Albera_fr


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Aldo Giraudo
LE PÈRE PAUL ALBERA
maître
de vie spirituelle

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Publications du
CENTRE D’ÉTUDES DON BOSCO
Études et instruments - 2

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3
ALDO GIRAUDO
LE PÈRE PAUL ALBERA
MAÎTRE DE VIE SPIRITUELLE
LAS - ROMA

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4
En couverture: illustration de Cyril Uhnák
Traduction française: P. Morand Wirth et collaborateurs
© 2021 by LAS - Libreria Ateneo Salesiano
Piazza del­l’Ateneo Salesiano, 1 - 00139 ROMA
Tel. 06 87290626 - e-mail: las@unisal.it - https://www.editricelas.it
ISBN 978-88-213-1394-3
–––––––––––
Traitement électronique: RMG Impression: Tip. Abilgraph 2.0 srl - Via P. Ottoboni 11 - Roma

1.7 Page 7

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5
INTRODUCTION
Le charisme d’un fondateur comporte non seulement une manière
originale d’imiter le Seigneur, mais aussi la capacité de transmettre son
esprit et d’impliquer les autres dans la mission reçue. En la personne
de Paul Albera nous avons un homme personnellement formé par Don
Bosco, et un de ses fils qui ont le plus contribué à la transmission et à la
propagation de son esprit et de sa mission. Le livre d’Aldo Giraudo, Le Père
Paul Albera, maître de vie spirituelle, nous donne un portrait saisissant de
la personnalité et de la contribution que le deuxième successeur de Don
Bosco a apportée au développement du charisme salésien. Il est vrai que
Don Albera est resté quelque peu dans l’ombre jusqu’à aujourd’hui; grâce
à l’année qui lui est dédiée à l’occasion du centenaire de sa mort, il revient
maintenant en pleine lumière, comme une figure attirante et remarquable.
On connaît le récit dans lequel Paolo Albera décrit l’irrésistible fasci-
nation exercée par Don Bosco sur ses jeunes. Moins connue est l’impression
ressentie par Don Bosco lui-même devant les qualités humaines et la sensi-
bilité spirituelle de ce jeune, à l’aspect plutôt délicat. Entré à l’Oratoire de
Valdocco à l’âge de 13 ans, il s’était confié totalement à lui comme à un bon
père, se laissant guider par lui dans les voies de l’Esprit. C’est ce que nous
découvrons dans la première partie du livre de Don Giraudo, de nature
biographique, riche de beaucoup d’informations qui illustrent la vie de ce
jeune qui deviendra le successeur de Don Bosco.
La timidité naturelle de Paolo Albera contraste avec l’énergie de
Giovanni Cagliero, extraverti et vigoureux. Et pourtant ce salésien des
premiers temps – le plus jeune parmi ceux qui avaient signé la liste des
premiers membres de la Société salésienne en juin 1860, et l’un des pionniers
à Mirabello, sous la conduite de Don Rua – manifeste non seulement un
réel esprit d’initiative et une capacité enviable de conquérir les cœurs,
comme fondateur de l’œuvre salésienne à Gênes et en France, mais aussi
une surprenante ténacité de caractère, qui se révèle, par exemple, dans
l’extraordinaire voyage de trois ans en Amérique, où il visita toutes les
présences salésiennes en tant que représentant de Don Rua.
Mais le domaine où Albera se révèle peut-être le mieux est celui où il
agit comme directeur spirituel de la naissante Congrégation. En parcourant
les pages de Giraudo, on découvre la figure d’un homme qui a eu le souci
prédominant de la formation des salésiens, à travers les visites des maisons
de formation, la préparation des formateurs, la vigilance dans l’application
des Constitutions, des Règlements et des délibérations capitulaires sur le

1.8 Page 8

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thème de la formation et des études. Particulièrement impressionnante
est son application à lire, à méditer, à prendre des notes et à s’approprier
les nombreux écrits de spiritualité qu’il approfondit. À partir de ce travail
intense et constant, on découvre les fruits du service qu’il a pu offrir comme
guide spirituel et dans les innombrables retraites qu’il prêchait.
Devenu Recteur Majeur, Don Albera continua à donner une grande
importance à la vie de prière et aux études comme sources de fécondité
apostolique. C’étaient des thèmes sur lesquels il insistait beaucoup. Il faisait
constamment référence à Don Bosco, à ce Don Bosco qui l’avait guidé, lui,
jeune garçon, à la suite du Seigneur: “Tout pour Jésus et uniquement pour
lui !” Son amour de la lecture lui a sans doute ouvert et fait apprécier d’une
manière nouvelle ce que François de Sales avait été pour Don Bosco. C’est
ce qui apparaît en particulier dans la deuxième partie du livre de Giraudo,
qui nous fait deviner le feu qui brûlait en lui sous une expérience de vie
si intense et si pleine, et de même dans l’anthologie des écrits de Paolo
Albera, dans la troisième partie.
Les premiers salésiens étaient des hommes profondément marqués par
Don Bosco, mais chacun d’eux reflétait son charisme de manière diverse,
comme on peut le voir dans la magnifique fidélité de Don Rua, dans le
dynamisme missionnaire de Cagliero, dans les compétences du formateur
Barberis et dans le génie littéraire de Francesia. Parmi ces pères fondateurs
de la Congrégation Salésienne, Paolo Albera se distingue, selon Giraudo,
comme un maître de vie spirituelle, par sa capacité de comprendre le cœur
de Don Bosco et de le communiquer aux salésiens et aux membres de
la Famille Salésienne en expansion. À travers Albera nous sommes en
mesure d’entrer en contact avec les sources du charisme salésien d’une
manière jusqu’ici encore largement inexplorée. Ses journaux intimes, écrits
en italien, en français et même en anglais, sont comme un rayon de lumière
éclairant le dialogue continuel entre la grâce et la liberté dans le cœur de
l’homme, une fenêtre ouverte sur les ressources offertes par le charisme de
Don Bosco en matière de formation, un témoignage émouvant sur notre
humanité, qui est toujours là et qui pourtant se transforme en instrument
de l’Esprit. Albera portait en lui un sentiment d’incapacité et un fond de
mélancolie, et pourtant sa personnalité émerge comme un don constant
d’amabilité, de délicatesse et de bonté.
Digne de remarque est la dévotion d’Albera envers Don Rua: il a compris
que le successeur de Don Bosco n’était pas simplement une pâle imitation
du fondateur. « Pourquoi Don Bosco a-t-il été tant aimé? Pourquoi tous les
cœurs étaient-ils avec lui? » se demande Albera, qui répond : « Parce qu’il

1.9 Page 9

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a eu la chance d’avoir à ses côtés un Don Rua, qui a pris sur lui toutes les
missions ingrates ». Puis il ajoute: « Quand [Rua] fut élu Recteur Majeur,
certains craignaient un gouvernement rigoureux, mais c’est alors qu’on vit
toute la bonté qu’il avait dans le cœur. Ce constat restera une des plus
belles pages de sa vie, et on verra combien il a contribué à faire briller le
halo de lumière qui entourait Don Bosco ».
À Don Bosco et à Don Rua nous devons maintenant ajouter Paolo
Albera, « le petit Don Bosco », qui a apporté à son rectorat sa connais-
sance personnelle des œuvres salésiennes dispersées dans le monde, et une
sensibilité particulière aux nouveaux contextes et situations. La douceur
de son caractère et sa sensibilité devinrent particulièrement évidentes dans
la situation dramatique et inattendue dans laquelle la Société Salésienne
s’est trouvée durant la première guerre mondiale, alors que la moitié de
ses quelque 3.000 membres étaient directement engagés sur les différents
fronts du conflit. « Quand tu auras le bonheur de dire ta première messe
– avait murmuré Don Bosco aux oreilles de Paolino – demande à Dieu la
grâce de ne jamais te décourager ». Ce conseil se révéla précieux durant
les quatre longues années de guerre, quand Albera a su encourager les
confrères restés dans les maisons pour combler les vides laissés par ceux qui
étaient partis au front. Non seulement Albera ne permit aucune fermeture
de maison, mais il n’hésita pas à ouvrir des orphelinats et d’autres œuvres
d’assistance pour les jeunes.
J’exprime ma sincère gratitude à Aldo Giraudo au nom de tous ceux
qui, grâce à cet ouvrage, pourront mieux entrer dans le monde de Paolo
Albera. Mon désir et ma prière est que nous puissions être ensemble les
dignes héritiers du patrimoine spirituel légué à l’Église par Don Bosco et
par ceux qui, comme Albera, se sont laissé former par lui.
Les temps changent, ainsi que les situations, mais l’essentiel demeure
dans toute sa vérité et vitalité: il vaut toujours la peine de le saisir, ou
mieux, de nous laisser saisir et surprendre par lui, comme il arrive quand
on médite les pages des Évangiles et la vie des saints. C’est ce qui devrait
arriver quand nous fixons notre regard et notre cœur sur Don Bosco et
sur les hommes qu’il a formés. Que le don que représente Paolo Albera
nous surprenne, qu’il réchauffe nos cœurs et renouvelle en nous le désir de
suivre le Seigneur sur la voie tracée par Don Bosco. C’est ce que désirait
ardemment Don Paolo Albera pour ses confrères, et c’est ce qu’il désire
certainement pour nous tous.
Ivo Coelho
Conseiller pour la formation

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Tous ceux qui ont rencontré le Père Paul Albera aux différentes périodes
de sa vie ont eu l’impression de voir en lui une personnalité d’une grande
douceur. Son visage juvénile, illuminé d’un perpétuel sourire, resta tel
même dans la vieillesse. Seuls ses cheveux étaient devenus blancs comme
la neige. Ses yeux limpides fixaient ses interlocuteurs avec la gentillesse
et la luminosité d’un enfant. Sa manière lente et pénétrante de parler allait
droit au cœur. Il était maigre, de santé délicate. Il était tourmenté par
diverses souffrances physiques, qu’il cherchait à minimiser. Il avait l’air
extrêmement fragile.
Cependant, si nous regardons ses actions, ses voyages inlassables, la
ferveur de son apostolat, la multiplicité de ses fondations, alors un homme
complètement différent nous apparaît, d’une ardeur incroyable.
Lorsqu’il réfléchissait sur lui-même, il était souvent rempli de mélan-
colie. Il se sentait inapte, dépourvu des qualités nécessaires pour un
successeur de Don Bosco, loin de la perfection exigée d’un religieux. La
pensée de la mort l’accompagnait constamment.
Dans ses relations avec autrui apparaissaient toute la gentillesse, la déli-
catesse, la bonté de son humanité. Il était doué d’une profonde capacité
d’écoute et avait le don du discernement.
Nous ferions du tort à ce salésien si doux, si aimable et si indulgent
envers le prochain si nous ne rappelions pas qu’il fut l’un des tempéra-
ments les plus fermes, solides et tenaces, qui a su guider la Société salé-
sienne avec intelligence et courage au cours d’une des périodes les plus
difficiles de son histoire.
***
Ce volume est divisé en trois sections.
La première présente une courte biographie de Don Paolo Albera,
deuxième successeur de Don Bosco. Les principales sources de cette
section sont la biographie bien documentée publiée par Domenico Garneri
en 1939, les Lettres circulaires, la correspondance avec Don Giulio
Barberis lors de la visite canonique en Amérique, le Bulletin salésien, et
les cahiers autographes de son « journal spirituel » conservés dans l’Ar-
chivio Salesiano Centrale (ASC B0320101-109).
La deuxième section expose les points clés de son magistère spirituel.
La troisième section contient une anthologie de ses écrits les plus signi-
ficatifs extraits des Lettres circulaires aux salésiens (Turin 1922).

2 Pages 11-20

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9
ABRÉVIATIONS ET SIGLES
AAT Archivio Arcivescovile Torino
ACS Atti del Capitolo superiore (1921ss)
ASC Archivio Salesiano Centrale
BS
Bollettino Salesiano (1877ss)
Garneri D. Garneri, Don Paolo Albera secondo successore di don Bosco. Memorie
biografiche, Torino, Società Editrice Internazionale 1939.
Em
G. Bosco, Epistolario. Introduzione, testi critici e note a cura di F. Motto,
8 voll., Roma, LAS 1991-2019.
L
P. Albera - C. Gusmano, Lettere a don Giulio Barberis durante la loro
visita alle case d’America (1900-1903). Introduzione, testo critico e note a
cura di B. Casali, Roma, LAS 2000.
Lasagna P. Albera, Mons. Luigi Lasagna. Memorie biografiche, San Benigno
Canavese, Scuola Tipografica Salesiana 1900.
LC
Lettere circolari di don Paolo Albera ai salesiani, Torino, Società Editrice
Internazionale 1921.
LCR Lettere circolari di don Michele Rua ai salesiani, Torino, Tip. SAID
“Buona stampa” 1910.
Lm
ASC E444, Lettere mensili ai salesiani soldati (1916-1918)
Manuale P. Albera, Manuale del direttore, S. Benigno Canavese, Scuola Tipo-
grafica Salesiana 1915.
MB
Memorie biografiche del venerabile servo di Dio don (del beato … di
san) Giovanni Bosco, voll. VI-XVI, S. Benigno Canavese - Torino, Scuola
Tipografica Salesiana - Società Editrice Internazionale 1907-1935.
ms
manuscrit

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Première Section
LA VIE (1845-1921)

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13
Chapitre 1
LES ANNÉES DE FORMATION (1845-1868)
Don Bosco confesse le jeune Paolo Albera
(photo Francesco Serra, 21 mai 1861)
Enfance et adolescence
Paolo Albera est né le 6 juin 1845 à None, commune agricole du
Piémont à mi-chemin entre Turin et Pinerolo. D’après les documents
présentés à la Curie épiscopale pour l’examen d’admission à la prise de
soutane1 , nous savons que ses parents s’appelaient Giovanni Battista et
Margherita Dell’Acqua. Ils s’étaient mariés en 1825. Son père était paysan,
1 AAT 12.17.4, Elenco dei giovani aspiranti allo stato clericale 1855-1867, anno 1861.

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14 Chapitre 1
propriétaire d’un modeste domaine agricole (environ six hectares), d’une
valeur de mille trois cents lires piémontaises. Ils eurent sept enfants, six
garçons et une fille. Paolo était le dernier. Il fut baptisé le jour même de
sa naissance et reçut les noms de Paolo, Sebastiano et Norberto. Trois de
ses frères devinrent religieux: Lodovico fut franciscain avec le nom de
Père Telesforo, Luigi devint lazariste de saint Vincent de Paul, et Francesca
entra chez les Filles de la Charité avec le nom de Sœur Vincenzina.
L’atmosphère sereine et affectueuse de la famille eut une influence
bénéfique sur la formation du garçon et sur le développement de ses
capacités personnelles. Don Giovanni Matteo Abrate, curé de la paroisse,
le suivait avec une attention particulière. Il lui apprit à servir la messe, le
prépara au sacrement de confirmation (1853) et à la première communion,
reçue à l’âge de onze ans, selon la pratique de l’époque.
Paolo fréquenta l’école du village où il obtint d’excellents résultats.
Après les classes élémentaires, il se consacra aux travaux des champs, car
sa famille n’avait pas les ressources économiques pour lui faire poursuivre
ses études. Don Abrate, qui devinait sa vocation et admirait la bonté et
les capacités du garçon, essaya de l’aider. En 1858, il invita Don Bosco
à None pour la fête de Notre-Dame du Rosaire, célébrée cette année-là
le 3 octobre. Après le service de l’après-midi, il lui présenta le garçon: «
Prends-le avec toi. » Et Don Bosco, conquis par la physionomie intelligente
de l’enfant, par son regard pénétrant et serein, accepta.
Le 18 octobre 1858, accompagné de son curé, Paolo fit son entrée au
Valdocco. Il avait eu treize ans au mois de juin précédent. Il s’inséra dans
la vivante communauté des jeunes de la « maison annexe de l’Oratoire »,
composée de cent vingt étudiants et de quatre-vingts apprentis. C’étaient
tous des jeunes issus du milieu populaire, accueillis gratuitement ou
presque, très impliqués dans l’ambiance familiale et fervente créée par Don
Bosco. La présence active du saint parmi les jeunes, son action éducative
intense et motivante, ses relations aimables avec chacun, rendues intimes
dans le sacrement de la confession, créaient un environnement éducatif
unique, d’une grande efficacité. Don Bosco était secondé par le préfet, le
bon père Vittorio Alasonatti, et par une poignée de jeunes clercs qui avaient
grandi à l’Oratoire, imprégnés de sa vitalité et de sa méthode. Michele
Rua, Giovanni Cagliero, Giovanni Battista Francesia, Giovanni Bonetti,
Celestino Durando... avaient à peine quelques années de plus que leurs
camarades, mais grâce à leur action multiforme, à leur conduite exem-
plaire et à leur esprit de dévouement et de sacrifice, ils étaient le ferment
efficace de la maison, et des modèles admirés par les plus jeunes.

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Les années de formation (1845-1868) 15
Dans la maison de Don Bosco on respirait une atmosphère spirituelle
intense, mais sans excès. Giovanni Battista Lemoyne écrira, à partir d’un
témoignage de Don Albera lui-même: « À l’Oratoire, les grandes vertus
étaient cachées. Au milieu d’un environnement d’idées spirituelles, où
abondaient les surprises continuelles d’événements et de songes à caractère
surnaturel, les prédictions, les révélations des consciences et les annonces
des futurs décès, qui semblaient exalter toutes les fantaisies, il n’y avait
parmi les jeunes éduqués à l’Oratoire ni visionnaires, ni maniaques
religieux, ni bigots, ni pusillanimes, ni superstitieux »2 .
Lorsque Paul Albera arriva à l’Oratoire, Don Bosco rassemblait la
documentation pour écrire la biographie de Dominique Savio, mort en
mars 1857. De nombreux compagnons avaient été témoins des vertus et
de la ferveur apostolique de ce merveilleux adolescent. Ils parlaient de lui
et essayaient de l’imiter. Le nouveau venu se sentit immédiatement à l’aise
dans cet environnement fervent et devint l’ami de plusieurs camarades,
dont l’exubérant Michel Magon.
C’est au cours de ces années que le collège interne de l’Oratoire se
consolidait. À l’automne de 1858, on ajouta une première classe de collège
aux petites classes de latin, et l’année suivante Don Bosco réussit à avoir
un collège au complet avec ses professeurs. Les trois premières classes
étaient confiées aux clercs Celestino Durando, Secondo Pettiva et Giovanni
Turchi, les deux dernières à Giovanni Battista Francesia.
À partir de ce moment, la section des étudiants devenait de plus en
plus importante. Presque tous les élèves étaient des aspirants au sacerdoce,
soigneusement sélectionnés, fort bien accompagnés dans leur formation
culturelle et spirituelle. Don Bosco suivait personnellement la croissance
de chacun, avec dévouement et constance, avec délicatesse et respect.
Albera en était fasciné.
Soixante ans plus tard, il se rappellera le pouvoir transformant de cet
amour: « Don Bosco nous aimait d’un amour de prédilection unique, très
personnel: on en restait fasciné de manière irrésistible... Encore main-
tenant, j’ai l’impression de sentir toute la douceur de sa prédilection à mon
égard au temps de ma jeunesse: j’avais l’impression d’être prisonnier d’une
puissance affective qui alimentait mes pensées... Je sentais que j’étais aimé
d’une manière que je n’avais jamais connue auparavant, très différente même
de l’amour très fort que me portaient mes inoubliables parents. L’amour
de Don Bosco pour nous était quelque chose de singulièrement supérieur
2 MB VI 971-972.

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16 Chapitre 1
à toute autre affection: il nous enveloppait tous et presque entièrement
dans une atmosphère de contentement et de bonheur, d’où les douleurs, la
tristesse, la mélancolie étaient bannies: elle pénétrait notre corps et notre
âme, si bien que nous ne pensions plus ni à ceci ni à cela, persuadés que le
bon père s’en occupait, et cette pensée nous rendait parfaitement heureux.
Oh! c’était son amour qui attirait, conquérait et transformait nos cœurs!... Et
il ne pouvait en être autrement, car de chacune de ses paroles et de chacun
de ses actes émanait la sainteté de son union à Dieu, qui est la charité
parfaite. Il nous attirait à lui par la plénitude de l’amour surnaturel qui
enflammait son cœur, et qui absorbait dans ses flammes, en les unifiant, les
petites étincelles de ce même amour que la main de Dieu suscitait dans nos
cœurs. Nous étions à lui, car en chacun de nous il y avait la certitude qu’il
était vraiment l’homme de Dieu, homo Dei, dans le sens le plus expressif
et le plus complet du terme. »3
Lorsqu’ils écoutaient les paroles de Don Bosco, quand ils le voyaient
prier et célébrer l’Eucharistie, ces garçons étaient captivés par l’énergie
spirituelle qui émanait de sa personne. « Étant entré tout jeune à l’Oratoire
– écrivait Don Albera en 1912 – je me souviens que dès les premiers jours,
en écoutant son petit mot du soir, je ne pouvais m’empêcher de me dire:
combien Don Bosco doit aimer la Vierge! Et qui parmi les anciens n’a pas
remarqué avec quel sentiment, avec quelle conviction il nous parlait des
vérités éternelles, et comment il est arrivé assez souvent qu’en parlant en
particulier des fins dernières, il était tellement ému qu’il en perdait la voix
? Et nous ne pourrons jamais oublier non plus avec quelle foi il célébrait la
sainte messe. »4
Paolino (comme l’appelait affectueusement Don Bosco) se confia au
saint éducateur avec une confiance illimitée et une docilité aimante. Et
celui-ci, conquis par la bonté d’âme et les qualités morales et intellectuelles
du garçon, lui témoigna en retour une confiance affectueuse. Don Bosco
devint l’ami de son âme. Il l’introduisit, étape par étape, dans les voies
de l’Esprit. Il lui apprit à s’abandonner à l’action intérieure de la grâce.
Il trempa son courage et modela son cœur avec discrétion et équilibre,
comme il avait su le faire pour Dominique Savio et pour tous ceux qui lui
ouvraient leur âme pour les aider à « se donner entièrement à Dieu ».
3 LC 341-342.
4 LC 98.

2.9 Page 19

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Les années de formation (1845-1868) 17
Parmi les salésiens des origines
On ne sait pas si le jeune Albera a fait partie de la Société de l’Im-
maculée, ce vivier de vocations salésiennes et cénacle de sainteté. Il est
certain qu’un an et demi après son entrée, le 1er mai 1860, sur proposition
de Don Bosco lui-même, il fut admis dans la Congrégation salésienne,
fondée en décembre 1859. Il n’avait pas encore quinze ans. Le mois suivant,
le manuscrit des premières Constitutions fut envoyé à l’archevêque Luigi
Fransoni pour approbation. La lettre d’accompagnement était signée par
Don Bosco, Don Alasonatti, Don Angelo Savio, le diacre Michele Rua et
les autres “salésiens”: dix-neuf clercs, deux coadjuteurs et un garçon, notre
Paolo, “élève de la première année de rhétorique”. « Nous, soussignés,
animés uniquement par le désir d’assurer notre salut éternel, nous nous
sommes unis pour faire vie commune dans le but de pouvoir nous occuper
avec plus de facilité de tout ce qui regarde la gloire de Dieu et le salut des
âmes. Afin de préserver l’unité d’esprit, de discipline et pour mettre en
pratique les moyens connus et utiles au but proposé, nous avons formulé
quelques règles à la manière d’une Société Religieuse qui, excluant toute
allusion à la politique, ne tend qu’à la sanctification de ses membres, surtout
par l’exercice de la charité envers le prochain… » 5
À partir de ce moment, Albera se sentit inséparablement uni à Don
Bosco, qui le traita avec une certaine prédilection parmi ses compagnons.
Peut-être présageait-il sa future mission. On peut le déduire d’un rêve qu’il
eut dans la nuit du 1er au 2 mai 1861: « Il vit son Oratoire du Valdocco
et les fruits qu’il produisit, la condition des élèves devant Dieu; ceux qui
étaient appelés à l’état ecclésiastique, ou à l’état religieux dans la Pieuse
Société, ou à vivre dans le monde; ainsi que l’avenir de la Congrégation
naissante. » Il vit en songe un vaste champ planté de légumes dans lequel
travaillaient les étudiants de Valdocco appelés à une vocation séculière. À
côté, dans un vaste champ de blé, il y avait ceux qui récoltaient et battaient
le grain, et qui représentaient ceux qui étaient appelés à la vocation ecclé-
siastique et religieuse. Au loin, on voyait une fumée noire s’élever vers le
ciel: « C’était l’œuvre - disait Don Bosco - de ceux qui ramassaient l’ivraie
et qui, hors de la limite du champ occupé par les épis, la mettaient en
tas et la brûlaient. Ils désignaient ceux qui sont spécialement destinés à
enlever les mauvais du milieu des bons, indiquant ainsi les directeurs de
nos futures maisons. Parmi ceux-ci se trouvaient D. Cerruti Francesco,
5 Em I 406

2.10 Page 20

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18 Chapitre 1
Tamietti Giovanni, Belmonte Domenico, Albera Paolo et d’autres jeunes
qui sont actuellement des étudiants des premières années du collège... Et je
vis parmi cette multitude de jeunes certains d’entre eux qui portaient une
lampe à la main pour donner de la lumière même en plein midi. Ce sont
ceux qui seront de bons exemples pour les autres ouvriers de l’évangile
et ainsi éclaireront le clergé. Parmi eux se trouvait Albera Paolo qui, en
plus d’avoir la lampe, jouait également de la guitare; et cela signifie qu’il
montrera le chemin aux prêtres, et leur donnera le courage d’avancer dans
leur mission. »6 Il est à noter que ces futurs « directeurs » étaient très
jeunes à l’époque: Belmonte avait dix-huit ans, Cerruti dix-sept, Albera
seize et Tamietti seulement treize.
Les chroniques de l’Oratoire rapportent que quelques jours plus tard,
le 19 mai, Francesco Serra, photographe amateur et ancien élève de l’Ora-
toire, voulut faire la photo de Don Bosco. Il le photographia d’abord seul,
puis au milieu des jeunes Albera, Jarach, Costanzo et Bracco, et finalement
avec plus de cinquante élèves. Deux jours plus tard, « il le photographia
encore en train de confesser: les pénitents les plus proches étaient Reano,
Albera et Viale; beaucoup d’autres étaient en retrait en train de se préparer.
»7 Cette photo est toujours conservée, symbole éloquent de la confiance
mutuelle entre le saint et l’adolescent qui sera son deuxième successeur.
En septembre 1861, à la fin du lycée, Albera se rendit à la Curie pour
l’examen avant la prise de soutane. On lit dans le registre des archives
archiépiscopales qu’il se présenta au Vicaire général avec les appréciations
de Don Bosco: « Excellent pour la piété. Excellent pour son intelligence.
A conclu la deuxième année de Rhétorique à l’Oratoire de S. François
». Albera réussit fort bien à l’examen de catéchisme et à l’examen de la
vocation. Il ne commit qu’une seule erreur de grammaire au test d’italien,
deux erreurs à l’épreuve de traduction latine, mais dans les deux écrits,
ainsi que à l’examen oral suivant, il obtint la note optime. Il fut admis
à prendre l’habit ecclésiastique « sous D. Bosco », c’est-à-dire sous sa
responsabilité de formateur, comme les autres clercs diocésains résidant
à Valdocco8 . Le rite de la prise de soutane fut célébré par son curé dans
l’église de None le 29 octobre. Don Abrate rêvait de l’avoir bientôt avec lui
6 MB VI 898 et 910.
7 ASC A008, Cronaca dell’Oratorio di S. Francesco di Sales n. 1, ms D. Ruffino,
61-62.
8 AAT 12.17.4 Elenco dei giovani aspiranti allo stato chiericale 1855-1867, année
1861.

3 Pages 21-30

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3.1 Page 21

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Les années de formation (1845-1868) 19
comme collaborateur.
En novembre 1861, il commença à suivre les cours de philosophie, qui
se faisaient dans une salle de classe du séminaire. Le reste du temps, il
était assistant des élèves de l’Oratoire et collaborait avec le préfet. Giulio
Barberis, entré à Valdocco cette année-là, se souvenait de lui: « Il était
plutôt calme et préférait marcher ou se retirer dans le bureau de Don Alaso-
natti qu’il aidait dans les petites choses. Il était très studieux et excellait à
l’école, révélant un grand talent et une grande volonté: mais il se distinguait
aussi par sa piété, de sorte qu’il était très aimé de Don Bosco. Il obéissait
sans réserve à Don Bosco et aux autres supérieurs »9 .
Au cours de ces deux années d’études philosophiques, il se laissa
façonner par Don Bosco, dont l’action formatrice à l’égard du premier
groupe de jeunes salésiens fut intense et singulièrement efficace, comme
il l’écrira lui-même cinquante ans plus tard: « Les plus anciens parmi
les confrères se rappellent avec quelle sainte habileté Don Bosco nous
préparait à devenir ses collaborateurs. Il avait l’habitude de nous réunir de
temps en temps dans son humble chambre, après les prières du soir, quand
tous les autres étaient déjà au repos, et là, il nous donnait une conférence
courte mais très intéressante. Nous étions peu nombreux à l’entendre, mais
précisément pour cette raison nous nous considérions heureux d’avoir les
confidences, d’être mis au courant des desseins grandioses de notre Maître
bien-aimé. Nous n’avions pas de difficulté à comprendre qu’il était appelé à
remplir une mission providentielle en faveur de la jeunesse, et nous n’étions
pas peu fiers d’avoir été choisis par lui comme instruments pour réaliser
ses merveilleux idéaux. C’est ainsi que peu à peu il nous formait à son
école, d’autant plus que ses enseignements avaient un attrait irrésistible sur
nos âmes, attirées par la splendeur de ses vertus ».10
Ainsi, dans le contact quotidien personnel et confidentiel avec l’extraor-
dinaire personnalité du Fondateur et ses vastes visions apostoliques, ses
fils se formaient spirituellement jour après jour. Lorsqu’il les jugea prêts, il
les réunit pour officialiser leur consécration religieuse. Nous possédons le
rapport rédigé à cette occasion: « 1862, 14 mai. Les confrères de la Société
Saint-François de Sales ont été convoqués par le Recteur et la plupart d’entre
eux confirmèrent leur adhésion à la Société naissante en prononçant formel-
lement leurs vœux. Cela s’est fait de la manière suivante: le Révérend Père
Recteur Don Bosco, en surplis, invita chacun à s’agenouiller et commença
9 Garneri 18.
10 LC 54-55.

3.2 Page 22

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20 Chapitre 1
la récitation du Veni Creator, qui s’est poursuivie en alternant jusqu’à la fin.
Après l’Oremus au Saint-Esprit, on récita les Litanies de la Sainte Vierge
avec l’Oremus. Puis on dit un Pater, Ave et Gloria à saint François de Sales,
en y ajoutant l’invocation propre et l’Oremus. Après cela, les confrères…
prononcèrent tous ensemble la formule des vœux, à laquelle chacun sous-
crivit dans un livre spécial. » 11
Ce fut un moment d’une grande intensité, une expérience spirituelle
et charismatique qui a marqué les participants. Le clerc Giovanni Bonetti
écrivait ce soir-là dans son carnet: « Ainsi nous avons fait nos vœux en grand
nombre selon le Règlement. Étant nombreux, nous avons répété la formule
ensemble à la suite du prêtre Don Rua. Après cela, notre Révérend Père
Don Bosco nous a adressé quelques mots pour notre tranquillité d’esprit
et pour nous donner plus de courage pour l’avenir. Entre autres choses,
il nous a dit: « ... Mes chers amis, nous vivons en des temps troublés et il
semble presque présomptueux en ces moments néfastes d’essayer de mettre
sur pied une nouvelle communauté religieuse, alors que le monde et l’enfer
travaillent de toute leur force à arracher de la terre celles qui existent déjà.
Mais peu importe: j’ai des arguments non seulement probables mais certains
que c’est la volonté de Dieu que notre société commence et continue… Je
n’en finirais pas ce soir, si je voulais vous raconter les actes spéciaux de
protection que nous avons eus du Ciel depuis les débuts de notre Oratoire.
Tout nous fait dire que nous avons Dieu avec nous et que nous pouvons
avancer dans nos entreprises avec confiance, en sachant que nous faisons sa
volonté. Mais ce ne sont pas seulement ces arguments qui me donnent bon
espoir pour notre société: il y en a d’autres plus importants, parmi lesquels
je rappelle que l’unique but que nous nous sommes fixé est la plus grande
gloire de Dieu et le salut des âmes. Qui sait si le Seigneur ne veut pas se
servir de notre Société pour faire beaucoup de bien dans son Église? D’ici
vingt-cinq ou trente ans, si le Seigneur continue de nous aider comme il l’a
fait jusqu’à présent, notre Société, répandue en divers lieux, pourrait même
atteindre le nombre de mille membres. Parmi eux, les uns seront adonnés
à l’instruction des milieux populaires au moyen de sermons, d’autres à
l’éducation des enfants abandonnés; d’autres à l’enseignement, d’autres à
la composition et à la diffusion de bons livres; bref, tous prêts à défendre
la dignité du Pontife romain et des ministres de l’Église. Que de bien on
fera! Pie IX croit que nous sommes déjà ordonnés en tout point: nous voici
donc ce soir en ordre, nous combattons avec lui pour la cause de l’Église,
11 ASC D868, Verbali del Capitolo Superiore (1859-69), 9-10.

3.3 Page 23

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Les années de formation (1845-1868) 21
qui est celle de Dieu. Prenons courage, travaillons avec cœur. Dieu saura
nous payer en bon patron. L’éternité sera suffisamment longue pour nous
reposer. » Nous avons observé, notait Bonetti à la fin, que ce soir-là Don
Bosco paraissait extraordinairement content, il avait de la peine à nous
quitter, nous assurant qu’il était prêt à passer toute la nuit en conversation.
Il nous raconta encore beaucoup de belles choses, spécialement sur les
débuts de l’Oratoire. »12
Assistant au petit séminaire de Mirabello (1863-1868)
En 1859, le gouvernement piémontais lança une réforme radicale de
l’école qui laïcisait l’enseignement public. Dans cette circonstance, les
évêques piémontais sentirent l’urgence de revitaliser leurs petits séminaires
pour assurer une solide formation chrétienne aux futurs prêtres. Au cours
de ces années de tensions politiques et de crise économique, ils n’avaient
pas les moyens de faire face à cette entreprise. Don Bosco se rendit immé-
diatement disponible pour aider son diocèse. Avec le consentement de l’ar-
chevêque Fransoni, exilé à Lyon, il obtint la charge d’organiser le petit
séminaire de Giaveno. Il nomma comme recteur un prêtre de confiance
et envoya un groupe de clercs élevés à Valdocco comme assistants. Les
années scolaires 1860-1862 furent très positives. Mais à la mort de l’ar-
chevêque, en mars 1862, des difficultés surgirent et le saint, pour éviter
des tensions avec les supérieurs de la Curie de Turin, se retira et remit au
diocèse un séminaire bien organisé et animé.
Cette expérience lui avait appris trois choses: que le moment était venu
d’exporter son expérience éducative; que celle-ci était nécessaire pour le
bien des jeunes, de la société et de l’Église; qu’à Valdocco il y avait des
jeunes salésiens imprégnés de son esprit et capables d’assurer le succès
de l’entreprise. Il avait également appris que dans les futures fondations,
il devait s’assurer une indépendance totale dans l’administration et l’or-
ganisation éducative et scolaire. L’occasion se présenta très vite avec la
demande d’ouverture d’un collège à Mirabello Monferrato, dans le diocèse
de Casale. Il pouvait compter sur un terrain et une maison mise à sa dispo-
sition par le père du salésien Francesco Provera. Il obtint la confiance et le
soutien inconditionnel de l’évêque, Mgr Luigi Nazari de Calabiana. On lui
laissait une grande liberté d’action. Don Bosco accepta immédiatement. Il
12 ASC A0040604, Annali III 1862/63, ms G. Bonetti, 1-6.

3.4 Page 24

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22 Chapitre 1
agrandit le bâtiment existant et présenta la nouvelle institution comme un
« petit séminaire » diocésain.
La composition du groupe des formateurs envoyés là le 13 octobre 1863
montre le courage et la confiance de Don Bosco en ses hommes. Il nomma
directeur Don Michele Rua, unique prêtre du groupe, à peine âgé de
vingt-six ans. Les autres étaient tous des jeunes clercs: le préfet Francesco
Provera (vingt-six ans), le directeur spirituel Giovanni Bonetti (vingt-cinq
ans), les assistants Francesco Cerruti (dix-neuf ans), Paolo Albera et
Francesco Dalmazzo (âgés tous les deux de dix-huit ans). Au cours des
semaines suivantes, on leur adjoignit quelques garçons de Valdocco, clercs
improvisés, âgés de quinze à seize ans. Cela pouvait sembler une opération
imprudente, mais la maturité de ce personnel était certainement plus élevée
que leur âge.
À Mirabello on ouvrit trois classes élémentaires et cinq classes secon-
daires. Les problèmes d’organisation, de nature éducative et didactique,
furent résolus progressivement grâce à la solidité du groupe et à l’œuvre
de Don Rua, qui sut reproduire chez lui l’esprit et l’ambiance familiale de
Valdocco. Don Bosco lui avait remis une lettre-mémoire avec des orien-
tations spirituelles, des règles de gouvernement et des orientations péda-
gogiques, considérée comme le document capital du système préventif
salésien13 . Une version, agrandie en 1870, intitulée Souvenirs confidentiels,
sera remise par le saint aux salésiens envoyés pour diriger les nouvelles
fondations.
Albera vécut cinq années merveilleuses et laborieuses à Mirabello. Il
assistait les élèves dans la salle d’étude, au réfectoire, dans la cour et au
dortoir. Il faisait la classe et étudiait en même temps la théologie. Un travail
surabondant pour lui et pour ses compagnons, mais soutenu par un esprit
généreux de sacrifice et par l’enthousiasme, avec la joie d’avoir été choisi
par Don Bosco pour mener à bien ses projets.
Pour surmonter l’opposition des autorités scolaires qui ne voulaient pas
accorder la reconnaissance légale de l’école, Don Bosco demanda à Albera
et aux autres de préparer l’examen de qualification. Le 10 octobre 1864,
Paolo passa avec succès l’épreuve en vue de l’enseignement élémentaire
et le 10 décembre de l’année suivante, il obtint le diplôme de professeur
du secondaire à l’Université royale de Turin. Il aurait pu, comme Cerruti
et Dalmazzo, poursuivre le parcours universitaire jusqu’à l’obtention du
diplôme, mais il ne voulut pas « par peur de nuire à sa vocation et à sa vertu
13 Em I 613-617

3.5 Page 25

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Les années de formation (1845-1868) 23
», comme il le confiait à son ami Don Giovanni Garino.
En septembre 1865, Don Michele Rua fut appelé à Turin pour remplacer
Don Alasonatti qui venait de mourir. Tous souffrirent de ce départ à cause
de l’amitié spirituelle qu’ils avaient avec leur directeur et confesseur. Il
fut remplacé par Don Giovanni Bonetti, un prêtre de vingt-sept ans, qui
continua dans le sillage tracé par Rua sans rien changer, de sorte que le
climat de Mirabello n’en fut pas affecté.
Don Bosco visitait souvent le petit séminaire, rencontrait les confrères,
parlait aux élèves, communiquant à tous son enthousiasme. Chaque année,
il réunissait les salésiens au cours de la retraite, occasion précieuse pour
une direction spirituelle plus incisive. « À partir de 1866 – écrit Don Albera
– Don Bosco commença à nous réunir à l’occasion des exercices spiri-
tuels, de sorte que son action pouvait s’étendre sur une échelle beaucoup
plus vaste. Chaque année, profitant de cette bonne occasion, nous avions
la possibilité de nous réunir et de nous compter, et c’était pour nous un
grand réconfort de voir que nous étions de plus en plus nombreux. Au
cours de ses instructions, si pleines de pensées saintes et exposées avec
une onction ineffable, le bon père ouvrait continuellement de nouveaux
horizons à nos esprits étonnés, rendait nos résolutions toujours plus géné-
reuses et renforçait notre volonté de rester toujours avec lui et de le suivre
partout, sans aucune réserve et au prix de n’importe quel sacrifice. »14
Le saint appréciait la générosité de ses jeunes collaborateurs. Don
Giacomo Costamagna, futur évêque missionnaire, raconte: « Le soir du 3
mai 1867, dans le train, de retour à Turin, Don Bosco m’ouvrit son cœur et
se réjouit des nombreuses grâces que le Seigneur lui accordait, surtout de lui
avoir donné de jeunes collaborateurs pleins de talents. Il nomma Durando,
Francesia, Cagliero, Cerruti, Bonetti, Albera, Ghivarello, etc... Et il disait:
« Un tel est un bon grammairien, un autre un homme de lettres, un autre
un musicien, un tel est un écrivain, un autre un théologien, un autre un
nouveau saint... » Pour certains d’entre eux, il annonça les capacités singu-
lières dans lesquelles ils se distingueront plus tard, mais que personne ne
pouvait alors entrevoir »15 .
Pendant ce temps, Paolo Albera ajoutait à son travail éducatif l’étude
de la théologie. Avec l’approche du temps des ordinations, le curé de None
insistait de plus en plus pour l’avoir auprès de lui comme coadjuteur de la
paroisse. Il n’avait pas compris que la congrégation fondée par Don Bosco
14 LC 55.
15 MB VIII 773.

3.6 Page 26

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24 Chapitre 1
était une congrégation religieuse, non une simple société ecclésiastique.
Comme le raconte Lemoyne, Don Abrate « avait remué ciel et terre pour
que le clerc Paolo Albera, son paroissien, entre au séminaire et lorsque
celui-ci, professeur au collège de Mirabello, fut proche des ordinations
sacrées, il fit tout pour arriver à ses fins... Bref, disait-il, le séminaire est
pour les clercs, et c’est là qu’ils doivent avoir leur instruction: et pourquoi
Don Bosco les garde-t-il dans son Oratoire? Je veux mon clerc Albera pour
moi et non pour Don Bosco. »16 Il alla se plaindre au Vicaire général du
diocèse, insista auprès de Don Bosco lui-même, mais à la fin il comprit que
Paul avait décidé de répondre à un appel spécial du Seigneur. Il se résigna
et ne fit plus aucune pression sur lui.
16 MB VII 1004-1005.

3.7 Page 27

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25
Chapitre 2
PRÉFET À VALDOCCO ET DIRECTEUR À GÊNES
(1868-1881)
Don Paolo Albera parmi les orphelins de Sampierdarena
Ordination et premières années de sacerdoce
Le nouvel archevêque de Turin, Mgr Riccardi di Netro, opposa une
forte résistance avant d’accorder les lettres dimissoriales pour l’ordination
des salésiens de son diocèse. Il était préoccupé par la pénurie de prêtres et

3.8 Page 28

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26 Chapitre 2
voulait que les clercs de Don Bosco rejoignent le clergé diocésain. Fina-
lement, face à la décision de ces jeunes et aux raisons avancées par Don
Bosco, il céda. Au fond, lui fit remarquer le saint, la plupart des séminaristes
diocésains venaient précisément des instituts salésiens de Valdocco et de
Lanzo Torinese, et il avait besoin de ces jeunes pour continuer à fournir de
bonnes vocations au clergé séculier. Le 25 mars 1868, dans l’église de l’Im-
maculée Conception adjacente à l’évêché, Mgr Riccardi conféra les ordres
mineurs à Paolo Albera, Giacomo Costamagna et Francesco Dalmazzo,
et le sous-diaconat trois jours plus tard. Il les consacra diacres le 6 juin
suivant.
Paul se prépara aux ordinations avec une grande ferveur. On a conservé
de lui un petit carnet de notes écrites lors de la retraite préparatoire au
sous-diaconat (18-28 mars 1868). Sur la page de titre on lit: « Votre Cœur, ô
mon aimable Jésus, n’est ouvert que pour me préparer un asile: ici je courrai,
ici je trouverai la paix et j’espère que je ne m’en éloignerai plus. Doux
Cœur de mon Jésus, fais que je t’aime toujours plus! » Après la première
méditation, il nota: « Après ce sermon, que Dieu dans sa souveraine bonté a
daigné me faire écouter, je retirerai les fruits suivants: 1. Je penserai souvent
à mon néant; 2. J’aurai souvent à l’esprit la grandeur et à la toute-puissance
de Dieu. Et avec ces deux pensées bien arrêtées, j’espère, ô mon Jésus, qu’il
ne m’arrivera plus de vous offenser par des péchés d’orgueil, et que toutes
mes actions auront pour but votre plus grande gloire. Je veux graver dans
mon esprit et sur chacune de mes actions ces mots: Tout pour Jésus ». À
la fin de la retraite, Don Bosco lui suggéra quelques « souvenirs »: « Il y
a trois vertus en particulier qui doivent orner la vie d’un prêtre: charité,
humilité, chasteté. Tu observeras la première en ayant un amour noble pour
tous, évitant les amitiés particulières, évitant toute parole, toute action qui
te déplairait si elle était faite ou dite à toi. Tu observeras l’humilité en
regardant tous tes compagnons comme supérieurs à toi, pour pouvoir les
traiter ensuite comme tes égaux en toute charité. Tu te souviendras de tes
péchés, tu n’oublieras pas l’humilité et la douceur du Cœur de Jésus, et tu
seras vraiment humble. Tu observeras la troisième en travaillant le plus que
tu pourras et en tout pour la gloire de Dieu, en priant de tout ton cœur et
avec foi, avec la tempérance dans la nourriture et une grande mortification
des yeux. »1
Deux mois plus tard, il fit encore dix jours de retraite (18-28 mai 1868)
pour se préparer à l’ordination diaconale. Il écrivit: « Je commencerai
1 Garneri 35-36.

3.9 Page 29

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Préfet à Valdocco et directeur à Gênes (1868-1881) 27
mes exercices en imprimant bien dans mon esprit ce que mon directeur
spirituel m’a dit en confession. Je dois faire attention aux petites choses,
car ce sont déjà des défauts très graves en face de la bonté de Dieu, et qui
nous privent de grandes grâces; et aussi parce qu’elles conduisent géné-
ralement à des fautes graves. C’est ce qu’avec l’aide du Seigneur, j’obser-
verai toujours et en tout, mais surtout quand il s’agit de la modestie. Je
fuirai toute relation trop intime, tout regard, tout écrit, tout geste de la
main qui pourrait offenser cette belle vertu. Cœur de mon Jésus, le plus
pur de tous les cœurs, rendez-moi semblable à Vous. Vierge très pure,
Reine des vierges, qui avez tant fait et auriez fait encore bien plus pour
vous garder chaste, voici à vos pieds un misérable qui voudrait vous imiter,
mais ne le peut pas: aidez-moi en tout, attirez-moi tout à vous. Auxilium
Christianorum, ora pro nobis! » À cette occasion Don Bosco lui laissa de
nouveau quelques souvenirs: «1. Méditation le matin, visite au Saint-Sa-
crement pendant la journée, lecture spirituelle, même courte mais imman-
quable, vers le soir. 2. Accepter respectueusement tout conseil, et même
remercier ceux qui nous le donnent. 3. Avertir aimablement les compa-
gnons sans offenser personne, donner de bons conseils, travailler avec zèle
au salut du prochain. 4. Faire très attention aux petites choses, surtout en
fait de modestie ». Albera conclut sa retraite par cette invocation: « Sang
très précieux de Jésus-Christ, descendez, sinon sur cette feuille de papier,
mais surtout sur mon cœur, et mettez votre sceau sur mes résolutions.
Faites que le fruit de ces exercices soit constant et durable. Vierge très
Sainte, ne m’abandonnez pas jusqu’à ce que vous me voyiez au ciel à vous
louer pendant tous les siècles. Amen, Amen! »2
Le 9 juin 1868, le diacre Paolo Albera participa avec ses confrères et
les élèves de Mirabello à la consécration solennelle du sanctuaire de Marie
Auxiliatrice à Valdocco. Ce fut une expérience intense. Cinquante ans plus
tard, il rappellera les émotions du moment: « Je me souviens, comme si
c’était maintenant, du moment solennel où Don Bosco, tout rayonnant de
joie, mais les yeux voilés de larmes à cause d’une émotion profonde, gravit
le premier les marches du maître-autel pour célébrer le saint sacrifice de la
messe, sous le regard miséricordieux de sa grande Auxiliatrice... À ceux
d’entre nous qui étions déjà plus âgés, il n’a pas échappé combien le visage
de notre vénérable semblait presque transfiguré, et comme il était infa-
tigable quand il parlait de sa Madone; et nous avons gardé un souvenir
jaloux de ce qu’il nous dit dans cette circonstance, en lisant dans l’avenir,
2 Garneri 36-37.

3.10 Page 30

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28 Chapitre 2
sur les merveilles que Marie Auxiliatrice ferait en faveur de ses fidèles »3 .
Le même jour, Don Bosco invita Paul à se préparer à l’ordination sacer-
dotale. Il fut consacré à Casale Monferrato, le 2 août 1868, par la main de
Mgr Pietro Maria Ferrè, le nouvel évêque de ce diocèse. La veille, Don
Bosco lui avait dit: « Quand tu auras le bonheur de dire ta première messe,
demande à Dieu la grâce de ne jamais te décourager. » Bien des années
plus tard, lors d’une conférence aux salésiens, Don Albera confia: « Je n’ai
pas compris alors l’importance de ces mots: ce n’est que plus tard que j’ai
saisi leur pleine valeur. »
Le 19 septembre 1868, il prononça ses vœux perpétuels dans la maison
de Trofarello. C’est alors que Don Bosco le voulut avec lui à Turin. Il y
resta quatre ans, pendant lesquels il put « jouir de l’intimité de Don Bosco
et puiser dans son grand cœur ces précieux enseignements qui étaient
d’autant plus efficaces pour nous – écrira-t-il – que nous les voyions déjà
mis en pratique par lui dans sa conduite de tous les jours. » Vivant à ses
côtés, il restait persuadé que « la seule chose nécessaire pour devenir
son digne fils était de l’imiter en tout. » Aussi, suivant l’exemple d’autres
salésiens de la première heure, « qui reproduisaient déjà en eux la manière
de penser, de parler et d’agir de leur père », il s’efforça lui aussi de faire
de même4. Il avait vingt-trois ans. On lui confia la responsabilité de la
préfecture extérieure, avec la charge de recevoir les visiteurs et d’accepter
les élèves. C’était la personne la mieux indiquée. Ceux qui entraient dans
son bureau pour la première fois étaient conquis par son doux sourire et
ses manières délicates.
En janvier 1869, le Saint-Siège approuva définitivement la Société salé-
sienne. À son retour de Rome, Don Bosco fut accueilli triomphalement au
milieu des acclamations des salésiens et des élèves.
À l’occasion de l’ouverture du Concile Vatican I (8 décembre 1869),
Don Albera composa un hymne en l’honneur de Pie IX, que Giovanni
Cagliero mit en musique. Deux jours plus tard, il fut élu membre du
Chapitre supérieur, organe central du gouvernement de la Congrégation,
pour remplacer son ancien professeur, Don Francesia, nommé directeur
du collège de Cherasco. En tant que conseiller, il assista à un événement
important. Lui-même le racontera plus tard: « En mai 1871, Don Bosco
réunit le Conseil et recommanda de prier pendant un mois, afin d’obtenir
les lumières nécessaires pour savoir s’il devait s’occuper également des
3 LC 262.
4 LC 331.

4 Pages 31-40

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4.1 Page 31

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Préfet à Valdocco et directeur à Gênes (1868-1881) 29
jeunes filles, comme on le lui demandait parfois. À la fin du mois, il réunit
de nouveau le Conseil, demandant à chacun son avis; tous furent d’accord.
» Puis le saint ajouta: « Eh bien, maintenant nous pouvons être certains
que c’est la volonté de Dieu que nous nous occupions également des jeunes
filles. »
Au cours de ces années-là, d’autres décisions importantes furent prises
pour le développement de la Société salésienne: ouverture des collèges
d’Alassio (1870) et de Varazze (1871), agrandissement du collège de Lanzo
Torinese, transfert du petit séminaire de Mirabello à Borgo San Martino
(1870), fondation d’une maison d’accueil pour orphelins à Gênes-Marassi
(1871), acceptation du lycée de Valsalice (1872).
Fondateur de l’œuvre salésienne de Gênes
En 1871, les membres des Conférences Saint-Vincent-de-Paul de Gênes
proposèrent à Don Bosco d’ouvrir une maison d’accueil pour orphelins
dans leur ville. Ils étaient prêts à payer pour l’entretien des enfants et le
loyer de l’établissement. Le sénateur Giuseppe Cataldi mit une maison à sa
disposition pour 500 lires par an. Le bâtiment était situé dans le quartier
de Marassi, sur une colline à l’est, entre le centre-ville et le cimetière
de Staglieno. Ce n’était pas tout à fait adapté à l’objectif, mais le saint,
encouragé par l’archevêque, Mgr Salvatore Magnasco, accepta avec l’ap-
probation de son Conseil.
Don Albera y fut envoyé comme directeur, en compagnie de deux
clercs, de trois coadjuteurs et d’un cuisinier. Au moment du départ, Don
Bosco lui demanda s’il avait besoin d’argent. Il répondit que ce n’était pas
nécessaire, puisque l’économe lui avait donné 500 lires. Le saint répondit
que commencer une œuvre de charité avec ce montant était un signe de
défiance à l’égard de la Providence. Il se fit remettre la somme en question
et lui rendit une somme bien moindre, mais en lui confiant quelques lettres
pour les bienfaiteurs.
Ils partirent de Turin le 26 octobre 1871. À la gare de Gênes ils ne
trouvèrent personne à les attendre. Ils demandèrent des informations aux
passants et rejoignirent la maison prévue. Un agriculteur travaillait sur le
terrain adjacent. Il leur demanda qui ils étaient. Ils se présentèrent. « Ah,
vous êtes ceux des petits vauriens », répondit-il en les introduisit dans
le bâtiment totalement vide, dépourvu de chaises, de tables, de lits et de
provisions. Don Albera ne se laissa pas démonter. Il donna au cuisinier de

4.2 Page 32

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30 Chapitre 2
l’argent pour aller s’approvisionner en ville. En chemin, il rencontra une
caravane de mulets qui transportaient à la villa les produits de première
nécessité. Ils avaient été envoyés par le président de la Conférence Saint-
Vincent-de-Paul. Ce fut le premier signe de la Providence.
Les jours suivants, d’autres expéditions complétèrent ce qui manquait
pour démarrer cette œuvre, qu’on appela Hospice Saint-Vincent-de-Paul.
Arrivèrent les deux premiers orphelins, puis d’autres encore. Les débuts
furent difficiles, mais les bienfaiteurs ne manquèrent pas, à commencer
par les paysans des alentours. Domenico Canepa, qui habitait à proximité,
racontera cinquante ans plus tard: « Je me souviens quand Don Albera et ses
compagnons sont venus à Marassi. Nous regardions les nouveaux arrivants
avec une certaine méfiance. Peut-être en raison de la proximité de l’Institut
des petits vauriens dans la vallée du Bisagno, on affubla également de
cette qualification les premiers jeunes recommandés par la Conférence et
accueillis à Marassi; chacun cependant s’est vite convaincu que ce surnom
ne convenait pas du tout. À notre grand étonnement et avec plaisir, nous
constations une grande familiarité entre les supérieurs et les élèves: ils
conversaient et jouaient ensemble et le soir, sur la terrasse, ils chantaient de
belles louanges à la Madone, qui plaisaient énormément aux habitants du
quartier, et dont l’écho montait jusqu’au sanctuaire de la Madone du Mont,
situé presque en face de l’Hospice. Ce qui nous surprenait surtout, c’était de
voir ces jeunes jouer ou se promener au milieu des rangées de vigne, sans
céder à la tentation de détacher l’une ou l’autre des magnifiques grappes de
raisin: et malgré le grand nombre d’observations que nous avons pu faire,
nous n’avons jamais réussi à les surprendre dans cette faiblesse »5 .
Domenico Canepa était lui aussi un orphelin. Il aidait un de ses oncles
dans le travail des champs qui bordaient la maison salésienne. Un soir,
alors qu’il était appuyé contre la porte de l’Hospice, il sentit une main sur
son épaule. C’était Don Albera qui lui demandait en souriant: « Tu veux
venir avec moi? » Conquis par tant de cordialité, il répondit aussitôt: «
Oui, monsieur! » Quelques mois plus tard, lorsque l’institut fut transféré
à Sampierdarena, il entra dans la communauté et avec le temps il devint
salésien.
La première année, on accueillit une quarantaine de jeunes, autant que
la maison pouvait contenir. Ils étaient répartis en trois ateliers : tailleurs,
cordonniers et menuisiers. Don Albera, seul prêtre, célébrait, prêchait,
confessait et faisait la classe. Le petit nombre d’élèves lui permettait de se
5 Garneri 48.

4.3 Page 33

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Préfet à Valdocco et directeur à Gênes (1868-1881) 31
consacrer totalement à leur formation. Les résultats ne manquèrent pas:
ces garçons agités devinrent peu à peu polis, respectueux, travailleurs et
dévoués.
Don Bosco visita Marassi deux fois pendant l’année scolaire. Il se rendit
compte immédiatement que le bâtiment était insuffisant et situé dans une
zone périphérique avec peu de possibilités de développement. Avec le
soutien de l’archevêque, il découvrit un endroit plus approprié à Sampier-
darena. La gare en construction allait sans doute favoriser la transformation
industrielle de ce village, pour en faire un important centre commercial
bien relié à la Ligurie occidentale et à l’arrière-pays piémontais et lombard.
Monseigneur Magnasco l’aida à acquérir l’ancien couvent des Théatins et
son église délabrée, dédiée à saint Gaétan. Le couvent, supprimé en 1796,
avait été utilisé successivement comme entrepôt, caserne, hôpital, fabrique
de colle et écurie. Il n’y avait pas de cour. Don Bosco acheta un grand
terrain attenant. L’achat du bâtiment et du terrain et la restauration des
locaux entraînèrent une dépense de plus de soixante-dix mille lires: une
somme énorme qu’il put réunir grâce à la générosité des bienfaiteurs génois
sollicités personnellement par le saint avec l’aide du jeune directeur Don
Albera, dont l’amabilité et l’humilité avaient gagné la sympathie générale.6
Don Bosco n’épargna aucune dépense pour la restauration de l’église.
Il agrandit l’estrade de l’orchestre, installa un nouvel orgue, construisit
une grande sacristie. Sous la direction de l’architecte Maurizio Dufour
supervisé par Don Albera, on refit les plâtres, le toit, les portes et les
fenêtres, la corniche intérieure et les stalles du chœur. On mit en place de
nouveaux autels en marbre avec balustrades. Enfin, on aménagea un beau
sol en marbre.
Après le transfert à Sampierdarena (novembre 1872), le nombre des
élèves augmenta. Avec le service pastoral dans l’église publique le travail
d’Albera augmenta également. Au fur et à mesure que les travaux de restau-
ration se poursuivaient, les habitants du quartier commencèrent à affluer.
Ils aimaient les célébrations liturgiques bien soignées, avec les chants et
la musique, le groupe des enfants de chœur et les servants d’autel. Le tout
dirigé par le jeune et dynamique directeur, dont on appréciait la prédi-
cation, bien préparée, riche de contenus, convaincue et en même temps
mesurée. Un grand groupe de coopérateurs se forma autour de l’œuvre,
animé par Don Albera. L’archevêque Magnasco lui-même en faisait partie.
Leur contribution permit de développer l’institution. Avec l’augmentation
6 Garneri 54.

4.4 Page 34

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32 Chapitre 2
du nombre des demandes en faveur de jeunes défavorisés on dut construire
un nouveau bâtiment. L’archevêque bénit la première pierre le 14 février
1875. La construction fut achevée en deux ans. Aux trois premiers ateliers
on ajouta progressivement ceux des relieurs, des forgerons-mécaniciens,
des typographes et compositeurs. On ouvrit aussi des classes secondaires
pour les jeunes qui s’orientaient vers la vocation sacerdotale.
Grâce à son zèle industrieux et à l’amabilité de son caractère, Don Albera
réussit à reproduire à Sampierdarena le modèle et l’esprit de Valdocco.
Les anciens élèves de l’époque ont souligné à l’unanimité « son compor-
tement affectueusement paternel qui lui attachait toutes les âmes, la bonté
de son cœur qui le rendait très sensible aux divers besoins de ses enfants,
sa piété intense et vive qui édifiait et entraînait au bien, son esprit cultivé
et ouvert, prêt à percevoir les dispositions psychologiques de chacun et à
offrir à chacun son aide ». Le coadjuteur Carlo Brovia pourra écrire: « En
la personne de Don Albera il n’y avait pas seulement le directeur, mais
aussi un père très tendre. Très attaché aux élèves, il ne se lassait pas de
les exhorter et de les instruire sur leurs devoirs avec la charité de Don
Bosco. Et les jeunes répondaient pleinement à ses attentions, ce qui lui
apportait les plus douces satisfactions. Oh ! comme il savait susciter la
piété et quelle joie il manifestait lors des fêtes, quand il voyait un grand
nombre de communions ou quand il pouvait dire que la communion avait
été générale! »
En 1875, Don Bosco créa l’Œuvre des Fils de Marie Auxiliatrice, une
sorte de séminaire pour les vocations adultes. C’était une intuition brillante
et novatrice qui, au fil des années, devait fourni de nombreuses vocations
pour les diocèses et la Congrégation salésienne. Elle offrait un parcours de
formation plus rapide mais exigeant (on l’appelait l’école du feu), adapté aux
jeunes adultes qui n’avaient pas pu faire des études au cours de leur adoles-
cence. Comme l’œuvre n’avait pas pu être réalisée à Turin en raison de
l’opposition de la Curie, Don Bosco chargea Albera d’obtenir l’approbation
de Mgr Magnasco et d’en assurer la réalisation. C’était un bon choix. Au
cours de l’année scolaire 1875-76, l’Institut de Sampierdarena s’enrichit de
cette nouvelle section qui prospéra grâce au zèle apostolique et à l’énergie
spirituelle du directeur.
Le poids du travail devenait lourd, en même temps que les préoccupa-
tions quotidiennes pour faire face aux problèmes économiques et à l’insuf-
fisance du personnel. La santé du jeune directeur en souffrit. Les membres
du Chapitre supérieur s’en rendaient compte. Dans le procès-verbal de
la séance du 18 septembre 1875, nous lisons que Don Rua demanda aux

4.5 Page 35

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Préfet à Valdocco et directeur à Gênes (1868-1881) 33
conseillers présents « s’il convenait de le changer comme directeur de
Sampierdarena, car l’air du lieu lui semblait nocif et il ne jouissait plus
d’une bonne santé depuis environ trois ans. Quelqu’un proposa de faire
d’abord une consultation médicale pour voir si c’était vraiment l’air qui
pouvait lui nuire; mais tous furent d’accord pour dire que ce qui altérait
sa santé, c’étaient surtout les soucis. Il est tellement sensible, de plus il
n’est pas expansif et peut difficilement résister ». Don Albera était absent
à ce moment. On décida d’attendre son arrivée pour « l’interroger sur ce
qu’il jugeait bon pour sa santé »7 . La chronique ne dit rien d’autre. Il est
probable qu’il chercha à redimensionner les problèmes et se montra disposé
à continuer.
En novembre de cette année-là, la maison de Sampierdarena accueillit
le premier groupe de missionnaires en partance pour l’Amérique sous la
direction de Giovanni Cagliero. Ils arrivèrent le jeudi 11, à minuit. Les
deux jours suivants furent consacrés aux préparatifs du voyage et aux
formalités légales. Le dimanche suivant, on les accompagna jusqu’au port.
Don Bosco et Albera montèrent à bord du navire pour les adieux. Ce fut
une scène émouvante, racontée en détail par Don Lemoyne8 .
Le 2 février 1876, lors des Conférences annuelles de S. François de
Sales, au cours desquelles les directeurs se réunissaient pour informer les
confrères de l’état de leurs instituts, Don Albera présenta un rapport sobre
sur l’œuvre de Sampierdarena. La maison dit-il, est en pleine croissance,
les apprentis et les étudiants accueillis dans le nouveau bâtiment sont cent
vingt et bientôt leur nombre pourra « plus que doubler ». Les confrères «
travaillent beaucoup pour le bien des âmes ». Leur santé est bonne. « On
travaille beaucoup et on étudie également beaucoup. La piété des confrères
est si grande, surtout pour s’approcher de la communion, que beaucoup
ont été attirés à l’Église simplement par leur exemple. Nous avons même
eu la joie de ramener au bercail quelques brebis égarées, voire même déjà
enrôlées dans des sociétés secrètes: un tel, après avoir abandonné le péché,
agit maintenant en bon chrétien. Certains confrères vont aussi dans les
églises de la ville pour faire le catéchisme. Beaucoup de jeunes fréquentent
la maison les jours fériés et comme il n’est pas possible – bien que l’église
soit très grande – d’y faire le catéchisme et la prédication, étant pleine
surtout les jours de fête, on les conduit dans une salle, et après avoir fait le
catéchisme et un peu de prédication, on les porte à l’église pour la béné-
7 ASC D869, Verbali delle riunioni capitolari 1884-1904, 15-16.
8 MB XII 391-394.

4.6 Page 36

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34 Chapitre 2
diction eucharistique. La population est très contente et nous reçoit très
favorablement. Tous les matins, beaucoup font la communion, en parti-
culier les Fils de Marie, qui sont au nombre d’une trentaine »9 .
Le 6 février 1877, à la conférence générale des directeurs, c’est Don Rua
qui fit la présentation des œuvres salésiennes. De la maison dirigée par Don
Albera il dit: « Je dois parler avec un peu d’envie de la maison de Sampier-
darena, car elle menace de dépasser l’Oratoire. Il y a cinq ans, c’était une
masure, où quelques petites chambres servaient de salle de classe, de
chambre à coucher, de cuisine et de salle d’étude… Il y avait beaucoup
de demandes. Les externes étaient très nombreux. On avait besoin d’un
bâtiment correspondant aux besoins. À Sampierdarena, ville célèbre pour
son irréligion et sa franc-maçonnerie, c’était une entreprise risquée. La
Providence le voulait. Notre supérieur ne prêta aucune attention aux diffi-
cultés et entreprit la construction d’un beau et grand bâtiment pour les
internes et les externes. Il a été achevé il y a deux ans. En peu de temps le
nombre des jeunes a augmenté et ils sont maintenant 260 ou 300, presque
autant qu’à l’Oratoire. Cette augmentation est due également à l’Œuvre
de Marie Auxiliatrice, qui permet à des jeunes un peu plus âgés d’étudier
le latin pour fournir à l’Église et à la Congrégation de bons ministres
du Seigneur. Cette année, ils sont soixante-dix à Sampierdarena. Presque
tous ceux de l’année dernière ont pris la soutane et la plupart d’entre eux
sont entrés dans la Congrégation et sont ici à Valdocco. Sampierdarena a
donné cette année quelques clercs, dont quelques-uns sont au séminaire,
d’autres sont ici parmi nous. Cette année, on a lancé aussi l’Oratoire aux
jours de fête: un couloir a été transformé en chapelle pour le catéchisme
et la bénédiction. On leur donne également la commodité de s’approcher
des sacrements. Il faut noter également l’imprimerie, d’où sont sortis déjà
plusieurs bons livres, dont la diffusion fera beaucoup de bien à la popu-
lation »10 .
1877 fut une année mémorable pour Don Paolo Albera. Les Fils de
Marie augmentaient et les demandes d’acceptation se multipliaient même
après le début de l’année scolaire. Don Bosco voulait qu’on reçoive tous
ceux qui avaient les conditions requises, sans tenir compte du moment où
ils arrivaient. Le directeur était préoccupé par leur formation scolaire et par
le manque de personnel. Le problème fut débattu au Chapitre supérieur,
qui décida que les retardataires devaient être occupés aux travaux manuels
9 ASC A0000306, Discorsetti vespertini. Quad.1 1876, ms F. Ghigliotto, 19.
10 ASC A0000301, Conferenze e sogni 1876, ms G. Gresino, 52-54.

4.7 Page 37

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Préfet à Valdocco et directeur à Gênes (1868-1881) 35
et à un peu de classe préparatoire, jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment
nombreux pour former une classe à laquelle on affecterait un enseignant.
Dans les premiers jours de juin, débarquait à Gênes l’archevêque de
Buenos Aires à la tête d’un pèlerinage argentin à Rome. Don Bosco l’at-
tendait dans la maison de Sampierdarena. Lorsque Mgr Federico Aneyros
arriva, il était dans la sacristie pour l’action de grâce après la messe. Albera
voulut aussitôt l’avertir, mais le prélat l’arrêta: “On ne dérange pas un saint
pendant qu’il est avec Dieu après la sainte messe!” Et il attendit jusqu’à ce
qu’il revienne à l’église. Ce fut une rencontre émouvante11 .
Cette même année, Don Albera eut quelques ennuis à propos d’un petit
volume de Lectures catholiques sur les grâces accordées par Marie Auxi-
liatrice à ses fidèles, et imprimé dans la typographie de Sampierdarena. À
Turin, Mgr Gastaldi contestait l’opération, car il considérait que le droit
de juger de l’authenticité de prétendus miracles survenus dans une église
de son diocèse relevait de sa propre compétence. Il considérait que l’im-
primatur accordé par la Curie génoise était illégitime. Albera chercha à
négocier. Il rencontra plusieurs fois Mgr Magnasco pour l’informer des
véritables intentions de Don Bosco et contribua à apaiser les tensions entre
Turin et Gênes.
À la demande de Don Bosco, la typographie de Sampierdarena avait
été équipée de machines modernes très coûteuses. On fit d’énormes dettes.
Pour les payer, Don Albera organisa une loterie autorisée par le préfet de
Gênes, qui eut de bons résultats. Le 10 août 1877, le premier numéro du
Bulletin salésien sortait de la Typographie de l’Hospice Saint-Vincent-
de-Paul. On continuera de l’imprimer là jusqu’en septembre 1882, date à
laquelle les conflits avec Mgr Gastaldi s’étaient atténués.
Du 5 septembre au 5 octobre 1877, Albera participa au premier Chapitre
général de la Société salésienne. Il était membre de trois commissions
importantes: la troisième sur la vie commune; la quatrième sur l’organi-
sation des provinces et les devoirs du provincial salésien; la septième sur
les Filles de Marie Auxiliatrice. De retour à Sampierdarena, il accueillit
les missionnaires de la troisième expédition qui prenaient le bateau le
14 novembre. Il conduisit Don Bosco sur le bateau à vapeur Savoie pour
prendre congé. À cette occasion, il eut également la possibilité de rencontrer
sœur Marie-Dominique Mazzarello, qui avait accompagné à Gênes les
premières religieuses missionnaires.
La complexité de l’œuvre et les préoccupations liées à la gestion d’une
11 MB XIII 133.

