Récit graphique sur le jeune Magone Michel

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Récit biographique
sur le jeune
Magone Michel
élève de l'Oratoire
St-François-de-Sales 1





CHRONOLOGIE

1845Naissance de Michel (19 sept.) à Carmagnola, petite vil­le au sud de Turin.

1857 Mort de Dominique Savio (9 mars). En octobre Michel, alors orphelin de père, rencontre Don Bosco à la gare de Carmagnola. Il entre à l'Oratoire de Turin, et suit les cours des deux premières années de latin.

1858 Janvier : Michel est devenu exemplaire (18 février-16 avril : voyage de Don -Bosco à Rome). Mai : mois de Marie particulièrement fervent. Sept.- oct. : camp de va­cances aux Becchi. Octobre : Michel entre en troisième année de latin.

1859Maladie grave (19 janvier) et mort (21 janvier).

1861Première édition de sa biographie (septembre). /171/





42. Préface. Un autre type de sainteté

Mes chers garçons,... En lisant la vie de Dominique Sa­vio, vous voyez la vertu naître avec lui et se développer jus­qu'à l'héroïsme au long de toute sa vie terrestre.

Dans celle de Magone, nous voyons un enfant qui, laissé à lui-même, risquait de s'engager sur le lamentable sentier du péché. Mais le Seigneur lui proposa de le suivre. Il enten­dit cet appel d'amour et répondit avec persévérance à la grâ­ce divine, au point de faire l'admiration de ceux qui le con­naissaient, manifestant ainsi combien merveilleux sont les effets de cette grâce en ceux qui s'appliquent à y corres­pondre.

Vous trouverez ici quelques- actions à admirer et un grand nombre à imiter ; vous rencontrerez aussi certains traits vertueux, certaines paroles qui semblent dépasser les possibilités d'un enfant de quatorze ans. Mais c'est bien parce qu'elles sortent du commun que ces choses-là m'ont paru dignes d'être écrites.

D'autre part, tous les lecteurs sont assurés de la vérité des faits rapportés ; car je me suis contenté de présenter et de coordonner dans un récit suivi des événements qui se dé­roulèrent sous les yeux d'une multitude de personnes encore vivantes et qu'il est toujours possible d'interroger sur ce qui est ici avancé. /172/

J'ai augmenté cette troisième édition de plusieurs faits qui m'étaient demeurés inconnus quand fut composée la première ; d'autres faits sont maintenant mieux expliqués par des détails spéciaux dont j'ai eu ensuite connaissance grâce aux sources sûres que j'ai pu atteindre...

(éd. Caviglia, 201-202)



43. Un brave garçon sur le chemin de la délin­quance2



Chap. II« Le jeune Michel Magone, m'écrivait­il, est un pauvre garçon qui a perdu son père. Sa mère, de­vant assurer le pain de sa famille, ne peut le surveiller ; c'est pourquoi il passe son temps avec les gamins sur la rue et les places publiques. Il a une intelligence peu ordinaire. Mais son inconstance et son étourderie l'ont fait renvoyer plu­sieurs fois de l'école. Il a pourtant assez bien suivi la troisiè­me élémentaire.

« Côté moralité, je crois qu'il a bon fond et des moeurs simples ; mais il se domine difficilement. En classe et au ca­téchisme, c'est un perturbateur universel ; quand il est ab­sent, tout est en paix ; et quand il s'en va, c'est un bienfait pour tous._

« Son âge, sa pauvreté, son caractère, son intelligence le rendent digne de toutes les attentions charitables. Il est né le 19 septembre 1845 ». /173/

Me fondant sur ces renseignements, je décidai de l'ad­mettre parmi les garçons de cette maison...

