2_1999_DesramautF_Cahier_Les_Cent_Mots-Clefs


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CAHIERS SALESIENS
RECHERCHES ET DOCUMENTS POUR SERVIR
A LHISTOIRE DES SALESIENS DE DON BOSCO
DANS LES PAYS DE LANGUE FRANÇAISE
LES CENT MOTS-CLEFS
DE LA
SPIRITUALITE SALESIENNE
II
Numéro 39
14, RUE ROGER RADISSON
69322 LYON CEDEX 05
Mars 1999

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Francis DESRAMAUT
LES CENT MOTS-CLEFS
DELA
SPIRITUALITE SALESIENNE
il
COOPERATEUR-MEDITATION
Maison provinciale Don Bosco
Lyon
1999

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Liminaire
Ce Cahier constitue le deuxième fascicule des Cent mots-clefs de la
spiritualité salésienne. H compte quarante mots (Coopérateur-Méditation). Le
premier fascicule, avec une introduction générale et les vingt premiers mots
(Action-Contemplation), a été publié en mars 1998. Le troisième, avec les
quarante derniers mots (Mission-Zèle), muni dun Index général des noms et des
thèmes, le sera vraisemblablement en mars 2000. En principe, l’ensemble pourra
alors paraître en un volume traduit en italien, peut-être aussi en anglais. (H
convient de signaler que l’introduction générale a déjà été publiée dans cette
langue par le centre salésien américain de Berkeley, en Californie ; et aussi quun
salésien courageux de Cracovie, le P. Tadeusz Jania, a traduit en polonais et
répandu en édition confidentielle tout le premier fascicule.)

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Coopérateur salésien
Les coopérateurs de don Bosco
Pour désigner ses aides non religieux, don Bosco tergiversa beaucoup
avant de se résoudre à la dénomination "coopérateurs salésiens", apparue
seulement au bout d'une longue chaîne.1 H datait de 1841 le premier embryon de
son oeuvre et la congrégation salésienne était née en 1859. Pendant une trentaine
d'années, il hésita sur le titre de cette catégorie de collaborateurs. Pour le moins,
les coopérateurs ont été dits successivement par lui : promoteurs de l'oratoire St
François de Sales, membres externes de la congrégation (ou société) de St
François de Sales, associés à la congrégation de St François de Sales, associés
salésiens, membres de l'Union chrétienne, membres de l'Association salésienne,
membres de l'Association des bonnes oeuvres. Us ne sont devenus qu'en 1876
"coopérateurs salésiens" dans la pieuse union qui les rassemblait.
L'expression connotait alors dans l'esprit de don Bosco plusieurs idées
auxquelles il tenait : celles de membres d'une union, de membres d'une union
salésienne et de membres d'une union salésienne opératoire. Au centre du mot
coopérateurs, il y avait le terme ^opérateurs, qui, à la suite du préfixe co
marquant l'union (avec la société religieuse), convenait certainement à notre saint.
Les associés étaient réunis pour une action ou opération réalisatrice.
L'introduction du texte réglementaire publié à Albenga en 1876 s'ouvrait par les
mots : " Au lecteur. L'Oeuvre des Oratoires était à peine commencée en 1841, que
des prêtres et des laïcs pieux et zélés vinrent aider à cultiver la moisson qui dès
lors s'annonçait abondante dans la classe des enfants en danger. Ces collaborateurs
ou coopérateurs ont été de tout temps le soutien des oeuvres pies que la Divine
Providence remettait entre nos mains ... "2 Les coopérateurs de don Bosco
"collaboraient" dans le sens italien du verbe : ils travaillaient avec lui. Des
admirateurs oisifs ne lui suffisaient pas. "Dans les temps difficiles" qu'il traversait
en ces années 70, expliquait la préface du livret de 1876, il estimait cette
collaboration indispensable, surtout pour "supprimer ou au moins diminuer les
maux qui détruisent la moralité de la jeunesse qui monte et dans les mains de
laquelle se trouve le destin de la société civile." "C'est pour répondre à de telles
nécessités que l'on cherche des coopérateurs."3 Somme toute, dans l'esprit de don
Bosco le terme de coopérateur impliquait une triple idée : d'association,
d'association avec la congrégation salésienne et d'association salésienne en vue
d'une action apostolique déterminée.
H avait longtemps cherché à lier étroitement ces coopérateurs à sa société
religieuse. Jusqu'à la veille de leur approbation, un chapitre de ses constitutions
salésiennes fut consacré aux membres "externes" de la société. Dans sa première
formulation connue (vers 1860), il disait : "1. Toute personne même vivant dans sa
propre maison et au sein de sa famille peut appartenir à notre société. - 2. Elle ne
fait aucun voeu, mais tâchera de mettre en pratique la partie du présent règlement

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- c'est-à-dire des constitutions - compatible avec son âge et sa condition. - 3. Pour
participer aux biens spirituels de la Société il faut, pour le moins, promettre au
Recteur d'employer ses ressources et ses forces de la façon jugée par lui conforme
à la plus grande gloire de Dieu. - 4. Cette promesse n'oblige pas sous peine de
péché même véniel."4
On commence à le vérifier, la visée de don Bosco n'était pas qu'altruiste et
sociale. Le "but fondamental", qu'il assignait à son association, touchait, par-delà
l'autre, la personne même du coopérateur. H s'agissait d'imiter les premiers
chrétiens, pour, d'un seul coeur et d'une seule âme, réussir "l'importante affaire, le
grand projet du salut étemel de [son] âme"5 "Le but fondamental des
Coopérateurs salésiens est de faire du bien à soi-même par un mode de vie autant
que possible semblable à celui de la vie commune," proclamait son règlement de
1876.6 Don Bosco n'imaginait les hommes que sur la voie du salut, c'est-à-dire de
leur rencontre avec le Dieu de sainteté. La coopération salésienne avait pour lui
une finalité essentielle, qui l'assimilait à quelque degré à la vie religieuse
proprement dite, fuga mundi comprise. Il lui arriva d'écrire : "Beaucoup de fidèles
chrétiens, pour mieux atteindre à la perfection et assurer leur salut, quitteraient
très volontiers le monde pour éviter les dangers de perdition, bénéficier de la paix
du coeur et passer ainsi leur vie dans la solitude et la charité de Notre Seigneur
Jésus Christ. Mais tous ne sont pas appelés à cet état. Beaucoup en sont
absolument empêchés par l'âge, beaucoup par la condition, beaucoup par la santé,
une multitude faute de vocation. C'est pour répondre à ce désir si répandu que l'on
propose la pieuse association de St François de Sales."7 Fidèle à l'idée-mère du
chapitre sur les "externes", qu'il avait vainement cherché à insérer dans ses
constitutions, don Bosco faisait de ses coopérateurs et - soulignons-le - de ses
coopératrices des religieux dans le monde. Sa famille salésienne aurait elle aussi,
comme les Frères Mineurs de saint François, une manière de tiers-ordre.
L'Association Coopérateurs Salésiens après Vatican II
Malgré les rectifications des supérieurs responsables, les coopérateurs
furent jusqu'à la deuxième guerre mondiale, beaucoup trop assimilés à de simples
bienfaiteurs de la congrégation salésienne. "On appelle Coopérateurs Salésiens
ceux qui désirent s'occuper d'oeuvres de charité non pas en général, mais en
particulier, en accord avec l'esprit de la congrégation de St François de Sales,
devait-on par exemple expliquer aux directeurs salésiens en 1926. Les
Coopérateurs different donc des simples bienfaiteurs ; on ne doit pas non plus les
considérer comme une confrérie ou une association religieuse."8 Un revirement
commença de se dessiner au temps de Pie XII, qui adressa aux coopérateurs un
discours programme important (12 septembre 1952). L'union fut alors inscrite
parmi les mouvements d'apostolat des laïcs. Puis Vatican II incita à refondre son
règlement, qui n'avait pas été touché depuis don Bosco. Un essai, diffusé en 1974,
parut trop sec. Enfin, fruit de multiples et minutieuses révisions, un "Règlement de
Vie Apostolique de l'Association Coopérateurs Salésiens", après avoir été
approuvé par le Saint-Siège le 9 mai 1986, put être promulgué par le recteur
majeur Viganô le 24 mai qui suivit. On y découvre l'image renouvelée du

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coopérateur salésien à l'orée du vingt-et-unième siècle, avec son identité, son
esprit, sa mission et l'organisation de son association.9
"Le coopérateur est un catholique, qui vit sa foi à l'intérieur de la réalité
séculière qui lui est propre, en s'inspirant du projet apostolique de don Bosco. Il
s'engage sous forme fraternelle et associative dans sa mission auprès des jeunes et
dans le peuple, se sent en communion avec les autres groupes de la Famille
salésienne, oeuvre au bien de l'Eglise et de la société, [et fait tout cela] de manière
adaptée à sa propre condition et à ses possibiités concrètes"10. Les rédacteurs de
cet article voulaient rejoindre les intentions primitives de don Bosco, selon qui le
coopérateur est un vrai salésien dans le monde, autrement dit un chrétien, laïc ou
prêtre, qui, sans se lier par des voeux religieux, réalise sa propre vocation à la
sainteté au service d'une mission dans la jeunesse et le peuple et selon l'esprit de
don Bosco. L'identité du coopérateur ainsi profilée présente trois traits
caractéristiques : elle est chrétienne et catholique, elle est séculière, elle est
salésienne. Un protestant ou un juif peuvent sympathiser et collaborer avec un
groupe de coopérateurs, ils ne peuvent devenir membres d'une association
publiquement ecclésiale.
On se trompe à réserver aux seuls laïcs la coopération salésienne. "Don
Bosco a conçu une association de coopérateurs ouverte à la fois aux laïcs et au
clergé séculier. Le coopérateur laïc pratique son engagement et vit l'esprit salésien
dans les situations ordinaires de la vie et du travail avec sa sensibilité et ses
caractéristiques de laïc ; il en diffuse les valeurs dans son propre milieu. Le
coopérateur prêtre ou diacre séculier exerce son ministère en s'inspirant de don
Bosco, modèle éminent de vie sacerdotale. Dans ses choix pastoraux, il privilégie
les jeunes et les catégories populaires et, de la sorte, enrichit l'Eglise au sein de
laquelle il opère."11
L'engagement des coopérateurs est apostolique. Une promesse de
s'engager vivre le projet évangélique de l'Association des Coopérateurs
salésiens" le sanctionne pour les membres pleinement intégrés dans l'association.12
L'engagement s'exerce dans le monde qui est celui du coopérateur et dans sa vie
quotidienne. De façon générale, le coopérateur, "salésien dans le monde", "veut
suivre Jésus Christ, homme parfait, envoyé par le Père pour servir les hommes
dans le monde. Il cherche pour cela à mettre en oeuvre, dans les conditions
ordinaires de sa vie, l'idéal évangélique de l'amour de Dieu et du prochain."13 En
famille, il aimerait constituer avec les siens ce que Vatican II appelait une "Eglise
domestique"14. Le coopérateur marié trouve dans le mariage, sacrement de
l'amour, la force de vivre avec enthousiasme sa mission d'époux et de parent.15
H est bien entendu que les coopérateurs sont des salésiens laïcs dûment
insérés dans le monde.16 Dans son travail, ses études et ses loisirs, le coopérateur
salésien se sait continuateur de l'oeuvre créatrice de Dieu et témoin du Christ. H le
prouve par son honnêteté, son activité et la cohérence de sa vie, par un sens
professionnel sérieux, par le partage fraternel des joies, des souffrances et des
justes aspirations de son milieu et, en toute circonstance, par son ouverture
généreuse au service de son prochain.17 Parce qu'il est fidèle à l'Evangile et aux

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indications de l'Eglise, le coopérateur forme en soi une conscience droite de ses
responsabilités sociales dans le monde de la culture, de l'économie et de la
politique. Il refuse tout ce qui alimente l'injustice et l'oppression, l'exclusion et la
violence et agit courageusement pour en faire disparaître les causes. H s'engage à
guérir et à renouveler les mentalités et les coutumes, les lois et les structures des
milieux dans lesquels il vit, pour les rendre plus conformes aux exigences
évangéliques de liberté, de justice et de fraternité. Afin de rendre ses interventions
plus efficaces, il s'insère, selon ses propres capacités et ses disponibilités, dans les
structures culturelles, syndicales et socio-politiques de son monde propre.18
Le coopérateur a toujours le souci d'éduquer et d'évangéliser, que don
Bosco résumait dans la formule : "former d'honnêtes citoyens et de bons chrétiens,
qui soient un jour d'heureux habitants des cieux". H partage donc avec les jeunes le
goût des valeurs authentiques, telles que la vérité, la liberté, la justice, le sens du
bien commun et du service. H les éduque à la rencontre du Christ ressuscité par la
foi et les sacrements, afin qu'ils trouvent en Lui le sens de la vie et croissent tels
des "hommes nouveaux".19 Les activités typiques des coopérateurs sont : la
catéchèse et la formation chrétienne ; l'animation de groupes et de mouvements de
jeunesse et de familles ; la collaboration à des centres éducatifs et scolaires ; le
service social des pauvres ; le travail en communication sociale, pour créer de la
culture et diffuser des modèles de vie dans les populations ; la coopération à la
pastorale vocationnelle et la promotion de l'Association Coopérateurs ; le travail
missionnaire et la collaboration au dialogue oecuménique.20
La congrégation salésienne patronne et soude l'organisation de
l'association des coopérateurs. Par la volonté explicite de don Bosco, le recteur
majeur des salésiens est son "supérieur général" et exerce donc les fonctions de
"modérateur suprême" de l'association. H garantit sa fidélité au projet initial du
fondateur et promeut son développement. En collaboration avec le membre de son
conseil, dit conseiller pour la Famille salésienne, il veille à son unité interne et à sa
communion avec les autres groupes de la Famille salésienne. Dans l'exercice de
son ministère, il s'appuie sur la Consulte mondiale des coopérateurs, afin, surtout,
d'animer l'association et de coordonner ses initiatives d'apostolat et de formation.
Sur place, les provinciaux salésiens servent de relais au recteur majeur. Aidés par
les directeurs locaux, ils garantissent la communion interne de l'association et
pourvoient à l'assistance spirituelle de ses centres particuliers21.
L'Association Coopérateurs Salésiens, chemin de sainteté
Un esprit authentiquement salésien stimule le coopérateur. Un dépliant
français a exprimé pourquoi divers contemporains optent pour ce style de vie :
"J'aime les jeunes, leurs aspirations m'interpellent, j'ai choisi d'être proche d'eux.
J'ai besoin d'une pédagogie moderne et d'une spiritualité qui m'enrichit. Je retrouve
fréquemment d'autres laïcs, des salésiens religieux, des soeurs salésiennes, au sein
de la Famille Salésienne, lieu d'échange, de partage, de réflexion, de travail et de
prière."22

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Comme celui de don Bosco, le coopérateur salésien d'aujourd'hui regarde
très haut. L'association des coopérateurs salésiens est un chemin de sainteté,
conclut le Règlement de Vie Apostolique de 1986. "L'association des
coopérateurs, nous dit don Bosco, "est destinée à secouer la langueur de tant de
chrétiens et à difiuser l'énergie de la charité". Choisir ce Règlement de vie
apostolique, c'est trouver un mode évangélique de se réaliser soi-même, en
marchant sur un chemin qui mène à la sainteté. Le Seigneur accompagne par
l'abondance de ses grâces tous ceux qui opèrent dans l'esprit du "da mihi animas",
en faisant du bien à la jeunesse et en préparant ainsi de bons chrétiens pour l'Eglise
et d'honnêtes citoyens pour la société."23
Notes
1. On pourra voir, sur les origines de l'union des coopérateurs salésiens, mon article
"Don Bosco fondatore dei cooperatori salesiani", in Don Bosco fondatore della Famiglia
salesiana. Atti del simposio Roma-Salesianum, 22-26 gennaio 1989, a cura di M. Midali, Roma,
Dicastero della Famiglia salesiana, s.d., p. 325-360.
2. "Appena s'incomincio' l'Opera degli Oratorii nel 1841 tosto alcuni pii e zelanti
sacerdoti e laici vennero in aiuto a coltivare la messe che fin d'allora si presentava copiosa nella
classe de' giovanetti pericolanti. Questi Collaboratori o Cooperatori furono in ogni tempo il
sostegno delle Opere Pie che la Divina Provvidenza ci poneva tra mano." (Cooperatori salesiani
ossia un modo pratico per giovare al buon costume e alla civile società, Albenga, 1876, p. 3.)
3. “Noi cristiani dobbiamo unirci in questi difficili tempi per promuovere lo spirito di
preghiera, di carità con tutti i mezzi, che la Religione somministra e così rimuovere o almeno
mitigare questi mali, che mettono a repentaglio il buon costume della crescente gioventù, nelle
cui mani stanno i destini della civile società”. “Egli è per accorrere a tante necessità che si
cercano Cooperatori." (Cooperatori salesiani..., même édition, p.26 et 27.)
4. "1. Qualunque persona anche vivendo nella propria casa in seno alla propria
famiglia può appartenere alla nostra società. - 2. Egli non fa alcun voto ; ma procurerà di mettere
in pratica quella parte del presente regolamento che è compatibile colla sua età e condizione. - 3.
Per partecipare dei beni spirituali della Società bisogna che faccia almeno una promessa al
Rettore di impiegare le sue sostanze e le sue forze nel modo che egli giudicherà tornare a
maggior gloria di Dio. - 4. Tale promessa non obbliga sotto pena di colpa nemmeno veniale."
(Constitutions salésiennes, ms ACS 022 (3), chap. Esterni.)
5. "Uniti, siccome facevano i primi cristiani, in un cuor solo ed in un'anima sola, per
riuscire nell'importante affare, nel grande progetto della eterna salvezza dell'anima nostra. E'
questo il fine della Associazione Salesiana." (Unione cristiana, 1874, p. 1.)
6. "Scopo fondamentale de' Cooperatori Salesiani si è di fere del bene a se stessi mercè
un tenore di vita, per quanto si può, simile a quello che si tiene nella vita comune." (Cooperatori
salesiani..., éd. cit, § HI.)
7. "Molti fedeli cristtiani per vie meglio giungere alla perfezione ed assicurarsi la loro
salvezza [si] allontanerebbero assai volentieri dal mondo per evitare i pericoli della perdizione,
goder la pace del cuore e così passare la vita nella solitudine, nella carità di N. S. G. C. Ma non
tutti sono chiamati a questo stato. Molti per età, molti per condizione, molti per sanità,
moltissimi per difetto di vocazione ne sono assolutamente impediti. Egli è per soddisfare a
questo generale desiderio che si propone la pia associazione di S. Francesco di Sales."
(Associazione alla Congregazione di S. Francesco di Sales, ms, circa 1873, début)
8. "Diconsi Cooperatori Salesiani coloro che desiderano occuparsi di opere caritatevoli
non in generale, ma in ispecie, d'accordo e secondo lo spirito della Congregazione di S.
Francesco di Sales. I Cooperatori perciò differiscono dai semplici benefattori ; e neanche
debbono considerarsi come una Confraternité o un' Associazione religiosa." (Resoconto dei

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Congressi tenuti dai Direttori Salesiani a Valsalice nell'estate del 1926, in Atti 36, 24 septembre
1926, p. 514-515.)
9. Associazione Cooperatori Salesiani, Regolamento di vita apostolica, Roma, ed.
S.D.B., 1986, 146 p. Ce document a été plusieurs fois commenté de manière autorisée : E.
Viganò, "L'Associazione dei Cooperatori Salesiani", Atti 318, juillet-septembre 1986, p. 3-42 ; J.
Aubry, Guida di lettura al Regolamento di vita apostolica dell'Associazione Cooperatori
Salesiani, Roma, ed. Cooperatori, 1987, 152 p. ; Dicastero per la Famiglia salesiana,
Regolamento di vita apostolica. Commento ufficiale, Roma, ed. S.D.B., 1990, 464 p. Sigle du
Regolamento di Vita Apostolica : RVA.
10. "Il Cooperatore è un cattolico che vive la sua fede ispirandosi, entro la propria
realtà secolare, al progetto apostolico di Don Bosco : si impegna nella stessa missione giovanile e
popolare, in forma fraterna e associata ; sente viva la comunione con gli altri membri della
Famiglia salesiana ; opera per il bene della Chiesa e della società ; in modo adatto alla propria
condizione e alle sue concrete possibilità." (RVA, art 3.) Dans son commentaire, le P. Aubry
spécifie que la proposition terminale : "in modo adatto ... proprie possibilità", s'applique, non pas
à la seule proposition précédente, mais à l'ensemble de l'engagement du coopérateur, depuis : "si
impegna".
11. "Don Bosco ha concepito l'Associazione dei Cooperatori aperta sia ai laici che al
clero secolare. Il Cooperatore laico attua il suo impegno e vive lo spirito salesiano nelle ordinarie
situazioni di vita e di lavoro, con sensibilità e caratteristiche laicali, e ne diffonde i valori nel
proprio ambiente. Il Cooperatore sacerdote o diacono secolare attua il proprio ministero
ispirandosi a Don Bosco, modello eminente di vita sacerdotale. Nelle scelte pastorali privilegia i
giovani e gli ambienti popolari, arricchendo in questo modo la Chiesa nella quale opera." (RVA,
art. 4.)
12. "Prometto di impegnarmi a vivere il Progetto evangelico dell'Associazione dei
Cooperatori Salesiani”, dit la formule de la Promesse en RVA, art 40.
13. "Egli vuole seguire Gesù Cristo, Uomo perfetto, inviato dal Padre a servire gli
uomini nel mondo. Per questo tende ad attuare, nelle ordinarie condizioni di vita, l'ideale
evangelico dell'amore a Dio e al prossimo." (RVA, art. 7.)
14. Voir Lumen gentium, 11 ; et RVA, art. 8.
15. RVA, art. 9.
16. Voir N. Nicastro, "I cooperatori sono salesiani laici inseriti nel mondo", in La
dimensione sociale della carità. Atti della XIV settimana di spiritualità della Famiglia salesiana,
Rome, ed. S.D.B., 1991, p. 109-112.
17. RVA, art. 10.
18. RVA, art. 11.
19. RVA, art. 14.
20. RVA, art 16. On pourra trouver une liste des "champs d'action du coopérateur
salésien", au moins pour l'Italie des années 80, dans l'article d'E. Manno "Il Cooperatore
Salesiano", in Le vocazioni nella Famiglia salesiana. IX settimana di spiritualità della Famiglia
salesiana, Leumann, Elle Di Ci, 1982, p. 139-140.
21. RVA, art 23.
22. "Qui suis-je ? Je suis salésien coopérateur de don Bosco", dépliant Paris, éd. Don
Bosco, vers 1997.
23. "L'Associazione dei Cooperatori - ci dice Don Bosco - fetta per scuotere dal
languore nel quale giacciono tanti cristiani, e diffondere l'energia della carità". Scegliere questo
Regolamento di vita apostolica è trovare un modo evangelico di realizzare se stessi,
incamminandosi per una via che porta alla santità. Il Signore accompagna con l'abbondanza
delle sue grazie tutti coloro che operano nello spirito del "da mihi animas", facendo del bene alla
gioventù, preparando cioè buoni cristiani alla Chiesa e onesti cittadini alla società." (RVA, art.
50.)

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167
Correction fraternelle
La correction fraternelle
La correction fraternelle est d'abord un acte de charité naturelle. "Tout ce
que vous seriez heureux qu'on vous fît, faites-le aux autres !" (Matthieu 7, 12),
n'est pas spécifiquement chrétien. Les philosophes anciens la connaissaient.
"L'homme de bien se réjouit de la monition, le méchant ne supporte qu'avec rage
celui qui le corrige", écrivait Sénèque1. Les juifs du temps de Jésus la pratiquaient
: "Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'oeil de ton frère, alors que tu ne
remarques pas la poutre qui est dans le tien ? Et comment peux-tu dire à ton frère
: Frère, laisse-moi ôter la paille de ton oeil ... ?" (Luc 6, 41-42.) Quant à Jésus
lui-même, il la recommandait : "Si ton frère vient à pécher, va le trouver et
reprends-le, seul à seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère." (Matthieu 18, 15.)
Saint Paul lui faisait écho : "Si quelqu'un se laisse surprendre par quelque faute,
vous, les spirituels, redressez-le dans un esprit de mansuétude, prenant garde
vous-mêmes à ne pas vous laisser induire en tentation" (Galates 6, 1.) Les Pères
du Désert avaient mille manières de se corriger l'un l'autre : en secret, en public,
par un ami, par un supérieur, par un tiers, de vive voix, par billet, par l'exemple,
communautairement, seul à seul. Fréquemment très durs dans leurs observations, il
leur arrivait aussi d'être d'une surprenante douceur.
Des philosophes anciens aux spirituels chrétiens, le motif, l'exigence et
l'amplitude de l'intervention ont changé. La bienveillance de l'ami chrétien a des
racines autrement profondes. Sa charité surnaturelle veut écarter de l'âme de son
frère le péché, l'occasion de péché et l'obstacle à sa montée vers Dieu. Le chrétien
n'intervient pas seulement pour la correction d'un vice, mais aussi pour aider son
ami à approcher de la perfection vers laquelle sa qualité de baptisé l'oblige à tendre
: "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait." Qui se sent responsable de
l'âme de son frère ne recule devant aucune objection. Sa générosité envers lui naît
de sa foi.
La correction fraternelle amicale
La correction fraternelle amicale fut, en d'autres temps, une coutume
répandue dans la famille salésienne.
L'amitié spirituelle, telle que don Bosco la concevait et la recommandait,
réclamait en effet des mises au point réciproques. C'était simple : le moniteur
dénonçait les défauts de son ami et l'exhortait à faire mieux. Lui-même, dans sa
jeunesse, avait été rappelé à l'ordre par son ami Comollo. Devenu prêtre, il
attribuait volontiers un moniteur à certains de ses garçons. Sur son conseil, les
adolescents de ses oeuvres pratiquaient entre eux la correction mutuelle. On leur
donnait en exemple les relations de Savio et Massaglia à l'oratoire du Valdocco. A
la fin d'une retraite spirituelle, ils avaient voulu se montrer "vrais amis" et, pour
cela, être le moniteur l'un de l'autre pour tout ce qui pouvait contribuer à leur

2.4 Page 14

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168
progrès spirituel. "Quand tu remarqueras chez moi quelque défaut, aurait dit
Dominique à son ami Massaglia, dis-le moi tout de suite pour que je puisse m'en
corriger, ou, si tu trouves quelque chose de bien que je puisse faire, n'oublie pas de
m'en avertir."2
Don Rua disait avoir beaucoup apprécié dans sa jeunesse la coutume du
"moniteur secret", pour se libérer de ses défauts et progresser en vertu. Lors d'une
prédication de retraite de 1899 aux aspirants et novices salésiens, il reconnaissait
en avoir tiré lui-même grand avantage.3 Entre 1884 et 1889, dans les cercles
spirituels de l'institut de vocations tardives de San Giovanni Evangelista, à Turin, à
l'initiative du directeur Filippo Rinaldi "on pratiquait la correction réciproque des
défauts", nous dit-on.4 La correction fraternelle est naturelle aux amis de coeur qui
partagent les mêmes goûts et nourrissent les mêmes désirs spirituels. La véritable
amitié selon saint François de Sales et don Bosco inclut la correction fraternelle.
La correction fraternelle par fonction
Don Rua poursuivait son discours de 1899 en remarquant que la pratique
du moniteur particulier n'avait pas subsisté dans le monde salésien de son temps.
La correction n'y était plus assurée que par des moniteurs d'office, c'est-à-dire par
des supérieurs responsables, et, à l'occasion, par des compagnons soucieux du bien
commun. Dans ces cas, le problème spirituel est double, passif du point de vue du
subordonné qui reçoit la correction, actif du point de vue du correcteur qui la
donne.
Dans son neuvième Entretien spirituel aux visitandines, saint François de
Sales disserta sur la correction à peu près uniquement de ce point de vue passif.
La question posée : "Comment il faut faire pour bien recevoir la correction, sans
qu'il nous en demeure du sentiment ou de la sécheresse de coeur", ne lui
demandait d'ailleurs pas autre chose. H commençait par affirmer l'impossibilité
"d'empêcher que le sentiment de colère ne s'émeuve en soi et que le sang ne monte
au visage." "H n'y a personne qui n'ayt de l'aversion à la correction." Pour ne pas
s'emporter et retrouver son calme, il conseillait de s'humilier simplement devant
Dieu et de Lui parler d'autre chose. "Humiliez-vous d'une humilité douce et
paisible, et non pas d'une humilité chagrine et troublée." Le "corrigé" veillera à ne
pas alimenter son ressentiment naturel et s'efforcera de tirer profit des remarques
entendues.5
Dans son instruction de 1899 aux novices salésiens, don Rua commençait
par dire la nécessité de la correction. L'homme est en effet sujet à commettre
quantité d'erreurs par suite de ses passions et de l'obscurcissement de son
intelligence. Il convient donc que quelqu'un vienne y mettre un peu d'ordre. Le
jardin non entretenu se couvre de mauvaises herbes. Au lieu de donner des fleurs
et des fruits, il ne peut que servir de pâture aux animaux. Même chose pour le
jardin de nos âmes. Si les mauvaises herbes n'en sont pas arrachées, la saleté
l'envahit et il risque de devenir un repaire de diables, alors que Dieu voulait en
faire sa demeure de prédilection. De tels coeurs sont doublement dangereux pour
leurs communautés. D'abord, ils poussent des racines, qui contaminent autrui

2.5 Page 15

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169
autour d'eux au grand détriment des communautés religieuses. Et puis, parce qu'ils
critiquent tout ce qui se fait malgré eux, ils sont sources d'amertume, de disputes,
et de dissensions. Aussi don Bosco demandait-il de les éloigner au plus vite.
Les conseils de don Rua aux réprimandés ressemblaient assez à ceux de
saint François. Dès que, disait-il, la bouche s'ouvre sur un reproche, le coeur se
rebelle et voudrait se révolter. Mais gardons notre calme. Quand le correcteur
aura terminé ses observations, nous lui dirons notre reconnaissance. Voulez-vous
faire preuve de grande perfection ? poursuivait-il. Priez pour celui qui vous a fait
la correction. Les excuses afflueront dans votre esprit pour vous disculper. Le
mieux sera de ne rien dire, même si vous croyez que le correcteur s'est trompé. Au
reste, si le supérieur devait soutenir une discussion chaque fois qu'il doit nous faire
une remarque, il se fatiguerait bientôt. Au contraire, pour se mieux disposer à
recevoir la correction, allons nous-mêmes prier notre supérieur de nous faire les
remarques nécessaires à la correction de nos défauts. "Ah ! ne permettons pas que
le supérieur puisse imaginer que nous ne recevons pas volontiers la correction !"6
Dans leurs lettres circulaires, les recteurs majeurs Rua et Albera ont traité
de la correction fraternelle officielle du seul point de vue actif, celui du supérieur
responsable de ses frères. Une telle correction n'est nullement facultative,
observaient-ils. Elle engage gravement la conscience du supérieur. "Ne négligez
pas la correction fraternelle quand vous en remarquez le besoin, recommandait
don Rua aux inspecteurs et directeurs salésiens. N'attendez pas que le mal
s'aggrave, mais, en temps opportun, in spiritu lenitatis (avec douceur), exhortez le
tiède, corrigez le coupable, le déficient, secouez le négligent. Faites aussi
comprendre aux hésitants la gravité de la faute de qui abandonne sa profession
religieuse et l'ingratitude du rejet de la vocation que Dieu leur a donnée dans sa
bonté."7
Don Albera se montra particulièrement sensible au devoir de correction
chez le supérieur. Il y revint à deux reprises dans ses circulaires. "Quelle que soit
sa charge, le supérieur ne doit pas manquer à l'obligation de corriger les défauts de
ses subordonnés, écrivit-il en 1911. Selon saint Bonaventure, le supérieur infidèle
à son devoir de correction pèche contre Dieu, dont il profane l'autorité, contre ses
confrères qu'il laisse tomber dans l'irrégularité et le relâchement, contre sa propre
conscience qui sera chargée non seulement de ses propres fautes, mais aussi de
celles des autres. Quelle terrible responsabilité encourrait le supérieur qui, pour
gagner en popularité, permettrait à ses sujets ce qu'interdisent les constitutions ou
qui serait contraire aux ordres des supérieurs majeurs !"8
H éprouva plus tard le besoin de s'expliquer sur la manière de corriger
salésiennement. La correction doit être frite en temps opportun, jamais sur le fait.
Qu'elle ne se passe pas en public, surtout en cas de colère. Le salésien évite les
reproches âpres et violents. Que la correction se déroule dans le calme. "C'est ce
qu'enseignait saint François de Sales, et c'est ainsi qu'agissait notre très doux don
Bosco"9. Le lieu n'est pas indifférent. Le bureau du directeur au cours d'une
conversation intime, avec possibilité d'explications à un supérieur rempli de bonté
indulgente, semble l'endroit idéal pour la correction fraternelle.10

2.6 Page 16

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170
Qu'elle provienne d'un ami ou d'un supérieur, la correction fraternelle
salésienne est empreinte de franchise, mais aussi de bonté et de douceur.
Correction fraternelle, confession et compte rendu spirituel
La correction fraternelle a pour but l'éradication des défauts et le progrès
dans la vie spirituelle. A plusieurs égards, elle se confond donc avec la direction
spirituelle, qui, traditionnellement, est exercée pour le monde salésien en
confession et lors du "compte rendu" du religieux. Le directeur spirituel (ou le
confesseur) salésien est un véritable moniteur en vie spirituelle. De don Rua, dans
une circulaire de 1899 aux inspecteurs et aux directeurs d'oeuvres, à don Viganô
en 1983, lors de la dixième semaine de spiritualité dans la famille salésienne, les
responsables salésiens y ont insisté.11 Ne prenons qu'un exemple.
"La tâche du directeur spirituel est de nous faire connaître ce que Dieu
veut de nous, expliquait par exemple don Albera, les vertus que nous devons
pratiquer, les moyens auxquels il nous faut recourir, les périls contre lesquels nous
devons nous prémunir pour ne pas manquer à notre vocation salésienne. C'est lui
qui doit nous exciter dans nos relâchements et nous modérer dans nos ardeurs
indiscrètes ; c'est lui qui doit refréner notre imagination et nous indiquer la juste
mesure dans la pratique de la vertu, dans le choix des lectures et dans les relations
avec autrui, la vraie nature des tentations et les armes les plus opportunes pour les
combattre. C'est lui qui doit nous instruire sur les meilleurs moyens d'éradiquer
nos défauts et d'acquérir les vertus ; qui doit contrôler notre exactitude dans les
pratiques de piété, dans l'observance des règles et dans l'accomplissement des
devoirs inhérents à notre vocation. Tout cela nous ne pouvons l'avoir que d'un
guide stable et tout imprégné de l'esprit salésien."12
Supposée non réduite à son seul côté négatif, la direction spirituellle
recouvre un peu toute la correction fraternelle dans le monde salésien.
Correction fraternelle et révision de vie
Toutefois, cette correction fraternelle si estimable n'a plus bonne presse
dans la société libérale de l'Occident contemporain. On apprécie peu qu'autrui se
mêle de ses affaires personnelles. Dans la mesure où, aujourd'hui, le religieux de
vie active s'isole souvent (et abusivement) dans sa communauté, il entend faire ce
qu'il veut et comme il le veut. Les remarques sur sa vie privée lui sont donc
importunes. D'ailleurs, les entreprises de perfection personnelle ne sont pas du
goût de ceux qui vivent pour leur seul apostolat. Communément, même chez les
religieux salésiens, de nos jours le conseil évangélique de la correction est donc
relativement peu pratiqué. D'autant plus qu'ils ne connaissent pas les "chapitres des
coulpes" en usage dans les monastères (avec accusations, remarquons-le bien, des
seuls manquements extérieurs contre la règle, les constitutions et les usages de la
congrégation)13, qui pourraient un peu pallier cette déficience. On manque sans
doute de courage pour faire la correction et d'humilité pour la recevoir.

2.7 Page 17

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171
Quelques indices paraissent pourtant encourageants. La préoccupation
apostolique tient en éveil les membres fervents de la famille salésienne. Selon le
recteur majeur Juan Vecchi, "les groupes de la famille salésienne demandent non
seulement des aumôniers, mais des directeurs spirituels. Les communautés
éducatrices et les groupes de laïcs trouvent souvent au moins un salésien qui, en
plus de la partie pédagogique, est à même de suivre aussi leur vie de foi"14. S'ils
parviennent à vaincre l'inattention, la paresse, la routine, voire le respect humain,
la correction fraternelle elle-même les intéresse. Une bonne manière de bousculer
les obstables paraît être la pratique adaptée de la révision communautaire de vie
que les mouvements d'action catholique, dans lesquels beaucoup de salésiens ont
été et sont encore impliqués, ont introduite dans la spiritualité contemporaine.
Centrée sur "l'événement", elle ne convient pas nécessairement comme telle à
toutes les situations. Mais sa méthode est instructive pour tous ceux qui croient à
l'utilité de se mettre communautairement en question.15
Les méthodes schématisées de la révision de vie se ramènent
pratiquement à six étapes, qu'il est bon de connaître. Un partage des faits,
chacun apporte l'événement qui l'a frappé, dans lequel il se sent directement ou
indirectement impliqué. Le groupe choisit l'un de ces faits, soit en fonction de son
intérêt pour l'ensemble, soit surtout à cause de son épaisseur humaine, qui en fait
un événement. L'analyse de l'événement. On analyse qui est concerné, les
causes et les conséquences, les réactions des personnes et des groupes, les
transformations en train de se réaliser. La recherche de signification. On
réfléchit sur les motivations manifestées par les personnes, le sens qu'elles ont
donné à leur action, un peu à la manière dont Jésus a souligné dans l'Evangile
l'attitude de Zachée, de la pécheresse, de la Chananéenne, de la Samaritaine, de la
veuve ou de Bartimée. Cette troisième étape est primordiale pour la révision, car
la signification dans la foi ne peut se greffer, pense-t-on de nos jours, que sur la
signification humaine. L'approfondissement dans la foi. Pour cette étape, on se
réfère à la Parole de Dieu, pas nécessairement à tel ou tel passage, mais à la
dynamique générale de cette Parole, aux lignes de force qui traversent toute la
Bible, plus particulièrement lEvangile. La Parole de Dieu interroge et purifie les
choix et les actions. L'écoute et le partage des appels. Chacun est alors invité à
se laisser provoquer en profondeur par la réflexion ainsi faite. Les événements sont
devenus porteurs d'un appel estimé être celui du Sauveur lui-même. Un temps
de prière et de célébration. Ce temps a été amorcé tout au long de la révision de
vie, qui a été jalonnée de moments de silence contemplatif. Un temps de silence ou
une célébration communautaire le prolonge. Une célébration eucharistique, une
célébration du pardon de Dieu, un appel à rEsprit ou une oraison personnelle
peuvent être la conclusion normale de la révision de vie.16
La révision de vie est un chemin de conversion au Dieu de Jésus Christ.
Elle ne conduit pas d'abord, comme la correction mutuelle, à une conversion de
type moral, à une nouvelle éthique, mais à une conversion de type théologal, qui
devient une rencontre de Dieu sauveur dans l'aujourd'hui. Ce chemin de vie
ecclésiale permet de prendre conscience de la mission de lEglise et d'y participer
effectivement. Elle ouvre au sens du péché, en frisant percevoir il se cache et
en le mettant au grand jour. Différente de la correction fraternelle, elle aboutit à

2.8 Page 18

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172
des résultats voisins dans la conscience de ceux qui acceptent d'être mis
communautairement en cause. Pourquoi, dès lors, ne pas l'adapter au cours de
réflexions communes qui ne soient pas de type purement apostolique ?
Notes
1. De ira, lib. 3, chap. 36. Les considérations d'ensemble sur la correction fraternelle
ont été empruntées à l'article de Marius Nepper, "Correction fraternelle", Dictionnaire de
Spiritualité, t 2, 1953, col. 2404-2414.
2. "Se tu scorgerai in me qualche difetto, dimmelo tosto, affinchè me ne possa
emendare, oppure se vedrai qualche cosa di bene che io possa fare, non mancare di
suggerirmelo." (G. Bosco, Vita del giovanetto Savio Domenico, 1859, chap. XVIII.)
3. "Cosi* nelle relig. vi è generalm. il monit. secr. ed anche nell'Orat ns. era una volta
in uso tale bella prat. ed io st posso coni, che gr. fu il vant. ricev. dagli avvisi del monit. secr.
che aveva quando anc. era secol." (M. Rua, Della correzione fraterna, in Instructions d'exercices
spirituels, Lanzo, 1899, ms, cahier inédit, p. 42-44, FdB 2895 El 1-12.)
4. E. Ceria, Vita del Servo di Dio Sac. Filippo Rinaldi, SEI, 1948, p. 61.
5. Titre complet de l'Entretien : "Auquel est traitté de la modestie, de la façon de
recevoir les corrections et du moyen d'affermir tellement son esprit en Dieu que rien ne l'en
puisse détourner" Vrays Entretiens spirituels, IX ; in Oeuvres, t. VI, p. 131-156. Thème de la
correction, p. 143-147.
6. "Ah ! non permett. che il Sup. abbia a form. di noi l'idea che non ricev. volent, la
correz." (M. Rua, Della correzione fraterna, loc. cit, p. 44-48.) Un autre sermon intitulé
Correzione fraterna figure dans le cahier manuscrit Vm non paginé d'Esercizi spirituali de don
Rua. Il a été reproduit en FdB 2945 D6-11 et ne semble rien contenir d'original.
7. "Non omettete la correzione fraterna quando ne scorgete il bisogno ; non lasciate
che il male si aggravi, ma in tempo opportuno in spiritu lenitatis esortate il tiepido, correggete il
colpevole, il difettoso, animate il negligente. Fate pur comprendere ai dubbiosi quale grave colpa
sia il defezionare dalla propria religiosa professione e quale ingratitudine sia il rigettare quella
vocazione che Dio per sua bontà ha loro data." (M. Rua, Circulaire aux inspecteurs et directeurs,
29 novembre 1899, in L.C., p. 197.)
8. " ... il Superiore, qualunque sia la sua carica, deve trascurare l'obbligo di
correggere i difetti de' suoi dipendenti. Secondo S. Bonaventura il Superiore infedele al dovere
della correzione pecca contro Dio, di cui profana l'autorità, contro i confratelli che lascia cadere
nell'irregolarità e rilassatezza, contro la propria coscienza che sarà onerata non solo dei proprii
falli, ma ancora di quelli degli altri. Quale terribile responsabilità assumerebbe quel superiore
che per acquistarsi popolarità, permettesse a' suoi sudditi ciò che vietano le Costituzioni o che
fosse contrario a quanto comandano i Superiori Maggiori ! ... " (P. Albera, Circulaire aux
salésiens, 25 décembre 1911, in L.C., p. 67.)
9. "Questo insegnava San Francesco di Sales, e cosi' operava il nostro dolcissimo Don
Bosco." (P. Albera, Circulaire aux inspecteurs et aux directeurs, 23 avril 1917, § Correzione,
L.C., p. 225.)
10. L’ensemble du paragraphe Correzione, circulaire citée, p. 224-226.
11. M. Rua, Circulaire aux inspecteurs et directeurs, 29 novembre 1899, dans L.C., p.
195-200 ; Collectif, La direzione spirituale nella Famiglia Salesiana. Atti della X Settimana di
spiritualità nella Famiglia Salesiana, Roma, ed. SDB, 1983. Voir sur cette question, ci-dessous,
les articles Direction spirituelle et Pénitence.
12. "... n compito del direttore spirituale è quello di farci conoscere quello che Dio
vuole da noi, le virtù che dobbiamo praticare, i mezzi a cui dobbiamo ricorrere, i pericoli contro
cui dobbiamo premunirci per non venir meno alla nostra vocazione salesiana. E' lui che deve
eccitarci quando siamo rilassati, e moderarci negli ardori indiscreti ; è lui che deve frenare la
nostra immaginazione, e additarci la giusta misura da tenere nella pratica della virtù, nella scelta
delle letture, e nelle relazioni col prossimo, la vera natura delle tentazioni e le anni più

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173
opportune per combatterle. E' lui che deve istruirci sui mezzi migliori per sradicare i difetti e
acquistare le virtù ; che deve misurare la nostra esattezza nelle pratiche di pietà, nell'osservanza
delle regole e nell'adempimento dei doveri inerenti alla vocazione. Ora queste cose non possiamo
avere se non da una guida stabile e tutta ripiena dello spirito salesiano." (P. Albera, Circulaire
aux prêtres salésiens, 19 mars 1921 ; L.C., p. 420.)
13. Voir Ph. Schmitz, "Chapitre des coulpes", Dictionnaire de Spiritualité, t 2, 1953,
col. 483-488.
14. J. Vecchi, "Spiritualité", p. 12, lors de la session CG 24 et Vie consacrée, Paris,
décembre 1997.
15 J. Bréheret, "Révision de vie", dans Dictionnaire de Spiritualité, t. 13, 1988, col.
493-500.
16. D'après J. Bréheret, loc. cit., col. 495-496.

2.10 Page 20

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174
Courage
Courage égoïste et courage altruiste
Le courage fut, après l'humilité, la deuxième qualité que don Bosco
affirmait lui avoir été conseillée par la Dame du songe de ses neuf ans pour la
réussite de son oeuvre apostolique. L'historicité du propos n'est pas en cause.
Seule la leçon aux disciples, très claire, importe. "Rends-toi humble, fort, robuste",
lui aurait-elle dit selon sa reconstitution didactique du rêve1. La "force" qui lui
était conseillée aurait pu être à la fois physique et morale. Mais l'adjectif "robuste",
qui suivait et signifiait sans aucun doute la bonne santé et la force physique,
excluait celle-ci de l'adjectif. "Fort" qualifiait la force d'âme, c'est-à-dire
essentiellement le courage, capacité de surmonter la peur, selon l'acception la plus
courante du terme. A l'image de son maître, le courage devrait être l'une des
qualités maîtresses du disciple de don Bosco.
N'importe quel courage ne satisfaisait pas ce maître. Le courage salésien
est altruiste. Certes, le courage, quel qu'il soit, est admirable, et partout la lâcheté
ou la poltronnerie, son envers, sont méprisées. Mais il est un courage fermé sur
soi, "égoïste" si l'on veut, par exemple de se baigner dans l'eau glacée. En
revanche, se jeter à l'eau au risque de sa vie pour sauver un malheureux sur le
point de se noyer est un acte de courage désintéressé. "Le courage n'est vraiment
moralement estimable que lorsqu'il se met, au moins partiellement, au service
d'autrui, que lorsqu'il échappe, peu ou prou, à l'intérêt égoïste immédiat," dit,
peut-être avec raison, un philosophe contemporain.2 La force d'âme du disciple de
don Bosco, mise généreusement au service des autres, prioritairement à celui des
jeunes, s'enracine dans sa charité. H ne sacrifie pas sa joie pour autant. La charité
est gratifiante, même lorsqu'elle n'est pas reconnue. L'ego y gagne quelque plaisir.
Elle n'en est pas moins vertueuse. "Trouver son plaisir dans le service d'autrui,
trouver son bien-être dans l'action généreuse, loin que cela récuse l'altruisme, c'est
sa définition même et le principe de la vertu."3 Don Bosco usa sa vie
courageusement et jusqu'à épuisement de ses forces pour ses enfants, ses fils et ses
filles, ses religieux et ses coopérateurs. En 1886, avant son voyage à Barcelone,
l'un de ses intimes lui attribuait un corps de cent ans, alors qu'il n'en avait que
soixante-dix. Mais se donner avait toujours fait son bonheur.
Deux recteurs courageux : don Rua et don Rinaldi
Les disciples l'ont imité. Choisissons, parmi les plus illustres, deux
salésiens dont le courage sera toujours exemplaire pour les membres de la famille
salésienne.
Don Rua reçut en 1888 la tâche très rude de succéder à don Bosco. Il dut
affronter une montagne de difficultés. Eh bien, si nous suivons l'un de ses

3 Pages 21-30

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3.1 Page 21

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175
biographes, "dans cette vie - qui fut longue, presque trois quarts de siècle - le
découragement ne pénétra jamais. Certaines épreuves broyèrent son âme,
inondèrent son coeur de tristesse, mais la volonté, toujours calme et décidée, ne
relâcha rien de l'oeuvre entreprise. Il se rappelait Don Bosco qui, par les pires
tempêtes, n'avait jamais cessé de creuser son sillon. Un petit fait de rien, mais
combien significatif, révèle l'énergie de cette âme. En ses derniers jours il n'arrivait
plus à tracer une seule ligne, tellement sa main tremblait d'épuisement et de fièvre.
Pourtant il voulait suffire encore tout seul à son courrier personnel. Alors pour
maintenir ferme sa plume, il plaçait sur son poignet une brique ou un morceau de
bois, qui, en le comprimant solidement, réduisait en partie ses convulsions de
nerfs."4
Le secrétaire particulier du recteur Rinaldi, don Vacca, a rendu un
témoignage parlant de son courage. "Le mal, qui finalement l'anéantit, lui imposa
un exercice héroïque de courage (fortezza) et de résistance, en particulier dans ses
dernières années. Bien conscient de son état et de la condition dangereuse de son
coeur, y compris durant ses deux dernières années, il se soumit à des voyages
fatigants pour porter, même au loin, le réconfort de son sourire. ... Partout c'était
un triomphe et une émotion filiale, mais qui peut parler de ses efforts ? Moi qui le
surveillais, je m'apercevais de sa faiblesse et de sa fatigue. Mais lui, sans jamais
reculer, appartenait toujours à tous, qu'il s'agisse de donner audience, d'être l'objet
de manifestations festives, de célébrer des cérémonies religieuses. Et sans jamais
laisser se ternir le sourire de son visage ni laisser transparaître quelque fatigue ou
mécontentement... Et il n'en parlait jamais. H s'adaptait à son mal avec une telle
sérénité que le recours à l'aide d'autrui semblait plutôt de sa part un acte de
confiance paternelle qu'une nécessité inéluctable ... "5
L'un et l'autre furent de vivantes leçons pour la famille salésienne de leur
temps. Les générations successives gagnent à méditer leurs exemples.
La force, don de l'Esprit Saint
"Soyez forts", tout en conservant un juste milieu dans votre audace,
enseignait le recteur Ricaldone aux salésiens. Que votre "saint courage" vous
rende intraitable contre le mal. Soyez persévérants dans votre devoir. Face à la
souffrance, sachez endurer, mais aussi vous soigner convenablement. Le stoïcisme
n'est pas une vertu chrétienne. Mais, quand l'honneur de Dieu et le bien des âmes
le réclament, soyez capables, comme nos missionnaires, de marcher
courageusement jusqu'au martyre.6 Le recteur Rinaldi avait eu l'occasion de
magnifier le courage de Mgr Luigi Versiglia et de don Callisto Caravario, morts
victimes de pirates chinois, ennemis de la foi chrétienne, pour avoir protégé
l'honneur de femmes sans défense.7 De toute manière, la "nouvelle évangélisation"
requiert de l'audace apostolique, prêchera le recteur Viganô8.
La force d'âme, courage altruiste, est indispensable au salésien apôtre, qui
n'est ni un rêveur ni un endormi. Son amour d'autrui est, dans l'idéal tout au moins,
énergique et efficace. L'action au service des hommes nécessite des réserves de
courage. Le disciple de don Bosco a besoin du Dieu fort. Le don du Saint Esprit,

3.2 Page 22

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176
dit de force, "est l'amour qui encourage et anime le coeur pour executer ce que le
conseil a determiné devoir estre fait", expliquait saint François de Sales9. Il
"signifie courage, constance, ténacité, force intérieure, endurance, résistance à
l'effort, à la souffrance, persévérance dans les desseins", rappellera le recteur
Vecchi10. C'est le don qui est le mieux apparu le jour de la Pentecôte,
commentait-il, quand les apôtres sont devenus directs dans l'expression, prêts à
affronter les risques, sans détours face au peuple et à l'autorité. Ce don impose aux
éducateurs de n'être ni hésitants, ni ambigus, mais, même remplis d'affection, clairs
et explicites dans leurs évaluations et leurs propositions. H nous dit de ne pas
céder au conformisme environnant, mais de former à une juste résistance,
d'enseigner que les résultats requièrent un long effort, que le "changement" ne
résout pas toujours les doutes et les épreuves, que la fidélité à long terme apporte
avec elle des joies neuves et fortes.11
L'esprit d'initiative, signe de courage apostolique, est essentiel à l'esprit
salésien, enseigne de son côté la Charte de communion de la famille salésienne. Et
elle s'explique longuement sur ce signe de fidélité à l'Eglise. L'Eglise, gardienne du
dépôt de la Parole de Dieu, d'où proviennent les principes d'ordre moral et
religieux, même si elle ne fournit pas toujours la solution de chaque question
particulière, désire unir la lumière de la Révélation à la compétence de tous, pour
éclairer la route sur laquelle l'humanité s'est récemment engagée. La recherche
courageuse du meilleur bien et la créativité apostolique s'imposent à tous les
chrétiens, mais surtout aux apôtres. Dans une société caractérisée par la mobilité,
la hâte et la rapidité, la perte du sens et de l'esprit d'initiative pastorale serait
mortelle aux membres de la famille salésienne. Don Rinaldi avertissait les salésiens
: "La souplesse dans l'adaptation à toutes les formes de bien qui apparaissent
continuellement au sein de l'humanité est l'esprit même de nos constitutions, et le
jour s'introduirait une variante contraire à cet esprit annoncerait la fin de notre
société".12.
La force courageuse, ressort de la volonté, ennemie des capitulations
paresseuses, dynamise toutes les vertus du salésien.
Notes
1. "Renditi umile, forte, robusto" MO Da Silva, p. 36.
2. Je m'inspire ici librement d'A. Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus,
PUF, 1995 : "Le courage", p. 59-79.
3. A. Comte-Sponville, loc. cit., p. 63.
4. A. Aufiray, Le premier successeur de Don Bosco, Lyon, Vitte, 1932, p. 347.
5. "Esercizio eroico di fortezza e di resistenza, negli ultimi anni particolarmente, gli fu
offerto dal male, che poi l'annientò. Pur conoscendo il suo stato e la condizione pericolosa del
suo cuore, anche nell'ultimo biennio si sottopose a viaggi faticosi, per portare, anche lontano, il
conforto del suo sorriso ... Ovunque era un trionfo ed una emozione filiale, ma chi può dire lo
sforzo suo ? Io che lo sorvegliavo, mi accorgevo della sua depressione e fatica, ma lui era sempre
per tutti, sia per dare udienza, ricevere manifestazioni festose, celebrare funzioni, senza darsi
vinto ; e non mai che il suo sorriso si modificasse sul suo volto e lasciasse trasparire stanchezza o
intolleranza ... E non ne parlava mai, agendo con uno spirito di adattamento al suo male così

3.3 Page 23

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177
serenamente che il ricorso dell'aiuto altrui sembrava piuttosto da parte sua un atto di patema
confidenza che non un bisogno inderogabile ... " (Procès informatif de béatification et de
canonisation de don Rinaldi, Summarium, p. 255 ; dans L. Fiora, Informatìo super virtutibus,
Rome, 1983, p. 139.)
6. P. Ricaldone, Le virtù cardinali (coll. Formazione salesiana), Torino-Leumann,
EUe Di Ci, 1965, p. 225-288.
7. F. Rinaldi, Lettre aux salésiens, 24 avril 1930, Atti 53, p. 852-864.
8. Lettre aux salésiens, 4 mars 1992, dans .4«/ 340, p. 13-15 ; L.C., p. 1238-1239.
9. Traité de l'amour de Dieu, livre XI, chap. XV ; Oeuvres, t. V, p. 292.
10. "Significa coraggio, costanza, tenacia, forza interiore, capacità di tenuta, resistenza
allo sforzo, alla sofferenza, persistenza nei propositi." (J. Vecchi, "La strenna per il 1998", dans
les Atti delle XXgiornate di spiritualità della Famiglia Salesiana, Roma, 1998, p.169.)
11. J. Vecchi, ibid., p. 168-169.
12. "Don Filippo Rinaldi ricorda con forza ai salesiani : "Questa elasticità di
adattamento a tutte le forme di bene che vanno di continuo sorgendo nel seno dell'umanità è lo
spirito proprio delle nostre Costituzioni ; e il giorno in cui si introducesse una variazione
contraria a questo spirito, per la nostra Società, sarebbe finito." (Carta di comunione, 1995, art.
25.)

3.4 Page 24

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178
Croix
La "passion" dans la spiritualité salésienne
Les salésiens aiment la sainteté réalisatrice1. Tous les membres de
famille salésienne sont appelés à une vie d'apôtres. Us admirent en don Bosco
l'homme laborieux. Formés dans ce climat spirituel, il peut leur être utile de
confronter l'action, connaturelle à leur vocation, à la passion, son opposée, qui
semble lui être à première vue étrangère.
L'histoire du christianisme témoigne au contraire qu'apostolat et martyre
sont intimement liés entre eux. Les douze "apôtres" de Jésus ne sont-ils pas tous
donnés comme martyrs ? Les deux confrères salésiens, Luigi Versiglia et Callisto
Caravario, béatifiés par Jean-Paul U le 15 mai 1983, ont témoigné de façon
éminente par leur martyre en Chine (25 février 1930), des valeurs et de l'esprit
d'une authentique vocation salésienne.
Dans le groupe des serviteurs de Dieu salésiens, le cas du vénérable
Andrea Beltrami (1870-1897), mort à 27 ans après une dizaine d'années de
maladie, nous surprend et même nous déconcerte.2 A partir de dix-huit ans, le mal
le condamna progressivement à une vie de souffrances incessantes. Il ne pouvait se
livrer qu'à l'apostolat de la plume. On lui doit un drame et plusieurs biographies
édifiantes. D'une ténacité de volonté à toute épreuve, affamé de sainteté, il
consuma son existence dans la douleur et le travail. "La mission que Dieu me
confie, disait-il, est de prier et de souffrir." "Il disait que son apostolat était
l'apostolat des souffrances et de la prière", selon son directeur au procès de
béatification et de canonisation.3 "Ni guérir ni mourir, mais vivre pour souffrir" fut
son leit-motiv. Bien qu'isolé, il observait minutieusement la Règle, s'ouvrait
filialement à ses supérieurs et manifestait un amour très ardent envers don Bosco
et sa congrégation salésienne4.
Les membres de la famille salésienne, normalement immergés dans le
dynamisme de l'apostolat, habitués au travail, rompus à la fatigue, poussés à une
incessante inventivité pastorale, pourraient être tentés d'oublier les valeurs de la
"passion". L'esprit salésien s'ouvre pourtant, selon la logique du da mihi animas,
au mystère de la souffrance jusqu'au martyre. On découvre parmi les phrases
attribuées à don Bosco : "Tous nous devons porter la croix comme Jésus, et notre
croix ce sont les souffrances que nous endurons tous dans notre vie !"5 Et aussi :
"Qui ne veut pas souffrir avec Jésus Christ sur terre, ne pourra jouir avec Jésus
Christ au ciel !"6 Quelques considérations théologiques éclaireront cette
compénétration de l'action et de la passion.
Jésus vécut en pleine disponibilité aux desseins de son Père sa filiation
divine du temps de son labeur apostolique jusqu'à sa mort au Calvaire. Dans
faction" comme dans la "passion", son attitude fondamentale fut identique : une
pleine disponibilité d'amour filial, aussi bien dans Vagir" que dans le "pâtir". Notre

3.5 Page 25

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179
situation de fils adoptifs de Dieu doit nous maintenir, nous aussi, dans la double
disponibilité de l'action et de la passion. L'offrande de soi pour la réalisation des
plans divins est primordiale. Comme pour le Christ, l'attitude filiale essentielle se
traduit pour le salésien, soit par le don de soi dans l'action pour l'édification du
Royaume de Dieu, soit par le don de sa vie dans la passion, afin de laisser la
première place à l'"action du Père" selon ses insondables desseins. La mission de
l'apôtre n'est pas seulement action, le Christ en témoigne, lui qui accomplit sa
mission salvatrice de l'humanité aussi bien dans l'action que dans la passion, deux
gestes liés l'un à l'autre et se compénétrant de manière absolument indissociable.
La mission apostolique n'est possible que par le don de soi au Père pour la
réalisation de son plan de salut. Elle n'est pas qu'activité, inventivité, projet et
dynamisme, mais aussi souffrance, passion et mort en conformité avec la volonté
de Dieu.
La disponibilité filiale vécue dans la passion nous fait comprendre que la
charité, centre propulseur des vies aussi bien apostoliques que contemplatives,
tend toujours, comme vers son sommet suprême, au don total de soi en
participation au mystère de Jésus Christ. La plénitude de l'amour se trouve au-delà
des formes de vie active ou contemplative, car l'une et l'autre tend au don total de
soi pour le Règne du Christ et de Dieu. Toute spiritualité de l'action inclut une
ouverture constante à la passion, comme pour affirmer que faction absolue" ne
réside que dans le Père.
Le membre de la famille salésienne se rappelle donc que, même plongé
dans la souffrance, la maladie, la vieillesse, l'invalidité, l'agonie ou la mort, il n'est
pas exclu de l'apostolat, mais qu'il le féconde et le porte à son accomplissement.
La grâce la plus importante à implorer n'est pas de ne plus souffrir, mais de
demeurer pleinement disponible au Père, afin de pouvoir répéter avec l'épître aux
Colossiens : "Je suis maintenant heureux de souffrir pour vous. Par mes
souffrances, je complète en moi ce qui manque aux épreuves du Christ pour son
Corps, qui est l'Eglise." (Colossiens 1, 24.) Le simple désir de souffrir et de mourir
pourrait dénoter quelque déviation pathologique. Mais se sentir appelé à participer
à la passion et à la mort du Rédempteur est un don sublime de Dieu et une tâche
indispensable au salut de l'homme, concluait le recteur Viganà au moment de
célébrer "la sublimité du martyre chrétien".7
L'esprit de sacrifice
Avec une longue tradition, appelons sans complexe sacrifice ce don
sublime et aimant de ses ressources et de soi-même, que constitue la passion du
Christ et du chrétien.8 Il suppose un esprit habituellement disposé à une offrande
coûteuse, l'"esprit de sacrifice" à la louange de Dieu Père. Cet esprit est
indispensable aux religieux, surtout aux prêtres salésiens, écrivit un jour don Rua
aux inspecteurs et aux directeurs.
L'esprit de sacrifice est "cette vertu, grâce à laquelle dans les moments
particulièrement difficiles le religieux ne se laisse pas dominer par l'imagination,
par le sentiment ou par les passions. Faisant prévaloir sa raison éclairée et

3.6 Page 26

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180
renforcée par sa foi, il se convainc que tout ce qui lui arrive de désagréable
contribuera à son bien spirituel."9 Cette vertu, estimait avec raison don Rua, fut la
compagne de Jésus tout au long de sa vie, si bien que saint Paul put la résumer
dans la formule : Christus non sibi plaçait (Romains 15, 3), autrement dit : "Le
Christ n'a pas recherché ce qui lui plaisait". "Notre Fondateur, continuait-il, a
marché sur ses traces, lui dont la vie fut un sacrifice continuel, de sorte que, sans
esprit d'abnégation, nous ne pourrions pas nous appeler ses fils."10 Qui est
dépourvu d'esprit de sacrifice n'aura pas la force de pratiquer la pauvreté, il
s'exposera au risque de ruiner sa chasteté et fera grandement douter de sa
persévérance dans sa vocation. Se tournant vers ses prêtres, hommes du sacrifice
de louange, don Rua s'exclamait : "Oh ! s'il y a quelqu'un qui doive pratiquer
l'esprit de sacrifice, c'est bien le prêtre, dans les mains de qui le divin Agneau est
quotidiennement sacrifié sur nos autels. A son imitation, mettons-nous aussi
nous-mêmes entre ses mains dans l'attitude de victimes prêtes au sacrifice quand et
comme il Lui plaira. [ ... ] A l'heure de notre mort ce ne seront pas les plaisirs
éprouvés, les richesses ou les honneurs (accumulés) qui nous consoleront et nous
inspireront confiance, mais bien les sacrifices que nous aurons faits en souffrant
pour Jésus."11
Dans le même esprit, le coopérateur salésien, qui vit uni à Jésus Christ,
"transforme sa vie en une liturgie de louange : le travail, le délassement, les
initiatives apostoliques, les joies et les souffrances sont de la sorte vécues dans le
Seigneur et deviennent un don qui Lui est agréable et un hymne à sa gloire."12
Une spiritualité victímale salésienne
On conçoit par que la "spiritualité victímale" du salésien Luigi Variara
(1875-1923), apôtre des lépreux, et de la congrégation des Soeurs des Saints
Coeurs de Jésus et de Marie fondée par lui en Colombie, ait pu trouver place sans
problèmes majeurs dans la spiritualité de la famille salésienne.13 L'offrande de soi
comme victime est un acte damour de charité pour Dieu et pour les hommes
selon l'exemple donné par le Christ au Calvaire. Elle relève par conséquent du
mystère de la souffrance rédemptrice et du salut du monde.14 La souffrance, pour
les religieuses de don Variara vouées au service des malades, éventuellement
lépreuses elles-mêmes, se convertit en une invitation à s'unir à l'oeuvre rédemptrice
du Christ et en la possibilité de participer plus profondément à son amour
"autosacrificiel", nous explique l'une d'elles, plus particulièrement qualifiée.15
La souffrance physique ou morale, ce mystère sur lequel on bute en
pensant à Dieu créateur très bon, a en effet valeur salvatrice. Toutefois, pour
l'admettre, il faut regarder le crucifié. "Nous savons que la valeur de l'existence de
l'homme sur la terre est conditionnée par la solution du problème de la souffrance.
Nous savons que, dans une certaine mesure, cela coïncide avec le problème du
mal, dont la présence dans le monde est si difficile à accepter. La Croix du Christ -
la Passion - jette sur ce problème une lumière complètement nouvelle, en
conférant un autre sens à la souffrance humaine en général."16 Car "le mystère de
la Rédemption du monde est étonnamment enraciné dans la souffrance, et en

3.7 Page 27

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181
retour celle-ci trouve en ce mystère sa référence suprême et la plus certaine."17
"Par le Christ et dans le Christ s'éclaire l'énigme de la douleur et de la mort."18
Notes
1. J'adapte, dans les lignes qui suivent, la lettre circulaire du recteur Egidio Viganò (24
février 1983) intitulée : "Martirio e passione nello spirito apostolico di don Bosco", inerii 308,
p. 3-21.
2. Andrea Beltrami, à Omegna (province de Novara, en Italie) le 24 juin 1870,
proies perpétuel salésien le 20 octobre 1887, ordonné prêtre le 8 janvier 1893, mort à
Turin-Valsalice le 30 décembre 1897, déclaré vénérable par Paul VI le 5 décembre 1966. Voir
sur lui, la Positio super virtutibus (Rome, 1955), dans son procès de béatification et de
canonisation ; et E. Ceria, Il Servo di Dio Don Andrea Beltrami, Torino, SEI, 1930,252 p.
3. "Egli diceva che il suo apostolato era l'apostolato dei patimenti e della preghiera"
(L. Piscetta, Procès informatif de béatification et de canonisation, ad 17, in Positio super
virtutibus, p. 386.)
4. E. Valentini, "Beltrami, Andrea", Dizionario biografico dei Salesiani, p. 35-36.
5. "Tutti dobbiamo portare la croce come Gesù, e la nostra croce sono le sofferenze che
tutti incontriamo nella vita !" (Don Bosco aux filles de Marie auxiliatrice, selon MB X, 648).
6. L'une de ses formules favorites, qu'il exprimait généralement en latin : "Qui non
vult pati cum Christo, non potest gaudere cum Christo". Voir, par exemple, des notes de sermon
sur la mortification, éditées en MB IX, 998.
7. E. Vigano', Lettre du 24 février 1983, loc. cit., p. 7-11.
8. Le terme de sacrifice, pourtant très traditionnel,, est devenu suspect dans le monde
des théologiens chrétiens, apparemment parce que marqué par des origines païennes. Le Christ
n'a pas été une "victime" destinée à apaiser le courroux du Père. Voir, par exemple, G. Mathon,
"Sacrifice", dans Catholicisme, hier, aujourd'hui, demain, t. 13, Paris, 1993, col. 375-425. Soit,
mais l'offrande d'amour et de louange à Dieu, que l’on traduit par sacrifice, subsiste !
9. "... dallo spirito di sacrificio, che è quella virtù per cui nei momenti più difficili un
religioso non si lascia dominare dall'immaginazione, dal sentimento o dalle passioni, ma facendo
prevalere la ragione illuminata e ingagliardita dalla fede, si persuade che tutto ciò che gli
succede di spiacevole, tornerà a suo vantaggio spirituale."(M. Rua, Circulaire aux inspecteurs et
directeurs, 29 novembre 1899, L.C., p. 203-204.)
10. "E sulle sue treccie camminò il nostro Fondatore, la cui vita può definirsi un
continuo sacrificio, sicché senza spirito di abnegazione noi non potremmo chiamarci suoi figli."
‘M. Rua, ibidem.
11. "Oh ! se v'ha qualcheduno che debba praticare lo spirito di sacrifizio, si è bene il
sacerdote, nelle cui mani è sacrificato ogni giorno il Divin Agnello sui nostri altari. A sua
imitazione mettiamoci noi pure nelle sue mani nello stato di altrettante vittime, pronte ad essere
sacrificate quando e come a Lui piaccia. [... ] Al punto di nostra morte non saranno i piaceri
goduti, gli onori, le ricchezze che ci consoleranno e ci ispireranno fiducia, bensì que' sacrifizi
che avremo fotti soffrendo per Gesù." (M. Rua, ibidem.)
12. "Trasforma la sua vita in una liturgia di lode : il lavoro, il sollievo, le iniziative
apostoliche, le gioie e le sofferenze sono così vissute nel Signore e diventano un dono a Lui
gradito e un inno alla sua gloria." (Regolamento di vita apostolica, art 32, § 3.)
13. Luigi Variata, à Viarigi (province d'Asti, Italie) le 15 janvier 1875, profès
salésien à Turin le 2 octobre 1892, ordonné prêtre à Bogota en Colombie le 24 avril 1898,
mourut à Cucuta (Colombie) le 1er février 1923. Sa cause de béatification et de canonisation a été
introduite en 1959. La congrégation religieuse fondée par lui a été intégrée dans la formile
salésienne.
14. Voir G. Manzoni, "Vittimale (Spiritualité)", dans Dictionnaire de Spiritualité, t.
16,1994, col. 531-545.
15. Eulalia Marin Rueda, La espiritualidad propuesta por el P. Luis Variara, Roma,
U.P.S., 1997, p. 212-214.

3.8 Page 28

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182
16. Jean-Paul n, "Le sens de la souffrance à la lumière de la Passion", audience
générale du 9 novembre 1988, dans Osservatore romano, 10 novembre 1988.
17. Jean-Paul U, Salvifici doloris, 11 février 1984, n. 31.
18. Vatican II, Gaudium et spes, n. 22.

3.9 Page 29

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183
Devoir
Les devoirs du chrétien 1
Quand il commençait sa vie d'apôtre, don Bosco intitula son manuel de
piété appelé à un extraordinaire succès : "Le Garçon instruit dans la pratique de
ses devoirs"2. Le garçon pouvait y lire ce qu'il était dans l'obligation et ce qu'il lui
convenait de faire.
Puis, en juillet 1858, après un Mois de Marie, qui, beaucoup plus qu'une
suite d'éloges de la mère de Jésus, était un condensé d'instruction chrétienne
distribué jour après jour au long du mois de mai, don Bosco publia, dans les
Letture cattoliche qu'il dirigeait, un petit livre, qui en constituait une manière de
corollaire. Il concernait cette fois les devoirs du fidèle chrétien. C'était :
"Emporte-le avec toi, chrétien ou Avis importants sur les devoirs du chrétien, afin
que chacun puisse réussir son salut dans l'état il se trouve"3. H en avait signé
l'introduction. Mais c'était des "avis" puisés à droite et à gauche dans le trésor du
christianisme des temps modernes, dans la Bible, la vie et les oeuvres de quelques
saints qu'il privilégiait. Ce vade-mecum envisageait le chrétien dans la cellule
familiale, domesticité comprise : le père, les fils, la mère, les filles et le personnel,
pour dire à chacun ses devoirs. L'idée était toujours présente et le mot devoir
revenait sans cesse dans les titres de paragraphes, qu'il s'agisse des devoirs des
chefs de famille envers leurs épouses, de leur devoirs envers leurs enfants, de
leurs devoirs envers leurs serviteurs, du gouvernement de leur maison, de leur
conduite dans les affaires publiques ou de leur conduite privée ; des devoirs des
jeunes gens envers leurs parents, de leurs devoirs envers leurs frères, soeurs et
autres membres de la famille, de leurs devoirs envers les personnes étrangères à la
famille ou de leur "conduite particulière" ; des devoirs des filles envers leurs
parents, frères, soeurs et autres membres de la famille ou encore de leur "conduite
personnelle". Don Bosco avait composé, à peu de frais et sous le signe exclusif de
l'obligation, un petit traité de morale domestique.
On conçoit sans peine que, dans ses avis aux garçons, ses élèves, il soit
souvent revenu sur leurs "devoirs". H le faisait volontiers à travers les exemples
qu'il donnait à admirer, notamment celui de Dominique Savio, dont il publia la
biographie pour l'édification de son petit peuple. "Particulièrement admirable"
avait été l'attention portée par Dominique en cours élémentaires aux plus
minuscules obligations d'un écolier chrétien, et tout spécialement son assiduité et
son étonnante régularité à venir en classe, au point que, malgré sa faible santé, il
parcourait tous les jours plus de quatre kilomètres pour aller à l'école et
recommençait quatre fois ce trajet entre l'aller et le retour.4 Quand Dominique
était entré à Turin chez don Bosco pour suivre des cours en ville, pendant quelque
temps il avait mené une vie tout ordinaire. "H n'y avait d'admirable en lui que son
exacte obéissance au règlement de la maison, notait son biographe. H se mit au
travail avec application. Il accomplissait tous ses devoirs avec ardeur."5 Sur la
route de l'école, les garçons, ses camarades, prenaient des libertés. "Un jour, il fut

3.10 Page 30

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184
invité à faire une promenade sans permission, une autre fois on lui proposa de
manquer la classe pour aller s'amuser, mais il sut toujours dire non. "Ma plus belle
distraction, répondait-il (d'après don Bosco), c'est de faire mes devoirs. Si vous
êtes de vrais amis, vous devez me conseiller de les accomplir exactement et de ne
jamais y manquer."6 Le discours de son professeur d'humanités au lendemain de sa
mort prématurée (il n'avait pas encore quinze ans) célébra naturellement "sa
diligence" et "son exactitude dans l'accomplissement de tous ses devoirs"7. Par le
simple récit de la vie de Savio, don Bosco enseignait donc à ses garçons
l'exactitude dans l'accomplissement minutieux du devoir et des devoirs.
Bien entendu, les fidèles disciples suivirent le maître. Don Rua, le plus
insigne, se distingua par sa ferveur à faire son devoir, comme les témoins de son
procès de béatification et de canonisation se sont plus à le redire. "H jugeait
manquer de respect envers Dieu d'accomplir ses devoirs avec négligence",
déclarait l'un8. "Constant et exceptionnel" était son zèle "dans l'accomplissement
de son devoir uniquement par amour de Dieu", affirmait un autre9. Tandis qu'un
troisième célébrait "l'attention qu'il mettait à pratiquer son devoir en toute
exactitude, évitant les plus petits détails qui puissent offenser le Seigneur"10.
Pour le monde salésien de l'autre siècle, "faire son devoir" était un moyen
reconnu de perfection spirituelle. Au verso des images qu'il remettait aux
nouvelles recrues d'Espagne, don Rinaldi inscrivait, réunies selon l'acrostiche
Bosco, la "solecitud en los deberes", entre la "belle vertu", l'"obéissance", la
"communion fréquente" et les "oeuvres bonnes".11 Quand ils insistaient sur
l'exactitude dans l'accomplissement du devoir, don Bosco et ses fils se
conformaient à la spiritualité de l'Italie du milieu du XIXème siècle. "En pratique,
les moyens de vivre en chrétien et de progresser vers la sainteté, nous dit un
historien qualifié de la spiritualité du pays pour les années 1814-1860, se ramènent
à l'accomplissement parfait du devoir d'état, enraciné dans la charité, dans une
charité même héroïque."12 Marquée par cette spiritualité et à la différence de celle
du dix-huitième siècle, l'Eglise du vingtième siècle verra dans l'accomplissement
fidèle et persévérant du devoir d'état le signe d'une vertu héroïque.13
Le strict devoir
Emboitant inconsciemment le pas à Emmanuel Kant, ce temps glorifiait le
devoir, soumission laborieuse à une loi intériorisée.14 Bien entendu, les esprits
religieux rapportaient cette loi au Dieu du Décalogue et au Christ de l'Evangile,
non seulement quand la Bible la dictait : "Tu ne tueras pas ! Tu ne mentiras pas !"
ou bien "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu," mais aussi
quand son origine n'était qu'humaine. Toute autorité tire sa légitimité de Dieu et le
supérieur interprète sa volonté. Guidé par ces principes, don Bosco accomplissait
son "devoir" de citoyen dans un univers devenu anticlérical, parfois même
antireligieux. Mais les gens ordinaires ignorent ce rapport à l'autorité divine. Et
puis, il leur arrive d'oublier que le bien ou le bonheur de l'individu et de la
collectivité sont aussi à l'origine de "devoirs", qu'ils imaginent imposés par la seule
contrainte. Certains hommes et certaines femmes dits "de devoir" n'entendent

4 Pages 31-40

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4.1 Page 31

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185
l'accomplissement du devoir que par la seule application dîme règle ou d'une
mission déterminée. Le reste, le surplus, ne les concerne pas.
En 1917, le recteur Albera dénonça vigoureusement cette faille chez les
salésiens dans une lettre intitulée "Contre une répréhensible légalité".15 La stricte
observance du devoir ne suffit pas. H faut combattre la médiocrité systématique
voilée sous des apparences vertueuses. Certains se croient libérés par le seul
accomplissement de leur devoir. Sortir de la tâche fixée par le programme ou
simplement l'élargir leur est impossible. A chacun son métier. Quel malheur ! S'ils
ne commettent rien de grave ou de scandaleux, ils ne se soucient pas non plus de
progresser quotidiennement en perfection dans leur état. Ces serviteurs de Dieu,
dociles à sa voix s'il leur commande comme au Sinaï dans les éclairs et le tonnerre,
y demeurent sourds et insensibles s'il se présente à eux en frère et en ami et en
appelle à leur amour. Pareil comportement, à la rigueur tolérable chez un chrétien
immergé dans le monde, ne l'est pas chez un religieux, affirmait le recteur Albera.
La "légalité", qui fait bon marché de la générosité, est dommageable aux âmes.
C'est une bien pauvre réponse à la générosité divine.
Don Albera en voulait particulièrement à ceux qui limitaient leurs
pratiques pieuses au minimum exigé par les règlements, trop heureux au surplus de
pouvoir en abréger la longueur dès que l'occasion s'en présentait. Mais Dieu attend
autre chose de ses religieux. Estote perfecti sicut Pater vester coelestis perfectus
est, Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ! Pas moins, mes chers
amis ! H correspond donc bien mal à la grâce de sa vocation, celui qui ne
progresse pas chaque jour vers la perfection ! Et puis, qui n'avance pas recule et
risque fort de tomber. La légalité dans l'accomplissement de ses devoirs, autrement
dit "une vertu médiocre", ne suffit pas à sauver le religieux salésien. Quand le
danger s'aggrave, l'abîme le guette et il s'y précipite.
Duc in altum, poussez votre barque en haute mer, continuait-il. Le
Seigneur vous y exhorte : "Elancez-vous ardemment dans le vaste champ de la
perfection, ne limitez pas vos peines au strict nécessaire, soyez grandioses dans
vos aspirations, quand il s'agit de la gloire de Dieu et du salut des âmes ; quittez la
berge qui rétrécit vos horizons, et vous verrez combien abondante vous sera le
pêche des âmes et quelle consolation remplira votre coeur."16 Ce recteur prenait
garde de diminuer le "devoir être" de ses religieux. "Seul le prêtre salésien peut
faire revivre en soi don Bosco dans toute la plénitude de sa personnalité",
affirmait-il quelques semaines avant de mourir. Et de se reprendre : "H n'en a pas
seulement la possibilité, mais le strict devoir."17 Quand l'amour de Dieu l'inspire, le
désir d'un meilleur bien pour soi ou pour autrui renforce indéfiniment le sens du
"devoir". Le confrère salésien est "ponctuel dans ses devoirs, non seulement en
vertu de l'ordre qui lui a été donné, mais pour la gloire de Dieu qu'il entend
promouvoir," avait un jour écrit don Bosco18.
Le crépuscule du Devoir
Combien de malheureux tombèrent mortellement blessés pour avoir
simplement "fait leur devoir" durant les guerres qui ensanglantèrent le vingtième

4.2 Page 32

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186
siècle ! La formule était alors indéfiniment répétée. Depuis le mot devoir s'est
raréfié dans les discours, même à l'intérieur du monde salésien. Ulndex analytique
des circulaires du recteur Vigano' aux salésiens édité en 1996 ne comporte qu'une
seule référence au mot dovere, au reste pour une lettre du début de son mandat.
Etudiez les règlements de la famille salésienne de cette époque, vous vérifierez que
devoir, employé comme substantif ou comme verbe, a été le plus souvent évité et
remplacé par des subjonctifs d'exhortation ou par des indicatifs présents et futurs
en nous.
"Il est interdit d'interdire", le slogan avait fait florès. La personne libérée
avait beaucoup de droits, on hésitait à lui réclamer des devoirs. L'individualisme
régnait en Occident. "Pour la première fois dans l'histoire, l'être individuel, égal à
tout autre, se perçoit comme fin dernière, se conçoit isolément et acquiert le droit
de la libre disposition de soi", écrivait-on alors sentencieusement19. Selon un autre
titre de l'auteur à qui nous devons cette nouvelle, le "crépuscule du devoir"20 était
amorcé.
Les gens se seraient-ils mis à satisfaire uniformément tous leurs désirs ?
Le temps de la permissivité généralisée, marqué par la disparition de tout devoir,
avait-il commencé ? On l'a cru, mais plutôt à tort, nous explique ce deuxième
ouvrage. H suffit de passer en revue les divers domaines de la vie individuelle et
sociale. A la suite du "crépuscule du devoir", au lieu d'une nuit opaque, l'éthique,
autrement dit les devoirs au sens large de ce terme, reparaît dans notre monde et
restaure, sous des motivations inédites, des valeurs qui n'ont pas précisément
changé. Le sociologue attentif note le retour à une fidélité dans l'amour, la
tendance à l'harmonie dans la vie familiale, la lutte contre le tabac, l'alcool et la
drogue, le souci du travail efficace et rentable, l'estime pour les valeurs d'honnêteté
et de responsabilité. Le monde de la fin du vingtième siècle aura été parcouru par
des élans de coeur qui poussent de nombreux individualistes à se présenter comme
bénévoles ou à contribuer de leurs deniers à toutes sortes d'oeuvres et d'actions
qui ont su toucher leur sensibilité, principalement grâce aux médias. Toutefois ce
retour à l'éthique n'est pas un retour au Devoir dans son sens abrupt. Lisons pour
comprendre : "Si les appels à la responsabilité ne peuvent être séparés de la
valorisation de l'idée d'obligation morale, ils ont ceci de caractéristique qu'ils ne
prêchent plus nulle part l'abdication de soi sur l'autel des idéaux supérieurs : notre
éthique de la responsabilité est une éthique "raisonnable", animée non par
l'impératif d'arrachement à ses fins propres, mais par un effort de conciliation entre
les valeurs et les intérêts, entre le principe des droits de l'individu et les contraintes
de la vie sociale, économique et scientifique."21 Le Moi reste le seul absolu, mais il
est devenu conscient qu'il vit dans un monde et qu'il doit trouver un compromis
entre s'y imposer et s'y adapter. Plus ou moins consciemment, la littérature
salésienne de la fin du siècle a tenu compte de ce double courant que don Vigano'
appelait de "personnalisation" et de "socialisation"22.
Le Devoir a disparu, les devoirs demeurent, innombrables, pour la famille
salésienne comme pour le monde elle vit.

4.3 Page 33

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187
Notes
1. Pour approfondir cet article, il serait bon d'avoir à l'esprit l'histoire du concept de
devoir, catégorie fondamentale de la philosophie pratique. On la trouvera intelligemment
résumée par Lukas K. Sosoe, "Devoir", dans le Dictionnaire d'éthique et de philosophe morale,
dir. M. Canto-Sperber, Paris, PUF, 1996, p. 403-413.
2. Il giovane provveduto per la pratica de' suoi doveri..., Torino, Paravia, 1847.
3. Porta teco, Cristiano, ovvero Avvisi importanti intorno ai doveri del Cristiano,
acciocché ciascuno possa conseguire la propria salvezza nello stato in cui si trova (Letture
cattoliche, ann. VI, fise. 5 (juillet), Turin, G.B. Paravia, 1858,72 p.)
4. Vita del giovanetto Savio Domenico..., chap. 5.
5. "Nè altro in esso ammiravasi, che un'esatta osservanza delle regole della casa. Si
applicò con impegno allo studio. Attendeva con ardore a tutti i suoi doveri." (Vita del giovanetto
Savio Domenico .... chap. 8.)
6. "Un giorno fu invitato ad andare a far una passeggiata senza permesso ; un'altra
volta, venne consigliato ad ommettere la scuola per andarsi a divertire, ma egli seppe sempre
rispondere con un rifiuto. Il mio divertimento più bello, loro rispondeva, è l'adempimento de'
miei doveri ; e se voi siete veri amici, dovete consigliarmi ad adempirli con esattezza e non mai
trasgredirli." (Vita del giovanetto Savio Domenico..., chap. 9.)
7. "Io altro non dirò se non che sempre si rese commendevole pel suo contegno e per la
sua tranquillità nella scuola, per la sua diligenza ed esattezza nell'adempimento di ogni suo
dovere." (Vita del giovanetto Savio Domenico ..., chap. 26.)
8. "... riteveva mancanza di rispetto a Dio il compiere i propri doveri con negligenza".
(A. Amadei, ad 20, Positio super virtutibus. Summarium, p. 555.)
9. "... lo zelo costante ed eccezionale nel compiere tutto il suo dovere unicamente per
amore di Dio" (Gius. De Magistris, ad 20, ibid., p.551.)
10. "... l'attenzione che metteva nel praticare con tutta esattezza il suo dovere evitando
qualunque anche più piccola cosa che potesse offendere il Signore" (Lorenzo Saluzzo, ad 20,
ibid., p. 552.)
11. "Bella virtud, Obediencia, Solecitud en los deberes, Comunion frequente, Obras
buenas", d'après E. Ceria, Vita del Servo di Dio Filippo Rinaldi, SEI, 1948, p. 100.
12. P. Stella, "Italie. Période contemporaine", Dictionnaire de Spiritualité, t. 7,
deuxième partie, 1971, col. 2280.
13. Voir le décret d'héroïcité des vertus de Jean-Népomucène Neumann, le 11
décembre 1921, en AAS, t 14,1922, p. 23-26. Benoît XIV, théoricien de la sainteté canonisable,
n'avait pour ainsi dire pas parlé du devoir d'état Sur cette question, A. de Bonhome, "Héroïcité
des vertus", Dictionnaire de Spiritualité, t 7, première partie, 1969, col. 341-342.
14. E. Kant, dans la Critique de la raison pratique. Analytique, chap. 1 et 3. Voir L.
K. Sosoe, art. cité, p. 407.
15. Contro una riprovevole "legalità", P. Albera, Lettre aux salésiens, 25 juin 1917,
L.C., p. 231-241.
16. "Slanciatevi con ardore nel vasto campo della perfezione, non limitate le vostre
fatiche a ciò ch'è strettamente necessario, siate grandiosi nelle vostre aspirazioni, quando si tratta
della gloria di Dio e della salvezza delle anime ; allontanatevi dalla spiaggia che tanto restringe i
vostri orizzonti, e vedrete quanto abbondante sarà la pesca delle anime, e quanta consolazione
verrà a provarne il vostro cuore." (Loc. cit, p. 239.)
17. "Quindi solo il prete salesiano può far rivivere in D. Bosco in tutta la pienezza
della sua personalità [... ] Ma [... ], oltre all'aveme la possibilità, egli ne ha lo stretto dovere."
(P. Albera, Circulaire aux prêtres salésiens, 19 mars 1921, L. C., p. 389.)
18. "Questa deliberazione induce il confratello ad essere puntuale ne' suoi doveri non
solo pel comando che gli è fatto, ma per la gloria di Dio che egli intende promuovere." (G.
Bosco, Lettre aux salésiens, fin avril 1868, Epistolario Motto, t n, p. 529-530.)
19. G. Lipovetsky, L'ère du vide, Paris, Gallimard, 1979, p. 104.
20. G. Lipovetsky, Le crépuscule du devoir, Paris, Gallimard, 1992.
21. Le crépuscule du devoir, p. 215.
22. Voir l'Introduction, ci-dessus.