4.8 Page 38

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36 Chapitre 2
communauté aussi diversifiée minèrent progressivement le physique de
son directeur. Don Bosco, qui connaissait sa sensibilité, se montrait très
délicat à son endroit. Il l’encourageait, le conseillait et le soutenait par des
lettres et des visites fréquentes. Mais malgré sa santé précaire, les années
passées par Albera à Gênes furent riches d’initiatives et de travail intense.
Il ne s’épargnait pas: chaque mois, il recevait les salésiens, les Fils de Marie
et des élèves pour un entretien; tous les quinze jours, il tenait la conférence
prescrite par les règles à la communauté; chaque matin, pendant la messe
communautaire, il se mettait au confessionnal; chaque jour, il adressait à
tous le petit mot du soir; le dimanche, il donnait l’explication de l’Évangile
le matin et l’instruction religieuse l’après-midi. Il se prêtait également au
ministère à l’extérieur, lorsque celui-ci était compatible avec ses engage-
ments prioritaires. Il rendait régulièrement visite à des bienfaiteurs et à
des coopérateurs, étant constamment harcelé par le cauchemar des dettes
à payer. Sa foi solide, sa confiance en la Providence et sa confiance en
Marie Auxiliatrice l’aidèrent à surmonter tous les obstacles. Souvent, les
confrères le découvraient dans le silence de la nuit, à genoux devant l’image
de la Vierge pour implorer la grâce de fournir du pain pour le lendemain.
« Il conquit tous les cœurs: toutes les portes des grands seigneurs génois et
des gens du peuple étaient toujours ouvertes à ce jeune prêtre si modeste et
si aimable dans son austérité »12 .
Don Raffaele Crippa, plus tard missionnaire parmi les lépreux de
Colombie, fut accueilli en mars 1879 par Albera parmi les Fils de Marie. Il
raconte: « Pendant deux ans, j’ai été chargé de le réveiller tous les matins
avant cinq heures, car en plus d’être le confesseur de ceux de la maison,
il confessait aussi de nombreuses personnes de l’extérieur, et son confes-
sionnal était assailli chaque jour. Un prêtre de la maison m’avait suggéré
que lorsque je savais que Don Albera était indisposé, je devais l’appeler
plus tard pour la messe des apprentis; mais dès que je mis en pratique ces
conseils, il m’ordonna d’être ponctuel et sans égard à l’heure indiquée... ;
quant au reste, lui-même y penserait... Il avait un sens très vif de l’esprit
de pauvreté. Un matin, il vint déjeuner avant les autres et, comme il n’y
avait pas encore le responsable, je me préparai à le servir. Pendant que
je préparais la place pour lui, j’ai laissé tomber par inattention un petit
morceau de pain par terre: il m’en avertit aussitôt et quand je l’eus ramassé,
il me demandé de le lui donner. J’ai hésité, mais il a insisté en me disant
qu’il mangeait plus volontiers les petits morceaux parce que cela lui
12 Garneri 68.

4.9 Page 39

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Préfet à Valdocco et directeur à Gênes (1868-1881) 37
épargnait un peu d’effort; et il ajouta avec un beau sourire: « Et puis, nous
sommes pauvres et nous ne devons rien dédaigner. » Ces derniers mots
m’ont convaincu: une conférence spirituelle ne m’aurait pas impressionné
davantage, et je n’ai jamais oublié cette petite leçon. »13
Une des principales préoccupations du jeune directeur était le souci
des vocations religieuses et ecclésiastiques. Pendant les années où il fut
directeur, la maison de Sampierdarena donna un bon nombre de futurs
prêtres diocésains et d’excellents salésiens, efficacement formés par sa
direction spirituelle.
13 Garneri 69.

4.10 Page 40

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38 Chapitre 2

5 Pages 41-50

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5.1 Page 41

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39
Chapitre 3
INSPECTEUR DES MAISONS SALÉSIENNES
DE FRANCE (1881-1892)
Don Paolo Albera, directeur de l’œuvre de Marseille et inspecteur
des maisons salésiennes de France et de Belgique
(1881-1892)
1881-1884
À l’automne 1881, Don Bosco le destina à diriger les institutions salé-
siennes de France. Il avait besoin d’un homme intelligent, prudent, parlant
couramment le français, pour développer l’œuvre salésienne dans ce pays
et adapter l’esprit et la méthode de Valdocco au caractère français. Début
octobre, Don Paolo Albera remit la direction de la maison de Sampierdarena

5.2 Page 42

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40 Chapitre 3
à Domenico Belmonte. Puis il alla à Turin pour rencontrer le Fondateur. Il
espérait qu’on lui épargnerait cette mission, qui lui semblait au-dessus de
ses capacités. « Comment? Tu n’es pas encore parti pour Marseille? – lui
dit Don Bosco – pars tout de suite! » Le saint projetait ce transfert depuis
un an, sachant qu’il devait vaincre l’opposition d’une grande bienfaitrice de
Gênes et d’autres personnes très attachées au directeur de Sampierdarena.
Il les avait préparées de loin, avec beaucoup de tact. Il avertit également
Albera d’arranger les choses pour qu’il puisse quitter l’œuvre sans trop
d’inconvénients.
Après avoir entendu l’ordre de Don Bosco, Albera retourna immédia-
tement à Gênes. Il présenta le nouveau directeur aux bienfaiteurs, en parti-
culier aux principales coopératrices réunies à la Villa Fanny Ghiglini. Puis
il partit. Au cours de ces dix années, il avait gagné l’estime et l’affection du
clergé génois, de la curie diocésaine et de l’archevêque. Le vicaire général
le salua tout en larmes, lui jetant les bras autour du cou: « Je perds un ami!
» Don Albera ressentit lui aussi la douleur de la séparation, mais il fit avec
générosité le sacrifice qui lui était demandé1 .
Il avait 36 ans lorsqu’il arriva à Marseille dans la deuxième quinzaine
d’octobre 1881. Les quatre maisons salésiennes de France – le Patronage
Saint-Pierre de Nice, l’Oratoire Saint-Léon de Marseille, l’Orphelinat
Saint-Isidore de Saint-Cyr-sur-Mer et l’Orphelinat Saint-Joseph de La
Navarre – avaient été détachées de la province de Ligurie pour créer une
circonscription indépendante sous la direction de Don Albera, nommé
inspecteur (provincial). Les confrères qui lui étaient confiés, à savoir
quarante-trois profès et seize novices, l’attendaient avec confiance. Don
Giuseppe Bologna, directeur de Marseille, écrivit à Don Bosco pour le
remercier: « L’expérience de Don Albera, sa bonté et ses vertus font que
nous attendons avec impatience le moment où nous l’aurons parmi nous. »
En France, ce n’était pas une période heureuse pour les communautés
religieuses. L’année précédente, le gouvernement français avait décrété
l’expulsion des congrégations non autorisées. À la fin de 1880, 260
couvents avaient été supprimés et 5643 religieux expulsés. Les salésiens
s’étaient installés en France sans l’autorisation officielle du gouvernement.
Don Bosco affirmait que les salésiens étaient une simple société de bienfai-
sance, dont les membres jouissaient de tous les droits civils. En attendant,
il assurait ses disciples de la protection de Marie Auxiliatrice: « N’ayez
pas peur. Vous aurez des problèmes, des tracas et des ennuis, mais ils ne
1 MB XV 455-456.

5.3 Page 43

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Inspecteur des maisons salésiennes de France (1881-1892) 41
vous chasseront pas! J’ai vu dans un songe la Madone étendre son manteau
sur nos maisons de France… » Les journaux anticléricaux de Marseille
avaient lancé une campagne houleuse contre les salésiens, mais à l’arrivée
d’Albera, les eaux s’étaient calmées.
Pendant deux ans, il accompagna Don Bologna dans la direction de la
maison, jusqu’au départ de celui-ci à Lille où il devait diriger la nouvelle
œuvre. Albera entra alors pleinement dans ses fonctions d’inspecteur et de
directeur, reprenant le genre de vie qu’il avait pratiqué à Sampierdarena.
Il multiplia ses efforts pour reproduire à l’Oratoire Saint-Léon le climat
qu’il avait connu à Valdocco pendant son adolescence. Il réussit. Il sut faire
grandir la vertu et la piété chez les jeunes. On en vit les fruits dans les
nombreuses vocations qui ont fleuri dans la maison pendant son séjour. Un
salésien français a pu écrire: « Il n’y eut peut-être jamais autant de vocations
qu’au temps de Don Albera, et ce furent ses anciens élèves qui se sont le
plus distingués par leur piété et la solidité de leur vie chrétienne. » Un autre
confrère, élève à Marseille à son arrivée, a raconté: « J’ai été très édifié par
le comportement modeste et humble de notre supérieur, par son sourire
constant et encourageant, ainsi que par ses manières douces et aimables
qui attiraient. À chaque récréation on le voyait parmi nous; mais il venait
également nous rendre visite dans d’autres lieux, notamment au réfectoire
et à la chapelle. Il parlait peu, mais sa présence suffisait à nous rendre
respectueux. Don Albera a été mon confesseur pendant tout le temps que
j’ai passé à l’Oratoire: il m’a fait progresser dans la vie religieuse et sacer-
dotale avec ses bons conseils et ses encouragements paternels, m’aidant
à surmonter les inévitables difficultés. Les membres de la Compagnie de
Saint-Louis et du Saint-Sacrement l’avaient fréquemment à leurs réunions
hebdomadaires et sa parole les incitait à la piété et à la vertu. »2
Il ne faisait qu’appliquer les « saintes industries » recommandées par
Don Bosco dans ses Mémoires confidentiels aux directeurs: connaître les
élèves et se faire connaître en passant le plus de temps possible au milieu
d’eux; glisser de temps en temps une bonne parole dans l’oreille; gagner les
cœurs par l’amabilité et les bonnes manières...
C’était un homme d’une grande piété, qui propagea la dévotion au
Sacré-Cœur qui lui était particulièrement chère. Albera aimait méditer les
auteurs spirituels français, en particulier les œuvres de saint François de
Sales. Ses talents, sa bonté et son zèle, ainsi que son amour de la jeunesse
et la sainteté de sa vie brillaient tellement aux yeux des Marseillais qu’ils
2 Garneri 80-81.

5.4 Page 44

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42 Chapitre 3
se mirent à l’appeler le petit don Bosco, comme s’il était la véritable
expression de son image.
Il fut reconnu également comme un bon supérieur. Ses compétences
organisationnelles, son activité ordonnée et intelligente et ses nombreuses
relations eurent des effets surprenants. Pendant les années où il fut
provincial, le nombre des maisons salésiennes en France passa de quatre à
treize, malgré le climat de suspicion et de persécution contre les religieux.
Le 7 janvier 1882, le fondateur lui écrivit: « J’espère être avec vous
pour la fête de saint François de Sales, afin que notre protecteur puisse
briser les cornes d’une foule de démons qui ne nous laissent pas en paix.
»3 Il tint parole. La présence du saint à Marseille permit d’acquérir deux
bâtiments attenants à l’Oratoire, précieux pour l’extension de l’œuvre. Don
Bosco resta jusqu’au 20 février. Albera ne le quittait pas un instant. En
présence du Fondateur, il tenait à rester à l’écart pour ne pas le mettre dans
l’ombre, tout en le suivant et en étant toujours avec lui dans les nombreuses
réunions.
Le 24 février, Albera envoya au cardinal Lorenzo Nina un rapport
impressionnant sur tous les prodiges dont il avait été témoin en accom-
pagnant Don Bosco, en particulier les nombreuses guérisons effectuées
avec la bénédiction de Marie Auxiliatrice. À cette occasion, il connut aussi
la générosité de la Providence, puisque les offrandes pour la maison de
Marseille dépassaient quarante-deux mille francs. En réponse, il augmenta
l’accueil gratuit des enfants les plus pauvres et en réduisant les pensions.
Madame Eudoxie Olive, bienfaitrice de la maison salésienne de
Marseille, demanda conseil à Don Bosco pour le choix d’un directeur
spirituel. Le saint se recueillit un instant, puis il répondit: « Prenez Don
Albera comme directeur: c’est un homme qui fait des miracles dans la
direction des âmes ! »4 Ce jugement flatteur est confirmé par la corres-
pondance avec les nombreuses personnes qui l’avaient choisi comme leur
guide spirituel. Il savait accompagner avec une prudence éclairée, avec
discrétion, une main sûre et, si nécessaire, avec énergie et fermeté.
L’année suivante, Don Bosco retourna en France. Le 29 mars 1883, dans
la chapelle de la maison de Marseille, il bénit la belle statue de Marie Auxi-
liatrice du sculpteur Gallard. Puis il donna une conférence aux coopérateurs
de la ville, recommandant l’œuvre dirigée par Albera, accablée de dettes
contractées pour la construction du nouveau bâtiment destiné à accueillir
3 MB XV 476.
4 Garneri, 79

5.5 Page 45

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Inspecteur des maisons salésiennes de France (1881-1892) 43
une centaine de jeunes pauvres. Après Marseille, il se rendit à Lyon et à
Paris, où il séjourna du 18 avril au 25 mai. Ce fut un voyage triomphal.
Pendant ce temps, à l’Oratoire Saint-Léon, le mois de mai était célébré avec
une ferveur particulière. Devant la statue bénite par Don Bosco, Albera
donnait chaque jour un court sermon passionné qui réchauffait le cœur
des jeunes. En juin, mois du Sacré-Cœur de Jésus, il prêcha avec une telle
ferveur qu’une coopératrice, séduite par ses réflexions, fit don à l’institut
d’une statue du Sacré-Cœur. Le 22 juillet, Don Albera la bénit solennel-
lement et fit une instruction sur la nature et l’importance de cette dévotion.
En septembre 1883, il participa au troisième Chapitre général qui se
tenait à Turin-Valsalice. Il fut membre de deux commissions: la troisième,
chargée de préparer le règlement des paroisses confiées aux salésiens, et
la cinquième qui étudiait « l’orientation à donner à la classe ouvrière dans
les maisons salésiennes et les moyens de développer la vocation des jeunes
apprentis ». Lors de la discussion de l’article relatif à la maison du noviciat,
il présenta « les difficultés de faire faire le noviciat aux aspirants français
en Italie, à cause de la langue, de l’instruction respective et surtout de
l’antipathie nationale ». C’est pourquoi on prit la décision d’ouvrir deux
noviciats en France, l’un pour les salésiens, l’autre pour les Filles de Marie
Auxiliatrice. Le noviciat salésien fut inauguré le 8 décembre de la même
année à Sainte-Marguerite, non loin de Marseille, sur une propriété offerte
par une bienfaitrice parisienne.
En raison de la renommée acquise par Don Bosco en France et en
Belgique, favorisée par l’action infatigable et zélée de Don Albera et
les bons résultats pédagogiques obtenus dans les œuvres salésiennes,
l’opinion publique catholique considérait la jeune Congrégation comme un
instrument providentiel offert à l’Église en un moment historique problé-
matique. C’est ainsi que les propositions de fondation se multiplièrent. En
janvier 1884, Don Albera reprit l’orphelinat de Lille, auparavant dirigé par
les Filles de la Charité, le confia à la direction de Don Bologna qui relança
l’école professionnelle. En décembre, il prit en charge le Patronage Saint-
Pierre de Ménilmontant, un quartier populaire de Paris, que Don Bosco
voulut appeler Oratoire Salésien Saint-Pierre et Saint-Paul.
Au début de 1884, Don Albera perdit sa mère bien-aimée. Il arriva à
None juste à temps pour assister aux funérailles. Il ne put rester longtemps
avec sa famille car on inaugurait à cette époque l’œuvre de Lille.
Cette même année, malgré les problèmes de santé, Don Bosco voulut
de nouveau visiter la France. Il arriva à Nice le 5 mars. Du 15 au 25, il
séjourna à Marseille. Albera chercha à lui assurer des moments de repos.

5.6 Page 46

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44 Chapitre 3
Il organisa également une consultation médicale avec le docteur Paul-Mat-
thieu Combal de l’Université de Montpellier, qui décela chez le saint un
état grave d’épuisement physique. Don Barberis, compagnon de voyage
de Don Bosco, a laissé ce témoignage: « C’est surtout dans ces circons-
tances que je me rendis compte à quel point Don Albera aimait Don Bosco:
que de délicatesse et d’attentions il portait à notre cher Père ! Il conduisit
Don Bosco pour une visite dans diverses familles qui nous invitèrent à
déjeuner; dans ces circonstances, Don Albera soutenait la conversation à
merveille, avec vivacité et délicatesse. »
En juin 1884, Marseille fut frappée par le choléra. Il prévint immédia-
tement Don Bosco, qui promit des prières spéciales pour les salésiens et
leurs élèves. Il assurait la protection à tous ceux qui portaient la médaille de
Marie Auxiliatrice, répétaient souvent l’oraison jaculatoire Maria Auxilium
christianorum ora pro nobis et fréquentaient les saints sacrements. Don
Albera communiqua les paroles du saint à tous les siens et personne dans
la maison ne contracta la maladie. Puis il écrivit au Fondateur pour l’in-
former sur l’extension du choléra, la fuite de Marseille de plus de cent
mille habitants et le nombre des morts dans la ville: de quatre-vingt-dix à
cent chaque jour. Il ajoutait: « Dans notre Oratoire, grâce à la protection de
Marie Auxiliatrice que vous nous avez promise, et grâce aux précautions
prises à temps pour éviter la contagion, nous n’avons pas eu un seul cas. Je
dirai mieux: quatre fois nous avons vu tous les symptômes du choléra sur
certains jeunes, mais pour notre consolation ces symptômes ont complè-
tement disparu en quelques heures… C’est un miracle de la Madone. Chez
nous, nous avons plus de cent cinquante jeunes qui ne partiront pas, soit
parce qu’ils sont de la ville même de Marseille, soit parce que leurs parents
ne peuvent pas les retirer. Même chez ceux qui sont partis chez eux, l’état
de santé est excellent et personne n’a encore été frappé par la terrible
maladie... Autre nouvelle consolante: aucun de nos bienfaiteurs et amis
jusqu’à présent n’est tombé malade. »5
En septembre, l’épidémie prit fin, laissant de nombreux orphelins sans
soutien. Albera en accueillit un bon nombre. Pour subvenir à leurs besoins,
il lança un appel aux coopérateurs français qui lui vinrent généreusement
en aide. Le 3 décembre, Don Bosco parla à Don Viglietti des problèmes
économiques du provincial de France: « Comme elle est grande la Provi-
dence! Don Albera m’a écrit qu’il ne pouvait plus continuer et qu’il avait
besoin tout de suite de 1000 francs; et une dame de Marseille, désireuse
5 Bulletin Salésien 1884, 91.

5.7 Page 47

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Inspecteur des maisons salésiennes de France (1881-1892) 45
de revoir un de ses frères religieux à Paris, heureuse d’avoir obtenu cette
grâce de la Madone, lui apporta le même jour les 1000 francs dont il avait
besoin. »6
1885-1888
Le 28 février 1885, des journaux français annoncèrent la mort de
Don Bosco. C’était une fausse nouvelle, mais elle produisit un grand
désarroi. Albera la démentit rapidement au cours d’une réunion des dames
patronnesses et leur fit part du désir du Fondateur de faire une visite à
Marseille aux alentours de Pâques. Cependant, le bruit qui avait couru sur
la mort de son père bien-aimé eut un dur impact sur sa santé fragile: « Ce
matin – écrivait Don Giovanni Battista Grosso à une bienfaitrice le 3 mars
– Don Albera a eu beaucoup de mal à dire la messe. Il ne peut presque pas
parler à cause d’un mal de gorge, et il n’a pas fermé l’œil pendant la nuit. Il
n’est pas au lit, car quand il est couché, les douleurs des reins, qu’il a depuis
longtemps, le font souffrir davantage. »
Don Bosco tint parole. Il arriva à Marseille le 3 avril, deux jours avant
Pâques et ce fut une grande fête pour tout le monde. Pendant tout son
séjour, Albera ne l’abandonnait à aucun moment. Le mercredi 8, il l’ac-
compagna à déjeuner chez la famille Olive. Après le repas, les cinq fils
et les quatre filles rencontrèrent le saint à tour de rôle et en privé pour
discerner leur vocation. Il fut édifié par la qualité spirituelle de ces jeunes.
Trois d’entre eux deviendront prêtres et deux seront Filles de Marie Auxi-
liatrice. Le vendredi 10, il rendit visite aux novices de Sainte-Marguerite.
Le dimanche 12, Albera organisa un déjeuner en l’honneur de Don Bosco
pour les bienfaiteurs de la maison salésienne. Dans son discours de circons-
tance, Monsieur Bergasse fit l’éloge des élèves de l’institut: « Ces chers
jeunes sont aimés et admirés de tous... Il suffit d’entendre comment ils
chantent, il suffit de les voir à l’église, respectueux, modestes, disciplinés,
pour dire: Voici les enfants de Don Bosco! » C’était un éloge indirect
de leur directeur, si attentif à l’éducation des jeunes et si capable de les
former au goût de la piété, à l’amour de la liturgie et du chant grégorien.
Don Grosso, maître de musique de la maison et fondateur de la Schola
cantorum de l’institut, a écrit à propos de Don Albera: « L’une des marques
de son esprit de piété était le grand souci qu’il avait pour la promotion
6 MB XVI 389.

5.8 Page 48

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46 Chapitre 3
de la dignité des fonctions sacrées, et il était heureux quand elles étaient
solennelles et pieuses, après avoir été soigneusement préparées. Il prenait
part volontiers lors des solennités aux offices de la paroisse Saint-Joseph,
où les jeunes de l’Oratoire de Saint-Léon à Marseille intervenaient pour le
chant et les cérémonies sacrées; il ne ménageait pas ses encouragements et
ses éloges aux élèves et aux enseignants. Il montrait tout son enthousiasme
et sa satisfaction à entendre les mélodies grégoriennes qui, précisément en
ces années et grâce au bénédictin Dom Joseph Pothier et à ses confrères de
Solesmes, furent ramenées à leur pureté et à leur expression primitives. »7
Le matin du 20 avril, Don Bosco partit pour Turin. Albera ne put
retenir ses larmes. Début juillet, l’Oratoire Saint-Léon fut frappé par une
épidémie de variole. Don Bosco l’assura de ses prières et les trente jeunes
malades furent guéris. Puis ce fut le retour du choléra. Albera écrivait à
Bonetti: « Je n’en peux plus… Je ne me sens pas de continuer ainsi jusqu’en
septembre… Mais que la volonté de Dieu soit faite. » Au souci de la santé
des élèves s’ajoutaient les problèmes économiques, toujours lancinants.
Comme la plupart des jeunes étaient des orphelins, leur entretien pesait
sur les épaules du directeur, constamment en quête de subsides.
À la mi-mars 1886, malgré sa faiblesse physique, Don Bosco se remit
en voyage pour la France par petites étapes. Il s’arrêta dans les maisons
de la Ligurie. Il arriva à Nice le 20. Lundi 29, il passa à Toulon. Il arriva
à Marseille le 31 mars. Les jeunes l’accueillirent au cours d’une séance
extraordinaire et lui offrirent mille francs pour l’église du Sacré-Cœur de
Rome, fruit de leurs économies. C’était une idée d’Albera. Le 7 avril, le
saint poursuivit son voyage et se rendit en Espagne, où il reçut un accueil
solennel. Le 8 mai, il retourna à Montpellier et de là il envoya une offrande
de dix mille lires à Albera pour les besoins de la province. Le 16 mai, il
retourna à Turin. Ce fut son dernier voyage en France.
Chaque visite de Don Bosco suscitait l’enthousiasme et stimulait le zèle
de ses fils. Cette année-là, Don Albera inaugura dans la maison de Paris
les ateliers des menuisiers, des tailleurs et des cordonniers, puis il bénit les
nouveaux bâtiments et les ateliers à Lille. En août, il convoqua à Marseille
autorités, amis et bienfaiteurs pour l’exposition des travaux des apprentis
et la distribution des prix. Après cet événement, il partit pour Turin où
se tenait le quatrième Chapitre général. Nous avons son témoignage sur
la méthode suivie durant les discussions capitulaires: « Chacun exposait
avec calme et délicatesse sa façon de voir, et à la fin de la discussion, on
7 Garneri 91.

5.9 Page 49

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Inspecteur des maisons salésiennes de France (1881-1892) 47
attendait que Don Bosco résolve les difficultés, décide des questions et
indique avec certitude et précision la voie à suivre. Ces assemblées étaient
comme une école, où notre Maître vénéré, sentant que le jour n’était pas
loin où il allait devoir quitter ses disciples bien-aimés, semblait vouloir
condenser en quelques mots ses enseignements et toute sa longue expé-
rience. »8
En 1887, Don Bosco, qui ne pouvait plus voyager, voulait cependant
rencontrer périodiquement Don Albera, le convoquant à Turin tous les deux
mois. Au cours de la dernière partie de l’année, celui-ci fut constamment
inquiet pour la santé de son père bien-aimé. Lorsqu’il prit congé de Don
Bosco à la fin de sa visite de novembre, il le vit pleurer et se plaindre parce
qu’il n’avait pas la force de lui dire tout ce qu’il aurait voulu. Ce fut une
séparation douloureuse pour tous les deux. Le 5 décembre, le saint célébra
sa dernière messe et le 21, il se mit au lit définitivement. Don Albera alla
lui rendre visite le 28 décembre. Il revint le 12 janvier. Il écrivit à Madame
Olive: « J’ai la chance de voir notre vénéré Don Bosco. Quelle consolation
et en même temps quelle peine! Il est extrêmement faible: il ne peut presque
pas s’alimenter et se repose très peu. Il faut prier pour lui; nous sommes
bien loin de constater les symptômes de la guérison désirée. » Puis il
raconta ce qui s’était passé entre eux deux lors de cette dernière rencontre:
« Après lui avoir fait part de la douleur de tous les enfants de Marseille
pour sa maladie, je lui ai parlé de nos chers bienfaiteurs et coopérateurs. Je
lui ai nommé plusieurs familles très attachées à son œuvre et entre autres
la famille Olive. Je ne pouvais pas lui laisser ignorer combien on avait prié
pour lui et que quelqu’un aurait voulu offrir sa propre vie pour obtenir sa
guérison. Le vénéré père me regarda en souriant, et après quelques instants
de silence, retenant à peine son émotion, il répondit: « Je sais qu’à Marseille
on aime beaucoup Don Bosco, et qu’on prie pour moi, et combien la famille
Olive est bonne pour moi: mais... mais... ». Cette réticence et le mouvement
de tête qui l’accompagnait m’ont fait comprendre qu’il n’y avait plus aucun
espoir de guérison. »
Albera n’eut pas la consolation d’être à Valdocco le 31 janvier 1888,
lorsque le saint expira. Don Bosco l’aurait voulu à côté de lui. Le 28 au soir,
il murmura à plusieurs reprises: « Paolino!... Paolino, où es-tu?... Pourquoi
ne viens-tu pas? » Don Grosso, vice-directeur de Marseille, a écrit: « La
dernière fois que Don Albera a vu Don Bosco, il eut le cœur brisé: il ne
pouvait se décider à rentrer en France, craignant de ne plus le revoir ; et
8 Lasagna 214.

5.10 Page 50

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48 Chapitre 3
Don Bosco comprenait lui aussi ce qui se passait dans l’esprit de Don
Albera et n’eut pas le courage de lui imposer ce sacrifice. C’est alors qu’un
de ses vieux compagnons et amis – Don Cerruti – intervint pour décider
Don Albera à partir, en l’assurant qu’il l’avertirait par télégraphe en cas de
danger. Fort de cette promesse, il partit; mais quand, le 31 janvier, il reçut
la nouvelle de la mort sans avoir été averti au préalable, il en souffrit énor-
mément. » Il arriva à Turin juste à temps pour voir le corps et participer
aux funérailles du 2 février. Très affligé, il retourna aussitôt à Marseille
pour la commémoration qui se fit le 8, dans la paroisse Saint-Joseph, avec
la participation de l’évêque, des chanoines de la cathédrale, des curés et des
représentants des ordres religieux.
La mort de Don Bosco ne freina pas le développement de l’œuvre salé-
sienne en France qui devint plus florissante sous l’impulsion de Don Albera.
Au cours des premiers mois de 1888, il lança une série d’initiatives qui
eurent de larges échos sur le plan pastoral. L’abbé Louis Mendre, curé d’un
quartier ouvrier de Marseille où vivaient de nombreux immigrés italiens,
lui demanda d’envoyer un prêtre tous les dimanches pour s’occuper d’eux. Il
envoya aussitôt un confrère pour prêcher et confesser en italien; souvent il
s’y rendait personnellement malgré sa santé précaire. Il accepta également
une demande de ministère pastoral en faveur des mineurs italiens de
Valdonne. Il voulut prêcher lui-même des missions aux ouvriers des usines
de Montredon pendant la période de Pâques. Il s’y rendait samedi soir et
confessait jusqu’à une heure tardive. Le dimanche, il se levait avant quatre
heures du matin. Il se rendait immédiatement au confessionnal. À cinq
heures, il célébrait la messe, distribuait la communion et concluait par une
brève exhortation et la bénédiction eucharistique. Il portait également une
attention particulière aux nombreux prêtres italiens arrivés à Marseille du
sud de l’Italie comme prêtres auxiliaires. Il leur prêchait des retraites en
italien et les aidait dans les moments difficiles par ses conseils et au moyen
d’aides matérielles. En raison de son zèle pastoral, de son amabilité, de
sa culture et de son « charme » spirituel qui attirait, il fut choisi comme
directeur spirituel par des prêtres français, par de nombreuses familles du
laïcat catholique de Marseille et par une grande partie des coopérateurs
salésiens. Nous en avons la preuve dans les lettres qui nous restent de lui,
et où se révèle la solidité de ses orientations spirituelles.
On lui doit en outre la fondation de nouvelles institutions salésiennes.
En février 1888, il ouvrit l’école d’agriculture de Gevigney en Bourgogne.
Dans les mois suivants, il trouva les fonds pour la reconstruction et la
modernisation des ateliers de la maison de Lille, qui avaient été détruits par

6 Pages 51-60

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6.1 Page 51

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Inspecteur des maisons salésiennes de France (1881-1892) 49
un incendie. D’autres œuvres virent le jour les années suivantes: Rossignol
en 1889, Dinan en 1890, quatre maisons en 1891: Liège (Belgique), Oran
(Algérie), Ruitz et Saint-Pierre-de-Canon.
1889-1892
Don Albera était devenu la référence du mouvement de coopération
salésienne en France et en Belgique. Lorsqu’en avril 1889 il fut convoqué
à Turin par Don Rua pour des affaires urgentes, son départ provoqua à
Marseille une forte émotion au sein du Comité des dames patronnesses.
Elles craignaient de le perdre. De Valdocco, il les rassura: « Il n’a pas été
question de changement. Ne craignez pas ! Ne craignez rien à cet égard. »
La secrétaire du Comité écrivit dans le procès-verbal de la réunion: « La
présence et l’expérience du Père Albera sont indispensables au milieu des
difficultés toujours nouvelles du moment présent. Envoyé par Don Bosco,
il continue et représente à l’Oratoire Saint-Léon sa sollicitude paternelle
et il semble que mieux que quiconque il attire sur nous sa protection
spéciale... »9
Il participa au cinquième Chapitre général en septembre 1889. Il fit un
rapport sur l’état des maisons de noviciat et fut membre de la commission
chargée de rédiger le règlement des maisons salésiennes. De retour en
France, il supervisa personnellement différents projets: la rénovation des
ateliers de Marseille, l’ouverture d’un nouveau patronage dans la ville, le
démarrage de l’Œuvre des Fils de Marie pour les vocations adultes, l’orga-
nisation de l’orphelinat agricole de Rossignol.
Lorsqu’en février 1890 Don Michele Rua entreprit son premier voyage
comme recteur majeur en France, Espagne, Belgique et Angleterre, Don
Albera l’accompagna à La Navarre, à Toulon, à Marseille et au noviciat.
En février 1891, Don Rua était de nouveau à Nice et il en profita pour
lui proposer le transfert du noviciat salésien dans l’ancienne abbaye béné-
dictine de Saint-Pierre-de-Canon. Le déménagement eut lieu le mois
suivant et la maison de Sainte-Marguerite devint le noviciat des Filles de
Marie Auxiliatrice.
Fin avril 1890, l’abbé de Solesmes, Dom Joseph Pothier, promoteur de
la réforme du chant grégorien, passa par Marseille. Il fut invité à la maison
salésienne pour tenir une conférence théorique et pratique sur la méthode
9 Garneri 117.

6.2 Page 52

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50 Chapitre 3
d’interprétation du chant liturgique. Le provincial voulut que les confrères,
les novices et de nombreux invités puissent y participer. L’événement eut
une large résonance. L’Oratoire salésien était célèbre à cette époque pour
la qualité de sa schola cantorum, inspirée précisément de la méthode de
Solesmes et dirigée par Don Grosso, qui avait fondé une schola similaire
dans la paroisse diocésaine de Saint-Joseph, et qui devint un modèle imité
dans d’autres paroisses et diocèses de France.
Le 1er juillet 1891, à Turin, mourait à l’improviste Don Giovanni Bonetti,
directeur spirituel de la Congrégation salésienne. C’était un ami intime
d’Albera depuis le temps du collège. Ils avaient partagé les années les plus
belles de leur jeunesse. Il avait été avec lui au Petit Séminaire de Mirabello
entre 1863 et 1868. Sa mort l’attrista beaucoup.
Le 15 août, Albera se rendit à Paris pour la pose de la première pierre des
nouveaux bâtiments de Ménilmontant, tandis qu’à Marseille trois salésiens,
tous anciens élèves de Saint-Léon, s’apprêtaient à prendre le bateau pour
ouvrir une nouvelle œuvre à Oran, en Algérie, la première sur le continent
africain. Albera rentra à Marseille et le 22 août, il prit congé d’eux en
exaltant devant un large public la beauté surnaturelle de l’évangélisation10 .
L’année 1892 fut également riche d’initiatives promues par lui: une
grande exposition professionnelle dans la maison de Nice; l’inauguration
d’un nouveau patronage dans cette même ville, avec la présence de Don
Rua; la prise d’habit des premières postulantes françaises au noviciat de
Sainte-Marguerite.
Au mois d’août s’ouvrit à Turin le sixième Chapitre général. Le soir
du 29, Don Albera fut élu à l’unanimité directeur spirituel général de la
Congrégation, en remplacement de Don Bonetti. La nouvelle fut accueillie
avec tristesse à Marseille. Madame Olive surtout fut attristée par la perte
de son guide spirituel. Don Albera lui écrivit une lettre qui révèle la qualité
de son ministère d’accompagnement:
« Je sais que vous êtes très attristée par ma nomination… Je sais
que votre bon cœur est blessé à l’idée de mon départ de Marseille.
Les paroles de consolation n’ont certainement pas de prise dans cette
circonstance... Je me limite seulement à vous dire, Madame, que le bon
Dieu ne sera pas très satisfait si vous agissez dans cette circonstance
comme une jeune femme dont la piété n’est pas encore bien formée et
la vertu bien établie. Vous avez atteint un certain âge; vous êtes la mère
d’une famille nombreuse que vous avez élevée avec la grâce de Dieu
10 Bulletin Salésien 1891, 180.

6.3 Page 53

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Inspecteur des maisons salésiennes de France (1881-1892) 51
dans la piété et la vertu; vous êtes la femme d’un grand chrétien. Votre
situation vous oblige à avoir un certain degré de vertu. Dans le cas
présent, vous devez démontrer cette vertu à tous, en vous soumettant
courageusement à la volonté de Dieu. Votre esprit doit l’emporter sur
votre cœur; surtout il serait étrange que vous montriez votre peine.
Du reste, je souffre moi aussi d’avoir à me séparer tôt ou tard de tant
de personnes que la Divine Providence a mises sur mon chemin pour
m’aider à faire un peu de bien. Le sacrifice est donc réciproque et il est
nécessaire que nous l’accomplissions de manière chrétienne méritoire.
Pour la direction de votre âme, Dieu ne vous laissera pas dans
l’embarras. Tout bon prêtre peut vous diriger aussi bien que le pauvre
Don Albera: il faut donc que vous vous fassiez un peu violence pour
mettre en pratique ce que je vous ai toujours recommandé. Approchez-
vous des sacrements avec confiance et ne croyez pas que le bon Dieu
vous demande des dispositions impossibles. Ils ont été institués pour les
hommes et non pour les anges qui n’en ont pas besoin.
Vous avez besoin d’une piété calme et confiante: abandon total à
la volonté du confesseur qui vous dirige au nom de Dieu. Je viendrai
bientôt et nous parlerons à notre aise, mais je veux une chose de vous :
vous trouver calme et résignée. Priez pour moi tous les jours: pour ma
part, je vous assure que la distance ne changera en rien mes pensées,
mes sentiments et surtout mes prières pour vous et votre famille »11 .
Le Comité des dames patronnesses le salua lors de la séance du 14
octobre, exprimant le profond regret de devoir le perdre. Il les réconforta
et les encouragea à préparer avec solennité le prochain 50e anniversaire de
l’œuvre salésienne. Il participa à ces fêtes, puis partit pour Turin. De là, il
écrivit une lettre qui nous fait comprendre combien il lui coûta de quitter
Marseille, un lieu et une communauté auxquels il était profondément
attaché: « Je suis arrivé à Turin pendant les belles fêtes de Noël: cela ne
pourra certainement pas me faire oublier Marseille: il me semble même
que comme les autres fois, je ne me retrouve ici que de passage et que je
dois repartir d’un moment à l’autre pour Marseille. Douce illusion, mais
la désillusion qui s’ensuit est parfois cruelle. Ici, cependant, je vis avec les
souvenirs de Marseille; à chaque instant tant de choses me rappellent votre
bonté et votre charité… »12 .
11 Garneri 124-125.
12 Garneri 126.

6.4 Page 54

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52 Chapitre 3
Lorsqu’il partit pour Turin, ceux qui l’accompagnaient à la gare se
rendirent compte de sa peine et le virent pleurer quand il quitta l’institut qui
lui était si cher. Dans le Bulletin salésien français, nous lisons ce résumé
des dix années qu’il avait passées en France: « L’Oratoire Saint-Léon de
Marseille a eu son Don Bosco, et c’est ce qui explique les merveilleux
progrès dont nous sommes les heureux témoins. Aimé de nos jeunes élèves,
vénéré par nos chers coopérateurs, conseiller éclairé de tous nos confrères
de France, ce fils de Don Bosco a été le moteur surnaturel grâce auquel tout
a pu avancer lentement sans incertitude (tant les obstacles étaient grands et
les difficultés sans cesse renouvelées) mais sûrement: ou pour le dire avec
les paroles du Saint-Esprit, avec suavité et force ».
Voici le secret de son succès en France: « C’était un homme d’action,
surtout d’action intérieure, a écrit le P. Louis Cartier après sa mort. La
formation spirituelle et surnaturelle de ses confrères et de la jeunesse fut
sans aucun doute sa plus grande préoccupation. Il se consacra très tôt à
l’étude des auteurs ascétiques et se forma aux meilleurs d’entre eux. Il avait
hâte de connaître tous les ouvrages ascétiques publiés par les meilleurs
auteurs et non seulement il les lisait, mais il les annotait et en extrayait les
pages les plus utiles pour ses conférences mensuelles à ses confrères et aux
diverses communautés religieuses. Dans les conférences solides qu’il faisait
fréquemment à ses confrères, il leur exposait la beauté, la grandeur et la
dignité de leur vocation et donnait du poids à ses paroles par son exemple
personnel, trouvant le temps, au milieu des nombreuses occupations,
de s’acquitter scrupuleusement des devoirs de la vie religieuse. Gardien
vigilant de la discipline religieuse, il visitait fréquemment les différentes
maisons et y faisait régner l’esprit de charité et de sacrifice du Fondateur: la
règle et le règlement étaient pour lui quelque chose de sacré, mais il voulait
qu’ils soient observés avec amour et avec joie. Il savait plaindre la faiblesse
humaine, si nécessaire, et excuser bien des petites choses inévitables »13 .
Don Albera avait le don de la paternité spirituelle et fut un guide efficace
sur le chemin de la perfection. Il fut le premier à mettre en œuvre dans les
maisons de France l’article des Constitutions qui recommandait, lors de
la journée de retraite mensuelle (à l’époque on l’appelait l’Exercice de la
bonne mort), une demi-heure de réflexion sur les progrès et les reculs dans
les vertus. Chaque mercredi, il rendait visite aux novices: il les écoutait,
les encourageait, les instruisait au moyen de sermons et de conférences, les
conseillait. Il fit de même avec les confrères des maisons, qu’il nourrissait
13 L’Adoption, décembre 1921.

6.5 Page 55

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Inspecteur des maisons salésiennes de France (1881-1892) 53
spirituellement et exhortait à être exemplaires et zélés dans leurs devoirs.
Il soigna avec amour la formation chrétienne des jeunes. Don Barberis en
était émerveillé: « J’ai entendu plusieurs fois la prédication de Don Albera
à Marseille et j’en ai été édifié ; j’ai admiré le côté pratique des choses qu’il
disait et le zèle dont il faisait preuve en encourageant les jeunes à la vertu...
Il avait un grand ascendant sur les jeunes, fruit non seulement de sa vertu,
mais aussi de la force persuasive et de la dignité de sa parole, qui reflétait
très bien son caractère fait à la fois de calme et de force. »
Il fut un promoteur passionné des vocations, comme en témoigne Don
Grosso: « Il choisissait les meilleurs parmi les élèves des classes supé-
rieures qui donnaient bon espoir de réussite... Il les réunissait souvent
en conférence, les admettait aux retraites des confrères, les aidait et les
conseillait paternellement, comme faisait Don Bosco à l’Oratoire de Turin.
Il favorisa également les vocations pour les Filles de Marie Auxiliatrice.
Les sœurs arrivées à Marseille en 1881 n’eurent pas la commodité d’ouvrir
un patronage dans leur maison provisoire pendant quelques années: Don
Albera pourvut également à cette œuvre... Il aménagea une maison suffi-
samment spacieuse pour les sœurs, afin qu’elles puissent ouvrir un patronage
qui, devenu très florissant, devint un vivier de vocations religieuses. » Pour
soutenir les œuvres, subvenir aux besoins des novices et des nombreux
orphelins qui lui étaient confiés par la Providence, il était constamment
en action dans la recherche de fonds. Il utilisait toutes les ressources de sa
créativité pour étendre l’action caritative des salésiens. Les coopérateurs
l’aimaient beaucoup, fascinés par ses talents, surtout par l’affabilité de son
sourire. Ils désiraient ses visites et appréciaient son agréable conversation,
« d’une certaine austérité qui, cependant, ne manquait ni d’élévation ni
d’humour à l’occasion, mais toujours édifiante, car il possédait le secret
d’élever à Dieu», rappelait le P. Cartier14 .
La décennie française avait été riche d’expériences et de culture. Le
contact avec divers cercles ecclésiaux et religieux, avec des personnalités
de la culture et de l’administration, avait enrichi ses compétences. Comme
provincial, Don Albera avait mené une action incessante de promotion de
la famille salésienne et de service pastoral: visites fréquentes aux maisons,
circulaires mensuelles, prédication de retraites, entretiens personnels
et conférences aux coopérateurs... Il se servait de tout pour former les
confrères à l’esprit salésien, augmenter leur foi, favoriser leur engagement
éducatif et caritatif, les orienter au service de Dieu et du prochain.
14 Garneri 130-131.

6.6 Page 56

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54 Chapitre 3
Par la direction spirituelle des salésiens et des sœurs, des jeunes et de
toutes les catégories de personnes, il était devenu un guide expert des âmes.
Il s’était particulièrement impliqué dans la prise en charge des novices et
des jeunes prêtres, afin de les façonner à la manière de Don Bosco et de
consolider leur vie intérieure. Les épreuves et les difficultés de toutes sortes
avaient fortifié sa piété personnelle et sa confiance en Dieu. Dorénavant le
Seigneur lui confiait la délicate mission de diriger spirituellement toute la
Congrégation.

6.7 Page 57

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55
Chapitre 4
DIRECTEUR SPIRITUEL
DE LA CONGRÉGATION SALÉSIENNE
Don Paolo Albera (deuxième à partir de la gauche, première rangée)
avec les membres du Xe Chapitre général (1904)
1893-1895
Dans les premières années de sa nouvelle charge, il se sentit un peu
perdu. Pendant vingt ans il avait été très actif. Il avait conduit une action
directe d’animation des personnes. Maintenant il se voyait contraint à une
vie plutôt retirée, avec peu de ministère pastoral.
Les Notes confidentielles, commencées en février 1893, rédigées en
français jusqu’en 1899 et en anglais à partir de 1903, révèlent ses senti-

6.8 Page 58

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56 Chapitre 4
ments et sa souffrance. Elles sont également un témoignage précieux du
travail incessant de perfectionnement de soi. Grâce à ce document spirituel,
nous pouvons le suivre pas à pas pendant les dix-huit ans de sa charge de
directeur spirituel de la Congrégation1 .
Le journal intime commence le 17 février avec cette annotation: «
Aujourd’hui commence le mois de saint Joseph: je me propose d’imiter ce
grand saint dans son union à Dieu. Quand pourrai-je dire: mortui estis et
vita vestra abscondita est cum Christo Jesu? (Col 3, 3) ». Quelques jours
plus tard, il se reproche « d’avoir passé la journée dans la dissipation », de
« s’être trouvé faible dans certaines luttes », de « n’avoir pas travaillé de
manière utile ». Mais il ajoute: « J’ai promis de ne faire vraiment que la
volonté de Dieu manifestée par mes supérieurs. Les autres ne rencontrent
pas que des roses sur leur chemin …, la vertu et la patience des autres
doivent te servir d’encouragement ». Le 27 février il commente: « Depuis
trois mois j’ai quitté Marseille. Je n’ai pas encore fait beaucoup de progrès
pour moi et rien, presque rien, pour les autres. » À la veille de la fête de
saint Joseph nous lisons une note de tristesse: « Je ne peux pas me défendre
d’une profonde mélancolie. Je pense à ce que je faisais les autres années en
ce jour! Combien je suis misérable! »2
Il accepta avec joie la mission de prêcher des retraites dans les maisons
de formation, à Foglizzo, Ivrea, Valsalice et San Benigno, même s’il était
convaincu qu’il avait « peu d’aptitude » pour ce type de ministère. Une
partie des notes de ses instructions ont été conservées ; les thèmes clas-
siques de la vie consacrée y sont rassemblés autour d’une idée fonda-
mentale: « Tout et seulement pour Jésus! »
Après avoir présidé le service funèbre en suffrage du prince Don
Auguste Czartoryski, le 27 avril 1893, il écrivit dans son carnet: « J’ai
beaucoup médité sur le grand sacrifice qu’il a fait pour être salésien: et
toi?... Quels sont tes sacrifices pour Dieu et pour le salut des âmes? Pense
souvent à la mort. Le prince Czartoryski m’a beaucoup édifié par sa
simplicité: il ne se souciait guère de son rang, de sa noblesse! Quelle leçon
pour ton orgueil! » Le lendemain, il célébra la messe en suffrage de Don
Angelo Savio, décédé en Équateur: « Une autre occasion pour réfléchir sur
moi-même. Mon Dieu! La mort approche pour moi aussi. Aurai-je fait un
1 ASC B0320101-105, Notes confidentielles prises pour le bien de mon âme, ms auto-
graphe P. Albera 1893-1899; B0320106-109, Notes usefull for my soul, ms P. Albera
1902-1910.
2 ASC B0320101, Notes confidentielles…, 17.02.1893.

6.9 Page 59

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Directeur spirituel de la Congrégation salésienne 57
peu de bien? Serai-je tranquille à ce moment-là ? » Le 29 avril, il assista
à la bénédiction de la tombe des salésiens au cimetière général de Turin:
« Là, écrit-il, il y a une place préparée pour moi! » La pensée de la mort
revient souvent dans ces premières années à Turin, chaque occasion la lui
rappelle, peut-être à cause de l’état mélancolique qui l’oppresse, peut-être à
cause des problèmes de santé qui commencent à le tourmenter. Le 6 mai: «
Aujourd’hui, j’ai médité sur la mort du mauvais prêtre: cela m’a épouvanté.
Mon Dieu! Aurai-je le malheur de me retrouver aussi mal dans ce terrible
moment? Je prierai beaucoup le bon Dieu de m’en préserver. Aujourd’hui,
je ressens beaucoup de mélancolie: je n’ai pas rejeté une pensée d’orgueil
qui en était la cause. J’ai trop pensé à Marseille. »
À la fin du mois, Don Rua l’envoya en France. Il arriva à Marseille le 29
mai. Il visita le noviciat de Sainte-Marguerite. « J’ai un peu trop satisfait
mon cœur, j’ai ressenti un peu trop de joie: l’affection pour cette maison doit
devenir plus pure. » Il parla aux sœurs de l’importance de la méditation:
la méditation quotidienne est plus utile, leur dit-il, que la communion elle-
même: en effet, celle-ci peut se faire même en état de péché, « alors qu’on
ne peut pas trouver une âme qui fait bien sa méditation et vit dans le péché
mortel. »3 Puis il prêcha la retraite aux novices et visita les différentes
maisons salésiennes du pays.
En juillet il se retira à Rivalta, près de Turin, pour rédiger le texte des
Délibérations du dernier Chapitre général et écrire une circulaire sur les
exercices spirituels. À cette époque, il avait commencé à lire les Médita-
tions pour les retraites du clergé de Don Cafasso, publiées par le chanoine
Giuseppe Allamano. Il en fut profondément marqué. Il écrivit dans son
journal qu’elles l’avaient convaincu de la nécessité de se consacrer exclu-
sivement au service du Seigneur. Entre août et septembre, il prêcha des
retraites aux salésiens prêtres, aux ordinands et aux confrères français.
Le 12 octobre, il accompagna Don Rua et Mgr Cagliero à Londres pour
la consécration de l’église de Battersea dédiée au Sacré-Cœur. À cette
occasion, il nota dans son journal la « nécessité d’apprendre l’anglais ».
Au retour, il visita les maisons de Belgique et présida les retraites des
confrères du pays. Il avait l’habitude de commencer par une instruction sur
l’importance des exercices spirituels: « Pendant la retraite, nous concen-
trons notre esprit, nous entrons au fond de notre cœur, nous sondons toutes
ses cachettes, et avec la grâce de Dieu nous en sortons avec un esprit et un
cœur renouvelés. Il est vrai que nous sommes occupés toute l’année dans
3 ASC B0320101, Notes confidentielles…, 29.05.1893.

6.10 Page 60

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58 Chapitre 4
les choses de Dieu...; il est vrai que des pratiques particulières de piété nous
sont prescrites, que la prière est notre pain quotidien... Oui, tout au long de
l’année nous travaillons pour Dieu, nous amassons des trésors de mérites;
mais hélas! nous sommes des hommes et c’est tout dire. Avec le temps,
notre ferveur perd de sa force, languit et glisse vers la tiédeur presque
par une inclination de la nature. » Il suggérait les dispositions spirituelles
indispensables : volonté résolue de bien faire les exercices; grand recueil-
lement uni au silence; observation exacte de l’horaire; confiance absolue en
Dieu; courage et générosité4 .
Le soir du 31 décembre 1893, il dressa un bilan spirituel de l’année
écoulée, soulignant les aspects qu’il entendait corriger: « Dernier jour de
l’année. J’ai réfléchi un peu sur le passé. J’ai été peu fidèle à ma vocation.
Voilà une année que j’aurais dû mieux employer. Toutes mes occupations
devaient me porter à la piété, à l’union avec Jésus-Christ. Tout ce que j’ai
vu cette année, en particulier chez Don Rua, était fait pour m’édifier et
m’encourager à bien faire. Ici, moins de souci pour les choses matérielles
qui absorbaient auparavant toute l’énergie de mon esprit: j’aurais donc
dû faire beaucoup plus de progrès personnels, combattre davantage mes
passions, me former davantage dans la spiritualité. Pourquoi ne l’ai-je pas
fait? Pour ce qui est de ma charge, je ne suis pas content non plus: j’ai
trop peur de souffrir, je n’ai pas encore entièrement surmonté ma timidité
excessive. Quelle tendance à me décourager, à voir en mal tout ce que je
fais, et (chose inouïe!) avec tant d’orgueil!... Je trouve aussi que mon cœur
n’est pas encore vraiment libre ni égal dans ses affections; il a encore trop
de sympathies et d’antipathies. Miserere mei, Deus… Je ne suis pas content
de moi. »5
Une mauvaise grippe le surprit dans les premiers jours de 1894. Il
en subira les conséquences sur toute l’année: faiblesse, maux physiques,
mélancolie. Malgré tout, il mena à bien les missions qui lui furent confiées
par Don Rua entre avril et juin: visite des maisons et prédication de
retraites en France, en Algérie et en Sicile. Il revint à Turin avec une santé
compromise et des maux d’estomac continuels. En septembre, il prêcha les
exercices aux ordinands.
En février 1895, il accompagna Don Rua en Terre Sainte. Ce fut un
voyage difficile mais enrichissant spirituellement. Ils débarquèrent à
4 ASC B0480111, Tutto per Gesù: Istruzioni per gli Esercizi Spirituali, ms aut. P.
Albera, 4-6.
5 ASC B0320101, Notes confidentielles…, 31.12.1893.

7 Pages 61-70

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7.1 Page 61

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Directeur spirituel de la Congrégation salésienne 59
Alexandrie en Égypte le 24 février et furent les hôtes des jésuites. Le 27,
ils prirent le bateau pour Jaffa. Don Carlo Gatti qui les accueillit, laissera
ce témoignage: « Dès la première conversation avec Don Albera, j’ai
compris que j’étais en présence d’un supérieur qui me parlait simplement
et écoutait volontiers mon histoire et mes expressions un peu fortes, dictées
par ma sensibilité peut-être excessive. Aussi j’ai placé toute ma confiance
en lui et j’ai commencé alors à lui écrire librement sans aucune crainte,
car j’étais sûr qu’il ne l’utiliserait que pour mon bien. Combien de fois
ma confiance en Don Albera et en sa bonté ont été mon réconfort, mon
salut! Don Albera possédait l’intuition qui manque à ceux qui n’ont pas
été à l’étranger pendant quelque temps: il a compris pourquoi je m’étais
consacré à l’étude des langues et il ne me l’a pas reproché, au contraire il
m’a encouragé à m’en servir pour faire du bien »6.
Au cours des semaines suivantes, ils visitèrent les lieux saints et les
œuvres fondées par le chanoine Antonio Belloni et qu’il avait confiées à
la Congrégation salésienne: Bethléem, Jérusalem, Crémisan et Beitgemal.
Don Albera eut la joie de pouvoir célébrer au Saint-Sépulcre, après avoir
servi la messe à Don Rua. Au cours du pèlerinage, il écrivit de nombreuses
lettres qui témoignent de l’émotion qu’il éprouvait à pouvoir prier et méditer
l’Évangile sur les lieux de la vie de Jésus.
À la fin du voyage, vers la fin mars, il s’arrêta en France pour la retraite
des novices. Le 23 mai, à Turin, il assista à la consécration épiscopale
de Mgr Giacomo Costamagna, élu vicaire apostolique de Mendez et
Gualaquiza en Équateur: « J’ai apprécié les cérémonies, j’ai réfléchi et je
me suis humilié en me comparant à lui, si méritant et si humble à la fois
»7 . Puis il repartit pour la France: il prêcha des retraites aux novices et
visita les confrères de Marseille et de Nice. Fin août, il était à Turin pour
les exercices des ordinands. En septembre 1895, il participa au septième
Chapitre général. Il présida la commission chargée d’étudier comment
rendre l’enseignement religieux dans les écoles salésiennes « plus sensible
aux besoins particuliers de notre temps et aux devoirs actuels d’un jeune
catholique ». Son expérience et son intuition intelligente des problèmes
auxquels les nouvelles générations devraient faire face, lui permirent de
suggérer des normes qui sont restées en vigueur pendant des années.
Après le Chapitre général, il intervint aux exercices spirituels de San
Benigno Canavese, puis il prêcha aux novices français. Il rentra à Turin à
6 Garneri 148.
7 ASC B0320101, Notes confidentielles…, 23.05.1895.

7.2 Page 62

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60 Chapitre 4
la mi-octobre dans un état de santé de plus en plus fragile: nuits blanches
et oppression l’après-midi. Le 7 novembre, il apprit la nouvelle de la mort
tragique de Mgr Luigi Lasagna, mort dans un accident de train au Brésil.
Il avait été son élève à Mirabello et lui était profondément attaché. Il en
fut bouleversé: « Au début, on ne voulait pas y croire. Ce missionnaire
intrépide, qui parcourait l’Amérique à pas de géant, semant des instituts
et des œuvres de religion et de civilisation; ce missionnaire qui ne disait
jamais « ça suffit », dont l’esprit rêvait encore bien d’autres desseins
merveilleux pour gagner des âmes à Dieu, pour sauver la jeunesse pauvre
et abandonnée; cet évêque sur lequel le Vieillard du Vatican lui-même avait
fondé tant de belles espérances apostoliques; cet apôtre qui était dans la
plénitude de sa force et de son action, tout faisait penser qu’il ne devait pas
mourir, qu’il ne pouvait pas mourir. Mais à la fin, il a fallu reconnaître la
réalité de cet immense malheur. »8 Le 4 décembre, lors du service funèbre
en l’église Marie-Auxiliatrice, Albera prononça un discours de commémo-
ration très apprécié. Don Rua lui demanda de rassembler la documentation
pour écrire sa biographie.
En décembre 1895, il dirigea la retraite des ordinands et nota dans son
journal: « Je suis encore loin d’être un bon directeur de retraites. Je veux
mieux travailler sur moi pour me rendre capable d’une charge aussi impor-
tante. »9 Il ne se sentait toujours pas à la hauteur, mais trente ans plus tard
l’un des participants laissera ce témoignage: « Dans les exercices de prépa-
ration à l’ordination sacerdotale, à Avigliana en 1895 (nous étions sept ou
huit ordinands), nous admirions non seulement son zèle, comme unique
prédicateur pendant dix jours, mais aussi la familiarité sympathique et
l’amabilité avec lesquelles Don Albera s’entretenait pendant ces dix jours
avec nous, faisant ce que Don Bosco a fait dans les premières années de
l’Oratoire avec ses premiers clercs. Et avec compassion et admiration nous
étions témoins de la sereine désinvolture avec laquelle il cachait les incon-
vénients du froid, de la nourriture et de la fatigue, alors qu’il était très
attentif pour que rien ne nous manque »10 .
Dans son bilan personnel du 31 décembre, Albera écrivait: « L’an 1895
se perd dans l’éternité. Pour moi, il a été riche de joies et de peines. J’ai
pu revoir la maison de Marseille, où j’ai laissé une grande partie de mon
cœur. De là, je suis allé en Terre Sainte et j’ai été édifié par la compagnie
8 Lasagna 8.
9 ASC B0320101, Notes confidentielles…, 8.12.1895.
10 Garneri 152.

7.3 Page 63

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Directeur spirituel de la Congrégation salésienne 61
de Don Rua. Quelle piété, quel esprit de sacrifice et de mortification! Quel
zèle pour le salut des âmes, et surtout quelle égalité d’humeur! J’ai vu
Bethléem, Jérusalem, Nazareth: quels doux souvenirs! J’ai pu participer au
Congrès de Bologne. J’en garde un souvenir inoubliable… J’ai pu prêcher
des retraites aux sœurs de France. Cela a été bon pour mon âme. J’ai pu
m’occuper des ordinands et j’ai été bien plus satisfait que les années précé-
dentes… J’ai écrit quelques pages sur Mgr Lasagna et on a eu la bonté
de les apprécier. Mais aussi l’année 1895 se termine sans que je me sois
corrigé de mes défauts les plus graves. Mon orgueil est toujours au plus
haut degré. Mon caractère est toujours difficile, même avec Don Rua. Ma
piété est toujours superficielle et n’exerce pas une grande influence sur ma
conduite, sur mes actions qui sont toutes encore humaines et peu dignes
d’un religieux. Ma charité est capricieuse et pleine de partialité. Je ne suis
pas mortifié dans les yeux, le goût, les paroles... Les maux physiques ont
beaucoup augmenté: je pourrais mourir à tout moment dans l’état où je
suis: ce n’est pas une idée, c’est la réalité, et j’en ai conscience. Je veux
commencer la nouvelle année en vivant mieux, pour mourir mieux. Je me
souviens d’avoir dirigé deux de mes confrères qui ont fait le vœu d’es-
clavage à Marie. Ils m’ont édifié par leur zèle et leur dévotion. Leur sang
a scellé leur engagement, et moi, qui ai eu l’air d’être leur maître et leur
directeur dans tout cela, je ne suis rien... Marie, ma mère, ne me permettez
pas la honte de me reconnaître inférieur en vertu à mes subordonnés:
donnez-moi un grand amour pour vous. Domina mea, numquam quiescam
donec obtinuero verum amorem erga te. »11
1896-1900
Il commença 1896 avec ce programme d’action: « Je veux à tout prix
progresser dans la piété, l’humilité et l’esprit de sacrifice ». Son état de
santé commençait à l’inquiéter. Le 19 janvier, il écrivit dans son journal: «
Aujourd’hui, je me sens mal. Mon Dieu, je me mets entre vos mains: que
votre volonté soit faite! J’accepte la mort au moment et à la manière que
vous voulez ». Le 31 janvier: « C’est le huitième anniversaire de la mort
de Don Bosco. J’ai pensé que je pouvais mourir moi aussi d’un moment à
l’autre avec mes maux. Suis-je préparé? Je ne pense pas: je dois donc me
mettre à l’œuvre ». Nous ne savons pas quels étaient ces maux. Le 7 février,
11 ASC B0320101, Notes confidentielles…, 31.12.1895.

7.4 Page 64

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62 Chapitre 4
il avoue: « Je ne sais pas me décider à en parler à Don Rua: en conscience
je me sens obligé… » Il lui en parla deux jours plus tard: « Je suis content
de m’être manifesté; quoi qu’il arrive maintenant, cela ne le surprendra
pas ». Il se fit examiner par le docteur Fissore le 10 février: « Il m’a fait
comprendre qu’il faut se résigner: je ne peux plus faire comme par le passé:
et il est inutile de tenter une opération »12 .
Le 28 février, Don Rua le chargea de rédiger le Manuel du Directeur. Il
ne put commencer à travailler que le 1er novembre, car il en était empêché
par la maladie et les absences fréquentes hors de Turin. Il commença à
collecter des matériaux dans les Constitutions salésiennes, les délibéra-
tions capitulaires et des lettres circulaires de Don Bosco et Don Rua. Il
accumula une énorme quantité de documents, mais le sentiment de son
incapacité et son souci de fidélité absolue à la tradition charismatique du
Fondateur prolongèrent le temps de la rédaction de l’œuvre qui ne verra
le jour qu’en 1915: « J’avoue candidement – écrira-t-il dans l’introduction
– que mêler mes pauvres conseils avec les enseignements de Don Bosco
et de Don Rua me paraissait presque une profanation; cependant, je l’ai
fait avec une certaine répugnance et uniquement pour me conformer aux
conseils et aux prières de quelques bons et respectables confrères »13 .
Entre mars et avril, il prêcha des retraites à Avigliana, à Ivrea et à
Foglizzo, où il remplaça pendant plusieurs semaines le directeur gravement
malade. « Il resta avec nous un certain temps – écrira Don Cimatti, alors
novice – il nous amusait avec des épisodes humoristiques de sa vie en
France. Il ne paraissait plus l’ascète, mais le plus affable et le plus généreux
des confrères. » Don Ludovico Costa ajoute: « Je me souviens de l’im-
pression favorable que faisait sur nous tous la parole édifiante, savante,
profonde de Don Albera, que tout le monde écoutait avec une attention et
un plaisir visibles... Ses manières fines et son comportement d’une grande
délicatesse, sa modestie et son humilité non dénuées de correction et de
dignité imposaient le respect tout en gagnant l’affection et la confiance
de ceux qui l’approchaient. Dans certains cas d’abus et de manquements
à l’observance qu’il corrigeait, et face à quelques confrères qu’il rappelait
efficacement au devoir, j’ai entendu des commentaires favorables sur son
énergie, car on était presque surpris de découvrir en lui, si délicat et si fin,
tant de fermeté et de force de volonté. »14
12 ASC B0320102, Notes confidentielles…, 31.01.1896.
13 Manuale 6.
14 Garneri 157.

7.5 Page 65

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Directeur spirituel de la Congrégation salésienne 63
Le 6 mai, il partit pour la France, où il resta jusqu’à la veille de la fête
de Marie Auxiliatrice. Le mal continuait à le tourmenter et le 3 juin, il fut
opéré à l’hôpital de Chieri. Après une longue convalescence, le 5 juillet, il
pouvait retourner à Valdocco. Dans les mois suivants, il prêcha des retraites
en Italie et en France.
Le dernier jour de 1896, il écrivit dans son journal: « L’année dernière,
ma santé était très mauvaise, et entre-temps j’ai senti que j’avais plus de
courage et d’énergie. Les différentes retraites que j’ai prêchées portaient
l’empreinte d’une certaine ferveur. Maintenant, à vrai dire, je vais mieux,
malgré un peu de misère, mais je manque d’énergie spirituelle... Au cours
de l’année, j’ai prêché deux séries de retraites à Avigliana, deux dans les
noviciats, deux pendant les vacances. Dieu m’a visiblement aidé… J’ai eu
la force d’obéir à Don Rua en subissant une opération douloureuse et la
grâce de Dieu m’a aidé: j’ai connu, du reste, combien ma nature est faible
et combien la souffrance lui répugne. Je suis allé à Marseille trois fois:
c’est extraordinaire. J’y suis allé peut-être trop volontiers: un peu de bien
a été fait, grâce à Dieu, partout et surtout au noviciat des salésiens et des
Filles de Marie Auxiliatrice. Je vous promets, ô mon Dieu, que je n’aurai
plus de préférences. J’irai là où vous voudrez, et je travaillerai volontiers
partout de la même manière… Pour la nouvelle année, j’aimerais obtenir
de Marie Auxiliatrice plus de courage et d’énergie. Je prierai également
pour avoir un peu de science sabida pour les besoins de ma charge. Mon
Dieu, comment supportez-vous un serviteur aussi stupide, aussi négligent?
J’ai honte de parler aux autres du zèle pour sauver les âmes, moi qui passe
ma vie à ne rien faire pour le salut des âmes. Alors, Marie, ma bonne et
douce Maman, donne-moi un peu de zèle. »15
Le 1er janvier 1897, il formulait les résolutions suivantes: « J’ai tracé aux
confrères le programme de l’année et je veux être le premier à le suivre:
1) Plus de bonne volonté d’éviter le péché, de correspondre aux grâces
de Dieu et d’avancer sur le chemin de la perfection. 2) Mieux servir la
Congrégation, ma mère, en pratiquant son esprit et en prenant à cœur ses
intérêts. 3) Travailler mieux au salut des âmes. Piété, humilité, sacrifice »16.
Malgré sa mauvaise santé, entre mars et juin, il prêcha diverses
retraites pour les jeunes salésiens à Avigliana, Foglizzo, Ivrée, Valsalice,
Sainte-Marguerite, Saint-Pierre de Canon et encore à Avigliana. En juillet,
il participa aux célébrations du jubilé de la maison de Sampierdarena,
15 ASC B0320102, Notes confidentielles…, 31.12.1896.
16 ASC B0320103, Notes confidentielles…, 1.01.1897.

7.6 Page 66

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64 Chapitre 4
œuvre qu’il avait commencée vingt-cinq ans plus tôt. Il en fut très heureux:
« Ce fut l’une des plus belles fêtes. Dieu a vraiment béni les efforts de Don
Bosco et de ses fils à Sampierdarena: 5000 élèves et 300 prêtres! » Puis il
continua en donnant des retraites aux confrères d’Italie et de Belgique. En
novembre, Don Rua l’envoya en France comme son représentant pour la
bénédiction d’une nouvelle maison des Filles de Marie Auxiliatrice.
En décembre, il prêcha de nouveau aux ordinands. Nous avons le témoi-
gnage de Don Terrone: « Quels beaux jours pour nous, ceux de décembre
1897! Don Albera présidait les exercices, prêchait trois fois par jour, passait
toutes les récréations avec nous, nous traitant avec une grande affabilité
et nous encourageant avec d’agréables anecdotes de la vie salésienne.
C’était un hiver très froid, mais nous ne pouvions pas penser au chauffage:
Don Albera en éprouvait de la peine pour nous, il nous plaignait, il nous
demandait si nous étions suffisamment couverts, si nous avions besoin de
quelque chose; comme le ferait la plus tendre des mères… Sa prédication
était bien préparée, élevée, toujours pleine de réflexion »17 .
Au cours de ce mois, son état de santé se détériora. Il pensait être parvenu
à la fin de son voyage sur la terre. Le 1er janvier 1898, il écrivit dans son
carnet personnel: « Cette année doit être particulièrement consacrée à me
préparer à la mort. Je la crains trop, et je n’ai rien fait pour me présenter
convenablement devant le divin juge. Cette pensée de la mort doit me faire
agir avec plus de ferveur dans les exercices de piété, avec plus de zèle dans
mes occupations ordinaires, et me faire fuir avec plus de délicatesse de
conscience tout péché, même véniel. Cœur sacré de Jésus, je Vous confie
ces résolutions »18 . Les annotations des semaines suivantes reflètent ses
efforts pour mettre en pratique ses résolutions. On y remarque une ferveur
constante, une activité joyeuse, une scrupuleuse délicatesse dans les plus
petits manquements.
Le 1er février 1898, il partit visiter les maisons de France, d’Espagne et
de Belgique. Il rentra à Turin le 10 avril, épuisé. Mais à peine deux jours
plus tard, il reprit la prédication des exercices. Dans les mois suivants, il fut
tourmenté par de grandes douleurs et par un sentiment de découragement.
Il avait également l’impression que Don Rua n’était pas satisfait de son
service. Il pensait que c’était la faute de son « amour-propre » et résolut de
se jeter « aux pieds de Jésus-Christ et de lui dire d’un grand cœur, comme
saint Augustin: Hic ure, hic seca, hic non parcas, dummodo in aeternum
17 Garneri 162-163.
18 ASC B0320104, Notes confidentielles…, 1.01.1898.

7.7 Page 67

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Directeur spirituel de la Congrégation salésienne 65
parcas (Seigneur, ici brûle, ici taille, ne m’épargne pas ici, pourvu que tu
me pardonnes dans l’éternité)... Jesu, fili David, miserere mei! » (31 mai).
En juin, il fut une autre fois en France et en Belgique. Il rentra à Turin
rasséréné et en meilleur état de santé: « Mon esprit est plus calme. J’ai
accepté avec plus de joie certaines choses qui m’auraient peiné auparavant
» (1er juillet). Le 30 août, lors du huitième Chapitre général, malgré le désir
d’être démis de ses fonctions, il fut réélu directeur général spirituel avec
deux cents voix sur deux cent dix-sept19 .
Du 4 au 7 septembre, il participa au troisième Congrès marial qui se
tenait à Turin. Il nota dans son journal: « Quand est-ce que j’aimerai moi
aussi la Sainte Vierge de tout mon cœur, comme tant de fidèles prêtres
et de séminaristes? »20 Le dimanche 18, il se rendit à Castelnuovo pour
l’inauguration du monument à Don Bosco. La santé s’était à nouveau dété-
riorée. Don Rua l’envoya se reposer à Marseille. Il dut rester au lit pendant
plusieurs jours et subir des examens médicaux. Il aurait aimé retourner à
Turin, mais le recteur majeur lui ordonna de rester encore en France. Peu à
peu, sa santé s’améliora. Il retourna à Valdocco pour Noël.
En janvier 1899, il entreprit la lecture d’une œuvre en trois volumes
récemment publiée, Le prêtre, de Romain-Louis Planus. Il l’apprécia
beaucoup et il se sentit encouragé à un zèle pastoral plus ardent. Le 8
janvier, après avoir médité sur l’importance du ministère de la réconci-
liation, il nota: « Combien cela me fait de bien de confesser: c’est alors
que je me sens prêtre et que je peux aider une pauvre créature à briser
les chaînes qui la lient au péché. Oh! si au moins je pouvais remplir un
peu mieux mon ministère sacerdotal! La lecture de Planus me remplit de
confusion: je connais si peu la dignité du prêtre… et je suis si loin d’en
posséder les vertus. »21 Les lectures spirituelles étaient sa nourriture inté-
rieure, elles lui offraient une matière substantielle pour la prédication et le
réconfortaient dans ses fatigues constantes et ses problèmes de santé.
Pendant ce temps, il essayait de continuer la biographie de Mgr Lasagna,
continuellement interrompue par la prédication d’exercices spirituels: entre
février et avril, il donna des exercices à Avigliana, Ivrea, Valsalice, San
Benigno et Nizza Monferrato. Puis il s’arrêta quelques jours pour rédiger
les actes du huitième Chapitre général. Il reprit la prédication durant les
mois d’été et d’automne. En novembre, Don Rua lui confia la mission
19 ASC B0320104, Notes confidentielles…, 31.05.1898; 1.07.1898; 30.08.1898.
20 ASC B0320104, Notes confidentielles…, 6.09.1898.
21 ASC B0320105, Notes confidentielles…, 8.01.1899.

