison de cette diminu-
tion le manque de fonds dû au fait qu’étaient louées à un prix
très bas les maisons dont l’Ordre était propriétaire. Et cette
pension cessa seulement en 1894, bien que D. Bosco fût mort
depuis six ans.
Mais il n’arriva jamais que D. Bosco ornât sa poitrine
avec la décoration reçue, ou qu’il fît la moindre allusion à la
distinction que le gouvernement lui avait offerte. L’aimable
humilité de D. Bosco avait fait s’attacher à lui le cœur du
Comte Cibrario, qui pendant vingt-cinq ans, maintint avec lui des
relations d’amitié cordiale.
Le pauvre Vincent Gioberti avait répondu à D. Bosco
qui, un jour, lui avait fait quelques remontrances au sujet de son
Jésuite moderne : Mais vous là-bas, confiné dans ce coin de
Valdocco, que pouvez-vous savoir en matière de politique, des
menées des partis et des causes de tant d’événements ? Ci-
brario, au contraire, était persuadé que là à Valdocco il y avait
quelque chose à apprendre, et souvent il venait s’entretenir
pendant des heures entières avec D. Bosco, sa grosse pipe à la
bouche, comme le vit Mgr Cagliero. Pour sa part, il fit beau-
coup pour D. Bosco. Etant premier secrétaire de l’Ordre des Saints

51.5 Page 505

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491
Maurice et Lazare, il pouvait disposer des décorations selon son
bon plaisir, et volontiers il les faisait accorder par le Roi à ceux
que D. Bosco lui indiquait comme étant dignes [d’un tel hon-
neur], en raison de leurs actions de bienfaisance. C’était un
moyen très valable pour faire ouvrir les coffrets de certains
riches, qui auraient payé n’importe quelle somme pour voir
qu’était satisfait leur amour-propre, et aussi récompensés leurs
mérites. D. Bosco savait également en temps opportun faire of-
frir à l’un de ses créanciers une croix de chevalier pourvu qu’il
lui remît en totalité ou en partie une dette. Parfois à l’improviste
parvenait une décoration à quelqu’un qui lui avait fait de géné-
reuses offrandes, et on peut déduire avec quelle surprise agréable
chez celui qui en avait le désir. D. Bosco invitait aussi à un re-
pas solennel quelqu’un qui n’était pas au courant et auquel il
avait préparé un titre honorifique, et, au dessert, au milieu du
son de la fanfare et des applaudissements des convives, il lui
adressait quelques mots affectueux et lui présentait la croix de
chevalier. Les marques d’honneur, que D. Bosco obtint par l’in-
termédiaire du Comte et distribua, furent nombreuses : elles
rapportèrent aux pensionnaires de grosses aumônes, ou servirent
de récompense pour des services signalés rendus à l’Oratoire.
Nous-mêmes avons entendu Cibrario, qui fut plusieurs fois Mi-
nistre, se féliciter vers 1875 des secours qu’avec de tels moyens
il avait apportés à D. Bosco, et il nous racontait que lui-même
avait mis comme condition à certains étrangers ambitieux, qui se
démenaient pour devenir chevaliers, de verser d’abord une som-
me importante, qu’ensuite il destinait pour D. Bosco.
Ce fait est une preuve de plus que Dieu avait préparé
pour D. Bosco de puissants protecteurs dans chaque ministère du
Gouvernement. L’un faisait défaut, un autre surgissait.
D. Bosco cependant restait attentif à ne pas en abuser ; il
patientait dans les difficultés, mais surtout il n’oubliait jamais sa
condition et leur susceptibilité. Mgr Cagliero raconte : « Je me
rappelle que, lorsque j’étais petit élève de l’Oratoire, je m’émer-

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492
veillais de la manière respectueuse, marquée de révérence et de
l’humble attitude avec lesquelles, prêtre, il rendait visite à cer-
tains personnages du monde, ou il recevait ces messieurs. Mon
étonnement disparaissait seulement lorsque je venais à savoir
qu’il s’agissait d’une autorité : un Ministre, un Préfet, un
Magistrat, un Maire, un Conseiller municipal, un Inspecteur
d’académie chargé des études ou même leurs simples secrétaires.
Du reste, tant dans ses écrits que dans ses paroles et dans ses
actes, il fut toujours respectueux envers les Dirigeants de ce
monde, même lorsqu’ils s’opposaient à lui : il reconnaissait en
eux le principe d’une autorité venant de Dieu. Souvent je l’ai
entendu dire : Obedite præpositis vestris etiam dyscolis [Obéissez
à vos chefs, même à ceux qui sont difficiles °]. D’autres fois il
ajoutait : “ Beaucoup nous font obstacle, nous persécutent, vou-
draient notre anéantissement, mais nous devons avoir patience.
Tant qu’ils n’exigent pas de nous des choses contraires à la
conscience, soumettons-nous à leurs règlements. Cependant soute-
nons toujours en certaines circonstances les droits de Dieu et de
l’Eglise, car ils sont supérieurs aux autorités de la terre ” [»].
—————
* Minin : en dialecte piémontais pour “ Mino ”, tiré de Giacomino,
soit en français “ Petit Jacques ”.
° [Cf. 1 P 2,18]
—————

51.7 Page 507

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493
CHAPITRE XLIII
Jeunes abbés qui s’en vont de l’Oratoire Prévisions de
D. Bosco réalisées Sa bonté Nouveaux jeunes dirigés vers
les études Acceptation mémorable et conversion d’un jeune.
Don Bosco avait gagné deux nouveaux jeunes abbés,
mais malheureusement il en perdait quatre. Charles Gastini, à
cause d’un manque de santé qui lui rendait trop pénibles les études,
avait déposé l’habit clérical. Deux autres, presque en même temps,
avaient décidé d’entrer dans la Congrégation des Oblats de Marie,
attirés par la ferveur et par l’esprit qui y régnaient et persuadés que
telle était leur vocation. D. Bosco, cependant, consulté par eux,
répondait que l’idée et la volonté étaient excellentes, mais que Dieu ne
les appelait pas à cette Congrégation. Ils voulurent toutefois y entrer.
Don Rua est témoin de ce que nous sommes en train de racon-
ter, et de la manière dont avec certitude D. Bosco prévoyait
l’avenir. « Un matin, nous écrivit C[harles] Tomatis, Savio Ascagne,
qui faisait l’objet d’une sainte envie à cause de son amour pour l’étude
et pour la vertu, avait disparu de l’Oratoire et on vint ensuite à savoir
qu’il était devenu Oblat de la Vierge Marie à Notre-Dame de Con-
solation. D. Bosco, au moment de l’au revoir, lui dit : Va, mais tu
n’y resteras pas longtemps ! [»] En effet, quelques années plus tard,
à cause de douleurs atroces à la tête, au point qu’elle lui paraissait être
divisée en deux, et menacé, d’après le jugement des médecins, d’une

51.8 Page 508

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494
attaque d’apoplexie, il dut en sortir et, ayant recouvré la
santé, il fut à Turin, à travers les sciences théologiques, un
splendide ornement du sacerdoce. Le Théol[ogien] Savio nous
raconta lui-même son cas, en venant à l’Oratoire pour donner
des cours de morale aux prêtres.
Le Jeu[ne abbé] Vacchetta voulut quelque temps après
suivre Savio, et les dernières paroles de D. Bosco furent : Va
donc, toi aussi, puisque tu veux aller ; mais si à présent tu n’es
pas privé de raison, tu le deviendras. Le pauvre jeune,
absorbé dans ses projets, ne tint pas compte de ces paroles,
partit pour la maison du noviciat, fit la profession religieuse, et
resta. Cependant devenu fou et enfermé dans une maison de
santé, il devint presque inutile à sa Congrégation, de sorte
qu’après de longs soins il pouvait à peine s’occuper du caté-
chisme fait aux enfants : c’est ce qu’atteste D. Paul Albera, qui
le rencontra à Nice, à S[ain]t-Pons, après la mort de D. Bosco.
Ainsi les prédictions de D. Bosco s’étaient réalisées.
Sur le quatrième jeune abbé, nous donnerons quelques
renseignements plus amples pour que l’on comprenne certaines et
non rares oppositions que rencontrèrent non seulement un, mais
plusieurs jeunes désireux de se dédier à l’Œuvre de D. Bosco.
Son Curé, D. Gattino, en exigeant la venue des jeunes abbés de
l’Oratoire, en un plus grand nombre et chaque fois qu’il les
demandait, pour assurer du service en paroisse, se rendit auprès
des Services diocésains et présenta ses doléances. Le Chan[oine]
Vogliotti lui répondit : Comprenez bien que D. Bosco s’est
fait pour lui ces jeunes abbés, et il est juste qu’il s’en serve
pour garder ses jeunes gens dont là-bas à Valdocco il a une
nichée. Si, personnellement, vous voulez des jeunes abbés à vos
ordres, faites-vous-en et vous en aurez.
Le Curé resta piqué au vif par cette réponse et, en
recherchant les situations sociales et économiques des jeunes
abbés de l’Oratoire, il vint à savoir que le Jeu[ne abbé] G…
appartenait à une famille aisée, était fils d’un maître maçon et
donc n’avait pas besoin qu’un autre lui fît la charité : c’est pour-

51.9 Page 509

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495
quoi il conclut que, ce jeune abbé, D. Bosco ne se l’était pas
fait. Un tel raisonnement n’était pas juste, parce que si G…
avait étudié la langue latine, son maître avait été D. Bosco ; s’il
avait revêtu la soutane, D. Bosco en avait obtenu la faculté de
l’Archevêque. Par ailleurs le jeune homme était totalement donné
à Don Bosco, par lequel il était traité avec une confiance et une
familiarité de rare qualité et, par lui, envoyé aux cours de phi-
losophie. Il passait les journées entières à l’Oratoire, se retirant
le soir dans la maison paternelle auprès du Refuge ; et le père
était prêt à lui payer la pension.
Le jeune abbé vivait heureux, lorsqu’il y eut quelqu’un
qui prit à part son père et chercha à le persuader d’éloigner son
fils de l’Oratoire ; parce que, lui disait-il, il ne pouvait pas
nourrir d’espoirs qu’en restant avec D. Bosco, [son garçon] pût
parvenir à être théologien, curé, chanoine ; il affirmait que le
jeune avait assez d’intelligence pour réussir excellemment, et que
l’unique voie pour faire une splendide carrière était d’accomplir
les études en entrant comme étudiant dans un séminaire.
Le maître maçon était un homme loyal, et avait de l’a-
mitié pour D. Bosco, qu’il se plaisait à appeler du nom de père.
Il avait effectué les premiers travaux à l’Oratoire et, pour la
construction de l’église S[aint]-François, il avait formé une so-
ciété avec l’entrepreneur Bocca. Il s’était cependant retiré, en
avertissant D. Bosco, car il voyait que les intérêts de l’Oratoire
étaient mal gérés, bien que l’ingénieur fît les plans gratuitement.
Et l’assistant, mis par D. Bosco pour surveiller les contrats et
l’exécution des travaux, tenait sans doute davantage du côté de
l’entrepreneur que du sien.
Toutefois ce bon père avait reçu des blessures dans son
amour-propre à cause des habiles insinuations mentionnées plus
haut ; mais, étant un homme prudent, avant de prendre sa déci-
sion, il se rendit au séminaire à Chieri pour demander l’avis du
Supérieur de cet [établissement].
La réponse fut que le séminaire était certainement l’en-
droit où le jeune pouvait espérer, avec la plus grande probabilité,

51.10 Page 510

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496
faire carrière ; comme [ce monsieur] était le maître maçon du
Séminaire, [à lui, Supérieur,] il ne semblait pas convenable de
maintenir le fils comme séminariste dans une autre maison
d’éducation ; au séminaire on pouvait espérer une place en
demi-pension et même une place entièrement gratuite en faveur
de l’étudiant.
L’homme fut vaincu. Revenu chez lui, il vint en voiture
dans la cour de l’Oratoire et, ayant fait appeler son fils, il lui
ordonna : Prends ton chapeau et viens avec moi. Le fils
obéit sans connaître les intentions de son père et fut aussitôt
conduit au Séminaire de Chieri. D. Bosco souffrit beaucoup en
voyant que lui était enlevé si brusquement un jeune qu’il aimait,
dans lequel il avait placé tant d’espoirs et qui avait été son
secrétaire, en écrivant sous sa dictée ses premiers ouvrages. Peu
de mois auparavant il lui avait donné un bréviaire et les
Institutiones de Rebaudengo [voir * page 503].
En attendant, le jeune abbé, habitué aux usages de
l’Oratoire ne se trouvait pas bien au Séminaire ; D. Bosco alla à
plusieurs reprises lui rendre visite et, comme telle était son
habitude, il ne chercha pas à le détourner du nouveau genre de
vie auquel il avait été contraint, mais il l’encouragea à conti-
nuer, en s’en remettant aux volontés de la Divine Providence.
Les manières conciliantes de D. Bosco étaient connues au Sémi-
naire, de sorte que le Supérieur lui accordait de conduire dans
Chieri son jeune ami, et une fois il alla avec lui déjeuner chez
le Chan[oine] Louis Cottolengo. Le bon séminariste retirait de ces
visites un grand réconfort ; mais dans le même temps elles lui
faisaient ensuite regretter ses idéaux évanouis ; jusqu’au moment
où, sa santé s’étant détériorée, il fut rendu à sa famille. Mais là
il lui fut interdit de diriger ses pas vers l’Oratoire, et même
d’aller se confesser à D. Bosco. Il se mit alors à fréquenter le
Sanctuaire Notre-Dame de Consolation, et peu à peu il s’engoua
de la paix dont jouissaient les Oblats de Marie dans ce couvent.
Comme il lui semblait que Dieu l’appelait parmi ces religieux, il

52 Pages 511-520

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52.1 Page 511

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497
alla rendre visite à D. Bosco pour lui exprimer sa pensée.
D. Bosco lui déconseilla de faire ce pas : Tu es appelé, lui
dit-il, à appartenir à D. Bosco. Et il lui racontait comment le
conseil de D. Cafasso avait indiqué à lui-même sa vocation ;
ensuite il l’exhorta à avoir patience et à attendre, et il lui
répétait que le choix après lequel il soupirait n’était pas le
meilleur. Mais le jeune abbé ne sut pas résister aux assurances
d’autres conseillers ; il demanda à être accepté parmi les novices
des Oblats, et son père, bien qu’à contrecœur, lui donna son
consentement.
Cependant avant de partir pour Nice, où était établie la
maison de noviciat, il voulut saluer encore D. Bosco, qui lui
dit : Va donc, mais ta tête aura à en souffrir, et tu ne
pourras pas persévérer dans cet état [de vie].
Le moment de faire la profession étant proche, il écrivit
une lettre à D. Bosco pour demander encore une fois conseil ;
celui-ci lui répondit : Tu feras du bien, mais pas le bien que
le Seigneur veut de toi. — Il fit les vœux perpétuels, mais il ne
s’écoula pas beaucoup de temps avant qu’il ne fût pris de
scrupules et ensuite d’une ferveur excessive de l’esprit au point
de se croire appelé à une grande perfection de vertu, de sorte
qu’il courait le risque de devenir fou. Pour cette cause et pour
des motifs de famille, dix ans après avoir fait profession, sur le
conseil du Père Berchialla, dont il était secrétaire, il demanda et
obtint d’être relevé [de ses vœux et de sortir] de la Congrégation
des Oblats. Revenu à Turin, il guérissait parfaitement, en recon-
naissant qu’il avait obtenu du Seigneur une grâce signalée.
Les faits avaient donné raison à D. Bosco, et G…, qui
avait été ordonné prêtre, rendait souvent ce témoignage : « C’est
un grand imprudent celui qui se risque à choisir lui-même sa
vocation ». Son ardent désir était de rentrer à l’Oratoire ; mais
l’Archevêque Fransoni ne le reçut pas dans le Diocèse, ayant
établi de ne pas y admettre ceux qui sortaient d’un ordre re-

52.2 Page 512

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498
ligieux. Alors D. Bosco lui-même le recommanda à l’Evêque de
Biella, qui l’accepta à condition qu’il restât près de lui.
Bien des années passèrent, et les conditions avaient
changé dans le diocèse de Turin : le bon prêtre, qui gardait tou-
jours son attachement pour l’Oratoire, sentant encore se réveiller
l’idée de retrouver l’union avec D. Bosco en s’inscrivant à la
Pieuse Société, lui en fit la demande par lettre. D. Bosco lui
répondit : Attends que ton père soit appelé à l’éternité par le
Seigneur, et alors tu verras. Le père approchait des 80 ans et
à cause de nombreux malheurs dont il avait souffert il avait
besoin pour sa consolation de la présence de son fils prêtre.
Combien était délicate la bonté de D. Bosco, même
envers ceux qui, de leur propre choix ou contraints, l’aban-
donnaient dans les moments où il avait le plus besoin de leur
travail ! Et dans le retrait de ces jeunes abbés sa peine était
grande parce qu’il appréciait les éminentes vertus dont ils étaient
ornés ; toutefois, de cette perte, il sut aussi retirer une leçon
d’humilité. D. Giacomelli l’entendit s’écrier quand partait Savio
Ascagne : Vana salus hominis [Néant, le salut qui vient des
hommes] ! laissant voir qu’il devait mettre sa confiance davantage
en Dieu que dans les hommes. Puis, avec un calme inaltérable,
il continua à choisir de nouveaux élèves pour [les diriger vers] les
études.
En octobre les jeunes de l’Internat étaient au nombre de
trente-six, parce que les séminaristes du diocèse eux aussi
occupaient une partie de cette pauvre masure. A partir des
registres de D. Bosco, nous transcrivons le nom de quelques-uns
qu’il nous importe de ne pas oublier. En 1851 avaient été
acceptés Gioliti, Calamaro, Gurgo Pierre ; en 1852 entraient
Mattone François, Bonino, Savio Bernard originaire de Castel-
nuovo d’Asti, Turco Jean de Montafia, Fusero Barthélemy de
Caramagna, Benovia Jean, Victor Turvano, Bertagna, Fontana,
J[ean]-Bapt[ist]e Bonone. Presque tous ceux qui sont nommés
allaient à l’école chez le Prof[esseur] Bonzanino, avec le jeune

52.3 Page 513

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499
Francesia Jean, qui commençait le cours d’études latines, venu à
cette époque comme interne à l’Oratoire, mais [qui était] déjà
assidu depuis longtemps aux réunions des dimanches et des jours
de fête.
Parmi ces jeunes il y en eut un, dont l’acceptation est
digne de mémoire. L’année précédente son père n’avait pas
écouté le conseil, donné par des personnes prudentes et amies,
de le mettre à l’Oratoire pour son éducation. Il le plaçait au
contraire dans l’un de ces collèges à la mode, qui ont une
réputation de science et de discipline, mais où la prière est très
courte, récitée debout une seule fois par jour ; [] l’on n’assiste
pas à la Messe, sauf les dimanches et les jours de fête ; et []
l’on va vers les Sacrements à Pâques, mais pas plus. Le pauvre
jeune, de tempérament très versatile, de caractère crédule, non
aidé pas des secours spirituels, entra peu à peu en familiarité
avec de mauvais compagnons, se donna à des lectures perver-
ses, prit en grippe l’étude et la religion, et à la fin de l’année
ne fut pas admis dans la classe supérieure.
Quand [ce jeune] revint à la maison pour les vacances
d’automne, le père eut à s’arracher les cheveux lorsqu’il recon-
nut à ses dépens la bévue qu’il avait faite en confiant son fils à
des éducateurs de peu de religion. Il voyait à présent que son
fils, qui auparavant était très bon, était devenu désobéissant,
effronté, joueur, hostile à l’Eglise et pire. Il ne supportait ni
châtiment ni reproche. Le père était déjà sur le point de le faire
enfermer dans une maison de correction, mais il s’accrocha à un
conseil plus doux. Comme le jeune garçon conservait une
affection très ardente pour sa mère morte depuis peu de temps,
de sorte que tous les jours il avait l’habitude de faire une prière
pour son âme avant d’aller au lit, il voulut tenter un dernier
essai, dans la conviction désormais que sans religion on ne peut
pas éduquer la jeunesse. La fin d’octobre approchait et il fallait
choisir un autre collège pour son fils. C’est pourquoi, ayant
cessé tous les reproches, il lui procura des cadeaux à même, il
le savait, de lui faire plaisir ; et il le conduisit à une belle prome-

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500
nade à la campagne : revenu à la maison, il le fit venir dans
son bureau, et se mit à lui rappeler les derniers instants de sa
sainte mère. A ces souvenirs, le jeune garçon fondit en larmes,
et alors le père lui révéla que sa mère avait manifesté le vif
désir que fût choisi pour lieu de son éducation et de son
instruction l’Oratoire S[aint]-François de Sales. Puis il lui deman-
dait si pour cette année il accepterait d’entrer dans ce collège.
Le fils n’hésita pas et répondit sans plus : Je suis entre vos
mains. Tout ce qui aurait fait plaisir à ma mère, plaît à moi
aussi ; je suis prêt à faire n’importe quel sacrifice pour
l’accomplir.
Le père ne pensait pas pouvoir amener aussi vite son
fils à ce changement, et il reconnut là comme une bénédiction
du ciel. Puis, pour qu’aucun retard n’amenât de difficulté, il
voulut le conduire le jour suivant à l’Oratoire de Valdocco pour
traiter son admission.
D. Bosco fut très étonné à la première apparition de ce
jeune garçon dont le prénom était Jean. Des habits neufs et faits
avec élégance, un petit chapeau à la calabraise, une petite canne
à la main, une chaîne brillante sur la poitrine, une raie bien
droite dans des cheveux lissés avec beaucoup de soin étaient les
indices qui révélaient l’esprit de vanité qui régnait dans le cœur
du jeune. Le père trouva facilement un accord au sujet des
conditions d’acceptation ; puis alléguant qu’il avait autre chose à
faire il laissa son fils causer seul avec D. Bosco. A la vue d’un
jeune garçon qui prenait de tels airs, D. Bosco ne jugea pas
opportun de lui parler de religion ; mais il lui causa seulement
de promenades, de courses, de gymnastique, d’escrime, de chant,
de musique instrumentale. Des choses qui faisaient bouillir le
sang dans les veines de cet élève vaniteux rien qu’à en entendre
parler. Le père revint ensuite : dès qu’il put causer librement
avec Jean, il lui dit : — Que t’en semble-t-il, cet endroit te
plaît-il, que dis-tu du directeur ?

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501
— L’endroit me plaît beaucoup, le directeur me semble tout à
fait à mon goût, mais il a une chose qui m’inspire une totale
répugnance.
Quoi donc ? dis-le-moi, nous avons encore le temps pour
agir diversement.
— Tout en lui me plaît, mais c’est un prêtre, et cela me fait
le regarder avec dégoût.
Il ne faut pas considérer sa qualité de prêtre : considère
plutôt le mérite et les vertus qui l’ornent.
Mais venir avec un prêtre veut dire prier, aller se confesser,
aller communier. D’après certaines paroles qu’il m’a dites, il me
semble que déjà il connaisse mes actions…, ça suffit… J’ai
promis, je tiendrai ma parole, nous verrons le reste.
Quelques jours après, Jean entra à l’Oratoire. Le père
jugea bon d’informer D. Bosco de tout ce qui était arrivé à son
fils, et que [ce dernier] nourrissait encore une grande affection
envers sa mère défunte. Séparé de ses copains, détourné des
mauvaises lectures, la fréquentation des bons condisciples,
l’émulation en classe, la musique, la déclamation, quelques
représentations dramatiques dans un petit théâtre, [tout cela] fit
vite oublier la vie dissipée qu’il menait depuis environ une
année. Par ailleurs le souvenir de sa mère, fuis l’oisiveté et
les mauvais camarades lui revenait souvent à la mémoire. Et
même avec facilité il reprit l’ancienne habitude pour les pra-
tiques de piété. La difficulté était de pouvoir l’amener à faire sa
confession. Il avait déjà passé deux mois au collège. On avait
déjà fait des neuvaines, célébré des fêtes solennelles, au cours
desquelles les autres élèves firent en sorte de s’approcher tous
des Sacrements sacrés ; mais Jean ne put jamais se résoudre à se
confesser. Un soir D. Bosco l’appela dans sa chambre et, se
souvenant de la grande impression que faisait sur le cœur [du
jeune] le souvenir de sa mère, il se mit à lui dire ceci : Mon
bon Jean, sais-tu ce que peut te rappeler la journée de demain ?
— Oui, que je le sais. Demain, c’est l’anniversaire de la mort

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502
de ma mère. O mère très aimée, si je pouvais une seule fois
vous voir, ou du moins une fois encore entendre votre voix !
Ferais-tu demain quelque chose qui lui serait agréable et
t’apporterait à toi-même un grand avantage ?
Oh, si je le ferais ! Fût-ce à n’importe quel prix !
Fais, demain, ta sainte communion en priant pour son âme,
et tu lui apporteras un grand réconfort au cas où elle se trou-
verait encore dans les douloureuses flammes du purgatoire.
Je la ferais volontiers, mais pour faire la communion il faut
se confesser… . Si par ailleurs, cela plaît à ma mère, je le ferai
et, si vous le jugez à propos, moi, je me confesse à vous tout
de suite, en ce moment même.
D. Bosco, qui n’attendait rien d’autre, loua sa décision,
laissa se calmer l’émotion, puis le prépara et, avec une mutuelle
consolation, le confessa ; et, le lendemain, Jean s’approcha de la
sainte table en faisant de nombreuses prières pour l’âme de sa
mère regrettée.
A partir de ce jour sa vie causa une véritable satis-
faction pour D. Bosco. Jean conservait encore quelques livres en
partie interdits en partie nuisibles aux jeunes gens, et il les
apporta tous au directeur pour qu’il les livrât aux flammes, en
disant : — J’espère qu’en brûlant ils cesseront d’être la cause
pour laquelle mon âme brûlerait en enfer.
Il conservait également quelques lettres de ses anciens
copains, dans lesquelles ils lui donnaient plusieurs mauvais con-
seils ; et il les réduisit en de très petits morceaux.
Il reprit ensuite les études, et écrivit sur la couverture de
ses livres les consignes de sa mère, fuite de l’oisiveté et des
mauvais camarades. Puis il envoya une lettre de vœux de bonne
année à son père, qui éprouva une grande joie à voir que son
fils était revenu aux pensées que pendant tant d’années il avait
nourries. Il passa ainsi le temps du cycle inférieur des Etudes
Secondaires.

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503
Lui revenant en mémoire que dans la maison paternelle
il y avait plusieurs mauvais livres et [plusieurs mauvais] journaux,
Jean écrivit tant de lettres à son père, il sut tellement l’entourer
d’affection, surtout en période de vacances, il lui fit tant de
promesses qu’il l’amena à se défaire de tout. En outre pour
quelques prétextes frivoles le père mangeait gras les jours où
cela est défendu. Jean par son attitude, par des paroles, en
racontant des exemples, et en en faisant humblement la demande
à son père, réussit à le faire renoncer, en l’invitant à observer
les vigiles commandées par l’Eglise, justement comme doit le
faire tout bon chrétien.
L’éducation donnée par D. Bosco produisit un nombre
infini de fois de semblables transformations.
—————
* Institutiones… de Rebaudengo : Texte doctrinal de théologie com-
posé en 10 volumes (1840-43) à l’intention des séminaristes par le
Chanoine Rebaudengo.
—————

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504
CHAPITRE XLIV
On continue la construction de l’Internat Avis ingénieux et
salutaires de D. Bosco aux maçons Le Chan[oine] Gastaldi et
l’intérêt qu’il porte à l’Oratoire Ecroulement de la nouvelle
maison Protection visible du ciel Tranquillité et résigna-
tion de D. Bosco Salles de classe improvisées Poésie.
Les travaux de la construction avançaient avec rapidité
et ardeur et Don Bosco, entre-temps, veillait à la réforme morale
des maçons. Depuis plusieurs mois après le repas de midi il se
tenait au milieu des jeunes et il leur racontait des paraboles, des
nouvelles, des anecdotes pour les maintenir dans la joie. Les
maçons et leurs apprentis venaient eux aussi derrière les élèves
et tant que durait le temps de leur repos, ils restaient à l’é-
couter, en riant de bon cœur à ses facéties. Mais de temps en
temps D. Bosco, en ne laissant presque pas apparaître qu’il tour-
nait son esprit vers les ouvriers, à travers des expressions subtiles
adressées aux jeunes, et à travers des recommandations plus ou
moins explicites, faisait allusion en très peu de mots à la beauté
et aux récompenses de la vertu, à la laideur et au châtiment du
péché, aux consolations d’une bonne confession, à la pensée de
l’éternité, au danger d’être appelé à l’improviste au tribunal de
Dieu. Cela produisait un grand effet et, pour la majeure partie,
les maçons allèrent se confesser. Mais quelques-uns parmi eux
montraient clairement, d’après l’expression de leur visage, qu’ils
n’appréciaient pas le souvenir de certaines vérités, et, un jour où
D. Bosco avait commencé ses récits, un de ceux-là l’interrompit,

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505
en lui disant froidement : Croyez-Vous que je ne vois pas où
veulent en venir vos discours ? Mais Vous ne m’attrapez pas,
savez-Vous ! Le Jeu[ne abbé] Buzzetti, qui était présent, plai-
gnit ce malheureux ! D. Bosco ne répondit pas.
On était vers la fin d’octobre et le Chanoine Laurent
Gastaldi, venu de Stresa, faisait une visite très appréciée à Don
Bosco ; et il s’entretenait avec lui en parlant longtemps de
l’avenir de l’Oratoire, qui lui tenait tant à cœur. C’est pourquoi,
lorsqu’il fut de retour au noviciat des Rosminiens, en raison de
quelques craintes qui s’étaient éveillées en lui à propos de la
légalité de la possession de la maison Pinardi, il écrivait pour se
tranquilliser une lettre à D. Bosco. Celui-ci lui répondait ainsi :
Très cher M. le Chanoine,
Voici, envoyée à V[otre] S[eigneurie] Très Ch[ère], la réponse
désirée concernant ma position vis-à-vis du Gouvernement.
L’endroit étant ma propriété, je crois qu’en toute éventualité un
nouveau bâtiment appartient toujours au propriétaire du sol ;
toutefois pour enlever même ce doute, j’ai fait en sorte que les
offrandes qui m’étaient faites par la charité des particuliers, y
compris la Loterie, fussent toutes employées pour la construction
de l’église, en réservant une somme retirée d’un petit corps [de
bâtiment] d’une maison, vendue il y a quelques années dans ces
parages, comme aussi ce que je retire de l’emplacement mis ici
en vente, le tout entièrement pour la construction de la maison.
Ainsi j’ai reçu des meilleurs avocats l’assurance que le gouver-
nement ne peut en rien se mêler de cette propriété.
Mais… et une fois D. Bosco mort ? C’est ici que se tenait la
difficulté. Vu les circonstances de l’époque, comme on ne pou-
vait pas autrement garantir que la propriété durerait, j’ai invité
M. le Théol[ogien] Borel, le Théol[ogien] Murialdo, D. Cafasso à
participer à l’acquisition de ce dont on parle ci-dessus ; puis fut
faite une disposition testamentaire à avantage mutuel, de manière

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506
qu’à la mort de l’un [de nous] la propriété passe aux trois sur-
vivants, qui certainement sont libres d’associer avec eux un autre
individu : bien entendu ainsi il convient de payer le droit de
succession pour la part du défunt.
J’ai consulté plusieurs hommes de loi en qui j’ai confiance et
je n’ai pas pu avoir d’autre expédient à ce sujet. Par ailleurs,
quant à la nouvelle acquisition dont il s’agit, je m’en remets
entièrement à ce que dans sa prudence M. l’Ab[] Rosmini
estimera convenable, en m’offrant à lui, prêt à apporter tous mes
efforts, qui sont de faible qualité, pour coopérer en tout ce qui
pourrait servir à la gloire de Dieu et à l’avantage des âmes.
En attendant, veuillez offrir mes plus humbles respects à
M. l’Ab[] Rosmini, susnommé, et, en me recommandant à vos
prières, je vous souhaite tout bien venant du Seigneur et me dis
De V[otre] S[eigneurie] Très Ch[ère]
Turin, 24 Nov[embre] 1852.
Très aff[ectionné] ami [et] serviteur
BOSCO J[ean] Pr[être].
P.S. — Tandis que j’écris, madame votre mère travaille dans la
salle [de rangement] des affaires pour les nettoyer et les remettre
en état : votre visite l’a comblée d’un bonheur de paradis.
Qui lit cette lettre comprend que D. Bosco était rempli
de confiance dans la stabilité de sa fondation ; mais il ne peut
même pas lui venir l’idée de soupçonner qu’il se trouverait ces
jours-là sous le poids d’une épreuve inattendue et bien douloureuse.
Le samedi 20 novembre, un morceau du faîte de l’aile, du côté
est, du bâtiment en construction, à cause de la rupture d’un
échafaudage, s’écroulait de la hauteur du troisième niveau. Trois
ouvriers en furent grièvement blessés : un d’entre eux donnait
peu d’espoirs de guérison. Grandes avaient été la consternation

53 Pages 521-530

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53.1 Page 521

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507
et la frayeur de tous ; mais D. Bosco dans l’angoisse de ces
moments, en levant dans sa résignation les yeux au ciel, avait
prononcé les mots qu’il avait toujours sur les lèvres : Que
soit faite la volonté de Dieu ! Tout comme Dieu veut ! Tou-
tefois sa douleur était d’autant plus vive qu’il aimait ses ou-
vriers.
Lui, cependant, à qui tout sacrifice était rendu léger par
l’espoir de voir l’achèvement de cette construction en vue spé-
cialement de servir pour les cours du soir aux apprentis, sans
s’effrayer à cause du grave préjudice qu’il avait subi, il com-
mandait qu’on relevât avec promptitude ce morceau de mur qui
était tombé.
Mais malheureusement une perte plus grave lui était
réservée, ainsi qu’aux personnes charitables qui au nom de Dieu
lui offraient leur aide.
La construction en était au toit. Déjà les poutrages
étaient mis en place, les liteaux cloués, les tuiles amoncelées sur
le sommet pour y être disposées avec ordre ; lorsqu’une averse
violente et prolongée fit interrompre tous les travaux. Et là
ce ne fut pas tout : car la pluie tomba à torrents pendant
plusieurs jours et plusieurs nuits, et l’eau, en s’écoulant et en
suintant des poutres et des liteaux, rongea et entraîna avec elle
le mortier frais et peut-être même mauvais, en laissant les
murailles dans l’état d’un monceau de briques et de pierres sans
ciment et sans liaison.
La soirée du 1er décembre était déjà avancée, et plusieurs
centaines de jeunes gens de la ville se trouvaient rassemblés à
l’Oratoire pour les cours du soir. Sortis de leurs classes res-
pectives vers neuf heures, avant de se rendre chez eux, ils
avaient l’habitude de s’attarder encore avec les internes pendant
quelque temps, en s’amusant et en s’ébattant dans les pièces du
nouveau bâtiment. Il est vrai que D. Bosco, puisque tout était
trempé par la pluie, leur avait interdit d’y aller, car, il le crai-
gnait, ils pourraient glisser et se faire du mal ; mais ce soir-là
les étourdis ne se rappelèrent plus : ils grimpèrent, ils coururent,
montant et descendant par les échelles des maçons, çà et là sur

53.2 Page 522

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508
les échafaudages, tandis que beaucoup jouaient au rez-de-chaussée,
entre des planches et des poutres détrempées.
Les élèves externes avaient regagné la ville ; D. Bosco
ainsi que ses jeunes étaient profondément plongés dans le premier
sommeil ; lorsque, peu après onze heures, un horrible fracas, qui
à tout instant devient plus intense et [plus] bruyant, vient tout à
coup les réveiller. Le crépitement avait fait trembler l’ancienne
maison attenante à celle qui était en construction et dont une
partie du mur situé au sud s’effondrait et chavirait à terre. Ce
fut une terrible catastrophe ; mais, à l’heure fixée pour le
désastre, commença à briller la miséricorde du Seigneur envers
tous. Si jamais le chavirement s’était produit deux heures avant,
qui sait le nombre des victimes qu’il aurait faites. Mais le bon
Dieu veillait sur le sort de D. Bosco et de ses jeunes gens.
A ce moment-là la mère de D. Bosco était sur le point
d’aller prendre du repos, et, rapidement, elle sortit en pleu-
rant de sa petite chambre. Elle craignait, et non sans raison, que
son fils ne fût resté enseveli sous les ruines et elle criait avec
toute la voix qu’elle pouvait donner : D. Bosco, D. Bosco,
lève-toi, sors, sauve-toi ! Elle courut à la porte de la cham-
bre, appela, mais elle n’entendait pas de réponse ; elle poussa la
porte, mais celle-ci ne s’ouvrait pas. Entre-temps elle vit qu’une
grosse pierre avait, en tombant, heurté un angle de cette cham-
bre et, en cassant les tuiles, elle y avait pratiqué un trou par
lequel la pluie entrait. Alors à toute vitesse elle descendit
l’escalier qui conduisait à la cuisine pour prendre une autre clef
et tenter l’ouverture de cette porte.
Le jeu[ne abbé] Rua, réveillé alors par le fracas et ayant
entendu cette voix qui criait désespérément, ne sut pas tout de
suite discerner d’où elle venait et de qui elle était ; mais,
lorsqu’il la reconnut pour [être] celle de Maman Marguerite,
craignant que quelqu’un ne fût tombé en se blessant gravement,
il s’habilla et alla à sa rencontre.
Pendant ce temps-là les jeunes, remplis de peur, sautè-

53.3 Page 523

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509
rent du lit, qui en caleçon, qui en chemise, et dans la pleine
confusion, ignorant encore ce qui était arrivé, chacun s’était
enveloppé au mieux dans les couvertures et les draps ; et ils
étaient sortis des pauvres dortoirs [et les voilà] au rez-de-chaussée
sans savoir où [aller]. Les uns courent vers la porte de la clôtu-
re pour s’enfuir, les autres dans l’église pour trouver un refuge
au pied des autels ; d’autres se blottissent auprès des arbres
voisins, d’autres enfin restent au milieu de la cour. C’était un
spectacle qui portait à la pitié de voir, dans la lugubre horreur
de la nuit, au bruit sourd de la pluie qui tombait à verse,
cinquante jeunes courir çà et là. C’était à qui sanglotait d’un
côté, à qui hurlait de l’autre, à qui se heurtait du genou à un
banc, à qui butait contre une racine d’arbre et faisait une chute,
à qui par ici tombait et se barbouillait dans la boue, à qui par
là s’enfonçait dans un fossé. Entre-temps ils s’étaient bien vite
rendu compte de la cause de ce bruit, car des poutres, des tuiles
et des matériaux encombraient le terrain.
Et D. Bosco ? Tandis que tous les jeunes appelaient, et
attendaient maman Marguerite qui, ayant pris les clefs, remontait
l’escalier, voici que se fait entendre le son connu d’une petite
sonnette, et ensuite peu de temps après, apparaît une lampe au
fond de la galerie. C’était D. Bosco qui tranquillement, tranquil-
lement, sortait de sa chambre et descendait visiter les ruines.
Dans un demi-sommeil, ayant entendu confusément le premier
crépitement, il s’était mis en position d’écoute et voici que
retentit un autre grand coup. Il pensait : [] Qu’en cette saison
il tonne encore ! — Mais ne voyant pas l’éclair, il comprit son
danger, ayant une chambre qui le rendait le plus proche de la
nouvelle construction. Sorti de son lit, il n’avait pas cependant
réussi à s’orienter et ne trouvait pas la porte pour sortir et les
allumettes pour allumer la lampe.
Dès qu’il fit son apparition, de tous côtés, les jeunes
criaient : D. Bosco ! Oh, D. Bosco ! D. Bosco est sauvé ! Et,
sans se soucier de la boue et des obstacles, ils coururent à sa

53.4 Page 524

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510
rencontre. Ils l’entourèrent ; l’un d’eux lui disait : Eh bien, D. Bos-
co, n’avez-Vous pas entendu le chavirement des murs et les cris
de votre mère ? Un autre : D. Bosco, avez-Vous beaucoup
souffert ? Vous êtes-Vous fait mal ? Un troisième : Com-
ment se fait-il que Vous n’êtes pas sorti aussitôt ? Un
quatrième : Voyez comme nous avons les pieds et les jambes
drôlement arrangés. — Et chacun venait à l’envi lui raconter son
adresse, les jeux gymniques et les sauts périlleux de cette nuit.
Et à tous D. Bosco, sans se troubler le moins du monde
et avec ce calme qui est le propre uniquement des vrais
serviteurs de Dieu et des hommes de la paix, comme on les
appelle, prêtait attention et adressait en réponse des paroles
consolantes. Il avait demandé en premier lieu s’il était arrivé
quelque malheur aux personnes ; mais ayant entendu [répondre]
qu’aucun sinistre, en dehors de la chute du bâtiment, n’avait
troublé les enfants de l’Oratoire, il se mit tout joyeux à
plaisanter, en les taquinant pour le grotesque de leurs silhouettes,
en riant à propos de la peur de l’un, à propos de l’habillement
improvisé de l’autre, et enfin en les invitant à faire une partie
en courant dans la cour pour [jouer à] s’attraper. Son esprit
calme aida énormément à rasséréner les jeunes au milieu de ce
grand effarement. Ensuite il les conduisait dans la salle à man-
ger et il leur racontait comment l’Oratoire avait déjà enduré des
persécutions, des déménagements forcés, et comment toutefois il
en était à chaque fois sorti florissant et grandissant. C’est
pourquoi il les incitait tous à garder inébranlable leur confiance
dans la Divine Providence. Allons donc, leur disait-il, à
présent que nous avons reçu une grâce aussi remarquable, que
nous sommes tous indemnes, récitons les litanies. A cette
invitation tous se mirent à genoux, en récitant avec lui les
litanies, en action de grâces au Seigneur qui n’avait pas permis
que quelqu’un, même un seul, fût écrasé sous les ruines.
Mais D. Bosco en cet instant pensait sérieusement : Et à
présent où aller ? Que faire ? La nuit était noire, il pleuvait
sans cesse, il faisait froid. Depuis quelque temps, cependant, on

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511
n’entendait plus de bruits sinistres. Donc, continua à réfléchir
Don Bosco : ce qui s’est déplacé, désormais a fini de tomber.
Du côté de la maison où l’on dort n’apparaissent pas de dégâts
importants.
Une demi-heure s’était déjà écoulée après minuit, et Don
Bosco, voulant que chacun prît le repos nécessaire, dit aux
jeunes : Il est temps que vous alliez tranquillement dormir.
Soyez sûrs qu’il ne vous arrivera aucun malheur. Enlevez donc
vos lits de cette chambre exposée au danger, et avec toute la
précaution possible portez-les pour une part dans la sacristie et
pour une part ici dans le réfectoire. Sitôt dit, sitôt fait.
En un clin d’œil, tous disparaissent et volent pour charger cha-
cun sur son dos, le petit lit personnel. Qui aurait vu avec
combien de facilité et de promptitude les apprentis transportaient
leurs bagages, aurait cru qu’ils étaient autant de bersagliers, tant
ils se montraient dégourdis. En moins d’un quart d’heure vingt lits
furent disposés à l’endroit qui leur était provisoirement affecté.
Maman Marguerite faisait preuve d’un courage viril di-
gne de grands éloges. Elle était attentive à ce que personne ne
s’approchât de l’endroit du danger, distribuait les jeunes les uns
dans une chambre et les autres dans une autre, et veillait jus-
qu’à l’aube, en passant intrépide d’un endroit à l’autre comme
un général sur un champ de bataille. L’on voyait en elle une
vraie mère à qui l’amour avait enlevé toute préoccupation pour
elle-même et donné uniquement le zèle empressé pour ses en-
fants. D. Bosco, quant à lui aussi, se montra le fils bien digne
d’une telle mère ; car pour assurer leur vie il exposa plusieurs
fois la sienne à un grand danger, en allant constater s’il y avait
la menace de nouveaux écroulements. Et il fallut que la tendre,
non moins que courageuse, Marguerite l’en éloignât comme de
force et le contraignît à rentrer dans la maison.
D. Bosco revint là où les jeunes finissaient de mettre en
ordre les dortoirs ; chacun fouillait les poches de ses vêtements
en craignant d’avoir dans cette précipitation perdu quelque chose.

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Pendant ce temps-là un fait vécu plaisant survint qui pro-
voqua leur hilarité. Parmi les pensionnaires, il y en avait un,
tailleur de son métier, se nommant Innocent Brunengo ; il était
estropié au niveau des jambes, déjà à moitié chauve à cause
d’une maladie et muni d’une perruque, mais d’humeur gaie et
très facétieux. Au plus fort du danger, comme les autres il avait
bondi du lit à la hâte, oubliant sous le traversin le petit pain du
petit déjeuner qu’on distribuait à chacun le soir pour le matin ;
car plusieurs jeunes devaient avant l’aube se trouver chez les
patrons en ville. Et alors, pendant qu’il enlevait son matelas, le
petit pain, sans qu’il s’en aperçût, était tombé par terre. Affligé
à cause de cet oubli, il ne se préoccupe ni de lui-même ni des
conseils de qui essaie de le dissuader ; mais envers et contre
tous il retourne dans la chambre abandonnée, trouve le cher
petit pain, le saisit et s’en va aussi vite que le peut un boiteux.
Et le voilà qui arrive tout joyeux là où étaient ses compagnons
et qui s’écrie de tout son cœur : Fichtre ! mon petit déjeuner
est sauvé ! Don Bosco, Don Bosco, mon petit déjeuner est sau-
vé ! Et ainsi il force ses compagnons, à ce moment-là et par
la suite, à rire de très bon cœur. Tant qu’il vécut, le premier
salut qu’ils lui donnaient en le rencontrant était : Il est sauvé, il
est sauvé ! et aimablement on plaisantait sur l’héroïque prouesse
accomplie par lui cette nuit-là par amour d’un petit pain.
En attentant, D. Bosco, car une heure du 2 décembre
s’était déjà écoulée, exhorta les jeunes à se coucher, et, ayant
fait une courte prière, lui le premier se retira dans sa chambre
qui était la plus exposée au danger. Tous les autres peu à peu
l’imitèrent, à l’exception de quelques-uns qui se retirèrent dans
l’église pour prier, et étendus sur leurs petits lits, ils essayèrent
de reprendre le sommeil.
Mais phénomène singulier ! Dans les pièces de l’étage
supérieur trois jeunes abbés, Viale, Reviglio et Vacchetta Etien-
ne, qui plus tard s’inscrivit chez les Oblats de Marie, n’avaient
rien entendu d’un si grand remue-ménage et étaient en train de
dormir très paisiblement. Le Jeu[ne abbé] Rua Michel, après avoir

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513
aidé D. Bosco à rétablir l’ordre, montait à sa petite chambre
avec deux autres. Le Jeu[ne abbé] Vacchetta, en décrivant en
détail ce fait dans une de ses lettres, que nous possédons,
envoyée au Jeu[ne abbé] Bellia dans le vénérable Séminaire de
Chieri en date du 25 décembre 1852, racontait :
« Entraient dans ma chambre les jeunes abbés Danussi, Buzzet-
ti et Rua, qui, par leur rire immodéré, parce que je ne m’étais
pas réveillé, perturbèrent mon sommeil. Je demandai alors si le
lever était déjà sonné et je m’étonnais de ne pas en avoir
entendu le tintement prolongé. Mais Danussi, éclatant en des
rires plus forts, [dit] : Eh ! n’as-tu pas entendu s’effondrer la
nouvelle maison ? Non, non, répondis-je : je suis cependant
très content, parce que l’entrepreneur la construira de nouveau, de
fond en comble. [La] Providence, [la] Providence est [derrière] cet
événement. Le Seigneur veut que l’Oratoire soit fondé non sur le
sable, mais sur de solides fondations. Il a fait tomber, ou mieux,
il a permis qu’à cause de la chaux, en elle-même déjà peu
tenace, chavirât à terre le bâtiment, et il a très bien fait. Il
voyait que D. Bosco est trop bon et que peut-être déjà on
arrangeait les choses au détriment de l’Oratoire, et donc il a
ainsi sagement agi. Providence, Providence ! Cela dit, on
imposa le silence et on se tut.
» Les jeunes s’étaient couchés pour reposer ; mais, les pauvres,
quel repos ils ont pu prendre, tu pourras facilement l’imaginer
d’après ceci : le matin tous racontaient les bruits continuels
produits par la chute tantôt de briques ou de pierres et tantôt de
poutres ou de planches qui étaient restées suspendues dans les
points hauts.
» Après la sonnerie de cinq heures, tandis que la majorité des
jeunes était déjà dans la cour en train d’observer les ruines et
que la minorité était encore assoupie dans le sommeil, on enten-
dit s’effondrer vers cinq heures et demie la partie située au nord
qui, en heurtant celle du centre, de hauteur plus élevée, fit

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514
chavirer aussi celle-ci avec un bruit quadruple du premier, avec
une telle secousse qu’elle fit trembler la maison attenante
pendant quelques secondes. Ceux qui, assommés par le sommeil,
se trouvaient encore au lit, se levèrent d’un bond et, s’étant
habillés en toute hâte, descendirent en apportant un accroisse-
ment numérique et de la compagnie à tous les curieux ».
Mais D. Bosco, en se remettant entre les mains de Dieu,
calme et impassible, alors qu’il était déjà descendu dans l’église,
fit regrouper les jeunes et, en les invitant de nouveau à remer-
cier le Seigneur de les avoir protégés aussi miraculeusement, il
célébra la Messe. Sorti ensuite de l’église au milieu de tous les
élèves rassemblés, il souriait en s’écriant : — C’est le diable qui
m’a joué ce tour : il ne veut pas que j’agrandisse l’Institution et
que j’accueille de nouveaux jeunes ; mais nous le ferons malgré
lui. Et puis il répéta : Le démon a voulu nous donner un
coup de pied ; mais soyez tranquilles, le Seigneur est plus fort
que lui, et le démon ne réussira pas à empêcher son œuvre.
Peu de temps après, la cour fut pleine de personnes,
accourues poussées par la curiosité de voir le bâtiment en rui-
ne. Et voici que dans une voiture accourt le maire avec deux
ingénieurs municipaux : il se mit à réconforter D. Bosco, en lui
assurant que l’Oratoire ne subirait pas de préjudice à cause de
ce malheur. Aussitôt les deux ingénieurs commencèrent une
inspection sur la nature et sur la cause du désastre. La nouvelle
construction, comme nous l’avons dit, touchait le bâtiment ha-
bité, bas et ancien, et à plusieurs mètres au-dessus de la
chambre de D. Bosco se trouvait, menaçant, un long et gros
pilier de la construction qui s’écroulait : dans l’éboulement, dé-
placé de sa base, il pendait de façon effroyable au-dessus de la
pauvre masure. Le Chev[alier] Gabbetti, un des ingénieurs, ayant
examiné attentivement ce pilier, demanda, en se mordant les
lèvres, à D. Bosco : Qui cette nuit dormait en cet empla-
cement ? — J’y dormais, répondit D. Bosco, et aussi une
trentaine de mes jeunes gens. Alors cet expert prit D. Bosco
par le bras et dit : Allez donc avec vos jeunes remercier

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515
Notre-Dame, car il y a bien de quoi. Ce pilier tient là en con-
tradiction avec tous les principes du métier, et, s’il était tombé,
il vous aurait écrasés, Vous et les jeunes, dans votre lit. Moi, je
mets au défi tous les ingénieurs du monde de faire tenir debout
une tour avec une telle inclinaison. C’est un vrai miracle ! On
donna aussitôt l’ordre de le démolir ; mais comment le faire sans
risquer la vie des ouvriers ? Avec les précautions nécessaires, les
maçons le lièrent avec de grosses cordes, l’assujettirent comme il
fallait, et ensuite, montés sur les échafaudages, ils le détruisirent
un peu à la fois, libérant de la plus grande ruine la pauvre
masure.
Comme autre beau trait de la protection visible du ciel,
il y eut ceci. Il était 8 heures. De la nouvelle maison il restait
toutefois debout une partie du mur donnant vers le sud sur la
cour, avec les arcs des arcades encore intactes. Or, pendant
qu’avec la commission municipale D. Bosco et plusieurs jeunes,
parmi lesquels Cagliero, Turchi, Tomatis, Arnaud, se tenaient
comme stupéfaits en regardant et en déplorant cette immense
ruine, l’un d’eux, voyant bouger les piliers, pousse un cri en
disant : Fuyez ! Tous en un éclair s’éloignent au milieu de la
cour : à peine y sont-ils arrivés, le mur s’écroule avec un fracas
épouvantable, en jetant des poutres, des pierres et des briques à
plusieurs mètres de distance. Il est facile d’imaginer dans quel
état chacun se trouvait devant ce spectacle. Tous sans un mot et
D. Bosco pendant un instant effaré et le visage pâle. Au
tremblement du sol comme pour une secousse sismique, une
nouvelle foule venue de la ville accourut de tous côtés, et les
gens entouraient D. Bosco en déplorant ce malheur. Mais lui,
ayant déjà repris son calme et souriant, disait à monsieur
Duina : Nous avons joué au jeu des briques ! faisant
allusion au divertissement des gosses qui dressent, l’une à côté
de l’autre, des briques sur une file et, si on touche la première,
elles tombent toutes.
L’impression qu’un si grand désastre laissa chez les
pensionnaires fut telle que durant plusieurs mois un petit bruit,

53.10 Page 530

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516
comme [celui] du passage d’un chariot ou [celui] du renversement
d’une manne de pierres et autres choses semblables, les bou-
leversait profondément, les faisait trembler et devenir pâles
comme la mort. Mais D. Bosco était toujours prêt à s’adapter
avec la plus profonde soumission à toutes les volontés du
Seigneur : à ce moment-là comme en des centaines et des
centaines d’autres circonstances douloureuses, on ne l’entendit pas
prononcer un mot de plainte, et on ne le vit pas se montrer
triste et mélancolique, ni anxieux et peureux, mais avec son vi-
sage hilare et sa douce parole il encourageait les élèves. Il dit en
public : Sicut Domino placuit ; sit nomen Domini benedictum
[C’est ainsi qu’il a plu au Seigneur ; que le nom du Seigneur soit
béni]. Recevons de sa main tout ce qui nous arrive et je vous
assure que le Seigneur tiendra en grande estime notre résigna-
tion. Et il répétait : Oui, nous devons vraiment remercier
le Seigneur et la Bienheureuse Vierge de ce qu’au milieu des
tristes événements qui accablent l’humanité, il y a toujours la
main bienfaisante et providentielle de Dieu qui adoucit nos mal-
heurs. Il disait, et aussi à lui-même : [] Que rien ne te
trouble : qui a Dieu, a tout. Le Seigneur est le maître de
maison ; je suis l’humble serviteur. Ce qui plaît au maître doit
plaire à moi aussi.
Une lettre qu’il écrivit au Curé de Capriglio rend
témoignage de la sainte paix qui régnait dans son âme.
Très ch[er] M. le Curé,
J’ai déjà parlé avec M. le Chev[alier] Curtine, 1er Officier dans
la Sainte Religion [= Ordre] des S[aint]s Maurice et L[azare], et
j’ai appris qu’il est très favorable envers Vous : faites l’innocent
et, sans me nommer, écrivez une nouvelle lettre au Chevalier
susdit et une autre à M. le Chev[alier] Cibrario et j’espère quel-
que bon résultat : repetita iuvant [il est utile de répéter].
J’ai ici une classe de grec et j’ai besoin de quelques livres,
traitant de cette matière, qui sont chez moi aux Becchi.
Vous me rendriez un grand service si Vous alliez, ou bien si
Vous envoyiez quelqu’un, p[ar] e[xemple] D. Duino trier pour
moi ces livres et me les expédier au plus vite et cela pour ne

54 Pages 531-540

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54.1 Page 531

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517
pas dépenser quelques centimes à en acheter d’autres. J’ai eu un
malheur : la maison, qui était en construction, s’écroula presque
entièrement, alors qu’elle était déjà presque toute couverte : seu-
lement trois [personnes] reçurent de graves lésions, aucun mort,
mais une frayeur, une consternation à faire aller le pauvre Don
Bosco dans l’autre monde.
Sic Domino placuit [C’est ainsi qu’il a plu au Seigneur].
Aimez-moi dans le Seigneur, saluez votre excellent M. le
Vicaire et si je suis utile à quelque chose donnez-moi des
ordres et Vous me trouverez
De V[otre] S[eigneurie] Très Ch[ère]
Turin, 6 Décembre 1852.
Ami très aff[ectionné]
BOSCO J[ean] Pr[être].
En attendant, la chute de la maison, outre les dégâts
matériels, causait plusieurs autres désagréments. La saison avan-
cée ne permettait plus, nous ne dirons pas, de terminer, mais
même pas de recommencer les travaux. Avec difficulté on pou-
vait couvrir et réparer le côté est, non encore fini, qui restait
debout. Comment donc faire face au manque de locaux ? La
charité est ingénieuse, et telle était celle de D. Bosco. Après
qu’on eut redonné de la solidité aux murs de l’ancienne
Chapelle, celle-ci fut transformée en dortoir ; et l’on transféra,
avec les précautions voulues et de pieuses attentions, les cours
fonctionnant sur la journée, ainsi que les cours du soir, dans la
nouvelle église, qui, par conséquent, les dimanches et les jours
de fête et tous les matins, servait pour le culte divin et pour les
pratiques religieuses et, l’après-midi au cours de la semaine se
convertissait en collège et en salle d’exercices littéraires.
On établit donc une classe dans l’emplacement de la chorale,
une deuxième dans le chœur, une troisième et une quatrième dans les
deux chapelles des autels latéraux, et d’autres dans la nef de
l’église. Tout cela formait un ensemble embrouillé et confus,
mais d’un aspect si romantique et singulier que tous les jeunes

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518
y accouraient avec un véritable enthousiasme. Et pour sûr l’air
ambiant n’était pas chaud. Mais D. Bosco eut toujours ceci pour
objectif : se montrer content dans toutes les contrariétés, et en
celles-ci trouver le côté plaisant ; en prescrivant quelques mo-
difications dans l’organisation de la maison, le faire avec un
certain air de joie qui fût la preuve du grand avantage qui serait
à même de provenir de cette mesure. Avec ce système tous les
jeunes accueillaient toujours avec la meilleure volonté du monde
n’importe quel changement qui apparût nécessaire, fût-il même
étrange et incommode.
Eux-mêmes, sans savoir pourquoi, en suivant son exem-
ple, se sentaient poussés, du fait d’une habitude constante, à
trouver une raison de rire même dans leurs malheurs personnels.
En effet, une fois passées la frayeur et la peine produites par ce
désastre, Charles Tomatis, dont l’esprit avait des facilités et se
montrait facétieux, composa une poésie en piémontais : récitée de
nombreuses fois, même au théâtre, elle faisait rire à gorge dé-
ployée.
Ces vers célèbres furent publiés dans le Bulletin Salésien.
Nous les reportons ici, mais traduits [en italien] par notre confrè-
re le Docteur D. J[ean]-Bapt[iste] Francesia, pour qu’ils soient
compris même par qui ne connaît pas le dialecte du Piémont.
J’étais là à rêver, et il me semblait voir,
Posée toute fumante au milieu du tranchoir,
Une polenta qui, belle, pouvait me faire
Rire avec grand plaisir, l’âme remplie de joie ;
Quand la maman soudain, d’une dolente voix,
Crie : Oh, la maison tombe ! Aïe, quelle atroce affaire !
Je m’éveille, étourdi dans ma tête si tendre
Par un crépitement qui fort se fit entendre ;
Et, l’esprit pas encor bien réveillé, j’approche
Pour chercher mes habits : au lieu de mon chapeau
Je prends la perruque du tailleur Brunengo ;
En me pressant ainsi je sauve ma caboche.
Sorti, je cherche en vain dans le ciel une à une
Les étoiles, la belle et lumineuse lune,

54.3 Page 533

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519
C’est qu’au contraire il pleut avec violence, à seaux ;
Je trouve Don Bosco pris d’un zèle de père
Pour chercher, pour compter tous ses fils, il l’espère,
Par miracle sauvés des dangers des travaux.
Dans l’église il nous rassemble, et puis nous exhorte
A compter sur l’aide que le Ciel nous apporte ;
En l’entendant, chacun bientôt se réconforte,
Et ne doute plus de la vie : la peur est morte ;
Alors résonne un coup à l’oreille voisine
Comme si le monde s’en allait à sa ruine.
Qu’est-ce que c’est ? criâmes-nous pris de terreur,
Nous regardant l’un l’autre assaillis par l’horreur :
Serions-nous ensevelis durant cette nuit ?
Une poutre, puis une autre avec un grand bruit,
Tout comme la paille est emportée par le vent,
Avec le mur étaient tombées à ce moment.
Et, peu de jours avant, j’avais placé mon lit
Là où je m’endormais pour des rêves jolis ;
Que serait-il advenu de moi, pauvre sot,
De ma palette comme aussi de mes pinceaux ?
Je serais allé près de nos pères anciens,
Et n’aurais plus à risquer ma vie pour des riens.
Qu’en dis-tu, Gastini, et, toi donc, Buzzetti ?
A vous que semble-t-il de ce grave péril ?
Mon âme tremble si je pense à Rocchietti ;
Mais elle rit à voir Reviglio : que fait-il
A prier ou crier vivement attendri,
Gardant sur la tête un bonnet de nuit flétri ?
Et Arnaud le gantier, et Battista très roux,
C’est celui dont Poil-de-Carotte est le surnom,
Et Marchisio, et bien d’autres, un bataillon,
Etaient blancs, livides, blêmes sur les deux joues.
De cette nuit, il est bien digne que l’histoire
Dans une belle page ait gardé la mémoire.
A l’aube cependant s’écroulait en son tout
Dans un fracas d’horreur le grand centre d’accueil
Qu’élevait le bon Père ; en un climat de deuil
Il nous dit (de ses mots, je me souviens partout)
Avec le calme doux d’une âme et d’un cœur sûrs :
Oui, un jour, surgiront à nouveau tous ces murs !
—————

54.4 Page 534

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520
CHAPITRE XLV
Machinations contre le Pape Une grâce de Marie
Consolatrice Un Pasteur Protestant confondu par Don
Bosco Projet des Lectures Catholiques Mgr Fransoni et
Mgr Moreno Secrets de D. Bosco pour trouver le temps de
faire tant de travaux A Oropa : humilité Lettre de l’E-
vêque d’Ivrea à D. Bosco et consultations pour commencer
les Lectures Catholiques Deux Rescrits du Pape à D. Bosco.
Sans cesse de nouvelles machinations et sans cesse la
guerre contre l’Eglise. Le 4 novembre le Comte Camille Benso de
Cavour était nommé président du Ministère. En août il était allé à
Londres tenir conseil avec les Lords Palmerston, Russel [= Rus-
sell] et Gladstone, au sujet desquels il est difficile de dire qui
plus qu’eux haïssait l’Eglise Romaine, ou aidait par tous les
moyens la révolution ; et, de passage à Paris, il s’entretenait
longuement avec le Président de la République Louis Bonaparte
et se mettait d’accord sur l’Unité de l’Italie et sur la Question
Romaine. Les membres de sectes d’Europe le poussaient à
déclarer au Pape une guerre de religion, et le 1er [sic] décembre
Bonaparte sous le nom de Napoléon III était proclamé empereur.
Entre-temps, dans le Piémont, on avait continué la lutte
contre les droits de Dieu ; et le 5 juillet les députés avaient
approuvé la loi sur le mariage civil par 94 voix contre 34.

54.5 Page 535

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521
Des pétitions au Parlement, signées par d’innombrables citoyens,
demandaient que cette loi ne fût pas mise en vigueur ; et le
Gouvernement avait essayé de les interdire, en accusant le clergé
d’employer des moyens frauduleux, des artifices, des violences
pour tromper le peuple sur les intentions du législateur. Dans le
diocèse d’Ivrea, trois curés remplis de zèle furent mis en prison.
Quelques messieurs, pour avoir publié des brochures qui dé-
montraient que cette loi était hostile au Catholicisme, furent
poursuivis en justice et destitués de leurs charges. Le Pape avait
écrit au Roi en lui réaffirmant solennellement la doctrine catholi-
que sur le mariage et les Evêques de la Province Piémontaise
avaient protesté, en annonçant les peines canoniques fulminées
contre ceux qui oseraient contacter un mariage civil ; et pourtant
au Sénat on ouvrit la discussion. Mais la Vierge Consolatrice ne
permit pas à ce moment-là un pareil scandale. Le 20 décembre,
bien que Camille Cavour eût parlé avec chaleur en faveur de la
loi, le Sénat par 39 voix contre 28 en repoussait le premier
article, et le 22 un décret royal retirait le sinistre projet. Et les
habitants de la ville, selon la promesse faite, remercièrent Marie
par la construction de la façade au Sanctuaire Notre-Dame de
Consolation, grâce aux offrandes qui dépassaient 60 000 lires.
Dans le même temps les protestants continuaient leur
propagande et plusieurs fois ils avaient cherché à entrer en
discussion avec D. Bosco.
« En 1852, raconta D. Bosco, vint à l’Oratoire un pro-
testant fameux, et, après quelques mots, il me tendit un livre en
disant à plusieurs reprises : Voici un bon livre qui fait tou-
cher du doigt les infamies de l’Eglise Romaine. Et il me
présentait un livre de Trivier, où il y a de loin plus de men-
songes et de calomnies que de mots. Je lui demandai de
m’indiquer quelques-unes de ces infamies et il me donna comme
réponse : — N’est-ce pas une infamie que le Pape se fasse
adorer en tant que Dieu et plus que Dieu ? N’est-ce pas une
infamie digne des païens d’adorer les saints et les images, com-

54.6 Page 536

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522
me tout autant de dieux ? N’est-ce pas une infamie d’interdire la
lecture de l’Evangile ?
Devant de telles accusations je le priai calmement de me
rechercher dans le livre, qu’il avait entre les mains, un seul
décret de Papes, d’Evêques, de Conciles ou de Saints Pères [de
l’Eglise] dans lequel on trouverait une seule expression qui
commandât une des trois choses indiquées par lui. En effet, qui
accuse doit fournir les preuves de ce qu’il affirme.
L’autre tourne et retourne des pages et des feuilles, parcourt
des paragraphes et des chapitres ; mais comme il ne pouvait pas
trouver ce que je demandais, il me dit : Je reviendrai et je
serai muni de textes et de raisons à même de vous satisfaire.
Allez, répliquai-je, lisez à votre aise tous les livres du
monde, les manuscrits ou les imprimés que vous voulez ; et si
vous savez me prouver ce que vous m’affirmez, je vous donne-
rai entièrement raison, autrement…
Quoi autrement ?…
— Autrement, j’aurai, moi, plus que pleinement raison d’affir-
mer que les protestants sont des calomniateurs.
Le pasteur s’éloigna, je l’attendais, mais il n’est plus revenu ».
Mais D. Bosco ne se contentait pas seulement de dis-
cussions. Il considérait le poids des injustices, des calomnies et
des erreurs avec lesquelles dans l’esprit [des gens] du peuple, à
travers l’action des politicards, des membres de sectes et des
Vaudois, on faussait l’idée de l’Eglise de Jésus Christ, de ses
droits, de sa doctrine ; il méditait de nouvelles entreprises, bien
plus grandes que celles qu’il avait commencées, au moyen des-
quelles peu à peu il ferait, avec son génie bienfaisant, que le
monde serait dans l’étonnement et recevrait la lumière.
« La route des justes est comme la lumière de l’aube
dont l’éclat grandit jusqu’au plein jour » (1). Depuis l’année 1850
—————
(1) Pr 4,18.

54.7 Page 537

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523
D. Bosco s’était proposé d’élever une digue contre l’irruption de
la presse hérétique, en publiant une collection de petits livres
destinés aux gens du peuple sous le titre de Lectures Catholiques.
L’inspiration de les fonder fut tout à fait sienne. Mais, puisqu’il
n’entreprenait rien sans recourir à Dieu, [sans] demander et écouter
l’avis de personnes autorisées, et [sans] peser longuement le pour
et le contre, il avait été plutôt lent à se déterminer. Mais cette
année la décision était prise et aucun obstacle ne serait capable
de l’en détourner. Toujours dévoué et respectueux envers son
Archevêque, ayant rédigé un programme d’abonnement, il l’avait
personnellement soumis à Mgr Louis Fransoni [qui était] à Lyon,
et le remarquable Prélat non seulement approuvait, mais louait
hautement cette idée opportune. La Direction des Lectures Catho-
liques aurait son siège à Turin.
Cependant D. Bosco ne pouvait pas tout seul faire face
aux engagements d’une telle entreprise : il fallait joindre à la
sienne, en raison de la coopération nécessaire, beaucoup d’autres
volontés de personnes qui lui étaient égales et qui parfois sup-
porteraient peut-être à contrecœur sa suprématie, et sa réputation
accrue à leurs dépens. C’est pourquoi en quelques circonstances
il réussissait à vaincre certaines réticences en restant lui-même
dans l’ombre et en faisant une proposition, non comme venant
de lui, mais comme suggérée par un autre. Parfois il savait peu
à peu glisser avec adresse ses propres idées, et les raisons qui
les soutenaient, dans l’esprit de personnes riches ou de grande
autorité et [de grande] influence, de manière que [ces personnes]
les prissent comme étant les leurs, dans la conviction d’avoir la
gloire et le mérite de ce projet, et ensuite, en tant que person-
nelles, elles les soutenaient avec cœur et ardeur. C’étaient là des
sacrifices d’humilité, mais largement récompensés, en raison de la
gloire qui en ressortait pour le Seigneur.
D. Bosco avait donc déjà discuté avec Mgr Moreno,
Evêque d’Ivrea, le projet de cette publication qu’il avait envi-
sagée, en le priant de la soutenir de son autorité, et le plan à

54.8 Page 538

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mettre à exécution avait été décidé, car avec les Lectures Ca-
tholiques on voulait descendre en plein champ de bataille contre
le Protestantisme. Mgr Moreno approuvait avec enthousiasme, et
prenait sous sa protection l’exécution du projet et D. Bosco l’eut
ainsi comme allié très puissant et très zélé.
C’est une nouvelle activité à assumer sans relâche que
donnait à D. Bosco la fondation de cette bibliothèque ; et sa foi
lui faisait passer les nuits entières à écrire des livres de religion
et d’instruction pour les [gens du] peuple sur les doctrines ca-
tholiques les plus attaquées par les protestants, en démasquant
l’erreur au moyen d’arguments accessibles aux personnes plus
ignorantes.
On demandera comment D. Bosco trouvait tellement de
temps et réussissait dans tant d’affaires, qui font rester pantois
devant leur nombre. C’était là, répondrons-nous, son secret qu’il
avait appris au Convitto [Ecclesiastico] à l’école de D. Cafasso.
D. Bosco, en écrivant au sujet de D. Cafasso dans l’un de ses
souvenirs, se dépeint lui-même sans le vouloir :
« Le premier secret était la constante tranquillité. Le mot de
S[ainte] Thérèse lui était familier : Que rien ne te trouble ! — C’est
pourquoi, avec la douceur propre aux âmes saintes, il démêlait
avec énergie toute affaire, même si elle traînait en longueur ou
était difficile et semée parfois de difficultés chargées d’épines ;
mais cela sans s’inquiéter, sans l’apport, dû à la multitude ou au
poids des choses, du moindre trouble à cette âme noble et vrai-
ment grande. Cette merveilleuse tranquillité faisait qu’il pouvait
traiter des affaires nombreuses et variées sans inquiétudes et sans
préjudice des facultés intellectuelles.
» Le deuxième secret était la grande pratique des affaires, ac-
quise avec sa patience, jointe à une grande confiance en Dieu.
Sa prudence, son expérience, la longue étude du cœur humain lui
avaient rendu familières les questions les plus élevées. Les
doutes, les difficultés, les demandes les plus compliquées s’éva-

54.9 Page 539

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525
nouissaient devant lui. Pour comprendre une demande qui lui
était faite, il lui suffisait d’en entendre l’énoncé ; puis ayant
élevé pendant un instant son cœur vers Dieu, il répondait avec
une promptitude et une justesse telles qu’une longue réflexion
n’aurait pas fait prononcer un meilleur verdict.
» Le troisième secret pour faire beaucoup de choses était
l’exacte et constante occupation du temps. Dans l’espace de
plus de trente ans que je le connus, je ne me rappelle pas
l’avoir vu passer un instant où on pouvait le dire oisif. Ayant
terminé une affaire, aussitôt il en entreprenait une autre. Il ne
prenait jamais un moment de récréation, jamais un passe-temps
pour détendre son esprit, pas une facétie, ou un mot inutile.
Dans le seul but de donner un délassement à ses étudiants du
Convitto, il assistait parfois à leurs divertissements, et c’était
pour lui un devoir.
» L’unique véritable soulagement était pour lui le changement
d’occupation lorsqu’il n’en pouvait plus de fatigue. Quand il était
fatigué de prêcher il allait prier, quand il était fatigué d’écrire il
allait rendre visite aux malades ou allait confesser dans les pri-
sons ou ailleurs.
» Le quatrième secret était la tempérance, que nous appellerons
mieux sa sévère pénitence. Dès sa jeunesse, il fut toujours sobre
dans le manger et dans le boire, si bien qu’après [avoir pris de]
la nourriture il était en mesure d’entreprendre n’importe quelle
occupation scientifique ou littéraire. Quelquefois il lui fut dit de
prendre un peu soin de sa santé, mais il répondait : Notre
repos sera au paradis ! O paradis ! O paradis ! Qui pense à toi
en ce monde ne souffre plus de fatigue. — D’autres fois il
disait : — L’homme est vraiment malheureux en ce monde !
L’unique chose qui pourrait le consoler, ce serait de pouvoir
vivre sans manger, sans dormir pour s’occuper uniquement à
travailler pour le paradis !
» Un jour, en reprenant un sacristain pour le fait qu’il s’était

54.10 Page 540

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526
levé trop tard du lit, il lui dit : Pour un homme donné au
service de Dieu, un sommeil suffit, et une fois réveillé, quelle
que soit l’heure, il faut se lever. — D. Cafasso devait cer-
tainement suivre une telle règle ».
Mais D. Bosco n’écrivit pas au sujet d’un cinquième
secret, qui était la récompense d’une vie inlassable et mortifiée
pour la gloire de Dieu. Qu’on le veuille ou non, la journée de
ces admirables prêtres était si remplie d’activités qu’elles au-
raient suffi à occuper du matin au soir cinq ou dix hommes
pleins de bonne volonté et intelligents. Donc ? Dans la bio-
graphie du général Gaston de Sonis, homme tout donné au
Seigneur, on lit qu’il a constaté, par expérience personnelle, une
grande vérité : Le Seigneur multiplie le temps pour ceux qui
le servent.
En attendant, [D. Bosco] avait mis sous la protection de
la Très s[ainte Vierge] Marie son projet des Lectures Catholiques.
Se souvenant de l’invitation que lui avait faite le Recteur du
Sanctuaire d’Oropa, il s’y rendit au mois de juillet pour y passer
quelque temps et terminer certains manuscrits ; mais il trouva
qu’avait été changé le Recteur de ce [Sanctuaire] et il ne reçut
pas l’accueil joyeux auquel il s’attendait. C’est peut-être cette
année-là que se produisit ce que nous sommes sur le point de
dire : le fait est certain, mais la date incertaine. D. Bosco était
parvenu à Oropa avec le Théol[ogien] Golzio et il avait demandé
au Chan[oine] Pezzia Bernardin certains documents, dans son
ardent désir de publier un petit livre sur l’histoire de ce
Sanctuaire. Le Chanoine ne consentit pas à sa demande, en lui
disant que tous les renseignements étaient déjà divulgués. Il de-
manda également l’hospitalité pour lui et pour son compagnon ;
mais un administrateur ne donna pas son accord pour les héber-
ger dans les pièces réservées aux prêtres, de sorte qu’ils durent
tous deux se contenter des chambres préparées pour les pèlerins
laïques. D. Bosco et le Théol[ogien] Golzio supportèrent en paix
cette contrariété, ne dirent pas un mot de reproche ou de plain-
te, et ils restèrent quelques jours pour accomplir leurs dévotions.