4.4 Page 34

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188
Dévotion
La dévotion selon saint François de Sales
Notre François de Sales publia en 1609 l'ouvrage qui le rendrait le plus
célèbre. UIntroduction à la vie dévote ferait de lui le docteur de la "dévotion" à
l'époque moderne.1 Dès le premier chapitre de cette Introduction, s'interrogeant
sur la nature de la "vraie et vivante dévotion", François en faisait le degré
supérieur de l'amour de Dieu. Car, disait-il, la vraie dévotion n'est autre chose
qu'un véritable amour de Dieu, mais pas un amour tel quel. En tant que l'amour
divin embellit l'âme, il s'appelle grâce et rend agréable à la Divine Majesté ; en tant
qu'il donne la force de bien faire, il s'appelle charité ; mais, "quand il est parvenu
jusques au degré de perfection auquel il ne nous fait pas seulement bien faire, mais
nous fait opérer soigneusement, fréquemment et promptement, alors il s'appelle
dévotion." Des comparaisons animalières qu'il affectionnait illustraient son propos.
Les autruches ne volent jamais, poursuivait-il ; les poules volent, pesamment
toutefois, bassement et rarement ; mais les aigles, les colombes et les hirondelles
volent souvent, vite et haut. De même, les pécheurs ne volent point jusqu'à Dieu,
mais font toutes leurs courses sur la terre et pour la terre ; les gens de bien, qui
n'ont pas encore atteint la dévotion, volent en Dieu par leurs bonnes actions, mais
rarement, lentement et pesamment ; tandis que les personnes dévotes volent en
Dieu fréquemment, promptement et hautement. La dévotion, non seulement rend
prompts, actifs et diligents dans l'observation de tous les commandements de Dieu,
mais en outre provoque à faire promptement et avec affection le plus de bonnes
oeuvres possible, même nullement commandées et seulement conseillées ou
inspirées.2
La dévotion, expliquait encore François, qui n'est pas affaire de sentiment
ou de consolation, et que l'on aurait tort de réserver aux femmes, est donc la
perfection des vertus. Elle s'acquiert et se développe par l'oraison, le
recueillement, la participation à l'eucharistie, la confession et la docilité à la Parole
de Dieu. Contrairement à l'opinion commune, elle peut être pratiquée dans le
monde.3
Amour de Dieu, enraciné en Dieu même, et amour du prochain sont
inséparables. La dévotion salésienne témoigne donc, en soi, de deux
caractéristiques essentielles : le don à Dieu dans la charité, inconditionné,
permanent et rapide, soutenu par la grâce et la vie de Dieu en l'homme ; et
l'ouverture de l'âme au prochain par fidélité à Dieu autant que par religion pour la
présence de Dieu en l'homme.
Les dévotions traditionnelles de la famille salésienne
Dès le siècle de saint François, le sens du terme de "dévotion" commença
d'évoluer. Ce mot, qui aurait désigner tout l'acte de charité, se confondait avec
la ferveur qui l'enrobait. Et surtout on appelait "dévotions" les pratiques pieuses

4.5 Page 35

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189
autour de saints, de lieux ou d'objets élus par la piété des fidèles. La croix par
exemple tenait (avec raison) une place de choix parmi les dévotions du peuple
chrétien. Il y avait le signe de croix, l'image de la croix avec le Crucifié ou sans lui,
le calvaire, le chemin de croix et, chez tel ou tel auteur spirituel, la "mystique de la
croix". Les "dévotions" particulières, médiations concrètes, qui donnaient à la
prière, à l'adoration et au sacrifice une image, une forme et un corps, servaient de
relais à la dévotion de l'homme religieux. Elles favorisaient la dévotion personnelle
et l'empêchaient de s'évaporer en grands sentiments fallacieux ou en idéologies
stériles. La famille salésienne de don Bosco naquit dans ce contexte.
Les éditions françaises du Giovane proweduto (Jeunesse instruite)
intitulèrent la troisième partie de ce manuel de don Bosco : "Dévotions et
Pratiques de Piété". Elles y distinguaient en toutes lettres la Dévotion au Sacré
Coeur de Jésus, la Dévotion à la Sainte Vierge, la Dévotion envers le saint Ange
Gardien, la Dévotion à saint Joseph, la Dévotion à saint François de Sales et la
Dévotion à saint Louis de Gonzague, chacune ayant droit à un chapitre propre.4
Les catholiques de l'époque donnaient l'impression d'une prédilection un
peu paradoxale, dans leur prière, pour tout ce qui n'était pas la liturgie officielle de
lEglise. L'année liturgique en faisait les frais. Les dévotions particulières
foisonnaient, et chacune entraînait son cortège de prières, de chapelets et de
neuvaines. Du cycle liturgique, les livres de piété du temps ne semblaient retenir
que le carême et les messes des cinquante-deux dimanches, dont on commentait
les épîtres et les évangiles. En revanche, les "mois" consacrés aux diverses
dévotions fleurissaient au cours de l'année. Les salésiens participaient au
mouvement général. Leurs fêtes religieuses étaient systématiquement précédées de
neuvaines. Ils cultivaient le mois de mars dédié à saint Joseph, le mois de mai
dédié à la Vierge Marie, le mois de juin dédié au Sacré Coeur et le mois d'octobre
dédié au saint Rosaire. En 1848, don Bosco publia même un livre destiné au mois
de juillet, mois dédié, lui, à saint Vincent de Paul, qui est fêté le 19.s
Les salésiens fervents de la première génération tenaient à leurs dévotions
particulières. Andrea Beltrami (1870-1897) montra "sa dévotion envers le Sacré
Coeur de Jésus, la Vierge Marie, saint Joseph, saint André, saint François de
Sales, saint François d'Assise et son Ange Gardien", apprenons-nous par son
procès de béatification et de canonisation.6 Il y avait, dans la famille salésienne de
ce temps, des dévotions à préférer, celle de saint Louis de Gonzague par exemple.
"Je désire vivement que l'on maintienne toujours, dans nos coeurs et dans celui de
nos élèves, la dévotion envers ce glorieux Patron de la jeunesse", recommandait
don Rua en début de mandat.7
Ce saint recteur prêcha surtout et avec insistance la dévotion au Sacré
Coeur de Jésus, à laquelle une instruction détaillée fut consacrée en 1900. Elle
conseillait, pour alimenter cette "reine des dévotions", toute une série de pratiques
alors florissantes : les Neuf Offices, la Garde d'honneur, l'Heure sainte, l'exposition
de l'Image du Sacré Coeur, l'Apostolat de la prière. Don Rua concluait : "J'espère
que la dévotion au Sacré Coeur de Jésus, entendue comme je vous l'ai exprimé
ci-dessus, et pratiquée à l'aide de quelques-uns des principaux exercices indiqués,

4.6 Page 36

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190
produira les bons fruits que l'on est en droit d'attendre d'elle. H faut en effet la
considérer comme la reine des dévotions."8
Au lendemain de la première guerre mondiale, Don Albera crut, par
fidélité à don Bosco, devoir recentrer la dévotion salésienne sur l'Eucharistie et
Marie auxiliatrice. En des temps le mal se répandait toujours davantage,
enseignait-il, la sainte Hostie et l'Auxiliatrice constituaient les deux colonnes,
fondamentales, les deux moyens privilégiés du salut de la société chrétienne. Et il
commentait : "Qui regarde les choses superficiellement pourra peut-être objecter
que ces deux dévotions sont de tous les temps et de tous les fondateurs de sociétés
religieuses, et que, par conséquent, on exagère à les présenter comme
n'appartenant pour ainsi dire qu'à l'oeuvre de don Bosco." "C'est vrai, répondait-il,
oui, elles sont de tous les temps, mais la manière prise par notre bon Père pour les
diffuser et les faire aimer, manière qu'il a laissée en héritage à ses fils, a été
nouvelle et nous appartient en propre."9 Les préférences de ce recteur majeur pour
l'eucharistie et Marie auxiliatrice n'étaient évidemment pas exclusives. Lors du
cinquantenaire de la proclamation par Pie EK de saint Joseph, patron de l'Eglise
universelle, il observait aux salésiens : "A nous tous, qui nourrissons une tendre
dévotion envers ce grand saint, que don Bosco voulut comme l'un des protecteurs
célestes de notre Pieuse Société, ce solennel anniversaire doit infiniment agréer.10
Dans le sillage de ses deux prédécesseurs , le recteur Rinaldi avait, nous dit son
biographe, deux dévotions principales, l'une pour Marie et l'autre pour le Sacré
Coeur.11
A cette époque, le 24 de chaque mois était, pour les filles de Marie
auxiliatrice, "un jour propice pour se renouveler dans la ferveur de l'esprit, et pour
faire entourer dans la mesure du possible, les autels de Marie auxiliatrice d'un plus
grand nombre d'âmes."12
Un coup d'arrêt fut donné au milieu du vingtième siècle. Le renouveau
liturgique bousculait les dévotions privées. Les dévots paraissaient appartenir à un
autre siècle. Les éditeurs de livrets salésiens analogues au Giovane proweduto ne
se risquaient plus à employer le mot de "dévotion". Le terme se fit rare dans les
recueils de constitutions ou de règlements des différents groupes de la famille
salésienne : salésiens, filles de Marie auxiliatrice, volontaires de don Bosco ou
coopérateurs salésiens, rédigés alors. Devenu pour beaucoup de contemporains
synonyme de pratique d'un autre âge, voire de bigoterie, "dévotion" n'avait plus
bonne presse.
La réhabilitation des dévotions particulières
Les dévotions méritaient pourtant d'être réhabilitées. La famille salésienne
n'y manqua pas. Elles ont toujours existé dans l'Eglise de Jésus Christ comme dans
un peu toutes les religions. Et puis, certaines d'entre elles, telles que le chapelet, le
chemin de la croix, la prière devant le saint sacrement, l'angélus et les pèlerinages,
demeuraient très populaires dans diverses familles, diverses paroisses et divers
pays. On notait même, ici et là, en fin de siècle, un regain d'intérêt pour plusieurs

4.7 Page 37

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191
d'entre elles dans des régions supposées affranchies. Combien de jeunes baptisés
européens s'affichaient désormais beaucoup plus "pèlerins" que "pratiquants" !
Il convenait, pour en bénéficier, de retrouver la richesse des dévotions.
L'esprit humain ne pouvant habituellement contempler d'un seul regard l'infinie
richesse de la révélation, y compris l'action de Dieu se perpétuant miraculeusement
dans le temps, le chrétien, sous peine de ne rien saisir, ne peut retenir, pour sa
méditation et comme appui de sa vie religieuse consciente, qu'un aspect du
mystère total. Le choix qu'il opère correspond à sa vocation et à son tempérament.
C'est pour lui une nécessité. La dévotion particulière s'harmonise avec ses affinités.
Ainsi la dévotion à Dominique Savio plaît naturellement aux enfants, et fêter saint
Jean Bosco réjouit le membre de la famille salésienne.
Certes, les dévotions privées ne sauraient remplacer la célébration des
sacrements et la participation à la messe dominicale. Mais elles ne les
concurrencent pas non plus, quoi qu'en puissent penser divers "sages en Israël".
"Auprès de la prière liturgique, la prière dévotionnelle est non seulement légitime,
mais nécessaire et recommandée, rappelait en 1982 le dix-septième chapitre
général des salésiennes. Elle exprime avec des intonations et sous des modalités
caractéristiques la spiritualité d'une personne, d'une communauté ou d'un Institut.
La prière dévotionnelle de notre famille religieuse nous unit, nous distingue, nous
caractérise. C'est une richesse entièrement nôtre. Elle ne s'oppose pas à la prière
liturgique, mais s'en inspire, pour exprimer dans la spontanéité salésienne surtout
notre amour envers lEucharistie, envers l'Auxiliatrice et notre souci du salut de la
jeunesse."13 Au sens profond du terme, le culte rendu à Dieu par l'Eglise dans le
cadre de la liturgie est lui aussi une "dévotion", c'est même la dévotion par
excellence. Alors que la liturgie exprime publiquement le culte rendu à Dieu par la
communauté chrétienne tout entière, les dévotions privées, proposées et non
imposées, entendent exprimer la prière, la piété et la ferveur de la vie intérieure de
chacun. En toute liberté.
En 1986, le Règlement de Vie Apostolique des coopérateurs salésiens
n'eut aucun scrupule à consacrer un long article aux "dévotions privilégiées" de
l'association. Cet article témoignait de la réhabilitation paisible des dévotions dans
la famille issue de don Bosco. Le voici :
1. Comme don Bosco, le coopérateur nourrit une dévotion filiale et
forte envers Marie Immaculée, mère de l'Eglise et auxiliatrice des chrétiens, guide
spécial de la famille salésienne. Convaincu de sa présence vivante, il l'invoque
fréquemment, célèbre ses fêtes avec ferveur, la fait connaître et aimer. - § 2. Il se
tourne avec une affection particulière vers saint Joseph, patron de l'Eglise
universelle. H recourt avec confiance à l'intercession de saint Jean Bosco, père et
maître, protecteur spécial des jeunes. H est aussi convaincu qu'une manière de
l'honorer consiste à approfondir la connaissance de sa vie et de sa sainteté. - § 3
Parmi les saints modèles de vie apostolique, il vénère avec prédilection saint
François de Sales, sainte Marie Dominique Mazzarello, saint Dominique Savio et
les autres saints et bienheureux de la famille salésienne."14

4.8 Page 38

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192
En 1988, le centenaire de la mort de don Bosco fut, à travers le monde,
l'occasion d'inombrables manifestations de dévotion envers lui. Le pays des
dévotions sent le terroir, le folklore, le peuple chrétien qui travaille, vit et prie en
s'efforçant d'honorer Dieu, le Christ ou les saints, avec des mots à lui et des gestes
qui lui sont familiers, un peuple de religion populaire, auquel la famille salésienne,
supposée fidèle à ses origines, appartient naturellement. On ne perd donc pas son
temps au pays des dévotions. Les plus simples et les plus populaires d'entre elles
nous invitent à emprunter des chemins, parfois très anciens, pour nous unir à Dieu
de tout notre coeur. Ne serait-ce pas l'essentiel en spiritualité ?15
Avec la liturgie, et par le degré certes inférieur des "dévotions", le
membre de la famille salésienne peut s'élever jusqu'à la "dévotion" au sens fort, qui
est, selon l'enseignement de saint François de Sales, l'amour de Dieu capable de
produire "promptement et avec affection le plus de bonnes oeuvres possible".
Notes
1. L'histoire de ce mot depuis l'antiquité et le moyen âge, avec le latin devotio, est
aussi riche que compliquée.
2. Introduction à la vie dévote, première partie, chapitre I ; Oeuvres, t 3, p. 14-16.
3. Références précises au mot Dévotion, dans l'Index doctrinal de la Table analytique
des Oeuvres, p. 39.
4. La Jeunesse Instruite de la pratique de ses devoirs et des exercices de la piété
chrétienne, par Don Bosco, Liège, Oeuvre de Don Bosco, 1923, p. 283-375.
5. n faut restituer le titre complet de l'ouvrage, qui était : Il Cristiano guidato alla
virtù ed alla civiltà secondo lo spirito di Sem Vincenzo de' Paoli. Opera che può servire a
consacrare il mese di luglio in onore del medesimo santo, Torino, Paravia, MDCCCXLVin.
6. L. Piscetta, ad 17 ; Positio super virtutibus, 1955, p. 387.
7. "Desidero vivamente che si mantenga sempre, nei nostri cuori ed in quello dei nostri
allievi, la divozione verso questo glorioso Patrono della gioventù" (M. Rua, Lettre aux salésiens,
29 juin 1891 ; L.C., p. 63. )
8. "Io spero che la divozione al Sacro Cuore di Gesù, intesa come sopra vi ho espresso,
e praticata con alcuni di questi esercizi principali indicativi, produrrà quei buoni frutti che si ha
diritto di aspettare da essa ; poiché è da considerarsi come la regina delle divozioni." (M. Rua,
Instruction sur la dévotion au Sacré Coeur de Jésus, 21 novembre 1900 ; L. C., p. 228-254.)
9. "Chi guarda la cosa superficialmente, potrà forse obiettare che queste due divozioni
sono di tutti i tempi e di tutti i fondatori di società religiose, e che perciò si esagera nel
presentarle come proprie quasi soltanto dell'opera di Don Bosco. E' vero, sì, sono di tutti i tempi,
ma il modo usato dal nostro buon Padre per diffonderle e per ferie amare, e da lui lasciato in
retaggio a' suoi figli, è nuovo e proprio tutto nostro." (P. Albera, Lettre aux prêtres salésiens, 19
mars 1921 ; L.C., p. 426.)
10. "A tutti noi, che nutriamo una tenera divozione a questo gran Santo, che D. Bosco
volle come uno dei celesti protettori della nostra Pia Società, deve tornare quanto mai gradita
questa solenne ricorrenza." (P. Albera, Lettre aux salésiens, 10 février 1921 ; L.C., p. 372.)
11. E. Celia, Vita del Servo di Dio Sac. Filippo Rinaldi, chap. "Le due divozioni di
Don Rinaldi", SEI, 1948, p. 307-330.
12. "Le 24 du mois consacré à Marie auxiliatrice", dans le Livre de prières et de
pratiques de piété à l'usage des Filles de Marie Auxiliatrice (Imprimatur Turin, 1920), Lille,
1929, p. 124-125.
13. ’Accanto alla preghiera liturgica, la preghiera devozionale non solo è legittima,
ma necessaria e raccomandata. Essa esprime con intonazioni e modalità caratteristiche la
spiritualità della singola persona, di una comunità, di un Istituto. La preghiera devozionale della

4.9 Page 39

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193
nostra famiglia religiosa ci unisce, ci distingue, ci caratterizza. Euna ricchezza tutta nostra.
Non si oppone alla preghiera liturgica, ma si ispira ad essa per esprimere nella spontaneità
salesiana soprattutto il nostro amore all’Eucaristia, all’Ausiliatrice e la nostra ansia per la
salvezza della gioventù.” (Istituto FMA, Capitolo Generale XVII. Atti, Roma, 1982, p. 64.)
14. 1. Come Don Bosco, il Cooperatore nutre una devozione filiale e forte a Maria
Immacolata, "Madre della Chiesa e Ausiliatrice dei cristiani", guida speciale della Famiglia
salesiana. Convinto della sua presenza viva, la invoca frequentemente, celebra con fervore le sue
feste, la & conoscere e amare. - § 2. Si rivolge con particolare affetto a San Giuseppe, Patrono
della Chiesa universale. Ricorre con fiducia all'intercessione di San Giovanni Bosco, padre e
maestro, protettore speciale dei giovani ; è anche convinto che un modo di onorarlo è
approfondire la conoscenza della sua vita e santità. - § 3. Tra i Santi, modelli di vita apostolica,
venera con predilezione san Francesco di Sales, santa Maria Domenica Mazzarello, san
Domenico Savio e gli altri Santi e Beati della Famiglia salesiana." (RVA, art. 35.) On trouvera
une liste des dévotions des salésiennes dans leurs Regolamenti, art 27-32.
15. Considérations sur la permanence des dévotions dans "Au pays des dévotions",
Fêtes et Saisons, 487, août-septembre 1994. Développements voisins, ci-dessus, au mot Ange,
et, ci-dessous, aux mots Marie, Religion populaire, Rosaire, Sacré Coeur, Saints.

4.10 Page 40

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194
Dieu
Dieu, notre Créateur et notre Père
La vie spirituelle est essentiellement affaire de relation entre Dieu et sa
créature. L'image médiatrice de cette relation la conditionne. L'idée qu'il se fait de
Dieu est donc déterminante pour le spirituel salésien. Comme l'ensemble de la
spiritualité, cette idée en lui a pu varier au cours de son histoire. Jetons d'abord un
regard sur les deux extrémités de la chaîne salésienne.
En 1858, don Bosco commençait son Mois de mai proprement dit (qui
était un petit traité de spiritualité) par une instruction sur "Dieu notre Créateur",
dont il invitait à considérer l'extraordinaire majesté. A notre goût, la réussite était
moyenne. Le tableau reprenait trop à la lettre le premier chapitre de la Genèse,
dont la symbolique échappait à notre théologien, qui historicisait la Création. Don
Bosco se risquait à paraître oublier toute distinction entre la cause première et les
causes secondes, allant jusqu'à affirmer que Dieu "soutient et fait mouvoir le poids
formidable de l'immensité."1 Comme l'avait fait le Psalmiste, il mélangeait sans
problèmes physique et métaphysique. Efforçons-nous cependant de retrouver
par-delà les images son sens, au fond très juste, de Dieu créateur tout-puissant et
bon.
Si nous ouvrons les yeux, affirmait-il, nous ne pouvons que reconnaître
l'existence, la puissance et la sagesse de Dieu, par qui toute chose fut créée. Dieu
existe, parce que toute maison suppose un architecte et toute montre un horloger.
"C'est Dieu qui a dit : que la lumière soit, et la lumière fut. La lumière fut séparée
des ténèbres, et, à l'instant, elle se répandit dans les vastes espaces du ciel et de la
terre. A la parole de Dieu tout-puissant la mer fut enfermée dans certaines limites,
la terre se couvrit d'herbes et d'arbres. A sa voix, les oiseaux, les poissons et les
autres animaux peuplèrent le ciel, la terre et les eaux."2 "A toutes choses, il dit :
c'est moi qui t'ai faite : ego sum, je suis. Par ce mot, que tout homme peut et doit
comprendre, s'expriment sa puissance et sa divinité."3 La bonté du Créateur
confondait don Bosco. Tout ce que nous admirons dans l'univers a été créé pour
l'homme, s’exclamait-il : le soleil, la lune, les étoiles, l'air qu'il respire, le feu qui le
réchauffe, la terre qui lui donne ses fruits, tout a été fait par Dieu pour lui.
Donc, d'une part Dieu existe, et, de l'autre, il est Providence. Quels
sentiments de gratitude, de respect et d'amour ne doit-on pas éprouver envers un
Dieu à la fois aussi grand et aussi bon ! Et que faire pour correspondre à son
immense bonté ? Pour le moins, concluait don Bosco, il importe de suivre
exactement les préceptes de sa Loi. L'homme y gagne beaucoup. Car ce Dieu
infiniment juste et miséricordieux couvrira de gloire ceux qui l'auront servi par
leurs bonnes oeuvres, tandis qu'il soumettra à un terrible châtiment ceux qui se
seront rebellés contre sa sainte Loi4.

5 Pages 41-50

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5.1 Page 41

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195
Cent quarante ans plus tard, la préparation du jubilé de l'an 2000 amenait
le huitième successeur de don Bosco à parler des images de Dieu les plus
répandues autour de lui. Le juge sévère s'était effacé sous la vague de la tolérance
et la perte du sens du péché. Dieu se réduisait pour beaucoup à une construction
sur mesure, à une réalité vague, à une ombre sans visage ni signes de vie ; et, dans
les meilleurs des cas, à un recours pour les moments difficiles. La qualité de la foi
était en cause, remarquait-il. Et, à travers l'enseignement et l'histoire de Jésus, il
synthétisait sa propre pensée sur Dieu, en qui il voyait d'abord un Père.
"Ce qu'est Dieu et son rapport à l'homme a fait l'objet de la révélation de
Dieu à Abraham et à Moïse. Le croyant cherche l'image de Dieu dans l'Ecriture,
surtout dans lEvangile. Le Dieu auquel il se confie est celui qui s'est révélé dans le
Christ et que Jésus nous a enseigné à connaître et à aimer. C'est le Dieu fontaine
de vie, qui la donne aux hommes avec abondance ; le Dieu qui veut le bonheur de
chacune des personnes, mais le remet à sa liberté et à sa responsabilité. Il est
provident. H vêt les lis des champs, donne à manger aux oiseaux du ciel, mais
surtout, comme le Bon Pasteur, va à la recherche des pauvres, et crée pour chacun
de nouvelles occasions de grâce. H distribue des dons d'intelligence et de volonté
et veut que l'homme s'en serve. H nous a préparé un avenir de paix, mais nous
demande de contribuer à le construire. H ne supprime pas les croix, mais invite à
en considérer positivement le mystère. H rappelle que le péché détruit l'homme. Il
nous en a rachetés par la mort et la résurrection du Christ en qui il nous offre
l'image de l'homme nouveau et parfait, chemin vers lui, vérité et principe de vie
nouvelle."5
Au cours de la période, les sentiments religieux ont nécessairement varié
dans le monde salésien en fonction des représentations les plus habituelles de Dieu.
La crainte de Dieu à éprouver
Au commencement, il y a la crainte du coeur de l'homme face à son Dieu.
La Bible l'a répété : "La crainte de Yahvé est le principe du savoir" (Proverbes 1,
7.) "Principe de la sagesse, la crainte de Yahvé" (Proverbes 9, 10.) Etc.6 Cette
crainte salutaire était à l'honneur dans le monde au temps de la formation
sacerdotale du jeune Bosco. L'archevêque, qui promulguait le règlement de la
maison il entra en 1835, voulait que "la piété et la crainte de Dieu soient les
qualités premières de qui veut vivre dans notre séminaire"7. Son rappel, qui
disparaîtra progressivement au cours du vingtième siècle - les circulaires de don
Viganô semblent l'avoir ignorée - , était fréquent dans la tradition salésienne
primitive. Toutefois, le sens de l'expression pouvait varier. Car, selon l'origine, la
crainte de Dieu prend diverses formes dans le coeur de sa créature.
H est d'abord une crainte révérentielle provenant du sentiment de la
grandeur toute-puissante du Seigneur. François de Sales s'arrêta sur elle dans l'un
de ses opuscules. La révérence, écrivait-il, "n'est autre chose qu'une certaine vive
appréhension et juste crainte de ne se pas bien comporter, et manquer d'honneur et
de respect envers Dieu et les choses divines". La révérence sacrée jeta à terre
Daniel et les autres prophètes moitié morts" devant la majesté de Dieu. Elle fait

5.2 Page 42

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196
que les séraphins voilent leurs yeux et leurs pieds comme indignes de regarder le
Seigneur et de s'arrêter près de lui. Cette révérence persistera dans les siècles sans
fin. "L'inestimable estime" qu'éprouvent les saints de l'excellence divine fait qu'ils
révèrent éternellement la divine Majesté. Une "agréable et amoureuse
appréhension de sa grandeur" leur donne un soin perpétuellement attentif à bien
exalter la divine Bonté. C'est la crainte dont il est dit que "les puissances
tremblent" devant la Majesté divine. Autant la bonté de Dieu assure les saints qu'il
ne leur manquera jamais, autant "sa majesté les provoque à l'attention et au soin et
révérence".8 La prostration exprime au mieux la crainte révérentielle devant Dieu
créateur.
Don Bosco prêchait probablement parfois plus ou moins cette crainte
révérentielle du Seigneur. Ainsi, quand il écrivait à un jeune clerc : "Rappelle-toi
toujours qu'en ce monde la plus grande des richesses est la sainte crainte de
Dieu"9. Mais, pour des raisons d'efficacité pédagogique, dans ses allocutions aux
jeunes il ne connaissait habituellement qu'une autre forme de crainte de Dieu,
appelée par François de Sales "servile", si elle était peur d'un châtiment (l'enfer),
ou "mercenaire", si elle provenait du regret d'une récompense perdue (le paradis).
Car don Bosco n'oubliait jamais que Dieu serait pour chacun, à l'heure de la mort,
un juge que la lecture de son Mois de mai oblige à qualifier d'impitoyable.10 L'un
de ses maîtres à penser était le jésuite Giampietro Pinamonti, auteur d'un livre
intitulé "La vraie sagesse", et sous-titré : "Considérations très utiles pour
l'acquisition de la sainte crainte de Dieu", qui, on s'en doute, insistait plus sur la
"sainte crainte de Dieu" que sur son amour.11 H cultivait donc une certaine forme
de pastorale de la peur. L'orgueilleux, disait-il, ne craint pas le Seigneur et sombre
dans le vice, alors que, selon l'Ecriture, le principe de toute sagesse est la crainte
de Dieu.12 Son biographe a écrit avec justesse que "la sainte crainte de Dieu,
inspirée par les paroles de don Bosco, était un guide et un frein pour la conduite
des jeunes"13. Don Bosco n'était "mû que par un ardent désir de sauver les âmes et
d'infuser dans les coeurs la sainte crainte de Dieu", affirmera son disciple Albera.
"Dieu te voit !", répétaient des inscriptions sur les murs de l'Oratoire, autrement
dit : "H te surveille".14 Dieu créateur et juge demeurait proche de sa créature dans
le monde salésien des origines.
La crainte révérentielle de Dieu reparut à la fin du vingtième siècle.15
Retrouvons la crainte de Dieu, qui "est le sens de la grandeur et de la sainteté de
Dieu," recommandait le recteur majeur Vecchi lors des journées de spiritualité
salésienne de 1998. "Dieu est père et bon. Mais il est aussi puissant, souverain,
créateur et Seigneur. H est transcendant." S'il pardonne toujours, il doit aussi être
pris au sérieux. C'est notre Père, non pas un fétiche porte-bonheur auquel on
recourt en cas de difficulté. H est à l'origine de tout être, de tout don, de toute
grâce. "Outre le respect et la reconnaissance de Dieu tel qu'il est, la crainte de
Dieu nous rappelle que nous ne sommes pas les maîtres du bien et du mal, qu'il
nous faut donc chercher en lui le fondement de la vie et des valeurs." Salésiens,
éduquons à la crainte de Dieu et par la crainte de Dieu. Parlons toujours bien de
Dieu, ne le caricaturons jamais, ne le tournons jamais en ridicule.16

5.3 Page 43

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197
Servir la gloire de Dieu
"Pour la plus grande gloire de Dieu", formule chère à la tradition
ignatienne, revenait fréquemment sous la plume de don Bosco. La gloire de Dieu a
été l'un des phares de sa vie. Navait-elle pas, à son jugement, éclairé le chemin des
saintes âmes qu'il décrivait dans ses livres ou ses sermons : saint Paul, qui "ne
désirait rien plus ardemment que de promouvoir la plus grande gloire de Dieu",
saint Philippe Néri qui, "mû par le désir la gloire de Dieu", avait abandonné tout ce
qu'il aimait pour entreprendre un difficile apostolat dans la Rome du seizième
siècle, saint François de Sales, qui était mort "après une vie consumée tout entière
à la plus grande gloire de Dieu", ou encore Dominique Savio, qui aurait dit : "Je
ne suis pas capable de faire grand-chose, mais ce que je peux, je veux le faire pour
la plus grande gloire de Dieu" ? D'ailleurs, affirmait-il, "les vertus et les actions des
saints sont toutes orientées vers la même fin qui est la plus grande gloire de Dieu
et le salut des âmes."17
La gloire de Dieu, autrement dit l'éclat de la perfection divine, se reflète
dans la création.18 Les cieux ne la "racontent-ils" pas (Psaume 18, 2) ? Quant aux
hommes, ils l'accroissent ou la rendent "plus grande" par l'amélioration physique et
surtout morale du monde tel qu'il est sorti des "mains du Seigneur". Cela n'est
rendu possible que par la soumission à sa volonté ou à son plan divin. Un univers
plus uni, plus beau, plus juste et plus sain attestera d'une plus grande gloire de
Dieu. Le Psalmiste chantait avec des rapprochements de mots significatifs :
"Fais-nous voir, Yahvé, ta bonté, que nous soit donné ton salut ! Proche est son
salut pour ceux qui le craignent et la Gloire habitera notre terre. Bonté et Vérité se
rencontrent, Justice et Paix s'embrassent ; Vérité germe de la terre, et des cieux
Justice se penchera." (Psaume 85,10-14.)
C'est pourquoi les membres de la famille salésienne, qui se veulent au
meilleur service du monde, ont pour tâche de "travailler à la plus grande gloire" du
Créateur. Don Rua composa sous ce titre tout un sermon destiné à servir de
clôture aux exercices spirituels de ses religieux.19 H commençait par citer 1 Cor.
10,31 : "Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quoi que vous fessiez, faites
tout pour la gloire de Dieu". Outre le travail quotidien, disait-il, l'alimentation, le
divertissement et le repos lui-même devraient servir à la plus grande gloire de
Dieu. H n'est pas indispensable d'en feire beaucoup, l'important est de le bien
faire.20 Le même don Rua, au début de son mandat, demandait à ses provinciaux
d'oeuvrer de leur mieux à la bonne marche des maisons salésiennes "pour la gloire
de Dieu et le bien des âmes, à quoi doivent viser toutes nos aspirations et toutes
nos sollicitudes"21. Peu après, à partir de la formule de Matthieu 5, 16 : "ut
videant opéra vestra bona et glorificent Patrem vestrum qui in coelis est", il
souhaitait que les salésiens se dépensent, "afin que nos confrères et aussi les
autres, édifiés par vos bonnes oeuvres, en rendent gloire à votre Père qui est aux
cieux."22
Avec les années, peut-être parce que le sens de Dieu créateur s'émoussait
dans les esprits et qu'en conformité avec l'esprit du temps, la fin ultime du monde
devenait toujours plus l'homme lui-même, cette finalité religieuse ne fut plus
rappelée avec la même insistance. La formule allait de soi sans qu'on sache

5.4 Page 44

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198
nécessairement bien pourquoi. Mais elle subsistait. Par leur prière et consécration
à Marie auxiliatrice salésiens et salésiennes promettaient quotidiennement de
"travailler toujours à la plus grande gloire de Dieu".23 Quant aux filles de Marie
auxiliatrice, selon leurs constitutions rénovées de 1982, elles professaient "vouloir
vivre pour la gloire de Dieu dans un service d'évangélisation des jeunes, marchant
avec elles sur le chemin de la sainteté"24. En effet, un monde acquis à l'évangile
rendra toujours plus gloire au Dieu de Jésus Christ.
La Parole de Dieu à dire et à entendre
Dominique Savio avait, "enracinée dans le coeur," "la conviction que la
Parole de Dieu est le guide de l'homme sur le chemin du ciel"25. La spiritualité
salésienne donne une place de choix à la Parole de Dieu entendue dans toute son
ampleur.
La Parole de Dieu est essentiellement, pour le chrétien, donc pour le
disciple de don Bosco, le Verbe de Dieu. Dieu s'y révèle. Par lui, les hommes
accèdent dans l'Esprit Saint auprès du Père et sont rendus participants à la nature
divine. Le Dieu invisible s'adresse aux hommes ainsi qu'à des amis. H s'entretient
avec eux pour les inviter à partager sa propre vie. Dieu, qui crée et conserve
toutes choses par le Verbe, donne aux hommes dans les choses créées un
témoignage incessant sur lui-même. La création est une expression de la Parole.
Innombrables sont ceux qui durent et doivent toujours s'en contenter. Voulant
ouvrir la voie d'un salut supérieur, Dieu s'est manifesté dès l'origine du genre
humain. Après la chute initiale, par la promesse d'un salut il le releva et prit de lui
un soin constant pour donner la vie étemelle à tous ceux qui, par la fidélité dans le
bien, rechercheraient, consciemment ou non, ce salut. A son heure il appela
Abraham pour faire de lui un grand peuple. A la suite des patriarches, il forma ce
peuple par l'intermédiaire de Moïse et des prophètes, pour qu'il le reconnaisse
comme le seul Dieu vivant et vrai, père provident et juste juge, et qu'il attende le
sauveur promis. Ce peuple préparait ainsi au cours des siècles la voie de
lEvangile. Avec Jésus, le Verbe étemel s'est fait chair. Le voir, ce fut voir le Père.
Par toute sa présence, par les paroles et par les oeuvres qui le manifestèrent, par
des signes et par des miracles, et plus particulièrement par sa mort et par sa
résurrection glorieuse d'entre les morts, par l'envoi enfin de l'Esprit de vérité, il
acheva en la complétant la révélation et la confirma en attestant que Dieu
lui-même est avec nous pour nous arracher aux ténèbres du péché et de la mort et
pour nous ressusciter pour la vie étemelle.26 Cette révélation nous a été transmise
par la Bible. Depuis les apôtres, lEglise l'exploite tel un précieux trésor, car rien
ne peut mieux que cette nourriture céleste entretenir la vie de l'Esprit dans l'âme
d'un fidèle chrétien.
Le zèle pour l'étude de la Parole de Dieu a traversé l'histoire salésienne.
Don Bosco, en particulier grâce à une Histoire sainte dûment publiée et plusieurs
fois rééditée27, et don Rua, par de multiples interventions dont les traces subsistent
aux archives salésiennes28, commentèrent à leurs contemporains la révélation
divine. Puis, non sans éloquence, les recteurs Albera et Rinaldi encouragèrent leurs
fils à la lecture sapientielle des livres saints. On pardonnera au premier, qui vivait

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199
en un temps de redoutable réaction antimodemiste, sa méfiance envers la critique
littéraire et historique de la Bible. Mais le message était clair. "L'étude de la Sainte
Bible (...) doit avoir la préséance sur toutes les autres, parce que, au dire de
l'Apôtre, "elle est utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour
former à la justice" (H Timothée 3,16), écrivait-il. Les Saints Pères se sont formés
sur la Sainte Bible ; et toujours les grands fondateurs d'Ordres religieux ont donné
pour règle à leurs disciples d'en lire chaque jour un passage [ ... ] Que les saints
livres soient donc notre nourriture quotidienne. Lisons-les, non pas comme le
ferait un curieux, un simple lettré ou un pur historien, mais avec un profond
respect religieux, à la manière d'une méditation affective plus que d'une simple
étude, en nous efforçant d'en bien pénétrer les expressions tellement lumineuses et
profondes, et même en apprenant par coeur les versets qui peuvent le mieux nous
servir dans nos méditations et l'exercice de notre ministère. Heureux serions-nous
si nous pouvions nous constituer un langage tout biblique ! Ce ne serait plus alors
nous qui parlerions, mais, par notre entremise, parlerait l'Esprit Saint, lui qui opère
ce qu'il dit, ipse dixit, etfacta sunt (Psaume 32, 9), lui dont la parole est lumière,
vie, remède, et possède une efficacité toute particulière sur les esprits et sur les
coeurs."29 Pour sa part, don Rinaldi insistait sur l'étude aimante de l'Evangile.
Celui qui se constitue un trésor des paroles de Jésus et, à l'image de Marie, les
imprime dans son coeur, possédera, assurait-il, le véritable esprit religieux et
salésien et le communiquera naturellement à ceux qu'il approche dans l'apostolat.30
L'exhortation, orchestrée par un puissant mouvement biblique et par
Vatican U, a été répétée, entendue et assimilée dans le monde salésien au long du
vingtième siècle. Le coopérateur fidèle à son Règlement de Vie Apostolique lit et
médite la Parole de Dieu. Dans son souci de formation permanente, il approfondit
la Sainte Ecriture. De la sorte sa vie devient de plus en plus évangélique.31
"Valoriser la Parole de Dieu est une aide puissante pour surmonter les instants
d'affaiblissement de la foi et de difficultés" inhérentes à l'existence, dit en 1982 le
chapitre général des salésiennes. H synthétisait heureusement sa leçon sur les
bienfaits du contact permanent avec la Parole, en rappelant qu'elle se retrouve tout
entière dans le Verbe, fontaine de vie et de sagesse. "L'écoute et la méditation de
la Parole de Dieu constituent une rencontre quotidienne avec la science
suréminente de Jésus Christ. Dans une Eglise qui se rajeunit et retrouve ses
sources dans la lectio divina, nous devons individuellement et communautairement
nous laisser éclairer, guider et interpeller par la Parole. Dans la mesure elle aura
chez nous sa juste place d'écoute, d'accueil et de célébration dans la communauté,
celle-ci se renouvellera dans la communion et l'élan pour sa mission
évangélisatrice. La Parole de Dieu nous arrive chargée de provocations concrètes :
la lire avec vénération, la pénétrer dans l'Esprit Saint, l'intérioriser - prier la Parole
de Dieu -, c'est accepter ses sollicitations à une conversion sincère et radicale."32
La Parole de Dieu est, pour le disciple de don Bosco, un instrument
privilégié de sanctification. S'en imprégner, c'est se laisser transformer par elle.
Dans la mesure elle s'occupe de choses spirituelles, les préoccupations de l'âme
deviennent spirituelles et divines. La Parole de Dieu expulse ce qui ne vient pas
d'elle et, simultanément, communique la vraie science du coeur, celle qui ne
s'apprend vraiment qu'en se faisant disciple de la Parole.

5.6 Page 46

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200
La conformité à la volonté de Dieu
Pour le croyant. Dieu, Volonté toute pure, est la volonté secrète de tous
les êtres, par laquelle chacun d'eux existe différent de tous les autres. Deux désirs
se rencontrent en lui, celui de Dieu et celui de son être libre. H importe d'adhérer à
la volonté de Dieu pour l'épouser et la suivre. Tel fut le souci constant des maître^
spirituels salésiens de la première génération, qui s'acharnèrent à découvrir ce que
Dieu attendait d'eux, à accomplir ce qui leur paraissait conforme à sa volonté et à
se soumettre à ses desseins fréquemment impénétrables. Les traits significatifs
abondent. Au hasard, relevons un échange de la biographie exemplaire de
Dominique Savio. "Tu veux guérir, n'est-ce pas ?", demandait Dominique à son
ami Gavio gravement malade, qui répondait : "Pas tellement : je veux faire la
volonté de Dieu." "Cette phrase révélait en Gavio un garçon d'une piété non
ordinaire, et le coeur de Savio en éprouva un vrai bonheur", observait don
Bosco.33 Ou bien la réflexion de don Rua aux membres de la famille salésienne
dans la circulaire qui annonçait la mort de don Bosco le 31 janvier 1888 : "Rien ne
nous console en ces instants si ce n'est que Dieu l'a voulu ainsi, lui {'infiniment bon
qui ne fait rien que de juste, de sage et de saint. Résignés, courbons donc le front
et adorons ses profonds desseins."34
François de Sales avait souvent abordé ce sujet en un temps les
discussions sur les rapports entre la volonté de Dieu et la liberté de l'homme
allaient bon train. Comment les concilier si Dieu est "la suprême raison de tout" ?
A quels signes reconnaître cette volonté, qui est la grande maîtresse de notre vie,
la règle de toute bonté et le principe de la valeur de nos actes ? Laissons la
première question qui n'intéresse plus autant aujourd'hui qu'hier. La volonté de
Dieu est signifiée, écrivait François, par les commandements explicites du
Seigneur, par ses conseils évangéliques et par les bonnes inspirations. Préceptes,
conseils et inspirations salutaires sont des signes de la volonté du Seigneur.
La charité incite le chrétien à conformer sa volonté non seulement aux
ordres, mais aussi aux conseils du Tout-Puissant. "Le commandement tesmoigne
une volonté fort entière et pressante de celuy qui ordonne, mais le conseil ne nous
représente qu'une volonté de souhait ; le commandement nous oblige, le conseil
nous incite seulement ; le commandement rend coulpables les transgresseurs, le
conseil rend seulement moins louables ceux qui ne les suivent pas."35
Commandements et conseils nous arrivent par des médiations : le Décalogue,
l'Evangile, mais aussi les représentants de Dieu sur terre. Don Bosco pourra dire :
"Tout le monde sait que la Règle est la volonté de Dieu, qui s'oppose aux Règles
s'oppose au supérieur et à Dieu lui-même."36 C'est entendu (avec quelques
nuances, il va de soi), mais il se faut aussi conformer à la volonté divine signifiée
par les bonnes inspirations. Voilà qui est plus délicat. "Les rayons du soleil
esclairent en eschauffant et eschauffent en esclairant ; l'inspiration est un rayon
celeste qui porte dans nos coeurs une lumière chaleureuse, par laquelle il nous fait
voir le bien et nous eschauffe au pourchas d'iceluy."37 Retenons ce point : la
volonté de Dieu est exprimée par le bien à rechercher. La volonté de Dieu est
enfin fréquemment signifiée par les événements, qui peuvent être des occasions de

5.7 Page 47

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201
tristesse comme de joie. L'âme se conforme alors au "bon plaisir" de Dieu,
enseignait François, "ou par la sainte résignation ou par la tressainte
indifférence"38.
La destinée de chacun serait donc inscrite dans la "volonté de Dieu", qu'il
faudrait seulement s'appliquer à déchiffrer à l'aide en particulier des "bonnes
inspirations". En réalité, malgré les apparences, le dessein authentique de notre
Dieu, que ces "bonnes inspirations" nous invitent à reprendre, ne se confond pas
avec le projet d'un Dieu tout-puissant, qui voit tout, qui sait tout, devant qui
l'histoire humaine se déroule comme un spectacle sans surprise, et qui attend que
nous prenions notre place de figurants il l'a prévue de toute éternité. Don
Bosco était très sensible à la liberté agissante de l'homme dans la conduite de sa
vie. A la différence d'autres saints moins entreprenants, il nuançait fortement son
abandon à la Providence. En 1848, il publia un "mois" (juillet) de saint Vincent de
Paul, dont les trente-et-une lectures journalières s'achevaient par un frutto
(bouquet spirituel). Les lectures étaient recopiées sur un ouvrage français, seuls les
frutti étaient originaux. Or, on observe que, pour clore la méditation du 24,
intitulée : "De sa confiance en Dieu", exaltant cette vertu chez Vincent de Paul, il
conseilla de manière plutôt inattendue : "Frutto. La confiance en Dieu n'exclut pas
notre coopération, faisons donc ce que nous pouvons de notre côté, et le
Seigneur, avec sa grâce, fera ce que nous ne pouvons pas faire nous-mêmes."39
L'esprit du véritable disciple de don Bosco sera toujours un esprit d'initiative. La
volonté de Dieu n'entrave pas sa liberté, mais la conforte dans la recherche du
meilleur bien.
En effet, le dessein de Dieu n'est pas, comme on le suppose facilement, la
détermination d'une volonté divine souverainement libre, mais un dessein de salut
exprimant un amour qui se donne. Dieu, parce qu'il aime sa créature, ne veut que
son bonheur. "H nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être
saints et immaculés en sa présence dans l'amour, déterminant d'avance que nous
serions pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ." (Ephésiens 1, 4-5.) La
conformité à la volonté de Dieu n'a pas d'autre raison que celle d'essayer d'entrer
au mieux dans ce projet salvifique. "Le Dieu devant qui nous sommes n'est donc
pas cet ordinateur surpuissant capable de programmer et de tenir en mémoire des
milliards de destinées individuelles et qu'il nous faudrait interroger avec crainte et
tremblement sur notre avenir. C'est l'amour qui a pris le risque de nous appeler à la
vie, pour nous offrir l'alliance et la communion." La conversion à ce visage de
Dieu s'impose pour se situer en vérité devant la volonté divine. La volonté de Dieu
est un appel à une création amoureuse de la part de la créature. Plus qu'une
volonté précise, exprimée en règle de vie, les inspirations disent le désir de Dieu,
son attente et son espérance de nous voir inventer peu à peu notre réponse.
Discerner la volonté de Dieu sur sa vie, c'est s'interroger sur sa place dans le
Corps du Christ, non pas celle qui serait assignée à soi de toute éternité, mais celle
que l'on peut et que l'on désire prendre. Il y a plusieurs demeures dans la maison
du Père. Dieu attend que nous y édifiions la nôtre et H est avec nous au travail.40
A y regarder de près, les réalisations apostoliques de don Bosco, ici
comme toujours modèle du salésien, plus que des réponses à des sollicitations

5.8 Page 48

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202
reçues en rêve comme on l'imagine volontiers, furent, dans un souci de pleine
conformité à la volonté de Dieu, le fruit de recherches attentives d'un meilleur bien
pour la société chrétienne entière et, en particulier, pour son oeuvre propre au
service de la jeunesse. Son existence remplie de projets enseigne que servir Dieu
est le moyen idéal de satisfaire à sa sainte volonté. Le monde de ses fils n'a jamais
oublié la leçon. Dieu veut le bonheur de chaque personne, mais le remet à sa
liberté et à sa responsabilité ; il distribue à profusion des dons d'intelligence et de
volonté, mais veut que l'homme s'en serve ; pour l'avenir de paix qu'il désire lui
assurer, il tient à sa contribution, rappelait opportunément le recteur Vecchi dans
sa description de Dieu notre Père.
Notes
1. "Egli è che sostiene e fe muovere il peso formidabile dell'immensità." (ZZ mese di
maggio consacrato a Maria SS. Immacolata ad uso del popolo, per cura del Sacerdote Bosco
Giovanni, Torino, Paravia, 1858, Primo giorno di maggio, "Dio nostro Creatore", p. 20.)
2. "Egli è Dio che ha detto : si faccia la luce, e la luce fu fetta Fu separata la luce dalle
tenebre, in sull'istante si sparse nei vasti spazii del cielo e della terra. Alla parola di Dio
onnipotente il mare fu rinchiuso in certi limiti, la terra si copri' di erbe, di alberi ... Alla sua
voce gli uccelli, i pesci e gli altri animali hanno popolato il cielo, la terra e le acque." (Ibidem, p.
20.)
3. "A tutte le cose egli dice : son io che ti ho fetto : ego sum. E in questa parola, che
ogni uomo può e deve comprendere, si esprime la sua potenza e la sua divinità" (Ibidem, p.
20-21.)
4. Ibid., p. 21-22.
5. "Chi era lui e quale il suo rapporto con l'uomo, fu l'oggetto della rivelazione di Dio
ad Abramo e a Mosè. Il credente cerca il volto di Dio nella Scrittura, soprattutto nel Vangelo. Il
Dio al quale si affida è colui che si è rivelato in Cristo e che Gesù ci ha insegnato a conoscere e
ad amare. E' il Dio, fonte della vita, che la dona agli uomini con abbondanza. Vuole la felicità di
ogni persona ; ma la consegna alla sua libertà e responsabilità. E' provvidente : veste i gigli del
campo, da mangiare agli uccelli del cielo, ma soprattutto va alla ricerca dei poveri, come il
Buon Pastore, creando per ciascuno nuove opportunità di grazia. Elargisce doni di intelligenza e
volontà e vuole che l'uomo se ne serva. Ha disposto per noi un futuro di pace, ma chiede che
partecipiamo a costruirlo. Non toglie le croci, ma invita a considerarne positivamente il mistero.
Ricorda che il peccato distrugge l'uomo. Da esso ci ha redento con la morte e risurrezione di
Cristo nel quale d offre l'immagine dell'uomo nuovo e perfetto, via verso di lui, verità e
principio di nuova vita." (Juan E. Vecchi, "Le parole del giubileo. Padre nostro", Bollettino
salesiano, mai 1997.) Le recteur a consacré à Dieu Père son étrenne spirituelle pour 1999. En
lire le commentaire dans le fascicule : J. Vecchi, “Benedetto sia Dio, Padre del nostro Gesù
Cristo", Roma, Istituto Figlie di Maria Ausiliatrice, 1998. Les Journées de spiritualité pour la
fermile salésienne, qui ont suivi (Barcelone, Marti-Codolar, 15-17 janvier 1999), ont été
intitulées “L’esperienza di Dio Padre nella spiritualità salesiana”.
6. Voir encore Psaumes 111, 10 ; Proverbes 15, 33 ; Job 28,28 ; Ecclésiastique 1,14.
7. Le texte continuait : " ... pour que, jetant dans leurs tendres coeurs de profondes
racines, elles puissent par la suite produire de bons fruits de vertu pour la commune édification
de notre diocèse." (Règlement promulgué par l'archevêque Fransoni, chap. I, art. 1.)
8. François de Sales, Fragments sur les vertus cardinales et morales, dans Oeuvres, t.
XXVI, p. 56-57.
9. "Ricordati sempre che la più grande ricchezza di questo mondo è il santo timore di
Dio" (G. Bosco à D. Ruffino, 13 juillet 1857, éd. en MB V, 712.)
10. Voir le seizième jour : "Giudizio particolare", in II mese di maggio ... , Turin,
1858, p. 95-100.

5.9 Page 49

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203
11. G. Pinamonti, La vera sapienza. Considerazioni utilissime all'acquisto del timor
santo di Dio, éd. italienne avant 1677. (Voir le Dictionnaire de spiritualité, t. 12, col. 1764.)
Pinamonti est cité dans les Cenni Comollo de don Bosco et dans son Introduction aux
constitutions salésiennes.
12. D'après un propos du 8 novembre 1868, reproduit en MB IX, 404.
13. "E il santo timor di Dio, ispirato dalle parole di Don Bosco, era guida e freno alla
condotta dei giovani." (MB VI, 76.)
14. "... mosso unicamente dall'ardente sua brama di salvar le anime e d'infondere nei
cuori il santo timor di Dio" (P. Albera aux salésiens, 18 octobre 1920, L.C., p.342.) Sur Dio ti
vede, voir ibid., p. 343.
15. "Rientra per noi, di nuovo, nel tema della religione", affirmait alors J. Vecchi, "La
strenna per il 1998", dans Riscopriamo con i giovani..., Rome, 1998, p. 170.
16. " E' (il timor di Dio) il senso della grandezza e della santità di Dio ( ... ) Dio è
padre e buono. Ma è anche potente, sovrano, creatore e Signore. E' trascendente ( ... ) Perdona
sempre, ma 'non va preso in giro' (cfr Gal. 6,7). E' nostro Padre, ma non un 'jolly' per i momenti
opportuni (... ) E' all'origine di ogni essere, di ogni dono, di ogni grazia (... ) Oltre a rispetto e
riconoscimento di quello che Dio è, il timor di Dio ci ricorda che non siamo i padroni del bene e
del male ; dunque dobbiamo cercare in Lui il fondamento della Vita e dei Valori. (...) n timore
di Dio ci porta anche a parlare bene di Dio (... ) Non sfigurare la sua immagine ( ... ) non fame
delle caricature o delle macchiette". Le paragraphe avait commencé par l'exhortation :
"Educhiamo col timor di Dio e al timor di Dio". (J. Vecchi, "La strenna per il 1998", loc. cit., p.
170-171.)
17. "Ma Saulo aveva già superato ogni rispetto umano ; egli nulla più desiderava che
promuovere la gloria di Dio e riparare lo scandalo dato" (G. Bosco, Vita di S. Paolo ... , 2ème
éd., Turin, 1878, chap. 2, p. 12) ; "Ascoltate un curioso episodio. E' di un giovanetto (Filippo
Neri) che appena in sui vent'anni di età, mosso dal desiderio della gloria di Dio, abbandona i
propri genitori, di cui era unico figlio ... " (Panégyrique de saint Philippe Néri, 1868, éd. dans
MB IX, 215) ; Francesco di Sales era morto "dopo ima vita tutta consumata alla maggior gloria
di Dio" (Storia ecclesiastica, nouv. éd., Turin, 1870, cinquième époque, chap. 4, p. 302) ; “Io
non sono capace di far cose grandi, ma quello che posso, voglio farlo a maggior gloria di Dio ; e
spero che Iddio nella sua infinita bontà vorrà gradire queste miserabili mie offerte.” (Vita del
giovanetto Savio Domenico .., 6ème éd., 1880, p. 71) ; "Sebbene le virtù e le azioni dei Santi
siano tutte indirizzate allo stesso fine che è la maggior gloria di Dio e la salvezza delle anime"
(Panégyrique de saint Philippe Néri, éd. cit, p. 214). On trouvera éventuellement, sur "la gioire
de Dieu" chez don Bosco, un lot de citations suivies d'un essai d'interprétation dans mon livre
Don Bosco et la vie spirituelle, Paris, 1967, p. 222-230.
18. "Notion clé pour l'étude d'un système religieux, la "gloire" divine est, malgré tout
difficile à définir. A la notion de lumière s'ajoute toujours un sens de splendeur, d'éclat, qui
permet à cette lumière d'apparaître, de se manifester qualitativement autre que la lumière
ordinaire, et par là, de manifester la présence et l'action de quelqu'un à qui l'on rendra "gloire"
ou "grâce". (M. Delahoutre, "Gloire", dans le Dictionnaire des Religions, dir. P. Poupard, Paris,
PUF, 1984, p. 641.)
19. "Lavorar alla Maggior Gloria di Dio (Servibile per chiusa di Esercizi)", dans un
cahier non daté et inédit de Prediche per esercizi spirituali, p. 31-39. (Voir FdB DI 1-E7.) C'était
en partie une suite d'anecdotes ou de traits tirés de la vie des saints.
20. Voici le début de ce document inédit, dont les abréviations ont été respectées : "Ci
siamo consacr. a Dio per mezzo della prof. rei. H che vuol dire che abb. consacr. o meglio destin,
al serv. di Dio la ns vol., il ns cuore, il ns intell., tuttte le ns facoltà, il ns tempo, le ns fatiche, le
ns sostanze. Vuol dire che non dobb. più lav. per altro fine che per serv. a Dio, comp. la sua
santa vol., promuov. i suoi inter., cercar in ogni cosa il suo beneplac., non più lav. che per amor
di Lui, per fer piacere a Lui, per la sua gloria, mettere in prat. il detto di S. Paolo Sive
manducatis, etc., il che signif. che non solo le op. di pietà, le pregh. ecc. dobb. fere a maggior
gloria di Dio, ma anche io (mot peu lisible), la ricreaz., il rip. ecc., perchè consacriamo ad altro
una parte del ns tempo, delle ns forze" (Cahier cité, p. 31.) Traduction française : "Nous nous
sommes consacrés à Dieu par le moyen de la profession religieuse. Cela veut dire que nous avons
consacré ou, mieux, destiné au service de Dieu notre volonté, notre coeur, notre intelligence,
toutes nos facultés, notre temps, nos fatigues, nos ressources. Cela veut dire que nous ne devons

5.10 Page 50

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204
plus travailler à d'autre fin que le service de Dieu, pour accomplir sa sainte volonté, promouvoir
ses intérêts, rechercher en toutes choses son bon vouloir, ne travailler que par amour pour Lui,
pour Lui faire plaisir, pour sa gloire, et ainsi mettre en pratique la formule de St Paul : Soit que
vous mangiez, etc. Cela signifie qu'il ne faut pas accomplir à la plus grande gloire de Dieu les
seules oeuvres de piété, les prières, etc, mais aussi l'alimentation, le divertissement, le repos, etc.
pour consacrer à autre chose une part de notre temps et de nos forces."
21. " ... fine quanto possiamo pel buon andamento di tutte le nostre Case, affinchè
abbia a risultarne la gloria di Dio ed il vantaggio delle anime, al che devono mirare tutte le
nostre aspirazioni e sollecitudini." (M. Rua, Normes aux inspecteurs salésiens, s. d. (1891), L.
C., p. 69.)
22. "... perchè si verifichi fia noi il detto del nostro Divin Salvatore : ut videant opera
vestra bona et gloriflcent Patrem vestrum qui in coelis est (Matt. 5,16), affinchè i Confratelli ed
anche gli altri, edificati dalle vostre opere buone, ne diano gloria al Padre vostro che è nei cieli"
(M. Rua, Lettre édifiante 1 aux salésiens, 29 janvier 1893 ; L.C., p. 426.)
23. "Vi promettiamo di sempre operare alla maggior gloria di Dio e alla salute delle
anime", selon la formulation ancienne, qui n'a pas été substantiellement modifiée par la suite.
24. "Professiamo cosi di voler vivere per la gloria di Dio in un servizio di
evangelizzazione alle giovani, camminando con loro nella via della santità" (Constitutions FMA,
art 5.)
25. "Aveva radicato nel cuore che la parola di Dio è la guida dell'uomo per la strada
del cielo." (G. Bosco, Vita del giovanetto Savio Domenico ..., chap 8). - Sur le thème Parole de
Dieu et famille salésienne, voir éventuellement : Associazione Biblica Salesiana, Parola di Dio e
spirito salesiano. Ricerca sulla dimensione biblica delle Costituzioni della Famiglia Salesiana, a
cura di Juan Bartolomé e Fausto Perrenchio, Leumann, Elle Di Ci, 1996, 336 p.
26. Tout ceci d'après la constitution de Vatican n Dei Verbum, 1-4.
27. Storia sacra per uso delle scuole, utile ad ogni stato di persone, arricchita di
analoghe incisioni, compilata dal Sacerdote Gioanni Bosco, Turin, Speirani et Ferrerò, 1847.
(Seize éditions du vivant de don Bosco.) Y joindre une Maniera facile per imparare la Storia
Sacra..., Turin, Paravia, 1855. (Sixième édition en 1882)
28. Entre 1869 et 1889, don Rua prêcha régulièrement sur l'histoire sainte dans l'église
Marie auxiliatrice de Turin. Voir A. Amadei, Procès informatif de canonisation, ad 15 ; dans
Positio super virtutibus. Summarium, p. 345-346.
29. "Lo studio della Sacra Bibbia [ ... ] deve avere la precedenza su tutti gli altri,
perchè, al dire dell'Apostolo, "essa è utile a insegnare, a convincere, a correggere, a formare alla
giustizia" (Il Tim. 3, 16). I Santi Padri si formarono sulla Sacra Bibbia ; e sempre i grandi
fondatori di Ordini religiosi si diedero per regola ai loro seguaci di leggerne ogni giorno qualche
tratto [... ] Siano dunque i santi libri nostro pascolo quotidiano : leggiamoli non come farebbe
un curioso, un semplice letterato od un semplice storico, ma con profondo rispetto religioso, in
forma di meditazione affettiva più che per semplice studio, sforzandoci di penetrarne bene quelle
espressioni cosi luminose e profonde, e magari imparando a memoria quei versetti che meglio ci
possono servire nelle meditazioni e nell'esercizio del ministero. Noi fortunati se potessimo
formarci un linguaggio tutto scritturale ! Allora non saremmo più noi a parlare, ma per mezzo
nostro parlerebbe lo Spirito Santo, il quale opera quello che dice : ipse dixit, et facta sunt (Ps. 32,
9), e la cui parola è luce, vita, medicina, ed ha un'efficacia tutta particolare sulle menti e sui
cuori ..." (P. Albera, Lettre aux prêtres salésiens, 19 mars 1921 ; L.C., p. 394-395.) Les réserves
sur la critique biblique se lisent dans les pages précédentes.
30. F. Rinaldi, Lettre aux salésiens, 24 septembre 1928, dans .4/fi 46, p. 694-695.
31. Regolamento di Vita Apostolica, 1986, art 33, § 2 ; art 37, § 2.
32. "Valorizzare la Parola di Dio è un forte aiuto a superare le situazioni di
indebolimento della fede e di difficoltà a ricostruire il clima di certezze soprannaturali
caratteristico di Mornese. L'ascolto e la meditazione della Parola di Dio sono il quotidiano
incontro con "la sovraeminente scienza di Gesù Cristo". In una Chiesa che ringiovanisce e
ritrova le sue sorgenti nella lectio divina dobbiamo, individualmente e comunitariamente,
lasciarci illuminare, guidare, interpellare dalla Parola. Nella misura in cui essa avrà il suo giusto
posto di ascolto, di accoglienza e di celebrazione nella comunità, questa si rinnoverà nella
comunione e nello slancio per la sua missione evangelizzatrice. La Parola di Dio arriva a noi
carica di provocazioni concrete : leggerla con venerazione, penetrarla nello Spirito Santo,

6 Pages 51-60

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6.1 Page 51

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205
interiorizzarla - "pregare la Parola di Dio" - è accettare le sue sollecitudini ad una conversione
sincera e radicale." (Istituto Figlie di Maria Ausiliatrice, Capitolo Generale XVII. Atti, Roma,
1982, p. 67-68.)
33. "Desideri di guarire, non è vero. - Non tanto : desidero di fare la volontà di Dio.
Queste ultime parole fecero conoscere il Gavio per un giovane di non ordinaria pietà" (Vita del
giovanetto Savio Domenico ..., 1859, chap. 17, p. 86.)
34. "Nulla ci conforta in questi istanti fuorché il pensiero che così volle Iddio, il quale
infinitamente buono nulla fa che non sia giusto, sapiente e santo. Quindi rassegnati chiniamo
riverenti la fronte e adoriamo i suoi alti consigli." (M. Rua, Circulaire, Turin, 31 janvier 1888 ;
L.C., p. 1.)
35. Traité de l'amour de Dieu, livre VIH, chap. VI ; Oeuvres, t. V, p. 74.
36. "Tutti sanno che la Regola è la volontà di Dio e chi si oppone alle Regole, si
oppone al Superiore e a Dio stesso" (Conférence du 3 février 1876, in MB XII, 81.)
37. Traité de l'amour de Dieu, livre VIH, chap. X ; Oeuvres, t. V, p. 89.
38. Ibidem, livre IX, chap. IV ; Oeuvres, t. V, p. 119.
39. "Frutto. La confidenza in Dio non esclude la nostra cooperazione, perciò facciamo
quanto dal nostro canto possiamo, e il Signore farà colla sua grazia quello che noi non
possiamo.” (Il Cristiano guidato alla virtù ed alla civiltà ..., Turin, Paravia, 1848, p. 227.)
40. Formules empruntées à M. Rondet, "Dieu a-t-il sur chacun de nous une volonté
particulière ?", dans Christus 144, octobre 1989, p. 392-399.

6.2 Page 52

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206
Directeur
Le directeur salésien, premier responsable de la communauté
Chez les frères mineurs franciscains, le supérieur de la communauté
religieuse locale est dénommé gardien ; dans la Compagnie de Jésus, il est appelé
recteur ; parmi les disciples de don Bosco, il reçoit le titre de directeur chez les
salésiens et de directrice chez les filles de Marie auxiliatrice. "Le supérieur de
chaque communauté locale prend le nom de directeur", disent les constitutions
salésiennes récentes.1 "A chaque communauté est préposée comme Directrice une
professe perpétuelle", édictent celles des filles de Marie auxiliatrice.2 Dans la
société humaine, le titre n'est jamais indifférent à la fonction exercée. D'un
directeur, on attend qu'il dirige.
Ce rôle a toujours préoccupé les instances supérieures des deux
congrégations, en particulier celle des salésiens, dans laquelle une tendance
apparemment incoercible en divers endroits a été, surtout depuis le début du
vingtième siècle, de le réduire à la gestion d'oeuvres de bienfaisance sociale3. La
vie spirituelle des communautés en a certainement pâti. Un confrère prêtre,
victime de cet état de choses, m'écrivait un jour : "Je ne trouve plus d'instance de
partage fraternel au sens très large et très profond : plus de confesseurs, qui soient
formateurs de spiritualité ; plus de directeurs, avec des qualités de responsables, de
guides spirituels, c'est la mort 'belle" des rendements de compte." Il est vrai que la
distinction entre l'oeuvre et la communauté, qui s'établit ici et là, pourrait faciliter
un retour à la tradition des origines, trop souvent oubliée ou plus simplement
ignorée, malgré des instructions répétées de l'autorité générale salésienne,
notamment de don Rua, don Albera, don Ricaldone et don Viganô, qui ont insisté
sur la responsabilité du directeur en matière de vie religieuse.4
Le directeur a autorité sur la comunauté, son titre le rappelle
opportunément. Toutefois la "personnalisation" et la "socialisation" égalitaires,
pour reprendre le langage de don Viganô sur les signes des temps contemporains5,
en font maintenant de préférence le "premier responsable" au sein de
communautés salésiennes, dont tous les membres sont "corresponsables". A lire
les constitutions des deux instituts religieux rénovées à la suite de Vatican n, la
tendance l'a mieux emporté chez les filles de Marie auxiliatrice que chez les
salésiens. Dans un souci évident de participation et d'égalité, elles n'ont pas donné
le même relief que les salésiens à l'autorité de la supérieure locale. L'un et l'autre
recueil ont intitulé leur chapitre constitutionnel : "Le service de l'autorité dans la
communauté locale"6. Pour l'ouvrir, les salésiens, conformément au Droit
Canonique (can. 608), ont défini cette communauté locale : un ensemble de
confrères menant une vie commune en unité d'esprit "sous l'autorité du supérieur"
et oeuvrant en corresponsabilité pour la mission apostolique7 ; tandis que les
salésiennes, dans leur description de cette même communauté, signalaient
simplement en finale qu'à chacune d'elles, "réunie au nom du Seigneur pour un

6.3 Page 53

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207
dessein d'amour et de salut", avec des religieuses s'acquittant en corresponsabilité
de leur engagement apostolique, "est préposée comme Directrice une professe
perpétuelle", comme il a été dit ci-dessus.8 On apprendra dans d'autres chapitres
constitutionnels, que le directeur salésien est certes "frère parmi des frères", mais
parmi des frères "qui reconnaissent sa responsabilité et son autorité"9 ; alors que,
de la directrice, "soeur entre les soeurs", "avec une responsabilité spécifique
d'animation et de guide"10, on comprend qu'elle "exerce le service de l'autorité" à
la suite d'autres services, en particulier celui d'être "lien d'union entre ses soeurs",
parmi lesquelles on la considère comme "première responsable de la vie religieuse,
des oeuvres apostoliques et de l'administration des biens dans la fidélité à l'esprit
de l'Institut"11. L'insistance sur l'union est au reste dans le droit fil de l'ancienne
tradition salésienne, on le verra dans un instant.
Le directeur, centre de la communauté religieuse
Don Bosco tenait à ce que le directeur fût toujours, à l'image du recteur
pour l'ensemble de la congrégation, le principe unificateur de sa communauté en
même temps que le garant de son caractère salésien. Le 3 février 1876, à
l'occasion d'une assemblée générale des directeurs, il lui arriva de dire sans
apparemment beaucoup craindre le centralisme honni en d'autres temps et en
d'autres lieux : "Que parmi nous le supérieur soit tout. Que tous donnent la main
au recteur majeur, le soutiennent, l'aident de toute manière, que tous constituent
autour de lui un cercle dont il soit Tunique centre. Le recteur majeur a les Règles,
qu'il ne s'en départisse jamais. Autrement, le centre ne serait plus unique, mais
double : il y aurait le centre des Règles et le centre de sa volonté. Il faut qu'au
contraire le recteur incarne pour ainsi dire les Règles, que les Règles et le recteur
majeur soient comme une même chose. Ce qui advient pour le recteur majeur par
rapport à toute la société doit se réaliser pour le directeur dans chaque maison. Il
doit ne faire qu'un avec le recteur majeur, et tous les membres de sa maison ne
doivent faire qu'un avec lui. Il doit aussi en quelque sorte incarner les Règles en
lui-même."12
La communauté locale est chargée de donner dans un lieu déterminé une
forme concrète à la mission salésienne. Si nous suivons don Bosco, "le directeur
est celui qui assure le lien officiel entre la communauté en mission d'une part, et,
d'autre part, les supérieurs majeurs (et, à travers eux, la société salésienne tout
entière), l'Eglise hiérarchique et Dieu lui-même, dont il est le délégué et le
représentant. Le directeur est le premier responsable de l'authenticité salésienne de
la communauté, de sa fidélité au charisme salésien." Le directeur salésien est le
centre d'unité de la "maison", confrères et jeunes, communauté et oeuvre, pris en
bloc.13
Ce centre, qui n'a rien d'un soliveau, est bien vivant au triple titre de
"Père, Maître et Supérieur", selon le compte rendu de congrès tenus sous la
présidence de don Rinaldi14. Ce rôle multiple requiert de lui une résidence
constante dans la communauté. Un directeur, qui, même sous d'honorables
prétextes et, à plus forte raison, sans eux, multiplierait les temps d'absence,
altérerait de ce fait le fonctionnement de l'ensemble. La faute serait grave. Ici,

6.4 Page 54

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208
nous commençons de rencontrer don Rua. "Le directeur doit être le centre de
tout, le moteur d'où part toute force," mandait-il aux inspecteurs et aux
directeurs.13 Les constitutions salésiennes résumeront ses tâches dans la phrase :
"Il est le premier responsable de la vie religieuse, des activités apostoliques et de
l'administration des biens."16 Toutes trois sont importantes, mais, écrivait encore
don Rua, s'il est un ordre à établir entre elles, "la chose la plus décisive à inculquer
(aux directeurs) est que leur préoccupation spéciale doit être de bien diriger leurs
confrères, prêtres, clercs et laïcs [ ... ] Le grand inconvénient provoqué par le
manque de personnel adapté est que, parfois, les directeurs se mettent eux-mêmes
à travailler directement auprès des jeunes { ... ] et, en conséquence, ne trouvent
plus de temps pour se consacrer au bien des confrères, recevoir leurs redditions de
compte, leur faire les conférences voulues, les diriger, les former. C'est une
grave erreur et, par suite, une grande ruine pour la congrégation [ ... ] La règle
ordinaire, c'est que le directeur doit exercer une influence indirecte sur les élèves,
par l'intermédiaire de son personnel, et une influence directe sur le personnel"17.
Faut-il préciser que don Rua, en parlant de la sorte, ne pensait d'aucune manière à
interdire les relations, certainement très directes pour lui comme pour don Bosco,
du directeur salésien avec ses élèves sur la cour de récréation et lors du mot du
soir ? Ces relations, qui impliquent une présence constante, ont toujours été
essentielles en éducation salésienne.18 On ne considérera ici que la seule fonction
religieuse du directeur salésien.
La fonction spirituelle du directeur salésien dans sa communauté
Dans la maison salésienne traditionnelle, la communauté s'étend à
l'ensemble du personnel, salésien ou non, ainsi qu'aux élèves. Pour ne pas dériver
exagérément, concentrons-nous ici sur la communauté religieuse proprement dite.
Le directeur est le premier responsable de la vie religieuse de ses membres.
Le directeur ou la directrice s'acquittent de cette mission premièrement
par l'exemple qu'ils donnent à leurs frères ou à leurs soeurs. Cela allait de soi pour
don Rua et don Albera, selon lesquels le directeur, pour être un véritable maître,
devait d'abord être un modèle. "Pour éloquente que puisse paraître notre parole, si
grand soit l'enthousiasme qu'elle paraisse susciter chez nos auditeurs, elle resterait
lettre morte, si ceux qui nous entendent pouvaient nous répéter le reproche connu
: Medice, cura teipsum, Médecin, soigne-toi toi-même ! ou bien : Qui alias doces,
teipsum non doces, Toi qui enseignes autrui, tu ne t'apprends rien à toi ! écrivait le
premier aux inspecteurs et aux directeurs d'Amérique (...) Quel malheur pour
nous si, soucieux d'aider nos subordonnés à déraciner de leurs coeurs les
mauvaises herbes, nous laissions nos défauts jeter dans le nôtre de profondes
racines et ce coeur devenir semblable au champ du paresseux ! Que Dieu ne
permette pas que, continuellement occupés à encourager les autres sur le sentier
de la vertu, nous oubliions la stricte obligation, contractée le jour de l'émission de
nos saints voeux, de progresser sans cesse en perfection ! Oh ! persuadons-nous
bien que plus un directeur s'emploie à progresser lui-même dans la vertu, plus son
ministère sacerdotal sera fécond, et plus seront abondants les fruits spirituels de sa
sage direction."19

6.5 Page 55

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209
Ensuite, comme on vient de le lire, le directeur "guide" et "anime" (verbes
qu'un âge de "corresponsabilité" et de "non-directivité" a préférés à "dirige") la vie
spirituelle de ses frères. H le fait, chez les salésiens, avec le charisme sacerdotal
aujourd'hui obligatoirement attaché à la fonction.20 "Le supérieur oriente, guide et
encourage, faisant un usage discret de son autorité," disent les constitutions
salésiennes rénovées.21 Le directeur salésien est "maître et guide de sanctification",
écrivait don Viganò22. Selon les constitutions de 1982 des salésiennes, "la
Directrice est dans sa communauté soeur parmi les soeurs, avec une responsabilité
spécifique d'animation et de guide"23. Dans cette proposition, la qualification
nullement indifférente de "spécifique" précise qu'animer et guider est propre à la
fonction de directrice. Chez les salésiens, la première tâche du directeur est, à la
même époque, "d'animer la communauté pour qu'elle vive dans la fidélité aux
constitutions et croisse dans l'unité." Mais veiller à l'ensemble ne suffit pas, le
directeur a aussi, selon leurs constitutions, "une responsabilité directe vis-à-vis de
chaque confrère". Cette responsabilité consiste à "l'aider à réaliser sa vocation
personnelle et à le soutenir dans le travail qui lui est confié"24.
Don Rua avait grandement à coeur la qualité de la vie spirituelle des
religieux. "Rappelons-nous que nos chers confrères se sont faits salésiens avant
tout pour leur propre sanctification, comme le dit la sainte Règle, qui donne pour
fin primaire à notre Pieuse Société la sanctification de ses membres. En
conséquence, la première, la toute première obligation d'un directeur est
exactement d'avoir grand soin du personnel salésien."23
Le directeur salésien doit donc promouvoir la vie de prière
communautaire et veiller à l'exactitude de chacun dans ses pratiques de piété. La
pratique des voeux par les siens tombe d'une certaine manière sous sa
responsabilité. En conséquence, il a le devoir d'aviser et de corriger, quoique
toujours avec un grand sens paternel, sans amertume et jamais en public. Le rôle
de promoteur spirituel, qui lui incombe, est à comprendre dans un sens profond,
de dynamisme de l'amour de Dieu tendant à la "perfection". Le directeur s'offre à
chacun comme guide intime pour la direction spirituelle, dans le respect des
consciences, mais, si possible, jusqu'à l'ouverture de coeur, selon le désir de don
Bosco, pour qui "le directeur était le confesseur-né de ceux qui appartiennent à la
congrégation"26.
Le colloque spirituel du directeur avec le religieux
Dans l'ancienne tradition salésienne, l'entretien proprement dit de
direction a été appelé rendiconto, c'est-à-dire reddition de compte ou compte
rendu27. Le mot et le contenu dataient de don Bosco dès la deuxième édition
(1877) de son introduction aux constitutions salésiennes. On y lisait que le
rendiconto devait être "au moins mensuel" et que "les points principaux" sur
lesquels il porterait seraient : "1. La santé. 2. Les études. 3. Si l'on peut bien
s'acquitter de ses occupations et quelle diligence on y apporte. 4. Si l'on peut faire
commodément ses pratiques religieuses et avec quelle diligence on s'en acquitte. 5.
Comment on se comporte durant les prières et les méditations. 6. Avec quelle
fréquence et quelle dévotion on s'approche des sacrements. 7. Si l'on observe ses

6.6 Page 56

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210
voeux, et si l'on n'éprouve pas de doute sur sa vocation. Mais bien noter que le
rendiconto ne porte que sur le for externe, qu'il ne s'agit pas de (matière à)
confession, à moins que le confrère ne l'expose lui-même pour son bien spirituel.
8. Si l'on éprouve des peines ou des troubles intérieurs, ou encore de l'aversion
envers quelqu'un. 9. Si l'on a connaissance de quelque désordre auquel remédier
surtout s'il s'agit d'empêcher l'offense de Dieu."28 La régularité mensuelle et le
schéma de l'entretien, bientôt déterminés dans une disposition constitutionnelle,
furent contraignants jusqu'au lendemain de Vatican U, comme en témoignait
encore l'article 48 des constitutions de 1966. Puis la règle s'assouplit
considérablement. Dans les constitutions rénovées de 1984, le compte rendu
mensuel devint un "dialogue" "fréquent" et "fraternel" du religieux avec son
directeur. H y parlait en toute confiance de sa vie et de ses activités, et, si cela lui
convenait, de sa "situation de conscience"29. Les règlements contemporains
récupéraient de leur mieux les anciennes prescriptions Us disaient : "Dans un
climat de confiance, chaque confrère rencontrera fréquemment son directeur et
l'informera de l'état de sa santé, de la marche de son travail apostolique, des
difficultés qu'il rencontre dans sa vie religieuse et la pratique de la charité
fraternelle, ainsi que de tout ce qui peut contribuer au bien des personnes et de la
communauté"30. Au temps de la corresponsabilité, le directeur s'effaçait derrière le
guide, et le colloque fraternel supplantait le compte rendu au supérieur religieux.
Les filles de Marie auxiliatrice ont consacré au colloque de chaque
religieuse avec sa supérieure un article constitutionnel fervent, bien enraciné dans
la tradition de leur institut. H en dit l'utilité et sa périodicité mensuelle y est
clairement décrétée : "La rencontre de chacune d'entre nous avec sa supérieure est
un moment privilégié pour renforcer la communion fraternelle, découvrir la
volonté de Dieu et faire pénétrer l'esprit de l'institut dans la vie quotidienne. Cet
entretien aura lieu chaque mois dans un climat de foi et de charité, de confiance
réciproque, de loyauté et de discrétion absolue (segretezza). Ainsi vécu, le
colloque deviendra - selon l'intention de don Bosco - un élément indispensable à la
croissance personnelle et communautaire de notre identité de filles de Marie
auxiliatrice."31
L'exhortation de Vatican II aux supérieurs : "Ils exerceront l'autorité dans
un esprit de service pour leurs frères, de manière à exprimer l'amour que le
Seigneur a pour eux" (Perfectae caritatis, n. 14), a été enregistrée dans le monde
salésien, où, au reste, le directeur n'a, pour lentendre, qu'à correspondre aux
sages leçons de don Bosco32. H se présente à ses frères, beaucoup plus que comme
supérieur et maître, "avec la simplicité et l'affection d'un frère et d'un ami", pour
reprendre les formules de don Albera lors de son entrée en charge de recteur
majeur.33 Sa direction n'est pas paternaliste. Elle exige une belle collection de
qualités. Le bon directeur salésien est homme de Dieu, humble, détaché, capable
de supporter, de pardonner, d'encourager, en somme de se faire aimer.34

6.7 Page 57

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211
Notes
1. "Il superiore di ciascuna comunità locale prende il nome di direttore" (Constitutions
SDB, art. 176.) En France, dans les écoles salésiennes, on lui donne (peut-être abusivement) le
titre de "supérieur", pour éviter toute confusion avec le chef d'établissement, dénommé
officiellement "directeur".
2. "Ad ogni comunità è preposta una professa di voti perpetui come Direttrice"
(Constitutions FMA, art. 163.)
3. Le 21ème chapitre général des salésiens le regrettait encore en 1978 quand il
recommandait de maintenir cette gestion à sa quatrième et dernière place, après le service de
l'unité et de l'identité salésienne, la guidance pastorale de la mission salésienne, l'orientation des
tâches d'éducation et de promotion (CG21, n. 52-53.)
4. Voir en particulier les Ricordi confidenziali ai direttori de don Bosco, les circulaires
de don Rua, 24 août 1894, 25 avril 1901, 19 mars 1902 et 1er novembre 1906 ; le Manuale del
Direttore de don Paolo Albera (1915) ; la lettre circulaire du même don Albera datée du 23 avril
1917 aux inspecteurs et aux directeurs ; le Resoconto dei Convegni tenuti dai Direttori Salesiani
a Valsalice nell'estate del 1926 (sous la présidence de don Rinaldi), dans Atti 36, 24 septembre
1926, p. 484-495 ; la lettre de don Egidio Viganò à propos de "l'animazione del direttore
salesiano", in Atti 306, octobre-décembre 1982, p. 3-30 ; le livret présenté par don Egidio
Viganò II Direttore salesiano. Un ministero per l'animazione e il governo della comunità locale
(Rome, éd. S.D.B., 1986) ; et, à leur suite, les études sur "le directeur salésien selon don Bosco et
notte tradition" et "le directeur animateur de la communauté" de Joseph Aubry, dans Avec Don
Bosco vers l'an 2000 (Rome, 1990), p. 300-334.
5. Voir l'Introduction, ci-dessus, p. 24.
6. "Servizio dell'autorità nella comunità locale" (Constitutions SDB, art. 175-186) ; "Il
servizio di autorità nella comunità locale" (Constitutions FMA, art. 163-170).
7. "La comunità locale è composta da confratelli che abitano in una casa
legittimamente eretta e fanno in essa vita comune in unità di spirito sotto l'autorità del superiore,
operando corresponsabilmente per la missione apostolica" (Constitutions SDB, art. 175).
8. "Ogni nostra comunità è adunata nel nome del Signore per un disegno di amore e di
salvezza. Vive in una casa legittimamente costituita e si organizza secondo le Costituzioni e le
esigenze della missione. Le suore che vi sono chiamate dall'obbedienza svolgono
corresponsabilmente l'impegno apostolico ricevuto dall'Istituto a servizio delle giovani nella
Chiesa particolare. Ad ogni comunità è preposta una professa di voti perpetui come Direttrice."
(Constitutions FMA, art. 163.)
9. "E' al centro della comunità, fratello tra fratelli, che riconoscono la sua
responsabilità e autorità" (Constitutions SDB, art. 55).
10. Voir : "La Direttrice è nella comunità sorella tra le sorelle, con una specifica
responsabilità di animazione e di guida" (Constitutions FMA, art. 52).
11. "La Direttrice è vincolo di unione fra le sorelle e favorisce l'apertura della
comunità all'ispettoria, all'Istituto e alla Chiesa. E' la prima responsabile della vita religiosa,
delle opere apostoliche e dell'amministrazione dei beni nella fedeltà allo spirito dell'Istituto.
Esercita il servizio di autorità secondo le Costituzioni ... " (Constitutions FMA ari. 164.)
12. "Tra di noi il Superiore sia tutto. Tutti diano mano al Rettor Maggiore, lo
sostengano, lo aiutino in ogni modo, si faccia da tutti un centro unico intorno a lui. Il Rettor
Maggiore poi ha le Regole ; da esse non si diparta mai, altrimenti il centro non resta più unico,
ma duplice, cioè il centro delle Regole e quello della sua volontà. Bisogna invece che nel Rettor
Maggiore quasi s'incarnino le Regole : che le Regole ed il Rettor Maggiore siano come la stessa
cosa. Ciò che avviene pel Rettor Maggiore riguardo a tutta la Società, bisogna che avvenga pel
Direttore in ciascuna casa. Essa deve fere una cosa sola col Rettor Maggiore e tutti i membri
della sua casa devono fare una cosa sola con lui. In lui ancora devono essere come incarnate le
Regole." (MB XH, 81.)
13. J. Aubry, Avec Don Bosco vers l'an 2000, p. 303.
14. Idée développée dans le deuxième thème du Resoconto dei Convegni de directeurs
salésiens de l'été 1926, in Atti 36, p. 484-495.

6.8 Page 58

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212
15. "Il direttore deve essere il centro di tutto, il motore da cui parte ogni forza" (M.
Rua, Lettre aux inspecteurs et aux directeurs, 25 avril 1901 ; L. C., p. 266.)
16. "Egli è il primo responsabile della vita religiosa, delle attività apostoliche e
dell'amministrazione dei beni." (Constitutions SDB, art. 173).
17. "D punto più culminante da inculcarsi ai direttori si è che la cura loro speciale
dev'essere d'indirizzare bene i confratelli e preti e chierici e laici [ ... ] H grande inconveniente
prodotto dalla mancanza di personale adatto è che, alle volte, i direttori medesimi si mettono a
lavorare direttamente coi giovani [... ] e intanto non si trova il tempo per coltivare i confratelli,
ricevere i rendiconti, far loro le debite conferenze, vedere se abbisognino di qualche cosa,
dirigerli, formarli. Questo è un grave sbaglio e perciò una grande rovina per la Congregazione.
[... ] il direttore deve per regola ordinaria influire sugli allievi indirettamente, cioè per mezzo
del suo personale ed influire direttamente sul personale." (M. Rua, Lettre aux inspecteurs, 25
décembre 1902, L.C. p. 301-303).
18. Voir, ci-dessous, les articles Education religieuse et Système préventif.
19. "Per quanto eloquente potesse parere la nostra parola, per quanto entusiasmo
paresse eccitare ne' nostri uditori, ella rimarrebbe infruttuosa, se coloro che ci ascoltano
potessero ripeterci il noto rimprovero : Medice, cura teipsum, o quelle altre parole : Qui alios
doces, teipsum non doces ! (... ) Che sventura per noi se, intenti ad aiutare i nostri dipendenti a
sradicare dal loro cuore le erbe cattive, noi lasciassimo che i nostri difetti mettessero profonde
radici, che il nostro cuore divenisse simile al campo del pigro ! Dio non permetta che, occupati
continuamente a spingere innanzi gli altri nel sentiero della virtù, dimentichiamo la stretta
obbligazione, contratta nel giorno in cui emettemmo i santi voti, di avanzarci ognora nella
perfezione. Oh ! persuadiamoci bene che più un Direttore si studia di progredire egli stesso nella
virtù, più sarà fecondo il suo ministero sacerdotale, e più saranno abbondanti i frutti spirituali
della sua saggia direzione." (M. Rua, Lettre aux inspecteurs et aux directeurs d'Amérique, 24
août 1894 ; L. C., p. 110.) Pour don Albera, voir sa lettre du 23 avril 1917 aux inspecteurs et aux
directeurs, intitulée : "Consigli ed avvisi per conservare lo spirito di D. Bosco in tutte le Case",
dont le premier intertitre est : "Modelli e Maestri", in P. Albera, L. C., p. 215.
20. Constitutions SDB, ari. 177. Don Egidio Vigano' a consacré au charisme
sacerdotal du directeur sa lettre aux salésiens du 16 juillet 1982, L. C., p. 443-465.
21. "Il superiore orienta, guida e incoraggia, facendo un uso discreto della sua
autorità” (Constitutions SDB, art. 65).
22. "Maestro e guida di santificazione", in Lettre aux salésiens, 16 juillet 1982 ; L.C.,
p. 457-462.
23. Voir, ci-dessus, n. 10..
24. "Suo primo compito è animare la comunità perchè viva nella fedeltà alle
Costituzioni e cresca nell'unità. Coordina gli sforzi di tutti tenendo conto dei diritti, doveri e
capacità di ciascuno. Ha responsabilità diretta anche verso ogni confratello : lo aiuta a realizzare
la sua personale vocazione e lo sostiene nel lavoro che gli è affidato" (Constitutions SDB, ari. 55
bc.).
25. "Ricordiamoci che i nostri cari Confratelli si sono fatti salesiani anzitutto per
conseguire la propria santificazione, come si esprime la santa Regola, che pone come fine
primario di nostra Pia Società la santificazione de' suoi membri. Perciò il primo, il primissimo
obbligo di un Direttore è appunto questo, di aver molta cura del personale salesiano." (M. Rua,
Lettre aux inspecteurs et aux directeurs salésiens, 25 avril 1901 ; L.C., p. 260.)
26. D'après un mémoire de don Lemoyne sur les exercices spirituels de 1873, reproduit
en MB X, 1094. On sait qu'un décret romain de 1901 a interdit aux supérieurs religieux de
confesser leurs subordonnés.
27. La formule française "rendement de compte" est un italianisme. Sur le rendiconto
traditionnel, voir surtout la longue circulaire de don Pietro Ricaldone, 24 juillet 1947, dans Atti
142,112 p.
28. "I punti principali su cui devono versare i rendiconti sono questi : 1. Sanità. 2.
Studii. 3. Se si possono disimpegnar bene le proprie occupazioni e qual diligenza si mette in
esse. 4. Se s'abbia comodità d'adempiere le pratiche religiose e qual diligenza si pone in
eseguirle. 5. Come si diporti nelle orazioni e nelle Meditazioni. 6. Con qual frequenza e
divozioni si vada ai Sacramenti. 7. Come si osservano i voti, e se non vi siano dubbi in fatto di
vocazione. Ma si noti bene che il rendiconto si raggira solamente in cose esterne e non di

6.9 Page 59

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213
confessione, a meno che il socio ne facesse egli stesso argomento per suo spirituale vantaggio. 8.
Se abbia dei dispiaceri o perturbazioni interne, od astio per qualcuno. 9. Se conosce qualche
disordine cui porre rimedio specialmente quando si tratta d'impedire l'offesa di Dio.” {Regole o
Costituzioni ..., 1877, p. 24).
29. "Fedele alla raccomandazione di Don Bosco, ogni confratello s'incontra
frequentemente con il proprio superiore in un colloquio fraterno. E' un momento privilegiato di
dialogo per il bene proprio e per il buon andamento della comunità. In esso parla con confidenza
della sua vita e attività e, se lo desidera, anche della sua situazione di coscienza." (Constitutions
SDB, art. 70.)
30. "In un clima di fiducia ogni confratello si incontri frequentemente con il direttore e
gli manifesti lo stato della propria salute, l'andamento del lavoro apostolico, le difficoltà che
trova nella vita religiosa e nella carità fraterna, e tutto ciò che può contribuire al bene dei singoli
e della comunità" (Regolamenti SDB, 1984, art. 49.)
31. "Momento privilegiato per rafforzare la comunione, scoprire la volontà di Dio e
approfondire nella vita pratica lo spirito dell'Istituto, è il colloquio personale che ognuna di noi
avrà con la sua Superiora. Questo incontro si svolgerà mensilmente, in un clima di fede e di
carità, di reciproca fiducia, lealtà e segretezza. Così attuato il colloquio diverrà - secondo il
pensiero di don Bosco - elemento insostituibile per la crescita personale e comunitaria nella
nostra identità di Figlie di Maria Ausiliatrice." (Constitutions FMA, art. 34.) Voir aussi : "Si
dedichi (la direttrice) con particolare sollecitudine agli incontri personali e promuova nella
comunità validi rapporti fraterni. Orienti e stimoli le sorelle per una risposta sempre più
consapevole alla vocazione" (ibidem, art. 52).
32. Voir ses Ricordi confidenziali ai direttori qui, dans leur première version, étaient
destinés au seul don Rua, premier directeur de maison.
33. "Io mi presento a voi non già col linguaggio d'un superiore e di un maestro, bensì
colla semplicità e coll'affetto d'un fratello e di un amico". (P. Albera, Lettre aux salésiens, 25
janvier 1911 ; L.C., p. 8.)
34. C'est l'une des conclusions de J. Aubry dans Avec don Bosco vers l'an 2000, p.
314.