7.8 Page 68

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66 Chapitre 4
d’exorciser une femme possédée par le démon. Il tenta plusieurs fois, mais
sans grand résultat. Le 18 novembre, il notait: « Le diable m’a beaucoup
humilié, mais il n’est pas parti. »22
A la mi-décembre il termina la rédaction de la vie de Mgr Lasagna. Elle
fut publiée au début de la nouvelle année sous le titre: Mgr Luigi Lasagna.
Mémoires biographiques. Ce livre de quatre cent cinquante pages lui avait
coûté beaucoup de fatigue et il n’en était pas entièrement satisfait. Il notait
dans son journal: « Je reconnais qu’il est facile de critiquer, mais il est
difficile de faire mieux que les autres! »
22 ASC B0320105, Notes confidentielles…, 18.11.1899.

7.9 Page 69

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67
Chapitre 5
LA VISITE DES MAISONS SALÉSIENNES
D’AMÉRIQUE (1900-1903)
Don Albera photographié avec une délégation de Bororos
(Cuiabá, mai 1901)
Argentine, Uruguay et Paraguay
À l’occasion du jubilé des missions salésiennes (1875-1900), Don Rua
chargea Don Albera, son représentant, de visiter les œuvres salésiennes
sur le continent américain. Le voyage dura deux ans et huit mois. Ce fut
une expérience importante qui mit à rude épreuve sa résistance physique.
Entre-temps, il fut remplacé au poste de directeur spirituel général par Don
Giulio Barberis, avec qui il resta en constante relation épistolaire au cours
de ses longs voyages. Ses lettres et celles de son secrétaire – publiées par
l’Istituto Storico Salesiano – sont un document éloquent de ce qui a été fait

7.10 Page 70

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68 Chapitre 5
au cours de ce voyage extraordinaire et éprouvant.
Don Albera quitta Turin le 7 août 1900. Il arriva à Barcelone par la
France et participa au premier Chapitre provincial espagnol. Le 16, son
jeune secrétaire Don Calogero Gusmano le rejoignit et le lendemain,
ils embarquèrent ensemble sur le bateau à vapeur Perseo. Ils arrivèrent
à Montevideo le premier dimanche de septembre. Les jours suivants, ils
visitèrent les œuvres salésiennes de la région. Les confrères l’accueillirent
avec joie et constatèrent qu’il parlait correctement l’espagnol.
Le mardi 11 septembre, ils partirent pour Buenos Aires. Ils furent reçus
par les salésiens et les jeunes des cinq maisons de la capitale. Ils restèrent
dans la région pendant un mois entier, visitant les œuvres de la ville et de
la province. Albera recevait les salésiens et les sœurs pour un entretien
individuel. Il reçut la visite des autorités civiles et ecclésiastiques qui lui
exprimèrent leur estime et reconnaissance pour l’activité des confrères
et des consœurs. Don Gusmano écrivit à Don Rua: « On fait des choses
incroyables pour Don Albera: les personnalités du lieu où il arrive viennent
le rencontrer, considérant comme une chance de faire personnellement sa
connaissance; des journalistes, des membres de la Cour suprême de justice,
des évêques viennent lui rendre visite et veulent qu’il les bénisse eux-mêmes
et le peuple dans leurs églises publiques, car Don Albera, disent-ils, est le
représentant de Don Rua et Don Rua a hérité tout l’esprit de Don Bosco »1 .
Le visiteur fut impressionné par le grand travail accompli par les
salésiens. Il confia à Don Barberis: « Tant à Montevideo comme ici
à Buenos Aires, nous avons vu des choses extraordinaires. La Provi-
dence s’est servie de notre humble Congrégation pour faire des choses
incroyables. Pour le moment, je regarde tout ce que je vois et entends, me
réservant de donner mon pauvre avis plus tard... En général, on fait bien les
pratiques de piété et on travaille avec beaucoup d’enthousiasme... Cela ne
veut pas dire qu’ici tout est en or pur; on y trouvera bien les misères inévi-
tables des pauvres enfants d’Adam, mais le bien est assez grand pour les
compenser amplement... Je crois que ma tâche sera plutôt de voir de mes
yeux le grand bien qui se fait et d’encourager à en faire toujours beaucoup
à l’avenir... Prie pour que je corresponde aux souhaits de Don Rua en m’en-
voyant en Amérique »2 . Il nota tout de suite quels étaient les points névral-
giques: « Ici, je suis de plus en plus émerveillé par le bien qui a déjà été
fait: mais l’abondance de la moisson et la rareté des ouvriers me font peur.
1 BS 1990, 338.
2 L 78.

8 Pages 71-80

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8.1 Page 71

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Visite des maisons salésiennes d’Amérique (1900-1903) 69
C’est quelque chose dont les membres du Chapitre peuvent difficilement
se faire une idée : maisons importantes sans préfet, avec un catéchiste
peu qualifié, occupé régulièrement à faire la classe; maisons remplies de
centaines de jeunes avec un personnel enseignant réduit et même pas un
coadjuteur; personnel de service payé et sans esprit de piété; paroisses avec
peu de prêtres pour confesser, prêcher, faire la classe, tout cela, c’est chose
courante. Le besoin de personnel est extrême »3 .
Le 12 octobre, ils partirent pour la Patagonie. Ils furent accueillis à Bahía
Blanca avec tous les honneurs. Albera y inaugura la section des anciens
élèves. Les jours suivants, il se rendit à Fortín Mercedes, à Patagones, à
Viedma, voyageant en partie en train, en partie sur des moyens de transport
inconfortables ou à cheval. Ils retournèrent à Buenos Aires le 8 novembre,
où le visiteur participa au deuxième Congrès américain des coopérateurs
salésiens. Le jour de l’Immaculée Conception, il était à San Nicolás de los
Arroyos pour l’inauguration du nouveau collège et de l’église. Il prêcha aux
nombreux quinteros, paysans propriétaires qui participaient à la cérémonie
avec leurs familles.
Le 20 décembre, ils retournèrent à Montevideo. Ils restèrent trois
semaines en Uruguay. Ce furent des jours de travail inlassable: prédication,
confessions, entretiens avec chacun des confrères, du petit matin à la fin de
la soirée. Ici, comme dans tous les lieux visités au cours de ce long voyage,
Albera rencontra les coopérateurs, les bienfaiteurs et les personnes liées à
la communauté locale. Il voulait rendre visite aux élèves dans leurs classes,
dans les laboratoires et dans les locaux de l’Oratoire. Les jeunes étaient
captivés par le charme spirituel qui émanait de sa personne, ils l’entou-
raient d’affection et d’admiration. Beaucoup demandaient à être entendus
en confession et il était heureux de s’y prêter. Le secrétaire le note: « C’est
incroyable de voir comment le révérend Don Albera sait gagner l’affection
des jeunes ; je n’avais jamais eu l’occasion à Turin d’observer cela car il
ne descendait jamais à la récréation... Beaucoup de jeunes se rendent dans
la chambre de Don Albera, lui demandant de les confesser; ils parlent de
lui avec enthousiasme; quand il descend à la récréation, il est entouré de
presque tous ces jeunes »4 . La même chose se produisait lors de la visite
des œuvres des Filles de Marie Auxiliatrice. Il suscitait la vénération et la
confiance chez les religieuses et chez les filles internes et externes.
Du 26 au 28 janvier 1901, on célébra à Buenos Aires le premier Chapitre
3 L 106.
4 L 82.

8.2 Page 72

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70 Chapitre 5
sud-américain des directeurs salésiens. Don Albera les encouragea à être
des exemples et des guides dans la fidélité à l’esprit de Don Bosco. Dans la
préface des Actes, il écrivit: « Au fur et à mesure que je visite les maisons
salésiennes d’Amérique, je sens grandir en moi l’estime et l’affection que
je ressentais déjà pour vous. Si j’admire de plus en plus l’œuvre de Don
Bosco et si je suis fier d’être son fils, j’admire aussi les vertus de nombreux
salésiens d’Amérique et je suis édifié par les sacrifices qu’ils s’imposent
pour la gloire de Dieu et pour le salut de âmes. Le nombre de ces vrais fils
de Don Bosco augmentera de plus en plus; les fruits de leurs travaux seront
immenses si on observe scrupuleusement les Constitutions que Don Bosco
nous a données et les délibérations des Chapitres Généraux. Avec la grâce
du Seigneur, les recommandations du Premier Chapitre d’Amérique feront
également un peu de bien. »5
Le 31 janvier, en compagnie de Gusmano, le visiteur mit le cap sur la
Terre de Feu. Il fit une étape à Montevideo et arriva à Punta Arenas le 10
février, après une violente tempête. Il y resta cinq jours, puis il continua vers
l’île Dawson et la mission Candelaria. Là, il resta dix-huit jours et prêcha
les exercices spirituels aux missionnaires et aux religieuses. Il retourna à
Punta Arenas à la mi-mars. Puis il visita les missions de Mercedes et de
Paysandú en Uruguay. Il y passa la semaine sainte à prêcher et à confesser.
En avril, il revint à Buenos Aires, puis s’embarqua pour le Brésil en
compagnie de Don Antonio Malan.
Brésil, Chili, Bolivie et Pérou
Le voyage dura vingt-deux jours sur des bateaux très encombrés et
inconfortables. Le 7 mai 1901, il arriva à Cuiabá, la capitale de l’État du
Mato Grosso. Une foule de gens et cinq cents élèves, garçons et filles des
œuvres salésiennes, l’attendaient sur le quai du port, au son de la fanfare
salésienne et de celle de la marine. Ils l’accompagnèrent au collège. Il
reçut la visite de l’évêque, du président de l’État et d’autres autorités. Les
quarante jours de séjour au Mato Grosso furent remplis de réunions et
de ministère sacerdotal. Lors de la fête de Marie Auxiliatrice, il reçut la
profession religieuse de quatre nouveaux salésiens locaux et de quelques
sœurs et bénit l’habit de cinq novices. Il rencontra également un groupe
d’indigènes bororo venus pour obtenir du président de l’État d’être sous-
5 Garneri 185.

8.3 Page 73

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Visite des maisons salésiennes d’Amérique (1900-1903) 71
traits à l’autorité militaire et confiés aux missionnaires salésiens. Il visita
également la mission de Corumbá. « Quel bon esprit règne dans cette
province salésienne, écrivit le secrétaire. En aucune autre je n’ai trouvé
autant d’harmonie, autant de soumission aux supérieurs, autant d’esprit
salésien, et des salésiens autant aimés des coopérateurs... Don Malan est
un vrai salésien, très capable d’être provincial, très attaché aux supérieurs.
Quelle consolation ce serait pour Don Luigi Nai et Don Bertello, s’ils
voyaient les coadjuteurs de cette maison: ce sont des modèles de piété et
de travail. »6
À cette époque, il n’y avait pas encore de liaison ferroviaire avec São
Paulo. Don Albera a donc dû redescendre le fleuve Paraguay sur « un bateau
à vapeur de 14 mètres de long et au milieu de cent vingt-deux vaches et
de millions de moustiques qui nous dévorèrent », notait le secrétaire7 . Il
visita Concepción et le 29 juin il arriva à Asunción, où il célébra la messe
en présence de l’évêque, avec cent quarante premières communions. Les
jours suivants, il continua vers Buenos Aires. De là, il put embarquer pour
Montevideo et regagner de nouveau le Brésil.
Il débarqua à Santos le 14 juillet, accueilli par l’inspecteur Don Carlo
Peretto. En train il se rendit à São Paulo, à environ quatre-vingts kilo-
mètres, puis Lorena, d’où il entreprit la visite de la province brésilienne
qui durera quatre mois. Albera visita toutes les maisons et missions salé-
siennes. Après les rencontres officielles avec les autorités et les popula-
tions, il consacrait tout son temps à l’accueil des confrères et au ministère
de la prédication et des confessions. Partout, il était accueilli avec enthou-
siasme, mais ces voyages lui coûtèrent des fatigues indescriptibles à
cause de la chaleur et de la poussière. Il visita Guaratinguetá et Juiz de
Fora, lieu de l’accident dans lequel Mgr Lasagna avait perdu la vie avec
quelques religieuses et deux prêtres. Il se rendit à Ouro Preto, Cachoeira do
Campo, Araras, Ponte Nova, Niterói, Ipiranga, Campinas, Rio de Janeiro,
Bahia, Jaboatão, Pernambuco. Malgré les problèmes rencontrés, il eut une
impression très positive: « Je visite maintenant les maisons du Brésil, écri-
vait-il à Barberis. Je suis convaincu que Don Bosco en esprit a connu cette
terre et a connu le cœur de ses habitants. Nous assistons à des spectacles
très émouvants. Quelle mission les salésiens ont ici! Beaucoup de bien se
fait dans les maisons, même si elles ne sont pas du tout organisées… Don
Zanchetta ici à Niterói fait des merveilles. Si vous voyiez l’ordre qui règne
6 L 188.
7 L 191.

8.4 Page 74

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72 Chapitre 5
dans sa maison! Une piété des plus édifiantes y règne. Les confrères se
tuent au travail et pourtant ils ne se plaignent pas… »8
De Pernambuco, il partit pour Niterói le 26 octobre à bord de l’Alagoas.
Pendant les cinq jours de navigation, il fut assailli de douleurs lancinantes.
Il ne put continuer jusqu’à São Paulo, où il était attendu pour la bénédiction
de la statue monumentale du Sacré-Cœur. Il resta à Niterói neuf jours pour
les soins. Le 9 novembre, il mit le cap sur Montevideo et de là, il passa à
Buenos Aires où il resta une dizaine de jours.
Dans la capitale argentine l’attendait Mgr Giacomo Costamagna qui
devait l’accompagner au Chili à travers les Andes. Ils partirent le 25
novembre. Ce fut un voyage extrêmement fatigant pour Don Albera, qui
n’avait pas l’habitude d’aller à cheval. Ils s’arrêtèrent quelques jours à
Mendoza pour prêcher des retraites aux jeunes, aux confrères et aux sœurs.
Après la visite à Rodeo del Medio, ils arrivèrent le 5 décembre à Santiago
du Chili. Gusmano écrivit à Don Barberis le programme des visites: «
Nous sommes déjà sur le versant du Pacifique. Nous avons très bien passé
la Cordillère… Le Révérend Don Albera a bien supporté la traversée et la
chevauchée sans conséquences. Ici, nous passons deux jours dans chaque
maison pour les voir dans leur fonctionnement régulier. Nous avons déjà
visité les deux de Santiago et Melipilla. Demain, nous irons à Talca, le 13
à Concepción, le 18 à Valparaíso, le 20 à La Serena et après Noël, nous
verrons Macul. Dans la première semaine de janvier, on commencera les
retraites pour les confrères; il faudra peut-être faire deux tours et un pour
les sœurs… Après les visites aux maisons du Chilì nous irons en Bolivie,
mais nous laisserons probablement de côté Sucre, parce que c’est trop loin
et parce que ce sera la saison des pluies et il serait donc très difficile d’y
aller. De la Bolivie, nous descendrons au Pérou, où nous nous trouverons
peut-être encore en avril. »9
Après quelques jours de repos à Santiago, Don Albera visita en trois
mois les salésiens et les sœurs de Melipilla, Talca, Concepción, Valpa-
raiso, La Serena, Iquique et Macul. Dans la province chilienne il constata
avec peine qu’il y avait des tensions dues aux limites de certains direc-
teurs, mais surtout à cause du caractère impétueux de Mgr Costamagna
qui faisait fonction de supérieur, en attendant de pouvoir entrer sur le
territoire de son vicariat missionnaire en Équateur. Gusmano, déconcerté,
écrivit à Barberis, en forçant quelque peu la note: « Monseigneur n’est
8 L 212-213.
9 L 243-244.

8.5 Page 75

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Visite des maisons salésiennes d’Amérique (1900-1903) 73
aimé de personne dans la province... parce qu’il gronde continuellement
et en public; il n’est pas aimé parce qu’il montre qu’il n’a pas son cœur ici,
mais au-delà des Andes; il n’est pas aimé parce qu’il répète à l’envi qu’il n’a
aucune estime pour les Chiliens... On ne lui parle pas le cœur sur la main,
mais on étudie ses mots et on a toujours peur d’être grondé; de sorte qu’en
général on sort de sa chambre plus agacé et moins persuadé… Il est certain
qu’ici tout le monde souhaite que Mgr aille en Équateur, que vienne un
bon provincial, qui soit prudent… qui écoute les besoins des maisons sans
gronder et décider sur-le-champ, qui soit un peu politique et ne manifeste
pas et ne blâme pas publiquement les défauts… » Puis il concluait: « Il
ne fait aucun doute que c’est un saint; mais il faudrait que les autres aussi
soient des saints pour supporter sa façon de faire; ils devraient avoir plus
de foi et ne voir dans le supérieur que l’autorité qu’il représente et non ses
manières... Qui ne sait qu’il est tout zèle, qu’il travaille continuellement et
on peut dire que chaque fois qu’il y a des confirmations à faire à Santiago
et à l’extérieur, c’est lui qui les fait; il est infatigable, mais presque toujours
dehors, ici il n’a pu attacher son cœur… »10
Le 14 février 1902, après avoir prêché les exercices spirituels à ses
confrères, Albera quitta Santiago avec son secrétaire. Ils s’arrêtèrent
quelques jours à Valparaíso pour l’inauguration des nouveaux ateliers et
arrivèrent à Iquique le 28. Ils repartirent dix jours plus tard pour Arequipa
au Pérou: « C’est une vraie maison salésienne; l’ordre, le travail, l’esprit
salésien règnent ici… La petite colonie agricole est un véritable joyau, au
plan scientifique, un véritable modèle de tout, notait Don Gusmano. Don
Albera va plus ou moins bien; il a l’estomac fatigué; je lui ménage quelques
attentions spéciales; maintenant il les accepte, alors qu’auparavant il ne les
voulait pas. »11
Le 24 mars, ils atteignirent La Paz, où ils trouvèrent une maison bien
ordonnée et un excellent esprit salésien. Ils y passèrent toute la semaine
sainte. Le 1er avril, ils repartirent pour le Pérou. Ils s’arrêtèrent à Lima
jusqu’au 26 mai. Ils visitèrent les lieux de sainte Rosa et Albera célébra
la messe près de sa châsse. Il voulait partir pour l’Équateur et visiter le
vicariat apostolique de Mendez et Gualaquiza, mais l’inspecteur local lui
déconseilla le voyage en raison du mauvais temps qui rendait les routes
impraticables. Il resta à Lima pendant tout le mois de Marie et fit sa retraie.
Don Gusmano écrivit: « Il lui sembla que le fait d’avoir, pendant deux
10 L 256-257.
11 L 285-286.

8.6 Page 76

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74 Chapitre 5
ans, passé presque toutes ses journées et souvent une partie de ses nuits à
écouter et à consoler ses confrères, à les encourager au bien et à suggérer
des moyens de grandir de plus en plus dans l’esprit de Don Bosco, et d’avoir
donné des conférences et prêché jusqu’à douze retraites en quelques mois
n’était pas suffisant pour le dispenser de la retraite annuelle prescrite par
nos Règles. Pendant huit jours, nous l’avons vu recueilli dans de profondes
méditations, passant de longues heures devant Jésus au Saint-Sacrement, ne
pensant qu’à son âme. » À cette époque, Albera écrivait dans son journal: «
Aujourd’hui, je commence les exercices spirituels: j’en ressens vraiment le
besoin. Après vingt et un mois de voyage, mon esprit est dissipé, mon cœur
est froid. Je désire rentrer en moi-même et implorer la rosée du Ciel… Je
me propose de faire ces exercices comme s’ils étaient les derniers de ma
vie. Mon âge et mes voyages incessants m’inspirent de faire vraiment bien
ces exercices... En examinant ma conscience, j’ai trouvé que les causes de
mes défauts sont au nombre de trois: 1. le manque d’humilité; 2. le manque
de mortification; 3. le manque de piété. Maintenant que je connais mes
ennemis, je me propose de les combattre. »12
Après sa retraite personnelle, il s’occupa de celles des élèves, des
confrères et des sœurs. Il visita également toutes les congrégations reli-
gieuses de la ville et conclut son séjour à Lima par la fête de Marie Auxi-
liatrice. Le 26, il partit du port de Callao. Ils firent escale à Paita, le dernier
port péruvien, où ils participèrent à la procession de la Fête-Dieu.
Équateur
Le 30 mai, ils débarquèrent à Guayaquil en Équateur. Ils restèrent deux
jours, puis se mirent en route vers l’Est. Le parcours aventureux est décrit
en détail par le biographe. Ils voyagèrent en train jusqu’à Huigra, où ils
dormirent sous la tente. La nuit, l’humidité excessive procura à Albera un
torticolis fastidieux. Le matin, après avoir changé de vêtements, ils enta-
mèrent un voyage à cheval qui durera cinq semaines, avec des chevauchées
de dix et souvent de quatorze heures par jour. Ils durent serrer la soutane
au niveau des hanches avec une ceinture en cuir, enfiler un poncho qui
couvrait tout le corps, un pantalon en peau de chèvre, un grand mouchoir
autour du cou, et un grand chapeau de paille recouvert de toile cirée.
Ils s’arrêtèrent à Guatasí dans la maison d’un coopérateur, où ils rencon-
12 ASC B0320106, Notes usefull…, 2.05.1902.

8.7 Page 77

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Visite des maisons salésiennes d’Amérique (1900-1903) 75
trèrent l’inspecteur Don Fusarini, venu de Riobamba. Il décrivit en détail
les dangers de l’Est équatorien et les difficultés de la mission, peut-être
pour décourager le supérieur de continuer ce dangereux voyage, mais il
se montra d’autant plus résolu dans sa volonté de continuer en se confiant
à la Providence. Il voulait absolument rencontrer les confrères mission-
naires pour les réconforter dans leurs fatigues. L’inspecteur les accom-
pagna pendant un certain temps, puis il dut retourner à son poste. Ils
commencèrent de longues et interminables chevauchées à travers une forêt
magnifique mais pleine de dangers, sur des montagnes escarpées, entre des
précipices, des gués profonds et des bourbiers avec de l’eau jusqu’au genou.
Don Gusmano pouvait écrire: « Personne parmi ceux qui connaissent
Don Albera ne sera surpris si un homme de son âge, de santé précaire,
très délicat, en arrivant parfois au tambo (lieu de repos du missionnaire)
devait être soulevé de son cheval et placé sur une chaise ou quelque chose
de semblable, parce que ses jambes refusaient de le porter, et son corps
inerte s’abandonnait à lui-même. Au tambo, si l’Indien qui en a la garde est
prévenu, il y aura quelque chose de chaud, unique réconfort que l’estomac
réclame impérieusement, soit de l’eau ordinaire avec du sel, soit de l’eau
mélangée avec un peu de farine de maïs, de pommes de terre ou de yucca;
tout est bon pourvu que ce soit chaud. Souvent l’unique mets raffiné était
un peu de maïs, pas toujours suffisamment assaisonné de sel! Et si vous
arrivez à l’improviste, vous attendez des heures et des heures cette maigre
pitance... Le tambo ou rancho est une pièce de trois ou quatre mètres carrés,
recouverte d’un toit de feuilles de palmier, soutenu par des poteaux... Le
plancher, généralement suspendu à quelques mètres au-dessus du sol
humide, est recouvert lui aussi de feuilles sèches ou de nattes; les côtés
sont ouverts. Comme nous étions accroupis tous les deux sur un espace
réduit, au moindre petit mouvement je me réveillais parfois en sursaut pour
regarder Don Albera avec anxiété ; j’avais peur qu’en se retournant sur sa
couchette dure et souvent piquante, il n’aille trop loin, au-delà du bord sans
barrière, mettant ainsi sa vie en danger. Le rancho met à l’abri de l’eau,
mais non pas de l’air... Durant ces journées interminables et monotones
que nous passions sur le dos de ces pauvres animaux, comme je suivais
Don Albera, je le voyais souvent agité, incapable de trouver une position
confortable sur son cheval; je constatais qu’il avait du mal à se maintenir
; parfois nous étions obligés de traverser des précipices qui à tout moment
pouvaient mettre en danger sa précieuse existence. J’avoue qu’à plusieurs

8.8 Page 78

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76 Chapitre 5
reprises j’ai été tenté de lui conseiller de revenir… »13
Sur le massif de l’Azuay, tout rochers et ravins, Albera tomba de son
cheval et faillit précipiter dans un escarpement. Avant d’arriver à Cañar,
de nombreux notables vinrent à sa rencontre, dont le frère de l’ancien
président de la République, Luis Cordero, accompagné de Don Francesco
Mattana, infatigable missionnaire des Jívaros. Ils reprirent leur voyage le
lendemain pour Cuenca, où ils arrivèrent le dimanche 8 juin. Là aussi, une
cinquantaine de cavaliers vinrent accueillir le visiteur à quelques heures
de la ville et voulurent qu’il change de monture. En tombant, il se fit mal
et il eut le pied enflé. Il dut se reposer pendant trois jours, hébergé par les
pères rédemptoristes. Ils reprirent leur voyage le 11 et arrivèrent treize
heures plus tard à Sígsig, dernière étape avant les forêts de l’est du pays. Ils
poursuivirent leur route le lendemain. Ce furent trois jours de chevauchée
sous une pluie ininterrompue. Enfin, le dimanche 15 juin, ils arrivèrent à
Gualaquiza, où ils s’arrêtèrent huit jours. Le secrétaire envoya le compte
rendu de leur voyage à Don Barberis:
« Je vous écris pendant que les Jivaros dansent devant ma porte et
chantent à tue-tête, selon leur coutume et pour fêter le révérend Don
Albera. Certains sont comme Adam avant le péché; les hommes, même
les adultes, sont habillés du strict nécessaire, les femmes un peu plus;
mais ici personne n’y fait attention. Mais au milieu de tous ces cris
mes pensées vont à Turin… Notre voyage à Gualaquiza s’est assez
bien passé. À Sígsig, dernier village chrétien, ils nous ont accueillis au
son des cloches... En passant par les petits villages, nous avons trouvé
partout l’image de Marie Auxiliatrice. Le curé de San Bartolomé nous
a raconté des dizaines de grâces et si ce qu’ils disent est vrai, nous
ne pouvons pas nous empêcher de croire au miracle. C’est vraiment la
Madone qui ouvre la voie à l’œuvre de Don Bosco. Après tout, on ne
saurait expliquer tant d’enthousiasme pour les fils de Don Bosco dans
tous ces pays, où ils n’ont fait rien d’autre que de demander l’aumône
pour la mission...
De Sígsig à Gualaquiza, il n’y a plus de village et il faut trois jours de
voyage avec des précipices, d’horribles descentes, des montées abruptes
comme des murs. Les pluies nous ont accompagnés pendant deux jours,
la boue arrivait jusqu’au ventre de l’animal et nous avait éclaboussés
jusqu’aux cheveux. Dans certains endroits, il fallait s’abaisser au niveau
de la mule pour passer sous des arcs faits par les arbres déracinés par la
13 BS 1904, 109.

8.9 Page 79

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Visite des maisons salésiennes d’Amérique (1900-1903) 77
pluie. Ailleurs le passage était si étroit qu’il fallait lever les pieds car ils
ne passaient pas et dans d’autres faire l’un et l’autre...
Le pire pour Don Albera était les sauts périlleux que faisait
parfois la mule quand elle rencontrait un passage encombré: nous lui
recommandions de rester bien en selle. Dans certaines descentes, on
tenait la bride de la mule; mais il était impossible de la maîtriser et
cheval, cavalier et conducteur se retrouvaient par terre. En arrivant
mouillés, le soir, après 12 heures de chevauchée comme je l’ai décrite,
on ne trouvait comme lit qu’un tapis de roseaux à ciel ouvert, installé
à plusieurs mètres du sol sur des poteaux avec d’autres roseaux. Don
Albera était au milieu et je devais faire attention à ne pas bouger, car
sans cela je ne me serais plus relevé… »14 .
La résidence missionnaire était une construction très simple: une
chapelle avec deux bâtiments qui la flanquaient. Le tout construit en bois
enduit de boue, avec des fenêtres sans volets. Don Albera entonna le Te
Deum d’action de grâce dans la chapelle. Quand il sortit, les Jívaros lui
offrirent du yucca et des bananes. Il constata avec peine que les mission-
naires étaient épuisés, sans force à cause de la fatigue, du climat et du
manque de nourriture. Il parla personnellement avec chacun, les récon-
forta. Au cours de la semaine, il visita les colonies de Jívaros dans la région
pour se faire une idée de leur vie. Le dimanche 22, il célébra la fête de
Marie Auxiliatrice, avec messe chantée et procession.
Il partit le lendemain, accompagné sur une bonne distance par les
salésiens et les indigènes. Le voyage de retour « fut bien pire que l’aller et
dura dix jours à cheval, avec trois jours de repos. Jusqu’à Cuenca rien d’ex-
traordinaire: nous dormions comme d’habitude en plein air et sur des lits
dangereux, nous mangions à sec, ce qui a contribué à gâter de plus en plus
l’estomac déjà mal en point de Don Albera ». Ils arrivèrent à Riobamba le
5 juillet. Les jours suivants, durant le Chapitre provincial, le Visiteur a pu
se rendre compte des progrès et des difficultés15 .
Le 14 juillet, ils allèrent à Ambato, siège du noviciat, d’où ils partirent
pour Quito, où les salésiens avaient construit une petite église et un petit
collège. Albera bénit les bâtiments et le nouvel atelier de tannerie.
14 L 307-308.
15 L 310-312

8.10 Page 80

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78 Chapitre 5
Colombie, Venezuela, Mexique et États-Unis
Le 26, ils se dirigèrent vers Guayaquil, de là ils s’embarquèrent pour
la Colombie, où sévissait une guerre civile. Ils ne purent débarquer au
Panama, en raison d’une épidémie de fièvre jaune ; en passant par Colón et
Carthagène, ils arrivèrent à Barranquilla le 8 août.
La navigation sur le Río Magdalena vers Honda dura dix-sept jours, au
milieu des nuées de moustiques qui les tourmentaient. À Puerto Berrio,
ils furent bloqués par un général qui voulait s’emparer du bateau pour ses
troupes. Après de longues négociations, il se contenta de réquisitionner la
quasi-totalité des vivres. L’arrêt forcé permit à Albera et à son secrétaire
de secourir plusieurs soldats qui mouraient de la fièvre jaune. Enfin, le
24 août, ils débarquèrent à Honda. De là, accompagnés par le coadjuteur
salésien Angelo Colombo, ils partirent à cheval à Bogotá sans escorte, «
parce que, écrivait Gusmano, une escorte peut être encore plus dangereuse:
les forces révolutionnaires l’attaquent ». À la première gare, ils trouvèrent
des confrères et des élèves qui les attendaient avec un train spécial, mis
à leur disposition par le gouvernement, et en deux heures ils atteignirent
la capitale. « Nous pensions trouver la paix en Colombie, et nous voilà
au contraire au sicut erat. Surtout les guérillas sont plus féroces qu’aupa-
ravant. Tout au long de notre voyage, nous avons pu contempler le triste
spectacle de villages en feu, de résidences détruites, de voyageurs volés et
tués ». Ils restèrent là douze jours et visitèrent les œuvres salésiennes de
la ville et des environs. Malgré les dangers, Don Albera voulut également
rejoindre les salésiens qui travaillaient dans les deux léproseries de Contra-
tación et d’Agua de Dios16 .
Ils quittèrent Bogotá le 9 septembre. En dix jours, ils parcoururent à
cheval deux cent quatre-vingt-dix kilomètres, à travers une haute région
montagneuse, et par un froid intense. A trois heures et demie de Contra-
tación, épuisé, Don Albera s’évanouit. Ils furent alors contraints de passer
la nuit dans une cabane. Le lendemain, il voulut continuer son voyage à
jeun pour pouvoir célébrer la messe. Ils arrivèrent au lazaret vers 11 heures
du matin.
La première rencontre avec les lépreux fut émouvante. Le visiteur dit à
chacun un mot de réconfort et distribua de l’argent et des vivres offerts par
les bienfaiteurs. Les jours suivants, il prêcha une mission de huit jours, à
laquelle participèrent tous ceux qui pouvaient se tenir sur pied. Au cours
16 L 318.

9 Pages 81-90

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9.1 Page 81

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Visite des maisons salésiennes d’Amérique (1900-1903) 79
du premier sermon, il eut un évanouissement par manque d’air à cause
de la multitude qui envahissait l’église. Le dernier jour, il s’évanouit de
nouveau quand un lépreux, qui avait la chair de ses jambes en lambeaux,
se présenta à son confessionnal.
De retour à Bogotá pour quelques jours, il repartit le 8 octobre pour
Agua de Dios, où il arriva après trois jours de voyage. Il commença par la
prédication d’une mission aux lépreux. L’église était archipleine: « Vous qui
souffrez tellement dans votre corps, au moins cessez de souffrir dans votre
âme, réconciliez-vous avec le Seigneur, parce que cela dépend de vous.
Nous sommes incapables de vous guérir de la lèpre matérielle; permet-
tez-nous de vous enlever la lèpre spirituelle »17 . Don Albera prêchait tous
les jours, bien que l’heure fût peu favorable (une heure de l’après-midi) et
la chaleur accablante. Tous l’écoutaient avec une grande attention. Dès le
troisième jour, les confessions occupèrent cinq prêtres jusqu’à onze heures
du soir. Albera allait de maison en maison pour rendre visite aux familles,
distribuant une aide financière et des paroles de réconfort. La mission
se termina le 19 octobre par une communion générale. Même les plus
réticents, qui ne fréquentaient plus les sacrements depuis des années, les
reçurent avec dévotion: un vrai miracle de la grâce. La journée se termina
par une procession en l’honneur de Marie Auxiliatrice.
De retour à Bogotá, il rencontra le délégué apostolique, l’archevêque
et les principaux bienfaiteurs. Même le président de la République voulut
le rencontrer avant son départ. Le voyage de retour sur la côte fut très
mauvais. Après deux heures de train, ils utilisèrent les chevaux, sous un
soleil torride et au milieu des dangers de la guérilla. Lorsqu’il arriva à
Honda le 29 octobre, Albera était épuisé. Ils durent attendre cinq jours avant
de pouvoir monter à bord d’un navire-hôpital sans aucun confort. Le 12
novembre, ils débarquèrent à Barranquilla. Ils s’arrêtèrent quelques heures
et repartirent pour le Venezuela à bord du bateau à vapeur Montevideo.
Le dimanche 16 novembre, ils débarquèrent à La Guaira, premier port
du Venezuela. Le lendemain, ils se dirigèrent sur Caracas, où il y avait
« une belle maison, mais presque vide ». Le 21, après un voyage de cent
cinquante kilomètres, ils étaient à Valencia. Ils trouvèrent l’œuvre salé-
sienne dans de meilleures conditions, grâce au travail de redressement de
Don Michele Foglino. Ils retournèrent à Caracas le samedi 29 novembre,
puis se rendirent à San Rafael et à Santa Rosa, deux pauvres petites œuvres.
La traversée nocturne du lac Maracaibo fut inconfortable pour Don Albera
17 Garneri 215.

9.2 Page 82

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80 Chapitre 5
en raison du vent fort, du froid intense et de la puanteur de poisson pourri
qui imprégnait le bateau. Le 5 décembre, ils embarquèrent pour Curaçao
et de là pour La Guaira. Le port était occupé par des navires militaires
étrangers chargés de protéger les intérêts des nations respectives. Le 15
décembre, les navires anglais bombardèrent Puerto Cabello, situé à deux
cents kilomètres de Caracas. Pour cette raison, Albera décida de partir le
plus tôt possible. On prit un bateau à destination de Porto Rico.
Après cinq jours de quarantaine sur l’île de Miraflores, ils accostèrent
le 22 décembre à San Juan à Porto Rico. Ils logèrent dans un hôtel. Le
programme prévoyait une visite en Jamaïque, mais les difficultés du
transport et le mauvais état de santé d’Albera convainquirent le secré-
taire de mettre le cap directement sur le Mexique. Après avoir célébré
la messe de Noël dans l’église des pères lazaristes, ils montèrent sur le
bateau espagnol León XIII. À bord, ils eurent la joie de trouver un groupe
de missionnaires salésiens et de sœurs. Don Albera reçut chacun pour
un entretien. Le voyage, généralement bon, dura dix jours, mais l’état de
santé du supérieur ne s’améliora pas. Il avait des problèmes d’estomac et ne
pouvait pas garder la nourriture.
Ils débarquèrent à Veracruz le 8 janvier 1903. Au port, ils furent
accueillis par l’inspecteur du Mexique, Don Luigi Grandis, et d’autres
confrères. À Mexico, ils trouvèrent un beau collège. Ils visitèrent les
œuvres salésiennes de Morelia et de Puebla. Le 31, ils célébrèrent l’Eucha-
ristie dans le sanctuaire de Guadalupe. La visite des maisons du Mexique
fut une grande consolation. Don Albera put constater la sympathie des
autorités et du peuple pour le travail salésien. L’inspecteur lui présenta
vingt-deux demandes d’ouverture de maisons, provenant des principales
villes du pays, auxquelles il ne pouvait malheureusement pas répondre
faute de personnel.
Le 9 février, ils partirent pour la Californie. Ils firent étape à Los Angeles
et arrivèrent à San Francisco le samedi 14. Don Albera prêcha et confessa
pendant de longues heures dans les deux paroisses confiées aux salésiens,
exhortant les immigrés italiens à rester fidèles à la foi de leurs pères. Mais
après trente mois de voyage, il se sentit très faible et à bout de force. Il
voulait retourner à Turin le plus tôt possible. Ils partirent le dimanche 1er
mars. Ils firent halte à Chicago. Ils arrivèrent à New York le dimanche 8.
Après dix jours d’intense ministère pastoral, ils s’embarquèrent pour l’An-
gleterre.
La traversée dura une semaine. En Grande-Bretagne, Don Albera visita
les maisons salésiennes de Londres, le noviciat de Burwash, dirigé par le

9.3 Page 83

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Visite des maisons salésiennes d’Amérique (1900-1903) 81
jeune et très cordial P. William Brown, l’institut de Farnborough où on
avait ouvert deux ans plus tôt un orphelinat pour enfants abandonnés et
orphelins de militaires, l’école et la paroisse de Wandsworth. Il était parti-
culièrement satisfait du développement florissant des œuvres anglaises et
du bon esprit qui animait les confrères.
Le 1er avril, les deux voyageurs atteignirent Paris. Ils y trouvé une
situation précaire en raison de la loi sur les associations, en vigueur depuis
1901, qui obligeait les ordres et les congrégations religieuses à choisir entre
la sécularisation et l’autorisation gouvernementale. L’inspecteur Giuseppe
Bologna avait préféré la deuxième option, un choix qui s’est avéré fatal. En
effet, l’autorisation fut refusée et en 1903 presque toutes les œuvres ont dû
être abandonnées. L’inspecteur de Marseille, au contraire, avait choisi la
voie de la sécularisation, et eut plus de chance.
Albera quitta Paris le soir du vendredi saint, le 10 avril, et rentra à
Valdocco dans l’après-midi du lendemain, très fatigué et affaibli, mais
heureux. Avant d’aller se reposer, il écrivit dans son journal: « Comme
je suis heureux de retourner dans ce cher Oratoire qui a été ma maison
pendant mes plus belles années. Aujourd’hui, ç’a été pour moi un véritable
alléluia! Les supérieurs m’ont accueilli avec une affection ardente, en parti-
culier Don Rua ». Don Giacomo Ressico racontera vingt ans plus tard: « Au
retour de son long voyage, j’étais là à l’accueillir avec mes camarades de
quatrième année du lycée de l’Oratoire. En le voyant à côté de Don Rua,
j’ai été profondément frappé par sa silhouette douce et paternelle... Mon
admiration fut à son comble quand du balcon du deuxième étage, à nous
les jeunes qui voulions entendre sa parole, il dit avec douceur et humilité:
« Le représentant en face du représenté n’est plus rien », et montrant Don
Rua en s’inclinant il se retira »18 .
Les jours suivants, il présenta à Don Rua un exposé détaillé de l’état des
œuvres et des confrères d’Amérique. Don Gusmano, après la mort de Don
Albera, rédigera un récit concis de la visite:
« Ce que Don Albera a fait pendant les trois années (du 7 août 1900 au
11 avril 1903), pendant lesquelles il a visité les 215 maisons des salésiens
et des Filles de Marie Auxiliatrice en Uruguay, Paraguay, Argentine,
Chili, Pérou, Bolivie, Équateur, Colombie, Venezuela, Amérique centrale,
Mexique et Amérique du Nord, tout cela a été largement rapporté dans le
Bulletin salésien. Je ne peux cependant pas m’empêcher de faire quelques
remarques importantes.
18 Garneri 222.

9.4 Page 84

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82 Chapitre 5
Une note caractéristique de son voyage a été surtout l’enthousiasme
suscité en tout lieu par sa visite. Les manifestations avaient partout quelque
chose d’extraordinaire, d’incroyable: les autorités ecclésiastiques, civiles et
militaires se déplaçaient pour le rencontrer à la tête de leurs populations et
le comblaient d’honneurs comme une célébrité. Au fur et à mesure que la
visite se poursuivait, une expression apparaissait sur toutes les lèvres: « On
ne pouvait pas choisir un meilleur représentant de Don Bosco! » Et c’était
de Don Bosco, auprès de qui il avait vécu pendant des d’années, que Don
Albera parlait toujours. Dans chacun de ses discours, dans chacun de ses
conseils il évoquait tout naturellement Don Bosco, sa pensée, sa parole; et
c’est ce qui explique l’effet persuasif que la parole de Don Albera exerçait
sur les âmes.
Les coopérateurs et les personnes qui l’approchaient n’arrivaient pas à
se détacher de lui, tant il les captivait par son apparence souriante, par la
finesse de ses manières, par le charme de son humilité, et surtout par sa
parole insinuante qui gagnait les cœurs à son zèle et à sa charité.
La bénédiction de Marie Auxiliatrice était aussi entre ses mains un
instrument de grâces et de prodiges, parfois extraordinaires, pour le bien
des âmes qui la recevaient pleinement. Le dévouement de Don Albera
aux pauvres lépreux des lazarets de Colombie était incroyable… Aucune
œuvre ne le laissait indifférent. Il voulait rendre visite à tous les malades
qui ne pouvaient pas quitter le lit, écoutant avec une profonde compassion
l’histoire de leurs souffrances, les épisodes de leur vie, et avec une parole
maternelle, il les réconfortait et les encourageait à souffrir en toute rési-
gnation chrétienne.
La visite des maisons était un travail d’un autre genre, mais non moins
exigeant. Don Albera avait pour règle de laisser aux confrères la plus grande
liberté de lui parler autant qu’ils voulaient. Si la journée ne suffisait pas, il y
consacrait une bonne partie de la nuit, mais il souhaitait que tous puissent
avoir cette satisfaction. « On ne vient pas d’Italie, disait-il, au milieu de tant
de difficultés, sans laisser nos confrères pleinement satisfaits! »
Sans aucun doute, c’est grâce à une assistance particulière de la Sainte
Vierge que Don Albera a pu résister pendant trois ans à un travail aussi
intense et continu sans tomber malade, lui qui était d’une santé si délicate.
Passer des journées entières à cheval, voyager sous une pluie torrentielle
pendant quinze jours, dormir parfois dans une mangeoire abandonnée ou
sur un tapis à un mètre du sol; se nourrir uniquement d’épis de maïs bouillis;
se retrouver les jambes raides, presque gelées dans la haute chaîne de la
Cordillère: voilà quelques-unes des innombrables épreuves auxquelles il a

9.5 Page 85

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Visite des maisons salésiennes d’Amérique (1900-1903) 83
dû faire face, soutenu par une force secrète »19 .
Ces trente-deux mois de voyage dans des conditions inconfortables
l’avaient mis à rude épreuve physiquement, mais l’avaient également libéré
de la mélancolie des années précédentes. Sa visite se révéla providentielle
pour les confrères, pour les sœurs et pour les institutions. Les rapports
détaillés qu’il envoyait à Don Rua mettent en évidence la réalité concrète
de l’œuvre salésienne dans le Nouveau Monde. Ombres et lumières,
héroïsmes et misères, succès et échecs lui avaient inspiré des choix équi-
librés, qui révèlent chez lui un jugement critique pondéré, une prudence
empreinte de charité, un discernement respectueux des personnes et des
situations locales, mais aussi une grande force de caractère, une capacité
de prise de décision rapide, toutes qualités propres à un supérieur religieux
intelligent et équilibré. Les confrères et les sœurs avaient pu en béné-
ficier, se nourrissant de sa prédication substantielle, se sentant réconfortés
et encouragés par son aimable paternité dans les conversations person-
nelles. Il en avait profité lui-même. Sa connaissance du cœur humain et du
charisme salésien s’était approfondie. Il avait élargi sa vision en constatant
la fécondité de l’esprit de Don Bosco greffé sur des cultures différentes. Il
s’était rendu compte du caractère providentiel et de l’urgence de la mission
éducative salésienne. Il avait également compris combien il était néces-
saire de prévoir des parcours de formation plus solides pour façonner des
salésiens équilibrés et vertueux. Sans aucun doute, le Seigneur le préparait
à sa future mission.
19 Garneri.223-225.

9.6 Page 86

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84

9.7 Page 87

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85
Chapitre 6
AUX CÔTÉS DE DON RUA ENTRE 1903 ET 1910
1903-1907
De retour à Turin, il reprit le travail après quelques jours de repos. En
mai, il participa au troisième Congrès des coopérateurs. Il apporta les salu-
tations des coopérateurs d’Amérique et fit un compte rendu de son long
voyage. Le Bulletin salésien résumait ainsi son discours: « Don Albera

9.8 Page 88

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86 Chapitre 6
apporte les salutations des coopérateurs d’Amérique. Il raconte les voyages
effectués dans douze Républiques, et ce qu’il a vu de ses yeux au-delà
de l’Océan... Il décrit certaines choses qui lui sont arrivées à travers ces
déserts illimités en visitant les maisons salésiennes et les fruits abondants
recueillis dans ces régions lointaines pour la gloire de l’œuvre immortelle
de Don Bosco... Avec des mots simples mais choisis, il suit pas à pas le
chemin de l’œuvre salésienne... Il parle des effets produits chez ces peuples
par l’épanouissement de la piété, y compris chez les Indiens, qui déposent
désormais leur fierté native sous la direction des Filles de Marie Auxilia-
trice et réalisent des travaux à la manière des Européens. Il parle des lépreux
à Agua de Dios, la cité de la douleur, où la personne assiste à la décompo-
sition de son corps avant de mourir. Il raconte des épisodes touchants et
des formes d’héroïsme que seule la grâce surnaturelle peut opérer, comme
celle de demander la grâce de pouvoir vivre et mourir parmi ces lépreux.
Un long applaudissement éclate lorsqu’il parle du missionnaire Evasio
Rabagliati qui a consacré sa vie à cette œuvre. »1
Le 17 mai 1903, on célébra le couronnement de l’image de l’Auxilia-
trice. Albera écrivit dans son journal: « Grand jour!... Ce fut vraiment
le triomphe de la dévotion à Notre-Dame Auxiliatrice. J’ai assisté aux
services religieux et j’ai passé des moments vraiment délicieux. » Les jours
suivants, il représenta Don Rua à Lombriasco et à Lanzo Torinese pour
les célébrations en l’honneur de la Vierge Marie. Puis vinrent les mois des
retraites: « En tant que directeur spirituel de notre Pieuse Société, j’ai un
devoir particulier, celui de prier pour le succès des Exercices », écrivait-il2 .
Il se rendit totalement disponible aux longes heures d’entretien avec les
participants, au point que sa santé en souffrit. En décembre, il fut contraint
de se retirer dans la maison salésienne de Mathi pour reprendre des forces.
Il reprit ses visites canoniques en février 1904. Il visita d’abord les
maisons du Piémont, puis il se rendit à Rome, où le 11 avril il assista à la
messe du pape Pie X, animée par un chœur de mille séminaristes. Puis il
alla à Caserte, Naples et Messine. En Sicile, il resta un mois à visiter toutes
les œuvres des salésiens et des sœurs. Don Argeo Mancini, qui était novice
cette année-là, raconte: « Ce fut alors que j’eus l’une des meilleures impres-
sions. Don Albera avait été saisi d’un terrible rhumatisme au bras droit, ce
qui lui causait de grandes douleurs et immobilisait son bras. J’admirai sa
patience à cette occasion. En tout cas, il voulut partir de San Gregorio,
1 BS 1903, 165.
2 ASC B0320106, Notes usefull…, 17.05.1903; 9.08.1903.

9.9 Page 89

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Aux côtés de Don Rua entre 1903 e 1910 87
où il était, pour continuer le tour des maisons; mais son bras continuait
de lui faire terriblement mal... Dans cette circonstance et dans d’autres je
pus comprendre que sa piété, qui semblait lui donner cet aspect rigide qui
m’avait impressionné au début, ne l’empêchait pas d’avoir une conversation
très familière et de montrer sa bonté habituelle...! »3 Après San Gregorio, il
visita Bronte, Randazzo, Syracuse, Palerme, San Giuseppe Jato, Marsala.
De là, il alla à Tunis et enfin à Marseille. Il rentra à Turin le 1er juillet.
En août, il était à Sampierdarena pour accueillir Mgr Cagliero et l’ac-
compagner à Turin à l’occasion du dixième Chapitre général. À cette
époque, Don Rua n’allait pas bien. Albera écrit dans son journal: « Notre
supérieur Don Rua est malade: j’offre ma vie pour lui obtenir la santé ». Le
supérieur se rétablit et put participer au Chapitre qui eut lieu à Valsalice
du 23 août au 13 septembre 1904. Le 24 août, Don Albera fut confirmé
au poste de directeur général spirituel. Ce soir-là, il nota: « J’ai été réélu
directeur spirituel comme auparavant. Mais je ne peux pas me réjouir de de
cette élection, j’en éprouve même de la peine parce que je sens toute mon
incapacité. »4
Après le Chapitre général, il fut envoyé en France parce qu’on craignait
la confiscation des œuvres par le gouvernement. À son retour, il reprit la
visite canonique des maisons salésiennes. Il se rendit à Vérone, Gorizia, en
Autriche et en Pologne. Il rentra à Turin le 10 décembre.
Sa santé s’était détériorée au point qu’au début de février 1905, sur ordre
de Don Rua, il dut passer plus d’un mois dans le climat doux de Marseille.
Il revint mi-mars, légèrement soulagé. Il souffrait de douleurs d’estomac.
Par obéissance, il accepta d’aller se faire soigner à Recoaro. De là, il visita
les maisons de la Vénétie. De retour dans le Piémont dans la seconde
quinzaine de septembre, il retourna à Mathi pour continuer les thérapies.
Cette inactivité forcée lui pesait. Il écrivit à Mme Olive: « Merci pour les
prières que vous avez faites pour ma santé. Maintenant je vais mieux. Mais
j’ai besoin que Dieu m’accorde la grâce de pouvoir travailler un peu pour
sa gloire et pour le bien des âmes. Je n’ai rien fait jusqu’ici. Que pourrais-je
présenter à son tribunal? »
Le 6 janvier 1906, il accompagna à Sampierdarena les missionnaires
qui devaient prendre le bateau. Parmi eux se trouvait l’ancien élève de
Marseille, le père Louis Olive. Puis il se rendit en France où il resta jusqu’à
la mi-mars. Entre août et septembre, grâce à une amélioration de son
3 Garneri 229.
4 ASC B0320106, Notes usefull…, 24.08.1904.

9.10 Page 90

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88 Chapitre 6
état physique, il put participer à plusieurs retraites. Le 23 août, à l’issue
de la retraite de Lanzo, il laissa trois « souvenirs » à ses confrères : «
1. Amour pour la vocation et pour la Congrégation. 2. Prendre soin de
notre perfection. 3. Zèle pour le salut des âmes ». À la fin de la retraite des
directeurs le 1er septembre, il leur recommanda: « Souvenez-vous que nous
sommes religieux; que nous sommes prêtres; que nous sommes les fils de
Don Bosco »5 . Dans la seconde moitié de ce mois, il fut envoyé à Paris
pour aider le P. Bologne à résoudre les problèmes de cette province. Il
visita également les œuvres de la Belgique. Il passa les derniers mois de
l’année à Turin et exerça son ministère pastoral en faveur des jeunes de
Valdocco et d’autres maisons.
Les trois dernières années de son mandat de directeur spirituel furent
les plus difficiles. La santé continuait à le tourmenter, au point qu’il pensait
qu’il était proche de la mort. Le 1er janvier 1907, il écrivit dans son journal:
« Cette année, qui sera peut-être la dernière de ma vie, devrait être utilisée
pour faire le bien pour la gloire de Dieu et pour le salut de mon âme. Pour
cela, j’ai pris les résolutions suivantes: 1. Cette année sera consacrée de
manière spéciale au Sacré-Cœur. 2. Je garderai constamment à l’esprit la
pensée de la mort. 3. À partir d’aujourd’hui, j’accepte le genre de mort que
le Seigneur voudra m’envoyer. 4. À partir d’aujourd’hui, j’accepte les souf-
frances que le Seigneur voudra m’envoyer et toutes les peines qu’il croira
utiles pour moi. 5. Je promets de mieux pratiquer l’humilité, la charité, la
mortification et toutes les vertus qui conviennent à un religieux et à un
prêtre. »6
Il souffrit également de la mort d’êtres chers. Le premier fut Don
Bologna, décédé subitement le 4 janvier alors qu’il était à Valdocco: « J’ai
beaucoup souffert, car j’aimais beaucoup ce confrère avec qui j’ai passé
de nombreuses années en France. » Quelques jours plus tard, mourait une
dame de la famille Olive qu’il avait dirigée spirituellement. Début mars,
deux frères de Don Gusmano étaient morts à quelques heures d’inter-
valle, dont l’un était directeur du collège de Messine. Le 27 mars, c’était
au tour de Don Celestino Durando, membre du Conseil supérieur et son
compagnon depuis son plus jeune âge. Il fut profondément touché: « Je
crois que le premier enterrement, qui aura lieu à l’Oratoire, sera le mien! »7
Entre-temps, Don Rua le chargea d’écrire une lettre circulaire sur la
5 ASC B0320107, Notes usefull…, 23.08.1906.
6 ASC B0320107, Notes usefull…, 1.01.1907.
7 ASC B0320107, Notes usefull…, 4.01.1907; 27.03.1907.

10 Pages 91-100

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10.1 Page 91

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Aux côtés de Don Rua entre 1903 e 1910 89
pauvreté. Il se mit au travail en s’inspirant du livre de Mgr Charles-Louis
Gay, De la vie et des vertus chrétiennes considérées dans l’état religieux.
Il termina la rédaction le 27 janvier et le présenta au recteur majeur. « Don
Rua a été très indulgent envers mon petit travail: il l’a accepté avec satis-
faction et m’a remercié. Mais je sais combien ma conférence est déficiente
en substance, en forme et en sentiment: d’autres auraient pu le faire mieux
que moi. »8 La lettre sur la pauvreté, signée par Don Rua le 31 janvier
1907, fut envoyée aux confrères le 13 février9 . Elle est considérée comme
l’une des circulaires les plus importantes.
Cette tâche l’avait consolé, car il avait l’idée que Don Rua n’était
pas content de son service. Nous ne connaissons pas la raison de cette
impression, peut-être due à un simple malentendu, aggravé par l’état de
faiblesse dans lequel il se trouvait. Il se confia à Don Barberis et ce dernier
réussit à le convaincre qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Il pria
Dieu instamment de dissiper le malentendu. Le problème fut résolu. Ce
fut l’un des moments les plus difficiles pour lui. Il le considéra comme une
purification de la part du Seigneur.
Le 23 juillet 1907, le pape proclama Don Bosco vénérable. La joie
des salésiens fut grande, mais de courte durée. Quelques jours plus tard,
en effet, éclata une calomnie scandaleuse contre le collège de Varazze.
Don Ceria en parlera comme d’une machination diabolique, destinée à
démolir la Congrégation salésienne. C’étaient de très graves accusations
d’immoralité, totalement inventées. La nouvelle des « faits de Varazze »
fut malicieusement gonflée par les journaux anticléricaux. L’autorité judi-
ciaire décréta la fermeture de l’œuvre pour un certain temps. Au début,
les salésiens restèrent stupéfaits. Puis, soutenus par des anciens élèves et
des amis, ils réagirent, dénoncèrent la calomnie et demandèrent justice.
Le tribunal reconnut la totale inconsistance des accusations, mais entre-
temps, des mois difficiles s’étaient écoulés. Le journal de Don Albera reflète
la douleur de Don Rua, la consternation et l’anxiété de tous, la fermeté
et l’énergie des supérieurs majeurs pour la protection du bon renom des
salésiens. Des mesures de précaution furent prises. Le 12 août, le recteur
majeur le chargea de communiquer aux inspecteurs les décisions du
Conseil supérieur afin d’éviter à l’avenir tout prétexte à de telles attaques.
Malgré la tempête de ces jours-là, Don Albera participa à toutes les
retraites habituellement organisées entre l’été et l’automne. Pendant un
8 ASC B0320107, Notes usefull…, 27.03.1907.
9 LCR 360-377.

10.2 Page 92

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90 Chapitre 6
an, il remplaçait également Don Carlo Baratta, supérieur de la province
subalpine, absent pour maladie. Aussi participa-t-il aux réunions des
inspecteurs à Valsalice. En octobre, il alla en France pour prêcher des
retraites. Puis il se rendit en Espagne où on célébrait des fêtes grandioses
en l’honneur du vénérable Don Bosco.
1908-1910
Il commença l’année 1908 toujours dans un état de santé précaire.
Pourtant, il effectua toutes les missions qui lui étaient confiées par Don
Rua. Il rédigea la circulaire annonçant la prochaine visite canonique
extraordinaire dans toutes les maisons de la Congrégation par les délégués
du recteur majeur. En France, il présida les célébrations en l’honneur
du vénérable Don Bosco. Il visita quelques maisons du Piémont et les
instituts de Parme, Bologne et Pise. Il prêcha des exercices spirituels à
Lanzo, Valsalice et Lombriasco. Le 18 octobre, il écrivit dans son journal:
« Aujourd’hui, cinquante ans depuis mon arrivée à l’Oratoire. Je pense
avec regret que je n’ai pas profité des grâces de Dieu depuis 50 ans! » Ce
jour-là, Don Rua commença à se sentir mal: « Don Rua est malade. Je prie
beaucoup le bon Dieu de lui donner une meilleure santé pour le bien de
notre Pieuse Société »10 .
Le 12 novembre, il se rendit dans son village natal pour rendre visite
à ses frères et prier sur la tombe des parents: « Je vois mes frères: c’est
peut-être la dernière fois que je vois toute ma famille. »11 La pensée de
sa fin prochaine lui revint, surtout quand il était assailli par ses douleurs à
l’estomac qui le tourmentaient beaucoup l’après-midi et la nuit.
Le 28 décembre 1908, un terrible tremblement de terre dévasta en
quelques secondes les villes de Messine et de Reggio Calabria. L’énorme
catastrophe fit plus de cent mille victimes. Neuf confrères, trente-neuf
élèves et quatre ouvriers trouvèrent la mort au collège salésien de Messine.
Le journal de Don Albera reflète la consternation et les angoisses de cette
époque: le départ de Don Gusmano et de Don Bertello pour la Sicile,
l’ampleur du désastre, le nombre de morts. Don Rua envoya aussitôt un
télégramme aux évêques et aux préfets des deux villes dévastées: « Inquiet
sur le sort de mes confrères et des élèves de Calabre et de Sicile, je pense
10 ASC B0320107, Notes usefull…, 18.10.1908.
11 ASC B0320107, Notes usefull…, 12.11.1908.

10.3 Page 93

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Aux côtés de Don Rua entre 1903 e 1910 91
attirer sur eux la bonté de Dieu en ouvrant les portes de mes Instituts aux
jeunes orphelins du tremblement de terre. J’ai télégraphié à Catane à l’Ins-
pecteur salésien, Don Bartolomeo Fascie, pour qu’il se mette à la dispo-
sition de Votre Excellence et de M. le Préfet pour subvenir aux besoins les
plus urgents des jeunes dans la détresse... »12
On assista aussitôt à la mobilisation de tous les collèges salésiens d’Italie
pour l’accueil des orphelins. Le soir du 31 décembre, malgré les mauvaises
conditions de santé, Don Rua descendit au théâtre de Valdocco pour parler
aux siens. Au milieu de l’émotion générale, il lut le télégramme arrivé
quelques heures auparavant et qui rendait compte du nombre exact des
victimes de l’institut de Messine. Puis il présenté l’étrenne pour le nouvel
an. Le ton de sa voix, le tremblement de ses mains et de toute sa personne,
la profonde douleur qu’il ressentait dans son cœur, firent une impression
profonde sur Albera et toutes les personnes présentes. Les 4 et 5 janvier
1909, on célébra au sanctuaire de Marie Auxiliatrice des offices funèbres
en suffrage pour les salésiens, les élèves, les coopérateurs décédés et de
toutes les autres victimes. Don Rua, très faible, ne put chanter la messe
solennelle, comme il l’aurait souhaité. Pendant les célébrations, il resta
à genoux, le corps et le visage marqués par la souffrance. Il allait avoir
soixante-douze ans et on sentait que sa fin était toute proche.
Dans les mois suivants, Albera resta à Valdocco à côté de Don Rua qui
était malade, pour aider le préfet général Don Filippo Rinaldi à gérer les
affaires les plus urgentes. Dès que le supérieur fut un peu rétabli, il alla
à Rome. Le 21 avril, il représenta le recteur majeur lors de l’installation
du nouveau curé de la basilique de Santa Maria Liberatrice au Testaccio.
Il participa à la béatification de Jean Eudes, l’apôtre de la dévotion au
Sacré-Cœur. Il assista au consistoire où Pie X nomma le salésien Giovanni
Marenco évêque de Massa. Le 1er mai, il fut reçu en audience privée par
le Pape et rendit compte de la santé de Don Rua et de l’état de la Congré-
gation. Il poursuivit son voyage vers Naples et la Sicile. Le 19, il s’em-
barqua de Palerme pour Tunis, où il resta jusqu’au 9 juin. De là, il se rendit
à Marseille pour une visite rapide des maisons salésiennes de France. Il
rentra à Turin le 23 juin à temps pour participer à la traditionnelle « fête de
la reconnaissance » en l’honneur du recteur majeur. Puis il se consacra à la
prédication habituelle des exercices spirituels.
Le 22 novembre 1909, il était à San Benigno Canavese pour les réunions
du Conseil supérieur. Il écrivit dans son journal: « La santé de Don Rua est
12 BS 1909, 35.

10.4 Page 94

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92 Chapitre 6
mauvaise. » Il l’accompagna à son retour à Turin. « Don Rua est toujours
obligé de garder le lit, notait-il le 14 décembre. Mon Dieu, je t’en prie,
donne la santé à notre père. » Le dernier jour de l’année, il nota: « J’ai passé
un peu de temps à examiner ma conduite. J’ai honte en voyant que ma piété
est toujours au même point. Je sens que ma charité est très imparfaite. Je
manque également d’humilité. Les résolutions de l’année dernière n’ont
pas abouti. Mon Dieu, aie pitié de moi ! »13
L’état de santé du premier successeur de Don Bosco empirait. Il semblait
s’améliorer en janvier 1910. Mais en février, il recommençait à baisser.
Toutes les lettres de Don Albera à cette époque demandent des prières
pour le supérieur: « Il est gravement malade, écrivait-il le 28 février au
provincial du Brésil. Il y a eu une légère amélioration aujourd’hui, mais ce
n’est pas suffisant pour notre affection. J’espère que tu as reçu la dernière
circulaire mensuelle dans laquelle on donne des nouvelles du cher malade.
Nous en donnerons d’autres, et Dieu veuille que nous puissions en donner
de meilleures. Don Rua est calme et serein. Son comportement dans la
maladie est celui d’un saint… »14 Les médecins diagnostiquèrent une «
myocardite sénile », qui épuisait inexorablement les forces de son corps.
Mais il restait vigilant et toujours aimable envers ceux qui lui rendaient
visite. Le 14 mars, sentant que sa fin approchait, il demanda qu’on fasse un
inventaire des étagères et des tiroirs de son bureau.
Le dimanche des Rameaux, le visage et les mains de Don Rua commen-
cèrent à enfler. Au bout de trois jours, il demanda le viatique pour le
lendemain. L’eucharistie lui fut apportée le jeudi saint par le préfet général
Don Rinaldi, précédé en procession par d’autres salésiens. Avant de
recevoir l’hostie, Don Rua s’adressa aux personnes présentes: « En cette
circonstance, je sens le devoir de vous adresser quelques mots. Le premier
est le remerciement pour vos prières continuelles: que le Seigneur vous
récompense aussi pour celles que vous ferez encore… Je prierai toujours
Jésus pour vous… Ce qui me tient à cœur, c’est que nous soyons et restions
tous de dignes fils de Don Bosco. Don Bosco sur son lit de mort nous a
donné un rendez-vous: au revoir au paradis! C’est le souvenir qu’il nous a
laissé. Don Bosco voulait que nous soyons tous ses fils; pour cette raison, je
recommande trois choses: un grand amour pour Jésus au Saint-Sacrement;
une dévotion vivante à Marie Secours des chrétiens; un grand respect,
obéissance et affection pour les pasteurs de l’Église et spécialement pour
13 ASC B0320108, Notes usefull…, 14.12.1909.
14 Garneri 241-242.

10.5 Page 95

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Aux côtés de Don Rua entre 1903 e 1910 93
le Souverain Pontife. C’est le souvenir que je vous laisse. Efforcez-vous de
vous rendre dignes d’être les fils de Don Bosco. Je ne manquerai jamais de
prier pour vous… »15
Ces jours-là, Don Albera était à San Benigno pour la conclusion
des exercices spirituels. Il retourna à Turin et, le 29 mars, il administra
l’onction des malades au supérieur mourant. Plusieurs fois par jour, il
allait à son chevet pour le réconforter. Le 2 avril, Don Rua lui demanda:
« Après ma mort, où me mettrez-vous? » Il répondit fortement impres-
sionné: « Oh! Don Rua, nous ne pensons pas à ces choses-là! Au contraire,
nous espérons que vous pourrez guérir et faire encore beaucoup de bien.
» Rua continua en plaisantant: « Tu sais, je te posais cette question parce
qu’au jour du jugement je n’aimerais pas chercher mes pauvres os dans un
endroit alors qu’ils sont dans un autre et devoir faire beaucoup de détours
pour les trouver! » Le soir du 4 avril, Don Rua appela son confesseur,
Don Francesia, qui accourut aussitôt: « Prends le rituel et lis les prières de
recommandation de l’âme. » Le 5, il reçut la communion, la dernière de sa
vie. Le recueillement et la dévotion avec lesquels il la reçut frappèrent les
assistants16 .
Il mourut le matin du mercredi 6 avril 1910, après quelques heures
d’agonie. Albera nota dans son journal: « Aujourd’hui est un jour semblable
au 31 janvier 1888: nous sommes de nouveau orphelins! »17 Les funérailles
furent célébrées samedi, avec une énorme participation de la population.
Le lendemain, il écrivit à Don Peretto: « Nous avons de bonnes raisons de
pleurer un supérieur si bon et si saint. Sa mort et ses funérailles nous ont
fait comprendre quel trésor il était pour nous, et donc combien nous avons
perdu avec sa mort… » Le dimanche 1er mai, il commenta dans une lettre
à Don Vespignani: « Nous devions bien sûr nous attendre à cette perte,
mais nous n’étions pas préparés à la subir. Plus on ira, plus nous sentirons
combien nous avons perdu ».
Le 10 juin, avec Don Filippo Rinaldi, préfet général des salésiens, il fut
reçu en audience par le pape Pie X. Il « eut des paroles de profond regret
et de très grande estime pour notre défunt recteur majeur, et en même
temps des expressions aimables et paternelles d’encouragement pour toute
la famille salésienne »18 .
15 LCR 534.
16 Garneri 242-243.
17 ASC B0320109, Notes usefull…, 6.04.1910.
18 BS 1910, 205.

10.6 Page 96

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94 Chapitre 6

10.7 Page 97

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95
Chapitre 7
LES PREMIÈRES ANNÉES DE RECTORAT (1910-1913)
Don Paolo Albera avec le nouveau cardinal Giovanni Cagliero
et Don Pietro Ricaldone (Rome, décembre 1916)

10.8 Page 98

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96 Chapitre 7
Deuxième successeur de Don Bosco en 1910
Le 15 août 1910, à Valsalice, le onzième Chapitre général commença par
les exercices spirituels prêchés par Don Albera, comme Don Rua lui-même
l’avait établi. Au début des travaux, une lettre dédicacée de Pie X exhortait
les participants à élire le recteur majeur qu’ils jugeaient in Domino le plus
apte à maintenir le véritable esprit de la Règle, à encourager et à diriger
tous les membres de l’institut religieux vers la perfection, et à faire fleurir
les nombreuses œuvres de charité et de religion » auxquelles les salésiens
se sont consacrés. Puis on donna lecture du message du cardinal protecteur
Mariano Rampolla, souhaitant le choix d’un « digne successeur de Don
Bosco et de Don Rua, qui sache préserver sagement leur œuvre, voire
l’augmenter avec de nouvelles fondations. » Le vote eut lieu le lendemain,
16 août. Comme nous le lisons dans le Bulletin salésien, Don Albera fut élu
à une large majorité au premier tour:
« Des applaudissements chaleureux éclatèrent et tout le monde se
leva pour rendre le premier hommage au deuxième successeur de Don
Bosco, tandis que le nouvel élu fondait en larmes... « Je vous remercie
pour le témoignage de confiance et d’estime que vous m’avez donné,
mais je crains que vous ne soyez bientôt dans l’obligation de faire
une autre élection! » L’émotion des électeurs s’accrut à l’écoute de
l’humble déclaration du nouveau recteur, mais se changea en un joyeux
enthousiasme, lorsque Don Rinaldi, brandissant une enveloppe scellée,
déclara qu’elle contenait un souvenir très cher. Et il raconta que le 22
novembre 1877, au cours de la fête de saint Charles dans le collège
qui porte ce nom à Borgo San Martino près de Casale Monferrato, lui,
jeune homme de 20 ans, était assis à table avec l’évêque Mgr Ferré et
Don Bosco, entourés de quelques autres invités ; il les entendait parler
des graves difficultés que rencontrait le jeune clerc Paolo Albera de la
part de son curé et de son archevêque, qui ne voulaient pas qu’il se fasse
salésien; comme Mgr Ferré demandait à Don Bosco si son disciple était
resté victorieux au milieu de telles oppositions, il avait entendu Don
Bosco lui faire cette réponse: « Non seulement Don Albera a surmonté
ces difficultés, mais il en surmontera bien d’autres et il sera mon
deuxième... » Il n’acheva pas la phrase d’une voix claire, mais passant
une main sur son front, le vénérable resta un moment comme absorbé
dans une vision lointaine avant de conclure: « Oh! oui, Don Albera sera
d’un grand secours. » Don Rinaldi termina l’histoire en déclarant qu’il
n’avait jamais oublié ce jour-là…, qu’en effet depuis cette époque il était

10.9 Page 99

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Les premières années de rectorat (1910-1913) 97
constamment resté convaincu que Don Albera, et personne d’autre,
serait le deuxième successeur de Don Bosco. De fait, bien avant la mort
de Don Rua, il avait rédigé un mémoire de cette conversation dont il
informa plusieurs salésiens, notamment le secrétaire général Don
Lemoyne, afin qu’aucun événement ne fasse disparaître le souvenir de
l’annonce prophétique. »1
Cette enveloppe et l’autographe de Don Rinaldi, daté du 27 février 1910,
avec la « prophétie » de Don Bosco, ont été conservés2 . En réalité, Don
Albera était profondément perturbé par le choix des capitulaires. Il ne se
jugeait pas fait pour cette charge. Ce soir-là, il écrivit dans son cahier: «
C’est une journée très malheureuse pour moi. J’ai été élu recteur majeur de
la Pieuse Société de Saint François de Sales. Quelle responsabilité sur mes
épaules! Maintenant plus que jamais je dois crier: Deus in adiutorium meum
intende! J’ai beaucoup pleuré surtout devant la tombe de Don Bosco »3 .
La presse publia l’événement en mettant en avant les compétences du
nouveau recteur majeur. « Homme à l’âme douce, mais à la main ferme,
il a la même suavité dans les yeux et dans la voix que son prédécesseur...
Il rit rarement, mais il sourit toujours. Et dans son sourire, et dans son
regard, et dans ses gestes lents transparaît la grande bonté de son cœur »
(Il Momento). « La fonction de directeur spirituel avait entouré Don Albera
d’une physionomie mystique particulière; mais l’œuvre qu’il a réalisée en
France et en Amérique est là pour démontrer qu’il saura guider la grande
famille salésienne sur les traces laissées par Don Bosco et Don Rua avec la
même compétence, sérénité et largeur de vues » (La Stampa). « Don Paolo
Albera est l’un des plus anciens élèves de Don Bosco et l’un de ceux qu’il
appréciait le plus... C’est un homme aux vues larges et modernes, un peu
maigre, de taille moyenne et au visage ascétique” (Il Corriere della Sera).
« Don Albera, dans le milieu où il vit et où il exerce son intense activité,
est jugé comme une personne d’une intelligence hors du commun et d’une
activité infatigable » (La Gazzetta del Popolo). « Une grande bonté, unie à
une vision précise de ce qui concerne les esprits et à des manières délicates
dans la formation des âmes, est l’une des principales caractéristiques de
ce vénérable prêtre, qui a cependant fait preuve d’une grande compétence
et capacité dans le maniement des affaires difficiles qui lui avaient été
1 BS 1910, 267-268.
2 ASC B0250218, ms. F. Rinaldi.
3 ASC B0320109, Notes usefull…, 16.08.1910.