55 Pages 541-550

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55.1 Page 541

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527
Etant allé ensuite à S[ant]Ignazio, D. Bosco écrivait de
là à Monseigneur Moreno, en lui envoyant son manuscrit : Le
Catholique Averti pour qu’il l’examinât et le corrigeât. C’étaient
les premiers numéros des Lectures Catholiques.
Et l’Evêque d’Ivrea lui répondait :
« Votre lettre bien agréable, que V[otre] S[eigneurie] Très
est[imée] a eu la bonté de m’envoyer depuis le lieu de la retrai-
te [spirituelle], m’est parvenue au Sanctuaire de Piova, où j’étais
précisément en train de m’occuper moi aussi de la retraite
[spirituelle]. Je Vous remercie de toutes les aimables choses que
Vous me dites, et je me réjouis de ce que votre église soit déjà
si bien en état de servir, et je Vous assure que je viendrai avec
un plaisir particulier la voir, si j’ai l’occasion de me rendre à
Turin. Très volontiers je me suis occupé du manuscrit que Vous
avez daigné me communiquer et, jointe à ce [manuscrit], Vous
trouverez une feuille de modifications et de petits ajouts que, me
semble-t-il, on puisse y faire. Du reste je n’attache d’importance
à aucun, et Vous pourrez Vous en servir à votre gré. J’aimerai
extrêmement connaître les modifications que Vous projetez d’ap-
porter au programme des petits livres à imprimer et à divulguer
chaque mois. Cette entreprise me tient très très à cœur, et je
Vous prie de Vous en occuper avec la plus grande sollicitude
que Vous pourrez. Déjà j’ai obtenu l’adhésion de personnes
zélées, et l’une d’entre elles m’a donné sa signature en blanc,
même pour contribuer aux dépenses. Je termine en Vous remer-
ciant des exemplaires, que Vous avez eu la bonté de m’envoyer,
de votre belle poésie [composée] pour la bénédiction de l’église.
L’Avocat et D. Gallenga Vous remercient également et Vous
présentent leurs respects, et moi-même j’ai plaisir à me dire, etc.
Du château d’Albiano, 4 août 1852.
LOUIS, Evêque d’Ivrea ».
Quelques jours après, Mgr Moreno écrivait une autre let-
tre à D. Bosco.

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528
« M. Matthieu Rho, directeur de la bibliothèque de l’armée,
Sous-Secrétaire au Ministère de la Guerre, m’écrivit dans une
lettre du 9 de ce mois que cette semaine on commençait la
publication du livre Le soldat chrétien ; avant de lui répondre et
de mener quelque action à ce sujet, je prie V[otre] S[eigneurie]
Très est[imée] de me dire si un tel petit ouvrage est celui dont
le Théol[ogien] Vallinotti [= Valinotti] me communiqua la traduc-
tion, commencée sous votre contrôle.
Le besoin se fait toujours plus grand : commençons donc la
petite bibliothèque.
Avec le retour de celui qui porte ce courrier, ayez la bonté de
me communiquer les modifications qui, ainsi que Vous en fai-
siez mention, pourraient se produire dans le programme.
Avec plénitude d’estime, etc.
Ivrea, 16 août 1852.
LOUIS, Evêque d’Ivrea ».
D. Bosco fit savoir à Monseigneur qu’il se rendrait à
Ivrea pour lui demander conseil au sujet du programme, du
choix des numéros, et de l’ordre dans lequel il conviendrait de
les publier. Mais comme il tardait à tenir sa promesse, voici que
lui parvient une autre lettre.
« J’attends avec impatience V[otre] S[eigneurie] Très est[imée]
selon la promesse que Vous m’avez faite et j’espère que nous
pourrons conclure définitivement pour la bibliothèque.
Je ne Vous écris pas autre chose pour le moment. S’il Vous
faisait plaisir, ou mieux, si Vous pouviez avoir la bonté de
prêcher la retraite [spirituelle] aux sœurs de charité ici à Ivrea,
apportez vos manuscrits.
Je me réjouis de me dire, etc.
Ivrea, 4 septembre 1852.
LOUIS, Evêque d’Ivrea ».

55.3 Page 543

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529
Après avoir prêché la retraite spirituelle à Giaveno,
D. Bosco se rendit à Ivrea pour contenter ce Prélat et en
recevoir les ordres ; et les dernières décisions pour créer les
Lectures Catholiques furent établies. Mgr Moreno, ayant pris
toutes les mesures qu’il s’était personnellement réservées, en
donnait connaissance à D. Bosco :
« Tout serait préparé pour commencer la publication périodique
que Vous savez. C’est pourquoi je viens exhorter V[otre] S[ei-
gneurie] R[évérende] à compléter le programme avec le Théol[ogien]
Chan[oine] Vallinotti [= Valinotti] et de me l’envoyer promptement,
afin qu’on puisse imprimer et distribuer. Si l’un ou l’autre [vient,
ou si même tous les deux] viennent, me l’apporter ce sera mieux
encore.
Il faut penser à une troisième personne ecclésiastique ou laï-
que qui puisse aider. Je suppose que Vous aurez fini le travail
pour amplifier les bien connus avis aux catholiques et que Vous
aurez parlé avec tous les personnages avec lesquels Vous dési-
riez parler, étant donné qu’aux jours où nous sommes aucun ne
restera plus en villégiature. Malheureusement la propagande pro-
testante se révèle de plus en plus hardie : faisons de notre côté
une propagande catholique.
C’est avec regret que j’ai entendu parler de l’écroulement
d’une partie de votre construction, et j’aimerai avoir de vos nou-
velles, car il me fut suggéré que Vous avez été importuné.
Priez et faites prier pour moi, qui ai le plaisir de me redire
avec une estime très partiale, etc.
Ivrea, 13 décembre 1852.
LOUIS, Evêque ».
D. Bosco lui envoya le programme demandé et, dans le
même temps, il faisait acte d’obéissance à l’Autorité Suprême de
l’Eglise, qui interdit aux catholiques les ouvrages hérétiques. La
faculté de lire et de conserver des livres interdits lui avait déjà

55.4 Page 544

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530
auparavant été accordée avec des restrictions. Mais à présent,
comme il devait écrire contre les Protestants, une faculté illimi-
tée était indispensable ; et il la demanda et elle lui fut accordée
par le Saint-Père.
« Très bienheureux Père,
Au prêtre turinois Bosco Jean, du fait qu’il se trouve à la
Direction des Oratoires pour la jeunesse fondés à Turin, il arrive
très souvent que ces jeunes lui apportent toutes sortes de livres,
qu’en ces temps calamiteux on répand en abondance et qui sont
très pervers.
Humblement prosterné aux pieds de V[otre] S[ainteté], il implore
la faculté de lire et de conserver n’importe quel livre interdit, le
besoin s’en présentant tel.
Que de la grâce, etc.
Très Hum[ble] Suppliant. »
A la Sainteté de Notre Maître
PIE IX, Souverain Pontife.
Feria sexta, die 17 Decembris 1852.
Auctoritate SS. D. N. Pii PP. IX nobis commissa liceat Oratori
(si vera sunt exposita) attentis litteris testimonialibus, et quoad
vixerit, legere ac retinere, sub custodia tamen ne ad aliorum
manus perveniant, libros quoscumque prohibitos, exceptis de
obscenis ex professo tractantibus.
In quorum fidem
FR. A. N. MODENA
S. I. C. a Secretis.
Loco sigilli.
[voir traduction page 757]
Dans le même temps lui parvenait de Rome le plus
grand réconfort et [le plus grand] dédommagement qu’il pouvait

55.5 Page 545

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531
désirer. C’était la signature autographe dans un document qui
d’habitude est signé par un secrétaire. Avec cela le Pape lui
avait donné une preuve extraordinaire de son affection. On ne
peut pas dire combien D. Bosco désirait les autographes du Sou-
verain Pontife et de quelle manière il exultait à les recevoir,
avec les marques de la plus grande révérence. Nous fûmes plu-
sieurs fois témoins de ces transports affectueux qui pénétraient
son âme. Un second Rescrit répondait donc à une nouvelle sup-
plique de D. Bosco.
« Très bienheureux Père,
Le prêtre Bosco J[ean], Directeur de l’Oratoire S[aint]-François de
Sales, prosterné aux pieds de Votre Béatitude, supplie humble-
ment que lui soit renouvelée la faculté de distribuer la sainte
communion au cours de la messe solennelle de minuit, lors de la
veillée de Noël, comme on a l’habitude de le pratiquer depuis
plusieurs années, en assurant à V[otre] B[éatitude] qu’une telle
faveur s’avérera de grande utilité et d’encouragement pour les
jeunes qui y prennent part.
Humblement prosterné il espère la grâce.
Le suppliant ».
Roma, 16 Decembris 1852. [Rome, 16 Décembre 1852].
Pro gratia ad triennium. [A titre de grâce pour trois ans].
PIUS PP. IX.
[PIE IX, Souverain Pontife].
Ainsi terminait l’année 1852 avec ses joies et avec ses
douleurs, remarquable pour la confiance des Turinois en la Très
s[ainte Vierge] Marie Consolatrice.
—————

55.6 Page 546

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532
CHAPITRE XLVI
[Débuts des] Lectures Catholiques Planification pour les abon-
nements Importance de cette Œuvre Le premier numéro
d’introduction L’Evêque d’Ivrea Activité incessante de
D. Bosco Ses lettres Les diverses opérations que l’esprit
de D. Bosco accomplit dans un même temps Le premier
Règlement de l’Internat S[aint]-François de Sales.
Au début de 1853 tout était prêt pour la publication
des Lectures Catholiques. D. Bosco avait cherché et obtenu l’adhé-
sion de plusieurs prêtres et d’autres personnages savants, qui
étaient prêts à collaborer avec lui en préparant des brochures.
Son occupation incessante : faire des voyages, rendre visite à des
personnes influentes de plusieurs villes et [de plusieurs] villages,
tenir avec elles des conférences afin que l’on connût et répandît
la nouvelle association dans les familles, trouver des corres-
pondants capables de se charger d’inscrire les abonnés et de
recevoir les cotisations, écrire, faire imprimer et expédier de tous
côtés des circulaires, conclure les contrats avec les imprimeries.
Après avoir informé les Evêques du Piémont et obtenu
leur consentement, il distribuait le programme suivant à des
milliers d’exemplaires.
Planification d’Abonnement aux Lectures Catholiques.
1. Les livres, que l’on propose de répandre, seront d’un style
simple, d’une formulation [adaptée aux gens] du peuple, et contien-
dront des sujets qui concernent exclusivement la Religion Catholique.

55.7 Page 547

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533
2. Chaque mois on publiera un numéro ayant de 100 à 108 pages, et
plus, selon ce que comportera la matière dont il est question. Le
papier, les caractères et le format sont semblables à ceux de ce
document.
3. Le prix de l’abonnement est de 90 centimes par semestre à payer
à l’avance, ce qui fait la faible somme annuelle de 1,80 lire. Pour ceux
qui désirent recevoir les numéros par la poste, il est de 1 lire et
40 centimes pour six mois, de 2 lires et 80 centimes pour une année.
4. Pour donner toutes les facilités possibles à toutes les personnes
méritantes, ecclésiastiques comme laïques, qui voudront prêter la main
à cette œuvre de charité, les numéros leur seront envoyés, franco de
port, pour tous les Etats du Royaume [Sarde], et pour l’Etranger
jusqu’aux frontières, pourvu que les abonnés forment un centre, où
l’on puisse adresser pas moins de cinquante exemplaires.
5. Dans les villes et les lieux situés en province, les abonnements
seront reçus par les personnes qui sont désignées par les Ordinaires
Diocésains respectifs, auxquelles l’Œuvre est de façon particulière
recommandée et dont nous donnons le nom et l’adresse, etc.
A partir de ce moment-là, dans toutes ses lettres, quel
que fût le sujet dont elles traitaient, dans tous les paquets qu’il
devait envoyer, il mettait une feuille portant imprimée la plani-
fication d’abonnement et il y écrivait dessus de sa main : J’en
recommande chaudement la diffusion. Et partout où il allait, il
répandait des copies de ce programme, et il continua ainsi
pendant tout le temps de sa vie. Il chargea également quelques
braves hommes, vendeurs ambulants, qui, ayant fait provision de
ces brochures, étaient à même de les porter sur les places et sur
les marchés de nombreux villages, de les vendre à des prix très
modiques et de les distribuer même gratuitement lorsqu’ils le
jugeaient bon.
Son zèle s’allumait de plus en plus tandis qu’il pensait
au bien qu’il opérerait, mais nous ne savons pas si alors il en
comprenait toute l’extension. De sa seule plume devait sortir des
petits ouvrages, environ cent, à caractère moral, apologétique, de

55.8 Page 548

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534
controverse, contre les protestants et notamment contre les vau-
dois, pour confirmer [les gens] du peuple dans la foi, pour faire
pénétrer peu à peu des maximes catholiques dans la jeunesse,
avec l’amour pour l’Eglise et pour le Pape. Si l’on constate un
jour que le protestantisme à Turin et dans le Piémont a fait peu
de progrès, ou mieux qu’il n’a pas pu s’enraciner de façon sta-
ble, on le lui devra, à lui qui répandra ses Lectures Catholiques
également dans toute l’Italie et dans les îles adjacentes.
De 1853 à 1860, il y eut largement chaque année plus
de neuf mille abonnés, comme on le lit sur les registres, et
plusieurs représentent chacun un regroupement de nombreuses
familles ayant contribué par quelques sous à un seul abonne-
ment ; en 1861, le nombre montera à environ dix mille et, à
partir de 1870, il se maintiendra toujours ensuite entre douze et
quatorze mille.
Les exemplaires publiés des brochures dépasseront en
moyenne chaque mois le nombre des 15 000. Il y aura divers
autres petits ouvrages, au nombre de cinq cents, composés par
des collaborateurs, et de ces [ouvrages], comme de ceux de
D. Bosco, on fera des éditions à part en grand nombre, de sorte
qu’ils se multiplieront continuellement entre les mains du peuple
chrétien. Le total de ces numéros parus pendant les cinquante
premières années depuis la fondation s’élèvera globalement au
nombre de plus de neuf millions deux cent mille. Qu’on ajoute
par ailleurs que plus tard on publiera également ces mêmes Lec-
tures simultanément en français, en espagnol, [en] portugais, et
qu’on les enverra à plusieurs milliers d’abonnés de chaque langue.
Elles commencèrent en Argentine (Buenos Aires) en 1883 ; au
Brésil (Niterói) en 1889 ; en Espagne (Sarrià) en 1893 ; en
France (Marseille) et en Colombie (Bogotá) en 1896. L’œuvre à
laquelle D. Bosco s’attelait était donc aussi une grande œuvre.
En attendant, dans le Piémont, la propagande vaudoise
faisait des efforts désespérés. Elle versait des sommes consi-
dérables pour acheter des prosélytes, surtout parmi les ouvriers.
Les membres de sectes se servaient d’artifices si iniquement
voilés et pourtant si efficaces qu’on évaluait à plusieurs milliers

55.9 Page 549

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535
les apostats. On jouait impunément dans les théâtres de Turin
des comédies abjectes, qui faisaient l’apologie des plus tristes
passions et se moquaient jusqu’au principe de l’autorité familiale.
Au moyen de journaux vendus au schisme, de livres, de con-
férences de prédicateurs envoyés en tournée, on insultait et on
calomniait continuellement le clergé. On écoulait à profusion les
Bibles falsifiées, et on ouvrait des bibliothèques de livres hété-
rodoxes. Et la hardiesse des membres de sectes augmentait par
ailleurs en raison de la complicité de ceux qui auraient dû
mettre un frein à leur action. Dans une réunion générale tenue à
Turin à l’hôtel de ville pour la nomination à un comité de
bienfaisance en vue de secourir la misère des pauvres, en furent
élus membres le Rabbin des Juifs et le Pasteur de l’Eglise
Vaudoise, mais aucun prêtre catholique. A cette réunion étaient
venus le Président du Ministère, le Ministre de l’Intérieur et le
Président de la Chambre des Députés avec plusieurs autres
personnages.
Depuis longtemps les Evêques combattaient avec un
courage d’apôtres tant de forces meurtrières réunies, en affron-
tant les menaces, les dangers et les préjudices. Conférences,
prédications, lettres pastorales aux fidèles, protestations auprès du
Gouvernement, avertissements au Souverain, livres publiés, ils
mettaient tout en œuvre pour arrêter le mal, aidés par un clergé
fidèle. Il semblait toutefois que les ennemis l’emportaient.
Et voici qu’alors, tandis que les catholiques suivaient
d’un œil attristé le progrès des coupables doctrines, qui chaque
jour plus profondément pénétraient au sein des multitudes, en
pervertissant les esprits, en corrompant les cœurs, en exerçant
une emprise sur les âmes, voici, pour la troisième fois comme
un dernier coup de trompette qui défie l’ennemi, que sort la
troisième édition des Avis aux Catholiques, qui devaient servir
comme de préface au premier numéro des Lectures Catholiques.
D. Bosco avait dit : Je ne crains pas les protestants, et je
serais heureux si je pouvais donner ma vie pour la foi ! Quel-

55.10 Page 550

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536
ques personnages, trop prudents, avaient essayé de le détourner
de cette nouvelle entreprise, mais lui, au lieu de s’effrayer,
décida de mettre, et mit, son nom sur les brochures sortis de sa
plume.
Reparurent donc les Avis aux Catholiques avec les
Fondements de la Religion Catholique, portant au frontispice la
devise : NOS PASTEURS NOUS UNISSENT AU PAPE : LE PAPE NOUS MET
EN UNION AVEC DIEU. Dans ce petit livre, D. Bosco, en apposant
sa signature, avait ajouté trois consignes particulières pour la
jeunesse.
« 1. Fuir pour autant qu’il est possible la compagnie de ceux
qui parlent de choses immodestes ou cherchent à se moquer de
notre Sainte Religion.
2. Si pour un motif d’étude, de profession ou de parenté, vous
êtes obligés de parler avec eux, n’entrez jamais dans des
discussions sur la religion ; et s’ils cherchent à vous faire des
difficultés à ce sujet, dites-leur simplement : Quand je suis
malade je vais chez le médecin, si j’ai des procès je vais chez
l’avocat ou chez le procureur, si j’ai besoin de remèdes je vais
chez le pharmacien, par ailleurs en fait de religion je vais chez
les prêtres, en tant qu’ils sont ceux qui à dessein étudièrent les
choses de religion.
3. Ne lisez jamais, au grand jamais, des livres ou des jour-
naux mauvais. Si d’aventure quelqu’un vous offre des livres ou
des journaux irréligieux, ayez-les en horreur et rejetez-les loin de
vous avec cette horreur et [ce] mépris avec lesquels vous
refuseriez une tasse remplie de poison. Si par hasard vous en
avez un près de vous, livrez-le au feu. Que le livre ou le
journal brûlent dans le feu en ce monde, cela vaut mieux
que de voir votre âme aller brûler pour toujours dans les flam-
mes de l’enfer ».
Les Lectures Catholiques étaient publiées à Turin dans
l’Imprimerie dirigée par P[aul] De Agostini, Rue de la Zecca, au
N. 25, maison Birago, rez-de-chaussée. Il y avait là aussi le
bureau du journal L’Armonia [L’Harmonie], qui dans son numéro
du mardi 8 février 1853 publiait l’article suivant.

56 Pages 551-560

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56.1 Page 551

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537
Les Lectures Catholiques.
Nos abonnés auront reçu, en supplément au dernier numéro de
L’Armonia [L’Harmonie], un petit livre qui sert d’introduction aux
Lectures Catholiques.
De ce [petit livre] et du programme distribué il y a quelque
temps ressortent les intentions de ces généreux catholiques qui
ont commencé cette œuvre qui devra leur coûter de nombreux et
lourds sacrifices, mais qui procurera certainement un grand avan-
tage au Piémont.
Cette association se propose de répandre des livres d’un style
simple et d’une formulation [adaptée aux gens] du peuple, concer-
nant exclusivement la Religion Catholique. Chaque mois sortira
un numéro de 108 pages et le prix de l’abonnement n’est que
de 1,80 lire par an. De sorte que les abonnés auront un volume
de 1296 pages pour 1,80 lire. Comme on le voit bien, cela ne
pourra se faire qu’au détriment de la Société. Celle-ci est donc
prête à en être de sa poche. Mais nous recommandons, en atten-
dant, à nos concitoyens de s’abonner à cette nouvelle production,
en s’adressant pour cela à notre imprimerie, à M. Hyacinthe
Marietti, ou aux Frères Ormea, successeurs.
D. Bosco dut cependant apporter dans son programme un
léger changement, en consentant aux propositions de l’Evêque
d’Ivrea. La quantité annuelle des pages qui avait été promise
restant maintenue, les numéros, au lieu de douze, passeraient à
vingt-quatre, c’est-à-dire à deux par mois. D’autres projets
avaient été élaborés sur la disposition de la matière à traiter,
mais les faits prouvent que l’Evêque n’insista pas, et D. Bosco
suivit l’organisation qu’il crut la plus appropriée. Voici la lettre
de Monseigneur.
« Lundi, j’ai demandé par écrit à m[onsieur] le Théol[ogien]
Vallinotti [= Valinotti] de communiquer à V[otre] S[eigneurie] Très
est[imée] la requête, faite par certains, de publications plus fré-
quentes ayant à chaque fois 24 ou 36 pages ; et cela sans

56.2 Page 552

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538
augmenter la dépense pour les abonnés. A présent je Vous com-
munique une de mes idées dont Vous pourrez faire part aussi à
vos collègues. Comme certains n’aiment pas tellement les écrits
de polémique contre l’erreur, et désirent ardemment un nombre
beaucoup plus grand de lectures édifiantes, on pourrait, afin de
donner aussi satisfaction au goût de ces personnes, en publier
quelqu’une chaque mois. J’ai fait le calcul que dans un cahier
des Lectures on pourrait donner les vies des saints de tout le
mois, présentées sous la forme réduite d’un résumé comme on
en a l’habitude chez les pères Philippins. Si on veut unir le
principe et la pratique, on pourrait donner les vies [des saints]
des quinze premiers jours du mois, et au cours de l’année pro-
chaine on donnerait ceux des quinze autres jours. Et puisque le
cahier de 36 pages ne contiendrait pas autre chose, chaque
abonné pourrait ensuite réunir tous les cahiers en deux petits
volumes. En plus des Vies publiées par les Philippins, il y a le
Diario Cristiano [Journal Chrétien] publié chez Marietti, je crois
sur deux ans. Volontiers je ferais préparer le manuscrit ici sans
ajouter de travail pour Vous et pour vos collègues. Discutez-en
donc entre vous, et la semaine prochaine Vous pourrez ensuite
m’en écrire quelque chose.
Par le Théol[ogien] Vallinotti [= Valinotti] Vous aurez commu-
nication des réponses très favorables que j’ai reçues.
A présent il faut tâcher de répondre à la sympathie qui nous
fut témoignée.
Je Vous supplie de ne pas ménager la diligence et la cir-
conspection pour la prochaine publication. Je suppose que Vous
Vous êtes mis en relation avec monsieur le Chan[oine] Zappata,
et que ce dernier voudra bien se prêter à contrôler avec beau-
coup d’attention les choses à publier : j’aime qu’il n’y ait pas à
recevoir des remarques et des critiques.
Comme je Vous l’ai dit, envoyez-moi également ici les écrits
ou les imprimés que l’on désire voir examiner avec quelque
empressement.
J’ai plaisir à me dire, etc.
Ivrea, 10 février 1853.
LOUIS, Evêque ».

56.3 Page 553

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539
D. Bosco recevait cette lettre tandis qu’il était tout
occupé, comme s’il n’avait rien d’autre à faire, à corriger la
deuxième édition de son Histoire Sainte. On la publiait identique
à la première, n’ayant pas encore la carte géographique ; mais
cependant améliorée ; et le récit prenait une forme d’exposés, en
laissant celle de dialogues ou de catéchisme. Mais il est inutile
de dire combien d’attention D. Bosco mettait à surveiller si ne
lui échappait aucun mot qui fût moins châtié. Dans toute
nouvelle édition il avait toujours à corriger ce qu’il avait aupa-
ravant jugé bien correct ; son âme candide ne pouvait souffrir
que la moindre petite imperfection fît, quelle qu’elle fût, l’im-
pression la moins sainte sur ses fils. De sa chaste parole, on
peut dire d’une certaine manière : Argent passé au feu, puri-
fié dans un creuset de terre, affiné sept fois (1).
Qui ne le connaissait pas, à voir paraître ses si nom-
breux ouvrages, devait certainement avoir la conviction qu’il avait
beaucoup de journées libres et, ne les ayant pas lus, supposer
qu’ils avaient été rédigés avec peu de soin. Et pourtant il ne
s’attelait pas à faire des publications sans avoir auparavant
consulté de nombreux auteurs, ayant la plus grande renommée ;
puis il écrivait tout de sa main, ou dictait, en examinant
attentivement le travail de son copiste. Il enrichissait toujours ses
pages de fidèles citations. Même les épreuves d’imprimerie
étaient corrigées par lui-même plusieurs fois avec une diligence
scrupuleuse.
Mais comment pouvait-il réussir à faire tant ? Il nous est
agréable de l’apprendre et cela nous sera donné en parcourant,
d’un regard d’ensemble, plusieurs années de sa vie.
Où qu’il se trouvât, à la maison ou bien en dehors, tout
moment de loisir était dédié dans ce but [= écrire des ouvrages].
A la maison, n’ayant pas le temps au cours de la journée,
il y employait une partie de la nuit. Hors de la maison, en
—————
(1) Ps 12,[7].

56.4 Page 554

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540
allant toujours de-ci de-là pour prêcher, il emportait dans sa
valise des cahiers, des épreuves d’imprimerie et une provision de
crayons ; et lorsqu’il voyageait en voiture, tant qu’on y voyait, il
écrivait continuellement. Puis lorsque la nuit l’empêchait d’écrire
ou de lire, il montait sur le siège avec le voiturier ; il parlait
d’abord avec lui de choses plaisantes ou indifférentes, ensuite de
choses de l’âme. Lorsqu’il y avait un changement de voitures ou
de chevaux, installé sur un petit muret ou dans une salle de
l’auberge, il continuait ses écrits au milieu du vacarme des gens.
Et même en allant à pied, s’il était seul, il continuait à méditer
et à prendre des notes sur ses papiers. Dans les compartiments
du chemin de fer, il prenait une position confortable, tranquille-
ment, comme s’il était dans son bureau et, ayant sorti ses
manuscrits et les ayant mis sur le siège, il les relisait à son aise
un à un. Dans les gares il ne cessait pas son étude, comme s’il
avait été dans un salon de lecture. Parvenu ensuite à destination,
entre un sermon et un autre, il ne perdait pas une minute de
temps, en l’occupant dans un travail de bureau. De cette
manière, sans s’en apercevoir, il se retrouvait parfois à la fin
d’une brochure, d’un volume, à son grand étonnement et pour sa
grande satisfaction.
Il arriva même quelquefois qu’à l’approche du jour où
une brochure des Lectures Catholiques devait être publiée,
l’imprimeur insistait pour avoir le manuscrit. Cependant de [cette
brochure] D. Bosco n’avait pas encore écrit à la main une seule
ligne ; et alors, la nuit même, il se mettait au bureau, écrivait
pendant la nuit tout entière et le matin vers midi il remettait au
chef d’imprimerie la brochure ou totalement ou presque achevée.
Et ici il nous vient à propos d’ajouter que composer ces
ouvrages ne l’empêchait pas de faire son interminable corres-
pondance épistolaire. Le travail pour D. Bosco n’était pas une
fatigue, mais au contraire une passion.
Les lettres qu’il a reçues ou qu’il a envoyées sont
en nombre incalculable. Sur l’espace d’une journée et d’une
nuit il en écrivait et annotait jusqu’à 250. On est fortement

56.5 Page 555

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541
ébahi par la multitude et la variété des sujets sur lesquels
il était obligé de répondre ou de parler ; et les lettres étaient
toutes remplies de l’esprit de celui qui les écrivait. L’humilité, la
douceur, le désintéressement, l’amour de la justice, la sagesse, la
soumission à toutes les volontés de Dieu sont la marque uni-
forme qui les caractérise. Il en reçut de toutes les parties du
monde et nous avons la conviction qu’il n’y a pas une ville, ou
presque, en Europe dans laquelle ne soient parvenues, ici
quelques-unes, là un très grand nombre de ses lettres. En cela
aussi sa vie est parfaitement conforme à ce qu’il avait écrit à
propos de S[aint] Vincent de Paul. Il n’omettait jamais de répon-
dre à tous, fussent-ils des prélats, des princes, des nobles, des
communautés, fussent-ils des ouvriers, des femmes de modeste
condition, des enfants. De tant de lettres il ne nous reste plus
qu’une petite partie, environ un millier et demi, un précieux tré-
sor qui nous fait connaître toujours mieux D. Bosco. Au cours
de notre histoire on verra avec combien d’ampleur il faudrait
traiter le sujet de cette occupation de D. Bosco.
Mais ce qui fait apparaître plus surprenante son activité,
c’est un autre don, duquel, outre la mémoire prodigieuse, l’intel-
ligence robuste et l’esprit pas facilement porté à être distrait, le
Seigneur avait gratifié son fidèle serviteur. Et c’était la faculté,
unique et exceptionnelle, de s’occuper simultanément de choses
diverses et disparates, en gardant sans effort son esprit ferme et
serein tandis que se présentent au même instant plusieurs idées,
et sans confondre l’une avec l’autre. Confessant pendant des
journées entières, dans le même temps il organisait toute la
trame d’une Lecture Catholique, préparait un sermon, développait
un nouveau projet, pensait à une ou à plusieurs réponses à faire
ou à diverses lettres à écrire, sans manquer de l’attention
nécessaire pour ce qu’à ce moment-là il était en train de faire.
Un dimanche il disait à D. Berto, en 1869 : Ce matin alors
que je prêchais en présentant l’histoire de l’Eglise, dans mon

56.6 Page 556

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542
esprit j’ai composé un numéro pour les Lectures Catholiques et
j’ai pensé au moyen le plus efficace de subvenir à tel besoin de
la maison. Et à la multiplicité de ses opérations mentales
correspondait la multiplicité de ses œuvres : il mettait à profit
toutes les connaissances acquises. La sûreté et l’ampleur de ses
idées étaient à même de provoquer de la stupeur. Quant aux
lettres, il pouvait en dicter ou en écrire jusqu’à dix à la fois, en
interrompant ou en reprenant tantôt l’une tantôt l’autre, sans en
confondre les sujets, les raisonnements, les détails et en se
rappelant ce qui en chacune avait été mis auparavant ou ce qui
devait être exposé après.
Si ce n’est qu’au milieu de toutes ces pensées, était
toujours dominante celle du bien de ses jeunes, comme le soleil,
dirait-on, qui en raison de sa lumière tient la première place au
milieu des étoiles. En effet, sur son bureau, parmi les brochures,
les lettres et les programmes, se trouvait un règlement pour
l’Internat S[aint]-François de Sales : l’ayant commencé en 1852, il
finissait de l’élaborer, après de longues méditations, en 1854.
Nous avons déjà dit que dans les débuts de la fondation
de l’Oratoire il n’y avait pas d’autre règle en vigueur que celle
qui lie naturellement ensemble les membres d’une famille. Cinq
années plus tard furent rédigés quelques articles en guise de
règle de chaque chambrée, dans lesquels on présentait les choses
les plus nécessaires à observer pour la bonne conduite des élè-
ves sur le plan de la morale, de la religion et du travail.
Entre-temps D. Bosco au fur et à mesure qu’il voyait la
nécessité de prévenir un désordre, n’omettait pas de prendre
quelques notes, dont le développement avait produit, dans sa to-
talité, le règlement de l’Internat. Ce furent là les règles primitives,
qu’ensuite il retouchait, améliorait, amplifiait, instruit par l’expé-
rience, tandis qu’il enlevait certaines prescriptions qui, avec le
temps, pour diverses circonstances, étaient devenues inutiles. Ce

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543
règlement entrait en vigueur dans l’année scolaire 1854-55 ; à la
reprise des écoles, on en donnait une lecture solennelle en
public, et chaque dimanche on en faisait lire un chapitre aux
élèves. C’est seulement en 1877 qu’il fut imprimé, mais avec de
nombreuses modifications ; et c’est pourquoi à la fin de ce
volume nous transcrirons celui de 1852, parce qu’il est un
document historique de cette époque et que s’y manifeste l’esprit
de notre admirable fondateur. - [Voir page 735] -
La sainte crainte de Dieu était la base de ce règlement.
Il n’y avait pas de châtiments corporels, pas de cellules discipli-
naires. D. Bosco, représentant de Dieu, commandait au nom de
Dieu, et cela suffisait pour porter les jeunes à éviter le mal et à
se vouer au bien. Et l’accomplissement de leurs devoirs devenait
très facile grâce à la surveillance affectueuse et continuelle du
bon Directeur, qui infusait chez ses subalternes la charité envers
les élèves, non seulement par l’exemple mais également au
moyen d’un écrit intitulé : LE SYSTÈME PRÉVENTIF DANS L’ÉDUCA-
TION DE LA JEUNESSE. Ce Règlement et ce Système avec lequel il
réussissait à guider sans employer la force et la violence des
milliers de jeunes, trouvaient leur principe dans la loi du Sei-
gneur. Dieu avait blâmé les prêtres [des temps] anciens parce
qu’ils commandaient à leurs ouailles avec rigueur et arrogance ;
et ensuite il continuait : « Je ferai paître mes brebis sur les
montagnes, près des ruisseaux, dans de très riches pâturages, et
je les ferai reposer ; j’irai à la recherche de celles qui sont éga-
rées, et je ramènerai celles qui sont abandonnées, et je panserai
les plaies de celles qui auront souffert d’une fracture, et je
fortifierai les faibles, et j’aurai l’œil sur celles qui sont grasses
et robustes ; et je ferai paître chacune d’elles avec sagesse (1) ».
—————
(1) Ez 34[,12-16].

56.8 Page 558

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544
CHAPITRE XLVII
Le Système Préventif Son application Ses avantages.
En considérant l’ensemble de tout ce que nous avons
présenté dans les volumes précédents, nos lecteurs se seront
formé un jugement exact du système suivi par D. Bosco pour
éduquer la jeunesse. Ce n’était pas celui qu’on appelle système
répressif, mais bien le préventif, système plus conforme à la
raison et à la Religion. En effet, la Religion enseigne la charité
qui combat l’orgueil, l’égoïsme, rend [les individus] sociables,
reconnaissants et respectueux les uns envers les autres, dans l’o-
béissance spontanée à ceux qui ont le droit et l’obligation de
commander, et elle va jusqu’à orner d’une certaine gentillesse,
marquée de simplicité et de franchise, les plus frustes, parce
qu’elle exclut la crainte.
Par ailleurs la raison démontre à partir de l’expérience
que sans véritable affection la mission de l’éducateur est inutile.
Le premier bonheur d’un enfant, c’est de savoir qu’il est aimé.
Et il répond à cet amour, il croit tout ce que le maître affirme,
il aime tout ce que le maître enseigne, lui plaît ce qui plaît au
maître, il s’attache pour tout le temps de sa vie à la vérité et à
la doctrine qu’il a apprises de lui, et il va jusqu’à se sentir
porté vers la profession même de son éducateur, fût-elle sacer-
dotale ou religieuse, et il l’aime comme le père de son âme.
Bien plus, ces années-là, le système préventif était deve-
nu une nécessité. Les aspirations des peuples à être gouvernés

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545
avec plus de douceur, secondées par les Princes respectifs, fai-
saient que les jeunes gens, eux aussi, exigeaient de leurs supérieurs
une direction plus affectueuse et paternelle. Donc un système d’é-
ducation rude et répressif, tel qu’on l’avait pratiqué en quelques
autres périodes de temps, aurait été en contraste avec la nature
de cette époque, et entre autres il aurait produit deux maux très
graves. Il aurait éloigné les jeunes de l’Oratoire, où ils se portaient
spontanément, et d’où ils pouvaient également s’en aller de leur
plein gré et aucune loi, aucune autorité ne pouvaient les en em-
pêcher ; et de surcroît il aurait confirmé en eux les racontars
méchants, que des journalistes, des saltimbanques et des histrions
soudoyés répandaient largement, à savoir que les prêtres sont tous
autant de tyrans, d’ennemis de la liberté et du peuple. Mais au
moyen de son système D. Bosco empêcha qu’un si grand mal ne
s’infiltrât parmi ses jeunes gens. C’est pourquoi l’Oratoire fut
toujours très fréquenté, au point de rendre nécessaire d’en ouvrir
d’autres en diverses parties de la ville ; et d’autre part, si quelques
langues médisantes venaient à dire du mal des prêtres en présen-
ce des jeunes qui s’y rendaient fréquemment, il suffisait de rappeler
les traits de l’exquise bonté dont faisait preuve D. Bosco dans sa
pratique de vie pour donner aux médisants un solennel démenti.
De fait dans les ateliers il leur arriva plus d’une fois d’apporter
cet argument contre ceux qui cassaient du sucre sur le dos des
prêtres, et plusieurs se rappellent qu’alors, ne sachant plus quoi
répondre, les médisants répondaient : Si les prêtres étaient tous
comme votre D. Bosco, vous auriez raison ; mais il n’en est pas
ainsi. Par ailleurs ces [jeunes], qui voyaient un Théol[ogien] Borel, un
Théol[ogien] Chiaves, un Théol[ogien] Carpano, un Théol[ogien] Mu-
rialdo, un Théol[ogien] Vola, un Théol[ogien] Marengo, et combien
plus encore d’autres prêtres très exemplaires, faire comme une cou-
ronne splendide autour de D. Bosco, et s’efforcer de l’imiter dans la
façon d’aimer et de traiter les jeunes, et jusqu’aux galopins, en
amis et en pères, demeuraient fermes dans leurs convictions, et

56.10 Page 560

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546
jugeaient les médisances comme des calomnies, ce qu’elles
étaient, et ils continuaient leur route. D’une telle façon, en
même temps que l’amour et l’attachement pour la Religion
Catholique, ils nourrissaient toujours envers ses ministres une
haute estime et une profonde vénération ; et il n’y a pas à
hésiter à dire que ces fruits étaient dus à l’éducation que leur
donnait D. Bosco et ses patients collaborateurs.
Ce système, D. Bosco avait fait l’expérience qu’il réussissait
de façon si heureuse pour le bien-être moral des jeunes gens que
finalement, après en avoir instillé la pratique à tous ses aides et
avoir eu à son sujet divers échanges de vues avec le Théol[ogien]
Eugène Galletti, Chanoine du Corpus Domini [voir * page 558], il
écrivit brièvement à son propos en démontrant en quoi consistent
les deux systèmes, le préventif et le répressif, en apportant les
raisons pour lesquelles le premier est à préférer, en enseignant
son application pratique et en révélant ses grands avantages. Cet
écrit très utile parut plus tard dans le Règlement pour les Mai-
sons Salésiennes ; et nous croyons qu’il en va de l’intérêt des
lecteurs de le reproduire ici pour leur gouverne.
« Ils sont au nombre de deux, ainsi s’exprime D. Bosco,
les Systèmes suivis en tout temps dans l’éducation de la
jeunesse : le Préventif et le Répressif. Le Système Répressif
consiste à faire connaître la loi aux subordonnés, et à surveiller
ensuite pour en connaître les transgresseurs et infliger, au cas où
il le faudrait, le châtiment mérité. Dans ce Système, les paroles
et l’aspect du Supérieur doivent toujours être sévères et plutôt
menaçants, et lui-même doit éviter toute familiarité avec ses
subalternes. Outre cela, le Directeur, pour donner plus de valeur
à son autorité, devra se trouver rarement au milieu de ses
subordonnés, et la plupart du temps seulement lorsqu’il s’agit de
punir et de menacer. Ce Système est facile, moins fatigant et a
son utilité spécialement dans l’armée, et en général entre les
personnes adultes et douées de bon sens, qui doivent être par
elles-mêmes en mesure de savoir et de se rappeler ce qui est
conforme aux lois et aux autres prescriptions.

57 Pages 561-570

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57.1 Page 561

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547
» Différent et, je dirais, opposé est le Système Préventif. Il
consiste à faire connaître les prescriptions et les règlements d’u-
ne Institution, et ensuite à surveiller de sorte que les élèves aient
toujours sur eux l’œil du Directeur ou des assistants, qui soient
comme des pères affectueux pour parler, servir de guides quoi
qu’il arrive et corriger tendrement, ce qui revient à dire : Mettre
les élèves dans l’impossibilité de commettre des fautes. Ce Sys-
tème s’appuie tout entier sur la raison, la religion et l’amour de
tendresse ; il exclut donc tout châtiment violent, et cherche à
écarter les châtiments légers eux-mêmes. Il semble que ce Systè-
me soit préférable pour les raisons suivantes :
» I. L’élève préventivement averti ne subit pas d’humiliations
pour les fautes commises, comme il arrive lorsqu’elles sont rap-
portées au Supérieur. Le jeune ne se met pas en colère pour la
correction qu’on lui fait ou pour le châtiment dont on le mena-
ce ou qu’on lui inflige, parce qu’il y a toujours une parole
amicale, qui le raisonne, et qui la plupart du temps réussit à le
convaincre et à gagner son cœur, si bien que le coupable recon-
naît la nécessité du châtiment et presque le désire.
» II. La raison la plus essentielle est l’instabilité du jeune, qui
en un moment oublie les règles disciplinaires et les châtiments, dont
celles-ci menacent. C’est pourquoi souvent un enfant devient le
transgresseur d’une règle et mérite une peine, auxquelles à l’ins-
tant de son action il ne faisait point attention, et certainement il
aurait agi diversement si une voix amie l’avait averti.
» III. Le Système Répressif pourra empêcher des désordres,
mais difficilement il rendra les âmes meilleures. On a observé
que les jeunes gens n’oublient pas les châtiments subis, et que,
le plus souvent, ils gardent de l’amertume avec le désir de secouer le
joug et même d’en tirer vengeance. Il semble parfois qu’ils ne
s’en occupent pas, mais quelqu’un qui les suit dans leurs façons
d’agir sait bien que les souvenirs latents de la jeunesse sont
terribles. Ils oublient facilement les punitions des parents, mais

57.2 Page 562

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548
très difficilement celles des éducateurs. Il y a des actions ac-
complies par quelques-uns qui dans leur vieillesse se vengèrent
de vilaine manière pour certains châtiments remontant justement à
l’époque de leur éducation. Au contraire le Système Préventif
transforme en ami l’élève qui reconnaît dans l’assistant un bien-
faiteur qui l’avertit, veut le rendre bon, le libérer de ses peines,
des châtiments, du déshonneur.
» IV. Le Système Préventif traite l’élève de telle sorte que l’é-
ducateur pourra lui parler toujours avec le langage du cœur, et à
l’époque de l’éducation et après celle-ci. Avec un tel Système
l’éducateur, en gagnant le cœur de son protégé, pourra exercer
sur lui une grande autorité, l’avertir, le conseiller et même le
corriger au moment où il se trouvera dans les occupations pro-
fessionnelles, dans les services administratifs et dans les affaires
commerciales.
» Pour ces raisons et pour beaucoup d’autres, il semble que le
Système Préventif doive être préféré au Répressif ».
Après cela, D. Bosco en vient à parler de son appli-
cation et continue ainsi :
« La pratique de ce système est toute basée sur les paroles de
S[aint] Paul qui dit : Charitas patiens est, benigna est, omnia
suffert, omnia sperat, omnia sustinet [La charité est patiente, est
bienveillante, souffre tout, espère tout, supporte tout] ; et aussi sur ces
autres [paroles] adressées aux parents : Pères, n’exaspérez pas vos
enfants, de peur qu’ils ne se découragent. En conséquence c’est
seulement le chrétien qui peut appliquer avec succès le Système
Préventif. Raison et Religion sont les moyens dont l’éducateur
doit constamment faire usage, s’il veut atteindre son but. Voici
donc les principales règles d’application du Système susdit.
» I. Le Directeur doit être tout entier dédié à ceux qu’il a à
éduquer, et ne jamais prendre d’engagements qui l’éloigneraient
de sa charge ; et même il doit toujours se trouver avec ses
élèves toutes les fois qu’ils ne sont pas astreints de façon
obligatoire à quelque occupation, sauf s’ils sont dûment assistés
par d’autres.

57.3 Page 563

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549
» II. Les maîtres et les assistants doivent être d’une moralité
reconnue. Qu’ils s’efforcent d’éviter comme la peste toutes sortes
d’affection ou d’amitiés particulières avec les élèves, et qu’ils se
rappellent que l’égarement d’un seul peut compromettre une
Institution éducative. Que l’on fasse en sorte que les élèves ne
soient jamais seuls. Pour autant qu’il est possible, que les
assistants les précèdent dans l’endroit où ils doivent se rassem-
bler ; qu’ils restent avec eux jusqu’au moment où ceux-ci seront
surveillés par d’autres ; qu’ils ne les laissent jamais inoccupés,
pas même en temps de récréation.
» III. Qu’on donne une grande liberté de sauter, de courir, de
piailler à volonté. La gymnastique, la musique, la déclama-
tion, le petit théâtre, les promenades sont des moyens très
efficaces pour obtenir la discipline, pour profiter à la moralité et
à la santé. Qu’on fasse attention seulement à ce que soit bien
choisi le contenu du divertissement, que soient honnêtes et non
dangereuses les personnes qui y prennent part, et non blâmables
les conversations qui y ont lieu. Faites tout ce que vous voulez,
disait le grand ami de la jeunesse, S[aint] Philippe Néri, il me
suffit que vous ne fassiez pas de péchés.
» IV. La Confession fréquente et la Communion fréquente sont
les colonnes qui doivent soutenir un édifice éducatif dont doi-
vent être tenus éloignés la menace et le fouet. Ne jamais obliger
les jeunes gens à la fréquentation des Sacrements sacrés, mais
seulement les encourager et leur donner l’occasion d’en tirer
profit. Par ailleurs qu’à l’occasion de Retraites spirituelles, de
triduums, de neuvaines, de prédications et de catéchismes on
fasse ressortir la beauté, la grandeur, la sainteté de cette Reli-
gion qui offre des moyens si simples d’usage, si utiles à la
société civile, à la tranquillité du cœur, au salut de l’âme, com-
me le sont précisément les Sacrements sacrés. De cette façon les
enfants acquièrent spontanément l’envie de ces pratiques de pié-
té, et ils s’en approcheront avec conviction et avec fruit.
» V. Que soit exercée la plus grande surveillance pour empêcher

57.4 Page 564

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550
que dans l’Institution ne puissent entrer de mauvais compagnons
et de mauvais livres, ou des personnes qui tiendraient de mau-
vaises conversations. Le choix d’un bon concierge est un trésor
pour une maison d’éducation.
» VI. Chaque soir, après les prières communes, et avant que les
élèves n’aillent se reposer, que le Directeur, ou en son nom une
autre personne, adresse publiquement quelques paroles affectueu-
ses, en donnant un petit nombre d’avis ou de conseils au sujet
des choses à faire ou [des choses] à éviter ; qu’il s’efforce de
dégager les règles de conduite à partir de faits qui se sont pro-
duits pendant la journée dans l’Institution ou au-dehors ; mais
que son discours ne dépasse pas les cinq minutes. Ce petit ser-
mon bien conduit est comme la clef de la moralité et du bon
succès de l’éducation.
» VII. Qu’on tienne éloignée, car elle porte avec elle la peste,
l’opinion de quelqu’un qui voudrait renvoyer la première Com-
munion à un âge trop avancé, un âge où trop souvent le démon
a déjà pris possession du cœur d’un jeune garçon au détriment
incalculable de son innocence. Selon la discipline de l’Eglise pri-
mitive on avait l’habitude de donner aux tout jeunes enfants les
hosties consacrées qui restaient de la Communion des adultes.
Ceci sert à nous faire connaître combien l’Eglise aime que les
enfants soient admis de bonne heure à la sainte Communion.
Quand un jeune garçon sait distinguer entre pain et pain, et fait
preuve d’une instruction suffisante, que l’on ne s’occupe plus de
l’âge, et que le Souverain céleste vienne régner dans cette âme
bénie.
» VIII. Quant à la Communion, les catéchismes en recom-
mandent la réception fréquente. Saint Philippe Néri la conseillait
tous les huit jours et même plus souvent. Le Concile de Trente
dit clairement qu’il désire extrêmement que tout fidèle chrétien,
lorsqu’il va participer à la sainte Messe, fasse également la Com-
munion, non seulement spirituelle, mais sacramentelle, afin de
retirer le plus grand fruit de cet auguste et divin Sacrifice ».
L’utilité de ce Système d’éducation ne peut pas échapper
à l’examen d’une personne sensée ; toutefois, afin de mieux l’en
persuader, D. Bosco continue :

57.5 Page 565

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551
« Quelqu’un dira que ce Système est difficile dans la pratique.
Je fais remarquer que du côté des élèves il s’avère beaucoup
plus facile, plus satisfaisant, plus avantageux. Du côté ensuite des
éducateurs il renferme quelques difficultés, qui cependant sont
atténuées, si l’éducateur se met avec un zèle total à sa tâche.
L’éducateur est un individu voué au bien de ses élèves ; c’est
pourquoi il doit être prêt à affronter tout dérangement, toute
fatigue, pour atteindre son but, qui est l’éducation civique,
morale et scientifique de ses élèves. En plus des avantages
exposés ci-dessus, j’ajoute encore les suivants :
» I. L’élève sera sans cesse rempli de respect envers l’éduca-
teur et se rappellera toujours avec plaisir comment il fut dirigé,
en considérant comme des pères et des frères ses maîtres et les
autres supérieurs.
» II. Quels que soient le caractère, le tempérament, l’état moral
d’un jeune garçon à l’époque de son admission, les parents
peuvent vivre en étant sûrs que leur fils ne pourra pas devenir
plus mauvais, et il peut être donné comme certain qu’on
obtiendra toujours quelque amélioration. Certains enfants, qui
étaient la désolation de leurs parents et jusqu’à avoir été refusés
par les maisons de correction, éduqués au contraire selon les
principes de ce Système, modifièrent leur tempérament, chan-
gèrent leur caractère, se donnèrent à une vie vertueuse, et à
présent ils occupent des fonctions honorables dans la société, et
sont le soutien de leur famille et l’honneur du pays.
» III. Les élèves qui, d’aventure, entreraient dans une Insti-
tution avec de tristes habitudes ne peuvent pas nuire à leurs
compagnons. Et les jeunes gens qui sont bons ne pourront pas
subir de préjudice de la part de ces élèves-là, car il n’y a ni
moment, ni lieu, ni occasion, du fait qu’ils sont toujours
affectueusement assistés et protégés ».
D. Bosco conclut son petit traité par un mot sur les
châtiments : Quelle règle suivre, demande-t-il, pour infliger des
châtiments ? Et il répond : Si c’est possible, que l’on ne fasse

57.6 Page 566

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552
jamais usage des châtiments ; au cas où la nécessité demanderait
la répression, que l’on retienne ce qui suit :
« I. Que l’éducateur, au milieu des élèves, cherche à se faire
aimer, s’il veut se faire craindre. Dans ce cas, retirer sa bien-
veillance constitue un châtiment, mais un châtiment qui excite
l’émulation, donne du courage et n’humilie jamais.
» II. Chez les jeunes garçons constitue un châtiment ce que
l’on fait servir comme tel. On a remarqué qu’un regard dénué
d’affection produit sur certains un plus grand effet que ne ferait
une gifle. L’éloge pour une belle action, le blâme pour une
négligence coupable, voilà qui peut très bien servir de récom-
pense ou de châtiment.
» III. Sauf en de très rares cas, que les corrections, les châti-
ments ne soient jamais donnés en public, mais en privé et loin
de la vue des compagnons. Que d’autre part on déploie la plus
grande prudence et [la plus grande] patience pour faire que l’élè-
ve comprenne son tort au moyen du ressort de la raison et de la
religion.
» IV. Donner des appellatifs grossiers, frapper quelle que soit la
façon, mettre à genoux dans une position douloureuse, tirer les
oreilles et accomplir d’autres actes du même genre, tout cela on
doit absolument l’éviter, parce que c’est interdit par les lois
civiles, que cela irrite grandement les jeunes, et avilit l’éducateur
lui-même.
» V. Que le Directeur fasse bien connaître les règles, les
récompenses et les châtiments établis par les Règlements de
discipline, afin que l’élève ne puisse pas s’excuser en disant : Je
ne savais pas que cela était commandé, ou [que cela était]
défendu.
» VI. Avant d’infliger n’importe quelle punition, que l’on ob-
serve quel degré de culpabilité se trouve du côté de l’élève, et,
là où l’admonestation suffit, que l’on n’emploie pas le reproche,
et, au cas où ce dernier [tout en étant nécessaire] serait suffisant,
que l’on n’aille pas plus loin.
» VII. Que ce soit en paroles ou en actions, que l’on ne
punisse jamais lorsque l’esprit est agité ; jamais pour des fautes
de simple étourderie ; jamais trop souvent ». Ainsi [s’exprimait]
D. Bosco.

57.7 Page 567

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553
Le système décrit ci-dessus, suivi par lui-même et re-
commandé dès le début de l’Oratoire et de l’Internat, est celui
que l’on étudie et que l’on pratique encore aujourd’hui dans
toutes les Maisons Salésiennes ; et les Supérieurs savent que
précisément elles sont d’autant plus florissantes et donnent d’au-
tant plus de bons fruits que ledit système est mieux connu et
plus exactement appliqué.
Les principes de ce système d’éducation fournissaient à
Don Bosco un sujet pour les conférences qu’il tenait à ses col-
laborateurs. Il rappelait souvent les paroles de Saint François de
Sales : « On prend plus de mouches avec une cuillère de miel
qu’avec un baril de vinaigre [voir ° p. 558] ». Et il souffrait si
quelqu’un se montrait dur avec les jeunes gens et avec les per-
sonnes subordonnées : il voulait que tous fussent gagnés par la
charité. — N’oubliez jamais, disait-il continuellement à tous ceux
qui avaient autorité sur les élèves, que les garçons commettent
des fautes plus par vivacité que par malignité, plus en raison du
fait qu’ils ne sont pas bien assistés que par méchanceté. Il faut
s’occuper d’eux avec empressement et zèle, les assister atten-
tivement sans avoir l’air de le faire, et même prendre part à
leurs jeux, tolérer leurs piailleries et les désagréments qu’ils
provoquent, puisque c’est également dans de telles circonstances
que le Divin Sauveur a dit : Sinite parvulos venire ad me
[Laissez les enfants venir à moi]. Et lui-même les surveillait
attentivement où qu’ils fussent. Fréquemment il venait dans la
salle d’étude et allait dans les ateliers. Il ne se produisit jamais
la moindre infraction aux règles, sans qu’aussitôt il s’en aperçût
et y remédiât avec promptitude. Il s’entretenait souvent avec les
autres supérieurs en s’informant de la conduite des jeunes et en
donnant toujours des règles pour la bonne marche de la disci-
pline. Il prescrivit que chaque semaine on donnât à chacun des
élèves la note de conduite, d’étude et de travail, et lui-même
lisait en public les notes le dimanche soir, en encourageant les
jeunes gens appliqués et en réprimandant les négligents.
Don Bosco avait la certitude qu’ordinairement au moyen
de la réflexion on amène tous les jeunes à reconnaître leurs

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554
fautes et à les corriger. Il ne se lassait donc jamais d’avertir et
de conseiller ; et sa patience fut vraiment héroïque. Quand un
supérieur était incertain de la bonne réussite d’un jeune pour
l’accepter ou pour le renvoyer, il suggérait de mettre en pra-
tique, même dans ce cas, la maxime de Saint Paul : Omnia
probate, quod bonum est tenete [Examinez tout, gardez ce qui est
bon] ; et à cela devaient conduire la vigilance et l’avis opportun.
Au début de l’année, s’il venait à pressentir que l’un des
nouveaux acceptés pouvait porter préjudice à ses compagnons, il
le faisait appeler, l’avertissait avec les plus vives expressions de
douleur, le faisait surveiller d’une manière spéciale. Avec une
telle sollicitude il réussit à en corriger beaucoup qui, venant du
monde, apportaient avec eux la mauvaise habitude, malheureuse-
ment commune, des propos obscènes.
Il est difficile d’exprimer par des mots le secret qu’avait
D. Bosco de gagner à lui les jeunes et de les attirer au service
du Seigneur. Il possédait dans l’ordre de la nature et de la grâ-
ce de tels dons et de telles qualités particulières qu’après avoir
fait approcher de lui un jeune et lui avoir parlé à l’oreille en
confidence, il arrivait difficilement, bien que ce fût un garne-
ment ou un enfant rebelle à la grâce, qu’il ne se rendît pas à
ses conseils et avertissements paternels. Et ceux-ci ne pouvaient
pas s’avérer inefficaces, parce que pour les âmes D. Bosco au-
rait donné cent fois sa vie s’il avait fallu.
Ses paroles ouvraient les cœurs, et, souvent, il insistait
sur la sincérité dont il faut faire preuve surtout avec les
supérieurs dans les choses de l’âme, il en décrivait les avan-
tages, l’appelait la clef de la paix intérieure, l’arme la plus
efficace pour chasser la mélancolie, le secret le plus sûr pour
trouver la joie pendant la vie et après la mort, et pour parvenir
à une grande perfection. Avec une telle recommandation il ne
visait pas à autre chose qu’à rendre impossible le péché, ou à le
détruire avec ses conséquences.
Il avait l’habitude de dire à ses collaborateurs : Il faut que
nous tenions le péché éloigné de la maison et que nos jeunes se

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555
mettent tous dans la grâce de Dieu : sans cela, les choses ne
peuvent pas bien aller. Et il ajoutait souvent : Rappelez-vous
que la première méthode pour bien éduquer est qu’il se fasse de
bonnes confessions et de bonnes communions. Il plaçait dans
la fréquentation de ce sacrement-ci toute la force de sa mission
au milieu de la jeunesse. Il s’arrangeait pour en permettre à ses
élèves l’approche régulière, et même très fréquente, mais sans la
moindre espèce de pression. Il les exhortait et il voulait qu’ils
fussent exhortés, mais il ne les obligeait pas. Bien qu’il se
trouvât tous les matins à confesser et que le désir de se
confesser à lui fût général, au point qu’il n’avait pas le temps
de répondre au désir de tous, toutefois il voulait qu’il y eût
d’autres confesseurs venus de l’extérieur, surtout lors des fêtes et
de leurs vigiles. Il laissait à tous la plus grande liberté ; il ne
faisait pas d’observations et ne voulait pas que l’on en fît pour
déterminer qui se confessait à lui ou qui [se confessait] à d’au-
tres prêtres. Et, des années plus tard, il donna comme règle à
l’un de ses prêtres : Fais en sorte de ne jamais donner le
moindre signe de partialité envers qui préfère se confesser à un
[prêtre] plutôt qu’à un autre. De même aussi il tint toujours
bon pour ne pas permettre que, les jours de communion géné-
rale, on fît sortir les jeunes des bancs dans l’ordre par rangée
pour aller à l’autel, afin que celui qui n’était pas préparé ne se
laissât pas vaincre à son grand dam par le respect humain, ou
fût montré du doigt par les autres. [Il vaut] mieux [avoir] la
liberté et un peu de confusion. A la messe quotidienne de la
communauté, les communions étaient si nombreuses que plu-
sieurs personnes étrangères à la maison demandèrent plus d’une
fois quelle fête on célébrait, car il leur semblait avoir assisté à
une communion générale.
Par ailleurs le bien que D. Bosco opéra au moyen de la
confession est si grand que nous oserions l’appeler l’apôtre de la
confession. Il inspirait une tranquillité et une confiance en Dieu
et dans ses miséricordes telles que beaucoup, après avoir quitté
l’Oratoire, avaient du mal, pour ainsi dire, à s’habituer à d’au-

57.10 Page 570

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556
tres confesseurs. Il inculquait aux pénitents la maxime de S[aint]
Philippe Néri : Péchés et mélancolie, je ne les veux pas dans
ma maison — et avec cela il voulait qu’ils eussent une confian-
ce entière en leur salut éternel.
Et la fréquentation des sacrements était le ressort puis-
sant qui les poussait tous sur la voie de l’obéissance avec paix
et joie. C’est pourquoi la note caractéristique de l’Oratoire était
une bruyante désinvolture dans les manières de faire, une distri-
bution animée de jeux, jointes à un sentiment religieux et à un
sens moral très élevés, ainsi qu’à une diligence dans les devoirs
personnels. Cette [note] était incarnée dans la personne d’un
grand nombre d’excellents jeunes, véritables modèles et exemples
pour les autres compagnons. Des centaines d’anciens élèves, prê-
tres et laïques, attestent qu’ils ne se rappellent pas que se soit
produit à leur époque le moindre désordre grave.
Le Chan[oine] Ballesio écrivit : « Le frein mis au mal,
l’excitation au bien, la joie sereine et notre satisfaction, l’ordre
dans la maison, notre réussite dans les études et dans le travail,
tout cela provenait de la piété empreinte de raison, intime et
pleine de ferveur que le serviteur de Dieu savait nous insuffler
par son exemple, par ses sermons, par la fréquentation des
sacrements pour ainsi dire nouvelle à cette époque parmi les
jeunes, par ses discours et par ses récits vivants et édifiants.
Dans le même temps, par certaines de ses paroles, par des
gestes, par des regards, il dissipait les ténèbres, les anxiétés de
l’esprit, il inondait notre âme de joie et nous incitait à l’amour
de la vertu, du sacrifice et de l’obéissance ».
Oh ! comme elles résonnaient, tant aimées, sur ses lèvres
ces expressions qui lui étaient si familières, tandis qu’apparaissait
sur son visage la foi qu’il avait dans le cœur : Comme est
bon le Seigneur envers nous, lui qui ne nous laisse jamais
manquer de quoi que ce soit ! Servons-le volontiers ! Aimons
Dieu ; aimons-le puisqu’il est notre père. — Tout passe : ce qui
n’est pas éternel n’est rien !
Donc il ressort à l’évidence, et dans beaucoup d’autres pages
nous en reparlerons, que la méthode d’éducation choisie par D. Bosco

58 Pages 571-580

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58.1 Page 571

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557
était : la bonté adaptée sagement et suavement à l’âge des jeu-
nes. Mais ô combien il serait désirable qu’un tel système fût
introduit dans toutes les familles chrétiennes, dans toutes les
institutions d’éducation, publiques comme privées, masculines
comme féminines ! Combien on rendrait plus facile pour la jeu-
nesse l’exercice du bien, comme serait d’un effet rapide le
remède dès la première apparition du mal, quelle sécurité pour
les enfants honnêtes et innocents en face des mauvais exemples
de ceux qui sont pervertis. Alors on ne tarderait pas à avoir une
jeunesse plus animée de bonnes mœurs et de piété ; une jeunes-
se qui serait la consolation des familles et un soutien valable
pour la société civile. Et c’est ainsi que le comprirent, en grand
nombre, des éducateurs de diverses nations et spécialement
d’Angleterre. Là-bas, beaucoup de collèges, destinés à la jeunes-
se pauvre et catholique, prirent comme modèle, après la mort de
D. Bosco, l’Oratoire de Turin et son règlement : les fondateurs
étudièrent la vie de D. Bosco et son système pratique d’édu-
cation, suivirent ses exemples avec un grand profit pour les
vocations ecclésiastiques, et le portrait de l’homme de Dieu
occupe en ces institutions la place d’honneur, et aussi dans les
séminaires.
Même chez les protestants D. Bosco eut des imitateurs.
Don Juvénal Bonavia nous écrivait le 12 juin 1903 depuis notre
Maison de Londres : « Je Vous envoie deux revues qui con-
tiennent quelques observations sur D. Bosco ; elles ne sont pas
catholiques, mais elles appartiennent, à ce qu’il semble, à la sec-
tion anglicane appelée Haute Eglise, c’est-à-dire ritualiste ou de
Pusey. L’auteur, un certain Norman Potter, est, je crois, la personne
même dont il y a quelques mois un de nos prêtres fit person-
nellement la connaissance. Il est, quant à lui, Directeur d’un
Internat de jeunes pas très éloigné de nous autres, et celui qui
lui rendit visite vit dans la salle de réception le portrait de D. Bosco
avec la devise : Da mihi animas, cætera tolle [Donne-moi des
âmes, prends le reste]. Ce monsieur a voyagé en Italie, visité
quelques-unes de nos maisons ainsi que l’Oratoire de Turin. Il
imite D. Bosco en tout ce qu’il peut. Il a un aumônier (protes-

58.2 Page 572

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558
tant) dans son Institution. Je crois qu’il lit aussi le Bulletin Sa-
lésien.
« Donc dans les deux articles susdits il donne un aperçu sur
l’histoire de D. Bosco.
« Le premier, Goodurtl [= Goodwill] (Bonne volonté), [qui fut]
publié en 1900, est le plus court, avec un portrait. Le second,
Common wealth (Bien public), fut publié cette année, il est plus
diffus et donne aussi une description rapide et sommaire du
système préventif tirée du règlement de nos maisons. Là où il
est parlé de la confession et de la communion fréquentes et de
la messe quotidienne, il traduit le mot Messe par Eucharist
[Eucharistie] pour éviter peut-être le mot Mass [Messe] qui risque
de blesser beaucoup de personnes et aussi les Anglicans. Il con-
clut chacun des deux articles en faisant des vœux pour que le
Seigneur suscite ici en Angleterre des hommes ayant l’esprit de
D. Bosco, dont il y a tant besoin ».
—————
* Corpus Domini [‘ Corps du Seigneur ’] : [voir plus loin pages 579-81] par
une église, longtemps confiée à un collège de chanoines, Turin rappelle
l’endroit d’un miracle du Saint Sacrement.
° Une cuillère de miel : D. Bosco, rapportant de temps à autre cette
pensée de Saint François de Sales, le faisait à travers des variantes (on
trouve ‘ goutte ’, ‘ cuillère ’, ‘ plat ’ de miel) — [Voir Mémoires Biographi-
ques au volume XIV, p. 514].
—————

58.3 Page 573

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559
CHAPITRE XLVIII
Un mot sur les châtiments.
Le Théol[ogien] Savio Ascagne disait : D. Bosco
avait su dominer suffisamment son tempérament bilieux pour
paraître flegmatique ; et assez bon et patient pour consentir
toujours aux demandes de ses élèves, à condition que n’en
subissent pas les conséquences la gloire de Dieu ou le bien des
âmes. Sa règle était que l’on évitât autant que possible tout
châtiment ; mais si un jeune le méritait, il savait en temps et
lieu le corriger. Il pratiquait la justice à un degré éminent ; mais
son zèle était sous-tendu par la charité et la douceur, et la
punition arrivait comme en second, c’est-à-dire lorsque les
moyens préventifs ne suffisaient pas à corriger un coupable. On
ne le voyait jamais inquiet lorsqu’il devait faire des reproches à
quelqu’un : il jugeait que non in commotione Dominus [le Sei-
gneur n’est pas là où il y a de l’agitation], et il s’appliquait à
toujours les faire en privé. Je ne me rappelle pas, affirmait
Joseph Buzzetti, que Don Bosco ait parfois corrigé quelqu’un
injustement. Lorsqu’il nous corrigeait, nous devions aussitôt re-
connaître : D. Bosco a raison.
La première punition que donnait D. Bosco consistait
dans le fait qu’il montrait un air quelque peu grave aux jeunes,
rebelles à l’obéissance, qui avaient sciemment manqué à quelque
point du règlement, ou négligé un avis ou un conseil. Et D. Bosco
tantôt ne les faisait pas partager certains signes de bienveillance

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560
qu’il adressait aux meilleurs, tantôt les privait de l’un de ses
regards bienveillants et faisait semblant de ne pas les voir ;
ou bien il ne leur permettait pas de lui poser un baiser sur la
main, en la retirant avec calme, tandis qu’en souriant il acceptait
de la part des autres ce signe de respect ; ou encore il ne
répondait pas quand ils s’approchaient de lui pour lui souhaiter
le bonjour et une bonne nuit. Parfois il leur demandait s’il était
vrai qu’ils ne l’aimaient plus. Si la faute était secrète, lui, il
usait de ce comportement de manière que seul le coupable s’en
rendît compte. Les jeunes craignaient ces manières de faire, qu’il
employait, comme le plus grave des châtiments, et beaucoup en
éprouvaient tant de peine qu’ils éclataient en sanglots pendant de
longues heures et parfois du soir jusqu’à l’aube.
Une nuit, à l’époque des promenades, Francesia Jean
dormait auprès d’un jeune du groupe des plus adultes. Ce [jeune]
frémissait, mordait les draps, soupirait.
— Qu’as-tu ? lui dit Francesia.
— D. Bosco m’a regardé !
Et avec ça ? Qu’est-ce qu’il y a d’étrange ou de nouveau à
ce que D. Bosco t’ait regardé.
— Il m’a regardé d’une certaine façon !
Et il continuait à geindre.
Le lendemain Francesia raconta le fait à D. Bosco et
ensuite il lui demanda :
— Qu’avait-il ce gars-là ?
Oh ! il le sait bien, lui, répondit D. Bosco.
Un jour, D. Bosco avait dit un mot quelque peu sévère
à un jeune qui désobéissait. L’enfant se retira pensif ; durant la
nuit il fut pris par la fièvre et commença à divaguer, et le dé-
lire dura jusqu’au lendemain soir. Le nom de Don Bosco,
accompagné d’un gémissement continu, résonnait sur ses lè-
vres : — D. Bosco ne m’aime plus ! Don Bosco dut aller lui
rendre visite à l’infirmerie. A sa voix, peu à peu, le malade se