6.10 Page 60

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214
Direction spirituelle
La direction spirituelle des adultes dans la famille salésienne
Par vocation, les disciples de don Bosco se consacrent à l'éducation des
jeunes. La direction spirituelle de la jeunesse leur incombe donc. Ils ont pu en
déduire que celle des adultes ne les concernait pas. Dans ce cas ils se trompaient,
car, dans leurs rangs, les modèles - simples, si l'on veut, mais authentiques, - de
direction spirituelle d'adultes ne manquaient pas. Au reste, il fallait diriger religieux
salésiens et religieuses salésiennes dans leur vie spirituelle.1 Peu à peu, depuis don
Rua et don Albera, mais surtout à partir de Vatican II et sous le rectorat de don
Viganô, la réflexion sur la nécessité ou, tout au moins, l'opportunité de la direction
spirituelle pour la maturation chrétienne des personnes et des communautés, sur
ses modalités et sur ses auteurs, s'est approfondie. En 1983, à Rome et dans la
maison générale des salésiens, une semaine de spiritualité fut consacrée à "la
Direction spirituelle dans la Famille salésienne"2. Le thème provenait de l'étrenne
spirituelle du recteur Viganô pour cette année-là, qui était ainsi formulée :
"Développons la maturation chrétienne des personnes et des communautés en
renouvelant et en intensifiant selon un style salésien l'expérience formatrice de la
direction spirituelle."3 Quelques convictions sur la définition de la direction, sur
son style salésien, sur son contenu et sur la personne du directeur, émergent de ces
études successives.
Essai de définition de la direction spirituelle
La famille salésienne ne craint pas l'expression "direction spirituelle",
beaucoup autour d'elle ont lu ou lisent encore une menace pour la liberté des
"dirigés". La figure du directeur ou du maître spirituel recèle en effet quelque
chose de contradictoire. Apparemment ce personnage étouffe celui qu'il prétend
faire mieux vivre. Du reste, aux opposants toute direction paraît suspecte. Ils
critiquent à juste titre diverses formes traditionnelles de direction, qui, en exigeant
une parfaite soumission au directeur, engendrent chez le dirigé une intolérable
hétéronomie dans un monde, le nôtre, qui magnifie l'initiative, la créativité et le
libre développement de la personnalité. Songez que la docilité imposée au dirigé
est allée jusqu'au voeu d'obéissance au directeur.
Mais la direction spirituelle salésienne ne se croit pas concernée par ces
contradicteurs. au moins la méthode de don Bosco est appliquée, les
relations nécessairement amicales et donc plutôt égalitaires entre directeur et
dirigé permettent de traduire mentalement et sans problème "direction spirituelle"
par "accompagnement spirituel", expression qui réunit beaucoup de suffrages à la
fin du vingtième siècle.4 Don Bosco ne se proclamait pas le père de ses fils
salésiens, alors qu'il l'était vraiment. Plus qu'un père et un maître, le directeur
salésien est, comme l'assistant, un frère et un guide amical. "Certains s'interrogent,
écrivait un moine de la génération de 1968 : le maître ne devrait-il pas renoncer à

7 Pages 61-70

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7.1 Page 61

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215
la référence au type parental et adopter un type fraternel ?"5 Les abbés des
monastères bénédictins resteront des pères, auxquels les moines continueront de
s'abandonner avec une confiance de fils, dans la certitude qu'en eux se manifeste la
tendre et exigeante paternité de Dieu. Mais diverses sont les maisons dans l'Eglise
du Christ. Quant à elle, la tradition salésienne encourage à répondre positivement
au moine de 1968. L'accompagnement fraternel, qui ne nuit d'aucune manière à
l'épanouissement personnel du dirigé et préserve sa liberté, a ses faveurs. Mieux, il
contribue à cet épanouissement. La tradition salésienne ignore l'autoritarisme et les
systèmes dictatoriaux. Quitte à la colorer à sa façon, elle maintient donc, avec
beaucoup d'autres, une expression empruntée à la tradition chrétienne. Dans un
monde en évolution, où, de fait, le "directeur" s'efface de plus en plus derrière le
"conseiller", elle éprouve d'ailleurs beaucoup moins qu'hier des raisons d'en
craindre les interprétations autoritaires.6
La réflexion commune a amené la famille salésienne à tenter une définition
de la direction spirituelle, dite ici, en première approche, accompagnement dans la
confiance et l'amitié. H s'agit d'une aide médiate sacrée, qui s'origine dans lEsprit
Saint, a-t-elle conclu d'une petite dissertation théologique.7 Depuis la Pentecôte,
lEsprit Saint du Père et du Fils anime et guide toute lEglise Corps du Christ de
deux manières liées entre elles en parfaite cohérence : directement par ses
inspirations et ses motions intérieures et indirectement par les organes
hiérarchiques et les communautés ecclésiales. LEsprit Saint "habite" en chaque
chrétien et le "conduit" (Romains 8, 14 ; 1 Corinthiens 3, 16). H est l'unique
directeur spirituel au sens plein de l'expression. L'attention et la docilité à l'Esprit
sont donc fondamentales pour la maturation et la fécondité chrétiennes, ces
bienfaits attendus d'une authentique direction. Mais lEsprit ne guide pas le
chrétien seulement de l'intérieur. Dans lEglise toute entière, qui est "sacrement
universel du salut" et en lien avec la conduite d'ensemble de la hiérarchie, il
l'éclaire et l'appuie aussi par la communauté dans laquelle ce chrétien est inséré et
par des frères qui, soit par fonction, soit par charisme personnel, se révèlent
capables de l'aider à "marcher selon lEsprit" (Galates 5, 16). Le directeur spirituel,
par sa fonction instrumentale d'assistance à l'intérieur de lEglise "mère", se situe
dans ce contexte intermédiaire. Cette fonction fait de lui un humble serviteur et un
collaborateur de lEsprit. L'environnement communautaire peut certes contribuer
efficacement au progrès d'une âme vers Dieu, et les amitiés spirituelles le
favorisent naturellement.8 Toutefois, le groupe, même de bonne volonté, peinera à
résoudre les problèmes de maturation personnelle qui se posent à cette âme. Sans
être indispensable, la direction spirituelle s'avère dans ce cas au moins très utile.
Don Rua la jugeait nécessaire à des religieux tenus par vocation d'avancer sur la
route de la perfection et de travailler à leur sanctification. Bien peu s'en
soucieraient, estimait-il, s'ils n'y étaient encouragés et soutenus par leurs propres
supérieurs, c'est-à-dire par leurs directeurs spirituels attitrés. La confession
régulière ne suffit pas, insistait-il dans une autre circonstance. Et encore, ni l'âge,
ni la qualité sacerdotale ne dispensent le religieux de la reddition de compte, qui a
tous les traits de la direction spirituelle.9
A partir de ces certitudes, la direction salésienne pourrait être définie :
"L'action d'un chrétien compétent qui, au nom de Dieu et de lEglise, à travers le

7.2 Page 62

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216
dialogue personnel, aide utilement un frère en lui apportant la lumière et
l'impulsion, qu'il ne trouve suffisamment ni en lui, ni dans son milieu, pour lui
permettre de discerner la volonté de Dieu sur lui-même et de s'y conformer, afin
de croître sûrement en sainteté personnelle et en efficacité ecclésiale."10
Le style salésien de la direction spirituelle
Don Bosco fut un éminent maître spirituel, non seulement des jeunes,
mais de ses fils et confrères. Toute son action pastorale était destinée à disposer
les âmes à la rencontre du Christ. H se présentait pour cela en "ami de l'âme" qu'il
dirigeait avant tout par la confession. On apprend de lui : la nécessité pratique
d'une direction spirituelle régulière, le rôle privilégié du prêtre et du supérieur dans
cette direction, ainsi qu'une méthode de direction simple, pratique, solide et
"salésiennement" affectueuse, celle qu'appliquèrent ensuite divers fidèles disciples,
tels que don Rua ou don Rinaldi. On se rappellera que, pour lui, la reddition de
compte mensuelle de ses religieux à leurs directeurs constituait une authentique
séance de direction spirituelle. Marie-Dominique Mazzarello, éducatrice de jeunes,
puis supérieure générale des filles de Marie auxiliatrice, assuma l'éducation
profonde de ses soeurs par une véritable direction spirituelle. L'Esprit Saint la
favorisait du don de discernement des esprits. Sa forte expérience personnelle lui
permit de se faire T'initiatrice" de ses soeurs sur le chemin de la sainteté
salésienne. A partir de la confiance qu'elle suscitait, elle les aidait à faire la vérité
sur elles-mêmes et à progresser ainsi dans la joie et la charité.
H ressort de l'action de don Bosco et de mère Mazzarello dans leurs
milieux particuliers, du Valdocco pour le premier et de Momese pour la deuxième,
que la direction spirituelle salésienne traditionnelle doit, pour une juste
appréciation, être replacée dans un ensemble d'interventions formatrices
communautaires ou particulières, liturgiques et dévotionnelles notamment, dont
elle constitue de quelque façon, sinon, comme on le dit quelquefois, "la synthèse et
le sommet", tout au moins l'occasion de rappels très opportuns.11
La direction spirituelle des origines salésiennes était, comme celle des
vieux ordres religieux, simple, sans techniques, à base d'amitié, de confiance et de
liberté réciproque. Elle était aussi un peu ingénue, comme la prose de M. Jourdain
qui en faisait sans le savoir. Des modèles ont cependant commencé de s'imposer.
Parmi les meilleurs, l'histoire retient le bienheureux Filippo Rinaldi. La fille de
Marie auxiliatrice Maria Lanzio témoignait par expérience personnelle : "Sa
direction spirituelle était simple, égale, salésienne au sens plein du terme, douce et
forte en même temps, claire. Quelques minutes suffisaient à clarifier la situation de
la conscience qui s'ouvrait spontanément au son de sa parole facile et bonne : on
ne pouvait non seulement lui rien cacher, mais l'on voulait et pouvait lui dire tout.
Ses conseils étaient brefs, mais toujours appropriés, ils se traduisaient en une
résolution pratique et sûre, toujours orientée à former solidement et à extirper ce
qui devait l'être. Plus qu'aux déficiences, il donnait grande importance à l'attitude
habituelle de l'âme, il aidait à réparer ses faiblesses et conseillait les moyens aptes à
la fortifier : mortification, humilité, sacrements, méditations, bonnes lectures."12

7.3 Page 63

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217
L'objet de la direction spirituelle
"La direction spirituelle, mes chers prêtres, écrivait le recteur Albera aux
prêtres salésiens en 1921, ne doit pas être une affaire épisodique et changeante,
mais un système unique et constant de conduite, à la fois théorique et pratique, qui
soit apte à nous guider jusqu'à la sainteté." Et il dessinait un schéma de direction à
l'intention des salésiens, directeurs spirituels de leurs confrères : "Le directeur
spirituel a pour tâche de nous faire connaître ce que Dieu veut de nous, les vertus
que nous devons pratiquer, les moyens auxquels nous devons recourir, les dangers
contre lesquels nous devons nous prémunir pour ne pas manquer à notre vocation
salésienne."13
Parfait, mais aussi un peu rapide au sentiment des psychologues de la fin
d'un siècle devenu très soucieux de maturité humaine. On attend désormais du
directeur qu'il aide par elle une personne jusqu'à la sainteté. La direction spirituelle
doit être un geste d'assistance créatrice et libératrice du dirigé. Comparée à celle
d'antan, la méthode de la direction évolue donc. Le but consiste toujours à
promouvoir un processus de croissance dans le rapport avec Dieu. Mais, pour
aboutir à la plénitude souhaitée de vie chrétienne, il convient de mobiliser, par le
dialogue, toutes les forces disponibles du dirigé. Cela implique une meilleure prise
de conscience par la personne de ses ressources spirituelles, des carences qui la
conditionnent, de ses besoins, ainsi que des valeurs auxquels elle aspire et qui
fondent ses raisons d'agir. Le processus de croissance doit développer non
seulement la volonté, ou seulement l'intelligence, ou seulement le coeur, ou
seulement l'action, mais toutes les fonctions psycho-affectives et spirituelles de la
personne et exiger d'elle, par degrés successifs, tout ce qu'elle peut donner. Le
directeur spirituel se doit en conséquence, estime-t-on : 1) d'accueillir et d'écouter
attentivement le dirigé. Un climat de confiance augmente au maximum l'efficacité
de la direction, 2) de faciliter l'auto-exploration personnelle du dirigé, la mise à
jour sereine et la compréhension de ses réactions intimes, 3) de responsabiliser ce
dirigé, qui tend fréquemment à expliquer son monde intérieur par le milieu et par
les circonstances, 4) de le stimuler à l'engagement, et, pour cela, de définir avec lui
les buts à atteindre et les chemins à parcourir.14 La Semaine de spiritualité de 1983
en a déduit que la "direction spirituelle" n'est pas seulement une intervention
organisée dans les problèmes de "vie intérieure" d'une personne, mais qu'elle
considère cette personne dans sa totalité et dans sa situation concrète, quoique
sous l'angle de ses comportements d"'homme nouveau" et de fils de Dieu guidé par
lEsprit.
Fruits bigarrés de ses diverses réflexions sur la direction spirituelle
d'autrefois et d'aujourd'hui, les conclusions de la Semaine ont aussi énuméré les
"principaux contenus" de cette direction. Lisons. C'est : "une meilleure
connaissance et acceptation de soi, le développement de la vie théologale,
l'éducation à l'écoute de la Parole et à la prière, l'éradication des défauts et des
obstacles à la charité, le discernement de la volonté de Dieu dans les situations
diverses et les difficultés de la vie, le discernement de la vocation personnelle dans
lEglise et la formation à un type déterminé de vie chrétienne, l'éducation au sens
authentique de l'apostolat, le dépassement et l'utilisation des crises éventuelles, des

7.4 Page 64

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218
tentations ou des doutes, enfin la juste réponse aux appels particuliers de
l'Esprit."15 Un beau désordre, mais générateur d'une complication seulement
apparente. Car on retrouve sous cet entassement de formules le simple
comportement de don Rinaldi avec ses dirigées ou encore les questions de don
Giuseppe Cafasso à don Bosco, dont il fut le directeur spirituel entre l'ordination
sacerdotale de 1841 et la mort de don Cafasso en 1860. La direction de don
Cafasso ne concernait certainement pas la seule "vie intérieure" de ses dirigés. Don
Bosco écrivait : "Don Cafasso fut mon directeur spirituel, et si j'ai fait quelque
chose de bien, je le dois à ce digne ecclésiastique entre les mains de qui j'ai déposé
chacune des décisions, chacune des recherches, chacune des actions de ma vie."16
Sa biographie en témoigne, ce dirigé cherchait, guidé par un prudent directeur, à
répondre le mieux possible à la volonté de Dieu en fonction de ses capacités, de
ses dispositions et de ses goûts successifs.
Les compétences nécessaires au directeur spirituel
H reste à dire quelques mots des qualités et des compétences nécessaires
au directeur spirituel. Lors de la semaine de spiritualité de 1983, on tenta de les
déterminer, avant de conclure sur la formation quil convenait dassurer au
directeur.17 Car la famille salésienne demande des directeurs spirituels. Le
Règlement de Vie Apostolique des coopérateurs salésiens n'affirme-t-il pas que, si
"le coopérateur est le premier et le principal responsable de sa propre formation",
dans sa conviction qu'elle requiert "de la docilité à rEsprit Saint", "il donne de
l'importance à la vie de prière et à la direction spirituelle" ?18 trouver cette
direction ? Certes, le subconscient collectif reporte sur des personnages, comme
les psychologues ou les gourous, la crainte vénératrice que l'on a portée en
d'autres temps à certains maîtres. On cherche donc un peu au hasard. Mais,
interrogeait avec quelque angoisse le recteur majeur Vecchi en 1998, "si
quelqu'un, un jeune spécialement, s'intéressait à notre spiritualité et en voulait
connaître le parcours, les éducatrices et les éducateurs salésiens sont-ils capables
de l'orienter, de lui servir de guides, de lui en indiquer les aspects, les pas et les
étapes avec la liberté, mais aussi avec l'efficacité et la clarté requises ?"19 La
Famille salésienne doit sécréter en elle-même des maîtres spirituels.
Il conviendrait de ne pas exagérer les difficultés d'un rôle qui, à y regarder
d'un peu près, n'est pas seulement celui du prêtre directeur de communauté
salésienne, chargé de recevoir ce que l'on appelait autrefois les "redditions de
compte", mais aussi celui de la directrice de communauté de filles de Marie
auxiliatrice et de la responsable locale des Volontaires de Don Bosco.20 Le
monopole sacerdotal de la direction, qui s'imposait hier, est aujourd'hui battu en
brèche. Les règlements des Volontaires demandent aux responsables locales
d'entendre leurs compagnes en des "colloques fraternels de formation", destinés à
vérifier "leur fidélité aux constitutions sur ce qui touche au témoignage de vie",
ainsi qu'à "chercher ensemble la volonté de Dieu, pour contribuer au bien du
groupe, et recevoir réconfort et orientation sur la fidélité à leur vocation".21 Or la
"vocation" de la Volontaire est éminemment un appel à la sainteté à la suite du
Christ22. Et, si nous suivons don Albera, le directeur spirituel avisé ne s'emploie
qu'à rechercher avec le dirigé la volonté de Dieu à son égard et à le guider dans sa

7.5 Page 65

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219
démarche plus ou moins laborieuse vers Lui. La responsable locale des
Volontaires ressemble donc beaucoup au directeur spirituel salésien classique.
H importe de rassurer les hésitants, que leurs fonctions appellent à diriger
autrui. Diriger des âmes, cet "art des arts", est avant tout affaire de sagesse, qui
est un don de l'Esprit. Une science étendue est certes souhaitable. Mais l'histoire
salésienne fait bientôt remarquer que l'Esprit saint en a dispensé sainte
Marie-Dominique Mazzarello, encore à peu près illettrée quand elle prit la
responsabilité de sa communauté naissante. Une spiritualité personnelle robuste et
de grandes vertus intérieures y suppléaient. Elle formait plus par ce qu'elle était
que par ce qu'elle disait ou savait. L'expérience infuse de la sagesse aux directeurs
qui ont l'âme bien née. Saint Vincent de Paul remettait les choses au point : "Ce
sont les personnes spirituelles, qui vivent de l'esprit, qui vivent d'une manière
spirituelle, qui doivent savoir faire le discernement des fausses lumières d'avec les
vraies, tant pour leur intérêt particulier que pour la consolation de leur prochain ;
car, ayant reçu les lumières que le Saint Esprit communique à ceux qui se donnent
à lui, ces personnes-là sentent avoir de la lumière et même de l'expérience pour
aider les âmes qui sont portées à faire des choses qui les conduisent à leur perte."23
Ces directeurs affinent leur expérience intime par une culture appropriée tenue à
jour et surtout par un "art" dans le comportement dialogal, que leur enseignent
l'observation et la réflexion. Pour la plupart des cas, la connaissance et le
maniement des techniques d'investigation et des techniques curatives, bien
qu'utiles, ne sont pas indispensables.24
Le regard affectueux du spirituel salésien accueille qui vient à lui en tout
ce qu'il est. Homme ou femme, il est en son corps. Le directeur attentif pressent
son affectivité profonde, il songe qu'il a une déjà longue histoire, une vie de
relations, un désir spirituel qui l'a porté jusqu'à lui. Pour s'ouvrir à un progrès, il a
besoin d'être reconnu totalement, tel qu'il est. H a besoin qu'on lui fasse confiance.
Ne recèle-t-il pas en soi des ressources ? C'est qu'il puisera le dynamisme de son
progrès. On ne construit rien sur de l'imaginaire.
H faut éviter de se laisser fasciner par le propos paradoxal de saint
François de Sales, selon qui le directeur spirituel doit être choisi entre dix mille,
bien plutôt qu'entre mille candidats.25 LEsprit Saint est généreux dans la
distribution de ses charismes. Le directeur spirituel le prie et se souvient qu'il n'en
est que l'instrument.
Notes
1. Voir, ci-dessus, l’article Directeur.
2. Sur la direction spirituelle chez les salésiens, voir surtout Paolo Albera, "Necessità
della direzione spirituale", dans sa lettre aux prêtres salésiens, 15 mars 1921, dans L.C., p.
418-420 ; la lettre de Luigi Ricceri, "Abbiamo bisogno di esperti di Dio", dans Atti 281,
janvier-mars 1976, p. 3-51 ; un colloque international salésien tenu sur la direction spirituelle en
août 1982, dont les actes ont été publiés sous le titre La Direzione spirituale (Colloqui sulla vita
salesiana 11, Leumann, Elle Di Ci, 1983, 280 p.) ; et les actes de la dixième semaine de

7.6 Page 66

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220
spiritualité de la Famille salésienne, Rome, 23-29 janvier 1983, parus sous le titre La Direzione
spirituale nella Famiglia salesiana (Rome, ed. S.D.B., 1983,400 p.).
3. "Promoviamo la maturazione cristiana delle persone e delle comunità rinnovando e
intensificando con stile salesiano l'esperienza formativa della Direzione Spirituale". Voir La
Direzione spirituale nella Famiglia salesiana, p. 9.
4. Le numéro spécial de la revue des pères jésuites Christus sur la direction spirituelle
(153, h.s., février 1992) est intitulé : Accompagnement spirituel. Le professeur salésien J. M.
Garcia a édité autour du thème de l’accompagnement spirituel” l’ouvrage Accompagnare i
giovani nello Spirito, Roma, LAS, 1998.
5. Jacques Rousse, moine de Wisques, "Réflexions sur le maître spirituel", La Vie
spirituelle, 589, mars-avril 1972, p. 173.
6. Voir, entre autres, pour les jésuites, Joseph Stierli, s.j., "L'art de la direction
spirituelle", dans Christus, numéro cité, p. 39-55 ; et, pour les salésiens, Luciano Cian, "Le
critiche mosse alla direzione spirituale salesiana dalla psicologia contemporanea. Contestazioni e
orientamenti", dans La Direzione spirituale, p. 181-218.
7. Nous suivons ici La Direzione spirituale nella Famiglia salesiana, p. 371-382.
8. Voir, ci-dessus, les articles Amitié et Correction fraternelle.
9. M. Rua, Lettre aux inspecteurs et aux directeurs salésiens, 29 novembre 1899, L.C.,
p. 195-200 ; Lettre aux salésiens, 5 août 1900, L.C., p. 218-219 ; Lettre aux inspecteurs et aux
directeurs salésiens, 25 avril 1901, L.C., p. 261-262.
10. "E' l'azione di un cristiano competente che, a nome di Dio e della Chiesa,
attraverso il dialogo personale, porta a un fratello l'aiuto opportuno di illuminazione e di spinta
che questo non trova in modo sufficiente in se stesso, nell'ambiente, per permettergli di
discemere la volontà di Dio su di lui e di seguirla in tal modo da crescere con sicurezza in
santità personale e in efficacia ecclesiale." (La direzione spirituale nella Famiglia salesiana, p.
374). Cette définition des conclusions de la semaine était empruntée par le congrès au rapport du
P. Aubry, ibid., p. 295.
11. Carlo Colli, "La Direzione spirituale nella prassi e nel pensiero di don Bosco :
memoria e profezia" dans La Direzione spirituale nella Famiglia salesiana, p. 53-77 ; Maria
Ester Posada, "Il carisma della Direzione spirituale personale di S. Maria Domenica
Mazzarello", ibidem, p. 85-104. ; Lutgardis Craeynest, "Madre Mazzarello direttrice spirituale",
dans La Direzione spirituale, p. 92-104 ; Francis Desramaut, "San Giovanni Bosco direttore
d'anime", ibidem, p. 41-91.
12. "La sua direzione spirituale, semplice, piana, salesiana in tutto il senso della
parola, soave e forte nello stesso tempo, chiara. Pochi minuti bastavano a chiarire la situazione
della coscienza che si apriva spontaneamente al tocco della sua parola facile e buona : non si
poteva nascondergli nulla, non solo, ma si voleva e si poteva dirgli tutto. I suoi consigli erano
brevi, ma sempre appropriati, si traducevano in un proposito pratico e sicuro, sempre diretto a
formare sodamente e ad estirpare quanto doveva essere tolto. Più che alle mancanze dava molto
importanza all'atteggiamento abituale dell'anima, e ne aiutava a sostenere la parte più débole e
consigliava i mezzi per irrobustirla. Mortificazione, umiltà, sacramenti, meditazione, buone
letture." (Maria Lanzio, fina, "Alcuni ricordi edificanti del compianto Don Filippo Rinaldi",
dans E. Ceria, Vita del Servo di Dio Sac. Filippo Rinaldi, SEI, 1948, p. 504-505.) Voir aussi
Ramòn Alberdi, "Don Filippo Rinaldi direttore spirituale, secondo il processo della sua
beatificazione e canonizzazione", dans La Direzione spirituale, p. 105-127.
13. "Ma la direzione spirituale, miei cari sacerdoti, non dev'essere una cosa saltuaria e
mutevole, ma un sistema unico e costante di condotta, teorico e pratico insieme, atto a guidarci
alla santità. - H compito del direttore spirituale è quello di farci conoscere quello che Dio vuole
da noi, le virtù che dobbiamo praticare, i mezzi a cui dobbiamo ricorrere, i pericoli contro cui
dobbiamo premunirci per non venir meno alla nostra vocazione salesiana." (P. Albera, Lettre aux
prêtres salésiens, 19 mars 1921 ; L.C., p. 420.)
14. D'après la communication de Luciano Clan, "I metodi della direzione spirituale
alla luce delle moderne scienze dell'uomo. Cenni sulla direzione spirituale salesiana", dans La
Direzione spirituale nella Famiglia salesiana, p. 151-184.
15. "Di conseguenza i contenuti principali della direzione spirituale sono : una
migliore conoscenza e accettazione di sé, lo sviluppo della vita teologale, l'educazione all'ascolto
della Parola ed alla preghiera, lo sradicamento dei difetti e ostacoli alla carità, il discernimento

7.7 Page 67

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221
della volontà di Dio nelle diverse situazioni e difficoltà della vita, il discernimento della propria
vocazione e la formazione a un determinato tipo di vita cristiana, l'educazione al senso autentico
dell'apostolato, il superamento e l'utilizzazione delle eventuali crisi, tentazioni, dubbi, la risposta
giusta ad eventuali chiamate particolari dello spirito." ("Conclusioni della settimana", n. 12,
dans La Direzione spirituale nella Famiglia salesiana, p. 375.)
16. "Don Caffasso, che da sei anni era mia guida, fu eziandio mio Direttore spirituale,
e se ho fatto qualche cosa di bene lo debbo a questo degno ecclesiastico nelle cui mani riposi ogni
mia deliberazione, ogni studio, ogni azione della miavita." (MO Da Silva, p. 119.)
17. J. Aubry, "Identità, qualità e formazione del direttore spirituale", dans La
Direzione spirituale nella Famiglia salesiana, p. 291-330.
18. "D Cooperatore è il primo e principale responsabile della propria formazione.
Convinto che essa richiede docilità allo Spirito Santo, importanza alla vita di preghiera e alla
direzione spirituale". {Regolamento di Vita Apostolica, art 38 § 1.)
19. " Se qualcuno, specialmente giovane, intuisse la nostra spiritualità e ne volesse
percepire il cammino, gli educatori ed educatrici salesiani sono capaci di orientarlo, di servirgli
di guida, di indicarne aspetti, passi e tappe con la libertà, ma anche con l'efficacia e chiarezza
che si richiede ?" (J. Vecchi, "La strenna per il 1998", danser# delle XX. giornate di spiritualità
della Famiglia Salesiana, Rome, 1998, p. 174.)
20. Sur la directrice FMA, voir, ci-dessus, l'article Directeur.
21. "La Volontaria fa con la Responsabile Locale un fraterno colloquio formativo,
possibilmente mensile, sulla fedeltà alle Costituzioni in ciò che riguarda la testimonianza di vita.
Questo incontro [ ... ] sarà un momento di dialogo fraterno animato dalla carità, per cercare
insieme la volontà di Dio, per contribuire al bene del Gruppo, per ricevere conforto ed
orientamento circa la fedeltà alla vocazione." (Regolamenti VDB, art. 10.)
22. "Le Volontarie sono cristiane che, chiamate a seguire Cristo più da vicino ... "
(Costituzioni VDB, art. 2.) Même formule dans les constitutions des Volontaires avec Don
Bosco, art. 2.
23. Saint Vincent de Paul, Correspondance, entretiens, documents, éd. P. Coste, Paris,
1920-1925, t. XH, p. 343.
24. Tout ceci est développé dans J. Aubry, art. cit., p. 309-323. Voir aussi M. Quartier,
"La formazione della guida spirituale salesiana", dans La Direzione spirituale, p. 221-237.
25. Introduction à la vie dévote, livre I, chap. IV.

7.8 Page 68

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222
Discipline
La discipline selon don Bosco
"Que l'on donne toute possibilité de sauter, de courir et de crier tant qu'on
peut. ... Faites tout ce que vous voulez, disait le grand ami de la jeunesse saint
Philippe Néri, il me suffit que vous ne commettiez aucun péché," lisons-nous dans
le petit traité de don Bosco sur le système préventif.1 N'entravez jamais la sainte
liberté des enfants de Dieu, quel que soit leur âge, a-t-on traduit un peu vite. En
réalité, le saint homme ne craignait pas de parler de discipline et de la réclamer à
ses fils. Non seulement il ne bénissait pas toutes leurs fantaisies, mais composait
des règlements détaillés à l'usage des grands et des petits et tenait à leur
application.
La discipline avait, pour lui, le sens courant de règle de conduite
commune aux membres d'une collectivité, règle destinée à y faire régner le bon
ordre et la régularité. "Par discipline, je n'entends ni la correction, ni la punition, ni
le fouet, ce dont on ne doit jamais parler chez nous, écrivait-il un jour aux
salésiens ; pas davantage l'artifice ou la suprématie en un domaine quelconque. Par
discipline, j'entends une manière de vivre conforme aux règles et aux coutumes
d'une institution. H s'ensuit que, pour bénéficier des bons effets de la discipline, il
convient que les règles soient toutes observées et qu'elles le soient par tous."2
Souple et souriante, sous sa gouverne la discipline était aussi réelle, qu'il
s'agisse des enfants ou des religieux. Dès l'origine de son oeuvre, il prit la peine de
rédiger des règlements à l'intention des jeunes et de leur encadrement d'adultes. Au
milieu des années 1850, le règlement de son minuscule internat définissait déjà
avec soin les charges des divers responsables, du préfet ou vice-directeur au
cuisinier et au portier. A l'intention des garçons, il y édictait des règles de conduite
précises sur la piété, le travail, la "modestie", le comportement avec leurs
supérieurs et avec leurs camarades, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la
maison. Bien entendu, des règles détaillées seraient établies pour les religieux et
religieuses en même temps que leurs instituts naîtraient. Les premiers chapitres
généraux les multiplieraient. Don Bosco avait à coeur la discipline, ce corps de
règles qui, pour le bien général, maintient dans les collectivités un certain ordre
personnel et communautaire.
La discipline religieuse salésienne
Don Bosco et, après lui, les supérieurs généraux salésiens Albera,
Ricaldone et Viganô ont prêché la discipline religieuse. Ces supérieurs l'ont fait en
fonction de l'idéologie régnant autour d'eux.
Don Albera (rectorat de 1910 à 1921) écrivit sa lettre sur la discipline
religieuse avant la montée victorieuse de la "personnalisation", qui sera, selon le

7.9 Page 69

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223
recteur Viganô, l'un des signes des temps de la deuxième partie du vingtième
siècle.3 Ses considérations s'en ressentaient. H imaginait les maisons salésiennes
"disciplinées", c'est-à-dire, selon lui, telles des monastères ordonnés et silencieux,
aux mouvements réglés par la cloche. Souvent, en cours de journée, nul n'y
soupçonnerait la présence de nombreuses personnes. On y observait
minutieusement les lois canoniques, les constitutions, les règlements intérieurs et
les prescriptions particulières des supérieurs. Les subordonnés voyaient l'image de
Dieu dans la personne de ceux-ci et, dans leurs ordres, la manifestation de la
volonté divine. Le bon religieux s'y soumettait à son supérieur avec la simplicité de
l'enfant. Il était persuadé que, s'il lui intimait un avertissement, s'il lui adressait un
reproche, s'il lui refusait une faveur, il n'agissait jamais par caprice, mais
uniquement par sentiment de son devoir et pour obéir à sa conscience. Bien
observée, estimait le recteur, nombreux étaient ses avantages pour le membre de la
société. H répétait saint Bernard, selon qui la discipline religieuse l'emportait sur la
cupidité, emprisonnait les mauvais désirs, refrénait la luxure, contenait la colère,
domptait l'intempérance, la légéreté et les divers appétits désordonnés. Tandis que,
dans une communauté disciplinée, le religieux était heureux, dans une maison qui
l'était moins ou pas du tout, il était agité et inquiet. Au coeur du modernisme, qui
exaltait la liberté de l'individu, ce recteur majeur ramait sciemment à contre
courant de son siècle. "H est de notre devoir de nous mettre en garde contre
l'esprit d'indépendance qui serpente dans la société contemporaine et parvient à
pénétrer jusque dans le sanctuaire et dans les jardins clos que sont les
congrégations religieuses."4 Don Albera réclamait la discipline religieuse au nom
de la sérénité des âmes et de la paix communautaire.
Vingt-cinq ans après lui, le recteur Pietro Ricaldone consacra à la
discipline religieuse quarante-cinq pages de son instruction sur "la fidélité à saint
Jean Bosco".5 La mystique du chef régnait autour de lui. La discipline religieuse
est requise par l'obéissance, dont le parfait modèle est Jésus Christ, concluait ce
recteur. Sur le point de boire jusqu'à la lie le calice de ses souffrances, Jésus disait
: "Père, que ta volonté soit faite et non la mienne !" Il nous faut l'imiter, écrivait
don Ricaldone à ses religieux. Même si notre volonté est "bonne", autrement dit si
nous voulons le bien, peut-être même le mieux, par discipline sacrifions-la comme
Jésus sur l'autel de l'obéissance. Préférons la volonté divine et elle deviendra notre
propre volonté. Le religieux accepte sa propre crucifixion. Don Ricaldone prêchait
la discipline au nom de la soumission absolue à la Règle, expression de la volonté
divine.
L'une des premières circulaires du recteur Viganô (rectorat de 1978 à
1995) sera intitulée "Nouvel engagement dans la discipline religieuse".6 La
discipline religieuse, estimait-il, traversait une zone de turbulences. Les grands
changements de l'époque, plus que l'infidélité, lui semblaient avoir contribué à
l'éclipse momentanée, parmi les religieux, du sens évangélique de la discipline de
vie, en réaction contre une sorte de moralisme formaliste et faute d'une juste
sensibilité au processus en cours de "personnalisation" et aux grands mouvements
de réforme de la société. On surévalue certains signes des temps sans en percevoir
les ambiguïtés ni se soucier des troubles graves engendrés par un sécularisme à

7.10 Page 70

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224
l'horizon duquel la croix a disparu. En somme, la discipline capitulait sous les
assauts de la liberté personnelle.
La célébration de la soumission à un règlement, même voulu par Dieu,
n'était plus de saison. Don Viganô s'attachait au sens originel du mot discipline,
qu'il cherchait à distinguer de la pure observance. Pour un salésien, pratiquer la
discipline religieuse consiste à se montrer disciple de don Bosco. "En définitive,
écrivait-il, la signification profonde (non seulement étymologique) de la discipline
est liée au concept de "disciple". Notre discipline religieuse appartient, d'un côté, à
la volonté radicale de "suite du Christ" et, de l'autre, au projet historique librement
et publiquement assumé lors de notre profession, projet par lequel nous avons
choisi de "rester avec don Bosco", selon les constitutions de la société de St
François de Sales."7
La discipline prenait, sous la plume de don Viganô, un sens résolument
actif. C'était la pédagogie d'une liberté engagée dans un "amour d'alliance" avec le
Christ. Une observance sans amour est sans vie, un amour sans observance est
faux. Une discipline équilibrée librement consentie renforce la communion du
corps social et accroît son efficacité dans un monde ballotté entre les extrémismes
du totalitarisme et de l'anarchie. Elle préserve du mal obscur de l'individualisme, ce
chancre produit par l'indiscipline, qui annule jusque dans ses racines la possibilité
même d'un renouveau de la vie religieuse. L'embourgeoisement et la dissolution
individualiste de la communauté résultent de l'absence de discipline jointe à l'oubli
du mystère pascal.
L'acceptation de la discipline, règle commune de l'institution salésienne,
acceptation dûment dégagée de la simple observance, était, pour don Viganô, une
réponse très active au geste d'amour de Dieu dans la consécration religieuse. Il
situait la discipline religieuse dans le service de la charité apostolique. Cependant
que leurs motivations variaient, de don Bosco à la fin du vingtième siècle les
responsables de la famille salésienne ont maintenu leurs exigences d'un minimum
de discipline dans la collectivité.
Notes
1. "Si dia ampia facoltà di saltare, correre, schiamazzate a piacimento. ... Fate tutto
quello che volete, diceva il grande amico della gioventù S. Filippo Neri, a me basta che non
facciate peccati." (7/ sistema preventivo nella educazione della gioventù, § II.)
2. "Per disciplina non intendo la correzione, il castigo o la sferza, cose tra noi da non
mai parlarne ; nemmeno Fartifizio o la maestria di una cosa qualunque ; per disciplina io intendo
un modo di vivere conforme alle regole e costumanze di un istituto. Laonde per ottenere buoni
effetti della disciplina prima di tutto è mestieri che le regole siano tutte e da tutti osservate." (G.
Bosco, Lettre aux salésiens, 15 novembre 1873 ; Epistolario Cena, t. Il, p. 319.)
3. P. Albera, Lettre aux salésiens "sulla disciplina religiosa", 25 décembre 1911 ; dans
L.C., p. 53-77. Cette lettre a tellement plu au salésien don Luigi Variara, fondateur des
Hermanas de los Sagrados Corazones de Jesus y de Maria, congrégation appartenant à la famille
salésienne, qu'en 1919 il l'a reprise entièrement dans sa propre circulaire aux soeurs "sur la

8 Pages 71-80

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8.1 Page 71

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225
discipline religieuse". (Voir Eulalia Marin Rueda, La espiritualidad propuesta por el P. Luis
Variara, Roma, UPS, 1997, p. 123-155.)
4. "E' parimenti nostro dovere metterci in guardia contro lo spirito d'indipendenza che
serpeggia nell'odierna società e riuscì perfino a penetrare nel santuario e negli stessi giardini
chiusi che sono le congregazioni religiose." (P. Albera, lettre citée-, in L.C., p. 68.)
5. P. Ricaldone, "Fedeltà a Don Bosco santo", Atti 74, 24 mars 1936, p. 127-173.
6. E. Viganò, Lettre aux salésiens, Veille de Pentecôte 1979, inatti 293, p. 3-13, lettre
complétée par une note du vicaire général Gaetano Scrivo : "I contenuti della disciplina
religiosa", ibid., p. 13-22. L'intitulé : "Nuovo impegno nella disciplina religiosa" est celui du
recueil des lettres circulaires de don Vigano', p. 86.
7. "In definitiva, carissimi, il significato profondo (non solo etimologico) della
disciplina è legato al concetto di "discepolo”. La nostra disciplina religiosa appartiene, da una
parte, al proposito radicale di sequela del Cristo, e, dall'altra, al progetto storico assunto
liberamente e pubblicamente con l'atto della professione, per cui abbiamo scelto di "restare con
Don Bosco", secondo le Costituzioni della Società di S. Francesco di Sales." (Lettre citée, p. 9.)

8.2 Page 72

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226
Douceur
La douceur exemplaire de saint François de Sales
La douceur n'était pas naturelle à Giovanni Bosco, qui prétendait s'être
réveillé du "songe" de ses neuf ans les poings endoloris des coups donnés à de
jeunes blasphémateurs1 et qui, au moins au début de sa formation cléricale, passait,
à Chien, pour le séminariste le plus colérique du séminaire2. Puis il apprit à se
dominer. Les panégyriques de saint François de Sales, de règle dans cette
institution chaque année le 29 janvier, le firent réfléchir. Selon son Testament
spirituel, il s'imposa pour quatrième résolution d'ordination sacerdotale la formule
: "Que la charité et la douceur de St François de Sales me guident en toutes
choses."3 On s'accordera désormais à lui attribuer une grande douceur, ou son
presque synonyme, une grande mansuétude, surtout dans ses relations avec les
jeunes et en conformité avec la recommandation de la Dame du songe : "Ce n'est
pas avec des coups, mais par la mansuétude et la charité que tu devras gagner ces
amis qui sont tiens."4 Et nous retrouvons saint François de Sales, qui donna son
nom à l'Oratoire naissant du Valdocco de Turin. Selon don Bosco, la deuxième
raison de ce choix fut que "cette partie de notre ministère [auprès de la jeunesse]
exigeant un grand calme et une grande mansuétude, nous nous étions placés sous
la protection de ce saint, afin qu'il nous obtienne de Dieu la grâce de pouvoir
l'imiter dans son extraordinaire mansuétude et dans sa conquête des âmes"5.
L'image du spirituel de don Bosco refléta dès l'origine la douceur conquérante de
l'apôtre du Chablais.
La douceur, cette vertu "plus rare que la parfaite chasteté", est "la fleur de
la charité" et la charité mise en pratique, avait enseigné François.6 "Je vous
recommande surtout l'esprit de douceur, qui est celuy qui ravit les coeurs et gaigne
les âmes", écrivait-il à une jeune abbesse.7 Don Bosco, féru d'efficacité apostolique
et au souvenir que, selon une formule de François indéfiniment répétée, pour
prendre les mouches une cuillérée de miel réussissait mieux qu'un baril de vinaigre,
était très sensible à cet argument. La douceur ajoute un vernis à la charité
apostolique, vertu très recommandée au disciple de don Bosco. Malheureusement,
il lui arrive, comment s'en étonner ?, de négliger à la fois la vertu et son vernis.
Cette vertu tant agréable à autrui
Au sortir d'une guerre qui, pendant quatre longues années, l'avait pour le
moins ignorée et méprisée dans les relations entre les peuples, le recteur Albera
consacra à la douceur toute une lettre circulaire destinée aux seuls supérieurs
salésiens, c'est-à-dire aux inspecteurs et aux directeurs.8 La dureté avait pénétré
les relations sociales, y compris celles du monde salésien. "Pour beaucoup
l'exercice de l'autorité est malheureusement l'occasion de manquer de charité,"
regrettait-il. H entendait décider ces personnages, que leur prestige (relatif) rendait

8.3 Page 73

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227
alors apparemment un peu trop imposants, manifester envers leurs subordonnés
non seulement de la charité, mais de la douceur, qui en est comme la fleur et la
perfection"9.
La douceur est à l'opposé de la violence, le propre de la guerre. La
douceur, c'est la paix. L'esprit qui en est imprégné, tel un récif battu par les flots
de la mer, demeure ferme et égal dans l'honneur et le mépris, dans la joie et la
souffrance, écrivait le recteur10. Don Albera rapprochait de cette image de la
sérénité celle du supérieur salésien peu soucieux d'imiter don Bosco, réprimandant
un subordonné, la mine sévère, l'oeil "torve" au regard oblique et plein de colère
fiché sur le malheureux assis face à lui11. Combien cet homme ressemble peu à
Jésus, qui disait : "Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur !"
(Matthieu 11, 29.) Car la douceur est une vertu évangélique, mes bons amis !
La vertu de douceur impose de dominer la vivacité de son caractère, de
réprimer tout mouvement d'impatience et d'interdire à sa langue de prononcer un
seul mot blessant pour la personne avec laquelle on traite. Elle exige le refus de
toute forme de violence dans l'attitude, les propos et les actes. A don Albera il
paraissait impossible d'oublier, dans son dessin de la douceur, "le regard serein et
plein de bonté, reflet véritable et limpide d'un esprit sincèrement doux et
uniquement désireux de rendre heureux celui qui l'approche".12
Doux n'est pas douceâtre ou doucereux, ses caricatures sournoises.
Douceur n'est pas non plus faiblesse. Don Bosco alliait dans son gouvernement la
douceur et la fermeté. La Lettre aux Galates associe ces fruits de lEsprit qui sont
la "douceur" et la "maîtrise de soi" (Galates 5, 23). Cette dernière expression,
puisée dans l'éthique philosophique grecque, propose à la personne humaine une
emprise volontaire sur ses propres passions. Par ce voisinage, la douceur
chrétienne se détache de tout ce qui pourrait ressembler à de la lâcheté. Elle fait
appel à lEsprit de force qui délivre de l'esclavage de soi et introduit dans la liberté.
L'effet produit est, comme on le voit dans la circulaire de don Albera, le contraire
du pouvoir qui s'instaure sur les ruines d'autrui. Cette puissance, à l'image de celle
du Christ, s'exerce "dans la faiblesse". Elle refuse les arguments faciles comme
l'éclat du langage et l'aplomb de la prestance. Humble, elle offre au "langage de la
croix", qui est "puissance de Dieu" (1 Corinthiens 1, 18), un libre passage vers
ceux auxquels il est destiné. La brutalité ferme les coeurs, alors que la douceur les
rend perméables à lEvangile. Le disciple de don Bosco a tant de raisons de
préférer la douceur souriante et persuasive à la violence sévère et tonitruante.13
Notes
1. MO Da Silva, p. 36.
2. Voir Don Bosco en son temps, p. 120.
3. "4° La carità e la dolcezza di S. Francesco di Sales mi guidino in ogni cosa."
{Memorie dal 1841 al 1884-5-6, ms, p. 4-5.)
4. "Non colle percosse ma colla mansuetudine e colla carità dovrai guadagnare questi
tuoi amici" (MO Da Silva, p. 35.)

8.4 Page 74

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228
5. "2° Perché la parte di quel nostro ministero esigendo grande calma e mansuetudine,
ci eravamo messi sotto alla protezione di questo Santo, affinchè ci ottenesse da Dio la grazia di
poterlo imitare nella sua straordinaria mansuetudine e nel guadagno delle anime." (MO Da
Silva, p. 133.)
6. Voir la Table analytique de ses Oeuvres, s.v. Douceur, p. 40.
T. François de Sales à Madame Bourgeois, 3 mai 1604, dans Oeuvres, t. XII, p. 272.
8. P. Albera, Lettre aux inspecteurs et aux directeurs "sulla dolcezza", 20 avril 1920,
L.C., p. 280-294.
9. "Per molti l'esercizio dell'autorità è purtroppo occasione di mancare di carità (... Y
per animarli ad usare verso i loro dipendenti non solo la carità, ma la dolcezza, che ne è come il
fiore e la perfezione" (Lettre citée, p. 280).
10. Lettre citée, p. 281.
11. "Non si creda che sia uno zelo lodevole, quello che in tali circostanze ci suggerisce
forti ed aspri rimproveri, che ci fa creder necessario di prendere un contegno severo, di guardare
con occhio torvo e pieno di sdegno il colpevole che ci sta dinanzi" (Lettre citée, p. 284).
12. " ... un cenno di quello sguardo sereno e pieno di bontà, che è il vero e limpido
specchio di un animo sinceramente dolce e unicamente desideroso di rendere felice chiunque
ravvicina." (Lettre citée, p. 281.)
13. Remarques suggestives sur "la douceur" dans A. Comte-Sponville, Petit traité des
grandes vertus, PUF, 1995, p. 243-255.

8.5 Page 75

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229
Education religieuse
L'éducation religieuse traditionnelle dans le monde salésien1
A la suite de don Bosco et pendant environ un siècle, les méthodes
officielles de l'éducation religieuse des jeunes, supposés appartenir uniformément à
des milieux catholiques homogènes et donc nourrir une foi chrétienne, n'ont guère
varié dans le monde salésien. H fallait préparer les garçons et les filles à vivre
moralement au mieux dans lEglise catholique pour, à l'instant de la mort, réussir
la grande oeuvre de leur salut dans la vie étemelle. Chaque jour, lors de leurs
prières du soir, selon une recommandation datant de don Bosco, les communautés
salésiennes : les jeunes, mais aussi les religieux de leur encadrement, répétaient
trois fois la grave invocation : "Chère mère, Vierge Marie, faites que je sauve mon
âme"2. Si le salut obtenu à la mort était, comme il arriva pour Dominique Savio,
celui d'un saint ou d'une sainte, la réussite pédagogique était totale.
L'enseignement religieux traditionnel
La régularité de la vie morale, garante de l'état de grâce, lui-même
condition du salut, impliquait une soumission exacte à la volonté de Dieu,
manifestée par sa Parole, c'est-à-dire, de façon générale, par l'enseignement de
lEglise. Logiquement, l'éducation ou la formation religieuse consistait donc
d'abord à faire connaître, puis à faire pratiquer l'enseignement ecclésial, schématisé
dans le catéchisme. Ainsi se construisait le "bon chrétien", celui dont le salut était
assuré selon les voeux les plus chers de don Bosco.
En 1939, en écho à un document romain, le recteur majeur Pietro
Ricaldone dénonçait dans l'ignorance religieuse "la plus grande plaie" du temps et
ses fimestes conséquences pour - soulignons bien - le salut des gens. Il faut,
écrivait-il, communiquer aux hommes "la céleste sagesse nécessaire au salut
étemel moyennant l'enseignement du catéchisme, par lequel la substance de ce qui
concerne Dieu même, Jésus Christ et son enseignement est proposée et expliquée
à l'auditeur, selon l'âge, la capacité et la condition de chacun".3 La catéchèse par
questions et réponses, enseignée en classe et objet de concours très encouragés
par l'autorité, portait alors essentiellement, comme partout dans le monde
catholique, sur les grands mystères chrétiens de la Trinité, de l'Incarnation et de la
Rédemption synthétisés dans le Credo ; sur les commandements de Dieu (le
Décalogue) et de lEglise, ainsi que sur les péchés capitaux ; enfin sur la grâce et
les sacrements. S'ils imitaient don Bosco et don Rua, les catéchistes salésiens
illustraient leur enseignement du catéchisme par l'histoire biblique et l'histoire de
lEglise.
Toutefois les oeuvres salésiennes (oratoires et écoles) suivaient volontiers
dans les mots du soir quotidiens, les instructions du dimanche ou les sermons des

8.6 Page 76

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230
retraites spirituelles et des exercices de la bonne mort, un plan de doctrine
chrétienne un peu différent et mieux adapté à la perspective historique et
eschatologique, qui était naturellement la leur. Nous lisons ce plan - très daté, on
en conviendra aisément - dans la série catéchétique constituée de manière
inattendue par le Mois de mai de don Bosco. Il faut l'avoir à l'esprit pour
comprendre la nature de l'éducation religieuse salésienne de ce temps. Au fil de ses
trente-et-une méditations quotidiennes, don Bosco accompagnait l'homme dans sa
destinée heureuse ou malheureuse depuis ses origines jusqu'à sa glorification. Créé
par Dieu, il doit accomplir exactement les préceptes de sa sainte loi. Mais son âme
immortelle et douée de liberté peut les négliger. Adam et Eve ayant commis la
sottise de désobéir au Seigneur, celui-ci eut l'extrême bonté de promettre, puis
d'envoyer un rédempteur à l'humanité coupable, qui pourra donc se sauver. Le
rédempteur a constitué une Eglise à l'intérieur de laquelle l'homme peut faire son
salut. Cette Eglise a un chef suprême, le pape, et des pasteurs, les évêques,
auxquels il faut absolument être relié. La relation unifiante avec lEglise et avec
Dieu s'établit dans la foi à l'intérieur de cette Eglise. Pour soutenir le chrétien sur
la route de la vie, Jésus Christ a institué sept sacrements, "signes visibles établis
par Dieu pour donner à nos âmes les grâces qui sont nécessaires pour nous
sauver."4 Le chrétien a ainsi Dieu pour père, Jésus Christ pour frère, lEglise pour
mère et la parole de Dieu pour le guider sur le chemin du salut. Malheureusement,
sur terre il manque souvent à sa dignité surnaturelle et compromet ainsi ce salut.
Le temps, qui lui est donné pour user des biens créés et sauver son âme, se
déroule sous le regard d'un Dieu toujours présent. Au terme, il doit imaginer un
salut, qui risque d'être manqué sans remède. Le péché, désobéissance à la sainte loi
de Dieu, offense sa divine majesté et ne peut être réparé que par le pardon divin.
Don Bosco dénonçait vigoureusement le péché déshonnête et le respect humain.
Heureusement, dans son infinie miséricorde, le Christ a institué le sacrement de "la
confession", le confesseur, "au nom de Dieu", pardonne les péchés des
hommes. Sur terre, le saint sacrifice de la messe est ce qui peut se faire de mieux
pour la plus grande gloire de Dieu et la meilleure utilité des âmes, surtout s'il est
accompagné (pour le fidèle) par la sainte communion. La mort sera l'instant
redoutable qui sépare le temps de la miséricorde de celui de la justice, comme le
jugement particulier et le jugement général le signifient sans ambiguïtés. L'enfer et
ses peines étemelles constituent le lot du pécheur, tandis que la promesse du
paradis infuse énergie et espérance au chrétien fidèle. La pratique de la charité lui
est très recommandée. Le mois proprement dit de don Bosco s'achevait par des
considérations sur le salut par l'intercession de Marie, la protection mariale durant
la vie et à l'heure fatidique de la mort.
Notre catéchète avait ainsi balisé pour son auditeur une route de la vie
orientée vers le salut personnel ; il en avait signalé les dangers ; il avait décrit les
secours que Dieu lui offrait chemin faisant ; enfin, il en avait annoncé le terme
heureux ou malheureux, vers lequel le temps qui passe l'entraînait nécessairement.5
La pratique religieuse traditionnelle
La Parole de Dieu doit être pratiquée. Les instructions officielles du
premier siècle alignaient de préférence les pratiques religieuses de règle dans le

8.7 Page 77

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231
monde salésien. Sous le titre explicite de "formation religieuse", celles du recteur
majeur Ricaldone étaient particulièrement détaillées.6 Ce recteur rappelait, en
ouvrant le chapitre, le "merveilleux enchaînement" (mirabile concatenamentô) de
fêtes et de dévotions, que don Bosco avait instituées au long de l'année dans ses
oeuvres ouvertes. Répétons-le en remarquant que, signe des temps, il ne se
préoccupait que moyennement de l'année liturgique. C'était d'abord, à la fin de
chaque mois, l'exercice de la bonne mort, auquel la plus grande importance était
attachée. Puis, à la fête patronale de saint François de Sales (29 janvier) faisaient
suite, au temps du mardi gras, le "carnaval sanctifié" (sous-entendu : par des
prières réparatrices), les sept dimanches préparatoires à la fête de saint Joseph et la
fête elle-même de ce saint (19 mars), les exercices spirituels de l'année, les offices
de la semaine sainte, le lavement des pieds et la visite aux "sépulcres" le jeudi
saint. Après quoi, venaient le mois de Marie (en mai), les Quarante Heures, les six
dimanches préparatoires et la fête de saint Louis de Gonzague (21 juin) ; enfin, les
vacances une fois terminées, la fête du saint Rosaire (7 octobre), celle de
l'Immaculée Conception de Marie (8 décembre) et, pour achever en beauté, la
neuvaine de Noël et la messe de Minuit.7
Les pratiques religieuses tissaient toute la vie salésienne d'antan. Prières
du matin et du soir, chapelet et messe quotidienne y étaient de règle. Des
invocations encadraient les travaux et les repas de la journée. Le nombre des
offices augmentait encore le dimanche et les jours de fêtes religieuses. Afin de se
débarrasser du péché et de maintenir les jeunes dans la grâce de Dieu, "sans quoi
les choses ne pouvaient bien aller, la méthode première pour bien éduquer est de
faire faire de bonnes confessions et de bonnes communions", enseignait le recteur
Ricaldone.8 Joignez-y la visite au saint sacrement. La pratique éducative salésienne
du temps était principalement sacramentelle. Don Ricaldone estimait aussi que les
compagnies religieuses, y compris les conférences de saint Vincent de Paul,
contribuaient au mieux à la formation chrétienne des jeunes du monde salésien. En
somme, du matin au soir et du 1er janvier au 31 décembre, ces jeunes baignaient
dans une pieuse atmosphère incessamment renouvelée, qui les maintenait en état
de "religion".
Les instructions officielles n'en parlaient pas nécessairement, mais toute
l'histoire de don Bosco en témoignait : aux fêtes et aux célébrations religieuses
devait correspondre chez les jeunes du monde salésien une vie, non seulement
régulière, mais, dans toute la mesure possible, authentiquement vertueuse, parce
que tout à fait conforme à la loi divine, qui leur était enseignée. La vie de
Dominique Savio le prouvait. La soumission de ce garçon à la parole de Dieu lui
avait permis de mener une existence de plus en plus vertueuse et tellement
exemplaire "qu'il eût été difficile de faire mieux", écrivit don Bosco, son
biographe. Lisons tout le passage qui reliait clairement la doctrine et la vie : "Il
avait enraciné dans son coeur cette conviction que la parole de Dieu est le guide
de l'homme sur le chemin du ciel. Aussi toutes les leçons pratiques qui'il entendait
dans les sermons se gravaient-elles en lui, et il ne les oubliait plus. Les instructions,
les catéchismes, les prédications, si longues qu'elles fussent, étaient toujours un
plaisir pour lui. ( ... ) Ce fut le point de départ de cette vie exemplaire, de ce
progrès constant de vertu en vertu, de cette exactitude à remplir ses devoirs, telle

8.8 Page 78

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232
qu'il eût été difficile de faire mieux."9 La parole de Dieu n'alimentait donc pas
seulement l'esprit de prière et de pénitence de Dominique, son souci des
sacrements ou sa dévotion envers Marie. Elle le décidait à se "faire saint",
c'est-à-dire à porter au plus haut point possible un peu toutes les vertus naturelles
et surnaturelles que son histoire célébrait : la bonté, la douceur, le courage,
l'ardeur au travail, la charité envers autrui sous toutes ses formes. Le jour de sa
mort, ce garçon avait pleinement réussi une vie, qui avait été une marche pour
ainsi dire triomphante vers le ciel.
Dans le monde salésien d'autrefois, l'éducation religieuse comportait donc
en principe trois temps : celui de l'enseignement, celui de la célébration et celui de
la pratique vivante.
L'éducation à la foi selon le chapitre général de 1990
Les moments de l'éducation salésienne traditionnelle : connaissance,
célébration et pratique, subsisteront, quoique mieux imbriqués l'un dans l'autre et
avec un moindre souci de la célébration, dans le monde qui prit forme au cours de
la deuxième moitié du vingtième siècle. Les salésiens continuaient d'essayer de
façonner de "bons chrétiens". Mais leurs perspectives s'infléchissaient. Selon les
maîtres de leur pastorale, l'évangélisation tendait, non plus tellement à "sauver les
âmes" qu'à leur faire "rencontrer le Christ" et à vivre de Lui. Sans nullement
renoncer à l'évangélisation traditionnelle de masse là et dans la mesure elle était
encore possible, les pasteurs salésiens réfléchissaient sur l'éducation personnelle à
la foi, devenue indispensable au sein d'un environnement différent.
Car le monde change vite, avait constaté le recteur Viganô au début de
son rectorat. Désormais, dans la société les religions se mélangeaient, le
relativisme religieux se répandait, la croyance en Dieu faisait de plus en plus
problème, le sens même de la vie s'obscurcissait dans les esprits officiellement
chrétiens. La famille salésienne, née d'un "simple catéchisme" et donc
essentiellement destinée à l'éducation religieuse, se devait de planifier l'éducation
religieuse des jeunes dans un monde culturellement nouveau10. Le chapitre général
salésien de 1990 s'y employa et tâcha de présenter un "chemin salésien d'éducation
à la foi"11. Essayons d'en marquer les étapes.
Eduquer les jeunes à la foi est pour le salésien "travail et prière". Dans son
oeuvre pour le salut de la jeunesse, il fait l'expérience de la paternité de Dieu, "qui
prévient toute créature, l'accompagne par sa présence et la sauve en lui donnant la
vie"12. Il reconnaît donc, dans leurs diverses situations, l'action d'un Dieu qui aime
les jeunes. Pour les mener jusqu'à la foi authentique, l'éducateur commence par
aller vers eux. H les rencontre ils sont, afin de les valoriser intelligemment et
patiemment dans un milieu éducatif. La proposition de foi naîtra au cours d'un
processus de formation et à l'intérieur d'une double démarche : la maturation de la
personnalité et l'appel du Christ, qui incite à la construire selon la révélation
manifestée en lui-même. Le parcours est ainsi dessiné.

8.9 Page 79

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233
Il faut garder à l'esprit ce à quoi l'on voudrait aboutir. "Nous éduquons et
nous évangélisons selon un projet de promotion intégrale de l'homme, orienté vers
le Christ, l'homme parfait. Fidèles aux intentions de notre fondateur, nous visons à
former d'honnêtes citoyens et de bons chrétiens", disent les constitutions
salésiennes.13 La foi et la vie sont intégrées dans le projet salésien de formation
concomitante du chrétien et du citoyen. C'est un projet de maturation de
comportements humains incitant à une ouverture sincère à la vérité, au respect et à
l'amour des personnes, au libre don de soi et au service d'autrui. L'exercice de la
foi, de l'espérance et de la charité, autrement dit la pratique chrétienne, devient de
la sorte un style de vie.
La maturation chrétienne concerne quatre domaines : la croissance
humaine vers une vie qu'il faudra assumer comme "expérience religieuse" ; la
rencontre avec Jésus Christ, homme parfait, qui fait découvrir en lui-même le sens
de l'existence individuelle et sociale ; l'insertion progressive dans la communauté
des croyants, à la fois signe et instrument du salut de l'humanité ; enfin,
l'engagement pour la transformation du monde. Pour favoriser cette maturation,
l'éducateur cultivera des attitudes et les soumettra à de fréquentes vérifications ; il
dégagera des noyaux de connaissances indispensables à une juste compréhension
de la vie chrétienne ; et il choisira des expériences capables de susciter des
attitudes et des connaissances appropriées. Enseignement et pratique chrétienne
vont donc de pair en éducation religieuse salésienne.
Science et sagesse sont nécessaires à l'éducateur pour mener le jeune à sa
maturité humaine, la foi et la vie s'appellent mutuellement. Pour mûrir, le jeune
devra accueillir la vie, s'ouvrir aux autres, dégager ses aspirations profondes avec
leurs limites inévitables, tenter de découvrir le sens de son existence et d'aller vers
le "transcendant". En lui la demande et la recherche de sens deviennent alors
"invocation", désir d'une réponse, d'un horizon ou d'une perspective qui
permettent de résoudre les problèmes posés par la vie, son origine et son terme,
ainsi que de déterminer la tâche de la personne désireuse de s'y accomplir.
Le service d'éducation à la foi ne peut en rester à la croissance humaine,
même chrétiennement inspirée. La vie de l'homme n'atteint sa plénitude que dans le
Christ Jésus. "Je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance"
(Jean 10, 10.) L'éducation cherche à préparer le contact effectif avec lui, à l'offrir,
puis à l'approfondir pour en faire une rencontre authentique dans la foi. Une vague
sympathie pour le Christ, dont beaucoup se contentent, ne peut suffire. Le
problème posé à l'éducateur est celui des aspects du mystère du Christ à souligner
de préférence pour mettre le jeune en relation profonde avec Lui. Des signes-relais
sont indispensables. Le jeune les trouvera dans les personnes de la communauté,
dans les attitudes que le souvenir du Christ suscite en eux, dans un culte chrétien
dignement célébré ; et aussi dans le style de l'institution éducative et pastorale,
dans les rapports entre les personnes qui la composent, dans le sens religieux qui
se dégage des objets, des lieux et des gestes suscités par la foi. Les signes ont leur
langage et transmettent des messages. La pédagogie les choisit, les prépare et les
présente pour qu'ils parlent avec force à la sensibilité des jeunes.

8.10 Page 80

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234
Du témoignage des signes, il faut aller à l'annonce explicite par l'apôtre et
à la découverte de la personne du Christ par le croyant. La vie de celui-ci sera
transformée par une foi robuste et dynamique. Elle s'inscrira dans lEglise dont le
chrétien se sent membre. Le besoin d'amitié et de rapports interpersonnels, le
dynamisme du groupe, l'y incitent. Il a foi en lEglise dans son mystère. La
participation à ce mystère se réalise dans la prière, dans l'écoute de la Parole et
dans la célébration du salut. Sa foi fait comprendre au croyant que lEglise est
médiatrice dans la rencontre de Dieu.
La vie chrétienne implique enfin un engagement pour le royaume de Dieu.
Elle est vocation. L'éducateur aide le jeune à discerner la place qu'il peut tenir dans
la construction de ce royaume. Pour cela, il lui fait d'abord reconnaître les
ressources qu'il possède en lui. Avoir des dons et des possibilités ne suffit pas. Il
faut encore vivre heureux. Quelle joie de pouvoir les communiquer et de le faire
vraiment ! C'est ainsi que, dirigé spirituellement par son éducateur et selon sa
vocation propre, le jeune contribuera au progrès du royaume de Dieu.
L'accompagnement spirituel poursuit et achève la longue entreprise d'une
éducation salésienne à la foi, conçue à la fin du vingtième siècle comme une
marche humaine jusqu'à la rencontre personnelle du Christ.
Une question ouverte
La réflexion salésienne semble être ici incomplète. Pour elle, l’éducation
religieuse se ramène à un processus de socialisation dans lEglise catholique. Or,
dans le monde pluraliste du vingt-et-unième siècle, cette démarche est devenue
insuffisante. Religionet religieux” touchent à la dimension transcendante de
lexistence humaine. Dans leur radicalité, religiositéet “expérience religieusese
réfèrent aux problèmes essentiels de lhomme, tels que le sens de la vie, la
consistance des valeurs, l’origine et le futur absolu du monde, l’ouverture au
totalement Autre, etc. L’éducation religieuse devient dès lors un processus
d’ouverture et de développement de cette sorte d’expérience. L’éduqué apprend à
assumer avec sérieux la problématique religieuse de son existence. Le système
préventif salésien ne pourra plus ignorer cet aspect des choses14.
Notes
1. Sur l'éducation salésienne en général, voir ci-dessous l'entrée Système préventif.
2. Don Bosco avait écrit au dernier jour de son Mois de Marie : "Ma vi raccomando di
dire ogni sera prima di coricarvi tre volte la seguente giaculatoria : Cara Madre Vergine Maria,
fate che io salvi l'anima mia." (G. Bosco, Il Mese di maggio consacrato a Maria SS.
Immacolata, Torino, 1858, p. 182.)
3. " .. la sapienza celeste, necessaria all'eterna salute, mediante l'insegnamento del
Catechismo, per mezzo del quale viene, a chi ascolta, proposta e spiegata, secondo l'età, la
capacità e la condizione di ciascuno, la sostanza di quanto riguarda Dio stesso, Gesù Cristo, la
sua dottrina e il suo insegnamento." (P. Ricaldone, "Oratorio festivo, Catechismo, Formazione

9 Pages 81-90

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9.1 Page 81

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235
religiosa", Atti 96, novembre-décembre 1939, p. 22.) Le recteur citait le décret de la S.
Congrégation du Concile Provido sane consiglio, 12 janvier 1935.
4. "Questi sacramenti sono altrettanti segni sensibili stabiliti da Dio per dare alle
anime nostre le grazie che sono necessarie per salvarci" (IlMese di Maggio ..., Torino, 1858, p.
56.)
5. Il Mese di maggio ..., Torino, 1858, passim.
6. P. Ricaldone, "La Formazione religiosa", dans le document cité Oratorio festivo ... ,
inerti 96, p. 149-170.
7. P. Ricaldone, op. cit., p. 152.
8. "Bisogna che teniamo lontano il peccato dalla casa e che i nostri giovani si mettano
tutti in grazia di Dio ; senza di questo le cose non possono andar bene. Ricordatevi che il primo
metodo per educare bene è il fare buone Confessioni e buone Comunioni." (P. Ricaldone, op.
cit., p. 154.)
9. "Ascoltava con delizia le prediche. Aveva radicato nel cuore che la parola di Dio è
la guida dell'uomo per la strada del cielo ; perciò ogni massima udita in una predica era per lui
un ricordo invariàbile cui più non dimenticava. Ogni discorso morale, ogni catechismo, ogni
predica, quantunque prolungata, era sempre per lui una delizia. (... ) Di qui ebbe cominciamento
quell'esemplare tenore di vita, quel continuo progredire di virtù in virtù, quell'esatezza
nell'adempimento de' suoi doveri, oltre cui non si può andare." (Vita del giovanetto Savio
Domenico ..., Torino, 1859, chap. VHI, p. 38-39.)
10. Sur l'évolution des idées et des mots, voir l'article d'un salésien compétent E.
Alberich, "L'educazione religiosa oggi : verso un chiarimento concettuale e terminologico", dans
Orientamenti pedagogici, ann. XLIV, n. 2, mars-avril 1997, p. 311-334.
11. "Educare i giovani alla fede. Documenti del Capitolo Generale 23 della Società di
San Francesco di Sales, Roma, 4 marzo - 5 maggio 1990", in Atti 333, mai 1990, 268 p. Voir,
dans ce fascicule, p. 66-96 : "H cammino di educazione alla fede", qui va être résumé ici.
12. " ... attingendo alla carità di Dio che previene ogni creatura con la sua
Provvidenza, l'accompagna con la sua presenza e la salva donando la vita." (Constitutions SDB,
art. 20.)
13. "Educhiamo ed evangelizziamo secondo un progetto di promozione integrale
dell'uomo, orientato a Cristo, uomo perfetto. Fedeli alle intenzioni del nostro Fondatore, miriamo
a formare onesti cittadini e buoni cristiani." (Constitutions SDB, art. 31.)
14. Voir à ce sujet l’article d’Emilio Alberich signalé n. 10, en particulier, p. 321-324,
le paragraphe “Nuovi orizzonti per l’educazione religiosa”. Dans son propre travail, l’auteur est
ici pleinement conscient de l’insuffisance de ses considérations. L’éducation religieuse ne se
ramène pas à une éducation à la foi chrétienne. L’éducateur consciencieux ne peut ignorer qui
n’accèdera très probablement jamais à une foi explicite, tel musulman par exemple, ou tel athée
convaincu. Que faire dans ces cas ?

9.2 Page 82

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236
Eglise
LEglise selon don Bosco
Limage de lEglise a fortement changé dans la famille salésienne entre le
temps de don Bosco, qui était celui de Vatican I, et le temps du recteur Viganô,
qui a suivi Vatican K.
Pour don Bosco, lEglise Romaine, sanctuaire de la seule religion
authentique, était larche unique du salut sur locéan de la Terre. Le prince des
ténèbres, régent de l’empire du mal, sacharnait autour d’elle à perdre les
malheureux humains. La lutte était permanente. Don Bosco dénonçait parmi ses
ennemis les chrétiens “hérétiqueset schismatiques. Luther et Calvin le faisaient
frémir. Nous ne pouvons trouver la vraie religion que dans lEglise Catholique
Romaine, parce qu’elle seule conserve intacte la révélation divine, affirmait son
factum cent fois répété sur les Fondements de la Religion catholique(1ère éd.,
1850). Hors de lEglise Catholique, Apostolique, Romaine, peut-il y avoir un
salut ?, continuait-il. Réponse : Non : hors de cette Eglise nul ne peut se sauver.
De même que ceux qui nentrèrent pas dans l’arche de Noé périrent dans le
déluge, ainsi périt inévitablement celui qui meurt séparé de l’Eglise Catholique,
Apostolique, Romaine, unique Eglise de Jésus Christ, qui conserve seule la vraie
religion.1 LEglise coïncidait probablement pour lui avec le Royaume de Dieu,
que Jésus avait instauré de son vivant, encore quil n’ait, semble-t-il, jamais eu
loccasion de sexprimer sur ce point.
Don Bosco voyait lEglise telle une société institutionnalisée, centrée sur
le pontife romain et strictement cadrée dans la catholicité. Pierre était pour les
siècles le fondement de lédifice ecclésial. Cette société avait dans les cieux pour
chef invisible Jésus Christ “Vérité et Vie” personnifiées, et, sur la terre, son
vicaire, le pape, pour chef visible. Le pape, canal obligé de la puissance divine du
Christ, impulsait à lEglise sa force spirituelle et lui infusait ses saintes lumières. H
la gouvernait bousculée qu’elle était par d’incessantes tempêtes. Lhistoire de
lEglise témoignait, pour don Bosco, de la guerre endémique que les forces du mal
et de l’erreur lui avaient incessamment livrée.2 Dans un ouvrage destiné à préparer
les esprits à Vatican I, pour expliquer et justifier le primat du souverain pontife, il
recourut à une comparaison, qui illustre heureusement pour nous ses conceptions
sur lEglise du Christ.
Dans une armée régulière, écrivait-il, le roi figure au sommet dune
parfaite hiérarchie. Lors des combats, on le trouve soit à la tête de ses troupes,
soit dans son palais, il dresse des plans et des projets et fait expédier sur le
terrain les ordres qui conviennent. Dans ce deuxième cas, sur le lieu de la bataille
le roi se fait remplacer par un général en chef, qui tient sous ses ordres les divers
officiers. Cest par leur intermédiaire que les soldats reçoivent les ordres du chef,
quils connaissent ses volontés et sont menés au combat contre lennemi. Ce qui

9.3 Page 83

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237
advient dans la hiérarchie militaire se retrouve de façon beaucoup plus admirable
dans la hiérarchie ecclésiastique. Jésus Christ, roi puissant, est le chef suprême de
lEglise entière comme de sa hiérarchie. Mais, après être apparu en personne
durant trois années à la tête des siens, parce quil devait abandonner cette terre
pour retourner à son Père céleste, il choisit un homme, saint Pierre, pour le
remplacer en ce monde, qui est le grand champ de bataille. Il lui ordonna de se
mettre à la tête de l’armée de ses fidèles contre le prince des ténèbres, contre les
ennemis des âmes, pour les mener à la conquête du royaume des deux.3
A la suite des apologistes catholiques, don Bosco avait alors depuis
longtemps tenté de démontrer que la seule Eglise romaine était une, sainte et
apostolique. Une, à la différence des Eglises séparées partagées en une multitude
de confessions. Sainte, elle était lunique temple et l’unique réceptacle de la
sainteté ; on ne pouvait prétendre la chercher et la trouver ailleurs. Apostolique,
elle seule avait conservé intact le dépôt sacré de la foi depuis le temps des
apôtres.4
Les conséquences spirituelles de cette ecclésiologie
Cette théologie orientait la spiritualité et la pastorale de don Bosco. Il
nimaginait les non-catholiques que privés de tout don spirituel, parce que séparés
du pape, et donc du Christ et de Dieu même. Le service du Christ se confondait
pour lui avec le service de lEglise. Sa polémique antivaudoise des années 1850 fut
à ses yeux un service dEglise et de Dieu. La charité lui imposait de retirer des
griffes des pasteurs réformés les catholiques que ces pasteurs séduisaient et qui
risquaient ainsi de sombrer rien moins qu’en enfer. H recrutait assurément des
clercs pour l’aider dans son apostolat auprès de la jeunesse, mais aussi, bien
souvent, pour les Eglises diocésaines. Ses missionnaires partaient pour rattacher à
lEglise de pauvres gens sans religion et donc loin de Dieu. Et il plaçait très haut la
soumission à la doctrine et aux rites de l’Eglise romaine.
Lecclésiologie quil professait concentrait son attention religieuse sur le
pape. Il le faisait d’autant plus volontiers quie, jusqu’en 1878, ce pape sest appelé
Pie IX, pontife victime de lunification progressive de lItalie, objet dattaques
incessantes dans la presse, réduit une première fois à senfuir de sa capitale, puis,
après la prise de Rome, à senfermer, tel un prisonnier volontaire, dans son palais
du Vatican. Or Pie IX avait définitivement enchanté don Bosco lors de leur
première rencontre à Rome (1858). Une véritable passion pour ce pape
lenflammait, dautant plus que Pie IX lui manifestait de lamitié et laidait dans ses
entreprises. La définition du primat du souverain pontife par le concile Vatican I
(1870) le combla à un degré devenu pour nous inimaginable. Les conceptions
théologiques et les sentiments de respect, d’affection et de compassion se
conjuguaient en don Bosco pour exalter le pape de Rome, témoin privilégié de
Dieu parmi les hommes. Quand nous avons lapprobation du pape, nous avons
lapprobation de Dieu, quand le pape est content de nous, Dieu lest aussi.”5 Il n’y
avait pas pour don Bosco de dévotion authentique à l’Eglise, qui ne fut dabord et
avant tout une dévotion au pape, vicaire du Christ.

9.4 Page 84

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238
Les successeurs de don Bosco pensèrent lEglise comme il avait fait6.
Souvenons-nous, écrivit don Albera au temps dune crise moderniste, très
critique à légard du pape d’alors signataire de l’encyclique Pascendi, que don
Bosco, marchant sur les traces des saints, nommément de saint François de Sales,
ne se contentait pas dune soumission intellectuelle réduite aux définitions ex
cathedra. D voulait une soumission sincère à tout enseignement du pape, quelle
qu’en soit la forme. Non seulement il suivait et faisait exécuter ses ordres, mais
considérait et voulait que ses fils considèrent comme une loi et un doux
commandement tout avertissement, tout conseil et tout désir du Vicaire de Jésus
Christ.7 Ce recteur intitula :Amour du Vicaire de Jésus Christ” un paragraphe
d’une circulaire réservée aux inspecteurs provinciaux8. On prêcha donc sans cesse
la dévotion au pape dans la famille salésienne du premier siècle. Que chez nous sa
voix (celle du pape) soit toujours vénérée comme la voix de Dieu”9, écrivait alors
tout uniment un supérieur général. Se détacher du pape si peu que ce fût était un
grand malheur, qui mettait en péril le salut du schismatique”. H fallait écouter le
pape vicaire de Jésus Christ”, exécuter ses ordres, prévenir ses désirs, lhonorer
et le faire honorer, prier pour lui, laimer, témoigner en privé et en public de son
affection envers sa personne, en fournir des preuves et, par conséquent, le
défendre dans la mesure de ses moyens, soit par la parole, soit par l’écrit. En
1949, le recteur Ricaldone, dont l’Index des circulaires ne parlera de lEglise que
comme bâtisse, proposait aux salésiens l’étrenne spirituelle : Connaître, aimer,
défendre le Pape.Et l’entrée Eglise du recueil des Atti au temps du recteur
Ricceri (1965-1978) ne comportera quun item ainsi formulé :Pour se sentir dans
lEglise, [sabonner à, lire] VOsservatore Romano hebdomadaire.10 Les salésiens,
les salésiennes et leurs coopérateurs de cette époque servaient lEglise du Christ,
mais à leur manière.
LEglise de la Charte de Communion salésienne (1995)
A partir de 1965, Vatican II transforma progressiment les perspectives.
Les salésiens apprirent à voir dans lEglise, par-delà linstitution sociale gouvernée
par le pape, le corps du Christ, le temple de lEsprit saint et le peuple de Dieu. Le
service dEglise commença désormais par lEglise particulière, dont les
communautés religieuses ne pouvaient sisoler. Le pape continuait d’être vénéré
par les salésiens, mais à l’intérieur dun mystère sacré imprégné par lEsprit Saint.
Le peuple de Dieu, pour lequel ils oeuvraient, nétait plus enfermé dans les
frontières de la catholicité. LEsprit Saint planait sur toute la Création. On
recommandait loecuménisme jusqualors au mieux toléré. Le dialogue remplaçait
l’affrontement dans les relations avec les autres religions. A un degré ou à un
autre, les actes officiels : circulaires des supérieurs, constitutions et règlements
rénovés des salésiens, des salésiennes, des coopérateurs et des volontaires de don
Bosco, sen sont ressentis. Les lettres de don Viganô (1978-1995) se sont sans
cesse référées, explicitement ou implicitement, à la constitution conciliaire sur
lEglise Lumen gentium.
Le virage fut amorcé avec énergie par les chapitres généraux spéciaux des
salésiens et des salésiennes au début des années 1970. Et, à la fin du siècle, la
Charte de communion de 1995 prit solennement acte du nouveau visage de

9.5 Page 85

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239
lEglise dans la théologie catholique contemporaine. Elle constata : La réflexion,
profonde et prolongée, du concile Vatican II s’est concentrée sur la réalité de
l’Eglise-mystère, qui, en tant que peuple de Dieu, se présente particulièrement
comme centre dunité et de communion. Elle construit cette réalité par l’accueil du
don de lEsprit et par une réponse opératoire qui engage de manière convergente
tous les baptisés.11
Toutefois, les différences théologiques ne devraient pas nous abuser sur la
continuité de la tradition. Laccent ne sétait que déplacé. De la génération
ancienne à la génération post-conciliaire, l’amour de la même Eglise a inspiré la
famille salésienne. La Charte de communion na qu’élargi cette Eglise depuis un
centre privilégié jusquà sa circonférence des forces oeuvrant pour le Royaume,
quand elle a annoncé que l’histoire de don Bosco, personnelle aussi bien que
publique, civile comme religieuse, fait de son amour de l’Eglise, centre dunité et
communion de toutes les forces qui travaillent pour Royaume, un trait typique de
son esprit”, et quelle a voulu en aligner les preuves12.
Les conséquences du nouveau discours sur lEglise
Les conséquences du nouveau discours salésien sur lEglise ont été
nombreuses et importantes. Signalons-en quelques-unes. “Tous les baptiséssont
engagés dans la réponse au don de l’Esprit Saint, affirme aujourd’hui la Charte
salésienne. Même sils sont réformés ? En 1991, aux frontières de la société
catholique loecuménisme lancé par le concile implique un changement personnel
de mentalité, pouvait écrire le recteur Viganô en rupture évidente avec l’ancienne
tradition. Cest une dimension fondamentale de toutes les activités de lEglise”,
insistait-il. Elle exige d’approfondir et de repenser lEvangile l’esprit ouvert aux
autres Eglises. Et les païens ? Selon le même recteur, le dialogue avec les autres
religions”, autre nouveauté ecclésiale, impose dy repérer les signes de la présence
du Verbe et de l’action de l’Esprit Saint, en même temps que dapprofondir sa
propre identité pour témoigner soi-même de l’intégrité de la Révélation13. Le
salésien a donc sagement renoncé au monolithisme catholique dantan.
Le membre de la famille salésienne sert désormais systématiquement
lEglise locale. A partir de leur chapitre général spécial (1971-1972), les religieux
salésiens ont sans cesse rappelé les exigences de ce service. Le Règlement primitif
des coopérateurs salésiens ne disait mot de cette Eglise. Selon leur nouveau
Règlement de Vie Apostolique, l’activité apostolique des coopérateurs a une
dimension ecclésiale. Quest-ce à dire ? Voici :Par leur témoignage personnel et
leurs diverses activités apostoliques ils contribuent à la vie de leur propre Eglise
particulière, diocèse et paroisse, et à son édification comme communauté de foi,
de prière, damour fraternel et dengagement missionnaire”14. La Charte de
communion de 1995 affirmera, quant à elle, la volonté de collaborationdes
divers membres de la famille salésienne “dans les Eglises locales et dans la société
(art. 33), ainsi que son estime pour les autres forces ecclésiales” (art. 34).
Le déplacement daccent vers la périphérie ecclésiale na pas sérieusement
atténué l’amour de la famille salésienne pour le souverain pontife, simplement

9.6 Page 86

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240
mieux situé au centre du corps épiscopal. Le recteur Viganò consacra en 1985
toute une circulaire à la “fidélitésalésienne au successeur de Pierre. Cette lettre
nignorait pas les réactions négatives de certains religieux, quelle dénonçait avec
force. Les tensions suscitées par diverses nouveautés culturelles, une certaine
rationalité plus ou moins scientifique, ou simplement des préjugés voudraient faire
apparaître comme signes de maturité personnelle une distanciation critique
habituelle et ime pratique différente de lenseignement magistériel du pape, écrivait
le recteur. Y adhérer avec sincérité vous fait facilement passer pour un arriéré.
Eh non ! L’adhésion filiale des salésiens au pape doit se sentir enracinée dans une
tradition vivante qu’alimentent les sources pures de la foi et qui progresse en
syntonieavec la conscience de l’Eglise dans le temps13. Les constitutions des
Volontaires de Don Bosco se sont exprimées sur ce point avec une heureuse
simplicité : Dans notre Institut chaque Volontaire, à l’exemple de don Bosco,
considère le Pape avec foi et amour ; elle reconnaît en lui le Vicaire du Christ, le
Pasteur de toute lEglise et le Supérieur suprême de notre Institut. Elle lui offre
une fidélité filiale et sans conditions; comme au Christ lui-même qui l’assiste par
son Esprit.16
La conception mystique de lEglise a désormais pénétré la mentalité
salésienne sans pour autant oblitérer son sens traditionnel du concret. Cest une
Eglise très visible qu’aime et sert le salésien. L’Eglise a reçu l’Esprit de Jésus,
elle en réactualise les gestes, elle en fait progresser la mission, enseigne le recteur
Vecchi à la famille salésienne en préparation au jubilé de l’an 2000. Sans
forfanterie, il se range parmi les chrétiens capables de parler de lEglise avec
affection, comme de sa propre famille et même de sa propre mère. Ceux-là savent
qu’en elle et par elle, ils ont reçu la vie de lEsprit. Peut-être en connaissent-ils les
limites, les rides et jusqu’aux scandales. Mais ils ny attachent pas grande
importance au regard des avantages de sa présence pour la personne et pour
l’humanité : les énergies bienfaisantes quelle diffuse, l’expérience de Dieu révélée
par la sainteté qu’elle offre en exemple, la sagesse qui émane de la Parole de Dieu,
l’amour qui rassemble et crée de la solidarité par dessus les frontières nationales et
continentales, le sens de la vie qu’elle propose, les valeurs quelle défend et la
perspective de la vie étemelle17. La famille salésienne admire et aime l’Eglise de
Jésus Christ.
Notes
1. “Noi possiamo solamente trovare la vera religione nella Chiesa Cattolica Romana,
perchè essa sola conserva intatta la divina rivelazione.” “D. Fuori della Chiesa Cattolica,
Apostolica, Romana, si può aver salute ? - R. No : fuori di questa Chiesa niuno può salvarsi.
Nella maniera, che quelli i quali non furono nell’arca di Noè, perirono nel diluvio, così perisce
inevitabilmente colui che muore separato dalla Chiesa Cattolica, Apostolica, Romana, unica
Chiesa di Gesù Cristo, sola conservatrice della vera religione.” ([G. Bosco,] Avvisi ai Cattolici,
Torino, De-Agostini, 1853, p. 11,16-17.) Ces Avvisi ai Cattolici furent ensuite insérés dans les
innombrables rééditions du Giovane provveduto, traductions comprises.
2. Don Bosco a en effet composé au début de sa carrière une Storia ecclesiastica (1ère
éd„ Torino, 1845).

9.7 Page 87

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241
3. G. Bosco, La Chiesa cattolica e la sua gerarchia, Torino, tip. dell’Oratorio di S.
Frane, di Sales, 1869, p. 70-72.
4. Voir en particulier II Cattolico istruito (Torino, 1853), qui est tout entier un ouvrage
d’apologétique élémentaire.
5. ... perchè diceva [don Bosco], quando abbiamo l’approvazione del Papa, abbiamo
l’approvazione di Dio ; quando il Papa è contento di noi, lo è pure Iddio.” (P. Albera, Lettre aux
salésiens, 10 février 1921, L. C., p. 368.)
6. Voir par exemple, dans un cahier inédit, le sermon de retraite de don Rua sur les
notes de l’Eglise, intitulé “La chiesa di G. C.”, reproduit en FdB 2899 E8-11.
7. “Rammentiamo che Don Bosco premendo le orme dei santi, e nominatamente di
San Francesco di Sales, non s’appagava di quella sottomissione d’intelletto che si restringe alle
definizioni ex cathedra, ma voleva la sottomissione sincera a qualunque insegnamento del Papa
e sotto qualunque forma impartito. solamente ne seguiva e faceva seguire gli ordini, ma
reputava e voleva che i suoi figli reputassero qual legge e qual dolce comando ogni avviso, ogni
consiglio, ogni desiderio del Vicario di Gesù Cristo.” (P. Albera, Lettre aux salésiens, 21
novembre 1912, Appendice H : Sommo Pontefice, in L. C., p. 103.)
8. “Amore al Vicario di Gesù Cristo”, in P. Albera, Lettre aux inspecteurs salésiens,
19 juillet 1912, L. C., p. 80-81.
9. “Da noi la sua voce sia sempre venerata come la voce di Dio” (P. Albera, Lettre aux
salésiens, 25 décembre 1911, L. C., p. 63.)
10. “'Chiesa. Per sentirsi nella C., l’Osservatore Romano settimanale.” C'Indice degli
Atti del Consiglio Superiore pubblicati durante il Rettorato di Don Luigi Ricceri”, Atti 288,
octobre-décembre 1977, p. 46).
11. “La riflessione, profonda e prolungata, del Concilio Vaticano ha posto al centro
la realtà della Chiesa-mistero che, nella sua dimensione di popolo di Dio, si presenta
particolarmente come centro di unità e di comunione. Essa costruisce questa realtà accogliendo il
dono dello Spirito e facendosi risposta operativa attraverso l’impegno convergente di tutti i
battezzati.” (Carta di Comunione, art. 27.)
12. “La storia di Don Bosco, quella personale come quella pubblica, civile e religiosa,
esprime un tratto tipico del suo spirito : l’amore alla Chiesa, centro di unità e comunione di tutte
le forze che lavorano per il Regno.” Etc. (Carta di Comunione, art. 14.)
13. L’ecumenismo “è una dimensione fondamentale di tutte le attività della Chiesa”.
“In quanto al “dialogo con le altre religioni” si tratta di un atteggiamento simile a quello
dell’ecumenismo”. Considérations développées dans E. Viganò, Lettre aux salésiens, 24 février
1991, Atti 336, p. 27-28.
14. “L’attività apostolica dei Cooperatori ha dimensione ecclesiale. Con la
testimonianza personale e le diverse attività di apostolato essi contribuiscono alla vita della
propria Chiesa particolare, diocesi e parrocchia, e alla sua edificazione come comunità di fede, di
preghiera, di amore fraterno e di impegno missionario.” (Regolamento di Vita Apostolica, art.
18, § 1.)
15. ... antichi e nuovi pregiudizi vorrebbero far apparire come segno di personalità o
maturazione Patteggiarsi a un abituale distanziamento critico o il prescindere nella pratica dalla
guida del magistero del Papa. Se qualcuno dimostra sincera adesione viene considerato
facilmente come un arretrato.” ... “Con Don Bosco e con i tempi ! La nostra filiale adesione al
Papa deve oggi sentirsi radicata in ima Tradizione viva che si alimenta alle sorgenti cristalline
della fede ma che progredisce in profonda sintonia con la crescita della coscienza stessa della
Chiesa.” (E. Viganò, Lettre aux salésiens, 3 septembre 1985, Atti 315, p. 13-14). La lettre
intitulée “La nostra fedeltà al successore di Pietro”, ibidem, p. 3-33.
16. “Nel nostro Istituto ogni Volontaria, sull’esempio di don Bosco, guarda al Papa
con fede e amore, e riconosce in lui il Vicario di Cristo, il “Pastore di tutta la Chiesa” e il
Superiore supremo del nostro Istituto. A lui offre una filiale incondizionata fedeltà.”
(Constitutions VDB, art. 67.)
17. D’après J. Vecchi, “Le parole del Giubileo. Chiesa”, Bollettino salesiano,
septembre 1997. On lit dans le sous-titre de l’article : “Adesione alla Chiesa, per conoscere Gesù
ed essere dei suoi, giudicandola con affetto, quasi fosse una madre. La Chiesa ha ricevuto lo
Spirito di Gesù, riattualizza oggi i suoi gesti, porta avanti la sua missione.”

9.8 Page 88

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242
Engagement social
L’engagement social des salésiens
A la fin de la deuxième guerre mondiale, l’engagementdevint, en
Occident, lun des mots d’ordre des intellectuels et des artistes du temps. Us
renonçaient à une position de simples spectateurs et mettaient leur pensée ou leur
art au service dune cause. Une partie des gens dEglise suivirent. Il leur fallait eux
aussi “s’engager. Durant les années 1970, le terme impegno (engagement), que
l’on chercherait vainement en ce sens dans les documents officiels antérieurs,
s’insinua dans les textes salésiens. Le chapitre général spécial des salésiens de
1971-1972 consacra un long article à l’engagement des salésiens pour la justice
dans le monde”. Et toute la famille salésienne se découvrit engagée. En 1975, un
colloque international sur la vie salésienne tenu en Allemagne prenait déjà pour
thème l’engagement de la famille salésienne pour la justice.1
Bien entendu, le monde de don Bosco ne sétait jamais contenté de
regarder la société pour la laisser courir à son train. Le salut des âmesexige de
se démener. On ne forme pas de bons chrétienset d“honnêtes citoyensen
rêvant à l’avenir. Assurer du pain, un toit et une éducation à des orphelins impose
des veilles et des sueurs. Les modes de leurs engagementsont pu varier, les
salésiens, les salésiennes et leurs coopérateurs se sont dès lorigine
systématiquement engagésdans une pratique au service de la société.
Laction sociale de don Bosco
Don Bosco ne fut certainement pas un pionnier en matière sociale2. A la
différence de ses contemporains Lamennais, Proudhon ou Saint-Simon, il nouvrit
aucun sentier. Sa gloire fut différente. Il servit largement la société de son temps,
surtout par l’éducation des pauvres et des petits. Un projet social relativement net
le guidait et un certain nombre de moyens que son charisme lui permettait de
développer lui en facilitaient lexécution.
H dessinait ce projet à partir dun modèle de société nécessairement daté,
qui était celui du monde libéral, pyramidal et peu rationalisé quil connaissait. La
théologie qui l’inspirait ignorait - pour cause ! - la sécularité contemporaine ; elle
donnait donc aux valeurs religieuses et morales une place de premier plan dans la
vie sociale elle-même et s’accommodait dun cléricalisme alors florissant. Enfin il
recourait à des moyens en vogue autour de lui, qui étaient l’association (surtout
l’association à motivation religieuse, comme la congrégation salésienne, linstitut
des filles de Marie auxiliatrice ou l’union des coopérateurs salésiens), lécole
chrétienne, dont l’“oratoire”, tel quil le pensait, était somme toute une heureuse
variante, enfin la bonne presseet la prédication missionnaire. Il noptait donc
pas pour ces instruments plus modernes que sont le syndicat, le parti, le

9.9 Page 89

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243
mouvement, l’organisation daction catholique ou encore le geste prophétique
répercuté par les mass-média aux quatre coins de la planète. Entre le combat plus
ou moins violent et lexplication persuasive, il choisissait systématiquement, au
nom de la charité et de l’efficacité, le parti de la douceur et de lentente. En
principe, il refusait pour lui-même et pour les siens lengagement politique. La
réalité de la lutte des classes ne simposait pas à lui. H ne prétendait pas
révolutionner la société, ni même la réformer. Il voulait seulement - mais c’était
déjà énorme - rénover ou restaurer une cité chrétienne.
L’engagement salésien dans un monde nouveau
Cette utopie généreuse devenait mal praticable dans un âge de
mondialisation progressive et de pluralisme social généralisé. Sauf à perdre son
âme, lengagement salésien se devait de rester chrétien. Mais répéter les oeuvres
conçues par don Bosco pour son siècle et dans son esprit, cest-à-dire selon son
modèle de société, ne pouvait que s’avérer risqué, peut-être même suicidaire, dans
la deuxième moitié du vingtième siècle. H fallait adapter lengagement social
salésien à des temps perpétuellement nouveaux, comme dailleurs lui-même l’avait
fait pour son compte. Con don Bosco e coi tempi(avec don Bosco et avec les
temps) devint un slogan des assemblées générales de la famille salésienne, slogan
au reste plus facile à déclamer quà appliquer. L’engagement chrétien des salésiens
dans la société prit un sens jusqualors plus ou moins inconnu3.
Nous sommes au temps de l’encyclique audacieuse de Paul VI Populorum
progressio (1967). Dans la mesure de leurs moyens, les fils et les filles de don
Bosco participeraient à la construction, non plus spécialement dune cité
chrétienne, mais dun monde plus humain. La doctrine sociale de lEglise leur
servirait de phare. Les destinataires de leurs engagements sociaux ne changeraient
pas : ce serait toujours les jeunes, surtout les plus défavorisés, ainsi que les
catégories populaires. Mais les perspectives pédagogiques ne seraient plus
exactement les mêmes. Désormais, comme dans les pays dits de mission, les
interlocuteurs des salésiens ne seraient plus supposés chrétiens, mais seulement
christianisables, et souvent à un degré très éloigné dune foi professée au Dieu des
chrétiens. Un bon musulman leur paraîtra préférable à un chrétien amoral et sans
convictions. H importe avant tout dassumer en soi le dessein damour de Dieu,
qui se confond avec le vrai bien. Le salésien a pour mission dy aider les gens.
L’évangile inspirera ses entreprises de promotion humaine. Selon une formule que
les salésiens affectionneront, ils éduqueront en évangélisant et ils évangéliseront en
éduquant. Les communautés de religieux et les groupes de coopérateurs et de
Volontaires de don Bosco orienteront leurs oeuvres en ce sens, quil s’agisse de
centres de jeunesse (oratoires), décoles, de centres de loisirs, de foyers
dévangélisation ou de charité, d’associations humanitaires, de communication
sociale par mass média et même de simples présences significatives. Sans
nécessairement catéchiser les populations, ils diffuseront de la sorte l’Esprit de
Jésus Christ, qui est celui de Dieu créateur et sanctificateur. Et ils le feront à la
manière de don Bosco.

9.10 Page 90

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244
Dans leurs constitutions rénovées, les filles de Marie auxiliatrice ont
exprimé ce programme éducatif avec limpidité : Eduquer les jeunes à discerner
dans leur vie le dessein de Dieu et à lassumer comme une mission est le but vers
lequel tend notre action pastorale. Ouvertes aux perspectives spécifiques de la
vocation de la femme dans l’Eglise, nous essaierons de rendre les jeunes sensibles
aux grands problèmes d’aujourd’hui et capables de participer avec compétence et
esprit évangélique à la construction dune société qui réponde mieux aux
aspirations de la personne humaine4.
Lengagement salésien pour la justice
Les documents de la deuxième conférence générale de l’épiscopat
latino-américain (Medellin, 22 août - 6 septembre 1968) ont influencé les
réflexions salésiennes des années qui suivirent. N’oublions pas que les salésiens
étaient et restent très présents en Amérique du Sud. Or Medellin décrivait
constamment la situation de cette région en termes dinjustice que lon peut
qualifier de violence institutionnalisée”. H ne faut pas abuser de la patience dun
peuple qui supporte depuis des années une condition quaccepteraient difficilement
des hommes qui auraient une meilleure conscience des droits de lhomme”. Toutes
les conditions dinjustice méritaient des dénonciations identiques, estimait alors
lopinion salésienne moyenne. Le chapitre général spécial de 1971-1972 réclama
donc l’engagement des salésiens pour la justice dans le monde5. On perçoit dans
ses déclarations des échos de la théologie de la libération. Lavènement de la
justice revêt de nos jours une urgence particulière, commença-t-il. Par conséquent,
selon l’esprit des béatitudes évangéliques les salésiens sengagent dans une action
intensément éducative, ils seront à la fois témoins et promoteurs de la justice
dans le monde. Cette action s’exercera auprès des jeunes et des adultes
responsables de la libération des pauvres. Elle se devra dêtre efficace pour
lavènement de la justice, mais en cohésion avec les orientations des Eglises
locales et de la congrégation salésienne. Et le chapitre de proclamer
successivement : Nous choisissons la ligne du progrès des peuples”, Nous
refusons tout compromis avec toute forme dinjustice sociale et toute collusion
avec la richesse et le pouvoir”, Nous collaborons à la promotion du monde
ouvrier et des émigrants, Nous adoptons un style de vie pauvre, Nous posons
quelques gestes prophétiques6. Le chapitre dégageait aussi une spiritualité de
lengagement social pour la justice. Elle a, disait-il, comme source et âme vivante
la charité du Christ sauveur ; pour motivations les exigences de l’évangile et la
volonté de secourir le Christ lui-même dans les pauvres : Javais faim et vous
mavez nourri(Matthieu 25, 35) ; pour but de coopérer à la mission de lEglise
animatrice de lordre temporel selon lesprit de l’évangile ; pour effet immédiat
daider à la révélation de l’amour et de l’oeuvre salvatrice du Christ, et enfin, pour
style, celui de don Bosco, qui est empreint de bonté promotrice de dialogue et use
simultanément de la raison, de la religion et de l’affection7. Quand, peu après ce
chapitre, les coopérateurs salésiens élaborèrent un nouveau règlement
(provisoire), ils rédigèrent dans le même esprit un article sur “l’engagement
personnel pour la justice8. Le programme, probablement un peu naïf pour des
religieux de vie active obligés de tenir compte de l’argentet du pouvoir”, était
au moins dune belle générosité.

