Sermons, conférences, circulaires...

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II



SERMONS, CONFÉRENCES,
CIRCULAIRES AUX SALÉSIENS
OU AUX SOEURS SALÉSIENNES





Don Bosco a prêché une quantité impressionnante d'exercices spirituels avant tout à ses jeunes, mais aussi à des chrétiens adultes et à ses fils salésiens. Ceux-ci commen­cèrent à faire leurs exercices de façon régulière à partir de 1866 à Trofarello, puis à Lanzo. Le plus souvent, Don Bos­co se chargeait des « instructions » pratiques, laissant à quelque « théologien » le soin de prêcher les « médita­tions ». De ces instructions il nous reste de nombreuses no­tes d'auditeur, mais peu de textes écrits, et le plus souvent ce sont de simples schémas 1. /409/

En revanche les Lettres circulaires envoyées en diverses circonstances à tous les Salésiens ont été entièrement écrites et signées de sa main. Nous les possédons toutes, et le choix sera ici plus facile 2 .

Plus d'une fois, dans ses instructions ou ses « mots du soir », Don Bosco racontait quelque songe qu'il avait eu la nuit ou l'une des nuits précédentes. Quel que soit le juge­ment, nécessairement complexe, que l'on porte sur cet as­pect de la vie du saint, il est indéniable que quelques songes au moins ont un caractère surnaturel (nous avons cité le ré­cit de celui des neuf ans). En tout cas Don Bosco s'en servait pour donner à ses garçons età ses confrères de précieux en­seignements. Les auditeurs ont pris note d'au moins cent cinquante songes ainsi racontés. Par bonheur, outre ceux racontés dans les Mémoires de l'Oratoire, nous en possé­dons dix dont le récit est autographe ou directement contrô­lé et corrigé par Don Bosco (tous prennent place dans les dernières années de sa vie : 1870 à 1887) 3.



Qu'il parle à ses fils ou qu'il leur écrive, Don Bosco se révèle soucieux de sainte efficacité. Il puise aux sources es­sentielles : l'Ecriture, abondamment citée, et les Pères, con­nus à travers ses lectures. Il aime proposer des exemples /410/ concrets. Il insiste sur les vertus quotidiennes. Il fait appel aux responsabilités éducatives et apostoliques. Tout cela est traversé d'une foi jaillissante.

Dans cette série de documents, nous suivrons l'ordre chronologique.



144. On se fait salésien par amour et pour suivre Jésus jusqu'au bout.



Lettre circulaire (9 juin 1867)

A Don Rua et aux autres fils aimés de S. François qui habitent à Turin 4.



Notre Société sera peut-être d'ici peu définitivement approuvée ; aussi aurais-je besoin de parler fréquemment à mes fils bien-aimés. Ne pouvant toujours le faire de vive voix, je tâcherai de le faire au moins sous forme de lettre.

Je commencerai donc à vous dire quelque chose sur le but général de la Société ; une autre fois nous passerons à un entretien sur nos observances particulières.

Le premier objet de notre Société est la sanctification de ses membres. En conséquence chacun en y entrant se /411/ dé­pouille de toute autre pensée, de toute autre préoccupation. Celui qui entrerait pour jouir d'une vie tranquille, pour con­tinuer commodément ses études, pour se libérer de la tutelle de ses parents ou échapper à l'obéissance envers quelque su­périeur, celui-là aurait dévié du vrai but ; ce ne serait plus le Sequere me du Sauveur, puisqu'il rechercherait son profit temporel et non le bien de son âme. Les apôtres furent loués par le Sauveur et eurent la promesse d'un royaume éternel non parce qu'ils abandonnèrent le monde, mais parce qu'en l'abandonnant ils se déclaraient prêts à le suivre dans les tri­bulations, comme il advint réellement, consumant leur vie dans les fatigues, dans les mortifications et les souffrances, et recevant enfin le martyre poùr leur foi.

Il n'entre pas non plus ni ne reste dans la Société avec un but valable celui qui s'est persuadé d'être nécessaire à cette Société. Que chacun se le grave dans l'esprit et dans le coeur : en commençant par le supérieur général jusqu'au dernier des membres, personne n'est nécessaire à notre So­ciété. Dieu seul doit en être le chef, le maître absolument né­cessaire. Les membres doivent donc s'adresser à leur chef, à leur vrai maître, au rémunérateur, à Dieu, et c'est pour son amour que chacun doit se faire inscrire dans la Société, pour son amour qu'il doit travailler, obéir, abandonner ce qu'il possédait dans le monde pour pouvoir dire à la fin de sa vie au Sauveur que nous avons choisi pour modèle : Ecce nos reliquimus omnia et secuti sumus te, quid ergo erit no­bis ? 5.

Quand nous disons que chacun doit entrer dans la Société guidé par le seul désir de servir Dieu de façon plus parfaite et de faire du bien à soi-même, il s'agit du vrai bien /412/ à faire à soi-même, du bien spirituel et éternel. Celui qui cherche une vie commode, une vie aisée, n'entre pas dans notre Société avec un but valable. Nous posons comme base la parole du Sauveur :« Celui qui veut être mon disciple, qu'il aille vendre tout ce qu'il possède dans le monde, qu'il le donne aux pauvres et me suive ». Mais où aller, où le suivre, puisqu'il n'avait même pas un bout de terre où repo­ser sa tête fatiguée ? « Celui qui veut se faire mon disciple, dit-il, qu'il me suive par la prière, par la pénitence, et en particulier qu'il se renie lui-même, qu'il prenne la croix des difficultés quotidiennes et qu'il me suive. Abneget semetip­sum, tollat crucem suam quotidie, et sequatur me ». Mais jusqu'à quand le suivre ? Jusqu'à la mort, et s'il est néces­saire même jusqu'à une mort en croix.

Voilà ce que, dans notre Société, accomplit celui qui use ses forces 6 dans le saint ministère, dans l'enseignement, dans tout autre exercice sacerdotal, jusqu'à une mort même violente en prison, en exil, par le fer ou l'eau ou le feu, jus­qu'à ce que, ayant enduré la souffrance ou la mort avec Jé­sus Christ sur la terre, il puisse aller jouir avec lui dans le ciel. C'est, me semble-t-il, le sens de ces paroles que saint Paul adresse à tous les chrétiens : Qui vult gaudere cum Christo, oportetpati cum Christo 7 ).

Entré avec ces bonnes dispositions, le Salésien doit se montrer sans prétentions et accueillir avec plaisir n'importe quelle fonction qui puisse lui être confiée. Enseignement, /413/ étude, travail, prédication, confession, à l'église, hors de l'église, les occupations les plus humbles doivent être assu­mées avec joie et promptitude, parce que Dieu ne regarde pas à la nature de la tâche, il regarde le but que se propose celui qui l'accomplit. Toutes les tâches donc sont également nobles, parce qu'également méritoires aux yeux de Dieu.

