Étrenne|Étrenne 2021 : Animés par l’espérance

étrenne de 2021

Animés par l’espérance :

« Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21,5)




Introduction


Partout dans le monde, quelle que soit la nation ou la religion, l’« image de l’année » qui restera gravée dans l’esprit de chacun sera celle d’un vieil homme, vêtu de blanc, tout seul sur la grande esplanade de la Place Saint-Pierre à Rome, par un après-midi pluvieux, vers le coucher du soleil, le 27 mars 2020. Cet homme, c’était le Pape François qui n’a jamais été aussi seul pendant une prière, mais en même temps jamais autant accompagné par toute l’humanité. Par ce geste, il a rappelé à notre monde, composé de différentes races, cultures, nations et religions, que Dieu a la capacité de mener à bien même les réalités les plus désastreuses et les plus douloureuses. Et il nous a invités à regarder avec compassion notre pauvre foi.

Ce que nous avons vécu au cours de ces onze derniers mois est, sans aucun doute, un défi qui nous interpelle et que nous ne pouvons ignorer, comme si rien ne s’était passé ou comme si c’était désormais passé.



  1. UNE RÉALITÉ MONDIALE QUI NOUS INTERPELLE ET QUE NOUS NE POUVONS PAS IGNORER


Je ne pourrais pas écrire une seule page de commentaire sur l’Étrenne de 2021 en ignorant ce qui a simultanément affecté toute l’humanité dans tous les pays. Nous traversons une période très difficile ; nous avons vécu ce que nous n’avions jamais imaginé ou soupçonné. Nous nous posons tant de questions qui restent encore sans réponse et nous entendons annoncer des dates de la fin prochaine de cette pandémie, mais sans aucune confirmation. Cela s’est produit à cause du COVID-19 : une maladie infectieuse causée par un virus jusqu’alors inconnu de l’homme.

Le caractère exceptionnel du moment présent nous touche profondément. À tel point que même les crises sociales, politiques et économiques de ces dernières décennies n’ont pas semé une telle peur dans le monde comme cette pandémie. Peur, douleur et insécurité, larmes, pertes de toutes sortes et désespoir, ont rempli le cœur des riches et des pauvres, des personnes célèbres et des gens inconnus, des grands et des petits. Il s’agit sans aucun doute de la plus grande crise mondiale de ces soixante-dix dernières années. Et les décisions qui devront être prises par les gouvernements affecteront le monde entier pour longtemps : non seulement l’économie, mais aussi la politique, la culture et la vision même de l’être humain.


Au cours de ces derniers mois, nous avons été témoins de nombreux actes de dévouement et de sacrifice généreux. Parmi tous ceux-ci, je pense qu’il est juste de mentionner l’engagement héroïque des personnels de santé qui ont travaillé jusqu’à épuisement ; les personnes qui ont garanti les services essentiels nécessaires au vivre ensemble ; les personnes qui ont pris soin de l’ordre social et certaines personnalités politiques – pas toutes cependant –, qui ont assumé honnêtement leurs responsabilités, avec clairvoyance, en laissant de côté les rivalités partisanes.

Hélas ! On a vu aussi des situations honteuses, caractérisées par l’égoïsme, où les gens n’ont pas voulu partager matériel sanitaire ou équipement médical, ne comprenant pas que cette crise économique mondiale nécessitait et nécessitera une réponse mondiale.


En tout cas, les chiffres parlent d’eux-mêmes. À la fin de cette année 2020, 80 millions de personnes ont été infectées par le virus et 1 800 000 en sont mortes. De plus, le COVID-19 a montré sa plus mauvaise facette : l’isolement, la mort dans la solitude totale, le « chagrin » de tant de familles.

Il ne fait aucun doute que tout cela a ébranlé nombre de nos certitudes présumées. Dans tous les pays, des efforts ont été faits pour rassurer les citoyens. Le langage utilisé était celui d’un temps de guerre : « Tous contre le virus ! Nous vaincrons », disait-on. « Tôt ou tard, cette pandémie, nous la vaincrons sûrement ! » J’ai été très impressionné lorsque, il y a quelques mois, plusieurs villes du monde se sont encouragées elles-mêmes et ont encouragé leurs concitoyens avec des slogans visant à bannir la peur. C’étaient des messages comme ceux-ci :

  • Un « Ours Paddington » à Bristol apporte ce message dans une maison : « L’art de la survie : restez en sécurité. »

  • À Tokyo, le bâtiment « Tokyo Skytree » affiche le message suivant : « Ensemble, nous pouvons gagner. »

  • À Mexico, l’hôtel Barceló a apposé sur son bâtiment cette inscription : « Le Mexique uni résistera et en sortira plus fort. »

  • Dans la ville belge d’Anvers, on pouvait lire sur une maison : « Cela aussi passera. Des temps meilleurs viendront. Et ce sera glorieux. »

  • En Ontario, au Canada, de nombreux hôtels situés près des chutes du Niagara utilisent des lumières dans les chambres pour projeter des cœurs et des messages d’espérance.

  • Et à Vancouver, un message peint sur le mur d’un magasin fermé du centre-ville dit : « On t’aime, Vancouver. Reste en sécurité. Tiens bon. Reviens vite. Respectez les distances et restez connectés. On va s’en sortir. On vaincra ça aussi ».


J’observe tout cela avec respect, bien sûr. Il ne pourrait en être autrement. Mais il me semble que c’est peu, très peu, insuffisant pour comprendre, expliquer et même impliquer le cœur et la vie. Je pense que nous avons besoin de quelque chose de beaucoup plus profond et de plus vital pour permettre à ce que nous vivons aujourd’hui de pénétrer dans nos cœurs et nous rassurer. D’autre part, n’oublions pas qu’il y a beaucoup d’autres pandémies qui continuent de se développer dans notre monde – qui frappent durement, même si ce n’est pas tout le monde – et qui ne font pas autant de bruit parce qu’elles sont loin de nous. Et nous, en tant que croyants et en tant que Famille Salésienne de Don Bosco, nous ne pouvons pas les ignorer ou les oublier. Je pense aux 32 foyers de guerre qui sont actifs en ce moment, alors qu’il y a le COVID-19 ; je veux parler du commerce des armes qui n’a pas été touché ni diminué mais augmenté. Je pense que d’autres terribles situations endémiques ne sont pas moins graves que la pandémie actuelle, même si elles n’affectent pas l’économie des nations et ne comptent donc pas. Le Pape François le souligne à juste titre dans des paroles adressées aux jeunes, mais qui touchent les adultes et parfois des familles entières. Le Pape affirme que « beaucoup de jeunes vivent dans des contextes de guerre et subissent la violence sous une innombrable variété de formes : enlèvements, extorsions, criminalité organisée, traite d’êtres humains, esclavage et exploitation sexuelle, crimes de guerre, etc. (...) Nombreux sont les jeunes qui, par contrainte ou par manque d’alternatives, vivent en perpétrant des crimes et des violences : enfants soldats, bandes armées et criminelles, trafic de drogue, terrorisme, etc. ».1


Et puis je me demande : que signifiera cette « nouvelle normalité » ? que restera-t-il en chacun de nous après cette année ? y aura-t-il une course folle pour récupérer le « temps perdu », l’économie perdue ? ne sera-t-elle qu’un mauvais cauchemar ou, au contraire, laissera-t-elle quelque chose de positif chez beaucoup de gens, dans l’organisation des sociétés ? La « nouvelle normalité » apportera-t-elle quelque chose de vraiment nouveau, changera-t-elle en mieux certaines réalités ?


Je ne sais pas ce qui nous attend, mais je sens qu’il y a un chemin que nous pourrions suivre en tant que Famille Salésienne et qui nous ferait beaucoup de bien, en offrant en même temps notre humble contribution aux autres.



  1. QUE VEUT-ON DIRE QUAND ON PARLE D’ESPÉRANCE ?


« Écoutez, je l’ai découvert ces derniers mois. L’espérance est comme le sang : elle ne se voit pas, mais elle est là. Le sang, c’est la vie. C’est ainsi qu’est l’espérance : c’est quelque chose qui circule à l’intérieur, qui doit circuler, qui vous fait vous sentir vivant. Si vous ne l’avez pas, vous êtes mort, vous êtes fini, il n’y a rien à dire ... Quand vous n’avez pas d’espérance, c’est comme si vous n’aviez pas de sang... Vous êtes peut-être entier, mais vous êtes mort. C’est ainsi.»2


Ces derniers mois, j’ai souvent pensé que la lecture que nous faisons de ce moment que nous devons vivre ne peut pas être comme les autres. Nous ne sommes pas motivés par les intérêts des chaînes d’hôtels ou des compagnies aériennes. Sans nier que ce qui crée éthiquement des emplois et des moyens de subsistance est bon en soi, nous n’avons pas mis l’accent sur le tourisme qui doit être effectif, ni sur la productivité qui doit augmenter (on nous dit, deux fois plus que par le passé, qu’il faut rattraper le temps perdu et surmonter le revers que nous avons connu).