10 Pages 91-100

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10.1 Page 91

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245
L’engagement social salésien de la fin du vingtième siècle
Le chapitre général spécial des salésiens les avait entraînés dans la
réforme des structures mêmes de la société, une réforme à laquelle ils ne se
sentaient pas vraiment destinés. Les violences révolutionnaires plus ou moins
impliquées par le programme leur répugnaient et les effrayaient. Us voulaient à la
fois la justice et la paix. Et puis, que devenait dans l’aventure leur mission
première d’éducateurs ? Les directives du dernier quart de siècle ramenèrent peu à
peu leur attention sur la culture et sur la promotion des personnes dans la société.
La politique, dans laquelle don Bosco avait demandé de ne pas sengager,
continuait-elle d’être interdite à la famille salésienne ? Jusquau temps du recteur
Ricaldone (+ 1951), la prohibition avait été formelle. Mais, en un siècle, les choses
avaient changé avec linstallation de la démocratie, au moins dans les pays
occidentaux, remarquait-on désormais. Pour l’ensemble des citoyens, la politique
(mot alors pourvu d’un P majuscule par le recteur Viganô) sy confond avec la
recherche et le service du bien commun. A ce niveau, nul citoyen ne peut sy
soustraire et refuser sa quote-part, habituellement par son bulletin de vote. L’autre
niveau de la politique est celui de l’exercice du pouvoir dans la société civile, en
principe pour le même bien commun. LEglise comme telle na pas, sauf
exceptions, à assumer ce pouvoir. Les clercs et les mouvements ecclésiaux ny ont
donc pas leur place. La responsabilité du pouvoir appartient aux laïcs qui en
ressentent les capacités et aux organismes qui les regroupent. Tout membre de la
famille salésienne doit sintéresser au premier niveau de la politique. Lexercice de
la politique - deuxième niveau -, même indirectement à travers les partis, doit être
laissé aux non-religieux9.
Les constitutions rénovées des religieux salésiens (1984) réservèrent un
article soigné à leur engagement social. Sans renier les principes de 1971, elles les
adoucissaient par des appels à la paix et leur donnaient une forme moins abrupte.
Larticle commençait par un rappel : Nous travaillons dans les milieux populaires
et pour les jeunes pauvres. Nous les éduquons à [prendre] leurs responsabilités
morales, professionnelles et sociales en collaborant avec eux.Cela dit, il passait à
la question devenue inévitable de l’engagement pour la justice, mais le faisait à
l’intérieur de l’Eglise et en y associant systématiquement la paix, cette ennemie de
la violence : Nous participons en qualité de religieux au témoignage et à
lengagement de lEglise pour la justice et pour la paix. Restant indépendants de
toute idéologie et de toute politique de parti, nous refusons tout ce qui favorise la
misère, l’injustice et la violence, et nous coopérons avec ceux qui construisent une
société plus digne de lhomme.10
Les salésiens ne se sentaient pas de dispositions pour la réforme des
structures de la société. En revanche, pensaient-ils, la culture, dont on se mettait
à beaucoup parler autour d’eux, relevait de leur domaine apostolique. Le recteur
du temps donnait un sens précis à ce vocable éminemment élastique. Il lui
attribuait la compréhension la plus large, celle qui englobe toutes les formes
acquises du comportement humain, quand il enseignait que la culture, au sens

10.2 Page 92

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246
anthropologique” du mot, est une dimension de l’homme. Cest une manière
dêtre homme (ou femme !) dans la société.11 Et il affirmait : Nous considérons
la culture comme la patrie de notre mission.12 Car l’éducation est fondamentale
pour toute culture. Si nous voulons que le peuple ait une culture, un processus
éducatif (initial et permanent), qui en garantisse la qualité et le développement,
simpose, poursuivait-il à l’intention de toute la famille salésienne. H ne nous est
pas permis doublier que don Bosco a choisi ce chemin pour notre mission. En
conséquence, les initiatives qui nous éloignent du champ de l’éducation culturelle
sont suspectes à nos yeux et peuvent constituer une véritable déviation.13 A
linverse, l’instrument éducatif désormais prépondérant des moyens de
communication sociale mérite toute l’attention des fils de don Bosco. Le recteur
majeur secouait son monde sur ce point. Les disciples du saint ne pouvaient se
barricader dans leurs collèges. Une nouvelle frontière sest ouverte à notre action
auprès des jeunes et du peuple, remarquait-il. Nous devrions nous sentir stimulés
à nous engager et éviter de nous enfermer dans un seul secteur doeuvres
déducation. H faut dire à cet endroit que nous devons nous bien éveiller, savoir
être créatifs, ressentir fortement le problème et savoir collaborer avec l’Eglise
locale qui a peut-être déjà des initiatives à cet égard.14
Stimulés par une tradition en mouvement, les rédacteurs du Règlement de
Vie Apostolique des coopérateurs (1986) s’efforcèrent de définir nella realtà
sociale(dans la réalité sociale) les modalités dengagement des salésiens
non-religieux (pensés à cet endroit et par un léger abus - car ils peuvent être
prêtres - uniformément laïcs). Us entendent ne rien négliger de l’ordre temporel.
Leurs engagements touchent à la culture, à léconomie et à la politique. Le
coopérateur fidèle à lEvangile et aux indications de l’Eglise“se forme une
conscience droite sur sa propre responsabilité et sa participation à la vie sociale,
quil sagisse de la culture, de léconomie ou de la politique. Le règlement détailla
les refus nécessaires et les actions souhaitables. (Le coopérateur salésien) refuse
tout ce qui provoque et alimente linjustice et l’oppression, l’exclusion et la
violence, et il agit courageusement pour en supprimer les causes.” Et puis, “il
sengage à corriger et à renouveler les mentalités et les moeurs, les lois et les
structures des milieux au sein desquels il vit et opère pour les rendre plus
conformes aux exigences de liberté, de justice et de fraternité.Le coopérateur
reconnaît la puissance des associations dans les transformations sociales. L’action
individualiste ne mène pas loin. Pour donner plus defficacité à ses interventions, il
sinsère, selon ses capacités et ses disponibilités, dans les structures culturelles,
syndicales et socio-politiques.
Dans le même article, le Règlement de Vie Apostolique prenait position
sur les formes d’engagement de l’Association des Coopérateurs elle-même, qui est
une institution dEglise. L’Association en tant que telle, de par sa nature
ecclésiale et selon la pensée de don Bosco, demeure étrangère à toute politique de
parti. Toutefois elle intervient courageusement et se conforme aux directives de
lEglise locale pour la proposition et la défense des valeurs humaines et
chrétiennes. Elle éclaire ses membres et les encourage à assumer de manière
responsable leurs engagements dans la société. Enfin, par des coopérateurs
qualifiés, elle se rend présente aux mouvements apostoliques et aux organismes

10.3 Page 93

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2M
qui oeuvrent spécialement pour la jeunesse et la famille, pour la solidarité avec les
peuples en voie de développement et pour la promotion de la justice et de la
paix.”15
Cétait le programme dengagement social que la famille salésienne se
donnait pour le siècle sur le point de souvrir.
Notes
1. CGS 67-77 ; les actes du colloque de Jünkerath édités dans le volume collectif
L’impegno della Famiglia salesiana per la giustizia (coll. Colloqui sulla vita salesiana 7),
Leumann, LDC, 1976.
2. Je reprends ici quelques conclusions de mon article “L’azione sociale dei cattolici
del secolo XIX e quella di don Bosco”, dans L’impegno della Famiglia salesiana per la
giustizia, op. cit., p. 21-87.
3. Voir, de ce point de vue, la prise de conscience d’un monde nouveau dans les
chapitres généraux des salésiens en 1965, 1971-1972 et 1990, et des filles de Marie auxiliatrice
en 1969, 1975 et 1990, décrite par Mario Midali “Educazione alla fede e impegno sociale. La
progressiva consapevolezza della Famiglia Salesiana postconciliare”, dans le collectif La
dottrina sociale della Chiesa strumento necessario di educazione alla fede. Atti della XV
Settimana di Spiritualità della Famiglia Salesiana, Rome, éd. SDB, 1992, p. 93-139.
4. “La mèta a cui deve tendere la nostra azione pastorale è educare le giovani a
discemere il disegno di Dio sulla propria vita e ad assumerlo come una missione. Aperte alle
particolari prospettive della vocazione della donna nella Chiesa, cercheremo di renderle sensibili
ai grandi problemi dell’oggi e capaci di contribuire con competenza e spirito evangelico
all’edificazione di una società più rispondente alle aspirazioni della persona umana.”
(Constitutions FMA, art. 72.)
5. CGS 67-77.
6. “1) Scegliamo la linea del progresso dei popoli. 2) Rifutiamo ogni compromesso con
qualsiasi forma di ingiustizia sociale e ogni collusione con la ricchezza e la potenza. 3)
Collaboriamo per la promozione del mondo operaio e degli emigranti. 4) Adottiamo uno stile di
vita povera. 5) Poniamo alcuni gesti profetici.” (CGS 72-76).
7. CGS 77.
8. Nouveau Règlement des Coopérateurs salésiens, Rome, éd. SDB, 1974, art 10.
9. D’après E. Viganò, “La nuova evangelizzazione impegna ad approfondire e a
testimoniare la dimensione sociale della carità”, dans le collectif La dimensione sociale della
carità. Atti della XTV Settimana di Spiritualità della Famiglia Salesiana, Rome, éd. SDB, 1991,
p. 285.
10. “Lavoriamo in ambienti popolari e per i giovani poveri. Li educhiamo alle
responsabilità morali, professionali e sociali, collaborando con loro. [... ] Partecipiamo in qualità
di religiosi alla testimonianza e all’impegno della Chiesa per la giustizia e la pace. Rimanendo
indipendenti da ogni ideologia e politica di partito , rifiutiamo tutto ciò che favorisce la miseria,
l’ingiustizia e la violenza, e cooperiamo con quanti costruiscono una società più degna
dell’uomo [... ]” (Constitutions SDB, art 33.)
11. Voici l’explication du recteur Viganò : “Un altro settore importante : la cultura.
Don Bosco è stato un promotore della cultura popolare. Allora era assai diffuso l’analfabetismo,
e la cultura aveva un significato “illuminista” ; era privilegio di alcune persone di alta società o
di particolari studi. Oggi, invece, la cultura ha un senso “antropologico”, si riferisce alla crescita
della coscienza sociale di tutto il popolo ; è una maniera di essere uomini in società ; ha come
elemento fondamentale l’educazione, qual settore primario della cultura.” (“La nuova
evangelizzazione...”, art. cit., p. 273.) Voir, ci-dessous, l’entrée Inculturation.
12. “Noi consideriamo la cultura come la patria della nostra missione.” (E. Viganò,
“La nuova evangelizzazione ...”, art. cit., p. 286.)

10.4 Page 94

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248
13. “Non è lecito mai dimenticare che Don Bosco ha scelto questa via per la nostra
missione. Perciò il tipo di iniziative che ci allontana dall’ambito educativo culturale rimane per
noi sospetto e può essere vocazionalmente deviante.” (E. Viganò, art. cit., ibidem.)
14. “Ci dovremmo sentire stimolati a impegnarci e ad evitare di rinchiuderci su un
solo settore di opere educative. Qui bisogna dire che dobbiamo svegliarci bene, saper essere
creativi, sentire vivamente il problema e saper collaborare con la Chiesa locale che magari ha già
delle iniziative al riguardo.” (E. Viganò, art. cit., p. 287.)
15. Voici l’ensemble de l’article : “§ 1. Il Cooperatore, fedele al Vangelo e alle
indicazioni della Chiesa, - si forma una coscienza retta della propria responsabilità e
partecipazione alla vita sociale negli ambiti della cultura, dell’economia, della politica ; - rifiuta
tutto ciò che provoca e alimenta l’ingiustizia e l’oppressione, l’emarginazione e la violenza, e
agisce coraggiosamente per rimuoverne le cause ; - si impegna a risanare e a rinnovare le
mentalità e i costumi, le leggi e le strutture degli ambienti in cui vive e opera per renderle più
conformi alle esigenze evangeliche di libertà, di giustizia e di fraternità ; - per dare più efficacia
al suo intervento, si inserisce, secondo le proprie capacità e disponibilità, nelle strutture culturali,
sindacali, socio-politiche. § 2. L’Associazione in quanto tale rimane estranea ad ogni politica di
partito, per la sua natura ecclesiale e secondo il pensiero di Don Bosco. Tuttavia interviene
coraggiosamente, seguendo le direttive della Chiesa locale, per promuovere e per difendere i
valori umani e cristiani. Illumina e stimola i singoli Cooperatori ad assumere responsabilmente i
propri impegni nella società. Per mezzo di Cooperatori qualificati, si rende presente in
movimenti apostolici e in organismi che si prefiggono specialmente il servizio alla gioventù e
alla famiglia, la solidarietà con i popoli in via di sviluppo e la promozione della giustizia e della
pace.” (Regolamento di Vita Apostolica, art. 11.)

10.5 Page 95

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249
Espérance
L’espérance naturelle au spirituel salésien
Leur maître en spiritualité et le monde qui est le leur font des disciples de
don Bosco des hommes et des femmes despoir humain et despérance
théologale.1
François de Sales, ce saint optimiste, fut un homme despérance2. Son
humanisme lui donnait confiance en la créature humaine destinée à être un digne
enfant de Dieu. Plutôt qu’une vertu ascétique, l’espérance prenait chez lui, dans sa
vie comme dans ses écrits, une forme mystique. Elle imprégnait l’être spirituel.
Toute la vie chrétienne lui paraissait emplie de l’amour que Dieu porte à son
humble créature. Le Christ rédempteur, tête du corps mystique, est mort d’amour
et pour l’amour de son Père. Dieu, présent à la vie humaine, appelle lhomme à
s’unir à lui dans l’amour, autrement dit le destine à la béatitude dans la vie
étemelle. La personne ainsi sollicitée ne peut être (ou : ne devrait être) que
réponse confiante à l’immense amour de Dieu. Elle se doit de choisir librement le
plus grand bien dans le plus grand amour pensable. L’optimisme de François
senracinait dans ces certitudes. Les faiblesses humaines, quil réprouvait,
suscitaient son regard indulgent. H témoignait d’une confiance tranquille dans le
développement spirituel de tous ceux qui acceptaient d’entrer dans une “vie
dévote”.
La spiritualité salésienne, répète-t-on au disciple de don Bosco, est une
spiritualité juvénile. La mission qu’il assume le fait participer à lespérance
naturelle à la jeunesse. Pouvoir marcher, parler, grandir, apprendre et savoir
suppose chez le petit dhomme un espoir inné en lavenir. Que ne ferai-je pas
demain, quand je serai grand ? Ce garçon se voit casqué, cuirassé et chevauchant
une grosse moto avec sa copine derrière lui. Cette fille s’imagine star dans un
grand film et photographiée sur la couverture des magazines. La jeunesse est le
temps des espoirs naïfs et un peu fous. Lavenir lui apportera le bonheur, elle le
sait, elle le croit, elle en a la conviction. Les forces qui montent en elle le lui
répètent. Certes les adolescents butent aussi sur leur environnement et sur
eux-mêmes. Us apprennent à leurs dépens que les déceptions jalonnent toute vie.
Parfois le suicide les tente, ils perdent tout espoir et succombent. Mais alors, que
de questions devant un geste incompréhensible ! La jeunesse ne devrait ère que le
temps de lespérance.
Patronage de saint François de Sales et “mentalité juvénilese conjuguent
pour imbiber despérance théologale et d’espoir humain la spiritualité de la famille
salésienne.

10.6 Page 96

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250
Une confiance joyeuse et génératrice dinitiatives
Dans l’idéal, le disciple de don Bosco, résolument optimiste et confiant en
Dieu, ne se laisse pas vaincre par les difficultés de lexistence. Que rien ne te
trouble, disait et répétait don Bosco. Le disciple croit aux ressources naturelles et
surnaturelles de lhomme, sans pour autant ignorer sa faiblesse. Il retient tout ce
qui est bon, surtout quand cela plaît à la jeunesse. Parce quil annonce la Bonne
Nouvelle, il est toujours joyeux et répand de la joie autour de lui. Servons le
Seigneur dans une sainte allégresse”, recommandait don Bosco aux lecteurs de
son Giovane prowedutd*.
Le membre de la famille salésienne ne craint pas les engagements
nouveaux, qui supposent de la confiance en lavenir. H a désormais appris à relier
l’attente du Royaume de Dieu dans l’espérance théologale et l’attente dune
nécessaire instauration - certes toujours précaire et imparfaite, parce que
temporelle - de plus de justice et de paix sur terre, objet de laspiration et de
l’espoir des peuples. H sait que les énergies spirituelles du Royaume exercent sur
la promotion des valeurs humaines une action illuminatrice et vivificatrice.
L’espérance théologale purifie, affermit et soutient lespoir humain. Conscient du
don de l’espérance, il se sait sollicité par les tâches urgentes de la construction de
la cité, et, en fonction de son état de clerc ou de laïc, y contribue de son mieux.4
Tenu de garder le sens du concret, le membre de la famille salésienne
demeure attentif aux signes des temps”, persuadé que le Seigneur manifeste aussi
son vouloir à travers les urgences des lieux et de linstant. Son esprit d’initiative
naît de là. Nullement frileux, don Bosco se voulait témérairequand le bien de la
jeunesse désemparée ou le salut des âmes étaient en jeu. H confiait un jour à l’un
de ses amis : ’’Chaque fois quil sagit du bien de la jeunesse en péril ou de gagner
des âmes à Dieu, je cours en avant jusquà la témérité.5 Des réponses opportunes
aux nécessités rencontrées amènent son disciple à suivre le mouvement de
lhistoire et à l’assumer avec la créativité et l’équilibre du maître par les
vérifications périodiques de son action.6
Les chemins de lespérance
Les membres de la famille salésienne se voudraient semeurs despérance.
Les religieux se sont mis à la recherche d’une méthode pour cet art difficile. En
1994, ils ont conclu une semaine de réflexion par une série de considérations, dont
voici un choix un peu organisé.
Pour la diffuser, il faut dabord être soi-même homme ou femme
d’espérance. Le regard du croyant qui vit dans l’espérance traverse le visible pour
atteindre au mystère. H reconnaît le mystère de salut et damour dans lequel il se
trouve immergé. Pour lui la vie a un sens. LEsprit du Christ ressuscité, en qui
tout est récapitulé, le lui donne et lui permet de dépasser la mort. Le désordre en
soi-même est nocif à l’espérance, la solidité spirituelle la favorise. Lespérance
théologale comme lespoir humain supposent la reconnaissance du dynamisme de
toute vie, quelle soit personnelle ou collective : l’aujourd’hui construit le
lendemain. Qui se renferme sur son monde propre, pense et vit en égoïste, est

10.7 Page 97

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251
incapable de sentiments de solidarité avec son prochain immédiat, mais aussi avec
ceux qui sont loin. H n’espérera pas grand chose de la société. Au contraire, qui
partage avec dautres son temps, ses ressources et son savoir, ne serait-ce que par
le dialogue amical, pensera et se comportera différemment.
Lhomme ou la femme d’espérance lutte contre le défaitisme environnant,
dans la conviction que lespoir naît fréquemment du désert et se développe aussi
dans des conditions difficiles. Salésien, lêtre despérance tâche dêtre présent au
monde, en particulier à la jeunesse quil veut former et éduquer. La qualité de sa
présence le préoccupe, car il est des présences désespérantes. Attentif aux valeurs
positives des autres, dans ses relations avec autrui, soucieux lui-même de
communion en esprit, il sefforce de combler la distance quengendre souvent le
langage. Pour le disciple de don Bosco, le chemin privilégié de lespérance est un
chemin de bonté et même de gentillesse7.
Cependant, le mal existe terrible, universel. Dans la nature soudain
hostile, dans lhomme surtout. Lhorizon du monde, supposé radieux par les
discours apaisants, est, pour beaucoup sur cette terre, rempli de flammes et de
cadavres. La méchanceté et la haine déterminée submergent des familles, des villes
et des populations entières. Elles ont beau se démener : à vues humaines la
situation peut et doit même être alors dite proprement désespérée. Que devient
l’espérance dans l’horreur des destructions et de la mort innombrable ? Depuis
toujours, dans les temps dépouvante la malheureuse humanité se tourne vers la
divinité, elle invoque son aide. Dieu, nous périssons !” H nest plus de recours
quen Lui ou en ses représentants. Le chrétien fervent, pour sa part, regarde la
croix. Il se dit que le Christ pantelant lui indique la route de la résurrection et de
l’étemité. Son espérance, qui ne repose plus qu’en Dieu, sest purifiée. Que ta
volonté soit faite, Seigneur !Le disciple de saint François de Sales nespère plus
que la vie étemelle”, si Dieu son Père veut bien le recevoir en son sein.
Notes
1. Le Dicastère pour la Famille salésienne a organisé dans la maison générale de
Rome, entre le 24 et le 29 janvier 1994, une semaine d’études sur l’espérance en spiritualité
salésienne. Ses résultats ont été aussitôt publiés sous le titre I Sentieri della speranza nella
spiritualità salesiana, Rome, éd. SDB, 1994,314 p.
2. Voir, dans le volume cité I Sentieri della speranza .., p. 151-161, l’article de
Valentin Viguera, “Speranza e ottimismo in san Francesco di Sales. Selezione di testi e
presentazione’’, dont les conclusions vont être reprises ici.
3. Ces lignes adaptent l’article 17 des constitutions des salésiens de don Bosco.
4. Voir Vatican II, Lumen gentium, n. 48 et Gaudium et spes, n. 39.
5. “Nelle cose che tornano a vantaggio della pericolante gioventù o servono a
guadagnare anime a Dio, io corro avanti fino alla temerità.” (G. Bosco à Carlo Vespignani,
Turin, 11 avril 1877.)
6. D’après les constitutions SDB, art 19.
7. Les considérations de ce paragraphe ont été empruntées à un tableau intitulé : “La
spiritualità salesiana dalla parte della speranza”, qui, dans I Sentieri della speranza .., op. cit., p.
308-309, rassemble les conclusions de la Semaine de spiritualité sur l’espérance.

10.8 Page 98

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252
Esprit Saint
L’Esprit Saint dans la vie salésienne consacrée
H a fallu attendre le dernier quart du vingtième siècle pour que des
mentions de l’Esprit Saint (Spirito Santo) commencent de figurer dans les tables
des actes officiels de la famille salésienne. Jusqualors les constitutions des instituts
de vie consacrée avaient une forme exclusivement juridique. Et, dans leurs
exhortations, les recteurs majeurs successifs, certainement convaincus de l’action
du Saint Esprit dans loeuvre héritée de don Bosco, ne parlaient pas de Lui. Il est
arrivé à don Rua de regretter le silence salésien sur la dévotion au Saint Esprit.
Nous pensons trop peu à lui”, aurait-il dit à lun de ses intimes.1 Don Bosco et
ses successeurs vivaient de lEsprit, mais se taisaient sur sa présence et son action.
Puis la théologie ambiante amena les salésiens et les salésiennes à bien
marquer le caractère trinitaire de leur spiritualité. Le recteur Viganô proclama
dans son discours-programme de 1978 que, si le Verbe est révélateur du Père, le
Saint Esprit est don”. Sa mission est une mission damour, qui nous immerge en
Jésus Christ, nous incorpore en lui, nous fait devenir membres de son Corps
mystique, nous fait croître dans l’Eglise catholique, nous fait comprendre et
approfondir la parole révélée, nous donne enfin lenthousiasme de la docilité, de
l’écoute, du contempler, du méditer.2
Les constitutions rénovées des trois instituts salésiens de vie consacrée
reconnurent d’emblée toute leur place au Père, au Fils et à lEsprit. Le premier
article des constitutions salésiennes de 1984, lEsprit Saint reparaît de
proposition en proposition, fut particulièrement éloquent. H dit : Humblement et
avec action de grâce, nous croyons que la Société de saint François de Sales est
née, non d’un simple projet humain, mais par linitiative de Dieu. Pour contribuer
au salut de la jeunesse [ ... ], l’Esprit Saint suscita, avec l’intervention maternelle
de Marie, saint Jean Bosco. Il forma en lui un coeur de père et de maître, capable
de se donner totalement [ ... ] Pour prolonger sa mission dans le temps, il le
conduisit à donner naissance à diverses forces apostoliques, en tout premier lieu à
notre Société. LEglise y a reconnu laction de Dieu [ ... ] Dans cette présence
active de lEsprit, nous puisons lénergie de notre fidélité et le soutien de notre
espérance.”3
Quant à elles, au début de leurs propres constitutions, les filles de Marie
auxiliatrice ne multiplièrent pas les considérations pour détailler le contenu du
don de l’Esprit Saint”, qui fut à l’origine de leur congrégation. Larticle initial
annonça simplement : Par un don de lEsprit Saint et grâce à l’intervention
directe de Marie, saint Jean Bosco a fondé notre Institut en réponse de salut aux
attentes profondes des jeunes. [... ]”4

10.9 Page 99

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253
Toutefois le handicap avec leurs frères salésiens fut bientôt comblé dans
les articles suivants. Certes les constitutions des salésiens, les religieux, donnés
comme dociles à lEspritselon une formule répétée sans tellement de
discernement5, voient dans leur fondateur don Bosco un homme de Dieu “comblé
des dons de lEsprit Saint(art. 21) et reconnaissent la présence et l’action de
l’Esprit Saint dans leur vie (art. 12, 25), leur formation (art. 96, 99) et un
apostolat, qu’ils exercent avec le don de l’Esprit(art. 3) en un monde ils
perçoivent les fruits de l’Esprit(art. 95). Lors de leurs chapitres généraux, les
salésiens se laissent guider par l’Esprit Saint” (art. 146).
Les articles des constitutions des soeurs salésiennes relèvent avec une
insistance presque inquiète et par des formules régulièrement très choisies le rôle
de lEsprit Saint dans tous les aspects et à toutes les étapes de la vie de la
religieuse. Lors de sa profession, le Père la consacre par le don de l’Esprit”6.
Selon la formule de cette profession, Dieu Père, à qui elle sadresse, l’appelle,
dit-elle, par la force de ton Esprit”7. Dans la grâce de lEsprit Saint, elle se
donne alors à Dieu souverainement aimé8. Ses trois voeux sont prononcés sous la
mouvance de lEsprit: Elle sera chaste parce que docile à laction de lEsprit”9,
pauvre parce que mue par l’Esprit Saint10, et, dans l’obéissance, par la force de
l’Esprit Saint”, elle offrira librement sa volonté en sacrifice delle-même à
Dieu11. Quand elles prient, parce que la grâce les rend enfants adoptifs de Dieu,
les filles de Marie auxiliatrice croient que lEsprit Saint prie en elles”12. Dans le
silence de tout l’être, la Parole de Vérité les envahit alors par la force de
lEsprit13. Leur système éducatif “essaie de collaborer avec lEsprit Saint”14, dont
elles sont sûres quil est déjà à l’oeuvre dans ce monde15. Lassistance
salésienne, requise par le système préventif, est attentive à l’Esprit Saint à
l’oeuvre en chaque personne16. La directrice de communauté est la première
docile à l’Esprit Saint”17. D’ailleurs, toute fille de Marie auxiliatrice appelée à un
service dautorité doit le vivre en attitude de pauvreté intérieure et d’ouverture à
lEsprit”18. La formation de la religieuse, qui est avant tout l’oeuvre de lEsprit
Saint19, trouve son fondement dans le dessein du Père qui, par l’Esprit”, veut la
rendre conforme à l’image de son Fils”20. Pendant le second noviciat, temps de
préparation à la profession perpétuelle, la religieuse “relit sa vie à la lumière du
Saint Esprit21. Par la suite, dans son souci de formation permanente, “docile à
l’Esprit Saint, elle sera attentive à discerner et à valoriser les occasions de mûrir sa
vocation22. Les constitutions rénovées des filles de Marie auxiliatrice rendent
ainsi une sorte d’hommage multiple à l’oeuvre de lEsprit Saint dans leur institut.
Les constitutions des Volontaires de Don Bosco approuvées par le
Saint-Siège en 1990 furent, elles aussi, très attentives à la présence et à l’action de
l’Esprit Saint. LEsprit Saint éclaira leur fondateur, don Filippo Rinaldi (art. 1).
Elles-mêmes sont consacrées par Dieu à travers lEsprit Saint (art. 3). Dociles à
l’Esprit (art. 28, 33), elles espèrent, par ce geste, participer à une “vie nouvelle”
selon lEsprit (art. 20). LEsprit Saint, qui opère et prie en elle (art. 42), interpelle
la Volontaire (art. 35, 55). Enfin Dieu la forme par Lui (art. 57)23.

10.10 Page 100

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254
A la veille du jubilé de l’an 2000, l’Esprit Saint, vie et énergie de lEglise,
nétait certainement plus le grand inconnudans le monde des consacrés de la
famille salésienne.
LEsprit Saint chez les coopérateurs salésiens
Le Règlement de Vie Apostolique des coopérateurs salésiens promulgué
en 1986 avait été composé dans les mêmes perspectives trinitaires.
H commençait avec solennité : § 1. Pour contribuer au salut de la
jeunesse, la portion la plus délicate et la plus précieuse de la société humaine”,
lEsprit Saint suscita, par l’intervention maternelle de Marie, saint Jean Bosco. H
forma en lui un coeur de père et de maître, capable dun dévouement total, et lui
inspira une méthode d’éducation toute imprégnée de la charité du Bon Pasteur. - §
2. Le même Esprit, afin de continuer et détendre cette mission, le guida dans la
création de diverses forces apostoliques, parmi lesquelles les Coopérateurs
salésiens.24 LEsprit Saint, continuait le Règlement, accompagne le coopérateur
tout au long de son existence. Cest sous l’action de lEsprit Saint que mûrit son
choix de devenir coopérateur (art. 36). La formation requiert de sa part une vraie
docilité à l’Esprit (art. 38), dans lintimité duquel il vit (art. 27). Le Christ lui
donne la lumière et la force de l’Esprit (art. 32). La charité pastorale du
coopérateur est, pour le monde, don et présence de lEsprit Saint, capable par son
feu de renouveler la face de la terre (art. 28). La fidélité du coopérateur à sa
mission suppose la force dEsprit, quil implore dans sa promesse
d’engagement25.
“Le primat de la vie dans l’Esprit”26, formule de tournure mystique, est
désormais reconnu en spiritualité salésienne, dont on sait pourtant le goût presque
immodéré pour la charité active. Sous ce titre, un article de la charte de
communion de la famille salésienne (1995) a affirmé que le renouveau voulu par
lEglise pour tous les groupes et toutes les communautés ramène à lEsprit de la
Résurrection et de la Pentecôte. D poursuivait : Toute la vie du croyant est sous
le signe de lEsprit. La fraternité, finit du renoncement de l’homme intérieur, est
une initiative de lEsprit. Lhomme intérieur, qui se rend disponible à Dieu [ ... ],
cest l’homme nouveau qui marche dans l’Esprit selon le critère et les fruits de
lamour. La force de synthèse unifiante qui découle de la charité pastorale est un
fruit de la puissance de lEsprit Saint, qui garantit l’inséparabilité vitale entre
lunion à Dieu et le dévouement au prochain, entre l’intériorité évangélique et
laction apostolique, entre le coeur en prière et les mains au travail.27 La dévotion
au Saint Esprit pénètre désormais lensemble du monde salésien. Redécouvrons
avec les jeunes la présence de l’Esprit dans lEglise et dans le monde”, pouvait
proclamer le recteur majeur Vecchi dans son étrenne spirituelle pour l’année
199828.

11 Pages 101-110

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11.1 Page 101

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255
Notes
1. Selon don Giulio Barberis : ... Insisteva sulla maggior divozione allo Spirito
Santo, dicendo che questa divozione era un trascurata dai Cristiani. Ne faceva in particolare
la Novena e l’Ottavario e l’udii dire : E’ lo Spirito Santo la fonte di ogni santità, e noi pensiamo
troppo poco a Lui... (G. Barberis, Procès ordinaire de canonisation de don Rua, ad 17um, in
Positio super virtutìbus, Rome, 1947, p. 286.) Bien, entendu, à l’occasion, les membres de la
famille salésienne donnaient toute sa place à l’Esprit Saint, comme en témoignait fori bien, par
exemple, le petit livre de J. Aubry sdb, Le Saint Esprit et notre vie spirituelle, coll. Feuillets de
vie spirituelle 30, Paris, Fleurus, 1956.
2. “Lo Spirito Santo è dono. La sua è una missione di amore, che ci immerge in Gesù
Cristo, ci incorpora in Lui, ci fa diventare membra del suo Corpo mistico, ci fa crescere nella
Chiesa cattolica, ci fa capire e approfondire la parola rivelata, ci dona infine l’entusiasmo della
docilità, dell’ascolto, del contemplare, del meditare.” (E. Viganò, Non secondo la carne, ma
nello Spirito, Rome, 1978, p. 26.)
3. “Con senso di umile gratitudine crediamo che la Società di san Francesco di Sales è
nata non da solo progetto umano, ma per iniziativa di Dio. Per contribuire alla salvezza della
gioventù, “questa porzione la più delicata e la più preziosa dell’umana società”, lo Spirito Santo
suscitò, con l’intervento materno di Maria, san Giovanni Bosco. Formò in lui un cuore di padre e
di maestro, capace di una dedizione totale [ ... ] Per prolungare nel tempo la sua missione lo
guidò nel dar vita a varie forze apostoliche, prima di tutte la nostra Società. La Chiesa ha
riconosciuto in questo l’azione di Dio [... ] Da questa presenza attiva dello Spirito attingiamo
l’energia per la nostra Società e il sostegno della nostra speranza.” (Constitutions SDB, ari. 1.)
4. “Per un dono dello Spirito Santo e con l’intervento diretto di Maria, san Giovanni
Bosco ha fondato il nostro Istituto come risposta di salvezza alle attese profonde delle giovani.”
(Constitutions FMA, ari. 1.)
5. Constitutions SDB, ari. 2,64, 99.
6. ... consacra col dono dello Spirito” (Constitutions FMA, ari. 5.)
7. ... con la forza del tuo Spirito” (ibidem, art. 10).
8. “Nella grazia dello Spirito Santo ci doniamo a Dio sommamente amato” (ibidem,
art. 8.)
9. “Docile all’azione dello Spirito... (ibidem, ari. 13).
10. ... mosse dallo Spirito Santo” (ibidem, ari. 18).
11. “Con la forza dello Spirito Santo offriamo liberamente la nostra volontà come
sacrificio di noi stesse a Dio” (ibidem, ari. 29).
12. “Per la grazia della nostra adozione a figli lo Spirito Santo prega in noi” (ibidem,
art. 37).
13. “Nel silenzio di tutto il nostro essere, come Maria, “la Vergine in ascolto”, ci
lasceremo pervadere dalla forza dello Spirito” (ibidem, art. 39). Voir aussi, Hans l’article 48, “il
silenzio che si fa attenzione allo Spirito”.
14. ... cerca di collaborare con lo Spirito Santo” (ibidem, art. 7).
15. ... sicura che lo Spirito opera già in questo mondo” (ibidem, art. 49).
16. ... si fa attenzione allo Spirito Santo che opera in ogni persona (ibidem, art. 67).
17. “Docile per prima allo Spirito Santo..." (ibidem, art. 52).
18. ... viva in atteggiamento di povertà interiore e di apertura allo Spirito” (ibidem,
art. 114).
19. “La formazione è anzitutto opera dello Spirito Santo... (ibidem, art. 79).
20. ... che, per lo Spirito, vuole renderci conformi all’immagine del Figlio suo”
(ibidem, art 77).
21. ... riveda la propria vita alla luce dello Spirito Santo” (ibidem, art 98).
22. ... docile allo Spirito Santo, sarà attenta a discemere e a valorizzare ogni
occasione di maturazione vocazionale” (ibidem, art. 100).
23. Les Costituzioni dei Volontari con Don Bosco (Rome, 1995), écrites dans l’esprit
des constitutions des Volontaires de Don Bosco, contiennent un article 40 intitulé :”Docilità allo
Spirito Santo”.

11.2 Page 102

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256
24. “§ 1. Per contribuire alla salvezza della gioventù, “porzione la più delicata e la più
preziosa dell’umana società”, lo Spirito Santo suscitò, con l’intervento materno di Maria, san
Giovanni Bosco. Formò in lui un cuore di padre e di maestro, capace di una dedizione totale, e
gli ispirò un metodo educativo tutto permeato dalla carità del Buon Pastore. - § 2. Lo stesso
Spirito, al fine di continuare ed estendere questa missione, lo guidò nel dar vita a varie forze
apostoliche, tra cui i Cooperatori salesiani.” (RVA, art. 1.)
25. “Donami, o Padre, la forza del tuo Spirito, perchè io sappia essere fedele a questo
proposito di vita” (RVA, art 40).
26. “Il primato della vita nello Spirito” (Carta di comunione, art 29, titre).
27. ... Il rinnovamento voluto dalla Chiesa per tutti i gruppi e le comunità riconduce
allo Spirito della Risurrezione e della Pentecoste. Tutta la vita del credente è sotto il segno dello
Spirito. La fraternità è il frutto del rafforzamento dell’uomo interiore, è iniziativa dello Spirito.
L’uomo interiore è quello che si rende disponibile a Dio [... ]. E’ l’uomo nuovo che cammina
nello Spirito con il criterio e i frutti dell’amore. La forza di sintesi unitiva che sgorga dalla carità
pastorale è frutto della potenza dello Spirito che assicura l’inseparabilità vitale tra unione con
Dio e dedizione al prossimo, tra interiorità evangelica e azione apostolica, tra cuore orante e
mani operanti.” (Carta di comunione, art. 29.)
28. Nella speranza siamo stati salvati : riscopriamo con i giovani la presenza dello
Spirito nella Chiesa e nel mondo, per vivere e operare con fiducia nella prospettiva del Regno.
Strenna 1998. Commento di don Juan Edmundo Vecchi, Roma, Istituto Figlie di Maria
Ausiliatrice, 1998.

11.3 Page 103

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257
Esprit salésien
Le sens de l’expression
H convient dabord de sentendre sur le sens donné ici à lexpression :
esprit salésien. Salésien dérive du mot Sales, deuxième élément du nom composé
François de Sales. L’esprit salésien peut donc très légitimement désigner l’esprit
de saint François de Sales, tel quil ressort, par exemple, de louvrage L’Esprit du
Bienheureux François de Sales publié entre 1639 et 1641 sous le nom de l’évêque
de Belley, Jean-Pierre Camus. En fait, il sagit pour nous de toute autre chose.1
Nous passons de la personne au groupe. On entend par esprit général,
esprit socialou esprit national, le fonds d’idées et de sentiments qui dominent
dans une société déterminée. Ce fonds ressort bruyamment lors des temps
d’exaltation nationaliste, qu’elle soit dorigine sportive ou guerrière. En ces
circonstances, tous les habitants de la nation concernée ne partagent pas
nécessairement les mêmes idées et les mêmes sentiments. Certains les condamnent
peut-être, mais la masse (ou le groupe qui la manipule) les impose. Au cran
inférieur, les sociétés particulières ont d’ordinaire des finalités précises. Lesprit
qui leur est propre tend à y informerles comportements des membres et à leur
donner un sens. Cest “lesprit maison, qui peut évoluer et que les cadres
dirigeants sefforcent habituellement dentretenir. Enfin, créées à des raisons très
déterminées, pourvues de modèles, de règlements, de spiritualités, de structures et
de gestes rituels transmis de génération en génération, les sociétés très
particulières que sont les sociétés religieuses possèdent nécessairement des
espritstrès typés. L’expérience le démontre aisément. L’esprit des communautés
bénédictines diffère de l’esprit des communautés dominicaines, l’esprit des
communautés de capucins diffère de celui des communautés de chartreux et
l’esprit des monastères de clarisses diffère de celui des communautés de filles de la
Charité. S’il est resté lui-même, le monde issu de don Bosco ne peut quavoir,
comme les autres sociétés religieuses, un esprit propre. Parce que les sociétés
concernées dhommes, de femmes et de coopérateurs sont dites salésiennes, cet
esprit a pu être dénommé esprit salésien. Lexpression esprit salésiendésigne
donc ici, non pas, comme on pourrait le penser, une mentalité dans la dépendance
de saint François de Sales, mais le fonds d’idées et de sentiments”, qui confère
une forme propre à la collectivité organique des disciples de don Bosco avec, en
son centre, les sociétés religieuses des salésiens et des salésiennes.
Les exhortations de don Rua et de don Albera
Lesprit salésien a existé avant que le langage, toujours infirme, s’en
empare. Ce fut dabord et avant tout l’esprit de don Bosco, transmis par osmose
plus que par le discours. Dans le monde des salésiens, l’esprit fut toujours
considéré comme un dépôt de prix. La fidélité aux communautés des origines (le

11.4 Page 104

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258
Valdocco ou Momese) suppléait aux longues explications. Sous les successeurs
immédiats de don Bosco, un réseau informatif très nourri (lettres personnelles et
circulaires, Bollettino salesiano) permettait aux centres dorienter et de réorienter
les confrères selon l’esprit dit désormais salésien.
Mais les erreurs, les faiblesses, la pression des circonstances et des
influences modifiaient inévitablement l’esprit de la société née de don Bosco. Il
pouvait non seulement évoluer, mais s’altérer. Don Bosco avait déjà, de son
vivant, regretté certaines déviations dans lapplication de son système éducatif.
Plusieurs écoles ne conservaient plus que l’étiquette de “maisons de don Bosco.
Huit ans après la mort du fondateur, don Rua s’inquiéta à son tour. Il rappela à ses
religieux ce que la fidélité à lesprit exigeait deux : “Chacun de nous a le strict
devoir de posséder l’esprit [de la congrégation] et de vivre de vie salésienne ...
Consacrons tous nos efforts et tous nos soins à donner à notre mode de penser, de
parler et d’opérer une forme vraiment salésienne. Supplions Marie auxiliatrice et
saint François de Sales de nous obtenir la grâce que quiconque visite nos maisons
s’aperçoive immédiatement qu’on y respire une atmosphère nettement salésienne
et que, partout nous nous trouvons, nous soyons immédiatement reconnus
comme fils de don Bosco.”2 Sans user de l’expression, il souhaitait à chaque
centre et à chaque membre de la société de saint François de Sales de se laisser
totalement (pensées, paroles, actions) informerpar un esprit dit par nous
“salésien. Limprégnation devait être perceptible au premier regard du visiteur.
Don Rua expliquait sommairement aux religieux comment développer cet
esprit en eux-mêmes. Vivre salésiennement, écrivait-il dans la même lettre,
consiste à travailler, en particulier au service de la jeunesse, dans lesprit et selon
le système de don Bosco, qui était tout imprégné de douceur et de bonté. Qui
parle souvent de don Bosco et raconte des traits édifiants de sa “vie si belle, si
active et si sainte”, témoigne dune vie intérieure authentiquement salésienne. Le
salésien de coeur lit et fait connaître les publications de sa société, surtout le
Bollettino salesiano ; et il promeut les associations créées par don Bosco3. Au
sentiment de don Rua, l’esprit salésien se forgeait dans les communautés et dans
les personnes par l’action en même temps que par létude.
A la fin de sa vie, le recteur Albera synthétisa en quelques lignes les
caractéristiques de l’esprit des salésiens et des salésiennes, tel qu’il le concevait
lui-même. Aux salésiens il écrivait : Employons-nous à toujours conserver en
nous, dans nos communautés et dans tout notre Institut, l’esprit de travail et de
zèle pour le bien de la jeunesse, l’esprit de discipline et de piété qui est le rempart
de notre vocation, l’esprit de charité et de douceur qui doit cimenter toujours plus
l’union cordiale entre nous et encourager dautres âmes à entrer généreusement
dans nos rangs sous la bannière de don Bosco.4 Et nous lisons sous sa signature
ou, tout au moins, sous sa responsabilité, dans une série contemporaine de
Normes aux provinciaux sur la direction spirituelle de l’Institut des Filles de Marie
auxiliatrice : Que (l’Inspecteur) promeuve de toute manière lesprit de l’Institut,
qui est un esprit de sacrifice, de piété, de sainte jovialité, étant toujours sauves la
vertu et la perfection religieuse.Et aussi : (Le véritable progrès moral de
lInstitut) se manifestera clairement par une activité inlassable, humble et

11.5 Page 105

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259
désintéressée à l’avantage des filles du peuple, dans l’amour de la pauvreté et dans
lesprit de sacrifice, que lon verra fleurir dans toutes les communautés de nos
bonnes religieuses.5
Lesprit salésien défini à la fin du vingtième siècle
Après le concile Vatican n, les religieux furent invités à bien définir leur
identité. Qui étaient-ils ? Jusqualors, les salésiens s’étaient contentés de se donner
comme membres dune congrégation fondée par don Bosco. Cétait insuffisant. Us
partirent donc à la recherche de l’esprit qui les distinguait dans l’univers
congrégationnel. Le chapitre général spécial de 1971-1972 s’y appliqua non sans
bonheur, quand il le dit notre propre style de pensée et de sentiment, de vie et
daction, dans la mise en oeuvre de la vocation spécifique et de la mission que
l’Esprit ne cesse de nous donner; ou bien, le complexe daspects et de valeurs
du monde humain et du mystère chrétien (Evangile dabord, Eglise, Règne de
Dieu ... ), auxquels les fils de don Bosco, sous linspiration de lEsprit Saint et en
vertu de leur mission, sont particulièrement sensibles, tant dans leur attitude
intérieure que dans leur comportement extérieur.”6
Les nouvelles constitutions salésiennes, dabord ad experimentum (1972),
puis définitives (1984) voulurent exprimer les caractéristiques de cet esprit dans un
chapitre particulier intitulé l’esprit salésien”. Ce chapitre commença en assimilant
lesprit de la société à un “style de vie et daction” vécu et transmis par don
Bosco, caractérisé par une puissante charité pastorale et un élan apostolique qui
fait rechercher les âmes et servir Dieu seul (art. 10).7 Le salésien a pour modèle le
Christ (art. 11). Il vit en union habituelle avec Dieu (art. 12), il aime lEglise
peuple de Dieu, centre dunité et de communion de toutes les forces qui
travaillent pour le Règne(art. 13).8 Dans le monde salésien, la prédilection pour
les jeunes est évidente (art. 14). On y cultive laffection (amorevolezza), un esprit
familial, loptimisme, un goût intense du travail, la tempérance”, la créativité et la
souplesse dans laction (art. 15-19). Le modèle immédiat du salésien demeure don
Bosco, qui vécut une expérience spirituelle et éducative, appelée par lui Système
préventif, manière de vivre et de travailler que les salésiens ont adoptée à sa suite
(art. 20-21).
Le résultat paraît moyen. La spiritualité comme telle occupait une place
démesurée dans cette description den esprit identitaire. Un commentaire officiel
de ce chapitre constitutionnel l’avoua ingénument dans un recueil imprimé à Rome
en 1986.9 H peut donc être permis de préférer au chapitre des constitutions la
première liste de caractéristiques - certainement incomplète- relevée par la
Ratio fundamentalis salésienne de 1985 à la relecture du chapitre général spécial.
Cest : le lien profond entre lengagement pour l’évangélisation et la promotion
humaine ; l’attention préférentielle aux jeunes pauvres et aux classes populaires ;
lesprit dadaptation et de créativité ; la sensibilité catéchistique et la piété simple
et concrète ; une présence particulièrement incarnée et attentive aux valeurs
humaines et religieuses de la culture locale ; un contact humain et facile, marqué
par un optimisme évangélique, qui suscite la sympathie et exerce un attrait
particulier pour notre proposition.”10

11.6 Page 106

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260
A ces descriptions, il manque un principe unificateur. Ne serait-ce pas,
dans la lignée de saint François de Sales, le maître et le modèle, un genre
particulier dhumanisme dévotpropre à une population adonnée à l’éducation
des jeunes ?
Notes
1. Parmi les études sur l’esprit salésien entendu comme esprit de la famille salésienne,
on pourra se reporter à l’article de l’un des rédacteurs du chapitre général spécial, qui a cherché
à le définir en 1971 : R. Frattallone, “I tratti fondamentali dello spirito salesiano elemento di
unità nella Famiglia salesiana”, dans La Famiglia salesiana, Lussemburgo 26-30 agosto 1973,
Colloqui sulla vita salesiana 5, Torino-Leumann, Elle di Ci, 1974, p. 223-266..
2. ... Di qui ne viene per ciascun di noi di possederne (della congregazione) lo spirito
e di vivere di vita Salesiana ... Rivolgiamo tutti i nostri sforzi ed i nostri studi a dare al nostro
modo di pensare, di parlare e di operare una forma veramente Salesiana. Supplichiamo Maria
Ausiliatrice e S. Francesco di Sales di ottenerci la grazia che chiunque visiti le nostre Case
subito si avveda che in esse si respira un’atmosfera prettamente Salesiana, e che ovunque noi ci
troviamo, subito siamo riconosciuti quali figli di Don Bosco.” (M. Rua, Lettre aux salésiens, 29
janvier 1896 ; L.C., p. 144-145.)
3. ... E’ indizio di vita Salesiana il parlare soventi volte di Don Bosco, raccontando
tratti edificanti della sua vita si bella, operosa e santa. E’ vivere da Salesiano l’interessarsi di
tutto quanto concerne la nostra Pia Società, il leggere con affetto e direi quasi con avidità le
notizie che ne il Bollettino, e specialmente ascoltare con attenzione la lettura delle circolari
dei Superiori colle spiegazioni e commenti che i Direttori si devono dar premura di farvi”, etc.
(M. Rua, ibidem, p. 144.)
4. ... Studiamoci di conservare sempre in noi, nelle nostre comunità, in tutto il nostro
Istituto lo spirito di lavoro e di zelo per il bene della gioventù, lo spirito di disciplina e di pietà
che è il baluardo della nostra vocazione, io spirito di carità e di dolcezza che deve cementare
ognor più la cordiale unione tra di noi, e attrarre altre anime a unirsi generosamente alle nostre
file sotto la bandiera di D. Bosco.” (P. Albera, Lettre aux salésiens, 10 février 1921 ; L.C., p.
371.)
5. “Promuova (l’Ispettore) in ogni maniera lo spirito dell’Istituto, che è spirito di
sacrifizio, di pietà, di santa giovialità, salva sempre la virtù e la perfezione religiosa. [... ] (Il
vero progresso morale) si manifesterà chiaramente nell’attività instancabile, umile e
disinteressata a prò delle fanciulle del popolo, nell’amore della povertà e nello spirito di
sacrifizio, che si vedranno fiorire in tutte le Comunità delle buone Suore.” (P. Albera, Circulaire
aux Inspecteurs. “Norme per la Direzione spirituale dell’Istituto delle Figlie di Maria
Ausiliatrice”, 20 février 1921 ; L.C., p. 381, 385.)
6. ... il proprio stile di pensiero e di sentimento, di vita et di azione, nel mettere in
opera la vocazione specifica e la missione che lo Spirito non cessa di darci.” “Lo spirito salesiano
è il complesso degli aspetti e dei valori del mondo umano e del mistero cristiano (Vangelo
anzitutto, Chiesa, Regno di Dio ... ) ai quali i figli di Don Bosco, accogliendo l’ispirazione dello
Spirito Santo e in forza della loro missione, sono particolarmente sensibili, tanto
nell’atteggiamento interiore quanto nel comportamento esteriore.” (CGS, n. 86.)
7. “Don Bosco ha vissuto e ci ha trasmesso, sotto l’ispirazione di Dio, uno stile
originale di vita e di azione : lo spirito salesiano”, etc. (Constitutions SDB, art. 10.)
8. “Dal nostro amore per Cristo nasce inseparabilmente l’amore par la sua Chiesa,
popolo di Dio, centro di unità e comunione di tutte le forze che lavorano per il Regno”.
(Constitutions SDB, art 13)

11.7 Page 107

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261
9. “Parlare di “spirito” di un Istituto religioso significa appunto riferirsi a
quell’insieme di valori e di aspetti evangelici ed ecclesiali a cui i membri dell’Istituto,
sull’esempio del loro Fondatore e accogliendo l’ispirazione dello Spirito Santo, sono
particolarmente sensibili tanto nell’atteggiamento interiore quanto nel comportamento
esteriore.” (Ilprogetto di vita dei Salesiani di Don Bosco, Roma, ed. SDB, 1986, p. 143.) Mais
ce monde de valeurs religieuses à intégrer ou à mettre en évidence n’est-il pas celui de la
spiritualité salésienne dans son objectivité ?
10. “Il legame profondo tra impegno di evangelizzazione e promozione umana ;
l’attenzione preferenziale ai giovani poveri e alle classi popolari ; lo spirito di adattamento e
creatività ; la sensibilità catechistica e la pietà semplice e concreta ; una presenza
particolarmente incarnata e attenta ai valori umani e religiosi della cultura locale ; un approccio
umano facile, marcato di ottimismo evangelico, che suscita simpatia ed esercita una particolare
attrattiva per la nostra proposta.” (La formazione dei Salesiani di Don Bosco, Rome, éd. SDB,
1985, n. 75.) La liste suivante de caractéristiques de cette Ratio, donnée comme “plus profonde”,
paraît, quant à elle, directement inspirée par le chapitre constitutionnel.

11.8 Page 108

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262
Eucharistie
Le Christ eucharistique, centre de la vie spirituelle
François de Sales avait écrit dans son Introduction à la vie dévote : Je ne
vous ay encor point parlé du soleil des exercices spirituels, qui est le tressaint,
sacré et tres-souverain Sacrifice et Sacrement de la Messe, centre de la religion
chrestienne, coeur de la dévotion, ame de la pieté, mystère ineffable qui comprend
Fabisme de la charité divine, et par lequel Dieu s’appliquant réellement a nous,
nous communique magnifiquement ses grâces et faveurs.1
Se conformant à lesprit alors régnant de la Contre-Réforme, don Bosco
et ses successeurs immédiats ont concentré la spiritualité salésienne de
leucharistie sur cet aspect du “mystère ineffable”, que constitue la présence
réelle”. Par l’eucharistie, le Christ, fils de Dieu et Dieu lui-même, rendu
réellementprésent aux fidèles chrétiens, leur communique magnifiquementses
grâces et ses faveurs. La présence réelle du Christ dans l’eucharistie fascinait nos
maîtres. La consécration, qui transsubstantiaitle pain et le vin de l’autel en corps
et sang du Christ, synthétisait pour eux toute la messe. Les prières, les lectures et
les offrandes qui précédaient y préparaient, la communion et les prières finales lui
formaient cortège. Pour les fidèles qui en étaient dignes, la vraie participation à la
messe se ramenait à la communion au corps réel du Christ, source inépuisable de
grâces. Neuf fois sur dix, lorsque don Bosco parlait de l’eucharistie, il ne s’agissait
que de la seule communion. Aux jeunes des maisons salésiennes d’alors, la messe
nétait quune occasion de prier et de communier.
La rencontre eucharistique de Jésus
Don Bosco et ses disciples immédiats étaient donc portés à réduire
leucharistie à la présence vivante du Christ. Ce faisant, ils récupéraient
inconsciemment un aspect du mystère christologique alors oublié. Le Christ
eucharistique de leur vénération était le ressuscité présent depuis Pâques à toutes
les générations et à tous les lieux. le siècle suivant parlera de “Jésus
ressuscité”, don Bosco parlait de Jésus au saint sacrement, c’est-à-dire du
ressuscité mystérieusement présent dans le pain eucharistique. L’eucharistie lui
permettait de penser au Christ non seulement comme à un personnage historique,
qui vécut et mourut voici des siècles en Palestine, mais comme à un personnage
actuel et concrètement proche. Le banquet eucharistique et le tabernacle furent,
pour les premières générations salésiennes, des lieux le fidèle pouvait avoir
avec Lui, dans l’aujourdhui, des rencontres réelles, vivantes et vitales.2
La communion est une rencontre réelle aux effets spirituels merveilleux
avec un incomparable ami. Pour le fidèle, elle constitue dabord un appui dans le
combat quotidien. La vie chrétienne y trouve un principe de force, symbolisé par le

11.9 Page 109

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263
pain. Don Bosco et les premières générations salésiennes étaient convaincus que
l’eucharistie est le pain des fort, une nourriture faite pour les faibles, pour quen se
nourrissant ils deviennent forts.3
La communion est un acte de fusion sacramentelle avec Jésus. Le coeur
doit appartenir à Jésus, être entièrement à Lui. Lunion par la manducation, qui
suscite dans lâme croyante une joie très particulière, celle de l’ami conversant
avec son ami, la fixe progressivement sur Jésus lui-même, quelle prend peu à peu
pour centre de sa vie. Don Rua, rempli de cette idée, pouvait conclure un sermon
sur l’eucharistie, centre de notre vie: “Que Jésus demeure dans notre esprit, que
Jésus règne en nos coeurs, que nos paroles respirent notre amour envers Jésus,
que nos actes soient l’expression de notre amour et de notre imitation de Jésus.
Nous devons faire autour de Jésus comme la terre autour du soleil. Elle se règle
sur lui comme sur son centre, et jamais ne sécarte de lui pour se tourner vers
dautres astres. Que Jésus soit donc le centre de nos exercices de piété, le centre
de nos occupations, le centre de nos pensées et de nos affections.”4 Prise au
sérieux, l’eucharistie christianisele chrétien.
Quand vous ne pourrez pas avoir ce bien de communier réellement à la
sainte Messe, communies au moins de coeur et desprit, vous unissant par un
ardent désir a cette chair vivifiante du Sauveur”, avait recommandé saint François
de Sales.3 Conformément à la doctrine de lEglise, pour les anciens salésiens la
présence réelle du Christ subsistait après loffice. La communication des grâces et
faveursdivines se poursuivait par contacts spirituels avec le très saint
sacrementde l’autel. Les salésiens d’autrefois recommandaient sans cesse la
communion spirituelle lors de visites au saint sacrement. La visite au saint
sacrement était lun de leurs exercices de piété favoris. En fin de siècle, un
valeureux témoin de la maison salésienne de Liège des années 1920 pouvait écrire,
non sans quelque nostalgie : “Je me souviens quà la sortie du réfectoire après le
repas de midi, toute la population scolaire, élèves, salésiens, professeurs,
supérieurs, se dirigeait spontanément cahin-caha, vers la porte de la chapelle ou du
jubé de léglise paroissiale, qui, selon la bonne tradition salésienne, était toujours
facilement accessible à partir de la cour de récréation. On allait ainsi
quotidiennement se recueillir devant Jésus au tabernacle6. Quel que soit son âge,
enfant, adulte ou vieillard, quelle que soit sa condition dans la société, le disciple
de don Bosco plaçait au centre de sa vie Jésus au très saint sacrement.
La messe du prêtre salésien dautrefois
Dans la célébration du sacrifice eucharistique, le prêtre salésien
d’autrefois se montrait extrêmement sensible à la présence réelle du Christ. La
messe, lui rappelait le recteur Albera, “est l’immolation d’un Dieu, qui d’une
certaine façon se met entre nos mains ; cest un Dieu qui adore, un Dieu qui rend
grâce, un Dieu qui apaise, un Dieu qui implore. [... ] La divine victime que nous
offrons à Dieu donne sa chair en nourriture à notre âme, et se fait pour ainsi dire
une seule chose avec nous, en nous communiquant sa vie même. Cest Dieu qui
prend possession de notre être, pour substituer ses perfections à nos imperfections
et à nos misères.7

11.10 Page 110

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264
H fallait en tirer les conséquences. Selon ces conceptions, la divine
présence, qui suscite dans le prêtre des sentiments et des comportements de
calme, de recueillementet de crainte révérentielle”, donnait à elle seule son
sens à laction liturgique. Après la consécration, la pensée constante du prêtre
doit être quil se trouve face à face avec Dieu en union intime avec Jésus prêtre et
victime. Les recommandations aux prêtres salésiens sur leurs célébrations
eucharistiques tombaient dru sous la plume du recteur Albera, qui, à l’évidence, se
méfiait des excentriques. Le célébrant devait observer avec une religieuse attention
les plus minimes rubriques : prononciation distincte et intelligible de toutes les
paroles, principalement celles du canon ; gravité simple et imprégnée de piété ;
calme tranquille dans les gestes prescrits, nécessaire en particulier aux
tempéraments vifs et expéditifs ; pas de singularité dans l’attitude, dans le ton de la
voix, dans la prononciation des mots, dans les mouvements ; pas de
demi-génuflexions, pas de regards curieux et distraits, pas de demi-signes de croix,
pas dexclamations, pas de soupirs.8
L’eucharistie, sacrement de l’alliance entre Dieu et l’homme
Avec les années, l’eucharistie conservait sa place centrale dans la
spiritualité des disciples de don Bosco. La piété envers l’eucharistie demeurait le
fondement de l’ascétique salésienne, rappelait le recteur Ricaldone à la veille de la
deuxième guerre mondiale.9 Mais les perspectives sélargissaient. Et, à la fin du
vingtième siècle, la famille salésienne retrouva l’ampleur de ce sacrement, qu’une
théologie trop faible avait longtemps rétrécie. A partir de lenseignement de
Vatican U, elle saisissait mieux le caractère premier et principal de la messe et,
beaucoup plus que ne lavaient fait don Bosco et ses premiers disciples, articulait
sur elle la communion et la dévotion eucharistique.10
En effet, l’eucharistie nest pas seulement la présence du Christ, elle est
l’action par excellence du Christ présent et la célébration de toute sa pâque. Par
leucharistie, la communauté célèbre le mystère pascal et communie au corps du
Christ immolé”, affirment les constitutions salésiennes rénovées.11 Pour les filles
de Marie auxiliatrice, “leucharistie est source et sommet de notre prière, sacrifice
pascal ddécoule toute la vie de l’Eglise.12 C’est lincomparable oeuvre
pascale du Christ, le sacrement du renouvellement continuel de l’alliance que
Dieu Père accomplit avec la famille de ses fils convertis, par l’intermédiaire de son
Fils incarné, mort et ressuscité. Par ce chef doeuvre, Dieu Père fait du Christ le
coeur du monde, expliquait le recteur Viganô.13
Désormais, les fidèles sont invités à participer de bout en bout à cette
action. La liturgie de la Parole nest pas qu’une introduction à la célébration, elle
en est une partie essentielle. Celui qui veut entrer dans le mystère de l’alliance doit
commencer par écouter la Parole de Dieu. Dieu ne cesse de nous y expliquer son
projet. La deuxième partie, avec la prière eucharistique et la consécration, célèbre
lamour filial avec lequel le Christ sest donné lui-même sur la croix pour obéir à
son Père et sauver ses brebis perdues. La messe est le mémorial de sa passion et
de sa mort sanglante. Enfin, la troisième partie de l’office, qui est celle de la

12 Pages 111-120

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12.1 Page 111

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265
communion, célèbre la reconstruction de la communauté en prière et l’union de
chacun avec Dieu Père pour un meilleur service.
Le Christ, prêtre unique et unique victime immolée, est présent de
plusieurs manières dans la célébration eucharistique : il y a le corps ressuscité de
Jésus et aussi son corps mystique. Les conséquences spirituelles en sont immenses.
La présence réelle et substantielle du corps ressuscité du Christ a pour effet de lui
assimiler le fidèle dans le banquet de la communion. Et là, par la communion au
corps et au sang du Christ, l’Esprit Saint réunit les chrétiens en un seul corps.
Manger et boire sacramentellement entraîne un processus dassimilation, une
incorporation vitale au Christ, pour former avec lui un unique corps. Par la
participation au corps et au sang du Christ, nous sommes changés en ce que nous
absorbons, expliquait le pape saint Léon.14
Exigences salésiennes dune spiritualité eucharistique
Mais, tandis que la réflexion théologique sapprofondissait, la souplesse
nouvelle des rites et les progrès de la sécularisation tendaient à banaliser
l’eucharistie. Etrangement, le sacrement se vidait de sa signification et de son
caractère sacré. Les prêtres oubliaient la divinité de Jésus. Toute la vie spirituelle
salésienne pouvait en pâtir. Les responsables salarmèrent.
Les communautés salésiennes doivent croître en sainteté autour de l’autel
et tirer leurs richesses dâme de la convivialité avec lEmmanuel, rappelait le
recteur Viganô. Le Christ n’est pas seulement le grand personnage de nos idéaux,
mais l’ami divin, qui est chez lui avec nous et pour nous. Nous regardons
continuellement vers lui dans l’expression suprême de sa Pâque. La centralité du
Christ est vécue, dans la spiritualité salésienne, par une sensibilité extraordinaire à
la contemplation et à lamitié dans l’eucharistie. L’eucharistie “est lacte central
quotidien dans chacune des communautés salésiennes, acte vécu comme une fête
dans une liturgie vivante.15 Cela suppose un extrême respect pour l’humble
dimension du sacrement. H faut embellir le sacrement par l’art, par la dignité des
vêtements liturgiques et par l’élégance du culte. Un culte digne ne supporte ni les
oublis, ni le mauvais goût, ni les grossièretés, ni la dégradation des messages
symboliques. Dans leucharistie, apparemment tout est quasi insignifiant : la
personne du prêtre (l’un de nous), un morceau de pain, un peu de vin, quelques
prières. Si nous n’élevons pas ces éléments à la hauteur et à la dignité de leur
expression sacramentelle, si nous rendons ordinaires les personnes des célébrants,
si nous banalisons le rite de la messe, si nous manipulons à notre guise et en
fonction de modes passagères la prière liturgique, nous vidons le sacrement de son
mystère, cest-à-dire de son essence.16
La vraie participation au sacrement se fait en six étapes, enseignait le
recteur Viganô : 1) la conversion : qui n’a pas le sens du péché ne comprendra
jamais le rôle central du Christ dans sa vie ; 2) l’éclairage de la Parole : seule la
lumière de lEvangile offre des réponses valides aux problèmes brûlants de
l’existence ; 3) la conscience de la présence réelledu Christ dans la nouvelle
alliance : on napprofondira jamais assez les merveilles de la “sacramentalitéde

12.2 Page 112

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266
lEglise dans la célébration eucharistique ; 4) lincorporation vivante au Christ : la
communion sacramentelle est le berceau de lhomme nouveau ; 5) la mission : être
corps du Christ dans le monde impose de sengager à participer à son activité
salvatrice ; 6) enfin, l’amitié dans ladoration : la proximité de lEmmanuel (Dieu
avec nous) procure à chacun un lieu stratégique de reprise victorieuse dans la
vie.17
Le tabernacle matérialise ce lieu stratégique. On y rend visite au Seigneur.
Jésus présent au tabernacle sera pour nous et pour les jeunes le coeur de la
maison, édictent les filles de Marie auxiliatrice. Par la visite communautaire et par
les fréquentes visites individuelles spontanées - une caractéristique de notre
tradition - nous nous tiendrons devant Lui avec un amour confiant pour l’écouter
et le remercier, pour nous laisser entramer par sa volonté de salut et apprendre le
secret dun dialogue authentique avec notre prochain.18
Notes
1. Introduction à la vie dévote, seconde partie, chap. XTV ; Oeuvres, t III, p. 100.
2. Observations de J. Aubry, Avec Don Bosco vers l’an 2000, p. 219.
3. Peut être déduit des considérations des MB VI, p. 340.
4. “G. dimori nella ns mente, G. regni nei ns cuori, le ns par. spirino am. a G., le ns
op. siano l’espressione dell’am., dell’imit di G. Dobb. fine att a G. corne la terra att. al sole che
sempre la rig. come suo centro, mai (?) da lui scosti per rivolg. ad altro astro. Sia adunque G.
il centro dei nostri eserc. di pietà, centro delle ns occup., centro dei ns pens. ed aff.” (M. Rua,
“Eucaristia centro della nostra vita”, in cahier ms non daté, p. 1-14. Le document a été reproduit
en FdB 2896 C5-D1 ; le passage cité en DI.)
5. Introduction à la vie dévote, seconde partie, chap. XXI ; Oeuvres, t III, p. 121.
6. Léon Widart sdb, Farnières (Belgique), le 17 février 1998.
7. “[La Messa] è l’immolazione di un Dio, che in certo modo si mette fia le nostre
mani ; è un Dio che adora, un Dio che ringrazia, un Dio che placa, un Dio che implora. [... ] La
Vittima divina che offriamo a Dio la sua carne all’anima nostra, e si fa per così dire una sola
cosa con noi, comunicandoci la sua vita medesima. EDio che prende possesso del nostro essere,
per sostituirvi le sue perfezioni alle imperfezioni e miserie nostre.” (P. Albera, Lettre aux prêtres
salésiens, 19 mars 1921 ; L.C., p. 410.)
8. “Durante la celebrazione non pensiamo più ad altro che a mantenerci nelle
disposizioni più sante possibili : calma, raccoglimento, timore riverenziale. Dopo la
consecrazione, il pensiero costante che ci troviamo faccia a feccia con Dio e siamo in unione
intima con Gesù Sacerdote e Vittima, ecciti in noi il fervore della preghiera e una santa avidità
di approfittare di quegl’istanti così preziosi... Etc. (P. Albera, Lettre citée, p. 412.)
9. P. Ricaldone, Lettre aux salésiens, 24 avril 1939 ; Atti 93, p. 207.
10. Don Viganò affronta ce problème délicat avec énergie : “Nella Chiesa, dopo il
Concilio Vaticano II, c’è un autentico salto di qualità ecclesiologica nella dottrina, fortemente
organica, del mistero pasquale (di cui l’Eucaristia è Sacramento) e in tutto il culto liturgico. C’è
un nuovo approfondimento dei concetti di Pasqua, di Nuova Alleanza, di Sacerdozio, di Presenza
reale, di Corpo di Cristo, di Comunione e Missione, in una parola, di “Sacramento” che rilancia
tutto il culto eucaristico in un’ottica di liturgia e di pietà fortemente rinnovate.” (E. Viganò,
Lettre aux salésiens sur l’eucharistie, 8 décembre 1987, inatti 324, p. 13.)
11. “La comunità vi celebra il mistero pasquale e comunica al corpo di Cristo
immolato. (Constitutions SDB, art 88.)
12. “Sorgente e culmine della nostra preghiera è l’Eucaristia, sacrificio pasquale, da
cui scaturisce tutta la vita della Chiesa” (Constitutions FMA, art 40.)

12.3 Page 113

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267
13. Voir E. Vigano, “La prospettiva eucaristica del Concilio Vaticano II” et
“L’insuperabile opera pasquale di Cristo”, dans la lettre citée sur l’eucharistie; in Atti 324, p.
13-31.
14. Enseignement de Vatican n, Lumen gentium 26 ; repris par don Viganò, dans la
lettre citée, p. 29-31
15. “Essa è l’atto centrale quotidiano di ogni comunità salesiana, vissuto come una
festa in una liturgia viva;” (Constitutions SDB, art 88.)
16. D’après E. Viganò, “Alcune esigenze della pedagogia eucaristica di Don Bosco”,
dans la lettre citée du 8 décembre 1987, in Atti 324, p. 39-40.
17. Même lettre, p. 44-45.
18. “Gesù presente nel tabernacolo sarà per noi e per le giovani il cuore della casa.
Nella visita comunitaria e nelle visite individuali frequenti e spontanee - caratteristica della
nostra tradizione - sosteremo davanti a Lui con amore confidente per ascoltarlo e ringraziarlo,
per lasciarci coinvolgere dalla sua volontà di salvezza e imparare il segreto di un autentico
dialogo con il prossimo.” (Constitutions FMA, art. 40.)

12.4 Page 114

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268
Examen de conscience
Lexamen général
Jusquaux années 1960, on lisait dans le manuel de piété officiel des
salésiens au chapitre de la prière du soir commune aux confrères et aux jeunes :
Arrêtons-nous pendant quelques instants pour examiner l’état de notre
conscience (courte pause). Si nous nous trouvons coupables de quelque faute,
faisons de tout notre coeur un acte de contrition en promettant au Seigneur de
nous en confesser le plus tôt possible.1 L’invitation avait figuré à peu près dans
ces termes dès 1847 dans l’édition primitive (p. 81-82) du Giovane proweduto de
don Bosco.
C’était la figure simplifiée à lextrême dun exercice devenu traditionnel
en spiritualité chrétienne. Le Combat spirituel de Lorenzo Scupoli avait dit :
’’Dans lexamen de votre conscience, vous avez trois choses à considérer : les
fautes que vous avez commises durant la journée ; les occasions qui vous y ont
engagé ; la disposition vous êtes de commencer tout de suite à vous défaire
de vos vices, et à acquérir les vertus contraires.”2 Lexamen général de conscience
quotidien portait donc sur le péché de la journée, non, bien entendu, pour sy
complaire, mais pour évoluer. On construit son édifice spirituel à partir de bonnes
résolutions prises pour déraciner les vices en soi, expliquait don Rua dans un
sermon de retraite. Lexamen de conscience, qui identifie les vices, est le sarcloir
(sarchiello) des herbes folles de nos jardins intérieurs.3
H s’agissait dans ce cas d’un examen approfondi, celui qui précède
normalement la confession sacramentelle. Au cours dune circulaire de 1900 aux
salésiens, le même recteur prit la peine de détailler le schéma de cet exercice à
l’occasion dun exposé sur la journée du noviciat salésien. Lexamen dure au
minimum un quart dheure et comporte cinq étapes désignées par des formules
latines, enseignait-il : 1) Gratias âge (Remercie), remercie Dieu de tavoir
conservé depuis le dernier examen et de tavoir comblé de ses faveurs ; 2) Pete
lumen (Demande de la lumière) pour reconnaître tes défauts ; 3) Discute mentem
(Examine ta conscience) sur tes pensées, tes paroles, tes actions, tes devoirs, etc. ;
4) Dole (Regrette) les fautes que tu as commises ; 5) Propone (Propose), prends
de bonnes résolutions pour l’avenir.4 Supposé fidèle à ces consignes, le salésien
élargissait le champ de sa méditation et linstallait délibérément sous le regard de
Dieu. H réfléchissait sur lui-même dans une contemplation religieuse et
transformait en prière une introspection qui aurait pu nêtre que stérile, voire
maladive.
Cet exercice est indispensable au religieux salésien, estimait-on au début
du vingtième siècle. “Les Pères et les Docteurs de lEgliselont jugé nécessaire
à tous les chrétiens qui veulent vivre dans la grâce de Dieu et faire leur salut,

12.5 Page 115

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269
proclamait le recteur Albera dans une phrase au reste imprudemment générale. Il
l’est à plus forte raison pour ceux qui ont embrassé létat des conseils
évangéliques.5 Pour que l’examen soit vraiment profitable, poursuivait-il, il faut
qu’il soit quotidien, que l’on ne sen dispense sous aucun prétexte et quil soit
mené correctement, cest-à-dire que les actes peccamineux soient scrutés jusque
dans leurs racines premières, à la naissance de leurs idées”.6
Les salésiens furent longtemps invités à examiner leur conscience au cours
de leurs prières du soir. Puis, à la fin des années 1960, lintroduction des vêpres
quotidiennes fut fatale au petit exercice sous sa forme communautaire. Quand ils
disaient que le sacrement de la réconciliation est préparé par lexamen de
conscience quotidien”, les textes constitutionnels (1984) continuaient toutefois,
quoique de manière indirecte, de l’imposer aux religieux.7 C’était tout. Chez les
salésiennes, l’exercice demeurait communautaire8, la relation avec la
réconciliation sacramentelle était identique. Leurs constitutions demandaient que
chaque religieuse prépare cette réconciliation par lexamen de conscience
quotidien”.9 Les volontaires de Don Bosco avaient garde doublier l’examen de
conscience, qui leur “apprend à évaluer leur fidélité quotidienne”10.
La Ratio fundamentalis salésienne de 1985 sortait heureusement de ce
schéma plutôt étriqué de l’exercice, quand, retrouvant partiellement celui de don
Rua, elle affirmait que “dans l’examen de conscience quotidien, nous découvrons
devant Lui (Dieu), aidés de sa lumière, la réalité de notre situation, le louant pour
les dons reçus et invoquant sa miséricorde et son pardon.11
L’examen particulier
On entend habituellement par examen particulierun exercice spirituel
qui concentre le combat ascétique sur un point déterminé. Cet exercice est
méthodique ; il s’appuie essentiellement sur des examens quotidiens et vise à
mettre lâme en état de vigilance latente et permanente vers le but choisi. On fait
remonter à saint Ignace de Loyola cette conception d’un examen polarisateur de
loeuvre ascétique.12
Les maîtres salésiens dautrefois recommandaient, avec lexamen général,
cet examen dit particulier. “Le premier concerne tous les manquements commis
dans la journée, le deuxième une seule espèce de ces manquements,expliquait le
recteur Albera dans une petite étude quil lui consacrait.13
Don Rua préférait, quant à lui, parler de lexamen de la passion
dominante”14. L’examen particulier a pour but de déraciner cette passion,
autrement dit cette mauvaise habitude(cattiva consuetudine), enseignait don
Albera. Pour l’identifier, expliquait-il, on commencera par invoquer les lumières
du Saint-Esprit. Puis on examinera avec soin et à plusieurs reprises l’objet de ses
pensées habituelles, ce qui vient spontanément à l’esprit le matin, le thème de ses
rêves aux instants de solitude, la source la plus commune de ses joies et de ses
tristesses, la cause de sa lassitude aux moments de découragement, ce qui
détermine à agir et qui ordinairement inspire la conduite, l’origine des

12.6 Page 116

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270
manquements, et ainsi de suite. Le déracinement (sradicarlâ) suivra
l’identification. Don Albera jugeait l’examen particulier souverainement utile au
religieux dans son progrès en perfection. Quant à la méthode à suivre et à
lorganisation de l’exercice, que chacun adapte l’examen à ses besoins personnels,
conseillait-il. L’adaptation consistera presque toujours à simplifier la recherche, au
fur et à mesure du progrès dans la connaissance de soi, et à concentrer sur un
point unique ses pensées, ses affections, ses actes et ses tendances. H sagira le
plus souvent de parvenir à connaître la volonté de Dieu en tel moment, dans telle
situation, face à telles oeuvres, à telles difficultés, après telles chutes, avec tel
tempérament, etc.15 (Ce qui, soit dit entre parenthèses, nous convient davantage
que Téradication de la passion dominante.)
Avec le temps, le monde salésien oublia plus ou moins cet exercice.
Léradication de la passion dominante”, raison d’être de l’examen particulier
selon don Albera, saccordait mal avec lépanouissement de la personne, qui
devenait un dogme de moins en moins contesté dans le monde ambiant. A partir
de 1923, il est vrai, le règlement du noviciat de la Société imposera aux novices, à
la suite dune seconde lecture spirituelle de dix minutes un peu avant midi, un
examen particulier de conscience.16 Mais on ne sait trop ce que les rédacteurs
cachaient sous cette formule. Les autres documents officiels du vingtième siècle :
constitutions, règlements, Ratio, ... n’ont soufflé mot de lexamen particulier,
distingué de l’examen général..
Lexamen de conscience mensuel
Les règlements généraux rénovés des filles de Marie auxiliatrice
demandent que, lors des récollections communautaires mensuelles, la vérification
personnelle dans l’examen de consciencedure pour le moins une demi-heure.17
Une disposition analogue a longtemps figuré dans les constitutions salésiennes.
Puis, lors du chapitre général de 1965, l’article détaillant les éléments de l’exercice
mensuel de la bonne mort fut transféré aux règlements généraux. Son deuxième
point prévoyait un examen de conscience d’“au moins une demi-heuresur les
progrès ou les reculs dans la vertuau cours du mois écoulé.18 A l’origine de la
congrégation salésienne, chaque confrère choisissait la demi-heure à sa
convenance dans son emploi personnel du temps. Dès son mandat de provincial en
France (1881-1892), le futur recteur Albera donna à l’exercice une forme
communautaire guidée par une série de questions. Et l’idée fit son chemin. Un
formulaire d’examen de conscienceintégré dans l’exercice de la bonne mort
naquit ainsi dans le manuel officiel de pratiques de piété salésiennes publié pour la
première fois au cours du rectorat même de don Albera.19 Ouvert par une prière à
lEsprit Saint et une invitation à se mettre en présence de Dieu, lexamen, long et
très détaillé, portait successivement sur les pratiques de piété, le “progrès dans la
perfection, la pratique de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance, la vie
commune, le soin de la tâche particulière, lhumilité, la charité fraternelle et la
mortification. “Pour les défauts que j’ai trouvés en moi je ferai un acte de
contrition et mefforcerai de les corriger durant le mois à venir. Je prierai Marie
auxiliatrice daffermir mes résolutions et de les rendre efficaces”, lisait-on à la
suite du questionnaire.20

12.7 Page 117

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271
Avec les années, le langage de plusieurs questions de ce formulaire parut
désuet ou inopportun. La vie religieuse changeait, les constitutions allaient être
transformées. Le chapitre général salésien de 1965 voulut remédier aux
déficiences. En 1966, le recteur Ricceri tint à démontrer les progrès accomplis
dans un texte aussitôt rénové.21 Enfin, en 1989, le guide de la prière salésienne
pouvait recommander, sous le titre Pistes de réflexion personnelle et
communautaire sur les engagements de la profession religieuse”, un plan très
détaillé dexamen de conscience à partir des constitutions et de phrases du
Nouveau Testament, qui était parfaitement adapté au renouveau spirituel et
institutionnel consécutif à Vatican H22.
Les bienfaits dun examen de conscience sous le regard de Dieu
Le dernier quart du vingtième siècle a dédaigné et même refusé lexamen
de conscience. H saccordait mal avec la spontanéité de lâme qui se laisse
conduire par lEsprit, estimaient divers spirituels. Lintrospection systématique
semblait plus ou moins malsaine. Et puis les gens actifs nont guère le temps de sy
livrer. Cest le premier exercice quabandonne le religieux, écrivait-on alors.23
Quelques maîtres réagirent. Pour lui ôter son apparence inquisitoriale, on
suggéra de le dénommer non plus examen, mais relecture. La révision de
vie, alors très recommandée dans certains milieux ecclésiastiques, sapparentait à
un examen de conscience collectif24 En effet, l’examen de conscience nest pas,
remarquait-on, un simple recensement des fautes commises, mais un exercice
spirituel, comprenant une action de grâces des bienfaits reçus et se transformant en
prière.25 Bien conduit, quil soit quotidien ou mensuel, général ou particulier,
lexamen est bienfaisant à la vie spirituelle du membre de la famille salésienne.
H se déroule sous le regard de Dieu dans un colloque avec Lui et conduit
donc jusquà lunion sanctificatrice, en laquelle Dieu est premier et que l’homme
doit personnellement vouloir. Cest une attitude constante de totale mise en
disponibilité, une prise de conscience de ce que lon est et de ce que l’on a à vivre
et à faire. Sur cette voie, la réponse libre au vouloir divin provoque toutes les
énergies à la lutte contre le mal. La fidélité recherchée à linstant que Dieu donne à
vivre prépare la fidélité du lendemain. Tout se simplifie et sunifie dans la foi sans
cesse exigée par lexamen. Le spirituel se rend attentif et vigilant, parce quil se
tient en la présence de son Dieu et quil entend Le servir humblement et
effectivement, Lui et son Eglise. Le dialogue rend Dieu proche de soi. Le
rapprochement a ses temps forts, mais cest pour devenir une attention continuelle
et diffuse à Dieu. Dans la prière, lexamen fait ressentir au spirituel sa pauvreté de
créature et l’infinie richesse de Dieu. Ainsi conçu, il conduit à aimer loeuvre de
Dieu et pousse à l’action. Cest un exercice spirituel personnel, par lequel l’âme
cherche à répondre à ce que Dieu veut d’elle-même, à ses grâces et à ses dons. Il
livre la personne, purifiée et libre, à la volonté divine, qui, seule , est recherchée.26
Vous qui prétendez (humblement) à la sainteté, connaissez-vous meilleur
- programme?

12.8 Page 118

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272
Notes
1. “Fermiamoci alcuni istanti a considerare lo stato di nostra coscienza (breve pausa).
E se ci troviamo colpevoli di qualche peccato, facciamo di cuore un atto di dolore, promettendo
di confessarcene al più presto possibile.” ( "Pratiche di pietà comuni per confratelli e giovani”, in
Pratiche di pietà in uso nelle case salesiane. Edizione per sacerdoti, Torino, Scuola tipografica
salesiana, 1948, p. 22. )
2. Combattimento spirituale, chap. LX
3. M. Rua, “Dell’esame di coscienza”, dans Prediche per esercizi, quaderno primo, ms
inédit, p. 18-21, FdB 2893 E2-5.
4. M. Rua, Lettre aux salésiens, 5 août 1900, L.C., p. 213.
5. “Perciò i Padri e i Dottori della Chiesa, e quanti hanno aperto scuole di cristiana
perfezione, dai più antichi ai più recenti, inculcarono sempre l’esame di coscienza quotidiano [
... ] a tutti i cristiani che vogliono vivere in grazia di Dio e salvarsi ; e non solo a quelli, che sono
chiamati ad abbracciare lo stato dei consigli evangelici.” (P. Albera, Lettre aux prêtres salésiens,
19 mars 1921, L.C., p. 421-422.)
6. Ibidem, p. 423.
7. “Preparato dall’esame di coscienza quotidiano e ricevuto frequentemente ...
(Constitutions SDB, art 90 d.) Unique item de la formule esame di coscienza dans l’index des
constitutions et règlements SDB de 1984.
8. D’après les Règlements FMA, art. 24.
9. “Lo prepari con il quotidiano esame di coscienza” (Constitutions FMA, art. 41).
10. “Con l’esame di coscienza impara a valutare la sua fedeltà quotidiana ...
(Règlements VDB, art 13 c.)
11. ... quando nell’esame di coscienza quotidiano scopriamo davanti a Lui, aiutati
dalla sua luce, la realtà della nostra situazione, lodandoLo per i doni ricevuti e invocando la sua
misericordia e il suo perdono”. (Laformazione dei Salesiani di Don Bosco. Ratio fundamentalis
instititutionisetstudiorum, 1985, § 111, p. 103-104.)
12. A. Liuima et A. Derville, “Examen particulier”, Dictionnaire de spiritualité, t. IV,
deuxième partie, Paris, 1961, col. 1838,1840.
13. “H primo riguarda tutti i mancamenti commessi nella giornata, il secondo una sola
specie di essi.” (P. Albera, § Sopratutto l’esame particolare, lettre citée, 19 mars 1921 ; L.C., p.
423). Et il poursuivait citant saint Ignace.
14. M. Rua, Schéma : “Esame della passione predominante”, dans un recueil
manuscrit non paginé de Prediche, in FdB 2907 D3.
15. P. Albera, lettre citée, L. C., p. 424-425.
16. “Vi sarà altra lettura spirituale di circa dieci minuti prima di mezzogiorno, seguita
[ ... ] e dall’esame particolare di coscienza” (Regolamenti della Società Salesiana, 1923, art.
295,2°.)
17. “La verifica personale nell’esame di coscienza, di almeno mezz’ora ...”
(Règlements FMA, art 34.)
18. “II. Ognuno pensi almeno per mezz’ora al progresso o regresso fritto nella virtù
durante il mese precedente, soprattutto quanto ai proponimenti fritti negli esercizi spirituali e
all’osservanza delle Regole ; e prenda ferme risoluzioni di vita migliore.” (Constitutions SDB
1923, art 157 § n.) Le chapitre de 1965 ordonna le transfert de cet article dans les Règlements
généraux de l’époque, art 23.
19. Composé d’abord par le provincial de Belgique, Francesco Scaloni, puis réélaboré,
le formulaire fut généralisé sous le rectorat de don Albera par le manuel Pratiche di pietà in uso
nelle case salesiane, Turin, 1916.
20. “Dei difetti che ho trovato in me farò un atto di pentimento, e mi sforzerò di
correggerli durante il mese venturo. Pregherò Maria SS. Ausiliatrice perchè renda stabili ed
efficaci i miei proponimenti.” (“Formulario per l’esame di coscienza”, dans Pratiche di pietà in
uso nelle case salesiane, Turin, 1948, p. 66-72.)

12.9 Page 119

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273
21. L. Ricceri, “L’esame di coscienza nelle nuove Pratiche di pietà”. Atti 246
(septembre 1966), p. 9-11.
22. “Tracce di riflessione personale e comunitaria sopra gli impegni della professione
religiosa”, In dialogo con il Signore. Guida alla comunità salesiana in preghiera, Leumann,
Elle Di Ci, 1989, p. 789-799. Les formules initiales des deux grandes parties : “A. H Vangelo e
la Regola : via sicura per vivere la nostra chiamata alla santità” et “B. Dio è carità e ci chiama
alla perfezione della carità”, expriment bien l’esprit évangélique de cet examen de conscience.
23. G. Aschenbrenner, “L’examen de conscience spirituel”, dans Vie consacrée, 1980,
p. 283-297.
24. Voir le paragraphe Révision de vie et examen de conscience, dans J. Bréheret,
Révision de vie”, Dictionnaire de spiritualité, t XTTT, 1988, col. 495.
25. Sylvie Robert, “Aux sources de la relecture : l’examen de conscience”, Christus
174, avril 1997, p. 230-241.
26. Observations partiellement empruntées à A. Delchard, “Examen de conscience.
Conclusion spirituelle”, Dictionnaire de spiritualité, t IV, deuxième partie, 1961, col.
1831-1838.

12.10 Page 120

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274
Exemple
Lexemple, valeur incarnée offerte à limitation
Don Bosco, archétype de la spiritualité salésienne, croyait infiniment plus
en la force convaincante de l’exemple quen celle de largumentation théorique.
Les discussions philosophiques ne l’intéressaient pas. Pour lui, qui ouvrit son
premier ouvrage par la considération significative : Etant donné que l’exemple
des actions vertueuses a beaucoup plus de force que n’importe quel élégant
discours ... l, la biographie spirituelle était, sans quil le sache, une théologie2.
Sans jamais écrire un traité des vertus, il les a constamment enseignées par
l’exemple dans des récits, tels que la vie de Dominique Savio et des divers saints
de ses histoires. En éducation, la qualité de lexemple donné par les maîtres et les
camarades lui était à coeur. Sur ses instructions, des associations de garçons se
créaient autour de lui pour être sources de bons exemples”.
En effet, la spiritualité (enseignée) de don Bosco était, non pas close”,
mais ouverteau sens bergSonien de l’adjectif. Tandis que la première est
d’autant plus pure et plus parfaite qu’elle se ramène à des formules
impersonnelles, la seconde, pour être pleinement elle-même, doit sincarner dans
une personnalité privilégiée qui devient un exemple. La généralité de lune tient à
luniverselle acceptation dune loi, celle de l’autre à la commune imitation d’un
modèle.3
L’exemple est un modèle proposé à limitation. Les exemples vivants,
ceux dont le pouvoir est autreselon un porte-parole de Pierre Corneille, sont
certainement les “meilleurs. On sen est pourtant méfié en un temps - qui est le
nôtre - d’individualisme forcené. Ne fallait-il pas être soi, seulement soi, et donc
ne pas sen laisser conter et imposer par des modèlesétrangers ? L’opinion
éclairée croyait que la dialectique du maître et de l’esclave sappliquait au cas du
modèle imité. La différence lui échappait. Le chef influe sur le subordonné par
voie d’autorité ou de commandement. Le modèle dit tout autre chose. H agit par la
force rayonnante de sa personnalité et n’impose donc pas la “valeur”, qui ne
devient vivante quà travers lui. Max Scheler (que nous suivons à cet endroit) a
défini le modèle comme la valeur incarnée dans une personne, une figure idéale
qui est sans cesse présente à l’âme de l’individu ou du groupe, si bien que celle-ci
acquiert peu à peu ses traits et se transforme en elle : son être, sa vie, ses actes,
consciemment ou inconsciemment, se règlent sur elle, soit que le sujet ait à se
féliciter de suivre son modèle, soit quil ait à se reprocher de ne pas limiter.4
Mais nest-il pas étrange dagir à linstigation d’un autre et de se conformer à un
être qui, dans lordre moral, occupe une position particulière différente de la
sienne ? On répondra justement, semble-t-il, à cette objection que le disciple na
pas à copier servilement son modèle, ni à devenir ce quil est. Ce qui sopère en lui
nest pas, sous linfluence du modèle, une copie, mais une modification, mieux une

13 Pages 121-130

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13.1 Page 121

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275
“conversion. H simprègne de son esprit. “Nous apprenons ainsi à vouloir et à
agir à la manière dont lêtre-modèle veut et agit, non à vouloir et à faire ce quil
veut et ce quil fait.5 On l’a compris, le modèle n’impose pas une sorte de patron
quil suffirait dimiter trait pour trait. La reproduction littérale et servile
représente, en fait, la forme la plus mauvaise de l’influence dune personne sur une
autre. Elle tend à nier la destinée propre quelle a, au contraire, pour mission
dappeler à elle-même et de libérer. La rectitude morale de l’action exige la
reprise personnelle de l’intention morale, l’intériorisation de la motivation
spirituelle, l’invention dune réponse personnelle à l’appel toujours unique et
nouveau de la valeur6. La personne convertit donc les valeurs de son modèle en
les rendant siennes.
Don Bosco, modèle du salésien et de la salésienne
La première génération salésienne se forgea spirituellement par l’imitation
de don Bosco. Son enthousiasme pour don Bosco la menait très loin, - peut-être
trop loin, parce qu’avec quelque servilité -, dans ce modelage. Le recteur Albera
confiait aux salésiens : Durant ces années principalement - les années 1858-1872
passées à proximité du maître - et aussi par la suite, dans les occasions toujours
désirées que jeus de me trouver avec lui et de l’accompagner dans ses voyages, je
me persuadais que lunique nécessaire pour devenir son digne fils était de limiter
en tout. En conséquence, à lexemple de nombre danciens confrères, qui
reproduisaient déjà en eux-mêmes la manière de penser, de parler et d’agir de leur
Père, je mefforçai d’en faire autant moi aussi.”7 Le successeur immédiat de don
Bosco, don Rua, imposa à tous les salésiens ce programmedimitation. Deux
mois après la mort du maître, il leur écrivait : “Notre sollicitude doit être de
soutenir et, à loccasion, de développer toujours plus les oeuvres entreprises par
lui, de suivre fidèlement les méthodes quil a pratiquées et enseignées, et, dans
notre manière de parler et d’agir dimiter le modèle que, dans sa bonté, le Seigneur
nous a donné en lui. Tel sera, mes très chers fils, le programme que je suivrai dans
ma charge, que ce soit aussi le but recherché par chacun des salésiens.8 Au
témoignage de ses contemporains, lui-même parvint à se modeler admirablement
sur don Bosco.9
L’invitation à imiter don Bosco sera, après don Rua, un leit-motiv des
responsables généraux, adressée aussi bien, remarquons-le, aux salésiennes qu’aux
salésiens. Don Albera, auteur de la lettre que nous venons de citer sur Don
Bosco, modèle du prêtre salésien, demandait aux inspecteurs provinciaux
salésiens dinciter (les soeurs) à toujours mieux recopier Don Bosco en
elles-mêmes, en sorte que, non seulement leur “intérieur, mais aussi leur
comportement extérieur, leurs attitudes, leurs paroles, reflètent toujours la
délicatesse, la réserve aimable et pleine de naturel de notre vénérable Père.10 Le
salésien et la salésienne authentiques” se modelaient sur don Bosco, exemple que,
fidèles à leur vocation, ils gardaient constamment à l’esprit.
Toutefois, l’éloignement dans le temps affaiblissait peu à peu l’attrait du
modèle. Avec la deuxième guerre mondiale, qui fut contemporaine de la
disparition progressive des derniers témoins directs du saint, un changement de

13.2 Page 122

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mentalité se produisit. La fascination de don Bosco diminua. Mais la leçon
perdurait. Quoique avec moins dinsistance, l’image du fondateur continuait de
simposer à limitation.
Et, de lui, on passait aux modèles vivants communautaires. Les
constitutions rénovées rappelaient que, si les premiers salésiens trouvèrent en don
Bosco un guide sûret “quinsérés au coeur de sa communauté active, ils
apprirent à modeler leur vie sur la sienne11, ce chemin de formation devrait
demeurer une norme des salésiens dautres temps. L’idéal à vivre était incarné
dans des modèles concrets propres à faciliter lidentification personnelle ; la vie
commune fournissait (en principe) les nécessaires points de référence.12
Une spiritualité narrative
Don Bosco et ses disciples ont pratiqué systématiquement la narration
édifiante, remplie de personnages exemplaires. Le premier livre de don Bosco
proposa Luigi Comollo en exemple à messieurs les séminaristes de Chieri”,
cest-à-dire aux séminaristes qui avaient succédé au jeune homme à cet endroit.13
H entamait à peine son apostolat auprès des garçons de Turin que lune de ses
brochures leur proposait déjà l’imitation de saint Louis de Gonzague.14 Louis y
était donné en modèle successivement dans le regret de ses fautes, dans sa
mortification, dans sa pureté, dans son détachement, dans sa charité fraternelle,
dans son amour de Dieu, dans son don à Dieu, dans son esprit de prière et enfin au
jour de sa mort. Ces pages destinées à être aussitôt reproduites dans un manuel de
piété répéteraient la leçon aux innombrables usagers du Giovane proweduto.
Quelques années après Louis de Gonzague, avec II Cristiano guidato alla virtù ...
(1848), venait le tour de Vincent de Paul, offert en modèle aux adultes pour un
nombre impressionnant de vertus. Cétait pour le moins, à sen tenir aux seuls
titres des chapitres : la charité fraternelle, la douceur, l’égalité dhumeur,
l’humilité, la foi, l’esprit de mortification, la patience, la prudence, la pureté, la
reconnaissance, la simplicité, la confiance en Dieu, le zèle et le détachement des
biens terrestres.15 Les oeuvres les plus répandues du maître, hormis le manuel de
piété II Giovane proweduto, furent des biographies denfants-modèles :
Dominique Savio, Luigi Comollo, Michele Magone ou Francesco Besucco, et des
histoires : une Histoire sainte et une Histoire ecclésiastique, qui se voulaient des
catéchèses historiques. On montrerait aisément que VHistoire d’Italie de don
Bosco affichait, elle aussi, des intentions moralisatrices. Les portraits, qui y
abondaient, transmettaient des leçons claires ou suggérées. La catéchèse spirituelle
de don Bosco à l’occasion de ses mots du soir était éminemment narrative.
Pensons à ses songes. La bouche et le comportement de personnages historiques
ou imaginés exprimaient ses idées sur la vie chrétienne et religieuse. Ce nétait
quexemples et contre-exemples.
Don Bosco pratiquait dans ses écrits le genre oratoire, dénommé
exemplum, bref récit que les prédicateurs médiévaux relataient pour édifier leurs
auditeurs. Les instructions de sa neuvaine en l’honneur de l’Ange gardien (1845)
et des trente-et-un jours de son mois de Marie (1858) furent toutes suivies dun
esempio. La spiritualité salésienne (enseignée) des origines fut une spiritualité

13.3 Page 123

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277
narrative. Elle le resterait longtemps, quand les histoires tirées de la vie et des
discours de don Bosco étaient répétées à l’infini dans des intentions didactiques.
Les salésiens peuvent lignorer, mais, avec le temps, la méthode - au reste
aussi vieille que lEvangile - s’est généralisée en pastorale chrétienne. Le contexte
y portait. Les destins exemplaires faisaient recette dans le monde moderne. Que
nenseignaient pas les faits divers ? La pastorale contemporaine sattachait aux
tranches de vie. H existait à la fin du vingtième siècle une théologie, une morale et
une spiritualité “historiques, qui ne manquaient pas de prétentions. Le recteur
majeur Vecchi signalait en 1997 une tendance à présent solide dans la pastorale,
pour laquelle semble dépassé le discours purement doctrinal, moral, liturgique et
catéchistique qui ne vise pas à susciter, éclairer et appuyer une expérience la
personne s’engage dans la totalité de ses facultés. Les récits attirent, les
expériences sont mises en valeur, les témoins sont présentés et presque exposés.
Au conférencier spécialiste sur le thème de la paix, on préfère le Prix Nobel (Mgr
Belo). Nous en avons des preuves dans chaque congrès ou manifestation
mondiale. La spiritualité vécue et racontée se révèle comme la seule capable de
rendre crédible la proposition éthique pour l’animer par le sens et la gratuité, de
dépasser dans la pastorale la simple initiation catéchistique.16
Notes
1. “Siccome l’esempio delle azioni virtuose vale assai più di un qualunque elegante
discorso ... (Cenni storici sulla vita del chierico Luigi Comollo scritti da un suo Collega,
Turin, Speirani e Ferrerò, 1844, p. 3.)
2. Allusion à J. W. Mac Clendon, Biography as Theology. How Life Stories can
remake Today s Theology, New York, 1974, ouvrage qui a partiellement inspiré cet article.
3. H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, 4ème éd., Paris, 1932,
p. 29. Bergson, qui parlait, non de spiritualité, mais de morale, est ici adapté.
4. M. Scheler; Le saint, le génie, le héros, trad. française d’E. Marrny, Lyon-Paris,
1958, p. 27.
5. M. Scheler, Le formalisme en éthique et l’éthique matériale des valeurs, trad.
française de M. de Gandillac, Paris, 1955, p. 579.
6. E. Barbotin, Le témoignage spirituel, Paris, 1964, p. 145-146.
7. “Durante quegli anni principalmente, ed anche in seguito, nelle sempre desiderate
occasioni che ebbi di stargli insieme o di accompagnarlo ne’ suoi viaggi, mi persuasi che l’unica
cosa necessaria per divenire suo degno figlio era d’imitarlo in tutto : perciò, sull’esempio dei
numerosi fratelli anziani, i quali già riproducevano in se stessi il modo di pensare, di parlare e di
agire del Padre, mi sforzai di fare anch’io altrettanto.” (P. Albera, Lettre aux salésiens, 18
octobre 1920, L.C., p. 331.)
8. “... nostra sollecitudine dev’essere di sostenere e a suo tempo sviluppare ognora più
le opere da lui iniziate, seguire fedelmente i metodi da lui praticati ed insegnati, e nel nostro
modo di parlare e di operare cercare di imitare il modello che il Signore nella sua bontà ci ha in
lui somministrato. Questo, o Figli carissimi, sarà il programma che io seguirò nella mia carica ;
questo pure sia la mira e lo studio di ciascuno dei Salesiani.” (M. Rua, Lettre aux salésiens, 19
mars 1888, L.C., p. 18-19.)
9. Répété par tous les biographes de don Rua. Voir, par exemple, le chapitre d’A.
Amadei : “E’ un altro Don Bosco !”, dans II Servo di Dio Michele Rua, 1.1, Turin, SEI, 1931, p.
487-511.