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561
calma ; D. Bosco lui assura que son affection pour lui était
toujours la même, et [lui dit] de veiller à guérir, car ils seraient
toujours amis. La joie produisit alors chez le jeune un change-
ment rapide de santé et la fièvre cessa. Il était un peu fiérot,
mais de mœurs très irréprochables et se maintint toujours tel.
D. Bosco, avec un très grand nombre de ses chers
enfants, devait faire preuve de beaucoup de précaution pour
mesurer une parole qui adressât un juste reproche, car les
manquements, qui en apparence semblaient parfois assez graves,
dans l’intention du jeune et en raison de l’étourderie de l’âge
n’étaient pas perçus comme tels, et donc certains semblaient
perdre la tête en craignant d’avoir provoqué une grande douleur
à D. Bosco. Dans le même temps, il faisait preuve d’une grande
circonspection continuelle pour répondre aux gestes de respect et
d’affection donnés par les meilleurs élèves eux-mêmes, parce que
l’une de ses distractions ou [l’un de ses] oublis faisaient craindre
également au jeune garçon de lui avoir causé quelque peine ; et
ce dernier, bien qu’il eût en lui le sentiment de n’avoir commis
aucune faute, restait toutefois inquiet.
Ceux, par ailleurs, qui avaient mérité une telle leçon
changeaient, presque tous, rapidement de conduite. Et, dès que le
coupable était humblement soumis et avait promis de s’amender
sincèrement, D. Bosco lui redonnait aussitôt les signes extérieurs
de sa bienveillance, car il ne perdait jamais cette bienveillance,
gardée en son for intérieur, qui était au contraire ce qui l’ame-
nait à se comporter de cette façon afin daméliorer [le jeune], et
de l’éloigner des dangers du mal.
Mais si quelqu’un se montrait indifférent à ces paternelles
réprimandes ou s’il récidivait dans ses manquements, il ne transigeait
pas, et permettait qu’il fût puni au moyen de quelque petit châtiment :
secret si tel était son manquement ; public et lourd, bien que rarement,
si la faute demandait une telle mesure à titre de réparation pour
le mauvais exemple. Dans ces cas-là cependant il n’infligeait pas
lui-même le châtiment, et il laissait le soin d’accomplir cette tâche

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562
à ses subordonnés, en se réservant ensuite de l’adoucir, pour se
rendre de plus en plus maître des cœurs et faire à ceux-ci un
plus grand bien. Mais il voulait toujours que fussent exclus les
coups, les privations sur la nourriture, [qui de ce fait ne serait plus
en quantité] suffisante, les punitions humiliantes ou irritantes, les
reproches accompagnés d’expressions injurieuses. Il prescrivait
une grande bienveillance dans les manières. Il disait : Ne pas
les humilier, les coupables, mais faire en sorte qu’ils s’humilient
d’eux-mêmes.
Les châtiments se réduisaient au retrait d’une partie de
ce qui se mange avec le pain pour les fainéants, l’isolement en
silence à l’écart des compagnons sur le lieu même de la
récréation pour ceux qui désobéissent, à la mise en dehors du
réfectoire pour celui qui aurait sauté le mur de clôture pour
sortir sans permission, mais en lui servant sa part de repas. Ces
punitions, quoique n’étant pas très lourdes, D. Bosco faisait en
sorte qu’elles le fussent dans l’appréciation des jeunes. C’est
pourquoi, avec peu, il obtenait beaucoup.
D’autre part, il avait lui-même l’habitude de donner des
règles aux assistants et aux maîtres pour que, selon les man-
quements, ils sussent infliger aux coupables une graduelle
augmentation de peine sans sortir des limites qu’il avait tracées.
Il disait : — Lorsqu’il est absolument nécessaire de punir, la
première fois, que l’on fasse rester debout à leur place les punis
au moment du repas, mais en leur servant le plat de résistance.
S’ils retombent dans la faute, qu’on les punisse en les faisant
venir à table au réfectoire après les autres. A la fin, si les
premiers châtiments ne suffisent pas, qu’on les mette à une table
à part au milieu du réfectoire. Que cependant le plat de
résistance soit la dernière chose à être supprimée et rarement. Et
dans ce cas que l’on dise en privé aux jeunes eux-mêmes de ne
pas s’en servir, mais qu’on le mette devant eux comme à tous
les autres. En général ils obéissent, parce qu’ils comprennent que
le Supérieur a envers eux la précaution de leur éviter de faire
piètre figure en présence de toute la communauté.
Toutefois, même dans ces cas-là, lorsque D. Bosco voyait
qu’un élève était sincère pour se reconnaître coupable d’une fau-

58.7 Page 577

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563
te dont il était accusé, après lui avoir donné les avis opportuns,
habituellement il lui faisait grâce du châtiment si les désordres
n’étaient pas très considérables. Il faisait le contraire s’il
découvrait des subterfuges, des tergiversations ou des mensonges.
Mais après une correction, si le coupable se repentait, il disait
toujours un mot de réconfort et oubliait tout. Il recommandait
l’adoption de cette même pratique à quiconque exerçait quelque
autorité dans la maison.
Mais, malgré sa douceur habituelle, il se rappelait en
quelques circonstances rarissimes que qui parcit virgæ odit
filium suum [qui épargne la baguette hait son fils]. Son motif était
donc l’amour de la justice et des âmes, et non pas la passion.
D. Bosco mettait au nombre des manquements les plus
graves la désobéissance parvenue au point de prendre presque
l’aspect d’une révolte. Un jour, un élève déjà adulte, malgré les
ordres réitérés, joints à de patientes prières et exhortations, se
refusait avec obstination et avec insolence à obéir, dans une
affaire de grande importance. Ses compagnons étaient présents.
D. Bosco à ce moment-là ne pouvait pas et ne devait pas
céder : il était nécessaire qu’il empêchât un scandale, mais il ne
supportait pas l’idée de provoquer la ruine, en le renvoyant, de
ce fils. C’est pourquoi, après s’être un instant recueilli, en
invoquant le Seigneur, il lui envoya une gifle. Ce fut comme un
coup de tonnerre. Une vive horreur envahit tous les jeunes pour
la désobéissance, car ils n’avaient jamais vu le Supérieur punir
de cette façon. Don Bosco entre-temps s’était couvert le visage
de ses deux mains. Le jeune, abasourdi, baissa la tête, obéit à
l’instant même et devint à partir de ce moment-là l’un des
meilleurs jeunes de l’Oratoire. D. Bosco, en nous racontant ce
fait bien des années après, disait : — L’affaire se passa bien,
mais je ne conseillerai pas à d’autres de s’exposer ainsi !
Il lui était, cependant, difficile de se contrôler quand il

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entendait certaines insultes contre Dieu : il lui semblait qu’elles
avaient été enseignées aux hommes par les démons.
Mgr Cagliero nous écrivit : « Un gamin de la rue des
plus effrontés, pour le faire enrager un dimanche soir, prononça
devant lui un vilain blasphème. D. Bosco, ayant alors abandonné
son calme et sa douceur inaltérables, s’étant enflammé d’un saint
zèle, lui donna quelques tapes sur la tête, en lui disant : Prends ça,
garnement, et apprends à ne plus blasphémer le saint nom de
Dieu, sinon le Seigneur t’en donnera au moment voulu de plus
fortes. — Je ne me rappelle pas que d’autres fois il ait fait
usage de ce moyen tant à la maison qu’en dehors ».
« Une autre fois, nous confirmait D. Rua Michel, dans
les premiers temps où je demeurai avec lui, je le vis flanquer
quelques taloches à certains impertinents qui avaient proféré un
blasphème. A ce moment-là on voyait sur son visage toute
l’horreur que lui inspirait cette monstruosité. Il me dit un
jour : — Et même lorsque j’entends redire en confession l’accu-
sation d’un blasphème, je ressens comme si on me blessait le
cœur, comme si les forces me manquaient. Par ailleurs, grâce
aux admirables vertus, la tempérance et la force d’âme, pendant
plus de trente ans de sa vie je ne le vis jamais, même pas le
moindre peu, profondément troublé ».
Jusqu’à présent nous avons parlé de punitions auxquelles
étaient soumis les individus considérés un à un ; mais lorsqu’il
s’agissait de manquements commis par une classe entière ou
même par une grande partie de la communauté, comment faisait
D. Bosco pour rappeler tout le monde à l’ordre et pour punir les
insouciants ? Nous nous empressons de dire qu’à l’Oratoire il ne
se produisit jamais de scènes écœurantes, comme celles que pour
un motif d’insubordination on déplora dans certains collèges.
C’étaient des enfantillages et rien de plus, auxquels cependant il
était nécessaire de porter remède en raison de la grande règle
principiis obsta [fais obstacle dès le début].
D. Bosco écoutait donc avec attention les plaintes des
assistants, étudiait les causes qu’ils présentaient à propos de ce
dérangement, leur inculquait la justice et l’impartialité et [le sou-

58.9 Page 579

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565
ci] de bien se garder de se laisser guider par la passion de la
colère ou par une affection particulière, et [celui] surtout de
répugner à se servir de châtiments violents. C’est pourquoi il
repoussait l’idée d’un châtiment général, même seulement pour
une chambrée, parce que cela irrite les innocents qui se trouvent
toujours dans ces cas-là au milieu des coupables, et il gardait,
pour la donner lui-même, la correction. S’agissait-il de nombreu-
ses notes devenues mauvaises, qui indiquaient de la nonchalance
dans l’étude, du peu d’observance du règlement avec le fait de
parler facilement dans les lieux où était prescrit le silence, de
manquements répétés contre l’amour fraternel à l’occasion de
quelques dissensions futiles, ou même du manque d’attention aux
avertissements de ceux qui les surveillaient ?
Et voici que D. Bosco s’appuie sur un moyen qui
atteignit toujours son but. Il commençait par se montrer froid,
préoccupé et parlant peu lorsqu’il se trouvait au milieu des
jeunes ; il les privait du récit de quelque fait extraordinaire qu’il
avait déjà promis et qui était attendu avec une vive curiosité.
Plus d’une fois après les prières du soir, monté sur la petite
chaire, au lieu de faire l’habituel petit mot, il promenait tout
autour de lui avec gravité ce regard qui avait toujours une force
particulière sur l’esprit des jeunes gens, et il prononçait ces
seuls mots : Je ne suis pas content de vous ! Ce soir je ne
peux pas vous dire autre chose !
Et il descendait de la petite chaire, cachant ses mains
dans les manches de sa soutane, ne permettant que l’on posât
dessus un baiser, et lentement il s’approchait de l’escalier par
lequel il montait dans sa chambre, n’adressant plus un mot à
quiconque. Dans la foule des jeunes, çà et là, on entendait
quelques sanglots réprimés, on voyait de nombreux visages
sillonnés de larmes et tous allaient dormir pensifs et repentants,
pour le fait que pour eux offenser et dégoûter D. Bosco était la
même chose qu’offenser et dégoûter le Seigneur.
Cela suffisait pour remettre dans la maison un ordre

58.10 Page 580

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parfait, et lorsque D. Bosco réapparaissait, tous se sentaient heu-
reux en le revoyant sourire.
Mais si D. Bosco pardonnait facilement aux repentis leurs
manquements à la discipline, à la charité, et à l’obéissance, et au
respect dû aux Supérieurs ; s’il gardait et supportait avec patience
quelqu’un dont il connaissait la méchanceté pourvu qu’il ne cau-
sât pas de tort aux autres, tout en travaillant à sa conversion : il
était par ailleurs très sévère envers ceux qui avaient volé, offensé
gravement la religion ou la moralité, dans leur façon de parler
ou d’agir. Il ne savait absolument pas tolérer l’offense de Dieu.
Dans ses décisions cependant il ne mettait jamais de
précipitation. Il voulait qu’en cas de dénonciations faites contre
quelqu’un on ne prononçât pas de sentence sans avoir d’abord
entendu les deux parties, ou selon son expression, sans écouter
les deux sons de cloche.
Toutefois dans la majeure partie des cas on ne venait
pas à des décisions douloureuses, parce que celui qui était sourd
à la voix de sa conscience, aux avertissements paternels de
D. Bosco et de ses collaborateurs, celui qui restait insensible à
la force de la désapprobation inévitable des compagnons, finissait
par s’en aller de lui-même.
Lorsqu’il s’agissait seulement de soupçons, mais suffi-
samment fondés, il ne s’effrayait pas et cherchait à prévenir le
mal que l’on craignait.
Parfois aussi entraient à l’Oratoire des jeunes déjà cor-
rompus, avec des idées fausses en tête, qui ne supportaient pas
le joug, qui aimaient le plaisir, peu soucieux des choses d’église,
fainéants et jugés dangereux. Le système que D. Bosco suivait
avec ceux-là était celui qu’il recommandait toujours ensuite à ses
Directeurs : l’expulsion est la dernière chose, après avoir em-
ployé et reconnu vains tous les autres moyens. La première
chose : les isoler de ceux qui étaient plus petits et ingénus, de
ceux qui auraient des tendances semblables, ou que l’on connaî-
trait fragiles dans la vertu, et les entourer d’amis sincères et sûrs.

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59.1 Page 581

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567
Cela fait, ne pas se lasser de les avertir à chaque manquement.
La phrase qu’employait D. Bosco avec les assistants et les
préfets qui se plaignaient de la conduite de quelqu’un était
toujours celle-ci : Parler, parler ! Avertir, avertir ! Eussent-ils
commis des fautes tous les jours, tous les jours les faire appeler,
même plusieurs fois par jour, si tel était le besoin. Affectueux
dans les manières, mais fermes pour exiger d’eux l’accomplisse-
ment de leurs devoirs. [] En faisant ainsi, ou bien ces jeunes
changeaient de conduite, ou bien ennuyés ils finissaient par s’en
aller chez eux, sans que l’on dût employer avec eux des me-
sures coercitives. Et c’est une affaire de grande importance que
les jeunes ne partent pas de l’Oratoire avec l’amertume dans le
cœur car, lorsque vient le moment d’ouvrir les yeux, ils se
rappellent alors la charité avec laquelle ils furent traités, rentrent
en eux-mêmes, pensent aux bons conseils reçus, à l’affection qui
leur fut témoignée, reconnaissent ceux qui pourraient être leurs
véritables amis, et souvent, après des années et des années, s’ils
se résolvent à faire une bonne confession, c’est précisément et
uniquement dans l’église de l’Oratoire auprès de ceux qui les
accueillirent dans les années de leur jeunesse. Ils reviennent
parce qu’ils savent que c’est de leur plein gré qu’ils s’en sont
éloignés. Au contraire, si le supérieur avait eu recours à une
rigueur inconsidérée et précipitée, sans les avoir d’abord avertis,
alors pourrait s’éveiller chez beaucoup une aversion qui ne
manquerait pas tôt ou tard d’avoir ses conséquences. D’autant
plus, si parfois un assistant s’était laissé aller à donner des
coups de poing pour décharger sa colère.
Cependant lorsque certains jeunes avaient reçu des
avertissements parce qu’il y avait entre eux des ententes étroites,
qui d’une manière ou d’une autre, si elles ne sont pas dis-
soutes, finissent par être une peste pour la communauté, et que
D. Bosco lui-même, mais inutilement, les avait appelés chez lui
individuellement et avertis, il avait recours à un autre moyen. Il
les faisait appeler tous ensemble dans son bureau et, les ayant
fait attendre quelque temps dans l’antichambre pour les laisser

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568
réfléchir sur le motif de cette convocation, il commençait à
parler selon la manière que la charité savait lui suggérer.
Ne vous ai-je pas fait avertir, et ne vous ai-je pas avertis
suffisamment ? On dit de vous ceci et ceci ; dois-je le croire ? Et
pourquoi voulez-vous me donner tant de peines ? Pourquoi
voulez-vous m’obliger à prendre une décision qui me chagrine
tant ? Pourquoi de vous-mêmes n’aidez-vous pas D. Bosco à
vous sauver ? Vous déclarez ne rien faire de mal ! Et la
désobéissance est-elle un bien ? Obéissez donc une bonne fois.
Ne faites pas qu’on vous voie davantage entre vous [qu’avec les
autres]. Abandonnez ces conversations ! faites-moi ce plaisir.
C’est la dernière fois que je vous avertis. Allez-vous-en avant
que je n’aie la douleur de devoir vous renvoyer. Si je vois que
vous continuez à être mauvais, ma décision est prise. Alors vous
pleurerez ! Parfois il employait des phrases plus sévères. En
général il réussissait bien cette tentative, comme nous l’affirma
D. Bosco lui-même.
Mais s’il arrivait que quelqu’un avait fait scandale, il
s’enflammait d’un saint zèle. Lui qui dans tout malheur matériel
était toujours calme et tranquille, dès qu’il en avait connaissance,
s’écriait tout attristé : Oh quel désastre ! quel désastre ! Et
tout de suite sans plaintes bruyantes il se mettait à l’œuvre
réparatrice, en disant parfois : — J’ai tant prié le Seigneur pour
que ces malheurs n’aient jamais à arriver ! Patience ! que soit
faite la volonté de Dieu dans le bien et dans le mal ! Puis il
exécutait ce qu’il avait la très grande habitude de déclarer devant
toute la communauté réunie : Faites attention ! D. Bosco est
le meilleur des braves hommes qu’il y ait sur la terre ; mais ne
faites pas scandale, ne ruinez pas les âmes parce qu’alors il
devient inexorable. Et, en effet, ayant reconnu et confondu
quelqu’un comme fauteur de scandale, il l’éloignait sans plus de
la maison, et non seulement lui, mais aussi ses complices.
Le Chan[oine] Anfossi raconte qu’à son époque lui resta
gravé dans l’âme un petit discours que D. Bosco tint un soir en
parlant d’une personne déjà quelque peu avancée en âge : il l’a-

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569
vait hébergée lui-même et pendant bien longtemps elle avait donné
des signes de piété ; et, au contraire, on était venu à savoir que
c’était un loup déguisé en agneau : elle avait en cachette volé
une âme au Seigneur ; c’est pourquoi cette personne avait été
sur-le-champ éloignée de l’Oratoire. — D. Bosco, après avoir fait
comprendre avec beaucoup de prudence ce qui était arrivé, parla
des graves dommages que cause le scandale pour la ruine des
âmes ; et il pleurait. D. Bosco avait parlé de cette façon, parce
que c’était par les gens de l’extérieur qu’on était venu à con-
naître l’affaire.
Si pour des circonstances impérieuses il devait suspendre
l’exécution de sa sentence, parfois il avertissait une seule fois le
fauteur de scandale, parfois il l’isolait rigoureusement de la com-
pagnie des élèves et il faisait en sorte qu’il fût continuellement
surveillé ; mais s’il retombait, il le chassait de la maison quoi
qu’il pût arriver. Etant venu à savoir qu’un élève avait entre les
mains quelques livres pas trop honnêtes qu’il s’était procurés en
cachette, il l’appela chez lui, le réprimanda, en se faisant remet-
tre les livres, et parce qu’il ne renonça pas à ces lectures, il
l’éloigna de l’Oratoire, bien qu’il fût doté d’une intelligence très
exceptionnelle.
Il agissait avec précaution envers une victime. La pensée
qu’en revenant au milieu du monde elle verrait s’aggraver sa
situation morale et religieuse et que peut-être même elle perdrait
la foi et ferait une mauvaise mort, lui conseillait de faire tout
son possible pour la garder près de lui, mais s’il ne réussissait
pas dans la charitable intention de la ramener sur la bonne voie,
il ne tardait pas à la renvoyer. — D’un panier plein de fruits
sains, disait-il, il faut enlever un fruit gâté, pour éviter la cor-
ruption des autres.
Sa prudence cependant ressortait toujours dans ces délicates
circonstances. Le Théol[ogien] Léonard Murialdo lui demanda un
jour quelle était sa méthode d’action si dans l’Institution se pro-
duisaient des manquements contre les bonnes mœurs. D. Bosco
lui répondit : « Si de tels cas se produisent, j’appelle à part dans

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570
mon bureau le jeune qui est accusé, en lui faisant observer qu’il
m’oblige à parler de ce sujet dont S[aint] Paul ne veut pas que
l’on parle ; ensuite je lui fais remarquer la gravité du mal
commis. Si la charité envers les autres exige ainsi, sans attirer
l’attention je le fais revenir chez ses parents. Mais je ne lui
inflige aucun châtiment, en évitant de plus grands maux, comme
le seraient les conversations que tiendraient naturellement à ce
sujet les autres élèves ».
Ainsi, quand il le pouvait, il sauvait également l’honneur
des coupables. On vit parfois quelqu’un disparaître à l’improviste
de l’Oratoire, et personne n’y fit attention, pas même les jeunes
abbés, parce que resta inconnu le véritable motif de ce départ.
Tout au plus on crut que cela était dû à la volonté des parents
ou à des affaires de famille ou à la maladie.
D. Bosco, placé dans cette dure nécessité, retenait avec
difficulté ses larmes en pensant à la mauvaise fortune du
coupable, et il ne le laissait pas partir sans lui donner pour der-
nière consigne : « Tu n’as qu’une âme : si elle est sauvée, tout
est sauvé ; si elle est perdue, tout est perdu pour toujours ».
Concluons avec les paroles de Mgr Cagliero : « J’ai
toujours observé que les jeunes, ceux-là mêmes qui avaient
mérité d’être expulsés de l’Oratoire, conservaient toujours néan-
moins l’affection et la gratitude envers D. Bosco, qui avait été
leur père et leur bienfaiteur ».
—————

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CHAPITRE XLIX
D. Bosco au milieu des jeunes et des gens du peuple Ora-
toires des dimanches et des jours de fête Les premières
Lectures Catholiques Le Catholique instruit dans sa reli-
gion Difficultés pour le Contrôle ecclésiastique des écrits Les
Vaudois et la fête du Statut Renseignements historiques sur le
miracle du Très s[aint] Sacrement à Turin Le Jeu[ne abbé]
Rua reçoit l’ordre d’une nouvelle édition en 1903 Fêtes du
quatrième centenaire du miracle D. Chiatellino à Borgo
Cornalense [= Cornalese].
Les soins de D. Bosco pour l’Internat n’empêchaient pas la
prospérité des Oratoires des dimanches et des jours de fête et ne le
détournaient en rien de l’idée de s’entretenir avec les garnements,
avec les enfants de la rue, avec les gens de condition plus médiocre.
C’était pour lui un véritable délice non seulement à l’Oratoire, mais
aussi dans Turin. Jusque sur les places et sur les voies publiques il
continuait à faire entendre la parole du Seigneur. « Plusieurs fois en
diverses années il m’arriva, témoigne D. Rua, de l’accompagner à
travers les rues de la ville. En le voyant, les enfants couraient les uns
pour poser un baiser sur sa main, les autres pour lui demander des mé-
dailles ; et ils faisaient un large cercle tout autour de lui. Les
adultes, à voir cette nombreuse bande de jeunes gens au milieu
de laquelle se tenait debout un prêtre, s’arrêtaient par curiosité,
et D. Bosco ne ratait pas une aussi belle occasion pour adresser
à tous des exhortations adaptées à la situation de chacun. Plusieurs

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autres fois, rejoignant une bande de jeunes qui s’amusaient, il se
mettait à prendre part à leurs amusements ; mais après quelques
instants je le voyais, se tenant droit debout, au milieu d’un
groupe silencieux, leur faire entendre un enseignement salutaire ».
C’était à une telle école que s’allumait le zèle de ses catéchistes
et, en particulier, de l’un d’entre eux, Jean Cagliero, qui à présent
jeune laïc et plus tard jeune abbé fera à l’Oratoire, à S[aint]-Louis de
Portanuova et à Vanchiglia les premiers essais d’apostolat.
La fête de S[aint] François de Sales, grâce à ces procédés,
avait donné le fruit habituel de très nombreuses commu-
nions. D. Bosco déplorait cependant l’absence de D. Chiatellino
Michel-Ange et, en son nom, le Jeu[ne abbé] Reviglio, en lui
présentant ses salutations, comme aussi celles du Jeu[ne abbé]
Danusso, de Maman Marguerite et de toute la maison, lui écri-
vait à Carignano : « Nous avons tous été extrêmement offensés et
Vous avez trompé l’attente de la plupart ; mais n’en parlons
plus ! ».
Avec la venue du carême, qui commençait le 9 février
et finissait le 27 mars, [D. Bosco] préparait les jeunes aux
catéchismes en vue de Pâques en leur faisant vivre saintement
les derniers jours du carnaval. Et ces jours-là il envoyait le
jeu[ne abbé] Rua et d’autres jeunes abbés à la recherche de
jeunes dans tous les alentours avec la charge de les amener aux
cérémonies ; et pour les aider à attirer [ces jeunes] à venir, il les
approvisionnait au préalable de gâteries à distribuer.
Mais l’oratoire qui avait besoin d’un soutien particulier
était l’Oratoire S[aint]-Louis à Portanuova, soit parce que le plus
au voisinage des Vaudois et soit parce qu’il manquait quelque
peu de personnel dirigeant. Le Pr[être] D. Pierre Ponte avait eu
pour successeur le théologien Félix [voir * page 260] Rossi, hom-
me ayant beaucoup de zèle, mais d’une santé précaire.
C’est pour ce motif que pendant plusieurs années D. Bosco,
alors qu’au cours du carême il n’avait pas de répit dans la confession
des jeunes de Valdocco, se prêtait volontiers à écouter aussi les
confessions d’une partie de ceux de S[aint]-Louis. « Je me souviens,
racontait le Théol[ogien] Léonard Murialdo, qu’au moment où il

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573
s’agissait d’accomplir le devoir pascal, beaucoup de jeunes étaient
rassemblés à l’Oratoire S[aint]-Louis à Portanuova, et de là, en
traversant toute la ville, ils étaient accompagnés à l’Oratoire de
Valdocco où D. Bosco les confessait. Ces jeunes étaient déjà
grands, et, en général, il s’agissait de vauriens et de dépravés.
Mais D. Bosco avait une aptitude spéciale pour les attirer aux
sacrements et pour améliorer même les plus mauvais ».
Du reste D. Bosco ne manquait pas de leur rendre visite
dans leur oratoire, comme aussi à ceux de Vanchiglia. Parfois il
les faisait avertir une semaine avant sa venue, et ce jour était
une fête solennelle, accompagnée du pain et du saucisson.
Le mois de mars 1853 commençait et tandis qu’avec les
catéchismes quotidiens il instruisait pendant le carême une mul-
titude d’enfants du peuple, voici que paraît, publié par l’imprimerie
De Agostini, le premier numéro des Lectures Catholiques. Il
avait pour titre : Le Catholique instruit dans sa religion : petits
entretiens d’un père de famille avec ses enfants, en fonction des
besoins de l’époque, résumés par le Prêtre Bosco Jean. Le père
de famille représentait pour D. Bosco l’av[ocat] Louis Gallo, de
Gênes, avec lequel il avait des relations amicales lorsqu’il com-
posait ce livre, de 452 pages, divisé en six numéros in-32.
C’était un traité qui était, on peut dire, complet, mais qui s’a-
dressait aux gens du peuple, sur la vraie religion. Il réfutait les
erreurs, les impiétés, les contradictions des pasteurs protestants et
[des pasteurs] vaudois, il démontrait leur mauvaise foi et les alté-
rations sacrilèges introduites dans les textes de la Bible ; et dans
le même temps il racontait la vie scélérate et obscène des Chefs
de la Réforme. Cependant D. Bosco estimait de son devoir de
faire remarquer çà et là que les expressions qui pourraient
sembler à quelqu’un un peu énergiques concernaient uniquement
les écrits hérétiques et excluaient n’importe quelle allusion aux
personnes des Vaudois. Il concluait son travail en adressant quelques
mots aux Pasteurs Protestants, en leur montrant la terrible respon-

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574
sabilité qu’ils assumaient devant le tribunal de Dieu, du fait qu’ils
arrachaient de son bercail les brebis. « Ce sont des paroles de
l’un de vos frères qui vous aime, et vous aime bien plus que
vous ne le croyez. Paroles d’un frère qui s’offre lui-même tout
entier et offre tout ce qu’il peut avoir en ce monde pour votre
bien… Tout pénétré de terreur et de frayeur en raison de l’in-
certitude du salut de votre âme et de celle de vos disciples, je
lève les yeux et les mains vers le ciel, en invitant vous-mêmes
et toutes les braves personnes à prier le Dieu des miséricordes
afin qu’Il veuille vous éclairer tous des rayons de sa grâce
céleste, de manière que dans un retour effectué au paternel [sic]
bercail de Jésus Christ, nous puissions procurer une grande joie
au paradis tout entier, la paix à vos âmes, et une espérance fon-
dée de salut pour tous ».
Ces six numéros furent publiés de mars à août en
alternance avec d’autres petits ouvrages : ils furent ensuite
rassemblés en un seul volume, mais toute leur édition fut vite
épuisée. Cependant D. Bosco en faisait, en 1882, une deuxième
édition, considérablement augmentée et corrigée sous le nouveau
titre qu’elle conserve aujourd’hui : Le Catholique dans le mon-
de, etc. Qu’on lise ce précieux livre et l’on pourra comprendre
comment D. Bosco a pu avec juste raison être appelé le mar-
teau des Protestants.
Au mois d’avril on distribuait la vie de Sainte Zita, ser-
vante, et [celle] de S[aint] Isidore, paysan, suivies d’un appendice
présentant trois récits moraux.
Contre les protestants était présenté le raisonnement suivant :
« Parmi les nombreux arguments qui démontrent la sainteté de
l’Eglise Catholique il y a aussi celui-ci, à savoir qu’en tout temps
beaucoup de ses membres brillèrent par d’insignes vertus et par
des miracles, et que tous ses fils sont appelés à la sainteté.
» Les autres religions, au contraire, portent avec elles l’em-
preinte marquée du vice. Dans leur origine elle-même, bien loin
d’être prêchées par des hommes remarqués par leur vertu et leur

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575
sainteté, elles furent prêchées par des hommes vicieux ou
apostats ; et, si on aperçoit quelque vertu chez les disciples de
ces [religions], on doit l’attribuer aux sentiments insérés par Dieu
Créateur dans le cœur de l’homme avec le don de la raison, ou
bien à ce qu’ils ont conservé de la Très s[ainte] Religion Catho-
lique.
» Du reste, nous pouvons défier les Calvinistes, les Luthériens,
les Vaudois, les Anglicans, tous les hérétiques ensemble de
toutes les sectes de nous montrer parmi eux une seule personne
qui, dans son éminente vertu portée à un degré héroïque, a
atteint ce que l’Eglise Romaine exige en ses fils pour les élever
aux honneurs des autels… Et les protestants ont-ils jamais été
capables de montrer un miracle opéré ou par leurs chefs ou par
les autres membres de leurs sectes ? Non jamais ! Au contraire
au sein de l’Eglise Catholique Romaine ont été accomplis et sont
toujours accomplis de vrais miracles, et quiconque le veut, peut
s’en rendre certain et sûr en lisant les procès apostoliques… Or
qui ne sait pas que les miracles sont une preuve évidente de la
vérité et de la sainteté de la Religion ?… Dieu ne peut pas
contribuer avec des prodiges à autoriser une Eglise qui ne soit
pas celle qu’Il a établie, Lui l’unique source de vérité et de
sainteté ; autrement lui-même pousserait à l’erreur. Mais dans
l’Eglise Catholique Romaine il y a et des saints et de vrais
miracles ; donc nécessairement elle est la véritable Eglise de
Dieu, auteur souverain de toute sainteté et de tous les mira-
cles ».
Cette liberté de parole, qui s’inspire du prædicate super
tecta [prêchez-le sur les toits] commandé par le Divin Sauveur,
donnait de sérieuses inquiétudes aux Services de l’Archevêché,
qui connaissaient les intentions féroces des sectes. D. Bosco,
après avoir préparé les numéros, avant de les donner à l’im-
primerie, les présentait pour le contrôle requis ; mais, fait
singulier ! les numéros des six premiers mois sont les seuls à
porter l’inscription : Avec l’approbation du Service de l’Arche-
vêché pour le contrôle des écrits, mais personne parmi les
délégués n’avait voulu y apposer sa signature. Finalement aucun
n’acceptait d’assumer la charge de Contrôleur des écrits. Ils avan-

59.10 Page 590

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576
çaient comme raison que se lancer dans une bataille contre les
Protestants et les Francs-maçons était une affaire dangereuse en ces
jours-là, car, pour se débarrasser de leurs adversaires, ils considéraient
comme permise n’importe quelle arme. Et, pour le prouver, ils
rappelaient l’assassinat du Comte Pellegrino Rossi, de Mgr Palma et
de l’Abbé Ximenès, Directeur du journal Le Labaro [Le Labarum] de
Rome, et de nombreux autres défenseurs de la vérité, poignardés à
cette époque. Et pour une part ils n’avaient pas totalement tort de
craindre ainsi : car ce qui peu de temps après se produisit, à Turin
même, pour l’intrépide Directeur d’alors de LArmonia [L’Harmonie],
le Théol[ogien] Jacques Margotti, laissa voir ce à quoi pouvait s’at-
tendre de la part de certains membres de sectes un écrivain
catholique (1). Toutefois, après quelques considérations de D. Bosco,
—————
(1) Le soir du 28 janvier 1856, vers 9 heures et demie, le
Théologien Margotti revenait, selon son habitude, à son habitation, rue
de la Zecca, maison Birago. Dans le virage de l’angle qui de la rue
Vanchiglia fait passer dans [la rue] de la Zecca, à côté du café du
Progrès, il fut à l’improviste assailli par quelqu’un qui, en lui assénant
sur la tête un coup désespéré avec un gros bâton, le fit tomber à terre
de tout son poids. Etourdi et assommé par ce coup, le Théologien
Margotti, tombé à terre, perdit connaissance et resta là gisant à plat
ventre jusqu’au moment où, passant par hasard à cet endroit et voyant
un prêtre étendu à terre, un brave homme courut vers lui et le releva.
Le Théologien, secoué lors de ce geste, et ayant repris connaissance,
demanda où il était. Et cette [âme] pieuse, lui ayant répondu qu’ils se
trouvaient à l’angle de la maison Birago, le Théologien le pria de
l’accompagner à sa maison, en la lui indiquant. Accompagné et sou-
tenu par l’inconnu, il put rentrer chez lui, où lui furent donnés tout de
suite les premiers soins.
Les hommes de métier, qui avaient été appelés, ne reconnurent
aucune lésion grave. Le coup qui était dirigé vers la tempe gauche, en
tombant de haut en bas, fut amorti par le chapeau, et donc la
contusion se situa dans la région de l’oreille dont la partie externe fut
déchirée de haut en bas.
L’assassin, qui crut sans doute que sa victime était morte, s’enfuit, en
laissant sur place le bâton avec lequel il avait commis son forfait. Et,
à voir cet instrument, il parut impossible que le Théologien ait pu en
réchapper avec un si léger dommage. Ce n’était point du tout une
massue, c’est-à-dire le bâton ordinairement employé, mais un gros
gourdin de frêne plus mince à un bout et plus gros à l’autre, grossière-

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60.1 Page 591

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577
le Chan[oine] Joseph Zappata daigna se rendre à ses demandes et se
mit à contrôler un manuscrit ; mais il avait à peine lu la moitié
d’un numéro, lorsque tout terrifié il le fit venir chez lui et lui
rendit le cahier en disant : « Reprenez votre travail. Vous prenez
de front et défiez les ennemis. Quant à moi je n’estime pas bon
de signer et d’entrer en lice, car je ne peux pas risquer ma
vie ».
Que faire donc ? D’accord avec Mgr le Vicaire Général,
D. Bosco exposa l’affaire à l’Archevêque, qui depuis son exil ne
cessait pas de lui offrir tous les secours possibles. C’est pourquoi,
ayant appris ces difficultés, le zélé Prélat envoya à D. Bosco
une lettre à présenter à Mgr Louis Moreno, Evêque d’Ivrea. Par
cette [lettre] l’éminent Archevêque priait son suffragant de bien
vouloir donner aide et protection aux Lectures Catholiques avec
son Service diocésain pour le contrôle des écrits, et Mgr More-
no s’y prêta de très bon gré. Dans ce but il délégua l’av[ocat]
Pinoli, son Vicaire Général, pour contrôler les numéros à pu-
blier, en lui permettant toutefois de laisser sous silence son nom
en ne signant pas.
D. Bosco restait donc solide à son poste de bataille. « Il
avait reçu des menaces par lettre et en paroles, affirme D. Rua,
mais, lui, en mettant sa confiance en Dieu, ne renonça pas. Son
grand réconfort était [de savoir] que les Lectures Catholiques, dès
qu’elles avaient été comme dégustées, avaient satisfait le goût de
tous les abonnés ». Pour les mois d’Avril et de Juin il faisait
imprimer un petit volume anonyme, divisé en deux numéros, qui
portait le titre : La bonne mère de famille : conversations mora-
—————
ment coupé : un morceau de bois ordinaire à mettre sur le feu.
Mais par bonheur la tentative des assassins échoua ; et le valeureux
écrivain, pleinement rétabli peu après, reprit la plume, et continua à
employer ses incomparables talents au profit de l’Eglise et de la So-
ciété.

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578
les adaptées aux catégories les plus simples des personnes du
peuple. C’est une dame qui réunit dans sa maison quelques
habitants de son village et leur explique au moyen d’avis mo-
raux le Symbole des Apôtres. L’auteur anonyme écrivait ceci au
lecteur chrétien : « Bien qu’en tout temps il n’ait pas manqué
d’ennemis du salut éternel des âmes, toutefois ceux-ci ont formé
de nos jours une entente formidable : on n’en rencontre sans
doute pas de telle dans le passé.
» Des hommes rompus à tous les vices, sachant mal supporter
le joug de la vérité, menés par un intérêt bas et vil, avec des
ergoteries subtiles et perfides, ne rougissent pas d’attaquer et de
calomnier cette Sainte Religion dans laquelle par un trait spécial
de la miséricorde divine ils naquirent et furent éduqués. Ces
gens, en se donnant l’apparence d’éclairer et de conduire le
peuple à une solide vertu, répandent dans cette catégorie plus
simple, chez les ouvriers, chez les apprentis et chez les paysans
les maximes de la doctrine la plus perverse et [la plus] fausse ;
ils se donnent du mal à l’aide d’écrits et d’imprimés immoraux
pour propager l’incrédulité, en instillant l’indifférentisme, le pire
de tous les maux ; ils flattent les passions, et font boire aux
personnes imprudentes et simples la perversion des mœurs, la
séduction et la corruption des cœurs, en les faisant prendre part
à des vices qui sourdement tendent des pièges à la société hu-
maine et la ruinent…
» Donc pour vous réconforter, ô lecteurs chrétiens, dans le
tourbillon de si nombreuses tempêtes, dans les assauts de si
nombreux ennemis, tandis que vous avez, dans les petits entre-
tiens : Le Catholique instruit dans sa Religion, les principes
fondamentaux de notre sainte Religion à laquelle vous devez de
façon inaltérable être attachés par la foi, dans les conversations
simples présentées ici vous sont donnés de salutaires enseigne-
ments, qui vous mettront en mesure d’agir constamment selon
cette même [Religion] et de vous fournir à vous-mêmes les rai-
sons de votre croyance… ».
D. Bosco combattait vaillamment l’hérésie, mais celle-ci
levait la tête avec de plus en plus d’arrogance. Le soir du 8 mai,

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fête du Statut, le nouveau temple des Vaudois fut illuminé avec
un grand luxe et [une grande] parade, et les étudiants, mis en
rangs comme des militaires et conduits par leurs professeurs,
suivis par un bon nombre de sociétés ouvrières, instruits dans les
principes de liberté de la Gazzetta del popolo [Gazette du Peuple],
après avoir fait une fracassante ovation devant le monument
Siccardi, pour lancer un affront au Clergé, se rendirent au tem-
ple Vaudois, en répondant par des Hourras à certaines voix
tonnantes qui proféraient les acclamations édifiantes : Vive la
liberté des cultes ! Vive la liberté de conscience !
En mai, le numéro était écrit par D. Bosco lui-même.
Renseignements historiques sur le miracle du Très s[aint] Sacre-
ment survenu à Turin le 6 juin 1453, avec un aperçu sur le
quatrième centenaire de 1853.
« Au lecteur. — Au milieu de l’allégresse commune à
laquelle prennent part tous les bons Catholiques pour la solennité
du Centenaire en mémoire du miracle du Très s[aint] Sacrement,
accompli par Dieu dans notre ville, j’espère que ne devra pas
être désagréable un récit historique, court et traité avec assez de
simplicité pour qu’il puisse suffisamment informer les gens moins
cultivés, ainsi que ceux auxquels manquent les livres opportuns
et [ceux qui] n’ont pas le temps de parcourir les volumes publiés
au sujet de ce glorieux événement.
Celui qui désirerait avoir des connaissances plus étendues sur
ce fait, pourrait lire n’importe lequel des auteurs indiqués à la
fin du petit livre : c’est auprès d’eux que furent puisés ces ren-
seignements. Ici je me limite à un récit historique du miracle, en
ajoutant quelques éléments qui concernent la prochaine solennité,
avec l’adjonction d’un dialogue familier au sujet des miracles.
Que le Seigneur bénisse tous les Turinois et conserve tous les
Catholiques dans la Sainte Foi Catholique, unique religion qui
puisse présenter de vrais miracles en confirmation des vérités
qu’elle professe.
J[ean] BOSCO Pr[être] ».

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580
Le miracle que les Turinois se préparaient à célébrer
[avait été] solennel. Le soir du 6 juin 1453 passait par Turin un
homme qui conduisait un mulet chargé de marchandises. Il ve-
nait d’Exilles, lieu voisin de Suse qui à cause de quelques
désordres de guerre avait été cette année-là mis à sac. Parmi les
dépouilles posées sur le mulet il y avait un ostensoir, volé à
l’église de ce lieu : se trouvait dedans une hostie consacrée. Et
voici qu’arrivé à Turin devant l’église S[aint]-Sylvestre le mulet
devient rétif, en titubant il s’arrête et tombe à terre. L’homme
qui le guide s’emploie de toutes ses forces pour que se lève la
bête de somme et qu’elle marche. En attendant, les courroies du
paquet s’étant dénouées, le vase sacré s’élève dans l’air et, res-
plendissant plus que le soleil, il apparaît à la vue de toutes les
personnes présentes. Averti, l’Evêque Monseigneur Ludovic, [de la
parenté] des Marquis Romagnano, accourt avec le clergé et avec
une grande foule de gens : en leur présence l’ostensoir tombe
tout d’abord, alors que se maintient, radieuse, en l’air l’Hostie
divine, qui ensuite, tandis que de tous les côtés on s’écrie :
Restez avec nous, Seigneur, descend petit à petit dans le calice
que lui présente l’Evêque et elle est solennellement portée à la
cathédrale. A l’endroit où se produisit un événement aussi
prodigieux fut élevée l’église du Corpus Domini [Corps du Sei-
gneur]. — Ce fut l’origine de la dévotion particulière que les
Turinois témoignent envers le Très s[aint] Sacrement.
On ne pouvait pas donner une preuve plus splendide
contre les Vaudois de la présence réelle permanente de Jésus
Christ dans l’Eucharistie. Dans son petit livre D. Bosco n’o-
mettait pas de rapporter quelques phrases d’une lettre pastorale
spéciale que Mgr Fransoni avait adressée depuis Lyon au clergé
et au peuple. L’Archevêque, ayant mentionné les graves dangers
où se trouvaient ses diocésains en raison des pièges avec
lesquels les hérétiques s’efforçaient de séduire les personnes
imprudentes, leur rappelait que le premier et très puissant moyen
pour ne pas tomber victime de l’erreur était « de se lier de
façon indissoluble à l’autorité de l’Eglise Catholique et donc au

60.5 Page 595

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581
Pontife Romain son Chef visible, successeur de Saint Pierre ».
D. Bosco donnait une conclusion au petit ouvrage en
présentant l’Horaire des cérémonies sacrées [accomplies dans l’église]
du Corpus Domini [Corps du Seigneur] : il comprenait un triduum
et une octave de prières très solennels.
Le petit livre fut vite épuisé ; mais D. Bosco eut cette
intuition du futur qui, on peut bien le dire, lui était propre : un
jour qu’il revenait avec le Jeu[ne abbé] Michel Rua de la villa
du prof[esseur] D. Matthieu Picco, où il avait l’habitude de se
retirer pendant quelques jours en vaquant à des travaux de
bureau, au moment où il était arrivé au Faubourg appelé alors
des Saints-Bino-et-Evasio derrière la Grande-Mère-de-Dieu, il fit
tomber la conversation sur les fêtes centenaires de Turin et sur
le bon accueil et la large diffusion de sa brochure. Ensuite,
portant sa pensée plus avant, il dit au brave jeune abbé qui lui
servait de secrétaire : Quand en 1903 on célébrera le [neu-
vième] cinquantenaire du miracle, je ne serai plus là, mais toi tu
seras encore là ; dès maintenant je te confie la charge de réédi-
ter ce petit livre.
Bien volontiers, répondit le Jeu[ne abbé] Rua, j’accepte une
si douce charge ; mais, si la mort me jouait quelque mauvais
tour et m’ôtait de ce monde, avant cette époque ?
Sois tranquille : la mort ne te jouera aucun mauvais tour, et
tu pourras t’acquitter de la charge qu’à présent je te confie.
Le Jeu[ne abbé] Rua, ayant entendu D. Bosco parler avec
autant d’assurance, en mit de côté un exemplaire et, ayant sur-
monté différentes maladies graves, le ressortait en 1903 et en
faisait l’édition qui lui avait été confiée.
Les fêtes furent très splendides. L’église du Corpus
Domini [Corps du Seigneur] avait été richement restaurée. De tous
les côtés du Piémont y confluèrent les confréries avec [les gens]
du peuple pour faire leur communion. Au jour de la solennité le
Roi et sa famille, en grand apparat, s’y rendaient pour participer
à la Sainte Messe. Douze [Prélats, répartis] entre Archevêques et

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582
Evêques, accoururent au triduum et à l’octave de prières. Pen-
dant deux nuits la ville ne fut qu’une illumination publique et,
sans doute pour la dernière fois, on vit les palais de la Mairie,
du Sénat et de l’Académie des Sciences ornés de lumières pour
des fêtes religieuses. Seul [monument officiel], la Chambre des
Députés, ainsi que le ghetto des Juifs et le temple, en construc-
tion, des Vaudois brillèrent par une parfaite obscurité. A deux
reprises, on commença la procession triomphale, le 6 juin et le
dernier jour de l’octave ; tonnaient les [pièces d’]artillerie ; son-
naient toutes les cloches ; mais les deux fois de violentes
tempêtes ne permirent pas de continuer. La faction des libertins,
qui, à ce spectacle de foi, étaient rongés par la rage, s’en libéra
par un applaudissement injurieux et des sifflements lorsqu’ils
virent se disperser la procession. Mais cette libre manifestation
d’une satisfaction empreinte de dépit méritait un peu de com-
passion. Ils croyaient [la ville de] Turin à moitié protestante et
ils la virent toute catholique. La Gazzetta del Popolo [Gazette du
Peuple] avait en ces jours-là, de façon obscène et impunément,
exprimé des blasphèmes, et avec elle la presse libérale. D. Bos-
co, qui avait pris part au cortège sacré, était revenu deux fois à
l’Oratoire les habits si imprégnés d‘eau qu’il faisait pitié aux
jeunes.
D. Bosco, en traitant ces jours-là les grandes affaires,
n’oubliait pas les petites affaires. Il entendait donner une preuve
de sa reconnaissance à D. Michel-Ange Chiatellino, maître de
méthode [= art et science de l’enseignement] à Carignano, qui en
de nombreuses occasions l’avait aidé à l’Oratoire. L’ayant
rencontré dans Turin, il lui dit aimablement : Me payez-Vous
une tasse de café ? D. Chiatellino regarda avec étonnement
l’ami qui lui faisait une demande, pour lui si étrange et
inattendue, et il lui répondit : Volontiers, volontiers. Ils
entrèrent donc dans un café et D. Bosco lui expliqua comment
l’école de Borgo Cornalense [= Cornalese] s’était trouvée à man-
quer de maître et qu’il avait pensé que ce poste était adapté
pour un prêtre comme lui qui aimait la tranquillité. Dans le même

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583
temps il serait chapelain de Madame la Duchesse de Montmo-
rency [qui était] propriétaire de l’école et qui à Borgo [Cornalese]
habitait dans sa grande maison. L’idée sourit à D. Chiatellino, il
remercia ; mais il proposa qu’avant d’accepter fût consulté D. Ca-
fasso. Ce fut le motif des lettres suivantes.
Très cher D. Chiatellino,
J’ai parlé à D. Cafasso de notre affaire sans dire que j’en
avais déjà parlé avec Vous, et sans la moindre hésitation il me
répondit que c’était un poste qui convenait, [en me disant] de
Vous écrire immédiatement pour avoir votre avis ; de sorte qu’ici il
n’y a plus de difficulté. Pensez-y, et au cas où Vous me donne-
riez une réponse positive, nous irons, statuto tempore [à un
moment fixé], rendre une visite à Madame la Duchesse.
A la hâte, mais de tout cœur je m’offre à Vous dans le
Seigneur.
Turin, 16 juin 1853.
Ami très aff[ectionné]
BOSCO J[ean] Pr[être].
Très cher M. Chiatellino,
Hier s’est trouvée ici à Turin Madame la Duchesse de
Montmorency-Laval, et tout ce qui concernait votre poste de
maître fut conclu. A présent elle désire parler avec V[otre]
S[eigneurie] pour s’entendre pour l’école, la manière de la faire,
la nourriture, la manière dont on pourra la faire, etc. Il y a un
logement pour Vous et pour une personne de service ; il semble
qu’Elle accepterait même l’une de vos sœurs ; mais, dit-Elle, que
cette sœur serve le prêtre et ne soit pas servie. Mais ce sont là
des choses de peu d’importance, qui s’arrangeront facilement
lorsqu’on se parlera. Si Vous pouvez faire une promenade à
Borgo [Cornalese] jeudi prochain le 23, Vous êtes attendu ; per-
sonnellement, je ne peux pas y aller, mais, si V[otre] S[eigneurie]

60.8 Page 598

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584
voulait bien commencer à y aller. Si Vous aviez avec Vous le
Théol[ogien] Appendini, cela pourrait être une bonne chose ; du
reste ætatem habes, interroga et videbis [tu as l’âge, interroge et
tu verras]. Je n’ai pas le temps d’écrire davantage. Saluez vos
parents et mes autres amis et aimez-moi dans le Seigneur.
Turin, 21 juin 1853.
Très aff[ectionné] BOSCO J.
Et D. Chiatellino, tant que vécut la Duchesse, habita à
Borgo Cornalense [= Cornalese] en édifiant par ses vertus [les
personnes de] l’école, du village et de la grande maison. Sa vertu
se faisait admirer en raison d’une particulière sainteté de mœurs
et d’une exactitude dans l’accomplissement de ses devoirs. Ses
élèves l’aimaient comme un père, et apprenaient la manière de
vivre en famille et dans la société. De temps en temps il venait
voir les jeunes gens de Valdocco et il apportait parmi eux la
joie, comme la visite d’un ami. D. Bosco utilisait ses services en
période de vacances, pour quelques prédications de retraite spiri-
tuelle et il ne reçut jamais de refus de sa part. Pendant des
années et des années la neuvaine du Saint Rosaire aux Becchi
fut toujours réservée à D. Chiatellino. Sa parole, sous-tendue par
le salut des âmes, réussissait à en gagner beaucoup au Seigneur.
—————

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585
CHAPITRE L
La maison Pinardi et D. Cafasso D. Bosco son péni-
tent Sa familiarité et son union d’esprit avec le
Directeur du Convitto Ecclesiastico Générosité de D. Cafasso
envers l’Oratoire et ses lumières surnaturelles Les voca-
tions Reconnaissance de D. Bosco et de ses jeunes.
Don Bosco, dès que la saison le permit, avait fait
débarrasser des décombres de la maison tombée l’espace sur
lequel on devait, depuis les fondations, reprendre les travaux de
construction. Son préjudice avait été évalué à 10 000 lires, bien que
beaucoup plus lourd dût être celui du maître maçon entrepreneur qui
avait accepté de prendre en charge la construction et avait été
condamné par la commission de l’urbanisme à mieux refaire les tra-
vaux. Cependant D. Bosco, rempli de compassion, lui avait promis de
l’aider. Entre-temps, peut-être en conséquence de ce désastre, par un
acte du 26 janvier 1853 passé devant le notaire Turvano, les parts et
les droits que D. Borel, D. Murialdo, D. Cafasso et D. Bosco avaient
acquis avec l’achat de la maison Pinardi, fusionnaient sous les noms
des prêtres Jean Bosco et Joseph Cafasso. Les deux premiers se
retiraient de la société [ainsi formée pour l’achat], en mettant sur
le dos des deux autres copropriétaires leur part de la dette Rosmini.
D. Cafasso continuait donc à se porter garant pour

60.10 Page 600

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586
D. Bosco ; et puisque se présente à nous ce nom béni, nous
voulons rappeler de façon spéciale la mémoire de celui qui
pendant environ vingt-cinq ans guida et secourut D. Bosco dans
la vie spirituelle et dans ses besoins tant matériels que moraux.
Le maître était saint et il fut saint, le disciple qui l’avait choisi
pour être son confesseur et qui chaque semaine allait lui confier
l’état de sa conscience.
D. Cafasso, à S[aint]-François d’Assise, avait son con-
fessionnal auprès de la représentation de Notre-Dame des Grâces,
et il était toujours entouré sur les côtés par une foule qui
attendait son tour. D. Bosco s’agenouillait à terre, près d’un
pilier en face du confessionnal pour faire sa préparation et il y
restait jusqu’au moment où D. Cafasso le verrait. Alors le con-
fesseur, pour que le vénérable prêtre n’eût pas à perdre trop de
temps, lui faisait signe en soulevant le rideau et, lui, la tête
baissée et dans une attitude pieuse, il s’approchait et faisait sa
confession sur le devant du confessionnal, pour l’édification des
personnes présentes. Le Jeu[ne abbé] Bellia Jacques l’accompagnait
toujours, tant qu’il fréquenta l’Oratoire ; et, après lui, d’autres
jeunes abbés, et tous admiraient son maintien, à travers lequel
transparaissaient sa foi et son humilité.
D. Bosco aimait et vénérait D. Cafasso, et son affection
pour lui était comme celle d’un fils, et D. Cafasso le payait de
retour par une vive charité paternelle.
D. Bosco se trouvait presque chaque jour au Convitto
Ecclesiastico, et fréquentait, s’il le pouvait, les conférences de
morale. Souvent il y allait le matin ; et, changeant ensuite
d’heure, [il s’y rendait] vers quatre heures de l’après-midi, et il
n’en repartait que vers neuf heures accompagné de l’un des do-
mestiques du Convitto lui-même. Ces cinq heures, il les passait
en grande partie dans la bibliothèque, où il faisait ses travaux
d’étude personnelle sans être dérangé et il y préparait ses livres
si féconds en avantages spirituels pour la défense de la religion.
Il ne manquait jamais de rendre visite à D. Cafasso qui lui

61 Pages 601-610

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61.1 Page 601

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587
accordait une entière intimité. Certaines semaines, où il se sen-
tait si fatigué qu’avec difficulté il pouvait respirer, un mot, un
regard, un sourire, un geste de D. Cafasso ravivait ses forces, et
lui inspirait un courage sans cesse plus grand pour continuer sa
mission. Et il dépendait de lui en toute chose soit pour régler sa
conscience personnelle, soit dans l’orientation des œuvres externes
qu’il développait ; et il lui a obéi, tant qu’il a vécu, entière-
ment et sans faire d’observations. Souvent D. Bosco s’attardait
avec lui dans des entretiens longs et secrets ; et c’est au cours
de l’un de ceux-ci qu’au début de 1851 il dit à D. Cafasso qui
l’avait interrogé : le temps de vie qui Vous reste encore ne
dépassera pas dix ans. Et l’événement se produisit selon la pré-
vision.
D. Savio Ascagne écrivit : « C’est là dans la chambre de
Don Cafasso que D. Bosco concertait avec lui l’achat de la
maison et de la cour Pinardi et la construction de l’église
S[aint]-François qu’à présent on appelle la vieille église, l’acqui-
sition d’autres terrains pour suffire aux besoins et l’installation
d’ateliers et d’une imprimerie, et la fondation des Lectures Ca-
tholiques. En revenant ensuite à la maison, en parlant avec ses
élèves, il laissait échapper un mot au sujet de ces nouveaux
plans projetés, et disait des choses qui semblaient des rêves et
qui à présent sont une réalité ».
Mais avec l’aide de Dieu il ne pouvait pas en être
autrement. Maître et disciple étaient d’accord pour le même but,
dans les mêmes vues et dans la même pensée.
« Dans une seule chose, dit un jour D. Bosco à un per-
sonnage distingué, il sembla que nous n’étions pas d’accord et
que nous avions à ce propos une discussion en nous promenant
sur l’esplanade du Sanctuaire de S[ant]Ignazio. Il disait que le
bien devait être bien fait, et moi je soutenais que parfois il
suffisait de le faire comme ça à la bonne franquette au milieu
de tant de misères ». Et tous deux avaient raison, car D. Cafas-
so parlait de la chose pour elle-même ; D. Bosco, au contraire,
montrait que, lorsqu’on ne peut pas faire autrement, il vaut mieux

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588
faire comme on peut, mais avec une intention droite, plutôt que
d’abandonner une entreprise.
Toutefois la bonne entente entre eux n’était en rien
troublée par une quelconque diversité d’appréciation ; car au
contraire D. Cafasso prenait toujours la défense de son disciple
lorsque quelqu’un se permettait de le critiquer.
Certains ecclésiastiques, respectables et savants, lui firent
des remontrances parce que D. Bosco ne se pliait pas aux con-
seils qu’ils donnaient, lorsque ceux-ci n’étaient pas conformes à
ses projets et à ses vues. D. Cafasso répondit de manière à
mettre dans une lumière particulière la vie sacerdotale de son
pénitent : « Savez-vous bien qui est D. Bosco ? Pour moi, plus je
l’étudie, moins je le comprends ! Je le vois simple et extraor-
dinaire, humble et grand, pauvre et occupé dans des projets très
vastes et en apparence non réalisables, et toutefois bien que
contrarié et je dirais incapable, il réussit splendidement dans ses
entreprises. Pour moi, D. Bosco est un mystère ! Je suis certain
cependant qu’il travaille pour la gloire de Dieu, que Dieu seul le
guide, que Dieu seul est le but de toutes ses actions ».
D. Cafasso avait la conviction que le Seigneur condui-
sait D. Bosco par des voies nouvelles et extraordinaires, et
c’était également la cause pour laquelle il faisait des largesses
pour le secourir.
D. Bosco sortait rarement du bureau de [D. Cafasso] les
mains vides, comme, lui-même, l’affirma. Souvent vers la fin
d’un mois, alors qu’il devait régler une dette pour le pain de
deux cents ou trois cents lires et qu’il n’avait pas, lui, d’argent,
D. Cafasso les déboursait pour lui. D. Bosco dans le même
temps promettait que pour le mois suivant il étudierait la façon
de payer lui-même ; mais quelque temps après le voici qui
présente, en y mettant bellement les formes, une autre note du
boulanger. Don Cafasso, sur un ton de plaisanterie, lui disait
alors : Vous, D. Bosco, vous n’êtes pas un honnête homme.
Les honnêtes hommes tiennent la parole donnée ; vous, au lieu
de cela, tous les mois vous promettez de payer, mais en
attendant celui qui paie, c’est toujours moi. Mon cher, pensez

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589
à vous mettre devant votre conscience. Et il lui tendait la
somme demandée.
En faisant l’expérience de la bonté de D. Cafasso, D. Bosco
eut une preuve de plus des dons surnaturels que Dieu lui avait
accordés. Un jour, il lui avait expliqué qu’il se trouvait dans un
besoin très impérieux de secours. D. Cafasso lui répondit qu’il
était désolé de n’avoir rien à lui donner ; mais ensuite, après
avoir réfléchi quelque peu, il lui dit : Allez du côté de la
place Saint-Charles, suivez celui qui vous appellera par votre
nom et vous trouverez ce que vous désirez. D. Bosco obéit,
et lorsqu’il fut parvenu sur la place S[aint]-Charles, voici qu’un
domestique l’arrête et lui dit : Etes-Vous D. Bosco ? Et,
devant la réponse affirmative, il ajouta que sa patronne désirait
lui parler. D. Bosco se joignit au domestique, qui le fit entrer
dans un hôtel particulier ; puis il se trouva dans la chambre
d’une riche dame malade qui, après avoir demandé des rensei-
gnements sur son Oratoire, lui donna une somme considérable.
D. Bosco révélait lui-même ce fait au Jeu[ne abbé] Bellia,
et, sûr que son saint maître recevait du Seigneur des lumières
pour donner des conseils, il lui envoyait souvent ses jeunes pour
qu’il prît à leur sujet une décision.
En 1853, il lui adressait les élèves Jean Cagliero et
Savio Ange pour l’examen sur la vocation. « D. Cafasso, écrit
Mgr Cagliero, après nous avoir examinés, nous parla de la
vocation à l’état ecclésiastique avec des mots et des idées très
sublimes, et avec un tel sens pratique et [une telle] onction, au
point de nous faire comprendre qu’une telle grâce était grande et
très élevé le ministère du prêtre. Et, nous ayant encouragés à
être à la hauteur, il ajouta avec un saint enthousiasme : Oh,
voyez ! je suis devenu prêtre une seule fois ; mais si c’était
nécessaire, je le deviendrais encore cent autres fois ! ».
Un autre jour il envoya au Convitto [Ecclesiastico]
Massaia et Fusero. En chemin ils commencèrent une discussion
sur quelques points d’une controverse, nous ne saurions pas dire

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590
si c’était sur le plan scolaire ou sur le plan religieux. Dès qu’il
furent en présence de D. Cafasso, celui-ci, sans leur laisser le
temps d’ouvrir la bouche, dit : En ce qui concerne votre
discussion pour laquelle vous débattiez le long du chemin, c’est
comme ceci et comme cela : donc toi, tu avais raison, et toi, tu
avais tort. En ce qui concerne la vocation, tenez-vous à ce que
vous dira Don Bosco. Etonnante réponse et preuve par la-
quelle il faisait comprendre grâce à une lumière surnaturelle que
D. Bosco était un juge sûr pour ce qui est du choix prudent de
l’état [de vie].
Les deux jeunes, revenus à l’Oratoire, racontèrent à Don
Bosco le fait merveilleux : à son tour il confirmait l’opinion de
sainteté que tous nourrissaient envers D. Cafasso. D. Bosco, en
effet, raconta le Chan[oine] Anfossi, parlait fréquemment des ac-
tions, des paroles, des vertus héroïques et de la générosité de ce
grand serviteur de Dieu. Et il répétait aux jeunes gens et aux
jeunes abbés ses avertissements, si efficaces pour faire aimer la
mortification chrétienne : « Fuyez toute habitude, même la plus
indifférente ; nous devons nous habituer à faire le bien, mais pas
autre chose ; notre corps est insatiable : plus nous lui en don-
nons, plus il en demande ; moins on lui en donne, moins il
demande ».
D. Bosco n’omettait pas d’exhorter les siens à travailler
gaillardement et à ne pas désirer d’amusements et de repos, et il
ajoutait : On avait invité D. Cafasso à prendre quelque diver-
tissement, savez-vous ce qu’il répondit ? — Ce que j’ai à faire
est bien autre chose que me divertir. Lorsque je n’aurais plus
d’occupations pressantes, alors j’irai me divertir. — Et quand
arrivera ce moment ? Quand nous serons au paradis.
Il le proposait également en exemple pour le salut des
âmes et il le décrivait dans les missions en zone rurale, dans le
Convitto [Ecclesiastico], dans les prisons, dans les hôpitaux et
dans les diverses autres charges de l’enseignement sacerdotal.
Entre autres, il racontait un jour : « D. Cafasso, ayant appris (1856)
qu’à Verceil un condamné à mort s’était abandonné au déses-
poir et ne voulait rien entendre des sacrements, partit aussitôt de

61.5 Page 605

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591
Turin, avec quelques confrères de la Miséricorde, vers 4 heures
de l’après-midi, et, parvenu là où se trouvait le condamné, il
réussit à le calmer, et, l’ayant confessé et fait communier, il
l’accompagna au lieu du supplice. Puis, s’étant restauré dans une
auberge, il voulut partir aussitôt pour Turin et, une fois revenu
[voir * page 592] au Convitto [Ecclesiastico] à 6 heures et demie
du soir, au lieu de prendre un peu de nourriture, il alla à
l’instant même faire la conférence aux étudiants du Convitto
parce que la cloche en donnait le signal. A qui l’invitait à
prendre un peu de repos, il répondit : Nous nous reposerons
quand nous serons dans la tombe : Regnum cœlorum vim patitur
[Le Royaume des Cieux souffre violence]. — C’était son habituelle
exclamation ».
En outre il intéressait notamment ses élèves en racontant
comment D. Cafasso prenait soin des jeunes gens pauvres et
comment il instruisait les uns dans les vérités de la foi, pro-
curait à d’autres des vêtements afin de leur permettre de venir à
l’église ; [comment] il plaçait d’autres au travail chez un honnête
patron ; [comment] à un bon nombre il payait les frais de l’appren-
tissage ou fournissait du pain jusqu’au moment où ils pourraient
gagner de quoi vivre par leurs propres travaux. — J’en connais
beaucoup, ajoutait-il, qui, en raison de leur pauvre situation ou à
cause des graves désastres survenus en famille, ne pouvaient
parcourir aucune carrière. A présent parmi eux plusieurs sont
curés, vicaires, maîtres d’école. Certains sont notaires, avocats,
médecins, pharmaciens, hommes de loi. D’autres sont agents de
campagne [voir ° page 592], patrons de boutique ou d’atelier, négo-
ciants et commerçants. Et tous ces gens-là doivent à D. Cafasso
leur sort.
Mais en plus de cela il rappelait aux jeunes gens de l’O-
ratoire l’obligation qui leur revenait d’être reconnaissants envers
D. Cafasso et de prier pour lui ; Mgr Cagliero nous écrivait :
« Je me rappelle que souvent D. Bosco nous a dit : — C’est par
obéissance à Don Cafasso que je me suis fixé à Turin ; c’est à
la suite de son conseil et de sa direction [spirituelle] que je me
suis mis à rassembler tous les dimanches et les jours de fête les

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592
gamins de la rue pour leur faire le catéchisme ; ce fut grâce à
son appui et [à son] aide que j’ai commencé à recueillir à l’O-
ratoire S[aint]-François de Sales les jeunes laissés le plus à
l’abandon pour qu’ils fussent préservés du vice et formés à la
vertu. Souvenez-vous-en ! Le premier catéchiste de notre Oratoire
fut D. Cafasso, et il en est le constant protecteur et bien-
faiteur. Et nous, nous aimons et vénérons notre cher père ;
mais nous n’aimons pas moins et ne vénérons pas moins le
Pr[être] D. Cafasso ».
—————
* Revenu au Convitto à 6 heures et demie du soir … alors qu’il est
parti à 4 heures de l’après-midi : on est amené à supposer que le
départ et le retour n’ont pas eu lieu dans la même journée et que le
déplacement a demandé plusieurs jours, que le condamné se trouvât
encore à Verceil, ou même que le lieu de son exécution fût proche de
Turin ; D. Cafasso avait besoin d’un temps suffisant pour se déplacer et
accomplir sa mission auprès du condamné avant de l’accompagner au
supplice… (puis pour se restaurer dans une auberge et revenir à Tu-
rin).
Quoi qu’il en soit, l’important est de considérer sa réponse finale !
° ‘ agent de campagne ’ : ‘ fermier ’, ‘ régisseur de domaine ’.
—————

61.7 Page 607

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593
CHAPITRE LI
La reprise des travaux pour relever de ses ruines la construc-
tion Bienfaiteurs Petite loterie Charité de D. Bosco
pour le Maître maçon Entrepreneur Prédications Orne-
ments de la nouvelle église La nouvelle cloche Les Quarante
heures Monseigneur Artico, D. Bosco et la fête de S[aint]
Louis.
Le printemps arrivé, on entreprit immédiatement de
relever la construction écroulée. Mais les finances de D. Bosco
étaient épuisées, et même il était accablé de dettes. Cependant
celles-ci ne l’effrayaient pas, et sa confiance en Dieu ne se
démentait pas. Et, en effet, il fallait une foi bien vive, car il se
trouvait toujours dans de très graves préoccupations, également
aussi en raison des calamités qui opprimèrent continuellement les
nations. A présent il est encore sur le début, mais à mesure que
les difficultés deviendront plus grandes et parfois prendront des
dimensions gigantesques, il deviendra un géant pour les affronter
et les vaincre ; et comme maintenant, de même alors il dira, en
plaisantant, en dialecte piémontais : Andand per la strà s’aggius-
ta la somà. Chemin faisant, s’ajuste le chargement du bourricot.
Et vraiment en D. Bosco s’accomplissaient continuel-
lement les promesses faites par Jésus à quiconque prie avec foi.
Cette divine Providence, qui avait suggéré aux bienfaiteurs de se
montrer généreux envers Don Bosco pour commencer [la cons-
truction] du bâtiment, continua à les pousser à venir à son aide

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594
pour la reprendre et la mener à terme. Parmi ces personnes se
signalèrent la remarquable Duchesse de Montmorency et le noble
monsieur le Marquis Fassati, ainsi que la Marquise sa digne
épouse. Le Comte Cays de Giletta et de Caselette, lui aussi, qui
venait assidûment à l’Oratoire faire le catéchisme les dimanches
et les jours de fête, donnait à D. Bosco cette année-là un témoi-
gnage de sa charité. Entre autres dettes, Don Bosco en avait une
de 1 200 lires envers le boulanger, qui menaçait maintenant de
faire voir, à lui et à ses orphelins, ce qu’est avoir faim, s’il
n’était pas payé. Ayant appris cela, le Comte acquittait cette det-
te importante, et, eux, ils continuèrent à satisfaire leur appétit
juvénile. Le Roi Victor-[Emmanuel II], lui aussi, lui avait envoyé
un subside (1).
Toutefois ces sommes étant insuffisantes, D. Bosco réali-
sait ses différents projets. Le premier fut celui que rendit public
LArmonia [L’Harmonie] dans le numéro du mardi 12 avril 1853.
« Loterie d’une caisse en fer avec divers mécanismes secrets
offerte au bénéfice de l’Oratoire masculin de Valdocco, approu-
vée par l’Intendance générale par décret du 2 mars 1853.
» L’exposition a lieu au café de la Bourse, rue de Porta
Nuova, près de la place S[aint]-Charles.
—————
(1) Secrétariat Royal du Grand Magistère de l’Ordre des
S[aint]s Maurice et Lazare.
Turin, le 25 février 1853.
S[a] M[ajesté] ayant par Décret d’hier autorisé le paiement de 500 lires,
affectées à la Pieuse Œuvre des Oratoires pour la jeunesse laissée à
l’abandon, dont le Prêtre Don Jean Bosco est directeur, on en rend ce
dernier informé pour sa gouverne, en lui ajoutant que sous peu sera
délivré le mandat relatif.
Le premier Secrétaire de S[a] M[ajesté] pour le Grand Magistère
CIBRARIO.