(éd. Caviglia, 205)



44. Premier pas vers la conversion : s'ouvrir au confesseur



Chap. III. - Notre Michel était à l'Oratoire depuis un mois, et il demandait à chacune de ses occupations de l'aider à passer son temps. Il était heureux à condition d'avoir tout loisir de sauter et de s'amuser sans songer que la vraie joie doit naître de la paix du coeur et de la tranquillité de l'âme. Et voici qu'à l'improviste sa fièvre du jeu se prit à baisser. Il devenait légèrement pensif et ne se mêlait plus aux jeux sans y avoir été d'abord invité. Le camarade à qui Don Bosco l'avait confié s'en aperçut 3...

Son ami le suivit et quand il l'eut rattrapé :

- Mon cher Magone, lui dit-il, pourquoi t'enfuir ? Dis­moi ton chagrin. Qui sait si je ne pourrai pas t'indiquer le moyen de le soulager ?

- Tu as raison, mais je suis dans un fameux pétrin.

- Quel que soit ton pétrin, tu as le moyen de t'en tirer. /174/

- Mais comment pourrai-je vivre en paix avec l'impres­sion d'avoir mille diables au corps ?

- Ne t'affole pas. Va trouver le confesseur, ouvre lui ta conscience. Il te donnera tous les conseils nécessaires. Quand nous avons des ennuis, nous faisons toujours comme cela. Et c'est pourquoi nous sommes toujours joyeux.

- C'est bien, mais... mais...

Ce disant il se mit à pleurer. Plusieurs jours passèrent encore, et sa mélancolie se transforma en tristesse. Jouer lui pesait ; sur ses lèvres plus de rire ; fréquemment, alors que ses camarades étaient tout entiers à la récréation, lui se reti­rait dans un coin pour songer, réfléchir et parfois pleurer.

Je me tenais au courant de son évolution. Un jour, je le fis donc appeler pour lui parler :

- Mon cher Magone, j'aimerais que tu me fasses un plaisir ; mais je ne voudrais pas que tu refuses.

- Dites-le, répondit-il hardiment, dites-le, je suis prêt à faire tout ce que vous me commanderez.

- J'aimerais que tu me laisses un instant maître de ton coeur, et que tu m'expliques la raison de cette mélancolie qui te tourmente depuis quelques jours.

- Oui, c'est vrai ce que vous me dites, mais... mais je suis désespéré et je ne sais que faire...

Sur ces paroles, il éclata en sanglots. Je le laissai se cal­mer un peu. Puis d'un ton plaisant, je lui dis :

- Comment ! C'est toi le général Michel Magone, le chef de toute la bande de Carmagnola ? Quel général tu fais ! Tu n'es plus capable de trouver tes mots pour dire ce qui tourmente ton âme

- Je voudrais bien, mais je ne sais pas par quel bout commencer. Je n'arrive pas à m'exprimer.

- Dis-moi un seul mot, le reste je le dirai moi-même.

- J'ai la conscience embrouillée. /175/

- Ça suffit ; j'ai tout compris. J'avais besoin que tu me dises ce mot pour pouvoir te dire le reste. Pour l'instant, je ne veux pas entrer dans tes affaires de conscience. Je vais seulement t'expliquer comment tout mettre en ordre. Ecou­te donc. Si tes problèmes de conscience ont été réglés dans le passé, prépare-toi simplement à une bonne confession dans laquelle tu exposeras le mal que tu as fait depuis la dernière fois que tu t'es confessé. Si, par peur ou pour une raison quelconque, tu as caché quelque chose dans tes confessions, ou bien si tu crois que l'une d'entre elles a manqué d'une condition indispensable, reprends ton aveu depuis le temps où ta confession fut certainement bonne, et dis tout ce qui pourrait te charger la conscience.

- Voilà bien le difficle. Comment pourrais-je me rap­peler tout ce qui m'est arrivé depuis des années en arrière ?