Mes chers fils, ayez confiance en vos supérieurs. Ils doi­vent rendre à Dieu un compte précis de vos oeuvres ; aussi bien ils cherchent à connaître vos capacités, vos inclina­tions, et ils en disposent en tenant compte de vos forces, toujours en cherchant ce qui sert à la plus grande gloire de Dieu et au bien des âmes.-

Oh ! si nos frères entrent dans la Société avec ces dispo­sitions, nos maisons deviendront certainement un vrai para­dis terrestre. Il règnera la paix et la concorde entre les membres de chaque famille ; la charité sera l'attitude quoti­dienne de ceux qui commandent, l'obéissance et le respect précéderont les interventions, les aeuvres et même les pen­sées des supérieurs. On aura en somme une famille de frères rassemblés autour de leur père pour promouvoir la gloire de Dieu sur terre et pour aller ensuite un jour l'aimer et le bénir dans l'immense gloire des bienheureux dans le ciel.

Que Dieu vous comble, avec vos fatigues, de bénédic­tions et que la grâce du Seigneur sanctifie vos actions et vous aide à persévérer dans le bien.

Votre très affectioné en J.C.

Gio. Bosco, prêtre.

Turin, 9 juin 1867. Jour de Pentecôte.

(Epist. I, 473-475)

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145. Comment le Salésien doit prier chaque jour Prédication de retraite (1868, notes d'auditeur) 8

J'aurais voulu ces jours-ci vous parler également des pratiques de piété de notre maison, mais je vois que le temps nous a manqué. Il y a eu beaucoup à dire sur les voeux et la vie religieuse. Je vous dirai cependant certaines choses. Les pratiques quotidiennes sont la méditation, la lecture spiri­tuelle, la visite au très saint Sacrement et l'examen de con­science.

La méditation est l'oraison mentale. Nostra conversatio in coelis est, dit saint Paul. On pourrait la faire de la maniè­re suivante. Choisir le sujet que l'on veut méditer, en se met­tant d'abord en présence de Dieu. Réfléchir ensuite attenti­vement à ce que nous méditons et nous appliquer ce qui nous convient. Passer à la conclusion en décidant d'aban­donner certains défauts et de nous exercer à certaines vertus, pour ensuite mettre en pratique au long du jour ce que nous avons résolu le matin. Nous devons aussi nous exciter à des élans d'amour, de reconnaissance et d'humilité envers Dieu ; lui demander toutes les grâces dont nous avons be­soin et lui demander avec des larmes le pardon de nos pé­chés. Rappelons-nous toujours que Dieu est père et que nous sommes ses fils... Je vous recommande donc l'oraison mentale 9. /415/

Celui qui ne pourrait pas faire de méditation méthodi­que, à cause de. voyages, d'emploi ou d'affaires qui ne souffrent pas d'être différées, fera au moins la méditation que j'appelle des marchands. Ils pensent toujours à leurs né­goces, en quelque lieu qu'ils se trouvent. Ils pensent à l'achat des marchandises, à leur revente avec profit, aux pertes qu'ils pourraient faire, à celles qu'ils ont faites et aux moyens de les résorber, aux gains réalisés et à ceux plus im­portants qu'ils pourraient réussir, et ainsi de suite... 10.

Une telle méditation est aussi un examen de conscience. Le soir, avant de nous coucher, examinons si nous avons mis en pratique les résolutions que nous avons prises sur tel défaut déterminé : si nous sommes en profit ou si nous som­mes en perte. Que ce soit une manière de bilan spirituel. Si nous constatons avoir manqué aux résolutions, reprenons­les pour le lendemain jusqu'à ce que nous soyons parvenus à acquérir cette vertu et à extirper ou à fuir ce vice ou ce défaut.

Je vous recommande aussi la visite au très saint Sacre­ment. « Le très doux Seigneur Jésus Christ est là en person­ne », s'écriait le curé d'Ars. Qu'on aille au pied du taber­nacle simplement pour dire un Pater, un Ave et un Gloria, quand on ne peut pas faire plus. Cela suffit à nous rendre forts contre les tentations. Celui qui a la foi, qui visite Jésus /416/ au saint Sacrement, qui fait sa méditation tous les jours, à condition qu'il ne la fasse pas dans un but tout humain, ah, je le dis, il est impossible qu'il pèche.

Je recommande aussi la lecture spirituelle, surtout à ce­lui qui ne serait pas capable de méditer sans livre. Pour cela, lire un passage, réfléchir à ce qui a été lu, pour savoir ce que nous devons corriger dans notre conduite. Cela servira aussi à accroître toujours plus notre amour du Seigneur et à re­prendre souffle pour sauver notre âme 11(8).

Celui qui le peut fera la lecture et la visite en commun, celui qui ne le peut pas les fera en privé. On peut aussi faire sa méditation dans sa chambre.

Rappelez-vous que chacun est aussi tenu par les règles à réciter chaque jour son chapelet. Quelle grande reconnais­sance nous devons manifester envers Marie et que de grâces elle nous tient préparées ! 12.

Confessez-vous tous les huit jours, même quand vous n'avez rien de grave sur la conscience. C'est un acte d'humi­lité des plus agréables au Seigneur, soit parce que nous y re­nouvelons notre contrition pour des péchés déjà pardonnés, soit parce que nous reconnaissons notre propre indignité à travers les défauts, même légers, dans lesquels on tombe chaque jour (...)

(MB IX, 355-356)

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146. Aux premiers missionnaires : « Cherchez les âmes »



Le soir du 11 novembre 1875, une grandiose célébration avait lieu dans l'église Marie-Auxiliatrice de Valdocco, celle du départ des dix premiers missionnaires salésiens (six prêtres et quatre coad­juteurs) pour l Argentine. De la main de Don Bosco, chacun d'eux reçut un feuillet où étaient imprimés des « souvenirs ». On y retrouve bon nombre des préoccupations majeures du saint 13.

1. Cherchez les âmes, et non l'argent ni les honneurs ni les dignités.

2. Usez de charité et d'extrême courtoisie avec tous ; mais fuyez les conversations et la familiarité avec les person­nes de l'autre sexe ou d'une conduite suspecte.

3. Ne faites de visites que pour des motifs de charité et de nécessité.

4. N'acceptez jamais d'invitation à dîner, sauf pour des motifs très graves. En ce cas, faites en sorte d'être deux.

5. Prenez un soin spécial des malades, des enfants, des vieillards et des pauvres, et vous gagnerez la bénédiction de Dieu et la bienveillance des hommes. /418/

6. Soyez respectueux envers toutes les autorités civiles, religieuses, municipales et gouvernementales.

7. Quand vous rencontrerez un représentant de l'autori­té, saluez-le avec empressement et respect.

8. Faites de même pour les membres du clergé ou des congrégations religieuses.

9. Fuyez l'oisiveté et les contestations. Grande sobriété dans les aliments, la boisson et le repos.

10. Aimez, révérez, respectez les autres ordres religieux et parlez-en toujours bien. C'est le moyen de vous faire esti­mer de tous et de travailler au bien de notre Congrégation.