61.9 Page 609

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595
» Le tirage aura lieu le 31 du mois de mai prochain dans la
maison de l’Oratoire susdit.
» Le prix de chaque billet est de 1 franc ; et qui décroche un
quine [= cinq numéros appartenant à la même personne et sortis
gagnants lors du tirage] recevra un lot supplémentaire d’une valeur
de deux lires ».
Le clergé, lui aussi, contribuait avec générosité, mais ses
revenus diminuaient. Le 28 avril 1853, la loi de la taxe mobi-
lière et [de la taxe] personnelle avait été étendue aux curés et
aux bénéficiers, et en septembre un décret royal remaniait les por-
tions congrues paroissiales fixées par le Bref Pontifical de 1828.
En douce et sans tumultes on procédait à la confiscation des
biens ecclésiastiques.
Pendant ce temps-là on avait déjà élevé les murs de
l’Internat à une certaine hauteur, lorsqu’un ordre de la Mairie en
faisait suspendre les travaux.
« A D. Bosco.
De l’Hôtel de Ville, le 21 Mars 1853.
Par un avis du Commissariat de Police Municipale, le 5 de ce
mois, le R[évérend] Prêtre D. Bosco était averti par une
sommation que, s’il voulait avoir la permission de continuer
les travaux de construction entrepris, il était nécessaire qu’il
produisît un certificat d’un ingénieur ou d’un architecte diplômé,
[certificat] par lequel cette personne assumerait sous sa responsa-
bilité la direction de ces travaux à exécuter en conformité avec
le projet qui a été approuvé par le Conseil de l’Urbanisme, et
qu’ainsi restât tout à fait étranger à la direction des travaux
quelqu’un qui n’a pas les connaissances nécessaires en matière
de construction.
Malgré une telle sommation il apparaît clairement au soussi-
gné que les travaux de construction continuent sous la direction
du Maître Maçon Entrepreneur Bocca, qui, bien qu’averti hier
par une sommation de cesser le travail, [fut] surpris ce matin en

61.10 Page 610

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596
train d’effectuer des travaux de construction et fut donc déclaré
en contravention par les agents de la police municipale.
Dans un tel état de choses, comme pour la sécurité publique il
importe que soient de façon absolue suspendus tous les travaux, le
soussigné invite le R[évérend] Prêtre Don Bosco à faire cesser im-
médiatement tous les travaux de construction ou d’autre chose,
jusqu’au moment où, après la présentation du certificat qui lui
est réclamé, il aura reçu du Commissariat de Police Municipale
la permission voulue.
En même temps, comme l’expérience de l’année dernière aurait
démontré que l’actuel conducteur des travaux ne serait pas en
mesure de diriger avec l’attention voulue de tels travaux, le
soussigné estimerait bon qu’il fût remplacé par un autre plus
capable et plus actif.
Le Maire
NOTTA JEAN. »
D. Bosco se soumit aux prescriptions du Maire, mais il
voulut intercéder pour l’entrepreneur. Celui-ci n’avait certaine-
ment pas répondu à la confiance qui avait été placée en lui. A
cause de son désir immodéré de gain, et à cause des taxes
qu’une certaine personne intéressée exigeait des fournisseurs, la
construction de l’église S[aint]-François avait coûté plus que ce
qu’elle ne valait. Et pourtant D. Bosco ne consentit pas à ré-
silier le contrat tant que les travaux convenus ne seraient pas
terminés. Il avait horreur des litiges, et sa délicatesse pour ne
pas juger en mal du prochain était extrême, même lorsque étaient
négligés ses propres intérêts. Après avoir pris les renseigne-
ments prudents et avoir placé sa confiance en quelqu’un, il ne
croyait pas si facilement qu’il pourrait être trahi ou trompé par
lui. La charité aveuglait sa perspicacité, qui cependant dénotait
une si grande clairvoyance. Avec beaucoup de facilité il accep-

62 Pages 611-620

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62.1 Page 611

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597
tait des raisons et des excuses dans les choses matérielles et il
en donna des preuves en de nombreuses circonstances. Toutefois,
pour sa part, il n’entendait jamais permettre le gaspillage, pas
même d’un centime, parce que cela eût été une offense à la
justice. Lui cependant, il avait, prête à le secourir, une trésorière
céleste, qui lui garantissait ses subsides et qui permettait de
temps en temps certaines pertes, même très considérables, car
elle voulait par là que fût démontré avec évidence que c’était
elle-même qui édifiait, et non pas les hommes.
La confiance en la Très s[ainte Vierge] Marie lui enlevait
tout trouble lorsqu’il s’occupait d’affaires même parmi les plus
épineuses. Assez souvent il allait dans les villages des environs
de Turin, tantôt pour prononcer des panégyriques, tantôt pour les
quarante heures, et pour confesser et parfois pour jouer de l’orgue.
Très souvent il était accompagné par le chœur de ses chanteurs.
On se rappelle que le 16 mai il se rendit à S[an] Vito, où
avaient été conduits les élèves des écoles primaires pour y
célébrer une fête en l’honneur de S[aint] Louis de Gonzague.
Entre-temps les ouvriers avaient repris les constructions,
tandis que D. Bosco et ses bienfaiteurs tournaient également leurs
pensées vers l’église. Le Chev[alier] Dupré achetait une balustra-
de en marbre [pouvant servir de table de communion] et en faisait
embellir la chapelle et l’autel S[aint]-Louis. Monsieur le Marquis
Fassati fournissait une balustrade également en marbre et un jeu
de rechange de chandeliers en laiton recouvert de bronze pour la
chapelle Notre-Dame. Le clocher manquait encore d’une cloche
appropriée, car l’ancienne était trop petite. Cependant le Comte
Cays remédiait à ce manque. Choisi pour la seconde fois comme
Président de la Compagnie de S[aint] Louis, il laissait un signe dura-
ble de sa charge en fournissant une cloche sonore, qui avec ses sons
vibrants très aigus continua pendant des années à appeler les jeunes
gens de la ville à l’Oratoire des dimanches et des jours de fête. Le jour
où elle fut bénie et mise en place, on fit une fête solennelle particu-
lière avec un grand concours de personnes expressément invitées. Le

62.2 Page 612

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598
Théologien Gattino, Curé du Faubourg de la Doire, accomplit la
cérémonie religieuse : sur la demande de D. Bosco il avait été
délégué à cette fonction par Mgr Fransoni (1). Le Curé tint,
ensuite, lui-même un discours approprié, en expliquant l’origine
et les trois rôles de la cloche exprimés dans le vers :
Laudo Deum verum, voco plebem, congrego clerum.
[Je loue le vrai Dieu, j’appelle le peuple, je rassemble le clergé].
Après la cérémonie sacrée, fut représentée une petite
comédie, qui fut source de beaucoup de gaieté.
Le Comte Cays offrit aussi le ciborium avec son lam-
brequin et d’autres tissus et tapis, et il prêta huit lampadaires
très riches qui avaient auparavant servi à la décoration et produit
—————
(1)
ALOYSIUS EX MARCHIONIBUS FRANSONI
SUPREMI ORDINIS SS. ANNUNCIATIONIS EQUES TORQUATUS, ETC., ETC.
DEI ET S. SEDIS APOSTOLICÆ GRATIA
ARCHIEPISCOPUS TAURINENSIS
Dilecto Nobis in Christo admod. Rev.do D.no Augustino Gattino
Curato Parochialis Ecclesiæ SS. Simoni et Iudæ hujus Civitatis, salu-
tem in Domino. Viso memoriali subannexo Nobis exhibito, ejusque
tenore considerato, CUM NOS AD BENEDICENDUM ÆS CAMPANUM IN
PRECIBUS ENUNCIATUM ACCEDERE NON VALEAMUS, Apostolica Nobis
commissa, et qua in hac parte fungimur, auctoritate, Te suprasalutatum
ad hanc ipsam benedictionem peragendam delegamus, dummodo tamen
et forma in Pontificali Romano præscripta utaris, et aquam adhibeas
per Nos, vel per aliquem Ill.mum et Rev.mum D. D. Episcopum cum
Sancta Sede Apostolica pacem et communionem habentem prius bene-
dictam.
Datum Lugduni die vigesima secunda mense Maio anno millesimo
octingentesimo quinquagesimo tertio.
ALOYSIUS Ar.pus.
[voir traduction page 758]
I. Berruto Secretarius.
(Cachet)

62.3 Page 613

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599
un effet splendide dans les salles de la reine Marie-Adélaïde à
l’occasion de ses noces. La nouvelle église de l’Oratoire, pour-
vue des objets les plus nécessaires au culte divin, put donc très
bien convenir pour l’Exposition solennelle du Très s[aint] Sacre-
ment durant les Quarante heures, que l’on célébra pendant trois
jours consécutifs, avec un extraordinaire concours de jeunes gens
et d’autres fidèles. Pour favoriser l’élan religieux et donner à
tous la possibilité de satisfaire la dévotion personnelle, on fit à
ces trois jours succéder une semaine de prédication le soir, dont
le fruit fut un nombre incalculable de confessions et de com-
munions : tout comme à l’occasion d’une Retraite spirituelle ou
d’une Mission sacrée. Cette ferveur inhabituelle de piété fournit
un motif pour continuer les Quarante heures pendant les années
suivantes avec une prédication régulière et d’autres pratiques de
dévotion.
Mais les joies de l’Oratoire ne portaient pas D. Bosco à
oublier l’affliction de l’un de ses vénérables amis. La guerre
faite par l’ensemble des journaux des sectes contre l’Evêque
d’Asti, Mgr Philippe Artico, était continuelle et D. Bosco
cherchait à le réconforter autant qu’il le pouvait, dans ses
amertumes. Le bon Prélat était venu plusieurs fois à l’Oratoire
de Valdocco et y avait passé quelques jours. D. Bosco à cette
occasion fit jouer par Francesia et par Tomatis la petite comédie
composée par lui, intitulée Lo Spazzacamino [Le Ramoneur], et
Monseigneur en fut si content qu’ayant demandé la permission à
D. Bosco, il donna au protagoniste de quoi s’habiller entièrement
de neuf.
Or, au milieu des préparatifs des fêtes de S[aint] Louis
et de S[aint] Jean à Valdocco, D. Bosco invita Mgr Artico à la
fête solennelle du saint titulaire de l’Oratoire de Porta Nuova.
L’Evêque vint et, d’après une de ses lettres qu’il écrivit à
Don Bosco, on comprend la part qu’il prit à la fête, les injures
basses et continuelles des journaux contre lui, leur espionnage
méchant de chacun de ses pas, les insinuations calomnieuses,

62.4 Page 614

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600
les angoisses qui désormais avaient épuisé son esprit exténué,
comme aussi le réconfort qu’il recevait des lettres et des visites
de D. Bosco.
« Camerano, depuis le Palais Episcopal, le 9 Juillet 1853.
D. Jean Très est[imé] et Très ch[er],
C’est au bon moment que m’est parvenue votre très chère et
très aimable lettre pour m’adoucir le chagrin que m’a causé l’in-
fâme et trivial journal L’Operaio d’Asti [L’Ouvrier d’Asti]. Plus
que ne m’offensent les injures des méchants, me réconfortent les
expressions bienveillantes des sages, et c’est précisément en lisant
votre lettre affectueuse que j’ai éprouvé une douce consolation.
Pendant ces sept années, durant lesquelles je suis devenu la
cible des calomnies de mes persécuteurs, par une grâce que Dieu,
plein de pitié, m’a toujours faite, j’ai reçu dans le même mo-
ment insultes et réconforts, lettres ou articles infernaux, lettres ou
visites angéliques. Jusqu’ici je gardai toujours le silence en re-
mettant ma cause entre les mains du Seigneur, et je peux bien
dire, moi aussi, avec le cantique de Zacharie : Salutem ex inimi-
cis nostris [{il nous donne} le Salut qui nous arrache à nos ennemis].
En effet, l’article de l’Operaio [L’Ouvrier], que Vous connais-
sez déjà pour l’avoir lu à Turin, et celui qu’on publia dimanche
dernier Vous offrent, très cher D. Jean, l’occasion favorable et
Vous ouvre la voie pour écrire et faire paraître dans la Gazzetta
Ufficiale [Journal Officiel] ce que votre modestie ne Vous per-
mettrait pas en parlant de Vous. Puisque, à la page 4, en
première colonne, de l’Operaio [L’Ouvrier] du 3 Juillet, N° 40,
(et c’est [le nom] Germando [qui est] employé ici), on osa écrire,
comme Vous le verrez, transmis par un correspondant de votre
capitale, que je ne pus pas prêcher, et puisque l’on eut l’im-
pudence de mentir aussi effrontément, en citant votre nom, si
respecté à Turin et en dehors, ainsi que votre Oratoire, etc., je
considère comme nécessaire que Vous, de la manière que Vous

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601
de la manière que Vous croirez convenir davantage, Vous
démasquiez et réfutiez le correspondant menteur, et que Vous
racontiez ce que Vous et des centaines de personnes avec Vous
avez vu et entendu. Le ciel sait combien j’ambitionnais d’ac-
complir des cérémonies et de prêcher ; et, Vous aussi, Vous le
savez, ô très cher D. Jean, combien, malgré la toux qui me
tourmentait et malgré la chaleur qui m’oppressait, j’avais, moi,
l’envie d’improviser quelque discours.
Au contraire, il est de fait que je me suis dispensé de
beaucoup d’invitations qui m’avaient été faites dans d’autres
églises, et que seulement, par un sentiment d’affection envers
Vous et vos chers apprentis, j’ai assisté à votre fête, parce
qu’en elle [j’étais] un invité et non un intrus. En somme, puis-
que Vous Vous êtes spontanément offert à moi pour écrire à
l’Operaio [L’Ouvrier], s’il osait parler de moi à propos de la fê-
te [de S[aint] Louis] et de l’Oratoire S[aint]-Louis, et puisque
l’Avocat Torelli en personne et d’autres Vous le demandèrent, il
me semble que tout concoure à Vous obliger à réfuter les men-
songes et les calomnies de mes perpétuels ennemis (quoique peu
nombreux) en racontant seulement ce qui s’est passé et en citant
des faits. Je Vous prie cependant de ne rien dire à propos du
petit déjeuner du matin et de la loterie du soir, pour qu’il ne
semble pas que j’aie acheté la faveur de vos apprentis ; au plus
Vous pouvez dire qu’en partant après la fête (comme c’est le
cas) je voulus, moi aussi, laisser un souvenir à la Pieuse Insti-
tution, où en arrivant incognito et à l’improviste le Dimanche
(26 juin dernier) je fus accueilli et salué par des Hourras
spontanés : on pouvait dire que, tandis que l’Operaio [L’Ouvrier]
à Asti imprimait et publiait un crucifigatur [qu’il soit crucifié]
contre moi, à Turin était entonné l’Hosanna par les fils spiri-
tuels de D. Bosco. Moi, au contraire, j’imposais le silence et je
priais de ne plus crier : Vive Monseigneur.
Il me semble qu’au nom aussi de tous vos apprentis Vous
puissiez protester contre l’Operaio [L’Ouvrier] et le correspondant
calomniateur de Turin, qui est un certain professeur Gatti,
d’après ce qu’on assure.
Qu’on le provoque à décliner son nom et entre-temps qu’on le
dénonce au public comme un diffamateur et un menteur, etc..

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602
Serait suffisante, il est vrai, la lettre bénie que Vous m’avez
écrite hier, c’est-à-dire que datée du 6 de ce mois je l’ai reçue
le 8, pour fermer la bouche de certains ; mais, moi, je ne peux
pas et ne dois pas en permettre la publication.
Pour réfuter d’autre part les indignes calomnies du même
Operaio [L’Ouvrier] qui affirma tant de choses fausses, et surtout
que je ne fus pas reçu par les Ministres, pourrait signer aussi
son nom en bas de l’article [que Vous écririez] le Théologien
Granetti, témoin oculaire de l’accueil qui m’a été fait par les
Ministres ; ou même il est nécessaire que, lui, Granetti, en sa
qualité de secrétaire ou secrétaire adjoint de Mgr Renaldi,
Evêque [de Pinerolo], proteste contre la calomnie, lancée en pre-
mière page du même Operaio [L’Ouvrier] ci-joint, contre moi et
l’Evêque de Pinerolo, auquel on fit dire ce qu’il n’a pas dit ; et
[nécessaire] d’attester au contraire qu’il me traita et m’embrassa
comme un frère et qu’il me garda avec lui pendant environ trois
heures, et, bien loin de me dire abdiquez, il m’ajouta au con-
traire, etc. Un tel acte ne convient peut-être pas à Mgr Renaldi :
ce serait toutefois un grand bien, s’il daignait faire insérer dans
la Gazzetta Ufficiale [Journal Officiel] deux lignes, en disant : Je
déclare entièrement faux et calomnieux tout ce que le journal
l’Operaio [L’Ouvrier] (du 3 Juillet dernier, N° 40) écrivit à
propos de la conversation que j’ai tenue avec Mgr Artico,
Evêque d’Asti, ou d’autres expressions semblables.
Si par ailleurs le Théol[ogien] Granetti voulait écrire au con-
traire un petit article à part à insérer dans la même Gazzetta
Ufficiale [Journal Officiel] en racontant ce dont il fut témoin, et
en réfutant la calomnie à propos de Gioberti, après avoir lu les
lettres qui me furent écrites (ce que peut faire aussi D. Bosco,
s’il le croit bon), cela conviendrait peut-être mieux.
Vous alors, [en intervenant] à la place du Théol[ogien] Granetti, Vous
pourriez signer le rapport que Vous écrirez, ô très cher D. Jean,
[en mettant :] le Supérieur de l’Oratoire, le Comte Cays et le
Régulateur Radicati de Brozzolo [= Brozolo].
Mais je termine en m’en remettant pleinement à Vous.
Tempus tacendi et tempus loquendi ; fiat lux ; mentita est ini-
quitas sibi [un temps pour se taire et un temps pour parler ; que la
lumière soit ; l’iniquité a menti à elle-même].

62.7 Page 617

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603
Saluez de ma part vos jeunes abbés et vos braves apprentis ;
en me recommandant à leurs prières, ainsi qu’aux vôtres, ô très
cher D. Jean. Lisez et remettez au Théol[ogien] Granetti le jour-
nal ci-joint.
Tout à Vous pour Vous servir
PHILIPPE, Evêque d’Asti. [»]
Mgr Artico et Mgr Fransoni, tant qu’ils vécurent, furent
les Evêques les plus haïs et persécutés par les ennemis de l’E-
glise.
—————

62.8 Page 618

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604
CHAPITRE LII
Les Frères des Ecoles Chrétiennes assujettis au service mili-
taire Le Ministre Cibrario ; Catéchisme et Histoire Sainte
dans les écoles primaires Destruction d’une auberge mal
famée L’Oratoire maître du territoire ennemi.
Si les belles fêtes des Oratoires de D. Bosco attiraient
des milliers de jeunes à l’instruction religieuse, les enfants du
peuple, en un nombre encore plus grand, apprenaient à vivre
selon les lois de Dieu et de l’Eglise chez les Frères des Ecoles
Chrétiennes : et voici que ceux-ci reçoivent du Gouvernement une
communication déplaisante.
Le Ministre de la guerre, le 30 juillet, par une circulaire, les
informait qu’étaient révoquées les concessions qui leur avaient été
faites par Charles-Albert en 1839 et en 1842, selon lesquelles il
les exonérait de l’obligation du service militaire. Ils étaient donc
soumis à la loi commune. On ne tint pas compte de leur acti-
vité infatigable, de leur zèle, de leur engagement religieux, de
leur mérite signalé dans l’éducation du petit peuple. C’était un
coup de maître contre les écoles des bons Frères. La jeunesse
turinoise perdrait peu à peu un bon nombre de ses catéchistes.
Mais presque pour porter remède aux graves dégâts
qu’aurait causés le manque de tels maîtres, le Ministre Cibrario
publiait le 21 août 1853 une Instruction pour la mise en applica-

62.9 Page 619

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605
tion des programmes dans les écoles primaires. Nous notons ici
ce qui concerne le Catéchisme et l’Histoire Sainte, non sans dé-
plorer le fait de tenir à l’écart l’autorité ecclésiastique avec le
refus de toute intervention dans l’enseignement public. Dans le
même temps nous relevons combien était grande l’importance que
donnait encore à cette époque un Ministre du royaume à l’édu-
cation religieuse des écoliers.
Pour la première année du primaire on lit les articles
suivants :
« Art[icle] III. Explication et étude du Petit Catéchisme.
Comme la première partie du Catéchisme n’est pas la même
dans les différents Diocèses, pour cela, afin d’enlever tout doute
et maintenir l’uniformité dans l’enseignement, dans la première
année du primaire on enseignera : Les exercices [de piété] du
Chrétien pour le matin et pour le soir, l’Oraison Dominicale et
la Salutation de l’Ange, également en latin ; les leçons du Caté-
chisme qui traitent de l’unité de Dieu, du mystère de la Très
s[ainte] Trinité, de l’Incarnation du Fils de Dieu, de la venue de
Jésus Christ à la fin du monde, et des deux jugements, l’uni-
versel et le particulier.
Pour enseigner de bonne façon et avec fruit le Catéchisme, le
Maître doit faire attention aux points suivants : 1° que cet
enseignement soit donné dans les écoles avec le sérieux et avec
le recueillement avec lesquels on enseigne la prière. Par consé-
quent que le Maître prépare avec diligence ses explications, afin
que ne sortent pas de sa bouche un mot ou un exemple qui ne
répondent pas convenablement au délicat sujet qu’il a entre les
mains ; et au cas où il rencontrerait quelques propositions qu’il
ne comprendrait pas bien, qu’il ait recours aux conseils des per-
sonnes religieuses et savantes, et qu’il ait soin de découvrir le
fondement de toute vérité ou [de tout] précepte qui sont contenus
dans le Catéchisme.
2° Qu’il ne le commence pas avant d’avoir enseigné les
premières leçons d’Histoire Sainte, c’est-à-dire celles qui traitent

62.10 Page 620

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606
de la Création du monde, de la chute d’Adam, de la promesse
du Rédempteur, etc., car le récit de ces faits est d’une très très
grande utilité pour illustrer les vérités fondamentales de la
doctrine chrétienne : par conséquent l’enseignement de l’Histoire
Sainte doit marcher de conserve avec celui du Catéchisme.
3° Qu’il n’oblige pas les enfants à apprendre par cœur les
demandes et les réponses sans les avoir, tant les unes que les
autres, convenablement énoncées d’une manière facile et claire et
sans s’être assuré au moyen de dialogues magistralement con-
duits que les élèves attribuent aux mots, dont sont composées la
demande et la réponse, un sens précis.
4° Une excellente règle, c’est aussi celle, qui est recommandée
par plusieurs écrivains, de regrouper les diverses réponses et de
les réciter à la suite, afin que les élèves s’habituent à relier les
notions apprises et à passer avec facilité des unes aux autres
sans l’aide des demandes.
—————————
Art[icle] IV. Histoire Sainte — Récits oraux faits d’abord par
le Maître, puis répétés par les élèves, de quelques faits principaux
de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament.
L’enseignement de l’Histoire Sainte doit marcher de conserve
avec celui du Catéchisme. Et pour que dans la première année
du primaire on n’encombre pas les tendres esprits des élèves
avec de nombreux faits très détaillés et une longue série de
noms et de dates, le Maître exposera avec la plus grande
simplicité et [la plus grande] clarté : la création du monde et de
l’homme, la chute d’Adam et la promesse d’un Rédempteur, la
mort d’Abel, le déluge, la dispersion des peuples, la vocation
d’Abraham, le sacrifice d’Isaac, l’esclavage du peuple Hébreu en
Egypte et sa libération par l’œuvre de Moïse, la naissance du
Sauveur.

63 Pages 621-630

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63.1 Page 621

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607
Pour donner cet enseignement : [] le Maître se servira d’au-
teurs ‘ approuvés ’ et ramènera ses leçons à des récits simples et
courts. Chacun de ces [récits], il l’exposera avec précision, et en
expliquant au besoin les termes qui seraient nouveaux pour les
enfants ; 2° au moyen d’interrogations il amènera les élèves à
décomposer le récit lui-même, en l’accompagnant des réflexions
qui se présenteront comme opportunes, et en tirant de ce [récit]
les principes moraux, qui sont d’une si grande aide dans
l’orientation pratique de la vie, et les documents, qui servent à
prouver la vérité de la doctrine chrétienne. Finalement il fera
recomposer le récit ainsi examiné et on le fera répéter en entier
par un élève ou par plusieurs [»].
Entre la deuxième année du primaire et la troisième est
partagé le reste de la matière du Catéchisme jusqu’à la fin ; [et
le reste de la matière] de l’histoire sainte [est partagé ainsi] : pour
la deuxième année du primaire les événements des patriarches
jusqu’à la division du royaume de Juda, et pour la troisième
année jusqu’à la venue du Rédempteur.
Dans ces deux classes, le maître devait, au début de
l’année, répéter et expliquer d’une manière plus ample les le-
çons, soit sur le catéchisme, soit sur l’histoire sainte, données
l’année précédente.
A propos du Catéchisme, l’Instruction porte : « Le maître
de la deuxième année pourra aussi entraîner les jeunes à s’inter-
roger réciproquement sur les parties du catéchisme qui furent
déjà expliquées ; de façon qu’ils en apprennent non seulement les
réponses mais encore les demandes, en retiennent le lien et
sachent parler avec facilité et rapidité du début à la fin sur
n’importe quel paragraphe [»].
Pour la quatrième année du primaire : Instruction
religieuse La troisième et la quatrième parties du grand
catéchisme du diocèse, c’est-à-dire celles qui traitent de façon
diffuse des commandements de Dieu et de l’Eglise et des
Sacrements et Histoire Sainte du nouveau testament.

63.2 Page 622

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608
Qui donc avec son expérience aura conseillé et aidé le
Ministre Cibrario pour former un programme aussi opportun ?
Qui y fit inscrire la prescription [demandant] que les livres
d’Histoire Sainte fussent approuvés et, naturellement, par quelle
autorité qui en avait seule le droit ? Nous ne savons pas ; mais
il est certain que Cibrario venait cette année-là à plusieurs
reprises à Valdocco et s’entretenait avec D. Bosco en de lon-
gues et sérieuses conversations ; et tous les élèves de l’Oratoire
le virent. Sans aucun doute, ils ne parlaient pas de politique.
Mais si le Ministre ordonnait des mesures d’ordre géné-
ral pour le bien de la jeunesse, D. Bosco devait aussi en étudier
d’autres de très grande importance, où il y allait de son intérêt
personnel et de celui de ses jeunes. Il avait décidé la destruction
de la Jardinière, auberge mal famée installée dans la maison
Bellezza, séparée de notre cour seulement par un mur léger.
Comme nous l’avons déjà dit, là venaient les dimanches et les
jours de fête les viveurs, les joueurs et les ivrognes, et d’autres
gens de même acabit, y compris quelques disciples des protestants
auxquels l’apostasie avait approvisionné la bourse. Orgues de
Barbarie, fifres, clarinettes, guitares, violons, basses et contre-
basses, et omne genus musicorum [toutes espèces d’instruments de
musique] grossière et triviale s’y succédaient au cours de la
journée ; bien plus, souvent et à certaines heures de l’après-midi,
[tout cela] était rassemblé au même moment pour faire des
concerts, de sorte qu’il arrivait que les choristes de la Chapelle
en restaient embrouillés et comme étouffés par les bruits et par
les braillements. C’était une représentation sur le vif des enfants
du monde d’une part et des enfants de la lumière d’autre
part, la cité du diable et la cité de Dieu. Notre D. Bosco, pour
effacer la mauvaise impression que pouvait laisser dans l’esprit
des jeunes ce désordre, saisissait souvent l’occasion offerte ainsi
pour leur rappeler les paroles de l’Evangile : Le monde se
réjouira et vous serez dans la tristesse ; mais prenez courage, car
votre tristesse se changera en joie : Mundus gaudebit ; vos autem

63.3 Page 623

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609
contristabimini ; sed tristitia vestra vertetur in gaudium.
Mais il fallait faire cesser complètement ce désordre, et
Don Bosco s’y appliqua avec une ardeur totale. Il voyait les
dangers pour ses chers jeunes et connaissait aussi ceux qui
planeraient au-dessus de lui s’il avait cherché à empêcher les
réunions scandaleuses. Cependant sa vertu habituelle le rendait
imperturbable. Tout d’abord, il chercha à faire l’achat de cette
maison ; mais, puisque la propriétaire, madame Thérèse-Catherine
Novo, veuve Bellezza [voir * page 615], n’avait pas l’intention de
la vendre, on ne put rien faire. Alors il lui proposa de la pren-
dre en location ; mais le locataire qui y avait ouvert l’auberge
mal famée réclamait de la propriétaire des dommages et intérêts
fabuleux, en exigeant une indemnité épouvantable. Habitué à avoir
confiance dans les secours de la divine Providence et dans la
charité des bienfaiteurs, D. Bosco ne s’arrêtait pas à la grave
difficulté de cette nouvelle dépense. Cependant sur ces entrefai-
tes venait à mourir le régisseur de cet antre infernal ; et sa
femme, bien qu’elle fût plus honnête que lui, continuait à tenir
ouverte l’auberge.
D. Bosco commença à se lier d’amitié avec elle en la
saluant, puis en la priant de lui prêter quelques ustensiles de
cuisine, et à la fin en achetant chez elle de temps en temps
quelque plat de nourriture cuite, spécialement les dimanches et
les jours de fête. Cette femme acquit peu à peu une grande
estime pour D. Bosco qui, l’ayant un jour prise à part, lui de-
manda si elle pensait continuer pendant tout le temps de sa vie
à tenir une auberge et si elle n’avait pas déjà réfléchi au fait
que chaque jour apportait une augmentation continuelle de la
quantité de bois pour l’enfer, dans lequel elle tomberait.
La femme répondit : Je le sais, je le comprends ;
mais comment puis-je faire autrement pour vivre ?
— J’aurais un projet pour vous assurer une existence sans
remords.

63.4 Page 624

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610
Ecoutons ; car je serais bien contente de cesser ce métier.
Mon projet serait de reprendre à mon compte votre auber-
ge.
Il faut voir si madame Bellezza sera contente.
— Quant à cela je m’en occupe et je suis sûr qu’elle sera
satisfaite.
— S’il en est ainsi, ce que Vous dites est très bien ; mais
qu’est-ce que je ferai de tout le mobilier de l’auberge ? Les
bouteilles, les litres, les assiettes, les casseroles, les poêles, les
verres, les bancs, les tables, les tonneaux, les chaises, etc. ?
— J’achèterai aussi tout cela ; nous choisirons deux experts, et
je vous donnerai la somme qu’ils établiront.
— Mais j’ai encore à payer quelques mois de loyer !
Je paierai, moi !
Bien parlé : je considère l’affaire comme conclue.
Une fois faite l’expertise du mobilier de l’auberge, tout
fut généreusement payé. Lorsque maman Marguerite vit transpor-
ter dans sa maison des centaines de bouteilles vides de toutes
formes et [de toutes] valeurs, et des litres et des demi-litres, et
des baquets et des bancs et d’autres objets qui pour le moment
semblaient inutiles, elle s’écria : — Et qu’est-ce que j’en fais de
tant de bouchons, de petites tables de café, de cafetières, de
verres ?
Laissez faire, maman, répondait Don Bosco, chaque chose
sera opportune en temps et en lieu. Ce que nous faisons est
pour le mieux.
En attendant, la femme aubergiste continuait à occuper
quelques pièces et D. Bosco, craignant qu’elle ne changeât d’a-
vis et se retirât d’un contrat fait seulement oralement, lui fit
suggérer par quelques personnes en qui il avait confiance l’idée
que la prudence demandait de ne pas placer une confiance aveu-
gle dans la promesse de l’indemnisation assez considérable que
D. Bosco devait lui payer comptant, et que par conséquent on fît

63.5 Page 625

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611
rédiger par écrit deux lignes d’obligation. Et le contrat était si-
gné entre les deux parties, avec la condition que l’aubergiste
quittât les lieux.
Mais il n’est pas à dire comment les habitués de cette
auberge s’emportaient à cette nouvelle, et avec méchanceté ils en
dirent tant de vertes et de pas mûres contre les prêtres à cette
brave femme que peu de jours après elle vint en pleurant trou-
ver D. Bosco, en lui disant qu’elle avait été trompée. Je ne
sais pas où aller, criait-elle, rompons le contrat.
— Il n’y a pas lieu, lui répondait D. Bosco. Appliquez-vous à
vous chercher une autre habitation.
« A ce moment-là, nous raconta Jean Cagliero, j’entrai
par hasard dans l’arrière-sacristie et j’y trouvai D. Bosco, Buz-
zetti et une vieille femme que nous appelions la Jardinière. Elle
était en colère contre D. Bosco, parce qu’il lui avait fait quitter
les pièces de son auberge. D. Bosco lui répondait calmement
qu’il avait besoin de ces pièces parce qu’il voulait les occuper
comme classes de jeunes garçons externes. Tel était, en effet,
son premier projet. Alors la vieille, ayant pris l’aspect comme
d’une furie, hurla : Vous êtes un menteur ! D. Bosco lui ré-
pondit : Oh, malheureuse ! Une femme qui traite un prêtre de
menteur ! Buzzetti, Buzzetti ! conduis-la dehors, cette femme ! Et
je courus aussitôt pour lui présenter une chaise, parce que je le
vis pâlir et avoir besoin de s’asseoir, si grands étaient la violen-
ce et l’effort qu’il dut faire sur lui-même pour se dominer, et se
garder calme ». En effet, comme cette femme était rentrée en
elle-même peu de temps après, et revenue à des sentiments plus
doux, D. Bosco put lui enlever de l’esprit toute prévention qui
lui faisait penser qu’un tel contrat avait quelque chose d’odieux
pour elle, et il la persuada de chercher à Turin quelques pièces
pour son usage, en concluant : Je vous paierai le loyer de
trois mois ! Et il fit ainsi, et cette femme s’apaisa.

63.6 Page 626

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612
D. Bosco, ayant ainsi réglé l’affaire, alla aussitôt rendre
visite à la propriétaire qui habitait dans Turin, lui raconta tout
ce qu’il avait fait, et cette bonne chrétienne approuva. De cette
façon D. Bosco put se dire maître d’une moitié de cette maison.
Et l’on n’entendit plus résonner les blasphèmes et les grasses
chansons scandaleuses. D. Bosco loua immédiatement ces pièces
à des personnes calmes et de conscience timorée : mais, malgré
mille promesses précédentes, ces [personnes] ne pouvaient pas
payer le loyer ou abusaient à leur profit de la pitié compatissan-
te du prêtre, sachant qu’il n’aurait pas recours aux tribunaux. En
attendant, l’autre moitié de la maison, bien que plus tranquille,
continuait à être un repaire d’iniquité. Et D. Bosco se présenta
de nouveau à la propriétaire et lui demanda de bien vouloir
louer à lui seul tout ce bâtiment. La dame hésita. Elle ne trou-
vait pas son compte à accorder toutes ces pièces à un seul
locataire, en craignant que ne lui restât tout à coup vacante tou-
te la maison. Elle avait l’habitude de louer chaque pièce mois
par mois. D. Bosco lui proposa alors de rédiger un contrat de
location pour plusieurs années, et ainsi madame fut contente.
« L’immeuble, écrivit le notaire, se composait de deux
caves côté sud. Au rez-de-chaussée, trois pièces au sud, une au-
tre dans le couloir, deux autres côté nord. Au premier étage,
trois pièces côté sud, et trois autres côté nord. Au deuxième
étage, quatre pièces au sud et une autre dans le couloir et deux
au nord. Deux grandes tonnelles, toutes les deux en bon état,
soutenues par les poteaux respectifs, eux aussi en bon état ; et
une longue haie côté nord ». Le bail commençait avec le 1er oc-
tobre 1853 jusqu’à la fin de septembre 1856, moyennant la
somme annuelle de 950 lires. Il fut ensuite renouvelé pour trois
autres années du 1er octobre 1856 à fin septembre 1859 pour la
somme annuelle de 800 lires, avec la clause cependant que le
contrat fût résiliable d’année en année, avec un avis préalable de
trois mois avant l’échéance.

63.7 Page 627

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613
D. Bosco, dès qu’il eut pour lui toute cette maison, fit
partir les anciens locataires. Mais certains ne voulurent pas
quitter les lieux, tandis que d’autres allèrent s’installer ailleurs,
alléchés par de fortes gratifications. Ce fut une longue et coû-
teuse entreprise car par surcroît aucun ne voulut payer le loyer
arriéré qui lui était dû ; bien plus il y eut des gens qui en
vinrent à des insultes, à des menaces et même à des attentats à
sa vie, comme nous le dirons. Toutefois, il ne regardait pas aux
sacrifices plutôt que de renoncer à l’action de prémunir ses fils.
Après avoir fait débarrasser ces pièces, D. Bosco dut mettre
la main aux réparations et au nettoyage de ces locaux (1), ne
songeant pas à faire d’autres dépenses ; et il y plaça aussitôt de
nouveaux locataires en qui il avait confiance, pour s’assurer qu’il
n’aurait désormais à côté de lui aucun voisin dangereux. Il dési-
—————
(1)
Turin, 8 Février 1854.
Très ill[ustre] Monsieur,
Pour régler les comptes avec Madame Veuve Bellezza il y a une
certaine différence qui provient des travaux que j’ai fait exécuter, avec
le consentement de ladite Madame [Bellezza], dans sa maison de la Jar-
dinière. Les travaux effectués sont indispensables afin qu’on puisse se
servir du local, toutefois j’en assume la moitié de la dépense.
Pour cela, je prie V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] de bien vouloir
interposer votre bienveillante influence, et faire constater la nécessité de
ces travaux, m’en remettant même au jugement d’une personne experte.
Je Vous envoie ci-inclus la somme de 311,70 fr[ancs] qui joints aux
dépenses, comme on le voit sur la note, faites pour le vitrier, le badi-
geonneur, le maître maçon entrepreneur, font le montant de 475 fr[ancs], le
loyer du semestre.
Rempli de confiance dans votre bonté connue par expérience, je me
dis avec la plus grande considération
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
Très obl[igé] Serviteur
BOSCO J[ean] Pr[être].
A M. Vincent Baldvoli notaire.

63.8 Page 628

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614
rait cependant, comme c’était juste, retirer de cette maison la
somme nécessaire pour payer la propriétaire. Ne voulant pas se
mettre lui-même personnellement à discuter pour les loyers, il
plaça à la tête de cette affaire qui dépendait de lui un certain
Mar…, en établissant la convention que ce dernier prendrait soin
d’encaisser les loyers, et pour son dérangement il recevrait dix
pour cent sur les sommes encaissées. Mais l’ami empochait et
gardait tout pour lui. En vain D. Bosco l’invitait à lui verser les
sommes dues, en vain il le faisait appeler pour qu’il rendît les
comptes. Tantôt avec un prétexte, tantôt avec un autre, son agent
temporisait toujours. L’affaire alla ainsi pendant quatre bonnes
années, sans que D. Bosco retirât un centime des locataires.
Finalement D. Bosco, l’ayant mis au pied du mur au moyen
d’une sommation résolue, Mar…, qui habitait dans cette même
maison, répondit : — Si Vous voulez, je m’en vais ! Et il
lui remit les clefs, et s’en alla sans restituer le moindre argent à
D. Bosco, à qui il revenait de payer tout le loyer à madame
Bellezza.
L’argent que D. Bosco dut dépenser à cause de la
Jardinière, tout compte fait, dépassa la somme de 20 000 lires ;
cependant, bien que dépourvu de tout, il eut le nécessaire en des
manières toujours providentielles.
Finalement la dame le tira de ce lourd embarras en
venant elle-même habiter dans cette maison. Il est vrai qu’en
raison de son naturel exigeant D. Bosco eut à soutenir beaucoup
de procès et de sommations par voie d’huissier, car il partageait
avec elle des limites de terrain ; mais cela n’était rien à côté des
événements du passé avec les anciens locataires. Toutefois D. Bosco
chercha à acheter cette maison, mais inutilement parce que la
propriétaire ne voulut pas entendre parler de vendre. Ses fils
cependant, étant favorables à cette vente, après la mort de
leur mère en 1883, passèrent le contrat le 22 février 1884 pour
110 000 lires avec D. Bosco, qui resta finalement propriétaire de
la maison et de tout le domaine annexe, doublant presque ainsi
l’espace de l’Oratoire.

63.9 Page 629

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615
De cette façon il avait détruit le second bastion du
diable, qui s’élevait près de la maison du Seigneur, il avait tari
la mauvaise source d’où s’écoulait l’iniquité sur ces alentours, et
il était devenu le maître absolu du territoire ennemi. Aujourd’hui
en ces lieux mêmes, où Dieu par le passé eut à recevoir tant
d’offenses, s’élèvent vers le Ciel des prières et des chants de
gloire.
—————
* Veuve Bellezza : d’aucuns pourraient s’étonner de la rencontrer
ailleurs avec le prénom Marie (voir, par exemple, page 246).
—————

63.10 Page 630

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616
CHAPITRE LIII
Un père protestant et sa famille ferme dans la foi Conver-
sion d’un jeune homme vaudois Le Diodati, un intrus dans
les écoles D. Bosco à S[ant]Ignazio et à Villastellone Faits
Contemporains présentés sous forme de dialogue Les colères
des protestants Les discussions Séduction et menaces Pro-
jets d’une maison Rosminienne près de l’Oratoire.
Tandis que D. Bosco s’employait de toutes ses forces
pour détruire l’auberge de la Jardinière, la Divine Bonté le
récompensait au moyen des consolations qu’il avait le plus
désirées.
Un certain M[onsieur] L… était compté parmi les meil-
leurs commerçants de la ville de Turin. Il avait une très bonne
épouse, une excellente fille et un fils, prénommé Louis, âgé
d’environ 14 ans, de bel aspect, docile et obéissant. Cependant
c’était un homme qui se livrait à la débauche, conduisait tou-
jours chez lui de mauvaises gens, ce qui était cause de graves
désaccords avec son épouse. Tout l’argent qu’il gagnait était
dépensé à jouer, à manger et à boire. S’il avait de l’argent, il
était toujours soûl ; s’il n’en avait pas, il faisait le fou et battait
les personnes de sa maison. Il avait fait beaucoup de dettes, et
ne savait pas comment les payer ni de quel côté se tourner. Son
commerce allait mal, de sorte que très vite il se trouva dans la

64 Pages 631-640

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64.1 Page 631

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617
misère. Quelques bonnes personnes lui conseillèrent d’avoir re-
cours au curé et aux œuvres de bienfaisance ; mais il repoussa
dédaigneusement cette proposition. Il n’avait jamais été de ceux
qui approchent les prêtres et il ne se sentait pas le courage de
tendre la main et de demander l’aumône.
Finalement un ami perfide, connaissant son cas, lui dit
que chez les protestants il trouverait une grande charité fraternel-
le et qu’il suffisait d’assister à leurs sermons et de leur donner
son nom pour être secouru, sans humiliations. Ainsi fit ce mal-
heureux marchand ; il écouta les sermons des protestants et, leur
argent l’aidant à reconnaître l’intérêt de cette religion, il n’hésita
pas à donner son nom à cette dernière et c’est ainsi qu’il com-
mença à être protestant. A partir de ce moment-là, le nécessaire
pour sa famille ne lui manqua plus.
Un beau jour cependant le pasteur protestant le fit
appeler et lui dit : — Brave citoyen, je dois vous avertir d’une
chose, et c’est que nous ne pouvons plus donner de subsides à
ceux qui appartiennent à notre église, si également leur famille
n’y est pas inscrite ; c’est pourquoi tant que votre épouse, votre
fille, votre fils ne deviendront pas, eux aussi, protestants, je dois
suspendre la quantité d’argent que je vous donnais à la fin de
chaque semaine.
Le marchand accepta et, convaincu que son épouse ne
ferait aucune difficulté pour embrasser la religion de son mari, il
rentra à la maison, rassembla sa famille et fit sa proposition.
L’épouse ne put contenir son indignation et, en appelant
son mari un apostat, un traître à sa religion, elle dit pour
conclure qu’elle se laisserait plutôt dépecer que de devenir
protestante.
Le mari, monté sur ses grands chevaux, cria qu’il avait
établi que toute la famille embrasserait la religion de la Réfor-
me, qu’il appelait, lui, la sainte réformée.

64.2 Page 632

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618
Comment ! lui répondit l’épouse : cette religion qui se glo-
rifie d’avoir un homme de votre espèce, moi, je l’appelle non
pas religion réformée, mais je l’appelle religion des ivrognes !
Que n’eût-elle jamais parlé ainsi, cette pauvre femme !
Le mari prit en main un bâton et au premier coup il l’étendit
par terre comme morte. Elle ne poussa pas un cri, n’émit pas une
plainte. Mais le fils Louis cria : Papa, papa, que voulez-vous
faire ? Voulez-vous tuer ma maman ? Il avait à peine proféré
ces mots qu’un violent coup de pied le poussa jusqu’au-dehors
de la porte d’entrée. Pendant ce jour-là, le mari resta dans cet
état de fureur. L’épouse revint à elle, mais résolue à ne pas
renier sa religion. Elle supportait cependant, tant que cela resta
possible, les manières de son mari brutal. Chaque jour il y avait
de nouvelles scènes d’enfer.
Un soir il vint chez lui ivre, tandis que la famille avait
passé tout le jour avec un peu de pain ; c’était après minuit et il
amenait avec lui plusieurs autres personnes habituées à se don-
ner du bon temps, dont l’un jouait de l’orgue de Barbarie.
Allez, debout, dit-il d’une voix forte, levez-vous tous, c’est
le moment de danser et non de dormir.
L’épouse allégua que l’heure était avancée, qu’elle-même
était quelque peu malade, et qu’une semblable chose les tour-
nerait en ridicule auprès des voisins. Tout cela en vain. Il fallut
se lever du lit, faire lever les autres et se mettre à danser. Nul
ne peut s’imaginer le dégoût que causa à toute la famille une
pareille démence. En raison de toutes ces folies, jointes à une
continuelle menace de coups et de mort si elle n’embrassait pas
la religion protestante, l’épouse s’enfuit de la maison et la fille
la suivit. Toutes les deux se mirent à servir dans une famille,
préférant s’exposer à subir n’importe quel mal plutôt que de
vivre en risquant de perdre l’honneur et la religion.
Ainsi ce marchand resta seul chez lui avec son fils
Louis, qu’il conduisait chaque semaine au sermon des protestants.

64.3 Page 633

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619
Tout d’abord Louis pleurait, en disant ne vouloir absolument pas
continuer, puis il s’apaisa et il semblait qu’il n’y allait pas de
mauvais gré. Finalement le père lui demanda s’il était décidé à
devenir, lui aussi, protestant, en lui faisant observer qu’avec ce
moyen il se procurerait un morceau de pain.
Louis se mit à rire et rien de plus. Le père, supposant
que ce rire était le signe d’une réponse affirmative, avertit le
pasteur protestant que le lendemain son fils renoncerait au
Catholicisme et se ferait inscrire sur ses listes. Mais Louis avait
médité d’autres projets. Il avait reçu une éducation de sa sage
mère et de sa sœur, et des conseils de D. Bosco : c’est
pourquoi, lorsque le père entra chez lui pour le conduire au
temple, il ne le trouva plus. Sans dire un mot à quiconque, il
s’était enfui de la maison, en laissant écrit sur un morceau de
papier : Plutôt la mort que devenir protestant.
Imaginez dans quelles fureurs le père entra en se voyant
ainsi raillé. En réfléchissant au déshonneur et aux moqueries
auxquels il était exposé auprès de ses compagnons, il se mit à
chercher son fils de tous les côtés, afin de réussir à obtenir ce
qui pour lui était un point d’honneur ; mais heureusement il ne
lui fut pas donné de le trouver.
Où s’était-il enfui ? A l’Oratoire S[aint]-François de Sales
chez D. Bosco. Là, durant les premières semaines, il resta
presque caché ; puis il s’était mis avec les compagnons qui
commençaient à parler de cet événement : alors Don Bosco
recommanda une plus grande précaution à Louis et la discrétion
aux autres. Ayant appris plus tard que le père continuait
obstinément dans ses recherches, il l’éloigna pendant quelque
temps en l’envoyant dans un lieu sûr. Finalement, tout danger
ayant disparu, on put le rappeler et vivre tranquille.
Peu de temps s’étant écoulé, les compagnons conduisaient à
D. Bosco un jeune homme de dix-sept ans, protestant vaudois de
naissance, qui, ayant une belle intelligence et ayant suivi avec
profit les cours, avait étudié la Bible et lu de nombreux livres

64.4 Page 634

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620
hostiles au Catholicisme et il avait été imprégné de leurs préju-
gés. Cependant son cœur noble et généreux se sentit attirer par
la bonté de D. Bosco. Ayant eu avec lui quelques entretiens, il
sentit que disparaissait toute aversion contre la véritable Eglise
de Jésus Christ. C’est pourquoi, s’étant fait expliquer tous les
points de doute que lui avaient présentés les pasteurs, après
avoir surmonté beaucoup de difficultés de la part de ses parents,
il abjura enfin ses erreurs et devint catholique. Ceux de sa
maison, indignés, le chassèrent de la famille ; mais il resta fer-
me dans la foi. D. Bosco lui donna l’hospitalité à l’Oratoire, et
le jeune apprit un métier et grâce à son travail il put gagner
honnêtement son pain pour vivre.
Après ces deux pertes, c’est un échec humiliant plus
grand qu’eurent à essuyer les protestants et ceux qui suivaient
leur parti. Avec des ruses sataniques ils avaient essayé d’instiller
leur poison dans les esprits des écoliers catholiques.
La Commission chargée de contrôler les livres d’étude de
textes en usage dans les écoles publiques trouvant que la tra-
duction des Récits d’Histoire Sainte du Chanoine Schmid n’était
pas dans une langue de bonne qualité, en avait procuré une
nouvelle édition, qui fut faite à Gênes. Mais dans celle-ci on
avait employé la version de l’hérétique Diodati pour tous les
textes que le Chanoine Schmid avait tiré de la Bible. Les
Evêques, ayant découvert cette fraude, en avertirent les fidèles ;
et ensuite le Ministre Lanza interdit lui-même l’usage de cette
édition dans les écoles.
Entre-temps D. Bosco, lui qui faisait prêcher chaque
année la retraite spirituelle à ses jeunes pour les enflammer de
plus en plus dans la piété et dans l’amour de Dieu, se rendait à
S[ant]Ignazio. M. Spinardi Pascal nous écrivit :
« Je fis encore la retraite spirituelle au Sanctuaire de Sant’Ignazio
près de Lanzo Torinese, et au repas j’étais, quant à moi, à la
table de D. Bosco, chargé par les supérieurs de maintenir le bon

64.5 Page 635

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621
ordre et la sobriété. Pendant ces dix jours saints, D. Bosco était
notre Lumen Christi [Lumière du Christ]. L’après-midi, nous allions
faire la récréation dans les prés, au-dessous du Sanctuaire, mais
nous ne pouvions pas passer au-delà des trois maisons situées à
la limite de ces [prés]. D. Bosco étant assis sur l’herbe, alors
verdoyante, nous faisions tous un cercle autour de lui, en écou-
tant d’excellents exemples, de très sages maximes ».
Depuis S[ant]Ignazio il surveillait toujours son Oratoire
et c’était la solide conviction non seulement des jeunes gens
mais aussi des jeunes abbés qu’à ce moment-là il faisait diverses
visites à la Communauté, et qu’il voyait, bien que sa personne
en fût éloignée, tout ce qui se produisait en elle. En effet, par-
venaient des billets de D. Bosco qui avertissaient d’un désordre
qui était arrivé, comme par ex[emple] à propos de certains qui,
au lieu de réciter le soir les prières avec leurs compagnons, s’é-
taient tenus à l’écart pour jouer et, entre le moment où le fait
s’était produit et l’arrivée de cet avertissement, il n’était pas
possible que D. Bosco en eût reçu d’une quelconque façon un
compte rendu venu de Turin.
Une fois revenu en ville, il faisait distribuer, pour le
mois d’août, aux abonnés des Lectures Catholiques une nouvelle
brochure sortie de sa plume, intitulée : Faits contemporains pré-
sentés sous forme de dialogues. Il la commençait ainsi :
« Au Lecteur. La matière contenue dans ce numéro consiste
en des faits historiques que j’ai vus moi-même ou qui furent
rapportés par des personnes qui en furent des témoins oculaires.
Je n’ai pas fait autre chose que les présenter sous forme de
dialogue.
Pour des motifs raisonnables j’ai jugé bon d’omettre les noms
de certaines personnes auxquelles ils se rapportent.
Je prie fortement les pères et les mères de famille de faire li-
re et d’expliquer à leur progéniture ces faits qui pourront servir
de règle pour agir et de moyen de protection dans les circons-
tances critiques dans lesquelles la jeunesse imprudente se trouve
en ces temps orageux. »

64.6 Page 636

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622
Il y avait sept dialogues : Un pasteur protestant qui
allèche avec de l’argent un malheureux pour lui faire abandonner
l’Eglise Catholique ; un apostat qui raconte à un bon ami les
causes de sa corruption ; un homme qui s’est repenti et qui
relate les motifs de son retour au Catholicisme, spécialement à
cause de la lecture des Avis aux Catholiques et pour les
explications entendues auprès d’un bon Prêtre sur le dogme du
Sacrement de la pénitence ; un malade gravement atteint qui,
après avoir en vain demandé à son pasteur les secours religieux
pour bien mourir, fait appeler un prêtre, son ancien confesseur ;
un mourant qui, troublé par les remords, supplie le Pasteur pro-
testant de lui permettre l’assistance d’un prêtre catholique, et
meurt, abandonné de façon barbare, sans Sacrements ; enfin une
mère qui se lamente auprès d’un prêtre à cause du changement
de conduite de son fils : il était auparavant un excellent chré-
tien ; rencontre du fils susdit, qui a été trompé par la lecture de
mauvais livres et s’est inscrit à une société impie d’ouvriers,
avec le prêtre qui avait été son ami intime depuis l’enfance, et
son repentir émouvant.
Ayant complètement terminé ce petit ouvrage et remis à
l’imprimeur celui du mois suivant, il écrivait comme suit à son
professeur le Théol[ogien] Appendino [= Appendini] à Villastel-
lone :
« Direction centrale des Lectures Catholiques.
Turin, 21 Août 1853.
Très ch[er] Monsieur le Théologien,
Donc nous sommes aux frais de V[otre] S[eigneurie] très ch[ère].
Demain par le train à vapeur de 10 heures je suis chez Vous
ayant un tout jeune abbé pour secrétaire, dans un double but :
pour faire un bon somme et pour écrire ; car je suis surchargé
de travail et à bout de forces.

64.7 Page 637

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623
Supportez ce dérangement in nomine Domini [au nom du
Seigneur] et le Seigneur Vous en donnera une récompense. Je
Vous salue avec toute l’effusion de cœur et croyez-moi
De V[otre] S[eigneurie] Très ch[ère]
Elève très obl[igé]
BOSCO J[ean] Pr[être].
Chef des Garnements.
Mes salutations à votre respectable sœur. »
D. Bosco avait besoin de vivre quelques jours tranquille.
Il avait terminé les douze premiers numéros des Lectures Catho-
liques, et, de ces [numéros], environ 120 000 exemplaires avaient
été répandus parmi les [gens du] peuple et lus avec avidité au
fur et à mesure qu’ils paraissaient. Ils furent contre les protes-
tants ce que sont dans un combat les canons chargés à mitraille.
Il en résulta que les colères se déchaînèrent comme un incendie.
Les [protestants] essayèrent de les combattre dans les journaux et
avec les Lectures Evangéliques ; mais il était impossible de lut-
ter contre la vérité, et avec la simplicité de style et la clarté
incomparables de D. Bosco ; c’est pourquoi auprès de leurs
adeptes ils faisaient une très mauvaise figure.
Alors dans l’intention de faire renoncer D. Bosco à son
activité, ils s’accrochèrent à la discussion avec lui, persuadés du
fait qu’en tête à tête ou bien ils le convaincraient ou bien ils le
couvriraient de honte. Les prosélytes eux-mêmes, aussi orgueilleux
qu’ignorants, croyaient qu’aucun prêtre catholique ne pouvait
résister à leurs arguments. Ils se mirent donc à se rendre à
l’Oratoire tantôt par deux tantôt à plusieurs ensemble, pour
entamer des débats religieux. En général leurs discussions
consistaient à crier fort et à sauter de question en question sans
jamais parvenir au terme de chacune. Lui, d’autre part, ne
laissait jamais voir qu’il était fatigué d’eux ; mais il les rece-
vait chaque fois aimablement ; il en écoutait avec beaucoup de

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624
patience et de calme les difficultés et les énormités, et ensuite il
leur répondait avec des arguments assez clairs et forts pour les
mettre le dos au mur, comme on dit. Dans ce but, il restait
surtout attentif à ne pas les laisser sauter du coq à l’âne, d’un
sujet à un autre, comme cherchent à faire les hérétiques dans les
discussions avec les Catholiques ; mais il les obligeait à rester
sur la question tant qu’elle n’était pas pleinement épuisée, en
leur faisant, pour ainsi dire, mettre la main sur la vérité ou sur
l’erreur. Certains, qui étaient dignes d’estime, allaient même jus-
qu’à se rétracter ; d’autres, ne sachant pas quoi répondre, et ne
voulant pas se donner pour vaincus, se répandaient en piailleries et en
grossièretés, auxquelles D. Bosco se contentait d’ajouter : « Mes
chers amis, les cris et les injures ne sont pas des arguments » ;
et ainsi il les renvoyait tout confus. Il leur demandait vivement
aussi d’exposer les difficultés à leurs pasteurs et ensuite d’avoir
envers lui l’amabilité de lui communiquer la solution apportée.
Au cours d’une de ces séances, un interlocuteur, nommé
Pugno, avouant ne pas savoir tenir tête à Don Bosco, conclut :
« Nous, nous ne savons pas répondre, parce que nous n’avons
pas suffisamment étudié ; mais si notre Pasteur était ici ! Il est
un puits de science ; et avec deux mots il fait taire tous les
Prêtres ». Ce à quoi D. Bosco ajoutait : « Rendez-moi donc un
service ; demandez-lui qu’une autre fois il vienne lui aussi avec
vous. Dites-lui que je l’attends avec un vif désir ». La com-
mission fut faite, et voici qu’un beau jour se présente à
l’Oratoire le pasteur Meille accompagné de deux autres prin-
cipaux Vaudois qui résidaient à Turin. Après les habituelles
salutations de bonne éducation, on commença la discussion qui
dura de onze heures du matin jusqu’à six heures du soir. Il
serait trop long de relater ici tout ce qui fut dit en cette
circonstance ; mais il est bon de faire une mention particulière
d’un fait. Le débat, après avoir porté sur l’authenticité de l’Ecri-
ture Sainte, sur la tradition, sur la primauté de S[aint] Pierre et

64.9 Page 639

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625
de ses Successeurs, et sur la Confession, était finalement tombé
sur le dogme du Purgatoire. D. Bosco avait prouvé cette vérité
de foi par la raison, par l’histoire, avec l’Ecriture [Sainte] de
l’ancien Testament et aussi avec l’Evangile, en se servant au
besoin du texte latin et de la traduction italienne. Ces
conversations furent ensuite mises par écrit par D. Bosco, et
parurent dans les numéros des Lectures Catholiques dans les
premières années de leur publication. — Eh bien, l’un des
contradicteurs, ne voulant pas se rendre, dit : « Le texte latin et
[le texte] italien ne suffisent pas ; il faut aller à la source
authentique : il faut consulter le texte grec ». A ces mots D. Bosco
saisit aussitôt une Sainte Bible publiée en grec et dit à ce
[personnage] : « Voici, voici, monsieur, le texte grec ; consultez
donc et Vous y trouverez le plein accord avec le texte latin et
[le texte] italien ». Ce pauvre homme, qui savait moins le grec
que le chinois, n’osant pas avouer son ignorance, prit le livre
avec une grande suffisance, et se mit à le feuilleter d’un bout à
l’autre, en faisant semblant de chercher le passage en question.
Allons donc ? Le hasard voulut qu’il prît le livre la tête en bas.
D. Bosco, qui s’en était aperçu, le laissa feuilleter pendant un
bon bout de temps, et ensuite s’étant approché de lui, il lui dit :
« Excusez, mon ami, Vous ne trouvez pas la citation parce que
Vous tenez le livre à l’envers : tournez-le ainsi », et il le lui mit
en main dans le sens voulu. Il est plus facile d’imaginer que de
dire la manière dont ce [personnage] abandonnait sa recherche.
Devenu rouge de figure comme une écrevisse cuite, il jeta le
livre sur la table ; et ainsi fut terminée la discussion. Vint aussi
lui rendre visite Amédée Bert pour obtenir de lui qu’il cessât de
s’exprimer au moyen de ses petits entretiens et de les publier :
cette activité poussait les protestants à la plus grande rage ; mais
il ne réussit pas.
A partir de ces essais et d’autres semblables les Pro-
testants s’aperçurent que, par la persuasion, c’était en vain et
dans l’illusion qu’ils espéraient faire renoncer D. Bosco à ses
publications contre leur secte. C’est pourquoi ils décidèrent d’a-

64.10 Page 640

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626
voir recours à un autre moyen, qu’ils croyaient plus efficace ;
c’est-à-dire qu’ils eurent recours à la vénalité et ensuite aux
menaces. Donc, c’était un dimanche matin du mois d’août 1853
que vers 11 heures, se présentèrent à l’Internat deux messieurs
en demandant à parler avec D. Bosco. Bien que fatigué pour
avoir quelques instants auparavant dit la Messe et prêché, il les
fit aussitôt aller dans sa chambre, se tenant prêt à leurs ordres.
Entre-temps, en raison d’une sinistre impression que produisaient
ces deux inconnus, plusieurs jeunes internes, parmi lesquels
Joseph Buzzetti, ne purent s’empêcher de monter la garde à la
porte de Don Bosco. Après les premières politesses, un de ces
messieurs, qui était peut-être un pasteur vaudois, se mit à dire
ceci :
Le Pasteur. Vous, m[onsieur] le Théologien, Vous avez
hérité de la nature un grand don, à savoir celui de Vous faire
comprendre et de Vous faire lire par les [gens du] peuple : c’est
pourquoi nous sommes là pour Vous prier de bien vouloir
employer ce précieux talent en des choses utiles à la science,
aux arts, au commerce.
D. Bosco. — A vrai dire, selon mes faibles forces, j’ai fait
jusqu’ici ce que vous me suggérez ; j’ai publié un résumé
d’Histoire Sainte, [un résumé] d’Histoire de l’Eglise, une petite
brochure sur le Système métrique décimal et plusieurs autres
petits ouvrages, et l’approbation, avec laquelle ils furent accueil-
lis, me fait déduire qu’ils ne furent pas inutiles. A présent ma
pensée est tournée vers les Lectures Catholiques, dont j’ai l’in-
tention de m’occuper de tout mon cœur, parce que je les juge
justement d’un très grand avantage pour la jeunesse et pour les
[gens du] peuple.
Le P[asteur]. Vous devriez et cela vaudrait beaucoup mieux
Vous appliquer à composer quelques petits ouvrages pour les
écoles, comme par ex[emple] un livre d’histoire ancienne, un pe-
tit traité de géographie [ou] de physique [ou] de géométrie, mais
pas les Lectures Catholiques.
D. B[osco]. Et pourquoi pas ces Lectures ?
Le P[asteur]. — Parce que la matière, que l’on y traite, est une
matière déjà servie et resservie tant de fois et par beaucoup.

65 Pages 641-650

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65.1 Page 641

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627
D. B[osco]. — C’est vrai ; cette matière fut déjà traitée par
beaucoup, mais en de gros volumes d’érudition, qui vont bien
pour les savants, mais pas pour le bas peuple qu’à dessein cher-
chent à atteindre les plaquettes, petites et simples, des Lectures
Catholiques.
Le P[asteur]. Mais ce travail ne Vous apporte aucun avanta-
ge ; au contraire, si Vous Vous occupiez des ouvrages que nous
Vous proposons, Vous procureriez même un bien matériel à la
merveilleuse Institution que la Divine Providence Vous a con-
fiée. Prenez donc : il y a ici une offrande (c’étaient 4 billets de
mille francs), et elle ne sera pas la dernière ; car nous Vous
promettons que Vous en aurez d’autres et même plus fortes.
D. B[osco]. — Pour quelle raison tant d’argent ?
Le P[asteur]. Pour entreprendre les ouvrages proposés, et
pour aider cette Institution que Vous dirigez et dont on ne fera
jamais assez l’éloge.
D. B[osco]. — Que Vos Seigneuries m’excusent si je rends cet
argent qu’elles m’offrent. Pour le moment je ne peux pas
m’occuper d’autre travail scientifique, en dehors de celui qui
concerne les Lectures Catholiques.
Le P[asteur]. Mais si celui-ci est un travail inutile.
D. B[osco]. — S’il est un travail inutile, que vous importe ?
S’il est un travail inutile, à quoi bon cette somme pour l’em-
pêcher ?
Le P[asteur]. V[otre] S[eigneurie] ne fait pas attention à
l’action qu’elle accomplit ; par ce refus Vous causez un grand
tort à votre Institution, et Vous exposez votre personne à
certaines conséquences, à certains dangers…
D. B[osco]. — Messieurs, je comprends ce qu’avec ces paroles
vous voulez m’exprimer ; mais je vous déclare tout net que par
amour de la vérité je ne crains personne. En devenant Prêtre je
me suis voué au bien de l’Eglise Catholique et au salut des
âmes, en particulier de la jeunesse. C’est dans ce but que j’ai
commencé et entends continuer la publication des Lectures
Catholiques, et l’encourager de toutes mes forces.

65.2 Page 642

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628
Le P[asteur]. Vous faites mal, ajoutèrent en se mettant de-
bout ces deux êtres au sinistre visage, ayant la voix et la mine
altérées. Vous faites mal, et Vous nous offensez. Et donc qui
sait ce qu’il en sera de Vous ?… Si Vous sortiez de chez Vous,
seriez-Vous alors sûr d’y rentrer ?
Ces deux misérables prononcèrent ces paroles avec un
ton si menaçant que les jeunes, qui se tenaient de garde et
avaient entendu toute cette conversation, eurent peur de les
trouver en train de faire du mal à D. Bosco et ils remuèrent la
porte pour faire comprendre qu’il y avait des personnes prêtes à
entrer au premier signe. Mais notre bon père, nullement frappé
de terreur, répondit à ces deux-là et dit : « Je vois bien que
V[os] S[eigneuries] ne connaissent pas les Prêtres catholiques ;
parce qu’autrement vous ne vous abaisseriez pas à ces menaces.
Sachez donc que les Prêtres de l’Eglise Catholique, tant qu’ils
sont en vie, travaillent volontiers pour Dieu ; et si jamais dans
l’accomplissement de leur devoir ils devaient en succomber, ils
regarderaient la mort comme la plus grande des chances, com-
me la plus haute gloire. Cessez donc vos menaces, car, moi, je
m’en ris ».
Ces deux hérétiques parurent si irrités par ces paroles
courageuses de D. Bosco que, s’étant rapprochés davantage de
lui, ils étaient sur le point de porter la main sur lui. A cette
vue, il prit prudemment la chaise en main, et ajouta : « Si je
voulais employer la force, je me sentirais bien capable de vous
faire expérimenter combien coûte cher la violation du domicile
d’un libre citoyen ; mais non ; la force du Prêtre réside dans la
patience et dans le pardon ; mais il est temps d’en finir. Partez
donc d’ici ». En parlant ainsi, et ayant fait un demi-tour autour
de la chaise qu’il tenait en main en s’en servant comme d’un
bouclier, il ouvrit la porte de la chambre, et ayant vu le jeune
Joseph Buzzetti, il lui dit : « Conduis ces deux messieurs jusqu’à
la grille ; ils n’ont guère l’habitude de l’escalier ».
A cette injonction les deux se regardèrent l’un l’autre

65.3 Page 643

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629
et, en disant à D. Bosco : « Nous nous reverrons dans un
moment plus opportun », ils s’éloignèrent, le visage enflammé et
les yeux étincelants de mépris.
Et non moins indignés, et à juste titre, étaient les jeu-
nes de l’Internat, qui, accourus aux bravades de ces deux
hommes de main, avaient entendu les menaces faites à D. Bos-
co. Si jamais [ceux-là] avaient eu la hardiesse de se laisser aller
à des voies de fait, ils auraient eu eux aussi le droit, et ils se
seraient sentis suffisamment en force pour montrer quel grand
amour habitait leur cœur quand il s’agissait de défendre leur pè-
re commun.
La hardiesse des hérétiques contre D. Bosco parve-
nait au point de constituer une menace en raison de ceci :
l’Oratoire était isolé au milieu des champs, et au cours de la
journée il était presque désert, puisque les étudiants et les
apprentis se trouvaient en ville [les uns] dans leurs écoles et [les
autres dans] leurs ateliers. D. Bosco, sachant qu’aux menaces
succéderaient les faits, pensait également qu’il convenait d’avoir
dans les alentours quelque bâtiment qui lui servît comme
d’avant-poste avec ses locataires. Son souhait était une autre
maison religieuse. L’unique Congrégation qui aurait pu favoriser
en ces tristes jours son projet, avec l’assurance d’une stabilité,
était celle des Rosminiens. Il en avait parlé avec l’Abbé Rosmi-
ni : on avait conclu un accord de principe. Rosmini achèterait un
terrain proche de l’Oratoire à Valdocco. Là il construirait un
bâtiment spacieux, demeure stable d’une famille de ses religieux.
Ces prêtres donneraient un coup de main à D. Bosco pour les
confessions, pour la prédication et pour faire progresser l’œuvre
des Oratoires.
La prise en considération de ce projet et un courrier
reçu conseillaient à D. Bosco la lettre suivante :

65.4 Page 644

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630
« Direction centrale des Lectures Catholiques.
Turin, 29 août 1853.
Très ch[er] D. Gilardi,
J’ai reçu la lettre de V[otre] S[eigneurie] Très ch[ère] que Vous
m’avez écrite relativement à l’affaire d’un emplacement à ven-
dre, et je me réjouis beaucoup de la venue du Père Général à
Turin ; ainsi j’espère avoir le plaisir de lui parler et de le voir.
Cependant comme j’ai plusieurs demandes de diverses personnes
qui désirent faire l’achat d’une partie de cet emplacement, ainsi
j’aurais besoin que Vous puissiez me dire circum circiter [à peu
de choses près] à quel moment le susdit Père Général sera à
Turin ; auquel cas je pourrai différer la conclusion de tout con-
trat partiel jusqu’à la décision, affirmative ou négative, du très
vén[éré] M. l’Abbé Rosmini.
Si Vous pouvez me donner une réponse à ce sujet, Vous me
rendez un fier service et je dirai à S[aint] François de Sales de
Vous vouloir beaucoup de bien. Aimez-moi dans le Seigneur et
croyez-moi de V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très ch[ère]
Très affect[ionné] serviteur
(le Garnement) BOSCO J[ean] Pr[être] ».
L’Abbé Rosmini ne tardait pas à arriver à Turin et,
après s’être entendu avec D. Bosco, car il espérait retirer de ce
projet un grand avantage spirituel, il revenait à Stresa en laissant
à D. Bosco un prêt de 3 000 lires à court terme. Il avait été
témoin de la gêne dans laquelle il se trouvait et il l’aidait en ce
qu’il pouvait. Cela ressort clairement des deux lettres suivantes.