- Tu peux tout arranger et c'est très facile. Dis seule­ment à ton confesseur que tu as quelque chose à reprendre dans ta vie passée ; à partir de là, il passera en revue toutes tes petites affaires, en sorte qu'il ne te restera plus qu'à ré­pondre oui ou non, et combien de fois telle ou telle chose t'est arrivée 4. /176/



Chap. IV. - Magone consacra cette journée à se prépa­rer en examinant sa conscience. Mais il lui tenait tellement à coeur d'arranger les affaires de son âme qu'il ne voulut pas se coucher sans s'être d'abord confessé. « Le Seigneur, di­sait-il, m'a longuement attendu, c'est sûr ; mais, qu'il veuil­le encore m'attendre jusqu'à demain, c'est moins sûr ! Donc, si je puis me confesser ce soir, je ne dois pas attendre davantage. Et puis, il est temps d'en finir avec le démon ». Il se confessa donc avec une vive émotion et interrompit plu­sieurs fois son aveu pour donner libre cours à ses larmes....

... L'obéissance au confesseur est le moyen le plus effi­cace pour nous libérer des scrupules et persévérer dans la grâce de Dieu.

(éd. Caviglia, 207-209)



45. Confiance absolue dans le confesseur, fidélité au guide spirituel.



Chap. V. - Un mot à la jeunesse. Les inquiétudes et les angoisses du jeune Magone d'une part, et la manière fran­che et résolue avec laquelle il mit ordre aux affaires de son âme d'autre part, me fournissent l'occasion de vous donner, à vous, mes très chers garçóns, quelques conseils qui me semblent devoir être très utiles à vos âmes. Recevez-les en gage de l'affection d'un ami qui désire ardemment votre sa­lut éternel...

Don Bosco recommande avec insistance la sincérité et l'intégri­té de l'accusation en confession. Elles sont liées à la confiance qu'il faut accorder au ministre du Christ. /177/

Rappelez-vous, mes garçons, que le confesseur est un pè­re qui désire ardemment vous faire tout le bien possible et qui cherche à éloigner de vous le mal sous toutes ses formes. Ne craignez pas de perdre son estime en accusant des choses graves ; ne craignez pas non plus qu'il les révèle à d'autres... Au contraire, je puis vous certifier, que, plus vous serez sin­cère et plus vous aurez confiance en lui, plus de son côté sa confiance en vous augmentera ; et il sera toujours plus en mesure de vous donner les conseils et les avis qui lui semble­ront particulièrement nécessaires et adaptés à vos âmes...

Allez trouver fréquemment votre confesseur, priez pour lui, suivez ses conseils. Et, quand vous aurez choisi un con­fesseur qui, selon vous, répond aux besoins de votre âme, n'en changez plus sans nécessité. Tant que vous n'aurez pas de -confesseur stable en qui vous ayez pleine confiance, il vous manquera l'ami de votre âme 5. Confiez-vous aussi aux prières de votre confesseur qui chaque jour pendant la sainte messe prie pour ses pénitents afin que Dieu leur ac­corde de faire de bonnes confessions et pour qu'ils puissent persévérer dans le bien. Vous-mêmes, priez aussi pour lui.



Directives aux confesseurs de jeunes

Au cas où ce texte viendrait à tomber sous les yeux de quelqu'un chargé par la Divine Providence d'entendre les confessions des jeunes, je lui demanderais humblement, /178/ sans insister sur beaucoup d'autres points, de me permettre de lui dire avec la déférence qui convient : 6

1) Accueillez avec douceur toutes les catégories de péni­tents, mais surtout les enfants. Aidez-les à ouvrir leur con­science ; insistez pour qu'ils viennent fréquemment se con­fesser. C'est le moyen le plus sûr de les maintenir loin du péché. Déployez tout votre savoir faire pour qu'ils mettent en pratique les avis que vous leur suggérez afin de prévenir les rechutes. Reprenez-les avec bonté, mais ne les grondez jamais ; si vous les grondez ils ne reviendront plus vous trouver, ou bien ils tairont ce qui leur a valu d'être par vous durement réprimandés.

2) Quand vous aurez leur confiance, cherchez prudem­ment à savoir si les confessions antérieures ont été bien fai­tes...