Aussi juste que tout cela puisse être, il manque encore quelque chose dans notre vision, dans notre interprétation et dans ce qui nous motive et nous pousse à agir. Et c’est pourquoi il est clair pour moi que nous ne pouvons pas faire face à « l’après », que nous ne pouvons pas faire face à la « nouvelle normalité », sans vivre d’espérance. Aucun avenir n’est absolu et définitif s’il ne dépend que de l’homme. L’être humain est projection et tend toujours vers autre chose. Il semble que ce qui est réalisé soit toujours à mi-chemin de quelque chose de nouveau. Nous aspirons toujours à quelque chose de plus et nous attendons toujours.

C’est la raison du choix du thème de l’Espérance pour l’Étrenne de cette année.


Qu’est-ce donc que l’espérance ? De quoi parle-t-on quand on parle d’espérance ? Et de quel genre d’espérance parlons-nous ?

C’est une réalité qui me fascine. Nombreux sont les auteurs qui ont réfléchi à l’espérance sous les angles les plus divers.3 Nous pouvons parler de l’espérance comme d’une attitude humaine. On peut parler d’attente, d’attendre et d’espérer. Je n’entrerai pas dans des différenciations complexes – comme si nous devions prêter attention à ce que saint Thomas d’Aquin veut dire en distinguant entre l’espérance comme passion, l’espérance et la force (ou magnanimité), et l’espérance comme vertu théologique) ; ce n’est ni le lieu ni le moment. Ce que je veux dire, c’est que l’être humain est appelé à l’espérance. Et, qu’il le veuille ou non, il doit toujours choisir, avec plus ou moins de conscience, entre s’ouvrir à un horizon de plénitude ou s’enfermer dans les limites d’« espérances » tangibles, celles qui peuvent être ressenties et touchées.

Et cette ouverture naturelle de l’être humain à l’espérance n’est pas la même que l’espérance chrétienne, même si elle fait partie de l’identité même de la personne, homme ou femme.

Comme on dit en philosophie, en s’appropriant le principe cartésien : « Je pense donc je suis », on pourrait aussi dire : « Je vis donc j’espère ». Car sans espérance, la vie ne serait pas la vie, elle manquerait de sens en soi, car en réalité l’existence humaine ne peut résister en vivant dans le désespoir, c’est-à-dire « sans espérance ».


Mais l’espérance n’est pas un simple désir, car le désir tend toujours vers quelque chose de concret et de déterminé. L’espérance ne se réduit pas non plus à un simple optimisme qui a pour but les calculs et la prévision d’un résultat positif. L’espérance, au contraire, concerne pleinement la personne et est liée au dévouement et à la confiance. En fait, l’être humain est une projection et une tendance vers un « plus », vers ce qui est au-delà du prévisible, vers quelque chose de vraiment nouveau.


La réalité que j’ai décrite précédemment parle d’un monde qui présente de nombreuses notes d’inhumanité. Je pense que c’est indéniable et évident pour tout le monde. Nous ne voudrions pas qu’il en soit ainsi, mais en fait, c’est toujours le cas. Et pourtant, même dans ce monde avec tant de notes d’inhumanité, on peut vivre avec un comportement différent. Il y a ceux qui vivent dans la lamentation et la négativité, avec le cœur endurci. Heureusement, il y en a aussi beaucoup qui essaient de vivre animés par un dynamisme qui les conduit à rechercher la vie, à essayer de faire ce qui est le mieux, à se concentrer sur une vie d’amour et de service (qui guérissent d’eux-mêmes), à travailler sous le dynamisme de l’espérance. Et lorsque l’on vit animé par l’espérance, on constate que l’amour, le service et un cœur plein d’humanité ont, dans tous les cas, tout leur sens dans un monde qui connaît encore tant, trop, de déshumanisation. En fait, de notre point de vue, pour l’être humain, l’espérance est un ingrédient de l’amour. C’est ce que nous dit saint Paul lorsque, dans le magnifique hymne aux Corinthiens, il affirme que « l’amour espère tout » (1Co 13,7).



  1. QUELLE LECTURE CROYANTE PEUT-ON FAIRE ?


Cette pandémie va certainement prendre fin dans quelques mois. D’autres « pandémies » qui portent en elles le fléau de la déshumanisation ne disparaîtront pas avec un vaccin. Il est certainement juste d’étudier la pandémie, le coronavirus, et de trouver un vaccin. Tôt ou tard, il en sera ainsi. C’est déjà en route et nous en sommes très heureux.


Ces derniers mois, de nombreuses questions déchirantes ont envahi de nombreux cœurs. La question de savoir ce que tout cela signifie ou ne signifie pas a été présente. Elle est légitime. C’est très humain. Cette dure réalité du mal et de la douleur que le monde connaît aujourd’hui semble pousser les gens davantage à se scandaliser et à protester qu’à croire, à douter plutôt qu’à s’abandonner en toute confiance. Or face à ce cri humain ou à côté de lui, il y a toujours (pour nous, croyants) Dieu.


La foi chrétienne montre continuellement comment Dieu, par son Esprit, accompagne l’histoire de l’humanité, même dans les conditions les plus adverses et défavorables. Ce Dieu qui ne souffre pas mais qui a de la compassion, selon la belle expression de saint Bernard de Clairvaux : « Impassibilis est Deus, sed non incompassibilis» (Quoique Dieu soit impassible, il n’est pas incapable de compassion).4 Dans l’histoire du salut, nous lisons que Dieu n’abandonne jamais son peuple, mais reste toujours uni à lui, surtout lorsque la douleur devient très grande. Dieu n’est pas parti, il ne s’est pas éloigné, mais il souffre dans et avec ceux qui souffrent à cause de ce fléau ; et il continue de sauver comme il a sauvé à travers tant de personnes qui risquent leur vie pour d’autres, tant de personnes qui servent et se consacrent aux autres avec un grand professionnalisme.


En ce temps que nous vivons, il peut sembler à beaucoup que cette discrétion de Dieu, qui n’intervient qu’avec le rappel silencieux de son amour, s’avère insupportable.5 Et pourtant, c’est la réalité authentique de Dieu qui se montre solidaire en nous accompagnant, en se faisant proche ; loin de l’image d’un Dieu de puissance qui intervient pour changer les choses « magiquement ». Nous parlons, au contraire, d’un Dieu qui « fait toutes choses nouvelles » (cf. Ap 21,5), car c’est son dessein. Grâce à l’œuvre de rédemption du Fils, l’être humain, avec les autres créatures, émerge à la vie, laissant derrière lui les gémissements et les souffrances dont la création était auparavant remplie ; il émerge à une vie qui se renouvelle grâce à l’intervention recréatrice du Fils. C’est comme si Dieu lui-même invitait les gens à regarder ce qu’il accomplit dans l’histoire et qu’à la fin des temps, il mènera à son plein achèvement. En tant que communautés chrétiennes, nous sommes appelés à discerner notre présent et à lire l’action de Dieu qui tient la promesse faite dans l’Alliance, d’accompagner son peuple (et chacun de nous) de sa puissante présence face au mal et en même temps avec tendresse envers ceux qui mettent en lui leur confiance.


Face à cette réalité, nous, les croyants, nous nous sentons éclairés par une foi qui devient espérance. Selon les mots du Pape Benoît XVI : « La rédemption nous est offerte en ce sens que nous a été donnée l’espérance, une espérance fiable, en vertu de laquelle nous pouvons affronter notre présent : le présent, même un présent pénible, peut être vécu et accepté s’il conduit vers un terme et si nous pouvons être sûrs de ce terme, si ce terme est si grand qu’il peut justifier les efforts du chemin. »6


L’espérance chrétienne est historique et repose sur une profonde confiance en Dieu, le Dieu de Jésus-Christ, qui n’abandonne jamais son peuple et est toujours avec lui.


C’est une espérance qui va au-delà de tout ce qui peut satisfaire les attentes humaines liées à l’« ici et maintenant », à ce présent, soutenu uniquement par nos propres ressources ou par les moyens humains et matériels dont nous disposons. L’espérance dont nous parlons est fondée sur la promesse de Dieu qui en est le meilleur garant.


L’espérance qui nous anime rend féconde chaque petite espérance de l’homme, en montrant les grandes valeurs dans lesquelles l’humanité a investi ses meilleures énergies : la vérité, la bonté, la justice, la solidarité, la paix, l’amour, etc., qui ne se transforment pas en utopies, mais deviennent des réalisations, concrètes et partielles, du grand projet que Dieu a toujours préparé pour toute l’humanité et qui, dans le Christ, devient définitif. Telle est l’espérance qui nous anime.


« La vraie, la grande espérance de l’homme, qui résiste malgré toutes les désillusions, ce ne peut être que Dieu – le Dieu qui nous a aimés et qui nous aime toujours « jusqu’au bout », « jusqu’à ce que tout soit accompli » (cf. Jn 13, 1 et 19, 30). Celui qui est touché par l’amour commence à comprendre ce qui serait précisément « vie ». Il commence à comprendre ce que veut dire la parole d’espérance ».7


Une espérance fiable nous fait vivre dans la certitude que l’avenir est pleinement garanti. L’espérance est donc liée au fait d’avoir Dieu avec nous. Cette espérance change totalement le présent, non seulement parce que lorsque l’avenir est connu comme une réalité positive, le présent devient plus supportable, mais parce que cette connaissance de l’avenir, par la foi, change notre façon de vivre. Vivre avec Dieu n’est pas la même chose que vivre sans Dieu. C’est un Dieu qui ouvre un chemin même dans les déserts de la vie, défiant la désillusion et le scepticisme, la peur et le désenchantement. C’est pourquoi l’espérance qui nous anime nous conduit à demander à Dieu le don de la foi. Demander d’avoir confiance en Lui, qui opère tout en tous, et de faire confiance aux autres.