13.4 Page 124

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278
10. ... incitarle a ricopiare sempre meglio D. Bosco in se stesse, cosicché non solo il
loro intemo, ma anche il portamento esterno, gli atteggiamenti, le parole, rispecchino sempre il
delicato sentire, il riserbo amabile e pieno di naturalezza del nostro Ven. Padre.” (P. Albera,
Circulaire aux inspecteurs salésiens, 20 février 1921, L. C., p. 381.) Voir aussi, entre autres, la
lettre de P. Albera aux prêtres salésiens, 19 mars 1921, intitulée : “Don Bosco modello del
Sacerdote Salesiano”, L.C., p. 388-433 ; et le long exposé de P. Ricaldone, “Fedeltà a Don Bosco
Santo”, Atti 74,24 mars 1936,195 p.
11. “I primi salesiani trovarono in Don Bosco la loro guida sicura. Inseriti nel vivo
della sua comunità in azione, impararono a modellare la propria vita sulla sua.” (Constitutions "
SDB, art. 97.)
12. Observation de La Formazione dei Salesiani di Don Bosco. Ratio jundamentalis..,
édition de 1985, § 155.
13. “Ai signori seminaristi di Chieri”, introduction aux Cenni storici sulla vita del
chierico Luigi Comollo Turin, Speirani et Ferrerò, 1844, p. 3.
14. Le sei domeniche e la novena di san Luigi Gonzaga con un cenno sulla vita del
santo, Turin, Speirani et Ferrerò, 1846.
15. Il Cristiano guidato alla virtù ed alla civiltà secondo lo spirito di san Vincenzo de
Paoli, Turin, Paravia et comp., 1848.
16. J. Vecchi, Conférence TV : Spiritualité (dans CG 24 et Vie consacrée, Paris,
décembre 1997, polycopié), p. 3-4.

13.5 Page 125

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Expérience religieuse
L’expérience en spiritualité
Expérience traduit ici : “pratique que l’on a de quelque chose, considérée
comme un enseignement. Au temps de Molière, les médecins dissertaient encore
parfois sur les maladies en fonction d’une logique scolastique. Au dix-neuvième
siècle, Claude Bernard, après une série de recherches sur la chimie et la
physiologie de la digestion et la section expérimentale des nerfs, balaya
définitivement cette logique en médecine au bénéfice de lexpérimentation par son
Introduction à létude de la médecine expérimentale (1865). Un phénomène
analogue sest produit en spiritualité. Les Pères de l’antiquité et les moines
médiévaux pratiquaient et enseignaient une spiritualité fondée à la fois sur la
Révélation et sur l’expérience. La seule logique déductive a pu ensuite dessécher
la théologie spirituelle. Chez nos contemporains, l’étude approfondie de
mystiques, comme saint Jean de la Croix1 ou sainte Thérèse dAvila2, a fait
préférer lexpérience religieuse aux déductions théologiques.
Lexpérience religieuse est lacte - ou l’ensemble dactes - par quoi une
personne se saisit dans son environnement en relation avec Dieu3. Dans
l’expérience religieuse le quelque chosede toute expérience se confond avec les
médiations englobantes, dont aucun acte religieux, qui est nécessairement
relationnel, ne peut se dispenser. Bien entendu, Dieu, qui est tout autre, ne saurait
être réduit à un objet disponible pour des expériences. L‘objetmême de l’acte
religieux demeure donc inaccessible à l’expérience. Mais le milieu religieux
intermédiaire objectivable est un lieu possible dexpérience. Les habitudes,
puissances dinclination et de transformation, constituent un fonds de dispositions
spirituelles qui ouvrent ou ferment à l’Infini. Le quelque chosede lexpérience
religieuse sera donc un geste, une attitude interne ou externe, mais aussi leurs
prolongements médiats ecclésiaux : une image, un sacrement, une communauté,
etc., qui soutiennent la relation dune personne avec Dieu. Le moyen terme de la
relation, qui a été objectivé, est le lieu de l’expérience religieuse.
Un historien (salésien) de la catéchèse nous assure : La complexité du
fait religieux requiert aujourd’hui de centrer l’attention sur ce qui en constitue le
noeud vital, cest-à-dire l’expérience religieuse dans sa signification
anthropologique et culturelle. On peut dire quaujourd’hui la recherche religieuse
se concentre de préférence sur lexpérience, passant ainsi peu à peu du fait
confessionnel à la naissance même de l’invocation et de l’annonce religieuse. H ne
pourra donc y avoir dapproche vraiment sérieuse du fait religieux si, au-delà des
manifestations historiques et phénoménologiques de la religion, on ne pénètre pas
au coeur même du comportement religieux, jusquà l’expérience religieuse en tant
que lecture en profondeur du vécu, à la rencontre du problème du sens, de
l’ouverture au transcendant, à linvocation et à lannonce.4 On nous affirme

13.6 Page 126

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280
même que, désormais, “il ny a pas de discours véritablement théologique si
l’expérience liturgique, sacramentelle, ascétique et mystique de lEglise tout
entière ne vient pas le nourrir et le prolonger.5
La spiritualité salésienne ne s’appuie guère que sur l’expérience religieuse,
à commencer par celle de saint Jean Bosco, qui lui est fondatrice.6 La lecture de
l’expérience spirituelle salésienne est, par elle-même, une leçon de spiritualité.
Les valeurs de lexpérience religieuse salésienne
Le fonds de dispositions qui l’ouvrent à l’Infini constitue l’objet de
l’expérience spirituelle du membre de la famille salésienne. Ne considérons
dabord que le salésien et la salésienne consacrés par voeux. Leur expérience
spirituelle est fondée (dans l’idéal) sur un ensemble de valeurs” vécues, que la
Ratio fundamentalis des salésiens de don Bosco (1985) sest attachée à détailler,
surtout à partir des constitutions de la congrégation. Voici, très librement,
quelques grandes lignes de cet exposé.
L’expérience religieuse de don Bosco fut avant tout, nous dit-elle, une
expérience de l’action de Dieu en lui et à travers lui. Lexpérience salésienne est
essentiellement une expérience théologale. Comme don Bosco, le salésien vit donc
la sequela Christi en vue de l’édification du Royaume de Dieu. H va son chemin
spirituel dans lunion à Dieu Père qui le consacre et qui lenvoie, et dans
l’attention et la docilité à l’Esprit Saint, source de sa sanctification et de son
renouveau spirituel. La valeurprincipale de son expérience est l’amour enraciné
en Dieu même, cest-à-dire la charité divine, que, toutefois, il ne faudrait pas isoler
indûment. Le Christ, médiateur du Père, est rencontré dans lEglise, son Corps, et
sous légide de sa mère Marie, première coopératrice de Jésus dans l’oeuvre de
salut. Toute immédiate et personnelle quelle soit, l’oeuvre damour de chacun est
accomplie dans le monde de la communion des saints. Cet ensemble est le décor
de l’expérience religieuse salésienne.
Le vocable amour” nous renvoie automatiquement à laffection et à la
fusion sensible des êtres. En quoi il nous trompe quand il s’agit de l’amour de
Dieu. Ramener cet amour au sentiment affectueux quil suscite est très insuffisant.
Lamour vient de Dieu et s’adresse à une créature. Dans le geste aimant, le propre
de celle-ci ne peut être que le renoncement à soi-même, dont la mort chrétienne
est la traduction en termes terrestres. Le Fils ressuscité, modèle ineffable d’amour,
ne souffre plus, il est vrai. H ne sen remet pas moins totalement à son Père et ne
fait pas moins sa volonté que sur la croix. L’expérience filiale, qui est la nôtre, est
substantiellement identique, que ce soit dans les épreuves ou dans les joies.
Limportant nest pas ce que l’on ressent, à quoi beaucoup réduiraient volontiers
l’expérience religieuse, surtout celle de lamour, mais de se laisser saisir et
transformer par Dieu en faisant sa volonté. Que votre volonté soit faite, telle est
la bonne réponse à loffre aimante de Dieu. Toute la vie du disciple est concernée.
Cest au prix de l’accomplissement exact de cette volonté que nous devenons
semblables au Christ et que nous connaissonsle Père.

13.7 Page 127

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281
Lauthentique expérience religieuse porte le salésien à lengagement
pratique, autrement dit à la praxis. Par son orientation la praxis est une valeur de
son expérience. Connaître Dieu Père, dans le sens le plus purement biblique,
cest lui obéir, mettre en pratique sa volonté, donner sa vie de façon concrète. Le
terme fairesous toutes ses formes (mes oeuvres, les oeuvres du Père)
jalonne toutes les pages de lEvangile. Pour saint Jean il ny a pas de
connaissancede Dieu, de véritable expérience de Dieu sans amour concret
d’autrui. Réaliser lexpérience de Dieu ne saurait se réduire pour un salésien à
contempler intellectuellement et à accepter affectivement sa présence libératrice en
ce monde. Un assentiment purement conceptuel ou affectif ne le rapproche pas de
Dieu selon sa vocation apostolique7.
Cest par laction que le salésien progresse dans son expérience de
communion avec le Christ, qui l’accompagne et lui communique sa force et son
amour.
La prière entre naturellement dans lexpérience religieuse du salésien. En
lui, la rencontre damour de Dieu suscite en premier lieu ladoration. La personne
religieuse, pour qui “Dieu est Dieu et il n’en est pas dautre, s’incline ou se
prosterne devant lui dans une attitude de profond respect. Elle tient, par son
langage, par son culte et par sa vie, à le reconnaître comme tel, à lui rendre
gloire, pour reprendre une formule biblique. Pour elle, Dieu est toujours le Dieu
dont la gloire est le bien inaliénable. Le salésien se souvient que don Bosco a
fondé son oeuvre pour la plus grande gloire de Dieudabord, pour le salut des
âmesensuite, même si sauver des âmesfut pour lui le moyen par excellence de
servir la gloire de Dieu. Il sefforce donc de proclamer avec conviction
linvocation adoratrice de Dieu Trinité : Gloire au Père, au Fils et au
Saint-Esprit”, qui ouvre chacune de ses prières liturgiques. Sans adoration
l’expérience se banalise et se sécularise. L’expérience religieuse authentique est
imprégnée dadoration.
La prière salésienne est en grande part de demande et de remerciement.
Car la créature souffre de sa pauvreté et de sa faiblesse, elle les reconnaît. Les
psaumes interprètent bien ces sentiments. Quelle que soit sa forme, la prière établit
le disciple en dialogue avec son Seigneur. La méditation prend la forme dun
colloque. Dans la tradition salésienne, textes, méthodes et temps de loraison
imposent une prière intimement liée à l’action. Le salésien fait l’expérience
religieuse d’une prière personnelle ou communautaire intégrée à la vie courante.
Enfin, les salésiens vivent en commun une expérience de Dieu qui les
rapproche et les unit par une même vocation, par sa Parole et par son amour. Il
nest pas d’expérience de Dieu en Jésus qui ne passe par le sacrement obligé du
prochain personnel et communautaire. Pauvreté, chasteté et obéissance donnent
une couleur particulière à cette vie commune. Les salésiens célèbrent leur
expérience par leucharistie, au cours de laquelle la communauté renouvelle son
engagement apostolique et se reconstruit dans le Christ en tant que communion
fraternelle.

13.8 Page 128

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282
Avec l’action et la prière, la vie communautaire est (ou devrait être) pour
les salésiens le lieu de leur expérience religieuse.
L’expérience religieuse du coopérateur salésien
Le Règlement de Vie Apostolique des coopérateurs salésiens contient un
article sur leur expérience religieuse, dite de foi engagée (esperienza di fede
impegnata), qui présente heureusement l’expérience religieuse du salésien non
religieux.
§ 1. Le coopérateur participe à l’expérience spirituelle de don Bosco,
vécue avec une intensité particulière parmi les jeunes du premier oratoire au
Valdocco [turinois].
§ 2. H éprouve Dieu comme Père et Amour sauveur. Il rencontre en Jésus
Christ le Fils Unique et l’Apôtre parfait du Père, le Bon Pasteur rempli de
sollicitude envers les petits et les besogneux, le Ressuscité qui demeure avec nous
tous les jourscomme Seigneur de lhistoire. H vit en intimité avec l’Esprit Saint,
lAnimateur du Peuple de Dieu dans le monde. Il vénère en Marie celle qui a
coopéré de manière absolument unique à loeuvre du Sauveur” et ne cesse de
coopérer comme Mère et Auxiliatrice du peuple chrétien. H se sent partie vivante
de l’Eglise, Corps du Christ, centre de communion de toutes les forces qui opèrent
pour le salut.
§ 3. Il découvre de la sorte l’aspect le plus profond de sa vocation : être
un véritable coopérateur de Dieudans la réalisation de son dessein de salut :
Des choses divines, la plus divine est de coopérer avec Dieu au salut des âmes
[disait et écrivait don Bosco].9
Notes
1. Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, 2^
éd., Paris, Alcan, 1931.
2. E. Renault, Sainte Thérèse d’Avila et l’expérience mystique, Paris, 1970.
3. Voir, ci-dessus, Introduction, p. 12-13.
4. “La complessità del fatto religioso chiede oggi di mettere al centro dell’attenzione
ciò che ne costituisce il nucleo vitale, vale a dire l'esperienza religiosa nel suo significato
antropologico e culturale. Si può dire che oggi la ricerca religiosa si concentra preferentemente
sull’esperienza, trasferendosi man mano dal dato confessionale al sorgere stesso dell’invocazione
e del presagio religioso. Non si potrà essere perciò un approccio veramente impegnativo e serio
al fette religioso se, al di delle manifestazioni storiche e fenomenologiche della religione, non
si va al cuore stesso dell’atteggiamento religioso, all’esperienza religiosa in quanto lettura in
profondità del vissuto, incontro col problema del senso, apertura al trascendente, invocazione e
presagio.” (E. Alberici), ’L’educazione religiosa oggi”, in Orientamenti pedagogici 44 (1997), p.
326.)
5. J. Duchesne, “L’épreuve de l’amour”, Communio 1, 8, novembre 1976, p. 3.

13.9 Page 129

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283
6. Voir, dans l’Introduction, ci-dessus, p. 12-16, le paragraphe “A l’origine,
l’expérience religieuse de don Bosco”.
7. La formazione dei Salesiani di Don Bosco. Principi e Norme. Ratio fundamentalis
institutionis et studiorum, 2ème éd., Rome, Ed. SDB, 1985, n. 67-111, p. 75-104. Les seules
“valeurs spirituelles” sont prises en considération à cet endroit de la Ratio.
8. Voir à ce sujet et d’un point de vue jésuite P. Arrupe, “L’expérience de Dieu dans la
vie religieuse”, Vie consacrée, 1977, p. 338.
9. “§ 1. Il Cooperatore partecipa all’esperienza spirituale di Don Bosco, vissuta con
particolare intensità tra i giovani del primo Oratorio in Valdocco. - § 2. Sente Dio come Padre e
Amore che salva. Incontra in Gesù Cristo l’Unigenito Figlio e l’Apostolo perfetto del Padre,
Buon Pastore pieno di sollecitudine per i piccoli e i bisognosi, il Risorto che sta con noi “tutti i
giorni” come Signore della storia. Vive in intimità con lo Spirito Santo, l’Animatore del Popolo
di Dio nel mondo. In Maria venera colei che “ha cooperato in modo assolutamente unico
all’opera del Salvatore” e non cessa di cooperare come Madre e Ausiliatrice del popolo cristiano.
Si sente parte viva della Chiesa, Corpo di Cristo, centro di comunione di tutte le forze che
operano per la salvezza. - § 3. Scopre così l’aspetto più profondo della sua vocazione : essere
vero “cooperatore di Dio” nella realizzazione del suo disegno di salvezza : Delle cose divine, la
più divina è quella di cooperare con Dio a salvare le anime.” {Regolamento di Vita Apostolica,
art. 27.)

13.10 Page 130

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284
Famille
De la famille patriarcale à la famille conjugale
Jusquà la fin du vingtième siècle, la tradition salésienne a relativement
peu parlé de la spiritualité familiale, objet de cet article, si ce nest, dans le cas de
don Ricaldone1, pour déplorer la déchéance de la famille moderne, et, de façon
générale, à l’occasion de certains récits biographiques. Ainsi, l’histoire de
Margherita Bosco (Maman Marguerite), intitulée par don Lemoyne : Scènes
morales de famille2, fut une catéchèse familiale narrative à l’intention du public
populaire de la revue salésienne, dite Letture cattoliche.
Toutefois, hormis les documents relatifs aux coopérateurs, on découvre
aux deux extrémités de la chaîne, lors de la naissance de la congrégation salésienne
et sous le gouvernement du septième successeur de don Bosco, trois pièces
consacrées directement à la famille et, par là, plus ou moins à la spiritualité
familiale : le Porta teco, Cristiano (1858) de don Bosco et les lettres circulaires de
don Egidio Viganô, Appelli del Sinodo 80 (Appels du Synode 80) (1980) et
Nellanno délia famiglia (En l’année de la famille) (1994). Le Porta teco de don
Bosco, bâti sur la question des devoirs dans la famille, énonçait successivement les
devoirs des pères de famille, les devoirs des fils de famille, les devoirs des mères et
des filles de famille, et noubliait pas ceux de la domesticité. Sa participation en
1980 au synode romain des évêques sur le thème de la famille incita le recteur
Viganô, aussitôt après la clôture, à confier aux salésiens ses découvertes et ses
impressions. Et, quand 1994 eut été déclarée par l’ONU année internationale de la
famille, le même don Viganô revint sur ce problème cher au pape dalors, que le
recteur vénérait particulièrement. Les notes de spiritualité abondaient dans ces
trois pièces3.
Toutefois, les exhortations différaient beaucoup de la plus ancienne aux
plus récentes. Entre 1858 et 1980, limage de la famille avait en effet beaucoup
changé dans le monde. De la famille patriarcale, avec sa maisonnée dominée par le
père, la société occidentale du vingtième siècle était passée à la famille conjugale,
de plus en plus monoparentale4, imprégnée de permissivité sexuelle, où, de toute
manière, le père ne gouvernait plus en tant que chef de famille”5.
Les désordres déplorés dans la famille conjugale du vingtième siècle
finissant ne ressemblaient guère à ceux de la famille patriarcale du dix-neuvième
siècle. En 1858, on recommandait aux pères de “ne pas traiter leurs enfants
comme des esclaves” et de leur laisser une honorable liberté6 ; de ne pas
dilapider la dot et les autres biens de leurs femmes, et de ne jamais les contraindre
à les aliéner. H leur fallait les tenir au courant des affaires de la maison, mais avec
la précision significative : “toutes les fois que ce sera au bénéfice de la famille”7.
Légalité des sexes était alors une idée subversive. Le contrôle paternel s’étendait

14 Pages 131-140

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14.1 Page 131

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285
à la domesticité. Le père devait veiller à ses bonnes moeurs et faire en sorte quelle
accomplisse ponctuellement tous les devoirs du bon chrétien.8 Etc. Cent quarante
ans après, au sentiment du recteur Viganô la situation de la famille était devenue
bien triste”, “surtout si nous nous remémorons, écrivait-il, nos familles dhier,
remplies d’amour chrétien, débordantes de vie et témoins de simple sagesse9. Le
lien du mariage sétait relâché, les pères étaient de plus en plus fragilisés, la
contraception et l’avortement autorisés par la mentalité générale rendaient en
quelque sorte la mère propriétaire de l’enfant, les progrès de la bioéthique, selon
lesquels les pères nétaient plus indispensables à l’acte sexuel, tendaient à les
évincer de la famille, la dénatalité devenait alarmante, le nombre des “orphelins de
parents vivants” augmentait sans cesse, on approchait de la reconnaissance légale
des couples homosexuels, l’institution famille tout entière se précarisait10. En
somme, son identité sétait brouillée. A ce train, on ne pourrait bientôt plus la
considérer comme la cellule fondamentale de la société11.
Une spiritualité familiale pour les temps nouveaux
Les deux lettres de don Viganô sur la famille proposaient à l’attention des
religieux quelques grandes lignes dune spiritualité familiale déduite de Vatican II,
du synode romain de 1980 et des actes de Jean-Paul H, en particulier de son
exhortation apostolique Familiaris consortio (22 novembre 1981) et de sa Lettre
aux familles (2 février 1994). Le recteur centrait cette spiritualité sur lamour,
terme compris évidemment par lui dans son sens le plus noble de fusion
personnelle desprit et de corps pour le meilleur bien de chacun et pour celui du
couple, devenu foyer et donc source de vie. L’amour, déplorait-il, a été séparé de
la vie et, par même, dégradé. On ignore désormais son fonds de martyreet
son lien historique indispensable avec le sacrifice ; la croix nest plus lexpression
majeure de l’amour. Si aimer nest plus que synonyme dexpérimenter un plaisir
..., etc.12 L’amour, qui implique le don de soi, ne peut jamais être purement
égoïste ; le plaisir, quil ne refuse certes pas, ne se confond pas avec lui. Mais la
culture contemporaine, systématiquement hédoniste, ny trouve pas son compte.
Par fidélité à lamour et à la vie que lamour appelle, la famille peut donc être
obligée de choisir un style contraire à la culture et à la mentalité courantes, ainsi
quaux comportements communs relatifs à la sexualité, à la liberté individuelle et
aux biens matériels. Eglise domestique”13, la famille chrétienne est au monde sans
être du monde.
Le recteur relevait avec intérêt deux Propositionsdes évêques au pape
lors du synode de 1980. Elles condensaient les idées des pères synodaux sur la
nature de la spiritualité familiale et les conditions de son développement.14 La
spiritualité familiale est à la fois, disaient-elles, une spiritualité de la création, de
l’alliance, de la croix et de la résurrection. Les époux sont, en effet, créateurs de
vie. Us choisissent la vie, non pas le néant. Leur union construit une communauté
vivante, dont ils assument la responsabilité. Cette communauté devrait être le lieu
de leur croissance personnelle. Par leur alliance, ils deviennent une seule chair,
destinée à fructifier charnellement et surtout spirituellement. Cette alliance
implique un don réciproque, que lenfant vient sceller. A limitation de Jésus, la
spiritualité familiale consiste dans le don mutuel de la vie. Ce don, qui est

14.2 Page 132

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286
permanent, passe, nous apprend Jésus, par la croix. H ne va donc jamais sans
renoncement ni sacrifice. A travers les épreuves, une spiritualité de résurrection
impose aux époux de toujours recommencer, de pardonner, doublier les injustices
et, malgré tout, de cultiver la joie des renaissances.
Dans cet esprit, continuait le synode, le couple chrétien cultive la
connaissance et laffection de l’un pour lautre. Les relations familiales éveillent et
nourrissent connaissance et affection. Les deux conjoints se respectent
mutuellement et, par le dialogue, participent à l’autorité dans la famille.
L’austérité, la sobriété, la simplicité et un climat de pureté devraient caractériser
leur foyer face à la société de consommation environnante violemment érotisée.
Que faire, pour au moins approcher de cet idéal ? Dabord accomplir
fidèlement les tâches propres à toute famille, en particulier pour l’éducation des
enfants. Puis prier en famille en tant que famille. Les formes possibles de cette
prière sont variées : prières commîmes en soirée, lecture et méditation de la parole
de Dieu, préparation à la réception des sacrements en famille, récitation du
chapelet, et aussi participation de la famille comme telle à des célébrations
communautaires pendant les principaux temps liturgiques et à l’occasion des
événements les plus importants de la vie familiale.15
La spiritualité familiale du Règlement de Vie Apostolique
Le nouveau règlement des coopérateurs salésiens (1986), association
constituée avant tout de laïcs, a abordé la question de la famille en fonction de la
spiritualité conciliaire dans deux articles quil suffira de présenter et de commenter
succinctement id, lun sur l’état de mariage, sacrement de l’amour et fondateur du
foyer familial (art. 9), l’autre sur la famille comme telle, qui devrait être, nous
répète-t-on, une “église domestique(art. 8).16
Le coopérateur marié trouve dans le sacrement de l’amour la capacité de
vivre avec enthousiasme sa mission d’époux et de parent. Témoin de la foi, il
sengage à construire une communion conjugale profonde. Le couple sefforce de
communier aux plans spirituel, cordial, physique et dans l’action même. Lun et
l’autre saident réciproquement jusque dans leur croissance chrétienne.
Coopérateur de lamour de Dieu créateur”, le coopérateur salésien est
responsable et généreux dans l’accueil et la transmission de la vie. Il donne par
conséquent une réponse positive à son appel. Loin de le refuser et de le craindre, il
l’assume et l’accueille, convaincu de la beauté et de la grandeur de cette mission.
Sachant que les parents sont les premiers et les principaux éducateurs de leurs
enfants, il veille à leur croissance par l’exemple et par la parole, selon la méthode
de la bonté, qui est propre au Système préventif. Et il les aide à découvrir, puis à
suivre leur vocation propre en les orientant vers laction apostolique.
Le coopérateur connaît bien les valeurs de la famille. Son idéal serait de
lui donner une forme tout à fait chrétienne et den faire une “église domestique,
c’est-à-dire une sorte de sanctuaire domestique de l’Eglise, un lieu saint,
Dieu est présent, adoré et servi, dont les membres s’aiment vraiment dans la

14.3 Page 133

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287
sincérité et la sérénité17. H contribue donc à la croissance humaine et chrétienne
de ses membres par le dialogue, l’affection mutuelle et la prière commune, une
prière commune malheureusement inexistante en tant de familles chrétiennes,
déplore le commentateur de l’article.
L’amour qui remplit sa vie conjugale et familiale est éminemment oblatif
Il refuse donc toute forme d’égoïsme, non seulement personnel, mais collectif. Le
coopérateur soigne l’ensemble de sa parenté, à commencer par la plus proche,
avec une attention particulière pour les plus jeunes et les anciens. Généreux et
hospitalier, il vient au secours de ceux qui en ont besoin et soffre à collaborer
avec les autres familles.
Qui ne voit les possibilités pour le coopérateur de se montrer apôtre
salésien à l’intérieur de sa propre famille ? Pensons au foyer des Becchi, qui a été
la semence dun esprit salésien, dit avec raison de famille, imprégné d’affection
mutuelle et jamais simulée, de religion vraie, dabnégation courageuse et de
simplicité cordiale, maintenant répandu dans le monde entier.
Notes
1 P. Ricalitene, § “La famiglia, la scuola, il tempio”, dans sa lettre aux salésiens, 24
décembre 1939, Atti 96, p. 14 et sv.
2 G. B. Lemoyne, Scene morali di famiglia esposte nella vita di Margherita Bosco,
Turin, typographie et librairie salésienne, 1886, VHI-190 p.
3. Porta teco, Cristiano, ovvero Avvisi importanti intorno ai doveri del Cristiano,
acciocché ciascuno possa conseguire la propria salvezza nello stato in cui si trova, Turin,
Paravia, 1858 ; E. Viganò, Lettre aux salésiens, 8 décembre 1980, Atti 299, janvier-mars 1981,
p. 3-30 ; Lettre aux salésiens, 10 juin 1994, Atti 349, juillet-septembre 1994, p. 3-32.
4. Dans la quasi-totalité des cas, il s’agit de familles sans père. Les statistiques à ce
sujet donnent à réfléchir. Aux Etats-Unis, le Population Council estime qu’environ 24 % des
ménages avec enfants à charge sont dirigés par un seul parent, le plus souvent la mère. Dans la
communauté noire, la proportion est traditionnellement plus importante : 57 % des enfants
grandissent dans un foyer monoparental. Mais, aujourd’hui, l’évolution à la hausse du
pourcentage de familles monoparentales touche désormais l’ensemble de la population, surtout
dans les couches les plus pauvres. Sur le continent européen, selon les chiffres donnés en 1995
par Eurostat, la proportion des familles monoparentales a augmenté dans des proportions allant
de 25 à 50 % dans la plupart des pays européens depuis le début des armées 80. Les cellules
monoparentales représentai aujourd’hui environ 18 % de l’ensemble des familles. Les pays les
plus touchés sont la Norvège, la Finlande, la Grande-Bretagne, la Belgique et l’Autriche. Pour ce
qui concerne la France seule, Evelyne Sullerot évaluait en 1993 à deux millions et demi le
nombre d’enfents vivant avec leur seule mère. (D’après J.-Cl. Guillebaud, “Refaire fermile”,
dans La tyrannie du plaisir, Paris, Seuil, 1998, p. 356-357.)
5. Modification très significative : à partir de la loi du 4 juin 1970 le mari ne fut plus
désigné dans le Code civil fiançais (art 213) comme étant le “chef de la famille”.
6. “Non tenga i figliuoli come schiavi, ma dia loro onorata libertà” (Porta teco, p. 17).
7. “Non iscialacquare le doti od altri loro averi ; costringerle a forza di
acconsentirne l’alienazione. Mettetele a parte degli affari della casa, tutte le volte che tal cosa
può tornare vantaggiosa per la famiglia.” (Porta teco, p. 23).
8. Porta teco, p. 28.

14.4 Page 134

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288
9. “La crisi ci colpisce di più se riandiamo con la memoria alle nostre famiglie di ieri
ripiene di amore cristiano, traboccanti di vita e testimoni di saggezza nella semplicità.
Certamente sono cambiati i tempi.” (Lettre du 10 juin 1994, loc. cit., p. 6.)
10. Note sur le mariage dans la France contemporaine. - En 1997, 284 000 mariages
civils ont été célébrés. En 1960, 320 000 unions avaient été déclarées. Aujourd’hui, le mariage
n’est plus l’acte fondateur du couple : 87 % des couples vivent ensemble avant de se marier ; ils
n’étaient que 15 % dans ce cas en 1960. Dans les années 70, la cohabitation apparaît comme un
mariage à l’essai, puisque, deux ans après le début de leur vie commune, la moitié des couples se
marient En 1990,9 % des couples se sont mariés après un an de vie commune, 30 % au bout de
cinq ans, mais 48 % sont restés concubins. En 1996,118 000 divorces ont été prononcés, dont 36
% concernant des couples sans enfants mineurs. 4,2 millions de personnes sur les 29,4 millions
vivant en couple en 1994, n’étaient pas mariées. En 1995, 35,6 % des enfants sont nés de
parents non mariés, contre 11,4 % en 1980. Aujourd’hui, plus de la moitié des premiers enfants
naissent hors mariage. (D’après Le Monde, 15 septembre 1998.)
11. E. Viganù, Lettre du 10 juin 1994, loc. dt, p. 6-7.
12. “L’amore è stato disgiunto dalla vita e, perciò stesso, degradato. Non si
considerano più le sue risorse di martirio e il suo indispensabile legame storico con il sacrifido ;
non si guarda più alla croce come alla massima espressione dell’amore. Se amare è solo
sinonimo di sperimentare un piacere... Etc. (Lettre du 8 décembre 1980, loc. cit., p. 14.)
13. Vatican II, Lumen gentium, n. 11.
14. “La teologia del matrimonio e la indiscussa vocazione dei coniugi alla santità,
hanno mosso i padri sinodali a trattare con singolare cura il tema di una spiritualità della
famiglia.” (Même lettre du 8 décembre 1980, loc. cit., p. 22.)
15. Tout ced d’après les Propositions 36 et 37 du synode de 1980.
16. Commentaire autorisé de ces articles dans J. Aubry, Guida di lettura al
Regolamento di vita apostolica dell’Associazione Cooperatori Salesiani ... , Roma, éd.
Cooperatori, 1987, p. 35-40.
17. “Come il santuario domestico della Chiesa, un luogo santo, dove Dio è presente ed
è adorato e servito, dove i membri si vogliono veramente bene, con sincerità e serenità.” (J.
Aubry, Guida di lettura ..., p. 36, qui s’inspire de Vatican U, Apostolicam actuositatem, n. 11.)

14.5 Page 135

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289
Famille salésienne
La famille salésienne des origines1
Don Bosco a toujours pensé et affirmé que la famille salésiennenaquit
avec son oeuvre turinoise vers 1844, une quinzaine dannées avant sa société
religieuse masculine (1859). C’était alors déjà, selon lui, “une sorte de
congrégation, dont les membres, sans prononcer de voeux, saidaient
mutuellement et promettaient de travailler sous sa conduite dans l’oeuvre
naissante.2 Certes, ce disant, il forçait les traits dune association très peu
structurée. H nimporte, nous sommes à la naissance de la réalité de la famille
salésienne, collectivité organisée qui se rattache à lui et à ses successeurs.
Dans les années 1840 et 1850, il y avait autour de don Bosco des
ecclésiastiques et des laïcs, des hommes et aussi des femmes, qui participaient de
plus ou moins loin à son oeuvre d’apostolat auprès des jeunes Piémontais réunis
dans sa maison de banlieue. Don Bosco avait engagé les plus dévoués pour des
cours du soir (lecture, écriture, chant, rudiments darithmétique et de langue
italienne) ; ou pour l’enseignement du catéchisme, généralement vers midi durant
l’hiver. Les femmes cousaient, lavaient, rapiéçaient et fournissaient linge et
vêtements à une population souvent malpropre et en haillons.3 Puis, en 1859, la
congrégation fut partagée en deux catégories ou plutôt en deux familles,
expliquait don Bosco. Ceux qui étaient libres et sy sentaient destinés décidèrent
de demeurer ensemble au Valdocco de Turin ; tandis que les autres, les externes,
restaient chez eux, tout en maintenant des liens avec l’oeuvre des oratoires”.4 Il y
aura désormais, dun côté, la congrégation des religieux salésiens, et, de lautre, ce
que lon dénommera bientôt lunion des coopérateurs salésiens. La famille
salésienneamorçait son évolution.
La famille salésienne née du chapitre général spécial (1971)
Successivement, la famille salésienne vit apparaître en son sein, en 1872
les filles de Marie auxiliatrice, en 1876 l’union des coopérateurs salésiens, en 1908
l’association des anciens élèves de don Bosco, en 1916 la société destinée à
devenir les volontaires de don Bosco. Et, au cours du vingtième siècle, des
sociétés religieuses naquirent, qui, parce que des prêtres ou des évêques salésiens
les avaient créées, se réclamaient de l’esprit salésien de don Bosco. Une famille
salésienne existait donc, vivante, quoique non reconnue. Car ses frontières
demeuraient floues. Fallait-il y faire entrer les “anciens élèves des salésiens et des
salésienneset diverses petites congrégations du sillage de don Bosco ? Et
lopinion salésienne sen désintéressait. La plupart des religieux doutaient de la
simple existence dune famille salésienne. Dailleurs aucune structure définie
nassurait une communion quelconque entre ses composantes. Lefficacité de
l’ensemble en pâtissait. Au lendemain de Vatican U, l’attention portée à la mission

14.6 Page 136

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290
tournait les esprits vers cette famille, dont les membres sans se connaître
oeuvraient dans le même sens. Quy faisait-on du principe de don Bosco, selon
lequel un fil triple a toujours plus de force qu’un fil simple ?
En 1971, le chapitre général réuni à la suite de Vatican II commença de
remédier à une déficience de plus en plus évidente. H consacra une étude
particulière à la famille salésienne. La famille salésienne est un fait depuis don
Bosco, remarqua-t-il d’emblée. Son intention très homogène fut, dès 1841, de
réunir dans ime sorte de vaste ensemble tous ceux qui accepteraient de travailler
avec lui. Lunité familiale résulte dune même consécration baptismale, dune
commune mission, dun esprit dit salésien commun et dune authentique fraternité.
La communion dans une même vocation de base réclame un minimum d’unité
institutionnelle, qui favorise l’intercommunication et la collaboration entre les
divers groupes composant cette famille5. Un statut était ainsi ébauché, que
reprendra bientôt un article constitutionnel. Cest alors que la famille salésienne
naquit officiellement, comme le remarquait vingt-cinq ans plus tard le recteur
Vecchi.6
Le scepticisme de règle sur sa vitalité satténua. Un dicastère particulier
veilla sur la famille salésienne dans le conseil général salésien de Rome. Chaque
année, à partir de 1973, une semaine de spiritualité, organisée le plus souvent par
ce dicastère, fut consacrée à l’étude dun problème de la famille : le système
préventif, les jeunes, la femme, les vocations, la direction spirituelle, les exercices
spirituels, le laïcat, l’engagement social, léducation de l’amour ... Une pensée
commune se formait. On saccoutumait à travailler ensemble. Les constitutions
salésiennes rénovées en 1984 rappelèrent que, de don Bosco, provenait un vaste
mouvement de personnes oeuvrant de diverses manières au salut de la jeunesse,
que la société de saint François de Sales, linstitut des filles de Marie auxiliatrice et
l’association des coopérateurs salésiens, fondés par lui, poursuivaient sa mission
selon leurs vocations particulières, enfin, que dautres groupes sy étaient agrégés
après sa mort. Le tout, reconnaissait le document, constitue la famille
salésienne.7 H nétait plus permis dignorer sa réalité.
La famille salésienne au temps de don Viganò
Le recteur Egidio Viganò (1978-1995), dont la première circulaire fut
intitulée de manière significative : Marie rénove la Famille salésienne”8, plaça
demblée la famille salésienne au coeur de ses préoccupations. H lui consacra toute
une lettre pour dire quelle constituait un précieux héritage de don Bosco, que cet
héritage exigeait une vraie fidélité de la part de ses fils religieux, que don Bosco
avait constitué une famille spirituelle unifiée et vivifiée par son charisme, et enfin
quil nétait pas question de sendormir sur le passé glorieux de la congrégation
masculine.9 Ce recteur ne manquait jamais l’occasion de parler dans ses lettres de
la famille salésienne, que ce soit les étrennes spirituelles sur la promotion du laïcat
(1986) ou sur la communion dans la famille (1987), le cent cinquantième
anniversaire de la naissance de sainte Marie Dominique Mazzarello (1987), la
célébration du centenaire de la mort de don Bosco (1988), la béatification de don

14.7 Page 137

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291
Rinaldi (1990), le message du synode des évêques sur la vie consacrée (1994),
etc.... H y revenait sans cesse10.
Cependant, la famille salésienne s’élargissait par l’affiliation de diverses
sociétés fondées par des salésiens : les Hijas de los Sagrados Corazones de Jesús y
de Maria en 1981, les Salesiane Oblate del Sacro Cuore en 1983, les Apostóle
délia Sacra Famiglia en 1984, les Caritas Sisters of Miyazaki en 1986, les
Missionary Sisters of Mary Help of Christians en 1986, et six autres encore entre
les années 1987 et 1992. Des critères dappartenance étaient demandés aux
associations postulantes. H leur fallait témoigner d’un certain nombre de valeurs :
une vocation salésienne signifiée par l’adhésion au charisme de don Bosco, une
participation à la mission salésienne auprès des jeunes et du peuple, le partage de
l’esprit et de la méthode déducation propres à la famille salésienne, une vie
évangélique nourrie d’esprit salésien”, ainsi quune volonté manifeste de sinsérer
dans la famille et d’y vivre dans la fraternité et la collaboration, en reconnaissant
au recteur majeur des salésiens une fonction de père et de centre d’unité.11
La Charte de communion (1995)
Enfin, le statut densemble de la famille salésienne, qui faisait encore
défaut, vit le jour, fruit dun long travail de collaboration entre ses différents
groupes. Laccent y fut mis sur la communion. Peu avant sa mort, le recteur
Viganô présenta, à la date du 31 janvier 1995, ce document intitulé “Charte de
communion dans la Famille salésienne”12.
“LEsprit Saint, disait cette charte, a suscité, à travers don Bosco, la
Famille Salésienne, pour un meilleur accomplissement de la mission qui lui avait
été confiée.Et elle la définissait sommairement : La Famille salésienne est un
ensemble de baptisés et de consacrés qui, en fonction du don qui leur est propre,
se mettent au service de la mission de lEglise, Corps du Christ, sacrement
universel de salut.”13 La communion, échange de dons dans la réciprocité, justifiait
l’existence de cette famille. En effet, dans une Eglise qui est toute entière
communion, la famille salésienne manifeste un seul coeur et une seule âmepar
des expériences de communion fraternelle et apostolique au service de la mission
et pour l’enrichissement mutuel de ses groupes et des personnes qui les
composent14.
La charte avait trente-huit articles distribués en cinq chapitres : 1) La
grâce de communion dans la Famille salésienne, 2) La participation à la Famille
salésienne, 3) Les traits caractéristiques du visage salésien, 4) La formation à une
fraternité active, 5) Les services de communion.
Les considérations spirituelles abondaient dans cette charte. Un article
presque exalté, affleuraient certaines convictions du recteur Viganô, y disait la
place centrale de don Bosco dans la spiritualité familiale (art. 7). Don Bosco,
lisait-on, fut “un géant de l’esprit” (gigante dello spiritó), qui a laissé en héritage
un patrimoine spirituel riche et bien défini. Cest linitiateur d’une véritable école
de spiritualité apostolique, nouvelle et attrayante. Il constitue un point de

14.8 Page 138

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292
référence obligé pour ceux qui, par une impulsion particulière de lEsprit, se
sentent appelés, dans l’aujourdhui de l’histoire, à partager son destin et sa mission
dans divers états de vie, chacun au niveau qui lui est propre. Lappartenance se
construit autour dun centre unificateur, qui est une personne, un critère et un
style. La personne est celle de don Bosco. La famille salésienne sinspire de
l’humanisme de saint François de Sales, vécu de façon particulière par don Bosco.
Ce qui lie ensemble les différents groupes et leurs membres en une seule famille
est une sorte de parenté spirituelle en don Bosco, qui est vraiment le père de
tous”.15 Le troisième chapitre de cette charte, avec une série commentée de
paroles” particulièrement significatives de don Bosco et une suite dite
d’“éléments porteursde l’esprit commun, était à sa manière un condensé de
spiritualité salésienne.16
Lunion dans la famille nest pas seulement spirituelle, mais aussi
juridique. H ne suffit pas dinvoquer le patronage de don Bosco pour vivre dans
l’unité familiale. L’appartenance à un ensemble de nombreux groupes dans le
respect de leur originalité et de leur autonomie, nécessite un centre vital propre à y
maintenir le rapport au fondateur, à l’esprit commun et à la même mission. Le
centre garant de lunité était, dans la pensée de don Bosco, le recteur majeur des
salésiens. Tous les groupes de la famille salésienne reconnaissent donc au recteur
majeur qui lui succède un triple ministère dunité : le recteur est le successeur de
don Bosco, le Père de tous et le centre dunité de la famille.17
Notes
1. Quelques problèmes généraux de la “famille salésienne” (histoire primitive, éclosion
lors du chapitre général spécial des salésiens, traits fondamentaux de l’esprit, place du recteur
majeur dans la famille) ont été étudiés lors d’un colloque qui lui fut consacré à Luxembourg en
1973. Voir : La Famiglia salesiana, coll Colloqui sulla vita salesiana 5, Torino-Leumann, Elle
Di Ci, 1974, 351 p.
2. "... Onde per conservare l’unità di spirito e disciplina, da cui dipende il buon esito
degli oratorii, fin dall’anno 1844 alcuni ecclesiastici si radunarono a formare una specie di
congregazione aiutandosi a vicenda e coll’esempio e coll’istruzione ( ...) Essi non fecero alcun
voto propriamente detto ; tutto si limitò di fere una semplice promessa di non occuparsi se non in
quelle cose che il loro superiore giudicava di maggior gloria di Dio e vantaggio dell’anima
propria. Riconoscevano il loro superiore nella persona del Sac. Bosco Gioanni.” (Congregazione
di S. Francesco di Sales, ms inédit, vers 1858, p. 5)
3. Voir, par exemple, le récit de don Bosco intitulé : Storia dei Cooperatori Salesiani,
édité dans les actes du colloque La Famiglia salesiana, p. 341-343, qui fut publié dans sa revue
Bibliofilo Cattolico o Bollettino Salesiano mensuale, ann. ni, n 6 [septembre 1877].
4. ... ma in quell’anno [1858] la Congr. fu divisa in due categorie o piuttosto in due
famiglie. Coloro che erano liberi di se stessi e ne sentivano vocazione, si raccolsero in vita
comune, dimorando nell’edifizio che fu sempre avuto per casa madre e centro della pia
associazione [... ]. Gli altri ovvero gli esterni continuarono a vivere in mezzo al secolo in seno
alle proprie famiglie, ma proseguirono a promuovere l’opera degli Oratorii ...” (Cooperatori
Salesiani, ms autographe de don Bosco, publié par E. Ceria, MB XI, p. 85-86.)
5. “Le prospettive della “famiglia” salesiana oggi”, in CGS n. 151-177.

14.9 Page 139

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293
6 Juan Edmundo Vecchi, “La Famiglia Salesiana compie venticinque anni”, Atti 358,
janvier-mars 1997, p. 3-41.
7. Voici cet article dans sa formulation definitive de 1984 : “Da Don Bosco trae
origine un vasto movimento di persone che, in vari modi, operano per la salvezza della gioventù.
Egli stesso, oltre la Società di san Francesco di Sales, fondò l’Istituto delle Figlie di Maria
Ausiliatrice e l’Associazione dei Cooperatori salesiani che, vivendo nel medesimo spirito e in
comunione fra loro, continuano la missione da lui iniziata, con vocazioni specifiche diverse.
Insieme a questi gruppi e ad altri nati in seguito formiamo la Famiglia salesiana. In essa, per
volontà del Fondatore, abbiamo particolari responsabilità : mantenere l’unità dello spirito e
stimolare il dialogo e la collaborazione fraterna per un reciproco arricchimento e una maggiore
fecondità apostolica. Gli Exallievi ne fanno parte per l’educazione ricevuta. La loro
appartenenza diviene più stretta quando si impegnano a partecipare alla missione salesiana nel
mondo.” (Costituzioni SDB, art. 5.)
8. E. Vigano, Lettre aux salésiens, “Maria rinnova la Famiglia salesiana”, 25 mars
1978, Atti 289, janvier-juin 1978, p. 3-35.
9. E. Viganò, Lettre aux salésiens, 24 février 1982, Atti 304, avril-juin 1982, p. 5-20.
10. Voir, dans Vindice de ses circulaires, l’item Famiglia salesiana, p. 1667-1668.
11. Voir G. Nicolussi, “Riconoscimento di appartenenza alla Famiglia Salesiana”, Atti
363, avril-juin 1998, p. 50-57.
12. Carta di comunione nella Famiglia salesiana di Don Bosco, Leumann, Elle Di Ci,
1996, 50 p. La traduction française imprimée à Rome (éd. SDB) en avril 1996 comporte en
appendice une liste bien documentée des groupes de la famille salésienne mise à jour en octobre
1995.
13 “Lo Spirito Santo ha suscitato la Famiglia salesiana, attraverso Don Bosco, affinchè
meglio si compisse la missione a lui affidata. La Famiglia salesiana è un insieme di battezzati e
di consacrati che, con l’originalità del proprio dono, si pongono al servizio della missione della
Chiesa, Corpo di Cristo, sacramento universale di salvezza.” (Carta di comunione, art. 4.)
14. Carta di comunione, art 6.
15. ”La Famiglia salesiana si ispira all’umanesimo di San Francesco di Sales, rivissuto
in modo peculiare da Don Bosco. Ciò che lega i differenti gruppi e i loro membri in una
Famiglia è una specie di parentela spirituale in Don Bosco, che è veramente il Padre di tutti.
(Carta di comunione, art. 7.)
16. Ce chapitre, intitulé “I tratti caratteristici del volto salesiano”, comporte deux
sections : “A. “Parole” particolarmente significative di Don Bosco”, “B. Elementi portanti del
comune spirito” (Op. cit., p. 18-34.)
17. Carta di comunione, art. 9.

14.10 Page 140

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294
Fête
La fête salésienne traditionnelle1
Le style des fêtes salésiennes na guère changé au cours du premier siècle
des congrégations fondées par don Bosco. On les adaptait seulement aux
ressources de lendroit. Car Pauvreté nest pas vice !Toujours essentiellement
religieuses, elles se déroulaient dans lenceinte des oratoires” et des maisons,
celles-ci étant le plus souvent des internats. Don Bosco leur avait donné au
Valdocco de Turin un objet, un programme et un esprit, que ses disciples
sappliquaient à reproduire et que lon retrouvait donc alors aussi bien en
Espagne, en France et en Belgique, quen Amérique du Sud, en Pologne et en
Inde.2
En ce temps-là, les fêtes salésiennes scandaient l’année scolaire des
communautés : jeunes, religieux ou religieuses, auxquels sassociaient les amis de
loeuvre. Le 8 décembre, on solennisait l’Immaculée conception de Marie. Puis, le
25, venait Noël. Fin janvier voyait arriver la St François de Sales (le 29), que la St
Jean Bosco remplacerait (le 31) à partir de la canonisation de 1934. Le
Mardi-Gras, avec ses fantaisies, mais aussi ses prières expiatoires, tombait en
février ou au début de mars. Les écoles professionnelles marquaient la St Joseph,
fête des manuels (le 19 mars). Le mois de mai, tout entier éclairé par le sourire de
la mère de Dieu, culminait le 24 dans la fête de Marie auxiliatrice. H y avait assez
régulièrement une solennité à prévoir dans les derniers jours de juin : St Louis de
Gonzague (le 21), St Jean-Baptiste (le 24) ou Sts Pierre et Paul (le 29), que l’on
jugeait souvent convenir pour fêter le directeur local ou le père inspecteur
provincial. Lobjet des fêtes salésiennes était donc la plupart du temps la
célébration d’un saint ou dune sainte. Mais ces êtres célestes patronnaient aussi
occasionnellement des personnages de chair et dos, qui étaient alors lobjet réel
de la fête. Les esprits des institutions salésiennes vivaient ainsi, au long des mois,
dans lattente, la joie, puis le souvenir des fêtes qui les rythmaient
Don Bosco avait attaché la plus grande importance à la préparation,
surtout religieuse, des fêtes. Cette préparation devenait de plus en plus fiévreuse à
mesure de leur approche. Toute la communauté y participait. Les chants d’église,
les concerts d’orchestre et les pièces de théâtre exigeaient de multiples répétitions.
La confection des costumes des acteurs, la décoration des lieux, les menus
améliorés, éventuellement les illuminations, réclamaient beaucoup dingéniosité. Et
les âmes devaient être rendues disponibles à une pieuse et fructueuse célébration.
A loccasion de ses mots du soir, le directeur local multipliait les exhortations à sa
communauté pendant les neufjours (la neuvaine) précédant les fêtes principales de
lImmaculée, de Noël et de Marie auxiliatrice, parfois celles de St François de
Sales et de St Joseph. Pour les responsables, la réussite de la fête se mesurerait
(idéalement) au progrès en vertu de leurs communautés. En règle habituelle, des

15 Pages 141-150

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15.1 Page 141

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295
bouquets spirituels(fioretti) très pratiques, orientaient quotidiennement les
efforts. Par exemple, don Bosco demandait aux siens : un jour une grande
exactitude dans l’accomplissement de leur devoir détat, un autre une modestie
(pureté) minutieuse, un autre donner un bon conseil à un ami, un autre se bien
tenir à léglise, un autre encore obéir parfaitement aux chefs, etc.3 L’exercice
paraliturgique de la neuvaine de Noël avait une forme poétique parfaitement
adaptée à la solennité. Le petit monde de lendroit pénétrait de la sorte dans le
mystère de Jésus enfant. Enfin, à la veille de la fête, le directeur fidèle à don Bosco
organisait des séances de confessions. Pleine liberté était laissée à chacun, mais le
digne accès du plus grand nombre à la communion eucharistique du lendemain
devait être facilité. En ce temps là, on redoutait fort les sacrilèges des
communiants en état de péché mortel faute de sêtre bien confessés.
Le jour de la fête se levait. Dans toute la mesure possible, les célébrations
religieuses dans une église ou une chapelle très ornée seraient longues, vibrantes et
scintillantes de lumières et de couleurs. Le programme était fixe : deux messes au
cours de la matinée, l’une dite de communion, l’autre chantée ; et, après le
déjeuner, vêpres, prédication et bénédiction du saint sacrement, parfois aussi une
procession. Ce jour-là, les ornements liturgiques brillaient et un abondant petit
clergé solennisait les cérémonies. La polyphonie était le plus souvent de règle pour
les chants déglise. La partie profane de la journée devait être soignée. Don
Bosco, qui nétait pas un pharisien, dédia aux pranzi (repas) un chapitre de son
livre de 1868 sur la consécration de son église de Marie auxiliatrice. La musique
résonnait en concert. Les festivités pouvaient prendre des proportions grandioses.
Ce fut le cas pour la St Jean Baptiste au Valdocco des dernières années de don
Bosco. Jean Baptiste était le saint patron de notre Jean Bosco. Fin juin, le temps
était beau et il commençait de faire chaud. La manifestation avait lieu dans la cour
de récréation, sur un podium, avec un ou plusieurs fauteuils, une couronne
d’invités, à loccasion un baldaquin, plusieurs discours, des morceaux de musique
et des poésies de circonstance. Le lendemain, il y aurait théâtre. Les maisons de
lépoque disposaient la plupart du temps dune salle de théâtre, qui était, si
nécessaire, un réfectoire ou une salle d’étude transformés pour l’occasion. Drames
ou comédies, agrémentés en entractes de sketches et de morceaux de musique, le
tout interprété par les jeunes et les salésiens de lendroit, figuraient au programme.
La fête entière était une action.4 Un feu dartifice venait parfois clore ces fêtes
salésiennes régulièrement mouvementées, sonores et brillantes.
Pour une spiritualité salésienne de la fête
Le modèle traditionnel ne résista pas aux transformations culturelles de la
deuxième partie du vingtième siècle. Le cadre et le public des institutions avaient
changé. Les goûts évoluaient sans cesse. De nouveaux modèles sociaux
s’imposaient. Le programme salésien antérieur, surtout dans sa partie proprement
religieuse, était devenu inapplicable. Les fêtes salésiennes traditionnelles
sestompèrent et se transformèrent ou même disparurent de la plupart des
institutions.

15.2 Page 142

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296
Toutefois un esprit subsistait, qui reparaissait, entre autres, lors des
campobosco5 espagnols, des confronto ou des fêtes du centenaire de la mort de
don Bosco (1988), notamment à Turin et à Colle Don Bosco, solennisées par la
présence du pape et la béatification de Laura Vicuña, toutes pleines de vie, de
lumières, de chansons, de danses et empreintes de cordialité6. Est-il permis de
remarquer ici que les Journées mondiales de la jeunesse, organisées à la demande
du pape Jean-Paul U, telles qu’on les vécut dans les années 1990, qui furent de
longues fêtes religieuses, avec des catéchèses originales, des chants de tous les
continents, des danses, des jeux, et surtout des liturgies à la fois magnifiques,
sérieuses, pieuses et vivantes, auraient comblé les voeux de don Bosco sur la fête
telle quil la concevait ?
Cependant des salésiens réfléchissaient sur la fête salésienne et ses
bienfaits.7
Dabord, jugeaient-ils, la fête est en soi une bonne chose. Les abus ne lui
sont pas essentiels. Tous ne pensent pas automatiquement ainsi sur cette terre. Qui
a le culte exclusif du travail et de la production ne trouvera jamais le temps de
décrocher, de se reposer et de festoyer. Pour le militant acharné, la détente
s’apparente à une trahison de la cause. En vérité, la fête peut beaucoup apporter.
La fête est en accord parfait avec la spiritualité juvénile de la famille
salésienne. Les jeunes auxquels salésiens et salésiennes se vouent sont des
organismes biologiquement en fête”, parce que débordants de vie, de mouvement
et dallégresse. Don Bosco canalisait ces énergies dans la fête, “qui est typique de
sa spiritualité. “La spiritualité juvénile salésienne est une spiritualité de la fête et
de la joie, fondée sur un optimisme qui fait apprécier tout ce qui est humain, qui
fait confiance à l’homme et au jeune”(Morante)8.
Cependant, toute fête organisée par les salésiens ne peut être dite pour
cette seule raison fête salésienne au sens propre, cest-à-dire selon lesprit de don
Bosco. La dimension religieuse lui est indispensable. La fête salésienne est une fête
chrétienne. En son centre, il y a la célébration liturgique, qui lui imprime un
caractère sacramentel. Toute célébration est évocatrice de laction de Dieu dans la
vie du monde, et, dans la personne des saints, quand il sagit d’eux. La fête ainsi
organisée joue un rôle hautement didactique. Par elle se maintient et s’affermit la
foi, dont la célébration annonce les mystères, en même temps quelle proclame
lenseignement de lEvangile. Les divers rites liturgiques valent surtout par leur
puissance sacramentelle et leur efficacité pour alimenter la vie chrétienne.
Rappelons-nous ce que pensait don Bosco de la communion eucharistique des
siens lors des fêtes du Valdocco.
La fête salésienne est non seulement divertissante, mais éducatrice. Don
Bosco et ses disciples avaient compris la puissance éducatrice de la fête, telle
quils la concevaient, non seulement religieuse, mais joyeuse et sensible. A travers
elle, des valeurs étaient transmises et accueillies. Les participants, jeunes ou
adultes, en sortaient meilleurs qu’ils n’étaient entrés. La vraie fête salésienne les
remplissait de joie. Pour cette seule raison, l’atmosphère créée était positive. Lun

15.3 Page 143

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297
des principaux buts de don Bosco éducateur était atteint. Sois joyeux !,
répétait-il à ses garçons. Mais lon ne contraint pas les gens à être joyeux. La fête,
source d’allégresse, est un instrument propre à immerger dans la joie. Elle fortifie
toute la personne, dans son corps et dans son âme. Et don Bosco, sans nulle
méfiance envers lhumain, le trop humain, sen félicitait. L’allégresse du corps en
fête, qui regarde, chante, joue et mange ; et de l’âme en paix avec elle-même et
avec Dieu, qui se donne pour et avec les autres dans lunanimité festive, met le
jeune dans leuphorie. Et cest très bien ainsi, car la vivacité et la joie tonifient,
alors que la tristesse déprime. Lallégresse dun contexte à prédominance
religieuse favorise les comportements vertueux. Par ces fêtes, les jeunes existences
salésiennes recevaient des impressions salutaires, qui décideraient de leurs (bons)
choix davenir.
Intelligemment organisée la fête salésienne fait grandir. La société
elle-même y gagne. Elle constitue pour les communautés un moment privilégié de
croissance, à la fois humaine et religieuse, quand cette deuxième dimension n’a pas
été négligée. La fête intensifie les rapports interpersonnels, renforce la
collaboration et la corresponsabilité si, comme il est souhaitable, les participants se
sentent vraiment protagonistes de son déroulement. Des possiblités cachées, des
capacités inédites se révèlent à son occasion. Dans latmosphère cultivée en esprit
salésien, le jeu et le divertissement sont spirituellement constructifs. La fête
rapproche ceux qui sont éloignés. Lun des salésiens consultés a même pu écrire :
Notre fête (salésienne) est une expérience de profonde solidarité avec tous les
hommes ; c’est un appel à diffuser la vie, pour que tous puissent bénéficier de la
joie de faire la fête.” (R. Tonelli)9
Pourquoi ne pas donner à la fête authentique une place centrale dans
lexistence ? Certes, si la fête la remplissait tout entière, elle perdrait son caractère
dexception. Les partisans du “tous les jours, cest fêtepeuvent loublier : un
quotidien uniformément festifbanalise et aplatit la fête. La fête est l’explosion
dune vie habituellement contenue. Cest un sommet, auquel on accède en peinant
dans l’ordinaire des jours. Telle était la pensée de don Bosco.
Notes
1. Voir, entre autres, C. Semeraro (dir.), La festa nell’esperienza giovanile del mondo
salesiano, coll. Colloqui sulla vita salesiana 14, Leumann, Elle Di Ci, 1988, 280 p.
2. Dans le recueil cité n. 1, voir F. Desramaut, “La festa salesiana ai tempi di Don
Bosco”, p. 79-99, R. Alberdi, “La festa nell’esperienza salesiana della Spagna (1881-1901)”, p.
100-129, N. Palmisano, “Festa e formazione. Dai “trulli” di Locorotondo all’aspirantato di
Ivrea”, p. 130-145, L. Craeynest, “La festa nell’esperienza salesiana femminile del Belgio”, p.
146-149.
3. Les Memorie biografiche contiennent de multiples exemples defioretti.
4. Elle amorça sa décadence entre les deux guerres mondiales le jour le cinéma, qui
ne demandait aucune préparation, mais engendrait la passivité, remplaça le théâtre.
5. Voir Maria del Carmen Canales, fina, “Campobosco. Dall’incontro alla festa.
Un’esperienza dei giovani in Spagna”, dans l’ouvrage cité Lafesta..., p. 150-157.

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298
6. On pourra se faire une idée de ces fêtes : Confronto 88, visite du pape et
béatification de Laura Vicuña, en lisant le numéro du Bollettino salesiano (octobre 1988), qui
leur a été entièrement consacré.
7. On aligne ici librement, jointes à des observations personnelles, quelques réflexions
empruntées aux professeurs salésiens Giuseppe Morante, “Per una catechesi sulla festa”, dans
l’ouvrage cité La festa ...”, p. 211-223, et Riccardo Tonelli, “Tra festa e croce. Una spiritualità
della gioia o una spiritualità della vita dura”, ibidem, p. 165-181.
8. “La spiritualità giovanile salesiana è una spiritualità della festa e della gioia, basata
su un ottimismo che porta ad apprezzare tutto ciò che è umano, ad avere fiducia nell’uomo e nel
giovane.” (G. Morante, “Per una catechesi sulla festa”, dans Lafesta..., p. 220.)
9. “Per questo la nostra festa è una esperienza di profonda solidarietà con tutti gli
uomini ed è una vocazione ad espandere la vita, perchè tutti siano restituiti alla gioia di far
festa.” (R. Tonelli, “Tra festa e croce... “, dans Lafesta ..., p. 177.)

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299
Filles de Marie auxiliatrice
L’institut des filles de Marie auxiliatrice1
Linstitut des filles de Marie auxiliatrice, dites couramment salésiennes,
fut réellement fondé quand, le 29 janvier 1872, un groupe de pieuses jeunes filles
dun village du sud du Piémont (Momese, dans le diocèse d’Acqui) élut son
conseil supérieur en vertu de constitutions que don Bosco lui faisait remettre ce
jour-là. Don Bosco voulait créer pour les filles, sous sa responsabilité et sous sa
direction, une société religieuse analogue à celle de ses salésiens pour les garçons.
Les raisons dêtre des deux sociétés, telles que leurs constitutions respectives les
formulaient, étaient identiques. Les filles de Marie auxiliatrice devraient, non
seulement veiller à leur propre perfectionspirituelle, mais aussi contribuer au
salut de leur prochain en donnant aux fillettes du peuple une éducation morale et
religieuse. Le 5 août suivant, elles prononçaient à Momese leurs premiers voeux
de religion. Marie-Dominique Mazzarello, sainte femme intelligente, adroite et
perspicace, qui en était la supérieure, imprimait à la communauté naissante un
style dont l’institut ne se départirait pas.
La minuscule communauté de 1872 grandit vite et bientôt essaima. Aux
derniers jours de 1877, les premières missionnaires salésiennes embarquaient déjà
pour lAmérique du Sud. En 1879, le centre fut déplacé de Momese dans une
localité (Nizza Monferrato) proche de Turin et donc de don Bosco. Cest que
Marie Dominique Mazzarello mourut prématurément (14 mai 1881), laissant 139
religieuses et 50 novices, distribuées dans 26 centres. La vigueur de la jeune
société ne se démentit pas. Linstitut ne cessa de sétendre. Des maisons nouvelles
furent fondées en Italie, en France, dans le reste de lEurope occidentale et aussi,
bien entendu, en Amérique du Sud. A la mort de don Bosco, en 1888, seize ans
après la fondation de l’institut, les religieuses professes étaient déjà, dans 50
centres, au nombre de 390, auxquelles sajoutaient 99 novices.
L’épisode le plus grave vécu par la première génération des filles de
Marie auxiliatrice fut leur séparation juridique d’avec les salésiens. L’union des
deux instituts, telle que don Bosco l’avait voulue, était étroite. Les constitutions
des filles de Marie auxiliatrice édictaient : Linstitut est sous la dépendance
immédiate du supérieur général de la société de St François de Sales, auquel [les
soeurs] donnent le nom de supérieur majeur. Dans chaque maison il pourra se faire
représenter par un prêtre avec le titre de directeur des soeurs. Le directeur général
sera un membre du chapitre supérieur de la congrégation salésienne.”2 Et ces titres
n’étaient pas quhonorifiques. On vécut ainsi une trentaine d’années. Puis, au
début du vingtième siècle, un décret romain3 interdit cette sorte d’union dans la
catholicité. Salésiens et salésiennes tentèrent vainement dobtenir une dérogation.
Mal leur en prit. Le recteur majeur don Rua dut, en 1906, entériner la réforme des
constitutions des filles de Marie auxiliatrice : les salésiens ne s’occuperaient des

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300
soeurs que requis par les Ordinaires locaux4. Toutefois, les supérieures
salésiennes, qui ne se résignaient pas à la fracture, finirent par obtenir en 1917 que
le recteur majeur des salésiens, en tant que délégué apostolique - cest-à-dire du
Saint-Siège - auprès des filles de Marie auxiliatrice, serait, leur autonomie
administrative demeurant sauve, chargé de veiller au maintien parmi elles de
l’esprit du fondateur, ainsi quà leur progrès spirituel, moral et scientifique”5. Les
liens entre les deux instituts, lun et lautre fortement attachés au patrimoine de
don Bosco, se resserrèrent à nouveau.
Et la congrégation des filles de Marie auxiliatrice continua de se
développer jusquà la crise des années 1960, qui latteignit avec l’ensemble des
congrégations de vie active. Cétait alors, par le nombre, la deuxième société
religieuse féminine catholique dans le monde.
Avec l’affermissement de la famille salésienne à partir de l’année 1971,
lunion entre la société de saint François de Sales et l’institut des filles de Marie
auxiliatrice redevint de plus en plus authentique. La logique de la communion des
origines limposait. Don Bosco et Marie Dominique Mazzarello avaient entamé
une expérience dunité et de collaboration, dont les salésiens et les salésiennes
voulaient assumer toujours mieux les exigences. Quand le partage des dons de
chacun des deux instituts s’avérait réel, les expériences positives réjouissaient les
coeurs et aboutissaient à des enrichissements réciproques. Le jubilé de lan 2000
leur fut, selon une formule conjointe du recteur majeur et de la mère générale, un
appel à vivre dans un enthousiasme renouvelé le don de communion, inscrit dans
(leur commune) vocation6.
Lesprit de Mornese
Le concile Vatican II ayant demandé aux sociétés religieuses de relire,
pour se renouveler, l’esprit de leurs origines, l’institut des filles de Marie
auxiliatrice sattacha, dans les années 1970, à bien définir l’esprit de sa
communauté primitive, Mornese, quand elle était dirigée par sainte Marie
Dominique Mazzarello. De leur côté, les salésiens réfléchissaient à la question en
saidant des observations des soeurs7. En conclusion de ces études, à l’occasion du
centenaire de la mort de la sainte (1981), le recteur majeur Egidio Viganô
consacra à la redécouverte de lesprit de Morneseune longue lettre circulaire
adressée à la supérieure générale et à l’ensemble des filles de Marie auxiliatrice8.
Lesprit, très sévère et très exigeant de la communauté de mère
Mazzarello, doit dabord être replacé dans son temps, remarquait-il. La cruauté de
la situation sociale et la pauvreté alors fréquente en Piémont imposaient, dans le
logement, lalimentation et lhoraire des journées, un mode de vie héroïque dont
les conséquences nous paraissent avoir été catastrophiques. Les religieuses de la
première génération mouraient trop souvent avant trente ans.9 H ne peut donc être
question de reprendre ce modèle tel quel. Mais il recèle un certain nombre de
valeurs, qui, quant à elles, doivent demeurer exemplaires pour les générations
suivantes.

15.7 Page 147

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301
Le recteur, guidé par les études des soeurs, a donc essayé de dégager les
valeurs permanentes de l’esprit de la communauté momésienne. Ses
caractéristiques ont été rangées par lui sous cinq titres.10
Cétait dabord un esprit de foi, animé de piété fervente, simple et
pratique, et entraînant un souci constant de l’union à Dieu, une ferveur particulière
pour l’eucharistie, la certitude de l’aide de la Providence, un sens aigu du paradis
et une dévotion toute spéciale envers la Vierge Marie, saint Joseph et l’ange
gardien. La deuxième caractéristique était une rupture énergique avec les goûts du
monde, induite par une participation courageuse à la croix du Christ, et réclamant
une pauvreté héroïque, le sens de la mortification, une pureté délicate à partir d’un
contrôle constant de la sensibilité et des mouvements du coeur, une forte
abnégation et une tempérance permanente. La troisième caractéristique était la
simplicité de la vie, dont témoignaient un bon sens habituel, un jugement
équilibré, un penchant naturel pour l’humilité, une activité laborieuse incessante et
joyeuse, un esprit communautaire familial, souple et facile, une corresponsabilité
instinctive, une grande obéissance soutenue par une confiance cordiale envers
l’autorité, et un respect filial pour don Bosco et les supérieurs qui le
représentaient. Puis venait, quatrième caractéristique, un zèle ardent pour le salut
desjeunesfilles selon l’esprit du système préventif de don Bosco, c’est-à-dire un
amour maternel à la fois tendre et fort envers elles, un amour impartial capable de
sadapter aux faiblesses de chacune, une disponibilité missionnaire dérivant d’un
sens généreux de lEglise, une adhésion dévote aux orientations du souverain
pontife et des évêques, ainsi quune magnanimité naturelle dans les initiatives
apostoliques, qui rendait les religieuses prêtes à assumer, même au prix de
sacrifices, les exigences de la préparation culturelle requise. Enfin, cinquième et
dernière caractéristique de l’esprit de Momese relevée par le recteur Viganô : un
sincère attachement à la consécration religieuse propre à l’institut, une
conscience claire et enthousiaste des choix impliqués par la profession et un sens
vif dappartenance à la congrégation, le désir de connaître, destimer et de
pratiquer ses constitutions, une préoccupation constante de la formation
personnelle et de celle des nouvelles vocations qui affluaient.
Tout cela constituait la grande richesse spirituelle de la première
communauté de Momese, extérieurement si pauvre, si petite et si jeune. En elle
toutes les soeurs participaient à la formation et à l’accroissement du bien commun.
Mais celle qui inspirait, qui créait, qui encourageait, qui guidait et qui donnait
l’exemple était Marie Dominique Mazzarello. Ce fut elle la principale créatrice et
le premier modèle de l’esprit de Momese. Sa personne reflétait avec force, une par
une, toutes les caractéristiques qui viennent dêtre relevées. Marie Dominique
Mazzarello incarnait lesprit de Momese.11

15.8 Page 148

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302
Notes
1. Sur l’Institut, depuis les origines jusqu’à la mort de don Bosco, voir : G. Capetti,
Istituto Figlie di Maria Ausiliatrice. Cronistoria, Roma, Scuola tipografica privata FMA,
1974-1978, 5 voi.
2. “L’Istituto è sotto l’immediata dipendenza del Superiore Generale della Società di
S. Francesco di Sales, cui danno il nome di Superiore Maggiore. In ciascuna Casa egli potrà farsi
rappresentare da un Sacerdote col titolo di Direttore delle Suore. Direttore Generale sarà un
membro del Capitolo Superiore della Congregazione Salesiana.” (Regole o Costituzioni per
l’Istituto delle Figlie di Maria SS. Ausiliatrice aggregate alla Società Salesiana, Turin,
tipografia e libreria salesiana, 1878, titre n, art. 1.)
3. Congrégation des Evêques et Réguliers, Normae secundum quas, 28 juin 1901.
4. M. Rua, Lettre aux inspecteurs et aux directeurs, 21 novembre 1906 ; L.C., p.
357-359. Récit de cette affaire dans E. Certa, Annali della Società salesiana, t. Ili, Turin, 1946,
p. 645-671.
5. Décret romain du 19 juin 1917, commenté par P. Albera, Lettre aux inspecteurs, 20
février 1921 ; L. C., p. 374-387. Cette “faculté” du recteur majeur, d’abord quinquennale, a été
rendue définitive à la suite de son inclusion dans les “Privilèges salésiens” concédés par le pape
Pie XII (décret du 24 avril 1940).
6. “H Dio della vita ci chiama - all’inizio del terzo millenio - a vivere con rinnovato
entusiasmo il dono di comunione, inscritto nella nostra vocazione” (Comunicazione del Rettor
Maggiore e della Madre Generale ai Salesiani e alle Figlie di Maria Ausiliatrice : “Per un
cammino di collaborazione”, Roma, 24 juillet 1998, in Atti 365, octobre-décembre 1998, p.
88-93.)
7. Les salésiennes ont rassemblé, au début de leurs Règlements généraux de 1982, trois
textes à leurs yeux significatifs de “lo spirito delle origini vissuto a Momese”. “Spirito primitivo
: grande obbedienza, semplicità, esattezza alla Santa Regola ; ammirabile raccoglimento e
silenzio ; spirito di orazione e di mortificazione ; candore ed innocenza ; amore fraterno nel
conversare, gioia e allegria così serena che pareva un ambiente di Paradiso. Non si pensava, si
parlava che di Dio e del sua santo amore, di amare Maria, S. Giuseppe e l’Angelo Custode, e si
lavorava sempre sotto i loro dolcissimi sguardi, come fossero presenti e non si avevano altre
mire. Come era bella la vita !” (Madre Enrichetta Sorbone, Memorie private.) “Momese fu
sempre la casa del fervore, dello zelo per la salute delle anime, dello spirito di sacrificio, della
perfetta obbedienza, del santo silenzio e dell’angelica semplicità e allegria.” (Mgr Giacomo
Costamagna, Scritti di vita e di spiritualità salesiana, a cura di E. Valentini, Rome, 1979, p.
204.) ... vivere poveramente, lavorare molto e pregare con fervore erano sempre le tre note
predominanti nella Casa” (E. Cena, Memorie biografiche, t. XII, p. 283.)
8. E. Viganò, Riscoprire lo spirito di Momese. Lettera del Rettor Maggiore don E.
Viganò per il centenario della morte di S. Maria Mazzarello, Rome, Istituto Figlie di Maria
Ausiliatrice, 1981, 64 p. Dans une circulaire aux salésiens publiée simultanément en Atti 301, p.
3-69, le recteur, après une brève introduction, a recopié textuellement sa lettre contemporaine
aux salésiennes. Notre paragraphe, qui ne prétend pas à l’originalité, en reprend quelques
éléments.
9. Dans un catalogue officiel de la congrégation, les seize notices nécrologiques de
filles de Marie auxiliatrice pour les années 1879-1880 concernent toutes des femmes nées dans
les années 1850, donc mortes entre vingt et trente ans. (D’après la deuxième partie de l’Elenco
generale delle Figlie di Maria Ausiliatrice, 1881, p. 15-48.)
10. Sous leur forme italienne : “Spirito di fede, Energica rottura con i gusti mondani,
Semplicità di vita, Zelo ardente per la salvezza delle giovani, Sincero attaccamento alla propria
consacrazione religiosa.” (Lettre citée du 14 mai 1981, inerti 301, p. 48-50.)
II. L’article 2 des constitutions des filles de Marie auxiliatrice, approuvées par le
Saint-Siège le 24 juin 1982, affirme solennellement : “Con le nostre prime sorelle essa (Maria
Domenica Mazzarello) ha vissuto in fedeltà creativa il progetto del Fondatore, dando origine allo
“spìrito di Momese” che deve caratterizzare anche oggi il volto di ogni nostra comunità.” Voir,
ci-dessous, l’item Mazzarello, Maria-Domenica.

15.9 Page 149

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303
Fins dernières
La méditation des fins dernières dans l’ancienne tradition salésienne
Dans l’ancienne tradition salésienne, durant un siècle, de don Bosco au
recteur majeur don Ricaldone (+ 1951), la méditation des fins dernières
(novissimî) a été l’un des thèmes constants, sinon préférés, des salésiens, surtout
lors de leurs retraites ou de leurs récollections spirituelles. Us revenaient sans cesse
sur la mort, le jugement, lenfer et le paradis.
Don Bosco, que ses disciples immédiats suivirent soigneusement, navait
eu quà se laisser porter par l’air de son temps pour juger ce genre de réflexion
très salutaire au spirituel. Saint François de Sales avait recommandé à sa Philothée
en introduction à dix chapitres sur les fins dernières : “H faut que vous vous
exerciez soigneusement aux meditations suivantes, lesquelles estans bien
prattiquees desracineront de vostre coeur, moyennant la grace de Dieu, le péché et
les principales affections du péché.1 Les dissertations inquiètes dAlphonse de
Liguori alimentaient la spiritualité de don Bosco, son propre salut le préoccupait,
le péché le tourmentait, le jugement de Dieu le hantait. L’axiome In omnibus
respice finem (En toutes choses considère la fin) orientait sa vie quotidienne.
Depuis au moins le temps de son séminaire il avait entendu retentir à ses oreilles
l’invitation de l’Ecclésiastique : Fili, memorare novissima tua et in aetemum non
peccabi^ (Eccli 7, 40), quil traduisait : Mon fils, rappelle-toi tes fins dernières
et tu ne pécheras jamais.” Inlassablement, il redisait le message à ses fils, comme
en font foi pour nous les instructions plutôt terrorisantes du manuel de piété II
Giovane proweduto et du mois de Marie IlMese di maggio.
Les Sept considérations pour chaque jour de la semainedu Giovane
proweduto invitaient les jeunes à méditer successivement sur la fin de l’homme, le
péché mortel, la mort, le jugement, lenfer, léternité des peines de lenfer, enfin le
paradis, thèmes proposés, notons-le bien, à quiconque parmi eux ne possédait pas
de livre de lecture spirituelle, cest-à-dire à beaucoup de monde.2 Sur un total de
trente-et-une, neuf instructions respectivement intitulées : la fin de l’homme, le
salut de l’âme, le péché, la mort, le jugement particulier, le jugement universel, les
peines de lenfer, l’éternité des peines de lenfer et le paradis, développaient les
mêmes idées dans \\eMese di maggio destiné au peuple.3
Les livres ne suffisaient pas au zèle de notre saint. De gré ou de force,
chez don Bosco on méditait souvent sur les fins dernières. Choisissons deux
exemples un peu au hasard. Une année, sur douze bouquets spirituels (fioretti)
proposés aux jeunes lors des journées préparatoires aux fêtes de saint François de
Sales et de la Purification de Marie, cinq portaient sur la mort comme instant de la
décision irrévocable pour le salut étemel et, une autre année, les neuffioretti de la
neuvaine préparatoire à la fête de saint Joseph concernaient cette même mort,

15.10 Page 150

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304
l’éternité et le paradis.4 Dans un genre qui paraissait len maintenir éloigné, un
panégyrique de saint Philippe Néri ramenait don Bosco à son thème favori. Devant
une assemblée de prêtres il sécriait : ... Mais ce qui doit absolument nous
pousser à remplir avec zèle cet office est le compte très strict que, nous, ministres
de Jésus Christ, nous devrons rendre à son Divin Tribunal pour les âmes à nous
confiées. [... ] Cet instant suprême viendra pour tous les chrétiens, mais, ne nous
faisons pas illusion, il viendra aussi pour nous, les prêtres. Nous serons à peine
délivrés des liens de notre corps, à linstant nous comparaîtrons devant le Divin
Juge, nous verrons clairement quelles furent les obligations de notre état et quelle
a été notre négligence. L’immense gloire de Dieu préparée pour ses fidèles
apparaîtra à nos yeux...Etc. Et la description du jugement continuait.5
La méditation des fins dernières avait pour don Bosco et ses disciples une
finalité ascétique : faire éviter le péché et pratiquer la vertu. Si les gens songeaient
sans cesse à leur salut, toute leur vie deviendrait correcte, estimaient-ils. Par leurs
discours sur la mort, le jugement, l’enfer et le paradis, les prédicateurs salésiens
incitaient dun côté les enfants à ne pas perdre leur temps et, de lautre, leurs
maîtres à se dépenser pour les âmes que Dieu leur confiait. La sainteté consistant à
pratiquer héroïquement les vertus, surtout celle de charité, le rappel des novissimi
encourageait les meilleurs, tels Dominique Savio, Michèle Magone ou Francesco
Besucco, à progresser en sainteté, pour, au dernier jour, se présenter au tribunal
de Dieu dans les conditions les plus favorables.
Une mentalité différente
Cétait en un autre siècle. Car les temps changèrent. Un certain silence sur
les fins dernières sétablit au milieu du vingtième siècle. Sermons et mots du soir
salésiens évoquèrent de moins en moins ou même plus du tout leffioi du pécheur
à lannonce de la sentence qui le précipite dans les supplices étemels. Une pratique
chère à don Bosco faisait bientôt les frais du changement de mentalité.
En 1947, à l’occasion de la canonisation de saint Joseph Cafasso, qui
avait été le directeur spirituel de don Bosco, le recteur Ricaldone sélevait contre
le remplacement, pour lui inquiétant, de la formule Exercice de la bonne mort par
celle, oublieuse des fins dernières, dite Récollection mensuelle (Ritiro mensilé).
Car lexpression Récollection mensuelle, si elle peut nous rappeler la première
partie de larticle 156 des Constitutions : Chacun, se libérant autant que possible
de ses tâches temporelles, rentrera en soi-même”, est tout à fait insuffisante pour
nous remettre en mémoire sa deuxième partie, bien plus importante et plus
indispensable : ... et fera lexercice de la bonne mort, mettra ordre à ses affaires
spirituelles et temporelles comme sil allait quitter ce monde et partir pour
léternité.Le recteur continuait en répétant l’enseignement traditionnel sur la
bienfaisance de la méditation des fins dernières, gage de salut et de sainteté : Que
le nouveau saint Joseph Cafasso obtienne à tous les membres de la Famille
Salésienne la grâce de faire fidèlement et exactement l’Exercice mensuel de la
Bonne Mort, de manière à pouvoir, à son exemple et par son intercession, vivre
une sainte vie, qui se termine par une sainte mort.”6

16 Pages 151-160

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16.1 Page 151

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305
Mais la cause était (apparemment et provisoirement ?) perdue. Les
adversaires de lattention aux fins dernières lavaient emporté dans les esprits des
temps nouveaux, non seulement de ceux qui considéraient la vie étemelle comme
une hypothèse sans fondement ou étaient convaincus que tout s’arrête à la mort,
mais de ceux pour qui elle est nuisible ou tout simplement impossible. Il ne faut
jamais penser à la mort, écrivait Voltaire à madame du Deffand le 18 novembre
1761. Cette pensée nest bonne quà empoisonner la vie.7 Telle était désormais
l’opinion commune en Occident, surtout par rapport à la jeunesse, auditoire
habituel du prédicateur salésien. Les disciples de don Bosco eux-mêmes
abandonnaient à la fois la formule et le contenu de l’exercice de la bonne mort.
En 1984, les constitutions et les règlements rénovés des salésiens ignorèrent cette
pratique, définitivement supplantée par le ritiro mensile*. A la même date, les
soeurs salésiennes considéraient les deux formules comme équivalentes : Que
chaque communauté consacre à la récollection mensuelle ou Exercice de la bonne
mortune demi-journée tous les mois, une journée entière tous les trimestres,
édictaient leurs Règlements généraux9. Désormais les prédicateurs de retraites
salésiennes ne parlaient plus, ou peu sen fallait, de fins dernières. A tout prendre,
ils préféraient l’eschatologie”, notion plus générale et moins angoissante.
Je crois à la vie éternelle
La famille salésienne partageait simplement la foi de lEglise sur cette
eschatologie : la mort, le jugement, le ciel, l’enfer, les cieux nouveauxet la
terre nouvelle, telle que, à partir dune relecture de la Bible, le Catéchisme de
lEglise catholique l’enseignait en 1992. Ses prédicateurs lexpliquaient, non plus
pour effrayer leurs auditeurs par l’éventualité d’une damnation étemelle, mais
pour tenter de nourrir leur espérance par la description dun avenir confié à un
Dieu d’amour.
Je crois à la vie étemelle, dit un article du Credo. La mort met fin à la
vie de l’homme comme temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce divine
manifestée dans le Christ. Chaque homme reçoit dès lors dans son âme immortelle
sa rétribution étemelle en un jugement particulier qui réfère sa vie au Christ, soit à
travers une purification, soit pour entrer immédiatement dans la béatitude céleste,
soit pour se damner immédiatement pour toujours.
Ceux qui meurent dans la grâce et l’amitié de Dieu, et qui sont
parfaitement purifiés, vivent pour toujours avec le Christ. Us sont pour toujours
semblables à Dieu, parce qu’ils Le voient tel quH est(1 Jean 3, 2), face à face.
Cette vie parfaite avec la Très Sainte Trinité, cette communion de vie et d’amour
avec Elle, avec la Vierge Marie, les anges et tous les bienheureux est appelée le
ciel”, précise le Catéchisme. Le ciel est la fin ultime et la réalisation des aspirations
les plus profondes de lhomme, létat de bonheur suprême et définitif. Dans la
gloire du ciel, les bienheureux continuent daccomplir avec joie la volonté de Dieu
par rapport aux autres hommes et à la création tout entière. Déjà ils régnent avec
le Christ ; avec Lui ils régneront pour les siècles des siècles(Apocalypse 22, 5).

16.2 Page 152

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306
Ceux qui meurent dans la grâce et l’amitié de Dieu, mais imparfaitement
purifiés, bien qu’assurés de leur salut étemel, souffrent après leur mort une
purification, afin dobtenir la sainteté nécessaire pour entrer dans la joie du ciel.
LEglise appelle Purgatoire cette purification finale des élus qui est tout à fait
distincte du châtiment des damnés. Son enseignement sappuie en particulier sur la
pratique de la prière pour les défunts, dont parlait déjà le deuxième livre des
Maccabées. Voilà pourquoi il (Judas Maccabée) fit faire ce sacrifice expiatoire
pour les morts, afin quils fussent délivrés de leur péché(2 Maccabées 12, 46).
Dès les premiers temps l’Eglise a honoré la mémoire des défunts et offert des
suffrages en leur faveur.
Nous ne pouvons pas être unis à Dieu à moins de choisir librement de
L’aimer. Mais nous ne pouvons pas aimer Dieu si nous péchons gravement contre
Lui, contre notre prochain et contre nous-même : Celui qui naime pas demeure
dans la mort. Quiconque hait son frère est un homicide ; or vous savez quaucun
homicide na la vie étemelle demeurant en lui(1 Jean 3, 15). Mourir en état de
péché mortel sans sen être repenti et sans accueillir l’amour miséricordieux de
Dieu, signifie demeurer séparé de Lui pour toujours par notre propre choix libre.
Cest cet état dauto-exclusion définitive de la communiuon avec Dieu et avec les
bienheureux quon désigne par le mot “enfer”. Dieu ne prédestine personne à aller
en enfer ; il faut pour cela une aversion volontaire à l’encontre de Dieu (un péché
mortel), et y persister jusqu’à la fin. Dans sa liturgie eucharistique et dans les
prières quotidiennes des chrétiens, l’Eglise implore la miséricorde de Dieu, qui
veut que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir(2 Pierre 3, 9).
La résurrection de tous les morts, des justes et des pécheurs” (Actes 24,
15), précédera le jugement dernier. Ce sera lheure ceux qui gisent dans la
tombe en sortiront à l’appel de la voix du Fils de lHomme ; ceux qui auront fait le
bien ressusciteront pour la vie, ceux qui auront frit le mal pour la damnation
(Jean 5, 28-29). Alors le Christ viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges (
... ). Devant Lui seront rassemblées toutes les nations, et H séparera les gens les
uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. H placera les
brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche (...). Et ils s’en iront, ceux-ci à une
peine étemelle, et les justes à la vie étemelle” (Matthieu 25, 31. 32. 46). Le
jugement dernier révélera jusque dans ses ultimes conséquences ce que chacun
aura fait de bien ou omis de faire durant sa vie terrestre.
A la fin des temps, le Royaume de Dieu arrivera à sa plénitude. Après le
jugement universel, les justes régneront pour toujours avec le Christ, glorifiés en
corps et en âme, et lunivers lui-même sera renouvelé. Cette rénovation
mystérieuse, qui transformera l’humanité et le monde, la Bible lappelle les deux
nouveaux et la terre nouvelle(2 Pierre 3, 13). Ce sera la réalisation définitive du
dessein de Dieu de ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres
célestes comme les terrestres” (Ephésiens 1, 10). Dans cet “univers nouveau
(Apocalypse 21,5), la Jérusalem céleste, Dieu aura sa demeure parmi les hommes.
D essuiera toute larme de leurs yeux ; de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de
cri et de peine, il ny en aura plus, car l’anden monde s’en est allé” (Apocalypse
21, 4).