11. Ayez soin de votre santé. Travaillez, mais seulement dans la mesure de vos forces.

12. Faites que le monde sache que vous êtes pauvres dans vos habits, votre nourriture, vos habitations, et vous serez riches devant Dieu, et vous conquerrez le coeur des hommes.

13. Aimez-vous, conseillez-vous, corrigez-vous les uns les autres, mais n'ayez jamais ni envie ni rancune. Bien plus, que le bien de l'un soit le bien de tous ; que les peines et les souffrances de l'un deviennent les peines et les souffrances de tous, et que chacun s'efforce de les éloigner ou au moins de les adoucir.

14. Observez vos Règles, et n'oubliez jamais l'exercice mensuel de la bonne mort. (Amen).

15. Chaque matin recommandez à Dieu les occupations de la journée, spécialement les confessions, les classes, les catéchismes et les prédications.

16. Recommandez constamment la dévotion à Marie Auxiliatrice et à Jésus au très saint Sacrement.

17. Aux jeunes gens recommandez la confession et la communion fréquentes. /419/

18. Pour la culture des vocations ecclésiastiques incul­quez : 1) l'amour de la chasteté, 2) l'horreur du vice con­traire, 3) la fuite des mauvais compagnons, 4) la commu­nion fréquente, 5) témoignez aux jeunes gens une charité qui s'accompagne de marques d'affection (amorevolezza) et de bienveillance particulières. (Amen).

19. Dans le cas de contestation, qu'on écoute les deux parties avant de juger.

20. Dans les fatigues et les souffrances, qu'on n'oublie pas que nous avons une grande récompense qui nous est pré­parée dans le ciel. Amen.



Au chef de l'expédition missionnaire, Don Cagliero (futur car­dinal), Don Bosco remit, à la veille de l'embarquement à Gênes, une autre série plus spéciale de recommandations, parmi lesquelles les suivantes :



... 8. Que personne ne chante l'éloge de ce qu'il sait ou de ce qu'il fait ; passant à la pratique, que chacun fasse ce dont il est capable sans ostentation.

... Faites ce que vous pouvez : Dieu fera ce que nous ne pouvons pas faire. Confiez-vous en toute chose à Jésus Christ au très saint Sacrement et à Marie-Auxiliatrice, et vous verrez ce que sont les miracles.

Je vous accompagne de mes prières, et chaque matin je me souviendrai de vous tous à la sainte messe. Que Dieu vous bénisse où que vous alliez. Priez pour moi et pour vo­tre mère la Congrégation. Amen.

Gio Bosco, prêtre.

Sampierdarena (Gênes), 13 nov. 1875.

(MB XI, 394-395)

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147. « A César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu »



Deux interventions au chapitre général (sept.-oct. 1877)

Les Constitutions approuvées en 1874 stipulaient que la Con­grégation devrait tenir un chapitre général tous les trois ans. Le premier de son histoire se réunit donc en 1877, après une sérieuse préparation. Par deux fois au cours de ce chapitre, Don Bosco sai­sit l'occasion de préciser sa pensée sur un point délicat, celui de la participation ou non des Salésiens aux luttes politiques 14. Du­rant la quatrième assemblée générale, le 7 septembre 1877, il fit l'intervention suivante.

(...) Il me semble pouvoir dire que si on nous a laissé tra­vailler, c'est précisément parce que notre Congrégation est totalement étrangère à la politique. Plus encore, j'aurais même voulu insérer dans nos Constitutions un article qui nous interdise de nous mêler de quelque façon que ce soit de politique, et cet article figurait dans les projets manus­crits 15 ; mais quand nos Règles furent présentées à Rome /421/ et que la Congrégation fut approuvée pour la première fois, il fut supprimé par la commission chargée de l'examen de nos Règles. Quand ensuite en 1870, il fut question d'ap­prouver définitivement la Congrégation et qu'on dut envo­yer de nouveau nos Règles à l'examen, comme si rien ne s'était passé précédemment j'insérai de nouveau cet article où l'on disait qu'il était interdit aux membres de la Société d'entrer dans les discussions politiques : on me le supprima de nouveau. Moi qui étais persuadé de l'importance de ce problème, quand en 1874 il fut question d'approuver cette fois un par un les articles des Constitutions, pour leur der­nière et définitive approbation, en présentant les Règles à la Sacrée Congrégation des Evêques et Réguliers j'insérai une nouvelle fois l'article incriminé, et de nouveau on me le supprima. Mais cette fois la suppression était motivée et l'on m'écrivit :« C'est la troisième fois que cet article est supprimé. Bien qu'en général il semble qu'on pourrait l'ad­mettre, toutefois à notre époque il arrive parfois qu'on doi­ve en conscience entrer dans la politique, car souvent les choses politiques sont inséparables de la religion. On ne peut donc approuver que les bons catholiques en soient ex­clus ». Ainsi l'article en question fut-il définitivement sup­primé. En cas d'utilité et de réelle convenance, nous pour­rons discuter de l'attitude à prendre ; mais en dehors de ces cas, tenons-nous en toujours au principe général de ne pas nous immiscer dans les choses politiques, et cela nous servi­ra immensément 16. /422/



Don Bosco fit une deuxième intervention au cours de la 24e as­semblée générale, le 4 octobre 1877, au sujet du Bulletin Salésien. Cette fois il explicita très clairement sa pensée :

(...) Notre but est de faire savoir qu'il est possible de donner à César ce qui est à César sans jamais compromettre personne. Cela ne nous empêche nullement de donner à Dieu ce qui est à Dieu. A notre époque, on dit que c'est un problème. Pour ma part, j'ajouterai, si on me le permet, que c'est peut-être le plus grand des problèmes, mais qu'il a déjà été résolu par notre divin sauveur Jésus Christ. Il est vrai que la pratique fait surgir de sérieuses difficultés. Que l'on cherche donc à les dénouer, non seulement sans toucher au principe mais avec des raisonnements, des preuves et des démonstrations en dépendance du principe et qui l'expli­quent. Ma grande idée est la suivante : rechercher le moyen pratique de donner à César ce qui est à César en même temps que l'on donne à Dieu ce qui est à Dieu.

- Mais, dit-on, le gouvernement soutient les plus grands scélérats et on défend parfois de fausses doctrines et /423/ des principes erronés. - Eh bien, nous dirons, quant à nous, que le Seigneur nous ordonne d'obéir à nos supérieurs etiam discolis 17(14) et de les respecter, tant qu'ils ne nous or­donnent pas des choses directement mauvaises. Et, quand bien même ils nous commanderaient des choses mauvaises, nous les respecterions. On ne fera pas telle chose, qui est mauvaise, mais l'on continuera de rendre hommage à l'au­torité de César. Comme dit justement saint Paul, que l'on obéisse à l'autorité, parce qu'elle porte l'épée.