(éd. Caviglia, 211-212)



46. Avril-Mai 1858. Marie maîtresse de sagesse et de pureté.



Chap. VIII. - Sa dévotion envers la Vierge Marie. Il faut le dire, la dévotion envers la Bienheureuse Vierge est le soutien 7de tout vrai chrétien. Mais elle l'est de façon par­ticulière pour la jeunesse. Car c'est en son nom que /179/ parle le Saint-Esprit : Si quis est parvulus, veniat ad me.

Notre Magone n'ignora pas cette importante vérité ; et voici de quelle manière providentielle il perçut son exhorta­tion. On lui fit un jour cadeau d'une image de la Sainte Vierge au bas de laquelle était écrit Venite, filü, audite me, timorem Domini docebo vos ; c'est-à-dire : « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la sainte crainte de Dieu. » Cette invitation lui donna sérieusement à penser ; et il écrivit une lettre à son directeur dans laquelle il disait que la Sainte Vierge lui avait fait entendre sa voix, qu'elle l'invi­tait à devenir meilleur et qu'elle voulait elle-même lui enseigner la manière de craindre Dieu, de l'aimer et de le servir 8.

Il se mit alors à s'imposer des « sacrifices » qu'il prati­quait scrupuleusement en l'honneur de celle qu'il commença d'honorer sous les titres de Mère céleste, divine maîtresse, bergère compatissante...

Avant de se mettre à étudier et à écrire au dortoir ou en classe, il tirait d'un livre une image de Marie, qui portait en marge ce vers : Virgo parens, studiis semper adesto meis. « Vierge Mère, assistez-moi toujours dans maes études ».

Il se recommandait régulièrement à Elle au début de ses /180/ travaux scolaires. « Moi, disait-il fréquemment, quand je rencontre une difficulté dans mes études, je recours à ma di­vine Maîtresse, et Elle m'explique tout ». L'un de ses amis le félicitait un jour de la bonne réussite de sa composition. « Ce n'est pas moi que tu dois féliciter, répondit-il, mais Marie qui m'a mis dans la tête bien des choses que seul j'au­rais ignorées. »

Pour avoir sans cesse près de lui un objet qui lui rappelât la protection de Marie dans ses occupations ordinaires, il écrivait partout où il pouvait : Sedes Sapientiae, ora pro me. « O Marie, Siège de la Sagesse, priez pour moi ». Si bien que, sur tous ses livres, sur la couverture de ses cahiers, sur sa table, sur les bancs, sur son pupitre, et partout où il pouvait écrire à l'encre ou au crayon, on lisait : Sedes Sa­pientiae, ora pro me.

Au mois de mai de cette année 1858, il résolut de faire tout ce qu'il pourrait en l'honneur de Marie... 9



(éd. Caviglia, 217)

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47. Une exquise bonté de coeur envers les camarades et envers Don Bosco



Chap. X. - Beaux traits de charité 10. Magone joi­gnait à un esprit de foi vive, de ferveur, de dévotion envers la Bienheureuse Vierge Marie, la charité la plus industrieuse envers ses camarades. Il savait que l'exercice de cette vertu est le moyen le plus efficace pour accroître en nous l'amour de Dieu. Il mettait cette règle en pratique avec doigté dans les plus petites occasions. Il prenait part aux récréations avec'un entrain tel qu'il ne savait plus s'il était au ciel ou sur terre. Mais, s'il lui arrivait de voir un camarade en peine de jouer lui-même, il lui cédait immédiatement son jeu, bien­heureux de poursuivre autrement sa récréation. Je l'ai vu plusieurs fois cesser de jouer avec des balles ou des boules, pour les donner à d'autres ; ou bien descendre de ses échas­ses pour y laisser monter un camarade, qu'il aidait genti­ment et qu'il guidait pour rendre lie jeu plus agréable et en écarter du même coup tout danger. 11. /182/

S'il découvrait un camarade dans la peine, il s'en ap­prochait, le prenait par la main, le caressait, lui racontait mille historiettes. Puis, s'il parvenait à connaître la raison de son chagrin, il tâchait de le réconforter de ses bons con­seils ; il lui servait éventuellement d'intermédiaire auprès de ses supérieurs ou de quiconque pouvait le consoler.