16.3 Page 153

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307
Pour l’homme, cette consommation sera la réalisation de l’unité du genre
humain, voulue par Dieu dès la création et dont lEglise en pèlerinage est comme
le sacrement, selon une formule de Lumen gentium™. Ceux qui seront unis au
Christ formeront la communauté des rachetés, la Cité sainte de Dieu, lEpouse de
l’Agneau” (Apocalypse 21, 9). La vision béatifique, dans laquelle Dieu souvrira
de façon inépuisable aux élus, sera la source intarissable du bonheur, de la paix et
de la communion mutuelle. Quant au cosmos, la Bible affirme la profonde
communauté de destin du monde matériel et de lhomme. Car la création en
attente aspire à la révélation des fils de Dieu (...) avec lespérance d’être elle
aussi libérée de la servitude de la corruption. (...) Nous le savons en effet, toute
la création jusquà ce jour gémit en travail d’enfantement. Et non pas elle seule ;
nous-mêmes qui possédons les prémices de lEsprit, nous gémissons nous aussi
intérieurement dans l’attente de la rédemption de notre corps.(Romains 8,
19-23). Lunivers visible est donc destiné, lui aussi, à être transformé, afin que le
monde lui-même, restauré dans son premier état, soit, sans plus aucun obstacle, au
service des justes”11, participant à leur glorification en Jésus Christ ressuscité12.
Au début du vingt-et-unième siècle, la famille salésienne exprime avec des
mots nouveaux et un recours plus systématique à la Bible l’enseignement de saint
François de Sales et de don Bosco sur les fins dernières. Pour elle, la perspective
sest beaucoup élargie. Les chrétiens nespèrent plus leur seul salut individuel,
mais aussi celui de l’humanité entière et même de lunivers dans son immensité.
Notes
1. St François de Sales, Introduction à la vie dévote, première partie, chapitre VIII.
Suivent dans l’ouvrage une série de méditations en partie sur les fins dernières, qui couvrent les
chapitres IX-XVIII.
2. “Sette considerazioni per ciascun giorno della settimana”, dans II Giovane
provveduto, Turin, 1847, p. 31-50. On lit dans l’introduction : “Siccome io desidero
grandemente che ogni giorno facciate qualche poco di lettura spirituale, per cui non tutti
potranno avere i libri convenienti, così io vi presento sette brevi considerazioni, distribuite per
ciascun giorno della settimana, le quali saranno di comodità per quelli che non possono avere
libri opportuni.” (Op. cit., p. 31-32.)
3. G. Bosco, Il Mese di maggio consacrato a Maria SS. Immacolata ad uso del popolo,
Turin, Paravia, 1858, p. 75-118 pour les huit premières instructions, et p. 159-164 pour
l’instruction sur “le paradis”, qui a été séparée des autres.
4. Ces listes, pour les années 1866 et 1869, en MB VIH, 292 et IX, 567.
5. “Ma ciò che ci deve assolutamente spingere a compiere con zelo quest’ufficio si è il
conto strettissimo che noi, come ministri di G.C., dovremo rendere al suo Divin Tribunale delle
anime a noi affidate. [ ... ] Quel momento supremo verrà per tutti i Cristiani, ma, non
facciamoci illusione, verrà anche per noi sacerdoti. Appena saremo svincolati dai lacci del corpo
e compariremo davanti al Divin Giudice, vedremo in modo chiaro quali fossero gli obblighi del
nostro stato, e quale sia stata la negligenza. Davanti agli occhi apparirà l’immensa gloria di Dio
preparata ai suoi fedeli...” (Panégyrique de saint Philippe Néri, Alba, mai 1868, MB IX, 220.)
6. “Ora l’espressione Ritiro mensile, se può richiamare a noi la prima parte
dell’articolo 156 delle Costituzioni : “Ognuno, liberandosi per quanto gli sarà possibile dalle
cure temporali, si raccoglierà in se stesso”, è affatto insufficiente a inculcarci la seconda parte,

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308
ben più importante e indispensabile : “e farà l’esercizio della buona morte, disponendo le cose
spirituali e temporali come se fosse per lasciare il mondo e partire per l’eternità.” Il novello
Santo Giuseppe Cafasso ottenga a tutti i membri della Famiglia Salesiana la grazia di compiere
con fedeltà ed esattezza l’Esercizio mensile della Buona Morte, in modo da potere, sul suo
esempio e mediante la sua intercessione, vivere una santa vita, cui tenga dietro una santa morte.”
(P. Ricaldone, Lettre aux salésiens, 24 avril 1947, Atti 140, p. 11.)
7. Voltaire, Correspondance, Bibliothèque de la Pléiade, t VI, p. 686.
8. Constitutions SDB, art. 91 ; Règlements SDB, art. 72.
9. “Ciascuna comunità dedichi al ritiro mensile o “Esercizio di buona morte” mezza
giornata ogni mese, una giornata intera ogni trimestre.” (Règlements généraux FMA, art. 34).
10. Vatican H, Lumen gentium, n. 1.
11. Irénée de Lyon, Adversus haereses, livre 4, chap. 32.
12. Ce paragraphe d’après le Catéchisme de l’Eglise catholique, éd. de 1992, n.
1020-1065, passim.

16.5 Page 155

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309
Foi
La vraie foiau temps du modernisme
Sous les rectorats salésiens de don Rua (1888-1910) et de don Albera
(1910-1921), la vague moderniste projeta brusquement la foi au premier plan de la
spiritualité salésienne.
Jusqualors, les camps avaient été bien délimités. A l’intérieur de chacun,
la foi ne posait pas de problèmes. Les catholiques croyaient à la Révélation directe
de Dieu à ses prophètes ; à la parfaite véracité des saintes Ecritures, parole d’un
Dieu qui ne pouvait ni se tromper ni les tromper ; à lexactitude des vies de Jésus
rédigées à partir d’une interprétation littérale des évangiles ; à la vérité des
histoires de l’Eglise primitive ; à l’institution par Jésus Christ des sept sacrements
tels quils étaient administrés autour deux au dix-neuvième siècle ; à lapostolicité
des dogmes de leur Eglise ; à la pérennité de l’enseignement du catéchismeet à
beaucoup dautres éléments de leur religion, qu’ils jugeaient intouchables, bien
que contestés par des rationalistes, nécessairement incroyants. Ces catholiques
partageaient la vraie foi, leur foi était ferme. En face deux, il y avait des
incroyants plus ou moins caractérisés : protestants, libres penseurs, rationalistes,
athées et païens de tous poils, qui n’adhéraient pas aux vérités” garanties par
lEglise romaine. Ces gens-là avaient peu ou point de foi, une foi considérée
comme un bagage à enseigner, à recevoir et à accepter pour en vivre.
Puis, à partir de 1890 environ, le socle doctrinal de la catholicité parut
trembler et vaciller. Quelques professeurs audacieux et férus de critiquesavante
voulaient adapter lEglise à la culture de leur temps. Une fraction du jeune clergé,
guidée par eux, commença donc de mettre en cause le rôle des prophètes dans la
transmission du message révélé, l’interprétation traditionnelle de la Bible, la
biographie reçue de Jésus, l’histoire primitive de lEglise telle qu’elle était
enseignée dans les séminaires, la formation des sept sacrements dès les temps
apostoliques, la théologie scolastique jugée périmée, la naissance des dogmes,
estimés par eux tributaires des lois générales de lévolution, et, de ce fait, de fil en
aiguille, l’enseignement contemporain de la hiérarchie, pape et évêques. Le monde
salésien ne fut pas insensible aux idées nouvelles. Le modernisme est entré dans
nos maisons avec des livres et des revues, déplorait don Rua en 1906 ; certains
confrères parlent mal de l’Eglise et de son auguste chef, de la théologie et de la
sainte Ecriture.1
Au sentiment de l’autorité ecclésiastique, donc à celui des recteurs
majeurs salésiens, ces modernistes, comme on se mettait à les appeler, minaient
la vraie foi, base de la vraie religion. Autrement dit, les tenants des nouvelles
doctrines versaient dans lhérésie, laquelle sépare du Christ et de Dieu même. Le
salut des âmes était en cause. L’encyclique du pape Pie X Pascendi (1907) neut

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310
pas de qualificatifs trop durs pour les modernistes. Un témoin de son procès de
canonisation fera dire à don Rua : Le Seigneur nous a appelés à la vraie religion :
montrons-lui notre reconnaissance par la fermeté de notre foi. Ne nous laissons
pas abuser par les fausses doctrines actuelles. Combattons le modernisme qui
voudrait saper les fondements de notre sainte religion et qui courtise les
rationalistes et les protestants, dont (ses tenants) voudrai(en)t nous faire embrasser
les erreurs. Ne vous en étonnez pas : l’Eglise a toujours été combattue, mais elle
l’a toujours emporté et nous devons coopérer à ses victoires.2
La vraie foi demandait aux membres de la famille salésienne de participer
à la lutte pour la défendre, dadhérer à tous les articles du Credo, de sopposer aux
erreurs des modernistes et de professer énergiquement les vérités niées par eux..
La vie de foi selon don Albera (1912)
La foi était adhésion aux vérités révélées. Sous le titre De la foi”, don
Rua, dans une série de schémas de sermons, commentait simplement les
principaux articles du Credo : Je crois en Dieu, Je crois en Dieu Père, Je crois en
Dieu Père tout-puissant, Je crois au créateur de la terre, Je crois en Jésus Christ
son fils unique, notre Seigneur, Je crois en celui qui fut conçu de l’Esprit Saint et
naquit de la Vierge Marie, Je crois en Jésus Christ ressuscité.3
En 1912, don Albera, en peine d’un sujet de circulaire qui répondît aux
nécessités de lactualité, eut limpression dentendre dans son coeur une voix qui
lui disait : Démontre la nécessité pour chaque salésien de vivre vraiment une vie
de foi.”4 Linspiration le décida à composer en ce sens. Et il écrivit sur la vie de
foiune longue lettre assortie de trois annexes significatives : 1) La sainte liturgie,
2) Le souverain pontife, 3) Les journaux. La réaction antimodemiste battait son
plein.
Nous avons trois vies, expliquait le recteur : la vie des sens, la vie de la
raison et la vie de la foi. La vie de la foi, par laquelle la raison éclairée par les
vérités que Dieu lui même nous a révélées, sélève au-dessus des choses humaines,
parvient à une meilleure connaissance des perfections divines et (grâce à laquelle)
lâme, bien qu’encore pèlerine en ce monde, devient capable dune vie semblable à
celle des heureux habitants du ciel,cette vie est évidemment la plus noble des
trois.5 Il appliquait à ceux qui vivent de la foi, la formule de Pierre : Ils sont
participants de la nature divine(2 Pierre 1, 4), et celle de Paul : Je vis, mais ce
n’est plus moi qui vis, cest le Christ qui vit en moi(Galates 2, 20).6
Plusieurs degrés sont possibles dans la vie de foi, enseignait alors le
recteur. Une multitude de croyants croit fermement aux vérités de foi. Cest
essentiel, mais il y a mieux. Don Albera se délectait à l’évocation de saints qui y
avaient adhéré jusquà lhéroïsme. Quand il méditait sur l’enfer et les effroyables
supplices des damnés, saint François Borgia tremblait à en faire trembler sa cellule.
Léternité des peines infernales épouvantait tellement sainte Thérèse d’Avila,
qu’elle allait par les couloirs de son monastère répétant aux religieuses rencontrées
: Quam longa ! Quant terriblisaetemitas !(Comme elle est longue, comme elle

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311
est terrible léternité !). Saint Stanislas Kostka éprouvait un tel enthousiasme pour
les prérogatives de la Vierge Marie que son visage senflammait et que ses yeux se
remplissaient de larmes à la pensée de Marie, quand il passait devant une église qui
lui était dédiée et même à la simple prononciation de son nom. La foi brûlante de
saint Alphonse de Liguori en la présence réelle liquéfiait son âme (la eut anima si
liquefaceva) quand il priait devant un tabernacle. La certitude de don Bosco en la
vigilance de la Divine Providence à l’égard de ses créatures était sans égale. Et il
doutait si peu de l’excellence divinisatrice de la coopération avec Dieu au salut de
lhumanité qu’il aurait voulu, au prix de nimporte quel sacrifice, détruire partout
le péché et sauver les âmes à travers le monde entier.
Le Seigneur est en droit dexiger des salésiens, écrivait le recteur, non
seulement de croire toutes les vérités révélées - sinon ils auraient le malheur de
sombrer dans l’hérésie - mais dy adhérer de toutes les forces de leur esprit et avec
l’affection la plus intense de leurs coeurs.7
La vie de foi pour le salésien de la fin du vingtième siècle
La difficulté de l’adhésion aux vérités de foi saccrut pour les
Occidentaux à mesure que la culture honnie par lintégrisme religieux simposait
aux croyants du vingtième siècle. Elle secouait la foi paisible des anciens. Un
retournement s’opérait dans la vieille société occidentale, l’incroyance devenait
un fait massif et tranquille. Des milieux entiers, souvent culturellement dominants,
se développaient hors de toute référence religieuse. Etre croyant ou incroyant ne
représentait aucune différence sensible dans la plupart des activités
professionnelles ou des engagements extra-professionnels. Du coup, la conversion
mentale touchait le croyant lui-même. H avait de plus en plus de peine à estimer,
comme ses aînés, que l’incroyant était un homme ou une femme à qui il manquait
quelque chose pour être tout à fait soi. Cétait plutôt lui ou elle, le croyant ou la
croyante, qui faisait de plus en plus figure d’anormal. La foi s’évanouissait sans
bruit.8
Les salésiens, qui avaient pour mission de former à la foi, sen
inquiétèrent à juste titre. En 1990, un chapitre général, ayant pris pour thème :
Eduquer les jeunes à la foi, exprima leur opinion.9 L’apologétique antérieure ne
convainquait plus guère. On ne sattachait plus à des idées reçues d’ailleurs, qui
auraient constitué à elles seules Vobjet de la foi. La personnalité, toute la
personnalité, se construit dans et par la relation, rappelaient les philosophes
personnalistes. Lexpérience personnelle émeut les esprits et les coeurs, que les
raisonnements, subtils ou non, laissent indifférents. La foi naît ou renaît dans
lexpérience. L’expérience offre donc à l’éducation de la foi son but global
(meta globale). Lobjet de la foi est la personne même du Christ, qui, par une
grâce venue du Père, engendre cette foi.
Le but de l’éducation à la foi est, pour la personne qui croit, dêtre
configurée au Christ, homme parfait. LEvangile la guide. Elle prend le Christ
pour référent“dans sa mentalité et dans sa vie”. Les vérités de foi, que l’on
aurait crues un temps oubliées, réapparaissent alors. La référence au Christ, de

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312
plus en plus explicite et de mieux en mieux intériorisée, aide la personne à
considérer l’histoire comme le Christ la voit, à juger de la vie à sa manière, à
choisir et à aimer comme lui, à espérer comme il lenseigne et à vivre en lui la
communion avec le Père et l’Esprit Saint. Par la mystérieuse fécondité de cette
référence, la personne se construit en unité existentielle Elle assume ses
responsabilités et recherche le sens ultime de sa vie. A l’intérieur du peuple des
croyants, elle vit intensément de sa foi, elle l’annonce et la célèbre avec joie dans
la vie quotidienne.
La foi transforme la vie du croyant. Les comportements, qui ouvrent à la
vérité, qui font respecter et aimer les personnes, qui encouragent à se donner et à
servir librement autrui, mûrissent en lui et lui deviennent connaturels. Foi et vie
sintégrent mutuellement, conformément aux souhaits de la nouvelle
évangélisation” des papes Paul VI et Jean-Paul H. Telle était la vie de foi que le
monde salésien de la fin du siècle voulait aider à grandir dans le monde
contemporain.10
Pour cela, une nouvelle éducationest indispensable, affirmait le recteur
Viganô. Les communautés évangélisatrices salésiennes doivent être des signes de
foi”, des écoles de foi, des centres de communion et de participation11. Quant
au coopérateur salésien, son Règlement de Vie Apostolique affirme quil éduque
les jeunes à rencontrer le Christ dans la foi et quil croit en la valeur éducative de
l“expérience de foi12. L’inspiration de ces divers documents du dernier quart du
vingtième siècle ne changeait pas. L’objet de la foi était toujours le Christ Jésus.
Notes
1. M. Rua, Lettre aux inspecteurs et aux directeurs, novembre 1906 ; L.C., p.
352-353.
2. “Il Signore ci ha chiamati alla vera religione : dimostriamogli la nostra
riconoscenza colla fermezza nella fede. Non lasciamoci travolgere dalle false dottrine attuali.
Combattiamo il modernismo, che vorrebbe scalzare la nostra Santa Religione dalle fondamenta e
che accarezza i razionalisti e protestanti, dei quali vorrebbe farci abbracciare gli errori ; e non
meravigliatevi : la Chiesa è sempre stata combattuta, ma ha sempre vinto e noi dobbiamo
cooperare alle sue vittorie.” (A. Amadei, Procès ordinane de don Rua, ad 18um ; dans Positio
super virtutibus, Summarium, Rome, 1947, p 373.)
3. Voici les titres successifs des paragraphes dans leur formulation originale : 1) Credo
in Deum, 2) Credo in Deum Patrem, 3) Omnipotentem, 4) Sopra la parola terrae, 5) ed in Gesù
Cristo suo figliuolo unico Signor nostro, 6) Qui conceptus est de Spirita Sancto, natus de Maria
Virgine, 7) Varie apparizioni del Salvatore dopo la sua risurrezione. (D’après M. Rua, Cahier
manuscritAppunti di Prediche, N. 9, p. 18-23, in FdB 2898 C9-D3.)
4. “Mi rivolsi al Signore chiedendogli d’ispirarmi quell’argomento che meglio
rispondesse ai nostri bisogni attuali. Mi sembrò di sentire in cuore una voce che mi dicesse per
tema del tao dire prendi a dimostrare esser necessario che la vita d’ogni salesiano sia veramente
vita di fede.” (P. Albera, Lettre aux salésiens “sulla vita di fede”, 21 novembre 1912, L.C., p.
82-106. La citation, p. 82.)
5. “Per mezzo di essa la ragione illuminata dalle verità che Dio stesso ci ha rivelate, si
eleva al di sopra delle cose umane, assorge a una maggior conoscenza delle perfezioni di Dio, e

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313
pur rimanendo ancora pellegrina in questo mondo, l’anima nostra diventa capace d’una vita
somigliante a quella dei felici abitatori del Cielo” (Lettre citée, p. 83-84.)
6. Op. cit., p. 84.
7. “I gradi della fede”, op. cit., p. 86-87.
8. Sur ce phénomène, voir un fascicule de la Vie spirituelle, 614, mai-juin 1976.
9. CG 23 “Educare i giovani alla fede”, Rome 4 mars - 5 mai 1990, Atti 333, mai
1990, 268 p.
10. Ces alinéas ont été écrits à partir de l’article du 23ème chapitre général intitulé
“La meta globale”, in Atti 333, p. 74-77.
11. .Voir les lettres d’E. Viganô aux salésiens le 15 août 1990, in Atti 334, p. 38-43 ;
et le 19 mai 1991, in Atti 337, p. 6-11.
12. RVA, art. 14 et 15.

16.10 Page 160

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François de Sales
La vie de François de Sales1
Celui qui donnerait un jour son nom aux fils de don Bosco vécut dans le
duché de Savoie alors indépendant, à la fin du seizième et au début du
dix-septième siècle, autrement dit alors que sévissaient, puis que s’apaisaient en
France les guerres dites de religion”. On sait que lEdit de Nantes, qui y mit fin,
fut daté du 13 avril 1598, et que le roi pacificateur, Henri IV, mourut assassiné en
1610.
François de Sales naquit le 21 août 1567 au château de Sales, à Thorens
(Savoie) et fit ses études dabord dans son pays savoyard, puis à Paris, chez les
jésuites du collège de Clermont”, enfin à Padoue, il entreprit l’étude du droit
et poursuivit celle de la théologie, qui avait été commencée à Paris. Cest à
Padoue quil découvrit le Combat spirituel du théatin Lorenzo Scupoli, un petit
livre qui paraissait alors (1589) et quensuite il portera toujours dans sa
pochette. Rentré en Savoie, François accepta la prévôté de l’église Saint-Pierre
de Genève, quà son insu son père avait demandée au pape pour lui. Elle faisait de
lui le deuxième personnage de ce diocèse de Genève. L’évêque, Claude de
Granier, que la réforme calviniste obligeait à séjourner à Annecy, lui conféra le
sacerdoce le 18 décembre 1593.
Prévôt de Genève, François se donna avec zèle aux devoirs de sa charge :
il prêcha, confessa, non seulement à Annecy, mais dans les paroisses de la
campagne environnante, puis dans le Chablais. L’histoire retiendra surtout son
action dans cette région, autour de la ville de Thonon. Convertie de force par les
Bernois calvinistes (1536), elle venait d’être rendue à la Savoie (1593). Les
autorités civiles et religieuses tenaient à ramener ses cinquante-deux paroisses à la
foi catholique. François et l’un de ses cousins, chanoine de Genève, sy
employèrent à partir de septembre 1594, à l’origine seuls et au milieu de difficultés
en tous genres et de grands dangers. François obtint des conversions et parvint à
rencontrer, quoique sans succès, à Genève, Théodore de Bèze, qui y avait succédé
à Jean Calvin. Dautres prédicateurs vinrent seconder les premiers apôtres. Et la
solution ne tarda pas : en 1598, le retour du Chablais au catholicisme était
considéré chose acquise.
En 1599, un voyage daffaires à Rome valut à François de Sales dêtre
félicité par le pape pour son apostolat en Chablais et nommé par lui évêque
coadjuteur du diocèse de Genève. Rentré en Savoie, il aida de son mieux Mgr de
Granier. En 1602, celui-ci le députa à Paris pour une négociation difficile sur les
biens des catholiques du pays de Gex, territoire jusque-là français qui venait dêtre
rattaché à la Savoie. Ces biens usurpés par les calvinistes devaient leur être
restitués. Cest pendant son voyage de retour quil apprit la mort de Mgr de

17 Pages 161-170

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17.1 Page 161

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315
Granier. De ce chef, il devenait automatiquement lui-même évêque de Genève.
François fut ordonné (on disait : sacré) évêque le 8 décembre 1602 dans l’église
Saint-Maurice de Thorens, il avait été baptisé.
François de Sales sera désormais tout entier à l’administration de son
diocèse : confirmations, visites de paroisses, ordinations, mandements, synodes
diocésains, réforme des ordres religieux, règlement dun conflit entre le chapitre
cathédral de Genève et le chapitre collégial de Notre-Dame de Liesse, etc. H
consacrait aussi de longues heures à entendre les confessions et à catéchiser les
enfants. Ce pasteur exemplaire acceptait de prêcher hors de son diocèse et joignait
à ses multiples activités le soin de diriger par correspondance les âmes qu’il
rencontrait. Ses lettres rempliront onze volumes dans lédition dAnnecy. Il
écrivait aussi pour publier. Et il prenait linitiative d’une congrégation religieuse
particulière.
En 1604, pendant le carême qu’il donnait à la Sainte-Chapelle de Dijon,
une jeune veuve, la baronne Jeanne de Chantal, lui fut présentée et devint
immédiatement sa dirigée assidue. Lordre de la Visitation naîtra de cette
entrevue. Linspiration de créer un ordre nouveau pour les chrétiennes généreuses
incapables de porter physiquement les austérités des clarisses et des carmélites
semble avoir germé dans l’esprit de François dès cette rencontre de Jeanne de
Chantal. H avait l’intention dutiliser les filles ainsi congrégées” pour assister les
pauvres et les malades dAnnecy. Toutefois, en 1605, le projet nétait pas encore
mûr. Il fallait y préparer la fondatrice et lui laisser le temps de veiller à la première
éducation de ses quatre enfants. La direction spirituelle de François de Sales
pendant les années dattente fut un chef doeuvre du genre. H aida la baronne à
découvrir et à choisir, quand Dieu voudrait, le plan de Dieu ; il lencouragea à
fréquenter le tout récent carmel de Dijon, se réservant de contrôler et parfois de
nuancer l’enseignement spirituel quelle y recevait ; il l’incita à sy instruire dans
les voies de Dieu et à s’initier aux usages de la vie religieuse. Enfin, le 4 juin 1607,
François, après avoir éprouvé la tressainte indifférence” à laquelle sa dirigée était
parvenue, lui déclara “fort simplementle dessein quil avait de l’institut. La
réalisation tardera encore trois ans, pendant lesquels François, qui rédigeait et
revoyait lIntroduction à la vie dévote, se documenta sur la vie religieuse. Enfin, le
6 juin 1610, Jeanne de Chantal et deux compagnes inaugurèrent la vie commune
dans une petite maison d’Annecy. La Visitation Sainte Marie, autrement dit
l’ordre des visitandines, était née.
François de Sales mourut à Lyon le 28 décembre 1622.
Les traités de vie spirituelle
François de Sales entama sa vie de publiciste dès les années du Chablais
par des tracts de propagande religieuse, qui furent un jour réunis sous le titre de
Controverses. Sa Défense de lEstendart de la saincte Croix de nostre Sauveur
Jésus Christ (publiée en 1600), plaidoyer en faveur de la dévotion à la croix, se
rattache à l’apostolat en Chablais2. Après la mort de François, ses conférences

17.2 Page 162

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316
simples et profondes aux visitandines, qui avaient été notées par des auditrices
attentives, seront publiées sous le titre curieux de Vrays Entretiens spirituels.^
Deux traités ont, depuis quatre siècles, hissé saint François de Sales au
premier rang des auteurs de vie spirituelle. Le premier est resté l’un des livres
religieux les plus répandus dans la chrétienté.
LIntroduction à la vie dévote4, dédiée à Philothée (amie de Dieu),
s’adresse en fait à tout chrétien vivant dans le monde et désireux de correspondre
aux exigences de son baptême en tendant, selon le commandement du Seigneur, à
la perfection”. Cette perfection, François l’appelle de préférence dévotion5.
Dans une première partie, il en établit l’excellence, prouve quelle ne convient pas
aux seuls religieux et que, pour y progresser, il faut avoir un bon directeur
spirituel. Il s’agit d’abord de se purger du péché mortel, puis de toute affection au
péché véniel, et enfin de laffection aux choses mutiles et dangereuses, ainsi que de
ses mauvaises inclinations. Dans une deuxième partie, François sapplique à
convaincre Philothée de la nécessité de la prière et lui propose une méthode pour
faire oraison, entendre la messe, recevoir les sacrements, écouter la parole de
Dieu, etc. La troisième partie de YIntroduction contient, selon son titre, plusieurs
advis touchant lexercice des vertus. François donne dabord des règles sur le
choix des vertus à pratiquer et insiste sur l’humilité et la douceur, vertus
salésiennes par excellence. Suivent des chapitres consacrés aux vertus propres aux
religieux, mais que les gens du monde ne sont pas dispensés de pratiquer selon
leur condition ; dautres sur des problèmes particuliers, tels que les amitiés, le
respect des personnes dans les pensées et les conversations, les passe-temps, etc. ;
et enfin des avis adressés aux gens mariés, aux veuves et aux vierges. La
quatrième partie parle des tentations. Ses remarquables chapitres 11 et 12 sur
l’inquiétude et la tristesse sont typiquement salésiens. Enfin, la cinquième et
dernière partie, dite par lauteur contenir des exercices et advis pour renouveller
lame et la confirmer en la dévotion”, est une manière de post-scriptum, qui justifie
telle et telle position de louvrage.
Le Traité de l’amour de Dieu, publié en 1616 chez Pierre Rigaud, à
Lyon, plus long et plus savant, est, pour cette raison, dun abord plus difficile que
lIntroduction à la vie dévote. On y retrouve cependant le même auteur, qui
constelle ses dissertations théologiques de comparaisons tirées de la nature et
dhistoriettes de la vie des saints. Malgré la hauteur du sujet, François refusait de
briller par la profondeur de ses analyses. Ce pasteur ne prétendait quà instruire et,
pour cela, à intéresser. H écrivait dans sa préface : J’ay simplement pensé a
représenter simplement et naifvement, sans art et encore plus sans fard, l’histoire
de la naissance, du progrès, de la decadence, des opérations, propriétés, avantages
et excellences de l’amour divin.” Souriant, afin de prévenir les reproches de
longueurs inutiles, il ajoutait à l’adresse du lecteur, dénommé par lui Théotime
(qui honore Dieu) : Que si outre cela tu treuves quelque autre chose, ce sont des
surcroissances qu’il nest presque pas possible déviter a celuy qui, comme moy,
escrit entre plusieurs distractions : mais je croy bien pourtant que rien ne sera sans
quelque sorte dutilité. La nature mesme, qui est une si sage ouvrière, projettant la
production des raysins, produit quant et quant, comme par une prudente

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317
inadvertence, tant de feuilles et de pampres, quil y a peu de vignes qui nayent
besoin en leur sayson destre esfeuillees et esbourgeonnees.La vigne du
théologien François, sortie d’une terre fertile et bien exposée au soleil divin, est en
effet foisonnante, quoique toujours accessible à l’esprit préparé.
L’ouvrage comporte douze livres. Après une manière de préparation
d’ensemble sur le gouvernement des facultés de l’âme par la volonté (livre I),
François trace l’histoire de lamour divin dans l’âme fidèle, de sa naissance à son
éventuelle décadence (livres H, HI, IV). Les deux principaux exercicesde cet
amour sacré se font par complaisance et par bienveillance (livre V). Les livres VI
et VH décrivent admirablement l’oraison mystique, qui aboutit dans lidéal à
lunion parfaite, à la “liquéfactionde lâme en Dieu, à la blessure d’amouret
même à la mort damour”, comme il advint à la glorieuse ViergeMarie. On
descend alors du Sinaï pour des considérations moins sublimes sur l’amour de
conformité, par lequel nous unissons nostre volonté a celle de Dieu qui nous est
signifiée par ses commandemens, conseils et inspirations(livre VUI) et sur
l’amour de sousmission par lequel nostre volonté s’unit au bon playsir de Dieu”
(livre IX). Il reste à reconnaître l’ampleur de l’amour de Dieu. Dieu nous a
commandé de l’aimer en toutes choses (livre X), et, si toutes les vertus lui sont
agréables, l’amour sacré a “autoritésur chacune delles (livre XI). Cependant,
lamour ne manque jamais d’aléas. Des chapitres délicieux sur la crainte
amoureuse, qui peut être naturelle, servile, mercenaire, et sur la tristesse presque
tous-jours inutile, ains contraire au service du saint amour, nous en préviennent.
Au moment de clore son oeuvre, François semble, dans le livre XII, regretter
d’avoir négligé bien des situations communes. Non, le progrès dans le saint amour
ne dépend pas de la complexion naturelle ; non, les occupations légitimes ne nous
empêchent pas de vivre le divin amour. H faut se servir de toutes les occasions
ordinaires pour le pratiquer, et donc avoir soin d’accomplir ses actions fort
parfaitement. Quoi qu’il en soit, lamour est exigeant. Tenons-nous le pour dit :
Le mont de Calvaire est la vraye academie de la dilection, selon lintitulé du
chapitre ultime.
Une méthode spirituelle du quotidien
La lecture des traités, des lettres et des sermons de François de Sales
permet de dégager une méthode salésienne de spiritualité”, qui est une spiritualité
du quotidien.6
De façon générale le disciple de François de Sales vise principalement à
plaire à Dieu, comme le Traité de l'amour de Dieu le dit et le redit. Dieu ne lui
est-il pas toujours présent ? Pour cela, il se purgede ses imperfections et
cherche à ne rien faire par contrainte, à tout faire par amour. En principe, il est
fort et domine les situations la vie le plonge. H vit en esprit de liberté, joyeux et
paisible. H va son chemin tout bellement, avec une douce diligence, ne pense
quà l’aujourdhui, ne demande rien, ne refuse rien et reprend inlassablement sa
tâche quotidienne.

17.4 Page 164

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318
Cest la confiance en Dieu qui lui infuse cette belle sérénité. H faut avoir
une grande fidélité, expliquait François à des religieuses, mais sans anxiété ni
empressement ; nous servir des moyens qui nous sont donnés selon nostre
vocation, et puis nous tenir en repos pour tout le reste ; car Dieu, sous la conduite
duquel nous nous sommes embarqués, sera tousjours attentif à nous pourvoir de
ce qui nous sera necessaire. Quand tout nous manquera, lors Dieu prendra soin de
nous, et tout ne nous manquera pas, puisque nous aurons Dieu qui doit estre
nostre tout.”7 Et il écrivait à une jeune novice : Mon troysiesme commandement
est que vous faciès comme les petitz enfans : pendant quilz sentent leur mere qui
les tient par les manchettes, ilz vont hardiment et courent tout autour, et ne
s’estonnent point des petites bricoles que la foiblesse de leurs jambes leur fait faire
: ainsy, tandis que vous appercevres que Dieu vous tient par la bonne volonté et
resolution quil vous a donné de le servir, allés hardiment, et ne vous estonnez
point de ces petites secousses et choppemens que vous feres ; et ne sen faut
fascher, pourveu qu’a certains intervalles vous vous jetties entre ses bras et le
baysies du bayser de charité. Allés joyeusement et à coeur ouvert le plus que vous
pourres ; et si vous nallez pas tousjours joyeusement, allés tousjours
courageusement et confidemment.8
François lui-même vécut ainsi en des temps fréquemment troublés, calme,
paisible et souriant sous le regard de son Dieu.
François de Sales, don Bosco et les salésiens9
Ce que don Bosco connut et admira en François de Sales, un saint
compatriote savoyard, ne loublions pas, célébré solennellement chaque année le
29 janvier par un panégyrique dans son séminaire de Chieri, ce fut, beaucoup plus
quune oeuvre de théologien spirituel, qu’il ignora, ou peu sen fallait, une figure
dapôtre rempli de charité douce et bonne dans la vie quotidienne.
Sa quatrième résolution dordination sacerdotale disait : “Que la charité et
la douceur de saint François de Sales me guident en toute chose.”10 Dans ses
Memorie dell’Oratorio, il expliqua lui-même comment il avait été amené à
préférer François pour patron et pour modèle. En 1844, la pièce de l’immeuble,
se réunissaient les garçons de son oratoire naissant, étant ornée dun tableau de
saint François, la chapelle d’abord, loratoire ensuite prirent le titre de saint
François de Sales. La deuxième raison était, écrivit-il, parce que cette forme de
ministère exigeant de notre part un grand calme et une grande mansuétude, nous
nous étions mis sous la protection de ce saint pour quil nous obtienne de Dieu la
grâce de pouvoir l’imiter dans son extraordinaire mansuétude et dans sa conquête
des âmes.H joignait à ces motifs une raison supplémentaire, qui ne lui était
probablement venue à l’esprit que quelques années plus tard, vers 1848-1850,
quand les vaudois “protestantseurent entamé une propagande jugée par lui
périlleuse pour la foi populaire et quil entreprit de reproduire à Turin François de
Sales dans sa mission en Chablais. “Une autre raison de nous mettre sous la
protection de ce saint était que du ciel il nous aidât à limiter dans sa lutte contre
les erreurs opposées à la religion, surtout contre le protestantisme qui commençait

17.5 Page 165

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319
à se glisser insidieusement dans nos régions et en particulier dans la ville de
Turin.”11 Toujours l’imitation, et rien que limitation !
Le titre de l’oeuvre primitive de don Bosco : de saint François de Sales,
allait durer et sétendre. L’oratoire du Valdocco, maison-mère de l’oeuvre, sera
dit de saint François de Salesou oratoire salésien; la société religieuse fondée
par don Bosco en 1859 prendra le nom de “société de saint François de Sales” et
ses membres seront progressivement et naturellement dénommés eux aussi
salésiens”. François de Sales sera le patron de la congrégation fondée par don
Bosco. Avec les années, il s’imposera toujours plus à la dévotion, à limitation, et
enfin, de fil en aiguille, à létude même des membres de la famille “salésienne de
don Bosco. Ds trouvent chez François de Sales une “spiritualité du quotidien, de
la joie et de l’optimisme, qui leur convient à merveille, comme nous lapprend
une étude du vingt-troisième chapitre général des salésiens de don Bosco12.
Notes
1. Pour composer ce premier paragraphe, je me suis largement servi de l’excellente
notice de Pierre Sérouet, “François de Sales”, dans le Dictionnaire de spiritualité, t. V, 1964,
col. 1057-1097. Pour les écrits du saint, nous nous référons, ici et ailleurs, à l’édition des
visitandines d’Annecy : Oeuvres de saint François de Sales évêque de Genève et docteur de
l’Eglise, Annecy, J. Niérat, 1892-1964, 27 volumes, citée Oeuvres.
2. Sur ce gros ouvrage, voir, ci-dessus l’article Adoration.
3. Car il y eut de “faux Entretiens”. En effet, un cordelier anonyme devança la mère de
Chantal en publiant, en mai 1628, à Toumon, Les Entretiens et Colloques spirituels du
Bien-Heureux François de Sales, Evesque et Prince de Geneve, Fondateur des dames de la
Visitation. La sainte femme protesta : le cordelier avait défiguré les conférences de François. Et
elle fit éditer en 1629, à Lyon, chez Coeurssilly, Les Vrays Entretiens spirituels du Bien-Heureux
François de Sales, Evesque et Prince de Geneve, Instituteur, et Fondateur de l’Ordre des
Religieuses de la Visitation Ste Marie, titre qui a subsisté depuis lors.
4. Première édition en 1608, chez Pierre Rigaud, à Lyon ; dernière édition du vivant de
François en 1619, chez J. Cottereau, à Paris.
5. Voir, ci-dessus, l’article Dévotion.
6. Je suis à cet endroit l’item “Méthode salésienne de spiritualité” de la Table
analytique des Oeuvres de saint François de Sales dressée par le P. Alphonse Denis (Annecy,
1964), p. 67.
7. Sermon pour le IVe dimanche de carême, dans Oeuvres, t. X, p. 102.
8. François de Sales à la soeur de Soulfour, 16 janvier 1603, dans Oeuvres, t. 12, p.
168-169.
9. Voir, sur cette question, l’ouvrage collectif San Francesco di Sales e i Salesiani di
Don Bosco (a cura di J. Picca e J. Strus), Roma, LAS, 1986, en particulier, p. 139-159, la
contribution de P. Stella, “Don Bosco e S. Francesco di Sales : incontro fortuito o identità
spirituale ?”.
10. “La carità e la dolcezza di S. Francesco di Sales mi guidino in ogni cosa.”
(Memorie dal 1841 al 1884-5-6, p. 4-5.)
11. “2° Perchè la parte di quel nostro ministero esigendo grande calma e
mansuetudine, ci eravamo messi sotto alla protezione di questo Santo, affinchè ci ottenesse da
Dio la grazia di poterlo imitare nella sua straordinaria mansuetudine e nel guadagno delle
anime. Altra ragione era quella di metterci sotto alla protezione di questo santo, affinchè ci
aiutasse dal cielo ad imitarlo nel combattere gli errori contro alla religione specialmente il
protestantismo, che cominciava insidioso ad insinuarsi nei nostri paesi e specialmente nella città
di Torino.” (MO Da Silva, p. 133.)

17.6 Page 166

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320
12. Voir les deux premiers titres : “Spiritualità del quotidiano” et “Spiritualità della
gioia e dell’ottimismo” de l’article de ce chapitre intitulé : “La spiritualità giovanile salesiana”
(CG 23, n. 162-166). Pour éviter toute équivoque, soulignons qu’il s’agit d’un parallélisme
non signalé par le chapitre général.

17.7 Page 167

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321
Humanisme
L’humanisme dévot de François de Sales
Le terme humanisme, de résonance originellement peu catholique, nest
apparu quaprès Vatican II dans les documents officiels salésiens. Don Bosco a
su nous offrir un incomparable exemple d’humanisme pédagogique et chrétien”,
remarquait alors le pape Paul VI1. Le vingt-troisième chapitre général salésien
(1990) affirma que la conscience des jeunes est spontanément perméable au
nouvel humanismeet à ses valeurs qui sont notamment : le sens de la liberté,
labsolue dignité de la personne, le sens dun projet personnel de vie, le besoin
dauthenticité et dautonomie, toutes instances, assurait-il, qui souvrent à
lEvangile2. Par “humanismeil fallait entendre dans cette phrase une doctrine
prenant pour fin la personne humaine et son épanouissement, en se gardant
toutefois de la clore sur elle-même. Les salésiens de 1990 qualifiaient
probablement dancien humanisme” une manière de paganisme, soit l’humanisme
des Renaissants des quinzième et seizième siècles, qui étaient férus de culture
gréco-romaine, soit, peut-être, le “pur humanismedErnest Renan, c’est-à-dire
le culte de tout ce qui est de lhomme, la vie entière sanctifiée et élevée à une
valeur morale3.
Le disciple de saint François de Sales découvre sous ce vocable un pays
familier. François a en effet pratiqué un humanisme dit aujourdhui dévot.
L’expression humanisme dévotappliquée à la spiritualité de notre saint fut créée
par Henri Bremond en 1916 pour le premier volume de son Histoire du sentiment
religieux en France depuis lafin des guerres de religion.4 S’il y a un humanisme
étemel, qui ne croit pas l’homme méprisable, qui prend toujours et cordialement
le parti de notre natureet témoigne dune confiance inébranlable dans la bonté
foncière de lhomme”, cet humanisme prend des formes différentes selon les
philosophies auxquelles il est lié, remarquait Bremond. Lhumanisme chrétien,
dont lhumanisme dévot est une variante, préfère insister sur la rédemption, qui a
surélevé la nature, plutôt que sur le péché originel, qui l’a viciée.
Lhumanisme dévot de saint François de Sales est exaltation de cette
merveille de grâce et même de nature quest l’homme, continuait-il. Si le péché
originel (une felix culpa!) a laissé dans la partie inférieure de l’âme quelque
tendance à la rébellion, ces résistances sont bonnes et entretiennent l’humilité et la
force. Lhomme a heureusement conservé “la sainte inclination d’aimer Dieu sur
toutes choses. Lhumanisme est, chez François, une manière d’être dans le
monde, avec ses semblables et avec Dieu. Cette manière dêtre colore tout ce qu’il
est et tout ce quil écrit. Chez lui, sentiment de la nature, philosophie et culture,
vie morale et religieuse, ses ouvrages livrés au public comme ses lettres intimes,
sont marqués de façon constante par cet humanisme qui intègre tout l’homme.
François de Sales voulait que lhumain soit entièrement replacé dans l’économie
du salut. Relisons une page de VIntroduction à la vie dévote5. Dès sa

17.8 Page 168

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322
conversion”, Philothée, “après avoir ... considéré qu’au jour de (son) sacré
Baptesme (elle fut) si heureusement et saintement voüee et dediee a son Dieu pour
estre sa fille ... , desire, propose, délibéré et (se résout) irrévocablement de le
servir et aymer maintenant et éternellement, luy donnant a ces fins, dédiant et
consacrant (son) esprit avec toutes ses facultés, (son) ame avec toutes ses
puissances, (son) coeur avec toutes ses affections, (son) cors avec tous ses sens
...Noter la répétition insistante du mot tous. Lauteur de cette phrase entendait
ne rien oublier. L’humanisme dévot réhabilite l’art, par lequel Dieu est loué, le
plaisir décrire, la poésie, les délices naturelleset encore l’eutrapélie”,
autrement dit l’honneste joyeusetédes bonnes conversations, recommandée par
François à sa Philothée6. Comme tout cela est plaisant !
Un humanisme salésien fondé sur la charité
A la fin du vingtième siècle, les correspondances entre lhumanisme de
saint François de Sales et ce que, désormais, l’on disait être lhumanisme de don
Bosco furent relevées avec soin dans le monde salésien. Avant d’être action,
lapostolat est relation personnelle de charité, et toute activité non imprégnée
damour est finalement vouée à l’échec,écrivait-on alors (il est vrai, un peu
abusivement). Lauteur poursuivait de façon plus convaincante : Cette conviction
a dicté à François de Sales comme à Jean Bosco une série de comportements
typiquement “salésiens”. Cest dabord ce quon a appelé leur humanisme, ou leur
optimisme, leur confiance radicale en lhomme et en ses capacités naturelles et
surnaturelles. Lun et lautre, fins connaisseurs de l’homme, ont glorifié les valeurs
et les vertus humaines, donné leur place à laffection, à la joie, à la culture, à
l’effort vers le progrès. Ils ont cru foncièrement à lutilité et à la valeur de l’action.
Convaincus que tout homme est éducable, ils ont fait appel au maximum à ses
puissances intérieures, à son intelligence, à sa liberté, à son coeur, à sa foi..., dans
la patience qui sait attendre, espérer et recommencer.”7
Toute la famille salésienne s’insère “dans le grand courant salésien de
l’humanismea proclamé, quant à elle, la Charte de communion de 1995. Les
auteurs de ce document se sont expliqués. Pour don Bosco (un don Bosco qui
désigne ici toute sa famille spirituelle !) humanisme salésien signifie mise en valeur
de tout le positif présent et caché dans la vie des personnes, dans les choses, dans
l’histoire. Cette inspiration humaniste salésienne le conduit à saisir les valeurs du
monde, surtout si elles agréent aux jeunes ; à sinsérer dans le flux de la culture et
du développement humain de son temps, en favorisant lessor du bien sans se
contenter de gémir sur ses maux, à rechercher la coopération du grand nombre,
convaincu que chacun possède des dons visibles ou décelables ; à croire en la force
de l’éducation qui anime et soutient le changement et la croissance du jeune
jusquà lhonnête citoyen et le bon chrétien; à se confier sans atermoyer à la
Providence de Dieu, considéré et aimé comme un Père.8 Lhumanisme proclamé
de la famille salésienne de don Bosco avait désormais et très officiellement un
contenu.

17.9 Page 169

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323
Lhumanisme salésien et la femme
Dans le dernier quart du vingtième siècle, les progrès du féminisme ont
amené la famille salésienne, en particulier linstitut des filles de Marie auxiliatrice,
à réfléchir sur la valorisation du féminin dans notre monde. Cette valorisation était,
somme toute, incluse dans la profession humaniste des salésiens. Comment
imaginer un instant que la mise en valeurpompeusement célébrée de tout le
positif présent et caché dans la vie des personnesne concerne pas dabord la
meilleure moitié de l’humanité ? Les disciples de don Bosco se sont donc
employés à mettre en valeurla spécificité et la culture propre de lunivers
féminin.
Jusquau rectorat de don Ricceri inclus (1965-1977), les index des lettres
circulaires des supérieurs généraux salésiens ne connaissaient pas le mot donna
(femme).9 Le synode romain des évêques de 1980 sur la famille chrétienne
décida le recteur Viganô (1978-1995) à bousculer les habitudes. Le problème de la
femme intéresse toute la culture humaine, affirma-t-il. Notre civilisation
scientifique et technique est une civilisation unilatéralement masculinisée. La
femme possède une capacité particulière dhumaniser et de personnaliser les
relations et les milieux. Elle est pour cette raison porteuse despérance dans
lEglise et dans la société. Le synode a présenté des propositions très concrètes en
faveur de la libération et de la valorisation sociale de sa mission spécifique. La
promotion de la femme n’entraîne nullement sa masculinisation, comme si sa
libération devait la ramener au niveau de l’homme. Cette libération consiste plutôt
dans le plein développement et la maturation de sa féminité.10 La lettre apostolique
de Jean-Paul U Mulieris dignitatem (15 août 1988) ne pouvait quencourager
l’évolution. Le recteur reviendra à plusieurs reprises sur l’identité et la promotion
de la femme, en particulier de la religieuse, dans les années 1993-1994, lors de la
préparation et du déroulement du synode romain des évêques sur la vie
consacrée” (1994), synode auquel il prit une très grande part11.
Durant toute cette période, les salésiennes manifestaient de plus en plus
dactivité intelligente dans leur réflexion sur la féminité. En 1981, pour le
centenaire de la mort de sainte Marie-Dominique Mazzarello une Semaine de
spiritualité de la famille salésienne choisit pour thème : La femme dans le
charisme salésien12. Comme de juste, les religieuses y intervinrent en première
ligne. En fin de siècle, les chapitres généraux de l’institut des filles de Marie
auxiliatrice furent intitulés, lun : Eduquer les filles. Apport des filles de Marie
auxiliatrice à une nouvelle évangélisation dans les divers contextes socio-culturels
et l’autre : “FMA. Communautés de femmes enracinées dans le Christ et appelées
à une mission éducative interculturelle vers le troisième millénaire”.13 Cest par
léducation que la salésienne oeuvre pour la dignité et une exacte identité de la
femme. Simultanément, l’Auxilium, Faculté universitaire romaine des filles de
Marie auxiliatrice, faisait ouvertement de la promotion de la femme dans lEglise
et dans le monde son sujet de prédilection. Deux congrès importants que cette
Faculté organisait, l’un, en 1988, à Frascati : Vers léducation de la femme
aujourd’hui, l’autre, en 1997, à Collevalenza (province de Perugia) : Femme et
humanisation de la culture au seuil du troisième millénaire”, en témoignaient.14

17.10 Page 170

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324
Les salésiennes refusaient justement toute “complémentarité
condescendante de la femme par rapport à l’homme. Entre masculin et féminin,
leur féminisme demandait de passer de la différence à la réciprocité. Liberté et
responsabilité pour une plénitude de vie”, réclamaient-elles. La science nous fait
aujourd’hui prendre conscience que l’humanité se concrétise non dans une
dichotomie irréductible, mais bien dans la distinction et l’intégration du masculin
et du féminin, sans qu’une de ces dimensions puisse prétendre à l’exclusivité, à
lhégémonie ou à la supériorité. L’anthropologie, la biologie et la psychologie
nous montrent, dans leur état actuel, quelle réciprocité existe entre le masculin et
le féminin, combien lun est présent et agissant dans l’autre, quelle influence l’un
exerce sur lautre, comment lun ne peut être compris sans lautre.
L’humanisme salésien a ainsi progressé avec le siècle. La nouvelle
conscience que les femmes ont delles-mêmes aide désormais les hommes, y
compris naturellement les salésiens, à revoir leurs schémas mentaux, leur façon de
se comprendre eux-mêmes, de se situer dans l’histoire et de linterpréter,
d’organiser la vie sociale, politique, économique, religieuse et ecclésiale. Quant à
elle, pour réaliser sa vocation, lEglise a le plus grand besoin des charismes
proprement féminins, la nature et la grâce saccomplissent mutuellement. Car le
mystère d’alliance dont elle vit a une dimension féminine découte, d’accueil et
d’attention intérieure, qui prime sur la décision, l’engagement et l’organisation,
tâches dans lesquelles les hommes se complaisent et quils croient naturel de se
réserver. Les femmes jouent un tôle unique et sans doute déterminant dans
lévolution du monde. H leur revient de promouvoir un nouveau féminismequi,
sans succomber à la tentation de suivre les modèles masculins, sache
reconnaître et exprimer le véritable génie féminin dans toutes les manifestations de
la vie en société, travaillant à dépasser toute forme de discrimination, de violence
et d’exploitation”.15 Au seuil du vingt-et-unième siècle l’humanisme salésien
contribuait donc à “l’humanisation de la culture”, conformément aux voeux des
filles de Marie auxiliatrice dans leur congrès de 1997.
Notes
1. Discours à l’Athénée pontifical salésien de Rome, 29 octobre 1966.
2. “La coscienza giovanile recepisce, in forma spontanea, il “nuovo umanesimo” e i
suoi valori ; il senso della libertà, l’assoluta dignità della persona, il senso del proprio progetto di
vita, il bisogno di autenticità e di autonomia. Sono istanze queste che si aprono al Vangelo.” (CG
23, n. 184.)
3. E. Renan, L'Avenir de la science, Oeuvres, t HI, p. 809.
4. Voir, dans ce beau livre, les p. 1-17 et 68-127, dont on répète ici quelques éléments.
5. Première partie, chap. 20.
6. Troisième partie, chap. 28.
7. J. Aubry, Les saints de lafamille, Rome, éd. SDB, 1996, p.34.
8. “Ci inseriamo come Famiglia di Don Bosco nella più grande corrente salesiana
dell’umanesimo, offrendo alla Chiesa un contributo di originalità sia nell’ambito educativo che
nel lavoro pastorale. Per Don Bosco umanesimo salesiano significa valorizzazione di tutto il
positivo presente e radicato nella vita delle persone, nelle cose, nella storia. Questa ispirazione
umanistica salesiana lo porta a cogliere i valori del mondo, specie se graditi ai giovani ; a

18 Pages 171-180

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18.1 Page 171

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325
inserirsi nel flusso della cultura e dello sviluppo umano del proprio tempo, stimolando il bene e
non accontentandosi di gemere sui mali ; a ricercare la cooperazione di molti, convinto che
ciascuno ha un suo dono evidente o da scoprire ; a credere nella forza dell’educazione che anima
e sostiene il cambiamento e la crescita del giovane verso l’onesto cittadino e il buon cristiano ;
ad affidarsi senza tentennamenti alla provvidenza di Dio, avvertito e amato come Padre.” (Carta
di comunione, art. 8.)
9. Le mot apparaît dans celui des Atti del Capitolo Superiore au temps de don Rinaldi
(1922-1931), assorti de l’avertissement : “Precauzioni da osservare”, mais pour une note du
“directeur spirituel général” de la congrégation.
10. E. Viganô, Lettre aux salésiens, 8 décembre 1980, Atti 299, janvier-mars 1981, p.
23.
11. E. Viganô, Lettres aux salésiens, 8 décembre 1993, Atti 347, p. 27 ; 15 août 1994,
Atti 350, p. 27 (“ ... la novità culturale collegata con l’identità e dignità della donna, tanto a
livello ecclesiale, quanto a livello civile e secolare”) ; 8 décembre 1994, Atti 351, p. 16-19 La
dorma consacrata).
12. La donna nel carisma salesiano. Apporto della donna e in particolare di S. Maria
Domenica Mozzarella al carisma salesiano. Ottava Settimana di Spiritualità della Famiglia
Salesiana. Roma, 25-31 gennaio 1981, Leumann, Elle Di Ci, 1981,288 p.
13. “Educare le giovani : apporto delle Figlie di Maria Ausiliatrice a una nuova
evangelizzzazione nei diversi contesti socio-culturali” et “FMA : Comunità di dorme radicate in
Cristo chiamate a una missione educativa interculturale verso il Terzo Millenio”.
14. Verso l’educazione della donna oggi, Rome, LAS, 1989 ; “Donna e umanizzazione
della cultura alle soglie del terzo millenio. La via dell’educazione”, compte rendu d’Enrica
Rosanna, dans la Rivista di scienze dell’educazione, ann. XXXV, 1997, p. 441-452.
15. Considérations partiellement empruntées à Jean-Paul U, Vita consecrata, 25 mars
1996, n. 57 et 58.

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326
Humilité
Lhumble société salésienne des origines
Don Bosco fut un humble, non seulement parce qu’il était pauvre et
ignoré, mais parce quil garda toujours au long de sa vie, même et surtout face aux
foules de ses admirateurs, un petit sentiment de lui-même. La leçon de la Dame du
songe de ses neuf ans, telle qu’il la répétait : “Sois humble, fort et robuste1, ne fut
jamais oubliée par lui. A ses yeux, l’ancien vacher des Moglia persistait sous la
soutane du prêtre adulé de Turin. Sa correspondance abondait en formules du
genre ma pauvre personne”, qui, à ceux qui savaient lire, ne signifiaient pas qu’il
était sans le sou, mais rappelaient sa modestie jamais démentie.2 H ne se méprisait
pas, mais entendait ne jamais forcer son talent. Naissait et renaissait en lui sans
feinte le sentiment quune personne éprouve de sa faiblesse, de son insuffisance,
et qui la pousse à sabaisser volontairement en réprimant son orgueil, par quoi les
lexicographes définissent aujourdhui l’humilité3.
Les sociétés religieuses que don Bosco fonda héritèrent de sa modestie.
Quand il arrivait à son successeur don Rua de mettre en scène la congrégation
dont il avait la charge, lépithète humble” (ou ses synonymes) tombait presque
automatiquement de sa plume. Ainsi, dans ses circulaires aux salésiens pour les
aimées 1893-1896, il écrivait le 29 janvier 1893 : ... Le très sage Léon Xm aime
aussi notre humble Société4 ; et, le 29 janvier 1894 : Il nest pas douteux que
notre humble congrégation fait un grand bien à la société civile en procurant un
asile à tant de pauvres enfants”5. En 1895, au congrès salésien de Bologne, il
avait, reconnaissait-il, assisté à un sublime spectacle de foi, de zèle, de charité, et,
disons le mot, de sympathie envers notre humble Société. Ce congrès avait “mis
toujours plus en évidence la bonté du Seigneur envers les humbles fils de don
Bosco.Grande était donc, en ce monde, lestime envers les pauvres fils de don
Bosco”6. Quelques mois passaient et il sexclamait : La Divine Providence, par
un trait particulier de sa bonté, a fait en sorte qu’en un très court laps de temps
notre humble congrégation prenne un développement tel qu’il semble tenir du
prodige”7. Profonde et authentique était la modestie de don Rua parlant de sa
congrégation religieuse. Vanité, orgueil, forfanterie, prétention, triomphalisme
étaient normalement étrangers aux disciples de don Bosco dalors, supposés
fidèles à leurs maîtres. Ayant opté pour une humilité collective, lucides ils
reconnaissaient leurs réussites évidentes, mais ne sen croyaient pas pour autant.
Nappartenaient-ils pas à lhumble congrégation salésienne?
L’humilité prêchée aux salésiens par don Rua et don Albera
Toutefois, rien n’est jamais acquis en cet ordre de choses. H fallait prêcher
lhumilité aux salésiens. Imitons-le (don Bosco) dans le faible (basso) sentiment
de nous-mêmes, leur recommandait don Rua, en nous souvenant que, sil est loué

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327
et admiré par des gens de toutes les langues, de toutes les catégories et de toutes
les conditions, cest le prix de sa profonde humilité.8
Un sermon sur lhumilité” ouvrait une série de ses instructions de retraite
à ses religieux sur le grand édifice de la sainteté. La première partie de
nimporte quelle bâtisse, ce sont ses fondations, rappelait-il. Or, le fondement de la
sainteté, cest l’humilité.D invoquait en ce sens l’autorité de saint Cyprien, de
saint Jérôme et de saint Augustin. Une image suggestive de ce dernier lavait
séduit : Magnus esse vis ? A minimo incipe.(Tu veux être grand ? Commence
par en bas.) Tu rêves de construire le faîte dun grand bâtiment ? Pense dabord
aux fondements, cest-à-dire à l’humilité.Et il concluait à un accord d’ensemble
des spirituels pour faire de lhumilité le fondement de la sainteté.9 H montrait
ensuite, dans son sermon, que l’humilité est indispensable à la pratique correcte
des vertus théologales de foi, d’espérance et de charité, ainsi quà celle des trois
voeux religieux, de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. La vanité
condescendante guette les supérieurs salésiens, pensait ce recteur majeur.
L’humilité, qui maintient dans la ferveur, qui règle lhumeur, qui inspire douceur et
charité, qui garde dans l’obéissance, leur est d’autant plus nécessaire. Deus ...
humilibus dat gratiam (Dieu donne sa grâce aux humbles), opinait-il.10
Le souci du rôle primordial de l’humilité dans la vie spirituelle reparut
dans l“étrennede don Albera aux salésiens pour l’année 1921 : Persuadés que
lhumilité est le fondement de la perfection, nous nous emploierons à la pratiquer
le mieux possible dans nos pensées, nos paroles et notre comportement.11 A
l’image de ses prédécesseurs, ce recteur majeur affectionnait lépithète humble
pour se qualifier lui-même ainsi que sa congrégation. Il répétait dans ses lettres
mon humble personneet “notre humble société, formules qui, disons-le tout de
suite, à partir de don Ricaldone, recteur de 1932 à 1951, napparaîtront plus dans
les circulaires des recteurs majeurs salésiens.12
Après don Rua, don Albera crut bon lui aussi de prêcher l’humilité à ses
supérieurs régionaux et locaux. A l’égard de leurs subordonnés ils doivent se
montrer des “pèresMais à quoi bon leur conseiller la paternité, sils ne
s’efforcent pas d’être des humbles ! Qui est plein de soi sera toujours dénué de
patience et d’affabilité envers son prochain. Le bon supérieur, parce que
conscient de sa propre incapacité, na pas aspiré aux charges. Quand, contre son
attente, il est élevé à une dignité quelconque, bien loin de sy complaire et d’y
reconnaître la récompense de ses mérites, il ny voit que le châtiment de ses
péchés” (sic : un castigo per i suoi peccati). L’authentiquement humble ne jouit
pas de sa prééminence et n’aime pas les honneurs qui lui sont attribués pour le
poste quil occupe. H les supporte comme les exigences inévitables dune
communauté bien ordonnée et les signes de la bonté de ses subalternes, comme si
sa personne n’y était pour rien. Il ny a pas de danger qu’il se répande sur
lui-même, quen conversation il répète avec complaisance des mon (mon oeuvre,
ma maison, mon collège, ma province, etc.), habitué quil est à se considérer
comme un membre de la famille, tenu par son seul devoir dy occuper la première
place. On ne peut déceler chez lui une ombre de jalousie pour les réalisations
dautrui sous son gouvernement. Les articles de presse à sa louange ne

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l’impressionnent pas, convaincu, comme il se doit, qu’ils najoutent rien à ses
mérites face au Seigneur. Etc.13
Les recteurs Rua et Albera exaltaient donc la vertu d’humilité (conçue de
manière un peu simpliste, il est vrai) et la réclamaient aux fils de don Bosco,
surtout quand les circonstances auraient pu la leur faire oublier et négliger.
Une vertu de moins en moins célébrée
Le bienheureux Filippo Rinaldi, dont le temps de rectorat (1922-1931)
suivit celui de don Albera, fut, au sentiment unanime des observateurs, un modèle
d’humilité, sa biographie et les actes de son procès de canonisation en font foi. Les
témoins auraient même plutôt tendance à lui reprocher un goût excessif de
lobscurité. Combien, en 1928, il eût désiré se trouver exonéré du fardeau du
rectorat !
Cependant, à partir de son gouvernement, les recommandations sur la
vertu dhumilité se sont raréfiées dans les actes officiels salésiens. Et elles
disparurent à peu près dans la deuxième partie du vingtième siècle.14 Si les rangs
salésiens comptaient toujours des humbles, dont certains, très imprudemment,
n’hésitaient pas à se proclamer tels, les responsables ne pensaient plus à les
encourager à poursuivre dans leur petite voie”. Pourquoi ce quasi-silence ?
L’orgueil et le triomphalisme contemporain auraient-ils alors peu à peu contaminé
la spiritualité héritée de don Bosco ?
Humilité est un terme ambigu, si l’on nous permet cet adjectif alors très
en vogue dans les milieux d’Eglise. H recouvre, selon les gens, un domaine de
qualité très diverse. Tous les humbles ne sappellent pas don Bosco, don Rua, don
Rinaldi, mère Mazzarello ou mère Morano, ces salésiens et ces salésiennes
énergiques et aux réalisations éclatantes. De soi-disant humbles justifient par son
patronage leurs coupables démissions. Sous son couvert, ils entretiennent la
mollesse, la paresse, la lâcheté, la couardise, la poltronnerie, la vilenie, que sais-je
encore ? “Les grands desseins qui les dépassentoffenseraient, paraît-il, leur
humilité. En conséquence, tristes adultes parasites de la communauté humaine,
malgré des dons qu’ils ont renoncé à faire fructifier, ils végètent reclus dans leurs
chambres avec quelque chien ou quelque chat pour leur tenir compagnie. Des
conceptions de cette sorte ont été étendues à des catégories sociales entières, et il
sest régulièrement trouvé des sots, des inconscients ou des malins, à l’occasion
hommes d’Eglise, pour les y encourager. Sous prétexte d’humilité, les damnés de
la terrecontinueraient à marcher courbés vers le sol, humblement courbés. Us ne
se redresseraient donc jamais. Par humilité congénitale, tel serait leur destin. La
pauvreté serait le lot, que la Providence assigne à une humilité étemelle, de classe
ou de race celle-là.
Pareille marchandise saccommodait mal des puissants mouvements de
“personnalisationet de libération”, qui, au cours du vingtième siècle,
triomphaient dans la conscience occidentale.13 La déformation de l’humilité
cautionne les abus des puissants et les bassesses des petits, proclamaient ces

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329
mouvements.. La théologie de la libération ne faisait pas bon ménage avec
l’humilité des pauvres comme des riches. Les prêcheurs dhumilité
nenseignaient-ils pas aux pauvres une dérisoire résignation ? Beaucoup voyaient
dans le discours chrétien le grand barrage aux désirs de libération des peuples. Ils
rejetaient d’un bloc un héritage suspect. Non seulement lhumilité relèverait dune
vaste entreprise de mystification spirituelle plus ou moins consciemment
démobilisatrice, mais, du point de vue des psychologues, elle s’alimenterait aux
pires sources de l’impuissance et du ressentiment. La psychologie des
profondeurs, le culte de la force et un christianisme dit de choc sunissaient pour
refuser d’introduire lhumilité dans une spiritualité catholique renouvelée.
L’humilité semblait tomber dans loubli. On nen parlait plus, on n’osait plus en
parler. Sans doute en avait-on trop parlé dans le passé, et souvent très mal. Le mot
lui-même fut banni du Nouveau dictionnaire de théologie de Paul Eicher16.
Lauteur a probablement préféré ne rien dire dun concept piégé. Le sentiment de
perversion de lhumilité ne pouvait quinfluencer, même à leur insu, les
responsables salésiens contemporains dans leurs discours sur la vie spirituelle.
Surtout lorsque, comme cétait le cas de don Vigano, ils prêchaient à tous les
vents l’action entreprenante et l’épanouissement des personnes.
Lhumilité, vertu salésienne permanente
Et pourtant, le modèle demeurait. Par-delà don Bosco, il y avait et il y
aura toujours pour le chrétien Jésus lui-même, qui shumilia jusquà en mourir.
Croire demeurera, à sa suite, se faire humble devant Dieu Père. Ici, comme
souvent, l’Islam donne aux chrétiens une précieuse leçon. Lhumilité nest pas la
pâle vertu des faibles, qui, par rouerie, tireraient parti de leur faiblesse pour
disposer des forts à leur guise. Elle n’a non plus rien à voir avec le mépris de soi
ou l’impuissance. L’humilité authentique n’a rien de commun avec la résignation.
Elle relève d’une décision à reprendre sans cesse, quand l’on est croyant en Jésus
Christ : celle dun homme qui veut se situer en vérité devant Dieu, avec Dieu et en
Dieu. Cest en ce sens que l’on dit et répète (sans le bien comprendre) que
“lhumilité, cest la vérité”. L’humilité est une disposition de la conscience, qui se
sait dépendante. Vous croyez en la création ? Sachez que croire, cest accepter
de recevoir d’un autre ce qui ne dépend que de soi-même.17
Lhumilité modère la présomption et l’orgueil. Elle est abnégation,
renoncement que lhomme simpose ou qu’il accepte. Ce peut être aussi un
attribut de sa liberté qui mûrit dans les tensions et les conflits. L’humilité extirpe
les tendances à la suffisance idolâtre de soi. Elle crée des dispositions intérieures
daction de grâces à Dieu, d’abandon confiant à Dieu, de docilité à l’Esprit du
Seigneur, et aussi de conscience de soi équilibrée.
Nous retrouvons don Bosco et François de Sales, deux saints très
humbles, mais aussi très équilibrés, qui ne se méprisaient pas et navaient rien de
faibles pleurnichards. François de Sales conciliait l’humilité et la magnanimité, la
grandeur de l’âme généreuse qui en constitue une sorte de contre-poids. La
pusillanimité, la bassesse et la mesquinerie font de l’humilité un vice détestable.
L’humilité, disait François aux visitandines, nest autre chose quune parfaite

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recognoissance que nous ne sommes rien quun pur néant, et elle nous fait tenir en
cette estime de nous-mesmes.Elle ne nous empêche cependant pas, elle nous
enjoint même de nous estimer grandement a cause des biens qui sont en nous, et
non pas de nous, qui sont la foy, l’esperance, lamour de Dieu, pour peu que nous
en ayons, et aussi une certaine capacité que Dieu nous a donnée de nous unir à luy
par le moyen de la grâce.” Cette estime est le fondement de la générosité de
l’esprit. L’humilité ne consiste pas seulement à nous defier de nous-mesmes,
ains aussi à nous confier en Dieu ; et la défiance de nous-mesmes et de nos
propres forces produit la confiance en Dieu, et de ceste confiance naist la
générosité desprit.”18 Lhumble vertueux est libre, généreux et magnanime.
Les salésiens contemporains prêchent l’humilité aux générations
montantes. Apporter lhumilité dans le troisième millénaire, cest sassurer toutes
les autres vertus, affirmait le Bollettmo en 1999. L’humilité est laiguillon qui
empêche l’homme de se complaire en soi-même, de se refermer sur soi. Cest le
refus dexister loin de Dieu. J’ai trouvé Dieu le jour je me suis perdue de
vue, répétait sainte Thérèse. Toutes les vertus frappent à la porte de l’an 2000,
lhumilité vient l’ouvrir. Sois humble et tu te retrouveras fort et robuste dans
toutes les traverses de la vie.19 Un siècle auparavant, don Rua ne tenait pas un
langage différent.
Notes
1. “Renditi umile, forte, robusto” (MO Da Silva, p. 36).
2. L’éditeur du deuxième tome de son nouvel Epistolario pour les années 1864-1868
(Roma, 1996) a collectionné, p. 683, ses “povera mia persona” et ses “povera anima mia” au
cours de la période.
3. Voir Le Grand Robert de la languefrançaise, s.v. Humilité.
4. ... il sapientissimo Leone XIII ama pure l’umile nostra Società” (M. Rua, L.C., p.
430).
5. “Non v’ha dubbio, l’umile nostra Congregazione fa un gran bene alla civile società
col procurare un asilo a tanti poveri giovanetti...” (M. Rua, L.C., p. 437.)
6. A Bologne, don Rua avait assisté “ad un sublime spettacolo, di fede, di zelo, di
carità e, diciamolo pure, di simpatia verso l’umile nostra Società” (... ) ... questo Congresso fa
vie maggiormente risaltare la bontà del Signore verso gli umili figli di Don Bosco” (... ) ...
stima verso i poveri figli di Don Bosco” (M. Rua, Circulaire aux salésiens, 30 avril 1895, L.C.,
p. 130,131, 132.)
7. “La Divina Provvidenza per tratto particolare di sua bontà dispose, che l’umile
nostra Congregazione in brevissimo lasso di tempo prendesse uno sviluppo tale che sembra
tenere del prodigioso” (M. Rua, Circulaire aux salésiens, 29 janvier 1896, L. C., p. 137).
8. “Imitiamolo soprattutto nel basso sentir di noi stessi ricordando che, se egli è lodato
ed ammirato da gente d’ogni lingua, d’ogni ceto e condizione, questo è il premio della sua
profonda umiltà” (M. Rua, Circulaire aux salésiens, 20 janvier 1898, L.C., p. 174.)
9. Voici les notes citées de ce sermon autographe demeuré inédit : ... dovrò limit. ad
indie, solo le parti più essenz. del grande edifiz. della nostra santific. Prima parte di un edif.
qualunque sono le fondant. Ora il fondamento della santità è l’umiltà (... ) S. Agost spieg. più
diffusant, questa bella idea. Soggiung. magnus esse vis ? A minimo incipe. Cogitas maga. fabr.
consti, celsitud. ? De fitndam. prius cogita humilitatis.” (M. Rua, “Sull’umiltà”, Recueil de
Prediche non datées, FdB 2900 A2.)
10. M. Rua, Circulaire aux inspecteurs et directeurs d’Amérique, 24 août 1894, L.C.,
p. 112.

18.7 Page 177

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331
11. “Intanto, eccovi la mia Strenna per il nuovo armo. Per i Salesiani. Persuasi che
l’umiltà è il fondamento della perfezione, ci studieremo di praticarla meglio che ci sia possibile,
nei pensieri, nelle parole, nel portamento.” (P. Albera, Lettre aux salésiens, 24 décembre 1920,
L.C., p. 363.)
12. Voir sa première circulaire aux salésiens : ... Ma voi così buoni e indulgenti
verso l’umile mia persona.” ... Il Vicario di Gesù Cristo si fece vedere ben informato di quanto
riguarda l’umile nostra Società ...” ... i disegni di Dio sulla nostra umile Congregazione” (P.
Albera, Lettre aux salésiens, 25 janvier 1911, L.C., p. 7, 15, 19-20.) Et une lettre circulaire de
1915 : ... il sapientissimo novello Pontefice Benedetto XV ama pure grandemente l’umile
nostra Società.” “Altro motivo di conforto per noi tutti si è la stima che gode l’umile nostra
Società in Roma” (P. Albera, Lettre aux salésiens, 29 janvier 1915, L.C., p. 161,162).
13. Phrases traduites plus ou moins littéralement du paragraphe Umiltà de la lettre de
P. Albera aux inspecteurs et aux directeurs (21 avril 1917), intitulée : Consigli ed avvisi per
conservare lo spirito di D. Bosco in tutte le Case, L. C., p. 227-228.
14. Deux références secondaires pour le temps du rectorat de don Ricaldone
(1932-1951), aucune pour celui de don Ziggiotti (1952-1965), une seule pour le rectorat de don
Ricceri (1965-1977), enfin une seule pour le temps de don Viganò (1978-1995), au reste
concernant l’humilité de don Rinaldi.
15. On sait que le recteur Viganò trouvait en eux des leviers de la transformation de la
spiritualité salésienne. Voir notre Introduction, ci-dessus.
16. 2ème éd., Paris, Cerf, 1996. Le terme Humilité est ignoré, non seulement du
corpus, mais, ce qui est un comble pour un dictionnaire de théologie chrétienne, du copieux
Index thématique de ce volume. Moins esclave des courants contemporains, le Dictionnaire
d’éthique et de philosophie morale (dir. M. Canto-Sperber, Paris, PUF, 1996), connaît pour sa
part, dans YIndex rerum (p. 1706), YHumilité chrétienne.
17. Formules en partie empruntées au fascicule “L’humilité des croyants”, revue
Christus 104, octobre 1979.
18. François de Sales, Entretiens spirituels, 5 : “De la générosité”, dans Oeuvres, t. VI,
p. 74-77, passim.
19. “Portare nel terzo millenio l’umiltà è assicurarsi tutte le altre virtù. L’umiltà è un
puntigliene che impedisce all’uomo di compiacersi, di fermarsi. E’ il rifiuto di esistere
all’infuori di Dio. “Ho trovato Dio il giorno che ho perso di vista me stessa”, ripete santa Teresa.
A bussare alla porta del 2000 sono tutte le virtù, ad aprirla è l’umiltà. Renditi umile e ti troverai
forte e robusto per tutte le traversie che la vita ti presenta.” (Carlo Terraneo, “Lettera ai giovani.
Abitare il millenio in umiltà”, in Bollettino salesiano, janvier 1999, p. 19.)

18.8 Page 178

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Inculturation
Un terme récent et dune précision relative
Apparu en 1975 environ dans le vocabulaire de la missiologie chrétienne
et, depuis 1977, dans les textes officiels de lEglise catholique, le terme
dinculturation répond au souci des missionnaires de prendre en compte la
spécificité des cultures locales au lieu de leur imposer le modèle ecclésial des
communautés européennes,nous apprend une encyclopédie indépendante1. Les
spécialistes théologiens, qui en furent les inventeurs, ont, depuis sa création,
essayé de s’accorder avec plus ou moins de bonheur sur le sens de ce mot.
Le problème est celui de l’entrée (in = mettre dans) du message chrétien,
confondu avec lEvangile, dans des cultures qui ne le connaissent pas. Il ne peut
sagir, nous assurent-ils, d’“adaptation(insuffisant), dindigénisation”
(offensant), de contextualisation(trop faible) de lEglise du Christ en telle ou
telle région, mais plutôt, (selon la définition, peut-être audacieuse, d’un congrès
salésien de 1983), de l’insertion de la vie et du message chrétien dans une aire
culturelle concrète, de façon à ce que cette vie et ce message non seulement
parviennent à sexprimer dans les éléments propres à la culture en question, mais
aient aussi une fonction inspiratrice, normative et unificatrice, qui transforme et
recrée cette culture, donnant origine à une nouvelle création.2
linculturation est prise à la lettre, le sens traditionnel de la mission
se trouve inversé. Dans une homélie lors du cinquantième anniversaire de son
Eglise (1978), Mgr Anselme T. Sanon, évêque de Bobo-Dioulasso
(Burkina-Faso), remarquait : Nous ne fêtons pas le départ des missionnaires,
nous fêtons la mort de la mission venue de là-bas. Celle-ci est finie. Nous
célébrons la mission qui naît d’ici comme un jaillissement de notre propre coeur,
de notre propre terre.3 Linculturation entraîne alors ce que Jean-Paul II na pas
craint dappeler l’africanisationde l’Eglise.
Cette présentation est-elle tout à fait satisfaisante ? Inutile de rêver sur un
message chrétien hors-culture, dénudé, qui na jamais existé. A ne considérer que
le premier millénaire du christianisme, le Christ et son message ont toujours été
portés aux nations par une culture, quelle ait été juive, syriaque, grecque ou
romaine, de Jérusalem à Antioche, dAntioche à Corinthe, de Corinthe à Rome et
Byzance, de Byzance à Kiev (vers Moscou), de Rome à Lutèce, Cantorbéry et
Aix-la-Chapelle, etc., etc. La mission implique nécessairement une rencontre de
cultures, laquelle est productrice dacculturation (ad = aller vers), mot qui sert
aux ethnologues à qualifier le processus par lequel un groupe humain assimile
tout ou partie des valeurs culturelles dun autre groupe humain”, comme il est
arrivé aux Amérindiens aux Etats-Unis.4 A la fin du siècle, après avoir “affirmé
avec force que l’inculturation est un travail permanent pour la fécondité de

18.9 Page 179

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333
lEvangile dans toute culture : lEvangile doit porter du fruit dans toute culture,
un théologien ajoutait prudemment en note de son article : “Nous voulons, en
disant cela, prendre nos distances par rapport à la tendance illusoire qui voudrait
introduire le message évangélique dans la culture africaine comme sil était
purement saisissable par nous. Notre perspective souvre donc vers
lacculturation, qui a lavantage de poser dès le début la différence de cultures.”5 .
Au nom de linculturation de la foi, les jeunes Eglises d’Asie ou d’Afrique
refuseraient volontiers l’héritage philosophique grec ou latin, dans lequel le
message chrétien sest coulé6. En quoi, elles auraient tort. H est vain doublier le
passage nécessairement acculturantde l’évangélisation.
Quoi qu’il en soit, le mot inculturation a commencé de pénétrer en 1971
dans le vocabulaire officiel salésien sous la pression des représentants de l’Inde
(Bangalore), pendant le chapitre général spécial et lors de la préparation lointaine
de l’article 7 des constitutions de 1984 de la Société de St François de Sales. Cet
article intitulé : “Notre Société dans le monde contemporain”, dira : ”Notre
vocation nous demande d’être intimement solidaires avec le monde et son histoire.
Ouverts aux cultures des pays nous travaillons, nous cherchons à les
comprendre et en accueillons les valeurs, pour incarner en elles le message
évangélique.”7 A partir du rectorat de don Viganô et de la naissance du Projet
Afrique de la congrégation (1978), le terme inculturation est devenu d’usage
courant dans le monde salésien.8
Mais nous achoppons sur une difficulté connexe. Le mot inculturation
fait appel à une conception de la culture, sur laquelle il importe de s’entendre. Il
ne faudrait surtout pas en rester à la culture”, sous-entendu “littéraire, des beaux
esprits. La culture, selon la Ratio fundamentalis salésienne de 1985, “cest la
totalité complexe qui embrasse les notions, les croyances, les arts, les habitudes et
toutes les sortes de capacités et de constantes activités propres à l’homme comme
membre de la société. Cest la vie dun peuple. C’est l’ensemble des valeurs qui
laniment, des contre-valeurs qui l’amoindrissent et qui, partagés par la multitude
de ses membres, lunissent dans une même conscience collective. La culture,
cest aussi les formes par lesquelles ces valeurs ou contre-valeurs sexpriment et se
dessinent, telles que les coutumes, la langue, les institutions et les structures de la
vie sociale, quand dautres cultures dominantes ne les répriment et ne les étouffent
pas.”9 On le devine, et l’article cité des constitutions le signifie clairement, dans
loeuvre dinculturation, les salésiens de la fin du vingtième siècle se sont
particulièrement intéressés aux valeurset aux contre-valeurs” culturelles.
Comprendre et accueillir les valeurs culturelles
L’effort dinculturation salésienne de lEglise tend en effet à inscrire
lEvangile dans les valeurs culturelles du monde contemporain. Tel est son voeu.
Aidé par les discours de Jean-Paul II aux Africains quand s’ouvrait son mandat, le
recteur Egidio Viganô voulut montrer à ses disciples le chemin à suivre dans leur
apostolat à travers ce continent, en tout cas dans sa partie sub-saharienne.10 Sa
description constitue une sorte de modèle dinculturation salésienne dans les
diverses formes de sociétés. Don Viganô ne voilait pas les difficultés de

18.10 Page 180

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334
l’entreprise, car l’inculturation est un thème délicat et difficile, qui exige
continuellement une réflexion pénétrante et un discernement toujours attentif11.
La bonne volonté ne suffit donc pas aux évangélisateurs. Connaître, comprendre et
accueillir les valeurs culturelles locales est indispensable à leurs tentatives
d’inculturation.
Le règne que l’Evangile annonce est vécu par des hommes profondément
liés à une culture, disait alors Jean-Paul II aux évêques du Zaïre, la construction
du royaume de Dieu ne peut pas se dispenser demprunter des éléments des
cultures humaines. Et même, l’évangélisation doit aider celles-ci à faire surgir de
leur propre tradition vivante des expressions originales de vie, de célébration et de
pensée chrétiennes. H importe donc de se livrer à une investigation approfondie
des traditions culturelles des diverses populations, et des données philosophiques
qui les sous-tendent pour y déceler les éléments qui ne sont pas en contradiction
avec la religion chrétienne et les apports susceptibles denrichir la réflexion
théologique.12 L’inculturation impose, avec un sens chrétien aiguisé, une attitude
d’humilité peu naturelle à qui estime posséder la Vérité. Dans le domaine éthique,
recommandait aussi le pape, diverses ressources de l’âme africaine sont comme
des pierres dattente du christianisme. Paul VI les avait déjà évoquées dans son
message à l’Afrique du 29 octobre 1967. Cest notamment la vision spirituelle de
la vie, le sens de la famille et des enfants, celui de la vie communautaire.13.
Pour sa part le recteur majeur Vigano chercha à rassembler, à l’intention
des salésiens, une collection de ces valeurs africaines à partir des discours
pontificaux de 1980. C’était, écrivait-il, le coeur des Africains, leur sagesse, leur
sens de lhomme, leur sens de Dieu, leur puissant sentiment communautaire dans
les divers groupes des structures sociales, leur propension innée au dialogue, leur
sens de la célébration qui éclate en joie spontanée, leur révérence pour la vie, une
conception du monde le sacré tient une place centrale, une conscience profonde
du lien entre la nature et le Créateur, la joie de vivre qui sexprime par la poésie, la
danse et le chant, enfin une culture la dimension spirituelle est omniprésente.14
L’Afrique constitue une réserve dauthentiques valeurs humaines, un patrimoine
quil convient absolument de sauvegarder et d’accroître harmonieusement
Cet effort de compréhension, prélude nécessaire à l’inculturation, ne peut
être réservé aux peuples d’évangélisation récente, remarquait-on alors dans les
rangs salésiens. Les salésiens, au contact des cultures neuves de la jeunesse de
tous les pays, devraient se rendre capables de percevoir les signes positifs de la
nouvelle cultureet les valeurs de croissance humaine dont témoignent et que
proclament les jeunes daujourdhui.”, affirmait don Vigano en préparation à un
chapitre général sur l’éducation des jeunes à la foi chrétienne.13 La création du
Père, qui est “effluve de bien”, agit sur le perpétuel devenir de lhistoire, rappelait
notre recteur théologien. L’Esprit, puissance de transformation, opère
continuellement dans les coeurs et dans les communautés. H nous faut humblement
discerner les résultats bénéfiques de l’action céleste, recommandait-il.16

19 Pages 181-190

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19.1 Page 181

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335
Inculturation et filles de Marie auxiliatrice
De leur côté, les filles de Marie auxiliatrice réfléchissaient alors fortement
aux incidences de l’inculturation sur leur mission à la fois déducatrices et
dapôtres.
Sans employer le mot, leurs constitutions rénovées (1982) témoignaient
dune juste compréhension de sa portée, quand elles disaient : Nous travaillons
parmi les populations auxquelles nest pas encore parvenue lannonce de la Parole,
afin quelles puissent trouver, dans le Christ, le sens profond de leurs aspirations et
de leurs valeurs culturelles. Nous faisant présence dEglise, en leur offrant de les
accueillir avec l’esprit de famille qui nous caractérise, nous contribuons à ce que
nos frères - spécialement les jeunes - expérimentent, de façon progressive, l’amour
personnel de Dieu, qui pourra faire naître en eux le désir d’accueillir l’Evangile et
den devenir à leur tour témoins et apôtres.17 Appel aux valeurs des cultures
particulières, acculturation par contact créant un désir d’Evangile en vue d’une
évangélisation proprement dite, rien ne manquait à une inculturation formelle, telle
que les milieux ecclésiastiques sétaient mis à en dessiner les contours.
Puis, lors dun chapitre général de 1990, les salésiennes entreprirent de
développer leurs idées sur les rapports entre l’inculturation et lévangélisation dans
deux paragraphes quelles intitulèrent : linculturation, aujourdhui expression de
fidélité au charisme pour la nouvelle évangélisationet l’inculturation, condition
fondamentale de la nouvelle évangélisation18. Glanons-y quelques propositions,
qui illustreront la conception salésienne de linculturation.
L’inculturation est, nous font-elles comprendre à partir de l’Incarnation,
lentrée dans une culture. En Jésus Christ, Dieu sest incarné dans une culture
spécifique, en un temps et sur un espace précis. Pour sauver l’humanité il est entré
dans l’histoire et dans la culture de son temps. Selon la logique de ce mystère,
l’Eglise prend en charge l’homme et la femme dans leurs réalités concrètes pour
leur pleine humanisation. L’inculturation aboutit ainsi, par insertion graduelle du
message évangélique dans la sagesse des peuples, à la réinterprétation et à la
réexpression originales de ce message. La culture et les cultures doivent être
évangélisées en profondeur. Toute culture recèle, en effet, des valeurs qui peuvent
senrichir à la lumière de la Révélation. Ainsi conçue, linculturation est,
pensaient-elles, un chemin dans lequel nous devons nous engager de manière plus
responsable si nous voulons prendre au sérieux une Nouvelle Evangélisation qui
permette au message chrétien de pénétrer dans le coeur de lhumanité et dans les
structures mêmes de la vie sociale.19
La vie consacrée est une force de personnes, de communautés, de
charismes et dinstitutions, sans laquelle on ne peut comprendre linsertion de
lEvangile dans toutes les situations humaines. La confiance de lEglise
encourage les salésiennes à se réapproprier leur charisme propre et à en actualiser
linculturationde façon plus consciente.20
Le dialogue est linstrument normal de l’enrichissement culturel. L’oeuvre
dinculturation consiste surtout à favoriser le dialogue des cultures et des peuples

19.2 Page 182

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336
avec l’Evangile. Les salésiens, missionnaires et éducateurs, trouvent leur terrain
apostolique. Car léducation salésienne aide peuples, ethnies et catégories sociales
(jeunes) à prendre conscience de lautonomie de leurs propres cultures, à souvrir
aux autres cultures et à entrer ainsi en dialogue avec lEvangile. Quand le contexte
nest pas chrétien, une éducation ouverte au dialogue avec les diverses religions
contribue au discernement des semences du Verbe(i semi del Verbo) qu’elles
recèlent et ainsi à la “transformation(terme que nous pouvons probablement
traduire ici par le vocable acculturation) de la socio-culture.21
Tout dialogue suppose le recours à un langage approprié. Linculturation
passe par le langage. En son temps, don Bosco s’est servi de la culture populaire
et de son langage pour communiquer avec ses jeunes, surtout les plus pauvres. Il
est ainsi parvenu à les entraîner par sa présence et par le témoignage de sa vie.
Don Bosco et mère Mazzarello, avec la sagesse qui les caractérisait, entraient
pleinement dans la culture de leur temps en cherchant à répondre aux demandes
des garçons et des filles. Le style des oratoires, la nouveauté de leur méthode, le
climat éducatif des classes et des ateliers, le dévouement évangélisateur dans les
missions exprimaient concrètement cette incarnation. L’entrée de don Bosco en
dialogue avec les jeunes sest effectuée par des procédés typiquement salésiens : le
mot du soir, le mot à l’oreille, le jeu, les promenades, les fêtes, les songes, la
musique, le théâtre, la presse. Ces langages” continuent de permettre aux
disciples de don Bosco et de mère Mazzarello de créer des relations éducatives qui
accueillent et qui transforment.22
Linculturation salésienne suit de multiples chemins, le principal étant
celui de la langue, comme on le voit par exemple pour les populations Bororos,
Chavantès et Yanomamis en Amérique du Sud23. En principe, ils débouchent tous
de près, de loin, voire de très loin, sur la découverte du Christ de lEvangile.
Notes
1. Thesaurus de lEncyclopaedia universalis, Paris, 1990, p. 1716. Sur le sens donné
au mot, voir les articles de A.A. Roest Crollius, S.J., “Inculturazione”, dans le Dizionario di
mìssìologia, Bologna, Ed. Dehoniane, 1993, p. 281-286, et, de préférence, de G. Collet,
“Inculturation”, dans le Nouveau dictionnaire de théologie (dir. P. Eicher), 2ème éd., Paris,
Cerf, 1996, p. 424-430, l’histoire du mot est décrite avec plus de soin.
2. “L’inculturazione è, dunque, l’inserzione della vita e del messaggio in una
concreta area culturale, in modo tale che questa vita e questo messaggio non solo riescano ad
esprimersi negli elementi propri della cultura in questione, ma abbiano una funzione ispiratrice,
normativa e unificante, che trasforma e ricrea questa cultura, dando origine ad una nuova
creazione.” (Citation de Z. Alszeghy, S.J., “Il problema teologico dell’inculturazione del
cristianesimo”, dans les actes du congrès Inculturazione e formazione salesiana, Roma, 12-17
settembre 1983, Roma, Direzione generale SDB, 1984, p. 15-39.)
3. Dans Alléluia africain, Bobo-Dioulasso, 17-18, février-mars 1978, p. 18-19.
4. Au début des années 1990, la lexicographie française courante ne connaissait encore
que l’acculturation. Il semble d’ailleurs que Jean-Paul II assimile inculturation et acculturation.
(D’après A. Amato, dans les actes du congrès Inculturazione e formazione salesiana, p. 413.)

19.3 Page 183

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337
5. J. Diouf, “L’Eglise en Afrique”, dans la Nouvelle Revue Théologique, t. 120, 1998,
p. 255.
6. Jean-Paul n, vigoureux apôtre de l’inculturation depuis le début de son pontificat, a
commencé de déplorer sérieusement cette mise à distance dans son encyclique Fides et ratio (15
octobre 1998) : “Refuser un tel héritage serait aller contre le dessein providentiel de Dieu, qui
conduit son Eglise au long des routes du temps et de l’histoire” (n. 72).
T. “La nostra vocazione ci chiede di essere intimamente solidali con il mondo e con la
sua storia. Aperti alle culture dei paesi in cui lavoriamo, cerchiamo di comprenderle e ne
accogliamo i valori, per incarnare in esse il messaggio evangelico”. (Constitutions SDB, art. 7.)
8. Voir, dans l’Index des circulaires de don Viganò, p. 1678-1679, les onze items du
mot Inculturazione.
9. “Cultura è la totalità complessa che abbraccia nozioni, credenze, arti, abitudini e
tutti gli altri tipi di capacità e di costanti attività che sono propri dell’uomo come membro della
società. E’ la vita di un popolo. E’ l’insieme dei valori che lo animano, dei disvalori che lo
debilitano e che, essendo condivisi dalla moltitudine dei membri, lo riuniscono in base a una
stessa “coscienza collettiva” (Evangelii nuntiandi, n. 8). Sono cultura anche le forme attraverso
le quali questi valori o disvalori si esprimono e si configurano, cioè i costumi, la lingua, le
istituzioni e le strutture della convivenza sociale, quando non sono impedite e represse da altre
culture dominanti.” (La formazione dei Salesiani di Don Bosco. Ratio fundamentalis
institutionis et studiorum, Rome 1985, n. 15.)
10. E. Viganò, “Il nostro impegno africano”, Lettre aux salésiens, 24 juin 1980, Atti
297, p. 3-29.
11. “L’argomento dell’inculturazione del Vangelo ... è un tema delicato e difficile, che
esige continuamente una riflessione acuta e un discernimento sempre attento” (lettre citée, 24
juin 1980, p. 13).
12. Jean-Paul n aux évêques du Zaïre, 3 mai 1980, discours (en français), Osservatore
romano, 4 mai 1980.
13. Même discours aux évêques du Zaïre.
14. E. Viganò, lettre citée, 24 juin 1980, p. 11.
15. “Vorrei insistere, in modo particolare, sulla capacità di percepire i segni positivi
della novità culturale in cui viviamo e i valori di crescita umana testimoniati e proclamati dai
giovani d’oggi.” (E. Viganò, Lettre aux salésiens, 6 août 1988, Atti 327, p. 22.)
16. Ibidem.
17. “Lavoriamo tra le popolazioni a cui non è ancora giunto l’annuncio della Parola,
perchè possano trovare in Cristo il significato profondo delle loro aspirazioni e dei loro valori
culturali. Facendoci presenza di Chiesa, contribuiamo a maturare in questi nostri fratelli -
specialmente nei giovani - l’esperienza dell’amore personale di Dio, che potrà far nascere in loro
il desiderio di accogliere il Vangelo e di essere a loro volta testimoni e apostoli, offrendo loro
l’accoglienza propria del nostro spirito di famiglia.” (Constitutions FMA, art. 75.)
18. “L’inculturazione, espressione di fedeltà al carisma, oggi, per la nuova
evangelizzazione” et “L’inculturazione, condizione fondamentale per la nuova
evangelizzazione”, in Istituto Figlie di Maria Ausiliatrice, Atti del Capitolo generale XIX, 19
settembre -17 novembre 1990, p. 43-45 et 55-56, auxquelles nous joindrons les p. 57-59, avec
un paragraphe sur “le langage” qui prolonge le précédent
19. “L’inculturazione è una via da assumere più responsabilmente se vogliamo attuare
una Nuova Evangelizzazione che permetta al messaggio cristiano di penetrare nel cuore
dell’umanità e nelle strutture stesse della vita sociale.” (Atti del..., p. 55-56.)
20. Atti del..., p. 44.
21. Atti del ..., p. 56.
22. Atti del..., p. 43-44, 57.
23. Notes intéressantes sur ce point dans l’article d’Ervino Martinuz, “Inculturazione :
parola chiave”, Bollettino salesiano, février 1998, p. 18-20, qui esquisse l’histoire des tentatives
récentes et laborieuses d’inculturation dans ces peuples indiens..