Le temps de l’épreuve est le temps du choix8


La réponse croyante à l’espérance que Dieu suscite est fondée sur l’Évangile en tant que puissance de Dieu pour la constante transformation et le renouvellement de la vie.


Le Pape François, avec son langage direct, nous invite à être « davantage des personnes de printemps que d’automne ».9 Le chrétien voit les « bourgeons » d’un monde nouveau plutôt que les « feuilles jaunies » sur les branches. Nous ne nous réfugions pas dans la nostalgie et les lamentations, car nous savons que Dieu veut que nous soyons les héritiers d’une promesse et les infatigables cultivateurs de rêves. Avec une foi certaine dans le Dieu qui "ad-vient" et intervient.

Avec les bras de l’espérance chrétienne – les bras de la croix du Christ – nous embrassons le monde entier et nous ne considérons rien ni personne comme perdu ou raté.


Mais certaines questions restent légitimes : qui voulons-nous être face à cette réalité que nous sommes appelés à vivre ? Comment voulons-nous vivre après tout cela ? Parce que nous raterions une grande opportunité si nous ne faisions pas notre miel de ce que nous vivons, y compris la douleur.

Certes, il y a beaucoup de gens qui, d’un point de vue civil, en tant que citoyens, avec une conscience claire de l’humanisme et sans aucun horizon de foi, font face à cette réalité et à cette crise. C’est très légitime. Nous en faisons partie. Et le monde d’aujourd’hui a besoin de notre témoignage de vie ; nous qui avons trouvé dans la rencontre avec le Christ et dans le Dieu de Jésus-Christ le sens de notre vie. Saint Paul rappelle aux Éphésiens qu’avant leur rencontre avec le Christ, ils étaient « sans espérance et sans Dieu dans le monde » (cf. Ep 2, 12). Il est vrai que l’Apôtre savait qu’ils avaient eu des dieux, mais que de leurs mythes ne naissait aucune espérance : malgré les dieux, ils étaient sans Dieu.10 Cependant, connaître Dieu à travers son Fils signifiait pour eux, et aussi pour l’homme et la femme d’aujourd’hui, recevoir une espérance. Voilà pourquoi la foi devient espérance, « la foi est espérance».11


Le regard de foi dans la rencontre avec Jésus-Christ est ce qui fait que notre façon de voir la vie est différente, différente aussi la façon de sentir avec notre cœur. Ainsi, la manière de prendre des décisions et de discerner ce qui a ou n’a pas de valeur est marquée par cette rencontre de personne à Personne. C’est pourquoi un théologien qui a beaucoup réfléchi sur l’espérance, comme J. Moltmann, dit que « lorsque la foi se transforme en espérance, elle ne rend pas les gens apaisés mais inquiets ; elle ne les rend pas patients mais impatients. Au lieu de se conformer à une réalité donnée, ces personnes commencent à souffrir pour elle et à s’opposer à elle.»12



  1. UN REGARD SUR NOS ORIGINES ET SUR LES NOMBREUX TÉMOINS DE LA FOI DANS NOTRE FAMILLE


Quand on regarde l’expérience de vie de Don Bosco, on se rend compte que l’espérance est une plante avec des racines profondes, qui partent de loin ; des racines qui se renforcent à travers des saisons difficiles et des chemins qui demandent beaucoup de sacrifices.

C’est ainsi dès les premières années de Jean aux Becchi, orphelin de père, avec Maman Marguerite qui doit faire face à des périodes de famine et aux difficultés de la vie en famille. Lorsqu’il avait l’espérance, toute humaine, qu’il pourrait y avoir un avenir pour lui, celui dont il rêvait, en pouvant compter sur l’aide et la protection de Don Calosso, la mort du vieux curé de la paroisse a brisé cette espérance. Et la réalité familiale, le regard attentif et aigu d’une mère qui cherche le meilleur pour son enfant – son cœur de mère dût-il en souffrir – amène Jean à devenir un migrant dès l’âge de douze ans.

Mais c’est précisément dans ces circonstances que la parole et plus encore l’exemple de sa mère ouvrent le regard de Jean sur un horizon plus vaste, et le rendent capable de lever les yeux et de voir loin.

Il en sera de même au moment crucial du choix de sa vocation, lorsque Marguerite demandera à son fils de ne pas s’inquiéter du tout pour elle et de son avenir, et de ne jamais attacher son cœur aux sécurités terrestres : « Si tu décides de devenir prêtre séculier et que par malheur tu deviennes riche, je ne viendrai pas te rendre visite une seule fois. Tâche de bien t’en souvenir !».13 Des années plus tard, ce sera Don Bosco, en regardant le Crucifix, qui fera revivre le cœur de sa mère découragée et fatiguée, ravivant en elle l’espérance qui la conduira à rester fidèle jusqu’à la mort à la même mission qu’elle avait partagée avec son fils depuis le début de l’Oratoire du Valdocco.


Cette espérance aux racines solides sera tellement nécessaire pour tout ce que vit Don Bosco et à quoi il donnera vie dès son arrivée à Turin jusqu’à son dernier souffle.

L’arbre se reconnaît à ses fruits : de la façon dont tant de vies de jeunes ont été « ressuscitées » de situations d’abandon et de désespoir, jusqu’à atteindre la sainteté, il ressort avec quelle surabondance l’espérance a habité le cœur de Don Bosco, et combien cette surabondance a atteint et transformé la vie de ceux qu’il rencontrait.

Même dans les années de travail les plus intenses, Don Bosco n’a jamais été un héros solitaire. Il avait toujours à ses côtés ceux qui ravivaient en lui le feu de la foi, de l’espérance et de la charité. C’était un accompagnement « sur la terre comme au ciel ».

La confiance illimitée en Marie a aussi été pour lui une constante nourriture d’espérance. Plus cette confiance s’exprimait dans des entreprises humainement impossibles – pensons à la construction de la Basilique de Marie-Auxiliatrice et au début des missions en Amérique du Sud – plus Don Bosco était le premier à « voir ce que sont les miracles ».

Croire qu’il y a toujours un point accessible au bien dans chaque cœur, dans chaque expérience de vie, même celle qui en semble la plus éloignée, est le fruit de cette syntonie avec le Ciel, mais c’est aussi le résultat de l’expérience fondamentale d’accompagnement et de « supervision » que Don Bosco prêtre chérissait ici sur terre. C’est en effet à l’école de Don Cafasso que Don Bosco a appris à marcher aux côtés des plus désespérés, dans les prisons et dans périphéries les plus pauvres du Turin de cette époque. C’est ainsi que Don Bosco a non seulement « appris à être prêtre »,14 mais à devenir pasteur de ce troupeau avec le cœur de ces extraordinaires semeurs d’espérance qui parcouraient avec lui les mêmes rues des périphéries les plus pauvres : Cafasso, Cottolengo, Murialdo. On se forme dans l’espérance et on s’y forme ensemble : c’est un fruit de la Communion des Saints « sur la terre comme au ciel ».


Il y a un moment dans l’histoire de l’Oratoire que l’on ne peut manquer de rappeler, tant il est proche de la difficulté globale dans laquelle nous nous sommes tous trouvés plongés avec la pandémie. Nous sommes à la fin du mois de juillet 1854. Le choléra a éclaté à Turin. Nous connaissons l’histoire et il n’est pas nécessaire de la répéter ici. La vision de foi et la pratique de la charité, même de manière héroïque, ne sont pas une vertu privée, caractéristique seulement de Don Bosco ou de quelques personnes super généreuses ; c’est le style de vie de cette petite communauté éducative. L’espérance est une vertu communautaire qui se nourrit de l’exemple mutuel et de la force de la communion fraternelle. C’est aussi cela dont nous témoigne l’Oratoire du Valdocco pendant le choléra, tout comme l’expérience de tant de communautés éducatives et pastorales aujourd’hui, en temps de COVID, avec en première ligne des communautés de médecins, d’infirmières et de personnel de santé qui ont donné et continuent de donner leur vie pour sauver celle des autres.


Des moments de crise comme celui-ci font ressortir un autre caractère de l’espérance tel que Don Bosco l’a vécu. Il croyait fermement en la Providence. Une foi-confiance qui s’est accrue et approfondie au fil des ans. C’est comme un fil rouge qui traverse toute son existence et tout ce à quoi il a donné vie. C’est peut-être la façon la plus tangible avec laquelle « en lui nous admirons un splendide accord de la nature et de la grâce »15 : ce que son cœur croit met en mouvement les étapes et les choix de chaque jour, ouvrant des chemins d’espérance pour beaucoup, même là où il semble n’y avoir aucune issue.


De nombreux autres témoins d’espérance


Dans la sainteté salésienne, nous trouvons de précieux exemples et modèles de vie qui nous encouragent à espérer comme vertu et comme attitude de vie en Dieu. Je ne ferai qu’un bref et rapide rappel.