Nul n'ignore les mauvaises conditions où se trouvent de nos jours l'Eglise et la religion. Je crois que, depuis saint Pierre jusqu'à nous, il n'y eut jamais de temps aussi diffici­les. L'art est raffiné et les moyens sont immenses. Les persé­cutions de Julien l'Apostat elles-mêmes n'étaient pas aussi hypocrites et dangereuses. Et alors ? Et alors, nous recher­cherons la légalité en toutes choses. Si l'on nous impose des taxes, nous les paierons ; si l'on n'admet plus de propriétés collectives, nous en aurons d'individuelles ; si l'on requiert des examens, on s'y soumettra ; des patentes ou des diplô­mes, on s'attachera à les obtenir. Ainsi, nous progresserons.

- Mais cela réclame de la fatigue et de l'argent, cela crée des ennuis. - Aucun d'entre vous ne peut le voir comme je le vois. Et encore, je ne vous dis rien de la majeure partie de mes embarras, pour ne pas vous épouvanter. Je transpire et travaille tout le jour pour voir comment les réduire et obvier à leurs inconvénients. Et puis, il faut avoir de la patience, savoir supporter, et, au lieu de remplir l'air de lamentations et de pleurnicheries, travailler à perdre le souffle pour que les choses progressent correctement. /424/

Voilà ce que j'entends faire savoir petit à petit et de fa­çon pratique avec le Bollettino Salesiano. Ce principe, avec la grâce de Dieu et sans multiplier les affirmations directes, nous le ferons prévaloir et il sera la source d'immenses biens tant pour la société civile que pour la société ecclésiastique.

(Archives 046, Cahiers Barberis 1, pp. 53-55 ; et 3, pp. 42­44. VoirMB XIII, 265 et 288).



148. Un songe : saint François de Sales vient conseil­ler Don Bosco 18



Peu après il se produisit une pluie de petites flammes brillantes qui semblaient de feu de diverses couleurs. Vint un coup de tonnerre, puis le ciel redevint serein, et je me trouvai dans un jardin merveilleux. Un homme qui avait le visage de saint François de Sales m'offrit un petit livre sans m'adresser la parole. Je lui demandai qui il était. - Lis dans le livre, me répondit-il. J'ouvris le livre :j'avais de la peine à lire. Je pus toutefois relever ces paroles précises :

Aux novices : Obéissance et diligence en toute chose. Par l'obéissance ils mériteront les bénédictions du Seigneur et la bienveillance des hommes. Par la diligence ils combat­tront et vaincront les embûches des ennemis spirituels. /425/

Auxprofès : Garder jalousement la vertu de la chasteté. Aimer le bon renom des confrères et promouvoir l'honneur de la Congrégation.

Aux directeurs : Soins et fatigues pour observer et faire observer les règles par lesquelles chacun s'est consacré à Dieu.

Au supérieur : Holocauste absolu pour gagner soi-même et ses disciples à Dieu.

Bien d'autres choses étaient imprimées dans ce livre, mais il me fut impossible de les lire parce que le papier m'apparut bleu de la même couleur que l'encre.

- Qui êtes-vous ? demandai-je de nouveau à cet hom­me qui me fixait d'un regard serein.

- Mon nom est connu de tous les bons, et je suis envoyé pour te communiquer certaines choses futures.

- Lesquelles ?

- Celles déjà exposées et celles que tu demanderas.

- Que dois-je faire pour promouvoir les vocations ?

- Les Salésiens auront de nombreuses vocations grâce à leur vie exemplaire, en traitant les élèves avec une extrême charité et en insistant sur la communion fréquente.

- Quelle règle suivre dans l'acceptation des novices ?

- Exclure les paresseux et les gourmands.

- Et dans l'acceptation aux vœux ?

- Vérifier s'il y a garantie pour la chasteté.

- Comment faire pour conserver encore mieux le bon esprit dans nos maisons ?

- Tâche des supérieurs principaux : avec grande fré­quence écrire, visiter, recevoir, traiter avec bienveillance.

- Quelle règle suivre pour les missions ?

- Y envoyer des confrères moralement sûrs ; faire reve­nir ceux qui inspirent quelque doute sérieux ; chercher et cultiver les vocations indigènes. /426/

- Notre Congrégation marche-t-elle bien ?

- Qui justus est justificetur adhuc. Non progredi est retrogredi. Qui perseveraverit salvus erit 19(16).

- S'étendra-t-elle beaucoup ?

- Tant que les supérieurs feront leur partie, elle croîtra, et personne ne pourra arrêter sa propagation.

- Durera-t-elle longtemps ?

- Votre Congrégation durera tant que ses membres ai­meront le travail et la tempérance. Si vient à manquer l'une de ces deux colonnes, votre édifice tombera en ruines, écra­sant supérieurs et inférieurs et ceux qui les suivent 20.

A ce moment apparurent quatre individus portant un cercueil : ils s'avançaient vers moi. Pour qui est cela ? dis-je.

Pour toi.

- Dans peu de temps ?

- Ne le demande pas. Pense seulement que tu es mortel.

- Que voulez-vous me signifier avec ce cercueil ?

- Que tu dois faire pratiquer pendant ta vie ce que tu désires que tes fils mettent en pratique après ta mort. - Voilà l'héritage, le testament que tu dois laisser à tes fils ; mais tu dois le préparer et le laisser bien achevé et bien prati­qué. /427/

- Nous sont préparées des fleurs ou des épines ?

- Vous sont préparées beaucoup de roses, beaucoup de consolation ; mais sont imminentes des épines très acérées qui apporteront à tous une très profonde amertume et une grande douleur. Il faut beaucoup prier.

- Devons-nous aller à Rome ?

- Oui, mais doucement ! Avec la plus grande prudence et avec des précautions raffinées.

- La fin de ma vie mortelle est-elle imminente ?

- Ne te préoccupe pas de cela. Tu as les règles, tu as les livres, fais ce que tu enseignes aux autres. Sois vigilant.

Je voulais faire d'autres demandes, mais un coup de ton­nerre éclata sourdement, suivi d'éclairs et de foudre, tandis que des hommes ou pour mieux dire des monstres horribles s'élançaient sur moi pour me mettre en pièces. A cet instant une noire obscurité m'empêcha de plus rien voir. Je croyais être mort, et je me mis à crier comme un furieux. Je me ré­veillai et me trouvai encore vivant. Il était 4 heures 3/4 du matin.

Si en tout cela il peut y avoir quelque chose de profitable pour nous, acceptons-le. Qu'en toute chose honneur et gloi­re soient donnés à Dieu pour les siècles des siècles 21.

(Archives 132, Songes 4).

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149. Porter sa croix allègrement et par amour



Dernière conférence aux Soeurs salésiennes (23 août 1885)

La dernière rencontre entre Don Bosco et les Filles de Marie­Auxiliatrice eut lieu le 23 août 1885 à Nizza Monferrato, à la clô­ture des exercices spirituels auxquels avaient participé quelque trois cents d'entre elles. Après la cérémonie de la vêture et de la profession, au cours de laquelle il avait béni les crucifix, bien que très fatigué, il consentit à leur faire une brève et ultime causerie. Nous la reproduisons ici presque en entier, selon les notes des au­ditrices, qui, on le comprend, écoutèrent ces paroles avec une at­tention redoublée par l'émotion 22.