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Jésus Christ
Pour don Bosco, le Christ était un maître et un modèle1
Quand, à la fin de sa vie, don Bosco évoqua le Christ dans son testament
spirituel aux salésiens, il nota spontanément : Notre vrai supérieur, le Christ
Jésus, ne mourra pas. H sera toujours notre maître, notre guide et notre modèle.
Mais retenez quen son temps, il sera notre juge et le rémunérateur de notre
fidélité à son service2. Il voyait le Christ avec les yeux d’un Latin du
dix-neuvième siècle, moins familier du Christ glorieux, tête de l’Eglise et principe
d’unité du monde présent et futur, que du Christ historique, maître et modèle de
vie chrétienne, du Christ rédempteur, incarné pour effacer les péchés du monde,
mais aussi son juge à la fin des temps, et enfin du Christ eucharistique qui donne
aux âmes la force et la vie de Dieu.
Le Christ vivant fut un ami et un compagnon de route des jeunes saints de
don Bosco : Dominique Savio ou Francesco Besucco, qui le suivaient de
préférence sur son chemin de la croix. Cet ami était pour don Bosco lui-même un
professeur de sagesse. A la question : Quest-ce que Jésus Christ disait de soi ?,
il répondait : Il disait de lui-même quil était le fils unique de Dieu et le sauveur
promis aux hommes, venu du ciel sur la terre pour leur enseigner la route du
salut”.3 Ce sauveur était un maître. On remarque, non sans surprise, que la moitié
dun chapitre doctrinal du Mois de mai de don Bosco, intitulé pourtant : La
Rédemption, résumait la morale évangélique.4 Car, du Christ docteur, il relevait de
préférence les leçons de morale sur “la pénitence, le pardon des injures, le mépris
des richesses, le renoncement à soi-même5. Et, quand il eut décidé de consacrer
un chapitre de son Histoire sainte à raconter des paraboles, il choisit : la brebis
perdue, l’enfant prodigue, les dix vierges, Lazare et le mauvais riche, historiettes
dont les moralités étaient immédiatement applicables6.
La simple vie du Christ était, au regard de don Bosco, un enseignement
pour ses fidèles. H écrivait : “Le modèle que chaque chrétien doit copier est Jésus
Christ. Nul ne peut se vanter d’appartenir à Jésus Christ sil ne semploie à
limiter. Dans la vie et les actions du chrétien, on doit donc retrouver la vie et les
actions de Jésus Christ lui-même. Le chrétien doit prier comme fit Jésus sur la
montagne, avec recueillement; avec humilité, avec confiance. Le chrétien doit... ,
etc.7 .Comme il était normal, certains traits de son visage le séduisaient plus que
d’autres. Quand les sujets sy prêtaient, il relevait devant ses disciples ou ses
enfants lobéissance de Jésus, son extrême humilité et sa pauvreté constante de la
crèche à la croix. L’esprit de lépoque orientait ses regards vers le Christ pénitent
et ployant sous les péchés du monde. Telle était la vision que devaient conserver
les lecteurs de son Mois de mai, qui s’achevait en effet le 1er juin sur ce tableau.
Mais, quand, dans sa maturité et sa vieillesse, don Bosco s’abandonnait à ses
goûts, il retrouvait surtout le Christ doux et bon, cherchant la brebis perdue ou

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caressant les cheveux des enfants. La douceur est la vertu préférée de Jésus
Christ”, dira lIntroduction aux constitutions salésiennes.8 Au reste, tous ceux qui
ont lu lEvangile savent que Jésus Christ naquit dune Vierge dont le nom était
Marie, par la seule opération du Saint-Esprit ; qu’il naquit dans une étable, qu’il
vécut du travail de ses mains et que toutes les vertus, notamment la bonté et la
douceur, ont constitué son caractère.”9 Le Christ de don Bosco, professeur de
sagesse, nétait donc pas seulement lami compréhensif, mais surtout le maître
souffrant, doux et bon, attitude quil conciliait parfaitement avec le zèle pour la
plus grande gloire de son Père céleste, qualité que notre saint se plaisait à relever
partout il la rencontrait.
Pour don Bosco le Christ était source de vie
Don Bosco voyait également dans le Christ le médiateur de la vie divine.
Sa doctrine de l’incarnation rédemptrice était plutôt négative. Il pensait que le fils
de Dieu sétait incarné pour détruire le péché”, ou bien quil était venu au
monde pour sauver les pécheurset pour libérer par sa mort tous les hommes de
l’esclavage du démon. Dans un lexique, il définissait le rédempteur en ces termes
: Nom donné par excellence à Jésus Christ qui nous a rachetés du péché, de la
mort et de lesclavage du démon”.10 De manière plus positive, il écrivait, dans la
Vie de Dominique Savio, que Jésus Christ a versé tout son sang pour délivrer
[notre] âme de l’enfer et l’emmener avec lui au paradis11. H n’empêche : le rôle
vivificateur du Christ était relativement peu marqué dans lenseignement de don
Bosco sur le Verbe incarné.
Il faut chercher ailleurs ses idées sur Jésus, vie nouvelle des croyants. De
manière générale, il affirmait que Jésus Christ ( ... ) est la sainteté par essence,
la source de toute sainteté12, et que sa sainteté est génératrice de force : “Nous
ne sommes pas seuls, Jésus est avec nous, et saint Paul nous dit quavec son aide
nous devenons tout-puissants13. Le Christ, principe de vie surnaturelle, se trouve
dans lEglise qui, par lintermédiaire des évêques et du pape, selon l’ecclésiologie
professée par don Bosco, unit les catholiques à leur chef invisible, le Christ. Il
réside tout particulièrement dans l’eucharistie, son mystère le plus sacré, le
sauveur est tangiblement présent. Quand, dans une brève présentation de saint
Louis de Gonzague, don Bosco eut à choisir deux mystères du Christ pour
l’édification de ses jeunes lecteurs, il retint Jésus crucifié et Jésus dans le saint
sacrement, la passion et leucharistie.14 Ses jeunes héros se sanctifiaient par leurs
communions sacramentelles ou spirituelles au pain de vie. nous attendrions
le Seigneur ou le Sauveur, don Bosco parlait quelquefois et, peut-être, souvent du
Christ sacramentel, cest-à-dire du Christ du tabernacle.
H n’est pas possible de comprendre pourquoi don Bosco recommandait
avec insistance, dune part les vertus de douceur et de compréhension et, dautre
part, la pratique des sacrements de pénitence et d’eucharistie, si l’on ignore à quel
point sa spiritualité nettement christocentrique faisait du Christ “doux et humble
de coeurà la fois son guide et son soutien dans ses démarches dhomme et de
prêtre.

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340
Jésus dans les constitutions salésiennes postconciliaires
Les salésiens demeurèrent fidèles aux idées favorites de leur maître en
matière de christologie. Toutefois, l’évolution de la spiritualité catholique au cours
du vingtième siècle ne pouvait, dans son dernier quart, quaccentuer dans leurs
conceptions certains traits du visage du Christ et en estomper dautres. Désormais
la missionlibératrice primait dans lEglise. Dans la spiritualité salésienne
renouvelée, le Seigneur Ressuscité de Pâque remplaça le plus souvent la Victime
sacrifiée du Calvaire. Celui qui efface les péchés du monde devint le Sanctificateur
de lhumanité. On ne parla plus du Juge des derniers instants. Le Modèle universel
fut aussi et dabord le Vivant dans l’Esprit, lApôtre ou le Missionnaire du Père
qui oeuvre dans laujourdhui à l’avènement du Royaume de Dieu. Les disciples de
don Bosco tâchaient de ne jamais oublier les relations permanentes du Fils à son
Père et à l’Esprit Saint. Les constitutions des deux sociétés religieuses, salésiens et
filles de Marie auxiliatrice, refondues après Vatican n, témoignèrent de ces
préoccupations.15
Les constitutions de la Société de St François de Sales firent à juste titre
de la vie religieuse une sequela Christi, littéralement une suite de Jésus Christ, et
s’efforcèrent d’en tirer les conséquences. Le principe fut posé à larticle 3 : Par la
profession religieuse, nous nous offrons nous-mêmes à Dieu pour marcher à la
suite du Christ et travailler avec Lui à la construction du Royaume.H trouvait
son écho dans la formule de profession. Loffrande du religieux à Dieu Père est
faite en réponse à l’amour de ton Fils Jésus, le Seigneur, qui m’appelle à Le
suivre de plus près” (art. 24). Conséquence nécessaire : L’esprit salésien a son
modèle et sa source dans le coeur même du Christ apôtre du Père(art. 11). Vivre
et agir dans un esprit salésien impose de prendre exemple sur Jésus et de
sabreuver à sa grâce.
Les exigences de la sequela Christi sont développées dans larticle initial
sur les voeux de religion : Nous suivons Jésus Christ qui, chaste et pauvre,
racheta et sanctifia les hommes par son obéissance, et nous participons plus
étroitement au mystère de sa Pâque, à son anéantissement et à sa vie dans l’Esprit
(art. 60). Chaque voeu est une incitation à imiter Jésus. Par notre profession
d’obéissance nous offrons à Dieu notre volonté et nous revivons, dans lEglise et
dans la Congrégation, l’obéissance du Christ en accomplissant la mission qui nous
est confiée(art. 64). Appelés à une vie intensément évangélique, nous
choisissons de suivre le Sauveur qui naquit dans la pauvreté, vécut dans la
privation de toutes choses et mourut dépouillé sur la croix(art. 72). Par la
chasteté consacrée, “nous suivons de près Jésus Christ en choisissant une façon
intensément évangélique daimer Dieu et nos frères dun coeur non partagé. Nous
nous insérons ainsi, par une vocation spécifique, dans le mystère de lEglise
totalement unie au Christ et, participant de sa fécondité, nous nous donnons à
notre mission(art. 80).
Ces données fondamentales retentissent sur la méditation et sur l’action
salésiennes. Etre le disciple du Christ et son héraut suppose qu’on le connaisse
intimement. Notre science la plus éminente est donc de connaître Jésus Christ, et

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341
notre joie la plus profonde est de révéler à tous les insondables richesses de son
mystère(art. 34). Le salésien cohérent avec sa vocation difruse le mystère de
Jésus et reproduit son image. “Nous rendons effective la charité salvifique du
Christ(art. 41). Sa chasteté fait de lui un témoin de l’amour privilégié du Christ
pour les jeunes(art. 81). Le salésien prêtre ou diacre apporte au travail commun
de promotion et déducation de la foi la spécificité de son ministère, qui le rend
signe du Christ pasteur, en particulier par la prédication de lEvangile et l’action
sacramentelle(art. 45). A l’exemple du Fils de Dieu, qui sest fait semblable à
ses frères en toutes choses, le missionnaire salésien assume les valeurs des peuples
quil évangélise et partage leurs angoisses et leurs espérances(art. 30).16 Alors
que le Christ nintervenait que parcimonieusement dans les constitutions
antérieures de la congrégation salésienne, de forme juridique comme il se devait
alors, sa présence simposait à chaque pas de ses constitutions rénovées.
Dun examen sommaire des articles des nouvelles constitutions des filles
de Marie auxiliatrice, il résulte vite que la personne et le mystère de Jésus Christ y
tiennent une place centrale.17 Les références au Christ reflètent le progrès continu
de l’autoconscience des filles de Marie auxiliatrice au cours dune histoire
désormais plus que centenaire. Il y apparaît sous les titres les plus divers, mais
tous inspirés par le Nouveau Testament. Le Christ, Seigneur et Fils de Dieu, est le
Premier Né, l’Envoyé du Père, le Rédempteur, le Serviteur, le Ressuscité, la
Parole de Vérité, la Vie, le Pain et la Parole, le Bon Pasteur, l’Apôtre et
lAdorateur du Père. Le Jésus des constitutions des filles de Marie auxiliatrice na
rien dune figure statique, figée dans le passé. Il est vivant et dynamique. C’est le
Jésus d’hier, daujourdhui et de toujours. La suite du Christ” est conçue à
l’intérieur du mystère trinitaire. Le Père est l’origine et la source de la vocation
religieuse, le Fils son fondement et son centre, l’Esprit sa force et son guide. Dieu
Père, tu m’as consacrée par le baptême et tu mappelles aujourdhui, par la force
de l’Esprit à suivre Jésus Christ de plus près18. Toute la vie de la fille de Marie
auxiliatrice, quil sagisse de prière, de communauté, de mission apostolique ou de
formation, est centrée sur le Christ.
La vie de prière de la salésienne est participation à la prière du Fils de
Dieu” qui, par son incarnation, est entré dans l’histoire, faisant de chaque heure
un temps de salut(art. 42). Sa méditation est un “dialogue intérieur” avec le Fils
de Dieu, Parole de Vérité et de Vie, qui l’interpelle sans cesse, personnellement
et communautairement(art. 39). Sa vie fraternelle “élément essentiel de sa
vocation”, consiste à vivre et à travailler ensemble au nom du SeigneurJésus. Sa
communauté, réunie par le Père, est fondée sur la présence du Christ ressuscité et
se nourrit de Lui, Parole et Pain” (art. 49). La mission de son Institut est une
participation à la mission salvifique du Christ dans son Eglise. En vertu de leur
baptême, les filles de Marie auxiliatrice participent au ministère prophétique,
sacerdotal et royal du Christ (art. 63). “Le coeur de leur action pastorale est
l’annonce du Christ” (art. 70). “Lassistance salésienne, expression typique du
Système Préventif (qui est le leur) naît comme exigence éducative de (leur) union
avec le Christ(art. 67). La formation de la salésienne a une dimension
christologique. “Le but de la formation est la maturation intégrale de la personne
dans une configuration progressive au Christ, apôtre du Père(art. 78). Enfin,

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342
dans l’Institut, l’autorité est conçue comme un service. En effet, “elle se fonde sur
le mystère de l’incarnation du Christ, venu pour servir et donner sa vie pour ses
frères afin de les conduire au Père(art. 108)19.
L’Institut est donc passé, remarquent aujourdhui les religieuses, de la
catégorie imitation à celle de sequela, du concept d’exemplarité à ceux d’insertion,
de configuration et de participation. L’appel lancé par le concile à une double
fidélité : à l’Evangile et aux fondateurs, a fécondé toujours plus la réflexion sur
lidentité de l’Institut menée à partir de 1969. Le texte constitutionnel qui en est
résulté, fruit très mûri d’une longue réflexion, présente une plus grande richesse de
contenu que le précédent et une meilleure articulation des éléments exprimant la
place centrale du Christ dans la vie des religieuses.
Les icônes salésiennesde Jésus à lorée du vingt-et-unième siècle
Les disciples de don Bosco continuaient à lire lEvangile comme
lui-même l’avait fait. Mais leur réflexion s’était approfondie. En 1997, dans un
discours d’étrenne spirituelle de la famille salésienne ainsi formulée : “Le regard
fixé sur Jésus, premier-né dune multitude de frères, aidons les jeunes à l’accueillir
dans la foi”20, le recteur majeur Juan Vecchi consacra un paragraphe aux icônes
salésiennes de Jésus”21. Certaines représentations du Christ attirent
particulièrement l’attention des membres de la famille salésienne, remarquait-il.
Elles inspirent leur spiritualité et décident de leur pédagogie. Le recteur en
discernait quatre : le Bon Pasteur, lAmoureux de l’humanité, lAmi des jeunes et
le type de lHomme nouveau.
La principale icône salésienne de Jésus est celle du Bon Pasteur. Le
recteur Viganô y avait insisté. Tous les consacrés ont le Christ pour centre de leur
méditation. Les membres de la famille salésienne voient en lui de préférence le
Bon Pasteur, qui a créé lhomme et en aime les qualités, qui l’a racheté et lui a
pardonné, et qui, par lEsprit, le transforme en une nouvelle créature. Préférer le
Christ Bon Pasteur implique pour le salésien un dévouement généreux envers les
jeunes, leur conquête” par la douceur, le don de soi, la bonté, l’affection et
lamitié, toutes qualités que lon se plaît à admirer en Jésus bon et tendre berger de
son troupeau22. Quant à lui, après avoir cité son prédécesseur, le recteur Vecchi
semblait plus particulièrement intéressé par les images du Pasteur dans lAncien
Testament. Le Pasteur de la Bible, expliquait-il, cest Dieu qui libère son peuple de
lesclavage et le guide à travers le désert, qui le conduit vers des eaux tranquilles
et des terres verdoyantes, qui le corrige, mais lui fait éprouver son amour et sa
proximité, qui le purifie et lattire à soi, le fait devenir communauté humaine à Lui
consacrée, capable d’accueillir et de transmettre ses promesses, enfin qui le
bouscule sans cesse vers de plus hauts degrés de sagesse.
Le salésien contemple ensuite dans le Christ l’amour qui ouvre au Père et
veut donner à tous, proches et lointains, sages et ignorants, la plénitude de la vie.
Cet amour rejoint chacun dans sa singularité et, pour cela, se donne tout entier
lui-même dans le quotidien de la mission et dans l’offrande de la croix. Il fait
entendre sa voix aux siens, prie pour eux le Père avec confiance et affection et leur

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apprend à prier eux-mêmes avec des mots justes et tendres. La mission salésienne
auprès des jeunes sinspire de ce Christ amoureux dans la pratique patiente du
Système Préventif.
De cette image, le salésien rapproche naturellement celle du Christ ami
des jeunes. Don Bosco rappelait souvent le geste du Christ qui accueille et bénit
les enfants. Jean-Paul U, écrivait le recteur, a magistralement commenté cette
image le 31 mars 1985, dans sa lettre aux garçons et aux filles du monde. H y filme
pour ainsi dire Jésus dans son dialogue avec le jeune sur la vie étemelle. Quant à
don Viganô, il a relevé avec soin les nombreux passages de lEvangile, qui
manifestent la prédilection de Jésus pour les enfants. Jésus les aime, il les veut à
ses côtés, il les invite à le suivre, il les guérit, il les ressuscite, il les libère du
démon, il les privilégie dans le pardon, il demande leur collaboration pour
accomplir des merveilles. Le coeur salésien rempli par le Christ aime les jeunes
comme Lui les aime.
Enfin, le salésien voit dans le Christ lHomme nouveau. Le concile
Vatican II lui a rappelé cette icône. C’est en Jésus, fils de Dieu incarné, que
séclaire le mystère de lhomme. H est l’image du Dieu invisible, l’homme parfait,
uni dune certaine manière à tout homme et le premier-né dune multitude de
frères. Au sein du monde contemporain, aux ambitions illimitées, techniques et
humanistes, sans cesse à la recherche de nouvelles possibilités de domination de la
matière et de la vie, laction éducative salésienne est guidée par une image de
lhomme inspirée surtout par la personne de Jésus, qui réalisa parfaitement en soi
la communion avec Dieu et la solidarité avec tous ses frères, les hommes. Le
Christ avait à la fois le sens de la justice et celui de l’amour, il combinait dans sa
personne la conscience de soi et le don aux autres, il servait simultanément le
présent du monde et son avenir définitif.
Dans son oeuvre d’évangélisateur et déducateur, le membre de la famille
salésienne, qu’il soit salésien, fille de Marie auxiliatrice, coopérateur, volontaire de
don Bosco ou quil appartienne à lune des nombreuses congrégations associées23,
regarde ces icônes du Christ Jésus pour une meilleure promotion de l’homme, qui
ne peut que le rapprocher de Dieu.
Notes
1. Je répète, dans ces paragraphes sur le Christ de don Bosco, la substance des pages
de mon livre Don Bosco et la vie spirituelle (Paris, Beauchesne, 1967, p. 94-99), consacrées à ce
thème, l’on trouvera toutes les références aux textes cités ici.
2. “Ma il nostro vero superiore Cristo Gesù, non morrà. Egli sarà sempre nostro
maestro, nostra guida, nostro modello ; ma ritenete che a suo tempo egli stesso sarà nostro
giudice e rimuneratore della nostra fedeltà nel suo servizio.” (G. Bosco, Memorie dal 1841 ... ,
ms, p. 30-31.)
3. “D. Quali cose G. C. diceva di se medesimo ? - R. Di se medesimo egli diceva che
era il figliuolo unico di Dio, e il Salvatore promesso agli uomini, venuto dal cielo in terra per

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insegnar loro la strada della salute.” (G. Bosco, Maniera facile per imparare la storia sacra ...,
2ème éd., Turin, Paravia, 1855, § XX.)
4. G. Bosco, Il Mese di maggio consacrato a Maria SS. Immacolata ... , Turin,
Paravia, 1858, troisième jour : La Redenzione, p. 28-32.
5. “Con luminosissime prove faceva a tutti conoscere che egli era quel Redentore tanto
sospirato da’ Patriarchi e tante volte annunziato da’ Profeti. In ogni luogo predicava la
penitenza, il perdono delle ingiurie, il disprezzo delle ricchezze, l’annegazione a ciascuno di se
medesimo.” (G. Bosco, Storia sacra ... , 3ème éd. augmentée, Turin, typographie de l’Oratoire
St François de Sales, 1863, septième époque, chap. 4.) Nous utilisons de préférence ici la
troisième édition de cette Histoire sainte, très améliorée par rapport à la première, éditée chez
Speirani et Ferrerò en 1847.
6. G. Bosco, Storia sacra ..., éd. citée, septième époque, chapitre 6.
7. “Il modello che ogni Cristiano deve copiare è Gesù Cristo. Niuno può vantarsi di
appartenere a G. C. se non si adopera per imitarlo. Perciò nella vita e nelle azioni di un Cristiano
devonsi trovare la vita e le azioni di Gesù Cristo medesimo. Il Cristiano deve pregare, siccome
pregò Gesù sopra la montagna con raccoglimento, con umiltà, con confidenza. Il Cristiano deve
...”, etc. (G. Bosco), La Chiave del paradiso..., Turin, Paravia, 1856, p 20).
8. “La mansuetudine è virtù molto diletta da Gesù Cristo” (Introduction aux Regole o
Costituzioni..., éd. de 1877, p. 35.)
9. “Tutti quelli che hanno letto il Vangelo sanno che G. C. nacque da una Vergine il
cui nome era Maria, per sola opera dello Spirito Santo ; che nacque in una stalla, visse del lavoro
di sue mani, e che tutte le virtù, soprattutto la bontà e la dolcezza, formarono il suo carattere.”
(G. Bosco, Storia sacra..., éd. citée, Introduction à la Storia sacra del Nuovo Testamento.)
10. “Gesù Cristo erasi fette Uomo per distruggere il peccato.” (Storia sacra ... , éd.
cit, septième époque, chap. ni) ; “Gesù Cristo era venute al mondo per salvare i peccatori”
(ibidem, chap. VI) ; ... avvicinandosi poi l’ora in cui doveva [... ] colla sua morte liberare tutti
gli uomini dalla schiavitù del demonio” (ibidem, chap. VII) ; “Redentore. Nome dato per
eccellenza a G. C. che ci ha ricomprati dal peccate, dalla morte e dalla schiavitù del demonio”
(ibidem, Dizionario dei vocaboli, s. v.)
11. “Gesù Cristo ha sparso tutte il suo sangue per liberarla dall’inferno e condurla seco
lui al paradiso” (G. Bosco, Vita del giovanetto Savio Domenico ... , Turin, 1859, chap. XXI, p.
106.)
12. “Gesù Cristo essendo la santità per essenza”, “sorgente di ogni santità” ... (G.
Bosco, Il Cattolico nel secolo, Turin, typ. et libr. salésienne, 1883, p. 146.),
13. “Non siamo soli ma Gesù è con noi e S. Paolo dice che coll’aiuto di Gesù noi
diventiamo onnipotenti.” (G. Bosco à soeur Maddalena Martini, s.d. (août 1875), Epistolario
Ceria, t. Il, p. 492.)
14. G. Bosco, Il giovane provveduto ..., Turin, 1847 : Le sei domeniche ... , sixième
dimanche, p. 65. Ces lignes reparurent dans le Giovane provveduto tout au long de la vie de don
Bosco.
15. Je m’appuie ici principalement sur les contributions d’une semaine de spiritualité
salésienne consacrée en 1997 à “Jésus Christ”. Voir Dicastero per la Famiglia salesiana, Gesù
Cristo. Appunti per una spiritualità ispirata al carisma salesiano. Atti della XIX Settimana di
Spiritualità della Famiglia Salesiana, a cura di A. Martinelli, Roma, ed. S.D.B., 1997,435 p.
16. Formulations italiennes des passages cités. “Con la professione religiosa offriamo a
Dio noi stessi per camminare al seguito di Cristo e lavorare con Lui alla costruzione del Regno”
(art. 3). “Dio Padre [... ] in risposta all’amore del Signore Gesù tuo Figlio, che mi chiama a
seguirlo più da vicino, e condotte dallo Spirito Santo [ ... ] mi offro totalmente a Te” (art.
24).”Lo spirito salesiano trova il suo modello e la sua sorgente nel cuore stesso di Cristo,
apostolo del Padre” (art. 11). “Seguiamo Gesù Cristo il quale, caste e povero, redense e santificò
gli uomini con la sua obbedienza e partecipiamo più strettamente al mistero della sua Pasqua, al
suo annientamento e alla sua vita nello Spirito” (art 60). “Con la professione di obbedienza
offriamo a Dio la nostra volontà e riviviamo nella Chiesa e nella Congregazione l’obbedienza di
Cristo, compiendo la missione che ci è affidata” (art 64). “Chiamati ad una vita intensamente
evangelica, scegliamo di seguire il Salvatore che nacque nella povertà, visse nella privazione di
tutte le cose e morì nudo in croce” (art 72). “Seguiamo da vicino Gesù Cristo, scegliendo un
modo intensamente evangelico di amare Dio e i fratelli senza divisione del cuore. Ci inseriamo

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così con una vocazione specifica nel mistero della Chiesa, totalmente unita a Cristo e,
partecipando alla sua fecondità, ci doniamo alla nostra missione” (art 80). “La nostra scienza
più eminente è quindi conoscere Gesù Cristo e la gioia più profonda è rivelare a tutti le
insondabili ricchezze del suo mistero” (art 34). ’’Attuiamo la carità salvifica di Cristo,
organizzando attività e opere a scopo educativo pastorale, attenti ai bisogni dell’ambiente e della
Chiesa” (art. 41). “Essa (la castità) ci fa testimoni della predilezione di Cristo per i giovani” (art.
81). “Il salesiano presbitero o diacono apporta al comune lavoro di promozione e di educazione
alla fede la specificità del suo ministero, che lo rende segno di Cristo pastore, particolarmente
con la predicazione del Vangelo e l’azione sacramentale” (art. 45). “Sull’esempio del Figlio di
Dio che si è fatto in tutto simile ai suoi fratelli, il missionario salesiano assume i valori di questi
popoli e condivide le loro angosce e speranze” (art 30).
17. Je reprends à cet endroit quelques conclusions de l’article bien documenté de la
soeur salésienne Ko Ha Fong Maria, sous le titre “Figlie di Maria Ausiliatrice. Gesù Cristo nelle
costituzioni”, dans le recueil cité Gesù Cristo ..., p. 91-109.
18. “Dio Padre, tu mi hai consacrata nel battesimo e mi chiami ora, con la forza dello
Spirito a seguire Gesù Cristo più da vicino... “(art 10)
19. Formulations italiennes des articles cités. “Il Figlio di Dio con la sua incarnazione
è entrato nella storia, facendo di ogni ora un tempo di salvezza” (art 42). “Dio ci ha tanto amati
da mandare il suo Figlio, Parola di Verità e di Vita, che ci interpella costantemente come
persone e come comunità ed esige una risposta concreta. Momento forte di questo dialogo
interiore è la meditazione” (art 39). “Vivere e lavorare insieme nel nome del Signore è un
elemento essenziale della nostra vocazione. La nostra comunità, adunata dal Padre, fondata sulla
presenza di Cristo Risorto e nutrita di lui, Parola e Pane ...” (art. 49). “La nostra missione nasce
dall’iniziativa salvifica del Padre che ci chiama a partecipare nella Chiesa - come comunità
apostolica salesiana - al ministero profetico, sacerdotale, regale di Cristo” (art. 63). “Cuore della
nostra azione evangelizzatrice è l’annuncio di Cristo” (art. 70). “L’assistenza salesiana, tipica
espressione del Sistema Preventivo, nasce come esigenza educativa dalla nostra comunione con
Cristo” (art. 67). “Scopo della formazione è quindi la maturazione integrale della persona in una
progressiva configurazione a Cristo, Apostolo del Padre” (art 78). (L’autorità) si fonda sul
mistero dell’Incarnazione di Cristo, venuto a servire e a dare la vita per i fratelli allo scopo di
condurli al Padre” (art. 108).
20. “Con lo sguardo fisso in Gesù primogenito di molti fratelli, aiutiamo i giovani ad
accoglierlo nella fede”. Voir le recueil cité Gesù Cristo ..., p. 403.
21. J. Vecchi, “La strenna per il 1997”, dans Gesù Cristo..., op. cit., p. 421-424.
22. Voir E. Viganò, Lettre aux salésiens, 15 août 1990, Atti 334, p. 34.
23. Voici les titres des douze groupes qui, avec les salésiens et les salésiermes, ont tenu
à dire, au cours des journées romaines de 1997, la place de Jésus dans leurs constitutions ou leurs
statuts : l’Association Coopérateurs salésiens, les Volontaires de don Bosco, la confédération
mondiale des anciens élèves de don Bosco, la confédération mondiale des élèves des filles de
Marie auxiliatrice, l’Association de Marie auxiliatrice, les Salésiermes Oblates du Sacré Coeur,
les Apôtres de la Sainte Famille, les Filles des Saints Coeurs, les Soeurs de la Charité de
Miyazaki, les Soeurs Ancelles du Coeur Immaculé de Marie, les Soeurs Missionnaires de Marie
auxiliatrice, les Soeurs de Marie Immaculée et les Filles de la Royauté de Marie Immaculée.
(Voir le recueil cité Gesù Cristo..., p. 110-205.)

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Jeunes
La priorité apostolique de don Bosco
Le songe de neuf ans avait été sans équivoque. Giovanni Bosco y voyait,
racontera-t-il, un terrain samusait une multitude denfants. Les uns riaient,
dautres jouaient, plusieurs blasphémaient. Une Dame - la Vierge Marie dans son
interprétation - lui apparaissait majestueuse et toute de lumière. Regarde, lui
disait-elle.Les enfants s’étaient enfuis. Une foule de chevreaux, de chiens, de
chats, dours et d’autres bêtes avait pris leur place. Voilà ton champ, voilà tu
dois travailler”, avait continué la Dame1. Et, les animaux plus ou moins excités
sétaient métamorphosés en doux agneaux, qui gambadaient et couraient autour
delle comme pour lui faire fête. Le champ” dapostolat, cest-à-dire le domaine
délection de Giovanni Bosco, sera la jeunesse.
La leçon du songe demeura gravée en lui au long de sa vie. Quand il
chercha de l’aide et fonda pour cela deux congrégations religieuses, les salésiens et
les filles de Marie auxiliatrice, ce fut prioritairement pour le salut de la jeunesse.
Selon le premier chapitre de ses constitutions approuvées en 1874, le but de la
Société de saint François de Sales, autrement dit des salésiens, était, outre la
perfection chrétiennede ses membres, puisquil sagissait de religieux, toute
oeuvre de charité spirituelle et corporelle envers les jeunes, spécialement les
pauvres, ainsi que l’éducation du jeune clergé.2 De même, les constitutions
contemporaines des filles de Marie auxiliatrice disaient que les salésiennes avaient
pour but”, avec leur propre perfectionspirituelle, la participation au salut de
leur prochain, “surtout par l’éducation chrétienne des filles du peuple3.
Le premier chapitre des constitutions de don Bosco détaillait alors les
trois formes que prenait cette action salésienne au service de la jeunesse, au vrai
celles pour lesquelles il avait opté lui-même à cette époque. La première consistait
à “recueillir des enfants pauvres et abandonnés pour les instruire dans la sainte
religion catholique, les jours de fêtes (religieuses !) en particulier”4. Mais, comme
létat d’abandon de certains rendrait inutile tout travail éducatif à leur égard, si on
ne leur assurait pas un abri, une deuxième forme de l’action salésienne était
douvrir des maisons, où, avec le vivre et le couvert, une éducation à la fois
religieuse et professionnelle leur serait procurée5. La troisième forme daction
concernait les jeunes aspirants à l’état ecclésiastique, plus exactement les jeunes,
qui, parce quà la fois de bonnes moeurs et intellectuellement aptes à entreprendre
des études secondaires, donnaient quelque espoir de devenir prêtres un jour. Don
Bosco leur proposait un milieu moralement et religieusement favorable6. Alors
seulement, après ces trois articles sur les jeunes, les deux derniers articles du
chapitre constitutionnel envisageaient des actions salésiennes dans le monde des
adultes par la prédication et par la presse7. La jeunesse était vraiment prioritaire
pour le don Bosco des origines.

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Le jour où, lors du chapitre général spécial de 1971-1972, elle fut invitée
à réfléchir sur sa mission, la congrégation salésienne redit la priorité absolue
quelle donnait aux jeunes et, parmi eux, aux jeunes pauvres et abandonnés. Cette
double priorité lui apparaissait en clair dans la vie, les paroles et les songes de don
Bosco, dans les constitutions quelle professait et dans la conscience des confrères
de l’époque. Elle ne s’interrogeait que sur le sens à attribuer au mot jeunes”. La
liturgie, remarquait-elle, appelle don Bosco père et maître des adolescents”. Les
salésiens en concluaient quils croyaient être envoyés de façon précise aux
préadolescents, adolescents et jeunes, selon l’âge qui, dans les divers pays et
cultures, correspond à cette étape décisive de la vie humaine. Soccuper des
enfants leur paraissait devoir être une tâche seulement occasionnelle, vue comme
préparation à létape qui suit.8 Les salésiennes du temps ne se croyaient pas tenues
de suivre cette argumentation.
Les pauvres et les abandonnés
Le chapitre général spécial des salésiens, qui donnait ainsi une priorité,
parmi les destinataires de leur mission, aux jeunes pauvres et abandonnés, tint
aussi à sexprimer sur le sens de ces deux adjectifs.
Le mot pauvres, affirma-t-il, désigne pour nous ceux qui sont victimes
dune forme quelconque de pauvreté. Soit de pauvreté économique, source d’une
foule dautres privations et, pour cette raison, à la première place parmi les
préoccupations salésiennes ; soit de pauvreté sociale et culturelle, ressentie comme
frustration et comme aliénation ; soit encore de pauvreté affective (orphelin, enfant
difficilement accepté par les siens), morale et spirituelle (par ignorance des valeurs
et surtout du vrai Dieu).
Don Bosco parlait dans ses instructions des plus pauvres et des
abandonnés. L’aide aux plus besogneux est donc pour le salésien une priorité
parmi les priorités. Tel est le cas, poursuivait le chapitre général spécial, quand
l’une ou lautre forme de pauvreté atteint un haut degré de gravité. H sagit des
jeunes installés dans la misère, qui ont faim, sont analphabètes, et, s’ils ne sont pas
aidés, ne peuvent prétendre à une vie normale ; des jeunes tourmentés par des
problèmes religieux et moraux ; et aussi des jeunes marginalisés sur le chemin de la
délinquance, ou sortis de prison, ou désespérés, ou sans foi ni loi, ou encore
drogués. Les diverses formes de pauvreté s’accumulent souvent dans les pays du
Tiers Monde et dans les grandes cités des pays développés : jeunesse prolétaire et
sous-prolétaire des bidonvilles, jeunes immigrés, Quart-Monde. Beaucoup de
confrères salésiens, relevait alors le chapitre, pensent que, même l’Etat
intervient de façon générale pour une meilleure justice sociale, une marge de
jeunes et de pauvres que ses réformes n’atteignent pas subsiste toujours. La tâche
des fils de don Bosco est d’aller vers ceux auxquels personne ne vient en aide et
de témoigner de la sorte que Dieu aime et veut sauver les plus perdus9.

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Les jeunes, garçons et filles
Les précisions sur l’âge et la catégorie sociale des jeunes destinataires de
l’apostolat salésien ne suffisaient plus au cours des années 1970. Dans lesprit de
don Bosco, les salésiens étaient destinés à léducation des garçons et les
salésiennes à léducation des filles. Leurs constitutions respectives désignaient par
le mot jeunes les seuls jeunes hommes ou les seules jeunes femmes. Mais les
mentalités évoluaient beaucoup en Occident au cours de la deuxième partie du
vingtième siècle. La mixité, autrefois l’exception, devenait progressivement la
règle de la vie des jeunes, à lécole et partout. La mixité est en train de devenir un
fait dont il faut prendre acte, avait affirmé en 1965 le dix-neuvième chapitre
général des salésiens.10
Conséquence de la mixité, filles et garçons se mêlent dans les écoles.
Salésiens et surtout salésiennes ne s’y résolvaient que difficilement. Sous le titre
les filles, un paragraphe du chapitre général spécial des salésiens disait pourtant
les avantages du mélange pour l’éducation des garçons : H y a pour nous
l’exigence pédagogique dune éducation intégrale de nos jeunes, dans laquelle
toutes les valeurs de la vie (lamour, la beauté, etc.) vues à la lumière du dessein
de Dieu constituent de précieux éléments de maturation de la personnalité du
garçon.11 Le dix-septième chapitre général des filles de Marie auxiliatrice (1981)
souligna lurgence du problème de la coéducation des filles et des garçons. La
conférence épiscopale italienne venait alors de prendre position. Garçons et filles
doivent sengager à se connaître, à sécouter, à apprendre les uns des autres, à
surmonter dinévitables difficultés nées dune présence mutuelle et se préparer
ainsi aux tâches de la vie. La coéducation a pour but de mettre les garçons et les
filles dans les conditions les meilleures pour une rencontre positive et sereine,
propre à les faire entrer dans un dialogue constructif.12 L’anomalie antérieure
passait pour norme dans l’aujourdhui. Les salésiennes en concluaient que, à leur
titre déducatrices, elles se devaient, elles aussi, d’assumer une position équilibrée
et se préparer, comme toute éducatrice moderne, à oeuvrer aussi pour les garçons;
des raisons pastorales le requéraient13. De leur côté, en 1984, les salésiens,
qui refusaient encore de faire de la jeunesse en général (donc indifféremment des
garçons et des filles) la destinataire de leur mission14, adoptaient officiellement une
position similaire : leurs élèves pouvaient très bien être des filles15.
A la fin du siècle, en Occident tout au moins, la mixité scolaire paraissait
normale aux salésiens et aux salésiennes16. En 1996, les deux écoles salésiennes du
Valdocco de Turin, jusque-là réservées lune aux seuls garçons et l’autre aux
seules filles, très emblématiques pour les salésiens et les filles de Marie auxiliatrice,
adoptaient de commun accord la mixité.
H est vrai que laction éducative ne s’en trouvait que plus compliquée,
surtout pour des salésiens traditionnellement peu préparés à l’éducation des filles.
La coéducation est un problème délicat”, remarquait le recteur Viganô dans lune
de ses dernières circulaires. H faut dune part, pensait-il, que les personnes soient
formées selon les exigences spécifiques de leur sexe, et, de l’autre, que l’on cultive
en elles un type de réciprocité, qui affermisse et rende possible leur croissance
sexuelle en fonction de leur dignité propre.17

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Spiritualité salésienne de la jeunesse
Normalement, garçons et filles reçoivent du monde salésien une formation
spirituelle. Don Bosco a en effet conçu à leur intention une spiritualité, une
méthode de vieselon sa formule, qui porte son cachet. Les jeunes de son premier
oratoireétaient invités à choisir certaines valeurs, à adopter certains
comportements, à organiser d’une certaine manière leur vie de croyants, en somme
à vivre selon une spiritualité. Cette spiritualité était simple, sans aucun doute, mais
aussi apte à les mener très haut. Les leçons morales du manuel de piété II Giovane
proweduto (1ère éd., 1847) et du Regolamento délia casa annessa ail’Oratorio
(demeuré manuscrit), celles qui parsemaient la biographie de Luigi Comollo (1ère
éd., 1844), lHistoire ecclésiastique (1ère éd., 1845) ou lHistoire sainte (1ère éd.,
1847) de don Bosco, contribuèrent pendant les années 1850, avec ses conseils
distribués oralement, aux progrès spirituels de la génération des jeunes Dominique
Savio et Michèle Rua. Peu à peu, une spiritualité de la jeunesse - spiritualité
principalement narrative (vies de Dominique Savio, de Francesco Besucco et de
Michèle Magone, avec leurs descriptions de chemins de sainteté) - fut ainsi
constituée, pour être transmise aux salésiens et aux salésiennes au cours du
premier siècle de leur histoire.
Lévolution de plus en plus rapide des idées et des moeurs imposait alors
dadapter plus ou moins cette spiritualité aux temps nouveaux. Le chapitre général
spécial (1971), puis le vingt-et-unième chapitre général (1977) des salésiens s’y
essayèrent. Enfin, le vingt-troisième (1990), qui avait pris pour thème l’éducation
des jeunes à la foi, se crut en mesure de la caractériser à ses risques et périls dans
un long article intitulé précisément : “La spiritualité juvénile salésienne”18.
Cette spiritualité était rassemblée autour de cinq noyaux, que nous nous
contenterons de présenter schématiquement ici, assortis des quelques lignes de
commentaires d’un résumé introductif. Selon le chapitre, la spiritualité salésienne
de la jeunesse est 1) essentiellement une spiritualité du quotidien. Car le
quotidien, à l’image de la vie de Jésus à Nazareth, est le lieu le jeune reconnaît
la présence active de Dieu et vit sa réalisation personnelle. Cest ensuite 2) une
spiritualité de la joie et de loptimisme. Le jeune vit le quotidien dans une
joyeuse atmosphère sans, pour autant, renoncer aux engagements concrets et aux
prises de responsabilités. Puis 3) une “spiritualité de l’amitié avec le Seigneur
Jésus. Le Christ de Pâques recrée le quotidien. Le jeune découvre ainsi les
raisons de son espérance, la vie dans laquelle il est introduit recèle une plénitude
de sens. Et 4) une spiritualité de communion ecclésiale. Car le jeune
expérimente son quotidien dans lEglise, milieu naturel de croissance de sa foi par
les sacrements. H y trouve Marie, première croyante, qui le précède, l’accompagne
et linspire. Enfin, cest 5) une spiritualité de service responsable. Le quotidien
est offert aux jeunes sous la forme d’un service, qui, ordinaire ou extraordinaire,
se doit de toute manière dêtre généreux.19
La même année 1990, un ouvrage alignait les éléments principaux de cette
spiritualité pour la jeunesse dans un livre publié par la maison générale de Rome et

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350
destiné aux membres de la famille salésienne. Don Bosco, écrivait l’auteur à partir
dune relecture de la première partie de son Giovane proweduto, a proposé aux
jeunes un chemin du bonheur, qui est un chemin de sainteté. Une série de
béatitudes” le balisait, d’se dégageait un programme de sanctification
juvénile20.
1) “Bienheureux vous, les jeunes, parce que Dieu a pour vous une
prédilection et quil vous destine au bonheur !Les adolescents sont grandement
aimés de Dieu, lisons-nous en effet dans le Giovane proweduto.2)
Bienheureux qui choisit et sert Dieu, parce quil choisit la vie en plénitude !Ce
bonheur que Dieu offre par amour, il faut, pour le recevoir, laccepter Lui-même
et vouloir Le servir”, cest-à-dire accomplir avec amour sa volonté, faire en
toutes choses ce qui lui plaît, pratiquer les vertus chrétiennes à limitation du
Christ. 3) Bienheureux qui choisit Dieu sans tarder, parce quil choisit la vie en
plénitude, une mort sereine, une éternité heureuse !Ne pas être fidèle à loption
religieuse fondamentale, ne pas se donner à Dieu au temps de sa jeunesse, cest
risquer de ne jamais se donner et de manquer à la fois la vie présente et la vie
future. 4) Bienheureux qui prend les moyens de faire la volonté du Seigneur !
Qui entend rester sur la route du bonheur cherche des appuis dans sa marche.
Heureux est-il si des éducateurs lui indiquent les moyens nécessaires pour servir
Dieu et se maintenir dans sa joie ! En conséquence, il accepte les exigences du
devoir quotidien, il cherche à connaître Dieu à travers l’instruction et la
méditation, il se mortifie, il prie, il se purifie dans la confession, il rencontre le
Christ dans la sainte communion, il se confie à la Vierge Marie. Simultanément, il
a le courage de vaincre les attraits du mal et daccepter les situations douloureuses
exigées par la fidélité à sa propre conscience et à son Dieu. 5) Bienheureux qui
assume ces divers choix, parce quil sachemine vers la sainteté !” Servir le
Seigneur dans une sainte allégresseest une méthode facile, mais suffisante, pour
mener quelquun à la sainteté. Don Bosco croyait fermement à la sainteté des
jeunes, à la sainteté possible de celui qui se donne avec promptitude au
Seigneur”. Pour lui, la sainteté chrétienne nétait pas liée à la maturité
bio-psychologique de l’homme, ni dailleurs non plus aux prières prolongées, aux
austérités, aux miracles et aux extases, mais seulement à l’exactitude assidue des
devoirs de chaque jour et à l’offrande généreuse des difficultés quotidiennes, par
amour. Tenons-nous-en aux choses faciles, mais quelles soient faites avec
persévérance, écrivait-il dans la biographie de Michel Magon22. Nous retrouvons
dans ces lignes la “spiritualité du quotidiendu chapitre général.
Notes
1. .“Ecco il tuo campo, ecco dove devi lavorare.” (MO Da Silva, p. 36.)
2. ... ogni opera di carità spirituale e corporale verso dei giovani, specialmente
poveri, ed anche l’educazione del giovane Clero.” (Regole o Costituzioni della Società di S.
Francesco di Sales, Torino, 1875, chap. 1, art 1.)
3. “Lo scopo dell’Istituto delle Figlie di Maria Ausiliatrice è di attendere alla propria
perfezione, e di coadiuvare alla salute del prossimo, specialmente col dare alle fanciulle del

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351
popolo una cristiana educazione.” (Regole o Costituzioni dell’Istituto delle Figlie di Maria SS.
Ausiliatrice, Torino, 1878, titre I, art. 1.)
4. “Il primo esercizio di carità sarà di raccogliere giovanetti poveri ed abbandonati per
istruirli nella santa Cattolica religione, particolarmente ne’ giorni festivi” (Regole o Costituzioni
..., éd. citée, chap. I, art. 3.)
5. Regole o Costituzioni..., ibid., art. 4.
6. Regole o Costituzioni..., ibid., art 5.
7. Regole o Costituzioni..., ibid., art. 6 et 7.
8. CGS, n. 45-46.
9. CGS, n. 47-48.
10. “La convivenza mista sta diventando un’esperienza di cui bisogna prendere atto.”
(CG XIX, doc. XIX, chap. V.)
11. “Sorge dunque lesigenza pedagogica di un’educazione integrale dei nostri
giovani. In essa tutti i valori della vita (amore, bellezza, ecc.), visti alla luce del disegno divino,
saranno elementi preziosi per maturare la personalità del giovane.” (CGS, n. 51 : “Le giovani”.)
12. Conférence épiscopale italienne, Educazione sessuale nella scuola. Orientamenti
pastorali (Leumann, Elle Di Ci, 1980), n. 26.
13. ... come educatrici, dobbiamo assumere una posizione di equilibrio e prepararci
come ogni educatrice moderna a prestare il nostro ministero in favore anche dei ragazzi, dove
ragioni pastorali lo richiedono.” (Istituto FMA. Capitolo generale XVII. Roma, 15 settembre
1981 - 28 febbraio 1982, Atti, p. 112.)
14. Voir Costituzioni SDB, ari. 25. Noter que, dans leurs recueils de constitutions
rénovées, le motjeunes est toujours resté systématiquement au masculin (i giovani) du côté des
salésiens et à peu près toujours au féminin (le giovani) du côté des filles de Marie auxiliatrice.
15. Regolamenti SDB, art. 3.
16. On pourra voir, sur ce point, les actes du colloque international salésien de 1992,
publiés sous le titre Coeducazione e presenza salesiana, a cura di Cosimo Semeraro, Leumann,
Elle Di Ci, 1993,234 p.
17. E. Viganò, Lettre aux salésiens “Nell’anno della famiglia”, 10 juin 1994, Atti 349,
p. 22.
18. “La spiritualità giovanile salesiana”, CG 23, Atti 333, mai 1990, p. 97-112. La
formule “spiritualité juvénile”, bizarre en fiançais, l’on attendrait plutôt “spiritualité de la
jeunesse”, permet toutefois d’appliquer aussi cette spiritualité aux adultes, conformément à l’idée
des rédacteurs de l’article.
19. Voici la formulation italienne du texte du chapitre, qui, trop abstraite à notre goût,
n’a pas été traduite littéralement ci-dessus. “1. Spiritualità del quotidiano. Il quotidiano ispirato
a Gesù di Nazareth (cf. Cost. 12) è il luogo in cui il giovane riconosce la presenza operosa di Dio
e vive la sua realizzazione personale. - 2. Spiritualità della gioia e dell’ottimismo. Il quotidiano
va vissuto nella gioia e nell’ottimismo, senza rinunciare per questo all’impegno e alla
responsabilità (cf. Cost. 17 e 18). - 3. Spiritualità dell’amicizia con il Signore Gesù. Il
quotidiano è ricreato dal Cristo della Pasqua (cf. Cost 34) che le ragioni della speranza e
introduce in una vita che trova in Lui la pienezza di senso. - 4. Spiritualità di comunione
ecclesiale. Il quotidiano si sperimenta nella Chiesa (cf. Cost 13 e 35), ambiente naturale per la
crescita nella fede attraverso i sacramenti. Nella Chiesa troviamo Maria (cf. Cost. 20 e 34),
prima credente, che precede, accompagna e ispira. - 5. Spiritualità di servizio responsabile. Il
quotidiano viene consegnato ai giovani in un servizio (cf. Cost 31) generoso, ordinario e
straordinario.” CI nuclei fondamentali”, dans l’article “La spiritualità giovanile salesiana”, loc.
cit, p. 100.)
20. J. Aubry, “Foi et bonheur. Don Bosco propose à ses jeunes les Béatitudes
évangéliques”, dans Avec Don Bosco vers l’an 2000. Vingt conférences salésiennes, Rome,
Maison générale, 1990, p. 52-83. Ci-après, la formule de la quatrième béatitude a été adaptée.
21. “I giovanetti sono grandemente amati da Dio” (Il Giovane provveduto ..., 1847, p.
10-11.)
22. “Teniamoci alle cose facili, ma si facciano con perseveranza.” (G. Bosco, Cenno
biografico sul giovanetto Magone Michele..., Turin, Paravia, 1861, p. 47.)

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352
Joie
Joie, gaîté, plaisir et bonheur
Le Coopérateur (salésien) nourrit en soi une joie profonde et sereine et
la diffuse pour témoigner que le Seigneur laccompagne à chaque instant de son
amour : Servons le Seigneur dans une sainte allégresse.1 Le coopérateur serait-il
obligatoirement un bon type, un enjoué, celui qui a toujours le mot pour rire” ?
Essayons de sortir du flou dans linterprétation dun mot fréquent en
spiritualité salésienne depuis François de Sales lui-même. Certaines confusions de
langage ne sont pas sans incidences sur la vie spirituelle. On trouve, au fil de
l’article dun auteur salésien sur Toi et bonheur, l’observation : “Le monde
moderne offre à nos jeunes bien des plaisirs et des divertissements, mais peu de
joie. L’éducateur peut estimer avoir effectué un grand pas en avant dans son
oeuvre éducative lorsquil a fait comprendre et mieux encore expérimenter au
jeune la différence qui existe entre plaisir et joie.2 H convient en effet, ici comme
toujours, de distinguer pour mieux comprendre. Pour nous, dans cet article, la joie
ne sera en principe synonyme ni de bonheur, ni de gaîté, ni de plaisir, avec lesquels
elle est aisément confondue. Conformément aux explications des lexicographes, le
terme joie (gioia, joy, alegria, Freude) évoquera de préférence un sentiment
exaltant ressenti par toute la conscience”, un sentiment qui est à lorigine dune
émotion agréable et profonde3. Soulignons lépithète profonde. Ainsi conçue, la
joie se distingue du plaisir. H existe un plaisir des sens (...), mais il ne saurait se
muer en joie véritable sil ne s’y joint une espèce de “ravissement, une
satisfaction centrale de l’être.4 Elle na pas le même caractère de plénitude et de
durée que le bonheur, assimilé à la béatitude, qui est létat dune conscience
pleinement satisfaite. Quant à la gaîté, on y voit communément un premier degré
agréable de l’existence, alors que la joie est un sentiment plus pénétrant.
Dieu est Dieu de joye”, se risquait à écrire saint François de Sales3. Cette
assertion nous prépare à admettre que, pour lui, la vraie joie était foncièrement
“sérieuse et grave. Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur, je vous le redis,
réjouissez-vous.” Après avoir répété, dans une lettre à la mère Angélique Amauld,
ce verset de l’épître aux Philippiens, il annonçait à cette religieuse un livre rempli
de maximes très importantes”, dont le contenu le faisait bientôt réagir. S’il vous
sembloit quil vous portast hors de la sainte allégresse que je vous conseille si fort,
croyes que ce nest pas sa prétention, ains seulement de rendre serieuse et grave
cette joye, comme aussi faut il qu’elle soit. Et quand je dis grave, je ne dis pas
morne, ni affectee, ni sombre, ni desdaigneuse, ni altiere, mais je veux dire sainte
et charitable.6 Sensible à toutes ces distinctions, le spirituel salésien cité à l’instant
voudrait que l’éducateur aide le jeune à percevoir quelle joie profonde et sainte
on trouve dans l’adhésion vivante au Christ crucifié et ressuscité, dans le service,
dans le renoncement, dans la prière, et souverainement dans leucharistie.7 Qui

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353
saviserait de confondre avec le plaisir, la gaîté ou même le bonheur pareille joie
très intime et très secrète ?
La joie dans les constitutions salésiennes
On ne fera pas grief aux salésiens et aux salésiennes de mélanger les sens
et d’ajouter instinctivement à leurs joies de la gaîté et une bonne dose de plaisir.
Cétait le cas pour les membres de la Société de lallégresse du collégien Bosco à
Chien, un titre qui convenait fort à celui-ci, expliquera-t-il. Us étaient strictement
tenus de rechercher les livres, de raconter des histoires et de trouver des
divertissements propres à rendre joyeux(stare allegri). En revanche, ils devaient
bannir de leurs conversations tout ce qui aurait pu engendrer de la mélancolie”8.
Lorsqu’ils affichent le trinôme : Travail, Piété et Joie, qui, à leur avis, condense
leur spiritualité, il ne vient pas à lesprit des salésiens de dépouiller son troisième
élément de toute gaîté et de tout plaisir. De même, quand don Bosco encourageait
les siens dun Sta allegro !(Sois joyeux !) après leur confession ou sil les
trouvait un peu tristes. La joie de vivre”, qui, au contraire d’une certaine
spiritualité de la vie dure, caractériserait la leur selon l’un de ses interprètes, ne
peut être imaginée quagréable et gratifiante.9. On ne trouvera donc leurs idées sur
la joie au sens propre de cet article que dans des textes bien surveillés. Soucieuses
de précision, leurs constitutions, où les mots joie et joyeux tiennent une place
honorable, nous instruisent sur ce beau sentiment salésien.10
Lexistence des salésiennes est tissée de joie sainte. Les Volontaires de
Don Bosco, qui, au jour de leurs voeux, offrent leur vie au Père dans une réponse
à la fois consciente, libre et joyeuse”n, disent cultiver systématiquement une joie
toute religieuse, celle de se sentir filles de Dieu Père et, de ce fait, soeurs de
Jésus12. Quant à elles, les filles de Marie auxiliatrice entendent imprégner de joie
chaque instantde leur vie. Nous transformons chaque instant de notre
existence en une hymne joyeuse d’adoration et de louangeà Dieu. Elles pensent
refléter ainsi sur terre les biens du ciel” (en être les signes), y compris par
conséquent avec leurs joies ineffables.13
Selon leurs textes constitutionnels, les membres des deux congrégations
(salésiens et salésiennes) vivent leur vie religieuse dans un esprit de joie et
trouvent de la joie dans leurs activités apostoliques. La “joie et loptimisme”
caractérisent leur esprit, affirment les constitutions des salésiens dans un article
sous ce titre. Méditons-en les quatre alinéas. Dans l’idéal tout au moins, le salésien
n’est pas un être gémissant. Parce que pleinement confiant en Dieu Père, les
difficultés ne le découragent pas. L’exhortation de don Bosco : Que rien ne te
trouble !(dont, au reste, on sait quil ne la pas inventée), lui demeure fichée dans
la mémoire. L’humanisme de saint François de Sales l’inspire, il croit aux
ressources naturelles et surnaturelles de l’homme, sans pour autant ignorer ses
faiblesses. Le monde a ses valeurs, il en tient compte et y puise ce qui lui paraît
bon, surtout quand cela plaît aux jeunes. Parce quil annonce la Bonne Nouvelle
évangélique, il est toujours joyeux (lieto) et répand la joie (questa gioia) autour de
lui.14

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354
Au coeur des salésiens et des salésiennes, la pratique des conseils
évangéliques, dans l’idéal tout au moins faut-il ajouter ici encore, sécrète la joie.
Le climat fraternel de la communauté aide (les salésiens) à vivre dans la joie le
célibat pour le Royaume15. Par l’accueil du don précieux de la chasteté pour le
Royaume, les salésiennes livrent au Seigneur avec joie et reconnaissanceleurs
forces d’aimer.16 L’obéissance franche et promptedu salésien, est pratiquée
dun coeur joyeux et humble17. De même, nous obéirons en esprit de foi, dun _
coeur joyeux et humble”, déclarent les salésiennes18. Elles ajoutent que leur
adhésionaux supérieures sera spontanée et joyeuse19. Quand son état de
pauvreté lui apporte gêne et souffrance, (le salésien) se réjouit de pouvoir
participer à la béatitude promise par le Seigneur aux pauvres en esprit2. Et, de
son côté, la salésienne, selon l’enseignement de don Bosco et de mère
Mazzarello, affirme sa volonté d’adopter un mode de vie sobre et austère, dans
le style salésien de tempérance, de joie et de simplicité21. Naturellement, la joie
imprègne sous ses diverses formes toute la prière salésienne.22
Salésiens et salésiennes, missionnaires de joie, voudraient, partout la
Providence les dirige, bâtir un monde de joie, comme don Bosco avait fait dans
son oeuvre première. Loratoire primitif était pour les jeunes, la maison qui
accueille, la paroisse qui évangélise, l’école qui prépare à la vie” et, tout à la fois,
la cour de récréation pour se rencontrer en amis et vivre dans la joie.Ils
disposent dans ce modèle, assurent-ils, d’“un critère permanent de discernement et
de renouvellement de toutes leurs activités et de toutes leurs oeuvres”.23 On nous
les montre ainsi rêvant de créer un peu partout des sociétés dejoyeuse amitié.
La joie parfaitedu salésien
Dans les difficultés morales ou physiques, le bon salésien, tel Andrea
Beltrami, qui souffrait sans cesse, demeure joyeux. Lun de ses familiers
témoignait quentrant dans sa chambre, on le trouvait toujours comme immergé
dans la plus profonde méditation, mais le visage joyeux et serein, comme
(lui-même) avait souvent pu le vérifier.24 Lajoie salésienne de Beltrami était une
joie du coeur. Un coeur joyeux éclaire le visage, mais, quand le coeur est triste,
l’esprit est déprimé, lisons-nous au livre des Proverbes. (Proverbes, 15, 13 et
17,22.)
LEvangile est une invitation à la joie et une expérience de joie véritable
et profonde. Réjouis-toi, Marie, pleine de grâce”, dit l’Ange de l’Annonciation
(Luc, 1, 28.) Lors de son discours d’adieu aux apôtres, Jésus, selon l’évangile de
Jean, les avertissait : Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre
joie soit parfaite.(Jean 15, 1.) Cette joie parfaite” est la délectation que donnent
les biens proprement spirituels. Dans la mesure il est un être spirituel créé par
Dieu et pour Dieu, l’homme ne peut, en effet, trouver de repos et donc de joie
parfaiteque dans lunion avec son Créateur.25 En l’occurrence, la joie, “fruit de
l’Esprit Saintavec lamour et la paix (Galates 5,22), sourd, dans l’idéal encore et
toujours, dune âme sereine. La charité active du salésien et de la salésienne a
rassemblé et structuré dans une heureuse harmonie toutes les tendances,
aspirations et forces de la personnalité. En elle éclate la joie, fruit et signe, disait

21 Pages 201-210

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355
Bergson, dun être bien dans sa peau et d’une vie réussie et féconde, parce que
dune merveilleuse utilité.26
Notes
1. “Il Cooperatore nutre in una gioia profonda e serena e la diffonde per
testimoniare che il Signore lo accompagna in ogni momento col suo amore : Serviamo il Signore
in santa allegria.” {Regolamento di Vita Apostolica, art. 31, § 1.)
2. J. Aubry, Avec Don Bosco vers l’an 2000, Rome, Maison générale SDB, 1990, p.
79-80.
3. Le Grand Robert de la langue française, t. 5, p. 821.
4. Jean Maisonneuve, Les sentiments, p. 59-60, cité ibidem.
5. Lettre à la Présidente Brulart, Annecy, vers le 18 février 1605, dans Oeuvres, t.
Xin, p. 16.
6. Lettre à Madame Angélique Amauld, abbesse de Port-Royal à Maubuisson, Paris,
vers 15-20 juin 1619, dans Oeuvres, t. XVIII, p. 389-390.
7. J. Aubry, op. cit., p. 80.
8. MO Da Silva, p. 61.
9. Voir R. Tonelli, “Tra festa e croce. Una spiritualità della gioia di vivere o una
spiritualità della vita dura”, dans le recueil La festa nell’esperienza giovanile del mondo
salesiano, a cura di C. Semeraro (Leumann, Elle Di Ci, 1988), p. 165-181.
10. Voir ici, du côté salésien, dans le recueil Parola di Dio e spirito salesiano (a cura
di Juan Bartolomé e Fausto Perrenchio, Leumann, Elle Di Ci, 1996, p. 283-296), l’article
d’Andrea Strus, “Ottimismo e gioia”, qui traite en fait, de bout en bout, de l’optimisme et de la
joie dans les constitutions de la Société de saint François de Sales.
11. ... rispondiamo in modo cosciente, libero e gioioso” (Constitutions VDB, art. 8b).
12. ... Lo Spirito Santo [ ... ] ci porta ad affidarci al Padre per compiere la sua
volontà, nella gioia di sentirci figlie sue nel Figlio”. (Constitutions VDB, art. 42a.)
13. “Collaborando così nella Chiesa con nuovo e speciale titolo per l’avvento del
Regno, trasformiamo ogni istante della nostra esistenza in un gioioso inno di adorazione e di
lode e diveniamo segno dei beni celesti già presenti in questo mondo.” (Constitutions FMA, art.
8d.)
14. Constitutions SDB, art. 17 : Ottimismo e gioia.
15. “Il clima fraterno della comunità ci aiuta a vivere nella gioia il celibato per il
Regno” (Constitutions SDB, art.83).
16. “... diamo una risposta riconoscente e gioiosa con la donazione delle nostre forze
d’amore” (Constitutions FMA, art. 12.)
17. ... con un’obbedienza schietta, pronta e fatta con animo ilare e con umiltà”
(Constitutions SDB, art. 65c.)
18. “Obbediremo in spirito di fede, con animo ilare et con umiltà” (Constitutions
FMA, art. 32).
19. ...con spontanea e gioiosa adesione nell’eseguire” (Constitutions FMA, art 33b.)
20. “E quando il suo stato di povertà gli è causa di qualche incomodo e sofferenza, si
rallegra di poter partecipare alla beatitudine promessa dal Signore ai poveri in spirito.
(Constitutions SDB, art 75d.)
21. “Tenendo presente l’insegnamento di don Bosco e di madre Mazzarello adotteremo
un tenore di vita sobrio e austero, nello stile salesiano di temperanza, gioia e semplicità
(Constitutions FMA, art 23b.)
22. Constitutions SDB, art. 86,89, 90, 92 et 93.
23. “Don Bosco visse una tipica esperienza pastorale nel suo primo oratorio, che fu per
i giovani casa che accoglie, parrocchia che evangelizza, scuola che avvia alla vita e cortile per
incontrarsi da amici e vivere in allegria. - Nel compiere oggi la nostra missione, l’esperienza di

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356
Valdocco rimane criterio permanente di discernimento e rinnovamento di ogni attività e opera.”
(Constitutions SDB, art 40.)
24. “Entrando in sua camera lo si trovava sempre come intento alla più profonda
meditazione, però col volto lieto e sereno, come io stesso ebbi più volte a constatare.” (G.
Barberis, Procès ordinaire de canonisation d’Andrea Beltrami, Novara, ad 17 ; Positio super
virtutibus, 1955, p. 274.)
25. Observation de F. Bussini, “Joie”, Dictionnaire de Spiritualité, t. 8, 1974, col.
1236.
26. Observation de J. Aubry, Avec don Bosco vers l’an 2000, p. 165.

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357
Laïc
Le mot laïc aux origines salésiennes
Le mot laïc est apparu sous la plume de don Bosco dès les origines
salésiennes, non seulement pour qualifier ses collaborateurs non prêtres dits plus
tard : coopérateurs, mais, dans ses constitutions elles-mêmes, pour désigner une
catégorie de sa société religieuse. “Le but de cette congrégation est de réunir
ensemble ses membres ecclésiastiques, clercs et aussi laïcs, afin de se perfectionner
eux-mêmes en imitant, autant que possible, les vertus de notre divin sauveur,
lisait-on, en 1858, dans le premier texte constitutionnel conservé, celui qui fut
recopié par le jeune Michèle Rua.1 En 1921, à la veille de la révision complète qui
suivit la promulgation du Code de Droit Canonique de 1917, un article dérivé
disait encore : “Haec autem Societas constat ex presbyteris, clericis atque laicis,
c’est-à-dire : Cette société est constituée de prêtres, de clercs et aussi de laïcs.2
S’agissait-il des salésiens externes, ceux qui seront plus tard dénommés
coopérateurs et que don Bosco aurait voulu intégrer tout à fait à sa congrégation
religieuse ? Au vrai, il avait emprunté sa liste de membres de sa société à des
articles parallèles des constitutions des lazaristes, des rédemptoristes et surtout de
la congrégation des frères Cavanis, dite des Prêtres séculiers des écoles de charité,
le mot laïcs désignait les fratres laici, en français les “frères lais”, rangés
depuis lors parmi les religieux à proprement parler.3 Et il ne voulait très
probablement pas dire autre chose. Mais le caractère laïc”, rendu par le terme de
laïcité”, a persisté, sans doute avec raison, dans ce troisième élément de la société
de St François de Sales. Les théoriciens salésiens ont revendiqué le caractère
laïcdu coadjuteur. Le salésien coadjuteur apporte dans tous les champs
éducatifs et pastoraux la valeur propre de sa laïcité”4, affirment les constitutions
rénovées de 1984, qui nhésitent pas à le dénommer tout uniment “salésien laïc5.
Une communauté salésienne sans sa composante laïque”, parce que sans
coadjuteurs, perdrait à leurs yeux de son originalité ou de son authenticité. En
1980, le recteur majeur Viganô consacra une lettre circulaire à la composante
laïque de la communauté salésienne.6 La laïcité du salésien coadjuteur est, à leurs
yeux, analogue à celle du membre dun “institut laïque” de vie consacrée, dont la
fonction propre n’implique pas lexercice dun ordre sacré, aux termes du Code
de Droit canonique de 1983 (can. 588 et 589).
La mission dévolue aux laïcs chrétiens
La constitution dogmatique sur lEglise Lumen gentium du concile
Vatican II a pris parti sur lacception du terme laïc, objet depuis longtemps de
controverses entre théologiens.7 Lidentité du laïc y est dabord définie par
exclusion : le laïc nest ni un clerc, ni un religieux. Sous le nom de laïcs, on
entend ici lensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de lordre sacré et de
l’état religieux sanctionné par lEglise,y lisons-nous en toutes lettres. La suite du

21.4 Page 204

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358
texte est heureusement positive. Elle explique que le laïc est un baptisé, par
conséquent un enfant adoptif de Dieu Père, un frère ou une soeur de Jésus, qui vit
de l’Esprit Saint, avec tous les droits et devoirs dune telle dignité. Incorporés au
Christ par le baptême, intégrés au peuple de Dieu, faits participants à leur manière
de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, (les laïcs) exercent
pour leur part, dans lEglise et dans le monde, la mission qui est celle de tout le
peuple chrétien.8
Cette mission a une forme propre. Le caractère particulier du laïc,
comparé à celui du prêtre et du religieux, est la sécularité.9 Les rédacteurs de la
constitution conciliaire se sont appliqués avec bonheur à déterminer la mission
séculièredes laïcs chrétiens, à partir, entre autres, de la Lettre à Diognète, ce
beau document du deuxième siècle. La vocation propre des laïcs consiste à
chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles
quils ordonnent selon Dieu, ont-ils écrit. Us vivent au milieu du siècle, cest-à-dire
engagés dans tous les divers devoirs et travaux du monde, dans les conditions
ordinaires de la vie familiale et sociale dont leur existence est comme tissée. A
cette place, ils sont appelés par Dieu pour travailler comme du dedans à la
sanctification du monde, à la façon dun ferment, en exerçant leur propre charge
sous la conduite de l’esprit évangélique, et pour manifester le Christ aux autres
avant tout par le témoignage de leur vie, rayonnant de foi, despérance et de
charité. Cest à eux quil revient, dune manière particulière, déclairer et
dorienter toutes les réalités temporelles auxquelles ils sont étroitement unis, de
telle sorte qu’elles se fassent et prospèrent constamment selon le Christ et soient à
la louange du Créateur et Rédempteur.10 La famille salésienne de la fin du
vingtième siècle ne connut évidemment pas de meilleur programme à proposer à
ses membres laïcs.
Don Bosco et la vie spirituelle du laïc
Elle pouvait, sans grands complexes, se référer, non pas à la théorie, mais
à l’action de don Bosco, qui, loin de se contenter d’un apostolat auprès de la
jeunesse, avait prêché aux adultes laïcs tout au long de sa vie sacerdotale. Ses
publications suffisent à en témoigner. A travers le livre (au reste copié sur un
auteur français), quil intitulait Le chrétien guidé à la vertu et à la civilité selon
lesprit de saint Vincent de Paul11, sous un mode narratif il exhortait le laïc
catholique à nombre de vertus : la charité fraternelle, la douceur, l’égalité
d’humeur, l’humilité, la foi, l’esprit de mortification, la patience, la prudence, la
pureté, la reconnaissance, la simplicité, la confiance en Dieu, le zèle, le
détachement des biens terrestres, etc.12 La revue mensuelle intitulée Letture
cattoliche, quil fonda avec lévêque Moreno en 1853, était explicitement destinée
aux laïcs. Un gros ouvrage dapologétique populaire au titre complet évocateur
l’ouvrait. C’était : Le Catholique instruit dans sa religion. Entretiens dun père de
famille avec ses fils selon les besoins du temps présentés par le prêtre Giovanni
Bosco13, ouvrage qui deviendra à la fin de sa vie Le Catholique dans le siècle14.
En ces premières aimées 1850, pour protéger la foi des simples il ferraillait dans
ses brochures avec les vaudois et les protestants. Peu après, il publiait le manuel
de dévotion La Clef du Paradis entre les mains du catholique qui pratique ses

21.5 Page 205

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359
devoirs de bon chrétien15 et le vade-mecum Porta teco, cristiano (Emporte-le
avec toi, chrétien)16, lun et l’autre évidemment propres à nourrir la vie spirituelle
des laïcs. Les biographies de jeunes de cette période, celle de Dominique Savio
(1859) par exemple, instruisaient les laïcs de tous âges. En 1868, le Catholique
instruit pour ses pratiques de piété avec les instructions nécessaires selon les
besoins du temps^ adaptait aux adultes le Giovane provveduto des enfants. Les
très hagiographiques Vies des papes des trois premiers siècles (publiées à partir de
1857) et, au temps de Vatican I (1869-1870), les brochures de don Bosco sur le
concile, le pontife romain et lEglise du Christ, qui n’oubliaient pas les prêtres,
visaient de préférence le laïcat catholique. Don Bosco n’a cessé pendant sa vie
dapôtre de parler aux laïcs chrétiens et décrire pour eux.
Cette pieuse littérature na pas toujours grande valeur. Cependant, de ses
livres et, plus encore, de l’action charitable de don Bosco, quelques principes de
spiritualité du laïcat se dégagent.18 Son programme éducatif souvent répété :
former de bons chrétiens et dhonnêtes citoyens, les condense assez fidèlement.19
Dans la théologie de don Bosco, le bon chrétienétait celui qui fait son
salut, autrement dit qui réussit sa vie. Ce nétait pas dabord (logiquement) le
baptisé loyal envers lEglise, qui sacquitte consciencieusement de ses devoirs
religieux, mais celui qui, par des comportements conformes à la volonté divine,
prépare ce salut. Le but ultime de toute vie humaine étant le “salut étemel”, le
bon chrétienétait celui qui, par la grâce de Dieu sanctionnant ses bonnes
oeuvres, serait un jour sauvé. La soumission à la volonté divine, confondue en
premier lieu par don Bosco avec les commandements de Dieu, devait être active,
libre, consciente, en un mot : vertueuse. Son type de “bon chrétien” était, par-delà
le quelconque, le saint aux vertus morales héroïques, humainement parlant un
valeureux. Don Bosco ignorait le surnaturalisme, qui projette la perfection et la
“saintetédans un empyrée inaccessible. Si lui, pourquoi pas moi ?”, faisait-il dire
à ses garçons mis en face de Dominique Savio, un jeune prodigieusement
vertueux. Dans la formule bon chrétien”, la bonté avait une valeur éthique. Les
biographies exemplaires de don Bosco décrivaient la progression de ses héros de
vertus en vertus. L’histoire de son élève Michele Magone (1861) était, de chapitre
en chapitre, celle de la réforme morale de ce garçon (chap. III), de sa piété (chap.
VI), de sa fidélité au devoir (chap. VII, début), de son ardeur au travail (chap. VH,
suite), de sa dévotion mariale (chap. Vin), de sa chasteté (chap. IX) et enfin de sa
charité fraternelle (chap. X). Le bon chrétiende don Bosco était toujours un
être daction. A lopposé, son mauvais chrétien” était le vicieux, l’homme du
vice, qui est lenvers de la vertu. Entendez par vicieux le paresseux, l’égoïste, le
voleur, limpur et l’impie, tel, dans lune de ses histoires (1866), le malheureux
Valentino, qui, entraîné par un certain Mari, sétait abandonné à toute sorte de
vices.
Don Bosco joignait à la finalité individuelle de l’éducation qu’il voulait
donner : former de bons chrétiens, une finalité sociale à laquelle on ne prête pas
toujours assez dattention. H prétendait aussi former d“honnêtes citoyens”. H
aimait et répétait la double formule ou ses équivalences. Les anciens élèves prêtres
réunis pour le fêter l’entendirent un jour affirmer : Vous devez venir en aide à

21.6 Page 206

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360
don Bosco pour atteindre plus facilement et plus largement le noble but quil sest
proposé : l’avantage de la religion et le bien-être de la société civile par la culture
de la jeunesse pauvre.20 Le citoyen de don Bosco était l’homme de la société
civile. Il mettait son honnêteté” de citoyen au service de cette société. Le binôme
bon chrétien et honnête citoyenne semble donc pas avoir été, dans le langage de
don Bosco, une synthèse entre la tradition 0e croyant) et l’ordre nouveau 0e
citoyen), comme on lentend dire parfois. Le croyant et le citoyen étaient à la fois
pour lui lhomme du temps et de linstant, quil situait dune part face à sa
destinée, de l’autre parmi ses semblables. Le citoyen, qui appartient à la cité, peut
soit gêner, soit servir la société dans laquelle il vit. Le citoyen malhonnête lui est
un poids, le citoyen honnête une aide.
Le laïc exemplaire de don Bosco, à la fois bon chrétienet honnête
citoyen, cétait le membre consciencieux des conférences de Saint Vincent de
Paul (introduites à Turin dès 1850), tels le Piémontais Carlo Cays ou le Français
Léon Harmel, deux hommes qu’il aima et vénéra. Le comte Carlo Cays
(1813-1882), remarquable de piété, de talents, de savoir”, mit, au dire de don
Bosco,“sa longue vie au service de Dieu”21. Veuf à 32 ans, il se consacra à la
société, en particulier à lavantage de don Bosco, dont il catéchisait les garçons.
Elu pour une législature député au parlement des Etats sardes, il fut longtemps
président des conférences turinoises. Enfin, ordonné prêtre salésien à 65 ans, il
termina sa vie dans l’humilité et la pauvreté.22 Léon Harmel (1829-1915), le Bon
pèrede lusine du Val des Bois, près de Reims, très admiré par don Bosco pour
son oeuvre sociale, sarrêtait à Turin avec ses pèlerinages douvriers vers Rome et
le pape pour le saluer lui-même, puis son successeur don Rua23. Les portraits de
ces deux chrétiens, hommes de foi et hommes daction, vertueux sil en fut jamais,
illustrent utilement les conceptions de don Bosco sur la vie spirituelle du laïc.
Laïcs et communautés salésiennes
Longtemps, la famille salésienne ne crut pas comme telle devoir réfléchir
sur le laïcat. Elle recommandait à ses coopérateurs laïcs la charité et la bonté et se
contentait à peu près de leur répéter les leçons de saint François de Sales dans
VIntroduction à la vie dévote. Les communautés religieuses cherchaient à
maintenir le plus possible leur homogénéité et donc à écarter les laïcs de leur vie
commune. Puis les choses changèrent au cours du dernier quart du vingtième
siècle. Les salésiens se mettaient au diapason de lEglise issue de Vatican II. On
retiendra ici la Semaine de spiritualité de 1986 sur les laïcs dans la famille
salésienne”24, la circulaire du recteur majeur Viganô de cette même année sur la
promotion du laïc dans la famille salésienne25 et le vingt-quatrième chapitre
général des salésiens tenu à Rome en 1996, qui prit pour thème “Salésiens et laïcs.
Communion et partage selon l’esprit et la mission de don Bosco26.
H fallait “rénover la carte didentité salésienne”, écrivait alors le recteur
Viganô. Les salésiens ont besoin de se secouer, pensait-il. Comment ? En tout cas,
une chose est certaine : si don Bosco vivait aujourd’hui devant les grands
horizons de Vatican U, il entraînerait des quantités de laïcs dans son projet
opératoire”.27 La nouvelle mentalité ecclésiale impose aux salésiens (et aux

21.7 Page 207

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361
salésiennes) de ne plus se recroqueviller sur eux-mêmes, mais daccepter
résolument les exigences de la communionavec les laïcs dans leurs entreprises
apostoliques. Et il leur traçait un programme. 1) Approfondir la doctrine de
Vatican II sur la vocation et la mission du laïc. 2) Développer chez les laïcs la
conscience dêtre de vrais catholiques engagés, des témoins de leur baptême. 3)
Orienter l’intérêt des collaborateurs laïcs vers la promotion intégrale de la jeunesse
et les exigences de lévangélisation des milieux populaires. 4) Intensifier chez les
laïcs un esprit de générosité et dinvention, dans leur vie quotidienne et plus
particulièrement pendant les temps de loisir. 5) Leur faire connaître et aimer le
patrimoine évangélique de don Bosco.28
Les rapports entre salésiens et laïcs touchent à la fois la communion, la
mission et la spiritualité”, enseignera le recteur Vecchi au début de son mandat.
Les salésiens entrent en relation spirituelle avec les laïcs dans les communautés
éducatrices et pastorales, qui les rassemblent dans un travail déducation des
jeunes ; puis à l’intérieur de la famille salésienne, formée de groupes reconnus par
lEglise et unie par un commun esprit salésien ; enfin au sein dun mouvement
salésien, constitué dindividus et de groupes non institués, que rapprochent “la
sympathie et un certain degré de participation aux valeurs et aux intentions de la
mission salésienne.29 Que ce soit de plus en plus vrai ! Nous sommes là, en ce qui
concerne le laïcat, devant un programme salésien pour le vingt-et-unième siècle.
Trop ambitieux ? L’avenir le dira.
Notes
1. “Lo scopo di questa congregazione si è di riunire insieme i suoi membri
ecclesiastici, chierici ed anche laici a fine di perfezionare se medesimi imitando per quanto è
possibile le virtù del nostro Divin Salvatore.” (Congregazione di s. Francesco di Sales, cap.
“Scopo di questa congregazione”, art 1, sans les corrections postérieures.)
2. Constitutions SDB 1921, cap. Finis, art 1.
3. Le modèle immédiat de don Bosco disait : “Haec Congregatio Scholarum Charitatis
est societas Presbyterorum et Clericorum Soecularium una cum Laicis fiatribus inservientibus
qui omnes communem vitam ducunt ... (Constitutiones congrégations Sacerdotum
saecularium scholarum charitatis, Venise, Andreolo, 1837, chap. I, art. 1).
4. “Il salesiano coadiutore porta in tutti i campi educativi e pastorali il valore proprio
della sua laicità.” (Constitutions SDB 1984, art 45.)
5. Voir : “La formazione iniziale dei salesiani laici, dei futuri sacerdoti ... “, etc.
(Constitutions SDB 1984, art 106.)
6. E. Viganò, Lettre aux salésiens “La componente laicale della Comunità Salesiana”,
Atti 298, oct-déc. 1980, p. 3-50.
7. Sur ces controverses, voir, de manière générale, les études du P. Yves Congar, dont
les résultats ont été condensés dans son article “Laïc et laïcat”, Dictionnaire de spiritualité, t IX,
1976, col. 79-108.
8. Lumen gentium, n. 31.
9. Voir, dans ce recueil de Cent mots-clefs, le mot Sécularité.
10. Lumen gentium, n. 31.
11. Il Cristiano guidato alla virtù ed alla civiltà secondo lo spirito di san Vincenzo de
Paoli. Opera che può servire a consecrare il mese di luglio in onore del medesimo santo, Turin,

21.8 Page 208

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362
Paravia, 1848, était une copie partielle et avouée d’un livre au titre analogue d’André-Joseph
Ansart,
12. Voir, ci-dessus, l’article Exemple.
13. Il Cattolico istruito nella sua Religione. Trattenimenti di un padre di famiglia co’
suoi figliuoli secondo i bisogni del tempo, epilogati dal Sac. Bosco Giovanni, Turin, 1853.
14. Il Cattolico nel secolo, Turin, 1883.
15. La Chiave del Paradiso in mano al cattolico che pratica i doveri di buon
cristiano, Turin, 1856.
16. Turin, 1858.
17. Il Cattolico provveduto per le pratiche di pietà con analoghe istruzioni secondo il
bisogno dei tempi ..., Turin, 1868.
18. Voir P. Braido, “Laicità e laici nel progetto operativo di don Bosco”, dans le
recueil (cité n. 24) Laici nella Famiglia Salesiana, p. 17-34.
19. Voir P. Braido, même art., p. 23-25.
20. “Voi dovete venire in aiuto a D. Bosco, a fine di conseguire più facilmente e più
largamente il nobile scopo, che si è proposto, il vantaggio cioè della Religione, il benessere della
civile società, mediante la cultura della povera gioventù.” D’après l’édition du discours dans le
Bollettino salesiano, septembre 1880, p. 11.
21. ... si tratta di una persona molto distinta per pietà, per talenti, per dottrina, per
vita lunga ed operosa in servizio di Dio...” (G. Bosco au Préfet de la Congrégation des Evêques
et Réguliers, 18 juin 1878, Epistolario Cena, t. IH, p. 364.)
22. L. Terrone, Il conte Cays, sacerdote salesiano. Memorie, Colle Don Bosco,
L.D.C., 1947.
23. Sur lui, voir la biographie de G. Guitton, Léon Harmel, 1829-1915, Paris, Spes,
1927, 2 voi.
24. Laici nella Famiglia Salesiana. Atti della XII Settimana di Spiritualità della
Famiglia Salesiana, Roma, ed. S.D.B. 1986.
25. E. Viganò, Lettre aux salésiens, 24 février 1986, Atti 317, p. 3-22.
26. Salesiani e laici. Comunione e condivisione nello spirito e nella missione di don
Bosco. Documenti del Capitolo Generale 24 della Società di San Francesco di Sales, Atti 356,
mai 1996, 358 p.
27. “Una cosa è certa : se Don Bosco fosse vivo oggi avendo a sua disposizione i
grandi orizzonti del Vaticano n, si lancerebbe a coinvolgere tanti Laici nel suo progetto
operativo.” (Lettre du 24 février 1986, § “Un invito a rinnovare la nostra carta d’identità”, loc.
cit., p. 4.)
28. Même lettre du 24 février 1986, § “Quali obiettivi ci proponiamo ?”, loc. cit., p.
15-20.
29. J. Vecchi, “De la vie fraternelle en communauté”, dans CG 24 et vie consacrée,
conférences de Paris, décembre 1997, n, p. 6-8.

21.9 Page 209

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363
Lecture spirituelle
Les recommandations de saint François de Sales
Ayes tous-jours auprès de vous quelque beau livre de dévotion, comme
sont ceux de saint Bonaventure, de Gerson, de Denis le Chartreux, de Louys
Blosius ... (comprendre : Louis de Blois), disait saint François à sa Philothée. Et
il lui alignait neuf autres noms dauteurs spirituels en vogue de son temps. Puis il
lexhortait : Lises en tous les jours un peu avec grande dévotion, comme si vous
lisies des lettres missives que les Saints vous eussent envoyées du Ciel, pour vous
monstrer le chemin et vous donner le courage dy aller.Auprès des livres de
dévotion, il lui conseillait les histoires et les vies des saints. Elle y verrait le
portraitde la vie chrétienne et pourrait faire son profit de leurs actions selon sa
vocation personnelle. Bien entendu, certaines histoires de saints sont plus
enrichissantes que dautres. François éprouvait un faible pour Thérèse de Jésus,
pour les premiers jésuites, pour Charles Borromée, pour Bernard de Clairvaux,
pour François dAssise, ainsi que pour les Confessions de saint Augustin.
Toutefois, les histoires il y a plus de sujet dadmiration que dimitation, telles
les vies de Siméon le Stylite, de Marie l’Egyptienne, des deux Catherine, celle de
Sienne et celle de Gênes, dAngèle de Foligno, et d’autres aussi merveilleuses, que
lon aurait tendance à négliger parce que trop extraordinaires, laissent au moins,
jugeait-il, un grand goût général du saint amour de Dieu”.1 Lâme dévote ne
recherche finalement pas autre chose.
Il sagit pour elle d’union à Dieu. Et la lecture quotidienne douvrages de
cette sorte la favorise. Je voudroy quil ne se passast aucun jour sans que vous
donnassies une demi heure ou une heure a la lecture de quelque livre spirituel, car
cela vous serviroit de prédication, écrivait François à lune de ses plus fidèles
dirigées. Et il terminait son paragraphe par une conclusion significative : Voilà les
principaux moyens de se bien unir avec Dieu.2
A loccasion, François guidait ses correspondants avec un foisonnement
de détails. A la veille de son sacre dévêque de Dol, Antoine de Revol
(1548-1629) reçut ainsi de lui de multiples instructions sur ses pieuses lectures.
Lévêque a des responsabilités temporelles, pour lesquelles M. de Revol devrait se
renseigner dans des ouvrages spécialisés. Mais, en tant quecclésiastique, il lui
fallait commencer par la vie monastique, “avant que de venir a l’oeconomique et
politique”. Beaucoup de noms décrivains, très oubliés de nos jours, arrivaient
sous la plume de François. L’un d’eux lui paraissait simposer. Il aurait voulu que
Louis de Grenade (1504-1588) fût le second bréviairedu nouvel évêque. Louis
de Grenade dresseraitson esprit à l’amour de la vraie dévotion et à tous les
exercices spirituelsqui lui sont nécessaires. Et dindiquer en quel ordre et selon
quel rythme Antoine de Revol devrait lire les oeuvres de ce dominicain espagnol.
Pour que cette lecture lui soit fructueuse, il lui recommandait de ne pas se presser.

21.10 Page 210

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364
Les chapitres lus avec révérence et dévotiondevaient être pesés, prisés”,
ruminés”, et appliqués à l’âme avec beaucoup de considérationset de prières à
Dieu.3
Quelque temps après, dans le même sens il conseillait à sa dirigée la
baronne de Chantal : “Lises peu a la fois, mais avec attention et dévotion, et si
vous rencontres quelque chose qui vous console, esleves vostre esprit, bénisses
Dieu qui l’a inspiré à l’escrivain.”4
Retenes bien vostre esprit en Dieu ; lises le plus souvent que vous
pourrez, mais peu a la fois et avec dévotion.”3 Saint François de Sales voulait que
le spirituel lise méthodiquement et savoure les auteurs ou les histoires quil lui
recommandait. Des lectures superficielles et sans attention à Dieu ne lui seraient
pas de grand profit. La lecture spirituelle bien conduite aide à se bien confesser, à
méditer la vie et la mort du Sauveur, en somme à avancer sans relâche sur le
chemin dune vie pleinement chrétienne.
La lectio divina
Les règlements salésiens contemporains imposent aux religieux un temps
quotidien de lecture spirituellecommunautaire., qui dure ordinairement un
quart dheure”, édictent les filles de Marie auxiliatrice6. Par ailleurs, leurs
constitutions rénovées en 1984 affirment que les salésiens, “ayant quotidiennement
entre les mains la Sainte Ecriture, comme Marie accueillent la Parole et la
méditent dans leurs coeurs “pour la faire fructifier et l’annoncer avec zèle”7. Ce
nouvel exercice quotidien peut être dénommé, sans trop dabus, une lectio divina.
A parler strictement, la lectio divina nest pas une lecture spirituelle,
même si la lecture menée comme le voulait saint François de Sales finit par lui
ressembler.8 Les moines, qui ont créé l’expression lectio divina, nous en
expliquent de plein droit le sens exact.9
Lobjet premier de la lectio divina est la Parole de Dieu, dladjectif
divina, c’est-à-dire “divine” ou de Dieu”, qui suit le mot lectio, “lecture. La
lectio divina est la lecture de la Parole de Dieu, en elle-même ou à travers ses
commentateurs. Mais il y a lecture et lecture. Le lecteur ou l’auditeur de la lectio
divina ne cherche pas à faire de lexégèse ou de la théologie, même s’il ne s’y
refuse pas quand le texte s’y prête et qu’il en a les moyens. H sadonne à une
lecture gratuite et paisible, bien que requérant un effort de réflexion, dit par lui
méditation”, et débouchant comme de soi sur la prière, dite oraison. La Bible
est pour lui un lieu de rencontre. Lente, admirative, exempte de curiosité, sa
lecture, qui nest pas une activité purement intellectuelle, na pas de but
scientifique.
Le lecteur de la Parole n’abandonne toutefois pas sa lecture au hasard ou
au caprice. Elle réclame chez lui une formation (une grammaire) et une
méthode. Le moine médiéval faisait déjà appel aux ressources de la philologie et
sinquiétait à juste titre du contexte des versets quil découvrait. En outre, parce

22 Pages 211-220

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22.1 Page 211

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365
qu’il croyait à lunité de lEcriture et relisait l’Ancien Testament à la lumière du
Christ, il prenait le recul nécessaire pour comprendre le texte dans sa totalité, à
lintérieur du mouvement de l’histoire du salut, donc finalement par rapport à
lIncarnation et au retour du Christ. Supposée sérieuse, la lectio divina moderne
se conforme à ces principes. Le lecteur daujourd’hui bénéficie de lapport des
exégèses scientifiques, qui lui permettent de mieux pénétrer le sens et la portée de
la lettre de la Parole de Dieu.
La lectio divina se déroule dans un climat de prière, comprise au sens
général de recueillement et d’attention à Dieu. Avant et pendant sa lectio, le
lecteur demande la lumière et désire Dieu. La lecture elle-même éveille et stimule
la prière. Des élans vers Dieu, venant la couper, accroissent la disponibilité face à
l’Esprit Saint, qui garde, en fait, l’entière initiative de la rencontre. La meditatio
prolonge naturellement la lectio.
Comme celui de la lecture spirituelle selon saint François de Sales, le but
de la lectio divina consiste à chercher le Christ dans la lettre du texte pour
découvrir l’amour de Dieu, le goûter et sunir à lui. Saint Bernard recommandait
de savourerla moelle des Ecritures”, le “mielque l’interprétation spirituelle
“fait couler” de leur lettre. Ce goûtest simultanément moyen et résultat, car plus
on sen pénètre, plus on sen délecte. Laliment est à la fois de plus en plus
consistant et plus suave et permet de déboucher sur une authentique expérience
mystique. Cette expérience nest certainement pas, avec la grâce de Dieu, hors de
la portée du disciple de saint François de Sales et de saint Jean Bosco, même
immergé dans une vie très active.
Notes
1. Introduction à la vie dévote, deuxième partie, chap. XVII.
2. Lettre à la présidente Brûlait, Annecy, 3 mai 1604, Oeuvres, t. 12, p. 269.
3. Lettre à Antoine de Revol, Annecy, 3juin 1603, Oeuvres, 1.12, p 189-190.
4. Lettre à Jeanne de Chantal, s. d. (1605-1607), Oeuvres, 121, p. 142.
5. Lettre à Madame de la Croix d’Autherin, Annecy, 23 juin 1615, Oeuvres, t. 17, p.
13.
6. Regolamenti SDB, art. 71 ; Regolamenti FMA, art. 24 et 25.
7. “Avendo quotidianamente in mano la Sacra Scrittura, come Maria accogliamo la
Parola e la meditiamo nel nostro cuore per feria fruttificare e annunziarla con zelo” (Costituzioni
SDB, art 87c.)
8. Des moines du Moyen-âge aux religieux de vie active de l’époque moderne, on est
passé de la lectio divina à la “lecture spirituelle”. Sur cette question, voir A. Boland, “Lectio
divina et lecture spirituelle”, Dictionnaire de spiritualité, t IX, 1976, col. 470-510, qui comporte
trois articles aux titres parlants : 1) La lectio divina, 2) De la lectio divina à la lecture spirituelle,
3) La lecture spirituelle à l’époque moderne.
9. Pour le paragraphe qui suit, je m’inspire librement de l’article du cistercien
Jean-Albert Vinel, “La lectio divina”, publié dans Vie consacrée, 1982, p. 288-303.