Notre confrère, le bienheureux Étienne Śandor (1914-1953) : il nous donne un véritable exemple de ce que signifie passer de la division à l’unité et à la communion. Le sens aigu de sa vocation de Salésien coadjuteur l’a conduit à faire un véritable choix pour défendre la vie ; il croyait profondément que son existence devait se réaliser au milieu de son peuple et de sa culture, en des moments d’incertitude et de désolation. Avec la droiture de son comportement, il nous restitue une vision salésienne du « savoir rester » sur notre terre de mission pour éclairer ceux qui risquent de perdre espoir, pour fortifier la foi de ceux qui se sentent défaillants, pour être un signe de l’amour de Dieu quand il « semble » avoir été absent de l’histoire. Le bienheureux Étienne a surmonté les murs générés par la division entre les peuples et l’esclavage du totalitarisme idéologique, en allant à la rencontre des autres et en surmontant toutes sortes de peurs personnelles ou sociales.


Magnifique a été l’histoire de notre consœur, la bienheureuse Sœur Madeleine Morano (1847-1908). Elle s’est distinguée comme Fille de Marie-Auxiliatrice par une audace apostolique qui a fait d’elle ce que Don Bosco a toujours voulu de ses filles dans « l’esprit de Mornèse » : être des monuments vivants de la Vierge. « Enseignante née », elle savait que dans sa mission salésienne, l’acte libérateur consistait à apprendre à ses filles à ouvrir les frontières de leur cœur et de leur esprit afin de transcender les limites étroites d’une culture opprimée par la pauvreté et le manque d’opportunités. Elle savait enseigner la persévérance et à ne pas céder aux menaces ; le visage féminin de la force a trouvé en elle l’expression la plus douce et la plus convaincante de la responsabilité que nous avons envers nos frères et sœurs vulnérables. Comme solution aux temps calamiteux qu’elle a dû endurer, elle a indiqué de nouvelles directions à ceux qui étaient menacés par l’isolement et leur a enseigné l’immensité de la bonté de Dieu.


Chez le serviteur de Dieu, le Père Charles Braga (1889-1971), nous trouvons un exemple d’intelligence pastorale tant dans son infatigable dévouement aux missions que dans son accompagnement des membres de la Famille Salésienne. Sans perdre courage, mais avec l’espérance propre de ceux qui mettent leur foi dans le Christ notre Seigneur, il a su avoir la patience, tant recommandée par Don Bosco, de savoir accompagner les jeunes dans la construction d’une personnalité forte. Cette patience était le fruit de l’amour qui coulait dans son cœur de missionnaire, ce qui lui a permis de construire des ponts entre les cultures et non d’ériger de barrières. L’appel qu’il ressentait à promouvoir l’unité entre les peuples l’aidait à surmonter les différences qui peuvent surgir entre les uns et les autres, convaincu d’être toujours soutenu par la grâce divine qui génère la culture de la rencontre.


Un autre exemple précieux est celui du bienheureux Joseph Kowalski (1911-1942). Quelle foi profonde et quel grand courage ne sont-ils pas nécessaires pour transmettre la paix aux autres même lorsqu’il ne reste plus rien à offrir sinon sa propre existence ! L’amour oblatif de Jésus qui, en offrant sa vie à l’humanité, nous a donné le plus grand exemple d’amour, est profondément repris par Joseph Kowalski : un confrère témoin de la paix en pleine guerre, de la sérénité en pleine confusion, de la miséricorde dans un climat de haine.


Et le serviteur de Dieu Antonin [Nino] Baglieri (1951-2007) est un autre modèle. Le chemin vers la sainteté exige si souvent un changement d’appréciation des valeurs et de vision des choses. Ce fut le chemin vécu par « Nino » qui, après de longues souffrances, découvrit dans la Croix la grande opportunité de renaître à une nouvelle vie. Nino était toujours accompagné de sa mère qui, avec amour et compassion, a toujours cru en lui et en sa vie pleine de capacités ; il était également entouré d’amis laïcs et religieux qui lui rappelaient la beauté de la communion. Il s’est laissé toucher par la communauté qui l’a fortifié, tant dans sa personnalité que dans sa foi, et l’a sauvé. Nino a compris qu’en se laissant rencontrer par les autres, il se retrouvait lui-même et donnait un sens à son existence, entièrement marquée par la Miséricorde Divine – même depuis son lit de malade – pour être un « artisan de paix et de joie ».


Ces frères et sœurs, comme beaucoup d’autres, sont des géants de la foi qui ont vécu avec charité et ont compris dans toute sa signification ce que signifie espérer. Ceux qui espèrent savent qu’ils ne marchent pas seuls et ils savent aussi qu’ils ont besoin de personnes pour les accompagner et les guider dans ce chemin. Le Pape Benoît XVI l’exprime très bien : « Les vraies étoiles de notre vie sont les personnes qui ont su vivre dans la droiture. Elles sont des lumières d’espérance. Certes, Jésus Christ est la lumière par antonomase, le soleil qui se lève sur toutes les ténèbres de l’histoire. Mais pour arriver jusqu’à Lui nous avons besoin aussi de lumières proches – de personnes qui donnent une lumière en la tirant de sa lumière et qui offrent ainsi une orientation pour notre traversée. »16



  1. LECTURE SALÉSIENNE DU MOMENT PRÉSENT


Ce temps est le nôtre. C’est le temps qu’il nous est donné de vivre. Il est peut-être très opportun de se demander quelle devrait être la meilleure façon de faire face aux conséquences de la pandémie, et peut-être de découvrir la valeur de l’espérance en un moment où la plupart des gens éprouvent de la peur ou attendent avec impatience le moment où ils pourront enfin oublier ce qui s’est passé au cours de cette année. Mais pouvons-nous vraiment oublier ce qui s’est passé, oublier les familles qui ont perdu des proches ? oublier les quelque deux millions de victimes ? oublier les visages des plus fragiles de nos sociétés ? oublier tant de personnes qui ont travaillé en première ligne ? serait-il juste d’oublier ? Non, certainement pas. Ce serait en fait la pire des choses que nous puissions faire. C’est pourquoi nous nous demandons si ce que nous vivons ne nous apprend pas quelque chose, et si nous sommes prêts à changer quelque chose, à repenser certaines valeurs ou visions de la vie...


  • Espérons que le confinement que nous avons vécu nous aidera à nous ouvrir.

Nous vivons dans un mouvement continu, avec la hâte de vouloir répondre à tout, dans un rythme souvent effréné. De manière inattendue, un « calme obligé » est arrivé, qui nous a peut-être enfermés un peu en nous-mêmes, dans nos maisons, dans nos familles, en des quarantaines obligatoires et nécessaires. De nombreuses formes de peur sont apparues : la peur de l’autre, surtout de celui qui est proche ou plus ou moins éloigné ; la peur de la contagion qui arrive d’on ne sait où et qui génère et provoque la plus grande incertitude.

C’est pourquoi « ouvrir » doit être le mot d’ordre. Ouvrir les espaces, les environnements, les fenêtres de la vie. S’ouvrir à la rencontre de l’autre. Abandonner tout ce qui nous enferme, retrouver le sens de notre ouverture, de l’ouverture du cœur. Retrouver la vision d’un horizon plus large.


  • D’un individualisme croissant à une plus grande solidarité et fraternité.

L’empreinte de Dieu sur l’humanité est particulièrement évidente dans la capacité à tendre la main aux autres dans un acte de solidarité avec sa création. L’égoïsme est l’acte contraire, car il recherche l’autosatisfaction, nous rend autoréférentiels, génère et nourrit la culture toujours croissante de l’individualisme qui finit par manifester notre petitesse. Pendant la pandémie, nous avons sans aucun doute réalisé que nous sommes trop vulnérables, fragiles et dépendants. Nous tous. Pas seulement quelques-uns. Sous une même menace inimaginable et ressentie collectivement, l’humanité entière sent que l’on a besoin les uns des autres. Nous vivons dans le besoin et l’attention réciproques. Nous ne voulons pas être seuls. Que ce temps nous apprenne à miser davantage sur la solidarité et la fraternité face au « virus de l’individualisme ». Comme le Pape François a raison ! La solidarité est la meilleure victoire sur la solitude. « La solidarité se manifeste concrètement dans le service qui peut prendre des formes très différentes de s’occuper des autres. Servir, c’est "en grande partie, prendre soin de la fragilité. Servir signifie prendre soin des membres fragiles de nos familles, de notre société, de notre peuple." Dans cette tâche, chacun est capable de "laisser de côté, ses aspirations, ses envies, ses désirs de toute puissance, en voyant concrètement les plus fragiles. [...] Le service vise toujours le visage du frère, il touche sa chair, il sent sa proximité et même dans certains cas la ‘‘souffre’’ et cherche la promotion du frère. Voilà pourquoi, le service n’est jamais idéologique, puisqu’il ne sert pas des idées, mais des personnes."».17 Nombreux sont ceux qui attendent notre sourire, notre parole, notre présence.


  • Passer de l’isolement à une culture de la rencontre.

Il n’est certainement pas facile de sortir de son propre isolement, surtout quand on le considère comme une valeur. Souvent, en effet, il est plus facile de rester isolé, même par peur de la proximité des autres. Mais dans le cœur humain, il y a une flamme qui allume le besoin absolu d’être ensemble : en famille, avec les amis, dans l’association de quartier, dans le groupe de bénévoles, avec les camarades de classe, avec les collègues de travail, avec l’équipe de football. Cette période de vulnérabilité nous offre un espace pour de nouvelles formes d’empathie et de retrouvailles. C’est la « culture de la rencontre » de l’autre comme autre. « "L’isolement et le repli sur soi ou sur ses propres intérêts ne sont jamais la voie à suivre pour redonner l’espérance et opérer un renouvellement, mais c’est la proximité, c’est la culture de la rencontre. Isolement non, proximité oui. Culture de l’affrontement non, culture de la rencontre, oui." »18


  • De la division à une plus grande unité et communion.