Quand il pouvait donner une explication à quelqu'un, l'aider d'une manière ou d'une autre, lui porter de l'eau, lui faire son lit, c'était pour lui des occasions de grandes joies. Pendant un hiver, un camarade souffrant d'engelures ne pouvait ni jouer, ni travailler comme il l'aurait voulu. De grand coeur, Magone prenait note pour lui du devoir donné en classe, et il le recopiait au propre pour le professeur. Il l'aidait encore à s'habiller, faisait son lit, et il finit par lui donner ses propres gants pour lui permettre de se garantir parfaitement du froid. A son âge, qu'est-ce qu'un garçon aurait pu faire de plus ?

De caractère bouillant, il se laissait facilement emporter par des accès de colère incontrôlés ; mais il suffisait de lui dire :« Magone, que fais-tu ? C'est ainsi que se venge un chrétien ? » Il n'en fallait pas davantage pour le calmer et l'humilier au point qu'il allait lui-même présenter ses excu­ses à son camarade, en le priant de lui pardonner et de ne pas tirer scandale de sa vilaine colère.

Mais si, dans les premiers mois qui suivirent son entrée à l'Oratoire, il eut souvent besoin d'être rappelé à l'ordre pour ses accès de colère, il parvint en peu de temps à force de bonne volonté à se maîtriser lui-même et à créer la paix entre ses propres camarades...

Il donnait de bonne grâce des leçons de catéchisme ; il se prêtait très volontiers au service des malades, et, en cas de nécessité, il demandait avec insistance de passer même les nuits auprès d'eux...



(éd. Caviglia, 221-222)

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Chap. XIIPour ses bienfaiteurs, il était d'une extrême sensibilité. Si je ne craignais d'importuner le lec­teur, je transcrirais quelques-unes des nombreuses lettres et des nombreux billets qu'il m'écrivit pour exprimer sa recon­naissance de l'avoir accueilli dans cette maison...

Souvent il me prenait affectueusement la main, me re­gardait les yeux embués de larmes et me disait :« Je ne sais comment exprimer ma reconnaissance pour la grande chari­té que vous avez eue pour moi en m'acceptant à l'Oratoire. Je tâcherai de vous récompenser par ma bonne conduite, et en priant Dieu de vous bénir, vous et vos fatigues » 12. Il parlait volontiers de ses maîtres, des personnes qui l'avaient envoyé chez nous ou qui lui venaient en aide de quelque fa­çon ; mais c'était toujours avec respect, sans jamais rougir d'avouer, d'une part sa pauvreté, et de l'autre sa reconnais­sance. On l'entendit dire plusieurs fois : « Je regrette de n'avoir pas le moyen de prouver ma gratitude comme je le voudrais ; mais je sais le bien qu'ils me font - je ne suis pas prêt d'oublier mes bienfaiteurs - et, tant que je vivrai, je ne cesserai de prier Dieu qu'il leur donne à tous une large ré­compense. »



(éd. Caviglia, 227-228)



48. 21 janvier 1859. La mort : « un joyeux sommeil, qui introduit dans une éternité de bonheur » 13

Michel a dû s'aliter le 19 janvier. La maladie s'aggrave /184/ subite­ment. Le vendredi 21 on appelle le médecin. Michel se confesse pour la dernière fois.



Chap. XIVIl se prépara pendant quelques minutes et se confessa. Ensuite, l'air calme, il dit en riant en présence de sa mère et de moi-même : « Qui sait si ma confession est un exercice de la bonne mort 14, ou si c'est réellement celle de ma mort !

- Qu'est-ce que tu préfères ? lui répondis-je, désires-tu guérir ou aller en paradis ?

- Dieu sait ce qui vaut mieux pour moi ; je ne désire faire que ce qui lui plaît. 15.