65.5 Page 645

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« Direction centrale des Lectures Catholiques.
Au Très ill[ustre] et Très rév[érend] M. l’Ab[] Antoine Rosmini
Stresa.
Turin, 15 octobre 1853.
Très ill[ustre] et Très rév[érend] Monsieur,
Les ventes de l’emplacement que je considérais accomplies
tombèrent toutes à l’eau ; les acheteurs qui m’avaient fait la
demande ne se présentèrent plus.
C’est pour cela que je prie V[otre] S[eigneurie] Très Ill[us-
tre] de me donner une prolongation pour le paiement de la
somme que dans votre bonté Vous m’avez prêtée lors de la belle
circonstance où Vous fûtes ici à Turin ; la prolongation serait de
quatre mois, bien entendu que je Vous la verserai avec l’intérêt
légal. Au cas où cependant, dans la réalisation de vos affaires,
Vous auriez besoin d’encaisser cette somme je ferais en sorte de
Vous la faire avoir aussitôt, ou quand Vous me le direz.
Convaincu d’obtenir cette faveur et sûr de votre bonté à mon
égard, je Vous souhaite tout bien venant du Seigneur, et me
recommande de tout cœur à vos saintes prières en me disant
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
Très obl[igé] serviteur
BOSCO J[ean] Pr[être]. [»]
La réponse ne tardait pas.
Stresa, 18 octobre 1853.
[«] Très vénéré et Très cher D. Jean,
En réponse à votre respectable [lettre] du 15 de ce mois, mon
Supérieur D. Antoine Rosmini me presse de Vous écrire qu’il
Vous accorde volontiers la prolongation de quatre autres mois

65.6 Page 646

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632
pour le paiement des 3 000 lires qu’il Vous a prêtées, selon la
modalité avec laquelle Vous en faites la demande dans votre
lettre susdite : il Vous fait savoir cependant que pour cette
échéance il tient pour sûr et certain le remboursement de ladite
somme.
Voilà donc le message de mon Supérieur susdit qui affectueu-
sement Vous présente ses respects et avec moi se recommande à
vos prières. Et avec les sentiments de parfaite estime et de
sincère vénération, je m’honore de me déclarer
De V[otre] S[eigneurie] Très Révérende
Très humble, très dévoué serviteur
CHARLES GILARDI Prêtre ».
—————

65.7 Page 647

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633
CHAPITRE LIV
Etudes des jeunes pendant les vacances Le latin de l’Eglise
et des Saints Pères Lectures Catholiques La procession de
Notre-Dame de Consolation Réduction du nombre des fêtes
d’obligation Préparation à la fête solennelle du Saint Rosai-
re Les jeunes de l’Oratoire à Morialdo Une guérison
inespérée Il Galantuomo [L’Honnête homme].
Les vacances [d’été et] d’automne des écoles duraient
quatre mois et D. Bosco ne pouvait pas souffrir de voir ses
élèves demeurer oisifs pendant ce temps, et il étudiait les
moyens pour les occuper sérieusement et avec divertissement.
C’est pourquoi il les envoyait réviser les études suivies le long
de l’année, ou bien apprendre quelque matière accessoire auprès
de certains prêtres ou auprès de quelques Frères des Ecoles
Chrétiennes, ses bons amis. Cagliero, Francesia et Turchi mon-
taient trois fois par semaine sur la colline à la villa de D. Picco
pour que le professeur leur fît une heure de leçon particulière.
Entre l’aller et le retour il y avait une promenade d’environ
deux heures et demie pour le grand avantage de leur santé. Pour
beaucoup D. Bosco variait les études chaque année. Tantôt il
suggérait les notions élémentaires de la langue grecque ou [de la
langue] française ; tantôt l’histoire ancienne ou [l’histoire] moderne.
Une année il proposait l’arithmétique, une autre le dessin, ou les
notions élémentaires d’astronomie, ou des leçons de géographie,
et des reproductions schématiques des cartes topographiques de

65.8 Page 648

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634
divers Etats et [de diverses] provinces. Souvent il les formait à
écrire des lettres, estimant que les composer convenablement
n’est pas une chose des plus faciles. Dans le même temps il les
exhortait à chercher dans leurs écrits la simplicité de style, mais
il les avertissait que cette simplicité devait être le fruit de
longues études sur les auteurs classiques ; et il leur en proposait
quelques-uns les invitant à les lire dans une méditation attentive.
Il leur répétait l’avis que lui avait donné Silvio Pellico d’avoir
toujours sur la table de travail le dictionnaire et de ne pas se
fatiguer de l’utiliser continuellement lors des doutes sur le sens
d’un mot ou sur la valeur d’une phrase et pour éviter les
inexactitudes et les gallicismes. S’ils prenaient tout ce soin, il
leur en donnait l’assurance, ils acquerraient pour écrire une clar-
té enviable et, au cas où le Seigneur les appellerait à l’état
ecclésiastique, leurs sermons seraient compris par tous, et pour
cela toujours chers aux [gens du] peuple.
Quant aux jeunes abbés, d’autre part, il se montrait
encore plus exigeant pour les pousser à mettre à profit leur
temps. La veille de la Saint-Jean les jeunes abbés avaient les
examens de fin d’année. Le jour de la S[aint]-Jean il ne disait
rien, et les laissait en liberté ; mais le lendemain il commençait
à appeler l’un et l’autre : Eh bien, nous sommes en vacan-
ces. Tu ferais œuvre sage à lire Rohrbacher, Salzano, Bercastel.
Il s’y trouve tant de belles connaissances à acquérir. Et il fit
ainsi également lorsque les jeunes abbés avaient fréquenté l’uni-
versité, suivi le cours de latin à l’Oratoire et étudié la théologie
en présentant l’examen régulier au séminaire.
N’étant pas encore satisfait de cela, il manifestait tou-
jours un vif désir de les voir étudier les classiques latins de
l’Eglise. Dès 1851 et 1852, en période de vacances il expliquait,
et si bien, à Rua Michel et à ses autres élèves différents pas-
sages de ces auteurs sacrés, spécialement les lettres de [Saint]
Jérôme, et il insistait en les poussant à les traduire, à les ap-
prendre par cœur et à les commenter. Il cherchait à faire passer

65.9 Page 649

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635
chez les autres son enthousiasme, et il ressentait une grande
peine lorsqu’il entendait comment quelques professeurs distingués
se moquaient du latin de l’Eglise et des Pères, en l’appelant
avec mépris du latin de sacristie [les Français parlent ‘de latin de
cuisine’]. Il disait, quant à lui, que ceux qui méprisaient la lan-
gue de l’Eglise montraient leur ignorance des œuvres des Saints
Pères : pour une bonne part ces derniers forment à eux seuls la
littérature latine de plusieurs siècles, et une splendide littérature
qui sous de nombreux aspects égale dans la forme l’âge classi-
que et pour la magnificence des idées le dépasse infiniment,
comme sont le ciel pour la terre, la vertu pour le vice, Dieu
pour l’homme. Et même il ajoutait que pour l’élégance du style,
la grâce de la langue, la solidité et la sublimité des idées
quelques-uns parmi eux obtiennent la supériorité sur les écrivains
eux-mêmes du siècle d’Auguste ; et il le démontrait.
Il eut à soutenir sur ces sujets des discussions avec des
personnages très savants dans les belles lettres, bien que toujours
avec prudence et avec charité. Et ses raisonnements étaient à
même de les attirer vers son opinion personnelle. Il avait même
un argument qui lui était tout à fait propre ; il disait : — C’est
un crime de mépriser le latin des Saints Pères. Nous chrétiens,
ne formons-nous pas une vraie société, glorieuse, sainte, divine ?
Ces écrivains de l’Eglise ne sont-ils pas des nôtres et notre
gloire ? Et pourquoi mépriser les choses qui nous appartiennent,
et trouver seulement le beau chez nos ennemis, dans le Paga-
nisme ? Et est-ce cela qu’on appelle amour pour son drapeau,
pour l’Eglise, pour le Pape ? — Et il ne ménagea pas les
reproches à Vallauri lui-même qui avait publié quelques notes
critiques sur le style et sur la langue des Saints Pères, en lui
démontrant comment il avait tort de ne pas vouloir discerner le
beau de ces précieux volumes.
Lorsque Pie IX en 1855, dans une de ses Encycliques,
résolut la question qui avait surgi entre Mgr Dupanloup et
Gaume, en décidant que l’on devait unir de belle manière l’étu-
de des classiques païens avec celle des classiques chrétiens, pour

65.10 Page 650

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636
revêtir d’une langue latine, pure et élégante, les idées chrétien-
nes, en donnant des règles à ce sujet, D. Bosco répétait que ses
idées étaient en parfait accord avec celles du Pape.
Il ne méprisait pas les classiques profanes latins. Il les
avait étudiés, il en possédait en mémoire de très longs passages
et il les commentait magistralement, mais il voyait également
comment ces [écrivains] pouvaient être dangereux sans le cor-
rectif des auteurs de l’Eglise et de leurs enseignements. « La
révolution française, faisait-il observer, a tiré ses maximes des
écrivains du paganisme, bien plus même ce sont ces derniers qui
formèrent cette génération de sicaires. Et c’est de là que vinrent
les déplorables ruines que tout le monde connaît. Les idées de
patrie, de haine envers les étrangers, de gloire acquise par la
force brutale, de vengeance dont on fait l’éloge, d’orgueil, de
Dieu-état *, de conquêtes, etc., sont celles qui corrompent les es-
prits très tendres des jeunes et qui font considérer comme étant
de la bassesse la suave douceur du christianisme [»].
Avec les enseignements, les occupations et les études
susdits, en 1853, deux mois de vacances s’étaient écoulés.
Pour le mois de septembre, D. Bosco avait préparé et
publié un petit ouvrage sans nom d’auteur réparti sur deux
numéros, avec le titre : Exemples de vertu chrétienne recueillis
chez divers auteurs. C’était presque un répit qu’il se permettait
dans le combat contre les Vaudois, qui cependant ne rataient pas
une occasion pour insulter l’Eglise.
Le 8 septembre, on avait l’habitude de faire la procession
avec la statue de la B[ienheureuse] V[ierge] des Consolations, en
raison du vœu qui rappelait que [la ville de] Turin avait été
libérée en 1706 d’une très forte armée. Cependant, comme avait
été volée le 18 avril la statue d’argent pur, qui avait une masse
de 14 Mg [voir ° page 637], et que les pillards n’avaient pas été
découverts, on l’avait remplacée par une belle statue en bois.
Mais, cette année-là, la procession manqua de l’apparat extérieur
—————
* Dieu-état : l’Etat considéré comme le Maître absolu, l’Etre Suprê-
me, effaçant toute référence à un autre Dieu que lui-même.

66 Pages 651-660

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66.1 Page 651

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637
du faste militaire et elle fut abandonnée à la moquerie lancée
par la racaille. La garde nationale et les troupes de ligne
n’assistèrent pas à la cérémonie pour faire la parade et maintenir
le bon ordre. Ainsi avait commandé la Gazzetta del Popolo
[Gazette du Peuple]. Et les voyous qui, grâce aux ruses de la
propagande Anglicane et [de la propagande] Vaudoise, étaient
nombreux et audacieux, purent impunément et tout à leur aise
s’amuser de vilaine façon à se jeter en bande à travers la
procession, avec le chapeau sur la tête et d’immondes injures à
la bouche, en raillant le clergé ou en se moquant des rites sa-
crés. Cette statue de la Vierge ainsi insultée, le Marquis Fassati
en fit plus tard l’acquisition, lorsque le Sanctuaire se fournit
d’une statue recouverte d’une feuille d’argent, et il la donna à
notre église S[aint]-François de Sales où on la vénère toujours.
Entre-temps le [Souverain] Pontife, affligé, donnait la
preuve qu’il consentait aux demandes qui n’étaient pas contraires
à sa conscience, et il enlevait l’occasion de nombreux péchés.
Victor-Emmanuel lui avait présenté le besoin du peuple et le
désir du Gouvernement [qui consistaient en ce] que fût diminué
pour le Piémont le nombre des jours des fêtes d’obligation afin
de pourvoir par le travail aux nécessités des sujets. Le Pape
consentait et par le Bref du 6 septembre il enlevait du nombre
des fêtes d’obligation la Circoncision, [la fête de] S[aint] Mauri-
ce, la Purification, l’Annonciation de la Très s[ainte Vierge]
Marie, [la fête de] S[aint] Joseph, le lundi après Pâques et [le
lundi] après la Pentecôte, et [la fête de] Saint Etienne : en tout
huit jours de fête. En eux cependant rien ne devait être changé
quant à la liturgie, à la célébration des offices religieux ou aux
cérémonies.
D. Bosco regretta que la fête de S[aint] Maurice et des
martyrs de la Légion Thébaine perdît de son importance auprès
des [gens du] peuple, et il fit imprimer par le lithographe Doyen
une image de ce glorieux Saint qui était le protecteur de tant de
—————
° ‘ 14 Mg : 14 M[yria]grammes, soit 140 kilos.

66.2 Page 652

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638
bonnes œuvres dans le Piémont. La commémoration de son mar-
tyre tombait le 22 septembre, et il distribua beaucoup d’exemplaires
de cette image. Les saints de la légion de ce martyr avaient
quelque chose à voir dans la protection de l’Oratoire, ainsi que
D. Bosco l’assurait.
Il voulut aussi affirmer de façon spéciale sa dévotion
envers la Bienheureuse Vierge. Il envoyait donc la supplique
suivante aux Services de l’Archevêché de Turin.
[«] Très ill[ustre] et Très rév[érend] M. le Vicaire Général,
Le Prêtre Bosco Jean dans une église de sa propriété située au
bourg de Morialdo qui fait partie de la paroisse de Castelnuovo
d’Asti, a l’habitude depuis trois ans de célébrer la fête du Saint
Rosaire en la faisant précéder d’une neuvaine. De plus on faisait
chaque soir une courte prédication et on donnait la bénédiction
du Saint Sacrement. La même faculté de donner la bénédiction s’é-
tendait aux autres fêtes de la B[ienheureuse] Vierge et [à celles]
de S[aint] Joseph. Et tout cela aux heures qui ne dérangent
pas les cérémonies paroissiales, et en plein accord avec le Curé
du lieu.
A présent celui qui demande, désirant procurer le même avan-
tage spirituel à ces gens du peuple (le [Pape] régnant Pie IX
ayant accordé l’indulgence plénière dans le jour de la fête du
Rosaire, et trois cents jours chaque jour de la neuvaine), supplie
V[otre] S[eigneurie] Ill[ustre] et Rév[érende] de bien vouloir ac-
corder et renouveler la même faculté par un décret à faire durer
trois autres années.
Dans la confiance d’[obtenir] la faveur
Le Pr[être] BOSCO JEAN
Suppliant ».

66.3 Page 653

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639
Réponse du Vicaire Général.
« Une permission annuelle est accordée, en nous réservant de
donner un décret spécial pour les années futures, en s’y prenant
plus tôt pour recourir.
Turin, 20 Septembre 1853.
PHILIPPE RAVINA Vic[aire] Gén[éral] ».
A ce moment-là, D. Bosco faisait envoyer aux abonnés
pour le mois d’octobre le numéro anonyme : Petits entretiens
familiers sur les commandements de l’Eglise. Dans la boutique
d’un tailleur, dont le fils a appris de mauvaises sentences pen-
dant son séjour à la Capitale, un Curé réfute les objections de
ce [fils], en prouvant que l’Eglise a le droit de faire des lois et
combien sont grands les avantages, apportés à la société humai-
ne, qui proviennent des cinq commandements inscrits dans le
catéchisme.
Ayant réglé cette affaire, D. Bosco partait vers la fin de
septembre pour la promenade d’automne, et parvenu à Chieri
avec le jeune Francesia et plusieurs autres il tomba, à la descen-
te de voiture, sur un monsieur qui le salua et lui demanda s’il
le reconnaissait encore. D. Bosco le regarda fixement et ensuite
répondit : Oui ; nous nous sommes rencontrés il y a sept ou
huit ans à Turin sur le Pont du Pô. Ce monsieur resta
émerveillé, parce qu’il en était exactement ainsi. D. Bosco conti-
nuait à avoir une mémoire, nous dirons, miraculeuse. En effet,
non seulement de ses jeunes, qui étaient sortis de l’Oratoire,
mais aussi de leurs parents, il retenait le nom et la physionomie,
même après une longue série d’années. Son esprit n’était jamais
fatigué.
Arrivé aux Becchi, attendu par son frère Joseph, par sa
mère, il commença la neuvaine de Notre-Dame du Rosaire qui

66.4 Page 654

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640
pour lui était une occasion de s’asseoir au tribunal de la péni-
tence pour l’audition de beaucoup de fidèles. D’autres jeunes ne
tardèrent pas à arriver en plus, en compagnie des choristes.
Pendant leur voyage ils demeuraient toujours enchantés d’enten-
dre, partout où ils allaient, tout le monde répéter les éloges de
Don Bosco, notamment pour la période où il était jeune garçon.
Ils apprirent à Chieri que les mères disaient à leurs fils : Je
te permets d’aller avec Bosco, mais, avec d’autres, je ne veux
absolument pas. Et à Bosco lui-même : Rends mes fils
bons comme tu l’es, toi.
Il était admirable dans toutes les vertus, mais surtout an-
gélique dans la pratique de la chasteté. Il était attentif à éviter
les condisciples, ainsi que d’autres, peu réservés dans leurs
paroles et dans leurs actions. Monsieur Bertinetti Charles, qui
résidait à Chieri, parlait souvent de Bosco au jeune Savio Ange
en des termes très favorables et à propos de l’étude et à propos
de la piété dans lesquelles il se distinguait parmi tous.
Le Docteur Allora, D. Luzerna, D. Oddenino François
leur racontaient qu’au séminaire le Jeu[ne abbé] Bosco était d’une
conduite si exemplaire que les condisciples avaient l’habitude de
l’appeler le saint, parce qu’ils le considéraient comme tel ; et
que, voyant quelque séminariste dont la conduite n’était pas suf-
fisamment édifiante, il cherchait à devenir pour ce dernier un
bon conseiller ; que les Supérieurs du Séminaire le proposaient
comme modèle de piété et de tempérance ; et qu’il ne cherchait
aucunement à se procurer de l’argent pour lui-même, et qu’il
était toujours consulté par ses compagnons au sujet des études.
A Castelnuovo demeurait bien vivant le souvenir de sa
prise de soutane, de sa première messe célébrée au pays, de sa
façon de se tenir à l’autel, de son extraordinaire recueillement et
de la multitude de jeunes qui couraient à sa rencontre. Ils
répétaient son éloge à propos de l’époque où il était enfant,
comment il était réservé dans ses gestes, se surveillait dans ses
paroles et comment, ici aussi, les parents exhortaient leurs
enfants à prendre Bosco comme compagnon, dans la conviction
que sa manière de vivre était honnête et respectueuse des règles
morales. Ils savaient qu’avec une très grande circonspection il
fuyait ceux qui parlaient mal.

66.5 Page 655

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641
A Morialdo, d’autre part, son frère Joseph le décrivait minu-
tieusement, en disant aux jeunes qui l’interrogeaient : — D. Jean,
avant même qu’il ne revêtît l’habit ecclésiastique, saisissait tou-
tes les occasions pour parler de religion et de gestes de piété
avec les jeunes gens qui étaient ses compagnons. Il racontait des
exemples de saints. Il priait beaucoup pendant les travaux cham-
pêtres, et les mères l’indiquaient à leurs fils comme modèle de
prière ; il s’appliquait beaucoup à la fréquentation des Sacre-
ments. Tandis qu’il grandissait en âge, grandissait en lui le désir
d’aimer Dieu et de le faire aimer par les autres. Dans un vérita-
ble élan il accourait aux catéchismes et aux sermons, et ensuite
il les répétait à la famille et aux compagnons. Il avait un grand
amour pour la chasteté depuis son enfance ; il apparaissait pur et
chaste dans chacune de ses actions et réservé dans ses divertis-
sements. Il ne prononça jamais un mot qui eût la moindre
allusion à des choses moins honnêtes ; on ne le vit jamais
s’amuser en compagnie des jeunes fillettes qui habitaient les
maisons voisines. Et ce témoignage était confirmé par le
Théol[ogien] Cinzano, Curé-Doyen.
Il n’y a pas lieu de dire combien les élèves se réjouis-
saient à entendre les éloges [que l’on faisait] de leur bon père, et
le bonheur qu’ils éprouvaient à se trouver avec lui ; et à partir
de tout il savait tirer des motifs pour parler du Seigneur. Tantôt
à partir des petites fleurs d’un pré, d’autres fois à partir des
moissons des champs, telle autre fois à partir de l’abondance et
de la richesse des fruits qui pendaient aux arbres et aux
vignobles, parfois à partir des découvertes opérées dans les
entrailles de la terre il amenait la conversation à parler de la
bonté et de la providence divines. Parfois, à une heure avancée,
sur l’aire devant sa petite maison il restait à contempler le ciel
étoilé et, oublieux de la fatigue causée par le fait d’avoir
entendu de nombreuses confessions, il s’entretenait avec les
jeunes dans une conversation sur l’immensité, la toute-puissance
et la sagesse divines. Dans toutes les circonstances il élevait son
esprit et celui des autres jusqu’à la contemplation de Dieu et de
son infinie miséricorde, de sorte que bien souvent, affirme D. Rua,

66.6 Page 656

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642
il arrivait aux jeunes de s’écrier à l’instar des disciples d’Em-
maüs : Nonne cor nostrum ardens erat in nobis, dum
loqueretur nobis in via ? [Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en
nous, quand il nous parlait en chemin ?].
Et les enseignements et les exemples de D. Bosco
faisaient aussi beaucoup de bien aux populations environnantes.
Les communions fréquentes de ses élèves les incitaient à la
fréquentation des églises et des Sacrements, car, tout en étant si
remplis de vivacité et de gaieté, ils savaient au moment voulu
rester recueillis et pleins de ferveur en honorant Dieu au moyen
des pratiques religieuses. D. Bosco emmenait également sa bande
porter la gaieté et l’édification de la piété dans quelque paroisse
voisine, pour rendre une fête plus solennelle avec la musique.
Bien des gens et notamment les enfants se rassemblaient autour
de lui, et, même le long des routes, il ne cessait jamais de
donner à tous quelque enseignement ou de conseiller quelque
exercice de dévotion, qui ensuite était mis en pratique. Ces
promenades furent l’un des moyens par lesquels l’Oratoire vit
croître son nombre et sa si grande réputation.
Le jour de la fête du Saint Rosaire, D. Bosco bénissait la
soutane du jeune Francesia Jean, qui était, comme les jeunes
abbés Rua et Buzzetti, décidé à rester à l’Oratoire et à aider son
Directeur pendant toute sa vie. D. Bosco espérait d’eux une
grande aide qu’il se promettait également de recevoir de trois
autres jeunes, Germano Jean, Marchisio, Ferrero, qui avaient fini
les études de latinité ; si ce n’est qu’un seul, quelques semaines
après, revêtait l’habit ecclésiastique et que les autres, pour
diverses raisons, renonçaient à un état [de vie] qu’auparavant ils
étaient décidés à embrasser.
En ces jours-là s’était produit un fait qui accroissait de
plus en plus chez tous l’estime qu’ils avaient pour D. Bosco. Le
prof[esseur] D. Turchi Jean le raconte ainsi.
« En 1853, j’allais pendant les vacances avec d’autres compa-
gnons pour prendre des leçons de rhétorique chez le Prof[esseur]
D. Picco dans sa villa [située] sur les collines de Turin, et nous,
imprudemment, nous nous étions arrêtés, bien qu’en sueur, dans

66.7 Page 657

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643
un endroit ombragé frais et dangereux : j’ai attrapé un gros
rhume. D. Bosco, voyant que je ne mangeais pas et que je
dépérissais, m’envoya à la maison où le médecin pratiqua sur
moi cinq saignées. Le mal était vaincu, mais je continuais à
rester au lit sans forces, et cet état se prolongeait, avec la
menace, je crois, de phtisie.
» Quelques semaines après, D. Bosco, arrivé à Castelnuovo
pour la fête du Rosaire, vint me rendre visite et, ayant appris et
vu l’état dans lequel je me trouvais, il m’encouragea et me
donna sa bénédiction, en me disant que je devais me lever,
guérir vite et revenir à l’Oratoire. Je ne me rappelle pas si c’est
dès le lendemain, mais certainement très vite, que je commençai
à me lever et j’accomplis vite et bien ma convalescence, ensuite
je rentrai à l’Oratoire.
» Depuis lors, remerciant Dieu, je n’ai plus eu de maladies.
J’attribue ma guérison à la bénédiction de D. Bosco, d’autant
qu’après l’avoir reçue je ne pris aucune sorte de remèdes ».
En attendant, les jeunes finissaient allègrement leurs
vacances aux Becchi. D. Bosco était toujours avec eux, tout
occupé à donner la dernière révision à un almanach de sa
production. Depuis l’année précédente il avait vu avec une gran-
de peine que les protestants, pour mieux s’introduire dans les
familles des ouvriers et répandre l’hérésie avec moins de bruit et
une plus grande facilité, avaient publié un almanach, où étaient
plus nombreuses les erreurs que les mots. Ils l’appelaient LAmi-
co di Casa [L’Ami de la Maison] ; mais d’ami il n’avait que le
nom, puisqu’il apportait à ses lecteurs le plus grand mal que
l’on ait ici sur la terre, comme le sont l’irréligion et l’impiété.
Ils en faisaient cadeau à qui le voulait et à qui ne le voulait
pas. Tu le trouvais sur le seuil des maisons : si tu laissais la
fenêtre ouverte, une main méchante te le jetait dans la chambre ;
dans les ateliers il y avait quelqu’un qui venait l’offrir en
cadeau, et dans les rues il y avait quelqu’un qui le donnait
gratuitement. Ce livre sans valeur, une fois acquis, avec si peu
de fatigue, était lu par des gens sans crainte et sans inquiétude,

66.8 Page 658

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644
et plus d’un s’imaginait avoir entre les mains un livre de piété.
On invoquait le nom de Dieu, on rapportait la pieuse conversion
de celui-ci ou de celui-là, la résignation que doit avoir le
pécheur et la confiance dans les fruits de la rédemption ; mais
on ne faisait jamais mention de la Confession, de l’Eucharistie,
de la dévotion envers Marie, et on découvrait difficilement
l’erreur, ou bien quand il était trop tard. Or, pour les détourner
de l’œuvre ténébreuse, que ces hérétiques accomplissaient au
détriment des âmes à Turin et à travers le Piémont, D. Bosco
eut l’idée d’entreprendre aussi un almanach qui prît la place de
ce faux Ami en instruisant et en divertissant.
Donc, vers le début de l’année, un soir, à quelques-uns de
ceux qui s’étaient offerts pour l’aider dans la composition et la
diffusion des Lectures Catholiques, il avait présenté son projet, qui
plut immensément, et ils s’écrièrent d’une seule voix : [] Bien !
Bien !
— Mais de quel nom l’appellerons-nous, notre almanach ? dit
D. Bosco. On sait qu’il faut prendre les gens à l’hameçon de la
nouveauté. Souvent ils se laissent gagner seulement par un nom
qui fait un peu belle apparence. C’est comme l’enseigne d’une
boutique.
Ici les avis furent nombreux et opposés. Les uns vou-
laient qu’on l’appelât Il Vero Amico di Casa [Le Véritable Ami de la
Maison]. Mais D. Bosco fit aussitôt remarquer qu’on courait le
danger de jouer le rôle du chat qui tire les marrons du feu au
service d’autrui. « Il faut, disait-il, que notre titre n’ait rien à
faire avec celui de nos adversaires ».
Les autres proposèrent qu’on l’appelât l’Almanach del
Popolo [Almanach du Peuple] ; d’autres della Gioventù [de la
Jeunesse] ; certains dell’Operaio [de l’Ouvrier] ; et d’autres encore
au moyen de très nombreux autres noms. Mais D. Bosco, après
les avoir laissés dire, avança avec son titre qu’il avait joliment
préparé. C’est pourquoi de la part de tous il se fit un profond
silence et lui, ensuite, en touchant un mot de la valeur de l’un
ou de l’autre nom, dit que l’almanach, auquel on devait penser,

66.9 Page 659

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645
il fallait l’appeler sans plus : Il Galantuomo [L’Honnête homme] :
étrenne offerte aux abonnés des Lectures Catholiques. Et il en fut
ainsi. Les deux ou trois prêtres alors présents promirent leur col-
laboration.
Or cet almanach était prêt en octobre, car il fallait couper
l’herbe sous le pied à LAmico di Casa [L’Ami de la Maison].
Nous présenterons en peu de mots son titre et son plan de
composition.
Il Galantuomo [L’Honnête homme] Almanach National
pour 1854 avec l’adjonction de différentes curiosités utiles. Après la
préface, il mettait la liste des membres de la famille royale,
annonçait les éclipses, donnait une brève marche à suivre pour
les horloges à temps moyen établie par le service des chemins
de fer et les nombres attachés à l’année [épacte, nombre d’or, …].
Venaient ensuite le calendrier avec les indications des foires de
l’Etat et les principales [foires] de l’étranger selon ce qui avait
été nouvellement établi, le nouveau cours des monnaies et la
valeur des monnaies étrangères également. Ensuite des recettes
pour l’économie domestique, des réflexions morales et religieu-
ses, des exemples et des anecdotes riches d’intérêt pour exalter
les vertus sublimes du clergé et pour combattre l’une ou l’autre
erreur des Vaudois. Enfin quelques poésies en langue italienne, et
[d’autres] en dialecte piémontais.
Il fit don de cet almanach à tous les abonnés des
Lectures Catholiques, et ensuite chaque année, en le renouvelant
et en le publiant à plus de seize mille exemplaires, on continua
jusqu’à nos jours.
« Il est vraiment admirable D. Bosco, s’écriait D. Rua,
lorsqu’on le voit soutenir seul et pendant longtemps une pu-
blication, qui était une véritable lutte contre les erreurs des
hérétiques et qu’ensuite il continua, avec l’aide d’autres écrivains
zélés, pendant toute sa vie ».
Et au cours de ce même automne, comme si cela ne
suffisait pas à son activité, revenu à Turin, il veillait à la
publication, confiée à Hyacinthe Marietti, de deux mille éléments
de grammaire grecque, chaque brochure se composant de cinq
cahiers : le 10 février 1854, l’imprimeur Marietti en envoyait la
facture à D. Bosco.

66.10 Page 660

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646
CHAPITRE LV
Encore les Lectures Catholiques Simplicité de D. Bosco pour
écrire Son humilité Le Prof[esseur] Peyron et une réunion
de prêtres Témoignage de l’humilité de D. Bosco.
De Agostini, imprimeur des Lectures Catholiques,
remettait à D. Bosco le petit ouvrage, divisé en deux numéros,
destiné pour la fin d’octobre et pour le début de novembre. Il
avait pour titre : L’artisan selon l’Evangile, ou la vie du bon
Henri, Cordonnier. C’est une brochure anonyme, dédiée aux arti-
sans. Henri Buche, né vers la fin du 16ème siècle dans la petite
ville d’Erlon * dans le duché du Luxembourg d’ouvriers pauvres
et obscurs, fut dès son enfance un modèle de toutes les vertus
chrétiennes et, assidu à tous les enseignements qu’à l’église on
donnait aux fidèles, il s’approchait bien souvent des Sacrements.
Rapidement il devint habile dans son métier. Il avait pour protecteurs
S[aint] Crépin et S[aint] Crépinien et il en imita les exemples en
se vouant au salut éternel des ouvriers. Ayant quitté Erlon *, il
établit pendant de nombreuses années son domicile à Luxem-
bourg et de là il vint ensuite à Paris. Son premier souci était
toujours de rechercher pour lui un chef d’atelier vraiment chré-
tien et il le trouva toujours ; et partout où il alla, grâce à de
saints moyens ingénieux, grâce à d’héroïques sacrifices et grâce
—————
* Erlon : Henri-Michel Buche né en 1608 à Arlon [devenue ville belge
en 1839], mort à Paris le 9 juin 1666 (renseignements en “Biographie
nationale de Belgique” qui aident à rectifier quelques imprécisions).

67 Pages 661-670

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67.1 Page 661

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647
aux aumônes, il se fit l’apôtre des artisans : il en arracha des
filets du vice un très grand nombre, et assura leur persévérance
dans le bien. Devenu chef d’un atelier, il fut plus qu’un père
pour ses jeunes cordonniers, et avec sept de ses ouvriers, choisis
parmi les meilleurs, il commença à mener une vie religieuse en
commun dans sa propre maison. Il avait alors cinquante ans et,
ayant obtenu l’approbation de l’Archevêque de Paris, il rédigea
un règlement pour la Pieuse Société des frères cordonniers et il
la commença : bien vite elle se développa à Paris et, de là, elle
se répandit dans toute la France et même en Italie. Le brave
Henri en fut élu Supérieur. On vit alors sans l’habit religieux,
sans les vœux et sans le retrait dans un couvent, se lever au
milieu du monde et s’y consolider une institution religieuse grâ-
ce au seul esprit de la charité et à l’amour pour le travail ; et
[l’on vit] ces braves ouvriers, bien que libres de se retirer à leur
gré de la société, lui rester, malgré les tentations et les persécu-
tions, attachés avec une ténacité tout égale à celle d’un enfant
qui se tient, et non par pur hasard, au cou de sa mère. Leur
amour pour la règle et leur attention à ne pas la transgresser
étaient d’une nature et d’un degré qu’on ne pourrait attendre que
chez de fervents religieux. Tous les jours la prière en commun,
la participation à la sainte messe, le chapelet, la lecture de la
vie du saint du jour et le chant de cantiques spirituels accompa-
gnaient le travail ininterrompu pendant des heures déterminées.
Le Dimanche, ils se confessaient, ils communiaient et, après les
cérémonies sacrées, ils rendaient visite aux hôpitaux, aux prisons
et aux pauvres malades dans leurs maisons, ainsi qu’aux hospi-
ces des voyageurs pauvres, en aidant le brave Henri dans
l’œuvre de conversion des pécheurs. Henri fonda également la
Pieuse Société des frères tailleurs, sur le modèle de celle des
cordonniers, et elle remplit la France de saints ouvriers.
Dans ces institutions les artisans les plus pauvres trou-
vaient du travail et des habits, les orphelins apprenaient en toute
gratuité le métier, les apprentis étaient assistés, le vieillard inapte

67.2 Page 662

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648
au travail était recueilli, et l’on subvenait aux besoins de l’ou-
vrier malade et privé d’aide.
Mais l’un des mérites les plus remarquables d’Henri fut d’a-
voir coopéré efficacement à mettre en déroute la société impie,
appelée la fraternité des ouvriers, dont les membres se liaient
par le serment à garder le secret. Chaque dimanche ils donnaient
des représentations de mystères chrétiens et de fêtes solennelles
chrétiennes pour cacher leurs méfaits, et ensuite ils se réunissaient
pour des banquets fraternels dans certains de leurs antres, où ils
s’abandonnaient à toutes sortes de bringues d’impiétés, de débauches
et d’injures sacrilèges envers l’hostie consacrée. Ces réunions se-
crètes s’étaient répandues dans toute la France et dans d’autres
royaumes sans que personne ne se doutât de leur but perfide.
Mais finalement, lorsqu’elles en eurent connaissance, les autorités
ecclésiastiques et les autorités civiles menacèrent de procès avec
jugement ces misérables et les frappèrent de leurs sentences.
Alors, au péril de sa vie et en supportant des insultes et des ca-
lomnies de toutes espèces, Henri s’employa tellement et arracha,
en les convertissant, une si grande multitude d’ouvriers à cette
secte infâme et hypocrite qu’en peu d’années elle disparut de
France, et il en reçut les bénédictions de tout le clergé de Paris.
Le bon Henri, vigoureux et robuste jusqu’à ses 90 * ans,
fit, à cet âge, des voyages à pied de 200 lieues pour rendre
visite à quelques-unes de ses institutions et, rempli d’une très
grande dévotion envers Notre-Dame, infatigable dans son métier,
humble comme peut l’être un saint, il mourait en 1696 *.
Ce fut un livre bien adapté à son époque, et D. Bosco
le distribua à ses jeunes gens : il voulait les voir lire les Lec-
tures Catholiques afin de se fortifier dans la foi. En attendant,
de tels ouvrages faisaient connaître de plus en plus l’abondante
érudition dans les questions sacrées et ecclésiales, les intentions
saintes et droites de l’auteur, et renforçaient dans les populations
une grande opinion de la sainteté de D. Bosco.
—————
* 90 ans ; mort en 1696 : voir la note au bas de la page 646.

67.3 Page 663

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649
Pour la seconde moitié de novembre il avait préparé la
brochure suivante : Vie malheureuse d’un nouvel apostat. Ce sont
trois conversations de l’apostat avec l’un de ses amis, fervent catho-
lique, et elles portent les titres suivants : Perte de la tranquillité
de l’esprit — Perte de la paix du cœur — Perte de la bonne ré-
putation. Ce petit ouvrage est anonyme, mais nous en avons
encore les premières épreuves d’imprimerie qui attestent, par les
nombreuses corrections qu’y a faites Don Bosco, sa patience et
son soin.
La Civiltà Cattolica [Civilisation Catholique], quatrième
année, seconde série, volume trois, l’an 1853, page 112, jugeait
ces publications de la façon suivante :
« Pour s’opposer à la propagande hétérodoxe, il y a un grand nom-
bre de prêtres zélés qui n’épargnent ni les fatigues ni les frais. Parmi
eux, un modeste ecclésiastique a un mérite remarquable : on a déjà fait
quelquefois mention de lui dans la Civiltà Cattolica [Civilisation
Catholique] et il s’appelle D. Bosco. Il est le promoteur de l’association
pour les Lectures Catholiques, qui sont une série de petits entretiens
ou de dialogues sur les points capitaux de religion. Dans le numéro V
on parle du mahométisme, du schisme grec, et notamment de la
secte vaudoise, dont on examine la véritable origine et on révèle
la mauvaise foi. Des brochures de petit format, pleines d’instruc-
tion solide, adaptées à la capacité du petit peuple, et tout ce qui est
opportun pour cette époque : voilà la qualité de ces Lectures
Catholiques.
» Que l’on fasse des éloges au remarquable D. Bosco ; et que les
pères de famille, pour autant que leur est chère la foi de leurs gamins,
s’en servent pour semer dans leur esprit les premiers germes d’une
instruction telle que la demandent les conditions de notre époque ».
En effet, D. Bosco, lorsqu’il écrivait, n’avait pas d’autre
but que de faire du bien. Il ne recherchait pas les éloges des
hommes. — Lorsque je prêchais et que j’écrivais, mon souci,

67.4 Page 664

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650
disait D. Bosco, fut sans cesse et uniquement de me faire
comprendre de tous, aussi bien dans l’exposé du sujet que dans
l’emploi des mots les plus simples et les plus connus. — Il
parlait comme il écrivait et il écrivait comme il parlait, toujours
familièrement. Pour avoir la certitude d’être bien compris de tout
le monde, il continua à donner à lire ses manuscrits à de
simples ouvriers peu instruits pour les entendre ensuite lui en
raconter le contenu. En lisant un jour à sa mère le panégyrique
de S[aint] Pierre, il désignait le saint Apôtre par le titre de gran
clavigero [grand porteur de clefs]. Sa mère l’interrompit et lui
demanda : Clavigero ! Où est ce village ? D. Bosco se
rendit compte aussitôt que ce mot était trop difficile pour être
compris par les personnes du peuple et il le biffa.
Mais le fait d’éviter comme il le faisait avec un grand
soin les formes élégantes et poétiques était une autre preuve de
son humilité. « Je m’en souviens, dit Mgr Cagliero, dans les
conversations familières, en vue de nous encourager à étudier, il
nous récitait par cœur de beaux passages d’Horace, d’Ovide, de
Virgile et d’autres auteurs latins, et déclamait de belles poésies
de nos poètes italiens. Et pourtant il ne lui arriva jamais de fai-
re montre en public de ces connaissances qu’il avait, ou de les
laisser apparaître dans ses livres au moyen de quelques citations.
Même quelqu’un qui demeurait dans la maison, à moins de vi-
vre dans une très forte intimité avec lui, pouvait difficilement
arriver à connaître la grande richesse littéraire que son esprit
possédait en italien, en latin et en grec ». Les sages dissimulent
leur savoir ; la bouche du sot s’attire la honte (1).
Malgré ses connaissances historiques, géographiques, litté-
raires, lorsqu’il devait envoyer à l’imprimerie un ouvrage, et
même un écrit de moindre importance, il les donnait toujours à
revoir à des personnes savantes en littérature et en science, com-
—————
(1) [Cf.] Pr 10,14.

67.5 Page 665

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651
me à Silvio Pellico, au Professeur Amédée Peyron, au Prof[es-
seur] Matthieu Picco, en leur disant de lui exprimer un jugement
sur eux et de les corriger comme ils croyaient être le mieux. Il
recevait ensuite avec une grande reconnaissance leurs obser-
vations, et même plusieurs années après il les rappelaient encore
à ses élèves avec un sentiment de vive gratitude. « Quelquefois,
dit Mgr Cagliero, il s’abaissait jusqu’à faire examiner par cer-
tains d’entre nous ses brochures et les lettres à publier et à
envoyer aux bienfaiteurs de ses œuvres ».
Quand ensuite il eut parmi ses fils des diplômés en
Lettres, il leur donnait la charge de corriger ses écrits, et il
acceptait en toute humilité et avec une entière reconnaissance
leurs corrections, même si elles n’étaient pas trop opportunes ou
pas toujours raisonnées et conformes aux opinions des meilleurs
auteurs ; et fussent-elles aussi parfois non demandées. Et si
quelquefois aucune correction n’était faite, il s’en plaignait, en
considérant que, par respect envers lui, elles avaient été omises.
Même lorsque certaines critiques étaient adressées par la mau-
vaise disposition d’esprit de ses adversaires, il ne s’en tenait en
rien offensé. C’est seulement quand il y avait un risque de con-
séquences fâcheuses pour la connaissance exacte de quelque
doctrine catholique ou pour l’édification du prochain qu’il ré-
pondait avec un calme total et un entier respect.
On peut bien dire à son sujet : Celui qui est sage de
cœur, accepte les avertissements. Il n’est pas comme le sot, pour
lequel toute parole est un fléau (1) tant il écoute avec
mauvais gré les réprimandes.
En octobre 1853 s’étaient réunis environ quarante prêtres
turinois dans la maison de l’aumônier de l’Institution des Orphelines,
D. Masucco, et, pour la majeure partie, ils étaient de ceux qui fai-
saient preuve de plus de zèle pour l’éducation chrétienne des jeunes
gens. Ils voulaient parler de la tournure que prenaient les choses
—————
(1) [Cf.] Pr 10,8.

67.6 Page 666

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652
en ces jours-là au sujet de l’Eglise et du salut des âmes. Ils
avaient fixé ce lieu de réunion pour ne pas attirer les regards
des argus sectaires et protestants. Etaient présents D. Masucco et
le Théol[ogien] Léonard Murialdo. Présidait l’assemblée l’Abbé
Amédée Peyron, homme très coté en ville pour sa science et
professeur de langues orientales à l’Université Royale de Turin.
D. Bosco était assis à côté de lui. Après que furent discutées
diverses questions, quelqu’un proposa comme un devoir de
multiplier les publications d’écrits éducatifs populaires. L’Abbé
Peyron tomba d’accord sur cette nécessité, et D. Bosco, ayant
demandé la parole, supplia vivement ces prêtres de bien vouloir
l’aider dans la diffusion des Lectures Catholiques, en montrant
comment elles étaient un moyen des plus efficaces pour s’op-
poser au courant d’idées fausses propagées par les vaudois.
Lorsque D. Bosco eut fini, l’Abbé Peyron lui dit : — D’ac-
cord : j’ai voulu lire attentivement ces numéros ; mais si vous
voulez qu’ils produisent un bon effet, faites en sorte qu’ils soient
écrits dans une plus grande pureté de langue, avec moins de fautes de
grammaire, avec de moindres inexactitudes dans les termes, un plus
grand soin dans les corrections ! Ce reproche, fait par un person-
nage d’une importance et d’une autorité si grandes, sembla acerbe et
caustique à tous ceux qui étaient réunis, bien qu’il fût dicté par le
zèle ; et le Théologien Murialdo, tout confus à cause du mauvais
rôle que l’on faisait jouer à son ami D. Bosco, le regarda en
observant comment il se comporterait et ce qu’il répondrait. Ces
paroles s’avéraient d’autant plus piquantes et amères que ces
prêtres n’étaient pas tous alors bienveillants envers lui. D. Bosco,
cependant, sans se montrer le moins du monde offensé, répondit
avec un calme total et dans une humble attitude : — Et c’est
exprès pour cela que je viens vous prier, Messieurs, afin que vous
vouliez bien m’aider et me conseiller dans cette entreprise. Je
vous supplie vivement. Dites-moi tout ce que vous trouvez à
corriger, et moi, volontiers, je corrigerai. Et même, je serais très

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653
heureux si quelqu’un, qui fût plus expert que moi dans la lan-
gue italienne, voulait revoir les écrits des Lectures Catholiques
avant qu’elles ne soient publiées. — Le Théol[ogien] Murialdo nous
racontait plus tard en 1890 qu’à entendre cette réponse de
Don Bosco, il concluait dès ce moment-là : D. Bosco est un
saint ! — et qu’il se souvenait toujours de cette scène. En effet,
quelqu’un, surtout s’il est lui-même un auteur, a la possibilité de
remarquer combien est touchée la susceptibilité de celui auquel
sont faites des critiques sur des sujets d’ordre intellectuel : il ne
pourra pas ne pas reconnaître l’héroïcité de l’attitude de D. Bosco
dans l’acceptation de cette remontrance !
Et elle était en partie exagérée et en partie incontestable,
car certains numéros, anonymes ou traduits du français, de ses
collaborateurs ne pouvaient pas tous avoir l’exactitude exigée
d’un ouvrage d’auteur classique ; et, bien que D. Bosco les eût
retravaillés, il ne pouvait pas les amender autant qu’il aurait
désiré. Mais il ne chercha pas à se défendre, ni à avancer des
raisons et il continua ses publications sans se décourager.
D. Bosco était bien digne de l’éloge que fit de lui le
Théol[ogien] Murialdo, mentionné ci-dessus : « Depuis le moment
où je suis entré en familiarité avec D. Bosco, je n’ai jamais
remarqué chez lui quelque chose qui pût éclipser le moins du
monde l’héroïcité de ses vertus. Il avait un comportement, une ma-
nière d’agir, un langage qui révélaient en lui un esprit humble.
S’il faisait connaître ses œuvres grandioses, pour justifier les re-
cours fréquents à la charité publique, c’était en conformité avec
la maxime de l’Evangile : Videant opera vestra bona et glori-
ficent patrem vestrum qui in cœlis est [qu’ils voient vos bonnes
œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux] ».
Le Théol[ogien] Reviglio attesta : « Si quelquefois D. Bosco
parlait de ses actions personnelles qui pouvaient tourner de
quelque façon à sa gloire, c’était évidemment dans le but de
nous instruire et de nous encourager au bien. D’autre part,
entouré des témoignages extraordinaires d’estime qu’il recevait,
et, pour ainsi dire, au milieu de ses triomphes, il n’en tirait pas
la moindre vanité ; et je peux dire qu’il permettait certaines de

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654
nos solennelles démonstrations d’estime et d’affection, soit pour
nous donner l’occasion de satisfaire aux devoirs de gratitude et
de nous exercer en des pratiques de piété qui nous éloignaient
du péché, soit pour se donner celle de faire pénétrer en nous
quelque maxime salutaire plus ressentie à ces moments-là…
L’humilité resplendissait dans son comportement, dans ses paro-
les, dans le fait qu’il évitait d’apparaître à une place d’honneur
quand ce n’était pas nécessaire, dans l’habituelle conviction de
son néant ». Mgr Cagliero ajoute : « D. Bosco posséda la vertu
de l’humilité et la pratiqua de façon éminente dans tous ses
degrés, ayant sur lui-même des sentiments et des propos qui le
mettaient à un niveau inférieur et acceptant volontiers les humi-
liations. Il avait l’habitude de nous raconter l’humble condition
de sa parenté, comment il avait dû gagner son pain à la sueur
de son front, comment au milieu de mille péripéties, avec les
secours de personnes bienfaisantes et spécialement de D. Cafas-
so, il avait réussi à achever ses études. Il parlait de tout cela
avec plaisir et affection, comme si c’était une gloire et une
ambition de famille, de sorte qu’il enracinait dans nos cœurs un
grand amour pour cette vertu, prêchée et pratiquée par Jésus
Christ lui-même.
» Dans les sermons et les conférences il nous rappelait que le
royaume de Dieu est la récompense pour les pauvres en esprit,
et que sa mission préférée était de s’occuper des jeunes tant
aimés de Jésus, et spécialement s’ils sont dans la misère et lais-
sés à l’abandon. Ses paroles avaient une efficacité qui lui était
tout à fait propre, car nous les voyions être accompagnées par
les faits. Par ailleurs, il disait que le chef des garnements de
Turin, c’était lui-même, non par gloriole, mais pour se concilier
le cœur des jeunes et les attirer au bien. Il daignait s’entretenir
avec nous et quelquefois, lorsqu’il arrivait d’une visite chez de
nobles personnes de haute situation, il nous disait : Ici avec
vous je me trouve bien : ma vie est vraiment de rester avec
vous ».
D. Turchi faisait remarquer : « Dans son humilité il
recevait et il traitait avec les mêmes manières aussi bien le
pauvre que le riche. Même avec ses jeunes, ordinairement, il ne

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655
donnait pas d’ordres, mais il avait l’habitude de dire par
exemple : Me ferais-tu le plaisir de faire telle chose ou telle
autre ? — Avec ces si belles manières il gagnait notre cœur et
obtenait plus qu’en commandant. Il était par ailleurs très re-
connaissant pour le plus petit service qu’on lui rendait, c’était
comme s’il ne lui était pas dû. Un jour, je le vis sortir de sa
chambre comme quelqu’un qui a besoin de quelque chose. Je
m’approche de lui et lui demande ce qu’il lui faudrait. — Oui,
me répondit-il : je ressens une grande soif ardente qui me fait
étouffer ; il me serait nécessaire de boire, mais je ne trouve
personne.
— Si l’eau et le sucre que j’ai dans ma cellule suffisent, je
peux Vous en donner moi, ai-je ajouté.
Ah ! tu me feras un grand plaisir ! Et je lui en portai ;
il but et me remercia plusieurs fois comme d’un bienfait reçu ».
D. Rua Michel affirmait à son tour : « Il aurait pu
arriver à une situation sociale entourée d’honneurs, même dans
les ordres ecclésiastiques, et il en eut également diverses oc-
casions et plusieurs invitations ; mais il n’accepta pas. A cette
époque, s’il avait dit un seul mot, il aurait facilement obtenu un
permis ou un diplôme pour enseigner ; mais il ne voulut pas le
dire et, quand des jeunes éduqués à l’Oratoire avaient réussi la
‘laurea’ en Lettres et venaient le trouver, il les félicitait et se
complaisait ensuite à faire remarquer que, lui au contraire, il
n’avait même pas le permis de maître d’école primaire. Lorsque
quelqu’un lui demandait s’il n’était pas Monseigneur ou Che-
valier, il répondait : Je suis D. Bosco, toujours D. Bosco. Du
reste aussi bien dans les honneurs que dans les mépris il était
toujours indifférent.
» En raison de la faible opinion qu’il avait de lui-même il se
considérait comme un simple instrument dans les mains de Dieu
et comme une tierce personne dans la direction et le maniement
de ses œuvres, et il ne disait jamais à la première personne :

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Moi j’ai fait, moi j’ai dit, moi je veux ; mais à la troisième
personne : D. Bosco a dit ; D. Bosco désire ; D. Bosco supplie
vivement. Souvent il déclarait son incapacité à faire quelque cho-
se et il répétait que, s’il n’y avait pas eu la vocation reçue de
Dieu, lui, il n’aurait pas pu être autre qu’un pauvre chapelain de
montagne. Il attribuait à Dieu tout ce qu’il faisait, en disant : A-
vec la grâce de Dieu, nous avons fait ceci. — S’il plaît à Dieu,
nous ferons cela. Dieu nous a envoyé cette aide. Que
Dieu soit remercié de tout. — Et c’est toujours à Lui seulement
qu’il donnait toute la gloire de ses entreprises. Et même, en se
considérant comme un instrument impropre au service du Sei-
gneur, il attribuait à ses prêtres et à ses anciens élèves, bien
qu’ils fussent sortis de l’Oratoire, le bien qu’il faisait ou qu’il
avait fait. S’il lui arrivait quelque malheur à même de frapper
toute son Institution, il avait l’habitude de dire : Peut-être en
avons-nous fait de belles au Seigneur et Il nous punit. Devenons
bons et Il nous bénira. — C’est pourquoi il recevait avec une
totale résignation toutes sortes de tribulations et recommandait
aux jeunes cette attitude d’humilité.
» Il me revient en mémoire qu’une fois vint à l’Oratoire le
vénérable Prieur de l’Ordre de S[aint] Dominique. D. Bosco qui
ne ratait aucune sorte d’occasion tant pour s’exercer lui-même
dans la vertu que pour instruire ses fils, lui demanda de daigner
suggérer quelques maximes fondamentales en s’adressant à nous
tous. Et il répondit avec le texte de S[aint] Augustin : Prima
virtus est humilitas ; secunda, humilitas ; tertia, humilitas [La
première vertu est l’humilité ; la deuxième, l’humilité ; la troisième,
l’humilité]. Nous comprîmes alors plus que jamais pour-
quoi D. Bosco nous recommandait cette vertu. Il nous demandait
souvent de lui donner deux doigts de notre tête, en faisant
allusion au renoncement de notre volonté ; et il disait qu’il ferait
de nous des saints. Et presque chaque jour il nous répétait les
mots de S[aint] Augustin : Magnus esse vis ? a minimo incipe.
Cogitas magnam fabricam construere celsitudinis ? de fundamen-
to prius cogita humilitatis [Veux-tu être grand ? commence par les
plus petites choses. Penses-tu construire un bâtiment de grande hau-
teur ? pense d’abord au fondement de l’humilité] ; et d’autres sentences
semblables ».

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68.1 Page 671

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CHAPITRE LVI
D. Bosco et les élèves occupent le nouveau bâtiment Décision
téméraire, mais sûre Mise en place des ateliers pour les
cordonniers et les tailleurs à l’intérieur [de l’Oratoire] Premier
Règlement pour les ateliers Patrons et ouvriers d’usines Pro-
jets de D. Bosco au bénéfice de la société et des apprentis.
Les travaux de construction à l’Oratoire avaient été
poussés tellement en avant qu’au mois d’octobre la moitié de la
maison était achevée, avec ses arcades si nécessaires les jours
d’intempéries. Dès qu’elle fut rendue habitable, y furent aussitôt
transférés les classes, le réfectoire et les dortoirs ; l’ancienne
chapelle fut destinée au seul usage de salle d’étude, et le nom-
bre des jeunes pensionnaires arriva très vite à soixante-cinq.
Alors D. Bosco choisit pour son logement la partie qui était
parallèle à l’église S[aint]-François, composée de trois pièces ali-
gnées, au deuxième étage. Celle qui faisait l’angle avec la partie
principale du bâtiment fut occupée par deux ou trois jeunes, qui
y habitèrent et y dormirent, prêts à aider Don Bosco en cas de
nécessité ; la deuxième devait servir en guise de bibliothèque et
c’est là que se trouvait le bureau sur lequel le Jeu[ne abbé] Rua
écrivait ; la dernière, qui avait une fenêtre vers le sud, D. Bosco la
choisit pour son logement et c’est l’actuelle antichambre. Les
objets de cette [pièce], que l’on ne changea pas tant qu’il vécut,
étaient un petit lit de fer et des meubles, en partie donnés par

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les bienfaiteurs ; quelques chaises plus qu’ordinaires, pour tra-
vailler une petite table étroite et grossière sans tapis et sans
étagères, un vieux, très vieux canapé, un bureau chanfreiné pour
conserver les papiers, un très simple prie-Dieu de peuplier, qui
servait pour les confessions, un crucifix et quelques cadres avec
des images saintes. Pendant longtemps cette unique pièce servit
de chambre à coucher, de salle de réception, d’attente et de tra-
vail.
Ces jours-là cependant, comme le bâtiment était récem-
ment terminé, cette pièce était très humide et tous les matins
chaque objet était mouillé au point que l’eau en suintait ; une
paire de chaussures laissée pendant deux jours sous le lit se
couvrait de moisissure. D. Bosco en avait fait couvrir les murs
avec de gros papiers peints : ainsi ceux qui venaient lui rendre
visite ne se rendraient pas compte de l’inconvénient ; et en peu
de temps cette tapisserie devint toute noire, moisie, et elle finit
par tomber en lambeaux. Mais il n’était pas possible de faire
autrement. Comme la maison Pinardi n’était pas suffisante pour
contenir tous les jeunes, il fallait qu’une partie d’entre eux prît
place dans le nouveau bâtiment. Pour empêcher les plaintes des
jeunes de ce groupe et pour leur permettre de s’adapter de bon
cœur à ce déménagement, il les avait enthousiasmés en prônant
la beauté et les avantages de la nouvelle habitation. Puis,
comme il avait commencé le premier à y établir sa demeure,
tous les autres le suivirent joyeusement. Si D. Bosco avait con-
tinué à occuper sa première chambre et avait envoyé seulement
les jeunes dans la nouvelle maison, des murmures et des mécon-
tentements se seraient certainement élevés. Il est vrai que ce fut
une décision téméraire, d’un point de vue humain ; tant d’humi-
dité pouvait être la source de maladies sérieuses. Mais D. Bosco
n’en attrapa aucun mal et tous les autres n’en souffrirent pas,
ainsi qu’il l’avait publiquement annoncé. D. Bosco savait que sa
promesse serait confirmée par les faits.

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659
Une fois logée la communauté, il voulut aussitôt réaliser
le projet qu’il avait formé d’ouvrir, au prix de n’importe quel
sacrifice, des ateliers à l’intérieur de l’Oratoire. Le fait d’en-
voyer chaque jour les jeunes dans les entreprises de la ville,
fussent-elles choisies, surveillées, quittées lors d’un changement
nécessaire effectué avec le plus grand soin, constituait un dan-
ger, sinon un préjudice, pour la discipline et pour le profit des
pensionnaires. Les mauvaises mœurs et l’irréligion faisaient
malheureusement des progrès parmi les ouvriers et D. Bosco s’a-
percevait que les railleries auxquelles ses élèves servaient de
cible visaient à détruire en grande partie le fruit de l’éducation
morale et religieuse qu’il s’efforçait de leur donner.
Les rues elles-mêmes qu’ils devaient parcourir étaient
encombrées par les vendeurs d’une multitude de journaux qui
étaient de perpétuels et systématiques moyens de propagation de
l’immoralité et de l’impiété. Dans les vitrines des libraires et les
étalages des marchands ambulants, il y avait des gravures obscè-
nes, des statues répugnantes, des romans graveleux, d’autres
productions dégoûtantes et même des livres hérétiques, tout un
fatras qui faisait de soi une exposition scandaleuse.
A cause de toutes ces incitations, leur foi courait éga-
lement un risque, bien que D. Bosco, en plus de plusieurs
prescriptions et avertissements, leur adressât le mot du soir, dans
le but, précisément, d’exposer et de confirmer quelques vérités
qui par hasard auraient été contredites au cours de la journée.
Et, non seulement en public mais également en privé, il parlait
continuellement des erreurs des protestants et de leurs tristes
conséquences, en les exhortant à se tenir sur leurs gardes à ce
sujet.
D. Bosco voulut donc soustraire la partie de ses jeunes
apprentis qui lui fut possible aux inconvénients déplorés. C’est
pourquoi, avec le secours des bienfaiteurs, ayant acheté quelques
tables spéciales et les outils nécessaires, il plaça l’atelier des
cordonniers dans un petit couloir de la maison Pinardi auprès du
clocher de l’église.
En même temps il destinait quelques jeunes au métier de
tailleur, et, la cuisine ayant été transportée dans le nouveau local du

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660
rez-de-chaussée au fond de l’actuel parloir d’hiver vers le jardin,
l’ancienne cuisine devint l’atelier des tailleurs. Le Crucifix et la
statue de Notre-Dame prirent possession des deux ateliers. Un
grand avantage spirituel, moral et matériel apparut aussitôt pour
ces élèves. D. Bosco fut le premier maître des tailleurs, ayant
déjà exercé ce métier lorsqu’il était étudiant ; de même que de
temps en temps, alors que les étudiants étaient à leurs cours en
ville, il allait s’asseoir à la table de travail des cordonniers pour
enseigner aux jeunes le maniement de l’alêne et du ligneul
préparé pour réparer les chaussures. De cette façon il pourvoyait
aux besoins des jeunes avec une moindre dépense, puisque très
vite, pour les chaussures et pour les vêtements, on n’aurait plus
à faire appel au travail de personnes de l’extérieur. Dans ce but,
au fur et à mesure que naîtra dans la maison un nouveau be-
soin, nous le verrons ouvrir un nouvel atelier.
Le Théol[ogien] Savio Ascagne disait : « J’ai visité ces
ateliers dès le début lorsqu’ils furent ouverts en 1853. Don Bos-
co avait vu que l’Internat ne pouvait pas donner son véritable
fruit sans les arts et les métiers dans la maison. Son Institution,
pour vivre, avait besoin d’être complète à l’intérieur du cercle de vie
qu’elle formait et développée dans tous ses membres comme un
corps organisé : elle avait besoin de se suffire à elle-même ».
D. Bosco fit aussitôt le choix des chefs d’atelier : Goffi
Dominique, qui était aussi concierge, fut préposé aux cordon-
niers ; un certain Papino aux tailleurs. Tandis qu’ils enseignaient
le métier, les chefs devaient surveiller attentivement les jeunes et
empêcher le moindre désordre. Dans le même temps D. Bosco,
pour la sauvegarde de la discipline, de la moralité et des
résultats, composait un règlement, que l’on devait appliquer dans
chaque atelier.

68.5 Page 675

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661
REGLEMENT.
Maîtres d’atelier.
1. Les Maîtres d’atelier ont la charge de former les jeunes de
la Maison dans le métier auquel ils sont destinés par les
Supérieurs. Leur principal devoir est la ponctualité à se trouver
en temps voulu dans l’atelier, et de donner du travail à leurs
élèves au fur et à mesure qu’ils entrent.
2. Qu’ils se montrent empressés pour tout ce qui regarde le
bien de la Maison ; et qu’ils se rappellent que c’est pour eux un de-
voir essentiel d’instruire les apprentis et de faire en sorte que le
travail ne leur manque pas. Qu’ils observent et fassent, pour
autant que c’est possible, observer le silence pendant le travail,
et ils ne permettront pas que quelqu’un se mette à parler, à rire,
à plaisanter ou à chanter en dehors du temps de récréation.
Qu’ils ne permettent jamais à leurs élèves de sortir pour aller
faire des commissions. Si le cas s’en présente, qu’on en deman-
de au Préfet la permission qui convient.
3. Ils ne doivent jamais faire de contrats avec les jeunes de la
Maison, ni assumer pour leur compte personnel un travail de leur
profession. Qu’ils tiennent un registre exact de toutes sortes de
travail qu’on accomplit dans l’atelier.
4. Les chefs d’atelier ont la stricte obligation d’empêcher tou-
tes sortes de mauvaises conversations, et s’ils apprennent que
quelqu’un en est coupable, ils devront immédiatement en infor-
mer le Supérieur.
5. Que chaque maître, chaque élève reste dans son atelier et
que jamais quelqu’un ne se rende dans celui des autres sans une
absolue nécessité.
6. Il est interdit de fumer du tabac, de jouer, de boire du vin
dans les ateliers : on doit y travailler et ne pas s’y divertir.

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662
7. Le travail commencera par l’Actiones [Que ta grâce inspire
notre action] et par l’Ave Maria. A midi on dira toujours
l’Angelus Domini [l’Angélus] avant de sortir de l’atelier.
8. Les apprentis doivent être dociles et soumis à leurs maîtres,
[considérés] comme leurs supérieurs, en faisant preuve d’une grande
diligence pour leur complaire et de la plus haute attention pour
apprendre les choses qui leur sont enseignées.
9. Ces articles seront lus tous les quinze jours d’une voix
claire par le Chef, ou par quelqu’un à sa place, et on en tiendra
toujours une copie affichée dans l’atelier.
Dans ce Règlement on ne parle pas encore d’Assistant.
Personne, en dehors de D. Bosco, ne détenait l’autorité : l’année
suivante fut ajouté le Préfet.
D. Bosco aurait voulu pouvoir dès ce moment-là avoir
tous ses apprentis continuellement sous les yeux, mais il était
obligé d’en envoyer un certain nombre dans Turin, puisque lui
manquaient les locaux qui auraient convenu. Il redoublait donc
les sollicitudes ainsi que ses visites dans les entreprises ; il
répétait ses recommandations aux patrons en leur demandant
d’assister ses protégés. Mais ce n’était pas sans de grandes
préoccupations et de grands soins diligents qu’il devait chercher
des ateliers vraiment chrétiens. Pour certains métiers il devenait
de plus en plus difficile de trouver des chefs d’entreprise de
religion sûre. Ces derniers, uniquement préoccupés du travail
matériel ou du revenu financier, se seraient étonnés si on leur
avait fait remarquer que Dieu leur demandera des comptes pour
les âmes de leurs ouvriers. Et les ouvriers, n’ayant pas quel-
qu’un pour leur rappeler la dignité de leur âme, la nécessité de
sanctifier le poids du travail dur, leurs destinées immortelles, et
les espérances divines ; n’ayant pas quelqu’un pour leur donner
le bon exemple, un avis au moment opportun, pour imposer aux

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663
vauriens l’observance de la loi de Dieu, se laissaient corrompre
l’esprit et le cœur par toutes les mauvaises influences.
D. Bosco écrivait ceci dans l’une des premières Lectures
Catholiques.
« J’entre dans une usine, ou dans un grand atelier plein à
craquer d’ouvriers. Quelles paroles me blessent tout de suite l’o-
reille ? Le nom adorable de Jésus Christ prononcé de mauvaise
manière çà et là ; et des imprécations et des expressions de rage
et des blasphèmes, au point qu’il me semble être dans une fosse
de l’enfer. Je m’approche de quelques jeunes manœuvres, et la
hardiesse et l’effronterie de leurs propos me font frémir. Je me
tourne vers d’autres côtés ; et, ici, c’est un homme mûr qui
décrie la religion et ses ministres ; là, c’est un autre qui maudit
la Providence ; et il ne manque même pas le vieillard, sans
pudeur et sans foi, qui se fait maître de corruption et d’impiété
pour une bande d’apprentis qui, curieux, sont en train de l’é-
couter et, imprudents, boivent le poison.
» Tel est malheureusement le triste tableau présenté de nos
jours par une partie de nos ateliers et de nos usines. Que l’on
demande à ces hommes pourquoi ils suent tant, pourquoi ils
s’épuisent tant du lever du soleil jusqu’à la nuit. Tous répon-
dent : Pour gagner notre pain. Très bien, ceci est pour le
corps ; mais, vous, savez-vous que vous avez une âme ? Ri-
res. Cette âme, pensez-vous à la sauver ? Pensez-vous à
gagner le ciel ? Rires. Mais, pauvres gens que vous êtes,
ne craignez-vous pas de vous attirer un malheur éternel ? Quant à
nous, nous n’avons pas d’autre peur en ce monde que de tomber
malades, de nous trouver sans travail, de manquer du nécessaire
et de périr de faim. Et quand vous serez morts ? Rires. En
somme : Tout pour le corps, rien pour l’âme ».
Les mères, angoissées, venaient vers D. Bosco pour pou-
voir enlever de ces entreprises corruptrices leurs fils, en le priant
de chercher pour eux un endroit qui leur permît d’apprendre la

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664
manière de gagner leur pain, sans la triste certitude de perdre
leur âme. Et D. Bosco se donnait du mal pour les placer, même
en dehors de la ville en raison des nombreuses relations qu’il
avait, tout en étant décidé à ne pas s’accorder de repos jusqu’au
jour où il pourrait retenir les apprentis par centaines à l’Oratoire
où il s’occuperait d’eux directement.
Mais cela n’était pas tout. Avec son esprit profond et
perspicace, il voyait les dangers qui planaient au-dessus des
nations et la nécessité de résoudre la grande question ouvrière
dans un sens chrétien. Le socialisme s’était déjà manifesté dans
les royaumes voisins et menaçait aussi l’Italie. Les partisans des
mauvaises doctrines, les chefs des sociétés secrètes, convaincus
que l’avenir appartiendrait certainement à ceux qui sauraient se
rendre maîtres de l’esprit et du cœur de l’ouvrier, commençaient
à déployer un zèle vraiment satanique pour abrutir les masses,
pour les tenir prêtes à tous les débordements et pour pouvoir,
eux, en s’appuyant sur leur dos, monter à une situation élevée.
D. Bosco s’était donc fixé également d’empêcher de son côté
tant de désastres au moyen des jeunes ouvriers eux-mêmes : il
les amènerait à cette Religion qui, seule, en indiquant la voie de
la charité et du sacrifice, les rend contents de leur situation. Il
leur montrait comment Notre Seigneur Jésus Christ a personnel-
lement honoré et glorifié le travail manuel, lui qui dans sa vie
mortelle voulut être comme eux précisément un simple ouvrier,
et il décrivait souvent leur entrée triomphale au ciel et la ré-
compense sans fin qui les attend lorsqu’ils seront sortis des
peines et des fatigues de ce monde.
Si ce n’est que tout seul il ne pouvait pas réaliser son
projet d’ateliers chrétiens, séjour de paix, de joie, d’une activité
aimée et bénie ; et desquels ensuite se répandraient dans le
monde leurs élèves, prêts à affronter avec courage les difficultés
de la vie, à suivre inflexibles la ligne droite que pour eux

68.9 Page 679

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665
Dieu a tracée, à être des soldats de l’Eglise et donc de l’ordre
public, dans les sociétés ouvrières catholiques. L’expérience lui
démontrait que les œuvres personnelles disparaissent généralement
avec les hommes qui les ont créées. C’est pourquoi D. Bosco ne
cessait pas un instant de rêver d’une Congrégation religieuse or-
ganisée également dans ce but. C’était la divine Providence qui
lui inspirait cette idée, comme elle l’avait inspirée à des centaines et
des centaines d’autres fondateurs et fondatrices contemporains de
Pieuses Sociétés, qui devaient de mille façons secourir l’ouvrier
dans chacun de ses besoins. La haine envers leur influence
salutaire et puissante dans le peuple, nous croyons qu’elle est
une des causes de la guerre atroce par laquelle on cherche à les
exterminer.
Donc, en 1853, D. Bosco, sans crier sur les toits,
comme on a l’habitude de faire aujourd’hui pour un rien,
commençait cette nouvelle entreprise gigantesque, qui était la
sienne, en lui donnant une taille si menue qu’elle paraissait, et
ne l’était pas, un simple essai. Il sembla qu’il lui était dit :
« Espère de tout ton cœur dans le Seigneur, et ne t’appuie pas
sur ta prudence. Dans toutes les circonstances de ta vie pense à
Lui, et Il dirigera tes pas (1) ».
Et de fait on verra même cette œuvre couvrir les deux
mondes. Au cours de cinquante ans, plus de 300 000 ouvriers
sortirent de ces ateliers chrétiennement éduqués, et se répandirent
partout. Et des milliers de garçons, qui seraient abandonnés aux
dangers des chemins, en devenant les instruments aveugles de la
tyrannie des sectes, se transforment continuellement en d’utiles et
honnêtes citoyens, en hommes respectables et de valeur.
—————
(1) Pr 3,5-[6].