Dans cette même perspective, nous nous rendons compte qu’il n’est pas possible de générer une culture de la rencontre sans sauvegarder l’unité ; cette même unité que l’Esprit de Dieu donne à ceux qui entrent en communion avec Lui, et qui nous unit et nous pousse à vivre la même vocation : celle d’être des enfants bien-aimés de Dieu. Une leçon que nous avons tirée de la dure expérience de l’isolement, divisés dans notre marche dans la barque de la vie à cause de frontières fermées (géographiques et même spirituelles), nous a permis de réaliser qu’en fait « nous sommes tous sur le même bateau ». Nous sommes unis par l’humanité que nous formons : nous sommes l’humanité, mais une humanité qui a été frappée. Le COVID est la première crise qui touche tout le monde sans distinctions dans le monde entier. C’est un grand paradoxe : un virus qui a créé la division par la peur, nous unit maintenant, nous pousse à nous intéresser les uns aux autres. Il nous unit dans une empathie faite d’altruisme, de solidarité, de sollicitude. Autant d’expressions du bien commun et, espérons-le, de compassion et de miséricorde. Il nous unit également dans la recherche de solutions. Et l’égoïsme qui divise est probablement une maladie beaucoup plus ancienne et plus dangereuse que le COVID, qui existait et doit être soigné. J’espère qu’avec l’arrivée du vaccin contre le virus, nous pourrons enfin nous vacciner contre le manque de communion, en remportant la victoire sur la division. Ce qui nous unit, c’est la médecine de l’Évangile de l’espérance et de la joie, qui nous rend tous plus humains et enfants de Dieu.


  • Du découragement, du vide et du manque de sens à la transcendance.

En nous considérant comme « maîtres absolus de notre vie et de tout ce qui existe », nous en sommes venus à nous sentir très fragiles. Dans de nombreuses familles, il a fallu inventer mille histoires pour expliquer aux enfants pourquoi ils devaient rester à la maison, loin de leurs grands-parents, de leurs camarades de classe et de leurs voisins, sans possibilité de sortir pendant quinze ou vingt jours. Je me souviens de l’image du film « La vie est belle » (1997) où un père (Benigni), dans l’horrible situation d’un camp de concentration, invente un jeu pour faire vivre à son jeune fils l’horreur du camp comme une aventure, comme un jeu, montrant à l’enfant que ce qu’il est en train de vivre est comme un jeu ; et cela le sauve !

Le vide de l’époque présente a causé beaucoup de dégâts. Nous sommes passés de nombreuses certitudes à l’incertitude d’un terrain instable et peu sûr. Un vide qui se distingue des idéologies nihilistes et qui, en tout cas, nous ouvre à la nécessité de la transcendance.

Le Seigneur nous parle en ce moment. Et que nous demande-t-il ? Que nous offre-t-il ? Comment l’accueillons-nous ? «"À la faveur de la tempête, est tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos ego toujours préoccupés de leur image ; et reste manifeste, encore une fois, cette [heureuse] appartenance commune […], à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères"».19 Voilà : dans les situations extrêmes, Dieu continue à nous parler à travers le cœur des personnes qui voient et répondent d’une manière originale, autre, qui fait la différence.


Nous ne nous sauvons pas par nos seules forces. Personne ne se sauve tout seul.


« Certes, une tragédie mondiale comme la pandémie de Covid-19 a réveillé un moment la conscience que nous constituons une communauté mondiale qui navigue dans le même bateau, où le mal de l’un porte préjudice à tout le monde. Nous nous sommes rappelés que personne ne se sauve tout seul, qu’il n’est possible de se sauver qu’ensemble. C’est pourquoi j’ai affirmé que "la tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. […] À la faveur de la tempête, est tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos ego toujours préoccupés de leur image ; et reste manifeste, encore une fois, cette [heureuse] appartenance commune […], à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères." »20


Le temps est révolu où nous étions convaincus que nous pouvions tout faire avec nos ressources, seuls, comme des « géants de la vanité » pour qui rien n’est impossible.

Nous devons surmonter le narcissisme facile qui nous a convaincus que l’univers s’incline devant nous, en nous faisant croire que nous possédons un « super pouvoir » sur tout et sur tous... Nous avons appris, à cause de cette maladie, combien nous sommes vulnérables, combien nous avons besoin les uns des autres et que, seuls, nous ne sommes rien. Nous découvrons que le voisin d’en face est important : saluer tous ceux que nous rencontrons, effacer l’anonymat et croire au « nous » comme une partie de moi, sans lequel on ne peut pas vivre. Les autres, c’est « moi » décliné en un « nous », beaucoup plus dépendant de la richesse de l’humanité dans ses valeurs de beauté et de vie partagée. Laissons tomber nos craintes. Créons des liens. Grandissons. Arrêtons de rejeter l’autre parce qu’il est autre, différent, étranger, etc. Partons d’un « nous » qui unit le pluriel et le différent avec la particularité riche, unique, irremplaçable et belle de chaque personne, de chacun de nous, précieuse en soi.


Nous ne pouvons pas avoir peur de redécouvrir la fraternité qui nous unit en tant qu’enfants de Dieu, grandement aimés dans le Fils (cf. Ep 1,5). C’est pourquoi nous comprenons la solidarité, la fraternité, l’attention aux autres, le respect de la valeur de la vie, de la dignité de la personne, de la vérité de l’autre qui est plus que jamais une vertu. Nous avons trop de prix pour nous laisser aller à l’égoïsme vide d’une maladie appelée indifférence, et à l’auto-contemplation ou à l’autoréférence. Surtout en ce qui concerne nos chers jeunes qui sont « le buisson ardent », la « terre sainte » qui nous sauve. Ce sont précisément eux, notre grande espérance, qui nous projettent vers un avenir commun avec de nombreux exemples de partage et de projets communs : en faveur de la Création et de l’environnement, de la « maison commune » et de la justice, de la liberté, de la paix et de la fraternité universelle.


De nouvelles réponses sont nécessaires : vivre une vie courageuse qui soit porteuse de quelque chose de vraiment nouveau. Pour être en définitive comme Don Bosco aujourd’hui, quand le choléra s’appelle « coronavirus », il est nécessaire d’aller, de sortir, d’être présent et d’apporter des réponses.


Plus que jamais : présence et témoignage !


C’est précisément le cas : plus que jamais, la présence et le témoignage sont nécessaires. Notre présence et, comme témoignage, la joie née de notre foi « qui espère », car « foi et espérance vont de pair ».21

Et cela surtout pour les jeunes que nous ne pouvons pas laisser seuls (aujourd’hui moins que jamais !) : ils nous attendent à bras ouverts, pour que nous puissions à nouveau habiter leur vie, avec la force d’un amour capable de tout conquérir, car dans tout cela, seul l’amour peut triompher !

Nous devons de nouveau rêver le rêve des jeunes. Nous devons nous mettre dans cette disposition qui nous permette de surmonter ce que la peur a empêché de devenir réalité. Oratoires, centres de jeunes, écoles, centres de formation, œuvres sociales, paroisses : chacune de nos œuvres doit se laisser inonder par le cœur vivant, généreux et revitalisant de chaque jeune qui transforme les maisons (murs de silence) en espaces de vie (de la vie des jeunes). Nous voulons cette vie ! C’est cette vie-là qui nous sauve !

Écoutons le cri des jeunes qui demandent présence, attention, accompagnement, disponibilité et qui nous demandent aussi qu’on leur montre l’authentique visage de Dieu. Si nous leur prêtons attention, si nous les écoutons, ils nous demanderont, avec une plus grande intensité, de leur parler, avant bien d’autres choses, de ce Seigneur qui anime notre espérance et qui ne nous permet pas de nous décourager ou de renoncer (cf. 1P 3,15). Ils nous demanderont de leur donner le « pain de vie » qui nourrit notre « être pour eux » et notre « être parmi eux ». Générer la vie que le Seigneur souhaite donner en ce moment de l’histoire : la vie qui n’aura pas de fin. C’est la bonne nouvelle de la résurrection qui ravive notre espérance et fait de nous des hommes nouveaux pour des temps nouveaux. Parce que ce monde va disparaître. Et il ne restera que ce que nous aurons aimé.



  1. UNE FAMILLE SALÉSIENNE QUI TÉMOIGNE DE L’ESPÉRANCE


Comme nous en avons fait l’expérience, les circonstances liées à l’épidémie de ces derniers mois ont fait remonter à la surface certains signes d’obscurcissement de l’espérance. Je voudrais cependant réitérer et indiquer quelques signes de la beauté de l’espérance évangélique, pleinement comprise et vécue, qui nous placent sur un chemin où nous pouvons exprimer la force du charisme salésien vécu dans l’espérance. Je pense qu’en tant que Famille de Don Bosco dans l’Église et dans le monde, c’est le témoignage que l’on attend de nous : la capacité de vivre dans l’espérance.