A neuf heures du soir, il reçoit le viatique /185/

Au bout d'un quart d'heure, il cessa de répéter les priè­res qui lui étaient suggérées ; et, comme il ne prononçait plus un mot, nous crûmes qu'il avait tout à coup perdu con­naissance. Mais, après quelques minutes, le visage épanoui, et comme s'il plaisantait, il fit signe d'écouter et dit : « Sur le billet de dimanche, il y avait une erreur 16. On avait écrit : Au jugement, je serai seul avec Dieu. Ce n'est pas vrai, je ne serai pas seul, la Sainte Vierge sera aussi là pour m'aider. Maintenant je n'ai plus rien à craindre : allons-y quand il faudra. Notre-Dame en personne veut me tenir compagnie au jugement. »



(éd. Caviglia, 233-234)



Chap. XV. - Sa précieuse mort. ... Le malade était en pleine connaissance. Il répondait aux diverses parties des ri­tes et des cérémonies prévues pour l'administration de ce grand sacrement. Il voulait même ajouter à chaque onction une brève prière. Je me souviens qu'à l'onction de la bouche il dit : « O mon Dieu, si vous m'aviez desséché la langue la première fois que je l'ai employée à vous offenser, comme je serais heureux ! Combien de péchés en moins ! Mon Dieu, pardonnez tous les péchés que j'ai commis avec cette bou­che, je m'en repens de tout caeur. »

A l'onction des mains, il ajouta : « Que de coups de poings j'ai donné à mes camarades avec ces mains ! Mon Dieu, pardonnez-moi ces péchés, et aidez mes camarades à être meilleurs que moi »... /186/

Une chose stupéfiait quiconque le regardait : ses pulsa­tions indiquaient qu'il était à l'extrême limite de la vie, mais sa sérénité, son entrain, son rire, et sa lucidité étaient d'un être en parfaite santé. Non qu'il ne souffrît pas, car l'op­pression respiratoire produite par la rupture d'un organe entraîne une angoisse et une souffrance généralisées au mo­ral et au physique. Mais notre Michel avait demandé plu­sieurs fois à Dieu de lui faire accomplir ici-bas son purgatoi­re, afin d'aller au paradis sitôt après sa mort. C'était cette pensée qui lui permettait de tout endurer avec joie ; bien plus, ce mal qui est ordinairement cause de détresse et d'an­goisse, produisait en lui joie et bonheur.

Enfin, par une grâce spéciale de notre Seigneur 17Jésus Christ, non seulement il paraissait insensible à la dou­leur, mais il semblait éprouver une grande consolation dans ses souffrances elles-mêmes. Il n'était pas nécessaire de lui suggérer des sentiments religieux car il récitait de lui-même de temps en temps d'édifiantes « oraisons jaculatoires ».

Il était dix heures trois quarts quand il m'appela par mon nom et me dit :

- Nous y sommes, aidez-moi.

- Sois tranquille, lui répondis-je, je ne t'abandonnerai pas tant que tu ne seras pas avec le Seigneur en paradis. Mais puisque tu me dis être sur le point de quitter ce monde, ne veux-tu pas au moins faire un dernier adieu à ta maman ? /187/

- Non, répondit-il, je ne veux pas lui causer un si grand chagrin.

- Tu ne me laisses pas au moins une commission pour elle ?

- Oui, dites à maman qu'elle me pardonne toutes les peines que je lui ai faites dans ma vie. Moi, je m'en repens. Dites-lui que je l'aime ; qu'elle ait le courage de continuer à faire son devoir, que je meurs volontiers, que je pars de ce monde avec Jésus et Marie, et que je vais l'attendre au para­dis.

Ces paroles arrachèrent des sanglots à tous les assistants. Mais je me repris et, pour occuper ces ultimes instants par de bonnes pensées, je lui posai de temps à autre diverses questions.

- Que dois-je dire de ta part à tes camarades ?

- Qu'ils veillent à toujours faire de bonnes confessions.

- En ce moment, de tout ce que tu as fait dans ta vie, qu'est-ce qui te procure la plus grande consolation ?