Je vois que vous êtes encore jeunes et je désire que vous puissiez devenir vieilles, mais sans les inconvénients de la vieillesse. J'ai lontemps cru qu'on pouvait devenir vieux sans avoir tant d'incommodités ; mais il est trop clair que cet âge ne va pas sans elles. Les années passent, et les infir­mités de la vieillesse arrivent. Prenons-les comme notre croix.

Ce matin, j'ai eu le plaisir de distribuer des croix, et j'au­rais désiré en distribuer beaucoup d'autres encore ; mais quelques-unes l'ont déjà, d'autres la recevront plus tard. Je vous recommande d'accepter toutes de la porter volontiers, et de ne pas vouloir porter la croix que nous voulons, nous, mais celle que veut pour nous la sainte volonté de Dieu ; et /429/ de la porter allègrement, en pensant que comme passent les années passe aussi la croix. Disons donc : « Oh croix bénie ! Maintenant tu pèses un peu, mais ce temps sera court, et cet­te croix sera celle qui nous fera gagner une couronne de ro­ses pour l'éternité ! ». Cela, tenez-le bien présent dans votre esprit et dans votre coeur, et dites souvent avec saint Augus­tin : « Oh sainte croix, qu'importe que je sue à te porter ici sur terre, pourvu qu'après t'avoir portée je parvienne à la gloire ! » Oui, mes filles, portons la croix avec amour, et ne la faisons pas peser sur les autres, au contraire aidons les autres à porter la leur. Dites-vous à vous-mêmes : « Certes, je suis une croix pour les autres comme les autres souvent sont une croix pour moi ; mais je veux porter ma croix sans être une croix pour les autres ».

Notez bien qu'en parlant de croix, je ne parle pas seule­ ment de cette croix légère que j'ai distribuée ce matin ; je parle bel et bien de cette croix envoyée par le Seigneur et qui, généralement, contrarie notre volonté. Elle ne manque jamais dans notre vie, spécialement pour vous, maîtresses et directrices qui êtes particulièrement chargées aussi du salut d'autrui. « Cette épreuve, ce travail, cette maladie, bien que légère, mais qui constitue aussi une croix, je veux la porter allègrement et volontiers, parce qu'elle est la croix que m'envoie le Seigneur ».

Quelquefois on travaille beaucoup sans réussir à conten­ter beaucoup les autres. Mais travaillez toujours pour la gloire de Dieu, et portez toujours bien votre croix, car c'est cela qui plaît au Seigneur. C'est vrai, il y aura des épines, mais des épines qui se changeront en fleurs, et celles-ci dure­ront toute l'éternité.

Mais, me direz-vous :« Don Bosco, laissez-nous un sou­venir ! » Quel souvenir pourrais-je vous laisser ? Voici : je vous en laisserai un qui pourrait être aussi le dernier que vous recevez de moi. Il est possible que nous nous revoyions /430/ encore ; mais, comme vous voyez, je suis vieux, je suis mor­tel comme tout le monde, et donc je ne pourrai durer encore longtemps. Je vous laisserai donc un souvenir que vous ne vous repentirez jamais d'avoir mis en pratique : faites du bien, faites des bonnes oeuvres, fatiguez-vous, travaillez beaucoup pour le Seigneur, et toutes avec bonne volonté. Oh ! Ne perdez pas de temps, faites du bien, faites-en telle­ment ! Vous ne vous repentirez jamais de l'avoir fait.

Voulez-vous un autre souvenir ? La pratique de la sainte règle ! Mettez-la en pratique, votre règle, et je vous répète encore que ne vous en repentirez jamais...

Soyez joyeuses, mes chères filles, soyez saines et saintes, et marchez toujours d'accord entre vous. Et ici, je devrais recommencer mon discours, mais je suis déjà fatigué et vous devrez vous contenter de ce peu.

Quand vous écrirez à vos parents, saluez-les tous de la part de Don Bosco. Dites-leur que Don Bosco prie toujours et de façon spéciale pour eux, pour que le Seigneur les bénis­se, fasse prospérer leurs intérêts, et qu'ils se sauvent pour pouvoir un jour retrouver dans le ciel les filles qu'ils ont données à ma Congrégation, chère autant que celle des Salé­siens à Jésus et à Marie...

Recevez maintenant ma bénédiction et celle de Marie Auxiliatrice. Je vous la-donne pour que vous puissiez tenir les promesses que vous avez faites en ces jours des saints exercices spirituels.

(MB XVII, 555-556).



150. Consignes aux directeurs salésiens



Ce texte a son histoire, et elle manifeste que Don Bosco lui a accordé une très grande importance. Il fut d'abord remis sous /431/ for­me de lettre privée à Don Rua, chargé à vingt-six ans de diriger le premier institut salésien fondé hors de Turin, à Mirabello (1863, voir MB VII, 524-526, et Epist I, 288-290). Par la suite il fut quel­que peu retouché et enrichi de deux nouvelles séries de conseils : Don Bosco le fit régulièrement envoyer, copié à la main (1871, 1876) ou lithographié (1875, 1886) aux directeurs des diverses mai­sons qu'il fondait. Il contient de nombreux avis de pédagogie salé­sienne. Nous ne le citons donc pas en entier, mais seulement dans les parties qui présentent un intérêt spirituel ; et nous choisissons la dernière édition, envoyée pour le « 45e anniversaire de la fonda­tion de l'Oratoire », 8 décembre 1886 23.

Souvenirs confidentiels au directeur de la maison de...

(I) Avec toi-même

1) Que rien ne te trouble 24.

2) Evite les austérités dans la nourriture. Mortifie-toi par l'accomplissement diligent de ton devoir et le support /432/ des désagréments d'autrui. Tu prendras chaque nuit sept heures de sommeil. Pour des motifs raisonnables, une mar­ge d'une heure en plus ou en moins est prévue pour toi et pour les autres ; ce qui est utile à ta santé et à celle de tes su­bordonnés 25 .

3) Célèbre la sainte messe et récite ton bréviaire « avec piété, attention et dévotion », ceci pour toi et tes subordon­nés.

4) Ne manque jamais de faire chaque matin ta médita­tion et, au cours de la journée, une visite au très saint Sacre­ment. Le reste conformément aux règles de la Société.

5) Tâche de te faire aimer plutôt que de te faire crain­dre 26. Que la charité et la patience t'accompagnent tou­jours dans tes ordres et tes corrections ; et fais en sorte que chacun reconnaisse à tes actes et à tes paroles que tu recher­ches le bien des âmes. Tolère n'importe quoi quand il s'agit de mettre obstacle au péché. Que tes préoccupations soient centrées sur le bien spirituel, corporel et intellectuel des en­fants que la divine Providence t'a confiés. /433/

6) Dans les questions particulièrement importantes, élè­ve toujours rapidement ton coeur vers Dieu avant de prendre une décision. Quand l'on te fait un rapport, écoute tout, mais veille à bien éclaircir les faits et à entendre les deux par­ties avant de juger. Fréquemment certaines choses semblent des poutres au premier abord ; elles ne sont que paille.