10.10 Page 100

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98 Chapitre 7
confiées par Don Rua et Don Bosco concernant le développement de la
Société » (L’Unione). « Selon tous ceux qui ont le bonheur de l’approcher,
en Don Albera Don Bosco a transfusé une grande partie de son esprit.
Il suffirait de dire qu’en France il a été désigné sous le nom de petit don
Bosco! La Société salésienne continuera sous sa direction dans la voie des
triomphes pour l’Église et pour la patrie » (L’Osservatore Romano).
Dans les jours suivants, le Pape envoya sa bénédiction. Don Albera
écrivit ce programme sur un morceau de papier qu’il gardera constamment
avec lui: « J’aurai toujours Dieu en vue, Jésus-Christ comme modèle, l’Au-
xiliatrice comme aide, moi-même en sacrifice ».
Le 17 août, on élit les autres membres du Conseil supérieur: le préfet
général Filippo Rinaldi, le directeur spirituel général Giulio Barberis,
l’économe Giuseppe Bertello, le directeur des études Francesco Cerruti,
le directeur des écoles professionnelles Giuseppe Vespignani, le conseiller
général Luigi Piscetta.
Dans une lettre circulaire aux salésiens, Don Albera exprimait ainsi ses
sentiments au moment de l’élection: « Je me suis senti écrasé sous le poids
d’une telle responsabilité. J’aurais aimé me soustraire à une charge que
je savais bien supérieure à mes faibles forces physiques, intellectuelles et
morales. Je voyais autour de moi beaucoup d’autres mieux préparés pour
prendre en mains le gouvernement de notre Pieuse Société, mieux pourvus
de vertu et de connaissances... Mais de peur de résister à la volonté de Dieu
qui, à cet instant, semblait se manifester, et au prix d’un immense sacrifice,
j’ai incliné mon front et je me suis soumis. Mais Dieu sait quelle angoisse
a torturé mon cœur à ce moment-là, combien de larmes j’ai versées, quel
sentiment de découragement m’a assailli. Dès que j’ai pu, j’ai couru me
jeter aux pieds de notre vénérable Père... Avec des larmes plus qu’avec des
mots, je lui ai exposé mes angoisses, mes peurs, mon extrême faiblesse, et
puisqu’il me fallait porter la croix très lourde qui avait été placée sur mes
épaules chancelantes, je l’ai supplié avec ferveur de venir à mon secours.
Je me suis levé de cette tombe sacrée de Valsalice, sinon complètement
rassuré, du moins plus confiant et résigné. Il n’est pas nécessaire d’ajouter
que j’ai promis à Don Bosco et Don Rua que je ferai tout mon possible
pour préserver dans notre humble Congrégation l’esprit et les traditions
que nous avons appris d’eux… »4
À la fin du Chapitre général, il commença son service: celui des visites
des différentes œuvres, des voyages en Italie et en Europe, des rencontres
4 LC 13.

11 Pages 101-110

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11.1 Page 101

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Les premières années de rectorat (1910-1913) 99
publiques; celui, moins visible mais déterminant, de l’animation et du
gouvernement de la Congrégation à travers les réunions du Conseil
supérieur, les rencontres avec les inspecteurs et les directeurs, les entre-
tiens personnels, la vaste correspondance et les lettres circulaires.
Il adopta le modèle de gouvernement inauguré par Don Rua se poursuit,
en l’améliorant progressivement: il promut une gestion collégiale selon des
lignes d’action partagées avec les membres du Conseil supérieur et garantit
une large marge d’action à chaque conseiller dans le domaine de sa compé-
tence établi par les Constitutions et par les délibérations capitulaires. Au
préfet général Don Filippo Rinaldi, vicaire du recteur majeur, était confiés la
responsabilité des affaires ordinaires, des aspects administratifs généraux
et des interventions disciplinaires, le soutien des missionnaires, les relations
avec les anciens élèves et les coopérateurs, la gestion du Bulletin salésien.
Le directeur spirituel général, Don Giulio Barberis, était « spécialement
chargé du soin des novices », de la promotion des vocations, du « profit
moral et spirituel de la Société Pieuse et de ses membres », de la diffusion
du culte de Marie Auxiliatrice et de la haute direction des Oratoires festifs.
L’économe général, Don Clemente Bretto, supervisait « l’état matériel de
toute la Société », il effectuait « les achats, les ventes et les fabrications
». Au conseiller scolaire, Don Francesco Cerruti, incombait « la prise en
charge générale de ce qui touche à l’enseignement littéraire et scientifique,
philosophique et théologique dans les maisons de la Pieuse Société, tant
pour les confrères que pour les élèves ». Le conseiller professionnel, Don
Pietro Ricaldone, avait la responsabilité de « la formation du personnel
impliqué dans les écoles professionnelles et agricoles, les travaux domes-
tiques et l’instruction des élèves ».
La première partie du rectorat de Don Albera fut la plus dynamique,
pleine de longs voyages, de rencontres et de grands événements. Après le
Chapitre, il se rendit à Rome pour recevoir la bénédiction du Pape et se
présenter aux cardinaux des congrégations romaines. Début septembre, il
participa au congrès catéchétique qui se tenait à Milan. De retour à Turin,
il suivit les préparatifs de l’expédition missionnaire annuelle. La cérémonie
d’adieu aux missionnaires eut lieu le 11 octobre 1910 dans l’église Marie-Au-
xiliatrice. Un par un, il embrassa les cent missionnaires qui partaient,
laissant à chacun un souvenir personnel. Puis il prépara un volume avec
la collection complète des lettres circulaires de Don Rua. Dans la présen-
tation, il écrivait: « La vie de Don Rua fut un effort continuel d’imitation
du vénérable Don Bosco. C’est à cela qu’est dû ce progrès incessant dans la
perfection, que pouvait admirer quiconque l’approchait... Parmi les vertus

11.2 Page 102

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100 Chapitre 7
qui brillaient d’une lumière très vive dans la vie de notre vénérable Père et
Maître, notre regretté Don Rua a pu dire que rien ne l’avait frappé autant
que le zèle infatigable dont son cœur était enflammé, et c’est ce zèle qu’il
se proposa sans doute de recopier d’une manière spéciale en lui-même.
Travailler partout et toujours pour la gloire de Dieu, sauver le plus grand
nombre d’âmes possible, c’était le but vers lequel il dirigeait ses pensées,
toutes ses paroles et ses actions. C’était la seule fin, la seule aspiration de
toute sa vie laborieuse ». Il invitait ensuite tous les salésiens « désireux
de faire chaque jour quelques pas vers la perfection » à relire et à méditer
les circulaires de Don Rua: « Elles sont comme la quintessence de l’esprit
religieux, comme un abrégé des traités ascétiques, chefs-d’œuvre de la
pédagogie salésienne... »5
1911-1912
Dans la première lettre circulaire, datée du 25 janvier 1911, le nouveau
recteur majeur déclara qu’il ne voulait pas se présenter « avec le langage
d’un supérieur et d’un maître, mais avec la simplicité et l’affection d’un
frère et d’un ami », dans la seule intention d’aider tous les confrères « à se
montrer de plus en plus les dignes fils de notre vénérable Fondateur et Père
». Il rappelait les vertus et l’œuvre de son prédécesseur et remercia le préfet
Don Rinaldi d’avoir guidé la Congrégation pendant la maladie et après
la mort de Don Rua: « Pendant le gouvernement de Don Rinaldi, écrit-il,
tout s’est déroulé avec ordre et régularité tant à l’intérieur que dans l’exté-
rieur… Tous les inspecteurs et les délégués venus ici des rivages les plus
lointains pour participer à notre onzième Chapitre général trouvèrent en lui
un bon supérieur et un frère affectueux. » Puis il résumait les travaux du
Chapitre, exprimait ses sentiments et la crainte de ne pas être à la hauteur
du poste auquel il avait été élu, racontait l’audience papale et le programme
tracé par le Pape: « Rappelez à vos confrères que Celui qu’ils servent,
Dominus est. Que la pensée de la présence de Dieu soit bien fixée dans
leur esprit, qu’ils soient guidés en tout par l’esprit de foi, qu’ils accom-
plissent avec ferveur leurs pratiques de piété et offrent à Dieu leurs travaux
et leurs sacrifices. Que Dieu soit toujours dans leur esprit et dans leur cœur
». Enfin, après avoir présenté les tristes conséquences de la révolution au
Portugal et à Macao, il concluait en annonçant son programme immédiat:
5 LCR 5.

11.3 Page 103

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Les premières années de rectorat (1910-1913) 101
face au grand et providentiel développement de l’œuvre salésienne dans le
monde, il estimait que pour le moment on ne devait pas ouvrir de nouvelles
œuvres – « aussi excellentes fussent-elles et avantageuses pour les âmes
» – mais plutôt travailler à « consolider celles qui nous ont été laissées par
Don Bosco et Don Rua. »6
Son principal souci, motivé par l’expérience accumulée durant les années
précédentes, était d’aider les confrères à maintenir un juste équilibre entre
l’action et la contemplation. Ç’avait été le programme de son service de
directeur spirituel de la Congrégation. Maintenant il en sentait encore plus
l’urgence. C’est ainsi qu’il consacra la deuxième lettre circulaire (15 mai
1911) à l’esprit de prière, note caractéristique qui explique la prodigieuse
fécondité de l’action de Don Bosco et constitue « le fondement du système
préventif ». Les salésiens doivent comprendre combien cet « esprit » est
nécessaire pour sanctifier leurs actions quotidiennes, pour contrer la «
maladie de l’agitation » et pour vivre dans la ferveur de l’esprit7 .
Le 20 février 1911, il participa à l’introduction de la cause de béati-
fication de Don Andrea Beltrami à Novara. Le 6 mai, il rendit visite au
Comité des œuvres salésiennes de Milan et fit une profonde impression
sur les personnes présentes: « En lui rendant hommage, il nous semblait
voir devant nous les figures vénérables de ses prédécesseurs... Une grande
largeur de vues, une grande sagesse pratique et une merveilleuse fermeté
d’esprit s’allient à une piété profonde et une modestie exemplaire; en lui
aussi on devine, on sent le véritable homme de Dieu... Pas de geste, pas
de pose, pas de paroles retentissantes..., mais sans prétentions, une aura de
sainteté qui vous captive, une parole sereine qui cherche les fibres les plus
cachées du cœur… » (L’Union). Du 10 au 12 mai, il fut à Sampierdarena,
la maison qu’il fonda et dirigea de 1871 à 1882. Il participa activement au
cinquième Congrès des Oratoires festifs et de l’Enseignement religieux
les 17 et 18 mai. Après la fête de Marie Auxiliatrice, il visita les œuvres
salésiennes de Vénétie: il fut à Trieste, à Gorizia, à Mogliano et à Schio.
En juin, il entreprit un voyage en Espagne en compagnie de Don Pietro
Ricaldone, ancien inspecteur de ce pays, qui avait été élu conseiller profes-
sionnel de la Congrégation quelques mois auparavant. Après de brefs arrêts
dans les maisons salésiennes de France, ils arrivèrent à Barcelone le 10
juin. Ils furent les hôtes de l’école de Sarrià. Le samedi 17, ils partici-
pèrent à la bénédiction de la crypte du sanctuaire dédié au Sacré-Cœur au
6 LC 9-21.
7 LC 25-39.

11.4 Page 104

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102 Chapitre 7
Tibidabo. De retour à Turin, il présida le premier Congrès international des
anciens élèves salésiens qui s’est tenu à Valsalice en septembre. Il y avait
là un millier de participants de diverses nationalités. Dans le discours de
clôture, il déclara: « Nous avons assisté à une nouvelle Pentecôte! Toutes
les langues que nous avons entendu résonner dans cette salle avaient toutes
un seul but, la glorification de Don Bosco. Voici devenu réalité ce qu’il
disait quand ils pensaient qu’il était fou! Il n’avait pas le moindre morceau
de terrain pour son premier oratoire et ne cessait de dire qu’un jour il aurait
des maisons partout dans le monde! Son rêve est devenu réalité. Nous
voyons ici les représentants des élèves éduqués dans ces maisons, et nous
avons entendu leurs paroles émues. »8
En octobre, après la cérémonie d’adieu aux cinquante missionnaires
destinés spécialement à la Chine et au Congo, Don Albera partit pour
l’Autriche, la Pologne et l’Ukraine. Il visita Oświęcim, Lviv, Daszawa,
Przemyśl, Tarnow et Cracovie. Le 28 octobre, il fut accueilli à Vienne avec
de grands honneurs par les coopérateurs et par des personnalités du clergé
et des institutions civiles. Il continua vers Ljubljana. À la mi-novembre il
était de retour à Turin.
Sa lettre circulaire du 25 décembre 1911 fut consacrée à la Discipline
religieuse. Il y expliquait le sens que Don Bosco attribuait à la disci-
pline pour « la formation de l’homme intérieur ». Dans les communautés
religieuses disciplinées – comme il avait pu le constater dans toutes les
régions du monde – règne « l’ordre le plus parfait », les esprits et les cœurs
sont unis par le lien de la charité. Mais là où la discipline fait défaut, la
ferveur, l’unité et la concorde disparaissent, la piété et l’ardeur pastorale
s’estompent peu à peu. Sans discipline, tout s’effondre, tandis que l’obser-
vance des Constitutions et des règlements, l’obéissance fervente et joyeuse
aux supérieurs transforment la communauté en paradis et font fructifier la
mission salésienne »9 .
Dans la circulaire aux coopérateurs de janvier 1912, après avoir
énuméré les fondations et les réalisations de l’année précédente, Albera
proposa un programme opérationnel intense: promotion des vocations,
ouverture d’oratoires festifs, aide aux émigrés et amour du Pape. Il recom-
manda à la charité des coopérateurs deux grandes églises en construction :
la Sainte-Famille à Florence et Saint-Augustin à Milan10 .
8 BS 1911, 316.
9 LC 55-62.
10 BS 1912, 6-8.

11.5 Page 105

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Les premières années de rectorat (1910-1913) 103
Pour soutenir le développement de la Congrégation et sa consolidation, il
réunit les provinciaux d’Europe à Turin du 18 au 22 mars. En avril, il partit
pour la Grande-Bretagne. Il s’arrêta deux jours à Paris pour rencontrer des
amis et des bienfaiteurs. Il s’arrêta quelques jours sur l’île de Guernesey,
où les salésiens administraient trois paroisses, et arriva à Londres-Bat-
tersea le soir du 17. Il consacra l’essentiel de son temps aux confrères et
aux élèves des trois maisons salésiennes de Londres. Il rendit visite aux
autorités ecclésiastiques et aux amis de l’œuvre. Il passa deux jours avec
les novices de Burwash dans l’East Sussex, puis passa au collège de Farn-
borough dans le Hampshire et dans les écoles de Chertsey confiées aux
Filles de Marie Auxiliatrice.
Le 27 avril, il se rendit en Belgique: il fut à Tournai, Melle, Antoing et
Bruxelles, où il rencontra le cardinal Mercier, le nonce et les ministres des
Affaires étrangères et des Colonies, pour discuter des questions relatives à
la présence des salésiens au Congo. Il visita Groot-Bijgaarden et Sint-Deni-
js-Westrem. Le 10 mai, il arrivait à Liège pour célébrer le 25e anniversaire
de la fondation de l’orphelinat, inaugurer l’exposition des écoles profes-
sionnelles salésiennes de Belgique et couronner la statue de Marie Auxi-
liatrice. De Liège, il écrivit à mère Eulalia Bosco, nièce du saint: « Partout
où je vais, j’entends parler de Don Bosco avec un enthousiasme indescrip-
tible. À chaque pas que je fais, je trouve des preuves de sa sainteté: je m’en
réjouis autant que vous le feriez vous-même, qui êtes de sa famille. Si pour
vous il est votre oncle, pour moi Don Bosco est mon père. C’est à lui que je
dois tout: combien j’apprécie sa glorification! »
Après avoir visité l’institut de Hechtel, il était de retour à Valdocco
le matin du 23 mai. Après la fête de Marie Auxiliatrice, il se dépensa
pour offrir l’hospitalité dans les instituts salésiens aux enfants d’Italiens
expulsés de Turquie. Le 29, il partit pour l’Émilie. Il s’arrêta à Bologne,
Faenza, Lugo di Romagna, Ravenne, Ferrare et Modène. Il rentra tempo-
rairement à Turin le 9 juin pour célébrer la messe d’or de Mgr Cagliero et
de Don Francesia. Puis il visita les œuvres salésiennes de Parme, Florence,
Pise, Livourne et La Spezia. Le 24 juin, il était à Turin pour la fête annuelle
de la reconnaissance. Les démonstrations d’affection des confrères et des
jeunes le consolaient, mais il se sentit mal à l’aise lorsqu’on fit l’éloge de ses
qualités et de ses vertus. À cette occasion, répondant à une lettre de Don
Giovanni Branda, il écrivit: « Tu rappelles des souvenirs très anciens, mais
très chers à mon cœur ; tu parles aussi de montées! Si seulement c’étaient
celles dont parlait David, c’est-à-dire de réels progrès dans la piété et dans
la vertu! Malheureusement, j’ai tant de raisons de m’humilier: les fêtes, les

11.6 Page 106

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104 Chapitre 7
choses qui m’ont été dites et lues, me donnent beaucoup à réfléchir pour le
bien de mon âme. Et toi, aide-moi avec ta prière et en offrant au Seigneur
les sacrifices que tu fais pour le bien des âmes »11 .
En octobre 1912, il salua et bénit la nouvelle expédition missionnaire.
Parmi les partants figurait le jeune Ignazio Canazei, qui succédera à
Mgr Versiglia en tant que vicaire apostolique de Shiuchow (Shaoguan)
; il racontera en 1929: « Avant notre départ pour la Chine, Don Albera
nous a invités à assister à la sainte messe qu’il voulut célébrer lui-même
dans la chapelle de Don Bosco. Ensuite, il nous adressa la parole sur un
ton très paternel. Il nous dit entre autres: « Vous partez maintenant pour
les missions. Au début vous rencontrerez beaucoup de difficultés, mais
avec le temps vous vous familiariserez avec la langue et les coutumes,
vous rencontrerez beaucoup de monde, et, après une dizaine d’années, le
nouveau pays deviendra pour vous une seconde patrie: vous n’aurez même
plus envie de rentrer dans votre pays... Les paroles prononcées par notre
vénérable Supérieur Majeur se sont vérifiées à la lettre. De fait, plus les
difficultés des premières années étaient grandes, plus j’aimais ce grand et
lointain pays de Chine, où le Seigneur m’a envoyé comme missionnaire: et
même avant que dix ans se soient écoulés, je ne sentais plus aucun besoin
de retourner dans ma patrie. »12
Après la visite des maisons de Ligurie, il adressa aux salésiens une lettre
circulaire sur la Vie de foi (21 novembre 1912). Ce petit traité doctrinal se
terminait par le rappel de la foi ardente de Don Bosco, inspiratrice de toute
son action, et l’invitation faite aux confrères à raviver leur foi, devenant
ainsi des instruments efficaces entre les mains du Seigneur pour alimenter
le flambeau de la foi dans les nouvelles générations et « pour la restauration
de son Règne dans les âmes. »13
Une année d’une grande intensité (1913)
Au début de 1913, il entreprit un voyage de cinq mois en Espagne qui
– comme l’écrivit le chroniqueur du Bulletin salésien – « fut un triomphe
grandiose et solennel, aux proportions presque fabuleuses, qui en plusieurs
endroits imita l’enthousiasme de Paris (en 1883) et de Barcelone (1886)
11 Garneri 276.
12 Garneri 278-279.
13 LC 82-100.

11.7 Page 107

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Les premières années de rectorat (1910-1913) 105
autour de Don Bosco. La presse s’intéressa à son passage comme un
événement d’une grande importance..., tandis que des comités diligents
d’éminents bienfaiteurs cherchaient par tous les moyens à honorer le
successeur de Don Bosco... Plusieurs milliers de personnes le saluèrent
à l’arrivée et au départ, et pendant tout le temps de son séjour dans l’ins-
titut salésien on assista à un va-et-vient continuel d’une foule incroyable de
messieurs et de gens du peuple, avec la participation des autorités ecclé-
siastiques, civiles et militaires... On vit des villages entiers se précipiter
vers les gares où Don Albera ne faisait que passer, uniquement pour le
voir et recevoir sa bénédiction au nom de Marie Auxiliatrice; et là où il
s’arrêtait, il fut contraint dans plusieurs endroits de traverser les rues de la
ville en voitures découvertes, au son festif des cloches, avec des salves en son
honneur... »14. Il y a beaucoup d’emphase journalistique dans ces expres-
sions, mais la visite de Don Albera a été de fait l’occasion de mobiliser les
catholiques espagnols, dans le climat social et politique effervescent de ces
années. Il se sentit consolé et en même temps oppressé: « Ici, en Espagne,
on m’écrase à force de fêtes. Il n’y a pas un moment de paix et de repos.
La pensée que je devrai mener cette vie encore pendant trois mois me fait
peur. » Malgré l’énorme fatigue, il resta profondément touché par le fait
que tous désiraient l’entendre parler de Don Bosco et de Marie Auxilia-
trice.
Il arriva à Barcelone le samedi 11 janvier 1913; après une semaine, il
partit sur l’île de Minorque et le 24, il était de retour à Barcelone, où il
resta quelques jours. Le 30, il poursuivit son voyage jusqu’à Alicante et
Campello. Il fut accueilli à la gare de Valence le 6 février et accompagné à la
maison salésienne en procession avec la fanfare. Lundi 10, il reprit la route
en direction de Cordoue. Puis il fit étape à Montilla, Malaga, Ronda, Ecija,
Utrera, Séville, Cadix, Jerez de la Frontera, San José del Valle, Caramona,
Madrid et Carabanchel Alto. Le 3 avril il atteignait Salamanque. Il y resta
dix jours et visita également Avila et Bejar. Le dimanche 13, il partit pour
Orense et Vigo, puis il se rendit à Pontevedra, Saint-Jacques-de-Compos-
telle, La Corogne, Santander, Baracaldo, Bilbao, Huesca, Saragosse et
Gérone, d’où un bienfaiteur le conduisit au monastère de Montserrat. Le
15 mai, il quitta l’Espagne et après une escale de deux jours à Marseille, il
arriva à Turin dans la soirée du lundi 19 mai.
À la fin du mois, il envoya aux confrères la lettre sur les Oratoires
festifs. L’Oratoire, écrit-il, « pierre angulaire » de toute l’œuvre salésienne,
14 BS 1913, 131-132.

11.8 Page 108

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106 Chapitre 7
est destiné sans distinction à tous les enfants « à partir de sept ans; on ne
demande ni la situation familiale ni la présentation du jeune par les parents
; la seule condition pour être admis est de venir avec la bonne volonté de
s’amuser, de s’instruire et de remplir ses devoirs religieux avec tous les
autres... Tous les jeunes, même les plus abandonnés et les plus misérables,
doivent sentir que l’Oratoire est pour eux la maison paternelle, le refuge,
l’arche du salut, le moyen sûr pour devenir meilleur sous l’action transfor-
matrice de l’affection plus que paternelle du directeur. » « Autour de chaque
maison salésienne – écrivait-il en citant les paroles de Don Rua – doit surgir
un Oratoire festif », confié à un confrère zélé et dévoué qui sache trouver et
former ses auxiliaires parmi les jeunes eux-mêmes et d’autres bons laïcs.
« Donnez-moi un directeur d’Oratoire rempli de l’esprit de notre vénérable
Père, assoiffé d’âmes, riche de bonne volonté, plein d’affection et préoccupé
du bien des jeunes, et l’Oratoire s’épanouira à merveille même s’il manque
de moyens matériels... C’est bien ainsi: l’affection sincère du directeur et
de ses coadjuteurs supplée à bien des manques. Ne pensons pas que nous
avons fait l’Oratoire comme Don Bosco le souhaitait lorsque nous avons
mis sur pied un lieu de loisirs où sont réunis quelques centaines de jeunes.
S’il est souhaitable que l’Oratoire soit abondamment pourvu de toutes
sortes de possibilités et de divertissements afin d’augmenter le nombre des
participants, il ne faut cependant jamais séparer tout cela des préoccupa-
tions les plus industrieuses pour les rendre meilleurs et les enraciner dans
la religion et dans la vertu. »15
À l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la consécration de
l’église du Sacré-Cœur, Albera resta quinze jours à Rome. Il fut reçu en
audience par le Pape (9 juin 1913) et rencontra plusieurs personnalités. Il
était accompagné de Don Barberis, qui écrivait à un ami: « On a beaucoup
parlé, surtout avec le cardinal Francesco Cassetta, préfet de la Congré-
gation des Études, à propos de la faculté de théologie de Foglizzo, et main-
tenant les démarches nécessaires sont en cours: il y a de bonnes chances de
réussite. Jusqu’à présent, Don Albera a rendu visite à dix cardinaux pour
traiter avec eux des affaires de la Congrégation, et moi, qui l’accompa-
gnais, j’ai toujours eu l’occasion de constater combien notre Pieuse Société
est appréciée et aimée de tous, et combien on connaît nos affaires et l’action
prudente en tout de Don Albera. »
Le 14 juin commença la visite des œuvres salésiennes des provinces
romaine et napolitaine: Frascati, Genzano, Macerata, Gualdo Tadino,
15 LC 112-118.

11.9 Page 109

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Les premières années de rectorat (1910-1913) 107
Trevi, Caserte, Naples et Castellammare di Stabia. Au retour, il s’arrêta
à Milan, où il rencontra les coopérateurs, les prêtres anciens élèves des
salésiens et les maîtres d’œuvre qui travaillaient à l’achèvement de l’église
Saint-Augustin. Le 29 juin, il était à Turin pour la fête de la reconnaissance
et la séance en son honneur. Dans les jours qui ont suivi, il s’est adressé
au comité exécutif du monument à Don Bosco, qui avait choisi parmi les
nombreux projets présentés celui du sculpteur Gaetano Cellini.
En septembre, en tant que délégué du Saint-Siège, il présida le septième
Chapitre général des Filles de Marie Auxiliatrice. Il raconta aux sœurs
ses souvenirs: « J’ai eu la chance d’être présent à la réunion du Chapitre
supérieur où notre vénérable père Don Bosco parla pour la première fois
(1871) de manière décisive des Filles de Marie Auxiliatrice et, comme je
l’ai entendu alors de ses lèvres, j’ai pu constater plus tard que votre institut
est vraiment une œuvre voulue par Dieu et Marie Auxiliatrice ; j’ai pu aussi
m’en persuader lors de mes visites dans vos maisons, et maintenant j’ai la
chance de pouvoir l’affirmer à chacune d’entre vous, ici réunies en tant que
représentantes de la Congrégation tout entière… Vous auriez pu trouver,
même parmi les salésiens, des personnes qui connaissent votre institut
mieux que moi, plus capables que moi de vous conseiller et de vous aider;
mais, peut-être pas quelqu’un qui vous aime et qui apprécie votre travail
plus que moi. Je vous remercie de m’avoir appelé à une si grande charge.
Avec l’aide de Dieu, nous ferons tout notre possible pour que les travaux
de ce Chapitre soient réellement pour la gloire de Dieu et pour le bien des
âmes, comme le veut Notre-Dame Auxiliatrice »16 .
Lorsque les sœurs capitulaires passèrent à la discussion sur la manière
d’appliquer le Système préventif dans leurs instituts, il fit une intervention
qui nous aide à comprendre sa vision de la pédagogie salésienne: « Le
Système préventif a été très apprécié par les meilleurs spécialistes de la
pédagogie, même protestants, à cause de son aspect hautement éducatif,
pour sa grande efficacité dans l’éducation morale. Mais quant à nous, nous
devons l’admirer surtout sous son aspect religieux. Le système de Don
Bosco empêche l’offense de Dieu. Que gagne-t-on à punir le mal après qu’il
a été commis?... Si, au contraire, nous l’empêchons, tout est gagné, pour
l’âme, pour le corps, pour la famille, pour la société. Vigilance donc, assis-
tance maternelle, non militaire, prompte et pleine d’affection. Une autre
caractéristique de Don Bosco, incarnée dans son système, est celle qui
lui a valu la conquête de tant de cœurs et tant de vénération. Ses premiers
16 Garneri 292.

11.10 Page 110

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108 Chapitre 7
élèves, des hommes qui occupent aujourd’hui des positions très impor-
tantes dans la société, conservent de lui après 55 ans un souvenir ému. Les
nombreux anciens élèves et anciennes élèves sont la preuve éloquente des
miracles obtenus par le système de Don Bosco. Il a divinisé la pédagogie,
a-t-on dit, et c’est vrai, parce qu’il a toujours visé Dieu; et ce qu’il cherchait
avant tout, c’était de conduire les âmes à Dieu »17 .
En octobre 1913, la santé recommença à empirer: « J’ai beaucoup souffert
de mon estomac... Le médecin me soutient avec des injections. Je suis très
tourmenté. » Cependant, il n’arrêta pas de se consacrer à l’animation de la
famille salésienne, animé par son ardent désir d’action bénéfique. Dans sa
lettre annuelle aux coopérateurs de janvier 1914, il écrit: « Nous prenons
bien garde de nous lancer les yeux fermés dans de nouvelles entreprises;
au contraire, humainement parlant... nous voudrions mettre un frein à toute
nouvelle activité, nous restreindre dans le champ de nos activités déjà trop
vaste. Mais quand, face au mal qui se propage et au bien qui doit être fait
de toute urgence, il nous apparaît clairement que l’invitation à de nouvelles
œuvres pour la gloire de Dieu et pour le salut des âmes nous vient d’en haut,
nous n’hésitons pas, à l’exemple de Don Bosco, à être un peu saintement
audacieux. Pour cette raison, nos maisons d’accueil, bien que dépourvues
de tout revenu, sont toujours bondées de jeunes, dont beaucoup sont tota-
lement pauvres et abandonnés… »18 .
Malgré ses problèmes de santé, il partit le 30 janvier visiter les œuvres
salésiennes en Sicile. Ce fut un voyage fatigant mais enrichissant. Il s’arrêta
à Massa Carrara, à Rome et à Naples, où il s’embarqua pour Palerme. Il
resta deux mois en Sicile. Partout, il reçut un accueil semblable à celui
d’Espagne: à Palerme, Mazzara del Vallo, Marsala, Messine, Catane,
Alì Marina, Taormina, Acireale, Pedara, Bronte, Randazzo, Modica et
Caltagirone. Il se rendit également à Malte. De retour à Catane, il participa
au congrès des anciens élèves de Sicile et de Calabre. Le 24 mars, il quitta
l’île pour Bova Marina, où les salésiens dirigeaient le séminaire diocésain
et l’Oratoire festif. Il fit une étape de deux jours à Soverato. Il gravit le
plateau pour visiter l’Oratoire de Borgia, puis se rendit à Reggio de Calabre.
De là, le 2 avril, il passa à Rome. Le jeudi 16, il fut reçu en audience privée
par Pie X, qui lui laissait ce souvenir pour les salésiens et leurs élèves: «
Dites-leur qu’ils vivent toujours en la présence de Dieu! »19
17 Garneri 293-294.
18 BS 1914, 7.
19 BS 1914, 129.

12 Pages 111-120

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12.1 Page 111

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109
Chapitre 8
LE DRAME DE LA GUERRE (1914-1918)
Don Albera avec un groupe de salésiens soldats réunis à Valdocco
pour les exercices spirituels (Turin, 13 octobre 1916)
Le début de la guerre
À la fin de juillet 1914 éclata la terrible première guerre mondiale,
qui en peu de temps impliqua les grandes puissances mondiales et ne se
termina qu’en novembre 1918, avec le bilan effroyable de neuf millions
de soldats morts et de sept millions de victimes civiles. Le 20 août, alors

12.2 Page 112

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110 Chapitre 8
que se déroulaient les premières batailles sur le front belge et français,
Pie X mourut de chagrin pour n’avoir pas réussi à éviter le conflit. Après
l’élection de son successeur Benoît XV, Don Albera se rendit à Rome. Il
fut admis à l’audience le 14 octobre et reçu avec une grande affection par le
Pape. Pendant ce temps, la guerre progressait de manière désastreuse et le
Conseil supérieur décida de reporter le Chapitre général et les célébrations
prévues pour le centenaire de la naissance de Don Bosco.
Dans la circulaire de janvier 1915, Albera encourageait les coopérateurs
à multiplier leurs prières: « Une guerre horrible menace de plonger dans
le sang la prospérité de nombreuses nations avec lesquelles la famille salé-
sienne a des liens de reconnaissance très forts ; d’autre part, les consé-
quences de l’énorme conflit paralysent la vitalité de nombreux autres
peuples… Beaucoup de nos confrères sont impliqués dans le tourbillon de
la guerre, donc exposés à une mort tragique (et nous avons pleuré beaucoup
de morts); divers instituts, autrefois heureux et florissants, sont aujourd’hui
dépeuplés, sans la présence des jeunes, ou réduits à une vie misérable...
Quant à nous, terrifiés par la nouvelle de la vaste conflagration, nous
avons commencé dès le 2 août à élever nos plus ferventes prières devant
l’autel de Marie Auxiliatrice pour invoquer la paix ; et les humbles suppli-
cations continueront de monter chaque jour, et avec une ferveur toujours
plus grande, jusqu’à ce qu’il plaise à la divine clémence de les exaucer...
Le moment est grave: c’est l’heure d’une grande expiation sociale. Dieu
veut faire comprendre aux peuples que leur bonheur temporel et éternel
réside dans la pratique des enseignements du Saint Évangile: quand ils
l’auront compris, le jour de la restauration de toutes choses en Jésus-Christ
ne tardera pas à venir... Alors gardons-nous bien, chers coopérateurs et
pieuses coopératrices, de succomber en proie à la peur ou au désespoir,
mais au contraire redoublons nos humbles efforts pour que Jésus-Christ
règne au milieu de la société moderne… »1 On n’était qu’au début du
conflit. Le recteur majeur ne pouvait pas prévoir ce qui se passerait dans
les années suivantes, les horreurs des champs de bataille et les deuils qui
allaient bouleverser la famille salésienne.
Le 13 janvier, un fort tremblement de terre frappa les Abruzzes. Parmi
les nombreuses victimes, il y eut aussi deux Filles de Marie Auxiliatrice.
Albera écrivit à ses confrères: « Inclinons le front devant la volonté divine
et prions aussi pour les nombreuses victimes de ce cataclysme. Mais mon
cœur me dit que Don Bosco et Don Rua ne se contenteraient pas de cela, et
1 BS 1915, 1-2.

12.3 Page 113

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Le drame de la guerre (1914-1918) 111
c’est pourquoi je me dispose à accueillir une partie des orphelins survivants,
dans les limites des offrandes charitables que le Seigneur nous envoie. »2
Stimulés par son invitation, les salésiens ont immédiatement réagi. Cent
soixante-dix orphelins ont été accueillis dans diverses maisons salésiennes
d’Italie.
Fin janvier on imprima le Manuel du directeur, sur lequel Don Albera
travaillait depuis des années dans le but de donner à chaque directeur
des normes qui l’aideraient à « conserver l’esprit de Don Bosco » dans
sa maison. « Ce manuel – écrivait-il dans l’introduction en s’adressant au
directeur – te sera très utile parce que, laissant de côté les discussions théo-
riques, il descend dans la vie pratique et te rappelle tout ce que tu dois faire
pour remplir ton devoir de la manière la plus avantageuse pour toi-même et
pour tous ceux qui dépendent de toi; mais je pense aussi qu’il te fera grand
plaisir et j’espère qu’il ne restera pas sans fruit, car les exhortations, les
conseils et les avertissements qu’il contient sont tirés de sources précieuses.
» Il s’agit en effet d’indications déduites de « ce que Don Bosco et Don Rua
nous ont laissé par écrit quant aux normes à suivre par les directeurs » et de
quelques directives de Don Albera lui-même, suggérées « par les besoins
de notre temps et des conditions nouvelles » des instituts salésiens3 . Le
volume est divisé en deux parties. La première énumère les qualités qui
doivent caractériser le directeur selon l’esprit de Don Bosco, à savoir l’effort
pour se perfectionner soi-même, l’étude et la mise en pratique des Consti-
tutions, l’obéissance aux supérieurs, l’esprit de discipline et de sacrifice,
l’amour de la pauvreté, l’étude des sciences sacrées, la vie de foi et de zèle.
La deuxième partie, plus pratique, présente les devoirs du directeur envers
les confrères, envers les jeunes et envers les personnes du dehors. Le texte
fut envoyé aux directeurs salésiens avec une lettre personnelle autographe
de Don Albera. À l’un d’eux il écrivait: « En tant que directeur de Viedma,
tu auras l’occasion de travailler beaucoup et aussi d’aider à garder toujours
mieux l’esprit de Don Bosco. Efforce-toi de reproduire en toi les vertus et
la manière de gouverner que Don Bosco et Don Rua nous ont enseignée
par leur exemple et leur parole. Tout le bon fonctionnement d’une maison
dépend du directeur. Si certaines maisons ne vont pas bien, c’est parce que
le directeur n’a pas le calme, la charité, la douceur et la patience de nos
pères. Avec certains coups de colère on gâte la situation au lieu d’aider,
avec un zèle trop brusque et inégal on éloigne les âmes: en voulant les
2 LC 171.
3 Manuale 4-5.

12.4 Page 114

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112 Chapitre 8
confrères trop parfaits, ils deviennent nerveux et se découragent. »4
Il consacra les mois d’avril, mai et juin à la visite des maisons salé-
siennes du Piémont, de la Lombardie et de la Vénétie. À la fin, il était
épuisé. Il fut contraint de prendre quinze jours de repos à Oulx dans le
Val di Susa. Entre-temps, le 24 mai 1915, l’Italie était également entrée
en guerre aux côtés de la Triple-Entente. Le gouvernement commença le
recrutement militaire de masse. Des centaines de jeunes salésiens furent
aussitôt enrôlés. Lors de la réunion des inspecteurs d’Europe, convoquée
fin juillet, on décida de rouvrir les écoles malgré les difficultés de la guerre,
on parla de l’assistance aux salésiens militaires, et de la mobilisation de
coopérateurs pour soutenir les œuvres en graves difficultés économiques.
Les célébrations prévues pour le centenaire de la naissance de Don Bosco
furent réduites. Le 15 août, dans la cour de Valsalice, devant sa tombe,
on célébra une messe avec la participation d’une foule nombreuse. Dans
l’après-midi eut lieu la commémoration civile. Le lendemain, à côté de la
maison des Becchi, après la célébration eucharistique, Don Albera bénit
la première pierre du sanctuaire dédié à Marie Auxiliatrice, qu’on voulut
ériger comme offrande votive pour implorer la paix.
Six mois après le début de la guerre, la situation s’était aggravée. Dans
la lettre circulaire du 21 novembre, on lit: « Un nombre considérable de
nos chers confrères, parmi lesquels de nombreux jeunes prêtres, se sont
trouvés dans la dure nécessité de renoncer à leur habit religieux pour
revêtir l’uniforme militaire; ils ont dû quitter leurs chères études pour
manier l’épée et le fusil; ils ont été arrachés à leurs paisibles collèges et
écoles professionnelles pour aller vivre dans les casernes et les tranchées,
ou on les a employés comme infirmiers à soigner les malades et les blessés.
Nous en avons également un certain nombre au front, où quelques-uns ont
déjà laissé leur vie et d’autres sont revenus horriblement mal en point ».
Malgré tout, Don Albera encourageait chacun à continuer sa mission avec
confiance: « Nous serions des hommes de peu de foi si nous nous laissions
gagner par le découragement. Nous montrerions que nous ignorons l’his-
toire de notre Pieuse Société si, face aux difficultés qui semblent vouloir
nous barrer la route, nous nous arrêtions, découragés. Que dirait au ciel,
d’où notre doux Père nous regarde avec amour, s’il nous voyait sans énergie
et découragés sous prétexte que nous sommes moins nombreux à cultiver
le champ que la Providence a assigné à notre activité? Oh, rappelez-vous,
chers confrères, que Don Bosco ne nous reconnaîtra comme ses vrais fils
4 Garneri 314.

12.5 Page 115

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Le drame de la guerre (1914-1918) 113
que si notre courage et notre force sont à la hauteur des graves difficultés
que nous devons surmonter. Et ce courage et cette énergie qui nous sont
nécessaires, il faut les puiser avant tout dans la piété… »5
Au début de 1916, le conflit s’intensifia. Don Albera fit part de ses
souffrances aux coopérateurs: « Le nombre de vies fauchées par la mort
augmente de jour en jour, et alors que d’innombrables industries languissent
et que le commerce international menace de s’éteindre, la chose la plus
triste est que le sentiment de charité chrétienne et de vraie fraternité qui
devrait unir tous les peuples s’affaiblit lui aussi de plus en plus… Voici que
s’aggravent aussi les angoisses de la famille salésienne… Quand la guerre
a éclaté, nous avons vu de gros bataillons de salésiens partir prendre les
armes… sur différents fronts, engagés sous des drapeaux opposés!... Tous
endurent avec un courage admirable les inévitables épreuves de la guerre,
et par la parole et par l’exemple ils essaient de mener un vaste apostolat au
service du bien parmi leurs camarades, non seulement dans les casernes et
les hôpitaux, mais aussi au front, au milieu des rudes fatigues du terrain,
dans la fureur des combats et dans la dure vie des tranchées. » Il y eut de
lourdes répercussions sur les œuvres salésiennes: « En partie elles ont dû
être suspendues et en partie elles auraient dépéri si les salésiens restants
n’avaient pas multiplié leur activité. Et au prix de quels sacrifices! Les
relations avec un grand nombre de coopérateurs et coopératrices zélés
ayant été temporairement interrompues, les moyens de subsistance ont été
réduits et donc, malgré l’augmentation du travail, nous avons dû endurer
diverses privations. Que les sacrifices des Fils et des coopérateurs de Don
Bosco, de ceux qui donnent leur vie pour la patrie comme de ceux qui la
dépensent entièrement au profit de la jeunesse pauvre, puissent accélérer
le retour de la paix sur la terre! Ce jour-là, nous continuerons de redoubler
d’efforts pour rendre les avantages de la paix plus utiles et plus durables.
Oh! si ces paroles pouvaient atteindre tous les coopérateurs et les stimuler
dès maintenant à s’engager dans un travail plus intense de restauration
chrétienne selon l’esprit de Don Bosco!… Courage, mes chers coopéra-
teurs, – concluait Don Albera – les occasions de multiplier les œuvres
de miséricorde corporelle et spirituelle ne manquent pas de nos jours, en
particulier envers nos frères plus petits, c’est-à-dire envers les jeunes et
ceux qui ont besoin de soins particuliers. Travaillons donc, et travaillons
ensemble, si nous voulons obtenir plus, en suivant fidèlement les traces de
5 LC 182-183.

12.6 Page 116

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114 Chapitre 8
Don Bosco. Le Seigneur ne manquera pas de nous bénir. »6
L’accompagnement des salésiens soldats
Au fil des mois, un nombre croissant de confrères fut contraint de porter
l’uniforme militaire et de partir pour le front. Une fois disparue l’illusion
d’une guerre de courte durée, et en plus des initiatives lancées l’année
précédente pour soutenir, accompagner et aider « moralement et matériel-
lement » les appelés aux armes, Don Albera proposa le 15 février 1916 une
action mieux coordonnée entre les responsables de la Congrégation, les
inspecteurs et les directeurs locaux en faveur des salésiens soldats. Ceux-ci
étaient invités à maintenir un contact épistolaire régulier avec les supérieurs
et les confrères, et à envoyer tous les deux mois un compte rendu personnel
détaillé à leur directeur. Chacun recevait chaque mois le Bulletin salésien
accompagné d’une lettre du recteur majeur. La première de ces circulaires
mensuelles est datée du 19 mars 1916. Elle contient un programme auquel
il sera constamment fait référence dans les lettres suivantes:
« Dans les batailles saintes et bénéfiques de l’enseignement, vous avez
été infatigables... Maintenant, la Patrie fait appel aussi à vos énergies
physiques, et vous avez répondu avec enthousiasme à cette demande, et
avec cette joie qui vous est habituelle, vous êtes prêts à n’importe quel
sacrifice. Tant de noblesse dans votre résolution, tant de vigueur dans la
vertu vous ont placés à un très haut degré, dans une très haute dignité,
d’où dérivent pour vous de nouveaux devoirs. Et ce sont ces devoirs que
je vous recommande de garder constamment devant vos yeux, afin de
vous comporter toujours et en toutes circonstances comme de dignes
fils de Don Bosco.
Par conséquent, mes chers fils, efforcez-vous de sanctifier toutes vos
actions en vivant en union avec Dieu. Dirigez constamment vos pensées
et vos affections vers Lui, et il vous gardera inébranlables dans la vertu,
il vous insufflera force et courage dans les moments d’abattement et
de tristesse, et il ne vous laissera pas un seul instant sans l’énergie
nécessaire pour honorer tous vos devoirs. Vous n’aurez peut-être pas
beaucoup de temps à consacrer à la piété, mais pour cela consacrez-le
tout entier, afin que votre piété soit une piété d’action, qui englobe et
imprègne, dirai-je, tous les moments de votre vie.
6 BS 1916, 2-3.

12.7 Page 117

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Le drame de la guerre (1914-1918) 115
Ne vous laissez pas troubler par le crépitement des armes, ni
distraire par la nouveauté et la différence de votre vie, et que les
sacrifices continuels auxquels vous devez faire face, au lieu d’affaiblir
votre caractère, soient dans votre main des moyens efficaces pour vous
fortifier de plus en plus dans la foi et surmonter victorieusement tout
risque de nuire à votre persévérance dans le bien.
Que la bonté et la douceur de votre âme resplendissent dans tous
vos actes. Cela doit être votre caractère habituel, c’est à cela que vous
avez été formés, c’est en cela que vous devez persévérer, ce sera le signe
qui vous fera connaître comme des fils de Don Bosco. Par conséquent,
fidèles à la tradition de votre vie, soyez toujours prêts pour tout service
envers vos camarades, soyez les premiers à courir à leur secours dans
tous leurs besoins, faites voir à tous la flamme brûlante de la charité
qui brille dans votre cœur et vous rend infatigables pour toute bonne
action. Les occasions ne vous manqueront pas, et vous ne devez pas
les manquer, prenez-les toutes, et vous vous assurerez les bénédictions
du ciel et l’amour de vos frères. C’est ainsi que vous serez des phares
lumineux de bon exemple, et, presque inconsciemment, vous ferez un
grand bien, imitant l’Apôtre qui se faisait tout à tous pour les gagner
tous à Jésus-Christ. »7
Les innombrables lettres des salésiens soldats conservées dans les
archives prouvent l’efficacité de cette initiative. Grâce à la lettre du recteur
majeur, ils se sentaient unis en esprit à la Congrégation et à sa mission, ils
étaient soutenus moralement et spirituellement, encouragés à rester fidèles
à leur consécration religieuse, à se montrer partout de dignes fils de Don
Bosco, modèles de vertu pour leurs camarades soldats, apôtres infatigables
pour le bien des âmes. Un clerc écrivait à Don Albera: « Quelle chance,
quand dans les moments de calme je parcours vos précieuses circulaires.
Quelle mine de conseils, de force, d’encouragement à lutter; quel ardent
désir de persévérer, de tenir haut et d’honorer la bannière autour de laquelle
Don Bosco nous a appelés; quelle joie quand on se sent la conscience tran-
quille, le cœur enflammé par chacune de vos bonnes paroles. Alors on revit
notre vie. S’endormir le soir avec vos circulaires en main et pouvoir rêver
à nos chers confrères lointains est un bonheur au milieu d’une si grande
nostalgie. »8
7 Lm n. 1.
8 ASC B0421101, P. Di Cola, 04.01.1918.

12.8 Page 118

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116 Chapitre 8
D’autres confient leurs difficultés: « J’ai reçu hier votre chère lettre.
Je l’ai relue avec affection et plus je l’examine, plus je me reconnais loin
du même esprit. Oh, combien on perd en s’éloignant de la source! Je suis
désolé de vous faire de la peine, mais pour être honnête, c’est ainsi. Pour
le réconfort de votre grand et bon cœur, je vous assure que vos conseils et
vos exhortations me sont d’un grand secours dans mes efforts pour venir
à bout de mes innombrables mauvaises inclinations. J’attends avec grande
impatience vos chères lettres qui sont pour moi stella maris et j’essaie de
les mettre en pratique, mais vu le mauvais terrain et les grands inconvé-
nients, presque tout disparaît très vite. Quand je suis au repos, ce qui me
permet d’utiliser les moyens de notre sainte religion, il me semble que je
revis, mais quand je suis en ligne, me voilà comme stérilisé. Oh, quelle
sécheresse! »9
Beaucoup déclarent qu’ils se sentent confirmés dans leur vocation parmi
les horreurs quotidiennes: « Le prêtre bénit souvent ces corps déchirés par
la mitraille, ces corps transpercés. Ma prière la plus courante, ce sont les
innombrable requiem que je récite pour les chers défunts qui sont à côté de
moi, éteints par le plomb ennemi. On dit que la vie militaire est un grand
danger pour la vocation religieuse. Pour moi. Dieu merci, je peux dire que
je ne l’ai jamais sentie aussi bien enracinée, jamais je n’ai ressenti autant
le besoin de retourner dans ma Congrégation, parmi mes chers jeunes,
parmi mes chers Confrères. Je me rappelle toujours les chères Solennités,
les cours de récréation bruyantes, les heures inoubliables de la matinée
au sanctuaire, les prières et les grandes douleurs rendues belles au pied
de cet autel! Je lis avec avidité le Bulletin qui m’arrive régulièrement, et
plus encore vos circulaires, Père bien-aimé, qui me donnent toujours un
nouveau frisson de vie, même si je devais les lire cent fois. »10
« Père bien-aimé, ce n’est pas l’habitude mais l’affection et la reconnais-
sance sincères qui me poussent à vous écrire. Oh ! s’il m’était donné de voler
près de vous, de vous ouvrir mon cœur, de vous dire tant de choses, que
je vous aime beaucoup, que je souffre et que je fais mon devoir du mieux
que je peux, pour vous, pour la Congrégation, pour le bien. La situation est
terrible, mais jusqu’à présent, Dieu aidant, tout s’est bien passé. Courage,
bien-aimé supérieur, en cette terrible épreuve, ayez la consolation de savoir
que vos fils lointains apprécient de plus en plus leur belle vocation et se
sentent de plus en plus attachés à la Congrégation, et qu’ils aspirent au jour
9 ASC B0410679, G. Conti, 20.02.1918
10 ASC B0420502, E. De Angelis, 28.06.1917.

12.9 Page 119

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Le drame de la guerre (1914-1918) 117
où ils pourront retourner à leurs chères occupations »11 .
Même dans les moments les plus dramatiques, les salésiens du front
se sont sentis réconfortés par la foi, assistés par la Divine Providence,
prêts à offrir leurs souffrances pour le bien de la Congrégation: « Supera-
bundo gaudio in omni tribulatione mea, écrivait un confrère prêtre après le
désastre de Caporetto. Je remercie sincèrement le Seigneur qui m’a tant fait
souffrir. C’est pour moi le meilleur signe que non seulement le Seigneur
ne m’oublie pas, mais qu’il m’aime beaucoup. Et je lui en suis très recon-
naissant. Dans les moments où l’épuisement m’avait atteint au point de me
rendre incapable d’avaler un morceau de pain... et alors que des dizaines
de milliers de personnes, agglomérées dans les rues et les places d’un
village, cherchaient comment se nourrir, la Providence m’envoyait une
tasse de bouillon chaud et cela d’une manière vraiment étrange. Je tiens à
vous assurer que je n’oublie jamais que je suis un fils de Don Bosco; qu’en
tant que Salésien je souffre très volontiers, heureux de faire la volonté du
Seigneur en tout, convaincu que mes souffrances profiteront aussi à ma
chère Société, que j’aime comme ma famille. »12
L’énorme perte de vies humaines multipliait le nombre des orphelins. Le
6 avril 1916, Don Albera communiqua au président du Conseil des ministres
la décision de fonder une maison à Pinerolo pour accueillir les orphelins
de guerre: « Malgré le fait que plus d’un quart de mes enseignants et assis-
tants ont été appelés aux armes et que les ressources provenant de la bien-
faisance publique ont presque entièrement disparu, mais faisant confiance
à la Divine Providence, à la charité des âmes généreuses et avec l’appui
des autorités, j’ai décidé d’ouvrir un institut spécial pour les jeunes de huit
à douze ans, abandonnés à eux-mêmes, ou parce qu’ils sont orphelins de
mère et que le père est dans l’armée, ou parce qu’ils ont perdu leur père
à la guerre... J’ai la ferme conviction que vous voudrez bien apporter tout
le soutien de votre autorité à cette œuvre... qui a pour but l’éducation et
l’instruction des jeunes pour former des citoyens honnêtes et laborieux. »13
La même disponibilité se manifestait également chez les Filles de Marie
Auxiliatrice.
11 ASC B0440538, E. Provera, 20.04.1916.
12 ASC B0440224, P. Osenga, 15.11.1917.
13 BS 1916, 131.

12.10 Page 120

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118 Chapitre 8
La dernière année de guerre
Le petit nombre de confrères restés dans les maisons étaient surchargés
de travail. Le recteur majeur les exhortait constamment à être héroï-
quement disponibles au service des jeunes. Leurs souffrances et leurs
fatigues pouvaient devenir des instruments de purification et de perfec-
tionnement spirituel. Dans une telle conjoncture, il fallait que les direc-
teurs et les inspecteurs deviennent des maîtres et des modèles dans la
vie religieuse, l’esprit de piété, l’observance, la charité et le zèle. En août
1917, il communiqua l’aggravation de la situation: « L’appel à une nouvelle
visite des militaires réformés nous privera de beaucoup d’autres confrères.
Nos clercs, qui portaient auparavant dans une large mesure le poids de
l’assistance auprès des jeunes, ne peuvent plus le faire parce que main-
tenant presque tous servent dans l’armée. » Le personnel indispensable au
fonctionnement normal des œuvres commençait à manquer. En novembre
1917, on eut recours au président du Conseil pour obtenir l’exemption
d’une vingtaine de salésiens « indispensables et irremplaçables en tant que
directeurs et administrateurs des instituts », afin de ne pas être contraints
de fermer dix-sept œuvres « en laissant sur le pavé 4.000 élèves dont la
plupart avaient besoin d’un toit »14 .
La défaite de Caporetto (24 octobre 1917) fut pour l’Italie un drame
aux proportions énormes, avec des milliers de réfugiés. « En assistant ces
jours-ci au spectacle douloureux de tant de pauvres réfugiés qui affluent
vers nos villes et nos villages en provenance des régions où la bataille
fait rage, dans des conditions qui ne leur permettent pas de faire face aux
nécessités les plus vitales – écrivait Don Albera aux salésiens soldats le
24 novembre – j’ai tout de suite fait en sorte que près d’une centaine de
garçons réfugiés âgés de 12 à 14 ans soient hébergés à l’Oratoire; en même
temps, j’ai fait appel à tous les directeurs de nos maisons en Italie pour
qu’ils accueillent le plus de jeunes possible. »15 À cette époque, plus de
quatre cents garçons furent accueillis dans divers collèges. D’autres, plus
d’un millier, seront accueillis gratuitement par les salésiens et les Filles de
Marie Auxiliatrice dans les mois et les années à venir. Là où la situation le
permettait, les salésiens de France, de Belgique, de Grande-Bretagne, de
Pologne, d’Autriche, de Slovénie et de Croatie faisaient de même.
Dans sa lettre aux coopérateurs de janvier 1918, Don Albera écrivait:
14 ASC E443, A. Conelli, 14.11.1917.
15 Lm n. 20.

13 Pages 121-130

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13.1 Page 121

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Le drame de la guerre (1914-1918) 119
« Dans les circonstances anormales dans lesquelles nous nous trouvons,
les oratoires festifs, les hospices et collèges et les autres instituts salésiens
fleurissent et débordent de jeunes. La chose pourrait étonner dans les
pays neutres, mais il faut dire que cela relève du prodige dans les pays en
guerre... À cette aimable attention de la Divine Providence il faut ajouter
l’estime universelle qui entoure la mémoire du vénérable Don Bosco et son
apostolat... Pas une maison de l’œuvre de Don Bosco qui n’ait ouvert ses
portes aux enfants des rappelés, ou des morts à la guerre, ou des réfugiés,
ou des soldats eux-mêmes. » Et il exhortait les coopérateurs à imiter le zèle
de Don Bosco dans la dévotion à Marie Auxiliatrice, à Jésus au Saint-Sa-
crement et dans l’engagement en faveur des vocations et des œuvres salé-
siennes16 .
Cette année-là était l’année de son jubilé sacerdotal. On organisa
diverses démonstrations en son honneur. Les salésiens soldats lui offrirent
un calice en or. Il les remercia dans sa circulaire du 24 janvier, profitant
de l’occasion pour les exhorter à rester fidèles à l’esprit de leurs origines:
« Voyez l’eau : plus elle s’éloigne de sa source, plus elle perd sa limpidité
naturelle pour devenir un flot boueux ; ainsi en est-il de l’esprit d’un institut
religieux : plus il s’éloigne du Fondateur et de ceux qui ont eu la chance
de vivre avec lui pendant de longues années, plus il perd son intégrité
originelle... Combien de choses étrangères risquent de s’infiltrer chez nous
petit à petit, si nous n’y prenons pas garde ; et combien de choses propres
à l’esprit du vénérable Don Bosco on laisse tomber en désuétude ici et là!
Ayant eu la grande chance de vivre avec notre vénérable Père pendant
de nombreuses années et de jouir de son intimité confiante, je peux dire
que j’ai eu l’occasion de bien pénétrer l’esprit qui l’animait... Don Bosco a
choisi comme patron de son œuvre saint François de Sales, car il voulait
que ses fils copient en tout temps sa grande activité au service du bien, son
amour ardent de Dieu et son inaltérable douceur envers le prochain. Et
pour rendre ce modèle plus efficace, il le recopia d’abord en lui-même, en
lui donnant toute la modernité requise par notre époque. Par conséquent,
si nous voulons pouvoir dire que nous sommes vraiment salésiens, nous
devons non seulement essayer de posséder ces trois éléments constitutifs
de l’esprit de Don Bosco: activité, amour de Dieu et douceur envers notre
prochain, mais aussi de les posséder harmonieusement unis comme ils
l’étaient en lui. »17
16 BS 1918, 1-2.
17 Lm n. 22.

13.2 Page 122

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120 Chapitre 8
Le 24 mai 1918, on célébra le cinquantième anniversaire de la consé-
cration du sanctuaire dédié à Marie Auxiliatrice. Il y eut des célébra-
tions spéciales et des pèlerinages de diverses régions du Piémont. Après
les fêtes, don Albera, épuisé, dut se retirer à Oulx pour un peu de repos.
Le 1er août, il eut la joie d’assister à la bénédiction du petit sanctuaire de
Marie Auxiliatrice aux Becchi, face à l’humble maison de Don Bosco. Le
lendemain, il y célébra la messe, en présence du Chapitre supérieur, du
Conseil général des Filles de Marie Auxiliatrice et d’une représentation
d’orphelins de guerre et d’élèves des instituts salésiens.
Le 11 novembre 1918, avec la capitulation de l’Autriche, « l’immense
massacre » de la guerre prit fin. Les salésiens comptèrent leurs pertes:
sur deux mille salésiens européens appelés aux armes, environ quatre-
vingt étaient morts à la guerre; le nombre des blessés était bien plus élevé.
D’autres, traumatisés dans leur psychisme et dans leur esprit, avaient dû
quitter la Congrégation. Mais ceux qui revinrent se montraient pour la
plupart renforcés dans leur esprit et dans leur caractère, animés d’inten-
tions généreuses. Beaucoup d’entre eux, au cours de la décennie suivante,
formèrent l’épine dorsale des expéditions missionnaires en Asie, en Afrique
et en Amérique, faisant preuve d’une capacité d’adaptation et d’une géné-
rosité incroyables. Ils laissèrent tous des témoignages de charité aposto-
lique et de sainteté. Parmi beaucoup d’autres on peut rappeler les futurs
évêques Gaetano Pasotti, Stefano Ferrando, Louis Mathias, Giovanni
Lucato, Jean-Baptiste Couturon ; les prêtres Pierre Gimbert, Joseph-Au-
guste Arribat, Costantino Vendrame, Carlo Crespi, Carlo Braga, Antonio
Cavoli, Jean Tanguy, Luigi Albisetti et des dizaines d’autres.

13.3 Page 123

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121
Chapitre 9
AU SOIR DE LA VIE (1919-1921)
Après la guerre, en janvier 1919, Don Albera invitait les coopérateurs
à prier pour obtenir une « paix juste et durable ». Il rappelait ce qui avait
été fait l’année précédente, en particulier l’accueil de trois cents orphelins

13.4 Page 124

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122 Chapitre 9
de guerre et de cinq cents petits réfugiés. Il énumérait les nouvelles fonda-
tions: les oratoires de Turin à Borgo San Paolo et dans le quartier de Monte
Rosa, l’institut de Livourne, l’école agricole de Mandrione à Rome, l’ora-
toire et l’internat à Fiume, la maison pour jeunes travailleurs à Würzburg
en Bavière, l’orphelinat de Kielce et la maison d’études de Cracovie en
Pologne, la maison de formation Cold Spring et le collège de Williamsbridge
aux États-Unis. Il rappelait également les nombreuses œuvres nouvelles
des Filles de Marie Auxiliatrice. Enfin, il présentait le programme d’action
pour la nouvelle année, en particulier dans les pays de mission, et exhortait
les coopérateurs à multiplier leur zèle dans l’éducation de la jeunesse «
pour la restauration chrétienne de la société »: « Soyez persuadés, mes
chers et dévoués coopérateurs, que la bonne éducation des nouvelles géné-
rations sera toujours le moyen le plus simple et le plus pratique pour faire
une société chrétienne. Mais pour que les fruits d’une bonne éducation
réussissent à triompher au milieu du mal qui existe dans le monde, il faut
les multiplier en multipliant les champions infatigables et les propagan-
distes zélés de ce saint idéal. Si les coopérateurs salésiens, par exemple,
qui sont plus de cent mille rien qu’en Italie, voulaient s’approprier ce saint
apostolat, quel bien ce serait pour la Religion et la Patrie! »1
Le 15 mars, alors qu’il célébrait la messe du trentième jour après la
mort de l’économe général Clemente Bretto, Albera eut une légère crise
cardiaque. Il fut contraint de se reposer un peu plus le matin et de marcher
un peu l’après-midi. Dès qu’il se sentit mieux, il reprit le rythme habituel,
avec un horaire bien marqué: lever à 5h00; méditation à 5h30; messe à
6h00; de 7h00 à 9h00 au bureau pour la correspondance; puis audiences
jusqu’à midi. L’après-midi, après un quart d’heure de repos, travail au
bureau à partir de 14h30 jusqu’à la lecture spirituelle et la bénédiction du
soir.
Le 20 avril, il envoya une circulaire aux inspecteurs et directeurs sur
la douceur à pratiquer dans l’exercice de l’autorité, proposant comme
modèles Jésus-Christ, saint François de Sales et Don Bosco. Le 7 mai, il
partit pour Florence et Faenza. Il retourna à Valdocco pour la neuvaine de
l’Auxiliatrice. En juin, il participa au congrès spécial des anciens élèves de
Turin. Cependant, sa santé déclinait de plus en plus. En juillet, il écrivit à
une supérieure des sœurs salésiennes: « Lundi, huit jours aujourd’hui, je
me suis de nouveau senti mal. Tout au long de la semaine, il ne m’a guère
été possible d’écrire: c’est à peine si j’ai pu signer quelques papiers impor-
1 BS 1919, 2-7.

13.5 Page 125

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Au soir de la vie (1919-1921) 123
tants. Aujourd’hui, c’est la première fois que j’essaye d’écrire et c’est à vous
que j’écris. Comme vous pouvez le voir, je commence à manier un peu la
plume, mais très lentement et avec effort. Je vous écris pour vous dire qu’il
ne faut pas croire que je vais très mal. Peut-être qu’un peu de repos me
remettra. Sur ordre du médecin demain, si Dieu le veut, j’irai à Cuorgné
et j’y resterai huit ou dix jours; j’espère que l’air des montagnes me fera
du bien. Je n’ai pas d’appétit et je peux à peine dormir. Les ennuis ne me
manquent pas et ils sont souvent très graves… J’espère beaucoup en vos
prières. La volonté de Dieu soit faite en tout. »2
Après quelques jours de repos, il se rendit à Pinerolo pour la cérémonie
de remise des prix aux orphelins. Puis il fut à Nizza Monferrato pour la
retraite des directrices. Il s’affaiblissait. Le médecin lui ordonna un repos
absolu de quatre semaines à Cuorgné, mais quinze jours plus tard, il était
de nouveau à Turin. Fin septembre, il retourna à Nizza Monferrato pour
prêcher.
Dans la lettre circulaire du 24 septembre, il recommandait aux
salésiens d’avoir soin des vocations. C’est avec une grande peine, écrit-il,
que nous avons dû refuser de nombreuses propositions de fondation faute
de personnel: « Quand aurons-nous de nouveau la consolation de voir
chaque maison, chaque oratoire apporter sa contribution en vocations
salésiennes?… Nous ne travaillons pas entièrement selon l’esprit de notre
vénérable Père Don Bosco, si nous ne faisons pas tous nos efforts pour
cultiver les vocations. »3
De retour à la maison-mère, il fut invité par le cardinal Cagliero à passer
quelques jours de paix à Castelnuovo. Il n’y trouva aucun avantage, au
contraire la parésie du bras droit empira. Malgré tout, dans la deuxième
quinzaine de novembre, il se rendit à Rome pour les affaires de la Congré-
gation. Le 30 novembre, il fut reçu par le Pape. Il écrivit aux inspecteurs: «
Je peux difficilement vous exprimer l’intime satisfaction que j’ai ressentie,
lorsque j’ai pu dire personnellement au Saint-Père que les salésiens avaient
déjà mis en pratique l’appel chaleureux qu’il avait adressé au monde entier
dans sa paternelle encyclique, dix jours plus tôt, en faveur des enfants
pauvres d’Europe centrale. Car dans ces mêmes régions, ils avaient ouvert,
au cours de cette année 1919, de nouveaux instituts capables d’abriter le
plus grand nombre possible de jeunes pauvres... »4 Il se référait à l’ency-
2 Garneri 373.
3 Garneri 375.
4 Garneri 376

13.6 Page 126

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124 Chapitre 9
clique Paterno iam diu du 24 novembre, dans laquelle le Pontife présentait
à l’épiscopat catholique la situation dramatique des enfants d’Europe
centrale, qui vivaient dans des conditions d’extrême pauvreté et de famine,
les invitant à se mobiliser. Les salésiens l’avaient déjà fait en organisant
des orphelinats et des centres d’assistance dans toutes les nations touchées
par la guerre. Mais Don Albera voulut ajouter quelque chose de plus afin
de répondre à l’appel du Pape, et il destina à l’accueil et aux soins des
orphelins d’Europe centrale un autre institut du Piémont, celui de Perosa
Argentina.
Le jour de l’Immaculée Conception, dans la basilique du Sacré-Cœur,
le cardinal Cagliero célébra le trente-cinquième anniversaire de son ordi-
nation épiscopale. Don Albera aurait voulu retourner à Turin pour Noël,
mais il fut retenu dans la capitale jusqu’au début du mois de février.
Dans sa lettre aux coopérateurs de janvier 1920, il raconta l’audience
papale et annonça que l’inauguration du monument à Don Bosco avait été
fixée au mois de mai, en concomitance avec les congrès internationaux
des coopérateurs, des anciens élèves et des anciennes élèves. Il présenta
les œuvres ouvertes en 1919: six en Italie, quatre en Bavière, deux à
Vienne, une en Hongrie, une en Yougoslavie et une en Irlande. Il rappela
que la plupart des maisons salésiennes d’Europe s’étaient mobilisées «
pour soulager les souffrances extraordinaires de tant de pauvres jeunes
d’Europe centrale, dont les besoins graves ont fait l’objet de la dernière
encyclique du Saint-Père ». Puis il ajoutait: « La Pologne ressuscitée a
vu les salésiens arriver dans six centres pour y entreprendre des œuvres
variées : à Różanystok (Grodno), une paroisse et un grand institut pouvant
accueillir 700 jeunes pour l’enseignement professionnel et agricole; à
Aleksandrów, une autre paroisse et une école secondaire de 300 jeunes;
à Varsovie, une église publique avec des classes populaires pour externes
et l’enseignement professionnel; à Cracovie, une quatrième paroisse et un
oratoire festif; à Przemyśl, un hospice pour les jeunes pauvres et aban-
donnés; enfin, à Klecza Dolna, une maison de formation pour le nouveau
personnel salésien. Que le Seigneur bénisse la foi ancestrale et soulage
les souffrances de ces généreuses populations. » En outre, on avait ouvert
d’autres maisons dans les Amériques ainsi que de nouvelles résidences
missionnaires dans le vicariat de Shiu-Chow et au Chaco Paraguayo. Il
évoquait également les vingt et une nouvelles œuvres des Filles de Marie
Auxiliatrice5 .
5 BS 1920, 3-6.