- Ce qui me console plus que tout en ce moment, c'est bien le peu que j'ai fait en l'honneur de Marie. Oui, c'est là ma plus grande consolation. O Marie, Marie, combien vos fidèles sont heureux à l'heure de la mort ! Mais, reprit-il, il y a une chose qui me gêne ; quand mon âme sera séparée de mon corps et que je serai sur le point d'entrer en paradis, qu'est-ce que je devrai dire ? A qui devrai-je m'adresser ?

- Si Marie veut t'accompagner elle-même au jugement, laisse-lui le souci de ta personne. Mais, avant de te laisser partir au paradis, je voudrais te charger d'une commission.

- Dites toujours, je ferai ce que je pourrai pour vous obéir.

- Quand tu seras au paradis et que tu verras la sainte Vierge Marie, salue-la humblement et respectueusement de ma part, et de la part de ceux qui sont dans cette maison. Prie-la de nous donner sa sainte bénédiction ; qu'elle nous /188/ reçoive tous sous sa puissante protection, et qu'elle nous ai­de en sorte que pas un de ceux qui sont, ou que la divine Providence enverra dans cette maison, ne vienne à se per­dre.

- Je ferai volontiers cette commission. Et quoi encore ? - Pour l'instant, rien d'autre, repose-toi un peu.

Il semblait en effet vouloir dormir.

Mais, bien qu'il gardât son calme habituel et l'usage de la parole, ses pulsations annonçaient sa mort imminente. On commença donc la récitation du Proficiscere. Au milieu de la lecture, comme s'il sortait d'un profond sommeil, le visage aussi serein qu'à l'ordinaire et le sourire sur les lèvres, il me dit :

- Dans quelques instants, je ferai votre commission ; je tâcherai de la bien faire ; dites à mes camarades que je les attends tous au paradis.

Ensuite il serra le crucifix entre ses mains, le baisa trois fois, et prononça ses dernières paroles : « Jésus, Marie, Jo­seph, je remets mon âme entre vos mains. » Puis il plissa les lèvres comme s'il voulait sourire, et paisiblement il expira.

Cette âme bienheureuse quittait le monde pour s'envo­ler, comme nous l'espérons fermement, dans le sein de Dieu, le 21 janvier 1859 à onze heures du soir. Michel n'avait pas quatorze ans. Il ne fit aucune espèce d'agonie et ne manifesta aucune agitation, peine ou angoisse, ni aucune des douleurs que l'on ressent habituellement dans la terrible séparation de l'âme et du corps. Je ne saurais autrement dé­nommer la mort de Magone qu'un joyeux sommeil enlevant son âme depuis les peines de la vie dans la bienheureuse éter­nité.

Les assistants pleuraient d'émotion plus que de tristesse ; car tous déploraient la perte d'un ami mais chacun enviait son sort...

(éd. Caviglia, 235-237)

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1 La première édition sortit en septembre 1861, imprimée chez Para­via (Turin), dans la collection des Lectures Catholiques, neuvième année, fasc. VII, 96 pages. On peut la lire en reproduction anastatique en Opere edite, vol. XIII, pp. 155-200 (Centro Studi Don Bosco, Rome 1976). Nous utilisons la traduction faite par le P. F. Desramaut en Saint Jean Bosco. Textes pédagogiques, coll. Les écrits des saints, Namur, éd. du Soleil Levant, 1958, pp. 47-138. Elle s'appuie sur le texte établi par Don A. Caviglia pour le vol. V des Opere e Scritti (voir p. 132) : c'est une « quatrième édition » (Tipografia dell'Oratorio, 1893) qui semble repro­duire exactement la troisième aujourd'hui perdue, dernière parue du vivant de Don Bosco. Les titi cs des chapitres sont de Don Bosco. Les autres titres et sous-titres sont de nous.


2 Le soir même de sa rencontre avec Don Bosco, Michel était allé trouver son vicaire, Don Ariccio. Le lendemain, celui-ci écrivait à Don Bos­co une lettre ici reproduite. Elle fait bien comprendre le caractère providen­tiel de la rencontre avec Don Bosco. Dans son premier entretien avec lui à l'Oratoire, Michel se traitera lui-même de « voyou » et avouera : « Deux de mes camarades sont déjà en prison ».