Quelques propositions pour continuer ce cheminement.


    1. Redécouvrons que « la foi et l’espérance vont de pair ».22

Notre engagement : imitons Don Bosco et sa grande capacité d’enthousiasmer ses garçons à vivre la vie comme une fête et « la foi comme un bonheur ».23


Nous sommes tous soutenus non par des idées abstraites et de belles promesses, mais par une espérance fondée sur l’expérience de l’amour de Dieu répandu sur nous par l’intermédiaire du Saint-Esprit qui oriente tout vers le bien.

Mais l’espérance ne va pas de soi. Pour espérer, il faut avoir la foi. L’espérance chrétienne rend la foi tenace, capable de résister aux chocs de la vie ; elle nous permet de voir au-delà de tout obstacle, elle ouvre le regard et permet d’insérer notre vie et notre histoire dans une lecture à la lumière du salut de Dieu. Par conséquent, l’espérance est attente du don de la vie chaque jour, attente de la présence de Dieu, un Dieu qui est Père (Abba), c’est-à-dire une personne intime, personnelle, un Dieu qui se préoccupe de notre destin et s’y intéresse, qui emprunte notre route avec sa patience et sa miséricorde. Alors que nous reconnaissons notre pauvreté et notre fragilité, Dieu y met tout son cœur. La rencontre de la pauvreté personnelle et communautaire avec son cœur paternel fait resplendir la miséricorde.

Ainsi donc, conscients de notre fragilité et de la difficulté de la tâche d’éducation et de formation des personnes aujourd’hui, nous devons plus que jamais être des semeurs d’espérance, des provocateurs d’une véritable espérance, des « chuchoteurs » de cette même espérance. Don Bosco l’a fait de manière passionnée et presque naturelle. Et nous nous y engageons parce que nous croyons sincèrement que c’est l’espérance qui soutient la vie, qui en prend soin, qui la protège. « C’est ce qui peut exister de plus divin dans le cœur de l’homme », déclare le Pape François dans une catéchèse.24 Et le Saint-Père de faire référence au grand poète français Charles Péguy (1873-1914) qui a laissé de merveilleuses pages sur l’espérance. Dans l’une d’elles, il déclare de manière poétique que Dieu n’est pas si surpris par la foi des êtres humains, ni par leur charité. Ce qui le remplit vraiment d’émerveillement et d’étonnement, c’est l’espérance des gens : « Que ces pauvres enfants, écrit-il, voient comme tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux. »

C’est avec cette confiance que, comme éducateurs, comme accompagnateurs des familles, des classes populaires et du peuple de Dieu en général, je vous invite : ne perdons jamais l’espérance ; dans la vie, cultivons un regard riche d’espérance, ne l’éteignons jamais dans nos cœurs ; avec le témoignage de notre vie, soyons des lumières qui invitent à l’espérance ; transmettons le bonheur par la manière simple mais authentique de vivre notre foi.


    1. Apprenons que la prière est école d’espérance25

Notre engagement : marchons avec les jeunes et leurs familles en priant, en apprenant à mieux prier et en cultivant l’espérance en priant toujours mieux.


« Un premier lieu essentiel d’apprentissage de l’espérance est la prière. »26

La caractéristique de notre spiritualité salésienne est de percevoir Dieu comme très proche, très présent dans les événements et avec qui, dans notre simplicité, nous pouvons entrer en dialogue « avec le cœur », un dialogue simple, propre à des fils.

En tant que membres de l’Église, nous sommes conscients que nous sommes nés comme elle dans la prière et que la prière soutient sa croissance et la nôtre. Une prière qui est une école d’espérance. En présentant notre fragilité dans cette rencontre personnelle avec l’Amour, nous apprenons à nous laisser aimer par Lui. En définitive, nous sommes appelés à développer un climat intérieur de confiance dans le Seigneur, en nous confiant à Lui comme centre de tout. C’est Lui qui nous permet de vivre en plénitude. Remettons donc nos pensées, nos désirs, nos activités, nos souffrances, nos espérances et nos rêves dans le cœur de Dieu, en les imprimant dans son cœur.


La vie spirituelle soignée par la prière est unificatrice ; elle donne un sens aux événements, un sens aux différentes choses que nous vivons et faisons ; et avec la prière, nous découvrons le sens de la gratuité de la vie, la nôtre et celle des personnes qui nous sont confiées. Cette perspective de prière comme don est essentielle pour le cheminement spirituel, sachant que tout nous a été donné par le Seigneur.

L’Encyclique Spe Salvi que le Pape Benoît XVI a adressée à l’Église, propose quelques exemples concrets d’espérance dans la prière, comme celui vécu par le Cardinal Vietnamien Nguyen Van Thuan : pendant ses treize années de prison – dont neuf dans un total isolement – dans une situation humaine qui aurait été un désespoir total pour n’importe qui, le Cardinal s’est mis à l’écoute de Dieu, à Lui parler. C’est la force de son espérance qui a fait de lui, déjà en captivité et une fois libéré, un témoin authentique de l’espérance, « de la grande espérance qui ne passe pas, même dans les nuits de la solitude.»27


En tant que Famille de Don Bosco, Famille Salésienne, nous ferons des pas significatifs si, sur toutes les branches de cet arbre verdoyant aimé de l’Esprit Saint, nous avançons dans cette école d’espérance née de la prière, et si nous marchons aussi aux côtés de nos jeunes et d’autres personnes.


    1. Grandissons en sachant porter le poids de la fatigue de la vie quotidienne.

Notre engagement : aidons les jeunes et leurs familles, ainsi que le Peuple de Dieu, à découvrir les dons que Dieu nous accorde, sans nous plaindre, en proposant des objectifs qui enthousiasment et suppriment la monotonie et la médiocrité.


Faisons de la vie quotidienne une occasion précieuse d’expérimenter, malgré la fatigue et la lassitude, qu’il y a un Amour qui nous dépasse et dans la conscience que notre travail n’est pas indifférent devant Dieu, et donc qu’il n’est pas indifférent non plus pour le développement de la vie, de notre vie et de l’histoire elle-même que nous essayons de construire et du Royaume de Dieu que nous voulons contribuer à réaliser.


Je pense que c’est un magnifique horizon pour éduquer à l’espérance. Tout d’abord à cause de la certitude qui vient de la foi, qui confirme non seulement que Dieu ne se laisse jamais vaincre en générosité, mais qu’il agit toujours et nous surprend, même au milieu de nos difficultés.

L’extraordinaire ne se produit que lorsque l’on commence à vivre les petites choses ordinaires ; la vie quotidienne, celle de chaque chrétien, est faite de gestes répétés, de travail dur et sans trop de gratifications, mais aussi de joies intimes secrètes, de vraies rencontres, de surprises qui surprennent l’âme.


Le fil des jours exige un retour patient sur soi, une prise de conscience de sa propre vie. Espérance et patience sont les deux attitudes dont il faut témoigner en tant que chrétiens, précisément dans notre monde au rythme si rapide. La prolifération de la peur dans nos sociétés est également due au fait que nous avons perdu le sens de l’attente, et donc de la patience et de l’espérance. C’est pourquoi l’espérance et la patience sont étroitement liées, et l’acte d’espérer contribue déjà à surmonter l’épreuve.

Cela est également possible parce qu’il existe une « confiance naturelle » typique de notre esprit salésien qui nous conduit à faire confiance aux ressources naturelles et surnaturelles de chaque personne, et surtout de chaque jeune, et qui nous pousse à ne pas regretter l’époque où nous vivons, mais à apprécier les valeurs présentes dans le monde et dans l’histoire (même en ces temps difficiles), et à « garder ce qui est bien » (cf. 1Th 5,21). En fait, nous partageons avec le Cardinal Nguyen Van Thuan la conviction que l’habitude de se plaindre est comme une épidémie contagieuse dont les symptômes sont le pessimisme, la perte de la paix, les peurs et la perte de cette passion pour la vie qui vient de l’union à Dieu.

Don Bosco avait fait l’expérience que rien ne peut compenser la valeur des relations authentiques, du sentiment d’être aimé, de se sentir en famille, chez soi. Et ces relations sont une puissante forme de protection face à la pauvreté et à la solitude de ses garçons. En fait, il était passé maître dans l’art de redécouvrir le caractère concret du bonheur dans les petites choses, dans l’attention portée à tous, révélant combien le trésor de notre Système Préventif était sous-jacent dans ses rencontres pleines de bonté et dans son souci de garder des liens. Il s’agit de petits gestes qui se perdent parfois dans l’anonymat de la vie quotidienne, des gestes de tendresse, d’affection, de compassion, qui sont pourtant décisifs, importants pour l’espérance des autres. Ce sont des gestes familiers d’attention aux détails de la vie quotidienne qui donnent sens à la vie et qui permettent la communion et la communication entre nous.


    1. Vivons l’espérance spécialement dans les moments de difficulté et de désarroi

Notre engagement : laissons-nous éduquer par Dieu. Confions-nous à Lui surtout dans les moments d’obscurité.

Sainte Thérèse d’Avila, grande mystique, reconnaît que l’aridité est une invitation de Dieu à « aller de l’avant ».