(II) A vec les professeurs



1) Veille à ce que rien de nécessaire ne manque aux pro­fesseurs en fait de nourriture et de vêtement. Tiens compte de leurs fatigues et, s'ils sont malades ou simplement incom­modés, envoie sans tarder un remplaçant dans leur classe.

2) Parle-leur souvent, en privé ou en groupe ; vois s'ils ne sont pas surchargés d'occupations, s'ils ne leur manque ni vêtements ni livres, s'ils éprouvent quelque souffrance physique ou morale, si, dans leur classe, ils n'ont pas d'élè­ves qui auraient besoin de réprimande ou d'attention spé­ciale pour la discipline, pour le mode et le degré de l'ensei­gnement. Une nécessité est-elle reconnue, fais ce que tu peux pour y pourvoir (...)



(V) A vec les jeunes élèves

... 2) Aie le souci de te faire connaître des élèves et de les connaître en passant avec eux tout le temps possible. Tu chercheras à leur glisser dans l'oreille les mots affectueux que tu sais bien, au fur et à mesure que tu en découvriras la nécessité. C'est le grand secret qui te rendra maître de leurs coeurs (...)



(VI) Avec les personnes du dehors

... 3) Que la charité et la courtoisie soient les qualités spécifiques d'un directeur, à l'égard des personnes de la maison comme de l'extérieur. /434/

4) S'il s'élève des différends sur des affaires matérielles, fais le plus de concessions possible, même à ton détriment, pour ôter tout prétexte aux procès et autres choses sembla­bles qui peuvent détruire la charité.

5) S'il s'agit d'affaires spirituelles, qu'on résolve tou­jours les différends de manière qu'ils puissent servir à la plus grande gloire de Dieu. Engagements, obstination, es­prit de vengeance, amour-propre, bonnes raisons, préten­tions, l'honneur même, tout doit être sacrifié pour éviter le péché.

6) Dans les affaires de grande importance, il est bon de solliciter un délai pour prier et demander conseil à des per­sonnes pieuses et prudentes.



(VII) A vec ceux de la Société

1) L'observance exacte des règles, spécialement celles sur l'obéissance, est la base de tout. Mais si tu veux que les autres t'obéissent, sois toi-même obéissant à tes supérieurs. Nul n'est apte à commander s'il n'est capable d'obéir.

2) Aie le souci de tout répartir de manière que nul ne soit surchargé d'occupations ; mais fais en sorte que chacun remplisse fidèlement celles qui lui sont confiées (...)

4) Aie en horreur comme le poison les changements dans les règles. Leur observance exacte est préférable à n'importe quelle variation. Le mieux est l'ennemi du bien 27.

5) L'étude, la vie et l'expérience m'ont fait connaître et toucher du doigt que la gourmandise, l'intérêt et la vaine /435/ gloire furent la ruine de congrégations très florissantes et de respectables ordres religieux. Les années t'apprendront à toi aussi des vérités qui aujourd'hui te semblent incroyables.

6) Très grande sollicitude pour encourager, par la parole et par les actes, la vie commune.



(VIII) Le commandement

1) Ne commande jamais ni ce qui te semble dépasser les forces de tes subalternes, ni ce en quoi tu penses ne pas de­voir être obéi. Tâche d'éviter les ordres déplaisants ; au contraire aie le plus grand souci de favoriser les inclinations individuelles, en confiant de préférence à chacun les charges que tu sais être particulièrement de son goût 28(25).

2) N'ordonne jamais rien qui nuise à la santé, qui em­pêche de prendre le repos indispensable ou qui contredise, soit d'autres tâches, soit les prescriptions d'un autre supé­rieur.

3) Quand tu donnes des ordres, use toujours de paroles et de procédés charitables et doux. Que tes paroles et tes ac­tes ignorent les menaces, les colères et à plus forte raison les violences.

4) Dans l'obligation d'ordonner à un subalterne des cho­ses difficiles ou déplaisantes, on dit par exemple : « Pour­rais-tu faire ceci ou cela ? » Ou bien :« J'ai quelque chose d'important dont je ne voudrais pas te charger parce qu'elle est difficile ; mais je n'ai personne capable de l'accomplir /436/ aussi bien que toi. Aurais-tu le temps, la santé ; n'as-tu pas d'autre occupation qui te l'interdise ? » L'expérience a ap­pris que de tels procédés, employés en temps utile, sont très efficaces.

5) Il faut économiser en tout, mais absolument de telle sorte que les malades ne manquent de rien. Que, d'autre part, on fasse remarquer à tous que nous avons fait voeu de pauvreté et que, par conséquent, nous ne devons en rien re­chercher ni même désirer l'aisance. Nous devons aimer la pauvreté et les compagnons de la pauvreté. Il faut pour cela éviter toute dépense non absolument nécessaire dans les vê­tements, les livres, le mobilier, les voyages, etc.

Cet écrit est une manière de testament que j'envoie aux directeurs des maisons particulières. Si ces avis sont mis en pratique, je meurs tranquille car je suis sûr que notre Société sera toujours plus florissante au regard des hommes et bénie par le Seigneur, et qu'elle atteindra son but, c'est-à-dire la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes.

Votre très affectionné en Jésus-Christ Jean Bosco, prêtre

Turin 1886, fête de l'Immaculée Conception de Marie, 45e anniversaire de la fondation de l'Oratoire.

(Archives 131.02 ; éd. Desramaut, pp. 171-183).



/437/

1 Le manuscrit le plus intéressant est un grand cahier de 14 pages inti­tulé Esercizi di Trofarello 1869, qui contient le canevas de dix instructions, surtout sur les vaeux (y sont déjà présentes les réflexions qui seront expo­sées six ans plus tard dans l'Introduction aux Constitutions), puis le cane­vas de trois autres instructions de 1870, semble-t-il (Archives 132, E 4 ; voir MB X, 985-994).

2 Les circulaires de Don Bosco aux maisons salésiennes furent pu­bliées en 1896 par les soins de Don P. Albera, alors directeur spirituel de la Société : Lettere circolari di Don Bosco e di Don Rua ed altri loro scritti ai Salesiani, Turin. En fait ce recueil est incomplet : manquent neuf circulai­res antérieures à 1876 (voir MB X, 1095-1110). Mais Don Ceria les a pu­bliées toutes dans les quatres volumes de l'Epistolario : une vingtaine. Il faut mettre à part les circulaires et recommandations envoyées spéciale­ment aux directeurs des maisons.

3 Soeur Cecilia Romero les a publiés en édition critique : I Sogni di Don Bosco, edizione critica. Présentation de P. Stella, LDC, Turin 1978, p. 112. Sur le phénomène des songes de Don Bosco, voir les réflexions de E. Ceria, MB XVII, 7-13 ; Don Bosco con Dio, Colle Don Bosco 1947, chap. XVII ; et de P. Stella, Don Bosco nella storia II, 507-569.