13.7 Page 127

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Au soir de la vie (1919-1921) 125
De retour à Turin en février, il écrivit une lettre circulaire dans laquelle,
après avoir parlé du monument à Don Bosco voulu par les anciens élèves,
il exhortait les salésiens à être des monuments vivants du Fondateur, c’est-
à-dire à « faire vivre en eux-mêmes ses vertus, son système éducatif, tout
son esprit, pour le transmettre dans sa perpétuelle fécondité et vitalité
de génération en génération ». Surtout, il les invitait à imiter « son affec-
tueuse sollicitude à l’égard des jeunes, qui fut le secret de son merveilleux
ascendant sur eux », en suivant les indications qu’il a données dans sa lettre
de Rome du 10 mai 18846 .
L’inauguration du monument sur la place Maria Ausiliatrice fut associée
à une série d’événements visant à revitaliser la famille salésienne après les
bouleversements de la guerre. Le 19 mai, on inaugura une exposition des
œuvres réalisées par les écoles professionnelles et agricoles salésiennes,
qui avait pour but de « donner une idée précise et organique de ce que
les salésiens entendent faire à l’avenir, c’est-à-dire de montrer où tendent
leurs efforts et quelle perfection ils veulent atteindre » pour répondre aux
nouveaux besoins et pour « coopérer à la formation d’une main-d’œuvre
techniquement parfaite et de citoyens aux convictions chrétiennes »7 .
Du 20 au 22 mai se tinrent simultanément les congrès internationaux des
coopérateurs, des anciens élèves et des anciennes élèves, avec des réunions
séparées et des moments communs. L’assemblée générale finale se réunit
dans le théâtre de Valdocco avec trois mille participants. Don Albera passa
d’un congrès à l’autre. Il intervint par de courts discours, mais fit grande
impression en présentant partout l’actualité de l’esprit de Don Bosco et de
son œuvre. La cérémonie d’inauguration du monument eut lieu le 23 mai,
solennité de Pentecôte, en présence de six mille élèves des salésiens et trois
mille congressistes, et avec la participation des autorités religieuses, civiles
et militaires. Le lendemain, la fête de Marie Auxiliatrice fut célébrée avec
une participation extraordinaire de fidèles et de pèlerins.
Ensuite, Don Albera voulut se rendre à Milan pour la consécration de
l’église Saint-Augustin. Il passa également à Vérone. Ce fut un voyage
pénible en raison des grèves et des violents troubles ouvriers de cette
période, que les historiens appelleront « les deux années rouges » (1919-
1920). Le 28 juin, une centaine d’enfants d’Europe centrale arrivèrent à
Valdocco pour rencontrer le recteur majeur. Cinquante étaient sur le point
de rentrer dans leur pays d’origine après avoir passé quelques mois dans
6 LC 312.
7 BS 1920, 191.

13.8 Page 128

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126 Chapitre 9
la maison de Perosa Argentina pour améliorer leur santé. Cinquante autres
étaient arrivés de Vienne pour les remplacer. L’événement est documenté
dans le Bulletin salésien avec une photo de groupe: « Les cent petits
Viennois ont fraternisé pendant plusieurs jours avec les jeunes de l’Ora-
toire et, avant que la première caravane ne rentre à Vienne et que la seconde
parte pour Perosa Argentina pour y passer allègrement les mois d’été, ils
ont voulu poser autour de leur bienfaiteur, le successeur de Don Bosco.
Inutile de dire combien le cœur de Don Albera s’est réjoui en voyant la
reconnaissance sincère, intense et émouvante manifestée par ces jeunes
bénéficiaires »8 .
Au mois de juin on publia le premier numéro des Actes du Chapitre
supérieur, organe de presse officiel de la Direction centrale de la Congré-
gation salésienne. Le 4 octobre fut marqué par la bénédiction à Mondonio
du monument dédié à Dominique Savio, avec la participation du recteur
majeur et du cardinal Cagliero. Le 18 parut l’importante circulaire, dans
laquelle Albera proposait aux salésiens Don Bosco comme « modèle dans
l’acquisition de la perfection religieuse, dans l’éducation et la sanctification
de la jeunesse, dans les relations avec le prochain et dans le moyen de
faire du bien à tous ». On y trouve des témoignages autobiographiques très
denses sur la vie intérieure du Fondateur, sur l’efficacité de ses potentia-
lités affectives, sur son extraordinaire capacité d’inculquer l’amour de Dieu
dans le cœur des jeunes, sur son ardeur apostolique et éducative. Il écrivait
entre autres: « L’idée animatrice de toute sa vie était de travailler pour les
âmes jusqu’à l’immolation totale de lui-même, et c’est cela qu’il attendait
de ses fils. Mais ce faisant, il restait toujours tranquille, toujours égal à
lui-même, toujours imperturbable, dans les joies comme dans les peines;
car, depuis le jour où il fut appelé à l’apostolat, il s’était jeté entièrement
dans les bras de Dieu! S’il est vrai que le travail ininterrompu jusqu’à la
mort est le premier article du code salésien, rédigé par lui plus avec son
exemple qu’avec sa plume, se jeter dans les bras de Dieu et ne jamais plus
s’en éloigner était son action la plus parfaite. Il l’a fait quotidiennement, et
nous devons l’imiter de la meilleure façon possible, pour sanctifier notre
travail et notre âme. »9
Le 24 octobre, en compagnie du cardinal Cagliero, il présida la
cérémonie d’adieu aux missionnaires. Le 8 décembre, il partit pour Rome.
Il rencontra le pape, à qui il présenta la nouvelle édition en deux volumes
8 BS 1920, 198.
9 LC 335.

13.9 Page 129

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Au soir de la vie (1919-1921) 127
de la Vie du vénérable serviteur de Dieu Jean Bosco de Giovanni Battista
Lemoyne.
Au cours de son rectorat, il avait souvent rappelé l’importance de la
formation des salésiens. Il revint sur ce sujet dans une longue circulaire
réservée aux inspecteurs de novembre 1920. Il leur rappelait leur respon-
sabilité envers « les jeunes confrères, clercs ou coadjuteurs: en fait, ils ne
peuvent avoir cette formation religieuse et salésienne, si nécessaire pour
faire du bien aux jeunes. Il appartient donc aux directeurs de faire preuve
de diligence, comme ferait un père, et je voudrais dire une mère, envers ses
enfants, pour former leur cœur et leur esprit selon le cœur et l’esprit de Don
Bosco... Nous devons remercier de tout notre cœur Notre-Dame Auxilia-
trice pour la protection visible qu’elle a accordée à ces bons fils pendant la
terrible épreuve de la guerre… Faisons maintenant tout notre possible pour
les nourrir d’un esprit ecclésiastique abondant et sain, et d’une abondante
et saine science ecclésiastique ». Puis il ajouta une annotation qui doit
être comprise dans le contexte de ses efforts pour doter la Congrégation
de maisons de formation bien organisées: « Maintenant, heureusement,
presque tous les clercs peuvent être accueillis dans des maisons d’étude
pour la philosophie et presque tous dans celles de théologie, malgré la
grande pénurie de personnel... Ayez grand soin de choisir des confrères
compétents dans les disciplines ecclésiastiques qu’ils doivent enseigner,
prévoyez un horaire suffisant pour l’enseignement normal des matières,
exigez rigoureusement que tous puissent fréquenter et fréquentent effec-
tivement les cours avec régularité, et informez-vous de temps en temps
pour savoir comment fonctionnent ces cours, avec quel soin se fait l’ensei-
gnement et quel profit les clercs en retirent. » Il recommanda en outre d’ac-
corder une attention particulière à l’enseignement de la théologie dogma-
tique et de la morale, car « nos prêtres ne devront pas seulement devenir de
bons enseignants et de bons éducateurs, ils doivent aussi être des confes-
seurs et des prédicateurs avisés, mais ils ne pourront être ni l’un ni l’autre
s’ils n’étudient pas ces deux matières fondamentales. »10
Ses forces diminuaient, ses problèmes de santé augmentaient de jour en
jour et il prévoyait une fin proche. Cependant, à la différence des années
précédentes, une profonde sérénité remplissait son cœur. Dans la lettre
aux coopérateurs de janvier 1921, il sentit le besoin d’évoquer sa première
rencontre providentielle avec le Fondateur: « Quand je pense au jour où
j’ai été accueilli charitablement par Don Bosco à l’Oratoire quand j’avais
10 ASC E223, ccirculaire dactylographiée avec signature autographe, 4.11.1920.

13.10 Page 130

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128 Chapitre 9
treize ans, un frisson d’émotion m’envahit, et je revois une à une les grâces
presque innombrables que le Seigneur me réservait à l’école de ce doux
Père! Mais, avec moi, combien doivent répéter: “En tout nous sommes
redevables au vénérable Don Bosco! Notre éducation, notre instruction et,
bien souvent même la vocation au sacerdoce, nous devons tout aux préoc-
cupations paternelles de cet homme de Dieu, qui nourrissait une affection
sainte et inégalée pour ses fils spirituels”. C’est pourquoi, au-dessus de
toute autre personne aimée, il y a son souvenir à lui, uni à la plus grande
admiration pour son extraordinaire sainteté et la grandeur de la mission
à laquelle – comment ne pas le reconnaître? – il a été appelé par Dieu.
Chaque année qui passe, son image paternelle, au lieu de perdre quelque
chose de la merveilleuse lumière qui suscitait tellement notre vénération,
nous apparaît plus lumineuse et le souvenir de ses vertus héroïques devient
plus vivant en nous, tandis que son œuvre, qui se consolide et se développe
avec le soutien de tous les gens de bien, nous fait répéter du fond du cœur:
digitus Dei est hic! L’œuvre de Don Bosco a été vraiment voulue par Dieu
et il continue de l’assister d’une bénédiction perpétuelle. »11
La dernière année de sa vie fut remplie d’activité. Fin janvier, il se
rendit en France. Il visita Nice, La Navarre et la maison de Saint-Cyr, où
se produisirent deux événements extraordinaires. On lui présenta une élève
des sœurs qui devait être opérée de la gorge: il la bénit et le lendemain
matin, elle était parfaitement guérie. Une fille de Marie Auxiliatrice,
qui avait un ulcère à la jambe, appliqua sur la plaie le coton utilisé pour
frotter la main endolorie d’Albera, et la plaie guérit progressivement. De
Saint-Cyr le successeur de Don Bosco se rendit à Marseille, où il rencontra
des centaines de coopérateurs qui voulaient sa bénédiction. À Montpellier,
il fut reçu avec une grande cordialité par le cardinal Anatole de Cabrières.
Après avoir visité Savigny et Morges, il aurait aimé continuer jusqu’à
Paris, mais sa santé s’était détériorée. Il reçut la visite d’un spécialiste,
qui diagnostiqua des troubles circulatoires: « C’est une artériosclérose
cérébrale, mais qui a laissé intactes les facultés mentales... La mémoire,
l’intelligence, la clarté d’esprit sont restées les mêmes qu’auparavant; il est
même surprenant de voir comment il se souvient des choses d’il y a trente
ans. »12 Il dut retourner à Turin.
En mars, il écrivit une longue circulaire sur Don Bosco modèle du
prêtre salésien. Il invitait les confrères à être, comme le Fondateur, «
11 BS 1921, 1.
12 ASC B0250605, copie dactylographiée.

14 Pages 131-140

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14.1 Page 131

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Au soir de la vie (1919-1921) 129
toujours prêtres à tout moment », voués à « une étude assidue et aimante
des linéaments moraux » à reproduire en eux-mêmes. Il les exhortait à
tendre « vers une perfection toujours plus élevée » dans l’observance des
Constitutions, dans la prière, dans la célébration de l’Eucharistie et du
sacrement de pénitence, à se confier à la direction spirituelle, à pratiquer
l’examen de conscience quotidien pour grandir dans l’exercice des vertus
et dans la sainteté13 . Le 10 mars, il écrivait au directeur de San Nicolás de
los Arroyos: « Le Seigneur te confie le ministère le plus délicat et le plus
cher à son divin cœur! Tâche donc de répondre avec amour et gratitude en
redoublant de zèle. Veille surtout à approfondir la science de la direction
des âmes, qu’on appelle ars artium en raison de sa difficulté; de telle sorte
que tu puisses dire à Jésus: Tous ces égarés que vous m’avez envoyés,
tous, grâce à votre aide, je les ai mis sur le droit chemin! Recommande la
prière comme un moyen indispensable pour se corriger et utilise-le beaucoup
toi-même, en gardant à l’esprit ces paroles: Sine me, nihil potestis facere… »14
À partir d’avril, son état de santé se détériora et il dut limiter son activité.
À la mi-mai, il écrivait à une personne: « Je me sens sans énergie. Tout me
pèse dans mes fonctions. C’est un malaise en partie physique, mais qui est
dû aussi aux nombreuses peines inévitables de ma charge… » Il eut un peu
de paix pendant les fêtes de Marie Auxiliatrice. C’est ainsi que chaque soir
il put se rendre au sanctuaire pour de longues et ferventes visites. Le 31
mai, il visita la maison de théologie internationale de Foglizzo, accueilli
par des clercs de dix-sept nationalités. Pendant la fête en son honneur,
submergé par l’émotion, il fut contraint de se retirer. Le 2 juin, à Parme,
il donna une conférence aux confrères et aux dames patronnesses: tous le
voyaient extrêmement fatigué. Il continua sur Modène, où on célébra son
soixante-seizième anniversaire. Pendant la séance de vœux, il n’eut pas la
force de parler en public et dut faire de gros efforts pour rester éveillé.
Le 12 juin, dix mille jeunes des associations catholiques se rassemblèrent
sur la place Maria Ausiliatrice à l’occasion du cinquantième anniversaire
de la fondation du premier cercle catholique de la jeunesse à Turin, pour
« rendre hommage à l’apôtre le plus moderne de la jeunesse » et exprimer
« l’ardente volonté de bien et d’amour que la jeunesse chrétienne adresse
à l’avenir… devant la statue de bronze de Don Bosco qui fut le sauveur de
nombreuses générations, qui est et sera au fil du temps le phare lumineux
de la jeunesse qui croit et œuvre dans le bien! » Don Albera assista à la
13 ACS 2, 134-172.
14 Garneri 396-397.

14.2 Page 132

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130 Chapitre 9
cérémonie depuis les fenêtres de l’Oratoire. Il fut reconnu et acclamé à
plusieurs reprises. Il était profondément ému15. Ce soir-là, il écrivait: « Je suis
très faible… Don Gusmano continue toujours de m’assister et de m’aider
comme un fils avec son père. Que Dieu le récompense! »
Le 19 juin, il prit part à la pose de la première pierre de l’église de l’Ora-
toire « Michele Rua » dans le quartier de Monterosa. Le 2 juillet, il participa
à la fête patronale dans le nouvel Oratoire de Borgo San Paolo. Ces deux
œuvres, situées dans la périphérie marquée par l’immigration ouvrière,
avaient été expressément voulues par lui. Il avait choisi personnellement
les salésiens destinés à les diriger, des hommes doués d’une grande énergie
et créativité, animés d’un véritable esprit salésien. Ces nouveaux oratoires
aidèrent à revitaliser de manière intelligente et créative l’esprit, la méthode
et la mission de l’oratoire, reformulée dans le contexte socio-économique
agité de ces années. Ils servirent de modèle aux nouvelles générations salé-
siennes.
Malgré la grande chaleur de l’été, il voulut rester à Turin pour ne pas
interrompre son travail de correspondance. Le 10 septembre, il reçut la
nouvelle du décès de Mgr Costamagna. Il écrivit dans le nécrologe:
« Parmi les nombreuses pertes subies par la Congrégation pendant ces
années de mon rectorat, celle-ci m’afflige d’une manière toute particulière,
parce qu’avec Mgr Costamagna disparaît un de mes plus chers compa-
gnons d’étude ici à l’Oratoire, et donc aussi l’un des très rares confrères
qui ont approché et connu notre vénérable Père plus longtemps et plus
intimement... »16 Le 22 octobre mourait aussi Mgr Giovanni Marenco.
« Cette mort, écrivait-il à une religieuse, m’a profondément attristé. J’ai
beaucoup pleuré. Que la volonté de Dieu soit faite! » Il sentait que c’étaient
les derniers jours de sa vie.
Le 23 octobre, il salua les missionnaires en partance pour l’Assam. Le
24, il assista aux obsèques de Mgr Marenco. Le 27, il participa à la commé-
moration funèbre de Mgr Costamagna. Dans la soirée, il fit une promenade
en calèche à la Madonna di Campagna. Le 28 fut une journée de bien-être
relatif. Il célébra la messe à six heures du matin, puis il donna audience
toute la matinée. Entre autres, il suggéra à Don Rinaldi de transférer la
maison internationale de théologie de Foglizzo à Turin. Il dit à l’économe
général: « Nous devons tout mettre en œuvre pour multiplier les vocations,
non seulement pour notre Pieuse Société, mais aussi pour les diocèses.
15 BS 1921, 170-171.
16 ACS 7, 274.

14.3 Page 133

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Au soir de la vie (1919-1921) 131
C’est un grand besoin de l’Église à l’heure actuelle. Si Don Bosco vivait
aujourd’hui, si Don Rua vivait, ils ne se reposeraient pas tant qu’ils n’au-
raient pas pourvu à ce besoin de toutes leurs forces. Nous devons faire la
même chose. Malheureusement, les offrandes ont diminué sensiblement
depuis quelques mois: mais nous tenons bon… Si une offrande généreuse
nous vient, essayons de la consacrer à cet effet »17 . Puis il s’entendit avec le
préfet général sur la manière de célébrer le troisième centenaire de la mort
de saint François de Sales en 1922.
Don Barberis raconte: « Le soir je marchais avec lui et il plaisantait
joyeusement derrière moi, me rappelant une aventure survenue bien des
années auparavant... » Il passa une nuit calme. Mais à quatre heures du
matin, la respiration commençait à lui manquer. Il se leva, appela son secré-
taire Don Gusmano. Le médecin fut convoqué pour constater la gravité de
la situation. Don Rinaldi lui administra l’Onction. Alors que les confrères
se serraient autour de son lit pour prier pour lui, Don Albera rendit son
dernier souffle. Il était cinq heures et quart le 29 octobre 1921.
Dans l’après-midi de ce même jour, le corps de Don Albera, revêtu du
surplis et de l’étole, fut déposé dans l’église succursale de la place Maria
Ausiliatrice. Il fut visité par une multitude de salésiens, de Filles de Marie
Auxiliatrice, d’anciens élèves, de coopérateurs, d’élèves garçons et filles,
ainsi que par les autorités religieuses et civiles, les amis de l’œuvre salé-
sienne et des personnes de toutes origines.
Les funérailles eurent lieu l’après-midi du 30 octobre. L’imposant
cortège funèbre parcourut les rues de Turin pendant deux heures et demie.
Le cardinal Cagliero bénit le cercueil, qui resta toute la nuit dans l’église
Maria Ausiliatrice. Le 31, on célébra la messe solennelle des funérailles.
Puis le corps fut transporté à Valsalice et enterré près de la tombe de Don
Bosco.
Dans le Bulletin salésien, Don Rinaldi dressa un portrait très réussi de
Don Albera: « Doté d’un esprit solide et profond et d’une mémoire forte
et précise, il se consacra dès son plus jeune âge à former son esprit à cette
piété solide et éclairée qui devait être sa vie. Et il se forma dès le début et
tout le temps à l’école de Don Bosco, dont il étudiait jalousement tous les
enseignements... Même les autres études qu’il faisait (car c’était un homme
d’étude assidu et un amoureux de toute saine culture) avaient cette orien-
tation: qu’elles nourrissent la piété et qu’elles aient l’empreinte de la piété.
Et la piété fut le secret de sa réussite... Tant d’œuvres, réalisées par un
17 Garneri 415.

14.4 Page 134

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132 Chapitre 9
homme si discret dans ses paroles, si sobre dans ses gestes, si mesuré dans
ses mouvements, nous surprennent presque, mais elles acquièrent plus de
valeur et d’efficacité lorsqu’on les reporte à leur racine, qui est la vie inté-
rieure de piété, dans laquelle toute sa vie était concentrée, et il en a reçu
cette empreinte de simplicité et de calme qui était si caractéristique chez
lui. La maxime de saint Paul: pietas ad omnia utilis est, trouvait en lui sa
pleine réalisation à chaque instant de sa vie de tous les jours... La grandeur
de la figure morale de Don Albera, en tant que recteur majeur des salésiens,
réside dans sa ferme intention de marcher fidèlement, sans restrictions et
sans aucun sous-entendu, sur les traces de Don Bosco et de Don Rua. C’est
là la vraie gloire des onze ans de son rectorat… »18
Rinaldi écrivit également une longue lettre nécrologique pour les
salésiens, dans laquelle il présentait les traits saillants de la personnalité et
de l’œuvre de Don Albera. Il y souligna son engagement à garder intacte
l’empreinte laissée par Don Bosco dans l’œuvre salésienne, son esprit de
prière, son ardente dévotion eucharistique et mariale, son amour pour
le Pape et l’Église, son action constante en faveur des oratoires festifs,
des missions et des vocations. Il concluait par un bilan de son rectorat:
« Le Seigneur lui a donné la consolation de voir que ses fatigues avaient
été bénies : pendant son rectorat le nombre des confrères a augmenté de
705 malgré les vides causés par la guerre, celui des maisons de 103 ; de
nouvelles missions ont été ouvertes en Afrique (Congo belge), en Asie
(Chine et Assam), au Chaco Paraguayo ; de nouvelles maisons de noviciat
ont vu le jour, ainsi que de nouveaux et florissants oratoires festifs... Il
a vu plusieurs de ses confrères honorés par le Saint-Siège, la pourpre
cardinalice conférée à Mgr Cagliero, la dignité épiscopale conférée à cinq
évêques résidentiels, à trois vicaires apostoliques et à un prélat nullius, la
nomination d’un internonce et de deux préfets apostoliques. Même dans le
monde, la modestie de sa vertu s’est vue reconnue et honorée par divers
titres et honneurs qui lui furent conférés par des académies, des sociétés,
des villes, des associations, le gouvernement italien... Le Seigneur lui a
finalement accordé la grâce de surmonter l’épreuve ardue de la guerre et
de voir la Pieuse Société reprendre le rythme de sa vie, et d’arriver là où
ni Don Bosco ni Don Rua ne purent arriver – à la célébration de ses noces
d’or – et de finir ainsi une vie vraiment bénie, in senectute bona. Cette
dernière circonstance providentielle nous amène à penser que Don Rua et
Don Albera ne doivent pas être considérés comme de simples successeurs
18 BS 1921, 314-315.

14.5 Page 135

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Au soir de la vie (1919-1921) 133
de Don Bosco, mais comme les continuateurs de sa vie, qui continue en
eux, progresse et atteint son accomplissement… »19
Don Louis Cartier a tracé un beau profil de Don Albera: « Il a été
merveilleusement pourvu par Dieu de dons excellents: une intelligence
vive et pénétrante, une mémoire tenace et fidèle dans les moindres détails
comme dans l’ensemble, une volonté forte au service d’une douceur inal-
térable de ton et de manières, un cœur très sensible, affectueux et compa-
tissant. Le développement de ces talents naturels grâce à un travail assidu
a fait de lui un maître dans les sciences profanes et religieuses, et lui a valu
cette profonde connaissance du cœur humain, ce discernement des esprits
et cette maîtrise des hommes qui lui ont conquis à juste titre la sympathie,
le respect et l’affection de hautes personnalités ecclésiastiques et laïques.
Esprit observateur, fin et délicat, il se rendait compte des moindres
nuances. Les yeux bas et mi-clos, qui semblaient ne rien voir et auxquels
rien n’échappait, l’aidaient à avoir une conception claire et profonde des
choses »20 .
19 ACS 9, 310-311.
20 L’Adoption, décembre 1921.

14.6 Page 136

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134

14.7 Page 137

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135
Deuxième Section
LA CONTRIBUTION DE DON ALBERA
À LA SPIRITUALITÉ SALÉSIENNE
Le magistère de la vie
Après avoir reçu la nouvelle de la mort de Don Albera, le Père Giuseppe
Vespignani écrivit d’Argentine: « Nous sommes convaincus que le défunt

14.8 Page 138

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136 Deuxième Section
recteur majeur a été la continuation de la vie, de l’esprit et de l’action de
Don Bosco et de Don Rua, et que tous les trois forment la magnifique
triade, suprêmement providentielle et admirable de notre Congrégation »1
. C’est vrai. Il est probable que sans le dévouement et le charisme de ces
deux disciples, collaborateurs et successeurs, la fondation salésienne aurait
rapidement épuisé ses possibilités après la mort du Fondateur. Don Rua fut
choisi par Don Bosco comme vicaire, chargé de structurer la Société salé-
sienne naissante, de l’organiser, d’en garantir le développement organique
et la cohésion dans la discipline religieuse. À son tour, Don Rua nomma
Albera comme directeur spirituel de la Congrégation pour consolider la
vie intérieure des confrères, leur inculquer « l’esprit » hérité de leur père et
offrir aux nouvelles générations des parcours de formation mieux définis.
Devenus recteurs majeurs, tous deux ont manifesté une vive préoccupation
pour maintenir et accroître le patrimoine spirituel et pédagogique de Don
Bosco. À cette fin ils ont consacré tous leurs efforts, en paroles et en actes,
mais surtout par le témoignage de la vie.
Don Albera était particulièrement conscient de la mission reçue. Il
en était même angoissé, parce qu’il croyait ne pas être à la hauteur. Ses
cahiers personnels témoignent de sa tension spirituelle constante, du
travail ascétique incessant sur lui-même pour nourrir le feu de charité que
Don Bosco avait allumé dans son cœur depuis son adolescence, et pour
atteindre la compétence et la sainteté requises par sa charge. Le partage
de la vie et du travail avec le Fondateur l’avait convaincu que le meilleur
moyen de prolonger son esprit dans le temps et d’assimiler son charisme
était de reproduire en lui ses vertus, son zèle et sa sainteté. Don Bosco fut
sa référence constante. Tout au long de sa vie, il essaya de se modeler sur
les enseignements, l’exemple et les actions du Père, pour aider les salésiens
à faire de même.
Dans la circulaire envoyée à ses confrères à l’occasion de l’inauguration
du monument à Don Bosco, il rappelait les premières années qu’il avait
passées à ses côtés, « respirant pour ainsi dire son âme ». Il évoquait la
période passée à Valdocco après son ordination, au cours de laquelle il
avait pu « jouir de son intimité et puiser dans son cœur de précieux ensei-
gnements ». Puis il ajoutait : « Pendant ces années-là surtout, et chaque
fois que j’avais le bonheur d’être avec lui ou de l’accompagner dans ses
voyages, je me persuadai que la seule chose nécessaire pour devenir son
digne fils était de l’imiter en tout. Aussi, à l’exemple de nombreux confrères
1 Garneri 431.

14.9 Page 139

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 137
plus âgés qui reproduisaient déjà en eux-mêmes la manière de penser, de
parler et d’agir du Père, j’essayai de faire de même. Et aujourd’hui, après
plus d’un demi-siècle, je vous répète, à vous aussi qui êtes ses fils comme
moi, mais confiés par lui à moi, son fils aîné: imitons Don Bosco dans l’ac-
quisition de notre perfection religieuse, dans l’éducation et la sanctification
de la jeunesse, dans la façon de nous comporter avec le prochain, dans le
souci de faire du bien à tous »2 .
C’est pourquoi il insistait sur la nécessité de connaître le Fondateur,
d’étudier sa vie et ses écrits avec amour, de parler souvent de lui aux jeunes
et aux coopérateurs. Il avait aussi une profonde vénération pour la personne
de Don Rua, chez qui il admirait surtout son souci de la perfection jusque
dans les plus petites choses. Il voulait que les salésiens le considèrent
comme organiquement uni à Don Bosco : « Pourquoi Don Bosco était-il si
aimé ? Pourquoi tous les cœurs étaient-ils avec lui ? demandait-il dit lors du
septième Chapitre général des Filles de Marie Auxiliatrice. Parce qu’il a eu
la chance d’avoir à ses côtés un Don Rua, qui prenait toujours sur lui toute
la part désagréable des responsabilités... Lorsqu’il fut élu recteur majeur,
certains se mirent à craindre un gouvernement rigoureux ; au contraire, on
vit toute la bonté qu’il avait dans le cœur. Mais cela restera l’une des plus
belles pages de sa vie, et l’on verra à quel point il contribua à faire briller
l’auréole qui entourait Don Bosco »3 .
Selon Don Luigi Terrone, « la conviction principale que les gens avaient
de Don Albera était de se trouver devant un véritable homme de Dieu, un
prêtre exemplaire, une âme tout intérieure ». Cette dimension spirituelle
était particulièrement évidente chez lui : son comportement, son regard, sa
façon de parler et de prêcher révélaient le religieux constamment préoccupé
par les choses du ciel4 . Il avait le don d’une grande bonté naturelle, qu’il
perfectionna en travaillant sur lui-même au point de devenir une personne
d’une exquise délicatesse qui impressionnait. Il insistait constamment sur
l’importance que Don Bosco attribuait à l’amabilité et à la courtoisie dans
les relations avec le prochain, sans distinction de condition et de tempé-
rament. Il citait saint François de Sales pour prouver la valeur et l’efficacité
des bonnes manières en tant qu’expression de la charité chrétienne, car
elles « servent admirablement à éviter les frictions, à arrondir les angles, à
préserver la paix, la compréhension mutuelle et une certaine gaîté intérieure
2 LC 331.
3 Garneri 437-438.
4 Garneri 485.

14.10 Page 140

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138 Deuxième Section
et extérieure »5 . Il fut le premier à en donner l’exemple en montrant une
amabilité qui lui gagnait le cœur des jeunes et des adultes.
Les confrères qui vécurent avec lui témoignent de la richesse de ses
vertus : il était prudent dans ses paroles et dans ses décisions, humble
et patient. Il montra un esprit constant d’abnégation : malgré sa santé
fragile, il ne se déroba jamais à ses devoirs et resta extrêmement tempérant
en tout6 . Ses notes intimes révèlent ses efforts pour corriger et parfaire
son humanité et nourrir sa vie intérieure. Il avait également une grande
capacité d’écoute, une empathie qui attirait la confiance.
À force de pratiquer la confession et la direction spirituelle, il était
devenu un expert du cœur humain. Mais il ressentait un besoin constant
d’approfondir sa connaissance de la vie spirituelle en étudiant et en
méditant les auteurs spirituels. Comme en témoigne Don Francesco
Scaloni, les confrères français et belges étaient convaincus qu’il avait lu
« tous les meilleurs ouvrages d’ascétique », sur lesquels il savait porter un
jugement en connaisseur. Il ne les lisait pas de manière superficielle, mais
il accompagnait ses lectures de méditation « pour nourrir son esprit et son
cœur nouvelles générations nouvelles générations »7 . De ces lectures et
réflexions il tirait ensuite des matériaux pour le ministère de la prédication
et de l’accompagnement spirituel. Don Giovanni Battista Grosso, son
proche collaborateur pendant les années marseillaises, a raconté qu’« au
milieu de toutes ses préoccupations de provincial et de directeur de l’Ora-
toire Saint-Léon... il trouva le temps de lire beaucoup, et presque exclusi-
vement des livres d’ascétique ; et il était attentif à se procurer les nouveaux
livres publiés par les meilleurs auteurs français ; et non seulement il les
lisait et annotait, mais il en faisait des résumés ou des extraits, ce qui
l’aidait beaucoup ensuite pour les conférences mensuelles à ses confrères,
et pour celles qu’il acceptait souvent et volontiers de donner aux diverses
compagnies de la maison »8 .
Ce goût pour la vie spirituelle, ce désir de la comprendre en profondeur,
il faut les relier à son admiration personnelle pour la sainteté et la piété
5 Garneri 467.
6 Garneri 475-484.
7 Garneri 452-453. Dans le journal spirituel de Don Albera et dans ses notes de prédi-
cation, on trouve des références à environ quatre-vingts auteurs. Voir J. BOENZI,
Reconstructing Don Albera’s Reading List, dans « Ricerche Storiche Salesiane » 33
(2014) 203-272.
8 ASC B0330314, D. Paolo Albera. Ricordi personali, ms G. B. Grosso, 1.

15 Pages 141-150

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15.1 Page 141

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 139
profonde de Don Bosco. Depuis son plus jeune âge, il avait essayé de repro-
duire en lui son esprit de prière et son union constante avec Dieu. Au fil
des ans, il acquit lui aussi ce don de la prière et de la contemplation. Sa
piété sincère, sans exagérations, a impressionné ceux qui le voyaient prier
ou célébrer l’eucharistie : tout plongé dans l’adoration, il avait une attitude
d’une grande douceur, une concentration si intense qu’on était ému. « Il
était particulièrement attentif à faire la méditation et l’action de grâce après
la messe et recommandait souvent la pratique de l’examen de conscience »9.
Sa piété était tendre, affective et intensément communicative, entretenue
surtout par la méditation de l’Évangile et des lettres de saint Paul10 .
Sa tendance prédominante à l’intimité divine et son goût pour la piété
ne diminuèrent pas, mais animèrent son continuel esprit d’initiative, son
service pastoral et sa ferveur dans le travail. Il était convaincu qu’une piété
authentique génère le zèle apostolique, illumine l’action éducative, l’inspire
et la rend féconde, comme ce fut le cas chez Don Bosco.
Dans le souci dynamique de suivre les exemples du Fondateur et de
Don Rua, et afin de « conserver dans notre Congrégation l’esprit et les
traditions que nous avons appris d’eux » – selon ce qu’il l’écrivait dans sa
première circulaire en rappelant l’engagement qu’il avait pris au moment
de l’élection – Albera sentit la nécessité d’accentuer certains thèmes qu’il
jugeait fondamentaux, ainsi que d’autres liés à sa sensibilité ou exigés par
certaines contingences historiques, par le contexte dans lequel travaillaient
ses interlocuteurs et par sa connaissance personnelle des confrères. Ses
lettres circulaires, très denses, ont un caractère exhortatif, sapientiel, non
doctrinal ou systématique, mais elles révèlent une grande familiarité avec
la théologie de la vie consacrée et la spiritualité chrétienne. On y décèle des
noyaux thématiques récurrents, que nous entendons mettre en évidence.
Esprit de prière
Il est significatif que le premier thème abordé par Don Albera pour
inciter les confrères à s’approprier « l’esprit du vénérable Fondateur et Père
Don Bosco » a été l’esprit de piété, qu’il considérait comme un élément
fondamental de l’identité salésienne. Dans la lettre circulaire du 15 mai
9 ASC B0330109, Per le memorie di D. Paolo Albera [1923], ms G. Barberis.
10 L. Cartier in L’Adoption, 20 (1921) n. 214.

15.2 Page 142

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140 Deuxième Section
191111 , il affirmait que l’estime universelle dont jouissaient les salésiens
du fait de leur esprit d’initiative et de leur activité dans le domaine de
l’éducation était due aux fruits abondants produits par l’action infatigable
de Don Bosco, de Don Rua et de nombreux autres confrères, ainsi qu’à la «
diffusion rapide des œuvres salésiennes en Europe et en Amérique ». Sans
aucun doute, une telle ardeur et tant de travail étaient un motif d’honneur,
preuve évidente de la vitalité de la Société salésienne et de la protection
spéciale de l’Auxiliatrice. Cependant, il se sentait obligé de rappeler à
ses confrères « que cette activité tant vantée des salésiens », ce « zèle »,
cet « enthousiasme chaleureux » pourraient peut-être manquer un jour, s’ils
n’étaient pas fécondés, purifiés et sanctifiés par une véritable et solide pitié »12.
Partant de ce souci, il développa une réflexion sur la nécessité pratique
de « l’esprit de piété », le plaçant dans un solide cadre doctrinal inspiré
des enseignements de saint François de Sales : « C’est la piété qui règle
sagement toutes nos relations avec Dieu et avec le prochain... Les âmes
vraiment pieuses ont des ailes pour s’élever vers Dieu dans l’oraison, et
elles ont des pieds pour marcher parmi les hommes au moyen d’une vie
aimable et sainte ». Cette métaphore utilisée par le saint patron aide les
salésiens à distinguer les pratiques religieuses quotidiennes de « l’esprit
de piété qui doit nous accompagner à chaque instant, et qui a pour but de
sanctifier chaque pensée, chaque parole et chaque action, bien qu’elle ne
fasse pas directement partie du culte que rendons à Dieu ». L’acquisition de
cet esprit préserve l’ardente activité des salésiens de la superficialité stérile,
de la dispersion et de la fragmentation.
Les exercices de piété sont des moyens indispensables pour atteindre le
but principal qu’est l’esprit de prière. Ce sont ces exercices qui alimentent «
cette relation intime, cette ineffable parenté que Jésus-Christ a voulu établir
entre lui et les âmes par le saint baptême ». Sans l’esprit de prière on risque
de perdre « cet esprit de foi grâce auquel nous sommes si convaincus des
vérités de notre sainte religion que nous en gardons toujours la mémoire
vivante, et que nous sentons son influence bienfaisante dans toutes les
circonstances de notre vie ». Sans cet esprit, nous serions insensibles
aux inspirations du Saint-Esprit, à ses consolations et à ses dons. « Au
contraire, s’il est bien cultivé, cet esprit fait que notre union avec Dieu
n’est jamais interrompue ; et même il communique à tout acte, même
profane, un caractère profondément religieux, il l’élève pour en faire un
11 LC 24-40.
12 LC 26.

15.3 Page 143

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 141
mérite surnaturel » et le transforme en un culte qui plaît à Dieu. Ce n’est
qu’ainsi qu’il est possible de transformer le travail en prière. C’est une loi
de la vie spirituelle qui vaut pour tout chrétien, mais surtout pour ceux qui,
par la profession de vœux, se sont donnés sans réserve à Jésus-Christ, et
qui lui ont consacré leurs facultés, leurs sens, toute leur vie. Le religieux
devrait posséder l’esprit de piété au point de « le communiquer aussi aux
personnes qui l’entourent »13 .
« Par la grâce de Dieu – note Don Albera – nous pouvons compter de
nombreux confrères, prêtres, clercs et coadjuteurs qui, du point de vue de
l’esprit de piété, sont de véritables modèles et font l’admiration de tous ».
Malheureusement, ce n’est pas le cas pour tous. Il y en a qui considèrent les
pratiques de piété comme un fardeau et essaient par tous les moyens de s’y
soustraire. Aussi deviennent-ils peu à peu relâchés et froids, « ils végètent
malheureusement dans une médiocrité des plus déplorables et ne porteront
jamais de fruits ». C’est une contradiction: ils sont consacrés, ils vivent et
travaillent dans une communauté religieuse, mais sans esprit intérieur, sans
faire de progrès dans la perfection, exposés à mille tentations et en danger
constant de « succomber aux séductions des créatures et aux assauts des
passions ». La seule défense, la force essentielle du religieux est la piété
vraie, qui sert à « fortifier notre esprit, à correspondre à la grâce de Dieu et
à atteindre le degré de perfection que Dieu attend de nous »14 .
Don Albera est pragmatique. Comme c’est aux salésiens qu’« a été
confiée la part de prédilection du troupeau de Jésus-Christ », la jeunesse,
et que leur engagement éducatif obtient de bons fruits, il y aura des
attaques de la part des ennemis : « Nous devons être prêts pour le combat...
Soyons-en bien convaincus, c’est seulement dans l’esprit de piété que nous
pourrons puiser force et réconfort ». D’autre part, nous savons que « tout
le système éducatif enseigné par Don Bosco est basé sur la piété »; si donc
nous n’étions pas « abondamment pourvus » de cet esprit, nous offririons
à nos élèves une éducation incomplète. Si « le salésien ne possède pas
une piété solide, il ne sera jamais apte à la mission d’éducateur », comme
l’a démontré Don Bosco, excellent modèle de piété et éducateur chrétien
incomparable : une caractéristique de toute sa vie et le secret de son effi-
cacité éducative a été « une piété fervente » unie à une sincère dévotion
mariale : « On aurait dit que la vie du serviteur de Dieu était une prière
continue, une union jamais interrompue avec Dieu... Chaque fois que nous
13 LC 29-30.
14 LC 30-31.

15.4 Page 144

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142 Deuxième Section
nous adressions à lui pour lui demander conseil, nous avions l’impression
qu’il interrompait ses entretiens avec Dieu pour nous donner audience, et
que les pensées et les encouragements qu’il nous donnait étaient inspirés
par Dieu. Quelle édification pour nous de l’entendre réciter le Pater ou
l’Angelus Domini ! »15
De ces prémisses d’ordre spirituelle Don Albera tire trois suggestions
concrètes :
1. « Prenons la résolution d’être fidèles et exacts dans nos pratiques de
piété » : celles que la règle nous impose sont peu nombreuses et faciles, «
raison de plus pour les observer avec plus de diligence ».
2. « Promettons de sanctifier nos actions journalières », par de fréquents
« actes d’amour, de louange et d’action de grâce », avec pureté d’intention,
avec « une sainte indifférence par rapport à tout ce que Dieu nous demande
à travers les supérieurs », avec l’acceptation généreuse des souffrances de
la vie. Telle est la piété active, suggérée par saint François de Sales, qui
nous permet de mettre en œuvre « le précepte de la prière continue » et
nous aide à éviter « la grande maladie de nombreux employés au service
de Dieu, à savoir l’agitation et l’ardeur excessive avec laquelle on s’adonne
aux choses extérieures ». Par conséquent: « Que les salésiens continuent
à donner l’exemple d’un esprit d’initiative, de grande activité, mais que ce
soit toujours et en tout l’expansion d’un zèle véritable, prudent, constant et
soutenu par une solide piété ».
3. « Faisons en sorte que notre piété soit fervente », c’est-à-dire caracté-
risée par « un désir ardent, une volonté généreuse de plaire à Dieu en tout...
Veillons à ne pas être victimes de cette paresse spirituelle, qui a horreur de
tout ce qui demande des sacrifices ». À l’école de saint François de Sales,
« essayons d’assaisonner notre travail avec une élévation de l’esprit à Dieu,
avec des élans d’affection, pour ne pas nous laisser décourager »16 .
Vie de foi
La condition indispensable pour obtenir l’esprit de prière est la foi. L’ex-
périence enseigne que « si la foi est vivante chez un religieux, même s’il
doit regretter un défaut dans sa conduite, il ne tardera pas à s’en corriger,
il fera des pas de géant sur le chemin de la perfection et deviendra un
15 LC 31-34.
16 LC 35-39.

15.5 Page 145

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 143
instrument capable de procurer le salut de beaucoup d’âmes ». Tel était le
thème de la circulaire du 21 novembre 1912, élaborée sous forme d’ins-
truction, avec une première partie doctrinale (sur la nécessité de la vie de
foi, ses différents degrés, ses fruits, la valeur qu’elle donne aux actions
humaines, son lien inséparable avec la prière et la vocation) et une partie
pratique, dans laquelle, après avoir rappelé la foi ardente de Don Bosco,
Albera encourage les confrères à « raviver » leur foi pour donner de la
fécondité à leur ministère17 .
La foi illumine l’intelligence et permet aux hommes de « marcher en
toute sécurité malgré les ténèbres et les dangers de cette vallée de larmes ».
Elle nous fait comprendre « le but pour lequel Dieu nous a créés et l’œuvre
merveilleuse accomplie par Jésus-Christ ». Elle nous révèle « la beauté de
la vertu, le rôle précieux de la grâce divine, nous inspirant l’horreur du
péché et nous fournissant un grand nombre de moyens de sanctification
moyennant les saints sacrements ». La foi nous fait considérer la vocation
religieuse comme un don spécial, un acte de la prédilection de la part de
Dieu à notre égard. C’est de foi que vit celui qui croit « résolument » à
toutes les vérités révélées, qui, avec joie, « accueille la lumière de la révé-
lation divine et adhère totalement aux enseignements de Jésus-Christ, qui
lui sont transmis par l’Église, à laquelle il se confie avec la simplicité d’un
enfant »18 .
Le salésien est un homme de foi quand il se maintient constamment
en présence de Dieu et « informe et sanctifie ainsi toute sa vie ». La foi
illumine son esprit et son cœur, lui attire les bénédictions du Seigneur,
l’aide à surmonter les tentations, à affronter avec force et constance les
épreuves de la vie et les difficultés rencontrées dans la mission éducative
: « Ce n’est qu’à la lumière de la foi et avec l’intuition de la charité chré-
tienne que nous reconnaissons la personne même de Celui qui était appelé
l’homme des douleurs sous la figure misérable des jeunes pauvres et aban-
donnés... C’est la parole de la foi qui répète à nos oreilles : ce que vous
avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, vous l’avez fait à moi ». Et
c’est aussi la foi qui aide à surmonter la fatigue, le découragement et l’in-
gratitude, « en nous rappelant que nous travaillons pour le Seigneur ». Elle
seule met dans nos cœurs « un calme et une paix inaltérables », nous
rend « d’humeur toujours égale dans l’alternance continue des événements
17 LC 82-100.
18 LC 88.

15.6 Page 146

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144 Deuxième Section
heureux ou tristes »19 .
À ces considérations Don Albera fait suivre quelques indications spiri-
tuelles pratiques : « Celui qui vit de foi prend plaisir à contempler Jésus
demeurant dans son cœur, soit glorieux comme au ciel, soit caché comme
dans la Sainte Eucharistie, et dans cette contemplation il s’enflamme du
désir de lui rendre cette maison plus agréable en la décorant des plus
belles vertus. Il commence par vider son cœur de tout sentiment d’amour-
propre, de vanité et d’orgueil, afin que Jésus en soit le seul maître absolu.
Il se considère comme le temple vivant du Saint-Esprit ; c’est pourquoi
il veillera à ce que ce temple ne soit pas profané par la moindre affection
impure. Il s’estimera heureux de manquer non seulement du superflu, mais
aussi du nécessaire pour ne pas être un disciple indigne de Celui qui a
voulu la pauvreté comme son inséparable compagne... Il s’efforcera surtout
de maintenir vivant le feu sacré de la charité, vertu qui nous fait ressembler
le mieux à Dieu lui-même ». L’esprit de foi se nourrit de prière fervente et
confiante, de méditation et de lecture spirituelle, des sacrements de l’Eu-
charistie et de la pénitence, avec la visite à Jésus présent dans le tabernacle,
avec une attention aux moindres détails lors de la célébration des mystères
divins20 .
Ensuite, Don Albera illustre les conséquences pratiques de la vie de foi :
les salésiens animés par la foi sentiront grandir dans leur cœur la reconnais-
sance envers Dieu pour avoir été appelés à faire partie de la Congrégation ;
ils considéreront la maison où l’obéissance les a placés « comme la maison
de Dieu lui-même » et la tâche qui leur est confiée « comme la portion de
la vigne que le propriétaire nous a donnée à cultiver »; ils verront dans les
supérieurs « les représentants de Dieu lui-même »; ils reconnaîtront « les
constitutions, les règlements, l’horaire comme autant de manifestations
de la volonté de Dieu ; ils accueilleront les jeunes comme « un dépôt sacré,
dont le Seigneur nous demandera le compte le plus strict » ; ils regar-
deront les confrères comme « autant d’images vivantes de Dieu lui-même,
confiées par lui tantôt pour nous édifier de leurs vertus, tantôt pour nous
faire pratiquer la charité et la patience avec leurs défauts ». « Oh! quand
viendra le jour où, selon la belle image de saint François de Sales, nous
nous laisserons porter par notre Seigneur comme un enfant dans les bras
de sa maman ? Quand donc, chers confrères, prendrons-nous l’habitude
de voir Dieu en toute chose, dans tous les événements, que nous consi-
19 LC 88-93.
20 LC 93-95.

15.7 Page 147

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 145
dérerons comme les espèces sacramentelles sous lesquelles il se cache ?
Ainsi serons-nous persuadés que la foi est un rayon de lumière céleste qui
nous fait voir Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu »21 .
La lettre circulaire se termine, comme toutes les interventions de Don
Albera, par une référence à l’exemple de Don Bosco. Tout en lui était inspiré
et nourri par la foi : le dévouement inépuisable à l’éducation chrétienne
des jeunes, la prédication concrète et passionnée, « son admirable système
préventif », la présence continue parmi les enfants, l’assistance infatigable.
Enfin, il invite ses confrères à l’action apostolique, considérant « l’état de la
société d’aujourd’hui », où même chez ceux qui se proclament chrétiens, « le
flambeau de la foi est si affaibli qu’il menace de s’éteindre à tout moment »
; où « un nombre infini de jeunes fréquente les écoles dites laïques où c’est
souvent un crime de prononcer le nom de Dieu » : peut-être dans l’avenir
« nous aurons une génération entièrement dépourvue du souffle vital de la
foi ». Cette pensée doit secouer les disciples de Don Bosco: « Le Seigneur
qui choisit d’ordinaire les moyens les plus insignifiants pour accomplir les
œuvres les plus grandes », nous a appelés à coopérer à la restauration de
son règne dans les âmes et compte « sur notre volonté et sur notre humble
coopération… Alors mettons-nous au travail immédiatement ; à partir
d’aujourd’hui, que notre vie soit vraiment une vie de foi »22 .
Don Bosco modèle du salésien
Le souci fondamental de Don Paolo Albera – comme il l’avait déjà été
pour Don Rua – était de préserver intact « l’esprit du Fondateur » dans
la Congrégation salésienne. Il revient constamment sur ce point quand il
traite des questions relatives à l’identité et au charisme salésien : la piété,
la discipline, la foi, les oratoires festifs, les missions, les vocations, les
vœux, la dévotion mariale, la douceur, l’amour des jeunes, l’application du
système préventif...
Dans la circulaire du 23 avril 1917, il proposa aux inspecteurs et aux
directeurs une série de « conseils et avis pour conserver l’esprit de Don
Bosco dans toutes les maisons »23 . Il rappelait tout d’abord que le devoir
d’un supérieur est d’être un modèle et un maître pour ses confrères, de leur
21 LC 95-96.
22 LC 97-100.
23 Cf. LC 214-230.

15.8 Page 148

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146 Deuxième Section
donner l’exemple d’une conduite vertueuse et de veiller à leur formation et
à leur progrès spirituel. Il faisait suivre une liste de domaines et de vertus
qui lui paraissaient concrétiser l’esprit de Don Bosco. En premier lieu, il
plaçait l’esprit de piété et l’observance exacte des constitutions. Puis il
passait en revue les trois vœux, reprenant les points essentiels proposés
dans les circulaires précédentes. Enfin, il énumérait quelques devoirs
liés au ministère du supérieur salésien : la correction fraternelle faite au
bon moment et in camera charitatis ; l’exercice d’une paternité aimable,
patiente et bienveillante ; un comportement humble, serein et respectueux
parmi les confrères. Il soulignait surtout l’importance du zèle dans la
poursuite de la mission salésienne : « Le directeur, plus que tous les autres
fils de Don Bosco, doit prendre comme sujet de ses méditations les paroles
que le bon père a adoptées comme emblème de notre Pieuse Société : Da
mihi animas ».
Le zèle du supérieur salésien doit s’exprimer avant tout dans les domaines
dans lesquels Don Bosco s’est le plus engagé : 1) aider les confrères « à
persévérer dans leur vocation et à progresser chaque jour sur le chemin
de la perfection » ; 2) aimer les jeunes « d’un amour saint et intense »
pour en faire d’honnêtes citoyens, « mais surtout de bons chrétiens », et
les garder unis entre eux, même au cours des années suivantes, dans l’as-
sociation des anciens élèves ; 3) susciter chaque année des vocations pour
la Congrégation et pour l’Église, « en arrachant cette grâce au Cœur de
Jésus, même au prix de nombreux sacrifices et prières » ; 4) développer la
coopération salésienne « en augmentant de plus en plus le nombre de ceux
qui participent à l’esprit de Don Bosco et s’en font les promoteurs au plan
matériel et spirituel »24 .
Dans l’esprit et dans les paroles de Don Albera, la figure attirante de
Don Bosco, l’exemple de sa vie et la fascination exercée par ses vertus
ont toujours constitué le point de référence principal et le stimulant le plus
efficace. Plus il avançait en âge, plus il sentait le besoin d’insister sur l’imi-
tation du Fondateur, comme le montrent les circulaires des deux dernières
années. Il y souligne sa douceur paternelle, sa familiarité et sa confiance
à l’égard des jeunes, son amour des âmes, son abandon à Dieu, son souci
pastoral exemplaire. Intimement convaincu que Don Bosco « fut envoyé
par Dieu pour régénérer la société d’aujourd’hui », pour la ramener aux
pures sources chrétiennes « de l’amour et de la paix », Don Albera n’a cessé
d’inviter les salésiens à se montrer dignes de leur père : « Nous sommes
24 LC 228-229.

15.9 Page 149

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 147
ses fils, et si nous sommes ses fils, nous sommes aussi les héritiers de ce
dépôt sacré qui ne doit pas devenir stérile en nous ; et pour montrer que
nous sommes ses dignes fils et à la hauteur de notre mission dans le temps
présent, nous devons avant toute chose être solides dans notre vocation »25 .
Le 18 octobre 1920, il dédia une lettre circulaire à Don Bosco notre
modèle dans la perfection religieuse, dans l’éducation et la sanctification
de la jeunesse, dans les relations avec le prochain et dans la manière de
faire du bien à tous26 . Pour écrire cette lettre, il s’inspira de l’expérience
inoubliable qu’il avait vécue personnellement au contact du Fondateur. Ce
sont des pages d’une grande puissance évocatrice, un document de nature
charismatique parmi les plus importants de la tradition salésienne, qu’on
peut considérer comme le testament spirituel de Don Albera et la synthèse
de sa pensée. On y trouve en effet toutes les caractéristiques dynamiques et
exemplaires de Don Bosco: l’action apostolique comme moyen de sanctifi-
cation, « parce que l’apostolat n’est rien d’autre qu’une effusion continuelle
de vertus sanctifiantes pour le salut des âmes » ; le don total de soi au
Seigneur « jusqu’à atteindre l’union intime avec Dieu au milieu d’occu-
pations ininterrompues et très disparates » ; la pratique des vertus salé-
siennes représentées par le Fondateur dans le songe des diamants, car « la
perfection religieuse est le fondement de l’apostolat » ; la sainteté de vie de
l’éducateur comme base de l’éducation et de la sanctification de la jeunesse
; l’amour de prédilection pour les jeunes, car « c’est un don de Dieu, c’est
la vocation salésienne elle-même », mais qui demande à être continuel-
lement développée et perfectionnée ; le souci constant d’empêcher le péché
et d’aider les jeunes à vivre en présence de Dieu et à sauver leur âme ; le
comportement « aimable et respectueux envers tous », avec le désir de se
sacrifier pour faire du bien au prochain.
L’acte le plus parfait de Don Bosco
Selon Don Albera, le dynamisme fondamental de la vie de Don Bosco
était sa conscience très vive d’être appelé à « travailler pour les âmes
jusqu’à la totale immolation de soi »27 . Ses fils doivent faire de même, mais
en s’efforçant tout d’abord de parvenir à cette tranquillité d’esprit, à cette
25 LC 323-324.
26 LC 329-350.
27 LC 335.

15.10 Page 150

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148 Deuxième Section
égalité de caractère et imperturbabilité qui le caractérisaient dans toutes
les circonstances de la vie, qu’elles fussent heureuses ou tristes. Une telle
sérénité était le résultat d’un processus intérieur radical de remise à Dieu,
d’un abandon confiant entre les mains de la Providence qui a caractérisé la
vie spirituelle de Don Bosco dès les premiers pas de sa vocation. Comme
on le voit à travers sa biographie, « il s’est jeté en Dieu, écrit Don Albera,
dès sa plus tendre enfance, puis, pendant le reste de sa vie, il n’a fait que
développer cet élan, jusqu’à atteindre une union intime habituelle avec
Dieu au milieu de ses occupations souvent interrompues et très disparates
». Un symptôme évident de cet état de communion permanente avec Dieu
était son inaltérable égalité d’humeur, qui se lisait sur son visage toujours
souriant ». L’union habituelle avec Dieu était en lui une source d’illumi-
nation et d’inspiration ; elle imprimait à ses paroles une telle profondeur et
une telle force que ceux qui l’écoutaient se sentaient « meilleurs et élevés
jusqu’à Dieu ». De plus, son amour de Dieu était si ardent « qu’il ne pouvait
pas rester sans en parler »28 .
L’évocation de l’ardente charité de Don Bosco inspira à Albera une série
de conclusions pratiques. Avant tout, il invita les salésiens à se jeter avec
confiance « dans les bras de Dieu, comme l’a fait notre bon Père ; alors se
fera jour en nous aussi la douce nécessité de parler de Lui, et nous ne ferons
plus aucun discours sans commencer et finir avec Lui ». De cette manière,
non seulement nos pensées et nos paroles, mais aussi nos actions seront
fécondées par le feu de l’amour divin. Nous sentirons la connaturalité et
le besoin des « exercices ordinaires de la perfection religieuse » et nous
aurons le désir de n’en omettre aucun. En effet, tandis que d’autres utilisent
les pratiques de piété comme un moyen pour atteindre la perfection, les
disciples de Don Bosco, à l’exemple de leur père, les vivent « comme
des actes naturels d’amour divin » : « Pour nous, elles ne doivent pas être
simplement le bois qui sert à allumer et à nourrir le feu divin dans notre
cœur, mais les flammes mêmes de ce feu »29 .
Le salésien qui se jette avec confiance dans les bras de Dieu réussira
facilement à se tenir loin du péché, à arracher de son cœur les mauvaises
inclinations et habitudes ; il le connaîtra et l’aimera de plus en plus ; il
pratiquera avec joie sa sainte loi et les conseils évangéliques ; il se liera
plus étroitement à Lui par la prière et le recueillement de l’esprit, avec le
désir incessant de « plaire à Dieu » et de se conformer en tout à sa volonté.
28 LC 335-336.
29 LC 337.

16 Pages 151-160

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16.1 Page 151

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 149
Ainsi Dieu deviendra « la fin directe de ses actions » et il sera soumis en
toute circonstance de la vie à la volonté divine, comme le fut Don Bosco,
avec un « visage joyeux » et avec courage, sans troubles, plaintes, tristesse,
peurs et appréhensions : « Que rien ne te trouble : celui qui a Dieu a tout ».
Combien de fois, écrit Don Albera, « j’ai été témoin de sa totale soumission
aux dispositions divines ! » De plus, si nous imitons Don Bosco dans la
remise confiante de nous-mêmes à Dieu, nous parviendrons, comme lui,
à « un grand recueillement dans la prière »: « En le regardant prier, nous
restions comme ravis et presque extasiés. Il n’y avait chez lui rien de forcé,
rien de singulier; mais celui qui était proche de lui et l’observait ne pouvait
s’empêcher de bien prier lui aussi, en voyant sur son visage une splendeur
inhabituelle, reflet de sa foi vive et de son ardent amour de Dieu... L’im-
pression que j’ai ressentie en le voyant donner la bénédiction de Marie
Auxiliatrice aux malades ne s’effacera jamais de ma mémoire. En récitant
le Je vous salue et les paroles de la bénédiction, on aurait dit que son visage
était transfiguré : ses yeux se remplissaient de larmes et sa voix tremblait
sur ses lèvres. Pour moi, c’était la preuve que virtus de illo exibat (une
force sortait de lui) ; je n’ai donc pas été surpris par les effets miraculeux
qui suivaient, c’est-à-dire que les affligés étaient réconfortés et les malades
guéris. »30
L’amour des jeunes
À l’occasion de l’inauguration du monument à Don Bosco sur la place
devant l’église de Marie Auxiliatrice, Don Albera écrivit aux salésiens
qu’on ne pouvait pas se contenter de ce signe extérieur. Don Bosco veut
un autre monument de la part de ses fils, c’est-à-dire qu’ils fassent «
revivre en eux ses vertus, son système éducatif, tout son esprit, afin de le
transmettre, toujours fécond et vital, de génération en génération ». Faire
revivre Don Bosco en nous est le seul moyen d’honorer sa mémoire et de
la rendre féconde au cours du temps31 . Nous devons l’imiter « dans son
zèle ardent et désintéressé pour le salut des âmes, dans son amour et dans
son dévouement illimité au service de l’Église et du pape, dans toutes les
vertus dont il nous a laissé tant de merveilleux exemples ». Nous devons
tirer profit de ses enseignements, qui furent certainement le fruit de son
30 LC 337-338.
31 LC 308-318 (6 avril 1920).

16.2 Page 152

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150 Deuxième Section
intelligence et de son expérience, « mais aussi des lumières surnaturelles
qu’il demandait instamment dans ses prières » et qui lui furent accordées
« en récompense de sa fidélité inaltérable dans le travail du champ qui lui
avait été confié par le Seigneur ». Surtout, nous avons le devoir d’étudier et
d’appliquer son système éducatif qui, « pour nous qui sommes persuadés
de l’intervention divine dans la création et le développement de son œuvre,
est une pédagogie céleste »32 .
Don Albera rappelle le dynamisme central du système préventif de
Don Bosco : c’est « cet amour, ce souci affectueux pour les jeunes, qui
fut le secret de son merveilleux ascendant sur eux ». Et pour donner un
contenu concret à cet amour éducatif que Don Bosco recommandait aux
salésiens, il cite amplement la lettre qu’il a écrite aux salésiens et aux
jeunes de Valdocco le 10 mai 1884 : « La familiarité apporte l’amour, et
l’amour la confiance. C’est cela qui ouvre les cœurs, si bien que les jeunes
révèlent tout sans crainte à leurs enseignants, assistants et supérieurs. Ils
deviennent francs... et se prêtent volontiers à tout ce que veut commander
celui dont ils sont sûrs d’être aimés... Que les jeunes non seulement soient
aimés, mais qu’ils sachent eux-mêmes qu’ils sont aimés... En voyant qu’ils
sont aimés dans ce qui leur plaît, et que leurs éducateurs s’adaptent aux
goûts de leur âge, ils apprendront à voir l’amour dans ce qu’ils n’aiment pas
naturellement, comme la discipline, l’étude, la mortification personnelle,
et ils apprendront à les pratiquer avec amour… Pour briser la barrière de la
méfiance, la familiarité avec les jeunes est indispensable, en particulier en
récréation. Sans la familiarité, on ne montre pas qu’on aime, et si on ne le
montre pas, il ne peut y avoir de confiance »33 .
Paolo Albera, qui avait expérimenté à l’adolescence la force généra-
trice de l’amour éducatif de Don Bosco, réussit à le décrire et à le caracté-
riser avec une grande efficacité, notamment dans la lettre circulaire du 18
octobre 192034 . La prédilection de Don Bosco pour les jeunes, écrit-il, était
un don de Dieu lié à sa vocation spécifique, mais c’était aussi le fruit de son
intelligence, qu’il développa en réfléchissant sur « la grandeur du ministère
d’instruire la jeunesse et de la former à la vertu vraie et solide », et qu’il
perfectionna dans l’exercice de la charité. « Chers confrères, nous devons
aimer les jeunes que la Providence confie à nos soins, comme Don Bosco a
su les aimer ». Ce n’est pas une tâche facile, admet Albera, qui rappelle la
32 LC 311-312.
33 LC 312-314.
34 LC 329-350.

16.3 Page 153

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 151
« manière unique, toute sienne » avec laquelle le saint manifestait sa prédi-
lection à son égard, « mais c’est là que réside tout le secret de la vitalité
expansive de notre Congrégation »35 .
L’expérience que faisaient les jeunes de l’amour de Don Bosco était
unique et d’une grande intensité : « Il nous entourait tous et entièrement
comme d’une atmosphère de contentement et de bonheur, d’où étaient
bannies les peines, les tristesses, les mélancolies : elle nous pénétrait le
corps et l’âme ». Cette affection singulière, rappelle Don Albera, « attirait,
conquérait et transformait nos cœurs », car « de chacune de ses paroles
et de ses actions émanait la sainteté de son union avec Dieu, qui est la
charité parfaite. Il nous attirait à lui par la plénitude de l’amour surnaturel
dont brûlait son cœur, et dont les flammes absorbaient, en les unifiant, les
petites étincelles du même amour que la main de Dieu suscitait dans nos
cœurs. Nous étions à lui, car en chacun de nous il y avait la certitude qu’il
était vraiment l’homme de Dieu ». Cette fascination exercée par l’amour
de Don Bosco, rendu surnaturel par la sainteté de sa vie, a été le point de
départ en vue d’un travail intelligent de formation et de transformation
: « Dès qu’il avait conquis nos cœurs, il les façonnait comme il les voulait
avec son système (tout à fait sien dans la manière de le pratiquer), qu’il
voulut appeler préventif »; ce n’était « rien d’autre que la charité, c’est-
à-dire l’amour de Dieu qui se dilate jusqu’à embrasser toutes les créatures
humaines, spécialement les plus jeunes et les plus inexpérimentées, pour
leur infuser la sainte crainte de Dieu »36 .
Par conséquent, le dynamisme fondamental du système préventif de
Don Bosco est double : d’une part, il est animé par la charité, interprétée
comme amour de Dieu et amour du prochain « portés à la perfection
voulue par notre vocation » ; d’autre part, il est orienté par l’intelligence
humaine qui utilise de façon créative tous les moyens et les possibilités
dont la charité est capable. Dans cette perspective nettement spirituelle,
Don Albera formule une définition synthétique du système préventif, qui
doit être comprise dans l’horizon de sens dans lequel il la situe : « Méditez
sérieusement et analysez au plus près cette Magna Carta de notre Congré-
gation qu’est le système préventif. Il fait appel à la raison, à la religion
et à la bonté affectueuse, mais en dernière analyse, vous devrez convenir
avec moi que tout se résume à instiller dans les cœurs la sainte crainte de
Dieu: l’instiller, dis-je, c’est-à-dire l’enraciner pour qu’elle reste toujours
35 LC 340-341.
36 LC 341-342.

16.4 Page 154

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152 Deuxième Section
, même au milieu des tempêtes et des bourrasques déchaînées par les
passions et les vicissitudes humaines »37 .
La Madone de Don Bosco
Cinquante ans après la consécration de la basilique de Marie Auxilia-
trice, Don Albera écrivit une circulaire pour commémorer cette « date
mémorable de l’histoire de notre Pieuse Société », mais surtout pour parler
« de notre très douce Mère Marie Auxiliatrice »38 , envers qui tous les
salésiens ont un devoir de reconnaissance « pour les grands et innom-
brables bienfaits qu’elle a si généreusement voulu nous accorder pendant
ces cinquante ans ». Malgré les circonstances dramatiques du moment
et les malheurs causés par la guerre, Albera considérait cette célébration
comme un devoir : « Nos fêtes seront donc toutes piété et recueillement ».
Il commença par rappeler que « les œuvres multiples commencées et
achevées » par Don Bosco, fils d’un humble paysan, privé de tout moyen
économique, gêné sur sa route par mille obstacles, peuvent apparaître
comme une « énigme inexplicable » aux yeux de ceux qui ne croient pas en
l’action de la divine Providence. La biographie de Don Bosco, en revanche,
montre qu’il n’a jamais eu « de doutes sur l’intervention continue de Dieu
et de la Vierge Auxiliatrice dans les divers événements de sa vie laborieuse
». À partir du moment où, dans son rêve des neuf ans, elle lui fut donnée
comme conseillère et maîtresse, Marie « le guida dans tous les événements
les plus importants de sa carrière, fit de lui un prêtre instruit et zélé, le
prépara à être le père des orphelins, le maître d’innombrables ministres de
l’autel, l’un des plus grands éducateurs de la jeunesse, et enfin le fondateur
d’une nouvelle société religieuse, qui devait avoir la mission de répandre
partout son esprit et la dévotion envers elle sous la beau titre de Marie
Auxiliatrice »39 .
Don Bosco a toujours reconnu l’inspiration et le soutien de l’Auxilia-
trice, ce qui l’empêcha de se décourager devant les oppositions et les diffi-
cultés rencontrées. C’est ce qu’il avait confié à ses premiers disciples le
8 mai 1864, en résumant l’histoire de l’Oratoire. C’était l’époque où on
creusait les fondations du sanctuaire de l’Auxiliatrice : une entreprise
37 LC 343.
38 LC 258-273 (31 mars 1918; fête de Pâques).
39 LC 259-260.

16.5 Page 155

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 153
téméraire pour ceux qui, comme lui, étaient totalement dépourvus de toute
couverture financière. « C’est ainsi qu’il s’est montré – commente Don
Albera – un vrai disciple de notre saint François de Sales, qui avait écrit :
Je sais bien la grâce d’être le fils, quoiqu’indigne, d’une si glorieuse Mère.
Confiants en sa protection, nous mettons la main à de grandes choses : si
nous l’aimons d’une affection ardente, elle nous obtiendra tout ce que nous
désirons »40 .
Il voulut faire mémoire de la consécration de son Sanctuaire, qui avait
eu lieu le 9 juin 1868, et de la première célébration eucharistique : « Je
me souviens, comme si c’était aujourd’hui, du moment solennel où Don
Bosco, tout rayonnant de joie, les yeux voilés par les larmes d’une profonde
émotion, gravit le premier les marches du maître-autel pour célébrer, sous
le regard miséricordieux de sa grande Auxiliatrice, le saint sacrifice de
la messe ». Il gardait le souvenir du visage « presque transfiguré » de
Don Bosco, son ardeur « à parler de sa Madone » et des « merveilles que
Marie Auxiliatrice allait opérer en faveur de ses fidèles » : « Quelle conso-
lation nous ressentons aujourd’hui en voyant ses prédictions se réaliser! »
Il rappela également qu’en plus du monument matériel, il voulut « élever
un autre monument, vivant et spirituel, en fondant la Congrégation des
Filles de Marie Auxiliatrice, lui donnant comme mission de former les
jeunes filles à la piété et à la vertu et de propager à travers le monde la
dévotion à leur puissante patronne ». Après la consécration du Sanctuaire,
les vocations se multiplièrent dans la Société salésienne, de nombreux
collèges, oratoires et écoles professionnelles surgirent « comme par enchan-
tement », les difficultés d’approbation de la Congrégation furent résolues
et de nombreuses expéditions de missionnaires partirent vers l’Amérique :
« Ainsi s’accomplissait la prédiction de la Très Sainte Vierge qui avait dit
que sa gloire viendrait de ce sanctuaire : inde gloria mea ». Les cinquante
années qui se sont écoulées depuis ce jour ont été une série ininterrompue
de « merveilles opérées par Marie Auxiliatrice en faveur de ses fidèles »,
comme en témoigne la « merveilleuse diffusion » de la famille salésienne41.
Don Albera résume ensuite la « mariologie » du Fondateur : « Nous nous
souvenons tous que Don Bosco nous répétait souvent la devise ad Jesum
per Mariam, voulant ainsi nous enseigner que notre dévotion à Marie est
vaine si elle ne nous conduit pas à Jésus, si elle ne nous obtient pas la force
nécessaire pour vaincre les ennemis de notre âme, afin de marcher sur les
40 LC 261-262.
41 LC 262-363.