68.10 Page 680

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666
CHAPITRE LVII
La catégorie des étudiants Les écoles privées des
professeurs D. Picco et Bonzanino Les manteaux des
militaires Nouveaux témoignages des choses étonnantes
accomplies par D. Bosco à l’Oratoire Les jeunes de la ville
élèves des écoles privées et D. Bosco La fête de S[aint] Mat-
thieu et une grêle de pierres Influence salutaire de D. Bosco
sur quelques enseignants Eloges mérités par les étudiants de
l’Oratoire Cordialité entre les enfants du peuple et les fils
des riches.
Au fur et à mesure qu’à l’Oratoire augmentait en nombre le
groupe des pensionnaires apprentis, la catégorie des étudiants grossis-
sait aussi. L’institution de cette section fut une œuvre providentielle
et, nous pouvons le dire, inspirée par Dieu. Parmi les jeunes, qui par le
Gouvernement, par les Mairies, par les Curés et par les parents étaient
recommandés à D. Bosco, beaucoup appartenaient à des familles
autrefois aisées ou de condition bourgeoise, mais tombées dans la
misère à cause de revers de fortune. A ces jeunes gens, élevés autre-
fois dans les commodités de la vie, l’apprentissage d’un art pénible ou
d’un métier rude n’était pas toujours le plus agréable ni le plus appro-
prié. Par ailleurs d’autres se montraient pourvus d’une intelligence si
rare qu’il semblait dommage de la laisser comme ensevelie dans un
atelier ; de tels jeunes, s’ils recevaient une formation dans la science,

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69.1 Page 681

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667
pourraient avec le temps rendre à la société civile des services
bien plus importants. Or D. Bosco, qui, autant qu’il le pouvait,
organisait sa charité selon le besoin, la convenance et la
propension, destinait de tels garçons à l’étude plutôt qu’à un
travail manuel. De cette façon la famille des étudiants, qui en
1850 n’était composée que de douze [membres], arriva en 1853 à
égalité avec celle des apprentis.
Au moyen de cette institution D. Bosco fit de son
Oratoire une source de bienfaits pour un plus grand nombre de
familles pauvres ; procura une formation à de très belles intel-
ligences qui autrement, parce que ces gens n’avaient pas les
moyens, seraient restées à l’état brut ; donna à la société civile
non seulement de bons ouvriers et d’habiles artisans, mais aussi
des employés instruits ; et, ce qui compte davantage, il inaugu-
rait dès ce moment-là une pépinière de séminaristes pour les
diocèses, et de ses aides pour l’Oratoire, grâce auxquels il devait
étendre le bienfait de l’instruction civique et de l’éducation
morale à des milliers d’enfants pauvres dans un hémisphère et
dans l’autre.
Nous avons déjà raconté comment D. Bosco, ne pouvant
plus s’occuper de donner des cours de latin, avait commencé
dans l’année scolaire 1851-52 à envoyer tous ses étudiants des
cours classiques à l’école privée de M. le Chev[alier] Joseph
Bonzanino, professeur de cycle inférieur des Etudes Secondaires,
puis à celle du Prêtre D. Matthieu Picco, professeur de rhé-
torique. Ces deux remarquables messieurs se prêtèrent de bon
cœur à cette action de charité, ouvrirent gratuitement leurs cours
aux élèves de D. Bosco et ont grandement mérité de notre
Oratoire. Comme ils étaient des hommes éminents, de manières
exquises, d’aspect vénérable, et savants dans les matières qu’ils
enseignaient, leurs écoles étaient très estimées dans la ville : les
élèves les fréquentaient avec un grand profit, et les familles ai-
sées rivalisaient à qui mieux mieux pour leur confier leurs fils.
D. Bosco envoyait ses étudiants divisés en deux équi-
pes, parce que Don Picco habitait auprès de Saint-Augustin et le

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668
prof[esseur] Bonzanino à côté de Saint-François d’Assise. Une équipe
était composée des élèves des trois classes du cycle inférieur des
Etudes Secondaires, l’autre de ceux qui fréquentaient le cours des
humanités et celui de rhétorique : et ils devaient à l’aller et au
retour se tenir à un itinéraire qui leur était rigoureusement
prescrit. Celui-ci faisait allonger d’un bon bout la route, mais les
jeunes obéissaient aveuglément sans en connaître le pourquoi ; et
si quelquefois ils le demandaient, D. Bosco se contentait de ré-
pondre : Corrumpunt bonos mores colloquia prava [les mauvaises
compagnies corrompent les bonnes mœurs]. Le motif de cette pres-
cription, ils le connurent plus tard, ayant grandi en âge. Le
Jeu[ne abbé] Rua avait la charge de les surveiller pendant le
trajet, et, lui, il allait suivre les cours de philosophie des profes-
seurs du Séminaire et théologiens Mutura [= Mottura] et Farina.
Le Chan[oine] Berta rappelait, toujours avec grand plaisir, qu’il
lui avait donné des leçons particulières sur les cours entendus.
Une fois arrivés là à l’Institution, les étudiants avaient
pour condisciples les enfants des familles de Turin considérées de
premier rang soit en raison de leur noblesse soit en raison de
leur richesse. Il faut admirer comment la Divine Providence les
conduisait en un lieu qui leur permît de nouer des relations
familières avec autant de jeunes destinés à occuper un jour des
charges éminentes dans l’Etat ou à la Mairie ; et chez lesquels
les souvenirs ineffaçables de l’enfance mettraient une disposition
à les aider lorsqu’ils demanderaient leur appui. En plus de cela,
comme les jeunes de l’Oratoire s’avéraient les meilleurs de l’é-
cole, quant à la vertu, quant à l’intelligence, quant à l’étude et
quant à l’application, leur réputation d’être de bons garçons se
répandait dans les salons splendides de ces riches qui étaient
devenus et deviendraient à l’avenir leurs bienfaiteurs. Dès le
début il y eut également une chose qui causa un grand éton-
nement, à savoir le fait qu’aucune des familles turinoises ne
retirait ses fils d’écoles qui accueillaient ces pauvres garçons,
aucune même n’en émit les moindres plaintes, au contraire tou-
tes virent d’un bon œil l’action des professeurs. Cependant il
faut remarquer que l’époque n’était pas encore celle de la démo-
cratie.

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669
Mais dans le même temps comme elle est digne d’é-
loges et, je dirai, héroïque, la charité chrétienne de D. Picco et
du Chev[alier] Bonzanino qui, au risque de voir leurs écoles se
retrouver désertées par la fleur de la population, qui leur procu-
rait une honorable subsistance, se hasardaient à mettre sur les
mêmes bancs des jeunes d’humble condition, vêtus modestement,
à côté de jeunes messieurs tous bien soignés, en habits raffinés,
conscients de leur position sociale. L’unique précaution qu’avait
le prof[esseur] Bonzanino était de se rendre à la porte de sa
maison et de faire ôter aux gars de Don Bosco les manteaux de
soldat qu’ils revêtaient comme pardessus, afin de se protéger de
la pluie ou de la neige.
Ces manteaux étaient un don fait à D. Bosco par le
Ministre de la guerre ; mais ils avaient beau défendre la person-
ne des intempéries, ils étaient mités ; et ils avaient plus la forme
d’une couverture que d’un vêtement, et à qui les endossait ils
donnaient presque un air de contrebande ou de caricature. Et de
fait, quand Tomatis, se rendant un jour au cours de dessin avec
cette tenue, s’était assis sur un bas-côté des boulevards, aussitôt
deux agents de police s’approchèrent de lui en lui demandant ses
papiers d’identité. Tomatis leur répondit ingénument qu’il avait
avec lui du papier à dessin, et sans plus il le sort de sa saco-
che. Aux demandes : qui il est, où il habite, ce qu’il fait, il
ajouta qu’il s’appelait Tomatis, qu’il était étudiant et qu’il habi-
tait avec D. Bosco à Valdocco. Interrogé pour savoir comment
faisait D. Bosco pour subvenir aux besoins de ses garçons,
Tomatis prononça un seul mot : La Providence !
Allons donc, la Providence ! s’écrièrent les agents avec un
sourire narquois.
Et Tomatis [de dire] : — S’il n’y avait pas la Providence, vous
non plus, messieurs, vous ne resteriez pas en aussi bonne santé.
Et c’est elle-même qui me fournit ce manteau. Ayant eu
quelques autres explications, les agents le laissèrent en paix.

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670
Ces manteaux et ces bérets de militaire furent tout
d’abord la cause d’une certaine admiration indiscrète, d’une
certaine moquerie ; mais ensuite tout passa et pendant de nom-
breuses années les jeunes de D. Bosco les revêtaient, en restant
dans la maison ou en sortant à l’extérieur. Toutefois le pro-
fesseur Bonzanino ne les avait pas, et avec raison, trouvés
présentables dans une société de jeunes messieurs, portés à rire
et à se gausser.
Les étudiants de D. Bosco furent la première année,
comme on l’a dit, en petit nombre, mais peu à peu, ce groupe
ayant augmenté jusqu’à 100, ils finirent presque par remplir les
salles de ces personnes qui retiraient des écoles le nécessaire
pour vivre. Cependant D. Bosco n’omettait pas de faire payer,
par les parents qui le pouvaient ou par ceux qui lui avaient
recommandé un enfant, la redevance mensuelle prescrite dans le
programme [d’inscription]. Et lui-même commença à rétribuer ces
professeurs par un versement annuel, d’abord de 50 lires et
ensuite de sommes plus fortes, selon que ses finances le lui
permettaient.
Et ces braves enseignants ne repoussèrent jamais un
jeune recommandé par D. Bosco, qui d’autre part savait
demander avec assez de cordialité pour vaincre, s’il y en avait
eu, toute réticence. Que serve de preuve une lettre écrite par lui
au professeur Bonzanino.
Turin, 28 décembre 1853.
Très ill[ustre] et Très ch[er] M. le Professeur,
J’ai encore deux jeunes à envoyer à l’école : l’un nommé
Carossi, et je crois qu’il convient à la classe de Monsieur
Pasquale ayant fait la troisième année primaire, et désirant
commencer le latin ; ce jeune paie tout ce qui est nécessaire.
L’autre nommé Anfossi, que, me semble-t-il, on peut joindre à

69.5 Page 685

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671
ceux de la deuxième classe de grammaire. Il m’a été envoyé par
Mesdames Losana, la sœur et la belle-sœur de l’Evêque de
Biella, qui, j’espère, feront tout le nécessaire pour les frais sco-
laires.
Il reste à voir si Vous pouvez encore les cacher dans quelque
recoin pour qu’ils entendent vos précieuses leçons. Commencez à
les recevoir, ensuite Vous ferez in Domino [dans le Seigneur] ce
qui mieux Vous semblera.
Que le Seigneur Vous bénisse, ainsi que toute votre respecta-
ble famille, et, en Vous remerciant de tout ce que Vous faites
pour mes pauvres fils, je m’offre à Vous en ce que je peux.
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très ch[ère]
Très obl[igé] serviteur
J[ean] BOSCO Pr[être].
Anfossi Jean-Baptiste, jeune garçon de 13 ans, avait été
conduit le 22 décembre à l’Oratoire par la sœur de Mgr Losana.
Toute la ville de Turin connaît l’éminent Prêtre, Chanoine
honoraire de la Collégiale de la Très s[ainte] Trinité, Docteur en
Belles Lettres et en Philosophie, Chevalier [de l’ordre] des S[aints]
Maurice et Lazare. Eh bien ; c’est lui-même qui nous exposait
ainsi vers 1900 comment dès les premiers instants il conçut une
grande estime de Don Bosco. « En 1853, quand j’entrai à
l’Oratoire, le bruit y courait que D. Bosco avait opéré des
miracles. Les plus âgés de mes compagnons me racontaient, et
c’était une ferme conviction chez nous tous et à cette époque
nous étions 51, non compris les jeunes abbés, que ces faits s’é-
taient produits : le mort ressuscité, les châtaignes et les hosties
multipliées. Ils parlaient également de la distribution du pain,
qu’on avait souvent l’habitude de faire à l’Oratoire, à l’occasion
d’une communion générale, en donnant aussi quelque chose pour
l’accompagner. En cette circonstance étaient d’ordinaire également
présents les jeunes externes, dont le nombre ne pouvait pas être

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672
prévu. Et pourtant, bien que parfois dans la maison il n’y eût
pas de pain en quantité suffisante, il y en avait eu pour tout le
monde.
» J’ai connu aussi Maman Marguerite ; j’ai admiré sa vie de
sacrifice, employée continuellement au bien des enfants. Quand
nous avions besoin de quelque chose nous avions l’habitude de
nous adresser à elle ; et, si elle le pouvait, aussitôt elle nous
aidait et nous fournissait le nécessaire, en nous exhortant tou-
jours à la prière et à la vertu. Elle était vénérée de tous ceux
qui venaient à l’Oratoire, même par des personnes de condition
élevée ».
Le professeur Bonzanino l’admit à ses cours, ainsi que
le jeune garçon Carossi.
D. Bosco s’entretenait souvent avec ces bons professeurs,
sur les divers classiques latins, et il leur recommandait de corri-
ger toujours les copies des devoirs, d’en noter les erreurs et de
les mettre sous les yeux des élèves, jugeant que c’est le meilleur
moyen pour leur faire apprendre une langue avec perfection. Il
répétait cet avis plus tard et avec insistance aux enseignants de
l’Oratoire. Et il n’abandonnait pas ses garçons au moment où ils
se présentaient aux examens, aussi bien dans ces écoles privées
que dans celles de l’Etat. Il allait rendre visite aux examinateurs,
qui, en raison de leur bonté, le laissaient voir les travaux de ses
élèves effectués par écrit. Il les lisait attentivement, examinait les
corrections, défendait certaines impropriétés qui avaient été consi-
dérées comme des erreurs. Il le faisait avec tant d’érudition, au
point de se faire admirer par ces professeurs, qui s’exclamaient en
disant qu’ils ne se seraient jamais imaginé que D. Bosco avait
des connaissances en littérature latine aussi profondes et variées.
D’autre part, D. Bosco récompensait D. Picco et Bonza-
nino du mieux qu’il pouvait, en étendant ses soins affectueux à
tous leurs élèves. Comme dans ces classes on ne donnait pas de
cours de catéchisme et de religion, lui-même, en 1853, y faisait
régulièrement chaque samedi une visite, et il continua pendant
plusieurs années successives. Lorsqu’il entrait dans une classe, le

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673
professeur sortait, et pendant une heure il s’entretenait avec les
élèves qui là se trouvaient en pension ou venaient de chez eux.
Il leur racontait un fait d’histoire ecclésiastique, une parabole,
une anecdote édifiante, mais tout était orienté dans le but
d’amener ces jeunes gens à se confesser souvent et bien. Il
expliquait également quelques réponses du catéchisme.
Il les accueillait ensuite à l’Oratoire pour les confessions
mensuelles, et exerçait sur eux, et même sur ceux des familles
les plus illustres, une influence salutaire. Le Prof[esseur] et Cha-
noine Anfossi nous racontait encore à propos de ces jours-là :
« J’entends fréquemment le récit de ces faits, accompagné de
sentiments de profonde gratitude envers D. Bosco et fourni par
des personnes illustres et de la première noblesse qui alors fré-
quentaient avec moi ces classes, entendaient les enseignements
religieux et se confessaient à lui ».
Tous ces jeunes gens éprouvaient une grande confiance
en D. Bosco, comme également leurs parents, de sorte qu’il
parvint plusieurs fois à rétablir la paix dans telle ou telle famille
distinguée, perturbée à cause de quelque malentendu ou aussi à
cause du caractère obstiné ou fougueux d’un enfant. Un certain
Cal…, qui depuis son enfance fréquentait l’Oratoire, avait été,
cette année-là, sévèrement grondé par son père : il résultait qu’il
s’enfuyait de la maison et venait à Valdocco. Don Bosco le
retint avec lui, calma son irritation, en informa le père, prépara
le jeune à faire une bonne confession, et un mois plus tard il le
reconduisit en famille, où il fut accueilli à bras ouverts. Il fut
ensuite un excellent homme, fit des études d’avocat et devint
conseiller à la Cour d’Appel.
Les relations d’amitié de D. Bosco avec leurs maîtres
étaient, elles aussi, familières : il montrait clairement envers eux le
plus haut respect et la plus profonde gratitude. A ce propos il
lui arriva un fait vécu à moitié sérieux, digne de mémoire.
D. Bosco avait l’habitude de passer le 21 septembre
dans la maison de campagne de D. Matthieu Picco, pour célé-

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674
brer la fête patronale de ce professeur, qui avait aussi le privi-
lège de la chapelle domestique. En cette année 1853, le soir, à
la veille de cette fête, il s’y achemina avec le jeune Francesia
Jean qui portait, dans ses mains, un beau paquet de fusées que
l’on devait faire partir en l’air le lendemain au début de la nuit
et, en poche, un poème exprimant des souhaits qu’il lirait à la
fin du repas de midi. Sortis par la barrière de Casale et s’étant
engagés au pied de la colline de Superga, par la vallée de S[an]
Martino, ils commençaient à gravir les collines, sur l’une des-
quelles, dans un emplacement très charmant, apparaissait dans sa
blancheur la maison du professeur. Avec D. Bosco on ne de-
meurait jamais oisif ; il avait toujours quelque chose à dire,
quelque projet à proposer ; et il rendait sa compagnie agréable et
profitable. Parvenu au lieu-dit S[aints]-Bino-et-Evasio, il racontait à
Francesia la vie merveilleuse de ces deux saints et le jeune était
totalement occupé à l’écouter. A ce moment-là voici que sortent
brusquement d’un groupe d’arbres environ dix jeunes gens qui
attaquent D. Bosco à coups de pierres. Ils avaient l’habitude de
faire cette plaisanterie à quiconque passait par ce chemin et en
particulier aux prêtres. D. Bosco se retourna, et tranquillement
avança à la rencontre de ces petits insolents, qui lui tournèrent le dos
en courant. D. Bosco cria alors derrière eux : Arrêtez-vous !
Ecoutez, écoutez : venez ici ; je ne veux pas du tout vous bat-
tre ; je ne veux pas vous gronder.
A ces mots les jeunes s’arrêtèrent.
— J’ai une médaille à vous donner en cadeau ! continuait
D. Bosco. Et en la sortant, il la faisait voir.
Les plus hardis, encore que timidement, s’approchèrent de lui,
en disant : — Ce n’est pas nous qui avons lancé les pierres. Ce
sont les autres là-bas, ceux qui se sont cachés derrière cette
rangée de mûriers.
Venez ici, vous aussi, cria D. Bosco aux plus éloignés.
Oh ! nous sommes amis, et je sais bien que vous l’avez fait
pour rire. Et tous coururent autour de lui.
Maintenant dites-moi, continua D. Bosco : aimez-vous les
cerises ?

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675
Oh que oui ! je suis capable d’en manger une tonne [voir *
page 678], lui répondirent-ils.
(D. Bosco disait que ces bons mots de plaisanterie et d’autres
semblables réussissaient toujours en de telles circonstances à pro-
duire un excellent effet, et qu’en dépensant quelques sous pour
des fruits, il obtenait l’attachement des galopins).
Et même avec les noyaux ? ajouta D. Bosco.
Avec les noyaux et tout.
Dites-moi encore ; le dimanche, vous allez à la messe et au
catéchisme ?
Oui, oui, monsieur !
Et où ?
Nous allons à la paroisse, répondirent quelques-uns ; et d’au-
tres : Nous allons à l’Oratoire de D. Bosco à Vanchiglia, où, lors des
fêtes solennelles, on nous donne du pain et du saucisson.
Et D. Bosco en souriant : Comment ! Vous allez à l’O-
ratoire de D. Bosco, et vous attaquez D. Bosco à coups de
pierres ?
Vous êtes D. Bosco !
Certainement : c’est moi !
Oh ! D. Bosco, D. Bosco !
Entre-temps les parents des garçons étaient sortis des maisons
et, ayant écouté cette conversation, se mirent à apostropher leurs
enfants : Ah ! garnements, chenapans, baloss [coquins], vous jetez
des pierres, hein ! Vous aurez affaire à nous… Excusez, D. Bos-
co !
Oh ! non, leur répondait D. Bosco ; ne les grondez pas, ces
bons enfants : ils ne le faisaient pas du tout avec une mauvaise
intention. Et il prenait leur défense, sachant que ces manières
plaisaient extrêmement aux parents et aux enfants, tandis que les
paroles brusques auraient irrité les uns et les autres.
D. Bosco, cependant, en prenant congé, exhorta les parents à
veiller sur leurs bons garçons, à vérifier s’ils accomplissaient les
devoirs du bon chrétien, et à leur recommander le respect envers

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676
les personnes de la religion, car, en recevant une telle édu-
cation, ils respecteraient aussi leurs parents et les aideraient dans
leur vieillesse.
Il faisait nuit désormais et D. Bosco, ayant salué l’as-
semblée de ces personnes en enlevant son chapeau, continua sa
route. Tandis qu’il s’éloignait, les gens, en formant des groupes,
se mirent, dans leur émerveillement, à commenter les paroles de
D. Bosco, et la leçon produisit son effet. De fait, D. Picco, qui
à plusieurs reprises avait été attaqué à coups de pierres dans
cette vallée et qui avait l’habitude d’avertir quiconque allait lui
rendre visite dans sa villa, en lui disant de prendre un autre
chemin, n’eut plus depuis ce jour, à son étonnement, à souffrir
en cet endroit la moindre impolitesse. Et lorsqu’il apprit l’aven-
ture survenue à D. Bosco, il dit et répéta : A présent je ne
suis plus surpris de ce changement. D. Bosco seul était capable
de le réaliser !
Pour ce professeur et pour d’autres, surtout s’ils étaient
prêtres, le seul fait de s’entretenir souvent avec D. Bosco était
aussi la source d’un grand profit. Sans presque s’en apercevoir,
ils cessaient des manières de faire quelque peu mondaines, de-
venaient plus minutieux dans la vie spirituelle, savaient vaincre
les bizarreries de leurs caractères. Le comportement de D. Bosco
et sa parole prudente produisaient toujours ces effets consolants.
A ce sujet nous pourrions apporter de nombreux faits à titre de
preuve, mais nous nous contenterons de présenter ce que nous
racontait le Prof[esseur] Francesia.
« J’ai connu un brave et bon professeur qui était prêtre :
au lieu d’aller en soutane, il allait in curtis [en habits courts]
comme c’était l’habitude il y a tant d’années, c’est-à-dire il re-
vêtait un habit qui arrivait à peine aux genoux. Les prêtres qui
aimaient la règle le portaient long jusqu’au milieu des jambes.
D. Bosco entra en relation avec ce professeur, et ce fut suffisant
pour que, sans l’intervention de quelqu’un, il allongeât aussitôt
les pans de l’habit, et d’année en année jusqu’aux pieds, au
point de ne laisser aucune différence entre lui et quiconque por-
tait le vêtement ecclésiastique.

70 Pages 691-700

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70.1 Page 691

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677
» Ce même personnage avait un caractère si impétueux que,
certains jours, malgré les efforts qu’il faisait sur lui, il était
même une source de désagrément pour les gens de sa famille.
Alors malheur à qui le heurte, malheur à qui le contredit. Un
jour je me trouvais chez lui tandis qu’il était sur le point de
prendre le café. Sa sœur avait oublié d’apporter la petite
cuillère ; mais au lieu de faire un vacarme de fin du monde
comme à son habitude, il se tourna vers elle avec un air
souriant et, mettant sa main en conque, il lui dit : Et cet
instrument pour le sucre ? — De sa part c’était fait avec une
telle délicatesse et c’était si nouveau que sa sœur, après l’avoir
servi, me dit secrètement : Voyez ; c’est un effet de la
fréquentation avec D. Bosco ! Si ce qui m’est arrivé ce matin
s’était produit il y a quelque temps, le soleil ne serait plus
apparu de la journée. A présent au contraire il est tout diffé-
rent ! Il plaisante, que c’en est un plaisir et, nous, on vit en
paix ! »
Les étudiants de l’Oratoire faisaient l’objet d’une admi-
ration à leur endroit en raison de leur conduite édifiante, au
milieu des compagnons. Ils aimaient D. Picco et Bonzanino et en
retour ils étaient cordialement aimés d’eux. Ces deux profes-
seurs, on peut les appeler les patriarches des enseignants des
écoles salésiennes, car ils instruisirent un bon nombre de ceux
que le Seigneur destinait à être les collaborateurs de D. Bosco
dans l’enseignement, au profit de la jeunesse. Ils se glorifiaient
d’avoir des élèves, comme Rua, Cagliero, Francesia, Cerruti et
d’autres, qui étaient toujours les premiers en classe pour l’étude,
l’application, les progrès et qui par leur exemple incitaient les
compagnons issus de familles de la ville à mieux répondre aux
préceptes de leurs éducateurs. Et dans leur âge avancé ils rappe-
laient toujours avec plaisir comment les jeunes de l’Oratoire les
dédommageaient des peines, des découragements que leur avait
causés le fait d’avoir rencontré peu d’écho chez d’autres élèves.
Toutefois entre tous les élèves, riches et pauvres, régnait
la plus joyeuse harmonie, car les fils de D. Bosco étaient aimés
par les compagnons. Les fêtes étaient communes. Les uns accouraient

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678
à celles de l’Oratoire, les autres participaient à celle des écoles
privées de rhétorique et de grammaire, qui était célébrée solen-
nellement en l’honneur de S[aint] Louis de Gonzague dans la
Basilique Royale du Grand Magistère [de l’Ordre des Saints Mau-
rice et Lazare]. Alors, c’était encore de la religion que l’on s’inspirait
en éducation et elle y tenait la place dominante, et S[aint] Louis
était le patron et le modèle des étudiants. A l’occasion de cette
fête nos étudiants, avec ceux des écoles privées, avaient l’habi-
tude de composer et de publier quelques sonnets pour exprimer leur
dévotion envers Celui qui avait été appelé un ange dans un corps
d’homme. D. Bosco conserva ceux qui furent publiés en 1854.
—————
* Une tonne : le texte italien porte le mot ‘rubbo’. Il s’agit d’une
ancienne mesure de masse pour matières sèches, de valeur variable
selon les régions : en Piémont, elle correspondait à 9,22 kg ; … ce qui
n’est pas la tonne, comme le propose la réponse des jeunes traduite en
français : mais, exagération pour exagération, cela veut indiquer “une
grande quantité” !
—————

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679
CHAPITRE LVIII
Vie intime de l’Oratoire et manière de le conduire Bonté des
élèves D. Antoine Grella Lettre du Card[inal] Antonelli Pro-
jet d’une imprimerie de l’Abbé Rosmini Prêtres accusés de
rébellion Inauguration du temple vaudois Article du
Rogantino [Le Petit arrogant] et prédiction de D. Bosco Un
repas [offert] aux ouvriers Lettre de D. Bosco au Card[inal]
Archevêque de Ferrare Une discussion entre un avocat et un
pasteur protestant : Drame Les poules de Maman Marguerite.
A présent la vie intime des élèves de Valdocco nous
invite à l’approcher. Jusqu’à 1858 D. Bosco gouverna et dirigea
l’Oratoire comme un père conduit sa famille, et les jeunes ne
sentaient pas de différence entre l’Oratoire et leur maison pater-
nelle. On n’allait pas en rangs organisés d’un endroit à l’autre,
pas de rigueur chez les assistants, pas de contrainte de règles
fixées dans les détails. Qu’il suffise de dire que, le matin, pour
que l’on eût connaissance de qui ne s’était pas levé de son lit,
chacun en entrant dans l’église devait mettre sur le tableau, ins-
tallé près de la porte, une petite cheville de bois dans un trou à
côté de son propre nom. Cela suffisait sans autre contrôle : car
[accomplir son devoir] par conscience était la première règle.
Les jours ouvrables, ils assistaient à la sainte messe, du-

70.4 Page 694

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680
rant laquelle ils récitaient les prières, celles qu’on appelle quo-
tidiennes, avec le chapelet et on finissait par une méditation,
c’est-à-dire une lecture d’un quart d’heure. La S[ainte] Commu-
nion était librement reçue tous les jours pour un certain nombre
et toutes les semaines pour la plus grande partie.
A midi, les étudiants, revenus des écoles, et les ouvriers,
des ateliers, s’asseyaient à la même table, et ensuite après une
heure de récréation ils se rendaient à l’école ou au travail. Vers
quatre heures de l’après-midi ne revenaient à la maison que les
étudiants pour prendre le goûter et pour se récréer pendant une
heure. Les apprentis avaient emporté leur portion de pain.
D. Bosco, qui ne pouvait pas rester sans ses jeunes et
en étudiait avec patience les caractères, assistait et prenait part, à
chaque récréation, à leurs divertissements et à leurs chants.
C’était un spectacle édifiant et admirable de voir les élèves qui
dans la cour rivalisaient à qui mieux mieux pour l’entourer et
tirer profit de sa conversation instructive et simple. Ils estimaient
que c’était un grand honneur et un grand bonheur de se trouver en
compagnie de D. Bosco ; et non seulement ils l’aimaient, mais
ils le vénéraient et le considéraient comme un saint. Il leur ra-
contait quelque anecdote plaisante ou édifiante, et il profitait de
ces occasions pour donner des avertissements ou corriger selon
les circonstances et ses paroles étaient recueillies comme venues
du ciel.
A 5 heures les étudiants se retiraient dans la salle d’é-
tude, jusqu’à l’heure du repas du soir : mais parce que deux
heures et demie d’occupation mentale auraient fini par être un
poids excessif, l’un d’eux, dans les vingt dernières minutes, était
choisi pour faire la lecture de quelque beau récit édifiant capa-
ble d’éveiller un vif intérêt. Après le repas du soir, il y avait
pour tous la classe de chant.
A 9 heures on récitait les prières du soir : en été, sous les
arcades ; en hiver, dans l’ancienne chapelle hangar, parce que, le

70.5 Page 695

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mot du soir familier qui avait lieu après, D. Bosco ne voulait
pas qu’il fût fait dans l’église à la façon d’un sermon. Là, il
avait beau jeu pour donner un avertissement, pour remédier à
quelque petit désordre avec ses manières si suaves et avec ses
paroles si insinuantes ; et parfois avec une sévérité si paternelle,
qui provoquait chez tous la plus salutaire impression.
Tandis qu’on récitait les prières, tous restant à genoux
par terre, D. Bosco était toujours au milieu d’eux ; et, une fois
terminé un court examen de conscience, il montait sur une
chaise, ou sur une petite estrade appropriée, pour faire ledit mot
du soir, court mais efficace.
Il savait éveiller merveilleusement l’amour envers Dieu et
envers Marie, en instillant tantôt une vertu tantôt une autre selon
le besoin et l’occasion, et en donnant des règles pour le progrès
dans la voie du bien. A certains moments il remplissait les
jeunes d’une sainte horreur en parlant de la communion sacri-
lège, à d’autres ils les émouvait en se recommandant à leurs
prières avec une grande humilité, pour que ne cum aliis
prædicaverim, disait-il, ipse reprobus efficiar [qu’il n’arrive pas
qu’après avoir proclamé le message aux autres, je sois moi-même dis-
qualifié]. Ce n’était cependant pas tous les soirs qu’il traitait de
sujets de la plus haute importance et, lorsqu’il n’avait rien à ex-
poser pour l’ordre de la maison, il expliquait le sens d’un nom
de vêtement sacré, par ex[emple] Dalmatique, Amict, Chasuble,
etc. ; ou bien il indiquait ce que veulent dire, et pourquoi on les
utilise dans les cérémonies, des expressions comme Dominus
vobiscum, Kyrie eleison, Alleluia, Amen, etc. ; ou bien aussi il
parlait de quelque métier, ou d’une invention moderne ; mais
entre-temps il cueillait toujours l’occasion de dire ce qu’il vou-
lait et qui lui tenait à cœur. Il n’omettait pas non plus de
raconter l’origine de chaque fête instituée en l’honneur de la
Mère de Dieu et de nombreuses fois il faisait le récit de la vie
du Saint dont l’Eglise célébrait la mémoire le lendemain. Les
anciens élèves rappelèrent comment il décrivait, comme peint sur
le vif, S[aint] Isidore, paysan : tandis qu’en priant il labourait les
champs, avec deux autres charrues les anges l’aidaient dans son

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682
travail, de sorte que les récoltes prospéraient avec une très gran-
de abondance ; et au sujet de S[aint] Cyrille de Césarée de
Cappadoce, encore enfant : parce que chrétien, il est bafoué par
ses compagnons, chassé de la maison paternelle, livré aux juges
qui essaient en vain de l’effrayer avec une fausse condamnation
au supplice du feu, et finalement il reçoit la palme du martyre,
en disant à ceux qui sont présents : « Réjouissez-vous de mon
triomphe. Vous ne savez pas quel royaume m’est ouvert et quel
bonheur m’attend ! ».
A la fin du mot du soir, D. Bosco redescendait et disait
une parole de confidence à l’oreille d’un grand nombre de jeu-
nes, qui allaient lui souhaiter une bonne nuit et lui demander des
conseils. Pour faire du bien à leurs âmes, D. Bosco aurait vo-
lontiers veillé même jusqu’à l’aube. Et les élèves se retiraient
dans leurs dortoirs remplis de saintes pensées, et finissaient la
journée avec un peu de lecture spirituelle, qui était faite par un
compagnon tandis que les autres se couchaient. Ainsi tous les
événements de la journée les portaient à n’être que de bons et
braves garçons.
Leur bonté était tellement plus solide, depuis qu’ils
grandissaient en étant convaincus de la vérité de la religion. Le
dimanche, du haut de la chaire avec une simplicité et un naturel
admirables D. Bosco racontait l’Histoire de l’Eglise et la vie des
Papes aux jeunes qui les écoutaient beaucoup et les appréciaient
avec beaucoup de goût : ils en retiraient toujours une moralité
adaptée à eux et concernant cette époque. Et ils se délectaient
tellement de ces enseignements qu’ils désiraient un prompt retour
du dimanche pour en entendre la continuation et les explications.
D’autre part, la vertu se maintenait constante grâce à la
fréquentation des sacrements. D. Bosco avait la confiance sans
bornes de presque tous ses élèves, et il ne se refusait jamais à
les confesser quel que fût le moment où ils le lui demandaient.
Cependant pour garantir la plus grande liberté le Théol[ogien]
Marengo venait confesser tous les samedis soirs et il y restait
jusqu’à une heure avancée et parfois jusqu’à 11 heures, et avec
lui quelques prêtres invités par D. Bosco.

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Les élèves vivaient dans la présence de Dieu ; et sur
tous les murs on lisait écrit en gros caractères : DIEU TE VOIT.
Au moyen de ce très important rappel à la mémoire D. Bosco
savait leur inspirer un grand recueillement pendant les prières,
dont il soulignait l’efficacité en montrant qu’elles sont un en-
tretien face à face avec Dieu en personne. C’est pourquoi même
les courtes prières, qui précédaient et suivaient toutes les occu-
pations d’étude et de travail, ainsi que le repas de midi et le
repas du soir, étaient récitées avec beaucoup de dévotion. Et il
ne pouvait pas en être autrement, puisque tous voyaient l’assi-
duité et la tenue de D. Bosco à l’église, aux prières communes,
à la méditation, et pour réciter de son bréviaire, même au mo-
ment de lourds désagréments, autant qu’il pouvait.
C’est pourquoi tous admiraient chez de nombreux jeunes
de l’Oratoire, comme toujours ils admirèrent, un profond senti-
ment de piété, en raison duquel ils devenaient de vrais modèles
de vertu ; et toutes les fois que D. Bosco rencontrait quelques
difficultés dans ses entreprises, il faisait prier par les jeunes
d’une manière particulière, et il obtenait les grâces demandées.
De nombreuses fois vinrent à lui des prêtres directeurs d’ins-
titutions pour la jeunesse, et ils lui demandaient quelles étaient les
pratiques de piété qu’accomplissaient régulièrement les élèves de
l’Oratoire. Vint même quelqu’un qui lui reprochait presque de
maintenir les jeunes gens en des prières excessives. D. Bosco
répondait : — Je n’exige pas plus que ce qui est fait par tout
bon chrétien, mais je fais en sorte que ces prières soient bien
faites.
Leur dévotion se distinguait de façon surprenante lorsque, le
premier jeudi de chaque mois, on faisait la récollection, pratique
à laquelle D. Bosco attribuait tant d’importance. Il avait l’habi-
tude de dire : Personnellement je pense qu’on peut tenir pour
certain et assuré le salut d’un jeune qui fait chaque mois sa
confession et sa communion comme si elles étaient les dernières
de sa vie. Quelques jours avant les jeunes étaient avertis en

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vue de leur préparation, et ils se disposaient avec profit et avec
un sérieux supérieur à [celui de] leur âge, tant était grand le
désir qu’avait su leur inspirer D. Bosco de bien faire cet exer-
cice [de piété]. Pendant de nombreuses années des personnages
éminents de la ville intervenaient à la chère cérémonie. Après la
communion générale et les prières bien connues de tous, pronon-
cées d’une voix claire et lentement, D. Bosco n’omettait jamais de
faire réciter un Pater et un Ave pour celui de l’assistance qui
serait le premier à mourir. Les jeunes en retiraient une grande
impression, et une ferveur toujours nouvelle et inimaginable
s’éveillait en eux. Pour donner un air de fête à ce jeudi, on dis-
tribuait au petit déjeuner de quoi accompagner le pain. Que de
fois D. Bosco, venu sur la cour de récréation à ces moments-là,
s’est écrié au milieu d’un cercle dense de jeunes : Oh, si
nous mourrions aujourd’hui, comme nous serions contents !
De temps en temps à la belle saison il avait l’habitude
de les conduire pour faire cet exercice [de piété] en quelque
église dans les faubourgs de la ville, pour la grande édification
de tous ceux qui les observaient.
Et non seulement les jeunes exécutaient exactement les
pratiques prescrites, mais ils considéraient réellement ce jour
comme le dernier de leur vie ; et jusqu’à prendre en se mettant
au lit une posture semblable à celle qu’on donne d’habitude aux
défunts. Ils désiraient ardemment s’endormir le crucifix entre les
mains ; et même certains auraient vraiment souhaité que Dieu les
appelât auprès de lui dans une telle nuit puisque mieux préparés
au terrible saut.
D. Bosco dit un jour à D. Giacomelli : « Si l’Oratoire va
bien, je dois l’attribuer surtout à la récollection vécue dans la
pensée de la mort ».
Voici ce que nous racontait le Théol[ogien] Léonard Murial-
do : « Don Bosco avait conduit à ma maison de campagne une
soixantaine de ses jeunes pour y prendre un goûter ; nous cau-
sions familièrement entre nous et il nous déclarait qu’au cas où
l’un d’eux aurait à mourir subitement dans la nuit, il serait per-

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sonnellement tranquille pour le salut de l’âme [de ce jeune]. Ce qui
prouvait le fruit de son éducation ». Et l’esprit de prière, en plus de la
sanctification des individus, faisait intervenir le Divin Pasteur pour
protéger son troupeau. En effet, pendant toutes les principales neu-
vaines de l’année, surtout pendant celle de la Très s[ainte Vierge]
Marie, si quelque loup, fût-il revêtu de la peau d’un agneau, s’in-
troduisait dans la maison, il était découvert et mis en fuite.
En attendant, pour assurer de mieux en mieux la bonne
marche de l’Oratoire, D. Bosco avait appelé à Valdocco D. An-
toine Grella, pour qu’il assumât la fonction de catéchiste. D. Antoine
qui dès les débuts de l’Œuvre en avait été un zélé coopérateur
et à qui D. Bosco faisait la faveur d’accorder toute sa confian-
ce, consentit, et au cours des années 1853 et 1854 il s’occupa
avec un grand amour de la charge qui n’était pas légère. Etant
allé ensuite comme chapelain au Hameau de Gorra [= Gorrea],
près de Carignano, il y resta jusqu’à sa mort, vénéré de tous et
appelé le Saint de la Gorra [= Gorrea], surtout à cause de l’effi-
cacité éprouvée de ses incessantes prières.
Et justement ses prières et celles des jeunes n’étaient
certainement pas étrangères au développement de cette œuvre qui
avait déjà produit et devait encore produire tant de bien, les
Lectures Catholiques, et elles leur avaient mérité la bénédiction
du Souverain Pontife.
D. Bosco, ayant achevé le premier semestre des Lectures
Catholiques, en avait fait relier proprement les douze premiers
numéros qui formaient six petits volumes, et par l’intermédiaire
de l’Eminentissime Cardinal Antonelli, Secrétaire d’Etat, il en
faisait hommage au Saint-Père Pie IX. Le glorieux Pontife
apprécia hautement ce cadeau, et chargea le même Cardinal de
lui écrire la lettre suivante.

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« Très ill[ustre] et Très rév[érend] Monsieur,
Je me suis empressé avec plaisir de présenter au S[aint]-Père
au nom de V[otre] S[eigneurie] les petits volumes qui constituent
le produit du premier semestre de la nouvelle publication pério-
dique fondée par Vous, avec le titre de Lectures Catholiques, au
profit de la catégorie des personnes moins cultivées, afin de les
prémunir contre les séductions, qu’avec insistance les ennemis de
la foi et de la vérité favorisent et répandent. Sa Sainteté a pu se ré-
jouir beaucoup, et moi avec Elle, du zèle ingénieux, grâce auquel
Vous êtes constamment appliqué à apporter aux fidèles ces secours
spéciaux de direction [spirituelle] qui répondent aux besoins des
temps. Et Elle se félicita beaucoup également en apprenant com-
ment le travail que cela indique avait vite reçu un accueil en
rien inférieur aux objectifs salutaires de V[otre] S[eigneurie] et des
autres personnes, qui de façon louable entreprirent de coopérer
avec Vous.
Dans le même temps le S[aint]-Père, secondant bien volontiers
le pieux désir que Vous manifestiez à la fin de votre lettre
jointe à l’envoi, a daigné accorder à votre excellente personne et
à toutes celles qui Vous prêtent concours et assistance dans les
Lectures Catholiques la bénédiction apostolique : qu’elle contri-
bue à la réussite progressive des soucis qu’elles portent pour
édifier.
Vous remerciant pour la part qui m’est destinée dans l’aimable
envoi, je viens avec plaisir Vous confirmer les sentiments de
mon estime distinguée.
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre]
Rome, 30 Novembre 1853.
vrai Serviteur
J[acques] C[ardinal] ANTONELLI ».

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La lettre du Cardinal lui avait infusé une vigueur nou-
velle ; et bien qu’il manquât de ressources, il était en train de
méditer l’implantation d’une imprimerie qui lui fût propre, lors-
qu’il reçut un courrier de Stresa.
Mon Révérend Monsieur et Ami,
Stresa, 7 décembre 1853.
En pensant à votre belle œuvre des apprentis pauvres, je me
suis souvenu d’une Institution en partie semblable, fondée par un
chanoine rempli de zèle que j’ai connu et qui, me semble-t-il,
s’appelle Bellati : pour donner du travail à quelques jeunes pau-
vres et quelque profit à l’établissement, il y avait introduit le
métier d’imprimeur. L’idée m’est donc venue de Vous proposer
cet exemple de Brescia, afin que Vous considériez si un tel
métier pourrait être utilement introduit dans votre institution de
Valdocco. Au cas où Vous trouveriez la chose possible et
opportune, je serais disposé à fournir un capital modéré pour les
dépenses de première implantation. Les plus grandes difficultés
que j’y verrais seraient de trouver un prote de valeur et honnête
et un administrateur actif et intègre pour tenir la correspondance
et mener la gestion économique.
Au moyen de cette imprimerie on pourrait diffuser des feuilles,
des brochures et des ouvrages utiles, et le travail ne manquerait
pas : une partie de celui-ci pourrait même être fournie par
l’Institut de la Charité.
Veuillez examiner attentivement la chose, et m’écrire à son
sujet, et posant un baiser sur votre main j’ai l’honneur d’être
Votre serviteur et frère en Christ
A[ntoine] ROSMINI.

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Le plaisir que cette lettre causa à D. Bosco fut grand,
mais comme il n’était pas homme à s’enthousiasmer facilement,
il répondait :
Au Très ill[ustre] et Très rév[érend] Monsieur le Chev[alier]
Ab[] D. Antoine Rosmini. Stresa.
Direction centrale des Lectures Catholiques (Chaudement recom-
mandées à M. l’Abbé Rosmini).
Turin, 29 décembre 1853.
Très ill[ustre] et Très rév[érend] Monsieur,
Avant de répondre à la vénérée lettre de V[otre] S[eigneurie]
Très ill[ustre] et Très rév[érende] j’ai voulu faire un calcul sur
mon état financier actuel et sur les difficultés que l’on pourrait
rencontrer pour mettre en œuvre une imprimerie dans le sens où
nous autres, nous l’entendons.
Je commence par Vous dire qu’une telle idée forme l’un des
objets principaux de mes pensées depuis plusieurs années, et
c’est seulement le manque de moyens et de local qui m’en a
fait suspendre l’exécution. Pour la raison que nous manquons
effectivement d’une imprimerie dans laquelle il y ait confiance,
économie et perfection. Il n’y aurait pas de difficultés du côté
du prote, et pas davantage, je crois, d’un bon directeur actif ; ce
qui me fait obstacle, ce sont les dépenses que je devrais faire
pour transformer à cet usage une partie du local en construction
et les dépenses de première implantation. Toutefois puisque Vous
seriez disposé à fournir un capital modéré, je me mettrais à
l’œuvre n’importe quand ; mais il me faut que V[otre] S[ei-
gneurie] veuille daigner m’indiquer jusqu’à quelle somme Elle
pourrait et entendrait faire monter ce capital et avec quelles
conditions il me serait fourni. Si ces deux dernières clauses sont
compatibles avec l’état actuel de mes affaires, je crois que la
chose pourra être effectuée et que le travail ne manquera pas, et

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que je pourrai procurer du travail à un bon nombre de mes
garçons ; bien entendu, votre aide morale m’est indispensable,
peut-être plus que [votre aide] matérielle.
Je Vous remercie de tout cœur de la bonté et du souvenir que
Vous nourrissez envers moi et envers mes pauvres gars, et, ne
pouvant pas Vous témoigner autrement ma gratitude, je prie le
Seigneur Dieu de bien vouloir combler de ses bénédictions célestes
Vous-même et tout le méritant Institut de la Charité.
Posant respectueusement un baiser sur vos mains je me dis
avec la plus grande vénération
De V[otre] S[eigneurie] Très ill[ustre] et Très rév[érende]
Très obl[igé] et très aff[ectionné] serviteur
BOSCO JEAN Pr[être].
Tandis que D. Bosco rêvait d’une imprimerie, qui de-
viendrait dans quelques années l’une des gloires de l’Oratoire, se
produisaient en Piémont de nouveaux outrages aux Catholiques.
Dans la seconde moitié de 1853, en raison de la lourdeur des
taxes et de la cherté du pain, à Turin et dans plusieurs provin-
ces avaient surgi des séditions, facilement réprimées ; mais les
sectes et les journaux, de parti pris, accusaient le clergé de les
avoir fomentées. Et voici qu’en décembre pour les mêmes mo-
tifs, une bande de montagnards, du Val d’Aoste, manifestent
armés. En vain l’Evêque Jourdan [= Jourdain] alla à leur rencon-
tre en cherchant à les calmer, en vain il parla, car ces gens en
furie, semant la terreur, descendirent jusqu’à Aoste. Là cependant
ils s’étaient dispersés en jetant leurs armes : ils voyaient que les
portes étaient bien gardées par la troupe. Ainsi finissait l’insur-
rection ; mais l’une de ses conséquences fut l’emprisonnement de
onze prêtres, dont neuf étaient curés : au péril de leur vie, ils
avaient suivi l’exemple de leur Evêque, en cherchant à pacifier
les esprits. Comme Dieu voulut cependant, après un long procès

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ils furent tous déclarés sans faute par le tribunal.
Tandis que le clergé, calomnié, gémissait, les Vaudois
savouraient une heure de triomphe. Le 15 décembre, ils inau-
guraient publiquement leur temple avec le concours de la Garde
Nationale. Dans le discours d’inauguration le pasteur Amédée Bert
avait parlé des anciens bûchers et [des anciennes] potences : il faisait
passer les souverains de Savoie pour autant de bourreaux ; mais la
police n’eut pas d’observations à faire. Plus tard, en 1855, bien
qu’on enlevât les appointements au clergé du Piémont, le gou-
vernement confirmait ceux qui venaient d’être établis pour le
culte vaudois ; et parmi d’autres marques de bienveillance il
dispensait de l’examen les professeurs hérétiques du Collège de
Torre di Luserna [= Torre Pellice].
Mais en attendant, chose singulière, avant même l’inau-
guration du temple, les Vaudois dirigeaient contre D. Bosco la
pointe de leurs railleries, en le reconnaissant comme l’un de
leurs premiers adversaires. En effet, Il Rogantino Piemontese
[Le Petit arrogant Piémontais], en son numéro du 2 octobre 1853,
dans un article intitulé Fra Omero [Frère Homère], après avoir
vilipendé les catholiques avec les manières les plus stupides,
écrivait ceci : « Je commence à me persuader que le nouveau
temple vaudois ne servira plus au culte évangélique, mais sera
consacré par le prêtre Bosco à quelque madone sous un nouveau
titre. Il devait, en effet, s’ouvrir pour le 20 octobre, mais l’un
des maçons qui y travaillent a dit que ce sera difficile. Basta :
le temps arrange bien des choses et Fra Omero… est peut-être
en train de se préparer à chanter une messe en musique pour le
jour de l’ouverture et la lui serviront comme acolytes et chantres
les protestants et les vaudois eux-mêmes, convertis par lui ».
Il semble qu’était parvenue à l’oreille des Vaudois la parole
dite par D. Bosco, et ensuite répétée par lui à plusieurs reprises au
cours des années, jusqu’à 1886 : « Le temple des protestants sera
changé en église catholique en l’honneur de la Très s[ainte Vierge] Ma-

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691
rie Immaculée. Quant au moment et au comment, ils se trouvent
dans les mains de Dieu, mais cela se produira certainement ».
Ainsi D. Bosco continuait ses batailles, comme quel-
qu’un qui est sûr de la victoire, et sa tranquillité se manifestait
dans la petite lettre suivante, envoyée à son Professeur le Théo-
l[ogien] Appendino [= Appendini] à Villa Stellone [= Villastellone].
Direction centrale des Lectures Catholiques.
Turin, 18 décembre 1853.
Très ch[er] Monsieur le Théologien,
La lettre de D. Chiatellino mest parvenue trop tard et il ne
me fut pas possible d’organiser la sortie des choristes vers Villa-
stellone, comme V[otre] S[eigneurie] Très aim[ée] le désirait : venait
multiplier les difficultés un repas de fête offert aujourd’hui dans
cet Oratoire par la Société des ouvriers, Société dont les choris-
tes forment une partie essentielle.
Si cette fois malgré moi je n’ai pas pu assouvir ce désir, qui
est le vôtre et le mien, j’espère que Vous m’offrirez d’autres
occasions où je pourrai Vous donner une preuve tangible de ma
respectueuse gratitude, qui me porte à Vous souhaiter toutes les
bénédictions venant du Seigneur et me dire avec une totale
effusion de cœur
De V[otre] S[eigneurie] Très ch[ère]
Elève très aff[ectionné]
BOSCO J[ean] Pr[être].
Son affection envers la catégorie des ouvriers était l’un
des mobiles qui lui faisaient écrire ses petits livres : dans leur
majeure partie, ils avaient pour fondement un fait véritable désho-

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norant pour l’hérésie, [fait] dont lui-même avait été témoin. Et
pour les diffuser largement dans les populations, il écrivait conti-
nuellement des lettres à des personnages distingués, à des prêtres
et à des Evêques de différents diocèses. Nous en conservons une
adressée au Cardinal Vannicelli Cossoni [= Casoni] Louis, Arche-
vêque de Ferrare.
Direction centrale des Lectures Catholiques.
Eminence Révérendissime,
Turin, 19 décembre 1853.
Dans la conjoncture favorable provoquée par le départ hors de
cette capitale du Très rév[érend] Père Novelli pour se rendre à
Ferrare, je prends la liberté de recommander au zèle reconnu de
V[otre] E[minence] R[évérendissi]me la diffusion des Lectures
Catholiques ; ce n’est pas que je doute du concours de Votre
personne, qui se montre toujours prête aux actions de zèle, mais
c’est pour Vous en faire avoir directement un exemplaire, afin
qu’ainsi Vous puissiez être en mesure de les faire voir à
quelques-uns. Cette association est très bien lancée, et nous
comptons déjà dix-huit mille abonnés.
Le Très rév[érend] Mgr Louis Moreno, Evêque d’Ivrea, Direc-
teur en chef de ces Lectures, m’a lui-même donné l’honorable
charge d’écrire au sujet de ces affaires à V[otre] E[minence] et il
joindrait à [la mienne] une lettre de sa main si le départ du
susnommé P[ère] Novelli avait laissé la possibilité de l’en aver-
tir.
Convaincu que Vous voudrez accueillir en bonne part ma let-
tre, je Vous implore de tout cœur pour que Vous daigniez
supplier le Seigneur Dieu d’avoir pitié du pauvre Piémont pour
lequel courent des temps vraiment calamiteux pour notre Sainte
Religion Catholique : priez également pour moi et pour une quan-

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693
tité de pauvres jeunes, qui humblement demandent votre sainte
bénédiction pastorale.
Que le Seigneur comble V[otre] E[minence] de ses bénédictions
célestes, et Vous garde longtemps pour le bien de la Sainte
Eglise.
Avec la plus grande vénération je me dis
De V[otre] E[minence] Rév[érendissi]me
Très obl[igé] Serviteur
J[ean] BOSCO Pr[être].
Mais, en plus de ces petits livres, Don Bosco avait
employé une autre arme contre les protestants, avec le but de
prémunir ses jeunes contre leurs erreurs ; cette [arme] fut un
drame qu’il écrivit en deux actes, avec le titre : Une discussion
entre un avocat et un ministre protestant. Il fut représenté bien
des fois sur le petit théâtre de l’Oratoire, et au mois de décem-
bre il était publié. D. Bosco mettait en tête de [l’ouvrage] la
préface suivante :
« Au Lecteur,
Les répétitions faites par les enfants qui interviennent à l’Ora-
toire S[aint]-François de Sales pour représenter ce drame et la
satisfaction manifestée par ceux qui se trouvaient présents font
espérer qu’il ne devrait pas être désagréable à nos lecteurs de
voir qu’il est inséré dans un numéro des Lectures Catholiques.
Les faits qui concernent la famille d’Alexandre (un apostat)
sont historiques ; par ailleurs, la discussion est un tissu de faits
également historiques, mais advenus ailleurs, et placés là pour
me conformer aux règles du drame.
Dans tout ce qu’on y dit des protestants, j’entends exclure
toute allusion personnelle : je vise uniquement leur doctrine et les
erreurs que celle-ci contient.

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Je crois qu’il est facile de représenter ce drame tout aussi bien
dans les villes que dans les villages de campagne et que, tandis
que la vérité des choses présentées et l’intrigue [de la pièce]
rendent agréable le divertissement, l’erreur sera donc dévoilée et
la vérité connue pour la plus grande gloire de Dieu, pour le
profit des âmes et pour l’honneur de notre Sainte Religion
Catholique.
BOSCO JEAN Pr[être] ».
Cette représentation, en plus d’instruire les jeunes de
l’Oratoire, leur procura une agréable détente.
Au mois d’octobre, Marguerite était allée à Castelnuovo
pendant quelques semaines, ayant été appelée là-bas pour diffé-
rentes affaires. Un soir, vers 6 heures et demie, les poules étant
déjà rentrées dans le poulailler, tandis que les jeunes de l’Ora-
toire étaient occupés dans leurs études et leurs travaux, voilà que
Marguerite revient avec la sœur de D. Giacomelli. La nouvelle
se répand comme un éclair, les cris de vive maman résonnent de
toutes parts, les jeunes courent à sa rencontre dans la cour, l’en-
tourent en battant des mains, tandis qu’en riant elle s’efforçait de
répéter quieti, quieti [restez calmes, restez calmes ; on notera en ita-
lien l’onomatopée, non recherchée pourtant]. Mais sa voix produisit
un autre effet, auquel elle n’avait pas pensé. Avec tant de
vacarme les poules se réveillèrent dans le poulailler et en enten-
dant cette voix connue, qui depuis plusieurs jours ne les appelait
pas, elles commencèrent à chanter, puis sortirent toutes du pou-
lailler et coururent, elles aussi, autour de Marguerite. A ce spectacle
les jeunes mouraient de rire et laissèrent passer les poules, aux-
quelles Marguerite se mit à distribuer des miettes de pain.
Le poulailler, en effet, était son royaume et les poules
ses sujets, s’offrant à elle si obéissantes que, lorsqu’elle voulait
en prendre une, elle l’appelait, s’approchait d’elle, posait sa
main sur elle sans que celle-ci fît le moindre geste pour fuir.
Cette affection qu‘elle avait pour les poules provoquait beaucoup
d’hilarité à l’Oratoire. Donc, quand on joua pour la première fois

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la pièce dramatique susdite, Maman Marguerite alla avec les autres.
Un acteur, en décrivant comment les protestants confus et vain-
cus par les arguments de l’Avocat avaient disparu, disait :
« Ce fut vraiment un beau jeu : un beau jeu à proprement par-
ler. Un à la fois, un à la fois ils s’en allèrent tous les trois. Il
me semble qu’ils ont fait comme font aux poules les renards. Les
renards tournent autour des poules et, s’ils voient qu’elles ne
sont pas bien gardées, ils se lancent et, s’ils peuvent en mordre
une, ils la prennent et l’emportent avec joie. Mais s’ils voient le
propriétaire qui les observe muni d’un bâton, oh ! non, non, ils
ne vont pas plus loin pour flairer, mais aussitôt, ils prennent
leurs jambes à leur cou. Ces messieurs les pasteurs imaginaient
qu’ils trouveraient les poules toutes seules abandonnées, mais ils
trouvèrent quelqu’un qui les protégeait muni d’un bon bâton,
c’est-à-dire de bons arguments ».
Après la fin de la représentation et le départ des spec-
tateurs, Don Bosco disait aux élèves qui se tenaient tous autour
de lui : — Ce qui plus que tout aura frappé l’imagination de ma
maman sera certainement la parabole du renard et des poules.
De fait, comme elle était survenue et que les jeunes
avaient formé un cercle autour d’elle, D. Bosco l’interrogea :
— Vous aussi, vous êtes venue au théâtre. Et qu’en dites-vous ?
Tout à fait beau, répondit Marguerite ; mais ce renard et
ces poules m’ont touché le cœur.
Et tout le monde de rire.
Mais n’en rirent pas les Vaudois : ils savaient comment
ces discussions entre eux et D. Bosco avaient vraiment été tour-
nées à leur honte. Ce drame fut considéré comme un nouveau
gant jeté pour les défier, souleva un immense bruit dans leur
camp, et à leurs récriminations D. Bosco répondait par des arti-
cles publiés dans LArmonia [L’Harmonie], qui pendant plusieurs
années annonçait le titre de chaque brochure des Lectures Ca-
tholiques. Mais la guerre des membres de sectes n’était pas
seulement en paroles : cependant D. Bosco était protégé de
manière merveilleuse par la Providence divine.

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696
CHAPITRE LIX
Attentats Châtaignes et vin empoisonné Couteau de bou-
cher Conduite blâmable de la force publique Bons offices
d’un ami Grêle de coups de bâton Cagliero défenseur de
D. Bosco Danger sur la route de Moncalieri Précautions
de Maman Marguerite Affection du voisinage.
Nous avons présenté dans l’un des chapitres précédents
que deux tristes sires étaient venus pour sommer D. Bosco de
renoncer à écrire les Lectures Catholiques et qu’en sortant de sa
chambre ils avaient ajouté avec un froncement de sourcils chargé
de colère : Nous nous reverrons. Ces mots et les menaces tout à
fait claires qui leur avaient échappé au cours de leur conversation
donnent la solution pour expliquer une longue série d’attentats
contre la vie de D. Bosco. Ils furent si nombreux, si sournoisement
préparés et si violents que, nous pouvons le dire sans hésitation,
ce fut seulement grâce à un geste extraordinaire propre à la divine
Providence, ce fut seulement par miracle que D. Bosco en ré-
chappa chaque fois. Il sembla qu’un vaste complot secret fut
ourdi par les hérétiques et les malfaiteurs contre lui. Nous ra-
conterons quelques-uns des faits principaux, dont plusieurs jeunes
furent des témoins oculaires, ou eurent un fidèle compte rendu
de la part de ceux qui l’avaient été.
Un soir après le repas D. Bosco était en train de donner le
cours du soir habituel, quand deux hommes, de triste aspect, vin-

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72.1 Page 711

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697
rent l’appeler, pour qu’il allât en hâte confesser un mourant,
dans un lieu peu éloigné, appelé le Cœur d’or. Toujours prêt au
service des âmes, il confie aussitôt à un autre sa classe, et se
dispose à partir sur-le-champ. Quand il sort de la maison, étant
donné l’heure un peu avancée, il lui vient à l’esprit d’emmener
avec lui quelques-uns des jeunes plus âgés, afin d’avoir leur com-
pagnie, et il les appelle. — Il n’est pas nécessaire que Vous
preniez des jeunes avec Vous, dirent ces deux inconnus : nous
Vous accompagnerons nous-mêmes à l’aller et au retour ; et puis
le malade pourrait être troublé par leur présence. Ne vous
donnez pas la peine de cela, ajouta D. Bosco, mes jeunes gens
ont du plaisir à faire une petite promenade et, arrivés près de la
chambre du malade, ils s’arrêteront au-dehors au pied de l’esca-
lier pendant tout le temps que je passerai auprès du malade. Et,
bien qu’à contrecœur, ces deux [individus] se turent et laissèrent
faire.
Arrivés à la maison qu’ils avaient préparée à l’avance,
ils dirent : Entrez un moment dans cette pièce, et nous irons
avertir le malade de votre arrivée. Les jeunes, parmi les-
quels Cigliuti [= Cigliutti], Gravano, Buzzetti, restèrent dehors, et
D. Bosco entra dans une pièce au rez-de-chaussée, où il trouva
une demi-douzaine de bons vivants, qui après un copieux repas
du soir mangeaient ou faisaient mine de manger des châtaignes.
Ils accueillirent D. Bosco avec beaucoup de signes de respect, le
portant aux nues et applaudissant. Veuillez, Don Bosco, pren-
dre de nos châtaignes, lui dit ensuite un de la bande, en lui
présentant le plat. — Je n’ai plus envie de manger, répondit-il ;
j’ai fait mon repas du soir voilà seulement peu de temps et je ne
prends plus rien d’autre. — Du moins Vous boirez un verre de
notre vin : Vous le trouverez bon, savez-Vous ; il vient de la région
d’Asti. — Je n’ai pas envie ; je ne suis pas habitué à boire en
dehors des repas, et si j’en buvais il me ferait du mal. Al-
lons donc ! Un petit verre de bon vin ne Vous fera certainement
pas de mal, au contraire il Vous fera du bien, il Vous aidera la
digestion. Vous boirez donc pour nous faire plaisir.

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698
Cela dit, l’homme se saisit d’une bouteille placée sur la
table et verse à boire dans les verres. Exprès, il en avait mis un
de moins, et donc, après avoir versé du vin dans tous, il va en-
suite prendre un verre et une bouteille dans un endroit à l’écart
et en verse pour D. Bosco. Il ne fallut pas davantage pour que
celui-ci s’aperçût de leur décision perverse qui était de lui faire
boire du poison. Sans donner à entendre qu’il avait découvert leur
piège, D. Bosco prend en main le verre rempli de vin mousseux
et le lève à la santé de ces malheureux ; mais, au lieu de le
porter à ses lèvres, il cherche à le remettre sur la table, en
refusant de boire. Ne nous causez pas cette contrariété, com-
mença à dire l’un d’eux ; ne nous faites pas cette insulte, ajouta
un autre : c’est un vin excellent ; nous voulons que Vous le goûtiez à
notre santé, crièrent-ils tous. — J’ai déjà dit que je n’ai pas en-
vie, et maintenant j’ajoute que je ne peux pas et ne veux pas
boire, reprit D. Bosco. Et pourtant il faut que Vous buviez à
tout prix, s’écrièrent en chœur ces crapules. [] Ensuite, en passant
des paroles aux actes, l’un d’eux prit le pauvre prêtre par l’é-
paule droite, un autre par l’épaule gauche, en disant : Nous
ne pouvons pas supporter cette insulte : si Vous ne voulez pas
boire par amour, Vous boirez par force.
Avec cette violence D. Bosco se trouva vraiment entre
l’enclume et le marteau ; et ce fut certainement pour lui un
mauvais moment. Comme employer la force contre ces hommes
n’était ni prudent ni facile, il jugea meilleur de recourir à l’as-
tuce, et c’est ce qu’il fit. Il dit donc : Si vous voulez
absolument que je boive, laissez-moi en liberté, parce qu’en me
prenant par les épaules et par les bras vous me faites trembler et
renverser le vin. Vous avez raison, répondirent-ils, [] et ils
s’écartèrent un peu. Alors D. Bosco, ayant saisi le moment pro-
pice, fait un grand pas en arrière, s’approche de la porte, qui
heureusement n’était pas fermée à clef, parce que, lui-même, en

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699
en franchissant le seuil, il avait mis le pied entre elle et le mur
afin de l’empêcher de se fermer, et ces braves gens n’y avaient
pas prêté attention : il l’ouvre donc et invite ses jeunes à entrer.
L’ouverture en grand et à l’improviste de la porte et l’apparition
de quatre ou cinq jeunes gens âgés de 18 à 20 ans mirent un
frein à l’arrogance de ces individus, dont le chef, devenu tout
penaud, dit : Si Vous ne voulez pas boire, patience ; laissez
donc tomber, et soyez tranquille. Oh, non ; si je ne peux pas
boire, moi, je le donnerai à l’un de mes fils, qui le boira à ma
place. Il ne faut pas, il ne faut pas qu’un autre boive, répli-
quèrent ces misérables. D. Bosco n’aurait certainement pas
donné à un autre ce verre, mais il agissait ainsi pour mieux fai-
re apparaître leur complot.
Mais où est le mourant ? demanda alors D. Bosco ; il faut
au moins que je le vois. Pour couvrir leur vil attentat, un de
ces malfaiteurs conduisit le prêtre dans une chambre au second
étage. Là, à la place d’un malade, D. Bosco trouva couché dans
le lit un des deux types qui étaient allés l’appeler à l’Oratoire.
D. Bosco lui fit toutefois quelques demandes, et cet imposteur
fieffé, malgré l’effort herculéen pour se contenir, n’en pouvant
plus, éclata de rire en disant : Après tout je me confesserai
demain ; et D. Bosco s’en alla, en remerciant dans son cœur le
Seigneur de l’avoir au moyen de ses fils protégé de la main de
ces scélérats.
Ayant ensuite compris dans tous les détails comment les
choses s’étaient passées, quelques jeunes firent le lendemain des
investigations autour de cet événement, et ils découvrirent qu’un
tel avait payé à ces lâches un copieux repas du soir, avec la
condition de faire boire à D. Bosco un peu de vin, qu’il avait
préparé exprès pour lui. C’étaient donc des sicaires achetés.
Le saint homme ne perdit jamais plus le souvenir de ce
lieu, et encore dans les derniers mois de sa vie, en sortant avec

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700
quelques-uns d’entre nous pour une promenade et parvenu à cet
endroit, il nous l’indiquait en disant : Voilà la salle des châtai-
gnes.
Un autre soir, au mois d’août, aux environs de six heu-
res, D. Bosco s’attardait près de la grille de bois qui fermait la
cour de l’Oratoire, et il causait agréablement avec quelques-uns
de ses jeunes gens lorsqu’un cri se fait entendre au milieu
d’eux : Un assassin, un assassin !
En effet, voilà qu’un certain Andreis, en manches de
chemise, un couteau de boucher à la main, court furieusement à
la rencontre de D. Bosco en criant : Je veux D. Bosco, je veux
D. Bosco ! Cet homme était très connu de D. Bosco qui était
très souvent venu à son aide, car, ancien locataire dans la mai-
son Pinardi, il l’était à présent dans la maison Bellezza.
La peur s’empara tout d’abord des jeunes, qui prirent la
fuite en se dispersant, les uns dans le champ d’accès libre qui se
trouvait en face, et les autres dans la cour de la maison. Parmi
les fuyards il y avait le jeune abbé Félix Reviglio. Sa fuite fut
providentielle et fit le salut de D. Bosco ; du fait que l’assas-
sin, l’ayant pris pour D. Bosco, se mit à le poursuivre ; mais,
s’étant aperçu de son erreur, il revint vers la grille. Dans ce
court intervalle D. Bosco avait eu le temps de se mettre à l’a-
bri, en montant vers sa chambre et en fermant à clef la petite
grille de fer qui se trouvait au pied de l’escalier. Celle-ci était à
peine fermée quand survint le tueur qui, trouvant la grille close,
commença à la frapper avec un gros bloc de pierre, et à la se-
couer, à la heurter avec violence pour l’ouvrir, mais en vain. Il
resta là pendant plus de trois heures comme un tigre aux aguets
pour surveiller sa proie ; il semblait être un fou ; mais il faisait
semblant de cela pour attirer l’attention. Tantôt il appelait D. Bosco
pour qu’il vînt lui ouvrir, tantôt il disait qu’il voulait lui parler.
En attendant, les jeunes, une fois secouée la première
peur et quelque peu rassurés, s’étaient de nouveau rassemblés. A
la vue de celui qui menaçait la vie de leur bienfaiteur et père,
ils sentirent le sang bouillir dans leurs veines. Ecoutant la voix

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701
de leur cœur et s’abandonnant à l’ardeur juvénile, ils s’armèrent
chacun d’un instrument, qui d’un bâton, qui de pierres, qui d’un
autre objet, et se disposèrent à attaquer ce misérable et à le
mettre en pièces ; mais D. Bosco, craignant que quelques-uns
d’entre eux n’eussent à en retirer quelques blessures, leur interdit
depuis le balcon de le toucher.
Avec cette brute dans la maison, personne ne pouvait
être tranquille. La bonne Marguerite surtout était dans la plus
profonde consternation, et pour son fils et pour les jeunes. Que
faire ? On envoya aussitôt, et à plusieurs reprises, porter l’informa-
tion au service de police ; mais, il est regrettable de le dire, pour
qu’apparût soit un garde soit un carabinier il fallut attendre jusqu’à
neuf heures et demie du soir. Ce fut seulement à cette heure-là
que se présentèrent deux gendarmes, ils ligotèrent cet homme
dangereux et l’emmenèrent à la caserne, en libérant D. Bosco
d’une violence qui fit peu honneur à qui dirigeait en ces jours-là la
force publique. Et comme si une telle inertie dans la défense
d’un libre citoyen n’avait pas encore été suffisante pour préoccu-
per toute personne honnête, voilà que le lendemain est commise
par le préfet de police une imprudence encore pire. Il envoie un
homme de la police interroger D. Bosco, en lui demandant s’il
pardonnait à celui qui l’avait outragé. Il répondit qu’en tant que
chrétien et en tant que prêtre il pardonnait cette offense et d’au-
tres encore ; mais, en tant que citoyen et chef d’une Institution,
il demandait instamment au nom de la loi que l’autorité publi-
que protégeât un peu mieux sa personne et sa maison. Or qui le
croirait ? Le jour même le préfet de police faisait mettre en
liberté ce scélérat, qui le soir se tenait de nouveau à l’affût à
peu de distance de l’Oratoire, en attendant que D. Bosco en
sortît, pour exécuter son sanguinaire dessein.
Au printemps de 1854, le jeune Cagliero, revenant au
coucher du soleil de l’école du professeur Bonzanino, aperçut de
loin D. Bosco dans le tournant de la petite rue qui conduisait

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702
à l’Oratoire et s’empressa pour le rejoindre. Il marchait déjà en
sa compagnie, quand il vit courir furieusement vers eux deux
Andreis en manches de chemise. Il le crut ivre, et se porta sur
le côté pour lui laisser libre le passage. Ce même mouvement
effectué de façon nette également par D. Bosco, mais du côté
opposé, fit en sorte que cet assaillant continua son chemin
quelques pas encore, ne pouvant pas s’arrêter en cet endroit à
cause de l’élan qu’il avait. Entre-temps D. Bosco, ayant vu luire
la lame du couteau dans la manche de cet individu malinten-
tionné, s’élança en courant vers la maison et arriva près de la
porte ; mais l’homme, s’étant arrêté et retourné, revenait en ar-
rière avec le geste de blesser. Cagliero, qui d’abord ne s’était
aperçu de rien, comprit alors de quoi il s’agissait ; et en s’en-
fuyant il se mit à crier au secours. L’autre demeura perplexe et
finalement prit la direction de son habitation.
Une autre fois le même Andreis, ayant changé d’habits,
vint à l’Oratoire et, ne voyant pas D. Bosco au milieu de ses
jeunes, demanda à parler avec lui, et ensuite il monta direc-
tement à sa chambre. Mais Cagliero le reconnut, et en voyant
comment il tenait sa main droite dans sa poche, peut-être sur le
manche du couteau, il avertit ses compagnons, et spécialement le
Jeu[ne abbé] Reviglio et Buzzetti, qui, étant robustes, coururent
sur le balcon, l’empêchèrent d’approcher jusqu’à D. Bosco, l’o-
bligèrent à descendre et aidés des autres le chassèrent en dehors
de la cour.
C’est pourquoi cet individu avait été mis en prison une
nouvelle fois ; mais D. Bosco, appelé au service de police,
déclara qu’il ne voulait pas porter plainte, et grâce à ses bons
offices [le misérable] fut aussitôt remis en liberté. La prudence
suggérait de faire ainsi, car les autorités auraient été indulgentes
pour le coupable et l’aspect odieux serait resté au prêtre.
Mais qui poussait ce type à tant de scélératesse ?
Nous fûmes mis en mesure de pouvoir répondre à cette
demande par un ami de D. Bosco, insigne bienfaiteur de ses fils,

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703
le Comm[andeur] Dupré. Constatant qu’on ne pouvait pas rece-
voir de la force publique une défense sûre, celui-ci se chargea
de parler avec ce misérable, qui nuit et jour maintenait l’Internat
dans une appréhension angoissante.
Je suis payé, répondit le triste sire ; que l’on me donne tout
ce que les autres me donnent, et je m’en irai.
Ce qui fut entendu, et lui furent payés quatre-vingts
francs de loyer échu et quatre-vingts autres d’avance, et ainsi
finit cette menace continuelle, qui aurait pu se transformer en
une sanglante tragédie.
Et Andreis s’apaisa, tandis que D. Bosco lui avait tout
pardonné, le traitant avec cette douceur dont il avait toujours
l’habitude de faire preuve avec ses offenseurs. « Et même, nous
a dit Mgr Cagliero, il lui vint en aide. Ayant éloigné de la
maison Bellezza tous les locataires qui étaient cause de scandale
pour les voisins, il permit à Andreis et à sa famille de conti-
nuer à vivre dans les pièces qu’ils occupaient déjà. Que de fois
je l’ai entendu répéter : Diligite inimicos vestros, benefacite his
qui oderunt vos [Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous
haïssent] ».
Mais l’agression que nous sommes sur le point de décri-
re fut plus insidieuse, et D. Bosco n’en sortit pas totalement
indemne.
Peu de temps après les faits rapportés [ci-dessus], un
dimanche à la tombée de la nuit, D. Bosco fut appelé par un
homme pour confesser une malade dans la maison Sardi, pres-
que en face de l’Institution du Refuge. Les faits précédents lui
suggérèrent de se faire accompagner par deux jeunes courageux
et robustes.
Laissez, laissez donc vos jeunes à la maison, dit cet indi-
vidu, ne les dérangez pas ; je Vous accompagnerai moi-même.
Ces paroles firent croître le soupçon et produisirent
l’effet contraire ; donc, au lieu de deux jeunes, D. Bosco en
appela quatre, parmi lesquels un certain Hyacinthe Arnaud et
Jacques Cerruti, si musclés et forts qu’au besoin ils auraient
équarri un bœuf. Une fois parvenu au lieu indiqué, il en laissa

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704
deux au pied de l’escalier, Ribaudi et Buzzetti Joseph, et les
deux nommés ci-dessus montèrent avec lui au premier étage, et
s’arrêtèrent sur le palier près de la porte de la chambre. Entré
[dans celle-ci], il y aperçoit au lit une femme toute haletante, qui
savait si bien feindre qu’il semblait vraiment qu’elle voulait ren-
dre le dernier soupir. A cette vue D. Bosco invita à s’éloigner
les personnes présentes qui, au nombre de quatre, étaient toutes
assises, afin de parler librement à la malade et de l’aider à
mettre en ordre son âme.
Avant de me confesser, se mit alors à dire la gueuse en
élevant fortement la voix, je veux, moi, que ce gredin-là se ré-
tracte des calomnies dont il m’a chargée, et elle indiquait
celui qui se trouvait en face d’elle.
— Non, répondit quelqu’un en se mettant debout.
Silence, ajouta un autre.
Oui.
Non.
Tais-toi, infâme, sinon je t’étrangle.
Ces accents et d’autres non moins gracieux, mêlés d’hor-
ribles imprécations s’élevèrent bientôt en faisant retentir d’un écho
épouvantable cette chambre d’enfer. Tous étaient debout. Au mi-
lieu de ce chahut les lumières s’éteignent, et alors dans le noir
cesse le bruit de tonnerre et commence une grêle de coups de
bâton, en direction de l’endroit où se trouvait D. Bosco. Il ne
tarda pas à deviner le jeu auquel ils voulaient se livrer avec lui,
à savoir, lui rompre les os. Dans cette circonstance, ne sachant
pas comment se mettre mieux à l’abri, il saisit en toute hâte la
chaise à haut dossier qui se trouvait près du lit, la met renver-
sée sur sa tête, et sous ce bouclier il cherche à gagner la porte.
Entre-temps, ces scélérats faisaient pleuvoir des coups mortels,
qui au lieu de tomber sur la tête de D. Bosco s’abattaient avec
un grand fracas sur la chaise. D. Bosco, parvenu à la porte, la
trouve fermée à clef : avec cette force musculaire extraordinaire

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dont il était pourvu, d’une main il en tordit et arracha la serru-
re, tandis qu’à ce bruit les jeunes, mis là pour guetter, s’étant
rendu compte de ce qui se passait, donnent un coup d’épaule
dans la porte et l’ouvrent : Arnaud entre, prend D. Bosco par un
bras, le tire dehors, et D. Bosco s’élance au milieu d’eux, heu-
reux d’avoir réussi à garder indemnes ses épaules et sa tête. Il
prit toutefois un coup de bâton sur le pouce de la main gauche
que, dans cette bousculade, il tenait appuyée sur le dossier de la
chaise. Le coup, bien que léger pour lui-même, lui emporta
néanmoins l’ongle et une moitié de la phalange resta meurtrie,
de sorte que plus de 30 ans après il en conservait la cicatrice.
Lorsque D. Bosco fut à l’air libre il recommanda à ses jeunes
de ne pas parler de ce fait et de ne pas révéler le lieu et les
personnes compromises ; et il ajouta : Pardonnons-leur et
prions pour eux, afin qu’ils se repentent. Les malheureux : ils
sont des ennemis de la religion ! [].
Il n’est donc pas sans fondement de soupçonner que
derrière ces pièges, et de très nombreux autres, il y avait, pour
les tramer, ou la méchanceté ou l’argent de ceux qui voyaient
d’un mauvais œil les Lectures Catholiques, et qui voulaient que
leur auteur fût frappé de terreur ou porté à l’extinction. Ils étaient
furibonds, voulant que D. Bosco renonçât, comme ils disaient, à
calomnier les Protestants.
Du reste, les hérétiques de Turin ne faisaient que suivre
les traces de leurs ancêtres qui, pour ne pas parler de nombreux
autres assassinats, d’une grêle de coups tuèrent avec barbarie à
Bricherasio, le 9 avril de 1374, le bienheureux Pavonio de Savi-
gliano, dominicain, parce qu’il prêchait contre leur doctrine et
convertissait un grand nombre de Vaudois à l’Eglise Catholique.
Tout cela trouve une preuve dans ce que Mgr Cagliero
nous racontait encore.
Un dimanche de janvier 1854, dans l’après-midi, deux
messieurs en habit élégant montaient à la chambre de D. Bosco,
qui les reçut avec sa courtoisie habituelle. La cour était déserte,

72.10 Page 720

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706
parce que les jeunes étaient en train de chanter à l’église. Jean
Cagliero, qui avait vu ces deux messieurs, se mit à avoir des
soupçons, et il alla se cacher dans une petite pièce attenante à
celle de D. Bosco en se plaçant en faction près d’une porte
intérieure. En écoutant attentivement, il ne put tout d’abord
entendre de bonne façon, bien que la conversation de ces mes-
sieurs avec D. Bosco fût animée ; toutefois, il lui sembla que ce
dernier refusait d’adhérer à quelques propositions qui lui étaient
faites. Et voici que les deux intrus élèvent la voix, et Cagliero
entendit clairement ces mots : Mais en fin de compte, que
Vous importe que nous prêchions une chose ou une autre ? Quel
intérêt avez-Vous à Vous opposer à nous ?
A quoi D. Bosco répondit : — C’est mon devoir de défendre
la vérité et la très sainte religion de toutes mes forces !
Donc Vous ne renoncerez pas à écrire les Lectures Catho-
liques ?
Non ! dit résolument D. Bosco.
Ce fut alors qu’ils se mirent à le menacer, et que l’un d’eux,
ayant sorti deux pistolets, lui intima : Vous Vous décidez à
obéir, ou Vous êtes mort !
Tirez donc, dit, tranquille, D. Bosco en le fixant dans les
yeux d’un regard imposant. A cet instant un coup fort, qui re-
tentit dans la pièce, fit rester abasourdis ces deux messieurs qui
remirent les pistolets dans leur poche. Que s’était-il produit ?
Cagliero, ne pouvant plus saisir le sens des dernières paroles
prononcées par les voix sourdes et basses, craignit quelque mal
pour D. Bosco ; c’est pourquoi il avait donné un puissant coup
de poing dans la porte, et ensuite il vola pour appeler Buzzetti,
qui accourut à l’instant. Tous les deux arrivèrent à la porte de
D. Bosco et voulaient entrer ; et voici que, de là, au même
moment sortent ces deux messieurs agités par un trouble convul-
sif. D. Bosco les suivait, humble, tenant sa barrette à la main,
en les saluant avec une courtoisie tranquille. Par deux fois au
moins Cagliero eut donc l’heureuse fortune de sauver la vie de
D. Bosco.