4 L'autographe porte la date du 24 mai. Mais Don Bosco en ayant fait faire plusieurs copies, changea lui-même la date et précisa l'adresse :« A Don Rua etc. - A Don Bonetti et à mes fils habitant à Mirabello. A Don Lemoyne et à mes fils habitant Lanzo ». Et en post-scriptum après sa signature :« Que le directeur en fasse la lecture et explique s'il en est besoin ». C'est l'un des écrits où se perçoivent le mieux l'humilité du servi­teur et sa loyauté à accepter les fatigues et sacrifices du service. Texte publié en MB VIII, 828-830, et en Ceria, Epistolario I, 473-475.

5 « Voilà que nous avons tout quitté et t'avons suivi : qu'en sera-t-il donc pour nous ? » (Mt 19, 27).


6 « User ses forces » dans le travail apostolique jusqu'à la mort qui fait passer dans la gloire : telle est la traduction salésienne des grands thè­mes évangéliques de la suite du Christ et de la croix à porter chaque jour.

7 « Celui qui veut partager la joie du Christ, il faut qu'il partage sa souffrance ». La phrase précise de saint Paul est : « Si nous mourons avec le Christ nous vivrons aussi avec lui » (2 Tim 2, 11 ; voir Rom 6, 8).


8 Notes d'auditeur durant les exercices spirituels à Trofarello, le 26 septembre 1868. C'est un passage de la prédication de conclusion. Exceptionnellement (pour la troisième fois), nous transcrivons ici un texte qui n'est pas mot pour mot celui de Don Bosco. Mais Don Lemoyne, qui l'a publié en MB IX, 355-356, nous assure de son anthenticité substantielle.

9 L'oraison mentale a donc un double aspect, une double fonction, selon Don Bosco. Elle est contemplative et unitive, suscitant les « élans d'amour » d'un fils envers son père. Elle vise aussi la conversion pratique, préparant l'effort spirituel et moral de la journée, objet de l'examen de conscience de chaque soir.

10 Passage des plus intéressants pour saisir l'esprit de Don Bosco. Il recommande instamment la fidélité à la demi-heure de méditation explicite, sans toutefois en faire un absolu. Elle peut changer de forme et se diffuser à travers la journée entière : le Salésien zélé, tout préoccupé de « gagner des âmes » dans ce saint commerce du salut, trouve en permanence des occa­sions de penser à Dieu, et de s'entretenir avec lui. C'est l'« esprit de prière », la vraie « piété » salésienne : « Dans l'idée de Don Bosco, la piété est la disposition à éviter l'offense de Dieu, même légère, et à faire toute chose pour le Seigneur » (E. Ceria, Annali della Società Salesiana, Turin 1941, 1, 726).


11 La lecture spirituelle est ici conçue comme un prolongement ou mê­me une modalité de la méditation. Elle en a les deux caractéristiques : con­templative (accroître l'amour) et ascétique (corriger notre conduite).

12 Remarquons que l'examen de conscience du soir, la visite au saint Sacrement, un peu de lecture spirituelle et le chapelet étaient les pratiques quotidiennes recommandées alors aux bons chrétiens, et plus encore aux garçons des maisons salésiennes (voir P. Stella, Don Bosco nella storia II, 283-285).

13 De ces souvenirs nous avons la minute autographe dans les derniè­res pages d'un petit agenda utilisé par Don Bosco entre les années 1874 et 1878 (pp. 71-77). Il est étrange de les trouver là, écrits au crayon (mais en­suite corrigés à la plume), mêlés à des adresses de bienfaiteurs, à des listes d'élèves, à des pro-memoria les plus variés... Relevons quelques détails in­téressants : un titre Aux argentins, ensuite barré ; et surtout il semble bien que ces souvenirs aient été écrits en trois vagues : les avis 1-14, à la fin des­quels Don Bosco écrivit Amen ; puis les avis 15-18, en un premier temps numérotés 1-4 et terminés par un nouvel Amen, ensuite barré ; enfin les deux derniers. L'explication semble la suivante : Don Bosco les écrivit dans les conditions précaires d'un voyage en train. Nous citons cette minute (Archives 132, Cahiers-Carnets 5; voir MB XI, 389-390 ; et Epist. lI, 516­517).


14 Les deux interventions que nous citons ont été insérées dans les procès-verbaux des séances du chapitre, rédigées par le premier secrétaire Don G. Barberis (Archives, Cahiers Barberis 1, pp. 53-55 ; et 3, pp. 42­44).

15 En effet, dans le texte présenté en 1864, à la fin du chapitre I But de la Société, après l'article 6 sur l'apostolat de la presse, venait un article 7 ainsi rédigé : « Mais un principe admis et qui sera inaltérablement pratiqué est que tous les membres de cette société se maintiendront rigoureusement étrangers à tout ce qui regarde la politique. En conséquence ni par la parole ni par des écrits ou des livres ni par la presse ils ne prendront jamais part à des discussions qui, même indirectement, pourraient être compromettantes sur le plan politique »(MB V Il, 874).

16 Pour interpréter correctement cette prise de position de Don Bosco et la réaction de Rome, aussi têtus l'un que l'autre, il faut se souvenir du climat politique de l'Italie en ces années du Risorgimento, et en particulier après la prise de Rome en 1870, par l'armée de Garibaldi. Dans les milieux catholiques, faire de la politique signifiait alors s'opposer globalement par la parole et les actes aux autorités manifestement anticléricales. Or Don Bosco, comme on le voit par ces interventions, évitait de heurter de front l'adversaire : il voulait à tout prix s'assurer la liberté de travailler ouverte­ ment pour la jeunesse pauvre ; et d'autre part il avait, sur les événements, des idées à la fois fermes et conciliantes, inspirées par l'Evangile : sans jamais sacrifier la vérité ni son adhéïion au Pape et aux évêques, il promou­vait une attitude de loyauté civique et il agissait sur les personnes au pou­voir pour les incliner vers des décisions non hostiles et même pour les invi­ter à la conversion spirituelle ! Il s'était décidé à cette attitude étant encore jeune prêtre, lors des soubresauts de 1848, ainsi qu'il le confia un jour à l'évêque de Crémone, Mons. Bonomelli :« Je me suis aperçu en 1848, que, si je voulais faire un peu de bien, je devais m'abstenir de toute politique ». Mais pour mieux éclairer encore le sens de cette abstention, rappelons que Don Bosco accepta une tâche de médiation entre le nouvel Etat italien et le Saint Siège à propos des évêques. Sur Don Bosco et la politique, voir E. Ceria, MB XVIII, 10-13 (bonne synthèse) ; P. Stella, Don Bosco nella storia II, 73-95 ; F. Desramaut, Don Bosco et la vie spirituelle, 30-31 et 50­52 ; R. Aubert, Le pontificat de Pie IX, 2e éd. Paris 1963, 98-100 ; enfin G. Spalla, Don Bosco e il suo ambiente sociopolitico, LDC, Turin 1975.