16.6 Page 156

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154 Deuxième Section
traces de son divin Fils. Et pour raviver notre confiance en Marie, il fit
graver sur les médailles commémoratives de la consécration du Sanctuaire
les paroles de saint Bernard: totum nos habere voluit (Deus) per Mariam:
tout ce qui est nécessaire à notre salut, Dieu a voulu que nous l’ayons par
Marie. Dans le même sens, il nous expliquait l’affirmation des Docteurs,
selon laquelle la dévotion à Marie est un signe de prédestination »42 .
En pratiquant « la consécration à Jésus par les mains de Marie », nous
honorons notre Mère du ciel mieux que toute autre dévotion. Les autres
dévotions nous permettent d’offrir à la Vierge une partie de notre temps,
de nos actions et de nos mortifications, mais avec cette offrande radicale «
nous lui donnons tout en une seule fois ». Nous sommes convaincus qu’en
passant par les mains de Marie, nos actions « seront purifiées de toutes
les taches dont elles ont été contaminées du fait de notre orgueil et de
notre concupiscence ». Nos pauvres offrandes ne seront pas rejetées par le
Seigneur « si elles lui sont présentées par sa très douce Mère », comme le
dit saint Bernard, qui ajoute : « Si elle te protège, tu n’as rien à craindre;
si elle te guide, tu ne te fatigues pas ; si elle t’est favorable, tu arriveras au
port du salut »43 .
Don Bosco recommandait de porter sur la poitrine la médaille de l’Au-
xiliatrice comme expression de notre amour pour Marie, comme recon-
naissance de sa maternité et de sa royauté, comme défense contre l’ennemi
infernal et comme rappel « de notre appartenance à un Institut qu’elle aime
d’un amour de prédilection et est destiné à la faire connaître et honorer
partout sous le titre glorieux d’Auxiliatrice »44 .
Don Albera conclut en rappelant les raisons de la gratitude que les fils
de Don Bosco ont envers Marie et leur devoir, en tant que disciples de ce
grand éducateur de la jeunesse – « qui considérait la dévotion à la Madone
comme un moyen très efficace pour préserver ses élèves du vice » – de
« demander à Marie la grâce de comprendre son rôle de manière juste et
digne d’elle ». Don Bosco avait constamment le désir d’honorer Marie, de
parler d’elle, d’avoir recours à elle, de célébrer ses fêtes avec joie. Nous
devons faire comme lui : l’aimer intensément, vivre sans cesse sous son
regard, « comme l’enfant qui ne peut rester un seul instant séparé de sa
maman », mais surtout faire « quelque chose de plus concret », comme
disait Don Bosco : « Plus de faits et moins de paroles ». Cela implique,
42 LC 266.
43 LC 266-267.
44 LC 268-272.

16.7 Page 157

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 155
rappelle Don Albera, un effort de notre part pour nous conformer à l’image
de son Fils: « il est donc de notre devoir de suivre les traces de notre divin
modèle Jésus ». Le moyen le plus approprié est d’imiter Marie, « qui a été
la copie la plus fidèle et la plus parfaite de cet exemple divin ». C’est la
meilleure preuve d’amour que nous puissions donner à notre Mère du ciel.
Sa vie fut un progrès continuel ; nous ne pouvons donc pas dire que nous
l’imitons si nous nous contentons de ne pas commettre des péchés graves,
sans faire un effort pour « avancer dans la perfection »45 .
Les vertus du salésien
Par expérience personnelle et grâce à sa connaissance directe du monde
salésien, Don Albera était convaincu que la vitalité et la fécondité apos-
tolique de la Congrégation, alimentées par l’esprit de prière et la foi de
chaque confrère, seront fortes et durables dans la mesure où elles seront
régulées par la discipline. C’était là le deuxième thème offert à la méditation
des salésiens le 25 décembre 1911 : la « discipline religieuse », entendue
comme l’observation ponctuelle et joyeuse de ce qui est exigé de ceux qui
se consacrent au service de Dieu et des âmes dans une congrégation reli-
gieuse46 .
Vie disciplinée
Partant de la manière de faire de Don Bosco quand il formait ses
premiers disciples, Albera exposait le sens particulier et les implications
pratiques de la discipline salésienne. Il rappelait les réunions du soir dans
la chambre du Fondateur et les exercices spirituels annuels : moments
privilégiés où « le bon père nous donnait ses instructions, si pleines de
pensées saintes et exposées avec une intensité ineffable, ouvrait sans cesse
de nouveaux horizons devant nos esprits étonnés, rendait nos résolutions
toujours plus généreuses et notre volonté toujours plus décidée à rester
avec lui et à le suivre partout, sans aucune réserve et au prix de n’importe
quel sacrifice ». Au cours de ces premières années, Don Bosco n’a jamais
prononcé le mot discipline, mais il a enseigné sa signification profonde. Ce
n’est qu’en 1873 – « quand la Pieuse Société salésienne comptait déjà sept
45 LC 268-272.
46 LC 53-70.

16.8 Page 158

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156 Deuxième Section
maisons en Italie » – qu’il écrivit une lettre circulaire sur la discipline, qu’il
définissait comme « un mode de vie conforme aux règles et coutumes d’un
institut ». Et puisque le but de la Société salésienne, énoncé dans le premier
article des Constitutions, est « la perfection de ses membres et le moyen
pour y parvenir avant tout l’apostolat en faveur de la jeunesse pauvre et
abandonnée », la discipline est tout ce qui contribue au perfectionnement
intérieur et extérieur « de chacun des membres et de toute la société ..., non
pas le genre de perfection commun à toutes les familles religieuses, mais
celui qui est adapté au caractère particulier de la Société salésienne et des
règles qui la gouvernent »47 .
Puis Albera fait une comparaison efficace entre une communauté
exemplaire et une communauté indisciplinée. Dans la maison religieuse
disciplinée, « l’ordre le plus parfait règne en toutes choses et en toutes les
personnes » ; la régularité contribue « à garder l’esprit recueilli et le travail
fécond » chez les confrères. En elle, chaque religieux vit sa vocation avec
simplicité et joie spontanée, sans critiques, ni murmures ni plaintes, et les
supérieurs n’ont aucune peine dans l’accomplissement de leur mission, car
ils trouvent une cordiale collaboration. « La charité est le lien qui unit les
esprits et les cœurs ; les pensées, les sentiments et même les mots sont
complètement uniformes ». Au contraire, dans une communauté religieuse
indisciplinée, où « les règles et les constitutions sont lettre morte et les tradi-
tions familiales oubliées ou entièrement transformées », la vie commune
devient un fardeau insupportable, les devoirs sont négligés, et les personnes
mécontentes perdent peu à peu « le feu sacré de la piété ». Et si le religieux
indiscipliné est aussi un éducateur, les conséquences pourraient être drama-
tiques : « les jeunes confiés à ses soins grandiront peut-être dans l’ignorance
et le vice ; au lieu d’un père, d’un ami, d’un maître, ils trouveront en lui une
pierre d’achoppement, un danger pour leur innocence »48 .
De ce contraste Don Albera déduit la nécessité d’avoir au sein d’une
maison salésienne « une somme de règles définissant les devoirs et les
droits » et il invite les confrères à les observer, à se dépasser eux-mêmes,
à apprivoiser leurs passions, en renforçant leur communion avec Dieu. Ce
n’est qu’ainsi que l’on pourra construire la vie de famille voulue par Don
Bosco, caractérisée par un climat relationnel grâce auquel « les membres
auront envers leurs supérieurs les sentiments et les liens que les fils ont
envers leur père ; et avec leurs compagnons de travail, des liens vraiment
47 LC 55-56.
48 LC 57-60.

16.9 Page 159

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 157
fraternels », dans le partage des joies et des peines, de la prière et du travail.
Dans la Société salésienne « tous ont le devoir de la solidarité. Quiconque a
la charité et le respect envers sa Congrégation doit être un homme de disci-
pline et il est tenu d’observer les moindres détails de la vie commune ». En
effet, ajoute Don Albera, « il suffit qu’un seul membre d’une communauté
se laisse aller à un déplorable relâchement dans la discipline, pour que
tout le corps en ressente les tristes conséquences », comme l’affirmait Don
Bosco. Au contraire, « si un salésien est un modèle dans la vie ordinaire,
même s’il a des talents médiocres, peu de connaissances et de compétences,
il sera le soutien de notre Pieuse Société »49 .
Puis Don Albera en vient à la pratique : le bon salésien observe les
lois de l’Église et pratique avec exactitude les Constitutions de la Pieuse
Société, les règlements et les prescriptions des supérieurs. Le gardien de
la discipline salésienne dans une communauté est le directeur ; celui-ci,
selon les enseignements de Don Bosco et de Don Rua, doit être le premier
observant, « la règle vivante, la personnification de la vertu, une sorte de
morale en action pour servir en tout de modèle à ses subordonnés ». Il a
pour tâche « de veiller à ce qu’aucun abus ne s’introduise parmi ses subor-
donnés, que l’esprit du Fondateur ne soit en rien altéré, et que ne soit pas
changé le but de l’institut qui est confié à ses soins » ; il doit corriger les
défauts des confrères, avec prudence, délicatesse et douceur, à l’exemple
du Fondateur50 .
Obéissance
Dans l’esprit de Don Albera, l’insistance sur la discipline religieuse n’a
pas pour seule fonction de réaliser les objectifs apostoliques de la mission
salésienne. En fait, il part d’une vision de la vie consacrée caractérisée par
un amour pour Dieu si totalisant qu’il suscite dans le cœur du religieux le
désir d’une parfaite communion de volonté et une obéissance « plus intime
et plus active » que celle qui est exigée de tout homme, parce qu’elle est
volontairement calquée sur l’exemple de Jésus, « le parfait obéissant dans
toutes les circonstances de la vie, jusque dans sa passion et sa mort ». C’est
ce qu’il a voulu illustrer dans sa circulaire sur l’obéissance du 31 janvier
49 LC 60-62.
50 LC 62-67.

16.10 Page 160

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158 Deuxième Section
191451 . Le salésien, écrivait-il, consacre ses efforts à rendre sa conduite de
plus en plus « semblable à celle de Jésus ». Dans ce processus de confor-
mation, l’âme est progressivement libérée « de tout ce qui entrave sa géné-
rosité » pour atteindre une obéissance parfaite et être tellement unie à Dieu
« qu’elle puisse faire siennes les paroles de saint Paul où il exprime la
vraie formule de la plus haute sainteté : Vivo autem, iam non ego, vivit
vero in me Christus : je vis, non pas moi, mais c’est Jésus qui vit en moi...
Obéir signifie donc détruire dans notre personne tout ce qu’il y a en nous
d’égoïste et de capricieux pour le remplacer par la volonté divine elle-même
». L’obéissance est une vertu qui « établit une communication intime, sûre
et jamais interrompue, entre Dieu et nous »52 .
Partant de cette conception de la vie consacrée, Albera envisage la
mission et la responsabilité du supérieur salésien, investi par Dieu « du
pouvoir de le représenter auprès de nous, de nous parler en son nom », et doté
des grâces nécessaires à cet effet. On peut lui appliquer les paroles de Jésus
aux apôtres : « Celui qui vous écoute, m’écoute ; celui qui vous méprise,
me méprise » (Lc 10, 16). Chacun doit tenir compte de ces paroles pour
pratiquer l’obéissance religieuse. Ce qui compte, c’est la mission confiée
par le Seigneur, non les qualités de la personne : « De même que l’indignité
du prêtre célébrant n’altère pas la présence réelle de Jésus-Christ dans la
sainte hostie, comme la mesquinerie, voire la méchanceté de ce pauvre
homme ne l’empêche pas de représenter Jésus-Christ, de même les défauts
du supérieur, même s’ils étaient réels… ne suffiront jamais à rendre vaine
l’assurance que nous donne le divin Rédempteur que quiconque écoute le
supérieur écoute Dieu lui-même ». Ce n’est pas là un langage figuré, insiste
Don Albera, une expression rhétorique pour dire que les supérieurs sont
les représentants de Dieu, l’instrument utilisé par le Seigneur pour nous
guider : celui qui vit de la foi le comprend et il est capable de dépasser son
amour-propre et d’éviter le danger de la rébellion53 .
Le religieux animé par la charité et motivé par la foi « vit entièrement
soumis à son supérieur ; il acquiert la vraie liberté dont seuls les enfants
de Dieu peuvent jouir » et se met sur le chemin qui le conduit « à cette
sublime indifférence, que saint Vincent de Paul comparait à l’état des
anges, toujours prêts à accomplir la volonté divine au premier signe qui
leur est fait, quelle que soit la fonction à laquelle ils sont appelés ». Dans
51 LC 134-153.
52 LC 138.
53 LC 139-140.

17 Pages 161-170

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17.1 Page 161

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 159
cette perspective, on comprend ce que les auteurs spirituels enseignent : que
le vœu d’obéissance est le plus excellent et « comprend les deux autres ».
En effet, comme l’écrit saint François de Sales, la vertu d’obéissance « est
comme le sel qui donne goût et saveur à toutes nos actions. Elle rend méri-
toires tous les petits actes que nous faisons pendant la journée », au point
que « l’obéissant a même le mérite du bien qu’il voudrait faire, et que, pour
obéir, il a dû laisser de côté »54 .
À cet ensemble de considérations, tirées des classiques de la vie
consacrée, Don Albera ajoute une série de considérations personnelles. Ce
qui soutient l’obéissance du salésien, c’est, en plus de la foi, « la charité
fraternelle et l’amour pour notre Congrégation ». Quand « tous les confrères
feront coïncider la volonté du supérieur avec la leur, quand ils seront un
seul cœur et une seule âme, quand ils seront unis au point de former une
légion compacte et invincible contre les assauts de ses ennemis, alors la
Pieuse Société, toujours jeune et robuste, élargira toujours plus son champ
d’action, elle combattra victorieusement contre toute forme d’abus et de
relâchement et restera fidèle à l’esprit de son vénérable fondateur »55 . Le
salésien doit regarder vers Don Bosco, « modèle d’obéissance dès son
enfance » et soumis toute sa vie aux pasteurs de l’Église, même quand «
pour leur rester soumis, il dut s’imposer de graves sacrifices et de profondes
humiliations ». Qu’on médite ce qu’il a écrit dans le troisième chapitre
des Constitutions salésiennes, dans l’introduction et dans son « testament
spirituel »56 .
Quatre indications pratiques sur les qualités distinctives de l’obéissance
salésienne proviennent des enseignements de Don Bosco. Avant tout, elle
doit être « entière, c’est-à-dire sans réserve », non seulement matériel-
lement exacte, mais accompagnée du « sacrifice de la volonté » et du «
sacrifice de l’intellect », surmontant les prétextes inventés par l’orgueil.
Don Bosco le disait lors de la conférence tenue à Varazze le 1er janvier
1872 : « Qu’on pratique l’obéissance, non pas celle qui discute et examine
les choses commandées, mais la véritable obéissance, c’est-à-dire celle qui
nous fait embrasser les choses qui nous sont commandées et qui nous les
fait embrasser comme bonnes, parce qu’elles nous sont imposées par le
Seigneur ». Deuxièmement, l’obéissance salésienne doit se faire « volon-
tiers », « avec promptitude et docilité », étant animée par la foi. La troisième
54 LC 141-143.
55 LC 144.
56 LC 145-146.

17.2 Page 162

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160 Deuxième Section
qualité de l’obéissance salésienne est la joie, c’est-à-dire qu’elle doit être
faite d’un cœur joyeux : « Cette qualité est si importante, écrit Don Albera,
que sans elle on ne peut pas dire que l’on possède réellement cette vertu
». S’il y manque la joie, cela signifie que « l’on n’obéit que parce qu’on ne
peut pas faire autrement » et que l’esprit de foi fait défaut : « Malheur à
celui qui, au service de Dieu, est guidé par la tristesse et la nécessité ». La
quatrième caractéristique de l’obéissance salésienne est l’humilité, car le
salésien « sait qu’il est de son devoir d’être un humble instrument entre les
mains de ses supérieurs ; sa conduite est la pratique ininterrompue de la
maxime de notre saint protecteur : ne rien demander, ne rien refuser »57 .
Chasteté
Le 14 avril 1916, Don Albera envoya une lettre aux salésiens « pour
inculquer la pratique d’une vertu qui, plus que toute autre, était chère à Don
Bosco... et qu’il déclarait indispensable pour quiconque voulait s’enrôler
sous sa bannière... l’angélique vertu de la chasteté »58 . Comme dans les
autres circulaires, il esquisse d’abord le cadre doctrinal. Il commence par
l’exhortation de saint Paul, qui invite les croyants à offrir leur corps en
sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu (Rm 12, 1). C’est un enseignement
qui ne peut être bien compris que par « ces privilégiés qui, éclairés par une
lumière céleste, se sont consacrés corps et âme au service de Dieu... tous
adonnés aux pratiques religieuses, engagés uniquement dans l’exercice
de la charité envers le prochain, toujours prêts au sacrifice ». Il cite saint
Basile, selon qui la chasteté communique à l’homme « une sorte d’incor-
ruptibilité céleste », de sorte qu’il « semble marcher comme les autres sur
la terre, mais son cœur et son esprit sont toujours là-haut, où il converse
avec Dieu ». Et il s’exclame : « Quel bonheur pour nous d’être salésiens
! À ce titre, nous devons vivre dans une parfaite pureté... Grâce à cette
vertu, que l’on dit angélique, nous qui en avons fait vœu devant l’autel,
nous devenons proches plus que tout autre des esprits célestes »59 .
Il rappelle que Don Bosco considérait la vertu de chasteté comme la
source de toutes les autres vertus. En effet, le salésien « vraiment jaloux
de se garder chaste » vit de la foi, aspire au paradis, « n’aime personne en
57 LC 147-152.
58 LC 194-213
59 LC 194-197..

17.3 Page 163

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 161
dehors de Dieu et Dieu seul suffit à son bonheur ». Il est heureux partout,
il sait supporter les défauts de ses confrères, il affronte généreusement
toutes les épreuves et les sacrifices pour la gloire de Dieu et le salut de
son prochain. « Le salésien fidèle à son vœu aime le travail et l’étude, et
trouve ses délices dans les pratiques de piété, qui sont pour lui une source
de courage, de force et de vie ». Don Bosco cultivait l’amour de la chasteté
en montrant la prédilection de Jésus pour les âmes pures et en rappelant
que le Seigneur a confié à nos soins « la partie privilégiée des âmes qu’il
a rachetées avec son précieux sang, c’est-à-dire celles qui conservent en
grande partie intacte l’étole de l’innocence et donnent l’espoir de s’enrôler
sous la bannière de la virginité élevée par Jésus et sa Mère très pure ». Une
telle mission ne peut être accomplie avec succès que par ceux qui aiment
et pratiquent la chasteté60 .
Albera reprend également une autre affirmation chère au Fondateur : «
Plus l’esprit est pur et le corps mortifié, plus nous serons aptes au travail
intellectuel ». C’est un fait confirmé par l’expérience et la tradition chré-
tiennes ; saint Thomas d’Aquin, Pierre Lombard, Francisco Suarez et saint
Alfonso de Liguori en sont la preuve éclatante. La pratique de la chasteté
aide « à acquérir les connaissances nécessaires pour instruire les jeunes
que la Providence envoie dans nos instituts ». Mais les salésiens doivent
aimer la chasteté avant tout en contemplant les exemples et les enseigne-
ments de Don Bosco, qui a toujours eu une attitude digne d’un ministre de
Dieu, irréprochable dans ses paroles et dans ses écrits, expert dans l’art de
gagner le cœur des jeunes sans jamais avoir recours « à des effusions senti-
mentales ou à des expressions mondaines », extrêmement réservé dans ses
contacts avec le prochain. « Malheur à la Pieuse Société Salésienne si elle
perdait cette réputation qu’elle s’est acquise en fait de moralité ! »61 .
Enfin, il suggère les moyens proposés par les maîtres de la vie spirituelle
pour préserver et accroître la vertu de chasteté : la prière, la confession
hebdomadaire, la communion quotidienne, la dévotion mariale et la
mortification des sens. Don Albera indique également quelques « moyens
négatifs » utiles pour rester fidèle à la profession religieuse : éviter l’orgueil
et pratiquer l’humilité, fuir l’oisiveté et aimer le travail, mettre de côté
les lectures « trop libres ou frivoles », ne pas consentir une familiarité
excessive aux « personnes du sexe opposé », fuir surtout « les amitiés
particulières avec les jeunes qui vous sont confiés » : « Oh ! combien de
60 LC 197-199.
61 LC 199-200.

17.4 Page 164

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162 Deuxième Section
misérables victimes des amitiés particulières le diable moissonne dans les
maisons d’éducation ! »62
La pauvreté
On ne trouve pas de lettre sur la pauvreté parmi les circulaires de Don
Albera, probablement parce que lui-même l’avait déjà écrite à l’invitation
de Don Michele Rua en 190763 . Il nous semble donc utile de mentionner
les points clés de cette circulaire qui exprime sa vision de la pauvreté salé-
sienne.
Il commença par une instruction sur la valeur et la nécessité de la
pauvreté religieuse. Il affirmait tout d’abord que la pauvreté en soi n’est pas
une vertu. Elle ne le devient que « lorsqu’elle est volontairement embrassée
pour l’amour de Dieu ». Mais même dans ce cas, elle ne cesse pas d’être
pénible, car elle nécessite de nombreux sacrifices. Elle reste certainement
« le point le plus important et en même temps le plus délicat de la vie
religieuse » ; de ce point de vue, en fait, il est possible de « distinguer
une communauté florissante d’une communauté relâchée, un religieux zélé
d’un religieux négligent ». C’est le premier des conseils évangéliques, car
c’est le premier acte que doivent accomplir ceux qui sont appelés à suivre
et à imiter le Seigneur de plus près. Jésus a lancé de terribles menaces
contre les riches, il a proclamé les pauvres bienheureux ; il a déclaré que
celui qui ne renonce pas à tout ce qu’il possède n’est pas digne de lui et à
celui qui lui demandait ce qu’il devait faire pour être parfait, il répondit : «
Va, vends ce que tu as et suis-moi ». Tous les disciples de Jésus et tous les
saints au cours des siècles « ont pratiqué ce dépouillement volontaire de
tous les biens de la terre »64 .
Par conséquent, la valeur de la pauvreté découle essentiellement du fait
qu’elle est un moyen privilégié pour suivre le Christ et se conformer à lui.
Saint Thomas d’Aquin l’a enseigné : « le premier fondement pour atteindre
la perfection de la charité est la pauvreté volontaire, par laquelle on vit
sans rien posséder pour soi ». C’est ce qu’a démontré saint François de
Sales qui avait « une sainte terreur » des richesses, et demandait à ceux
qui voulaient devenir religieux « d’avoir un esprit nu, c’est-à-dire dépouillé
62 LC 202-209.
63 Lettere circolari di don Michele Rua ai salesiani, Torino, Tip. S.A.I.D. “Buona
Stampa” 1910, 360-377 (31 gennaio 1907).
64 LCR 362-363.

17.5 Page 165

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 163
de tout désir et inclination, sauf le désir d’aimer Dieu ». La pauvreté a été
pratiquée par Don Bosco, qui vécut pauvre jusqu’à la fin de sa vie, entretint
un amour héroïque pour la pauvreté volontaire, se détacha des biens et, «
bien qu’ayant eu d’immenses sommes d’argent dans les mains », n’a jamais
cherché à se procurer la moindre satisfaction. Il disait aux salésiens que
« la pauvreté, il faut l’avoir dans le cœur pour la pratiquer », et dans sa
circulaire du 21 novembre 1886, il écrivit : « c’est de cette observance que
dépendent largement le bon état de notre Pieuse Société et le bien de notre
âme »65 .
Puis l’auteur passe à l’énumération des principales motivations en vue
de la pratique scrupuleuse de la pauvreté. En premier lieu, il y a l’obligation
assumée lors de la profession des vœux, avec le devoir de respecter les
règles de la Société salésienne et de vivre fidèlement son esprit. Deuxiè-
mement, nous devons considérer « la relation intime qui existe entre la
pratique de cette vertu et notre progrès personnel dans la perfection » : si
nous vivons détachés des biens du monde, « nous enlevons aux vices toute
nourriture et tout moyen de se développer », car la pauvreté nous sépare
des principales sources du péché que sont l’orgueil et la concupiscence.
De plus – comme l’enseigne saint Ambroise – la pauvreté est « la mère
et la nourrice de la vertu » : quand le religieux vide son cœur de toute
affection pour les choses terrestres, Dieu le comble de ses dons. C’est la
première béatitude évangélique, « c’est le fondement sur lequel reposent
les sept autres échelons par lesquels on atteint le sommet de la perfection
». L’histoire de l’Église montre que les personnes les plus détachées des
biens du monde « se sont distinguées par leur foi, par leur espérance et par
leur charité » ; leur vie « a été un tissu de bonnes œuvres et une série de
prodiges pour la gloire de Dieu et pour le salut du prochain »66 .
En outre, nous devons considérer qu’étant salésiens, nous sommes
appelés à sauver les jeunes pauvres et abandonnés. « Nous travaillerions
en vain si le monde ne voyait pas et n’était pas convaincu que nous ne
cherchons pas les richesses et les commodités, et que nous sommes fidèles
à la devise de Don Bosco : Da mihi animas, caetera tolle ! » En effet –
comme l’enseignait saint François de Sales – « non seulement les pauvres
sont évangélisés, mais ce sont les pauvres qui évangélisent ». Dans le
ministère du salut des âmes, celui qui « ne met pas les choses terrestres
sous ses pieds » n’obtient aucun résultat... « Ce ne sont certainement pas les
65 LCR 363-366.
66 LCR 366-368.

17.6 Page 166

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164 Deuxième Section
salésiens qui souhaitent mener une vie confortable qui entreprendront des
œuvres vraiment fructueuses, qui iront chez les sauvages du Mato Grosso
ou en Terre de Feu, ou qui se mettront au service des pauvres lépreux. Ce
sera toujours la fierté de ceux qui observeront généreusement la pauvreté ».
Enfin, il faut « tenir compte du fait que les œuvres de Don Bosco sont
le fruit de la charité ». Avant d’entreprendre quoi que ce soit, il s’appuyait
uniquement sur la Providence représentée par ses coopérateurs. Or, il
faut savoir « que beaucoup de nos bienfaiteurs, eux-mêmes pauvres ou
de condition modeste, s’imposent de grands sacrifices pour nous aider ».
Par conséquent, « nous devons aimer la pauvreté et pratiquer l’économie...
Gâcher le fruit de tant de sacrifices, voire même le dépenser inconsidé-
rément est une véritable ingratitude envers Dieu et envers nos bienfaiteurs
». « Quiconque ne vit pas selon l’esprit de pauvreté, qui dans la nourriture,
l’habillement, le logement, les voyages, le confort de la vie dépasse les
limites imposées par notre état, devrait éprouver des remords pour avoir
soustrait cet argent à la Congrégation qui était destiné à donner du pain aux
orphelins, à aider les vocations et à étendre le règne de Jésus-Christ. Qu’il
pense qu’il devra en répondre au tribunal de Dieu »67 .
Dans la conclusion de la circulaire composée par Don Albera pour Don
Rua, l’auteur énumère les expressions pratiques de la pauvreté salésienne :
mettre en œuvre ce qui est prescrit par les Constitutions et par les Délibé-
rations capitulaires ; vivre la vie commune en s’adaptant à ses exigences ;
éviter les exceptions et les abus dans l’utilisation de l’argent. Puis il rappelle
trois attitudes indispensables : a) ne pas se limiter à l’observance formelle
du vœu, mais pratiquer la vertu, c’est-à-dire détacher le cœur des choses de
ce monde ; b) se contenter du nécessaire et éviter le superflu ; c) accepter
les privations et les inconvénients inévitables dans la vie commune, choisir
généreusement pour son propre usage les choses les moins belles et les
moins confortables.
Don Albera reprendra certaines de ces réflexions dans la circulaire du
23 avril 1917, dans laquelle il offrait aux provinciaux et aux directeurs
quelques « conseils et avis pour préserver l’esprit de Don Bosco dans
toutes les maisons ». À la fin de la partie réservée à l’esprit de pauvreté,
il écrivait : « Que ceux qui exercent l’autorité sous quelque forme que ce
soit s’efforcent : 1) D’aimer et de faire aimer la pauvreté, et de ne pas avoir
honte de la pratiquer, même si leur maison ne manque pas du nécessaire.
2) D’accepter volontiers et généreusement les conséquences de la pauvreté
67 LCR 369-371.

17.7 Page 167

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 165
en esprit de pénitence. 3) De ne pas accorder des permissions qui ouvrent
la voie à des abus contraires à la pauvreté, et qui dépassent les facultés
accordées par les supérieurs majeurs. 4) De ne pas prendre pour soi les
libertés qu’on refuserait aux subordonnés »68 .
Recherche de la perfection
Il ne faut pas oublier que l’objectif des circulaires de Don Albera
n’était pas simplement d’esquisser le profil du salésien selon une doctrine
homogène ou d’offrir une série d’instructions à la manière d’un manuel. Il
entendait surtout encourager ses confrères à la générosité envers Dieu, « à
marcher à grands pas sur le chemin de la perfection », à « combattre avec
énergie cette médiocrité systématique de conduite », cette forme purement
extérieure de légalité, par laquelle le religieux se limite à l’observance
de son strict devoir, cherche à éviter les manquements graves, « mais ne
s’efforce pas de progresser chaque jour dans la perfection propre à son état
»69. Ceux qui, comme lui, avaient été formés par Don Bosco à la plénitude
du don de soi, à faire toujours plus et toujours mieux pour correspondre
à l’appel divin et à la mission salésienne, considéraient avec inquiétude la
diffusion dans les nouvelles générations d’une certaine médiocrité, d’une
observance purement extérieure. C’est pourquoi, le 25 juin 1917, il rédigea
une lettre circulaire contre le danger d’une « légalité » répréhensible70 .
Il évoqua les révélations du Sacré-Cœur à Marguerite-Marie Alacoque
: les épines qui entourent le cœur divin sont le symbole de ceux qui,
consacrés à son service, « ne font cependant pas preuve de la diligence
voulue pour corriger leurs défauts, et y retombent donc très facilement ; ils
n’essaient pas non plus de réparer par la sainteté de leur vie les outrages que
lui infligent tant de malheureux pécheurs »71 . Il exhorta donc les confrères
à considérer l’inépuisable générosité du Seigneur à leur égard, tant dans
l’ordre de la nature que dans celui de la grâce : face à tant d’amour infini,
comment un religieux pourra-t-il « mettre des limites à sa reconnaissance
? Comment pourra-t-il marchander la manifestation de son amour ? » C’est
pourtant ainsi que se comporte le salésien « qui en termes de pratiques de
68 LC 221.
69 LC 231-232.
70 LC 231-241.
71 LC 232.

17.8 Page 168

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166 Deuxième Section
piété s’installe dans une inqualifiable médiocrité », qui évite de faire la
moindre chose qui ne soit pas imposée par la règle et par l’horaire72 .
Il invitait le religieux à réfléchir non seulement sur son devoir de
répondre avec la plus grande générosité à l’amour de Dieu, mais aussi sur sa
mission d’intercesseur en faveur des autres. Don Bosco a obtenu des grâces
et des guérisons, même extraordinaires, précisément parce qu’il ne savait
rien refuser à Dieu et à la Très Sainte Vierge. Ses prières, en effet, « étaient
accompagnées de nombreux et généreux sacrifices, de fréquents actes de
vertu, qui leur communiquaient une efficacité irrésistible », notamment
dans la formation des jeunes. Il montrait à ses disciples que « dans l’ensei-
gnement et dans l’éducation de la jeunesse, il comptait moins sur les inven-
tions de notre savoir-faire pour faire progresser nos élèves, et plus sur nos
prières et sur la qualité de notre vie », sur une conduite agréable à Dieu73 .
Surtout, Don Albera insiste sur le précepte de Jésus à ses disciples : «
Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». Seul avancera dans
la voie de la perfection celui qui « garde dans son cœur ce vif désir qui aide
à vaincre les difficultés, réduit les obstacles, augmente nos forces et nous
fait persévérer dans le bien jusqu’à la mort ». D’autre part, il faut dire que
la profession religieuse ne garantit pas le salut : « tant que nous sommes en
vie, nous restons toujours soumis à la loi du combat », car le vieil homme
reste vivant en nous et personne ne peut remporter la victoire s’il cesse
de lutter, s’il « ne maintient pas son équilibre en s’efforçant de progresser
chaque jour dans la perfection », si, fatigué de lutter, il dit : ça suffit74 .
Il rappelle le récit évangélique de la pêche miraculeuse. Après une nuit
de fatigues inutiles, Jésus dit à ses disciples : « Duc in altum : avance en
haute mer ». Malgré la lassitude, ils obéirent et furent récompensés. Ainsi,
écrit Don Albera, le Seigneur répète à nous aussi : « Poussez la barque en
haute mer, c’est-à-dire lancez-vous avec ardeur dans le vaste champ de la
perfection, ne limitez pas vos efforts à ce qui est strictement nécessaire,
soyez grandioses dans vos aspirations, quand il s’agit de la gloire de Dieu
et du salut des âmes. Éloignez-vous de la plage qui rétrécit tellement vos
horizons et vous verrez à quel point la pêche aux âmes sera abondante et
combien votre cœur en sera consolé. Tel est l’idéal du bon salésien, même
lorsqu’il est « courbé sous le poids des croix, des tribulations et des sacri-
fices » : rester généreux dans le don total de soi, en gardant les yeux fixés
72 LC 234.
73 LC 235-236.
74 LC 236-237.

17.9 Page 169

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 167
sur les perfections du Père Céleste et sur l’exemple de Don Bosco, qui « ne
s’est jamais arrêté dans la voie de la perfection et de la conquête des âmes
! »75
La vie de Don Bosco, rappelle Don Albera, a été caractérisée par deux
puissants dynamismes : « un apostolat incessant et extrêmement actif », uni
à un désir ardent d’acquérir la perfection. « En lui, perfection religieuse et
apostolat ne faisaient qu’un ». Il a enseigné aux disciples que l’observance
pure et simple de la règle ne suffit pas : « Nous devons, chers confrères,
être comme lui des ouvriers infatigables dans le champ qui nous est confié,
des initiateurs féconds d’œuvres adaptées et utiles pour le plus grand bien
des jeunes de tous les pays, afin de garder à la Congrégation le primat de
cette saine modernité qui est la sienne, mais n’oublions jamais que tout cela
ne nous donnerait pas encore le droit de nous proclamer vrais fils de Don
Bosco. Pour être tels, nous devons grandir chaque jour dans la perfection
propre à notre vocation salésienne, en nous efforçant par tous les moyens
de recopier l’esprit de vie intérieure de notre Vénérable Fondateur »76 .
Douceur salésienne
La douceur salésienne est l’expression de la charité et de la bienveillance
en éducation. Don Albera en a parlé explicitement dans une lettre adressée
aux inspecteurs et directeurs77 , mais ses considérations sont valables pour
tous ceux qui ont des responsabilités éducatives et pastorales. La douceur,
écrivait-il, n’est pas simplement une facilité de caractère « par laquelle
on cède avec une certaine complaisance, mais sans bassesse, à la volonté
d’autrui ». Elle comporte un effort continuel « pour dominer la vivacité
du caractère, pour réprimer tout mouvement d’impatience et aussi cette
indignation qui semble parfois sainte, justifiée par le zèle et autorisée par
la gravité de la faute » ; elle exige l’habitude vertueuse de freiner la langue
et d’éviter le moindre mot « qui puisse déplaire à la personne avec qui on a
affaire » ; elle exige « ce regard serein plein de bonté, qui est le miroir vrai
et limpide d’un esprit sincèrement doux et désireux seulement de rendre
heureux quiconque s’approche de lui »78 .
75 LC 238-240.
76 LC 334-335.
77 LC 280-294 (20 avril 1919).
78 LC 280-281.

17.10 Page 170

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168 Deuxième Section
Cette vertu est avant tout le fruit d’un exercice ascétique et l’expression
d’un réel détachement de soi « par lequel l’humeur reste toujours égale,
dans les honneurs et dans le mépris, dans les souffrances et dans les
réjouissances ». C’est donc une attitude à conquérir au jour le jour, sous
l’impulsion de la charité qui aide chacun à rester humble, calme, doux et
toujours maître de soi dans les relations avec le prochain, dans la correction
de ses défauts, dans le support de ses faiblesses. Elle est amabilité dans les
paroles et suavité dans les manières. Saint François de Sales l’appelait « la
plus excellente des vertus morales, car elle est le complément de la charité,
qui n’est parfaite que lorsqu’elle est à la fois douce et avantageuse pour
notre prochain »79 .
La douceur est une vertu nécessaire, surtout pour ceux qui ont la respon-
sabilité de la direction des âmes ou de l’éducation de la jeunesse. Cela
comporte le devoir « de garder toujours l’égalité de caractère et la pleine
maîtrise de soi », un esprit libre de toute forme de ressentiment, dépouillé
de tout amour-propre, mû uniquement par l’amour de Dieu et des âmes.
Les paroles mordantes, les comportements grossiers et l’impatience ont
toujours des conséquences néfastes. Au contraire, « que de bonnes pensées
sont inspirées, que de sages résolutions sont confirmées par un accueil
affable, par un visage ouvert et souriant, par une parole douce, par une
assurance renouvelée d’estime et d’affection ! »80
L’expérience enseigne que « même quand un supérieur (et on peut le
dire de tout éducateur) est estimé pour ses connaissances, ses compétences
et sa prudence ; même s’il se fait aimer de ses subordonnés pour sa géné-
rosité, il suffit qu’il les traite même une seule fois avec dureté ou hauteur
dans les relations quotidiennes… cette estime et cette bienveillance qu’il
avait acquises avec tant de peine sont à jamais perdues ». Avec l’amabilité,
au contraire, et avec la douceur, on conquiert les cœurs, on dissipe les
préjugés, on surmonte les répugnances, on corrige les défauts81 .
Jésus est le modèle du pasteur et du supérieur : « Apprenez de moi que
je suis doux et humble de cœur. Par ces paroles, le divin Sauveur nous
indique la douceur et l’humilité comme les qualités les plus remarquables
et les plus caractéristiques de son Cœur sacré, et donc aussi comme les
qualités qui doivent ressortir le plus chez ceux qui le suivent ; et enfin
comme les moyens les plus efficaces pour plaire à Dieu et gagner le cœur
79 LC 282-283.
80 LC 283.
81 LC 284-285.

18 Pages 171-180

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18.1 Page 171

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 169
des hommes ». Que celui qui veut voir les personnes confiées à ses soins
« grandir chaque jour dans la vertu » se montre toujours aimable, qu’il
les rende contentes et joyeuses, « en pratiquant toujours et partout cette
douceur que Jésus désire que nous apprenions de son Cœur très doux ».
C’est ainsi que règnera l’esprit de famille. En effet, ce qui a donné de l’ef-
ficacité à l’école de Jésus-Christ, c’étaient son exemple, sa patience et la
douceur avec lesquelles il traitait tout un chacun. Aujourd’hui encore, il
préfère « inviter les pécheurs à la pénitence avec les attraits de sa miséri-
corde que les effrayer avec les foudres de sa justice », et dans le sacrement
de l’Eucharistie « il continue de nous donner la preuve de sa bonté, malgré
les nombreux et graves péchés qui sont commis ; et jusqu’à la consom-
mation des siècles il s’offrira au Père Éternel comme victime expiatoire
pour nos fautes »82 .
C’est précisément à cause de sa douceur exemplaire que François de
Sales a été choisi comme protecteur de la Société Salésienne; et Don Bosco,
grand connaisseur de la nature humaine, a compris dès le début que « pour
faire le bien, il fallait trouver le chemin des cœurs » ; c’est pourquoi « il
étudia avec un sérieux et un amour particuliers les œuvres et les exemples
de ce maître et modèle d’amabilité, et il s’est efforcé de suivre ses traces en
pratiquant la douceur »83 .
Voilà donc, conclut Don Albera, notre modèle inégalé de cette douceur
qui conquiert les cœurs : « D’une nature foncièrement bonne, il montra de
l’estime et de l’affection pour tous ses élèves, cachait leurs défauts, parlait
d’eux avec louange; de sorte que chacun s’imaginait être son meilleur ami,
voire son préféré. Pour l’approcher, il n’était pas nécessaire de choisir le
moment le plus propice, ni de recourir à une personne influente pour lui
être présenté. Il écoutait chacun avec patience, sans l’interrompre, sans
montrer de la hâte ou de l’ennui, au point de faire croire à beaucoup qu’il
n’avait rien d’autre à faire ». Quand il devait corriger un confrère, il utilisait
des mots pleins de douceur et d’encouragement ; lorsqu’il proposait un
travail, même pénible et rebutant, il le faisait avec « tant de grâce et d’hu-
milité » que personne n’osait lui dire non84 .
Aussi, pour savoir doser douceur et fermeté dans l’exercice de son
ministère, conclut Don Albera, « chacun doit bien étudier son propre
caractère et, s’il trouve qu’il est naturellement doux, s’efforcer d’être ferme
82 LC 286-288.
83 LC 289-291.
84 LC 288-289.

18.2 Page 172

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170 Deuxième Section
; si, au contraire, il se reconnaît naturellement ferme, qu’il s’efforce de
pratiquer la douceur. De cette manière, on évitera les deux extrêmes, et
on arrivera à ce juste milieu vraiment souhaitable d’une autorité à la fois
douce et ferme », comme l’a été celle de Don Bosco85 .
85 LC 293.

18.3 Page 173

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Contribution de Don Albera à la Spiritualité Salésienne 171

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Troisième Section
TEXTES CHOISIS DE DON ALBERA

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174 Troisième Section

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 175
1. L’esprit de prière1
Qui de nous n’a jamais entendu parler de l’esprit d’initiative et de
l’activité des Salésiens? C’étaient peut-être des éloges sincères que des
personnes bienveillantes nous faisaient pour nous stimuler toujours plus
à faire le bien. C’étaient peut-être des insinuations malignes de quelques
jaloux, ou peut-être aussi une astuce diabolique utilisée par nos adversaires
dans le but de faire obstacle à notre mission providentielle en faveur de la
jeunesse. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’on en a parlé partout et même
de façon exagérée.
Cela ne devrait pas nous étonner, vu que la Divine Providence nous a
envoyés cultiver un champ immense, qui n’a pas tardé à attirer sur lui l’at-
tention même des personnes les plus indifférentes, à force d’être exposé au
regard de tous et d’avoir porté depuis les débuts des fruits très abondants.
En réalité, après la grâce de Dieu et la protection de Notre-Dame Auxi-
liatrice, c’est à l’infatigable labeur et à l’admirable énergie de Don Bosco,
de Don Rua, de Mgr Cagliero et de tant d’autres de leurs fils qu’est due la
rapide expansion des œuvres salésiennes en Europe et en Amérique. Ce fut
leur zèle inlassable, ce furent leurs saintes initiatives qui firent éclore en
tout temps sur leur chemin de nombreuses vocations, qui firent naître de
nombreux instituts de toute sorte, au point que notre humble Société a pu
être considérée comme un vrai prodige […].
Il n’y a pas de doute que cet esprit d’initiative, cette ardeur et ce travail
ininterrompu ont fait grand honneur à notre Pieuse Société et ont attiré
sur elle l’admiration et les louanges de tous les hommes de bonne volonté.
Même maintenant, c’est la meilleure preuve de sa vitalité, ou plutôt de la
singulière protection et assistance de la puissante Auxiliatrice. En la consi-
dérant ainsi, qui de nous ne sent pas son cœur qui s’ouvre à l’espérance d’un
heureux avenir? Cependant, pour vous parler la main sur le cœur, je vous
confesse que je ne peux pas me défendre d’un sentiment douloureux et de
la crainte que cette activité tant vantée des Salésiens, ce zèle qui semble
inaccessible jusqu’à maintenant à tout découragement, cet enthousiasme
plein d’ardeur, soutenu jusqu’ici par de continuels succès, ne viennent un
jour à manquer ou ne soient plus fécondés, purifiés et sanctifiés par une
vraie et solide piété. […]
1 Lettre circulaire Sur l’esprit de piété (15 mai 1911), in Lettres circulaires de Don
Paul Albera aux Salésiens, Turin, Société Editrice Internationale, 1922 (dorénavant:
LC), pp. 25-35.

18.8 Page 178

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176 Troisième Section
Essayons avant tout de nous faire une idée juste de la piété. Ce mot a
été employé en latin (pietas) pour désigner l’amour, la vénération et l’assis-
tance qu’un fils doit à ceux qui furent les auteurs de son existence. Le plus
bel éloge qu’on pouvait faire à un jeune était de dire qu’il avait une grande
piété envers ses parents.
Mais dans le langage de l’Église, ce mot a pris une signification bien
plus noble et sublime; il a été employé pour signifier l’ensemble des actes
par lesquels le chrétien honore Dieu en le considérant comme père. À
partir de là, on comprend la différence qui existe entre la vertu de religion
et la piété. La première est une vertu qui nous dispose à accomplir tous
les actes qui appartiennent à l’honneur et au culte de Dieu qui, nous ayant
créés, a le droit d’être reconnu par nous et adoré comme Seigneur suprême
et dominateur de l’univers.
La piété nous fait honorer Dieu, non pas seulement comme créateur,
mais aussi comme père infiniment bon, qui voluntarie genuit nos verbo
veritatis, qui nous a volontairement donné la vie par sa parole toute-puis-
sante, qui est parole de vérité. C’est par la force de la piété que nous ne
nous satisfaisons plus de ce culte, je dirais presque officiel, que la religion
nous impose, mais nous sentons le devoir de servir Dieu avec une immense
tendresse, avec une bienveillante délicatesse, avec cette profonde dévotion
qui est l’essence de la religion, un des dons les plus précieux de l’Esprit
Saint et, selon saint Paul, la source de toute grâce et bénédiction pour la vie
présente et pour la vie future. […]
C’est pour cela que Mgr de Ségur avait raison quand il écrivait: « La
piété chrétienne est l’union de nos pensées, de nos affections, de toute
notre vie avec les pensées, les sentiments, l’esprit de Jésus. C’est Jésus
vivant avec nous ». C’est la piété qui gouverne sagement nos relations avec
Dieu, qui sanctifie toutes nos rapports avec le prochain, suivant ce que dit
saint François de Sales : « Les âmes vraiment pieuses ont des ailes pour
s’élever jusqu’à Dieu dans l’oraison, et ont des pieds pour marcher parmi
les hommes dans une vie aimable et sainte ».
Ce concept imagé de notre saint docteur nous enseigne à faire la
distinction entre les pratiques religieuses que nous avons l’habitude
de faire à certaines heures de la journée, et l’élan de piété qui doit nous
accompagner à chaque instant, et qui vise la sanctification de chacune de
nos pensées, de nos paroles et de nos actions, même si elles ne font pas
directement partie du culte que nous rendons à Dieu. Et c’est justement cet
esprit de piété que je voudrais inculquer à moi-même et à tous mes chers
confrères, étant donné que les limites de cette circulaire ne me permettent

18.9 Page 179

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 177
pas de traiter de toutes les pratiques religieuses que nous prescrivent nos
Constitutions.
L’esprit de piété doit être considéré comme le but à atteindre; les
exercices de piété ne sont que des moyens pour l’atteindre et le conserver.
Heureux celui qui le possède, parce qu’en toute chose il n’aura rien d’autre
visée que Dieu, il s’efforcera de l’aimer toujours plus ardemment, il ne
cherchera rien d’autre que de Lui plaire. Au contraire, combien est déplo-
rable l’état de celui qui en est privé! Même s’il accomplissait divers actes
de piété pendant la journée, il ne serait rien d’autre, selon les mots de saint
François de Sales, qu’« un simulacre, un fantasme de la vraie piété ».
Et en affirmant cela, je n’ai pas la moindre intention de diminuer la haute
estime que nous devons avoir des diverses formes extérieures que prend la
piété, car elles sont nécessaires à notre âme comme le bois pour maintenir
le feu allumé, comme l’eau pour les fleurs; bien au contraire, je veux dire
que l’esprit de piété est la base et le fondement de celles-ci, et qu’il peut
aussi être un moyen de compensation pour les âmes auxquelles des travaux
imprévus ou les exigences particulières de leur condition ne permettraient
pas de faire entièrement les pratiques religieuses que la Règle leur impose.
Mais il y a plus. Si nous laissions passer un temps considérable sans
aucune manifestation extérieure de cet esprit de piété, si par malheur
nous permettions qu’il s’éteigne en nous, comment pourrait subsister cette
relation intime, cette ineffable parenté que Jésus-Christ a voulu établir
entre lui et les âmes par le saint baptême? Il n’existerait plus aucune relation
entre ce Dieu que nous appelons du doux nom de père et nous, qui avons la
chance d’être appelés et d’être réellement ses fils.
En outre, n’est-il pas vrai que sans cet esprit nous manquerions aussi
de l’esprit de foi, qui nous rend tellement convaincus de la vérité de notre
sainte religion que nous l’avons toujours présente dans la mémoire, que
nous sentons son influence bienfaisante dans toutes les circonstances de
notre vie? Sans cet esprit, nous perdons l’attention à l’Esprit Saint, qui
souvent nous visite, nous instruit, mieux encore nous console et vient en
aide à nos infirmités: adiuvat infirmitatem nostram.
Au contraire, si nous cultivons bien cet esprit, notre union à Dieu n’est
jamais interrompue, mais communique à chaque action, même profane, un
caractère intimement religieux, l’élève en mérite surnaturel, si bien qu’il
prend part, comme un parfum d’encens, au culte ininterrompu que nous
devons rendre à Dieu. En le pratiquant, dit saint Grégoire le Grand, notre
vie devient le commencement de la félicité dont jouissent les bienheureux
habitants du ciel: inchoatio vitae aeternae.

18.10 Page 180

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178 Troisième Section
Mais les liens qui unissent l’âme chrétienne à Dieu deviennent bien plus
solennels chez celui qui a eu la fortune de faire la profession religieuse.
Par cet acte, l’âme devient l’épouse de Jésus-Christ, elle se donne à lui
sans réserve, elle lui consacre ses facultés, ses sens et sa vie entière. Elle
devient réellement la propriété de Dieu. C’est justement pour cela que, s’il
y a quelqu’un qui doit posséder l’esprit de piété, c’est le religieux. Il devrait
en être imprégné au point de le communiquer à tous ceux qui l’entourent.
Grâce à Dieu, nous pouvons compter beaucoup de confrères, prêtres,
clercs et coadjuteurs qui sont de vrais modèles quant à l’esprit de piété et
font l’admiration de tous.
Mais hélas, je dois ajouter, et flens dico, qu’il y a aussi des Salésiens qui
laissent beaucoup à désirer sur ce point. Quelques-uns en sont malheureu-
sement dépourvus, alors qu’ils avaient édifié tous leurs compagnons par
leur ferveur, quand ils étaient novices.
On dirait que certains ne sont plus des fils de Don Bosco : ils consi-
dèrent les pratiques religieuses comme un poids insupportable, ils utilisent
tous les moyens pour s’en dispenser et offrent partout le triste spectacle de
leur relâchement et de leur indifférence. Ce sont des plantes délicates que
le givre a grillées; ce sont des fleurs que le vent a jetées à terre; ou encore
des sarments qui, s’ils ne sont pas encore entièrement détachés de la vigne,
végètent malheureusement dans une déplorable médiocrité et ne porteront
jamais de fruit. […]
Sans l’esprit de piété, le religieux n’aura pas les moyens de secouer la
poussière mondaine qui viendra malheureusement chaque jour se déposer
sur son âme, étant toujours en contact avec le monde, comme nous en
avertit saint Léon le Grand. Malgré notre profession, et même malgré notre
ordination, il reste pourtant vrai que nous ne cessons pas d’être des fils
d’Adam, d’être exposés à mille tentations; et que nous pourrions à chaque
instant succomber aux séductions des créatures et aux assauts de nos
passions.
Nous ne serons en sécurité que sous le bouclier d’une vraie piété; ce
n’est que par les pratiques religieuses que nous pourrons revigorer notre
esprit, correspondre à la grâce de Dieu et atteindre le degré de perfection
que Dieu attend de nous. C’est la raison pour laquelle ceux qui ont été
suscités par Dieu pour réformer les Congrégations religieuses déchues de
leur ferveur initiale, furent soucieux avant tout de faire refleurir la piété en
leur sein. Toute tentative serait vaine, si on n’avait pas d’abord préparé le
terrain pour elle. […]
Mais ce sera au jour de l’épreuve que nous aurons l’occasion de nous

19 Pages 181-190

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19.1 Page 181

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 179
convaincre de la nécessité de l’esprit de piété. C’est justement parce que
nous travaillons sans relâche, parce que la part privilégiée du troupeau de
Jésus-Christ nous a été confiée, parce que nous avons réussi à en recueillir
quelque fruit, que nos ennemis tourneront leurs dards contre nous.
Viendra certainement l’heure de la tempête. Nous devons être prêts
pour la lutte. Nous serons peut-être abandonnés par ceux-là qui se procla-
maient nos amis ; nous ne verrons autour de nous que des adversaires ou
des indifférents. Et qui sait si, Dieu voulant, nous ne devrons pas passer
nous aussi per ignem et aquam, c’est-à-dire par de grandes souffrances
physiques ou morales?
Dans une si douloureuse conjoncture, soyons-en bien persuadés, nous
ne pourrons trouver force et réconfort que dans l’esprit de piété. Elle a
été la source où le vénérable Don Bosco a puisé son inaltérable égalité
de caractère et cette joie pure qui, comme une resplendissante auréole,
semblait orner plus richement son front les jours de plus grande souffrance.
[…]
Le manque de piété de notre part rendrait notre ministère infructueux
pour les âmes, et même nos grandes solennités nous seraient jetées à la
figure comme de la boue dégoûtante, comme le Seigneur l’a dit par la
bouche du prophète Malachie (Ml 2, 3).
À ce propos, je ne peux passer sous silence un argument qui, plus de tout
autre, devrait se révéler efficace aux yeux des Salésiens. Tout le système
éducatif enseigné par Don Bosco repose sur la piété. Là où celle-ci ne
serait pas convenablement pratiquée, nos instituts seraient privés de leur
ornement et de leur prestige ; ils deviendraient de beaucoup inférieurs aux
instituts laïcs.
Or, nous serions incapables d’inculquer à nos élèves la piété, si nous-
mêmes n’en étions abondamment pourvus. L’éducation que nous donne-
rions à nos élèves serait tronquée, car le moindre souffle d’impiété et d’im-
moralité effacerait en eux ces principes que nous avons cherché à imprimer
dans leurs cœurs au prix de tant de sueurs et de longues années de travail.
Si le Salésien n’a pas une piété solide, il ne sera jamais apte à sa mission
d’éducateur. Mais la meilleure méthode pour enseigner la piété est celle
d’en donner l’exemple.
Souvenons-nous que le plus bel éloge qu’on pourrait faire d’un Salésien
est de dire qu’il est vraiment pieux. C’est pourquoi, dans l’exercice de notre
apostolat, nous devrions avoir toujours devant les yeux notre vénérable
Don Bosco, qui se montre en cela avant tout comme un miroir et un modèle
de piété. […]

19.2 Page 182

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180 Troisième Section
Ceux qui l’ont connu se souviennent de l’attitude toujours dévote, mais
sans affectation, avec laquelle Don Bosco célébrait la sainte Messe; dès
lors il n’était pas étonnant de voir les fidèles se serrer autour de l’autel pour
le contempler. Souvent même, sans savoir qui il était, ils se retiraient en
disant: ce prêtre doit être un saint.
On peut dire que la vie du Serviteur de Dieu était une prière continuelle,
une union avec Dieu sans interruption. Une des preuves en était son inal-
térable égalité d’humeur qui transparaissait sur son visage invariablement
souriant. Chaque fois que nous allions à lui pour un conseil, il nous semblait
qu’il interrompait sa conversation avec Dieu pour nous écouter, et que les
pensées et les encouragements qu’il nous donnait étaient inspirés par Dieu.
Quelle édification pour nous de l’entendre réciter le Pater et l’Angelus!
Je n’oublierai jamais l’impression qu’il me faisait quand il donnait la
bénédiction de Marie Auxiliatrice aux malades. Pendant qu’il prononçait
l’Ave Maria et les paroles de la bénédiction, on aurait dit que son visage
se transfigurait; ses yeux se remplissaient de larmes et sa voix tremblait
sur ses lèvres. Pour moi c’était la preuve que virtus de illo exibat ; c’est
pourquoi je ne m’étonnais pas des effets miraculeux qui s’ensuivaient,
c’est-à-dire si les affligés étaient consolés, les malades guéris. […]
Prenons donc quelques résolutions pratiques : 1. Proposons-nous d’être
fidèles et exacts dans nos pratiques de piété… ; 2. Promettons de sanctifier
nos actions journalières: … que les Salésiens continuent à donner l’exemple
de l’esprit d’initiative, d’une grande activité, mais que celle-ci soit toujours
et en tout l’expansion d’un zèle vrai, prudent, constant et soutenu par une
piété solide. 3. Faisons en sorte que notre piété soit fervente. On appelle
ferveur le désir ardent, la volonté généreuse de plaire à Dieu en toute chose.
2. À l’école de Don Bosco2
Les plus anciens parmi les confrères se rappellent les saintes interven-
tions imaginées par Don Bosco pour nous préparer à devenir ses collabo-
rateurs. Il avait l’habitude de nous réunir de temps en temps dans sa petite
chambre, après les prières du soir, quand tous les autres étaient déjà au lit,
et là il nous faisait une brève conférence très intéressante.
Nous étions peu nombreux à l’écouter, mais d’autant plus heureux
d’avoir ses confidences, d’être mis au courant des projets grandioses de
2 Lettre circulaire Sur la discipline religieuse (25 décembre 1911), in LC 54-56.

19.3 Page 183

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 181
notre maître bien-aimé.
Nous n’avions pas de peine à comprendre qu’il était appelé à accomplir
une mission providentielle en faveur de la jeunesse et c’était pour nous un
vrai motif de fierté de voir qu’il nous choisissait comme instruments pour
exécuter son merveilleux idéal.
Ainsi peu à peu, nous nous formions à son école, et d’autant mieux
que ses enseignements exerçaient une irrésistible attraction sur nos esprits
émerveillés par la splendeur de ses vertus.
À partir de 1866, quand il commença à nous réunir pour les retraites,
l’action de Don Bosco put s’exercer sur une échelle beaucoup plus vaste.
Chaque année, dans cette heureuse occasion, nous avions la chance de
pouvoir nous réunir et de nous compter, et c’était pour nous un grand
réconfort de voir que nous étions toujours plus nombreux.
Au cours de ses instructions, si pleines de pensées saintes et exposées
avec une onction ineffable, le bon père ouvrait continuellement de nouveaux
horizons à nos esprits étonnés, rendait nos résolutions toujours plus géné-
reuses et renforçait notre volonté de rester toujours avec lui et de le suivre
partout, sans aucune réserve et au prix de n’importe quel sacrifice.
Cinquante ans ont passé depuis ces temps heureux, mais le temps n’a
pu effacer de nos cœurs l’impression que la parole de Don Bosco a laissée
en nous.
Souvent certains articles des Constitutions, qu’il lisait sur un manuscrit,
constituaient le sujet de sa conférence et lui donnaient l’occasion d’arriver
à quelques considérations pratiques vraiment précieuses pour notre
formation spirituelle.
Je ne me rappelle pas qu’il ait jamais prononcé la parole discipline :
nous ne l’aurions pas comprise; mais il nous enseignait avec bonheur sa
signification, il nous traçait le sentier que nous devions parcourir, et enfin
il veillait attentivement, pour que notre conduite soit conforme à ses ensei-
gnements.
Souvent il laissait échapper de ses lèvres de claires allusions au rapide et
extraordinaire développement de la Congrégation naissante, à l’immense
foule d’enfants qui allaient peupler ses maisons; et c’est cela qui provoquait
notre stupeur, car nous savions les innombrables et lourdes difficultés qu’il
devait surmonter pour maintenir l’unique et petite maison de l’Oratoire.
Ce n’est que le 15 novembre 1873, quand la Pieuse Société Salésienne
comptait déjà sept maisons en Italie, que Don Bosco adressa à ses fils une
circulaire sur la discipline. Il m’est arrivé d’en trouver une copie, que j’ai sur
mon bureau pendant que j’écris ces quelques lignes, pour qu’elle me serve

19.4 Page 184

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182 Troisième Section
de guide. Il définissait ainsi la discipline: une façon de vivre conforme aux
règles et coutumes d’un institut. Cet institut – il est facile de le comprendre
– était dans l’esprit de Don Bosco la Pieuse Société Salésienne; son but,
comme nous le lisons dans le premier article des Constitutions, était la
perfection de ses membres et le moyen pour l’atteindre surtout l’apostolat
en faveur de la jeunesse pauvre et abandonnée. […]
La perfection des membres de cette Société et de la Société salésienne
dans son ensemble devait être, par conséquent, le résultat de la discipline
que Don Bosco inculquait à ses fils. Nous ne parlons pas d’une perfection
commune à n’importe quelle famille religieuse, mais d’une perfection
adaptée au caractère spécial de notre Société et aux règles qui la gouvernent.
Dès lors faut-il s’étonner si à la suite d’un maître aussi expert et éclairé par
tant de lumières surnaturelles, beaucoup des premiers disciples de Don
Bosco firent des pas de géant dans la piété, dans la vertu, dans l’esprit
de sacrifice et dans l’exercice du zèle? Personne ne s’étonnera par consé-
quent si cette époque-là a pu être appelée l’époque héroïque de notre Pieuse
Société.
3. Vivre de foi3
Si nous avons le bonheur de vivre de foi, nous sentirons dans notre
cœur une vive reconnaissance envers Dieu qui nous a appelés à la Pieuse
Société Salésienne, fondée de façon providentielle par le vénérable Don
Bosco; nous la considérerons comme notre arche du salut et notre refuge,
et nous l’aimerons comme notre bonne mère. Nous regarderons la maison
où l’obéissance nous a envoyés au travail comme la maison de Dieu; et
notre tâche, quelle qu’elle soit, comme la portion de la vigne que le proprié-
taire nous a donné à cultiver.
Dans la personne des supérieurs nous verrons les représentants de Dieu,
sur le front desquels la foi nous fera lire ces mots: qui vos audit, me audit;
qui vos spernit, me spernit (Lc 10, 16): qui vous écoute, m’écoute; qui vous
méprise, me méprise. Leurs ordres seront considérés par nous comme les
ordres de Dieu ; nous les exécuterons sans tarder et nous nous garderons
bien de les juger mal à propos et de les critiquer.
Nous reconnaîtrons les Constitutions, les Règlements, l’horaire,
comme autant de manifestations de la volonté de Dieu à notre égard et
3 Circulaire Sur la vie de foi (21 novembre 1912), in LC 95-99.

19.5 Page 185

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 183
nous veillerons à ne jamais les transgresser. Les jeunes de nos oratoires et
instituts seront aux yeux de notre foi un dépôt sacré, dont le Seigneur nous
demandera un compte très strict.
Les confrères, avec qui nous partageons les douleurs et les joies, avec
qui nous prions et travaillons, seront pour nous des images vivantes de
Dieu, chargées par lui de nous édifier par leurs vertus, et de nous faire
pratiquer la charité et la patience à cause de leurs défauts.
Oh! quand viendra le jour où, selon la belle image de saint François de
Sales, nous nous laisserons porter par Notre-Seigneur comme un enfant
dans les bras de sa maman? Quand donc, chers confrères, serons-nous
préparés à voir Dieu en toute chose et dans tous les événements, au point
d’y voir les espèces sacramentelles sous lesquelles il se cache? Ainsi
serons-nous convaincus que la foi est un rayon de lumière céleste qui nous
fait voir Dieu en toute chose et toute chose en Dieu.
C’est bien cela que nous admirons dans la vie de notre vénérable
fondateur. Pourquoi donc, jeune garçon, a-t-il inventé tant de recettes pour
attirer à lui les enfants de l’humble hameau des Becchi? Nous le savons
tous : c’était pour les instruire et les éloigner du péché. Quel fut le but qu’il
se proposa en embrassant la carrière sacerdotale en dépit d’innombrables
obstacles? Sa devise nous le dit bien: da mihi animas. Il voulait sauver les
âmes, sachant par la foi qu’elles avaient été rachetées par le sang de Jésus-
Christ.
Ordonné prêtre, il se consacre aux enfants pauvres, parce qu’il les voit
abandonnés de tous et grandissant dans l’ignorance et dans le vice. Comme
nous étions édifiés en le voyant occupé pendant de longues heures à écouter
les confessions d’une foule de jeunes, sans jamais donner le moindre signe
de fatigue dans un si pénible ministère! En effet, sa foi très vive lui disait
que la mission du confesseur était de soigner les plaies des âmes, de briser
les liens qui les enchaînaient, de les guider sur le sentier de la piété et de
la vertu.
Il ne voulait pas que les jeunes confiés à ses soins puissent rester dans
le péché même pendant quelques heures; c’est pourquoi, s’ils avaient pu
tomber dans une faute, il les exhortait au moyen de paroles très efficaces
à la confesser le plus tôt possible, au besoin en se levant du lit pendant la
nuit.
De plus, qu’est-ce que la foi n’a pas suggéré à Don Bosco pour rendre
sa prédication plus fructueuse? Il s’était imposé la loi d’éviter toute parole
ou phrase, même très élégante, qui ne fût pas parfaitement comprise
par ses jeunes auditeurs. Il évitait toute expression abstraite et difficile

19.6 Page 186

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184 Troisième Section
à comprendre et il s’habitua à un langage, que j’appellerais concret, qui
parlait aux sens des enfants, afin d’attirer leur attention et de se rendre
maître de leur volonté. C’est à son art et à sa sainteté que l’on peut attribuer
la singulière efficacité de sa parole.
C’est aussi l’esprit de foi qui lui a inspiré son admirable système préventif
: non seulement ce système lui assura une place enviable parmi les éduca-
teurs de la jeunesse d’après les spécialistes, mais il est aussi pour nous la
preuve la plus convaincante de son zèle ardent pour empêcher le péché.
Pourquoi a-t-il voulu que ses élèves soient mis dans l’impossibilité
morale de commettre des manquements? Uniquement par son désir d’éviter
l’offense à Dieu.
Il savait d’expérience combien l’assistance des jeunes coûte à celui
qui veut suivre le système préventif. Tant que lui-même en eut la force,
il précédait ses fils par son exemple et les stimulait par ses chaleureuses
exhortations. Je me rappelle qu’un dimanche d’août il dit à un assistant qui
avait laissé les jeunes de l’oratoire tout seuls à cause de la fatigue: quand il
y a tant de jeunes en récréation, nous devons à tout prix les assister. Nous
nous reposerons à un autre moment.
Il se serait fait un scrupule de tenir une conversation, d’écrire une lettre
sans l’assaisonner de quelque pensée religieuse, et il savait le faire avec
tant de grâce et tant de finesse que personne ne s’en offusquait. Aussi
pouvait-on lui rendre ce témoignage que personne ne l’a jamais accosté
sans se sentir meilleur. La foi lui enseignait qu’un prêtre manquerait à son
devoir s’il faisait autrement.
J’ai été plusieurs fois en sa compagnie quand il prenait congé de ses
missionnaires sur le bateau, et ce fut dans ces moments vraiment précieux
que j’ai pu avoir la meilleure preuve de sa foi vive et de son zèle ardent.
À l’un il disait: j’espère que tu sauveras beaucoup d’âmes. Il suggérait à
l’oreille d’un autre: tu auras beaucoup à souffrir, mais souviens-toi que le
paradis sera ta récompense. Il recommandait à ceux qui devaient prendre
la direction d’une paroisse de prendre soin spécialement des enfants, des
pauvres et des malades.
Il répétait à tous: nous ne cherchons pas l’argent, nous cherchons les
âmes. Il souhaitait à un jeune prêtre, le jour de sa première messe, la
ferveur dans la foi et dans la dévotion au Très Saint Sacrement. À un autre
il recommandait de ne faire aucune prédication sans parler de Marie. Et
lui-même en donnait l’exemple.
Étant entré très jeune à l’Oratoire, je me souviens qu’après avoir entendu
dès les premiers jours son petit mot du soir, je ne pouvais m’empêcher de

19.7 Page 187

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 185
me dire à moi-même: combien Don Bosco doit aimer la Madone!
Et qui parmi les anciens n’a pas observé avec quel sentiment, avec quelle
conviction il nous parlait des vérités éternelles, et comment bien souvent il
arrivait qu’en parlant spécialement des fins dernières, il était tellement ému
qu’il en perdait la voix?
Nous ne pourrons pas oublier non plus avec quelle foi il célébrait la
Sainte Messe et avec quelle exactitude il accomplissait les cérémonies,
jusqu’à porter sur lui en permanence le livret des rubriques pour les
rappeler de temps en temps à sa mémoire.
C’était aussi sa foi qui lui faisait considérer sa Congrégation et ses
maisons comme l’effet d’une protection toute spéciale de la Vierge Auxi-
liatrice, envers qui il professait la plus sincère gratitude. Et on l’entendit
s’exclamer: que de prodiges le Seigneur a opérés au milieu de nous! Mais
combien d’autres merveilles il aurait accomplies, si Don Bosco avait eu
plus de foi; et en disant cela, ses yeux se remplissaient de larmes! (MB
VIII 977).
4. L’oratoire est l’âme de notre Pieuse Société4
À la lecture des premiers volumes de la vie de notre vénérable Père,
écrite avec tant d’amour et de scrupuleuse exactitude par notre cher Don
Lemoyne, il apparaît clairement que l’œuvre première de Don Bosco, en
réalité l’œuvre unique pendant de nombreuses années, a été l’oratoire festif.
C’est cet oratoire festif qu’il avait déjà entrevu dans le mystérieux songe
des neuf ans et dans ceux qui ont suivi, et qui l’ont éclairé progressivement
sur l’œuvre que la Providence lui confiait.
Il ne faut pas perdre de vue, mes chers confrères, que l’oratoire festif de
Don Bosco est une institution complètement originale, différente de toutes
celles qui lui ressemblent, tant par sa finalité que par les moyens qu’elle
utilise.
Selon Don Bosco, l’oratoire n’est pas pour une catégorie donnée de
jeunes de préférence à d’autres, mais pour tous indistinctement, à partir de
sept ans et au-delà; on ne demande pas l’état de la famille ou la présentation
du jeune par ses parents: l’unique condition pour y être admis est celle de
venir avec la bonne volonté de se divertir, de s’instruire et d’accomplir avec
4 Lettre circulaire Les Oratoires festifs - Les missions - Les vocations (31 mai 1913),
in LC 111-113, 117-119.

19.8 Page 188

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186 Troisième Section
tous les autres ses devoirs religieux.
Les causes de l’éloignement d’un jeune de l’oratoire ne peuvent être ni
la vivacité de caractère, ni l’insubordination momentanée, ni le manque
de bonnes manières, ni n’importe quel autre défaut juvénile, causé par
la légèreté ou par l’entêtement naturel; mais seulement l’insubordination
systématique et contagieuse, le blasphème, les mauvaises conversations et
le scandale. Hormis ces cas, la tolérance du supérieur doit être illimitée.
Tous les jeunes, même les plus abandonnés et les plus misérables,
doivent sentir que l’oratoire est pour eux une maison paternelle, un
refuge, une arche du salut, le moyen le plus sûr pour devenir meilleur,
sous l’action transformante de l’affection plus que paternelle du directeur.
“Ces jeunes (écrivait Don Bosco en 1843, c’est-à-dire presqu’au début
de son œuvre) ont vraiment besoin d’une main bienfaisante qui prenne
soin d’eux, qui leur enseigne la vertu et les éloigne du vice. La difficulté
consiste à trouver le moyen de les réunir, de pouvoir leur parler, de les
moraliser. Cette mission, qui fut celle du Fils de Dieu, seule sa sainte
religion peut la mener à bien. Mais cette religion, éternelle et immortelle
en soi, qui a été et qui sera toujours et en tout temps la Maîtresse des
hommes, contient une loi tellement parfaite qu’elle sait se plier aux
circonstances du moment et s’adapter aux différences de tempérament
des hommes.
Parmi les moyens aptes à diffuser l’esprit de religion dans les cœurs
incultes et abandonnés, on compte les oratoires festifs… Quand je me
suis adonné à cette partie du ministère sacré, mon intention a été de
consacrer toutes mes forces pour former de bons citoyens sur cette terre,
afin qu’ils puissent être un jour de dignes habitants du ciel. Que Dieu
me vienne en aide pour pouvoir continuer ainsi jusqu’à mon dernier
souffle de vie”.
Et le Seigneur l’aida non seulement à poursuivre jusqu’à son dernier
souffle de vie son aspiration apostolique, mais à la perpétuer d’une manière
prodigieuse au milieu des peuples en tirant de son cœur magnanime la
Pieuse Société Salésienne. Née dans et pour son oratoire, celle-ci ne peut
vivre et prospérer que par l’oratoire.
C’est pourquoi l’oratoire festif de Don Bosco, qui se propage de plus en
plus en se reproduisant en mille lieux et temps différents, tout en restant
toujours unique dans sa nature, est l’âme de notre Pieuse Société. Si nous
sommes les vrais fils d’un tel Père, nous devons conserver ce précieux
héritage vital dans son intégrité et sa splendeur originelles.