22.2 Page 212

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366
Liguori, Alphonse de
Linfluence dAlphonse de Liguori dans la catholicité du XlXème siècle
Aux origines, tandis que François de Sales, à qui ils devaient leur nom,
s’offrait en modèle à don Bosco et à ses disciples, un autre saint, plus récent, le
napolitain Alphonse de Liguori (1696-1787), moraliste réputé, fondateur des
rédemptoristes, leur transmettait une doctrine ascétique et pastorale, qui
marquerait longtemps la famille salésienne1.
Préparé à la prêtrise par un enseignement rigoriste, Alphonse lavait
abandonné après avoir constaté tout le mal produit sur son âme et celle des autres
par une doctrine inhumaine et antiévangélique, qui rendait impossible lusage des
sacrements, spécialement de la pénitence et de leucharistie. Dans la question alors
brûlante (et bien oubliée depuis) du probabilisme2, il avait maintenu, sa vie durant,
le principe libérateur qu’une loi vraiment douteuse noblige pas en conscience. Son
esprit et ses solutions étaient donc toujours restés raisonnables et miséricordieux.
Après sa mort, l’influence de cet apôtre napolitain s’était étendue à toute
lItalie et même, peut-on dire, à l’ensemble de la catholicité. Durant la première
moitié du dix-neuvième siècle, donc au temps de la formation sacerdotale de don
Bosco, ses oeuvres morales, en particulier sa vaste Theologia moralis (quatre
grands volumes dans l’édition Gaudé), délivrèrent progressivement du rigorisme
l’enseignement des séminaires et toute la pratique pénitentielle et sacramentaire du
peuple chrétien. Alphonse de Liguori nétait pas alors seulement le docteur de la
morale. Plusieurs de ses livres de spiritualité exerçaient de près ou de loin (entre
autres, à travers la prédication des rédemptoristes) une influence extraordinaire sur
la pensée et le comportement des chrétiens. Il était pour eux, par louvrage Le
grand moyen de la prière (1759), le docteur de la prière. Cétait aussi celui de
l’eucharistie par le petit livre Visites au Très Saint Sacrement et à la Très Sainte
Vierge (1768), intitulé dabord et de manière plus explicite : Pensées et affections
dévotes pour les visites au Très Saint Sacrement et à la Très Sainte Vierge
toujours immaculée, pour chaque jour du mois (1745), qui rencontra aux
dix-huitième et dix-neuvième siècles un succès tel quon l’a parfois comparé à
celui de limitation de Jésus Christ. Ses Gloires de Marie (1750) avaient fait date
en mariologie et connaissaient dinnombrables éditions et traductions. Cétait une
paraphrase du Salve Regina et une suite de discours sur les sept fêtes principales,
sur chacune des sept douleurs et sur les vertus de la très sainte Vierge. Marie,
célébrait Alphonse, est de tous les hommes la reine, la mère, la vie, lespérance, le
secours, la médiatrice, lavocate, la gardienne, le salut, la perpétuelle associée de
son Fils dans loeuvre de rédemption de lhumanité. Selon son premier biographe
(Tannoja), sa Préparation à la morP, avec ses trente-six considérations,
dabord sur les vérités étemelles”, ensuite sur les six grands moyens de salut :
prière, persévérance, confiance en Marie, amour de Dieu, eucharistie, conformité à

22.3 Page 213

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367
la volonté de Dieu, avait produit à sa publication dans le royaume de Naples
leffet d’une mission générale. Au dix-neuvième siècle elle continuait de faire
beaucoup réfléchir les chrétiens soucieux de leur destin final. Enfin, religieuses et
aussi, malgré le titre, religieux se sentaient concernés par la Véritable épouse du
Christ ou la Sainte religieuse*.
Alphonse, qu’auréolaient une béatification en 1816 et une canonisation en
1839, en attendant un titre prestigieux de docteur de lEglise en 1871, était
devenu, au temps de don Bosco, directement et, plus souvent, indirectement, un
conseiller spirituel très écouté pour la plupart des catholiques fervents.
Saint Alphonse et don Bosco
Don Bosco apprit à connaître Alphonse de Liguori au Convitto
ecclesiastico de Turin, dont il fut l’élève interne entre 1841 et 1844. On y
préparait des prêtres confesseurs par des conférences de morale et des solutions
dirigées de cas de conscience. Les “conférenciers, c’est-à-dire les maîtres de
conférencesLuigi Guala et le futur saint Giuseppe Cafasso, que le jeune prêtre
Bosco vénérait fort, amendaient le texte de base obligatoire dans le diocèse
(Alasia), plutôt rigoriste, à partir de lenseignement dAlphonse de Liguori, dont
ils se faisaient ouvertement les protagonistes. Leurs leçons pastorales sur la
confession se fondaient sur l’ouvrage d’Alphonse intitulé Homo apostolicus
(l’Apôtre), traduction latine dune Instruction pratique pour les confesseurs,
résumé particulièrement réussi de théologie morale. Alphonse y avait joint une
Praxis confessarii (Pratique du confesseur), sous-titrée : Pour servir de
complément à l’Instruction des confesseurs, précieuse à qui veut saisir sa
conception du ministre du sacrement de pénitence. Les maîtres du Convitto
débarrassaient ainsi leurs élèves des traces d’un esprit dit jansénisteassez brutal,
alors encore vivace dans le pays5. On dissertait sur les thèses des probabilistes et
des probabilioristes. Les probabilioristes, parmi lesquels le Convitto voyait lauteur
imposé par le diocèse, étaient rigides ; les probabilistes, à la tête desquels il
rangeait - un peu abusivement - saint Alphonse, l’étaient moins. Le conférencier
directeur don Guala, prenant pour guide la charité de Notre Seigneur Jésus
Christ”, se situait entre les deux partis, au jugement de don Bosco. Grâce à lui,
affirmera-t-il, saint Alphonse devint le maître de nos écoles, avec les bienfaits
longtemps attendus dont on éprouve aujourd’hui les conséquences6.
Le prêtre Giovanni Bosco, confesseur et directeur de conscience, sera
toujours fidèle aux leçons de saint Alphonse, telles quil les avait recueillies au
Convitto des lèvres de ses maîtres Guala et Cafasso. Ses disciples immédiats le
suivirent. Vers 1875, saint Alphonse était l’auteur officiel de morale (et
d’ascétique) des salésiens7.
Quand lui-même et ses fils se mirent à écrire des livrets de spiritualité,
Alphonse de Liguori figura naturellement parmi leurs sources privilégiées. Don
Bosco se servit au moins des titres : Préparation à la mort(Apparecchio alla
morte), “Visites au Très saint Sacrement(Visite al Santissimo Sacramento),
Maximes étemelles(Massime eteme), la Sainte Religieuse” (la Monaco Santa),

22.4 Page 214

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368
les Gloires de Marie” (le Glorie di Maria) et Avis concernant la vocation
(Avvisi spettanti la vocazione).
La partie ascétique de son Giovane provveduto (1847) fut étoffée entre
autres par des extraits des Maximes étemelleset de la Préparation à la mort. H
est facile de vérifier que l’un de ses tout premiers livres, le minuscule Exercice de
dévotion sur la miséricorde de Dieu(vers 1846) dépend de cette Préparation à la
mortde saint Alphonse. De même certains chapitres du “Mois de mai(1858).
Les Gloires de Marieont été l’une des sources de la brochure de don Bosco sur
la Neuvaine à Notre Dame auxiliatrice (1870). Les “Actes de dévotion à faire
devant le saint sacrement”, qui figurent dans son numéro des Letture cattoliche
sur le miracle eucharistique de Turin (1853), ont été explicitement empruntés à
l’ouvrage célèbre dAlphonse de Liguori sur les Visites au Très Saint
Sacrement. Enfin don Bosco, parfois aidé par son maître des novices Giulio
Barberis, a copié son maître spirituel dans ses explications sur la vie religieuse,
domaine qu’il maîtrisait très mal à lorigine. Son introduction aux constitutions
salésiennes (1èr® éd., 1875) a adapté de longs extraits de la Sainte religieuseet
des Avis sur la vocation. La Sainte religieuseavait déjà inspiré littéralement la
retraite prêchée par don Bosco aux salésiens en 1869 au lendemain de
l’approbation romaine de sa congrégation. H s’y exprimait sur la vie religieuse
avec les mots de saint Alphonse. Pendant un siècle au moins, cette ascétique, dont
la cohérence avec la mission” (pour employer un mot absent de son vocabulaire)
paraîtra quelquefois problématique, sera enseignée aux fils spirituels de don
Bosco8. Alors qu’ils pensaient entendre le seul don Bosco, les religieux salésiens
(et les religieuses salésiennes) entendaient donc souvent aussi et surtout la voix de
saint Alphonse.
D est vrai que le compilateur demeure maître de ses choix. Loriginalité de
saint Alphonse lui-même, qui appartenait à la lignée de saint François de Sales et
dépendait, à travers certains jésuites (Saint-Juré, Nepveu), de la première école
ignatienne, était elle-même relative. Quand il reprenait saint Alphonse, don Bosco
sinsérait simplement dans lune des formes de la spiritualité moderne, qui prévalut
jusquà Vatican IL Avec ses qualités et aussi ses défauts.
Notes
1. Sur ce saint, voir le bon ouvrage du rédemptoriste Théodule Rey-Mermet, Le saint
du siècle des Lumières, Alfonso de Liguori (1696-1787), éd., Paris, Nouvelle Cité, 1987,717
p. Sa traduction italienne a l’avantage de nous restituer les titres dans la langue originale.
2. Peut-on en conscience, dans l’observance d’un précepte religieux, suivre avec les
probabilistes une opinion seulement probabilis (“probable”), ou faut-il absolument se conformer
à une opinion probabilior (“plus probable”), comme le réclament les moralistes sévères, dits
probabilioristes ?
l.Apparecchio alla morte, 1758.
4. La vera sposa di Gesù Cristo o la Monaco santa, Y16O.

22.5 Page 215

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369
5. Don Bosco écrivit dans ses souvenirs à propos du Convitto : “(Le théologien Guala)
fondò quel maraviglioso semenzaio, da cui provenne molto bene alla Chiesa specialmente a
sbarbare alcune radici di giansenismo che tuttora si conservava tra noi” (MO Da Silva, p. 117.)
6. ... mercè il T. Guala S. Alfonso divenne il maestro delle nostre scuole con quel
vantaggio che hi lungo tempo desiderato, e che oggidì se ne provano i salutari effetti.” (MO Da
Silva, p. 118.)
7. D’après le rapport de G. Bosco rédigé pour le Saint-Siège, Cenno istorico sulla
congregazione di S. Francesco di Sales e relativi schiarimenti, Rome, 1874, p. 15.
8. Voir la collection d’ouvrages dérivés de ses lettres circulaires, que don Pietro
Ricaldone a intitulée dans les années 1940 Formazione salesiana (éd. L.D.C.).

22.6 Page 216

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370
Marie
Marie dans le monde de don Bosco
En son dix-neuvième siècle, Marie était partout autour du Piémontais
Giovanni Bosco. Et il la découvrit à ses côtés, mère sans tache, bienveillante et
forte, tout au long de sa vie de prêtre1. Telle fut ensuite l’expérience religieuse de
Marie quil légua à sa famille spirituelle.
Encore bébé, il eut bientôt perçu son nom sur les lèvres de sa mère, qui
lui faisait réciter trois angélus et au moins un chapelet par jour. La bourgade de
ses jeunes années avait pour fête patronale sa maternité au mois d’octobre.
Collégien et séminariste, il fréquenta autant que possible des garçons attachés au
culte marial. Turin, lieu de son ministère, avec son sanctuaire traditionnel de la
Consolata, était une ville de Marie. Quant à son principal auteur spirituel,
Alphonse de Liguori, il avait composé les Gloires de Marie, oeuvre alors
extrêmement célèbre dans les milieux dévots.
La dévotion mariale - certainement exceptionnelle - de son ami Luigi
Comollo, telle que lui-même, dans un premier ouvrage (1844), la décrivit et la
donna en modèle à messieurs les séminaristes de Chieri, paraît caractéristique de
l’ambiance du Piémont de lépoque. Luigi enfant reconnaissait sans réserve la
puissance de Marie, quavec Jésus il aimait avec tendresse”2. De longues et
onéreuses pratiques lui manifestaient son affection. Visiblement, discourir de la
Madonele ravissait. Luigi récitait chaque jour son chapelet et, quand son emploi
du temps lui laissait quelque loisir, le petit office de la sainte Vierge avec son
compagnon habituel, qui était notre Giovanni Bosco. Un jour de jeûne rigoureux
en l’honneur de Marie précédait ses communions et, par amour pour elle, il jeûnait
systématiquement le samedi (jour marial) de chaque semaine. Enfin, après avoir
cru voir Marie sur son lit de mort, il expira, selon don Bosco qui le veillait, en
prononçant les noms de Jésus et de Marie. Comollo allait avoir vingt-deux ans.
A partir du songe marial de ses neuf ans, Marie fut toujours pour don
Bosco lui-même une mère très belle, très sainte, très forte et très bonne. Elle lui
indiquait les routes à suivre, puis le soutenait dans ses démarches dapôtre. Au
terme il dira de Marie - au moins équivalemment, car la formulation exacte nest
pas très assurée. - : Cest elle qui a tout fait !3
Marie, mère immaculée et auxiliatrice
La proclamation par Pie IX de la conception immaculée de Marie a
encouragé don Bosco à voir en elle le symbole merveilleux de la pureté, de la
beauté et de la sainteté. Ses explications du Mois de mai et de la biographie de
Dominique Savio, un garçon qui vécut à Turin dans lenthousiasme et sous les

22.7 Page 217

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371
yeux de don Bosco le jour de la définition, le 8 décembre 1854, en témoignent. La
contemplation de lImmaculée devait rendre Dominique, ainsi que ses imitateurs,
intraitable pour ses faiblesses et affamé de sainteté héroïque. Cet esprit exigeant se
retrouve dans le dernier article du règlement de la compagnie de l’Immaculée
créée peu après dans l’Oratoire du Valdocco avec la bénédiction de don Bosco :
La compagnie est placée sous le patronage de lImmaculée, dont nous porterons
le titre et dont nous garderons la sainte médaille. Par notre confiance en Marie,
sincère, filiale, illimitée, notre tendresse particulière et notre dévotion constante
envers elle, nous viendrons à bout de tous les obstacles, nous serons tenaces dans
nos résolutions, durs pour nous mêmes, aimables pour notre prochain et
irréprochables en tout.”4
La raideur relative dune telle attitude était corrigée chez don Bosco par
la contemplation de Marie, mère de Dieu et, partant, mère des hommes. Ayant été
rachetés par Jésus Christ, nous devenons ses enfants et les frères de son divin fils.
La raison en est que, devenant mère de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, elle
devint aussi notre mère. Dans sa grande miséricorde, Jésus Christ voulut nous
appeler ses frères et, par ce titre, nous constitua tous enfants adoptifs de Marie.5
Longtemps, dans ses sermons et dans ses livres don Bosco ignora parmi
les titres de Marie celui d’auxiliatrice. Sa première édition de VHistoire
ecclésiastique ne mentionnait pas encore la victoire de Lépante, considérée
comme victoire de l’Auxiliatrice des chrétiens. Puis, en 1862, une image
miraculeuse, dite de Marie auxiliatrice par l’archevêque du lieu, fut découverte
dans le diocèse de Spolète et de manière assez sensationnelle pour déclencher un
imposant pèlerinage. La crise des Etats pontificaux (dont Spolète faisait partie)
paraissait alors sans remède. LEglise de Pierre semblait vaciller et réclamer un
secours miraculeux. A Paris, larchiconfrérie en plein développement de
Notre-Dame des Victoires fondée par labbé Dufriche-Desgenettes prêchait la
résistance au mal par le recours à la Virgo potens (Vierge puissante). Don Bosco
résolut de donner le titre dAuxiliatrice à léglise quil méditait de bâtir à Turin.
L’épithète lui convenait dautant mieux que les Turinois connaissaient, au moins
depuis le dix-huitième siècle, la confrérie de Marie auxiliatrice érigée à Munich et
que, sil faut len croire, Pie IX, consulté sur le vocable qui convenait à l’église,
opinait en sa faveur. H nen fallait pas tant à don Bosco. En juin 1868 une grande
église Marie auxiliatricefut consacrée au Valdocco.
Et notre saint invoqua désormais avec prédilection lAuxiliatrice, mère et
reine des chrétiens et de lEglise. La congrégation féminine quil fonda en 1872 fut
appelée Institut des Filles de Marie auxiliatrice. Un grand tableau peint sur ses
instructions disait, au-dessus du maître-autel de son sanctuaire turinois, comment
il se représentait Marie jouissant de cette prérogative : “Marie se dresse dans une
mer de lumière et de majesté, assise sur un trône de nuages et couronnée détolies,
en même temps que du diadème qui la proclame reine du ciel et de la terre. Un
groupe danges fait cercle autour delle et lui présente leurs hommages comme à
leur reine. Elle tient dans sa main droite le sceptre, symbole de sa puissance ... ”6
LAuxiliatrice de don Bosco était une reine glorieuse dominant le monde et

22.8 Page 218

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372
lEglise, celle-ci représentée sur le tableau par les apôtres et par les évangélistes
Luc et Marc.
Outre la nouvelle église, six petits livres de don Bosco allaient, entre 1868
et 1879, expliquer, commenter et magnifier le titre. Cette littérature nous installe
dans les luttes de la chrétienté. A Marie auxiliatrice, nous dit-elle, lEglise attribue
la déroute des hérésies. L’Auxiliatrice fut la reine des glorieuses batailles contre
les Turcs à Lépante en 1571 et à Vienne en 1683, celle aussi qui sauva Pie VII de
la captivité de Fontainebleau en 1814. Elle fut et demeure la protectrice des
armées qui combattent pour la foi”.7 Qu’une nécessité simpose aux chrétiens, et
Marie, la très sainte, intervient aussitôt leur apportant son aide puissante. Le
secours de Marie paraissait à don Bosco plus nécessaire que jamais dans le siècle
il propageait son culte, car “ce ne sont plus des tièdes à enflammer, des
pécheurs à convertir, des innocents à conserver. L’Eglise catholique elle-même est
assaillie.8 Un vrai climat de croisade !
Marie, mère puissante, sage et bonne, célébrée par don Rua et don Albera
Les successeurs immédiats de don Bosco, Michèle Rua (recteur majeur
entre 1888 et 1910) et Paolo Albera (recteur majeur entre 1910 et 1921), reprirent
soigneusement son langage et ses idées sur Marie. Ce fut pour eux comme pour
lui la mère très sainte et la reine puissante et secourable du Salve Regina.
Noi siam figli di Maria”, Nous sommes les fils de Marie. Don Rua se
plaisait à célébrer ce titre, en octobre, le jour de la fête liturgique de la Maternité
mariale. Quelle joie de se rappeler que notre mère est la mère de Jésus, fils de Dieu
! Nous avons pour mère la personne la plus noble (augusta), la plus sainte, la plus
belle qui soit jamais sortie des mains du Créateur. Cest la Mater admirabilis
(mère admirable), dont personne ne pourra jamais dignement raconter les
mirabilia (merveilles).9
Marie est la très sainte et la très sage mère de Dieu, dite avec raison
mère du bon conseil”, opinait le recteur en une autre occasion. Pour le
démontrer, il situait Marie dans le monde trinitaire. Nous avons besoin de guides
dans l’existence. Comment ne pas recourir à Marie mère du bon conseil”, Stella
maris, étoiletrès fidèle sur la mer universelle, elle qui participe aux conseils du
Très-Haut” ?10 Ses fils doivent laimer et se montrer dévotsà son égard.
Lamour envers elle et l’imitation de ses vertus constituent une fontainede
grâces, qui permet de parvenir à un haut degré de vertu.11 Un amour purement
sentimental et sans imitation serait stérile, la dévotion envers Marie doit être
fructueuse.12
Enfin, le membre de la famille salésienne tient par dessus tout à l’invoquer
comme auxiliatrice” ou secours des chrétiens. Alors quil accompagnait don
Bosco dans l’un de ses derniers déplacements, don Rua prononça, à partir de
linvocation Maria auxilium christianorum, ora pro nobis, deux conférences qu’il
avait pris la peine de composer en français.13 Comme don Bosco le faisait, il y
justifiait le titre par les hauts faits de Marie (ou attribués à Marie) au long de

22.9 Page 219

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373
lhistoire de l’Eglise, depuis les temps apostoliques jusquau dix-neuvième siècle.
Les persécuteurs, les hérétiques, les Turcs esclavagistes, Lépante défilaient. Don
Rua en arrivait ainsi à léglise Marie auxiliatrice, achevée à Turin en un temps
record quelques années plus tôt, pour dire que chaque pierre, chaque bric (sic) de
ce sanctuaire signe un bienfait, une grâce de M(arie).Depuis sa construction,
poursuivait-il, Marie a encore augmenté ses faveurs, à mesure que croissaient la
foi, la confiance et la dévotion envers elle invoquée sous le titre d’auxiliatrice.
D’ailleurs, don Bosco le répète, le développement lui-même de l’oeuvre
salésienne, qui est extraordinaire, doit être entièrement attribué à Marie
auxiliatrice. L’auxiliatrice est la Virgo potens, qui ne manque jamais de venir en
aide aux chrétiens des temps malheureux. Cest don Rua qui (en 1894) introduisit
dans la congrégation salésienne la récitation dune consécration à Marie
auxiliatriceà la suite de la méditation communautaire quotidienne.
Don Albera reprit des idées semblables ou voisines dans ses circulaires
aux salésiens. Toute loeuvre de don Bosco a son origine en Marie, enseignait-il,
soyons-lui reconnaissants, aimons-la, honorons-la et diffusons son culte sous le
titre dauxiliatrice. Nous en avons la responsabilité, parce que nous sommes ses
enfants. Tel est et doit être le fondement de notre amour spécial envers Marie
auxiliatrice, et la marque qui doit distinguer notre dévotion envers elle, de celle
que nous pourrions avoir envers la Très Sainte Vierge honorée sous n’importe
quel titre : Marie auxiliatrice est notre mère.14
H s’employa lui-même et de manière efficace à servir cette dévotion. En
1918, pour le cinquantième anniversaire de la consécration de l’église Marie
auxiliatrice de Turin, il consacra en personne et très solennellement à Marie
auxiliatrice lOeuvre de Don Bosco à travers le monde par une longue formule très
élaborée, que les salésiens étaient invités à répéter partout. Marie, mère de
Jésus, “mère très aimablede la famille salésienne, puissante auxiliatrice du
peuple chrétien, elle qui avait inspiré à don Bosco de se consacrer à l’instruction
et à l’éducation des nouvelles générations grandissant en des temps nouveaux,
était suppliée de poursuivre son action secourable à l’avantage de ses fils et
successeurs.15 La lettre aux salésiens qui annonçait l’événement leur rappelait la
formule de don Bosco : AdJesum per Mariant Jésus par Marie). Don Albera la
commentait. H faut non seulement chérir Marie, mais l’imiter pour aller à Jésus.
Une dévotion à Marie, qui ne serait pas une école de sainteté, qui ne donnerait pas
la force de vaincre les ennemis de l’âme et de marcher sur les traces de son divin
fils”, serait bien vaine16.
Don Albera sefforçait de situer et de rendre agissante la piété mariale
salésienne par rapport à l’unique médiateur du salut, qui est, en saine théologie, le
Christ Jésus.
Le culte marial salésien à la fin du vingtième siècle
Le recteur Egidio Viganô (1978-1995) voulut, d’entrée de jeu, par sa
première circulaire de recteur majeur, faire de Marie la rénovatrice de la famille
salésienne.17 A ses membres il proposait quatre consignes : 1) une formation

22.10 Page 220

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374
doctrinale sérieuse, afin que leurs initiatives de piété et daction soient éclairées
par une foi authentique ; 2) un culte et une piété envers Marie révisés selon les
critères de l’exhortation apostolique de Paul VI Marialis cultus (2 février 1974) ;
3) un engagement résolu dans les intérêts et les activités de lEglise locale et
universelle ; et 4) un réel souci des vocations, rappelant quune Oeuvre de Marie
Auxiliatrice avait été créée en 1876 par don Bosco pour le soutien des vocations
adultes. Le contexte chrétien de l’époque justifiait ces consignes, en particulier la
première, mais aussi la deuxième et la troisième. La lettre de don Viganô tombait
en effet dans un monde religieux très différent de celui de don Rua et don Albera,
monde dont l’évolution aide à comprendre le nouvel enseignement marial. Au lieu
dêtre située systématiquement dans une sphère divineen compagnie du Christ,
Marie était alors contemplée de préférence dans lEglise des rachetés, où, au reste,
elle tenait de loin la première place.18 Regardons d’un peu près cette évolution.
Le dix-neuvième siècle avait vu refleurir la piété mariale dans lEglise
catholique, favorisée par une abondante littérature populaire, parfois oeuvre
salésienne. En 1950, après le dix-septième, un nouveau siècle marial” (de 1850 à
1950), encadré par les définitions pontificales de limmaculée conception et de
l’assomption de Marie, sétait clos. Durant les décennies précédentes, lémulation
entre la piété et la réflexion dogmatique des savants avait été constante. Le
phénomène des apparitions mariales sétait amplifié. La ferveur mariale jouait un
grand rôle dans la pastorale de la religion populaire. Marie était, pour la
chrétienté, le modèle de la femme, de la mère en particulier. Les messages de ses
apparitions parlaient mieux que bien des prédications doctrinales. Liturges et
théologiens travaillaient toujours davantage, comme Alphonse de Liguori lavait
fait en son temps, à la “gloire de Marie. Rome les encourageait et instaurait de
nouvelles fêtes de Marie. Les congrès se multipliaient, associant manifestations
populaires et conférences spirituelles. Us étaient fréquemment loccasion de
lémission de certains voeux pour le progrès de la doctrine mariale : définitions
dogmatiques de l’assomption, de la médiation universelle de Marie et de sa
co-rédemption. Les sociétés détudes mariales nées à partir de 1935 entendaient
glorifier la Sainte Vierge et approfondir l’intelligence de son mystère. En 1942, Pie
XII consacra le monde au coeur immaculé de Marie et surtout, en 1950, définit
son assomption glorieuse.
Puis le concile Vatican II (1962-1965) opéra un tournant dans la
considération doctrinale, spirituelle et pastorale de Marie. Un certain nombre de
Pères attendaient de l’assemblée pour le moins la proclamation de nouveaux titres
de Marie. Il fallait, disaient-ils, ajouter de nouvelles pierres précieuses à sa
couronne”. Mais une autre tendance se faisait jour, réticente devant ce quelle
estimait être une inflation mariale”. A la tendance qui assimilait le plus possible
Marie au Christ (tendance dite christotypiqué), répondait, dans un souci à la fois
d’équilibre doctrinal et d’ouverture oecuménique, celle de réintroduire Marie dans
l’Eglise du côté des rachetés (tendance dite ecclésiatypique). Ce courant
lemporta (de peu dailleurs). Au lieu de consacrer à la Vierge Marie un document
qui lui serait réservé, il introduisit le thème marial dans un chapitre de la
constitution sur lEglise Lumen gentium. Le schéma préparé antérieurement fut

23 Pages 221-230

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23.1 Page 221

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375
récrit avec lintention délibérée de situer Marie dans le mystère du Christ et de
lEglise. Le texte ainsi élaboré constitua le dernier chapitre de Lumen gentium.
Ce chapitre, tout entier dinspiration scripturaire et patristique, parcourt
léconomie du salut depuis la lente préparation de la venue du Christ jusquà la
glorification de Marie en suivant le cours de son existence et en partant des
annonces prophétiques qui la concernent. Le document reprenait le contenu des
dogmes acquis jusqualors. Mais il restait délibérément en deçà des thèmes
discutés par la mariologie de la première partie du siècle. Le rôle de Marie dans
lincarnation et la rédemption était présenté comme celui dune “associéeet
dune “humble servante”, à qui la grâce de Dieu avait permis de “coopérerau
salut par son obéissance, le pèlerinage de sa foi, son espérance et sa charité, depuis
le Fiat de l’annonciation jusquau “consentement” de la croix. Marie, disait le
concile, est la figure(exactement le type) de l’Eglise, son membre le plus
éminent, elle y joue un rôle maternel. Quant à lui, le pape du temps, Paul VI, tint,
par sa propre autorité et indépendamment du concile, à proclamer Marie Mère de
l’Eglise, cest-à-dire de tout le peuple de Dieu, aussi bien des fidèles que des
pasteurs. La famille salésienne lentendit avec reconnaissance.
Sous la pression de Vatican H, la réflexion des spécialistes en mariologie
commença aussitôt de passer globalement dune théologie de Marie-reine à une
théologie de Marie-servante. L’exhortation apostolique de Paul VI Marialis cultus
(2 février 1974) expliqua le changement survenu. Le modèle de femme donné par
Marie, tel que les siècles précédents lavaient construit, se trouvait modifié selon
les exigences de la théologie et de lanthropologie contemporaines. Toutefois
Jean-Paul II, apôtre fervent de la dévotion mariale, introduisit ensuite, par la
troisième partie de son encyclique Redemptoris mater (25 mars 1987), partie
consacrée à la médiation maternellede Marie, quelques nuances à la constitution
conciliaire Lumen gentium. Alors que le concile avait délibérément marginalisé le
terme de médiatrice, ne lemployant quune seule fois dans une série
d’expressions qualifiant lintercession de Marie, le document pontifical voyait dans
l’expression de médiation maternelleun concept important de la théologie
mariale. Mais, enseignait-il, cette “médiation” de Marie, médiation maternelle
sexerçant dans l’intercession, était “participéeet subordonnée, donc nullement
de même ordre que celle du Christ, ce que les protestants refusent farouchement
(et avec raison).
Don Viganô, théologien averti, tenait compte de ces mouvements de
pensée. Le 14 janvier 1984, par un acte solennel, dit atto di affidamento, il
unissait systématiquement les deux titres, il confia la congrégation salésienne à
Marie auxiliatrice, mère de lEglise”.19 Il expliquait : Nous entendons remettre à
la garde maternelle de la Madone, à ses soins, à ses initiatives prévenantes, à sa
puissance dintercession, à sa capacité privilégiée et maternelle de la mener
jusquau Christ, toute la congrégation, en tant que communauté mondiale et que
communion dans lidentité de l’esprit et de la mission dans toutes les provinces et
toutes les maisons.”20 Cétait, sous une forme adaptée, la répétition de la
consécration à Marie auxiliatrice priée chaque jour dans la famille salésienne
depuis le temps de don Rua et célébrée avec solennité par don Albera en 1918.

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376
La leçon persistera. Les constitutions salésiennes rénovées en 1984 en
tinrent compte.21 Et, en 1995, la Charte de communion pour la famille salésienne
pouvait dire : (Le titre d’auxiliatrice) est le rappel de la maternité universelle de
Marie. Don Bosco a lié indissolublement sa dévotion mariale au sens de lEglise,
au ministère de Pierre, à la foi simple du Peuple de Dieu, à lurgence des
nécessités de la jeunesse.”22 Au titre de Reine, on préférait celui de Mère.
Marie auxiliatrice mère et modèle des salésiennes
Dans la famille salésienne, les femmes, surtout les filles de Marie
auxiliatrice, ont des raisons particulières de se tourner vers Marie.
Les Volontaires de Don Bosco voient en Marie de Nazareth une “icône
de vie consacrée séculière. Elle accueillit avec foi le mystère du Christ dans le
quotidien, vécut sa consécration à Dieu sans que rien ne la distingue des femmes
de son temps et trouva dans le travail un moyen de vie et de sanctification.
Attentive aux besoins des autres, elle aima la justice, demeura fidèle même dans
les moments difficiles et accepta sur le calvaire la maternité spirituelle qui la rendit
mère de tous les hommes. Nous trouvons en Elle l’assistance d’une présence
maternelle, avec Elle nous voulons reconnaître les merveilles accomplies par le
Père.23 Sa vie quotidienne dans la simplicité et lhumilité, dans le travail ordinaire
et l’attention aux autres, dans la contemplation de Dieu à travers les choses, les
personnes, les événements, la participation et la collaboration à l’oeuvre
rédemptrice du Fils de Dieu, font de Marie un modèle sublime pour les
Volontaires de Don Bosco.24
Pour les filles de Marie auxiliatrice, Marie est une mère, qui voulut leur
institut et ne labandonne pas. Marie Immaculée et Auxiliatrice est un modèle de
femme auxiliatrice”, en qui elles reconnaissent la plénitude du don de soi à Dieu
et aux hommes. Le terme auxilium a pris pour elles ce sens particulier. La royauté
sest estompée au bénéfice de la maternité.
Marie, disent leurs constitutions, a inspiré 0a fondation de) notre Institut
et continue den être la Maîtresse et la Mère. Nous sommes donc une “famille
religieuse qui est toute de Marie. Don Bosco nous a voulues telles un monument
vivantde sa reconnaissance envers l’Auxiliatrice et nous demande dêtre son
merciprolongé dans le temps. Nous éprouvons la présence de Marie dans notre
vie et nous confions totalement à elle. Nous cherchons à faire nôtre son attitude de
foi, despérance, de charité et de parfaite union au Christ, et à nous ouvrir à
l’humilité joyeuse du Magnificat pour être comme elle des auxiliatricessurtout
auprès des filles.”25
Un programme de vie religieuse naît de leur contemplation de Marie
immaculée et auxiliatrice. Elles se rendent disponibles à la Parole du Seigneur et
vivent la béatitude de ceux qui croientpour se “consacrer à un apostolat porteur
despérance26.

23.3 Page 223

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377
Leur chapitre général de 1982 avait dit : Dans lInstitut la Madone est
une présence vivante, active, présence de Mère qui aime, de Maîtresse qui éclaire
et guide, soucieuse du salut : Auxiliatrice ! La dévotion à Marie nous fait entrer
dans la dynamique de lamour. Avec Elle faisons de notre vie un Magnificat au
Seigneur. A son école apprenons à être ouvertes à Dieu et à nous mettre au
service des jeunes.”27
Dans le monde de don Bosco, la dévotion à Marie nendort pas les
énergies, elle est au contraire principe daction réalisatrice..
Notes
1. Je reprends ici les paragraphes sur Marie du troisième chapitre de mon livre Don
Bosco et la vie spirituelle (Paris, 1967, p. 100-105).
2. ... i SS. nomi di Gesù e di Maria, gli furono ognor l’oggetto di sua tenerezza.”
(Cenni sulla vita del chierico Luigi Comollo ..., Turin, 1844, p. 5).
3. “E’ convinzione profonda ed irremovibile di Don Bosco : ‘Ella ha fatto tutto’
“(Carta di comunione, art. 17.)
4. “La società è posta sotto gli auspizii dell’Immacolata Concezione, di cui avremo il
titolo, e porteremo una divota medaglia. Una sincera, filiale, illimitata fiducia in Maria, una
tenerezza singolare verso di lei ; una devozione costante ci renderanno superiori ad ogni
ostacolo, tenaci nelle risoluzioni, rigidi verso di noi, amorevoli col nostro prossimo, ed esatti in
tutto.” (Vita del giovanetto Savio Domenico ..., 1859, p. 81.)
5. “Perciocché divenendo ella madre di Gesù vero Dio e vero uomo, divenne eziandio
madre nostra. Gesù Cristo nella sua grande misericordia volle chiamarci suoi fratelli, e con tal
nome ci costituisce tutti figliuoli adottivi di Maria.” (Il Mese di maggio ..., 1858, p. 14.)
6. “Maria SS. vi campeggia in un mare di luce e di maestà, assisa sopra di un trono di
nubi e coronata di stelle nonché del diadema con cui è proclamata Regina del cielo e della terra.
Una schiera di angeli, facendole corona, le pongono ossequio come a loro Regina. Colla destra
ella tiene lo scettro, simbolo della sua potenza... (G. Bosco, Maria Ausiliatrice col racconto di
alcune grazie ..., Turin, 1875, p. 54-55.)
7. ... alcuni fatti che riguardano alla speciale protezione che la santa Vergine ha
costantemente prestato agli eserciti che combattono per la fede” (G. Bosco, Maraviglie della
Madre di Dio invocata sotto il nome di Maria Ausiliatrice, Turin, 1868, p. 61.)
8. ... non sono più tiepidi da infervorare, peccatori da convertire, innocenti da
conservare. Queste cose sono sempre utili in ogni luogo, presso qual siasi persona. Ma è la stessa
Chiesa Cattolica che è assalita.” (G. Bosco, Maraviglie..., op. cit., p. 6-7.)
9. Considérations d’un sermon de don Rua “Per la festa della Maternità di Maria SS.”,
dans un recueil manuscrit de Prediche per esercizi, quad. 2°, p. 48-49, FdB 2895 C3-4.
10. “Essa mer(ita) veram(ente) il tìtolo di M(adre) del B(uon) Consiglio). Chi mai fra
le creat(ure) fu più di Lei addentro ai consigli) dell’Altiss(imo) ?” (M. Rua, “Maria
Santissima”, dans Prediche per esercizi, quaderno 1°, p. 29, ms reproduit en FdB 2894 Al.)
11. “L’amore a Maria e l’imitazione delle sue virtù sono sempre una fonte alla quale
attingendo... Etc (M. Rua, ina d’un feuillet de sermon manuscrit de quatre pages, reproduit en
FdB 2101 C12-D3.)
12. M. Rua, “La divozione a Maria SS.ma deve essere fruttuosa”, Sermon manuscrit
allographe, dans un cahier de Prediche, ine. La Concezione, FdB 2912 B8-C4.
13. “Maria, Auxilium Christianorum”, un feuillet sous ce titre, FdB 2919 Eli à 2920
A3.
14. “Questo è e deve essere il fondamento dell’amor nostro speciale a Maria SS.
Ausiliatrice, e il contrassegno che deve distinguere la nostra divozione verso di Lei, da quella
che potremmo avere verso la SS. Vergine onorata sotto qualsiasi titolo. Maria SS. Ausiliatrice è
la nostra Madre.” (P. Albera, Lettre aux salésiens, 24 avril 1921, L.C., p. 437.)

23.4 Page 224

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378
15. “O Maria, Ausiliatrice potente del popolo cristiano [... ], maternamente sollecita
dei bisogni morali e religiosi delle generazioni crescenti nei tempi nuovi, Voi ispiraste al Ven.
Don Bosco di consacrarsi alla loro istruzione ed educazione [... ], o Madre di Gesù e Madre
nostra amabilissima, accogliete con l’usata bontà questa offerta ... (“Consacrazione dell’Opera
di Don Bosco a Maria Ausiliatrice”, appendice à P. Albera, Lettre aux salésiens “Sul
Cinquantenario della Consacrazione del Santuario di Maria Ausiliatrice in Valdocco”, 31 mais
1918, L.C., p. 273-274).
16. ... ad Jesum per Mariam, volendo (don Bosco) così insegnarci che è vana la
nostra divozione a Maria, se non ci guida a Gesù, se non ci ottiene la forza necessaria per
vincere i nemici dell’anima nostra, a camminare sulle traccie del Divino suo Figlio.” (Lettre
citée, p. 266.)
17. E. Viganò, “Maria rinnova la Famiglia salesiana di Don Bosco”, lettre aux
salésiens, 25 mars 1978, Atti 289, p. 3-35.
18. Je m’appuie pour cet historique sur l’étude scrupuleuse du Groupe des Dombes,
Marie dans le dessein de Dieu et la communon des saints (Paris, Centurion, 1997), n. 89-103.
19. E. Viganò, “Atto di affidamento della Congregazione a Maria Ausiliatrice, Madre
della Chiesa”, lettre aux salésiens, 31 mai 1983, Atti 309, p. 3-21.
20. “Intendiamo consegnare alla custodia materna della Madonna, alla sua cura, alle
sue premurose iniziative, alla sua potenza d’intercessione, alla sua privilegiata e materna
capacità di condurre a Cristo, tutta la Congregazione in quanto comunità mondiale, quale
comunione nell’identità dello spirito e della missione in tutte le Ispettorie e Case.” (Lettre citée,
p. 8.)
21. Voir, en particulier, A. Van Luyn, Maria nel carisma salesiano. Studio sulle
costituzioni della Società di San Francesco di Sales, Roma, LAS, 1987.
22. “E’ invece il richiamo alla maternità universale di Maria”. “Don Bosco ha legato,
inoltre, in maniera indissolubile la sua devozione mariana al senso della Chiesa, al ministero di
Pietro, alla fede semplice del Popolo di Dio, all’urgenza dei bisogni della gioventù.” (Carta di
comunione, art. 17.)
23. “Accogliendo con fede il mistero di Cristo nel quotidiano, visse la sua
consacrazione a Dio senza che nulla la distinguesse dalle donne del suo tempo, e trovò nel lavoro
un mezzo di vita e di santificazione. Attenta alle necessità degli altri, amò la giustizia, fo fedele
anche nei momenti difficili, accettò sul Calvario la maternità spirituale che la rese Madre di tutti
gli uomini. In Lei troviamo l’aiuto di una presenza materna, con Lei vogliamo riconoscere le
meraviglie operate dal Padre.” (Constitutions VDB, art. 11.)
24. Formules heureuses empruntées aux constitutions des Volontaires avec Don Bosco,
art 6.
25. “Maria Santissima è stata l’ispiratrice del nostro Istituto e continua ad esserne la
Maestra e la Madre. Siamo perciò “una Famiglia religiosa che è tutta di Maria”. Don Bosco ci ha
volute “monumento vivo” della sua riconoscenza all’Ausiliatrice e ci chiede di essere il suo
“grazie” prolungato nel tempo. Noi sentiamo Maria presente nella nostra vita e ci affidiamo
totalmente a lei. Cerchiamo di fere nostro il suo atteggiamento di fede, di speranza, di carità e di
perfetta unione con Cristo, e di aprirci all’umiltà gioiosa del “Magnificat” per essere come lei
“ausiliatrici”, soprattutto fra le giovani.” (Constitutions FMA, art 4.)
26. “Nella Vergine Immacolata Ausiliatrice contempleremo la pienezza della
donazione a Dio e al prossimo. Imiteremo la sua disponibilità alla Parola del Signore, per poter
vivere come lei la beatitudine dei “credenti” e dedicarci ad un’azione apostolica apportatrice di
speranza.” (Constitutions FMA, art 44.)
27. “La Madonna nell’Istituto è una presenza viva, operante, presenza di Madre che
ama, di Maestra che illumina e guida, sollecita della salvezza : Ausiliatrice I La devozione a
Maria ci fa entrare nella dinamica dell’amore. Con Lei facciamo della nostra vita un Magnificat
al Signore. Alla sua scuola impariamo ad essere aperte a Dio ed a metterci a servizio delle
giovani.” (Istituto FMA, Capitolo Generale XVII. Atti, Roma, 1982, p. 68-69.)

23.5 Page 225

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379
Mazzarello, Maria Domenica
L’adolescente (1837-1854)
Marie-Dominique Mazzarello, principale collaboratrice de don Bosco
dans la consolidation et première supérieure générale de l’Institut des filles de
Marie auxiliatrice, était née le 9 mai 1837 dans un hameau très campagnard du
village piémontais de Momese, dit des Mazzarelli, aînée dune famille destinée à
devenir nombreuse et solide, qui mettait en honneur le travail, les relations saines
et ouvertes, une foi vive et une piété sincère1. Quand elle aura onze ans, sa famille
se transférera à bonne distance du village, dans la solitude de la Valponasca.
Les dons ne manquaient pas à Marie-Dominique. Cétait une nature
ardente et énergique, têtue, d’une totale sincérité et bien ouverte au réel. Le coeur
était bon et sensible, lintelligence claire et profonde, même si les conditions
locales la priveraient de toute instruction scolaire. Son père lui apprit à lire et à
compter sur ses doigts. Cet homme sage et admiré, dont l’amée devint rapidement
le bras droit, lui transmettait le sens du travail, la rectitude du jugement, le goût de
l’authentique, le courage de reconnaître ses défauts et de sen corriger, une
capacité croissante de réflexion et de discernement, le sens de ladoration et de
l’obéissance envers Dieu, toutes qualités qui caractériseraient définitivement sa
spiritualité. Marie-Dominique, femme de labeur, était simultanément une
contemplative, qui saccusera un jour d’avoir passé un quart dheure sans penser à
Dieu.
Un bon directeur spirituel, don Pestarino, la guida à partir de 1849, quand
elle se préparait à sa première communion. Domenico Pestarino (1817-1874), natif
de Momese, prêtre remarquable en relation avec la partie la plus cultivée du clergé
génois de lépoque, avait, deux ans plus tôt, quitté Gênes pour se mettre, auprès
du curé, au service de la population momésienne. H allait renouveler
spirituellement la paroisse par une instruction religieuse intense et attirante, une
pressante invitation à sapprocher fréquemment des sacrements de pénitence et
deucharistie et la création (ou la promotion) dassociations pieuses pour les
enfants, pour les mamans, pour les hommes et pour les jeunes, garçons et filles.
Au confessionnal de don Pestarino, l’adolescente Marie-Dominique se purifiait et
apprenait à se corriger de ses défauts. En effet, elle en avait : gourmande,
vaniteuse comme toutes les filles de son âge, tendance à lorgueil et à la
domination sur les autres, impatiences ... Don Pestarino, ferme et exigeant,
lamena à être mortifiée et à se faire violence pour modérer son excessive vivacité
et être toujours accueillante à autrui.
Marie-Dominique fut admise à la première communion à lâge de treize
ans, en avril 1850. Comme lindiquent les registres paroissiaux, on lui permit de
communier trois fois au cours de l’année suivante, cinq fois en 1852, mais

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380
quotidiennement déjà à partir de 1853, quand elle avait quinze ou seize ans. Nous
savons que, vers lâge de quinze ans, elle fit secrètement, lors de lune de ces
communions, le voeu de virginité perpétuelle. Elle navait demandé conseil à
personne, mais voyait l’expression la plus naturelle de son amour pour lunique
Seigneur. Marie-Dominique avait trouvé son centre vital. Jésus, le vivant, était son
Tout, à qui elle sétait donnée tout entière, corps, coeur et âme. Dune vie
eucharistique intense, la messe et la communion constituaient désormait le grand
moment de chacune de ses journées. Au petit matin - avant d’avoir rien absorbé,
car, en ce temps-là, on communiait obligatoirement à jeun -, seule le plus souvent,
quil fasse nuit, qu’il pleuve ou quil gèle, depuis sa Valponasca isolée, elle
rejoignait, en une bonne demi-heure, léglise paroissiale par un sentier abrupt qui
dévalait, puis remontait jusquà la route communale. Le secret de cette fidélité
héroïque ?, se demandait le P. Aubry. Il répondait : Celui de la fiancée du
Cantique des Cantiques, qui court dans la nuit à la recherche de son bien-aimé;
puis commentait : “L’amour fou pour Jésus : il n’y a jamais eu dautre formule
authentique de la sainteté chrétienne.”2
La Fille de l’Immaculée (1854-1872)
En 1852, une fille remarquable de vingt-deux ans, Angela Maccagno
(1832-1891), avait eu linspiration de créer à Momese une association de jeunes
filles consacrées à Dieu dans le monde et vouées à lapostolat paroissial auprès du
monde féminin. Angela avait rédigé un projet de Règle, qu’elle cherchait à faire
approuver par lautorité ecclésiastique3. Dès 1854, Marie-Dominique fut agrégée à
l’association naissante. Le 9 décembre 1855, le premier groupe de Filles de
lImmaculée fut officiellement constitué sur la base dune Règle révisée. Elles
étaient cinq, qui, en présence de don Pestarino, consacraient leur vie à Dieu par la
médiation de lImmaculée.
Lentrée dans ce groupe accentua deux traits de la vie spirituelle de
Marie-Dominique. Dabord, elle renforça ladhésion de son coeur à la présence de
Marie, dont elle se voulait la fille. Marie va être le climat dans lequel elle s’unit à
Jésus4. Par fidélité à sa Règle, elle s’employait à répandre autour delle l’amour et
la dévotion envers Marie. L’Immaculée, parfait modèle de vie consacrée, à
l’entière disposition de Dieu et de ses desseins, simposait à son admiration.
Ensuite, l’appartenance de Marie-Dominique à l’association des Filles de
l’Immaculée canalisa ses énergies dans l’exercice de la charité et le service du
prochain. Encouragée par don Pestarino, prêtre à l’âme salésienne,
Marie-Dominique, plutôt réservée jusqualors, senhardissait, élargissait ses
relations et prenait soin dun groupe de jeunes mères de famille et, plus encore, de
fillettes, auxquelles elle prodiguait affection et conseils.
Une épreuve de santé transforma en 1860 la vie de Marie-Dominique.
Durant lété elle contracta le typhus, reçut les derniers sacrements, et, si elle
pouvait entamer le 7 octobre, fête du Rosaire, une longue convalescence, le mal
lui avait désormais ôté sa vigueur physique d’antan. Elle prit alors, entre 1861 et
1863, avec une amie intime et confidente, Petronilla Mazzarello, de quinze mois
plus jeune qu’elle et devenue elle aussi Fille de l’Immaculée, des initiatives, qui

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381
décideraient de son avenir. Lune et lautre entreprirent de sinitier à la couture
chez un tailleur du village en vue de créer elles-mêmes un atelier-école. Des filles y
apprendraient simultanément à coudre et à devenir de bonnes chrétiennes. Leur
atelier fut ouvert en mai 1862 dans la maison d’une amie et bientôt transféré,
parce quinsuffisant, dans celle du frère de la directrice des Filles delImmaculée,
Angela Maccagno. Puis elles créèrent un embryon dinternat. L’année suivante,
elles recevaient deux orphelines qui les obligeaient à louer deux nouvelles
chambres dans une maison Bodrato. La famille s’agrandissait. Troisième initiative,
Marie-Dominique et Petronilla lancèrent cette même année 1863 un patronage du
dimanche, à la manière de don Bosco à Turin. H faut savoir que don Pestarino
sétait lié à don Bosco, quil était devenu salésien “externeet apportait alors à
l’équipe un message dencouragement.
Sur ce, le 7 octobre 1864, don Bosco lui-même passa à Momese au cours
d’une joyeuse et bruyante promenade dautomne de ses jeunes. Don Pestarino lui
présenta le groupe des Filles de l’Immaculée. Marie-Dominique fut pour ainsi dire
transportée par cette rencontre. Selon la Cronistoria de l’Institut, qui sappuie
certainement sur son témoignage plusieurs fois répété, il lui semblait que la parole
de don Bosco était comme l’écho d’un langage qu’elle entendait au fond
d’elle-même sans pouvoir lexprimer.5 Désormais, don Bosco polarisera l’âme de
Marie-Dominique. Sa fidélité envers lui sera inconditionnelle. Pourtant, au cours
de ses quatre visites à Momese pendant les sept années qui suivirent (en 1867,
1869, 1870, 1871), le saint homme sadressa toujours aux Filles de Marie
Immaculée réunies autour de don Pestarino. Jamais, même lors des voeux de
1872, il n’eut d’entretiens privés avec Marie-Dominique. Il agissait sur elle par ses
comportements, par la chaleur et la simplicité de sa parole et par certains de ses
écrits, en somme par sa sainteté transparente.
A lautomne de 1867, don Pestarino transféra sa demeure dans un collège
pour garçons quil faisait construire avec laide du village et offrit au petit groupe
de Marie-Dominique la maison quil occupait près de l’église paroissiale et qui
devint ainsi la “Maison de l’Immaculée. Marie-Dominique quitta alors sa famille
et vint habiter cette Maison avec ses trois amies : Petronilla, Teresa Pampuro et
Giovanna Ferrettino. Le groupe y mènerait la vie commune et se livrerait
entièrement à l’apostolat. La Maison devint à la fois atelier de couture, petit
orphelinat et patronage. Et Marie-Dominique en fut naturellement reconnue
responsable. Don Bosco veillait sur cet humble centre apostolique. A l’occasion
dune visite à Momese en avril 1869, il lui laissa par écrit un horaire-programme
et quelques conseils que la petite communauté sempressa de suivre à la lettre. Les
Filles de lImmaculée de Momese étaient désormais partagées en deux groupes,
les femmes qui continuaient à vivre dans leurs familles respectives, et celles
simplement appelées Figlie” (Filles), avec, à leur tête, Marie-Dominique
Mazzarello, qui habitaient depuis deux ans la Maison de l’Immaculée. Une
fondation, dont Marie-Dominique navait encore nulle idée, germait lentement
dans l’esprit de don Bosco.

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382
La Fille de Marie Auxiliatrice (1872-1881)
Elle reçut sa forme au printemps de 1871. Le 24 avril de cette année, don
Bosco faisait remettre à une religieuse de Turin, supérieure générale des soeurs de
Sainte-Anne de la Providence, un exemplaire annoté de ses constitutions
salésiennes, en la priant de vérifier dans quelle mesure elles pourraient convenir à
un institut de religieuses. Simultanément (ou à peu près), il sentretenait avec don
Pestarino de son projet d’institut féminin à partir de lassociation momésienne des
Filles de lImmaculée. Le prêtre était invité à lui faire part des réactions de ses
membres. Au cours de l’année 1871, les constitutions de don Bosco furent ainsi
adaptées par les soins conjugués des soeurs de Sainte-Anne et de don Pestarino.
Et, aux premiers jours de janvier 1872, don Bosco, quune maladie immobilisait à
Varazze (proche de Momese), demanda à Pestarino venu le visiter si les Filles”
étaient disposées à la nouvelle création. Sur sa réponse affirmative, il l’invita à
réunir toutes les Filles de l’Immaculée (donc y compris celles qui habitaient chez
elles) pour lélection, aux termes de la Règle nouvelle, dun conseil de
l’association en projet6. Et, le 29 de ce mois, l’assemblée fondatrice des Filles,
dites alors de lImmaculée et de Marie auxiliatrice, et bientôt simplement de
Marie auxiliatrice, fut tenue, avec la participation des Fillesdu village (dont
Angela Maccagno) et sous la présidence de don Pestarino.
Marie-Dominique, aussitôt élue par ses compagnes supérieure générale”,
refusa catégoriquement cette dignité, sauf à l’accepter par obéissance. Le rapport
Pestarino, dexpression maladroite, mais seul chaînon assuré pour cet épisode
capital de sa vie, dira : Quand elle entendit ce résultat, Maria Mazzarello se leva
en demandant d’être dispensée ; elle disait clairement quelle remerciait toutes (ses
compagnes), mais quelle ne se sentait pas capable de tenir sous un tel poids. ( ... )
Elle persista à dire quelle ne se sentait pas (capable) et qu’elle refiiserait tant
qu’elle n’y serait pas absolument forcée par obéissance. On fit encore quelques
remarques, et le Directeur (entendez : don Pestarino) lui-même ajouta qu’il ne se
prononcerait pas lui-même tant quil n’aurait pas entendu lavis de don Bosco.
Maria Mazzarello elle-même suggéra de laisser à don Bosco le soin du choix de la
première supérieure, que ce serait bien à tous égards, et toutes approuvèrent.
Alors elles lui dirent quelle resterait première Assistante avec le titre de Vicaire
selon les regole ...7 Le refus de Marie-Dominique nétait nullement formel et
destiné à exalter sa modestie. (Elle demeurera vicaire pendant deux ans et, en
1874, don Bosco la reconnaîtra supérieure générale.)
La création eut deux conséquences au cours de cette année décisive. Le
soir du 23 mai, les filles de la Maison de l’Immaculée déménageaient et
sinstallaient à Borgo-Alto, dans les locaux du collège désormais désaffecté habité
par don Pestarino. Et, le 5 août, les Filles de Marie auxiliatrice, maintenant
religieuses devant lEglise, émettaient leurs premiers voeux publics en la présence
de don Bosco et entre les mains de lévêque dAcqui.
“Avec nos premières soeurs (sainte Marie-Dominique Mazzarello) a vécu
en fidélité créative le projet du Fondateur, donnant ainsi origine à l’esprit de
Momese, qui doit caractériser encore chacune de nos communautés ... ,
affirment les constitutions rénovées des filles de Marie auxiliatrice.8

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383
Marie-Dominique, supérieure de la communauté primitive de Momese, se voulut
parfaitement fidèle à don Bosco, quelle tenait, conformément à ses constitutions,
pour le supérieur généralde son Institut. Et don Bosco, qui considérait Momese
comme une maison de sa congrégation, y détachait auprès delle, au titre de
“directeur général, son disciple le plus entreprenant, Giovanni Caglierò. Aidé par
lui, il revenait à Marie-Dominique d’adapter l’esprit masculin du Valdocco turinois
à la communauté de femmes de Momese. Le charisme salésienreçut ainsi un
visage féminin, qu’incarnait Marie-Dominique.9
Elle prenait très au sérieux la devise de don Bosco Travail et
tempéranceet menait ses filles sur de rudes chemins, qui réclamaient delles un
courage peu ordinaire. On se mortifiait fortement à Momese. Le travail était un
élément décisifdans la projet de vie de Marie-Dominique10. “Les premières
salésiennes ne portaient pas de cilice, mais elles arrivaient chaque soir épuisées de
fatigue, a remarqué le P. Aubry11. Elles se tuaient littéralement à la peine :
combien moururent avant trente ans ! Toutes vivaient dans la pauvreté, très
sensibles aux paroles que don Bosco leur aurait dites le jour des premières
professions : Oui, je peux vous assurer que l’Institut aura un grand avenir si vous
vous maintenez simples, pauvres, mortifiées.”12 Nourriture, vêtements, habitat,
style de vie étaient réellement pauvres à Momese. L’obéissance, pratiquée dans un
esprit de foi, y était rigoureuse. Marie-Dominique avait elle-même à lutter sur ce
chapitre, car sa volonté était forte et elle avait des idées justes, parfois plus justes
que celles de qui la commandait. A Momese, la chasteté religieuse était dune part
sans complexes, dautre part sans nul sentimentalisme ni possessivité.
Marie-Dominique avait fort bien compris que, dans une ambiance exclusivement
féminine, Vamorevolezza du système de don Bosco exigeait un sérieux équilibre :
aimer vraiment, de façon personnelle, mais rester maître de son coeur, éviter toute
familiarité déplacée et toute discrimination blessante”.13
Depuis le Valdocco, Caglierò introduisait à Momese un extraordinaire
dynamisme et un puissant souffle missionnaire. Au bout de deux ans seulement,
lInstitut essaimait et se mettait à fonder en Italie du Nord, puis en France. Ce
salésien enthousiaste, que don Bosco placerait en 1875 à la tête de sa première
expédition missionnaire en Amérique du Sud, contribua à créer dans ce centre un
élan d’amour, de rêve et de générosité pour les habitants de ces régions. Tant et si
bien que le deuxième directeur local, Giacomo Costamagna, élu par don Bosco,
quant à lui, chef de la troisième expédition missionnaire salésienne, accompagna
fin 1877 les vaillantes soeurs de la première expédition féminine en Amérique. Or
ces salésiennes sortaient à peine de l’adolescence : le chef de cette expédition,
Angela Vailese, avait vingt-quatre ans, et l’âge moyen du groupe était de
vingt-deux ans. Marie-Dominique acceptait, malgré la douleur de séparations
définitives, de les voir partir affronter d’énormes responsabilités. Au reste, elles ne
les écrasèrent pas. Car leur sainte mère insufflait à ses filles le courage
indispensable. Elle immergeait la communauté momésienne dans un climat
vivifiant de simplicité, damour fraternel et de joie de la présence pour elle
familière de Dieu et de Marie.

23.10 Page 230

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384
Cependant la croissance de l’Institut imposait en 1879 labandon de la
maison de Momese devenue insuffisante, pour linstallation de la
communauté-mère à Nizza Monferrato, proche de Turin. Marie-Dominique avait
planté et affermi l’Institut des filles de Marie auxiliatrice. Depuis lhumble essai de
latelier de couture primitif, larbre de la congrégation fondée par don Bosco à
partir de ce germe se déployait avec vigueur.
Marie-Dominique contracta une pneumonie au début de lannée 1881 et
mourut le 14 mai suivant. Elle n’avait que quarante-quatre ans. Son supériorat
avait été d’une telle fécondité que, neuf ans seulement après sa création, lInstitut
des filles de Marie auxiliatrice, dont elle avait courageusement assumé la direction,
comptait déjà cent trente-neuf religieuses et cinquante novices, distribuées dans
vingt-six communautés.
Marie-Dominique Mazzarello fut béatifiée par Pie XI le 20 novembre
1938 et canonisée par Pie XII le 24 juin 1951.
Notes
1. La vie de Marie-Dominique est bien connue. Nous disposons des actes de son procès
de canonisation : Sacra Rituum Congregatione. Aquén. Beatificationis et canonizationis servae
Dei Mariae Dominicae Mazzarello, primae antistitae Instituti Filiarum Mariae Auxiliatricis.
Positio super virtutibus, Rome, typ. Guerra et Belli, 1934,1 vol., à compléter par un volume de
Novae animadversiones (1934) et un volume de Novissima Positio super virtutibus (1935). Sa
meilleure biographie semble être restée celle de F. Maccono, Suor Maria Mazzarello, prima
superiora generale delle Figlie di Maria Ausiliatrice, Torino, Istituto delle Figlie di Maria
Ausiliatrice, 1934, rééd. Les trois premiers tomes de Istituto Figlie di Maria Ausiliatrice,
Cronistoria, a cura di G. Capetti, Rome, tip. FMA, 1974-1977, sont intéressants. Voir aussi M
E. Posada, A. Costa, P. Cavaglià, La sapienza della vita. Lettere di Maria Domenica
Mazzarello, 3ème éd., Torino, SEI, 1994, et diverses notes de Maria Ester Posada, historienne
attentive et scrupuleuse. En outre, cet article va reprendre diverses formules bien venues de J.
Aubry, “La cofondatrice des Filles de Marie Auxiliatrice, sainte Marie-Dominique Mazzarello”,
dans son ouvrage Les saints de la famille, Rome, Maison générale salésienne, 1996, p. 81-101.
On ne s’étonnera pas, espérons-le, de les trouver répétées parfois ici entre ou sans guillemets.
2. J. Aubry, Les saints de la famille, p. 86.
3. Le Regolamento delle Figlie dell’Immacolata de 1853 a été édité en annexe de la
Cronistoria, t I, p. 321-323. La raison d’être de cette association était purement dévotionnelle.
4. J. Aubry, Les saints de la famille, p. 87.
5. “Le pareva che la parola di don Bosco fosse come l’eco di un linguaggio che sentiva
in cuore senza saperlo esprimere” (Cronistoria, 11, p. 149).
6. Le texte de l’ébauche de constitutions de ce 29 janvier, intitulé :
“Costituzioni-Regole dell’Istituto delle Figlie dell’Immacolata e di Maria Ausiliatrice sotto la
protezione di S. Giuseppe, di S. Francesco di Sales e di S. Teresa”, a été édité en annexe de la
Cronistoria, t L P- 336-353. L’éditrice a remarqué que, dans ce titre, les mots “delle Figlie
dell’Immacolata e”, ont été ajoutés par don Pestarino et seraient donc étrangers au projet
primitif. Toutefois, on aimerait connaître la date précise de cette addition. Fut-ce avant ou après
le 29 janvier ? H semble normal qu’à la réunion de ce jour, à laquelle participaient toutes les
Filles de l’Immaculée, y compris leur présidente Angela Maccagno, l’aumônier ait tenu à ce que
le titre officiel de l’association ne disparaisse pas. Il correspondait d’ailleurs à la réalité, puisque
Angela Maccagno fut élue “vicaire” pour celles du village.

24 Pages 231-240

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385
7. ... Restava perciò Superiora Maria Mazzarello : udito questo risultato la stessa
Maria Mazzarello si alzò pregando a dispensarla e dicendo chiaro che essa ringraziava tutte, ma
non se ne credeva capace a reggere un tal peso. Alcune dissero che se le avevano dato i voti,
doveva accettare, altrimenti lo stesso avrebbero latto altre : essa continuò sempre a dire che non
si sentiva, che sempre avrebbe rifiutato finché assolutamente non fosse obbligata a fare
l’ubbidienza. Si fece ancora qualche osservazione, e il Direttore stesso soggiunse che da per se
non si pronunziava finché non avesse sentito il parere di D. Bosco. Allora la stessa Maria
Mazzarello suggerì le pareva lasciar nelle mani di D. Bosco la scelta della prima Superiora, era
bene per tutti i fini : tutte acconsentirono. Allora dissero restasse prima Assistente col nome di
Vicaria secondo le regole, e si passò alla votazione della seconda Assistente ... (Memoria di
don Domenico Pestarino, éditée dans C. Romero, Costituzioni per l’Istituto delle Figlie di Maria
Ausiliatrice, Rome, LAS, 1983, p. 50.) Selon ce document, fut aussi élue, ce jour là, “per
Vicaria, o Vicesuperiora per quelle del paese, la Maestra Maccagno”. Une solution provisoire,
car la séparation sera rapidement effective
8. “Con le nostre prime sorelle essa ha vissuto in fedeltà creativa il progetto del
Fondatore, dando origine allo “spirito di Momese” che deve caratterizzare anche oggi il volto di
ogni nostra comunità” (Constitutions FMA, art. 2.) Sur “l’esprit de Momese”, voir, ci-dessus,
l’article Filles de Marie auxiliatrice.
9. La deuxième partie de la Semaine de spiritualité salésienne de 1981, qui avait pour
thème La donna nel carisma salesiano (Leumann, 1981, p. 59-172), a été intitulée “Presenza
della Mazzarello nel carisma salesiano”.
10. Relevé par tous les observateurs, entre autres par Margherita Maderni, “Maria
Domenica Mazzarello interpella la donna d’oggi”, dans le recueil cité La donna nel carisma
salesiano, Leumann, 1981, p. 130-134.
11. J. Aubry, Les saints de lafamille, p. 97.
12. “Sì, io vi posso assicurare che l’Istituto avrà un grande avvenire, se vi manterrete
semplici, povere, mortificate.” (Cronistoria, t. 1, p. 306.)
13. J. Aubry, Les saints de lafamille, p. 98.

24.2 Page 232

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386
Méditation
La méditation religieuse
Méditer, c’est réfléchir profondément. Par méditation religieuse, on
entend traditionnellement en Occident un temps de réflexion profonde à objet
religieux. Les moines médiévaux la décrivaient comme une ruminatio ou une
masticatio de la Parole de Dieu. Les modernes se sont mis en quête de techniques
appropriées. A partir du quinzième siècle, avec laDevofto moderna, des méthodes
parfois compliquées ont ainsi été proposées aux chrétiens pour méditer avec fruit.
Puis, pour le commun des hommes, laction charitable parut devoir l’emporter sur
une pratique dont le sens se perdait. Au milieu du vingtième siècle, on ne parlait
plus guère de méditations, souvent dégénérées en promenades mentales peu
rigoureuses, peu efficaces, proches de la rêverie gratuite. La méditation elle-même
était tombée en somnolence. Cest alors que le mot revint dOrient désignant une
toute autre attitude de lesprit.1
La méthode de saint François de Sales
La méditation est une manière de faire oraison, cest-à-dire de prier. Elle
se déroule en présence de Dieu, dont on entend la parole et qui entre ainsi en
colloque avec soi. D’l’importance de la mise en présence de Dieu” pour
l’authentique méditation chrétienne.
Dans lIntroduction à la vie dévote, saint François de Sales a présenté sa
méthode de méditation, qui était simple et brève2. La méditation de saint
François comportait trois parties et une conclusion. La première partie, temps de
préparation, consistait en deux points au minimum : le premier est de se mettre en
présence de Dieu, et le second, d’invoquer son assistance. François alignait
plusieurs moyens élémentaires de mise en présence de Dieu, acte quil jugeait
essentiel à la méditation : considérer que Dieu est en tout, quil est très
particulièrement dans notre coeur, que le Verbe dans son humanité nous regarde
et que le Christ est près de soi (chap. 2). Outre ces deux points ordinaires” de la
préparation, François en signalait un troisième, dit fabrication du lieuou leçon
intérieure”, qui, disait-il, nest pas communà toutes les méditations. H s’agissait
de sinstaller en esprit dans le mystère à méditer, en quelque sorte de s’y
enfermer(chap. 4). Philothée pénétrait ainsi dans la deuxième partie de la
méditation, celle des considérationsde lintelligence, qui en était le corps.
Après laction de l’imagination, écrivait François, sensuit laction de
l’entendement que nous appelions méditation, qui n’est autre chose qu’une ou
plusieurs considérations faites afin desmouvoir nos affections en Dieu et aux
choses divines. François voyait dans ce sens particulier donné à la méditation la
différence entre méditer et étudier (chap. 5). La troisième partie, celle des
affections et résolutions, était amorcée. Le terme daffectiondemande d’être

24.3 Page 233

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387
ici bien compris. La sensibilité, non exclue, n’était pas directement en cause dans
les affections” de François de Sales, mouvements de la volonté dans lesquels
l’esprit se doit épancher”. Pour en donner une idée, il énumérait : l’amour de
Dieu et du prochain, le désir du ciel et de la gloire des élus, le zèle pour le salut
des âmes, limitation du Christ, la compassion, ladmiration ou la réjouissance à le
contempler, etc. Les affections déclenchent des résolutions précises et pratiques.
François insistait sur la nécessité et le caractère concret de ces résolutions (chap.
6). Enfin, il demandait de conclure la méditation par trois actions: l’action de
grâces, laction doffrande et laction de supplication à Dieu de donner sa
bénédiction aux affectionset aux résolutionssuscitées par lexercice (chap. 7).
On ne peut réduire à ces chapitres de lIntroduction lenseignement
salésien sur loraison. D’abord, François y libérait le méditant de toute servilité à
légard de sa méthode (chap. 8). Ensuite, dans lun de ses Entretiens spirituels aux
visitandines, en même temps quil recommandait à ses auditrices de se conformer à
une méthode, il reconnaissait quil y a des âmes lesquelles ne peuvent sarrester ni
occuper leurs esprits sur aucun mystère, estant attirées à certaine simplicité toute
douce qui les tient en grande tranquillité devant Dieu, sans autre considération que
de sçavoir qu’elles sont devant luy et qu’il est tout leur bien3. Et il trouvait cela
très bon. La méditation nest qu’un premier degré de l’oraison, dit en effet le
Traité de l’amour de Dieu (livre VI, chap. 2), avant danalyser les étapes
successives de la contemplation (livre VU). On verra que le recteur Albera ne
comprenait pas autrement la vie mystique.
La méditation salésienne sous les rectorats de don Rua et de don Albera
“Chacun consacrera quotidiennement, outre les prières vocales, au moins
une demi-heure à l’oraison mentale”, lisait-on dans les constitutions salésiennes
approuvées en 18744. Don Bosco ne semble pas s’être beaucoup préoccupé de la
méthode à suivre durant cette demi-heure de méditation. L’exercice était plutôt
pour lui une lecture spirituelle méditée. Il en est allé différemment de ses
successeurs don Rua et don Albera, qui optèrent pour une adaptation salésienne
de la méthode, dite des trois puissances, quIgnace de Loyola recommandait
pendant la première semaine de ses Exercices spirituels. H y invitait le retraitant à
appliquer sa mémoire, son intelligence et sa volonté aux réalités du péché, de la
mort et de l’enfer, liées entre elles et méditées à la lumière de la Croix salvifîque.
Pour le reste, de lintroduction à :1a conclusion, on retrouvait proposé par les
recteurs salésiens aux religieux du temps le schéma de lIntroduction à la vie
dévote de saint François. Au reste, celui-ci connaissait bien cette méthode dite
ignatienne.
Don Rua consacrait à la méditation un sermon particulier Délia
meditazionede ses Exercices spirituels demeurés inédits5. La méditation est
importante, disait-il. Qui ne médite pas ne voit pas, il est donc incapable de voir le
Christ. La méditation nest pas un simple devoir, mais un moyen de progresser en
perfection, de vaincre ses passions” et de résister aux tentations. Comment
organiser le temps de la méditation ? se demandait notre prédicateur. Les
méthodes varient. Certains méditent sans livre, dautres avec un livre. Certains

24.4 Page 234

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388
préparent leur méditation dès le soir précédent, dautres à partir de leur lever. Etc.
Don Rua détaillait sa propre méthode. La méditation comprend trois parties : la
préparation, l’argument et la conclusion. La mise en la présence de Dieu est
essentielle à la préparation. L’argument de la méditation est la partie à laquelle
(doivent) concourir les trois puissances : mémoire, intelligence et volonté”6. La
lecture ne constitue pas en elle-même une méditation. Le méditant consciencieux
sarrête pour appliquer à lui-même les phrases lues ou entendues, relever les
défauts à détester et les vertus à pratiquer. Ni l’esprit ni le coeur ne devraient
paresser durant le temps de méditation. Les instants d’approfondissement suscitenr
des affections, comprises par don Rua à la manière de saint François de Sales.
Quant à la conclusion de la méditation, enseignait-il, elle comprend la résolution et
laction de grâces. Alors oui, on ne perd pas son temps à méditer.
L’ensemble de la méthode devait être enseigné aux jeunes salésiens. Don
Rua recommandait à leurs responsables l’initiation des novices aux affectionset
aux résolutions, en même temps quau recours aux trois puissances dûment
nommées.7
Le manuel Pratiques de piété en usage dans les maisons salésiennes
publié par don Albera en 1916 à lintention à la fois des garçons et des salésiens,
contenait pour les salésiensun article impératif intitulé “Méditation”, qui
appliquait la méthode de don Rua. La méditation communautaire commençait par
une invocation au Saint-Esprit. Puis tombait la consigne très salésienne :
Mettons-nous en la présence de Dieu, demandons-lui pardon de nos péchés et la
grâce de bien faire cette méditation”, suivie dune prière en ce sens. La méditation
lue en communauté devait être divisée en deux ou trois points. Une invitation à
prendre les résolutions convenables et à rendre grâce au Seigneur pour les
lumières” reçues, concluait obligatoirement l’exercice8.
Les recommandations de don Albera
Le même don Albera, dans une lettre circulaire aux prêtres salésiens, a
développé ses idées sur la “méthode pour bien faire oraison9. H sinspirait des
leçons alors courantes des “maîtres de la vie spirituelle.
L’oraison discursive est nécessaire aux commençants, disait-il. Et
combien commencent toute leur vie ! Lâme encore absorbée par les soucis et les
occupations extérieures a besoin de beaucoup de réflexions et de considérations
pour s’élever d’esprit et de coeur jusquà Dieu et déterminer la volonté à prendre
“de saintes et fortes résolutions. Don Albera redoutait les complications.
Peut-être pensait-il aux “préludesignatiens. Divisions et subdivisions, écrivait-il,
entravent l’oeuvre du Saint Esprit, enlèvent à l’âme la liberté de mouvements
nécessaire à son élévation à Dieu10. Toutefois, continuait-il à lintention des
rêveurs, que notre méditation soit active, qu’elle constitue un vrai travail des
puissances de l’âme, qui ne dégénère pas en aride spéculation. Lactivité de
lintelligence doit se limiter aux considérations nécessaires pour susciter dans la
volonté des mouvements surnaturels.

24.5 Page 235

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389
Et il jugeait bon dinciter ses religieux à ne pas se contenter dune oraison
discursive. L’oraison affective et loraison unitive ne sont pas réservées aux
moines et aux cloîtrés. Les interdire aux salésiens serait une erreur. Toute oraison
est d’abord une prière qui fait rejoindre Dieu. Le méditant recherche la fusion avec
Lui. La méditation salésienne est donc dune certaine manière unitive. Certains
estimeront que les salésiens ne doivent pas viser si haut, que don Bosco na pas
voulu cette sorte délévation chez ses fils, lui qui, à l’origine, ne leur imposait
même pas la méditation méthodique communautaire. “Mais je puis vous assurer,
affirmait don Albera, que son désir a toujours été de voir ses fils sélever par la
méditation jusquà cette union intime avec Dieu quil avait réussie en lui-même de
manière si admirable ; il ne se lassa jamais de nous y inciter chaque fois quune
occasion propice se présentait.11
La méditation salésienne à la fin du vingtième siècle
Les leçons de don Rua et de don Albera sur la méditation salésienne,
peut-être trop volontaristes, se sont un peu perdues à mesure que le vingtième
siècle sécoulait.
Le précepte demeurait, bien édicté dans les constitutions rénovées (1982)
des filles de Marie auxiliatrice. La méditation est un temps de dialogue avec le
Christ, disaient-elles justement. Dieu nous a tant aimés qu’il nous a envoyé son
propre Fils, Parole de Vérité et de Vie, qui nous interpelle constamment comme
personnes et comme communautés et exige une réponse concrète. La méditation
est un moment fort de ce dialogue intérieur. Chacune dentre nous le privilégiera
et y consacrera chaque jour une demi-heure. Dans le silence de tout notre être,
comme Marie, la Vierge à l’écoute, nous nous laisserons envahir par la force de
l’Esprit. Lui seul nous rend progressivement conformes au Christ, renforce notre
communion fraternelle et ravive notre élan apostolique.12
Toutefois, désormais, les méthodes de la méditation intéressaient peu. A
lire le Guide de la prière des salésiens, seul le cadre communautaire antérieur
persistait vraiment. “Faire ensemble la méditation et la conclure par une prière de
consécration à Marie” est une caractéristique de la tradition salésienne,
écrivait-il en ouvrant une série de considérations sur la méthode à suivre.13 Ce
colloque avec Dieu suit un itinéraire spécifique, affirmait-il toutefois. Sa structure
ordinaire comprend : une prière d’introduction avec invocation de l’Esprit Saint,
une lecture, une méditation personnelle, une résolution (propositó) et une prière
de conclusion. La première et la dernière de ces parties soulignent la dimension
communautaire de lexercice. (Sous-entendre que la lecture commune nest plus
obligatoire comme ce fut le cas en dautres temps.) Le Guide ajoutait bientôt que
la méditation pouvait être éventuellement constituée par une célébration
communautaire de loffice des Heures, par une célébration de la Parole, par une
récitation des Laudes, coupées par un long temps de réflexion personnelle et aussi
par une célébration analogue de l’eucharistie.
Selon notre Guide, sous sa forme traditionnelle (plusieurs formes sont
proposées) la prière dintroduction à la méditation commence par le signe de la

24.6 Page 236

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390
croix et le Veni, Creator spiritus, que suit la prière : Dieu, toi qui, par le don de
l’Esprit Saint, guides les croyants vers la pleine lumière de la vérité, donne-nous
de recevoir par ton Esprit la véritable sagesse et de bénéficier toujours de son
soutien. Par le Christ, Notre Seigneur. Amen.Quant à la conclusion, elle
consiste, à lire la première formule retenue, en l’élévation : Bienheureux qui
écoute la Parole de Dieu”, avec le répons : ... Et en vit chaque jour, suivi
immédiatement par la prière de consécration à Marie auxiliatrice. Pour nourrir la
méditation, le Guide conseillait de préférence la Sainte Ecriture, dont il dressait
une liste de passages, puis des extraits d’écrits de don Bosco, des constitutions
salésiennes, de Vatican n, de classiques de la spiritualité chrétienne, tels que Jean
de la Croix, Thérèse d’Avila ou saint François de Sales, et aussi des prières que ce
manuel donnait comme adaptées de saint Augustin, de saint Anselme, de saint
Thomas dAquin, du cardinal Newman, de Jean XXIII, de Karl Rahner, de F.
Cromphout et du P Stanislas Lyonnet. On remarquera quil s’agissait toujours de
prières, et non de dissertations spirituelles. Le méditant ne sortait pas du genre
oraison. Et c’était heureux.
Les méditations orientales
Sous l’influence de théories religieuses orientales, dans le dernier tiers du
vingtième siècle, auprès de la conception chrétienne traditionnelle, qui conçoit la
méditation comme un temps d’approfondissement de la vérité révélée sous la
conduite de l’Esprit et à l’aide dexercices spirituels appropriés, des conceptions
plus ou moins différentes se sont de plus en plus affirmées.
Pour leurs tenants, la méditation était un entraînement méthodique à
l’immersion dans le Soi humain. Essayons de comprendre. Il sagisssait 1) d’une
expérience du sens, en soulignant les deux termes dexpérience, qui nest pas
seulement réflexion ou adhésion sans retentissement dans l’existence ; et de sens
de la vie dans sa totalité, donc non pas des seules contingences quotidiennes de
cette vie ; 2) d’exercice et de méthode, l’exercice pouvant être considéré (ainsi
dans quelques écoles du zen) comme le tout de la méditation ; 3) enfin de
dépassement du domaine du Je vers le Soi, de la lettre vers le sens spirituel, et du
on vers la personne même.14 Ainsi comprise, la méditation” est une plongée
directe vers les sources de la pensée et de lêtre, dans le silence, dans le suspens
des facultés, dans les zones subtiles de la conscience.
Mais, d’un point de vue chrétien, la “méditationa alors changé de sens.
H est vrai que certains exercices physiques ou psychophysiques produisent
automatiquement des sensations de quiétude et de détente, des sentiments
gratifiants, voire même des phénomènes de lumière et de chaleur qui ressemblent à
un bien-être spirituel. Des techniques appropriées sont destinées à engendrer des
expériences spirituelles analogues à celles dont parlent les écrits de certains
mystiques catholiques13. Utilisées aux seules fins d’une préparation
psychophysique pour une contemplation réellement chrétienne, ces méthodes sont
très légitimes. Toutefois, il est aisé de glisser subrepticement de la méthode au
contenu de la prière et de tomber ainsi dans une forme de gnose” moderne, qui
confond la connaissance du vrai Dieu et l’illumination de l’esprit recherchée dans

24.7 Page 237

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391
une sorte de Nirvana. Quoi quil en soit, confondre ces exercices avec la
méditation chrétienne proprement dite, qui suppose l’exploration discursive dun
aspect dune réalité divine, philosophique ou personnelle, est une erreur. Le mot a
persisté, mais l’objet a changé.
Certains adeptes des “méditations orientalesvont plus loin et ne
craignent pas de placer labsolu sans images ni concepts, propre à la théorie
bouddhiste, sur le même plan que le Tout-Puissant dans sa majesté, qui sélève,
révélé dans le Christ, au-dessus de la réalité finie. Us nient que les réalités du
monde puissent être une trace qui renvoie à l’infinité de Dieu. En conséquence, ils
proposent dabandonner non seulement la méditation des oeuvres de salut du Dieu
de lAncienne et de la Nouvelle Alliance, mais l’idée même dun Dieu un et trine,
qui est amour, en faveur dune immersion dans l’abîme indéterminé de la divinité.
Cette fois, nous sortons, non seulement de la méditation chrétienne, mais du
christianisme lui-même16.
Revenons à l’essentiel. La vie spirituelle chrétienne est un don de lEsprit,
rappelait alors le recteur Vecchi. H sagit de souvrir à l’écoute, de répondre, de se
laisser occuper, daccueillir. Cest une grâce, dont l’initiative et les possibilités ne
se trouvent pas en nous. Dans certaines formes de la spiritualité orientale, la voie
principale est la prise de conscience de soi, lascèse qui donne confiance en sa
propre capacité et satisfaction pour les succès obtenus, la lutte contre soi-même.
Dans la spiritualité chrétienne, la voie principale est la charité. H sagit de sentir
une présence qui a fait de nous lobjet de sa prédilection, et de répondre avec
amour. Elle se fonde tout entière sur la relation : elle nest pas une lutte contre
soi-même, mais avant tout une lutte pour Dieu.17 Nous retrouvons dans son
authenticité l’oraison salésienne, qui est un colloque avec le Christ..
Notes
1. Brève histoire de la méditation chrétienne depuis la Bible par plusieurs auteurs dans
l’article “Méditation”, Dictionnaire de Spiritualité, t. 10,1980, col. 906-927.
2. Introduction à la vie dévote, deuxième partie, chap. 1-8. Description dans M.
Sauvage, “Méditation dans les écoles de spiritualité”, Dictionnaire de spiritualité, loc. cit., col.
923-924.
3. Entretien XVIII, Oeuvres, t. VI., p. 349-350.
4. “Singulis diebus unusquisque praeter orationes vocales saltem per dimidium horae
orationi mentali vacabit.” (Cap. Pietatis exercitia, art 3.)
5. “Della meditazione”, in M. Rua, Prediche per Esercizi, quad. primo, p. 13-17;
reproduit en FdB 2893 D9 à El.
6 .“La 3a parte è lo svolgim. dell’arg. e questa è la parte a cui devon concorr. le tre
pot mem, intell. e voi. (in che modo).” M. Rua, quaderno cité, p. 15.
7. “Addestri i novizi all’esercizio della memoria, dell’intelletto e della volontà,
proponga i punti da svolgere e suggerisca gli affetti da eccitare e le risoluzioni da prendere”. (M.
Rua, Lettre aux salésiens, 5 août 1900, L.C., p. 213.)
8. Pratiche di pietà in uso nelle case salesiane, Torino, S.E.I, 1921, p. 36-37.
9. P. Albera, “Metodo per far bene l’orazione”, dans.“Don Bosco modello del
Sacerdote Salesiano”, lettre aux prêtres salésiens, 19 mars 1921, L. C. p. 406-408.

24.8 Page 238

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392
10. “Queste cose intralciano l’opera dello Spirito Santo, e tolgono all’anima la libertà
di movimenti che le è necessaria per elevarsi a Dio” (Joc. cit., p. 406).
11. “Qualcuno forse penserà che un Salesiano non debba mirare tant’alto, e che D.
Bosco non abbia voluto questo dai suoi figli, giacché da principio egli non impose loro neanche
la meditazione metodica in comune. Ma io posso assicurarvi che fu sempre suo desiderio di
vedere i suoi figli elevarsi, per mezzo della meditazione a queirintima unione con Dio ch’egli
aveva così mirabilmente attuata in se stesso, e a questo non si stancò mai d’incitarci in ogni
occasione propizia.” (P. Albera, Lettre aux prêtres salésiens, 19 mars 1921, L. C., p. 406-407.)
12. “Dio ci ha tanto amati da mandare il suo Figlio, Parola di Verità e di Vita, che ci
interpella costantemente come persone e come comunità ed esige una risposta concreta.
Momento forte di questo dialogo interiore è la meditazione. Ognuna di noi vi attenderà con
particolare impegno ogni giorno per lo spazio di mezz’ora. Nel silenzio di tutto il nostro essere
come Maria, “la Vergine in ascolto”, ci lasceremo pervadere dalla forza dello Spirito che guida
gradualmente alla configurazione a Cristo, rinsalda la comunione fraterna e ravviva lo slancio
apostolico.” (Constitutions FMA, art. 39.)
13. “Fare la meditazione riuniti insieme e concluderla con una preghiera quotidiana di
consacrazione o affidamento a Maria è caratteristica della tradizione salesiana”. (Zn dialogo con
il Signore. Guida alla comunità salesiana in preghiera, Leumann, Elle Di Ci, 1989, p. 49.)
L’article “La meditazione del salesiano” couvre les p. 49-67.
14. D’après Josef Sudbrack, “La méditation aujourd’hui”, dans le Dictionnaire de
spiritualité, 110, 1980, col. 927-928. Sudbrack est l’auteur de l’ouvrage Méditation : Théorie
und Praxis, Wurtzburg-Stuttgart, 1971.
15. Voir notamment les “faveurs” décrites par Thérèse d’Avila, dans sa Vie écrite par
elle-même. On lit, par exemple, au chapitre X : “L’âme est suspendue de telle sorte qu’elle
semble tout entière hors d’elle-même. La volonté aime. La mémoire me paraît comme perdue.
L’entendement ne discourt pas, à mon avis, mais il ne se perd pas. Cependant, je le répète, il
n’agit pas par voie de raisonnement H est comme épouvanté de ce qu’il voit.”
16. Description des méthodes orientales d’après celle du cardinal Ratzinger, “Quelques
aspects de la méditation chrétienne”, lettre aux évêques, 15 octobre 1989.
17. J. Vecchi, “CG24 et vie consacrée”, conférence de Paris, 27 décembre 1997.

24.9 Page 239

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393
Table des matières
Liminaire
159
Coopérateur salésien
161
Les coopérateurs de don Bosco, 161. - LAssociation Coopé­
rateurs Salésiens, chemin de sainteté, 164. - Notes, 165.
Correction fraternelle
167
La correction fraternelle, 167. - La correction fraternelle ami -
cale, 167. - La correction fraternelle par fonction, 168. - Correction
fraternelle, confession et compte rendu spirituel, 170. - Correction fra -
temelle et révision de vie, 170. - Notes, 172.
Courage
174
Courage égoïste et courage altruiste, 174. - Deux recteurs
courageux : don Rua et don Rinaldi, 174. - La force, don de lEsprit
Saint, 175. - Notes, 176.
Croix
178
La passiondans la spiritualité salésienne, 178. - L’esprit de
sacrifice, 179. - Une spiritualité victimale salésienne, 180. - Notes, 181.
Devoir
183
Les devoirs du chrétien, 183. - Le strict devoir, 184. - Le cré­
puscule du devoir, 185. - Notes, 187.
Dévotion
188
La dévotion selon saint François de Sales, 188. - Les dévo -
tions traditionnelles de la famille salésienne, 188. - La réhabilitation des
dévotions particulières, 190. - Notes, 192.
Dieu
194
Dieu, notre Créateur et notre Père, 194. - La crainte de Dieu
à éprouver, 195. - Servir la gloire de Dieu, 197. - La Parole de Dieu à
dire et à entendre, 198. - La conformité à la volonté de Dieu, 200. -
Notes, 202.
Directeur
206
Le directeur salésien, premier responsable de la communauté,
206. - Le directeur, centre de la communauté religieuse, 207. - La

24.10 Page 240

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394
fonction spirituelle du directeur salésien dans la communauté, 208. - Le
colloque spirituel du directeur avec le religieux, 209. - Notes, 211.
Direction spirituelle
214
La direction spirituelle des adultes dans la famille salésienne,
214. - Essai de définition de la direction spirituelle, 214. - Le style
salésien de la direction spirituelle, 216. - Lobjet de la direction spi -
rituelle, 217. - Les compétences nécessaires au directeur spirituel, 218.
-Notes, 219.
Discipline
222
La discipline selon don Bosco, 222. La discipline religieuse
salésienne, 222. - Notes, 224.
Douceur
226
La douceur exemplaire de saint François de Sales, 226. -
Cette vertu tant agréable à autrui, 226. - Notes, 227.
Education religieuse
229
Léducation religieuse traditionnelle dans le monde salésien,
229. - Lenseignement religieux traditionnel, 229. - La pratique reli -
gieuse traditionnelle, 230. - L’éducation à la foi selon le chapitre -
néral de 1990, 232. - Une question ouverte, 234. - Notes, 234.
Eglise
236
LEglise selon don Bosco, 236. - Les conséquences spirituelles
de cette ecclésiologie, 237. - LEglise de la Charte de Comunion sa -
lésienne (1995), 238. - Les conséquences du nouveau discours sur
lEglise, 239. - Notes, 240.
Engagement social
242
Lengagement social des salésiens, 242. - Laction sociale de
don Bosco, 242. - Lengagement salésien dans un monde nouveau,
243. - L’engagement salésien pour la justice, 244. - L’engagement
social salésien de la fin du vingtième siècle, 245. - Notes, 247.
Espérance
249
Lespérance naturelle au spirituel salésien, 249. - Une con -
fiance joyeuse et génératrice d’initiatives, 250. - Les chemins de les -
pérance, 250. - Notes, 251.
Esprit Saint
252
L’Esprit Saint dans la vie salésienne consacrée, 252. - LEs -
prit Saint chez les coopérateurs salésiens, 254. - Notes, 255.

25 Pages 241-250

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25.1 Page 241

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395
Esprit salésien
257
Le sens de lexpression, 257. - Les exhortations de don Rua et
de don Albera, 257. - L’esprit salésien défini à la fin du vingtième
siiècle, 259. - Notes, 260.
Eucharistie
262
Le Christ eucharistique, centre de la vie spirituelle, 262. - La
rencontre eucharistique de Jésus, 262. - La messe du prêtre salésien
dautrefois, 263. - L’eucharistie, sacrement de lalliance entre Dieu
et lhomme, 264. - Exigences salésiennes d’une spiritualité eucharis -
tique, 265. - Notes, 266.
Examen de conscience
268
Lexamen général, 268. - Lexamen particulier, 269. - L’exa -
men de conscience mensuel, 270. - Les bienfaits dun examen de
conscience sous le regard de Dieu, 271. - Notes, 272.
Exemple
274
L’exemple, valeur incarnée offerte à l’imitation, 274. - Don
Bosco, modèle du salésien et de la salésienne, 275. - Une spiritualité
narrative, 276. - Notes, 277.
Expérience religieuse
279
L’expérience en spiritualité, 279. - Les valeurs de lexpérience
religieuse salésienne, 280. - L’expérience religieuse du coopérateur
salésien, 282. - Notes, 282.
Famille
284
De la famille patriarcale à la famille conjugale, 284. - Une
spiritualité familiale pour les temps nouveaux, 285. - La spiritualité
familiale du Règlement de Vie Apostolique, 286. - Notes, 287.
Famille salésienne
289
La famille salésienne des origines, 289. - La famille salé -
sienne née du chapitre général spécial (1971). - La famille salésienne
au temps de don Viganô, 290. - La Charte de communion (1995),
291.-Notes, 292.
Fête
294
La fête salésienne traditionnelle, 294. - Pour une spiritualité
salésienne de la fête, 295. - Notes, 297.
Filles de Marie auxiliatrice
299
Linstitut des filles de Marie auxiliatrice, 299. - L’esprit de
Momese, 300. - Notes, 302.

25.2 Page 242

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396
Fins dernières
303
La méditation des fins dernières dans l’ancienne tradition sa -
lésienne, 303. - Une mentalité différente, 304. - Je crois à la vie éter -
nelle”, 305. - Notes, 307.
Foi
309
La vraie foiau temps du modernisme, 309. - La vie de foi
selon don Albera (1912), 310. - La vie de foi pour le salésien de la
fin du vingtième siècle, 311.- Notes, 312.
François de Sales
314
La vie de François de Sales, 314. - Les traités de vie spi -
rituelle, 315. - Une méthode spirituelle du quotidien, 317. - François
de Sales, don Bosco et les salésiens, 318. - Notes, 319.
Humanisme
321
L’humanisme dévot de saint François de Sales, 321. - Un
humanisme salésien fondé sur la charité, 322. - L’humanisme salésien
et la femme, 323. - Notes, 324.
Humilité
326
Lhumble société salésienne des origines, 326. - Lhumilité
prêchée aux salésiens par don Rua et don Albera, 326. - Une vertu
de moins en moins célébrée, 328. - L’humilité, vertu salésienne per -
manente, 329. - Notes, 330.
Inculturation
332
Un terme récent et dune précision relative, 332. - Com -
prendre et accueillir les valeurs culturelles, 333. - Inculturation et filles
de Marie auxiliatrice, 335. - Notes, 336.
Jésus Christ
338
Pour don Bosco, le Christ était un maître et un modèle, 338.
- Pour don Bosco, le Christ était source de vie, 339. - Jésus dans les
constitutions salésiennes postconciliaires, 340. - Les icônes salé -
siennesde Jésus à lorée du vingt-et-unième siècle, 342. Notes, 343.
Jeunes
346
La priorité apostolique de don Bosco, 346. - Les pauvres
et les abandonnés, 347. - Les jeunes, garçons et filles, 348. - Spiri -
tualité salésienne de la jeunesse, 349. - Notes, 350.
Joie
352
Joie, gaîté, plaisir et bonheur, 352. - Lajoie dans les consti -
tutions salésiennes, 353. - La “joie parfaitedu salésien, 354. -
Notes, 355.

25.3 Page 243

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397
Laïc
357
Le mot laïc aux origines salésiennes, 357. - La mission dévo -
lue aux laïcs chrétiens, 357. - Don Bosco et la vie spirituelle du laïc,
358. - Laïcs et communautés salésiennes, 360. - Notes, 361.
Lecture spirituelle
363
Les recommandations de saint François de Sales, 363. - La
lectio divina, 364. - Notes, 365.
Liguori, Alphonse de
366
L’influence dAlphonse de Liguori dans la catholicité du
XIXème siècle, 366. - Saint Alphonse et don Bosco, 367. - Notes,
368.
Marie
370
Marie dans le monde de don Bosco, 370. - Marie, immaculée
et auxiliatrice, 370. - Marie, mère puissante, sage et bonne célébrée
par don Rua et don Albera, 372. - Le culte marial salésien à la fin du
vingtième siècle, 373. - Marie auxiliatrice, mère et modèle des salésiennes,
376. - Notes, 377.
Mazzarello, Maria Domenica
379
L’adolescente (1837-1854), 379. - La Fille de lImmaculée
(1854-1872), 380. - La Fille de Marie Auxiliatrice (1872-1881),
382. - Notes, 384.
Méditation
386
La méditation religieuse, 386. - La méthode de saint François
de Sales, 386. - La méditation salésienne sous les rectorats de don
Rua et de don Albera, 387. - Les recommandations de don Albera,
388. - La méditation salésienne à la fin du vingtième siècle, 389. -
Les méditations orientales, 390. - Notes, 391.

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