Nous avons tous connu des périodes de difficultés et de désarroi dans notre vie. D’une manière ou d’une autre, nous avons été appelés à faire face à des expériences personnelles douloureuses et humainement difficiles. Parfois, les journées, les activités, la prière, toute la vie vécue, peuvent sembler inopinément vides, ternes.


Mais avec la souffrance et la douleur présentes dans chaque vie humaine, nous sommes confrontés à un sursaut d’émerveillement et d’espérance. En fait, « la grandeur de l’humanité est essentiellement déterminée par son rapport avec la souffrance et avec ceux qui souffrent. »28


La souffrance et la douleur semblent être présentes dans la vie de tous à un moment ou à un autre. Jésus n’aimait pas la souffrance et ne l’a jamais justifiée. Bien au contraire, dans la rencontre avec ceux qui sont marqués par la douleur, il s’émeut et guérit souvent le malade, montrant que ce n’est pas du tout le fait de la volonté de Dieu. Face à cela, au lieu de nous replier passivement sur nous-mêmes, fatigués et découragés, il nous est demandé de cultiver le courage, ce qui, dans la vie morale et spirituelle, est indiqué par le terme de « force d’âme ». En effet, la conscience de la foi est liée à cette force d’âme qui est indispensable à la qualité de la vie.


De nombreux croyants sont reconnus tels précisément dans leurs moments de très grande difficulté et de souffrance, lorsqu’ils semblent accablés par des problèmes qui les dépassent. Ces épreuves ne sont pas lues comme des incidents occasionnels chemin faisant, mais comme un moment de purification nécessaire et comme une invitation à abandonner les critères adoptés jusqu’à présent, pour faire une expérience plus intime de Dieu, en se laissant éduquer par Lui et en accomplissant aussi de cette manière la mission reçue. Il nous est demandé de marcher dans la confiance, même dans les moments sombres.


En fait, comme croyants, nous sommes convaincus que seul Dieu a le pouvoir de transformer les moments les plus extrêmes et les plus difficiles de notre existence en l’espérance certaine que notre souffrance, notre douleur et notre tristesse ne sont pas vaines ou inutiles. C’est comme si la personne se trouvait à un carrefour où elle doit décider si elle doit abandonner ou laisser émerger de nouvelles énergies humaines et spirituelles. Dans ce dernier cas, les luttes, les tensions, les conflits sont là mais restent stériles ; nous sommes appelés à garder l’espérance dans les périodes sombres car l’Évangile annonce toujours une bonne nouvelle : la vie peut recommencer, nous pouvons toujours renaître. « Spes ultima dea », disaient les anciens : « L’espérance est la dernière à mourir ». L’espérance est le dernier rempart de la vie. Elle est comme la lumière du coucher de soleil : elle parvient encore à donner vie aux objets avant qu’ils ne se perdent totalement dans l’obscurité, et nous permet de voir le chemin pour retourner à la maison avant que la nuit ne tombe et que tout ne soit plongé dans l’obscurité.


    1. L’espérance comme retour décisif aux pauvres et aux exclus

Notre engagement : dans notre Famille, la fidélité au Seigneur avec Don Bosco passe avant tout par l’option préférentielle pour les plus pauvres, les plus abandonnés et les exclus.


Aujourd’hui plus que jamais, nous sommes appelés, de par notre charisme, à nous distinguer, en tant que Famille Salésienne, par cette option originale pour les pauvres et les exclus, pour les rejetés, les abandonnés, les sans voix et sans dignité. Il n’y a pas d’autre chemin pour nous. La fidélité au Seigneur en Don Bosco exige que nous nous reconnaissions dans la douleur de l’autre.

En totale communion avec la tradition et l’enseignement le plus pur de l’Église, des premiers Pères Latins et Grecs aux Papes les plus récents, nous ne pouvons qu’être et nous sentir responsables de ce monde et de la vie de chacun. Toute injustice envers les pauvres est une blessure ouverte qui est une atteinte (même si nous ne le croyons pas) à notre dignité. Nous ne devons jamais oublier que nous ne vivons pas seulement pour nous-mêmes. C’est pourquoi l’espérance rend la charité persévérante. Jésus nous invite à cet amour persévérant, à garder notre esprit et notre cœur aussi ouverts que possible à son action, qui survient aussi soudainement que les situations négatives que nous rencontrons ; il nous invite à devenir et à être un « hôpital de campagne » efficace pour tous et d’une manière particulière pour les jeunes blessés. Cela exige de nous plus de courage, plus de confiance et un plus grand engagement. Ce n’est pas le moment de « se défiler » !


En tant que Famille religieuse née du cœur pastoral de Don Bosco, nous sommes « l’espérance de ceux qui n’ont pas d’espérance » : les jeunes les plus nécessiteux et les plus vulnérables, qui sont au centre de l’attention de Dieu, et qui doivent toujours être nos destinataires privilégiés.


Ils ne sont pas un « mur » pour nous, mais une « porte » : ce que les pauvres nous enseignent, c’est la priorité de ceux qui souffrent et de ceux qui sont marginalisés. Engageons-nous à apporter l’espérance dans le cœur de ces personnes, à leur donner du réconfort, à relever les faibles et les nécessiteux, à répondre aux différents besoins humains et spirituels qui nous interpellent quotidiennement. L’espérance va dans le sens de l’éthique et de l’action. En cela, l’espérance chrétienne se distingue d’un vague optimisme, comme je l’ai déjà dit.


Il ne faut pas se laisser voler l’espérance, nous dit le Pape François, et encore moins tuer les différents signes d’espérance et de renaissance qui émergent du monde. En effet, nombreuses sont les personnes, heureuses d’aimer Jésus en le servant dans les pauvres, généreuses et solidaires, qui nous enseignent merveilleusement par l’exemple de leur vie ! Remercions le Seigneur pour ces exemples de vies cohérentes imprégnées d’amour. Des hommes et des femmes pour les pauvres, signe d’espérance que le Seigneur a mis sur notre chemin : ce sont des vies dépensées et données à leurs frères et sœurs par des personnes « normales » mais héroïques, d’un héroïsme simple mais fort comme le roc, fondé sur l’Évangile, vécu et proclamé.


    1. Se reconnaître dans la douleur de l’autre

Notre engagement : être fidèles aujourd’hui à Don Bosco, Père de notre Famille Salésienne, signifie être aux côtés de ceux qui subissent toutes formes d’injustice.


« Comme elle est dangereuse et nuisible, cette accoutumance qui nous porte à perdre l’émerveillement, la fascination, l’enthousiasme de vivre l’Évangile de la fraternité et de la justice ! », écrit le Pape François dans Evangelii Gaudium.29 Et cela a autant à voir avec les injustices, qui découlent des systèmes économiques à l’origine d’une grande pauvreté, qu’avec toutes sortes de souffrances humaines.


À la lecture de l’Évangile, il ne fait aucun doute que l’économie et les biens doivent être au service des personnes, en particulier de celles qui vivent dans des conditions de pauvreté réelle. Par conséquent, un chrétien avec une conscience sociale authentique et un sens de la justice – et à fortiori nous autres, membres consacrés et laïcs de la Famille de Don Bosco – ne peut accepter une forme d’économie basée exclusivement sur la « logique de la croissance » (tant désirée après cette pandémie), si celle-ci est la cause certaine de l’augmentation de la pauvreté et des pauvres : deux réalités qui vont toujours de pair.


Par conséquent, dire non à une économie d’exclusion, c’est dire non à toute initiative politique et économique qui oublie les plus faibles. Les chrétiens et les membres de la Famille Salésienne doivent se sentir mal à l’aise dans cette situation. Face à ces réalités, nous ne pouvons pas rester « neutres » ou « sans opinion ». La dignité de nos frères et sœurs est en jeu, et nous devrons certainement « descendre » du piédestal de nos certitudes pour considérer leur réalité sans honte. C’est ce que le Seigneur Jésus a fait, même si cela était considéré comme socialement et politiquement incorrect.


Et même si je sais que ce que je vais dire plus loin peut être inconfortable pour nous – pour moi en premier – je crois en conscience que nous devons ressentir comme insupportable pour nos consciences la douleur des autres qui se traduit dans la réalité des sans-abri, des migrants par obligation, des personnes qui « ne servent plus à rien », des guerres, des attentats, des persécutions pour des raisons raciales ou religieuses, des abus sexuels, de la traite de personnes et d’organes, des réseaux de prostitution, des mineurs abandonnés, des enfants soldats : une cascade sans fin de réalités douloureuses.


C’est parce que nous aimons ce monde merveilleux où Dieu nous a placés et parce que nous aimons l’humanité à laquelle nous appartenons – avec les drames que je viens de décrire et avec la peine de voir que rien ne semble changer radicalement – parce que nous aimons aussi les aspirations, les espérances et la terre comme « maison commune », c’est parce que ce qui est notre aujourd’hui, celui de notre monde post-pandémique, est une occasion précieuse de nous situer clairement et d’éduquer nos jeunes à l’engagement social et politique à la lumière de l’Évangile et de l’espérance qu’il rayonne.


    1. Se convertir à l’espérance, c’est croire au projet de l’Évangile

Notre engagement : pour cette raison, en tant que Famille Salésienne de Don Bosco, nous ne pouvons pas ne pas montrer QUI est la raison de notre Espérance : le Dieu de Jésus Christ et son Évangile.