17 Don Bosco fait allusion au texte de saint Pierre : « Serviteurs, so­yez soumis avec une profonde crainte à vos maïtres, non seulement aux bons et aux doux, mais aussi aux acariâtres »(1 P 2, 18). Le texte de saint Paul évoqué immédiatement après est Rom. 13, 4.


18 De ce songe nous possédons la minute de Don Bosco : six pages intitulées : 9 mai 1879. Choses futures. Le récit est divisé en deux parties, avec les titres respectifs : Pour les vocations (pp. 1-2). Pour la Congréga­tion (pp. 2-6). Nous citons seulement cette deuxième partie (Archives, 132, Songes 4; texte en MB XIV, 123-125 avec des inexactitudes, et en C. Romero, I sogni di Don Bosco, edizione critica, 1978, pp. 55-57). Sur les songes de Don Bosco, voir la note donnée à propos du premier songe de neuf ans, p. 65.

19 « Que le juste pratique encore la justice » (Apoc 22, 11). « Ne pas avancer, c'est reculer ». - « Celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé » (Mi 10, ?2 ; 24, 13).

20 Dans un songe précédent raconté à la fin des exercices spirituels de septembre 1876 à Lanzo, un mystérieux personnage avait déjà fait voir à Don Bosco l'expansion merveilleuse de sa congrégation et lui avait dit :« Il faut que tu fasses imprimer ces paroles qui seront comme votre devise, vo­tre mot d'ordre, votre emblème. Note-les bien : Travail et tempérance fe­ront fleurir la Congrégation salésienne. Ces paroles, tu les feras expliquer, tu tes répéteras, tu insisteras. Tu feras imprimer un manuel qui les explique et fasse bien comprendre que le travail et la tempérance sont l'héritage que tu laisses à la Congrégation et en seront en même temps la gloire » (MB XII, 466 ; notes de Don Lemoyne).


21 Ce songe donne une idée du type d'enseignements, souvent mêlés à des annonces prophétiques, que Don Bosco tirait de ses songes. On pourra lire le récit de trois autres songes fameux dont nous possédons les autogra­phes : Le jardin salésien, dialogue avec Dominique Savio, Lanzo, 6 dé­cembre 1876 (MB XII, 586-595, et P. Stella, Don Bosco nella storia II, 508-526), Songe des dix diamants, San Benigno, 10 septembre 1881 (MB XV, 385-394, et P. Stella, ibidem 526-532), Voyage en Amérique du Sud avec le jeune Louis Colle, Turin, 29 août 1883 (MB XVI, 385-394). Texte des trois songes en C. Romero, I sogni di Don Bosco, 37-44 ; 59-71 ; 79-93. Célèbre aussi est le songe raconté dans la lettre envoyée de Rome à ses garçons de Turin le 10 mai 1884 (MB XVII, 107-114) ; Epïst.IV, 261­269 ; voir P. Stella, ibidem 467-469).

22 Le contenu de cette conférence, disons plutôt causerie très familiè­re, donnée par Don Bosco vingt-neuf mois avant sa mort, nous invite à la citer, même s'il ne l'a pas écrite. Nous la possédons sous la forme de notes de diverses auditrices, légèrement divergentes entre elles. Nous citons la version la plus plausible, éditée par Don Ceria en MB XVII, 555-556 (une copie de notes existe dans nos archives, 112 Prédications; d'autres aux Archives générales des Filles de Marie-Auxiliatrice à Rome).


23 La lettre autographe envoyée à Don Rua (qui la garda sous les yeux accrochée au mur de sa chambre) se trouve actuellement au musée Don Bosco de Valdocco. Autres manuscrits avec postilles et ajouts de Don Bosco et exemplaires lithographiés aux Archives 131.02. Texte de 1871 imprimé en MB X, 1040-1046. Texte de 1886 traduit en français par le P. F. Desramaut en Saint Jean Bosco, Textes pédagogiques, éd. du Soleil Levant, Namur 1958, pp. 171-183 (nous utilisons cette traduction). Le document de 1886, envoyé le 8 décembre a pour titre : Etrenne de Noël : Souvenirs confidentiels au directeur de la maison de..., et il est divisé en huit petits chapitres où Don Bosco donne au directeur des règles pour ses relations avec diverses catégories de personnes, à commencer par lui-même.

24 C'est la célèbre maxime de la grande sainte Thérèse (Oeuvres com­plètes, Seuil 1949, p. 1564), inspirée de l'évangile : « Que votre cceur ne se trouble pas » (Jn 14, 1.27). Mais Don Bosco l'avait reçue de son maître et confesseur Don Cafasso : « Lui était familière la maxime de sainte Thé­rèse : Que rien ne te trouble » (G. Bosco, Biografia del sacerdote G. Caf­fasso, Turin 1860, p. 82). Le directeur salésien n'est qu'un serviteur aux mains de Dieu : la patience et l'espérance sont au fond de son coeur et à la base de ses comportements.

25 L'ascèse salésienne est celle du zèle infatigable et de l'accueil des difficultés quotidiennes. Don Bosco, qui ne s'accordait à lui-même que cinq heures de sommeil (voir sa septième résolution d'ordination) en accor­dait six à Don Rua et sept à ses autres fils. Et toujours il s'est montré sou­cieux de leur santé, nécessaire à leur tâche. Dans son Testament spirituel (1884) il écrira encore :« Que le Recteur majeur (mon successeur) lise et mette en pratique les avis que j'envoyais d'habitude à tous les directeurs de nouvelles maisons, spécialement en ce qui concerne le temps nécessaire au repos et la nourriture » (p. 42).

26 Dans la lettre à Don Rua et dans les copies de 1871 et de 1875, on lit :«... te faire aimer avant de te faire craindre »; et dans la copie corri­gée de 1876 : « ... si tu veux te faire craindre »(expression employée par deux fois dans le petit Traité sur le système préventif de 1877). Dans ces cas, amour et crainte sont hiérarchiquement juxtaposés ; dans la rédaction définitive, l'amour a absorbé la crainte.


27 Cette maxime était chère à Don Bosco. Non pas qu'il refusât de chercher le mieux : sa pratique prouve le contraire. Mais en homme réalis­te, il savait qu'il est plus efficace d'accomplir le « bien » aujourd'hui pos­sible que de rêver un « mieux » hypothétique. Vouloir modifier les règles pourrait être un prétexte à ne pas les pratiquer.

28 Recommandation typique. Don Bosco a insisté énormément sur l'obéissance. Mais en homme ici encore réaliste, il sait fort bien qu'un apô­tre ou un éducateur est plus efficient quand il peut mettre en valeur ses aspi­rations et ses capacités : il demande donc au directeur d'en tenir compte. Et il n'est pas dit qu'on ait toujours à contrecarrer ses aspirations pour obéir de façon valide.