73 Pages 721-730

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73.1 Page 721

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707
« Toutefois malgré les embûches continuelles, nous écri-
vit le Théol[ogien] Reviglio, on voyait que D. Bosco était toujours
imperturbable, et même joyeux, chaque fois que pour la gloire
de Dieu il devait rencontrer des insultes et des menaces de la
part de ses adversaires. Il ne porta jamais d’armes pour sa dé-
fense, jamais il n’employa sa force prodigieuse pour repousser
les assauts. Et pourtant, au cas où deux hommes robustes l’au-
raient importuné, il avait le bras et la main suffisamment forts
pour en saisir un par les flancs et fouetter l’autre [avec]. C’est
seulement en quelques occasions que, se voyant perdu, il recou-
rut à l’adresse ». M. Spinardi Pascal nous raconta : « Un soir, à
une heure très avancée, D. Bosco venait de Moncalieri en
marchant sur le bord de la route, quand, à mi-chemin, presque
en dessous de Cavoretto, il s’aperçut qu’il était poursuivi par un
homme, qui tenait dans ses mains un gros et long gourdin levé
pour lui fendre la tête. En courant, il l’avait déjà rejoint ; mais,
alors que le méchant type ne s’y attendait pas, D. Bosco l’ayant
esquivé avec un mouvement rapide lui donna une telle bourrade
qu’il l’envoya les quatre fers en l’air dans un fossé très profond
rempli d’herbes. Ensuite il pressa le pas pour rejoindre quelques
groupes, qui le précédaient de loin ».
S’il est merveilleux de voir comment dans ces ren-
contres D. Bosco restait paisible, en même temps il ne faut pas
oublier les anxiétés continuelles de Maman Marguerite. Que de
fois elle remercia le Seigneur en voyant que se terminaient par
un échec les coups au moyen desquels on attentait aux jours de
[son fils] ! La maison de l’Oratoire étant isolée au milieu des
jardins potagers, des prés et n’ayant pas partout de mur de clô-
ture, il lui parut nécessaire de mettre une petite grille de fer au
pied de l’escalier afin de fermer le passage qui conduisait par le
balcon à la pièce de D. Bosco. Souvent elle plaçait là en faction
quelque jeune robuste, surtout de nuit. Et même elle fit venir de
Castelnuovo son autre fils Joseph pour défendre D. Bosco contre ces
ennemis obstinés. Lorsque, à la tombée de la nuit, il n’était pas

73.2 Page 722

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708
encore revenu à la maison après avoir assisté quelque malade ou
accompli quelque autre œuvre de charité, Marguerite envoyait à
sa rencontre les plus grands jeunes gens en vue de l’accom-
pagner dans son retour à l’Oratoire. Il semblait qu’elle avait le
don ou la grâce de pressentir les dangers qui de temps en temps
planaient au-dessus de son cher fils.
En 1853 et en 1854, Cagliero Jean et deux de ses com-
pagnons pris parmi les plus adultes, allaient attendre D. Bosco
dans les alentours, au croisement des avenues et des sentiers,
quand il devait rentrer de nuit à la maison. Lui, pourtant, était
averti souvent par des personnes méritantes, ou des lettres ano-
nymes, de faire attention aux pièges que tramaient contre lui les
protestants. Et Cagliero, en faction, le rencontra plusieurs fois qui
revenait à l’Oratoire au milieu de citadins bénévoles, qui l’ac-
compagnaient pour le défendre au besoin ; et une fois il le vit
être escorté par un soldat en armes, qu’il avait demandé au
sergent de garde du poste de Porta Palazzo [= Porte du Palais],
tant il était sûr d’être recherché à mort.
Les attentats contre D. Bosco, que ci-dessus nous avons
décrits, et ceux dont nous parlerons encore se succédèrent par
intervalles pendant quatre bonnes années, à partir de 1852. Dans
la même période les auteurs de ces méfaits avaient pour auxi-
liaires des bandes de voyous qui, excités contre l’Oratoire,
venaient le dimanche à Valdocco pour taper avec des pierres et
des bâtons contre la porte de la chapelle au moment du sermon.
Parfois D. Bosco, à cause de leurs coups et de leurs hurle-
ments, ne pouvait plus faire entendre sa voix. Pendant plusieurs
dimanches on eut de la patience, mais finalement, las de cette pro-
vocation, quelques-uns des jeunes pensionnaires, sans demander la
permission, s’étant armés d’un gourdin, attendirent derrière la
porte entrouverte le commencement du fracas habituel. Celui-ci
ne tarda pas à exploser, et Cagliero Jean suivi d’autres se lança
dehors. Ayant jeté à terre le premier qu’ils rencontrèrent, ils

73.3 Page 723

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709
coururent derrière les autres qui s’enfuyaient. La rue était semée
de cinq ou six qui étaient tombés. D. Bosco cependant avait
suspendu le sermon pour appeler ses jeunes, qui obéirent aussi-
tôt, eux-mêmes ayant reçu aussi leur part de coups, car les
perturbateurs avaient réagi ; mais depuis ce jour-là cessèrent peu
à peu ces harcèlements violents.
Cependant les ennemis de D. Bosco et leurs émissaires
n’étaient pas du quartier Valdocco, et ceux qui dans les pre-
miers temps l’avaient combattu s’étaient ravisés et réconciliés.
Chaque fois donc que, dans la belle saison, il passait à une
heure très tardive par la rue Cottolengo, il y trouvait toujours un
rassemblement de personnes en très grand nombre. [Ces gens]
jouaient de la musique, chantaient, dansaient ; mais, aussitôt
qu’ils apercevaient de loin D. Bosco, tout divertissement cessait
et d’une seule voix ils s’écriaient avec une satisfaction manifes-
te : D. Bosco ! D. Bosco ! Et quand D. Bosco arrivait au
milieu d’eux ils le prenaient par les mains, le traitaient avec la
plus respectueuse affection et l’accompagnaient jusqu’à la grille
de l’Oratoire.
Le fait de savoir qu’il était si méchamment persécuté
augmentait les sympathies envers lui de toutes les personnes
honnêtes, qui s’émerveillaient de le voir sortir toujours indemne
de tant de pièges. Il vivait, en effet, sans la moindre crainte, et
avec une pleine confiance il s’adressait au Seigneur, en lui
disant : « Educes me de laqueo hoc quem absconderunt mihi :
quoniam tu es protector meus [Tu me dégageras de ce filet qu’ils
ont tendu en cachette contre moi : car tu es mon protecteur] » (1).
Au chapitre suivant nous verrons comment Dieu écoutait
sa prière.
—————
(1) Ps 31,5.

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710
CHAPITRE LX
Histoire d’un chien.
Dans la sainte Bible et dans l’Histoire de l’Eglise on
lit que parfois Dieu se servit des bêtes d’une manière tout à fait
extraordinaire pour la défense et au bénéfice de ses serviteurs.
Le prophète Elisée est tourné en dérision par une bande de
jeunes irréligieux et insolents, et voici que deux ours sortent
brusquement de la forêt voisine et en font un horrible massacre.
Pendant soixante-dix ans un corbeau porta chaque jour dans le
désert la nourriture nécessaire à S[aint] Paul, premier fondateur
de la vie solitaire. Saint Antoine doit enterrer le cadavre de cet
habitant du désert, et lui manquent les instruments pour creuser
la fosse ; et voici que deux lions courent vers lui, creusent avec
leurs pattes la terre juste ce qu’il faut, et, bénis par le saint, ils
s’éloignent de lui comme de doux agneaux.
Eh bien, à l’époque qui fut pour notre D. Bosco si
dangereuse, la divine Providence daigna lui donner un gardien,
un moyen de défense tout à fait singulier : il lui donna un gros
et très beau chien de couleur grise, qui fut déjà et sera encore
le sujet de nombreux racontars et suppositions. Plusieurs parmi
les jeunes le virent, le palpèrent, le caressèrent et en connurent
des détails dignes d’un souvenir spécial.
Ici nous les racontons d’après le récit de quelques-uns
d’entre eux, parmi lesquels Joseph Buzzetti, Charles Tomatis et
Joseph Brosio. Ajoutons que, sur plusieurs circonstances, nous

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711
avons nous-mêmes interrogé D. Bosco : il nous les confirma de
vive voix.
Donc, quant à la taille et à la forme, le chien gris res-
semblait à un chien de troupeau ou à un mâtin. Premièrement
nous devons faire remarquer que personne, pas même Don Bos-
co, ne sut jamais d’où il venait, ou qui en était le propriétaire.
Mais, si nous ne pouvons pas lui faire l’acte de naissance, nous
pouvons bien lui donner le certificat de bons et loyaux services,
étant donné que pendant quelques années il procura à D. Bosco,
et donc à l’Oratoire, un avantage incalculable.
Voyant qu’il était continuellement affronté à des pièges
de la part de personnes malveillantes et ayant été prié par ses
amis de rester circonspect, D. Bosco prenait certainement toutes
les précautions pour ne pas se trouver en dehors de la maison
au moment de la nuit ; mais il arrivait parfois que malgré lui il
devait s’attarder en ville jusqu’à une heure avancée de la soirée,
tantôt près d’un malade, tantôt chez un riche monsieur dans
l’intérêt de ses protégés, tantôt dans une famille qui avait été
induite en erreur par les hérétiques et qui donnait des espoirs de
revenir à de sains principes de vie. Alors il ne faisait plus
attention à sa personne, et, ayant accompli son devoir, il se
mettait en route même de nuit, et descendait à Valdocco. Ce
quartier était à cette époque très peu habité. Le dernier bâtiment
en direction de notre Oratoire était l’Hôpital Psychiatrique ; tout
le reste était alors un sol stérile, inégal, en grande partie en-
combré d’acacias et de buissons et sombre, et donc il servait
facilement de cachette aux malfaiteurs. C’est pour cela que ce
bout de chemin était très dangereux, en particulier pour D. Bos-
co, devenu une cible pour la malveillance des ennemis de la
religion, qui estimaient bon tout moyen pour le combattre, com-
me nous l’avons déjà raconté plus haut.
Eh bien, un soir de 1852, sur le tard, il venait à la
maison absolument seul, non sans craindre quelque mauvaise
rencontre, lorsque soudain il voit s’approcher de lui un gros
chien. A première vue il en eut peur, mais, ensuite, s’apercevant

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712
qu’il ne menaçait pas, qu’au contraire il lui faisait des câlineries,
il se mit vite en bon rapport avec lui. La bête fidèle l’accompa-
gna jusqu’à l’Oratoire, et, sans y entrer, elle s’éloigna de lui. Et
non seulement cette fois-là, mais tous les soirs où il ne pouvait
pas se rendre de bonne heure à la maison, ou encore où il était
sans un bon accompagnement, dès que les bâtiments étaient dé-
passés, il voyait surgir le gris tantôt d’un côté de la rue tantôt
d’un autre. Parfois Maman Marguerite, en ne voyant pas son fils
arriver de bonne heure à la maison, en restait remplie de peine,
et elle envoyait quelques jeunes à sa rencontre ; et certains se
souviennent de l’avoir trouvé plusieurs fois avec son gardien aux
quatre pattes.
En 1855 Cigliutti, Gravano, Falchero, Gaspardone, Casta-
gno Charles, Joseph Buzzetti, Reviglio Félix racontaient à Jean
Villa qu’ils avaient vu le gris et avec eux beaucoup et beaucoup
d’autres, qui avaient été, eux aussi, témoins des menaces et des
attentats des méchants contre D. Bosco. Tomatis Charles nous
assura qu’il avait rencontré dans la rue le gris, que D. Bosco
appelait son fidèle compagnon, vers 9 heures du soir et il nous
le décrivit. « C’était un chien d’un aspect vraiment formidable et
maintes et maintes fois en le voyant Maman Marguerite s’é-
criait : Oh ! l’horrible bête, qu’elle est laide ! Il avait la
silhouette d’un loup, ou presque, le museau allongé, les oreilles
dressées, le poil gris, un mètre de haut ».
Il inspirait de l’épouvante chez ceux qui ne le connais-
saient pas. D. Bosco raconta : « Je venais un soir à la maison
alors qu’il était déjà un peu tard. A un certain endroit je ren-
contrai un ami, qui m’accompagna jusqu’au Rond-point : là il me
salua pour s’en retourner. C’était entre cet endroit et l’Oratoire
que se situait pour moi le plus grand danger. Mais voici qu’ap-
paraît mon gardien, le gris. Cet homme, voyant un tel horrible
cabot, eut un geste de grand étonnement mêlé d’un peu de peur,
et, avant de me quitter, il voulait le chasser loin de moi. Mais,
moi, j’insistais pour qu’il ne se fît pas de souci, puisque, moi, je
connaissais le chien et que le chien me connaissait ; et que par
conséquent nous étions de bons amis ; mais ce monsieur ne se

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713
tranquillisait pas, et dit : Je ne permettrai pas que Vous al-
liez à la maison seul avec cette bête énorme. Et en attendant
il prit deux grosses pierres et l’une après l’autre il les lui lança
de toutes ses forces. Le chien ne bougea pas de place, ne mon-
tra pas le moindre ressentiment, comme si, au lieu de taper sur
son corps, il avait tapé sur un rocher. Alors ce brave homme
demeura rempli d’épouvante et s’écria : — C’est une sorcière !
c’est une sorcière ! — c’est-à-dire une bête ensorcelée ; et il
n’osait plus repartir en arrière, et il m’accompagna jusqu’à l’O-
ratoire. Arrivé là je dus lui envoyer deux jeunes adultes pour
l’escorter, car il ne serait pas rentré tout seul chez lui, si grande
était l’épouvante que lui avaient occasionnée l’insensibilité de ce
chien et la crainte de le rencontrer une autre fois. Cependant le
gris, voyant que j’étais accompagné, avait disparu ».
Donc le gris, qu’également le Jeu[ne abbé] Michel Rua
vit à deux bonnes reprises, courait protéger D. Bosco par des
apparitions opportunes, et nous dirions prodigieuses, dans les mo-
ments de plus grand danger.
Une fois, au lieu de l’accompagner à la maison, il l’em-
pêcha d’en franchir le seuil. En raison d’un oubli qu’il avait fait
au cours de la journée, il devait sortir un soir à une heure déjà
très avancée. Maman Marguerite cherchait à l’en dissuader ; mais
lui, l’ayant exhortée à ne pas craindre, prend son chapeau, ap-
pelle quelques jeunes pour lui servir de compagnie, et se rend à
la grille. Arrivé là, il trouve le gris allongé. Le concierge, qui
ne le connaissait pas encore, avait essayé plusieurs fois de
l’éloigner, en employant même les coups, mais il revenait tou-
jours comme s’il voulait attendre quelqu’un. — Oh ! le gris,
s’écria D. Bosco ; tant mieux, nous serons un de plus. Lève-toi
donc, dit-il ensuite à la bête, et viens. Mais le chien au lieu
d’obéir émet une espèce de grognement, et il reste à sa place.
Par deux fois D. Bosco cherche à passer outre, et par deux fois
le gris refuse de le laisser passer. L’un des jeunes le touche du

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714
pied pour le faire bouger, et, lui, répond par un aboiement épou-
vantable. D. Bosco tente alors de passer à ras des montants,
mais le gris se jette entre ses pieds. La bonne Marguerite dit
aussitôt en dialecte piémontais : [] Se t’ veuli nen scouteme,
scouta almen ’l can ; seurt nen ; cela veut dire : Si tu ne veux
pas m’écouter, écoute au moins le chien ; ne sors pas. [] Don
Bosco, en voyant que sa mère était si préoccupée, jugea bon de
répondre à ses désirs et rentra à la maison. Il ne s’était pas écoulé un
quart d’heure qu’un voisin vint le trouver et lui recommanda de
se tenir sur ses gardes, car il avait appris que trois ou quatre
individus rôdaient dans les alentours de Valdocco décidés à lui
porter un coup mortel.
D. Bosco avait réussi à échapper aux pièges, mais ces
criminels ne renonçaient pas à leurs intentions meurtrières. Une
nuit il rentrait à la maison par l’avenue qui partant de la place
Emmanuel-Philibert débouche sur ce qu’on appelle le Rond-point,
vers Valdocco. Arrivé à un peu plus du milieu, Don Bosco sent
qu’on court derrière lui ; il se retourne, et, ayant vu à peu de
pas de lui un individu avec un gros gourdin en main, il se met
lui aussi à courir dans l’espoir de pouvoir arriver à l’Oratoire
avant d’être rejoint. Il était déjà parvenu à la descente qui est
maintenant devant la maison Delfino, lorsqu’il aperçoit au bout
[de la descente] plusieurs autres qui cherchent à l’encercler. S’é-
tant rendu compte de ce danger, il eut, quant à lui, l’idée de
commencer à se libérer de celui qui le poursuivait. Ce dernier
était désormais là sur le point de le rejoindre et de lui donner
un coup, lorsque D. Bosco s’arrête à l’improviste, et lui plante
avec une telle adresse et une telle violence son coude dans
l’estomac que le malheureux tombe par terre à la renverse en
criant : [] Aïe ! aïe ! je suis mort. [] Grâce au bon résultat
de cette gymnastique D. Bosco aurait pu se sauver des mains de
cet homme ; mais déjà les autres, les bâtons à la main, étaient
sur le point de l’entourer. A cet instant arrive d’un saut le gris
providentiel, qui se met à côté de D. Bosco, et envoie de tels
aboiements et de tels hurlements, et ensuite s’agite çà et là avec

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715
tant de fureur, que ces êtres brutaux, qui sont restés terrifiés et
craignent d’être mis en morceaux, prient D. Bosco de le calmer,
de le tenir près de lui. En attendant, l’un après l’autre, ils se
dispersèrent, permettant au prêtre de continuer sa route. Le chien
ne quitta plus D. Bosco tant qu’il n’entra pas dans l’Oratoire, et
ce fut alors que, l’ayant suivi dans la cour, et s’étant présenté à
la porte de la cuisine, il reçut les caresses bien méritées, quoi-
que assez prudentes, de Maman Marguerite, ainsi qu’elle-même et
Buzzetti le rapportaient à Pierre Enria.
Une autre fois, également de nuit, lui-même, il retournait
à la maison par l’avenue Reine Marguerite, quand un individu,
qui surveillait ses allées et venues, s’étant mis derrière un orme,
tire sur lui presque à bout portant deux coups de pistolet. Ayant
ratés les deux [coups], le sicaire se précipite sur D. Bosco pour
l’achever d’une autre façon ; mais à cet instant survient le gris :
il se lance avec violence sur l’agresseur, l’oblige à une fuite
précipitée, et ensuite accompagne Don Bosco jusqu’à l’Oratoire.
Un soir la [visite du] gris fit fonction [d’une séance] de
théâtre pour les pensionnaires. D. Bosco prenait son repas avec
quelques-uns de ses jeunes abbés, en présence de sa mère, lors-
que le chien entre dans la cour. Quelques jeunes, qui ne
l’avaient encore jamais vu, en eurent peur, et ils voulaient le
battre ou lui jeter des pierres. Buzzetti, qui le connaissait, cria
aussitôt : — Ne lui faites pas de mal, c’est le chien de D. Bos-
co. — A ces mots tous s’approchent de lui, le caressent, le
prennent par les oreilles, lui serrent le museau, lui font des tas
de cajoleries, et enfin le mènent au réfectoire. La visite inat-
tendue de cette grosse bête affola quelques-uns des commensaux
de D. Bosco, qui dit : Mon gris ne fait de mal à personne ;
laissez-le venir, et ne craignez pas.
Le chien, ayant d’abord donné un coup d’œil autour de
la table, en fit le tour, et alla tout joyeux près de D. Bosco,
qui, après lui avoir fait quelques caresses, voulut lui donner un
peu de quoi manger en guise de repas du soir ; c’est pourquoi

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716
il lui offrit du pain, de la nourriture prise au plat principal, de
la soupe et aussi à boire. Mais le gris refusa tout, bien plus il
ne daigna même pas flairer la moindre chose, tant il était
désintéressé dans son service.
Mais que veux-tu donc ? demanda Don Bosco ; et le chien
agita les oreilles et remua la queue et, continuant à donner des
signes de contentement, il appuya sa tête sur la table en re-
gardant Don Bosco comme s’il voulait lui souhaiter le bonsoir.
Cela fait, il se remit en route et sortit accompagné par les
jeunes jusqu’à la porte. « Je me souviens, nous assurait Buzzetti,
que ce soir-là D. Bosco était venu à la maison, sur le tard
certes, mais conduit en voiture par monsieur le marquis Domi-
nique Fassati. Il semblait que, ne l’ayant pas trouvé dans la rue,
le chien fût venu pour donner l’assurance à son protégé qu’il
l’avait comme à l’habitude fidèlement attendu ».
Mgr Cagliero nous confirmait de tels faits. « Je vis la
chère bête un soir d’hiver ; elle entra dans la cour et puis dans
la petite salle où D. Bosco venait manger, et tout joyeux il
s’approcha de lui et D. Bosco lui dit : O mon gris ! tu n’es
pas arrivé à temps pour m’accompagner : je suis déjà à la
maison. Et, ayant pris un morceau de pain, il le lui offrit ;
mais le chien le refusa. D. Bosco dit alors : Oh ! gour-
mand ! C’est de la viande que tu veux ? Mais tu vois bien que
D. Bosco n’en a pas ! Si tu ne veux pas manger, alors courage
et joie, et va-t-en ! Le chien baissa la tête d’un air mortifié
et il se dirigeait vers la porte ; mais D. Bosco le rappela en
disant : Viens ici, mon gris, je ne veux pas te mortifier.
Viens ici… — Le chien revint près de D. Bosco, recevant ses
caresses et les nôtres pendant longtemps et ensuite on le laissa
aller car il était déjà tard. D’autres, parmi mes compagnons, le
virent en plusieurs autres occasions ».
Pour la troisième fois le gris sauva la vie de D. Bosco,
vers la fin du [mois de] novembre 1854. Un soir, très sombre et
brumeux, il venait à la maison depuis le centre de la ville, de-
puis le Convitto [Ecclesiastico], et, pour ne pas marcher trop loin

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717
des lieux habités, il descendait par la rue qui, en partant du
Sanctuaire Notre-Dame de Consolation, débouche sur l’Institution
du Cottolengo. A un certain endroit de la rue, D. Bosco
s’aperçoit que deux hommes le précédaient à peu de distance, et
ils accéléraient ou ralentissaient le pas à mesure qu’il l’accélérait
ou le ralentissait lui aussi ; et même lorsqu’il essayait de se
porter sur le côté opposé pour les éviter, eux adroitement en
faisaient autant pour se trouver devant lui. Il ne restait plus le
moindre doute : ces deux-là étaient malintentionnés ; il chercha
donc à faire la route en sens inverse pour se mettre à l’abri dans
quelque maison voisine ; mais il n’en eut pas le temps ; car les deux,
en s’étant retournés à l’improviste et en gardant un profond si-
lence, furent sur lui et lui jetèrent un manteau sur la figure. Le
pauvre D. Bosco fait tous ses efforts pour ne pas se laisser
envelopper ; en s’abaissant avec rapidité, il libère pendant un
instant sa tête et se débat. Mais les oppresseurs visent à l’en-
velopper de plus en plus étroitement et il ne lui reste qu’à
appeler au secours ; et il ne le peut pas, parce qu’un de ces
assassins le bâillonne avec un mouchoir. Mais quoi ? en cette
terrible épreuve où la mort est inévitable, tandis qu’il invoquait
le Seigneur, apparaît le gris, qui se mit à aboyer si fort et avec
une telle voix que sa façon de pousser son cri semblait être non
celle d’un chien et pas même celui d’un loup, mais le hurle-
ment d’un ours en colère, de sorte qu’il terrifiait et assourdissait
en même temps. Et non satisfait de cela, il se lance avec ses
pattes contre un de ces tristes sires, et l’oblige à abandonner le
manteau sur la tête de D. Bosco, pour s’occuper de sa propre dé-
fense ; puis il se jette sur l’autre, et en moins de temps qu’il
n’en faut pour le dire il le mord et le fait tomber brutalement à
terre. Le premier, ayant vu que les choses tournaient mal, cher-
che à fuir, mais le gris ne le permet pas, car en lui sautant sur
les épaules, il le jette lui aussi dans la boue. Cela fait, il s’arrê-
te, là, immobile en continuant à hurler, et en regardant ces deux

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718
gentils messieurs, comme s’il leur disait : [] Malheur à vous si
vous bougez. [] A ce changement imprévu de décor les deux
gredins se mirent à crier :
— D. Bosco, s’il Vous plaît, par charité ! Aïe ! Grondez-le en
lui demandant de ne pas nous mordre ! Pitié, miséricorde,
appelez ce chien.
— Je l’appellerai, répondit D. Bosco, mais, vous, laissez-moi
passer mon chemin.
Oui, oui, passez donc, mais appelez-le tout de suite,
crièrent-ils de nouveau.
Mon gris, dit alors D. Bosco, viens ici ; et obéissant il
se met auprès de lui, en laissant la liberté à ces malfaiteurs, qui
s’enfuirent à toutes jambes on ne peut plus vite. Malgré cette
défense inattendue, D. Bosco ne se sentit pas de continuer son
chemin jusqu’à la maison. Il entra à la place dans l’Institution
du Cottolengo qui était proche. Là, s’étant un peu remis de
l’épouvante et charitablement ravigoté au moyen d’une boisson
bienvenue, il reprit le chemin de l’Oratoire accompagné par une
bonne escorte. Le chien le suivit jusqu’au pied de l’escalier par
lequel on montait à la chambre.
« A cette époque, exprima Savio Ascagne, une Gazette
impie avait fait la menace envers D. Bosco de lui mettre deux
doigts dans la gorge, précisément à cause du zèle dont il faisait
preuve pour soutenir la foi et démasquer les erreurs des
Protestants. Et d’autres journaux libéraux, sortant des stupidités
en matière de religion, pour railler impunément D. Bosco, l’indi-
quaient sous le nom de D. Bosio ».
Le gris, comme on l’a dit plus haut, fut le sujet de
nombreuses enquêtes et discussions, semblant être quelque chose
de bien curieux et à la fois de surnaturel ; et personne ne put, à
n’importe quel moment, savoir où il se retirait après avoir
achevé sa mission. D. Bosco disait : « De temps en temps me
venait l’idée de chercher l’origine de ce chien et à qui il
appartenait, et ensuite je réfléchissais : Oh ! qu’il appartienne à
qui on veut, pourvu qu’il tienne pour moi le rôle d’un bon ami.
Je ne sais rien d’autre que ceci : cet animal fut pour moi une

74.3 Page 733

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719
vraie providence, en de nombreux dangers dans lesquels je me
suis trouvé ».
Le récit rapporté pourra sembler à quelqu’un une fable.
Chacun est libre de lui attribuer la valeur qu’il estime. Quant à
nous, nous considérons qu’il est permis et conforme à la vérité
de croire que Dieu dans sa bonté paternelle a voulu se servir
d’une bête, qui est symbole de la fidélité, pour défendre et
encourager un homme qui bravait la colère ennemie et s’exposait
aux plus graves dangers afin de conserver sa propre personne,
ses jeunes, son prochain dans la fidélité à Dieu et à l’Eglise.
—————

74.4 Page 734

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720
CHAPITRE LXI
D. Bosco, le magnétisme et le spiritisme Les voyantes Les
cabinets de [séances de] magnétisme Les tables tournan-
tes Les esprits Le diable Tourments [diaboliques]
mystérieux Livres contre les nouvelles formes d’impiété.
Inébranlable comme un mur de bronze dans la lutte
contre les Vaudois, D. Bosco se disposait à en soutenir une
autre qui ne s’imposait pas moins.
En 1852 le spiritisme avait effectué sa première appari-
tion à Turin, en faisant se lever de grandes conversations à son
sujet. C’était un mélange de magnétisme animal, d’évocation
diabolique et d’imposture. Cette superstition renouvelée mais très
ancienne, après avoir envahi l’Amérique, était passée dans l’Alle-
magne protestante, puis dans la France voltairienne et finalement
dans beaucoup de régions d’Italie. C’est à ses partisans, affirme
Balan, qu’on doit de façon spéciale le vertige qui en Europe
conduisit à de si grands dangers la société en 1848 (1).
A Turin, cependant, on la présenta avec tant d’habileté
et elle apparut avec tant de séduction que tout d’abord un grand
nombre de bonnes personnes, des laïques et des ecclésiastiques,
ne craignirent pas de prendre part à des séances de spiritisme et
—————
(1) St[oria] Univ[ersale] della Chiesa Catt[olica]. Cont[inuation] de l’[His-
toire universelle de l’Eglise Catholique] de Rohrbacher, vol. I, p. 911.

74.5 Page 735

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721
d’assister aux étranges mouvements des tables tournantes et
parlantes qui révélaient la présence d’un être extraterrestre.
Après avoir découvert le mal qui s’y trouvait, ces personnes
firent marche arrière ; si ce n’est que cette peste continuait à se
répandre : féconde en tristes effets, elle faisait pénétrer dans les
esprits une rébellion larvée contre tous les enseignements de
l’Eglise et constituait la source d’une abominable immoralité. Les
magnétiseurs et les voyantes avaient commencé à donner leurs
oracles.
D. Bosco, bien qu’il fût convaincu qu’il s’agissait, dans
la majeure partie des cas, de véritables tours de charlatan pour
tromper les nigauds, craignait qu’elles ne servissent de prélude à
des faits plus mauvais ; surtout en éveillant dans le peuple la
curiosité morbide de vouloir connaître les choses occultes,
lointaines ou futures, et en lui enlevant l’horreur de l’interven-
tion diabolique. C’est pourquoi, ayant demandé aux supérieurs
ecclésiastiques un conseil et la permission, il alla plus d’une fois
assister aux expériences dites de magnétisme ou de spiritisme.
C’était son intention de découvrir l’imposture et l’impiété car il
espérait détromper les niais et les éloigner d’ultérieures folies.
Sur la place du Château toute la ville de Turin se
déversait pour assister aux spectacles du magnétisme que donnait
un fameux charlatan en habit de gala : il avait su gagner
l’admiration du peuple au moyen de ses révélations et de ses
prédictions. Un jour D. Bosco s’enfonça dans la foule qui
l’entourait, tandis qu’après diverses expériences qui lui avaient
procuré de grands applaudissements, il faisait lire à la voyante
des lettres fermées.
Il y a un abbé qui veut parler avec Vous, cria une voix au
magnétiseur.
— Venez donc en avant, monsieur l’abbé, répondit l’homme.
D. Bosco parut dans l’espace laissé libre par les gens, au
milieu duquel était assise une femme qui semblait en train de
dormir et avait les yeux bandés. Il tenait en main une lettre
cachetée, qu’il avait reçue quelques instants auparavant et que

74.6 Page 736

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722
lui avait écrite Mgr Fransoni. Quels sont vos ordres, mon-
sieur l’abbé ? ajouta ce prestidigitateur.
— Je tiens cette lettre et, avant de l’ouvrir moi-même, je dési-
re que la voyante me lise le contenu, dit D. Bosco.
Vous serez satisfait, répondit le charlatan ; [] et, tourné
vers la femme, il lui intima d’une voix impérieuse : [] Lisez !
La femme hésita pas mal ; le jeu était imprévu : l’inflexion de
la voix de celui qui lui commandait ne lui indiquait pas la
réponse ; mais contrainte de parler, elle s’écria : Je vois… je
vois tout !
Et que voyez-vous ? interrogea cet homme.
Je ne peux pas le dire.
Pourquoi ne pouvez-vous pas le dire ?
— Parce qu’il y a le secret.
Quel secret ?
Le secret du cachet.
Comprenez-vous, messieurs ? dit l’homme au peuple ; [] et
à D. Bosco : [] La voyante a raison : le secret des lettres
cachetées ne peut être violé.
— Quand il en est ainsi, l’affaire est vite réglée, fit remarquer
D. Bosco, [] et il rompit le cachet. [] Maintenant il n’y a
plus le moindre secret.
Très bien ; et, à présent, on pourra lire, continua le charla-
tan. [] Et il ordonna à la femme : [] A vous : lisez.
Je ne peux pas.
Pourquoi ne pouvez-vous pas ?
La voyante donnait des signes de vive impatience, et elle ajou-
ta : — Parce que… parce que je ne peux pas. Je vous ai déjà
dit que je ne veux pas travailler devant des gens qui appar-
tiennent à l’autel. — Et elle proféra un atroce juron. A cette
conclusion le peuple émit un formidable sifflement, et se dis-
persa en faisant des commentaires injurieux sur l’art de ce
monsieur.

74.7 Page 737

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723
Plusieurs fois D. Bosco se présenta avec différents ex-
pédients devant les foules pour démystifier les habiletés des
magnétiseurs, qui en sa présence ne purent rien faire d’extraordi-
naire, et récoltèrent toujours des railleries et la réputation d’être
des imposteurs. C’est pourquoi chez beaucoup s’apaisa la forte
envie d’assister à ces prodiges, et l’on n’en parlait plus sinon
avec mépris.
De la rue D. Bosco passait dans les maisons où les
magnétiseurs diplômés tenaient leurs séances : d’eux, comme des
autres, il était devenu un véritable persécuteur.
Près de S[aint]-Pierre-aux-Liens s’était installé un certain
docteur Florio : au moyen d’une personne magnétisée il prétendait
pouvoir découvrir un trésor précieux qui, assurait-il, était caché
dans ce quartier. D. Bosco, ayant pris avec lui, pour qu’ils fus-
sent témoins, quelques jeunes, parmi lesquels le Jeu[ne abbé]
Reviglio et Serra, après les avoir bien instruits et mis au cou-
rant sur ce qu’ils devaient dire ou faire, se rendait à ces
expériences. La personne magnétisée affirmait qu’elle voyait le
trésor, le décrivait et faisait naître chez les nombreux specta-
teurs le désir de le posséder. Diverses fouilles profondes furent
donc exécutées ; mais d’un trésor on ne trouva jamais la trace.
D. Bosco qui observait tout minutieusement, ne tarda pas à faire
courir des bruits capables de discréditer ce charlatan, et cela par
l’intermédiaire de ceux qui avaient de leurs deniers concouru aux
fouilles et avaient désormais honte d’avoir été si crédules.
Un autre docteur, nommé Giurio, tenait un cabinet [de
séances] de magnétisme rue S[ainte]-Thérèse et la voyante s’appelait
Brancani. Des personnes, atteintes de maladies très graves incu-
rables ou pas bien connues des médecins, lui envoyaient, même
de villages lointains, quelque objet qui leur appartenait, et au
moyen de celui-ci il déterminait la maladie, donnait des conseils
et prescrivait des remèdes. Mais les épouvantables conséquences
morales et spirituelles de semblables consultations avaient déjà
prouvé à l’évidence que certains cabinets [de séances] de magné-
tisme étaient de caractère diabolique.

74.8 Page 738

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724
D. Bosco y alla avec le Théol[ogien] Marengo et avec le
Théol[ogien] Motura [= Mottura], et trouva la salle déjà pleine de
spectateurs. Après avoir assisté à différentes expériences, il de-
manda au docteur à être mis en communication magnétique avec
la dame Brancani.
Giurio s’empressa de le satisfaire avec la détermination d’un
homme sûr de lui. D. Bosco commença à interroger ; mais les ré-
ponses de la voyante qui d’abord roulaient sur Saint-Péterbourg,
d’un bond tout à coup furent amenées à parler de choses plus
proches. D. Bosco sortit alors une mèche de cheveux, qui lui
avait été donnée par le Théol[ogien] Nasi, et il demanda de quelle
maladie était atteint celui auquel ils appartenaient. — C’est une
chose juste et utile que Vous demandez [], fit remarquer le
docteur ; et, tourné vers la personne magnétisée, il lui intima de
répondre.
A qui appartiennent ces cheveux ? demanda D. Bosco.
Pauvre jeune ! Comme tu dois souffrir, murmurait la fem-
me.
— Vite, je n’aime pas traîner, car mon temps est limité, fit
remarquer D. Bosco ; celui auquel ces cheveux appartiennent
n’est pas un jeune. Mais dites-moi : où habite-t-il ?
— Je vais… je vais… le voici… c’est là rue de la Zecca.
— Ce n’est pas rue de la Zecca.
— C’est vrai… mais je ne suis pas encore arrivée… plus loin,
plus loin, au-delà du Pô…
— Il n’habite pas de ce côté-là. Mais révélez-moi sa maladie.
Attendez que je le trouve : je le vois… Que de souffran-
ces… le malheureux !
Mais en somme quel est son mal ?
Le même que celui dont je souffre, moi.
Et lequel ?
— L’épilepsie.
— Il n’a jamais été épileptique.

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725
A ce moment-là cette femme, d’abord embarrassée et
ensuite furieuse, se répandit en un discours si obscène et in-
sultant qu’elle fit sursauter et se disperser l’assistance. L’affaire
était claire : ou bien il s’agissait d’une tromperie, ou bien
Farfarello [voir * page 734] avait peur des bons prêtres.
Mais le fléau qui avait atteint une grande vogue était
celui des tables qui bougeaient toutes seules lorsque les person-
nes présentes les entouraient en formant une chaîne. Ces tables
oscillaient, tournoyaient, s’élevaient avec violence depuis le sol,
sautaient çà et là à travers la salle ; puis avec de légers coups,
conventionnels, donnés par l’un de leurs pieds, elles répondaient
catégoriquement aux demandes qui leur étaient faites. Souvent on
attachait à l’extrémité d’un de leurs pieds un crayon, en plaçant
dessous une feuille de papier que l’on retirait ensuite avec les
réponses écrites en lettres bien lisibles et correspondantes aux
interrogations. Des meubles de petites dimensions à trois pieds
produisaient le même phénomène. Cela faisait supposer la main
d’un être intelligent, qu’on annonçait sous le nom d’un saint ou
de quelque grand homme déjà défunt et des plus célèbres.
A propos de ces faits, des rumeurs couraient dans les
conversations des familles riches, dans les assemblées des
industriels et dans les réunions des ouvriers. Or D. Bosco, qui
en avait été informé, tomba sur l’un, parmi les plus connus, de
ceux qui opéraient de telles diableries, et sans plus il l’affronta
et lui dit que les phénomènes produits par son art étaient des
jeux de saltimbanque. Cet homme défia D. Bosco en l’invitant à
aller chez lui et à voir et à constater la vérité de la chose. D. Bosco,
qui s’était de nouveau muni de la permission de l’autorité ec-
clésiastique y alla accompagné du Théol[ogien] Marengo et du
Théol[ogien] Nasi, mais en portant avec lui, cachée dans ses
vêtements, la relique de la sainte croix. Il fut accueilli avec une
vive amabilité, et sur le visage du magnétiseur brillait l’assuran-
ce de la réussite. La table fut mise au milieu de la salle ; si ce
n’est que malgré tout ce que lui et d’autres faisaient, la table ne

74.10 Page 740

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726
voulut rien comprendre, ni pour bouger ni pour répondre. L’homme
qui défiait, étonné et irrité, après avoir répété ses expériences et
les voyant rater, s’adressa à D. Bosco en lui disant que c’était
lui la cause de cet insuccès, parce que dans sa volonté il ne
consentait pas à ces phénomènes, parce qu’il n’y croyait pas ; et
il conclut :
— Mais Vous n’avez pas la foi !
Foi en qui ? [] lui répondit D. Bosco, en le regardant
fixement et sérieusement. Et il se retira convaincu, avec ses deux
amis, que le bois de la sainte croix était la cause de l’immo-
bilité de cette table. D. Bosco racontait lui-même ce fait à ses
prêtres et à ses jeunes abbés.
Mais entre-temps, malheureusement, allait en augmentant
la fréquentation, par les personnes cultivées, des cabinets [de
séances] de magnétisme où, une fois magnétisé l’un des mem-
bres de l’assistance, se produisaient des effets de spiritisme tout
à fait étonnants ou épouvantables : ténèbres et lumières ; musi-
ques invisibles et mains mystérieuses qui serraient, caressaient et
frappaient ; danses improvisées et effrénées de tout le mobilier
d’une pièce, apparitions enjôleuses ou horribles de fantômes et
d’âmes des défunts. Et les conséquences de ces spectacles in-
nombrables à Turin et dans les provinces consistaient en folies,
en suicides, en obsessions, en désespoirs, en morts imprévues, en
hypocondries invincibles, en paralysies, en spasmes aigus et en
cent autres malédictions.
Ces misérables évoquaient, pour le moins indirectement, le
démon : D. Bosco en eut une preuve certaine, comme il le racontait
plus tard à Buzzetti et à d’autres en ces termes : Un tel, qui
avait été attrapé dans les filets de certaines sociétés, se présenta
à moi et se mit à parler ainsi :
« Moi qui jusqu’à maintenant n’avais le temps de penser ni à
Dieu ni à l’enfer, qui, au contraire, justement à cause de cela,
m’étais depuis bien longtemps livré à une vie très incorrecte, à
présent j’ai de nouveau avec moi la foi et la crainte de Dieu.
Savez-Vous comment cela s’est passé ? Ecoutez l’histoire authen-
tique et sans l’ombre d’une exagération. Un ami commença à me

75 Pages 741-750

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75.1 Page 741

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727
conduire dans certaines réunions où se trouvaient en grand nom-
bre des hommes qui aimaient mener joyeuse vie ; mais qui,
semblait-il, mis à part le fait de dire du mal de la religion,
pensaient par ailleurs à des œuvres de bienfaisance. Si on vou-
lait danser, on le faisait pour secourir les pauvres ; si on
s’amusait un peu comme au carnaval, on ne manquait pas de
faire une collecte pour les malades, etc. ; en somme on opérait
le bien à notre manière ; et moi, j’en étais content. Il y avait
une note qui me déplaisait : c’était le fait de médire contre le
Pape ; mais je m’y étais déjà habitué. Il s’agissait là de choses
qu’on entendait aussi dans d’autres lieux ; et, par ailleurs, on ne
faisait, selon moi, de mal à personne.
» Mais le pire vint plus tard. — L’autre soir, invité par l’un
de mes amis à assister à quelques expériences de spiritisme,
j’eus le malheur de voir apparaître, vivant, dans sa vérité et
effrayant, devant moi, celui qui se dit le grand architecte, à
savoir le diable. Je ne Vous dis pas tout ce que j’ai souffert à
ce moment-là, et que je souhaitai n’être jamais allé dans cette
réunion. Mais j’y étais et je devais rester. Je demeurai muet et
j’eus des sueurs froides, pendant tout le temps que dura cette
apparition. L’épouvante et la terreur étaient chez tous et le silen-
ce imposé par la peur était général. A la fin de cette apparition,
je m’en retournai à la maison, en me plaignant à mon ami de
ce qu’il m’avait mis au corps une si grande peur. Mais en y
repensant après et pendant tout le cours de la nuit, ne pouvant
éloigner de mon imagination la figure du sale Bouc, que j’avais
encore sans cesse sous les yeux, je me dis à moi-même : Mais
s’il y a le diable, il doit y avoir aussi Dieu ! Et de fil en
aiguille, je me rappelai que Dieu avait également sa loi, et qu’il
serait un peu meilleur pour moi de revenir à la pratiquer, com-
me je l’avais fait dans les premières années de ma jeunesse.
» Le matin venu, je cherchai à mettre en paix ma conscience,
et, chose que depuis plusieurs années je n’avais plus faite, j’allai
me confesser. Ce père me consola, et ses paroles restèrent gra-

75.2 Page 742

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728
vées dans mon cœur. A présent, en aimant Dieu, en pratiquant
sa sainte religion, je trouve la paix, et je n’éprouve plus de
crainte pour le diable. Mais ce fut lui, le sale monstre, qui me
fit le sermon, lui qui eut à me convertir, et à faire renaître en
moi l’image de Dieu, que j’avais fini par oublier et perdre ».
Se vérifiait l’axiome philosophique et historique de
Novalis selon lequel là où il n’y a pas Dieu, règnent les
fantômes. Comme l’impiété et le vice augmentaient, augmentait
aussi la hardiesse de l’esprit malin, avide de récupérer le pou-
voir qu’il exerçait dans les siècles du paganisme ; et Dieu
permettait qu’il étendît ses horribles manifestations et ses
effroyables tourments même en dehors du lieu des évocations du
spiritisme. Le Théol[ogien] Thomas Chiuso, dans son ouvrage de
valeur l’Eglise dans le Piémont de 1797 à nos jours, apporte des
preuves incontestables de tourments diaboliques, advenus à Turin
et au-dehors pendant ces années (1). D. Bosco lui-même se
trouva à plusieurs reprises en face de ces actions accomplies
pour infliger des tourments ou pour assiéger constamment les
consciences, et il vainquit les esprits malins en suggérant des
armes spirituelles. Nous présentons maintenant deux faits seule-
ment ; les autres en temps voulu.
Le Théol[ogien] Savio Ascagne écrivit à son frère D. Ange,
qui habitait à l’Oratoire, la lettre suivante afin que D. Bosco fût
averti de ce qui se produisait dans son pays natal, et sollicité
pour des conseils et des prières.
Castelnuovo d’Asti, 18 janvier 1867.
Très cher D. Ange,
Ecoute l’affaire des pierres, dont on a beaucoup parlé. Le 10 de ce
mois, à l’approche du soir, se trouvaient, dans l’étable de ma
marraine, la tante malade qui est au lit et la brave Angelina qui
—————
(1) Vol[ume] IV, chapitre II.

75.3 Page 743

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729
s’occupe d’elle, lorsque tout à fait à l’improviste elles entendent
un bruit… vlan… contre la porte de l’étable venant du dehors ;
Angelina ouvre et ne voit personne ; vlan… une autre fois ; elle
ouvre et observe plus attentivement, mais personne comme avant ;
vlan… la troisième fois. Cette fille était inquiète, et s’écriait : « Oh !
vilains gosses, vous êtes vraiment faits pour faire exercer la patien-
ce ! ». Elle va pour les menacer, mais ne les vit pas, et ne les entendit
pas. « Ce sera un peu tout ce qu’on veut » dit-elle en elle-même, et,
rentrée dans l’étable, elle chercha à reprendre sa tranquillité. Pour
le moment elle entend que les pierres pleuvent sur l’aire, battent
contre la fenêtre de l’étable, entrent dans l’étable, alors que la porte est
bien fermée, de sorte que selon les lois de la nature elles ne pouvaient
pas passer ; elles courent toutes seules sur le sol de l’étable.
Les hommes, accourus pour contempler le nouvel événement,
en restent stupéfaits. La tempête se renouvela pendant cinq jours,
jeudi, vendredi, samedi, dimanche et lundi.
Il tombait des pierres petites comme le pouce de la main, et
des grosses [qui allaient] jusqu’à peser trois livres et huit onces
[voir ° page 734] ; il pleuvait des morceaux de bois fraîchement
arraché, de la terre provenant de fossés environnants, des mor-
ceaux de tuiles salies de boue, une branche d’olivier, enveloppée
de paille, un morceau de vigne de plus d’un empan de lon-
gueur. En tout il plut environ quatre myriag[rammes ; soit 40 kg] de
matériaux. La grêle venait de haut en bas, de bas en haut, de
toutes les directions : cela battait dans la porte, dans les murs, sur le
toit, contre le papier [qui bouchait] les fenêtres et, qui selon les
lois de la nature devait rester tout déchiré, et pourtant il ne présenta
pas le plus petit trou ; cela battait sur le dos des braves gens,
sur l’estomac, sur les genoux, sur la nuque, sur le chapeau, sur
les joues, sur le menton, sur la main, et même les plus gros
morceaux ne faisaient jamais le moindre mal ; cela battait dans le ba-
quet, dans le seau avec un grand fracas ; on allait vérifier s’ils étaient
percés, et on ne trouvait même pas de traces de coups sur eux.

75.4 Page 744

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730
Une de ces pierres arriva portant sur elle un vilain crachat,
d’autres apparaissaient sèches, d’autres mouillées sur le moment
par la pluie ; je les pris, moi-même, en main, certaines me frap-
pèrent sur le chapeau, d’autres sur l’estomac, et sur le genou
gauche et je vis grêler pendant environ une heure et demie.
Avant moi et après moi, accoururent beaucoup de gens du Ha-
meau, et il en vint de Castelnuovo, de Bardella, de Buttigliera,
de Mondonio, etc., virent des personnes âgées, des jeunes, des
hommes parmi les plus affranchis, les plus incrédules. N’importe
lequel n’a jamais su en expliquer la cause ; les uns disent que
c’est une âme du Purgatoire, les autres croient que c’est le dia-
ble, d’autres, contre toute apparence et contre le bon sens de
tout le monde, s’obstinent à affirmer que c’est un jeu concerté.
Mais la conclusion est celle-ci : 1° Le fait est très certain, attesté par
des centaines de personnes. 2° La cause du fait, personne ne sait
l’expliquer. Telle est, ô D. Ange, l’histoire des pierres. A Turin
il y a des savants ; demandes-en l’explication et questionne pour
savoir si cela est possible selon les lois de la nature, alors que
les pierres ne pouvaient entrer ni par le dessus, ni par les murs,
ni par la porte, ni par la fenêtre, et qu’avec tout leur fracas
elles étaient inoffensives, de sorte qu’en frappant elles semblaient
donner une caresse, qui nous portait presque à rire…
Je suis ton frère très aff[ectionné]
ASCAGNE.
Le Prof[esseur] Chev[alier] D. Turchi Jean nous racontait
lui aussi :
« Dans un hameau de Bra (nous ne nous souvenons pas de
l’année), et dans une bonne famille d’agriculteurs, presque tous
encore vivants, il arriva que pendant l’hiver, tandis qu’ils dor-
maient dans l’étable, une nuit, une fille déjà adulte, qui s’était
réveillée, se mit à hurler en disant qu’elle voyait une lumière sur la
tête et les cornes d’un bœuf et que cette lumière bougeait et
allait jusqu’à la porte. Tous lui disaient qu’elle rêvait, et lui
demandaient de se tranquilliser. La chose continua pendant plu-

75.5 Page 745

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731
sieurs autres nuits. Plus tard, cette lumière, tous ceux de la
famille la voyaient la nuit avec une telle terreur que même les
plus adultes, robustes et courageux parmi les enfants avaient été
saisis de frayeur. Le jour ils se donnaient du courage, mais la
nuit ils le perdaient lorsque apparaissait cette étrange lumière, au
point que la famille en dépérissait et leur mine le montrait. Ils
priaient et faisaient prier, et aussi, me semble-t-il, célébrer des
messes, mais sans résultat. La chose durait depuis des mois,
lorsque l’un d’eux conseilla de recourir à D. Bosco. Ainsi fut-il
fait. D. Bosco, ayant entendu tout le compte rendu, dit : De-
main je ne pourrai pas, mais après-demain à telle heure (et il la
lui indiqua) je célébrerai la Messe pour vous tous, et j’espère
que vous serez délivrés de ce tourment ; mais, vous autres aussi,
après-demain allez à Bra participer à la messe à l’heure à
laquelle je la dirai de mon côté. Ainsi fut-il fait pour ce qui
est des messes, et depuis ce temps-là cette famille n’eut plus à
souffrir à cause d’un tel tourment. A Bra, et surtout dans ce
hameau, la chose est connue. Tout cela me fut raconté il y a
quelques années par le noble D. Gazzani, un prêtre pieux, ver-
tueux, zélé et cultivé ».
Des cas semblables, et même pires, de perturbation se
produisirent au cours des années dans beaucoup d’autres
lieux, et en vain l’autorité judiciaire essaya d’en rechercher la
cause. Les expériences de spiritisme, en continuant, donnaient
prise à l’orgueil de Satan et à sa haine contre Dieu et contre
l’humanité. Les périodiques et les Annales du Spiritisme publiés
par une Société turinoise, racontaient des faits stupéfiants et
présentaient des doctrines scélérates. Ces feuilles étaient avide-
ment lues par un grand nombre.
C’est alors que D. Bosco, pour insuffler aux [gens du]
peuple de l’horreur pour les expériences de spiritisme et pour le
démon qui en était la cause, exhorta avec des demandes empres-
sées le frère Charles-Philippe de Poirino, prêtre capucin, à écrire
une brochure qu’il publierait à ses propres frais. Le savant père
accepta la charge et écrivit un petit livre, dans lequel au moyen
des témoignages de l’ancien Testament et du nouveau Testament,

75.6 Page 746

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732
ainsi que de l’histoire, il prouvait l’existence des anges rebelles,
leur châtiment éternel, leur présence à demeure en ce monde,
leur pouvoir formidable, mais limité par Dieu, sur les choses
d’ordre externe ; les tentations et les actions accomplies par le
diable pour assiéger constamment les consciences, tout cela étant
permis par le Seigneur pour mettre à l’épreuve les bons et pour
le châtiment ou pour la conversion des méchants ; le pouvoir
qu’a l’Eglise sur eux au moyen de ses exorcismes, l’existence
possible du commerce et de l’amitié de l’homme impie avec le
démon ; la réalité du fait, puni par l’Eglise au moyen de peines
très sévères ; enfin [il prouvait] que le magnétisme n’est pas
purement minéral ou animal, selon ce qu’a défini la sacrée
Congrégation de la Suprême Inquisition, et que les phénomènes
des tables tournantes et parlantes étaient une magie diabolique,
en tant qu’ils produisaient des effets disproportionnés à la cause.
L’auteur, cependant, déclarait que l’imposture ou l’ignorance de
causes physiques pouvaient avoir lieu dans de très nombreux cas
pour engendrer de faux jugements ; que Dieu miséricordieux ne
permet pas facilement, dans les pays où règne la Foi catholique,
que le diable dépasse les limites au détriment des fidèles, ou au
service de la superstition. Cependant il suggérait les moyens et
les armes pour repousser et fuir les esprits malins. Il ajoutait un cha-
pitre sur les tristes effets des malédictions, des imprécations et
des blasphèmes.
Ce livre paraissait en 1862 [voir # page 734] avec le
titre : La puissance des ténèbres, ou observations dogmatiques et
morales sur les esprits maléfiques, suivies de la relation de
tourments diaboliques advenus pendant l’année 1858 à Val della
Torre. C’est un village alpin de l’Archidiocèse de Turin, dans le
Doyenné de Pianezza, et ce fut l’apparition de la Très s[ainte
Vierge] Marie qui délivra une malheureuse jeune fille.
D. Bosco fit imprimer ce livre en plus de 15 000 exem-
plaires dans les Lectures Catholiques, qui furent rapidement
écoulés. La première édition ayant été épuisée, on en réclamait
une seconde de tout côté avec une grande soif, preuve du grand
bien que cet ouvrage avait produit. Et D. Bosco, en 1863, le

75.7 Page 747

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733
rééditait en 20 000 autres exemplaires qui eurent un tel succès
qu’il n’en resta plus aucun.
Non content de cela, comme il voyait un grand nombre
de niais, spécialement parmi les [gens du] peuple, se laisser
attirer par les extravagances du magnétisme, il chargeait éga-
lement l’un de ses compagnons de classe qui était son grand
ami, docteur en médecine et en chirurgie, le turinois Gribaudo,
d’écrire une autre brochure intitulée : Sur le Magnétisme animal
et sur le Spiritisme ; il lui en donnait lui-même le plan et en
corrigeait les épreuves. Elle était publiée en 1865 dans la
collection des Lectures Catholiques. Le Docteur Gribaudo plaçait
comme point de départ l’interdiction divine faite au peuple
Hébreu avec une menace d’extermination : « Qu’il ne se trouve
chez vous personne qui fasse usage des sortilèges, ni qui
consulte les prophètes ou les devins, ni qui cherche auprès des
morts à connaître la vérité » (1). Voilà le spiritisme. Et Dieu
répéta ses menaces par la bouche d’Osée, parce que « Mon
peuple a consulté un morceau de bois et ses baguettes lui
ont prédit l’avenir » (2). Voilà les tables tournantes et les meu-
bles à trois pieds qui frappaient et écrivaient. Puis il prouvait au
moyen de l’histoire comment tout le monde païen, ancien comme
moderne, et même certaines époques du monde chrétien, portent
témoignage que l’action mauvaise, hypocrite, cruelle s’était révé-
lée de mille manières et en mille occasions comme accomplie
par un esprit intelligent qui ne pouvait pas être autre que le dé-
mon. Ayant donc laissé de côté, dans les phénomènes, l’élément
naturel physique, physiologique, psychologique et scientifique,
dont plus ou moins clairement la science médicale connut et
admit toujours les lois dans l’ordre naturel ; ayant mis à part
l’élément de charlatanisme, de tromperie qui magnétise les bour-
ses ; il en venait à conclure que l’élément surnaturel était celui
—————
(1) Dt 18,[10]-11.
(2) Os 4,12.

75.8 Page 748

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734
qui dominait dans le magnétisme spirite. C’est pourquoi, en
apportant de nombreux faits étonnants relatifs à ce dernier, non
conciliables avec les lois de la nature, racontés par des person-
nages faisant autorité et par les magnétiseurs eux-mêmes, il
démontre à l’évidence qu’il y a eu nécessairement l’intervention
du démon, et que dans ces conditions la voyance résulte d’une
possession temporaire, puisqu’elle présente tous les indices sui-
vant lesquels l’Eglise caractérise les possédés.
Et que cela suffise sur ce sujet. D. Bosco en imprima des
milliers et des milliers d’autres exemplaires et les diffusa partout,
parce que cette impiété, tel un serpent enjôleur, continuait à
s’ouvrir la route dans les familles, en étant accompagnée par les
plus graves préjudices moraux et matériels des individus, des
familles et de la société. Son ami, le Théol[ogien] Marengo, lui
aussi, publiait en 1865, pour les personnes cultivées le Spiritisme
d’aujourd’hui démasqué, en démontrant sa nature impie, son
activité pour insinuer et propager le panthéisme et le matéria-
lisme, et qu’il est donc moralement et physiquement maléfique,
qu’il est une œuvre diabolique, une émanation de l’enfer.
Pouvait-il être fait davantage ? Rien d’autre que prier :
Ab insidiis diaboli libera nos, Domine [Des pièges du diable,
délivre-nous, Seigneur].
—————
* Farfarello : nom donné par Dante à l’un des diables dans la
Divine Comédie.
° Trois livres et huit onces : en Piémont, 44 onces, environ 1 350 g.
# Voir volume VII (p. 155) des Mémoires Biographiques.
—————

75.9 Page 749

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735
APPENDICE
——
PREMIER PLAN DE RÈGLEMENT
pour la Maison annexe de l’Oratoire S[aint]-François de Sales (1).
PARTIE I.
But de cette Maison.
Parmi les jeunes qui fréquentent les Oratoires de la ville il y en a qui se
trouvent dans une situation qui est à même de rendre inutiles tous les moyens
spirituels si on ne leur apporte pas du secours sur le plan temporel. On voit
parfois des jeunes déjà pas mal avancés en âge, orphelins ou privés de
l’assistance des parents, parce que ceux-ci ne peuvent ou ne veulent pas
prendre soin d’eux, sans profession, sans instruction. Ces jeunes-là sont exposés
aux plus graves dangers, spirituels comme corporels, et on ne peut pas en
empêcher la ruine, si l’on ne tend pas une main bienfaisante qui puisse les
accueillir, les acheminer au travail, à l’ordre, à la religion. La Maison annexe
de l’Oratoire S[aint]-François de Sales a pour but d’offrir un asile aux jeunes
de cette condition. Mais comme on ne peut pas recevoir tous ceux qui se
trouvent dans un grave besoin, il est donc nécessaire d’établir les normes pour
discerner ceux qui en raison de la gravité des circonstances doivent être pré-
férés ; et quelles tâches incombent à chaque supérieur de la Maison, en y
ajoutant quelques règles disciplinaires pour la bonne marche d’ordre spirituel et
d’ordre temporel de cette Maison.
—————
(1) Voir Chapitre XLVI [pp. 542-43].

75.10 Page 750

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736
CHAPITRE I.
De l’acceptation.
Pour qu’un jeune puisse être accepté, les conditions suivantes doivent se
vérifier chez lui : 1. Age de douze ans accomplis, et qu’il ne dépasse pas les
dix-huit. L’expérience a fait reconnaître qu’ordinairement avant douze ans la
jeunesse n’est capable de faire ni grand bien, ni même grand mal, et passé les
dix-huit ans il s’avère assez difficile de faire renoncer aux habitudes formées
ailleurs pour s’adapter à un nouveau règlement de vie.
2. Orphelin de père et de mère et qu’il soit totalement pauvre et laissé à
l’abandon. S’il a des frères ou des oncles qui pourraient en assumer l’éduca-
tion, il est en dehors du but de notre Maison.
3. Qu’il n’ait aucune maladie répugnante, ou contagieuse, comme le sont les
gales, la teigne, les scrofules, et d’autres semblables.
4. Qu’il fréquente un des Oratoires de la ville, parce que cette Maison est
destinée à secourir les jeunes des Oratoires, et l’expérience a fait reconnaître
qu’il est de la plus grande importance de connaître assez bien le caractère des
jeunes avant de les recevoir.
5. En entrant, chacun doit avoir une attestation de son curé qui puisse
confirmer l’âge ou la situation du jeune ; le certificat indiquant qu’il a eu ou
non la variole, et qu’il est exempt de maladies répugnantes ou contagieuses et
sans difformités qui le rendraient inapte au travail. Au manque de quelque
bulletin de santé peut suppléer la visite du médecin.
6. Si celui pour qui la demande est faite possède quelque chose, il l’ap-
portera dans la Maison, et elle sera employée en sa faveur, parce qu’il ne
convient pas que quelqu’un vive de charité, s’il n’est pas dans un besoin
absolu. Les personnes auxquelles chaque jeune devra obéir et qui sont
considérées dans les fonctions respectives comme les supérieurs de la Maison
sont : 1. le Supérieur ; 2. le Préfet ; 3. le Catéchiste ; 4. l’Assistant ; 5. le
Protecteur ; 6. les Chefs de chambrée ; 7. les Personnes de service.
CHAPITRE II.
Du Supérieur.
1. Le Supérieur est le chef de l’établissement ; c’est à lui qu’il revient
d’accepter, de renvoyer les jeunes et il est responsable des devoirs de chaque
employé et de la moralité des jeunes de la Maison.
2. Sans la permission du Supérieur on ne peut faire la moindre nouveauté
dans le personnel, dans les choses, et dans le règlement de la Maison.

76 Pages 751-760

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76.1 Page 751

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737
CHAPITRE III.
Du Préfet.
1. Le Préfet, ou économe, remplace le Supérieur en son absence. Si l’on
peut, cette charge sera confiée au préfet de l’Oratoire.
2. Il a toute l’administration de la Maison, assure le bon fonctionnement des
ateliers, assiste aux contrats, tient un compte exact des entrées et des sorties,
fournit tout ce qui est nécessaire pour la nourriture, le vêtement et pour les
combustibles.
3. Il s’occupe du grand livre, dans lequel il enregistre le prénom et le nom
des jeunes et les besoins particuliers de ceux pour qui la demande d’accep-
tation est faite, en notant spécialement s’ils se trouvent en grave danger
d’immoralité. Il notera également si l’individu ou d’autres personnes pour lui
peuvent payer ou apporter quelque chose en faveur de l’établissement.
4. Il prendra note du jour où chaque jeune est reçu et des conventions
particulières suivant lesquelles il l’est, p[ar] e[xemple] : s’il a remis de l’argent,
des affaires pour le lit, le vestiaire, s’il a été reçu pour un temps déterminé,
ou pour un temps illimité.
5. Il aura soin que le catéchiste fasse connaître au nouveau reçu quels sont
ses devoirs, et quel est le régime de la Maison, et il lui assignera une place à
l’église, à table et dans la chambrée. Et sur ce point il veillera à ce que les
jeunes de même âge soient voisins à l’église, à table et autant que possible
installés dans la même chambrée.
6. Il tient le registre des gains, des conditions suivant lesquelles chaque jeune
a été placé chez son patron, si c’est à la journée ou pour la semaine entière,
et il arrangera les parts qui concernent chacun. L’usage actuel est de mettre en
caisse en faveur de chaque jeune tout ce qui excède les seize sous par jour.
Par ailleurs à ceux qui ne gagnent pas encore cette somme, sera donnée la
moitié du gain d’une journée par semaine.
7. Au cas où un jeune cesserait d’appartenir à la Maison, il notera le jour et
le motif pour lequel il est sorti.
8. Il est prié de veiller à ce que tous les autres employés s’acquittent de leur devoir
et il doit être en mesure de savoir donner une information à tout moment sur
la conduite des jeunes et des employés.
9. Il lui reviendra d’assurer le bon fonctionnement des cours du soir, aussi
bien ceux de musique que d’enseignement primaire.
10. Il lui appartiendra également de pourvoir aux besoins de la sacristie, de
diriger les tâches des sacristains et d’enseigner les cérémonies aux jeunes abbés
de la Maison. Ne pouvant s’acquitter tout seul de ces fonctions, il peut confier
les diverses tâches aux individus qui seront capables de l’aider.