19.9 Page 189

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 187
Partout où se trouvent les fils de Don Bosco ils doivent faire fleurir son
oratoire, ouvert à tous les jeunes, pour les réunir, leur parler, les moraliser
et faire d’eux non seulement de dignes citoyens de la terre, mais surtout de
dignes habitants du ciel.
Autant notre Pieuse Société se lance dans les activités les plus variées,
autant il convient que toutes visent à produire le fruit précieux et naturel
de notre Société, qui est l’oratoire festif ; autrement nous ne méritons pas
d’être considérés comme les vrais fils de notre Père. […]
Don Rua disait un jour à un Salésien qui désirait ouvrir un oratoire festif:
“Là-bas il n’y a rien, pas même un terrain et un local pour rassembler les
jeunes, mais l’oratoire festif est en toi: si tu es un vrai fils de Don Bosco, tu
trouveras bien où le planter et le faire pousser comme un arbre magnifique
et riche de bons fruits”. Et c’est ce qui arriva : en quelques mois naissait
un bel oratoire spacieux, rempli par des centaines de jeunes, dont les plus
grands étaient devenus en peu de temps les apôtres des plus petits.
Certes, l’oratoire a besoin de personnel et de secours, mais ce ne sont pas
là les facteurs principaux. Donnez-moi un directeur rempli de l’esprit de
notre vénérable Père, assoiffé des âmes, riche de bonne volonté, brûlant d’af-
fection et d’intérêt pour les jeunes, et l’oratoire fleurira à merveille, même
s’il y manque beaucoup de choses. Le même Don Rua, après avoir indiqué
les fruits multiples et salutaires obtenus dans plusieurs oratoires, continue:
“Mais vous pourriez croire qu’on ne peut obtenir de bons résultats
que dans les oratoires qui possèdent un local adapté, c’est-à-dire
une chapelle convenable, une vaste cour, une salle de théâtre, des
équipements de gymnastique et de nombreux jeux attrayants.
Ce sont là certainement des moyens très efficaces pour attirer de
nombreux jeunes dans les oratoires et pour que les bons principes qui
ont été semés dans leurs cœurs mettent en eux des racines profondes.
Je dois cependant vous dire avec grande joie qu’en plusieurs endroits le
zèle des confrères a suppléé au manque de tous ces moyens. On a lancé
des oratoires comme a fait Don Bosco au Refuge: une salle de classe ou
une pauvre salle servant de chapelle, un petit morceau de terrain sans
couverture servant de cour de récréation. Dans de telles conditions, il
semblait impossible de continuer. Et pourtant les jeunes, attirés par les
bonnes manières des Salésiens, y ont accouru en grand nombre.
L’intérêt manifesté à leur égard leur arracha ces mots de la bouche:
ailleurs nous trouverions de grandes salles, de vastes cours, de beaux
jardins, des jeux de toute sorte, mais nous aimons mieux venir ici où il
n’y a rien, parce que nous savons qu’on nous aime bien”.

19.10 Page 190

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188 Troisième Section
C’est justement ainsi: l’affection sincère du directeur et de ses auxi-
liaires supplée à beaucoup de choses. Ne croyons pas que nous avons fait
l’oratoire, comme le voulait Don Bosco, quand nous avons mis sur pied un
lieu de récréation où sont rassemblés quelques centaines de jeunes.
Il est certes souhaitable que l’oratoire soit abondamment fourni en toute
sorte de commodités et de divertissements afin d’accroître le nombre des
jeunes, mais tout cela doit aller de pair avec le souci de mettre en œuvre
tous les moyens possibles pour les rendre meilleurs et les enraciner dans la
religion et dans la vertu.
Ne pensons pas que pour bien prêcher il suffit de leur dire ce qui nous
passe par la tête; il faut préparer les instructions, les explications de
l’évangile, et même les leçons de catéchisme; dites-leur des choses adaptées
à leurs besoins et de la façon la plus intéressante que vous pourrez, pour
la sanctification individuelle et pour la restauration de toute chose dans le
Christ Jésus.
Quand un directeur d’oratoire festif aura obtenu chaque dimanche un
bon nombre de communions, il peut être certain que dans son oratoire
il n’y a pas seulement des petits gamins qui jouent, mais des jeunes gens
affectionnés qui seront le nerf des Compagnies, des Cercles et de toutes
les œuvres de perfectionnement qui doivent embellir l’oratoire, comme les
fruits garnissent l’arbre. C’est de ces fruits dont parle longuement le rapport
sur les oratoires festifs et les écoles de religion, que chaque directeur aura
reçu, je l’espère, et qu’il relira de temps en temps. Je vous renvoie donc à ce
rapport pour ne pas m’étendre trop dans cette lettre, et je voudrais même
que vous en fassiez le thème de vos discussions lors de vos assemblées.
Si l’étude et l’expérience vous suggèrent quelques modifications
pratiques ou des ajouts, veuillez m’en informer. Dans ce rapport, vous
pourrez trouver un vaste répertoire de ce qu’on peut faire pour attacher les
adultes à l’oratoire. N’oubliez pas cependant que la raison d’être de toutes
ces œuvres est d’être un moyen pour accroître la vitalité de l’oratoire, alors
que la communion en est la vie même.
5. Soyez tous missionnaires!5
Les missions étaient le sujet de prédilection des discours de Don Bosco
5 Lettre circulaire Les Oratoires festifs - Les missions - Les vocations (31 mai 1913),
in LC 121-124.

20 Pages 191-200

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20.1 Page 191

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 189
et il savait susciter en nous un tel désir de devenir missionnaire que la
chose nous paraissait la plus naturelle du monde. Et quand le consul de la
République d’Argentine à Savone, émerveillé de ce qu’il voyait à l’Oratoire,
lui demanda une institution semblable pour la province de Buenos Aires,
il accepta tout de suite le projet de proclamer la parole divine jusqu’en
Patagonie et en Terre de feu.
Humainement parlant, cette pensée pouvait sembler d’une grande
témérité, parce que les missionnaires qui avaient tenté auparavant de
pénétrer dans ces vastes régions presque inexplorées avaient été cruel-
lement assassinés. Mais pour Don Bosco, les missions devaient être le
deuxième but de sa Congrégation et rien ne l’empêcha de le poursuivre
dans toute son extension.
Une fois son projet approuvé et encouragé en haut lieu par Sa Sainteté
Pie IX, Don Bosco prépara la première expédition de quelques-uns de
ses fils, sous la direction de Don Giovanni Cagliero, pour le 11 novembre
1875. Il se priva de ses meilleurs sujets; il se soumit à des privations de
toute sorte pour préparer tout le nécessaire; il traça l’itinéraire avec la plus
grande minutie et pourvut à tous les menus besoins, même matériels, de
ce long voyage.
Qui peut raconter les soins et les sollicitudes de Don Bosco pour cette
première expédition qui devait être suivie bientôt de beaucoup d’autres,
portant un nombre toujours plus grand de généreux apôtres au milieu des
tribus sauvages? Qui dira la satisfaction de son cœur quand il les savait
arrivés à destination sur le sol américain? Sa jubilation lorsqu’il vit ses fils
pénétrer dans les Pampas et en Patagonie et pousser toujours plus loin,
intrépides, à travers la Terre de Feu jusqu’à l’extrême pointe australe du
détroit de Magellan?
Et quand il vit la Patagonie Septentrionale érigée en Vicariat Apos-
tolique avec la consécration épiscopale du premier des évêques qu’il
portait dans son cœur, et lorsque la Patagonie Méridionale et la Terre de
Feu furent érigées en Préfecture Apostolique, et quand certains de ces
pauvres sauvages convertis se prosternèrent devant lui pour lui exprimer
leur gratitude, il en éprouva de telles satisfactions que personne ne pourra
jamais les décrire ici-bas et qui le consolèrent abondamment de toutes les
peines qu’il avait endurées! […]
Dès lors, les missions furent le cœur de son cœur et il ne semblait plus
vivre que pour elles. Non qu’il négligeât les nombreuses autres œuvres,
mais ses préférences allaient aux pauvres de la Patagonie et de la Terre
de Feu. Il en parlait avec un tel enthousiasme qu’on en était émerveillé et

20.2 Page 192

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190 Troisième Section
grandement édifié par son ardente préoccupation pour les âmes.
Chaque battement de son cœur semblait répéter: Da mihi animas!
Fascinées par le charme de sa voix quand il parlait des missions, de prodi-
gieuses vocations à l’apostolat naissaient à l’instant dans le cœur de ses
fils, et les bienfaiteurs ne pouvaient pas ne pas coopérer efficacement par
de généreuses offrandes à une œuvre vouée au salut des âmes: Divinorum
divinissimum est cooperari in salutem animarum, a dit l’Aréopagite.
Et le Seigneur a béni copieusement sa soif ardente des âmes en donnant
à ses fils, à sa demande, de vastes et nombreux territoires de mission qui
donnèrent en peu de temps de bons fruits de sainteté et de civilisation.
Durant ma visite aux maisons et aux missions d’Amérique il y a dix ans,
j’ai pu toucher du doigt la réalité de ce que je dis. Après les missions de la
Patagonie et de la Terre de Feu, il y a eu celles des Bororos du Mato Grosso
au Brésil, puis celles des Jivaros dans l’Est de l’Équateur, et dernièrement
les nouvelles et immenses missions des Indes et de la Chine.
C’est là l’immense champ sur lequel notre Congrégation doit faire
descendre, unies au sang rédempteur de Jésus-Christ, les sueurs des
labeurs apostoliques, et aussi, si c’est nécessaire, comme c’est déjà arrivé
en Patagonie, le sang de ses fils.
Dès lors, chers confrères, vous n’aurez pas de peine à comprendre la
lourde charge qui pèse sur votre Recteur Majeur pour trouver un personnel
sûr et zélé et des moyens matériels en faveur de ces missions. Ces besoins
en personnel et en moyens se font même sentir de plus en plus fort, et c’est
pourquoi j’éprouve la nécessité de faire appel à vous, mes bons confrères,
pour avoir de l’aide.
Veuillez donc, vous aussi, partager avec moi ce lourd fardeau, en
prenant grandement à cœur nos missions, premièrement dans la prière et
ensuite dans les œuvres. Que la prière, qui est la puissance de Dieu dans
nos mains, monte sans cesse afin d’obtenir la grâce de la vocation à l’apos-
tolat pour nous et pour les jeunes confiés à nos soins. Prions dans ce but
avec une grande intensité de foi et d’affection, en comptant sur la puissante
intercession de notre chère Madone et de notre vénérable Père.
Mais la prière ne suffit pas, il faut aussi unir celle-ci avec le travail.
Celui-ci peut être d’abord personnel ; il consiste à acquérir en particulier
les vertus du missionnaire, à savoir une piété profonde et un grand esprit de
sacrifice pour toute la vie, et pas seulement pour quelques années.
L’ennemi des âmes semble avoir trouvé le moyen d’empêcher les fruits
de l’apostolat en mettant dans le cœur de certains des appelés à la mission
mille difficultés, et plus encore de présenter l’idée des missions sous l’aspect

20.3 Page 193

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 191
d’un voyage scientifique et d’une partie de plaisir, ou encore comme un
simple essai: s’il réussit, c’est bien; sinon on retourne en arrière… Fatale
illusion qui tarit l’apostolat à sa source et crée une multitude de merce-
naires des âmes! Quand la flamme de l’apostolat s’est allumée dans un
cœur, elle ne devrait plus jamais s’éteindre.
Que votre travail s’étende aussi aux autres. Parlez toujours avec enthou-
siasme de nos missions en évitant de répéter : on peut être missionnaire
partout (ce qui est absolument faux pour ceux qui sont appelés à l’apostolat
parmi les infidèles) ; décrivez aux jeunes de nos oratoires la beauté de cet
apostolat ; faites des économies et mettez quelque chose de côté pour aider
les missions ; recueillez la petite obole des jeunes ou l’offrande généreuse
des Coopérateurs.
Beaucoup de maisons se plaignent de ne plus trouver d’offrandes. La
vraie cause n’est peut-être pas dans le manque de bienfaiteurs, mais d’avoir
voulu diriger toutes les aumônes vers les besoins locaux, sans aucune
préoccupation pour les missions. Les directeurs qui se trouvent dans ces
conditions devraient y penser un peu et y remédier, en réanimant chez
leurs bienfaiteurs la volonté de venir aussi en aide à nos missions, qui
constituent la plus grande gloire de notre Congrégation.
Oui, travaillez, mes bons confrères, en employant ces moyens et d’autres
en faveur de nos missions, mais que votre travail vise surtout à susciter au
milieu des jeunes confiés à nos soins de nombreuses, sincères et solides
vocations.
6. La Madone et Don Bosco6
Les multiples œuvres lancées et réalisées par notre vénérable père et
fondateur forment l’objet de l’admiration de ceux qui en lisent l’histoire.
Mais ce qui frappe le plus l’attention de celui qui les examine attenti-
vement, c’est de voir comment de telles prodigieuses entreprises avaient été
pensées et portées à terme par le fils d’une humble paysanne des Becchi.
Non seulement il était privé de tout moyen de fortune et eut besoin de l’aide
de bienfaiteurs pour arriver au sacerdoce, mais il rencontra aussi sur son
chemin des obstacles qui semblaient insurmontables.
C’est pour cela que sa vie, aux yeux de celui qui la considère du point
6 Lettre Circulaire Sur le Cinquantenaire de la Consécration du Sanctuaire de Marie
Auxiliatrice à Valdocco (31 mai 1918), in LC 259-265.

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192 Troisième Section
de vue purement humain et naturel, se présente comme une énigme inex-
plicable. Elle ne peut être comprise et goûtée que par celui qui sait s’élever
dans la sphère surnaturelle avec les ailes de la foi et à qui l’esprit chrétien
montre dans l’œuvre misérable et déficiente de l’homme la main toute-puis-
sante de la Providence Divine, la seule capable de surmonter les difficultés
et les barrières si souvent dressées par la fragilité et la malveillance des
hommes. Don Bosco n’a certainement pas pu avoir aucun doute à propos
de l’intervention continue de Dieu et de la Vierge Auxiliatrice dans les
divers événements de sa vie tourmentée. Il suffit de jeter un coup d’œil sur
les gros volumes de sa biographie pour en avoir une quantité de preuves
convaincantes.
À l’âge de neuf ans, il vit en songe une grande foule de pauvres enfants
que l’ignorance et le vice avaient rendu semblables à des animaux et il
reçut d’un mystérieux personnage, qui était Jésus-Christ lui-même, l’ordre
de prendre soin d’eux et d’en faire de bons chrétiens. Comme il protestait
en disant qu’il était incapable de remplir un mandat aussi difficile, le
personnage lui donna comme guide et maîtresse l’auguste Reine du ciel et
de la terre; et ce furent justement les précieux et sublimes enseignements
de cette Dame qui le rendirent capable de transformer ces êtres malheureux
en autant d’agneaux dociles.
À partir de ce jour, ce fut la Mère de Dieu qui le guida dans toutes
les circonstances les plus importantes de sa carrière, qui fit de lui un
prêtre instruit et zélé, qui le prépara à être le père des orphelins, le maître
d’innombrables ministres de l’autel, un des plus grands éducateurs de la
jeunesse, et enfin le fondateur d’une nouvelle Société religieuse, qui devait
avoir pour mission de propager partout son esprit et la dévotion à Celle à
qui il donna le beau titre de Marie Auxiliatrice.
Quand il parlait à ses fils spirituels, il ne se lassait pas de répéter que
l’œuvre à laquelle il avait mis la main lui avait été inspirée par la Sainte
Vierge, que Marie en était le valeureux soutien et qu’elle n’avait par consé-
quent rien à craindre des oppositions de ses adversaires.
Permettez-moi seulement que je vous rappelle la conférence qu’il a faite
aux Salésiens de Turin le dimanche 8 mai 1864.
Au cours de cette réunion, il révéla des choses qu’il n’avait jamais
dites jusque-là. Faisant un résumé de l’histoire de l’Oratoire, des démé-
nagements douloureux qu’il dut subir avant de trouver une demeure stable
dans la maison de Valdocco, il raconta comment la main du Seigneur
avait frappé tous ceux qui s’étaient opposés à ses desseins. Il révéla les
songes dans lesquels il avait vu ses futurs prêtres, clercs et coadjuteurs, et

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 193
même les nombreux jeunes que la Providence allait confier à ses soins. Il
raconta aussi le songe, qu’il vaudrait mieux appeler une vision, dans lequel
apparaissait une église haute et magnifique, portant sur le fronton cette
inscription: Hic domus mea, inde gloria mea. Il énuméra les difficultés qui
avaient surgi dès le début et qui furent vaincues avec l’aide de Dieu.
Il ajouta qu’il avait tout révélé au Saint-Père Pie IX et qu’il avait été
encouragé par lui à fonder notre Pieuse Société. Se faisant par la suite l’ob-
jection à lui-même qu’il n’aurait peut-être pas dû manifester de telles choses,
qui paraissaient aboutir à sa propre gloire, il la réfuta de façon péremptoire
et de toute son énergie, protestant que, loin d’avoir à s’en glorifier, il aurait
au contraire le devoir redoutable d’en rendre des comptes s’il ne faisait pas
tout ce qui dépendait de lui pour accomplir la volonté de Dieu. « On ne
peut pas décrire – dit Don Lemoyne – la profonde impression qu’il fit et
l’enthousiasme que provoqua une telle révélation » (MB V 664).
C’est précisément ces jours-là que nous voyions le début des travaux de
fondation du grand sanctuaire voulu par Don Bosco, qui devait attester sa
vive gratitude à Marie Auxiliatrice pour toutes les grâces et faveurs reçues
d’Elle.
Seul celui qui en a été témoin peut se faire une idée juste du travail et
des sacrifices que notre vénérable Père s’est imposés pendant trois ans pour
porter cette œuvre à terme. Il allait frapper comme un mendiant de porte en
porte, non seulement à Turin, mais aussi dans presque toutes les principales
villes d’Italie, pour recueillir les moyens nécessaires à cette construction,
considérée par beaucoup comme une entreprise téméraire, supérieure aux
forces de l’humble prêtre qui s’y était lancé. Ce qui soutenait son étonnante
énergie, c’était uniquement la certitude que tout ce qui avait déjà été fait
était dû à la protection de la Madone, ainsi que la conviction que la jeune
Société Salésienne connaîtrait un prodigieux développement dès lors que
Marie Auxiliatrice aurait un temple et un trône dignes d’elle dans les prés
de Valdocco. Il se montrait ainsi comme un vrai disciple de notre saint
François de Sales, qui avait écrit: « Je connais bien le bonheur d’être le
fils, quoiqu’indigne, d’une Mère si glorieuse. Forts de sa protection, nous
n’hésitons pas à entreprendre de grandes choses: si nous l’aimons d’une
affection ardente, Elle nous obtiendra tout ce que nous désirons. »
Le 9 juin 1868, au grand étonnement de tous, Mgr Alexandre Riccardo
di Netro, archevêque de Turin, consacrait notre belle basilique; et je me
rappelle, comme si c’était maintenant, le moment solennel où Don Bosco,
tout rayonnant de joie mais les yeux voilés de larmes par la profonde
émotion, gravit le premier les degrés du grand autel pour célébrer le saint

20.6 Page 196

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194 Troisième Section
sacrifice de la Messe sous le regard miséricordieux de sa grande Auxi-
liatrice. Les fêtes solennelles qui suivirent pendant huit jours furent
rehaussées par la présence de huit évêques, qui assurèrent des célébrations
pontificales et annoncèrent la divine parole avec éloquence et fruit à une
foule extraordinaire des fidèles, accourus même de villages lointains.
À cette occasion, les plus grands d’entre nous ont bien remarqué combien
le visage de notre vénérable père paraissait presque transfiguré, et comme
il était infatigable pour parler de la Vierge Marie. Nous conservâmes jalou-
sement le souvenir de ce qu’il dit en cette circonstance – car il lisait dans
l’avenir – à propos des merveilles que Marie Auxiliatrice ne manquerait
pas d’opérer en faveur de ses dévots. Combien nous sommes consolés
maintenant en voyant que ces prédictions sont devenues des réalités !
Mais tout cela ne suffisait pas à satisfaire entièrement son désir d’ex-
primer sa gratitude à la Vierge Marie. En plus de ce monument matériel et
inanimé, il voulut aussi en élever un autre, vivant et spirituel, en instituant
la Congrégation des Filles de Marie Auxiliatrice, à qui il confia la mission
de former les jeunes filles à la piété et à la vertu et de propager dans le
monde entier la dévotion à leur puissante Patronne. Les progrès étonnants
qu’a connus en peu de temps cet institut, et le grand bien accompli par lui
en tout lieu, sont la meilleure preuve qu’il a été fondé, lui aussi, par Don
Bosco par inspiration céleste.
Mais pour revenir à notre cher sanctuaire de Marie Auxiliatrice, c’est
un fait que tout de suite après sa consécration on a vu dans la Société Salé-
sienne se multiplier de façon prodigieuse les vocations et surgir à brefs
intervalles, comme par enchantement, de nombreux collèges, oratoires
festifs et écoles professionnelles, vraies arches de salut pour une foule de
jeunes, arrachés ainsi au danger de la corruption et de l’impiété. Soudain
disparurent les graves difficultés qui retardaient l’approbation de notre
humble congrégation de la part du Saint-Siège, et de nombreuses expédi-
tions missionnaires eurent lieu en Amérique. C’est ainsi que se vérifia la
prédiction de la Très Sainte Vierge qui avait annoncé que sa gloire viendrait
de cette église: inde gloria mea.
Ainsi, nous pouvons affirmer avec raison que la consécration de ce
sanctuaire a marqué l’histoire de l’œuvre de Don Bosco, et aussi que notre
douce Mère a voulu récompenser son fidèle serviteur pour les sacrifices
qu’il avait faits afin de lui procurer à Valdocco une digne demeure.
Il y aura bientôt cinquante ans que nous avons été témoins des faits que
nous venons de rappeler ici brièvement, et il nous plaît de pouvoir dire
que tout cet espace de temps n’a été qu’une succession ininterrompue de

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 195
prodiges opérés par Marie Auxiliatrice en faveur de ses dévots: justement
comme nous l’avait annoncé à l’avance notre vénérable fondateur.
Sous la protection de notre puissante Patronne, l’humble Société Salé-
sienne a traversé les montagnes et les mers, et elle s’est s’étendue presque
sur toute la terre. Cette merveilleuse expansion ne peut être attribuée
seulement à l’activité et à l’esprit d’initiative des fils de Don Bosco. Nous,
qui connaissons par expérience la faiblesse de nos forces, nous devons être
convaincus plus que quiconque que nous sommes redevables de tout à la
Vierge Auxiliatrice. Que ferons-nous donc pour lui exprimer notre recon-
naissance?
Voici la réponse. Le vif désir que nous avons de faire connaître, si
possible au monde entier, que toutes les œuvres salésiennes doivent leur
origine et leur développement uniquement à la protection de Marie, et l’es-
pérance qu’Elle continue à nous soutenir, à nous guider et à nous défendre
dans l’avenir, nous ont suggéré un projet audacieux : mettre dans la main
de notre puissante Auxiliatrice un riche sceptre d’or, orné de pierres
précieuses, voulant ainsi par cet acte la proclamer avec la plus grande
solennité possible notre Auguste Reine. […]
Une telle cérémonie extérieure, il est facile de le deviner, sera accom-
pagnée de la solennelle consécration de notre Pieuse Société à la reine du
ciel. Le Recteur Majeur prononcera devant son image miraculeuse une
prière, dans laquelle il lui présentera tous les Salésiens, les Filles de Marie
Auxiliatrice, la Pieuse Union des Coopérateurs et tous nos instituts, la
suppliant d’agréer cette offrande, de considérer désormais comme siennes
toutes les œuvres de Don Bosco, et de les garder pour qu’elles soient
toujours dignes de sa protection et de son affection.
Cette consécration sera renouvelée dans chaque maison, selon la forme
que les supérieurs locaux jugeront opportune. Je ne pense pas me tromper
en affirmant que cet hommage sera agréé plus que tout autre par notre
Reine et fera pleuvoir sur nos œuvres l’abondance de ses grâces et de ses
bénédictions.
Du reste, ce ne sera pas une nouveauté pour nous, puisque nous récitons
depuis vingt-cinq ans, dans chacune de nos maisons, une prière fervente
après la méditation, intitulée Consécration à Marie Auxiliatrice. Il y a déjà
longtemps qu’on a senti chez nous la nécessité d’avoir, outre les prières
vocales communes, une oraison spéciale dans laquelle nous, les Salésiens,
nous puissions exposer nos besoins particuliers et demander les grâces
appropriées à notre état et à notre mission. En 1894, l’inoubliable Don
Rua, à la perspicacité de qui rien n’échappait de tout ce qui était utile à

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196 Troisième Section
nos âmes, a cru opportun de combler cette lacune et nous proposa ladite
Consécration, très appréciée par tous et apprise par cœur en peu de temps
et très facilement.
Comme il est doux pour un Salésien, quelles que soient sa nation d’ap-
partenance et sa langue, d’entendre chaque matin, à l’heure fixée par
l’horaire de la journée, un chœur fourni de voix dévotes, qui répète cette
offrande à la Mère céleste, implorant sa protection sur nos Maisons et sur
nos travaux! Or, ce que nous sommes habitués à faire quotidiennement
dans les humbles et dévotes chapelles de nos communautés, il est bien juste
qu’au cinquantenaire de la consécration de notre église, nous l’accomplis-
sions avec toute la solennité et la ferveur possibles devant l’image mira-
culeuse de Marie, proclamée notre auguste reine et honorée par le sceptre
d’or, symbole de sa royale dignité et puissance!
7. La douceur du salésien7
En me préparant à écrire sur ce sujet qui a, comme vous le savez bien,
une importance capitale, car c’est la note caractéristique de l’esprit de Don
Bosco, je me suis jeté aux pieds de Jésus, et il m’a semblé l’entendre dire :
Discite a me quia mitis sum et humilis corde (Mt 11, 29): apprenez de moi
à être doux et humbles de cœur. Allons donc à son école, et tenons compte
de ses enseignements et de ses exemples. […]
Nous pouvons assez facilement nous faire une idée de la douceur, surtout
quand nous la voyons mise en pratique, mais nous rencontrons ensuite de
graves difficultés pour la définir. Les mots dont nous voudrions revêtir nos
pensées ont toujours quelque chose d’incomplet et manquent de précision,
de sorte qu’ils n’arrivent jamais à nous satisfaire. Il y a, par exemple, ceux
qui l’ont définie comme une facilité de caractère, qui fait que l’on cède avec
une certaine complaisance, mais sans bassesse, à la volonté d’autrui.
Or, qui ne voit que dans cette définition on ne fait aucune allusion à
l’auréole, je dirais divine, qui entoure le visage d’une personne, peut-être
dénuée de qualités extérieures, mais qui a la chance de pratiquer habi-
tuellement la douceur ? Rien n’est dit non plus de l’effort, que j’appel-
lerais héroïque, pour dominer la vivacité du caractère, pour réprimer tout
mouvement d’impatience et même cette indignation, qui semble parfois
sainte, justifiée par le zèle et autorisée par la gravité de la faute. Pas d’al-
7 Lettre circulaire Sur la douceur (20 avril 1919), in LC 280-283, 288-291.

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 197
lusion non plus à cette vertu si rare, qui impose un frein à la langue et ne
lui permet pas de prononcer le moindre mot qui puisse déplaire à celui à
qui on a affaire. Il semble en outre que, pour définir la douceur, on devrait
ajouter une allusion au regard serein et plein de bonté, qui est le miroir vrai
et clair d’une âme sincèrement douce, désireuse de rendre heureux tous
ceux qui l’approchent.
La définition que donne saint Jean Climaque (Grad. XII) est, en
revanche, beaucoup plus complète, car elle définit la douceur comme la
disposition par laquelle l’esprit demeure toujours égal, dans les honneurs
tout comme dans le mépris, dans les souffrances comme dans les réjouis-
sances. Parlant en images, le saint compare l’homme doux à un rocher qui,
émergeant au-dessus de la mer, résiste aux vagues en furie, si bien que
celles-ci viennent se briser à ses pieds sans jamais réussir à lui arracher
ne serait-ce qu’un grain de cette roche indestructible dont il est composé.
C’est cela la douceur et la mansuétude pratiquées par beaucoup de
saints, que Dieu a voulu affiner dans la vertu en les faisant passer par de
grandes tribulations. Le Seigneur n’enverra peut-être pas des épreuves
trop douloureuses à vous tous, chers confrères destinés par l’obéissance à
exercer l’autorité dans nos maisons, mais il exige certainement que vous
restiez calmes, doux et toujours maîtres de vous-mêmes dans la direction
de vos confrères, dans la correction de leurs défauts, dans le support de
leurs faiblesses, chose d’autant plus difficile et méritoire que cela doit être
votre devoir de chaque jour, voire de chaque instant.
Les misères humaines sont sans nombre, et il n’est pas possible de
ne pas les rencontrer dans les communautés religieuses elles-mêmes,
même si leurs membres sont animés de la meilleure volonté de tendre à
la perfection ; mais combien de ces misères pourraient être évitées ou du
moins diminuées, s’il y avait toujours chez celui qui les dirige la douceur
dans les paroles et la suavité dans la manière d’agir !
Pour rester persuadés de cette vérité il suffirait que nous rentrions quel-
quefois en nous-mêmes, en nous demandant comment nous voudrions
que nos supérieurs se comportent. Comme il serait utile que nous nous
mettions, comme on dit, dans la peau des autres, pour nous pénétrer de
leurs pensées et de leurs sentiments! Combien il nous serait utile, à nous
et à notre prochain, de nous rappeler et de pratiquer cette maxime de la
charité chrétienne qui consiste à ne pas faire ou à ne pas dire aux autres
ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fasse ou qu’on nous dise à nous-
mêmes, de garder à l’esprit cette parole de l’évangile, selon laquelle on
emploiera envers nous la mesure que nous aurons utilisée envers les autres!

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198 Troisième Section
Cette réflexion éloignerait de notre esprit les tentations d’orgueil, qui pour-
raient naître du fait de la fonction honorifique dont nous sommes revêtus;
cela nous épargnerait le danger de nous complaire dans les manifestations
de respect et de vénération que les confrères estiment devoir manifester
à leurs supérieurs; en un mot, elle nous inspirerait cette charité et cette
douceur qui rendent si belle et si joyeuse la cohabitation des frères dans
une même maison.
À partir de là, on comprend à quel point notre saint François de Sales
avait raison lorsqu’il écrivait que « la douceur est la plus excellente des
vertus morales, parce qu’elle est le complément de la charité, qui est préci-
sément parfaite quand elle est douce et en même temps avantageuse pour
notre prochain. »
Que celui qui est placé à la direction de ses confrères se rappelle que
c’est à lui spécialement qu’est confiée la mise en œuvre de la promesse
solennelle que notre Seigneur Jésus-Christ a faite de donner aux religieux,
dès cette vie, le centuple de ce qu’ils ont abandonné pour le suivre.
C’est le supérieur qui, usant tous les stratagèmes de son inépuisable
bonté paternelle, doit faire en sorte que les avantages de la vie religieuse,
tant vantés dans les livres, ne paraissent pas comme de pieuses exagéra-
tions, ou encore comme de séduisantes tromperies offertes à la crédulité
des âmes simples et candides.
C’est à cela qu’allait sans aucun doute la pensée de notre vénérable
fondateur et père, lorsqu’il écrivait les pages précieuses qui précèdent nos
Constitutions. Il est certain qu’un directeur ou un supérieur lui donnerait
un douloureux démenti si, par manque de douceur, il ne procurait pas aux
confrères confiés à ses soins le réconfort qu’ils attendent de lui. [...]
Mais en parlant de douceur, pourrons-nous oublier le titre de Salésiens
que nous avons la chance de porter ? Ce nom, désormais connu dans le
monde entier, et entouré de tant de sympathies, nous rappelle comment
notre vénérable fondateur et père a choisi saint François de Sales, non sans
raison, comme protecteur de la Pieuse Société qu’il allait fonder. Profond
connaisseur de la nature humaine, il a compris dès le début que pour faire
du bien dans les temps actuels, il était nécessaire de trouver le chemin des
cœurs. Aussi a-t-il étudié, avec un zèle et un amour tout particuliers, les
œuvres et les exemples de ce maître et modèle de la mansuétude, et il s’est
efforcé de suivre ses traces en pratiquant la douceur.
Du reste, une voix beaucoup plus autorisée lui avait imposé de pratiquer
la douceur. Dans le rêve qu’il fit à l’âge de neuf ans, il crut voir une grande
foule de jeunes qui se disputaient entre eux jusqu’à en venir aux mains ;

21 Pages 201-210

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21.1 Page 201

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 199
ils blasphémaient et tenaient des propos obscènes. Porté par son caractère
sanguin et prompt, l’enfant aurait voulu empêcher un si grand mal par de
durs reproches et même avec des coups.
Mais cette voix lui dit que ce n’était pas le moyen pour arriver à son but,
et elle l’invita à se tourner vers une grande dame (la Vierge Marie), qui
lui enseignerait le moyen le plus efficace pour corriger ces gamins et les
rendre meilleurs. Nous savons tous que ce moyen n’était rien d’autre que
la douceur. Don Bosco en fut tellement convaincu qu’il se mit aussitôt à la
pratiquer avec ardeur et à en devenir un véritable modèle. Ceux qui eurent
la grâce de vivre à ses côtés attestent que son regard était plein de charité et
de tendresse, et que précisément pour cette raison il exerçait sur les jeunes
une irrésistible attraction.
Un archevêque, orateur éloquent, parlant de Don Bosco dans la ville
de Marseille, n’hésita pas à le comparer aux personnages les plus célèbres
de l’histoire, affirmant que si ces derniers avaient exercé une autorité sur
les corps de leurs sujets, Don Bosco avait fait plus et mieux, exerçant une
domination totale sur le cœur de ses enfants.
D’une nature foncièrement bonne, il montrait de l’estime et de l’affection
envers tous ses élèves, cachait leurs défauts, et parlait d’eux en bien, de
sorte que chacun s’imaginait être son meilleur ami, voire son préféré. Pour
l’approcher, il n’était pas nécessaire de choisir le moment le plus favorable,
ni de recourir à une personne influente pour se faire présenter. Il écoutait
chacun patiemment, sans l’interrompre, sans montrer hâte ou ennui, à tel
point que beaucoup croyaient qu’il n’avait rien d’autre à faire.
Lorsqu’il recevait le compte rendu d’un confrère, loin de saisir cette
occasion pour lui faire des reproches (parfois mérités) ou des corrections
sévères, il n’avait d’autre but que de lui inspirer confiance et de l’encou-
rager à améliorer sa conduite à l’avenir.
Un de nos excellents compagnons racontait que, s’étant laissé fasciner
par les qualités intellectuelles et extérieures d’un de ses élèves, il l’aimait
tellement qu’il en perdit la paix et en eut la conscience troublée. Il se décida
finalement, non sans douleur et avec beaucoup d’efforts, à tout révéler à Don
Bosco ; il se présenta à lui, le visage en feu et les lèvres tremblantes, en lui
manifestant l’état de son âme. De temps en temps, il regardait le vénérable
supérieur, craignant qu’il ne montre étonnement et dégoût pour ce qu’il
entendait; mais il voyait toujours son visage égal et souriant. Lorsqu’il eut
terminé son compte rendu, il s’attendait à une réprimande sévère et juste;
au lieu de cela, il entendit des paroles très douces, qui restèrent à jamais
gravées dans son cœur et dans sa mémoire; et il me les répétait, exaltant la

21.2 Page 202

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200 Troisième Section
bonté du vénéré supérieur.
« Mon cher fils, lui avait dit Don Bosco, j’ai bien remarqué que tu t’étais
écarté du bon chemin, et j’avais très peur pour ta vocation; mais main-
tenant que tu es venu spontanément me révéler tes peines, ton compte
rendu sincère vient chasser toute peur de mon esprit; la confiance avec
laquelle tu m’as parlé me fait oublier tout ton passé, au contraire elle rend
mon affection pour toi encore plus forte. Courage donc, Dieu t’aidera à
persévérer dans tes bonnes intentions. »
Inutile de le dire, ce langage vraiment paternel fit un bien immense à
ce confrère, qui s’est maintenu fidèle à ses promesses jusqu’à sa mort, et a
travaillé beaucoup pour sa propre sanctification et pour le salut des âmes.
Oh! si les murs de la modeste chambre de Don Bosco pouvaient parler :
quels miracles ils nous révéleraient, fruits de sa douceur et de son affabilité!
Nous avons l’habitude d’appeler héroïques les années pendant lesquelles
Don Bosco et ses premiers fils ont dû beaucoup souffrir et travailler. Eh
bien, qu’est-ce qui rendait ces jeunes clercs et coadjuteurs si courageux et
si constants dans leur vocation, et les aidait à surmonter tant de difficultés
pour rester avec Don Bosco? C’était la parole toujours douce et encoura-
geante de notre vénérable père. Il se disait heureux d’être entouré de tels
fils, et nous, nous nous faisions une gloire d’être appelés les fils et les colla-
borateurs d’un tel père.
Quand il nous proposait un travail à faire, même pénible et désagréable,
qui aurait osé dire non à celui qui nous le demandait avec tant de grâce et
d’humilité?
Soyons bien convaincus de cela: aux yeux de notre vénérable fondateur,
le vrai secret pour gagner les cœurs et la qualité caractéristique du Salésien
consistent dans la pratique de la douceur.
8. Faire revivre Don Bosco en nous8
Appelés par la bonté du Seigneur à être les fils d’un tel père et les conti-
nuateurs de sa mission, que devons-nous faire, pour notre part, en cette
circonstance mémorable de l’inauguration du monument dédié à Don
Bosco à Valdocco ?
Je suis sûr que vous avez déjà tout mis en œuvre pour recueillir le plus
8 Lettre circulaire Pour l’inauguration du monument au vénérable Don Bosco (6 avril
1920), in LC 311-315.

21.3 Page 203

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 201
d’adhésions possible pour les prochaines fêtes, au moyen de rencontres
préparatoires de vos anciens élèves respectifs, auxquels vous aurez fait
comprendre la grande importance de l’événement. Je ne vais donc pas
m’attarder sur ce point.
Mais ce serait trop peu, si nous nous limitions à cela, et à faire en sorte
que les fêtes soient splendides et satisfaisantes à tous égards, et je crois que
je ne me trompe pas en disant que Don Bosco ne serait pas content de nous
dans ce cas. Il veut un autre monument de la part de ses fils, un monument
impérissable, aere perennius: il veut qu’en cette occasion solennelle et à la
vue du monument de pierre et de bronze ils soient incités à faire revivre en
eux ses vertus, son système éducatif, tout son esprit, pour le transmettre,
toujours fécond et vital, de génération en génération.
Faire revivre Don Bosco en nous, tel est le plus beau monument avec
lequel nous pouvons honorer sa mémoire et la rendre précieuse et bénéfique
pour les siècles à venir. Lisons, étudions sa vie avec un amour infatigable,
efforçons-nous de l’imiter dans son zèle ardent et désintéressé pour le salut
des âmes, dans son amour et dans sa dévotion illimitée à l’Église et au
Pape, dans toutes les vertus dont il nous a laissé tant d’exemples.
Et faisons nôtre le trésor de ses enseignements, nous rappelant qu’ils
n’étaient pas seulement le fruit de ses talents hors du commun et de sa
profonde expérience, mais aussi des lumières surnaturelles qu’il demandait
dans des prières insistantes, et qui lui ont été accordées en récompense
de sa fidélité inaltérable à travailler le champ qui lui a été confié par le
Seigneur.
Le système éducatif de Don Bosco – pour nous qui sommes persuadés
de l’intervention divine dans la création et dans le développement de son
œuvre – est une pédagogie céleste. Et en vérité, ne peut-on pas dire que les
principes fondamentaux du système préventif avaient déjà été donnés au
petit berger des Becchi dans le rêve qu’il a eu à l’âge de neuf ans, quand le
personnage mystérieux et vénérable lui a dit: « Ce n’est pas avec des coups,
mais avec la douceur et la charité que tu devras gagner tes amis? »
Bien sûr, je n’ai pas l’intention de vous énumérer ici toutes les normes
éducatives que notre bon père nous a laissées: vous pouvez les lire dans ce
précieux petit traité sur le « Système Préventif », qui précède le Règlement
pour les maisons salésiennes, et que j’ai maintenant fait imprimer à part
dans un format plus pratique, et distribué à ceux qui le voudront. D’ailleurs,
toute sa vie n’est rien d’autre, peut-on dire, qu’une application continue et
admirable de ces règles.
Cependant, il y a une chose qui me tient à cœur en cette circonstance

21.4 Page 204

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202 Troisième Section
et que veux recommander à votre imitation: c’est cet amour, cet intérêt
affectueux pour les jeunes, qui fut le secret de son merveilleux ascendant
sur eux. Et ici, il me semble que je ne peux faire mieux que de laisser parler
Don Bosco lui-même. Voici ce qu’il écrivit de Rome le 10 mai 1884 à ses
fils de l’Oratoire, racontant une de ses illustrations mentales habituelles
que j’ai mentionnées plus haut:
« La familiarité engendre l’amour, et l’amour la confiance. C’est cela
qui ouvre les cœurs, et qui fait que les jeunes révèlent tout sans crainte
à leurs enseignants, assistants et supérieurs. Ils deviennent francs en
confession et hors de la confession, et se montrent dociles à tout ce
que veut commander celui dont ils sont sûrs d’être aimés... Il ne suffit
pas d’aimer les jeunes, mais il faut qu’ils se sachent aimés... Sachant
qu’ils sont aimés dans les choses qui leur plaisent, et voyant qu’on
participe à leurs penchants infantiles, ils apprendront à voir l’amour
dans les choses qui ne leur plaisent naturellement pas beaucoup, telles
que la discipline, l’étude, la mortification personnelle, et ils apprendront
à faire ces choses avec amour... Que les supérieurs aiment ce que les
jeunes aiment, et les jeunes aimeront ce qui plaît à leurs supérieurs.
Et ainsi ceux-ci sentiront moins la fatigue [...] Pour briser la barrière
de la méfiance, il faut pratiquer la familiarité avec les jeunes, surtout
pendant la récréation. Sans la familiarité, l’amour reste inconnu, et sans
la connaissance, il ne peut y avoir de confiance. Celui qui veut être aimé
doit faire voir qu’il aime. Jésus-Christ s’est fait petit avec les petits et a
porté nos infirmités : voilà le maître de la familiarité. [...] »
Aimons nos jeunes, entourons-les de nos soins les plus attentifs; ne
pensons pas avoir fait tout notre devoir en leur donnant l’éducation néces-
saire en vue de l’état de vie qu’ils entendent embrasser; mais cherchons à
les unir à nous indissolublement par le lien de l’amour. Alors ils sentiront le
besoin irrésistible de nous ouvrir leur cœur, de nous partager leurs aspira-
tions, leurs projets d’avenir, d’avoir recours à nous pour obtenir des conseils
et du réconfort dans les difficultés et les luttes; ainsi nous deviendrons leurs
confidents et amis, et nous pourrons exercer une influence bénéfique sur
eux, tempérer leurs ardeurs excessives et raviver leurs énergies vacillantes
aux heures de découragement.
Tout cela, nous devons le faire non seulement envers les jeunes de
nos collèges, mais aussi envers ceux des oratoires festifs. Quiconque y a
travaillé, même sur une courte période, sait quels fruits consolants on peut
y obtenir grâce à la familiarité et à la confiance.

21.5 Page 205

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 203
9. Être dignes de notre père Don Bosco9
Le bronze et le marbre, éléments froids et inertes au plus haut point,
sont très souvent froids et inertes, même lorsqu’ils servent à reproduire les
grands hommes ou les grands faits de l’histoire, mais ce n’est pas le cas
pour Don Bosco. Ce bronze et ce marbre ne sont pas des éléments inertes,
froids et sans vie: non! Grâce à l’art et au souffle inexplicable qui s’en
dégage, ils prennent des allures vitales; et l’amour et la gratitude qui les ont
sculptés impriment des énergies nouvelles, et je dirais mystérieuses, qui
en font un symbole éternellement vivant: le symbole de l’amour des âmes!
« Pone me ut signaculum... quia fortis est ut mors dilectio », dit le
Cantique inspiré (Ct8, 6): « Mettez-moi comme un symbole... parce que
l’amour est fort comme la mort! » Et ici ce sont deux amours qui sont
symbolisés et, pour cette même raison, éternisés: l’amour du père pour
ses fils, et l’amour des fils pour leur père, dans l’expression d’une recon-
naissance impérissable; amours forts, indestructibles et immuables, qui
devaient être inscrits dans le matériau le plus résistant aux forces destruc-
trices du temps, quia fortis est ut mors dilectio!
Cette couronne d’enfants qui entoure Don Bosco, et qui constitue le
groupe central du monument, est l’expression plastique de ces deux amours,
et il me semble qu’une voix sort du milieu de ce groupe pour répéter la
devise qui fut pour Don Bosco tout un programme: « Da mihi animas! »
Et les âmes entendent la voix paternelle, elles accourent assoiffées de bien,
elles se serrent autour de leur père, qui les guide à la vie, vers la vraie vie,
qui est la foi!
Tout le monument est une synthèse grandiose de l’œuvre de Don Bosco.
Et c’est ici qu’à partir d’un simple coup d’œil, mon esprit se remplit de
souvenirs. La Divine Providence a voulu, pour mon bien, que je fusse moi
aussi un membre de cette heureuse troupe, qui fut la première autour de
Don Bosco, s’attachant à lui d’une manière irrévocable. Dieu a voulu me
compter parmi les premiers fils d’un tel père, et c’est pour cela que je vois
en esprit toute une vie, toute une histoire, et, je dirais, toute une grandiose
épopée gravée dans ce monument. Je dis épopée, parce que dans la vie
et dans l’histoire de Don Bosco l’élément humain est si intimement lié
à l’élément divin que sa vie et son histoire relèvent plus du divin que de
l’humain.
9 Lettre circulaire sur Le monument de Don Bosco, symbole d’amour et synthèse de
notre œuvre (24 juin 1920), in LC 322-324.

21.6 Page 206

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204 Troisième Section
Je ne vais pas vous répéter ici les pages immortelles de cette histoire:
vous les connaissez tous, vous en êtes même une partie vivante et active,
parce que vous perpétuez Don Bosco et son action bienfaisante au milieu de
la jeunesse de notre temps. Je me dispenserai également de vous décrire les
journées inoubliables des Congrès Internationaux des Coopérateurs et des
Anciens élèves salésiens, et de l’inauguration du monument à Don Bosco
et de la solennité de Marie Auxiliatrice. Notre Bulletin vous apportera la
chronique de ces journées, qui resteront mémorables dans l’histoire de
notre Pieuse Société.
Je vous dirai seulement que durant ces journées, il n’y a eu autour de
Don Bosco aucune voix discordante, aucun mouvement déplacé, et cela
non seulement parmi ses intimes, mais chez tous, sans exception, des plus
grands aux plus humbles, et même parmi les adeptes de principes et de
théories opposées. Ce fut le cas en tous, de la part de tout le monde, car
on acclamait de toute part le grand bienfaiteur de l’humanité. Chacun,
semblait-il, éprouvait en soi l’influence bénéfique et la puissante attraction
de son esprit de bonté et d’amour, et se sentait porté à se serrer autour de
lui en forme de couronne, comme ce groupe d’enfants qui l’entoure dans
le monument.
Il y a de quoi être fiers d’être les fils de Don Bosco! Quel contraste
douloureux nous constatons encore aujourd’hui entre cette humanité qui
souffre et languit, presque à bout de force après l’énorme fléau qui l’a
frappée (la Première Guerre mondiale), et qui, presque partout, se débat,
se déchire et se tord dans une haine partisane, et l’atmosphère de paix,
d’amour et d’harmonie, qui entourait tous les fils et les admirateurs de
Don Bosco, venus du monde entier pour l’honorer ! C’est pourquoi nous
sommes de plus en plus convaincus que notre vénérable père a été envoyé
par Dieu pour régénérer la société d’aujourd’hui en la ramenant aux sources
pures de l’amour et de la paix chrétienne.
Nous sommes ses fils, et étant ses fils, nous sommes aussi les héritiers
de ce dépôt sacré qui ne doit pas devenir stérile par notre faute; et pour nous
montrer dignes d’être ses fils et à la hauteur de notre tâche dans le temps
présent, nous devons avant tout demeurer fermes dans notre vocation:
Unusquisque in qua vocatione vocatus est in ea permaneat (1 Cor 7,20).
De même que le bronze et le marbre du monument résistent à l’action
dissolvante de tout élément adverse, tenons bon, nous aussi, face aux diffi-
cultés et aux influences malsaines qui tendraient à nous séparer de notre
père.
D’autre part, tout en restant fidèles à notre vocation, essayons de la

21.7 Page 207

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 205
perfectionner, afin que nous puissions marcher d’une manière digne d’elle,
ut digne ambuletis vocatione, qua vocatis estis (Ep 4, 1). Ayons toujours à
l’esprit le programme de Don Bosco: Da mihi animas, prêts à sacrifier tout
notre être à cette cause, à commencer par nos vues particulières : caressées
ou suivies, même sous l’apparence d’un plus grand bien, celles-ci pour-
raient devenir, même inconsciemment, une force de désintégration plutôt
qu’un élément d’union.
Et pour sauver ces âmes et nous perfectionner dans notre vocation,
revêtons-nous de l’esprit de notre vénérable père : esprit de foi, esprit de
piété, esprit de sacrifice et de travail constant et infatigable. C’est en nous
formant à l’esprit de Don Bosco que nous pourrons œuvrer comme Don
Bosco et obtenir, dans notre travail d’éducateurs, ces merveilleux fruits de
régénération spirituelle que Don Bosco a obtenus.
Mais pour cela, il faut connaître Don Bosco. Il faut dire malheureu-
sement qu’il y en beaucoup, y compris parmi nous, qui ne parlent de Don
Bosco que par ouï-dire ; d’où le besoin véritable et urgent de lire sa vie
avec un grand amour, de suivre ses enseignements avec un vif intérêt, et
d’imiter ses exemples avec une affection filiale.
Il faudrait que chaque salésien sente constamment en lui une impulsion
profonde et efficace pour vivre sa vocation au point de mériter un monument,
comme l’a mérité notre père. L’idéal est trop élevé, dira quelqu’un. Mais
si élevé qu’il soit, cet idéal est vrai, et il est à la portée de tous, car c’est
le propre des fils de devenir semblables à leur père. S’il est vrai qu’on
n’érigera pas un monument pour chacun de nous, nous aurons été nous-
mêmes les sculpteurs et les bâtisseurs du monument indestructible de notre
sanctification en modelant toute notre vie sur les vertus de Don Bosco.
10. Don Bosco notre modèle10
De même que Don Bosco a suivi les traces du doux François de Sales
pour être plus sûr de copier en lui le modèle divin, et qu’il l’a choisi ensuite
comme patron de l’œuvre, ainsi devons-nous, à notre tour, faire de notre bon
père le modèle unique de notre vie religieuse, bien convaincus qu’en faisant
cela, nous reproduirons parfaitement en nous le Divin Exemplaire de toute
10 Lettre circulaire sur Don Bosco notre modèle dans l’acquisition de la perfection
religieuse, dans l’éducation et la sanctification des jeunes, dans les relations avec
le prochain et dans l’art de faire le bien à tous (18 octobre 1920), in LC 330-335.

21.8 Page 208

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206 Troisième Section
sainteté. Faisons donc de Don Bosco notre modèle, et efforçons-nous de le
reproduire en nous à la perfection, pour le faire revivre, toujours fécond en
énergies nouvelles dans l’apostolat de son œuvre rédemptrice en faveur de
la jeunesse pauvre et abandonnée. [...]
Cependant, je voudrais vous faire remarquer, chers fils et confrères,
que ce que j’écrirai sera très peu de chose par rapport à l’immensité du
sujet. Celui-ci embrasse en fait toute la vie de Don Bosco et l’esprit qu’il a
imprimé à son œuvre, si variée et si multiforme. Il me semble cependant
que je peux vous en parler un peu en connaissance de cause, puisque j’ap-
partiens moi aussi au groupe des privilégiés qui doivent tout ce qu’ils sont à
Don Bosco, de ceux qui l’ont vu de leurs yeux et écouté avec leurs oreilles:
vidimus oculis nostris, audivimus, perspeximus et manus nostrae contrec-
taverunt (1 Jn 1, 1). Et je vous assure que j’écris tout cela avec une joie
ineffable et avec la plus profonde conviction de vous dire seulement les
choses que j’ai observées et écoutées et que je garde jalousement dans mon
cœur. [...]
Quand j’ai eu la chance d’être accueilli à l’Oratoire le 18 octobre 1858, il
y avait déjà trois lustres que notre vénérable père exerçait son apostolat ici
à Valdocco, avec un merveilleux développement d’initiatives et d’œuvres
géniales et fécondes en faveur de la jeunesse, au point que la renommée
publique le proclamait dès lors l’apôtre moderne de la jeunesse pauvre et
abandonnée. J’ai vécu cinq ans avec le bon père, respirant presque son
âme, car on peut dire sans exagération que nous, les jeunes de l’époque,
nous vivions dès lors entièrement de sa vie, lui qui possédait à un degré
éminent les vertus conquérantes et transformatrices des cœurs.
Même les cinq années successives que j’ai passées dans le premier
collège de Borgo San Martino, furent en quelque sorte une continuation
de la cohabitation avec lui, car cette maison formait presque une seule
famille avec l’Oratoire: nous vivions séparés matériellement mais non pas
en esprit, car Don Bosco était toujours l’âme de tout et de tous.
Puis je suis revenu ici, l’année de la consécration du sanctuaire de
Marie Auxiliatrice, et pendant quatre ans j’ai pu jouir de nouveau de son
intimité et puiser dans son grand cœur ses précieux enseignements, qui
étaient d’autant plus efficaces que nous les voyions pratiqués par lui, dans
sa conduite quotidienne.
C’est durant ces années-là surtout, et même plus tard, quand j’avais la
bonne fortune d’être avec lui ou de l’accompagner dans ses voyages, que
j’acquis la conviction que la seule chose nécessaire pour devenir son digne
fils était de l’imiter en tout. C’est pourquoi, à l’exemple de beaucoup de

21.9 Page 209

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 207
confrères plus âgés, qui reproduisaient déjà en eux la façon de penser, de
parler et d’agir de leur père, je m’efforçai d’en faire autant.
Et aujourd’hui, après plus d’un demi-siècle, je vous répète à vous aussi,
qui êtes ses fils comme moi, et qui avez été confiés à moi, comme à un fils
aîné : imitons Don Bosco dans l’acquisition de notre perfection religieuse,
dans l’éducation et la sanctification de la jeunesse, dans les relations avec
le prochain, dans le souci de faire du bien à tous.
Avoir été appelés à faire partie de la Congrégation fondée par Don
Bosco pour continuer son œuvre dans les temps futurs a été pour nous tous
une grâce éminente du Seigneur ; dans sa grande bonté, il a voulu nous
enlever à la vie des simples chrétiens et nous appeler à embrasser l’état de
perfection, qui a pour base la pratique des conseils évangéliques.
Aussi devons-nous tendre de toutes nos forces à l’acquisition progressive
de la perfection propre à notre état, telle qu’elle est définie dans la Règle
que nous avons professée. Cette Règle doit être la norme et la mesure de
notre sainteté; et nous devons l’aimer, mes très chers fils, avec le même
amour que nous portons à Don Bosco, car elle est, j’ose le dire, l’essence
de son âme, ou du moins le fruit le plus précieux de son ardente charité et
de son aimable sainteté.
Qui peut compter les recherches, les prières, les mortifications, les
essais entrepris par notre bon père pendant qu’il la préparait et la pratiquait
personnellement? Qui peut énumérer les peines, les contrariétés et les diffi-
cultés de toute sorte qu’il a rencontrées et heureusement surmontées, pour
la faire approuver par l’autorité suprême de l’Église ?
Le germe de la Règle était au fond de son cœur depuis son enfance et
sa jeunesse, quand des songes mystérieux lui faisaient entrevoir sa future
mission; depuis le moment où, pour répondre à l’appel du Seigneur qui
l’invitait sensiblement à l’état de perfection, il projetait d’entrer dans un
ordre religieux; depuis le temps où, au début de sa mission, il entrevoyait
dans ses nombreuses visions une mission immense et interminable dans
les siècles à venir. Mais il avait bien compris que tout cela ne pourrait pas
se réaliser s’il n’avait pas incarné, pour ainsi dire, cette mission dans un
corps moral spécialement constitué dans l’Église pour la préserver et la
propager de génération en génération.
Ceux qui sont poussés par la force d’en haut à réaliser un nouvel apostolat
répondant aux besoins spirituels de la société chrétienne de leur temps,
commencent généralement à vivre pendant des années dans la solitude et
dans la prière, avant de préparer la Règle à pratiquer; puis, ayant cherché
les premiers compagnons, ils se consacrent avec eux à l’apostolat entrevu

21.10 Page 210

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208 Troisième Section
comme le but que le Seigneur leur a assigné, dans l’observance de la Règle
adoptée.
Notre vénérable fondateur, au contraire, se mit aussitôt à l’œuvre, dès
qu’il sut clairement que c’était la volonté de Dieu qu’il devienne l’apôtre de
la jeunesse pauvre et abandonnée, et que dans cet apostolat il réaliserait
sa propre sanctification; la Règle et les compagnons viendraient ensuite,
comme le fruit de la plante. Il voulut avant tout accomplir lui-même ce
qu’il demanderait plus tard à ses fils: vivre sa Règle avant de l’écrire et de
la faire approuver par l’Église.
Les fondateurs des institutions religieuses pensent en premier lieu à
la sanctification personnelle, et après seulement à l’apostolat au profit
des autres; celui, par conséquent, qui veut embrasser l’institut doit avant
tout consacrer plusieurs années à se sanctifier. Et c’est là une chose tout
à fait raisonnable, car personne ne peut donner ce qu’il n’a pas. Quant à
Don Bosco – tout en conservant l’idée fondamentale que la sanctification
personnelle doit précéder l’apostolat – il a vu les choses différemment :
grâce à sa fine intuition des temps nouveaux et de l’esprit moderne, et par
son refus de certaines médiocrités non essentielles à la réalisation de son
objectif, il comprit qu’avec un peu de bonne volonté on pouvait faire aller
de pair la sanctification personnelle et l’apostolat.
Il fut le premier à en faire l’expérience, puis il disposa que ses fils fassent
de même, donnant même à l’apostolat une telle préférence que les observa-
teurs superficiels pouvaient croire qu’il avait formé une société de prêtres
zélés et de volontaires laïcs dans le seul but de se consacrer à l’éducation
de la jeunesse.
Et il peut sembler que le premier article de nos Constitutions insinue
également la même chose, car on y lit que le but premier de la sanctifi-
cation personnelle n’est déclaré qu’au moyen d’une proposition secondaire:
« les membres, tout en s’efforçant d’acquérir la perfection chrétienne,
exerceront toute œuvre de charité, etc. »
Notre Règle, comme la vie de notre Fondateur, promeut simultanément
la sanctification personnelle et l’apostolat ; elle fait même de l’apostolat,
en un certain sens, la cause efficiente de la perfection religieuse, en ce
sens que celui qui se consacre à l’apostolat salésien doit nécessairement
confirmer au moyen de son exemple l’enseignement qu’il transmet et les
vertus qu’il inculque. Quiconque ne ressent pas un tel besoin ne peut pas
être un apôtre, car l’apôtre n’est rien d’autre qu’une effusion continue de
vertus sanctifiantes pour le salut des âmes. Tout apostolat qui ne vise pas
cette effusion sanctificatrice ne mérite pas un nom si glorieux.

22 Pages 211-220

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22.1 Page 211

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 209
Or, toute la vie de notre vénérable père a été un apostolat incessant,
extrêmement actif; et en même temps il s’adonnait avec ardeur à l’acqui-
sition de la perfection, au point qu’on ne saurait dire s’il pensait plus à
celle-ci ou à faire du bien à ses chers jeunes: en lui, la perfection religieuse
et l’apostolat étaient une seule chose, toute sa vie durant!
Plus nous étudierons, chers confrères, cette vie bénie et merveilleuse,
mieux nous nous convaincrons que, pour être ses vrais fils, nous devons
travailler comme lui notre perfection religieuse en exerçant l’apostolat le
plus actif et le plus fécond, tel qu’il nous est imposé par notre vocation.
L’observance pure et simple de la Règle ne suffirait pas à nous sanctifier,
si elle n’est pas vivifiée par l’imitation assidue de ce qu’a fait notre bon
père. Tout ce que la Règle détermine quant au but, à la forme, aux vœux,
au gouvernement religieux et interne de notre Société, est contenu dans des
articles si généraux que tout cela pourrait très bien s’appliquer également à
d’autres Congrégations similaires.
Si donc nous nous contentions de l’observance légale de ces articles,
nous réussirions en effet à façonner un beau corps, mais sans âme. Celle-ci,
c’est-à-dire l’esprit qui doit informer le corps, nous devons le puiser dans
les exemples de notre fondateur.
Nous devons, chers confrères, être comme lui des ouvriers infatigables
dans le champ qui nous a été confié, des initiateurs féconds des œuvres les
plus appropriées et les plus opportunes pour le plus grand bien de la jeunesse
de tous les pays, afin que notre Congrégation conserve le primat de la saine
modernité qui lui est propre, mais n’oublions jamais que tout cela ne nous
donnerait pas encore le droit de nous proclamer les vrais fils de Don Bosco:
pour être tels, nous devons grandir chaque jour dans la perfection propre à
notre vocation salésienne, en nous efforçant de tout notre pouvoir de copier
l’esprit de vie intérieure de notre vénérable fondateur.
À son exemple, familiarisons-nous, dans nos occupations, avec
quelques-unes des nombreuses expressions qui fleurissaient spontanément
sur ses lèvres, véritables voix de son cœur, dont le son me semble encore
aujourd’hui une très douce caresse: « Travaillons toujours pour le Seigneur!
– Dans le travail levons toujours les yeux vers Dieu! – Que le démon ne nous
vole jamais le mérite d’aucune action. – Courage! Travaillons, travaillons
toujours, parce que là-haut nous aurons un repos éternel. – Travaille,
souffre pour l’amour de Jésus-Christ qui a tant travaillé et souffert pour toi.
– Nous nous reposerons ensuite au Paradis! – Un coin de paradis arrange
tout. – Nous prendrons nos vacances au paradis! etc. »
Le travail et le paradis étaient pour lui inséparables; et dans ses derniers

22.2 Page 212

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210 Troisième Section
souvenirs il laissa cette déclaration: « Quand il arrivera qu’un Salésien
cessera de vivre en travaillant pour les âmes, alors vous direz que la
Congrégation a remporté un grand triomphe, et les bénédictions du Ciel
descendront sur elle en abondance! »
11. Jetons-nous dans les bras de Dieu11
Le concept animateur de toute sa vie était de travailler pour les âmes
jusqu’à l’immolation totale de lui-même, et c’est ce qu’il voulait pour ses
fils. Mais ce travail il l’accomplissait toujours calmement, toujours égal à
lui-même, toujours imperturbable, dans les joies comme dans les peines,
car, depuis le jour où il fut appelé à l’apostolat, il s’était jeté dans les bras
de Dieu! Si le devoir de travailler toujours jusqu’à la mort est le premier
article du code salésien, écrit par Don Bosco plus avec l’exemple qu’avec la
plume, son acte le plus parfait a été de se jeter dans les bras de Dieu et de ne
jamais plus s’en éloigner. Il l’a fait quotidiennement, et nous devons l’imiter
le mieux possible, pour sanctifier notre travail et notre âme.
Se jeter dans les bras de Dieu est l’acte premier et le plus naturel de toute
âme, dès que son intelligence s’ouvre à la connaissance de son Créateur.
Mais si toutes les âmes sentent cette poussée initiale vers Dieu, toutes
ne savent pas y correspondre généreusement. La plupart d’entre elles se
laissent dissiper par l’attrait des choses extérieures auxquelles elles s’ac-
crochent comme à leur fin, ou du moins comme moyen indispensable pour
arriver lentement jusqu’à Dieu.
Notre vénérable père, au contraire, s’est lancé en Dieu dès sa petite
enfance, puis, pour le reste de sa vie, il n’a fait qu’accroître cet élan initial
jusqu’à atteindre l’union intime habituelle avec Dieu au milieu d’occupa-
tions ininterrompues et très disparates: union dont témoignait son inalté-
rable égalité d’humeur, qui transparaissait de son visage invariablement
souriant.
Chaque fois que nous nous adressions à lui pour un conseil, il semblait
interrompre ses entretiens avec Dieu pour nous écouter, et nous avions
l’impression que les pensées et les encouragements qu’il nous donnait
étaient inspirés par Dieu.
11 Lettre circulaire sur Don Bosco notre modèle dans l’acquisition de la perfection
religieuse, dans l’éducation et la sanctification des jeunes, dans les relations avec
le prochain et dans l’art de faire du bien à tous (18 octobre 1920), in LC 335-338.

22.3 Page 213

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 211
Cette union intime imprimait à ses paroles un accent tellement parti-
culier qu’après l’avoir écouté quelques instants, on se sentait meilleur et
élevé jusqu’à Dieu, même quand (ce qui était rare) il n’avait pas terminé
ses propos sur la pensée de Dieu ou de ses bienfaits. L’ardeur de son amour
pour Dieu était si forte qu’il ne pouvait s’empêcher d’en parler; souvent elle
transparaissait même à travers l’expression du visage et le tremblement des
lèvres.
Jetons-nous avec confiance, chers confrères, dans les bras de Dieu,
comme l’a fait notre bon père; alors nous sentirons, nous aussi, la douce
nécessité de parler de lui, et nous ne saurons plus parler sans commencer
ou terminer avec lui.
Alors non seulement nos pensées et nos paroles, mais aussi nos actions
se ressentiront un peu de ce feu de l’amour divin, pour la salutaire édifi-
cation du prochain; alors surtout, les exercices ordinaires de perfection reli-
gieuse nous paraîtront tout naturels, comme ils l’étaient pour Don Bosco, et
nous prendrons bien soin de n’en négliger aucun.
D’autres utilisent ces exercices comme des moyens pour atteindre
la perfection; nous, fils de Don Bosco, nous devons les pratiquer à son
exemple comme des actes naturels du divin amour, qui est déjà vivant
en nous, pour être jetés entièrement et amoureusement dans les bras de
Dieu. Pour nous, ces exercices ne seront pas le bois qui sert à allumer et à
alimenter le feu divin dans nos cœurs, mais les flammes mêmes de ce feu.
Jetons-nous dans les bras de Dieu, et nous réussirons facilement à nous
éloigner du péché et à éradiquer de notre cœur toutes les mauvaises incli-
nations et habitudes, supprimant ainsi les obstacles les plus graves à la
perfection religieuse.
Nous le connaîtrons et nous l’aimerons de plus en plus en pratiquant sa
sainte loi et les conseils évangéliques; nous nous attacherons plus étroi-
tement à Lui par la prière et le recueillement de l’esprit, en travaillant
sans cesse à réaliser en nous le volo placere Deo in omnibus, en nous
conformant à sa sainte volonté.
Alors, par l’exercice assidu des vertus propres à notre état, il ne nous
sera pas difficile d’orienter continuellement notre cœur et notre esprit vers
Dieu, qui deviendra ainsi le but direct de nos actions.
Et nous serons, comme notre bon père, soumis au vouloir divin toujours
et en toute circonstance de la vie. Dans les plus grands malheurs et tribu-
lations, il ne laissait jamais échapper un mot de plainte, ni ne se montrait
triste, peureux, anxieux, mais avec un visage joyeux et avec une douce
parole il donnait du courage aux autres: « Sicut Domino placuit... sit nomen

22.4 Page 214

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212 Troisième Section
Domini benedictum! Que rien ne te trouble: celui qui a Dieu a tout. Le
Seigneur est le maître de la maison, moi je suis l’humble serviteur. Ce qui
plaît au maître doit me plaire aussi à moi. Combien de fois j’ai été témoin
de cette totale soumission aux dispositions divines!
Nous posséderons, nous aussi, comme lui, un grand recueillement
dans la prière. Quand nous le voyions prier, nous restions comme ravis et
presque extasiés. Il n’y avait en lui rien d’affecté, rien de singulier; mais
quiconque était proche de lui et l’observait ne pouvait s’empêcher de bien
prier comme lui, car on voyait sur son visage une splendeur inhabituelle,
reflet de sa foi vivante et de son ardent amour de Dieu.
Lorsqu’il priait avec nous (oh! le souvenir ineffable qui remplit encore
mon cœur de douceur!), sa voix se détachait au milieu des nôtres, si harmo-
nieuse et avec un ton si singulier, qu’elle nous attendrissait et nous incitait
fortement à prier avec plus d’ardeur. Je n’oublierai jamais l’impression que
je ressentais en le voyant donner la bénédiction de Marie Auxiliatrice aux
malades. Pendant qu’il récitait l’Ave Maria et les paroles de la bénédiction,
on aurait dit que son visage se transfigurait: ses yeux se remplissaient de
larmes et sa voix tremblait sur ses lèvres. C’étaient pour moi des indications
que virtus de illo exibat (Lc 6, 19); aussi n’étais-je pas surpris des effets
miraculeux qui s’ensuivaient, c’est-à-dire si les affligés étaient consolés et
les malades guéris. [...]
12. Comment Don Bosco nous aimait12
Nous devons, en second lieu, imiter Don Bosco dans l’éducation et
la sanctification de la jeunesse. Étant donné qu’en lui l’apostolat et la
perfection religieuse furent, comme il a été dit ci-dessus, deux actes simul-
tanés et presque fondus en un seul, il arrive souvent qu’en l’imitant, on
donne la première place à l’apostolat parmi les jeunes, parce que c’est ce
qui saute le plus aux yeux.
Mais ne l’oublions pas: la perfection religieuse est le fondement de
l’apostolat, et s’il manque le fondement, notre édifice éducatif sera ruiné
à la première tempête. Qui sait si l’un de vous, chers confrères, n’a pas
déjà eu à se poser parfois cette question: « Pourquoi est-ce que je récolte
12 Lettre circulaire sur Don Bosco notre modèle dans l’acquisition de la perfection
religieuse, dans l’éducation et la sanctification des jeunes, dans les relations avec
le prochain et dans l’art de faire le bien à tous (18 octobre 1920), in LC 340-346.