Dans les plus grandes crises, de nombreuses certitudes disparaissent, des « certitudes » que l’on croyait avoir, auxquelles on attribue des significations qui, en réalité, s’avèrent peu fiables. Mais en fait, les grandes valeurs de l’Évangile et sa vérité demeurent lorsque les philosophies et les pensées opportunistes ou momentanées échouent. Les valeurs de l’Évangile ne disparaissent pas, elles ne se « dissolvent » pas, elles ne disparaissent pas. Pour cette raison, en tant que Famille Salésienne de Don Bosco, nous ne pouvons pas renoncer à montrer ce en quoi nous croyons.


Pour nous, l’évangélisation doit être une joie existentielle et véritable, enracinée dans le Mystère du Christ, Dieu incarné, mort et ressuscité, qui pénètre la partie la plus intime de la réalité humaine. L’Évangile est le message absolu d’une joie qui insuffle force et audace pour surmonter toute tristesse (cf. Rm 9,2) ; l’Évangile est le souffle vital de l’espérance : une espérance dans le Seigneur qui est au milieu de nous et qui vient continuellement à notre rencontre ; une espérance qui génère la joie, une espérance qui nous encourage et nous lance dans un engagement concret en faveur des autres et dans l’histoire, une espérance qui nous fait nous sentir, comme Famille de Don Bosco, médiation de Dieu pour les autres, signes et porteurs de Son Amour : une espérance qui nous ouvre à la vie éternelle qui a déjà commencé ici-bas.


« La foi signifie aussi croire en lui [le Christ Ressuscité], croire qu’il nous aime vraiment, qu’il est vivant, qu’il est capable d’intervenir mystérieusement, qu’il ne nous abandonne pas, qu’il tire le bien du mal par sa puissance et sa créativité infinie. (…) Nous croyons à l’Évangile qui dit que le Règne de Dieu est déjà présent dans le monde, et qu’il se développe çà et là, de diverses manières ».30


Combien nous devrions être encouragés à penser que personne n’est l’espérance en soi, mais que chacun de nous peut être un écho de l’espérance pour les autres, cette espérance authentique qui est la réalité la plus divine qui puisse exister dans le cœur de l’être humain. Car « si Jésus a vaincu le monde, il est capable de vaincre en nous tout ce qui s’oppose au bien. Si Dieu est avec nous, personne ne nous volera la vertu dont nous avons absolument besoin pour vivre. Personne ne nous volera l’espérance.»31


    1. Un engagement concret à assumer comme Famille Salésienne


Diffusons et lisons (seuls, en famille, en groupes) la dernière Encyclique « Fratelli Tutti » qui met la fraternité au centre de tout. Elle nous offre une belle réflexion sur la manière de guérir le monde, de réparer la « maison commune » des dommages humains et environnementaux, et de réduire les conséquences de l’inégalité sociale et économique croissante. Avec le Pape, nous sommes sûrs que nous parviendrons à sauvegarder le patrimoine que le Créateur a mis entre nos mains uniquement en tant que frères, en surmontant la tentation de nous diviser et d’accabler l’autre. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons construire un monde meilleur qui donnera espoir aux générations futures.


    1. Une vérité à approfondir comme fruit de cette Étrenne


Dans le but évident de laisser un souvenir très spécial, je conclus le commentaire de l’Étrenne 2021 par quelques lignes qui expriment très bien ce que j’ai partagé dans ces pages et que je vous invite à intérioriser, avant de faire une dernière référence à Marie, notre Mère, qui attend la naissance de son Fils bien-aimé, plongée sans aucune prétention dans le grand projet de la rédemption.


« Nous, chrétiens, nous vivons de l’espérance : la mort n’est que l’avant-dernier mot, mais le dernier est celui de Dieu, celui de la résurrection, de la plénitude de la vie et de la vie éternelle. Lorsque nous nous abandonnons à Dieu en toute confiance, nous avons une certitude qui nous rend sereins : à savoir que nous, les êtres humains, n’avons pas tout entre nos mains, mais que nous sommes entre les mains de Dieu. Le chrétien façonne sa vie non pas avec ses propres forces, mais avec la force de l’Esprit Saint. En période d’incertitude, nous devons nous abandonner à Lui et nous laisser guider par Lui en toute confiance. »32



  1. MARIE DE NAZARETH, MÈRE DE DIEU, ÉTOILE DE L’ESPÉRANCE


Marie, notre Mère, sait bien ce que signifie avoir confiance et espérer contre toute espérance, faisant confiance au nom de Dieu. Son « oui » à Dieu a réveillé toute espérance pour l’humanité.

Marie a vécu l’impuissance et la solitude à la naissance de son Fils ; elle a gardé dans son cœur l’annonce d’une douleur qui allait lui transpercer le cœur (cf. Lc 2, 35) ; elle a vécu la souffrance de voir son Fils comme « signe de contradiction », incompris, rejeté.

Elle a connu l’hostilité et le rejet envers son Fils jusqu’à ce que, au pied de sa Croix sur le Golgotha, elle comprenne que l’Espérance ne mourrait pas. C’est pourquoi elle est restée avec les disciples comme mère – « Femme, voici ton fils » (Jn 19,26) – comme Mère de l’Espérance.


« Sainte Marie,

Mère de Dieu, notre Mère,

enseigne-nous à croire,

à espérer et à aimer avec toi.

Indique-nous le chemin vers son Règne !

Étoile de la mer,

brille sur nous

et conduis-nous sur notre route ! »33

Amen.





Père Ángel Fernández Artime, S.D.B.

Recteur Majeur



Rome, 25 décembre 2020

Nativité du Seigneur

1 Pape François, Christus Vivit, 72

2 G. Colombero, La Malattia, una stagione per il coraggio [La Maladie, une saison pour le courage], Paoline, Rome 1981, p. 66.

3 Citons-en seulement quelques-uns parmi ceux que nous trouvons en théologie et dans l’histoire de la philosophie, à commencer par saint Paul, saint Augustin d’Hippone, saint Jean de la Croix, Luther, Bultmann et J. Moltmann. En outre, citons R. Descartes, I. Kant, C. Baudelaire et M. Heidegger, G. Marcel et J.P. Sartre, R. Le Senne, O. Bollnow ; et quelques Espagnols comme Miguel de Unamuno, J. Ortega y Gasset et le grand écrivain Manuel Machado.

4 Bernard de Clairvaux, Sermons sur le Cantique des Cantiques, XXVI, 5 in PL 183, 906.

5 Comme on le lit aussi dans une expression bien connue de Christian Duquoc qui affirme la totale autonomie de l’histoire.

6 Benoît XVI, Encyclique Spe Salvi, 1.

7 Ibid, 27

8 Pape François, Méditation du Saint Père au moment extraordinaire de prière en temps d’épidémie, Cité du Vatican, 27 mars 2020.

9 Pape François, Audience générale du mercredi, 23 août 2017.

10 Cf. Benoît XVI, Spe Salvi, 2.

11 Tel est le titre que le Pape Benoît XVI a choisi pour la première partie de son Encyclique Spe salvi.

12 J. Moltmann, Experiencias de Dios [Expériences de Dieu], Sígueme, Salamanque 1983, pp. 103-104.

13 MB I, 296.

14 G. Bosco, Memorie dell’Oratorio di San Francesco di Sales, in ISS, Fonti Salesiane: Don Bosco e la sua opera, LAS, Rome 2014, p. 1233.

15 Constitutions et Règlements SDB, 21.

16 Benoît xvi, Spe Salvi 49.

17 Pape François, Encyclique Fratelli tutti, 115, avec citation de l’Homélie lors de la Sainte Messe à La Havane – Cuba (20 septembre 2015) : cf. L’Osservatore Romano, éd. en langue française (24 septembre 2015), p. 6.

18 Ibid., 30, avec citation du Discours au monde de la culture, Cagliari - Italie (22 septembre 2013) : cf. L’Osservatore Romano, éd. en langue française (26 septembre 2013), p. 5.

19 Pape François, Fratelli tutti, 32 avec citation extraite du Moment extraordinaire de prière en temps d’épidémie (27 mars 2020) : cf. L’Osservatore Romano, éd. en langue française (31 mars 2020), p. 5.

20 Ibidem.

21 Pape François, Audience Générale du mercredi, 20 septembre 2017.

22 Ibidem.

23 XXème Chapitre Général Spécial des Salésiens de Don Bosco, n. 328.

24 Pape François, Audience générale du mercredi, 27 septembre 2017.

25 Cf. BenoÎt XVI, Spe Salvi : tel est le titre de la première partie de l’Encyclique au n° 32.

26 BenoÎt XVI, Spe Salvi, 32.

27 Ibidem.

28 Pape François, « Un plan para resucitar » a la Humanidad tras el coronarivus [Un plan pour ressusciter l’Humanité après le coronavirus] (PDF), in Vida Nueva Digital, 17 avril 2020, p. 38.

29 Pape François, Evangelii Gaudium, 179.

30 Ibid., 278.

31 Pape François, Audience générale du mercredi, 27 septembre 2017.

32 W. Kasper – G. Augustin, Comunione e Speranza. Testimoniare la fede al tempo del coronavirus [Communion et Espérance. Témoigner de la Foi en période de coronavirus], LEV, Cité du Vatican, 2020, p. 121.

33 Benoît XVI, Spe Salvi, 50.

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