76.2 Page 752

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738
CHAPITRE IV.
Du Catéchiste.
1. Le Catéchiste ou directeur spirituel a pour but de veiller et de pourvoir
aux besoins spirituels des jeunes de la Maison ; il doit être prêtre ou au moins
avoir fait ses débuts dans la carrière ecclésiastique et mener une conduite
exemplaire et irréprochable aux yeux de tous les jeunes de l’Oratoire.
2. Dès qu’un jeune sera reçu, il lui apprendra les règles de la Maison, et
avec des manières douces et charitables il cherchera à savoir de quelle
instruction religieuse il a particulièrement besoin et fera le maximum pour
s’empresser de l’instruire.
3. Qu’il veille à ce que tous apprennent au moins le petit catéchisme du
diocèse et dans ce but chaque semaine il ne donnera pas moins d’une leçon à
étudier qu’il fera réciter chaque dimanche matin avant le repas de midi. Il se
souviendra de ceux qui ont déjà été admis à la Sainte Communion et de ceux
qui ont reçu le Sacrement de la Confirmation, en notant qui a un plus grand
besoin d’instruction pour recevoir dignement ce Sacrement.
4. Si quelqu’un restait sans travail, ou pour un autre motif devait demeurer
sans occupation, qu’il lui assigne quelque travail matériel ou bien qu’il le fasse
étudier, lire, écrire, ou d’autres choses semblables, mais qu’il ne le laisse
jamais sans occupation.
5. Il notera chacun des petits manquements des jeunes pour être en mesure
de les corriger opportunément et de donner, à la fin de chaque mois, la note
sur la conduite morale de chaque individu.
6. Il veillera à ce qu’ils arrivent tôt à leur place pour les cérémonies sacrées,
pour les prières du matin et du soir, et il aura soin d’empêcher tout ce qui
pourrait déranger les exercices de piété chrétienne. Le soir, après la récitation
des prières, il fera une visite dans les dortoirs pour faire observer le silence et
voir s’il n’y manque personne. Et si cela se produit, il donnera les avis
opportuns et, si c’est nécessaire, il en informera le Supérieur.
7. Il fera en sorte que les chefs des dortoirs arrivent tôt en place pour
remplir leurs devoirs. Il observera attentivement qui manque aux cérémonies sa-
crées les dimanches et jours de fête et aussi les jours ouvrables ; pour cela il
se fera aider par les décurions [un décurion : un jeune parmi d’autres du groupe].
8. S’il arrive que quelqu’un soit malade, il aura soin que rien ne manque ni
pour le spirituel ni pour le temporel, mais il agira très prudemment pour
prescrire des remèdes sans les ordres du médecin.
9. Il se maintiendra en étroite relation avec le Préfet pour savoir quelle est la
conduite des jeunes chez les patrons respectifs, et cela afin de prévenir
n’importe quel désordre et afin de fournir en temps voulu du travail à qui
resterait sans occupation, ou un patron chez qui le placer.

76.3 Page 753

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739
CHAPITRE V.
De l’Assistant.
1. L’Assistant est chargé de tout ce qui regarde la propreté de la personne,
des vêtements et des locaux d’habitation sous la dépendance du Préfet.
2. Au moins une fois par semaine il donnera un coup d’œil pour s’assurer de la
propreté de la tête, en veillant à ce que personne n’ait une chevelure trop lon-
gue, parce que cela influe beaucoup pour engendrer des poux.
3. Chaque samedi, le soir, il mettra une chemise propre sur chaque lit et le
dimanche matin il passera pour ramasser celles dont on ne se sert plus.
4. Il fera de même pour les serviettes tous les quinze jours et pour les draps
une fois par mois.
5. Il prendra le plus grand soin pour que les vêtements soient marqués d’un
signe qui puisse résister à la lessive, afin qu’ils ne soient pas confondus les
uns avec ceux des autres. Cependant avant d’acheter ou de donner des vête-
ments ou des chemises à quelqu’un, il vérifiera le besoin, puis il en informera
le Préfet pour l’approvisionnement.
6. Il veillera à ce que les dortoirs et tous les autres secteurs de la Maison
soient chaque jour balayés de bonne heure et que les lits soient tenus avec
propreté et ordre. A ce que les portes, les grandes et les petites, les fenêtres,
les clefs et les serrures ne soient pas abîmées. S’il arrive que quelque chose
soit endommagé, il aura soin de le faire arranger au plus vite et de la manière
la plus économique.
7. Il choisira à tour de rôle chaque semaine deux jeunes parmi ceux qui
travaillent dans la Maison et il leur confiera le service de bien balayer et de
nettoyer toute la Maison. Cependant au cas où il arriverait que quelqu’un reste
sans occupation, dégagé de son devoir habituel, c’est à lui qu’incombe immé-
diatement le soin de la propreté.
8. Il distribue le pain au petit déjeuner, assiste à table, et il veillera à ce
qu’aucune sorte de nourriture ne subisse de détérioration. Qu’il avertisse
constamment que, si quelqu’un ne se sent pas en mesure de manger, il laisse
sa part sur la table. Que celui qui détériorerait volontairement ou jetterait du
pain, de la soupe ou un mets du plat principal, soit averti une seule fois ; s’il
récidive, qu’il soit immédiatement renvoyé de la maison.
9. Il est chaudement recommandé à l’Assistant de veiller dans les ateliers,
afin que chacun prenne soin de son travail, qu’on ne fasse pas de vacarme et
que chacun arrive tôt à sa place.

76.4 Page 754

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740
CHAPITRE VI.
Des Protecteurs.
1. Le Protecteur est un bienfaiteur qui assume la charge très importante de
placer chez un patron les jeunes de la Maison, de veiller à ce qu’il ne s’agisse pas de
patrons chez qui leur salut éternel pourrait être en danger à cause de ces pa-
trons eux-mêmes ou à cause de quelque compagnon de travail.
2. Le protecteur aura soin de noter le prénom, le nom, le domicile des
patrons qui ont besoin d’apprentis ou de jeunes en apprentissage, pour envoyer,
s’il le faut, chez eux les jeunes de la Maison qui ont besoin d’apprendre une
profession ou qui sont restés sans travail.
3. Le protecteur est un père qui s’emploie à assister et à corriger ses proté-
gés, en exhortant sans cesse ces derniers à s’appliquer et en recommandant aux
patrons respectifs de faire preuve de charité et de patience.
4. Dans les conventions avec les patrons, que l’on tienne pour première
condition qu’ils soient catholiques et qu’ils laissent l’élève en entière liberté les
dimanches et les jours de fête.
5. S’étant aperçu qu’un élève se trouve dans un endroit dangereux, qu’il
l’assiste pour lui éviter de tomber dans une vie déréglée, qu’il avertisse le
patron, si cela semble convenable, et entre-temps qu’il prenne un soin particu-
lier pour rechercher une meilleure place pour son protégé.
6. Il se mettra en étroite relation avec le Préfet et avec le Catéchiste pour
concerter et prendre les mesures qui sembleront les plus avantageuses pour les
jeunes de la Maison.
7. Au moins tous les quinze jours il se rendra chez chaque patron des jeu-
nes pour s’informer de l’application, du progrès et de la moralité de son
protégé.
CHAPITRE VII.
Des Chefs de chambrée.
1. Dans chaque chambrée, dans chaque dortoir, dans chaque atelier, il y a un
chef et un sous-chef, qui sont obligés de rendre compte de tout ce qui est fait
et de tout ce qui est dit dans la chambrée, dans le dortoir, dans l’atelier.
2. Il doit précéder les autres dans le bon exemple, et se montrer en tout
juste, minutieux, rempli de charité et de crainte de Dieu.
3. Il est tenu de corriger n’importe quel défaut des compagnons, mais sans
appliquer le moindre châtiment : au cas où celui-ci conviendrait, il en référera

76.5 Page 755

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741
au Préfet ou au Supérieur. Le soir, avant de se coucher, qu’il visite sa
chambrée et, s’il s’aperçoit qu’il manque quelqu’un, qu’il en informe monsieur
le Préfet ou monsieur le Catéchiste.
4. Qu’il insiste pour faire observer le silence à l’heure indiquée. Le matin,
quand le signal du lever est donné, qu’il soit ponctuel pour se lever et tant
que tous les autres ne sont pas sortis, qu’il ne sorte pas de la chambrée, qu’il
fermera et dont il portera la clef à l’endroit déterminé. Dans le cas où
quelqu’un serait malade, il en informera le Catéchiste.
5. Qu’il veille très attentivement pour empêcher toutes sortes de mauvaises
conversations, toute parole, tout geste ou toute attitude et même toute plai-
santerie contraires à la vertu de la modestie. S[aint] Paul veut que de telles
choses ne soient en aucune manière nommées parmi les chrétiens. Impudicitia
ne quidem nominetur in vobis [L’impureté, que son nom ne soit même pas prononcé
parmi vous]. S’il découvre quelques-uns de ces manquements, il est gravement
obligé d’en informer le Supérieur.
CHAPITRE VIII.
Des Personnes de service.
1. Les personnes de service sont au nombre de trois : le cuisinier, le
domestique et le concierge, qui doivent s’entraider dans tout ce qui est com-
patible avec les occupations respectives.
2. Aux personnes de service il est chaudement recommandé de ne jamais
accepter de faire des commissions étrangères à leurs devoirs ni même de se
charger ou d’assurer le maniement d’affaires ou de contrats qui ne concernent
pas l’intérêt de la Maison. Si se présente quelque affaire qui concerne leur
avantage personnel, qu’elles en parlent avec le Préfet.
3. Qu’elles soient fidèles même dans les petites choses ; malheur au
domestique qui commence à faire de petits vols dans les achats, les ventes et
autrement ; sans qu’il s’en aperçoive, il est amené à être un voleur.
4. Sobriété dans le manger et surtout dans le boire : qui ne sait com-
mander à sa gourmandise est un serviteur inutile.
5. Ne contracter aucune familiarité avec les jeunes de la Maison : respect et
charité avec tous dans les choses qui concernent leurs devoirs, sans faire
preuve avec eux d’intimité ou d’amitié particulière.
6. Qu’elles fréquentent au moins une fois par mois avec dévotion les
Sacrements de la Confession et de la Communion, et qu’elles le fassent dans
l’église de l’Oratoire, afin que leur conduite chrétienne soit connue des autres
enfants de la Maison. Voici par ailleurs quels sont les devoirs qui concernent
directement chaque personne de service :

76.6 Page 756

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742
ART 1. - Du Cuisinier.
1. Le cuisinier doit faire en sorte que la nourriture soit saine, économique et
préparée pour l’heure fixée : tout retard, fût-il faible, cause de la gêne dans la
communauté.
2. Au cuisinier il incombe de bien nettoyer la cuisine et d’avoir un très
grand souci de la propreté, et de s’arranger pour qu’aucune sorte de nourriture
ne subisse de détérioration.
3. Toute portion de nourriture, de fruits, de mets principal ou de boisson qui
sera en surplus à table, qu’il la mette de côté et qu’il n’en dispose en aucune
façon sans l’accord d’un Supérieur.
4. Il doit rigoureusement interdire l’entrée en cuisine à n’importe quel enfant
de la Maison ; il ne doit pas, non plus, permettre que les personnes étrangères
y restent, à moins qu’il n’y ait une permission particulière d’un Supérieur. Si
quelqu’un demande au cuisinier à rencontrer une personne de la Maison, qu’il
soit avec bonté dirigé vers le parloir ou vers le concierge.
5. Dès qu’il aura terminé les travaux de cuisine, il aidera le domestique à
préparer les lampes et à accomplir d’autres travaux de la Maison ; mais qu’il
ne reste jamais oisif.
6. La plus belle qualité d’un cuisinier, c’est d’être exempt du vice de la
gourmandise.
***
ART 2. - Du Domestique.
1. Le domestique ira le soir se coucher une demi-heure avant les autres, et,
le matin, il se lèvera une demi-heure avant. Dix minutes avant le signal du
lever il réveillera le concierge, pour qu’il aille allumer la lumière dans toutes
les chambrées. Puis, ayant donné le signal du lever, il ira sonner l’Angélus et
donner le signal pour la sainte Messe.
2. Il revient au domestique le soin de mettre en ordre les chambres des
Supérieurs, de servir à table, d’aider le cuisinier à nettoyer la cuisine, de laver
les plats et les assiettes et de les porter à leur place.
3. Pendant la journée, s’il lui reste du temps libre, il se tiendra aux ordres
du Préfet.
***

76.7 Page 757

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743
ART 3. - Du Concierge.
1. C’est le devoir le plus strict du concierge de se trouver toujours à son
poste, de recevoir poliment quiconque se présente. Lorsqu’il doit se rendre
ailleurs pour accomplir ses devoirs religieux, à l’heure de prendre de la nour-
riture, ou au cas où il devrait s’absenter pour quelque motif raisonnable, il se
fera remplacer par une personne indiquée par le Supérieur.
2. Il ne fera jamais entrer quelqu’un dans la Maison à l’insu des supérieurs,
en adressant au Préfet ceux qui ont des affaires d’économat ou qui ont besoin
de traiter de choses concernant les jeunes de la Maison ; au Supérieur ceux qui
demandent à le rencontrer directement.
3. Il ne permettra à aucun jeune de la Maison de sortir sans être muni du
billet d’autorisation requis, hormis les exceptions signalées par un Supérieur sur
une fiche à conserver secrètement, en notant l’heure de sortie et celle de re-
tour.
4. Toute lettre ou tout paquet adressés à un jeune de la Maison seront
présentés au Préfet avant d’être portés à destination.
5. Le soir il aura soin de fermer toutes les portes, grandes et petites, de la
Maison qui ouvrent sur l’extérieur. Un quart d’heure après les prières il
donnera un coup de sonnette, puis il ira éteindre les lumières dans toutes les
chambrées.
6. Le matin, quand le signal du lever est donné, il se rendra de nouveau
dans les chambres pour en allumer les lumières, en réveillant le chef de
chambrée au cas où cela serait nécessaire.
7. Il reviendra aussi au concierge de donner les signaux de l’horaire et de
recevoir toutes les lampes qui [devront] lui être apportées, de les nettoyer et
de les préparer pour le service de toute la maison, et de les fournir selon le
besoin.
8. Interdiction [lui] est faite d’acheter ou de vendre des denrées alimentaires,
de conserver de l’argent et d’autres choses chez lui pour faire plaisir aux jeu-
nes et à leurs parents.
9. Qu’il fasse en sorte [de faire régner] le calme et qu’il s’efforce d’empêcher
tout désordre dans la cour et dans la Maison ; qu’il interdise les piailleries au
moment des cérémonies sacrées, de la classe, de l’étude et du travail.
10. Qu’il reçoive les clefs des chambrées, des salles de classe et d’autres
[lieux], et qu’il ne les rende pas, si ce n’est à celui qui est chargé de la fonc-
tion pour laquelle elles sont nécessaires.
11. Le moment régulièrement libre pour parler aux jeunes de la Maison est
chaque jour entre une heure et deux heures de l’après-midi. A d’autres mo-
ments il est interdit de faire entrer des gens pour parler à ces jeunes qu’ils
soient étudiants ou qu’ils soient apprentis. Les dames devront rester au parloir
et attendre les jeunes pour lesquels est faite la demande.
12. Il fera en sorte de se tenir continuellement occupé au moyen de ses
propres travaux ou au moyen d’autres qui lui seront confiés et il notera sur un

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744
bloc-notes toutes les commissions ; mais, soit pour les recevoir, soit pour les
faire, qu’il emploie toujours des manières douces et aimables, en pensant que la
douceur et l’affabilité sont les vertus caractéristiques d’un bon concierge.
N.B. Le moment habituel pendant lequel le Supérieur recevra en audience est
le matin des jours ouvrables de 9 à 11 heures.
Le moment le plus opportun pour traiter de questions d’administration, de
classe et d’économat de la Maison avec le Préfet, ou avec quelqu’un qui inter-
vient à sa place, est également tous les jours ouvrables de 9 à 12 heures du
matin et de 2 à 5 heures de l’après-midi.
CHAPITRE IX.
Des Maîtres d’atelier.
1. Les maîtres d’atelier sont ceux qui forment les jeunes exercés dans une
profession dans les ateliers de la Maison. Leur premier devoir est la ponctua-
lité à se trouver en temps voulu dans les ateliers.
2. Qu’ils se montrent empressés pour tout ce qui regarde le bien de la
Maison ; et qu’ils se rappellent que c’est pour eux un devoir essentiel d’ins-
truire leurs apprentis et de faire en sorte que le travail ne leur manque pas.
Qu’ils observent, pour autant que cela est possible, le silence pendant le tra-
vail, et que personne ne se mette à chanter en dehors du temps de récréation.
Ils ne permettront jamais aux jeunes d’aller faire des commissions. Si le cas
s’en présente, on en demandera au Préfet la permission qui convient.
3. Ils ne doivent jamais faire de contrats avec les jeunes de la Maison, ni
assumer pour leur compte personnel un travail de leur profession ; qu’ils
tiennent un registre exact de toute sorte de travail qu’on accomplit dans leur
atelier.
Chaque semaine, ils donneront à l’économe un compte détaillé des dépenses
et des entrées relatives au travail de chaque atelier.
4. Ils ont la stricte obligation d’empêcher l’oisiveté et toutes sortes de mau-
vaises conversations, et s’ils apprennent que quelqu’un s’est donné à de tels
vices, ils devront immédiatement en informer un Supérieur.
5. Que chacun, Maître ou élève, reste dans son atelier et que jamais quel-
qu’un ne se rende dans celui des autres sans une absolue nécessité.
6. Il est interdit de prendre une collation, de boire du vin dans les ateliers :
on doit y travailler et ne pas s’y divertir.
7. Le travail commencera par l’Actiones [Que ta grâce inspire notre action] et
par l’Ave Maria, et se terminera par l’Agimus [Nous te rendons grâces] et par
l’Ave Maria. A midi et le soir on dira l’Angélus avant de sortir de l’atelier.
8. D’autre part les apprentis doivent obéir docilement à leurs maîtres,
[considérés] comme leurs Supérieurs, en faisant preuve d’une grande diligence

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745
pour leur complaire et de la plus haute attention pour apprendre les choses qui
leur sont enseignées.
9. Ces articles seront lus tous les quinze jours d’une voix claire par le Chef
[d’atelier], ou par quelqu’un à sa place, et on en tiendra toujours une copie
affichée dans l’atelier.
APPENDICE POUR LES ÉTUDIANTS.
Acceptation.
1. Parmi les jeunes recueillis en pension on en rencontre certains qui
montrent une disposition pour les études ou pour une profession libérale. La
maison de l’Oratoire met tout en œuvre pour aider ces garçons, qu’ils soient à
même de pouvoir payer la totalité ou une partie de la pension, ou bien qu’ils
soient absolument pauvres.
2. Les étudiants doivent se conformer en tout au règlement de la Maison, et
se proposer d’être des exemples pour les apprentis, surtout dans les pratiques
religieuses et dans l’exercice de la charité.
3. Nul n’est admis à étudier : A moins d’avoir une disposition particulière
pour les études et d’avoir brillé dans les classes antérieures. D’avoir un
certificat de piété éminente. Ces deux conditions devront être vérifiées à travers
une bonne conduite tenue pendant quelque temps dans la maison de l’Oratoire.
Nul n’est admis à étudier le latin à moins d’avoir la volonté de s’orienter
vers l’état ecclésiastique, en gardant cependant la liberté de suivre sa vocation
une fois achevé le cours des études latines.
4. Chaque étudiant est tenu de se prêter à n’importe quel service dont on
pourrait avoir besoin pour la Maison, comme serait [celui de] faire les com-
missions, de balayer, de porter de l’eau ou du bois, d’aider à table, de faire le
catéchisme et autres choses semblables.
CHAPITRE I.
Conduite religieuse des étudiants.
1. Chaque étudiant doit apparaître un modèle de vertu aux yeux de tous les
jeunes de la Maison, soit dans l’accomplissement de ses devoirs, soit dans la
piété. Ce serait certainement une cause de déshonneur pour un étudiant con-
tinuellement occupé dans les choses de l’esprit que d’être inférieur dans la
conduite à un apprenti occupé tout le jour dans ses lourds travaux.

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746
2. Le deuxième jeudi de chaque mois ils feront tous ensemble la récollection
mensuelle [alias : exercice de la bonne mort], en se préparant quelques jours aupa-
ravant par quelques pratiques de piété chrétienne.
3. De même qu’à tout le monde il est recommandé d’avoir un confesseur
stable, ainsi pour les étudiants sera déterminé un confesseur, que chacun aura
soin de ne pas changer sans en faire part à un Supérieur ; et cela pour
s’assurer que l’élève fréquente les Sacrements Sacrés, et aussi pour qu’il soit
régulièrement dirigé par le même Directeur [spirituel] ; parce que ceux qui se
donnent aux études, qui sont totalement un travail de l’esprit, ont un plus
grand besoin de culture spirituelle. Mais, bien plus encore, il est nécessaire de
s’adresser à un même confesseur afin que ce dernier soit en mesure, lorsque le
cours des études latines sera terminé, de porter un jugement fondé sur la voca-
tion du jeune.
4. Que chacun ait une pleine confiance dans le confesseur et qu’il lui expose
régulièrement toute sa vie intérieure et le suive dans ses conseils : tout cela est
de la plus haute importance parce que, si l’on fait ainsi, le confesseur sera en
mesure de donner les avis les plus adaptés en vue du bien de l’âme.
CHAPITRE II.
De l’étude.
1. L’horaire de l’étude varie selon l’horaire des cours, mais tous sont tenus
de s’y conformer.
2. Dans l’étude il y aura un assistant, qui est responsable de la conduite que
chacun y tient, aussi bien dans l’empressement à s’y rendre que dans l’applica-
tion [au travail]. Dans chaque banc de l’étude se trouve un décurion qui aide
l’assistant.
3. Tous les samedis il y aura une assemblée pour les étudiants, pendant
laquelle l’assistant donnera son avis sur la conduite, bonne ou mauvaise, de
chacun et proposera quelque chose qui puisse encore mieux contribuer au pro-
grès de l’étude et de la piété.
4. Celui qui n’est pas assidu à l’étude, ou bien qui cause du dérangement
quand il s’y trouve, sera averti ; car, s’il ne se corrige pas, il sera aussitôt
affecté à d’autres occupations. Le temps est précieux, c’est pourquoi on doit
enlever tous les obstacles qui peuvent empêcher de bien l’occuper.
5. Afin de contribuer à cette scrupuleuse occupation [du temps], et aussi pour
que dans la Maison il y ait un lieu où chacun puisse tranquillement lire ou
écrire autant qu’il en a besoin et sans dérangement, tous devront dans l’étude
observer un silence rigoureux à chaque instant.
6. Que celui qui n’a pas la crainte de Dieu abandonne les études, car il
travaille en vain. La science n’entrera pas dans une âme malfaisante, et elle

77 Pages 761-770

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77.1 Page 761

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747
n’habitera pas dans un corps esclave du péché. In malevolam animam non
introibit sapientia, nec habitabit in corpore subdito peccatis, dit le Seigneur
([cf.] Sg 1,4).
7. La vertu qui est recommandée chaudement et d’une manière particulière
aux étudiants est l’humilité. Un étudiant orgueilleux est un stupide ignorant. Le
commencement de la sagesse est la crainte de Dieu : Initium sapientiæ timor
Domini, dit l’Esprit Saint. Le commencement de tout péché est l’orgueil.
Initium omnis peccati superbia scribitur, dit Saint Augustin.
PARTIE II.
De la discipline de la Maison.
CHAPITRE I.
De la piété.
1. Souvenez-vous, mes enfants, que nous sommes créés pour aimer et servir
Dieu notre Créateur, et qu’il ne nous servirait à rien d’acquérir toute la scien-
ce et toutes les richesses du monde sans [avoir la] crainte de Dieu. De cette
sainte crainte dépend tout notre bien, temporel comme éternel.
2. Les moyens qui peuvent contribuer à nous maintenir dans la crainte de
Dieu et assurer le salut de notre âme sont la prière, les Sacrements et la
parole de Dieu.
3. Que la prière soit fréquente et fervente, mais qu’elle ne soit jamais faite à
contrecœur, et en dérangeant les compagnons ; il vaut mieux ne pas prier que
mal prier. Le matin, à peine réveillés, faites en premier le signe de la sainte
croix et élevez votre esprit vers Dieu au moyen de quelque oraison jaculatoire.
4. Choisissez-vous un Confesseur stable, ouvrez-lui tout le fond secret de vo-
tre cœur tous les quinze jours ou une fois par mois. S[aint] Philippe Néri, ce
grand ami de la jeunesse, recommandait à ses enfants de se confesser tous les
huit jours et de communier même plus souvent selon l’avis du confesseur.
5. Participez dévotement à la Messe, souvenez-vous que l’Eglise est la mai-
son de Dieu et un lieu de prière.
6. Faites souvent une lecture spirituelle et écoutez avec attention les sermons
et les autres enseignements moraux. Ne partez jamais des sermons sans empor-
ter quelque maxime à pratiquer pendant vos occupations.

77.2 Page 762

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748
7. Donnez-vous à la vertu tant que vous êtes jeunes, parce qu’attendre pour
se donner à Dieu dans un âge avancé, c’est se mettre dans le très grave
danger d’être éternellement perdu. Les vertus qui forment le plus bel
ornement d’un jeune chrétien sont : la modestie, l’humilité, l’obéissance et la
charité.
8. Ayez une dévotion particulière envers le Saint Sacrement, envers la B[ien-
heureuse] Vierge, envers S[aint] François de Sales, envers S[aint] Louis de Gonzague,
qui sont les Protecteurs particuliers de cette Maison.
9. N’adoptez jamais une nouvelle dévotion si ce n’est avec la permission de
votre Confesseur, et souvenez-vous de ce que disait S[aint] Philippe Néri à ses
enfants : Ne vous chargez pas de trop de dévotions, mais soyez persévérants
dans celles que vous avez choisies.
10. Ayez un grand respect pour les ministres sacrés de l’Eglise et pour toutes les
choses de N[otre] S[ainte] Religion : si quelqu’un a de mauvaises conversations
à ce sujet, tenez-le pour votre ennemi et comme tel fuyez-le.
CHAPITRE II.
Du travail.
1. L’homme, mes chers enfants, est né pour travailler. Adam fut placé dans
le Paradis terrestre afin qu’il le cultivât. L’apôtre S[aint] Paul dit : Il est indi-
gne de manger, celui qui ne veut pas travailler : Si quis non vult operari, nec
manducet (2 Th 3,10).
2. Par travail on entend l’accomplissement des devoirs de son propre état,
soit d’étude, soit de profession ou de métier.
3. Mais souvenez-vous qu’au moyen du travail il vous est possible de bien
mériter de la société, de la religion, et faire du bien à votre âme, surtout si
vous offrez à Dieu vos occupations quotidiennes.
4. Parmi les choses qui se présentent pour être l’objet de vos occupations,
préférez toujours celles qui sont ordonnées par l’obéissance, en tenant ferme
pour ne jamais laisser de côté la moindre de vos obligations dans l’idée d’en
entreprendre d’autres non commandées.
5. Si vous savez quelque chose, rendez-en gloire à Dieu, qui est l’auteur de
tout bien, mais ne vous enorgueillissez pas, parce que l’orgueil est un ver qui
ronge et fait perdre le mérite de toutes vos bonnes œuvres.
6. Souvenez-vous que votre âge est le printemps de la vie. Le plus souvent
celui qui ne s’habitue pas au travail au temps de sa jeunesse sera toujours un
fainéant jusqu’à sa vieillesse, pour le déshonneur de la patrie et de ses parents,
et peut-être pour le préjudice irréparable de son âme, car l’oisiveté est la mère
de tous les vices.

77.3 Page 763

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749
7. Celui qui est obligé de travailler et qui ne travaille pas, commet un vol à
l’égard de Dieu et de ses Supérieurs. Les fainéants éprouveront, à la fin de
leur vie, un très grand remords pour le temps perdu.
8. Commencez toujours le travail, l’étude et la classe par l’Actiones [Que ta
grâce inspire notre action] et par l’Ave Maria, et finissez par l’Agimus [Nous te
rendons grâces]. Dites-les bien ces courtes prières, afin que le Seigneur veuille
guider lui-même vos travaux et vos études et que vous puissiez gagner les
indulgences accordées par les Souverains Pontifes à ceux qui accomplissent ces
pratiques de piété.
9. Le matin, avant de commencer le travail, à midi et le soir, quand vos
occupations sont terminées, dites l’Angelus Domini [l’Angélus], en y ajoutant le
soir le De profundis comme prière pour les âmes des fidèles défunts ; dites-le
toujours en vous tenant à genoux, sauf le samedi soir et le dimanche, jours où
vous le direz en vous tenant debout. On dit au temps pascal le Regina Cœli
[Reine du Ciel] en se tenant debout.
CHAPITRE III.
Comportement envers les Supérieurs.
1. Le fondement de toutes les vertus chez un jeune est l’obéissance à ses
Supérieurs. Reconnaissez dans leur volonté celle de Dieu, en vous soumettant à
eux sans la moindre sorte d’opposition.
2. Soyez persuadés que vos Supérieurs sont vivement conscients de l’obliga-
tion grave qui les entraîne à favoriser de la meilleure façon votre avantage, et
qu’en vous avertissant, en vous commandant, en vous corrigeant ils ne visent
pas autre chose que votre bien.
3. Honorez-les et aimez-les, [en les regardant] comme ceux qui tiennent la pla-
ce de Dieu et de vos parents et, quand vous leur obéissez, pensez que vous
obéissez à Dieu lui-même.
4. Que votre obéissance soit prompte, respectueuse et joyeuse à l’égard de
chacun de leurs ordres, en ne faisant pas de remarques en vue de vous dispen-
ser de ce qu’ils commandent. Obéissez, bien que la chose commandée ne soit
pas de votre goût.
5. Ouvrez-leur librement votre cœur en considérant en eux un père affectueux
qui désire ardemment votre bonheur.
6. Ecoutez avec reconnaissance leurs corrections et, si c’est nécessaire, rece-
vez avec humilité le châtiment de vos fautes, en ne faisant preuve ni de haine
ni de mépris envers eux.
7. Gardez-vous bien d’être de ceux qui, tandis que vos supérieurs se donnent
beaucoup de peine pour vous, censurent les mesures qu’ils prennent ; ce serait
un signe de la plus grande ingratitude.

77.4 Page 764

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750
8. Lorsque vous êtes interrogé[s] par un Supérieur sur la conduite de l’un de
vos compagnons, répondez selon la manière dont les choses vous sont con-
nues, surtout quand il s’agit de prévenir quelque mal ou d’y porter remède.
Garder le silence en ces circonstances porterait préjudice à ce compagnon, et
pourrait être la cause de désordres pour toute la maison.
CHAPITRE IV.
Comportement envers les compagnons.
1. Honorez et aimez vos compagnons [en les regardant] comme autant de frè-
res, et efforcez-vous de vous édifier les uns les autres par le bon exemple.
2. Aimez-vous tous réciproquement, comme dit le Seigneur, mais prenez gar-
de au scandale. Celui qui par des paroles, des conversations, des actions, ferait
scandale, n’est pas un ami, il est un assassin de l’âme.
3. Si vous pouvez vous rendre quelques services et vous donner quelques
bons conseils, faites-le volontiers. Pendant la récréation, accueillez de bon gré
dans votre conversation n’importe quel compagnon sans la moindre sorte de
distinction, et laissez prendre part à vos passe-temps avec des manières
agréables. Ayez soin de ne jamais parler des défauts de vos compagnons, à
moins que vous ne soyez interrogés à ce sujet par votre Supérieur. Dans ce
cas veillez à ne pas exagérer ce que vous dites.
4. Nous devons reconnaître comme venant de Dieu tout bien et tout mal,
c’est pourquoi gardez-vous de vous moquer de vos compagnons pour leurs dé-
fauts, corporels ou spirituels. Ce dont aujourd’hui vous vous moquez chez les
autres, il peut se faire que demain le Seigneur permette que cela vous arrive.
5. La vraie charité commande de supporter avec patience les défauts d’autrui
et de pardonner facilement lorsque quelqu’un nous offense, mais nous ne de-
vons jamais outrager les autres, surtout ceux qui nous sont inférieurs.
6. L’orgueil est à fuir au plus haut point ; l’orgueilleux est odieux aux yeux
de Dieu et méprisable à la vue des hommes.
CHAPITRE V.
De la modestie.
1. Par modestie on entend une manière décente et réglée de parler, d’agir et
de marcher. Cette vertu, mes enfants, est un des plus beaux ornements de vo-
tre âge, et doit apparaître dans chacune de vos actions, dans chacune de vos
conversations.

77.5 Page 765

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751
2. Le corps et les vêtements doivent être propres, le visage constamment
serein et joyeux, sans remuer les épaules ou le corps légèrement çà et là, sauf
si quelque honnête raison le demande.
3. Je vous recommande la modestie des yeux ; ils sont les fenêtres par
lesquelles le démon conduit le péché dans le cœur. Que la démarche soit
modérée, sans traduire une trop grande hâte, sauf si la nécessité exige
autrement ; quand les mains ne sont pas occupées, qu’on les tiennent dans un
geste décent, et la nuit, pour autant que cela est possible, tenez-les jointes
devant la poitrine.
4. Quand vous parlez, soyez modestes, n’employant jamais d’expressions qui
pourraient offenser la charité et la décence ; un silence pudique convient da-
vantage à votre situation, à votre âge que la hardiesse et la volubilité.
5. Allez-y doucement pour critiquer les actions des autres, et ne vous vantez
jamais d’une quelconque de vos qualités. Accueillez toujours avec indifférence
le blâme et la louange, en vous humiliant devant Dieu lorsque vous sont faits
quelques reproches.
6. Evitez toute action, tout mouvement ou toute parole qui soient à même de
faire penser à quelque chose de grossier, appliquez-vous à corriger à temps les
défauts de votre tempérament et efforcez-vous de former en vous un caractère
doux et constamment réglé selon les principes de la modestie chrétienne.
7. Fait également partie de la modestie la manière de se comporter à table,
en pensant que la nourriture nous est donnée, non comme à des brutes, seu-
lement pour apaiser l’appétit, mais bien au contraire pour maintenir sain et
vigoureux notre corps, en tant qu’instrument matériel destiné à servir son
Créateur et à procurer le bonheur de notre âme.
8. Avant et après les repas accomplissez les habituels gestes religieux et,
pendant que vous vous restaurez, faites en sorte de nourrir également l’esprit,
en appliquant en silence votre attention à ce peu de lecture que l’on y fait.
9. Il n’est pas permis de manger ou de boire d’autres choses que celles qui
sont fournies par la maison. Ceux qui reçoivent des fruits, des denrées alimen-
taires ou des boissons de n’importe quelle espèce, devront les remettre à un
Supérieur, qui prendra les dispositions pour que l’on en fasse un usage mo-
déré.
10. On vous recommande très chaudement de ne jamais détériorer la moindre
part de soupe, de pain ou de mets du plat principal. Celui qui détériorerait
volontairement de la nourriture quelle qu’elle soit, est sévèrement puni, et doit
craindre grandement que le Seigneur ne le fasse mourir de faim.

77.6 Page 766

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752
CHAPITRE VI.
Comportement dans le régime de la Maison.
1. Le matin, lorsque le signal de la sonnette est donné, quittez promptement
le lit, en entreprenant de vous habiller avec toute la décence possible, et
toujours en silence. Habillés de façon convenable et ayant fait le lit, vous
sortirez pour vos besoins, comme vous laver et autres choses semblables.
2. Ne sortez jamais de la chambre sans faire le lit, vous peigner, nettoyer et
arranger vos vêtements, et mettre en ordre chacune de vos affaires.
3. Lorsque le deuxième signal de la sonnette est donné, tous les apprentis
iront à l’église à l’endroit indiqué pour réciter les prières en commun et
participer à la sainte Messe. Les étudiants iront à l’étude, et ensuite à la
Messe, après laquelle on fera une courte méditation.
4. Pendant ces cérémonies sacrées abstenez-vous, pour autant que vous
pouvez, de bailler, de dormir, de vous tourner çà et là, de bavarder et de sor-
tir de l’église. Ces défauts montrent qu’on n’a pas beaucoup le désir des
choses de Dieu et le plus souvent ils causent un grand dérangement et même
du scandale pour les compagnons.
5. Après avoir terminé les choses d’église, vous vous rendrez en ordre et
sans bruit au lieu affecté pour le travail, et vous ferez en sorte que rien ne
vous manque dans vos occupations.
Qu’on fasse remarquer pour les étudiants qu’une fois l’étude commencée il
n’est plus permis de parler, d’emprunter ou de prêter des choses, malgré n’im-
porte quel besoin. Qu’ils évitent également de faire du bruit avec le papier,
avec les livres, avec les pieds, en laissant tomber quelque chose ou d’une au-
tre manière.
Au cas où se présenterait un véritable besoin, qu’on en fasse signe à l’assis-
tant et on accomplira tout avec le minimum de dérangement pour les autres.
6. Que personne ne bouge et ne fasse de bruit tant que la sonnette n’a pas
donné le signal de la fin de l’étude.
7. Par ailleurs, après la messe, ceux qui vont travailler prendront sans bruit
leur petit déjeuner et se rendront immédiatement à leur atelier, en ne s’arrêtant
ni à des jeux, ni à des divertissements, d’autant plus que ce serait pour ne pas
aller au travail. Ces manquements au devoir seront punis selon leur gravité. Il
est interdit de regarder et de fouiller dans la boîte ou la caisse des autres.
Pendant la journée que personne ne se rende au dortoir sans une permission
particulière.
8. Gardez-vous bien de vous approprier les affaires des autres, fussent-elles
même de la plus petite importance ; et, s’il vous arrive de trouver une chose,
remettez-la aussitôt aux Supérieurs, et celui qui se laisserait égarer en la fai-
sant sienne, serait sévèrement puni en proportion du vol.

77.7 Page 767

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753
9. Les lettres et les plis que l’on reçoit ou que l’on envoie, doivent être
remis à un Supérieur, qui, s’il le juge bon, peut librement les lire.
10. Il est rigoureusement défendu de garder de l’argent auprès de soi, mais
on doit tout déposer chez le Préfet, qui en fournira selon les besoins parti-
culiers. De même, il est sévèrement interdit de conclure des contrats de vente,
d’achat ou d’échange, de faire des dettes envers qui que ce soit sans la permission
d’un Supérieur.
11. Il est interdit d’introduire dans la Maison ou dans le dortoir des person-
nes étrangères. Si l’on doit parler avec des parents ou une autre personne, on
ira dans le parloir commun. Ne restez jamais près des autres lorsqu’ils tiennent
des conversations à caractère privé. Et n’entrez jamais dans les ateliers ou dans
les dortoirs des autres, parce que cela devient la cause d’un grave dérangement
pour ceux qui sont à l’intérieur ou pour ceux qui travaillent. Il est pareillement
interdit de s’enfermer dans la chambre, d’écrire sur les murs, de planter des
clous, de faire des dégâts en cassant quoi que ce soit. Celui qui d’une façon
coupable détériorerait une chose est obligé de la faire réparer à ses frais. Enfin
il est aussi interdit de rester dans le bureau du concierge, dans la cuisine, à
l’exception de ceux qui y sont chargés de quelque fonction.
12. Faites preuve de charité envers tous, montrez de l’indulgence pour les
défauts des autres, ne donnez jamais de surnoms, et ne dites ou ne faites
jamais la moindre chose qui, si on vous la disait ou la faisait, pourrait vous
faire de la peine.
CHAPITRE VII.
Comportement en dehors de la Maison.
1. Souvenez-vous, mes enfants, que tout chrétien est dans l’obligation de se
montrer capable d’édifier le prochain, et qu’aucun sermon n’est plus édifiant
que le bon exemple.
2. En sortant de la Maison, soyez réservés dans les regards, dans les propos
et dans chacune de vos actions. Rien ne peut produire une plus grande édifi-
cation que de voir un jeune de bonne conduite ; il fait voir qu’il appartient à
une communauté de jeunes qui sont chrétiens et bien éduqués.
3. Si vous avez à aller en promenade, ou bien à l’école, ou à faire des
commissions en dehors de l’Oratoire, ne vous arrêtez pas pour montrer du
doigt qui que ce soit, ni pour rire de façon immodérée, et encore moins pour
jeter des pierres, pour vous amuser à sauter des fossés ou des canaux
d’adduction d’eau. Tout cela indique une mauvaise éducation.
4. Si vous rencontrez des personnes qui ont des responsabilités publiques,
découvrez-vous la tête en leur cédant la partie la plus commode [du chemin] ;
vous ferez de même avec les religieux et avec toute personne revêtue d’une
dignité, surtout s’ils sont déjà venus ou si on les a déjà rencontrés dans cette
Maison.

77.8 Page 768

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754
5. En passant devant une Eglise ou une représentation pieuse, découvrez-vous
la tête en signe de respect. S’il vous arrive de passer près d’une Eglise où
l’on célèbre des offices divins, faites silence jusqu’à une distance nécessaire
pour ne pas causer de dérangement à ceux qui se trouvent à l’intérieur.
6. En entrant dans une église, vous prendrez de l’eau bénite et, après avoir
fait le signe de la sainte croix, vous vous inclinerez s’il n’y a que la croix ou
quelque représentation [pieuse], [mais] vous ferez la génuflexion s’il y a le
[Saint] Sacrement dans le Tabernacle [ou] vous vous agenouillerez si le Saint
Sacrement y est exposé. Mais veillez bien à ne pas faire de bruit, à ne pas
bavarder, et à ne pas rire. Il vaut mieux ne pas aller dans une église, plutôt
que d’y aller sans le respect voulu.
7. Souvenez-vous que, si vous ne vous comportez pas bien dans l’Eglise, en
classe, au travail ou dans la rue, en plus du fait que vous aurez à en rendre
compte au Seigneur, vous ferez aussi la honte du Collège ou de la Maison
auxquels vous appartenez.
8. S’il vous arrive d’avoir un voisin, ou de devoir discuter avec un compa-
gnon, qui tienne de mauvaises conversations, faites-en promptement part à un
Supérieur afin d’avoir les conseils nécessaires et de vous comporter avec pru-
dence sans offenser Dieu.
9. Ne dites jamais de mal de vos compagnons, de la marche de la Maison,
de vos Supérieurs et des mesures qu’ils prennent. Chacun est pleinement libre
de rester ou de ne pas rester, et il ferait sa propre honte celui qui se plain-
drait du lieu où il est recueilli, où l’on subvient à ses besoins et où il a la
pleine décision de rester ou d’aller là où ça lui plaît davantage.
10. Les étudiants, aussi bien que les apprentis, ne pourront pas se rendre
ailleurs qu’au lieu du travail ou de la classe, après lesquels ils reviendront
immédiatement à la maison. Lorsqu’on va en promenade, il est défendu de
s’arrêter dans la rue, d’entrer dans les boutiques, de faire des visites ou d’al-
ler s’amuser ou de toute façon de s’éloigner des rangs. Il n’est pas permis non
plus d’accepter une invitation de repas, car on n’en donnera pas la permission.
11. Si vous voulez faire beaucoup de bien à vous-mêmes et à la Maison,
dites-en toujours du bien, en cherchant également des raisons de faire approu-
ver tout ce que font les Supérieurs ou toutes les mesures qu’ils prennent pour
la bonne marche de la Communauté.
12. Comme on exige de votre part une obéissance raisonnable et spontanée à
toutes ces règles, ceux qui les transgresseront seront dûment punis, et ceux qui
les observeront, en plus de la récompense à laquelle ils doivent s’atten-
dre de la part du Seigneur, seront aussi récompensés par les Supérieurs selon
la persévérance et l’application.
***

77.9 Page 769

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755
Trois maux à fuir au plus haut point.
Bien que les jeunes de la Maison doivent faire tout ce qu’ils peuvent pour
fuir n’importe quel péché, toutefois, mes chers enfants, il y a trois maux que
d’une manière particulière vous devez éviter, parce qu’ils produisent les plus
grands ravages dans la jeunesse et qu’ils conduisent à de terribles conséquen-
ces. Ce sont : 1° le blasphème et le fait de prononcer en vain le saint nom de
Dieu ; 2° l’indécence, en tant qu’atteinte à la pudeur ; 3° le vol.
Croyez-le, mes enfants, un seul de ces péchés est suffisant pour attirer les
malédictions du Ciel sur la Maison. Au contraire, en maintenant ces maux loin
de nous, nous avons les raisons les plus fondées d’espérer que les bénédictions
célestes viendront sur nous et sur notre communauté tout entière.
Que celui qui observe ces règles soit béni par le Seigneur.
Chaque dimanche, le soir, ou un autre jour de la semaine, le Préfet lira un
chapitre de ces règles avec une réflexion morale sur ce sujet et une recom-
mandation pour qu’elles soient observées.
***
Ce qui est rigoureusement interdit dans la Maison.
1. Etant donné que, dans la Maison, il est interdit de garder de l’argent, les
jeux de toutes sortes, où il y a l’appât du gain, sont interdits.
2. Est aussi interdit tout jeu dans lequel pourrait exister le danger de se faire
du mal et pourraient se produire des choses contre la modestie.
3. Fumer et chiquer sont interdits en tout temps, quel que soit le prétexte.
Priser est toléré dans les limites à établir par un Supérieur sur le conseil du
médecin.
4. On ne donnera jamais la permission de sortir avec les parents et avec les
amis pour prendre un repas, ou pour se fournir en vêtements. Si le besoin de
ces objets se présente, on peut faire prendre ses mesures pour qu’ils soient
achetés tout faits, ou passer commande pour qu’ils soient faits dans l’atelier de
la Maison.
—————

77.10 Page 770

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756
Traduction du texte latin de la page 94 :
De l’audience de Sa Sainteté — Le 28 Septembre 1850.
Notre Très saint Maître Pie IX, Pape par la Divine Providence, aux
prières du Suppliant rapportées par moi soussigné consentit avec bien-
veillance selon ce qui était demandé sans qu’il y ait l’envoi d’un Bref.
DOMINIQUE FIORAMONTI
Secrétaire de Sa Sainteté pour les Lettres en Latin.
Traduction du texte latin de la page 133 :
De l’audience de Sa Sainteté — Le 28 Septembre 1850.
Notre Très saint Maître Pie IX, Pape par la Divine Providence, aux
prières du Suppliant rapportées par moi soussigné consentit avec bien-
veillance selon ce qui était demandé, sans qu’il y ait l’envoi d’un Bref.
DOMINIQUE FIORAMONTI
[Secrétaire] de Sa Sainteté pour les Lettres en Latin.
Traduction du texte latin de la page 134 :
De l’audience de Sa Sainteté — Le 28 Septembre 1850.
Notre Très saint Maître Pie IX, Pape par la Divine Providence,
consentit avec bienveillance aux prières du Suppliant [rapportées] par moi
soussigné, et au même il concéda la faculté demandée qui sera valable
pour trois ans seulement, sans qu’il y ait l’envoi d’un Bref.
DOMINIQUE FIORAMONTI
[Secrétaire] de Sa Sainteté pour les Lettres en Latin.

78 Pages 771-780

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78.1 Page 771

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757
Traduction du texte latin de la page 237 :
« De l’audience de S[a] S[ainteté] Notre Très s[aint] Maître
le Pape Pie IX accorda volontiers à tous les fidèles Chrétiens,
dont on parle dans la demande et seulement à eux, l’Indulgence
Plénière [qu’ils peuvent gagner] une fois dans le mois, c’est-à-dire
le dernier dimanche de n’importe quel mois, pourvu que, vrai-
ment repentants et s’étant confessés, ils aient reçu le Sacrement
de l’Eucharistie, ainsi que visité une église ou un oratoire
public, et que là pendant un espace de temps ils aient prié se-
lon les intentions de Sa Sainteté. Cette Présente sera valable
pour sept ans, sans qu’il y ait l’envoi d’un Bref.
Donné à Rome par le Secrétariat de la S[acrée] Congréga-
tion des Indulgences, le 18 février 1851.
(E[mplacement du]
F. Card[inal] ASQUINIUS Bp.
S[ceau])
L[ouis] Archipr[être] Prinzivalli Substitut ».
[voir volume II (p. 285) des Mémoires Biographiques]
Traduction du texte latin de la page 530 :
Vendredi, le 17 Décembre 1852.
La décision de N[otre] Très s[aint] M[aître] le P[ape] Pie IX
nous ayant été confiée pour exécution, qu’il soit permis au
Suppliant (si ce qui est présenté est vrai), après examen des
lettres qui en témoignent, et aussi longtemps qu’il vivra, de lire
et de conserver, en veillant toutefois à ce qu’ils ne parviennent
pas dans les mains d’autres personnes, n’importe quels livres
interdits, à l’exception de ceux qui traitent directement et inten-
tionnellement de sujets obscènes.
En foi de quoi
FR[ère] A[nge]-[Vincent] MODENA
du Secrétariat de la S[acrée] C[ongrégation] de l’I[ndex].
Emplacement du sceau.

78.2 Page 772

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758
Traduction du texte latin de la page 598 :
LOUIS [de la parenté] DES MARQUIS FRANSONI
CHEVALIER DE L’ORDRE SUPRÊME DE L’ANNONCIADE, Etc., Etc.
PAR GRÂCE DE DIEU ET DU SIÈGE APOSTOLIQUE
ARCHEVÊQUE DE TURIN
A celui qui Nous est cher en Christ, le Tr[ès] Rév[éren]d D. Augustin
Gattino, Curé de l’Eglise Paroissiale des S[aint]s-Simon-et-Jude de cette
Ville : salut dans le Seigneur. Ayant vu le mémoire qui Nous a été
présenté joint [à la demande], et ayant examiné attentivement sa teneur,
COMME NOUS NE POUVONS PAS ALLER BÉNIR LA CLOCHE
DE BRONZE DONT ON PARLE DANS LA DEMANDE, en vertu de
l’autorité Apostolique qui Nous est dévolue, et qu’en cette région Nous
exerçons, Nous te déléguons, toi que Nous avons salué ci-dessus, pour
accomplir cette bénédiction elle-même, pourvu cependant que tu utilises
la forme prescrite dans le Pontifical Romain, et que tu emploies de l’eau
bénie auparavant par Nous, ou par quelque Très ill[ustre] et Très rév[é-
rend] Evêque se trouvant en paix et en communion avec le Saint-Siège
Apostolique.
Donné à Lyon le vingt-deux Mai mil huit cent cinquante-trois.
LOUIS Arch[evê]que.
I. Berruto Secrétaire.
—————

78.3 Page 773

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INDEX
—————
CHAPITRE I . Rébellion et fidélité.
page 1
CHAPITRE II . — Jeunes recueillis à l’Internat de Valdoc-
co Père, sauvez-moi Un jeune garçon cafetier
menacé D. Bosco fait la quête pour ses gosses
La Providence ne fait jamais défaut Contrepoisons
Le petit mot du soir et les questions Les
Quarante heures et les classes de chant Une étran-
ge apparition au petit théâtre Amour, humilité et
vigilance.
5
CHAPITRE III . — Visite de sénateurs à l’Oratoire — Dia-
logue Lettre à Don Bosco venant du Ministère de
l’Intérieur — Siccardi prépare la loi sur les Immunités
Ecclésiastiques Mgr Fransoni à Pianezza et visite de
D. Bosco — L’Archevêque lui conseille de fonder
une Congrégation Religieuse.
16
CHAPITRE IV . Bonne réussite des jeunes de l’Oratoire
des dimanches et des jours de fête D. Bosco fait
le catéchisme au milieu d’un champ, et l’étonnement
de quelques Anglais Prudence de D. Bosco lorsqu’il
va visiter les Oratoires Le Marquis de Cavour ensei-
gne le catéchisme Deux autres catéchistes célèbres
Relations amicales entre l’Abbé Rosmini et D. Bos-
co Projet présenté par D. Bosco à Rosmini.
30
CHAPITRE V . Séance du Sénat à l’avantage de l’Ora-
toire Débats Décision favorable.
42
CHAPITRE VI . Une fête du Statut répugnante Le
Parlement approuve la loi Siccardi Mgr Fransoni
rentre à Turin Douloureuse semaine sainte La
Communion Pascale dans les Oratoires des dimanches

78.4 Page 774

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760
et des jours de fête Consignes aux jeunes
L’exemple des fils convertit les pères Insultes
envers l’Archevêque — Le Sénat et l’abolition des
Immunités Ecclésiastiques Retour de Pie IX à
Rome Un complot contre la vie du Pape dé-
joué Séance récréative et culturelle à l’Oratoire
en l’honneur de Pie IX.
page 52
CHAPITRE VII . Mgr Fransoni prisonnier dans la Cita-
delle — Visites des jeunes de l’Oratoire à l’Archevêque
— Souscription pour une crosse d’évêque — Mgr Fran-
soni et D. Bosco à Pianezza Une nouvelle société
d’apostolat parmi le clergé Fondation des conféren-
ces S[aint]-Vincent-de-Paul à Turin D. Bosco et les
Conférences.
62
CHAPITRE VIII . — Fêtes et canzoni à l’Oratoire — Déca-
dence des anciennes Corporations d’ouvriers — Sociétés
d’ouvriers irréligieuses — Société de secours mutuel
fondée par D. Bosco Son règlement Guerre contre
cette Société Le bien qu’elle a apporté et la semence
qu’elle a jetée — Le milieu ouvrier : aspirations, misères,
séductions, et action catholique.
71
CHAPITRE IX . Un cadeau du Pape aux jeunes des Oratoi-
res La fête des Chapelets — Article d’un journal ca-
tholique Lettre du Cardinal Antonelli Indulgences.
82
CHAPITRE X . Mort du Chev[alier de Rossi] di Santarosa
Expulsion des Servites Monseigneur Fransoni
à Fenestrelle — Condamnation d’autres Evêques —
Perquisitions chez les Oblats et émeutes populaires
D. Bosco et les Oblats — Manifestations contre l’Ora-
toire déjouée Restitution aux Servites des affaires
que leur avait prises le fisc Hérésie honteuse de
D. Grignaschi D. Bosco lui rend visite dans les
prisons d’Ivrea.
95
CHAPITRE XI . D. Bosco et le Comte de Cavour
Une conjecture Mgr Fransoni en exil et visite de
D. Bosco Les secrétaires du Comte.
105
CHAPITRE XII . Retraite spirituelle à Giaveno Lettre
de D. Bosco au Théol[ogien] Borel Amour plein

78.5 Page 775

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761
d’affection de D. Bosco pour les retraitants Le
marchand et les singes Les sermons de D. Bosco
Visite à la Sacra di S[an] Michele [voir dans le bas
de la page 118] Le retour à Turin — Guérison d’une
fièvre persistante Menaces contre les jeunes de
l’Oratoire et pardon.
page 112
CHAPITRE XIII . Achat du champ des rêves Pour-
parlers avec Rosmini pour un prêt et projet d’une
construction à Valdocco Don Bosco pour la seconde
fois à Stresa A Castelnuovo Indulgences pour
la Chapelle des Becchi Lettre de D. Bosco au
Théol[ogien] Borel Cagliero Jean rencontre D. Bosco.
125
CHAPITRE XIV . — L’Archevêque permet la prise de
soutane de quatre étudiants de l’Oratoire : ils
constituent le premier groupe Rua Michel, élève
des cours de latinité Le Chan[oine] Gastaldi avant
d’entrer chez les Rosminiens recommande l’Oratoire à
sa mère Manière facile pour apprendre l’Histoire
Sainte, à l’usage du peuple chrétien.
139
CHAPITRE XV . — D. Bosco modèle d’amour filial —
La fête patronale de sa mère Humilité de maman
Marguerite et sa simplicité Accueil à l’égard des
personnes distinguées Reconnaissance aux bienfai-
teurs Esprit de pauvreté et de justice.
146
CHAPITRE XVI . — D. Bosco, et l’assistance aux mala-
des et aux mourants Admirable conversion d’un
athée — Autre conversion d’un membre de secte —
Une vilaine affaire bien embarrassante avec les sectes.
155
CHAPITRE XVII . Une Pieuse Union provisoire de laïcs
catholiques pour empêcher les progrès de l’impiété —
D. Bosco prêche le jubilé à Milan Faits édifiants
Conférence annuelle en remerciement à la Très s[ainte
Vierge] Marie Immaculée Notre-Dame de Rimini.
170
CHAPITRE XVIII . Esprit de pénitence Recomman-
dations aux jeunes Témoins permanents de la vie
de D. Bosco Son repos et sa nourriture — L’Ab-
bé Stellardi et le Chan[oine] Ronzino [= Ronzini] à la

78.6 Page 776

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762
table de D. Bosco Ses distractions Le firma-
ment lors d’une nuit sereine.
page 183
CHAPITRE XIX . Comment D. Bosco refrénait rigou-
reusement tous ses sens Mortification pour parler,
pour écouter, pour travailler Magnifique éloge
de Don Bosco écrit par Mgr Cagliero Péniten-
ces extraordinaires et secrètes de D. Bosco Il ne
les permet pas à ses élèves Ses douloureuses et
continuelles maladies.
205
CHAPITRE XX . La Foi catholique assaillie par les
Vaudois et défendue par D. Bosco Deuxième
édition de la Jeunesse Instruite et Fondements de
la Religion Catholique Un libraire vaudois
Une sentinelle vigilante Construction d’un temple
vaudois à Turin Avis aux Catholiques Achar-
nement des membres des sectes contre l’enseignement
de la Théologie Népomucène Nuytz Constituant
un premier groupe, quatre élèves de l’Oratoire pren-
nent la soutane Vie retirée et héroïsme de
Maman Marguerite — Deux lettres d’un ancien élè-
ve Indulgences.
220
CHAPITRE XXI . Monsieur Pinardi propose à D. Bosco
l’achat de sa maison à Valdocco — Prêt de l’abbé
Rosmini à Don Bosco Un geste visible de la
Divine Providence Contrat et achat de la maison
Reconnaissance à Rosmini.
238
CHAPITRE XXII . Les financiers du monde D. Bosco
et la banque de la Divine Providence Projet de
l’Eglise S[aint]-François de Sales Le Carnaval à
Valdocco Catéchismes du Carême D. Bosco
à l’Oratoire S[aint]-Louis Projets des Députés
contre les Ordres religieux et la loi de la Mainmorte
Les travaux d’excavation pour les fondations de
la nouvelle église.
249
CHAPITRE XXIII . D. Bosco demande des offrandes
aux bienfaiteurs pour la construction de la nouvelle
église Réponse de l’abbé Rosmini Don Bosco
à Biella et sa rencontre avec le Père Goggia A

78.7 Page 777

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763
Oropa Lettres encourageantes des Evêques A
Valdocco fête de S[aint] Jean et [celle] de S[aint]
Louis D. Bosco à S[ant]’Ignazio et à Lanzo : ses
prévisions.
page 261
CHAPITRE XXIV . Autres démarches de Don Bosco
pour obtenir des subsides Promesse généreuse
du Roi Bénédiction et pose de la première pierre
de l’église — Discours du P[ère] Barrera Fêtes,
dialogue scénique et nouvelle prédiction Don
Bosco et les Juifs.
273
CHAPITRE XXV . Jean Cagliero Les impressions et
les jugements du jeune Turchi accepté à l’Oratoire —
La Commémoration de tous les défunts à Castelnuovo
Cagliero est conduit par D. Bosco à Valdocco
Son témoignage sur la pauvreté de la maison ainsi
que sur la bonté et le zèle de D. Bosco Cagliero
et Rua suivent des cours Formules de contrats de
travail pour les apprentis.
285
CHAPITRE XXVI . La Compagnie de S[aint] Louis
Conférences Choses étonnantes accomplies par
D. Bosco Il prédit l’avenir de la Maison de Val-
docco et des autres Oratoires des dimanches et des
jours de fête Il annonce la mort prochaine de
quelques jeunes et une guérison inespérée Il
révèle l’état des consciences Le don des larmes.
299
CHAPITRE XXVII . Un article de Geoffroy Casalis
Symptômes de mécontentement dans les Oratoires
Insolence pardonnée Prétention illégitime
Lettre du Théol[ogien] Borel à D. Ponte Réponse
La fête de l’Immaculée — La première décennie.
309
CHAPITRE XXVIII . Insuffisance de ressources pour
la construction de l’église — Circulaire de l’Evêque
de Biella Généreuses subventions du Roi La
première grande loterie.
319
CHAPITRE XXIX . Le premier réfectoire des jeunes
Changement de système dans la distribution de la
nourriture Différentes catégories de jeunes Le

78.8 Page 778

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764
premier règlement intérieur : les dortoirs Deux let-
tres pour des acceptations de jeunes Tolérance
paternelle — Cagliero commence l’étude de la mu-
sique Tendresse maternelle Marguerite et les
malades.
page 334
CHAPITRE XXX . Apostasies Sermon sur la Virgi-
nité de la Très s[ainte Vierge] Marie Zèle et charité
de D. Bosco envers les personnes trompées par les
hérétiques Discussions avec les partisans des
Vaudois et avec leurs pasteurs Un sermon per-
fide ; l’aigle et le renard — Le jubilé à l’Oratoire
S[aint]-François de Sales Constructions des Vau-
dois autour de leur temple.
346
CHAPITRE XXXI . Dons pour la loterie A la re-
cherche d’un local pour l’exposition Largesse du
Roi Exposition des lots pour la loterie Exoné-
ration des frais de poste — L’estimation des dons
Ouverture de l’exposition — Le Comte de Cavour
Un malheur.
354
CHAPITRE XXXII . Une épine pour D. Bosco La
passion empêche l’intelligence de voir clair — Une
sage observation du Théol[ogien] Léonard Murialdo
Lettre de D. Cafasso à D. Ponte Assemblée
méchante et orageuse Défection et guerre décla-
rée Insultes, fermeté et patience.
366
CHAPITRE XXXIII . Pièges des adversaires de D. Bos-
co Repas et goûters à l’œil — Effets des
médisances — L’Archevêque et le document nom-
mant D. Bosco comme Directeur en Chef des trois
Oratoires Lettre laudative de Mgr Fransoni au
Directeur de l’Oratoire de Vanchiglia D. Bosco
renvoie les perturbateurs Nouveaux moyens ingé-
nieux et nouveaux catéchistes Réconciliation
Une boîte d’allumettes.
375
CHAPITRE XXXIV . — L’explosion de la poudrière Hé-
roïsme du sergent Sacchi Le chapeau de D. Bosco
Visible protection de Marie Faits divers Une

78.9 Page 779

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765
colombe Une poutre enflammée Le jeune Gabriel
Fassio Un Pater et un Ave par l’intermédiaire
de Saint Louis Dégâts à l’Oratoire — Valdocco,
lieu de refuge Subventions Une image com-
mémorative D. Bosco et la Petite Maison de la
Divine Providence.
page 387
CHAPITRE XXXV . Le mois de mai à l’Oratoire —
Lettre de D. Bosco à l’Evêque de Biella Les Evê-
ques et la loterie Séance, [portant sur leurs] études,
donnée par les jeunes des cours du soir Eloge de
LArmonia [L’Harmonie] Approbation de l’Abbé
Aporti Jugement d’un émigré politique sur l’œu-
vre de D. Bosco.
405
CHAPITRE XXXVI . Charité de D. Bosco envers les
pauvres Quelques témoignages Les émigrés
politiques Le saltimbanque François Crispi
Autres réfugiés ayant reçu des bienfaits Ruse
non réussie Action de bienfaisance sur le plan
spirituel.
414
CHAPITRE XXXVII . Désir de convertir le monde
Esprit de vie religieuse habilement glissé dans la pen-
sée des jeunes La nouvelle église S[aint]-François
de Sales est terminée Bénédiction d’un tabernacle
et d’une cloche — L’Evêque de Verceil et [celui] d’Ivrea
ne peuvent pas participer à la dédicace de l’église
Invitation au Maire, à l’Adjoint au Maire et au
Professeur Baruffi, et leurs réponses Poésie
D. Bosco notre Roi.
424
CHAPITRE XXXVIII . [Jour de la] bénédiction de l’E-
glise S[aint]-François de Sales Première Messe
Les cérémonies du soir Remerciements Musi-
que et poésie Le journal « La Patria » [La Patrie].
440
CHAPITRE XXXIX . — Nouveaux règlements de l’église
et de l’Internat D. Bosco et le Saint Sacrement
Les Eglises La musique sacrée Les solennités
— Le service à l’autel — La Sainte Messe La prépa-
ration et l’action de grâces — Les cérémonies sacrées

78.10 Page 780

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766
La Communion et la visite [au Saint Sacrement] à
l’église — Union à Dieu.
page 448
CHAPITRE XL . Fête solennelle en l’honneur de S[aint]
Louis Note comique et événement douloureux
Lettres des Evêques pour la Loterie — L’Evêque de
Fossano à l’Oratoire — Discours mémorable de l’E-
vêque de Biella Tirage de la Loterie Mgr Fransoni
félicite D. Bosco.
460
CHAPITRE XLI . Construction du nouvel Internat
Seconde retraite spirituelle à Giaveno Un saint
Apprenti Un sermon de Don Bosco et la chasteté
Un témoin de la vie de Don Bosco en ces années-là
et de sa charité.
472
CHAPITRE XLII . D. Bosco aux Becchi Générosi-
té de [son] frère Joseph et son affection pour les
jeunes de l’Oratoire — Lettre de D. Bosco au
Jeu[ne abbé] Buzzetti Prise de soutane de Rua Mi-
chel et de Rocchietti Joseph Largesses du Roi
D. Bosco n’accepte pas la croix de chevalier Le
Comm[andeur] Louis Cibrario Les décorations, ré-
compense des gestes de bienfaisance.
482
CHAPITRE XLIII . — Jeunes abbés qui s’en vont de l’Ora-
toire Prévisions de D. Bosco réalisées Sa bonté
Nouveaux jeunes dirigés vers les études Accep-
tation mémorable et conversion d’un jeune.
493
CHAPITRE XLIV . — On continue la construction de l’In-
ternat Avis ingénieux et salutaires de D. Bosco
aux maçons Le Chan[oine] Gastaldi et l’intérêt
qu’il porte à l’Oratoire — Ecroulement de la nouvelle
maison Protection visible du ciel Tranquilli-
té et résignation de D. Bosco Salles de classe
improvisées Poésie.
504
CHAPITRE XLV . Machinations contre le Pape Une
grâce de Marie Consolatrice Un Pasteur Protestant
confondu par Don Bosco Projet des Lectures
Catholiques Mgr Fransoni et Mgr Moreno Se-
crets de D. Bosco pour trouver le temps de faire

79 Pages 781-790

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79.1 Page 781

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767
tant de travaux A Oropa : humilité Lettre de
l’Evêque d’Ivrea à D. Bosco et consultations pour
commencer les Lectures Catholiques Deux Res-
crits du Pape à D. Bosco.
page 520
CHAPITRE XLVI . [Débuts des] Lectures Catholiques
Planification pour les abonnements Importance
de cette Œuvre — Le premier numéro d’introduc-
tion — L’Evêque d’Ivrea — Activité incessante de
D. Bosco Ses lettres Les diverses opérations
que l’esprit de D. Bosco accomplit dans un mê-
me temps Le premier Règlement de l’Internat
S[aint]-François de Sales.
532
CHAPITRE XLVII . Le Système Préventif Son ap-
plication Ses avantages.
544
CHAPITRE XLVIII . Un mot sur les châtiments.
559
CHAPITRE XLIX . D. Bosco au milieu des jeunes et
des gens du peuple Oratoires des dimanches et
des jours de fête Les premières Lectures Catho-
liques Le Catholique instruit dans sa religion
Difficultés pour le Contrôle ecclésiastique des écrits
Les Vaudois et la fête du Statut Rensei-
gnements historiques sur le miracle du Très s[aint]
Sacrement à Turin Le Jeu[ne abbé] Rua reçoit
l’ordre d’une nouvelle édition en 1903 Fêtes du
quatrième centenaire du miracle D. Chiatellino à
Borgo Cornalense [= Cornalese].
571
CHAPITRE L . La maison Pinardi et D. Cafasso
D. Bosco son pénitent Sa familiarité et son union
d’esprit avec le Directeur du Convitto Ecclesiastico
Générosité de D. Cafasso envers l’Oratoire et
ses lumières surnaturelles Les vocations Re-
connaissance de D. Bosco et de ses jeunes.
585
CHAPITRE LI . La reprise des travaux pour relever de ses
ruines la construction Bienfaiteurs Petite loterie
Charité de D. Bosco pour le Maître maçon Entre-
preneur Prédications Ornements de la nouvelle
église La nouvelle cloche Les Quarante heures

79.2 Page 782

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768
Monseigneur Artico, D. Bosco et la fête de
S[aint] Louis.
page 593
CHAPITRE LII . Les Frères des Ecoles Chrétiennes as-
sujettis au service militaire Le Ministre Cibrario ;
Catéchisme et Histoire Sainte dans les écoles pri-
maires Destruction d’une auberge mal famée
L’Oratoire maître du territoire ennemi.
604
CHAPITRE LIII . Un père protestant et sa famille ferme
dans la foi — Conversion d’un jeune homme vaudois
Le Diodati, un intrus dans les écoles D. Bosco
à S[ant]Ignazio et à Villastellone Faits Contem-
porains présentés sous forme de dialogue Les
colères des protestants Les discussions Séduc-
tion et menaces — Projets d’une maison Rosminienne
près de l’Oratoire.
616
CHAPITRE LIV . Etudes des jeunes pendant les vacan-
ces — Le latin de l’Eglise et des Saints Pères —
Lectures Catholiques La procession de Notre-Dame
de Consolation Réduction du nombre des fêtes
d’obligation Préparation à la fête solennelle du
Saint Rosaire Les jeunes de l’Oratoire à Mo-
rialdo Une guérison inespérée Il Galantuomo
[L’Honnête homme].
633
CHAPITRE LV . Encore les Lectures Catholiques
Simplicité de D. Bosco pour écrire Son humi-
lité Le Prof[esseur] Peyron et une réunion de
prêtres — Témoignage de l’humilité de D. Bosco.
646
CHAPITRE LVI . D. Bosco et les élèves occupent le
nouveau bâtiment Décision téméraire, mais sûre
Mise en place des ateliers pour les cordonniers
et les tailleurs à l’intérieur [de l’Oratoire] Premier
Règlement pour les ateliers Patrons et ouvriers
d’usines — Projets de D. Bosco au bénéfice de la
société et des apprentis.
657

79.3 Page 783

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769
CHAPITRE LVII . La catégorie des étudiants Les
écoles privées des professeurs D. Picco et Bonza-
nino Les manteaux des militaires Nouveaux
témoignages des choses étonnantes accomplies par
D. Bosco à l’Oratoire — Les jeunes de la ville
élèves des écoles privées et D. Bosco La fête de
S[aint] Matthieu et une grêle de pierres Influen-
ce salutaire de D. Bosco sur quelques enseignants
Eloges mérités par les étudiants de l’Oratoire
Cordialité entre les enfants du peuple et les fils
des riches.
page 666
CHAPITRE LVIII . Vie intime de l’Oratoire et manière
de le conduire Bonté des élèves D. Antoine Grella
Lettre du Card[inal] Antonelli Projet d’une im-
primerie de l’Abbé Rosmini — Prêtres accusés de
rébellion Inauguration du temple vaudois Article
du Rogantino [Le Petit arrogant] et prédiction de D. Bosco
Un repas [offert] aux ouvriers Lettre de D. Bosco
au Card[inal] Archevêque de Ferrare Une dis-
cussion entre un avocat et un pasteur protestant :
Drame Les poules de Maman Marguerite.
679
CHAPITRE LIX . Attentats Châtaignes et vin empoi-
sonné Couteau de boucher Conduite blâmable
de la force publique — Bons offices d’un ami — Grêle
de coups de bâton Cagliero défenseur de D. Bosco
Danger sur la route de Moncalieri Précautions
de Maman Marguerite Affection du voisinage.
696
CHAPITRE LX . — Histoire d’un chien.
710
CHAPITRE LXI . D. Bosco, le magnétisme et le spiri-
tisme Les voyantes Les cabinets de [séances de]
magnétisme Les tables tournantes Les esprits
Le diable Tourments [diaboliques] mystérieux
Livres contre les nouvelles formes d’impiété.
720

79.4 Page 784

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770
APPENDICE
Premier plan de règlement pour la Maison annexe de l’Oratoire
S[aint]-François de Sales.
PARTIE I. But de cette Maison.
CHAPITRE I . — De l’acceptation.
CHAPITRE II . Du Supérieur.
CHAPITRE III . Du Préfet.
CHAPITRE IV . Du Catéchiste.
CHAPITRE V . — De l’Assistant.
CHAPITRE VI . Des Protecteurs.
CHAPITRE VII . Des Chefs de chambrée.
CHAPITRE VIII . Des Personnes de service.
Art. 1 : Du Cuisinier.
Art. 2 : Du Domestique.
Art. 3 : Du Concierge.
CHAPITRE IX . — Des Maîtres d’atelier.
page 736
736
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738
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740
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742
742
743
744
APPENDICE POUR LES ÉTUDIANTS.
Acceptation.
CHAPITRE I . Conduite religieuse des étudiants.
745
CHAPITRE II . — De l’étude.
746
PARTIE II. De la discipline de la Maison.
CHAPITRE I . De la piété.
747
CHAPITRE II . Du travail.
748
CHAPITRE III . Comportement envers les Supérieurs.
749
CHAPITRE IV . Comportement envers les compagnons.
750
CHAPITRE V . De la modestie.
750
CHAPITRE VI . Comportement dans le régime de la
Maison.
752
CHAPITRE VII . Comportement en dehors de la Maison.
753
Trois maux à fuir au plus haut point.
755
Ce qui est rigoureusement interdit dans la Maison.
755
—————