22.5 Page 215

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 213
si peu de fruits, alors que je me fatigue jour et nuit pour bien éduquer les
jeunes qui me sont confiés? Dans les études, à force d’insister, cela va
encore bien; mais je ne réussis pas à former leur caractère ni à cultiver
de bonnes vocations; et mes jeunes, avant même d’avoir terminé leurs
études, oublient facilement dans le monde les bons principes que je leur ai
inculqués! Pourquoi? »
Je pense que la réponse se trouve dans ces lignes. Le grand succès de
Don Bosco dans l’éducation des jeunes doit être attribué plus à la sainteté
de sa vie qu’à l’intensité de son travail ou à la sagesse de ses enseignements
et de son système éducatif.
À partir de là, je dirai que pour reproduire l’apostolat de notre père
parmi les jeunes, il ne suffit pas de ressentir pour eux une certaine attirance
naturelle, mais il faut vraiment les aimer d’un amour de prédilection. Cette
prédilection, au stade initial, est un don de Dieu, c’est la vocation salé-
sienne elle-même; mais il revient à notre intelligence et à notre cœur de la
développer et de la perfectionner.
L’intelligence réfléchit sur le ministère reçu dans le Seigneur, afin de
pouvoir l’accomplir convenablement: vide ministerium quod accepisti
in Domino, ut illud impleas (Col 6, 17). Elle réfléchit à la grandeur du
ministère chargé d’instruire la jeunesse et de la former à la vraie et solide
vertu, c’est-à-dire d’extraire de l’enfant l’homme plénier, comme l’artiste
extrait la statue du bloc de marbre ; de faire passer les jeunes d’un état
d’infériorité intellectuelle et morale à un état supérieur ; de former en eux
aussi l’esprit, le cœur, la volonté et la conscience au moyen de la piété,
de l’humilité, de la douceur, de la force, de la justice, de l’abnégation, du
zèle et de l’édification, en greffant tout cela insensiblement en eux aussi
grâce à notre exemple. Bref, dans cette lumière de l’apostolat des jeunes,
l’intelligence découvre, médite et comprend toute la beauté de la pédagogie
céleste de Don Bosco, et en enflamme le cœur pour qu’il puisse la pratiquer
en aimant, en attirant, en conquérant et en transformant.
La prédilection est perfection d’amour et c’est donc avant tout dans le
cœur qu’elle se forme et se forme en aimant. Il nous faut, chers confrères,
aimer les jeunes que la Providence confie à nos soins, comme Don Bosco
savait les aimer. Je ne vous dis pas que c’est facile, mais c’est là que réside
tout le secret de la vitalité expansive de notre Congrégation.
Mais il faut dire que Don Bosco avait pour nous une prédilection unique,
tout à fait spéciale, qui provoquait en nous une attraction irrésistible. La
langue ne trouve pas les mots pour la faire comprendre à ceux qui ne l’ont
pas expérimentée, et même l’imagination la plus vive ne peut la représenter

22.6 Page 216

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214 Troisième Section
de manière juste.
Aujourd’hui, j’ai l’impression de sentir encore toute la douceur et la
suavité de cette prédilection qu’il avait pour moi quand j’étais jeune. J’avais
la sensation d’être prisonnier d’une force affective qui nourrissait mes
pensées, mes paroles et mes actions, mais je ne saurais mieux décrire mon
état d’esprit, qui était aussi, je pense, celui de mes compagnons d’alors...
Je me sentais aimé d’un amour que je n’avais jamais connu auparavant et
qui n’était même pas comparable au grand amour que me portaient mes
inoubliables parents.
L’amour de Don Bosco pour nous était quelque chose de singulièrement
supérieur à toute autre affection: il nous enveloppait, tous et entièrement,
comme dans une atmosphère de contentement et de bonheur, d’où étaient
bannies les peines, les tristesses, les mélancolies ; il nous pénétrait corps et
âme, si bien qu’on ne pensait plus ni à l’un ni à l’autre ; nous étions sûrs que
le bon père y pensait, et cette pensée nous rendait parfaitement heureux.
Oh! c’était son amour qui attirait, conquérait et transformait nos cœurs!
Ce qui est dit à ce sujet dans sa biographie est bien peu de chose par rapport
à la réalité. Tout en lui avait pour nous un attrait puissant: son regard
pénétrant et parfois plus efficace qu’un sermon; le simple mouvement de
la tête; le sourire qui fleurissait toujours sur ses lèvres, toujours nouveau,
très varié et pourtant toujours calme; la flexion de la bouche, comme quand
on veut parler sans prononcer les mots; les mots eux-mêmes prononcés
selon une certaine cadence; l’allure de sa personne et sa démarche vive et
dégagée. Tout cela agissait sur nos jeunes cœurs comme un aimant auquel
il était impossible de se soustraire, et même si nous l’avions pu, nous ne
l’aurions pas fait pour tout l’or du monde, tant nous étions heureux de
son extraordinaire ascendant sur nous, qui chez lui était la chose la plus
naturelle du monde, sans nulle recherche ni effort.
Et il ne pouvait en être autrement, car de chacune de ses paroles et de ses
actions émanait la sainteté de son union à Dieu, qui est la charité parfaite.
Il nous attirait à lui par la plénitude de l’amour surnaturel qui enflammait
son cœur et dont les flammes absorbaient, en les unissant aux siennes, les
petites étincelles du même amour allumées dans nos cœurs par la main de
Dieu. Nous étions à lui, car en chacun de nous il y avait la certitude qu’il
était vraiment l’homme de Dieu, homo Dei, dans le sens le plus expressif
et le plus large de l’expression.
De cette singulière attraction partait le travail de conquête de nos
cœurs. Il arrive parfois que l’attraction résulte de simples qualités natu-
relles d’esprit et de cœur, ou de manières et de comportements qui attirent

22.7 Page 217

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 215
la sympathie à l’égard de celui qui les possède. Mais une telle attirance
s’estompe au bout d’un certain temps et tend à disparaître, cédant parfois
la place à des aversions et à des contrastes inexplicables.
Ce n’était pas ainsi que Don Bosco nous attirait: en lui les nombreux
dons naturels devenaient surnaturels par la sainteté de sa vie, et c’est dans
cette sainteté que résidait tout le secret de cette attirance qui conquérait les
cœurs et les transformait.
Et dès qu’il arrivait à conquérir nos cœurs, il les modelait comme il
voulait avec son système (entièrement propre à lui dans la manière de le
pratiquer), qu’il voulut appeler préventif, par opposition au répressif. Mais
ce système – il le déclarait lui-même dans les dernières années de sa vie
mortelle – n’était rien d’autre que la charité, c’est-à-dire l’amour de Dieu
qui se dilate pour embrasser toutes les créatures humaines, en particulier
les plus jeunes et les plus inexpérimentées, pour leur inculquer la sainte
crainte de Dieu.
Oh! notre bon père est toujours allé de l’avant (et il le reconnaissait
lui-même avec simplicité) comme le Seigneur l’inspirait et comme les
circonstances l’exigeaient, mû uniquement par son ardent désir de sauver
les âmes et d’infuser dans les cœurs la sainte crainte de Dieu!
Toute sa pédagogie est inspirée par le Seigneur et constitue donc notre
héritage le plus précieux. Mais je vous dis, chers confrères, qu’elle peut
se résumer en deux mots: charité et crainte de Dieu. D’abord la charité en
nous (et notez qu’en disant charité j’entends l’amour de Dieu et du prochain
porté à la perfection voulue par notre vocation), puis l’utilisation de tous
les moyens – et ils sont sans nombre – et de toutes les saintes inventions
que la charité est toujours capable d’imaginer pour infuser dans les cœurs
la sainte crainte de Dieu.
Méditez le plus sérieusement possible cette Magna Charta de notre
Congrégation qu’est le système préventif, analysez-la le plus minutieu-
sement que vous pourrez : elle fait appel à la raison, à la religion et à
l’affection, mais en dernière analyse, vous devrez convenir avec moi que
tout se résume à infuser dans les cœurs la sainte crainte de Dieu ; je dis
infuser, c’est-à-dire l’enraciner de telle sorte qu’elle y reste toujours, même
au milieu du déchaînement des tempêtes et des ouragans des passions et
des vicissitudes humaines.
C’est ce que fit notre vénérable père durant toute sa vie, c’est le but
qu’il veut indiquer à ses fils dans la pratique du système préventif. Tous
ses efforts, tous ses soins plus que maternels ne visaient directement qu’à
empêcher l’offense de Dieu et à nous faire vivre en sa présence, comme si

22.8 Page 218

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216 Troisième Section
nous l’avions réellement vu de nos yeux.
Dieu te voit, c’était le mot mystérieux qu’il chuchotait fréquemment aux
oreilles de beaucoup ; Dieu te voit, répétaient ici et là les inscriptions sur les
murs; Dieu te voit était, pourrions-nous dire, le seul moyen coercitif de son
système pour obtenir la discipline, l’ordre, l’application à l’étude, l’amour
du travail, la fuite des dangers et des mauvaises compagnies, le recueil-
lement dans la prière, la fréquentation des sacrements, la joie bruyante et
expansive dans les récréations et les divertissements.
Au thème de la présence de Dieu il ajoutait celui du salut de l’âme.
Sauver les âmes fut le mot d’ordre qu’il voulait imprimer sur les armoiries
de sa Congrégation, et ce fut, on peut le dire, son unique raison d’être: il
s’agissait d’abord de sauver son âme et ensuite celle des autres. L’aider à
sauver notre âme était le cadeau le plus précieux que nous pouvions lui
faire ; c’était la grâce, la faveur qu’il nous demandait au moyen d’insi-
nuations ineffables, parce que son unique aspiration, le seul but de son
apostolat au milieu de nous, était de conduire toutes nos âmes au paradis
pour voir Dieu face à face.
Mais ces trois pensées, il nous les communiquait avec une telle douceur
et suavité qu’on ne pouvait manquer d’être pénétré de ses propres senti-
ments. Même les plus réfractaires en recevaient une impression salutaire,
qui produisait plus tard des regrets émouvants, avec un repentir sincère
et un retour au bien, comme j’ai souvent pu le toucher du doigt, avec une
immense consolation de ma part, même pendant ces années de rectorat.
Nous aussi, chers confrères, nous devons viser avant toute autre chose
à inculquer ces trois vérités à nos jeunes, de telle sorte qu’elles remontent
facilement à leur mémoire, même sans que nous en fassions le sujet précis
de nos propos.
D’autre part, nous ne devons pas avoir peur d’en parler fréquemment,
surtout dans les conversations familières en récréation, et dans les conver-
sations individuelles et plus intimes, parfois nécessaires pour pouvoir
mieux former une âme.
Si nous ne sommes pas sur nos gardes, il y a fort à craindre que certains
d’entre nous, bien qu’animés d’une excellente volonté de faire le bien, ne
sauront pas mener à bien cette partie principale et essentielle de notre
éducation salésienne.
Il y a le danger qu’ils se laissent trop emporter par la passion pour
les études classiques ou professionnelles, ou par les jeux et les sociétés
sportives, et qu’ils réduisent la formation spirituelle des jeunes à une
instruction religieuse occasionnelle, inconstante, et donc ni convaincante

22.9 Page 219

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 217
ni durable, et à quelques pratiques de piété quotidiennes et dominicales
expédiées en toute hâte et par habitude, comme pour se débarrasser d’une
corvée ou d’un fardeau.
Non pas qu’il faille multiplier les pratiques de piété: celles-ci ne doivent
être ni plus ni moins que celles qui sont prescrites, mais il faut veiller à ce
qu’elles soient animées de cette profonde conviction que l’on n’obtient que
quand on réussit à les faire estimer et aimer des jeunes, comme Don Bosco
savait le faire.
Ne veuillez pas croire que ce danger est très éloigné, ni le considérer
comme une pieuse exagération de la part de celui qui vous écrit. Oh non,
malheureusement! Il y a dans l’atmosphère que nous respirons aujourd’hui
la tendance à se contenter des apparences extérieures dans l’éducation de
nos jeunes, au point qu’on néglige facilement les mille tactiques que notre
Don Bosco utilisait pour inculquer dans les âmes une sainte horreur du
péché et une attraction singulière pour les choses spirituelles.
Mais notre méthode d’éducation ne consiste-t-elle pas avant tout à «
mettre les jeunes le plus possible dans l’impossibilité d’offenser Dieu »?
Or, ceci ne se fait pas en réprimant les désordres une fois qu’ils se sont
produits, parce qu’alors, disait Don Bosco, Dieu est déjà offensé; ni en
cherchant tous les moyens pour les prévenir, car il est moralement impos-
sible de les prévenir tous, même avec la vigilance la plus scrupuleuse.
On doit infuser dans le cœur des jeunes la crainte de Dieu, alimentée
par le grand désir du salut de l’âme. Ce n’est que par ce moyen qu’on peut
gagner et transformer réellement le cœur des jeunes; ce n’est qu’ainsi que
nous pourrons dire que chez nous on éduque et on sanctifie la jeunesse qui
afflue dans les oratoires festifs et quotidiens, dans les collèges, les internats
et les autres instituts que la Providence confie à nos soins au cours du
temps.
Ce point est la clé pour bien appliquer le système préventif. On le perd
peut-être un peu trop de vue, non par manque de bonne volonté, mais parce
qu’il concerne des choses qui transcendent le monde de nos sens ; ce sont
des choses qu’il faut d’abord sentir profondément en soi pour pouvoir les
communiquer efficacement aux autres.
Sans ce profond sens de la vie surnaturelle, en vain nous essaierons
d’être des professeurs talentueux, voire des spécialistes dans l’art d’en-
seigner; en vain nous assimilerons les enseignements et les maximes péda-
gogiques de notre vénérable père; en vain nous nous efforcerons de copier
et de reproduire en nous sa bonté condescendante et sa prudente fermeté.
Nous y réussirons peut-être en apparence, mais les fruits ne correspondront

22.10 Page 220

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218 Troisième Section
pas à nos peines: Hic labor, hoc opus est! (Voici le travail, voici la peine!).
Par conséquent, mes chers confrères, faisons en sorte que notre mission
éducative soit éminemment surnaturelle, comme celle de Don Bosco, et
nous trouverons le système préventif vraiment facile et fructueux, même
dans ses plus menus détails. C’est alors que règnera en nous et autour de
nous cette affection et cette familiarité tant inculquées par notre vénérable
fondateur dans la lettre-vision qu’il écrivit de Rome à tous ses enfants de
l’Oratoire, quatre ans avant de quitter cette terre.
13. La science nécessaire au salésien prêtre13
Ceux qui entrent dans notre Pieuse Société assument par le fait même
l’obligation de vivre selon l’esprit, les exemples et les enseignements de
son vénérable fondateur. Cependant, ce devoir n’oblige pas tout le monde
dans la même mesure: il incombe plus sérieusement aux supérieurs qu’aux
simples prêtres, et à ceux-ci plus qu’aux clercs et aux confrères laïcs.
Par conséquent, seul le prêtre salésien peut faire revivre Don Bosco
dans toute la plénitude de sa personnalité, car seul celui qui est prêtre peut
reproduire intégralement un autre prêtre. Mais, je le répète, en plus de cette
possibilité, il en a le strict devoir. Si les saints Pères de l’Église ont dit que
le prêtre doit être un autre Jésus-Christ: Sacerdos alter Christus, il me
semble que ce n’est pas trop vous demander en répétant à chacun de vous:
« Le prêtre salésien doit être en tout et toujours un autre Don Bosco! »
Et j’ajoute que pour atteindre cet objectif, il faut avant tout bien graver
dans notre esprit ce que disait notre bon père quand il parlait des prêtres:
– Le prêtre est toujours prêtre, et il doit se manifester comme tel à chaque
instant! [...]
Or, en disant: « Le prêtre est toujours prêtre, et il doit se manifester
comme tel à chaque instant », notre vénérable père voulait avant tout
que ses fils prêtres comprennent bien la grandeur et la sublimité de leur
caractère, de leurs fonctions, de leur pouvoir; car plus on connaît et on
estime la dignité dont on est revêtu, plus on aura soin d’en conserver la
splendeur intacte et pure. Croyez-moi, chers confrères, la première chose
que nous devons faire pour traduire la parole de notre fondateur dans
les faits, c’est de nous familiariser au moyen de la méditation, je dirais
13 Lettre circulaire Don Bosco modèle du Prêtre Salésien (19 mars 1921), in LC
388-400.

23 Pages 221-230

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23.1 Page 221

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 219
quotidienne, de la sublime dignité sacerdotale, non pas pour nous en enor-
gueillir, mais pour nous encourager à nous comporter d’une manière qui
soit digne d’elle. Répétons fréquemment à nous-mêmes les belles paroles
de saint Éphrem: « Quelle puissance ineffable, quelle profondeur dans le
redoutable et merveilleux sacerdoce de la nouvelle loi! – O potestas ineffa-
bilis! O quam magnam in se continet profunditatem formidabile et admi-
rabile sacerdotium! »
Cette considération assidue aura le mérite de produire peu à peu en
nous, mes chers prêtres, cette profonde et intime conviction de notre vraie
grandeur, absolument nécessaire surtout de nos jours [...], afin que nous ne
cessions jamais d’être prêtres, toujours prêtres à chaque instant, comme le
fut Don Bosco, comme le fut le vénérable Don Rua, comme le furent tant
de nos confrères qui nous ont déjà précédés dans la patrie bienheureuse.
Mais ce n’est là pour ainsi dire que le fond du tableau, la condition
préalable à la parfaite imitation de notre modèle; nous ne devons donc pas
nous limiter à cela, mais aussi nous livrer à une étude assidue et aimante
des traits moraux que nous devons reproduire en nous. [...]
Labia sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent ex ore eius.
C’est par ces mots que le prophète Malachie (Ml 2, 7) nous avertit que
l’une des qualités du prêtre est la science. Or, si cela est vrai pour tous
les prêtres en général, c’est particulièrement vrai pour ceux qui, comme
nous, se consacrent à l’éducation et à l’instruction de la jeunesse. Et comme
la science ne peut être acquise sans l’étude, il s’ensuit que nous devons
étudier. Oui, mes chers confrères, nous devons étudier, pour que la terrible
prophétie d’Osée (Os 4, 6) ne tombe pas sur nous: Quia tu scientiam
repulisti, repellam te, ne sacerdotio fungaris mihi: puisque tu as rejeté la
science, je te rejetterai de mon sacerdoce. [...]
Du point de vue moral et surnaturel, l’étude est nécessaire pour juger
de notre piété et pour soutenir notre apostolat au milieu des jeunes; et du
point de vue intellectuel, pour ne pas laisser nos facultés s’engourdir dans
l’inertie, pour compléter selon les besoins actuels notre première formation
intellectuelle reçue à l’école, et aussi pour nous mettre à l’abri des trahisons
de la mémoire et garder intact le trésor des connaissances acquises.
Nous devons nous adonner à l’étude avec sérieux et avec une volonté
forte et constante, en lui consacrant un temps fixe dans notre horaire jour-
nalier selon les possibilités et les exigences de notre fonction, et non pas
seulement les moments où nous ne savons pas quoi faire. Que ce temps soit
long ou court, il convient d’étudier chaque jour, car une étude faite occa-
sionnellement n’atteint pas son but, et on finit peu à peu par l’abandonner

23.2 Page 222

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220 Troisième Section
complètement. [...]
Mais il faut aussi éviter l’excès inverse: de se passionner pour l’étude
au point qu’elle nuit à notre vie intérieure et aux autres devoirs de notre
ministère. [...]
L’étude de la Sainte Bible, liber sacerdotalis par excellence, doit avoir
la préséance sur toutes les autres, car, selon l’Apôtre, elle est utile pour
enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour former à la justice. Omnis
scriptura divinitus inspirata utilis est ad docendum, ad arguendum, ad
corripiendum, ad erudiendum in iustitia (2 Tm 3, 16). Les Saints Pères se
sont formés sur la Sainte Bible, et les grands fondateurs d’Ordres religieux
ont toujours donné comme règle à leurs disciples d’en lire chaque jour un
passage. Ceci nous est recommandé également par Don Bosco, qui nous
en a fait une prescription précise dans les Constitutions, où nous lisons que
les prêtres et tous les membres qui aspirent à l’état clérical doivent diriger
toute leur attention principalement à l’étude de la Sainte Bible (articles
101-102).
Que les livres saints soient par conséquent notre nourriture quoti-
dienne. Lisons-les non pas comme le ferait un curieux, un simple lettré
ou un simple historien, mais avec un profond respect religieux, sous la
forme d’une méditation affective plutôt que pour une simple étude, en nous
efforçant de bien pénétrer ces expressions si lumineuses et si profondes, et
peut-être en apprenant par cœur les versets qui pourront nous servir dans
nos méditations et dans l’exercice de notre ministère. [...]
À l’étude amoureuse de la Sainte Bible il faut joindre celle de la Théologie
dogmatique, si nécessaire de nos jours, non seulement pour connaître en
profondeur les vérités de la foi, leur caractère raisonnable, leur nécessité
pour notre vrai bien temporel et éternel, mais aussi pour savoir en rendre
raison face aux contradicteurs, ut potens sit exhortari in doctrina sana, et
eos, qui contradicunt, arguere (Tt 1, 9), et ce d’une manière adaptée à la
condition de chacun, savant ou ignorant, car sapientibus et insipientibus
debitor sum (Rm 1, 14), dit saint Paul; et surtout pour nous rendre capables
d’accomplir plus efficacement notre mission d’éducateurs chrétiens. [...]
Quant à l’étude de la Théologie Morale, Pastorale, Ascétique et
Mystique, ainsi que du Droit Canonique selon le nouveau Code, combien
elle mérite d’être bien approfondie! Étant donné que, selon le vénérable
Cafasso, « la Théologie Morale, considérée dans son application, peut
être appelée inépuisable et infinie, comme sont infinies les compléments
et les circonstances qui peuvent modifier chaque action particulière et le
jugement qu’on doit en faire », le prêtre doit l’étudier toute sa vie.

23.3 Page 223

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 221
Il faut en dire autant de la Théologie Pastorale, de la Théologie Ascétique
et de la Théologie Mystique, qui, à certains égards, peuvent être considérés
comme des compléments et le perfectionnement de la Théologie Morale.
Malheureusement, ces trois branches de la Théologie ne sont pas appré-
ciées de tous comme il convient, ou du moins sont considérés seulement
comme l’héritage de quelques prêtres privilégiés. C’est une erreur, qui fait
que bon nombre de prêtres, négligeant cette étude, restent incapables de
diriger les âmes et de les élever au degré de sainteté auquel Dieu les appelle.
Dans la direction des âmes il convient de veiller non seulement au
minimum obligatoire, mais aussi au maximum de perfection possible; et
cela vaut également pour les jeunes confiés à nos soins. Nous devons viser
à en faire des saints, même sans en avoir l’air; mais nous n’y arriverons
pas si nous ne connaissons pas bien la théologie ascétique et mystique. En
disant mystique, je n’entends pas me référer aux faits extraordinaires de la
vie surnaturelle, mais seulement à la perfection chrétienne rendue possible
par la prière vocale, méditative, affective et contemplative, comme l’en-
seigne notre très doux saint François de Sales. [...]
Notre vénérable père possédait à fond cette science, et avait aussi le
secret de l’instiller dans les jeunes cœurs, sans même en mentionner le nom,
et c’est ainsi qu’il nous a donné un Dominique Savio, un François Besucco,
un Michel Magon et toute une phalange de jeunes et de confrères saints.
Mais ce secret ne s’enseigne pas avec des mots: c’est un trésor précieux
qui ne peut être trouvé que dans la lecture assidue, attentive et amoureuse
de sa vie, et heureux sont ceux qui s’y consacrent! Quelles merveilles ils
pourront opérer dans le domaine de l’éducation!
Il faut recommander également l’étude de l’Histoire sainte, de l’Histoire
de l’Église et de l’Histoire profane. Elle nous fournira des armes puis-
santes pour défendre la religion contre les attaques des adversaires, qui
font souvent de l’histoire « une conspiration contre la vérité », selon l’ex-
pression de De Maistre. [...] Or, si nous connaissons bien l’histoire, nous
pourrons facilement réfuter ces erreurs et empêcher qu’elles se répandent
parmi le peuple. C’est ce qu’a fait notre vénérable père, qui s’est toujours
efforcé de faire connaître au peuple la grandeur de l’Église Catholique et
du Pape, et c’est ce que nous devons faire.
L’étude de la sainte Liturgie est également indispensable. C’est cette
étude qui, plus que toute autre, contribue à nourrir l’esprit ecclésiastique et
sacerdotal, qui infuse dans l’âme l’amour et le respect pour les cérémonies
sacrées et pour les fonctions de l’Église, qui enseigne le sens intime des
solennités qui se succèdent au cours de l’année ecclésiastique, et qui, en un

23.4 Page 224

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222 Troisième Section
mot, nous fait vivre de la vie même de l’Église, notre mère. [...]
En raison de notre condition particulière d’éducateurs, nous devons
également cultiver les sciences profanes naturelles. Grâce à la lecture
d’ouvrages des maîtres de la pensée contemporaine et de quelque bonne
revue catholique nous pourrons suivre, avec un bon discernement et une
sage orientation, le mouvement des idées des temps nouveaux, les décou-
vertes faites dans le monde des sciences, la tactique actuelle des ennemis
de l’Église, les nouvelles formes de l’erreur, les objections contemporaines
contre les vérités chrétiennes, et ainsi de suite.
Mais ici également, nous donnons la préférence aux sciences qui nous
aident plus directement à atteindre le but que Don Bosco s’était fixé en
fondant la Pieuse Société. Entrons par conséquent avec amour dans la
pensée éducative de notre vénérable père, et tâchons d’approfondir nos
connaissances pédagogiques et didactiques en nous inspirant toujours des
concepts et des directives qui forment la base de notre système éducatif.
Cultivons en outre avec amour et grand intérêt les études classiques,
en particulier celles de la latinité, en rénovant les classiques chrétiens, afin
que leur pensée pénètre dans les jeunes âmes et serve de contrepoison à la
pensée des classiques païens. À cet égard, rappelons combien de sacrifices
Don Bosco a consentis pour diffuser les œuvres des grands maîtres dans le
domaine des lettres et de la vie chrétienne. [...]
Soyons bien convaincus, chers confrères, que l’étude est absolument
nécessaire pour que nous soyons toujours prêtres de Jésus-Christ, prêtres
dans notre esprit et dans l’orientation habituelle de nos pensées, prêtres
dans notre cœur et dans notre ministère, prêtres comme le veut Don Bosco
et comme Don Bosco l’a été!
14. Le perfectionnement de notre vie spirituelle14
La passion pour la culture de notre vie intellectuelle ne saurait suffir,
mes chers confrères, pour nous faire reconnaître comme de dignes fils de
Don Bosco, si elle ne nous incitait pas dans le même temps à perfectionner
d’autant plus intensément notre vie morale, religieuse et apostolique.
Parmi les divers buts de l’étude énumérés par saint Bernard, seuls les
deux derniers sont dignes de nous: ut aedificentur, et prudentia est; ut
14 Lettre circulaire Don Bosco modèle du Prêtre Salésien (19 mars 1921), in LC
401-405, 418-421.

23.5 Page 225

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 223
aedificent, et hoc caritas est. C’est pourquoi la prudence devra nous guider
maintenant pour nous rappeler et pour reconnaître ce que nous devons faire
ut aedificemur, pour nous sanctifier: ce n’est que lorsque nous aurons fait
le nécessaire pour nous sanctifier que nous pourrons sanctifier les autres.
Plus précisément, si nous voulons que l’apostolat auprès des jeunes soit
fructueux, nous devons faire en sorte que nos études servent à l’acquisition
de la vie intérieure.
Dans son livre intitulé L’âme de tout apostolat, l’abbé Chautard écrit
avec justesse:
« Vivre avec soi, en soi, se diriger soi-même, et ne pas se laisser
diriger par les choses extérieures ; réduire l’imagination, la sensibilité,
voire l’intelligence et la mémoire à l’état de servantes de la volonté,
et conformer continuellement cette volonté à celle de Dieu, c’est un
programme de moins en moins accepté en ce siècle d’agitation, qui a vu
naître un nouvel idéal: l’amour de l’action pour l’action. Les affaires, les
préoccupations familiales, l’hygiène, la bonne réputation, l’amour du
pays, le prestige de la corporation, la prétendue gloire de Dieu, rivalisent
pour nous empêcher de vivre en nous-mêmes. Cette espèce de délire de
la vie extérieure arrive aussi à exercer une attraction irrésistible sur
nous. »
Je n’entends pas parler ici de la nécessité de la vie intérieure ; qu’il
me soit permis cependant de mentionner les choses les plus importantes
pour la formation de notre vie morale et religieuse de prêtres salésiens,
pour nous encourager, vous et moi, à les mettre en pratique. Dans cette
formation, chers confrères, nous devons avant tout avoir toujours clai-
rement devant les yeux le but de notre vie, qui est uniquement la gloire de
Dieu moyennant notre sanctification et notre salut.
Mais à la vision de la finalité il faut joindre l’estime surnaturelle de
notre vocation sacerdotale et la conscience perpétuelle du grave devoir
qu’elle nous impose de servir les âmes pour les gagner à Dieu, d’être des
médiateurs entre Dieu et les hommes, des rédempteurs et des sanctifica-
teurs, en union avec Jésus-Christ, prêtre éternel.
N’oublions pas non plus que nous devons atteindre cette fin essentielle
du sacerdoce dans l’obéissance qui nous est assignée par nos supérieurs,
et selon la mesure des talents et des grâces que nous avons reçus. Il n’est
pas nécessaire d’accomplir des œuvres grandioses ou des actes héroïques
de vertu non imposés par notre état. Il suffit que nous nous appliquions à
vivre et à agir dans l’obéissance, en conformité parfaite avec le vouloir

23.6 Page 226

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224 Troisième Section
divin et en union intime avec Jésus-Christ, en accomplissant au mieux
toutes nos actions ordinaires, et avec l’intention d’élever même les plus
petites et les plus indifférentes jusqu’à en faire des œuvres méritoires pour
la vie éternelle. [...]
Gardons-nous cependant de l’erreur très commune et très pernicieuse
de nous arrêter à cette pratique des vertus ordinaires, et à cette lutte contre
les mauvais penchants, sans y joindre le vif désir d’une perfection plus
haute et l’effort constant pour y parvenir.
C’est la paresse spirituelle qui encourage ce genre d’inertie, ainsi qu’une
fausse idée de ce qu’exige la vocation. Nous ne pouvons pas nous contenter
d’un programme minimum de vertus, d’un degré de moralité juste suffisant
pour maintenir l’âme dans la grâce sanctifiante, une médiocre obser-
vance des normes générales de la vie sacerdotale, communes à tous les
prêtres séculiers. Notre vocation nous oblige non seulement à tendre vers
la sainteté: Haec est enim voluntas Dei, sanctificatio vestra (1 Ts 4, 3), ut
essemus sancti, et immaculati (Ep 1, 4), mais aussi à l’acquérir au degré
le plus parfait possible, en pratiquant l’horreur de tout mal et l’amour de
tout bien, car, comme le dit saint Thomas, la sainteté amovet a malo, facit
operari bonum, et disponit ad perfectum.
Pour nous aider dans cette œuvre de sanctification, nous avons à notre
disposition surtout les Constitutions que nous a données notre vénérable
fondateur. Le prêtre salésien qui médite profondément les Constitutions et
qui s’efforce ensuite de les pratiquer avec exactitude, pourra s’élever en peu
de temps jusqu’à l’union parfaite avec Dieu, à cette union qui est l’essence
de la sainteté, et qui en Don Bosco était ininterrompue, malgré la multi-
plicité de ses occupations. [...]
Cependant, la Règle ne fixe que les lignes générales en vue de notre
sanctification; il faut donc l’intégrer et la vivifier au moyen de l’authen-
tique tradition salésienne. Celle-ci est contenue dans les Règlements, dans
les Délibérations Capitulaires primitives, dans les lettres et circulaires
mensuelles des supérieurs majeurs, et dans l’ensemble des petites particu-
larités et coutumes spéciales transmises de vive voix et conservées dans la
maison-mère. [...]
Nous devons rester tels que Don Bosco nous a voulus, et nous risque-
rions de modifier la physionomie qu’il a imprimée à notre Pieuse Société si,
animés d’un zèle excessif pour la sainteté extérieure, nous voulions multi-
plier les pratiques pieuses, qui, bien qu’excellentes pour d’autres instituts,
tendent à dénaturer ce type de spiritualité intime et peu apparente que
Don Bosco a imprimé au sien. Mais d’autre part, ce serait pire si l’on allait

23.7 Page 227

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 225
à l’extrême opposé, et si, interprétant mal les intentions du fondateur, on
pensait que pour être ses disciples, il suffisait d’avoir la passion pour la
jeunesse, la sympathie pour l’école et la vie bruyante des rassemblements
de jeunes, sans se soucier sérieusement de la sanctification personnelle. [...]
À côté du sacrement de la miséricorde de Dieu, et en quelque sorte
comme son complément, comme remède et en même temps comme
réconfort dans les nombreuses difficultés qu’on rencontre dans l’acqui-
sition de la perfection religieuse, il y a la direction spirituelle, et de cela
aussi, mes chers confrères prêtres, j’entends vous parler brièvement.
La direction spirituelle est l’ensemble des conseils et des normes, théo-
riques et pratiques, qu’une personne sage et expérimentée dans les voies de
l’esprit donne à une âme qui souhaite progresser dans la perfection.
Dans les monastères anciens, cette direction ne faisait qu’un avec le
rendement de compte: le religieux manifestait au supérieur toute sa
conscience avec une confiance filiale, et il était dirigé par lui au for externe
et au for interne.
Cependant, afin de protéger la liberté de conscience, la sainte Eglise a
établi que le rendement de compte ne porte que sur les choses extérieures,
comme le prévoient également nos Constitutions, mais sans exclure que le
religieux puisse de son plein gré s’ouvrir entièrement à son supérieur. En
effet, celui qui a une confiance illimitée en son supérieur et sent qu’il peut
lui révéler même les choses les plus intimes de son âme, pourra le faire, et
même il en retirera des avantages inestimables.
Quant à celui qui préfère limiter son rendement de compte aux choses
extérieures (ce que personne ne doit jamais omettre de faire mensuel-
lement), qu’il se rappelle qu’une direction spirituelle lui est indispensable,
même s’il est prêtre, et qu’il la cherche auprès de celui qui lui inspire
davantage confiance.
Naturellement, le confesseur, n’étant pas seulement juge, mais aussi
médecin et conseiller, ami et père, et connaissant plus que quiconque nos
qualités spirituelles et toute notre vie, peut fort bien être notre guide sur le
chemin de la perfection religieuse, soit dans le sacrement, soit en dehors
du sacrement de la confession, et ce, d’autant plus que, dans notre cas, il
est lui-même tenu de rechercher la même perfection que nous et de vivre
le même esprit religieux.
J’ai dit, mes chers confrères, que la direction spirituelle nous est indis-
pensable, même si nous sommes prêtres. Le sacerdoce et la profession reli-
gieuse nous en font une obligation plus grande, parce que, comme prêtres
et comme religieux, nous sommes tenus à une perfection plus élevée

23.8 Page 228

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226 Troisième Section
que celle qu’on pourrait exiger des simples chrétiens. En effet, sans une
direction spirituelle solide, il est presque impossible de devenir parfait: tel
est le sentiment unanime des Pères et des Docteurs de la sainte Église, et
des hommes spirituels qui se sont illustrés au cours des siècles chrétiens.
– Qui s’appuie sur son propre jugement, affirme Cassien, n’arrivera jamais
à la perfection et ne pourra pas échapper aux pièges du démon (Conf.
II, 14, 15). Et saint Vincent Ferrer: – Notre Seigneur, sans qui nous ne
pouvons rien, n’accordera jamais sa grâce à celui qui, ayant à sa dispo-
sition un homme capable de l’instruire et de le diriger, néglige ce puissant
moyen de sanctification, croyant qu’il peut se suffire à lui-même et qu’il
peut chercher et trouver par ses propres forces les choses qui lui sont utiles
pour la perfection de son âme.
La direction spirituelle est la voie royale qui guide sûrement les hommes
au sommet de l’échelle mystérieuse où se trouve le Seigneur ; c’est le chemin
qu’ont parcouru les saints : hanc viam tenuerunt omnes sancti. Seules
quelques âmes privilégiées, privées sans leur faute d’un directeur spirituel,
furent guidées directement par Dieu au moyen de lumières personnelles,
mais c’est l’exception et non la règle. (De vit. Sp., II, I).
Avant toute chose, dit saint Grégoire le Grand, il faut tâcher de trouver
un bon guide et un bon maître (Lib. de Virg., c. 13). – C’est un grand
orgueil, poursuit saint Basile, de croire qu’on n’a pas besoin de conseils
(In cap. I Isaiae). – Ils se trompent eux-mêmes, s’exclame à son tour saint
Jean Climaque, ceux qui se confient en eux-mêmes croyant qu’ils n’ont pas
besoin de guide (Ier Degré, c. 2). – Celui qui prétend être son propre maître
et guide, dit saint Bernard, se fait le disciple d’un sot (Epist. 87).
Disons donc en conclusion, chers confrères prêtres, que de tous les écrits
des hommes spirituels on entend s’élever une voix unanime pour nous dire
la nécessité de la direction spirituelle. Et si nous voulons bien comprendre
l’esprit de nos Règles, nous verrons également qu’elle nous est inculquée
par l’article 18, où nous sommes invités à manifester aux supérieurs avec
simplicité et spontanément les infidélités extérieures commises contre les
Constitutions, ainsi que nos progrès dans la vertu, afin que nous puissions
recevoir d’eux des conseils et des encouragements, et aussi, si nécessaire,
des avertissements appropriés. On ne pouvait pas faire mieux pour nous
suggérer la pratique de la direction spirituelle!
Il n’est pas besoin d’ajouter autre chose pour en montrer la nécessité.
Il convient cependant de faire une observation. Lorsque nous apprenons
que quelqu’un a abandonné la vie religieuse qu’il avait professée, et tout
en regrettant ce désastre et en invoquant dans la prière la miséricorde de

23.9 Page 229

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 227
Dieu sur le malheureux, nous devons penser qu’un tel malheur ne lui serait
certainement pas arrivé, s’il s’était confié à un bon directeur spirituel et s’il
avait suivi ses conseils et ses exhortations.
Mais la direction spirituelle, mes chers confrères prêtres, ne doit pas
être une chose occasionnelle et changeante, mais un système de conduite
unique et constant, à la fois théorique et pratique, capable de nous guider
vers la sainteté.
La tâche du directeur spirituel est de nous faire savoir ce que Dieu veut
de nous, les vertus que nous devons pratiquer, les moyens auxquels nous
devons recourir, les dangers contre lesquels nous devons nous prémunir
pour ne pas échouer dans notre vocation salésienne.
C’est lui qui doit nous activer quand nous sommes relâchés, et nous
modérer dans les ardeurs indiscrètes; c’est lui qui doit freiner notre imagi-
nation, et nous indiquer la juste mesure à observer dans la pratique de la
vertu, dans le choix des lectures et dans les relations avec le prochain,
la vraie nature des tentations et les armes les plus appropriées pour les
combattre.
C’est lui qui doit nous instruire sur les meilleurs moyens pour déraciner
nos défauts et acquérir les vertus; qui doit mesurer notre exactitude dans
les pratiques de piété, dans l’observance des règles et dans l’accomplis-
sement des devoirs inhérents à notre vocation. Or nous ne pouvons avoir
ces biens qu’avec l’aide d’un guide stable et rempli de l’esprit salésien.
Notre patron saint François de Sales dit de très belles choses sur le
directeur spirituel, et beaucoup d’entre elles sont tout à fait adaptées à
notre cas. Dans son Introducton à la vie dévote (I, 4) il dit entre autres : «
Ne le considérons pas comme un simple homme, et ne mettons pas notre
confiance en lui comme homme et en son savoir humain, mais en Dieu
qui nous communiquera ses faveurs et ses inspirations par le ministère
de cet homme, mettant dans son cœur et sur ses lèvres ce qui sera requis
pour notre bonheur... Traitons avec lui à cœur ouvert, en toute sincérité et
fidélité, lui manifestant clairement notre bien et notre mal, sans feintise ni
dissimulation; et par ce moyen, le bien sera examiné et rendu plus assuré,
et le mal corrigé et remédié ; de cette manière nous nous sentirons allégés
et fortifiés dans nos afflictions, et nous resterons modestes et réglés dans
nos joies. »

23.10 Page 230

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228 Troisième Section
15. Vocations et esprit salésien15
Plus on étudie la vie de Don Bosco, plus on découvre la génialité de
sa création. Voyant l’acharnement haineux qui faisait rage en son temps
contre notre sainte religion, et en particulier contre les Ordres et les
Congrégations religieuses que la révolution supprimait par des lois injustes
même dans les États auparavant catholiques, et sentant qu’il ne lui serait
pas possible de donner vie à une nouvelle famille religieuse, s’il la modelait
sur celles déjà supprimées, il laissa de côté ce qui était de pure forme exté-
rieure, et il commença sa Société avec ce qui était strictement nécessaire à
la perfection religieuse.
À la terminologie traditionnelle des Congrégations du passé il substitua
des noms communs et moins voyants. Sa société ne devait être qu’une
société pieuse de personnes consacrées à l’éducation de la jeunesse pauvre
et abandonnée; ses membres devaient conserver, avec les droits civils, la
possession radicale de leurs biens, tout en étant liés par un vœu à la pratique
des conseils évangéliques, et donc en pratique vraiment pauvres, ne pouvant
sans permission faire aucun acte de propriété. Ils devaient allier l’esprit
d’initiative personnelle à la soumission due au supérieur. C’est précisément
à cet esprit que notre Société doit cette géniale modernité qui lui permet
de faire le bien exigé par les besoins des temps et des lieux. Enfin, même
si les membres laissent leurs parents, leurs amis et le monde pour suivre
Jésus-Christ, ce détachement ne doit pas imposer une séparation violente
qui les force presque à rompre les liens de la nature et toutes les relations
extérieures: la volonté peut très bien être parfaitement détachée de tout et
de tous, sans qu’il soit besoin de séparations matérielles.
Tout son système éducatif consiste à former des volontés capables d’ac-
complir leur devoir et de pratiquer les conseils évangéliques à un degré
héroïque, non par peur humaine, non par coercition extérieure, non par
force, mais librement par amour.
Son institution est une famille composée uniquement de frères qui ont
accepté les mêmes devoirs et les mêmes droits, dans la plus parfaite liberté
de choix et dans l’amour le plus ardent pour ce genre de vie.
Pour cela, il voulait absolument exclure de ses maisons les lois et les
dispositions disciplinaires qui limitaient de quelque manière la liberté des
enfants de la famille: chacun devait respecter l’horaire et le règlement non
pas sous la contrainte d’agents extrinsèques, mais spontanément, par un
15 Lettre circulaire Sur les vocations (15 mai 1921), in LC 447-462, 464-469.

24 Pages 231-240

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24.1 Page 231

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 229
libre choix de la volonté.
Là où règne l’esprit de famille, l’autorité des supérieurs ne se fait pas
sentir sous forme d’impositions militaires, et l’amour filial pousse leurs
sujets à prévenir même leurs simples désirs. Or, c’est cet esprit de famille
qui est le terrain le plus propice aux vocations; c’est pourquoi, mes chers
confrères, nous devons le préserver jalousement et l’augmenter.
Quand nous parlons avec des amis, des connaissances ou des étrangers,
mettons en pleine lumière cet esprit qui est le nôtre, en montrant une
attitude toujours joviale et allègre, et en exaltant le bonheur de notre état
chaque fois que l’occasion se présente.
C’est ainsi que, presque sans nous en rendre compte, nous élargirons le
terrain des vocations. Certains d’entre eux seront portés insensiblement à
abandonner leurs préjugés sur l’état religieux, et à l’occasion, ils loueront
peut-être notre genre de vie, ou peut-être même ils le recommanderont à
ceux qui hésitent encore sur le choix de cet état de vie. N’est-ce pas là un
apostolat indirect en faveur des vocations?
Mais surtout, chers confrères, nous devons conserver cet esprit de
famille dans les oratoires festifs, dans les maisons, dans les collèges et les
internats où nous travaillons, parce que les vocations ne peuvent s’épanouir
que là où règne cet esprit.
Faisons donc vivre autour de nous cette familiarité que notre bon père
nous a si chaleureusement et efficacement décrite dans sa mémorable lettre
de Rome du 10 mai 1884, qui est le commentaire le plus authentique de son
système préventif. [...]
Les vrais apôtres des vocations font comme le sculpteur : avant de se
mettre à l’œuvre projetée, il cherche lui-même le bloc de marbre le plus fin,
puis le fait transporter dans son atelier pour le travailler avec intelligence
et amour.
Au cours des années de mon Rectorat, j’ai assisté avec joie au grand
mouvement de jeunesse des élèves et des anciens élèves de nos instituts,
et du fond de mon cœur j’ai fait monter à plusieurs reprises un hymne
d’action de grâce au Seigneur et à notre puissante Auxiliatrice pour cette
merveilleuse affluence de jeunes pleins d’audace, accourus avec enthou-
siasme sous la bannière qui porte dans chaque pays du monde le Da mihi
animas de notre bon père!
Chaque fois que je me suis trouvé dans nos maisons au milieu de la
foule joyeuse de nos élèves, et que j’observais leur bon visage candide, sur
lequel apparaissaient clairement les belles qualités dont ils étaient dotés,
je pensais spontanément en moi-même que beaucoup d’entre eux seraient

24.2 Page 232

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230 Troisième Section
prêts à se consacrer au Seigneur, s’ils étaient bien dirigés et aidés dans le
choix de ce qu’il a appelé « la meilleure part ».
Et lors des rencontres mémorables avec les anciens élèves, en qui je
voyais étinceler tant de belles qualités d’esprit et de cœur dans leur plein
développement, j’ai pensé également que beaucoup d’entre eux auraient
sans doute embrassé la carrière de l’apostolat des âmes, s’ils avaient été
encouragés et suivis par leurs supérieurs et leurs enseignants.
Ce que je vous dis là, mes bons confrères, ce ne sont pas de simples
suppositions et de pieux désirs. C’est un fait que lorsque le sol, même bien
préparé et fertilisé, ne porte pas de fruit, la faute en revient à l’agriculteur
: ou il n’a pas semé, ou il a semé des graines qui n’étaient pas bonnes, ou
il n’a pas pris soin de veiller à ce que la semence pousse bien et ne soit pas
mangée par les oiseaux et étouffée par l’ivraie.
Dans l’immense foule des jeunes que la Providence envoie dans nos
maisons, nombreux sont ceux qui offrent une terre tout à fait propre à
produire la fleur de la vocation sacerdotale ou religieuse, c’est-à-dire qui
ont les qualités requises pour l’état de perfection. Mais, comme nous
l’avons déjà dit plus haut, il y a besoin de quelqu’un qui sache les diriger et
les guider comme il faut. C’est ce que nous devons faire, si nous voulons
nous montrer des fils aimants de la Sainte Église et de notre Congrégation.
Mais quelles sont les jeunes âmes qui offrent un terrain propice pour
les vocations? Notre regard, mes chers confrères, doit se porter, comme le
faisait notre vénérable en véritable spécialiste, sur ceux qui ont un attrait
spécial pour la pureté.
Je ne parle pas de cette pureté négative, inconsciente, due uniquement à
l’équilibre ou au calme du tempérament, ou à une ignorance heureuse mais
éphémère de certains mystères de la vie. Je parle d’une pureté positive,
consciente, voulue, de l’adolescent qui sait déjà ou du moins commence à
soupçonner l’existence et la nature des plaisirs, qui sent peut-être déjà dans
sa nature inférieure une attirance vers eux, mais qui, dans sa raison, dans
son cœur, dans son âme, éprouve un dédain et un dégoût pour ces choses,
et donc un désir et un besoin de s’en éloigner, afin d’épargner à ses yeux, à
son imagination et à sa vie leur haleine contaminée. [...]
Un autre caractère que le jeune doit avoir pour être un terrain propice à
la vocation est un sentiment élevé qui abhorre ce qui est médiocre, banal
et vulgaire, et aspire aux grandes choses. C’est ce sentiment qui, face aux
biens et aux honneurs terrestres, lui fait dire avec une noble fierté brillant
dans ses yeux : Excelsior! Ad maiora natus sum!
Il est évident que l’état sacerdotal et religieux ne peut manquer d’attirer

24.3 Page 233

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 231
fortement ces jeunes, car c’est un état supérieur à tout autre, même d’un
point de vue purement humain. Mais une telle élévation d’âme n’est en eux
généralement qu’à l’état embryonnaire, et c’est à nous de la développer par
l’éducation.
Ici surtout, chers confrères, l’éducateur salésien doit savoir manifester
tout son talent et la valeur du système préventif. Ce système – qui est notre
héritage le plus précieux – s’il est bien interprété et mieux appliqué, nous
permettra de distinguer facilement les différents caractères de nos jeunes,
et nous indiquera les moyens pour les améliorer tous, sans oublier d’élever
à une plus grande perfection ceux qui se sentent appelés à des fonctions
plus élevées.
Permettez-moi de vous rappeler ce que j’ai déjà dit lorsque j’ai essayé de
vous décrire Don Bosco comme notre modèle dans l’éducation et la sanc-
tification de la jeunesse: on peut trouver là aussi la norme de ce que nous
devons faire pour former nos jeunes selon les exemples paternels.
Grâce à la pratique de notre système, nous éviterons que les caractères
déjà bons par nature et par éducation familiale se gâtent. Nous veillerons
à ce que leurs compagnons aux goûts plus terrestres ne les attirent à leurs
idées, à leurs goûts, à leurs projets d’avenir, bref vers ce qui est bas, ou bien
même vers les aspirations communes à la fortune, au luxe, au bien-être
et aux commodités, aux plaisirs vulgaires, aux succès et aux vanités
mondaines.
Amenons-les adroitement à lever les yeux vers un idéal supérieur,
vers le bien et la vertu, vers les joies ardues mais d’autant plus douces que
procure le devoir accompli par une conscience en paix, et vers une vie
sérieuse, utile et digne.
De temps en temps, que ce soit à l’école, dans les conférences, dans
les mots du soir ou pendant les récréations, parlons avec enthousiasme de
ces nobles idéaux, et si parfois au cours des conversations familières qui
se font en récréation quelqu’un manifestait des préoccupations d’amour-
propre ou d’intérêt, ne manquons pas de les condamner ouvertement en
disant: « C’est bas, c’est mesquin, c’est banal, ce n’est pas digne d’un cœur
généreux ». C’est surtout au cours de ces entretiens que nous pouvons
trouver l’occasion de répéter sous mille formes diverses la sainte parole du
Sursum corda!
En lisant avec amour les premiers volumes de la vie de notre bon père,
nous pouvons y trouver une mine précieuse de normes et d’exemples pour
l’exercice pratique de cet apostolat, merveilleusement fécond en excel-
lentes vocations.

24.4 Page 234

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232 Troisième Section
Faisons-en tous notre profit, mes très chers confrères, mais n’oublions
pas une chose très importante, à savoir que pour don Bosco, les jeunes les
plus birichini, comme il aimait les appeler, remuants et espiègles, offraient
un bon terrain pour la vocation. Leur nature ardente et leur grand cœur les
faisaient sortir d’eux-mêmes, prêts à aimer et, par conséquent, à donner,
puis à se donner, et enfin à se sacrifier totalement pour le bien d’autrui.
Ses meilleures conquêtes ont été faites au milieu des enfants de cette
nature. Nombreux sont encore vivants parmi ceux qui peuvent en donner
un témoignage véridique, et s’ils mettaient sur le papier les souvenirs de
leurs premières années et la genèse de leur vocation, comme on verrait
briller en pleine lumière l’art de notre vénérable père, qui savait élever les
cœurs vers le désir et la réalisation de la perfection!
Mettons-nous de toutes nos forces, nous aussi, à la recherche de ces
jeunes au cœur ardent et généreux. Une parole, un mouvement, un acte
de gentillesse ou de charité en faveur d’un camarade peuvent en être les
premières manifestations. Si nous les formons avec sagesse et amour, un
jour ou l’autre nous recevrons d’eux la confidence d’un début d’aspiration
à la vie ecclésiastique ou religieuse, car peu à peu ils en viendront à l’idée
que c’est seulement dans cet état de vie qu’ils pourront pleinement satis-
faire leur besoin de se donner et de se sacrifier pour les autres.
J’ai dit de « les former avec amour », parce que notre travail est indis-
pensable, à la fois pour combattre en eux sans relâche la tendance à
l’égoïsme dont il faut corriger la moindre manifestation, et pour les habituer
à accomplir fréquemment de petits actes de générosité, en leur montrant,
même par un simple regard, que nous en sommes heureux et que nous les
approuvons.
Encourageons-les à donner généreusement à leurs camarades et aux
pauvres, mais surtout à se donner eux-mêmes en étant disponibles et actifs
au service du bien. Faisons en sorte qu’ils aiment les études et le travail
comme le moyen le plus sûr pour faire du bien.
Commençons par leur donner de petites responsabilités dans les diffé-
rentes Compagnies, dans la surveillance pendant les récréations et dans les
jeux, comme autant de moyens pour faire un peu de bien à leurs camarades.
Incitons-les à donner des conseils, à protester énergiquement contre les
mauvaises conversations, à répandre le bon esprit et la piété par tous les
moyens...
Si on devra se priver pour donner, et si pour se donner et agir on devra
quitter ses aises, se fatiguer, surmonter sa timidité et le respect humain, et
parfois s’exposer à l’ironie et aux moqueries des autres, alors la formation

24.5 Page 235

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 233
sera meilleure et plus sûre.
Cependant, même si nos jeunes sont amoureux de la pureté, pleins de
sentiments élevés et prêts à tous les renoncements, ils ne seront jamais
un terrain propice aux vocations s’ils ne possèdent pas un profond esprit
surnaturel.
Nous savons que tout notre travail d’éducateurs doit viser, à la suite de
Don Bosco, à former des chrétiens convaincus et pratiquants, mais nous
n’y arriverons pas sans leur inculquer l’esprit surnaturel. Et cet esprit est
d’autant plus nécessaire chez les jeunes que le Seigneur a dotés des qualités
nécessaires à l’apostolat des âmes.
Cherchons donc à leur donner des idées surnaturelles, imprégnons leur
esprit des grandes vérités de la foi, principalement de celles qui concernent
le plus l’orientation de notre vie, telles que la grandeur de Dieu, ses
bienfaits et tous les titres qui lui confèrent le droit absolu de disposer de
nous pour son service; - son infinie amabilité, la douceur de se donner
entièrement à Lui; - la certitude de la mort, jointe à l’incertitude de son
heure et du jugement divin qui fixera à jamais notre destin heureux ou
malheureux; - la vanité et la fragilité des choses terrestres; - l’importance
capitale du salut de l’âme; - la malice infinie du péché, l’immense valeur
de la grâce, la valeur inestimable de l’âme; - la dignité et les mérites des
efforts que l’homme fait pour se sauver, la nécessité de suivre Jésus le plus
près possible.
Saisissons toutes les occasions propices pour instiller profondément ces
vérités suprêmes dans l’âme de nos jeunes, et ce de manière naturelle et
persuasive, davantage par l’exemple de notre foi qu’avec des discours.
Habituons-les à faire une courte lecture quotidienne sous forme de médi-
tation, comme le suggère le vénérable père dans le Giovane Provveduto.
Comme elles sont belles et aimables les lectures et les considérations
écrites par lui dans les premières années de son apostolat parmi les jeunes!
Comme elles révèlent chez lui une charité ardente et une méthode éducative
entièrement inspirée d’esprit surnaturel!
Au moyen des idées surnaturelles nous suscitons en eux les sentiments
correspondants: une forte crainte de Dieu (oh, le Dieu te voit de don Bosco,
comme il était efficace!), mais une crainte tempérée par la piété filiale;
l’horreur pour tout ce qui peut offenser Dieu, la peur de l’enfer, un vif
désir du paradis; le mépris du monde, de ses plaisirs, de ses pompes, de ses
maximes et de son esprit.
Inspirons-leur surtout un amour à la fois viril et tendre envers notre
Seigneur Jésus-Christ, le Jésus de la Crèche, du Calvaire, de l’Eu-

24.6 Page 236

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234 Troisième Section
charistie; encourageons-les à étudier dans le saint évangile sa vie et sa
sublime et douce physionomie; à le visiter dans le tabernacle, à s’unir à lui
fréquemment, voire tous les jours, dans la sainte communion, au moins
spirituelle; à aimer la sainte Église avec enthousiasme, au fur et à mesure
qu’ils apprendront les gloires merveilleuses de son histoire, de ses œuvres
sublimes, et de ses saints.
En outre, les idées et les sentiments surnaturels doivent développer chez
les jeunes les vertus surnaturelles – dans une mesure compatible avec leur
âge: la charité, l’humilité, la mortification qu’on pratique chaque jour dans
l’observance exacte du Règlement; l’abnégation et le zèle pour les âmes.
Pour l’acquisition de ces vertus, et tout d’abord pour la correction des
défauts, qui en est une condition indispensable, apprenons à nos jeunes à
manier les armes puissantes de l’examen général et particulier. Ainsi se
formeront en eux peu à peu des goûts surnaturels: le goût de la prière,
de la parole de Dieu, des lectures pieuses, des fonctions de l’église; et ils
seront désireux, heureux de servir la Messe chaque fois que l’occasion se
présentera.
Lisez, lisez, chers confrères, ces vrais joyaux que sont les biographies de
Dominique Savio, de Michel Magon, de François Besucco, de Louis Colle,
et vous trouverez que pour faire pousser autour de lui ces belles fleurs de
sainteté, Don Bosco a fait précisément ce que je viens de vous dire.
D’autre part, il ne faut pas penser que cette formation surnaturelle de nos
jeunes relève uniquement de la responsabilité du directeur, du catéchiste
et du confesseur: non, non, elle exige le concours de tous, et donc aussi
de celle des enseignants et des chefs de laboratoire. Elle dépend peut-être
parfois plus de ces derniers, étant plus que tous les autres en contact avec
les jeunes.
Les maîtres, les professeurs, les chefs de laboratoire, les assistants, s’ils
sont à la hauteur de leur mission et savent profiter des occasions qui se
présentent continuellement, peuvent mieux que tout autre infuser le surna-
turel d’abord dans l’intelligence, puis dans le cœur et dans la vie intérieure
de leurs élèves.
L’enseignant salésien doit être bien convaincu de la nécessité de donner
à ses élèves une solide éducation religieuse. Or, l’histoire, la littérature, la
philosophie, les sciences, les mathématiques, la géographie, etc., lui offrent
à chaque instant la possibilité d’insinuer une vérité religieuse au moins
indirectement.
C’est là un des points clés de notre système éducatif ; si nous le négli-
geons, les vocations manqueront inévitablement dans nos instituts.

24.7 Page 237

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 235
16. Semeurs de vocations16
Mes chers confrères, si nous sommes bien pénétrés de notre mission
éducative, comme la veut Don Bosco, nous ne pouvons pas nous contenter
de préparer le terrain favorable aux vocations, sujet dont je vous ai entretenu
jusqu’à présent, mais nous devons aussi les semer et les cultiver avec amour.
Tout d’abord, les semer, c’est-à-dire utiliser les moyens dont nous
disposons pour que sur ce terrain favorable la vocation naisse et prenne
forme réellement. Et ces moyens sont: la prière, les exhortations, les
lectures ascétiques, et les mille « saintes astuces » en quoi Don Bosco a été
pour nous un maître incomparable. « Les salésiens auront de nombreuses
vocations grâce à leur conduite exemplaire », lui dit le personnage mysté-
rieux du rêve; donc pour faire naître de nombreuses vocations autour de
nous, nous devons ordonner notre conduite et toute notre vie aux fins de
notre Pieuse Société : l’acquisition de la perfection dans l’exercice de toute
œuvre de charité, spirituelle et corporelle, en faveur des jeunes, en parti-
culier des plus pauvres, ainsi que l’éducation du jeune clergé.
Pourquoi, dans le 1er article sur le But de la Société Salésienne, Don
Bosco a-t-il voulu que ses membres s’occupent également de l’éducation du
jeune clergé? Non pas parce que nous devons nous occuper directement de
Séminaires diocésains – ce que l’article 77 nous interdit de faire sans l’au-
torisation expresse du Saint-Siège pour des cas particuliers – mais parce
que nous prenons le plus grand soin de cultiver dans la piété et dans la
vocation ceux qui se montrent recommandables d’une manière spéciale
dans l’étude et dans la piété (article 5). [...]
Le vénérable Don Bosco comptait beaucoup sur la prière pour la
formation des vocations. Si nous manquons aujourd’hui de vocations, qui
sait ce n’est pas parce que nous ne prions pas bien? Souvent, même chez
nous, on prie de façon mécanique, par habitude, sans réflexion, et alors
comment les prières peuvent-elles atteindre leur but? Mettons donc en elles
des intentions bien déterminées, jointes à la plus grande ferveur possible,
et nous expérimenterons leur puissante efficacité sur le cœur de Dieu. [...]
Aux prières pour les vocations unissons l’esprit de mortification, parce
que la générosité de Dieu est proportionnée à celle de nos désirs et de nos
supplications. Les désirs réduits à de simples mots coûtent peu et valent
encore moins; mais ceux qui nous rendent forts contre nous-mêmes, qui
nous font surmonter nos répugnances, résister à nos mauvaises tendances,
16 Lettre circulaire Sur les vocations (15 mai 1921), in LC 469-473.

24.8 Page 238

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236 Troisième Section
pratiquer des devoirs pénibles et supporter les défauts de notre prochain,
manifestent à Dieu toute la vivacité de nos aspirations, et l’inclinent plus
fortement à nous exaucer.
Je ne veux pas dire qu’on doit faire des pénitences spéciales pour obtenir
des invocations; notre travail assidu et notre observance régulière sont déjà
en eux-mêmes une grande mortification. Cependant, il est certain que les
confrères, qui ne peuvent rien faire d’autre, feraient une œuvre hautement
méritoire et efficace en imitant l’exemple de notre vénérable père : quand
il avait besoin d’une grâce très importante, il s’imposait des austérités
spéciales et réussissait ainsi à obtenir ce qu’il demandait.
Les âmes mortifiées ont toujours exercé une influence extraordinaire
sur le cœur de Dieu; c’est pourquoi ne vous étonnez pas si je vous fais cette
déclaration : le Salésien humble, caché, toujours soucieux de son devoir, qui
de temps en temps se mortifie courageusement pour obtenir des vocations
à la Pieuse Société, parvient à en susciter sans même s’en apercevoir. [...]
Mais les prières et les mortifications valent peu s’il manque la conduite
exemplaire et la sainteté personnelle de chaque Salésien. Il est indéniable,
chers confrères, que les vocations dans les communautés religieuses sont
en proportion directe de la ferveur et de la sainteté de leurs membres.
Notre bon père a toujours inculqué cette vérité dans ses exhortations,
et plus encore avec l’exemple pratique de sa sainteté, qui faisait éclore les
vocations partout, incitant les cœurs généreux à le suivre de près sur le
chemin malaisé qu’il a emprunté.
Alors, c’est-à-dire à l’époque de ma jeunesse, nous estimions comme
un grand honneur d’être comptés parmi ses fils, et il y avait en nous la
ferme volonté de nous consacrer entièrement au Seigneur et non seulement
à moitié, non pour des avantages temporels, mais pour la joie de pouvoir
mener, comme lui, une vie toute de sacrifice, bien qu’apparemment
ordinaire et commune.
La sainteté du père fut effectivement la cause de la vocation de tous ses
fils: nous voulions le suivre, car de lui émanait une vertu secrète qui rendait
notre cœur plus ardent, notre esprit plus éclairé, nos passions plus calmes,
nous poussant en même temps à l’imiter en tout.
Cette vertu secrète brillait si habituellement dans son regard serein, dans
son sourire permanent et dans toute sa physionomie, que nous le voyions
déjà transfiguré en Dieu et en pleine possession de cette paix divine et
de ce courage surhumain qui sont le propre des saints. Aussi nos cœurs
brûlaient-ils du désir d’être comme lui et avec lui, au prix de n’importe
quel sacrifice.

24.9 Page 239

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Extraits des lettres circulaires de Don Albera 237
Quant à nous, mes chers confrères, si nous observons nos Règles avec
exactitude, si nous exerçons les vertus les plus solides, si nous aimons
notre vocation, la charité fraternelle, la familiarité évangélique et l’union
interrompue avec Dieu, nous pouvons acquérir, nous aussi, cette vertu
secrète de la sainteté de notre vénérable père, et comme lui, susciter de
nombreuses vocations autour de nous. Mais notre façon de vivre doit être
attrayante, au point que les jeunes en arrivent à désirer son activité ingé-
nieuse et sa gaieté inaltérable. Don Bosco voulait que nous soyons toujours
joyeux, même au milieu des plus grandes fatigues et des peines les plus
tenaces, même au milieu des privations et des sacrifices.
De plus, parlons souvent de la vie salésienne en mettant en évidence
ses innombrables avantages : la grande variété des occupations, adaptées à
toutes les natures et aux caractères les plus divers ; le grand nombre d’ins-
tituts et de maisons, ce qui permet à celui qui ne pourrait plus travailler
avec fruit en un endroit de pouvoir être transféré en un autre et continuer
ainsi à être utile; la beauté de notre apostolat, la douceur de l’esprit qui
l’anime, la modernité et l’étendue des œuvres.
Je suis sûr par ailleurs que personne ne voudra jamais se montrer
mécontent de sa vocation devant les élèves, ni discréditer de quelque
manière que ce soit la Congrégation qui l’a inscrit parmi ses fils.

24.10 Page 240

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238

25 Pages 241-250

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25.1 Page 241

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239
INDEX
INTRODUCTION....................................................................................... 5
ABRÉVIATIONS ET SIGLES.................................................................. 9
Première Section
LA VIE (1845-1921)
Chapitre 1: LES ANNEES DE FORMATION (1845-1868)...................... 13
Enfance et adolescence............................................................................ 13
Parmi les salésiens des origines.............................................................. 17
Assistant au petit séminaire de Mirabello (1863-1868)........................... 21
Chapitre 2: PREFET A VALDOCCO ET DIRECTEUR A GENES
(1868-1881)............................................................................................... 25
Ordination et premières années de sacerdoce........................................ 25
Fondateur de l’œuvre salésienne de Gênes............................................. 29
Chapitre 3: INSPECTEUR DES MAISONS SALESIENNES DE
FRANCE (1881-1892)............................................................................. 39
1881-1884................................................................................................. 39
1885-1888................................................................................................. 45
1889-1892................................................................................................. 49
Chapitre 4: DIRECTEUR SPIRITUEL DE LA CONGREGATION
SALESIENNE....................................................................................... 55
1893-1895................................................................................................. 55
1896-1900................................................................................................ 61
Chapitre 5: LA VISITE DES MAISONS SALESIENNES
D’AMERIQUE (1900-1903)................................................................... 67
Argentine, Uruguay et Paraguay............................................................ 67
Brésil, Chili, Bolivie et Pérou.................................................................. 70
Équateur.................................................................................................. 74

25.2 Page 242

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240
Colombie, Venezuela, Mexique et États-Unis.......................................... 78
Chapitre 6: AUX CÔTÉS DE DON RUA ENTRE 1903 ET 1910............ 85
1903-1907................................................................................................. 85
1908-1910................................................................................................. 90
Chapitre 7: LES PREMIÈRES ANNÉES DE RECTORAT (1910-1913). 95
Deuxième successeur de Don Bosco en (1910)....................................... 96
1911-1912.................................................................................................. 100
Une année d’une grande intensité (1913)................................................ 104
Chapitre 8: LE DRAME DE LA GUERRE (1914-1918)............................ 109
Le début de la guerre............................................................................... 109
L’accompagnement des salésiens soldats................................................ 114
La dernière année de guerre................................................................... 118
Chapitre 9: AU SOIR DE LA VIE (1919-1921).......................................... 121
1919-1920................................................................................................. 121
1921.......................................................................................................... 127
Deuxième Section
LA CONTRIBUTION DE DON ALBERA
À LA SPIRITUALITÉ SALÉSIENNE
1. Le magistère de la vie.......................................................................... 135
2. Esprit de prière.................................................................................... 139
3. Vie de foi.............................................................................................. 142
4. Don Bosco modèle du salésien............................................................ 145
L’acte le plus parfait de Don Bosco..................................................... 147
L’amour des jeunes.............................................................................. 149
La Madone de Don Bosco................................................................... 152
5. Les vertus du salésien.......................................................................... 155
Vie disciplinée..................................................................................... 155
Obéissance........................................................................................... 157
Chasteté............................................................................................... 160
La pauvreté.......................................................................................... 162
Recherche de la perfection.................................................................. 165
Douceur salésienne.............................................................................. 167

25.3 Page 243

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241
Troisième Section
TEXTES CHOISIS
DE DON ALBERA
1. L’esprit de prière.................................................................................. 175
2. À l’école de Don Bosco....................................................................... 180
3. Vivre de foi........................................................................................... 182
4. L’oratoire est l’âme de notre Pieuse Société ...................................... 185
5. Soyez tous missionnaires!.................................................................... 188
6. La Madone et Don Bosco.................................................................... 191
7. La douceur du salésien........................................................................ 196
8. Faire revivre Don Bosco en nous........................................................ 200
9. Être dignes de notre père Don Bosco.................................................. 203
10. Don Bosco notre modèle...................................................................... 205
11. Jetons-nous dans les bras de Dieu....................................................... 210
12. Comment Don Bosco nous aimait....................................................... 212
13. La science nécessaire au salésien prêtre............................................. 218
14. Le perfectionnement de notre vie spirituelle....................................... 222
15. Vocations et esprit salésien.................................................................. 228
16. Semeurs de vocations........................................................................... 235

25.4 Page 244

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242

25.5 Page 245

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25.6 Page 246

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Tous ceux qui ont rencontré le deuxième successeur de
Don Bosco, le Père Paul Albera (1845-1921), aux différentes
périodes de sa vie, ont eu l’impression de voir en lui une
personnalité d’une grande douceur. Son visage juvénile,
illuminé d’un perpétuel sourire, resta tel même au temps
de la vieillesse. Seuls ses cheveux étaient devenus blancs
comme la neige. Ses yeux limpides fixaient ses interlocu-
teurs avec la gentillesse et la luminosité d’un enfant. Sa
manière lente et pénétrante de parler allait droit au cœur.
Il était maigre, de santé délicate.
Quand il réfléchissait sur lui-même, il était souvent
rempli de mélancolie.
Il se sentait inadéquat, manquant des qualités nécessaires
à un successeur de Don Bosco, loin de la perfection requise
d’un religieux. Dans ses relations avec les autres apparais-
saient toute l’amabilité, la délicatesse et la bonté de son
humanité.
Il était doté d’une profonde capacité d’écoute et il avait
le don du discernement.
Cependant, si nous regardons ses actions, ses voyages
infatigables, la ferveur de son apostolat, la profondeur de
ses enseignements, la multiplicité des fondations, nous
découvrons un homme complètement différent : une
personnalité d’une très grande ardeur. Nous ferions tort à ce
salésien si doux, si aimable, si indulgent pour son prochain,
si nous ne rappelions pas qu’il fut l’un des tempéraments
les plus fermes, solides et tenaces, qui a su guider la Société
salésienne avec intelligence et courage au cours d’une des
périodes les plus difficiles de son histoire.
Le volume est divisé en trois sections. La première
présente la biographie de Don Paolo Albera. La deuxième
expose les points clés de son magistère spirituel.
La troisième contient une anthologie des
textes les plus significatifs tirés de ses Lettres
circulaires aux salésiens.
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