3 C'est l'ambiance de la Maison & l'Oratoire qui, en peu de temps, amène Michel à une intériorisation porteuse d'inquiétude. 11 perçoit que la joie de ses camarades, qui n'est pas moins vive extérieurement que la sien­ne, est pourtant d'une autre nature et vient de plus profond :« La vraie joie naît de la paix du cœur ». En fait elle vient de Dieu, et s'alimente dans la prière et les sacrements. Michel, bon cceur et vive intelligence, devient désireux de ce bonheur-là... Personne ne le force aux actes de la piété. Il voudrait s'y engager, mais son passé lui crée un obstacle. Un compagnon, celui auquel Don Bosco l'avait confié, l'aide alors à sortir de cette situation de malaise en le conduisant au prêtre, ministre de la paix du Seigneur.


4 Ce passage illustre fort bien le grand principe spirituel de Don Bos­co : un adolescent a besoin d'être guidé. S'il veut progresser, il doit faire confiance à ses éducateurs et accepter volontiers de leur obéir (l'obéissance, « première vertu »). S'il veut progresser spirituellement, il doit faire con­fiance à un prêtre, s'ouvrir à lui et accepter sa direction spirituelle. De là l'importance capitale du sacrement de la pénitence, que Don Bosco conçoit à la fois comme sacrement du pardon et de la grâce de renouvellement, comme moyen de connaître intimement l'adolescent, et comme moment privilégié pour le guider et le stimuler. Dans un premier temps, Don Bosco conseillait (sans l'imposer bien sûr) la confession générale, à la fois pour permettre au confesseur de juger les capacités et besoins de son dirigé et pour établir l'âme dans la sécurité et la paix en réglant définitivement le passé.

Evidemment, tout cela suppose chez le prêtre le sens profond des choses de Dieu et un grand « art » de l'accueil et de la conduite des âmes. Ces véri­tés fondamentales, Don Bosco a éprouvé le besoin de les exposer de façon systématique dans le chapitre V qui, à la différence des autres, a un carac­tère exclusivement didactique à l'adresse d'abord des jeunes, puis des con­fesseurs.

5 « L'ami de l'âme... qui répond à ses besoins profonds »: telle est la définition que donne Don Bosco du confesseur. Elle suppose tout un climat de confiance, de connaissance mutuelle, de rapport personnel plein d'affec­tion (le confesseur est aussi « un père qui désire ardemment le bien » de ses fils). Nature et grâce viennent conjuguer leurs ressources pour faire porter tout leur fruit aux rencontres sacramentelles.


6 Les lignes qui suivent offrent une synthèse des thèmes majeurs d'un traité du confesseur selon Don Bosco : pastorale de l'accueil, de l'aveu sin­cère, de la fréquence, de l'efficacité.

7 Marie « soutien » : c'est le mot déjà employé à propos de Domini­que Savio (voir plus haut p. 142) et plus tôt encore dans le Garçon instruit (Opere edite, [l, 231). Les adolescents, instables et inquiets, trouvent dans la présence intime de Marie force et sécurité. Mais Don Bosco fait aussi remarquer que Marie, de son côté, les invite maternellement à venir à elle : c'est là une « importante vérité ». Le texte cité est Prov 9,4, dans la leçon de la Vulgate, que Don Bosco traduisait :« Celui qui est enfant, qu'il vienne à moi » (Garçon instruit, ibidem). Le texte suivant vient du Psaume 33,12.

8 Ce passage mérite réflexion. La dévotion de Michel à Marie présente deux traits particuliers. Elle inspire son effort de pureté, et ceci ne nous sur­prend pas : c'est un trait classique. Mais voici plus curieux : Michel a eu le sentiment que Marie elle-même se présentait à lui pour être sa « maî­tresse », « celle qui lui enseigne », sa « bergère » (on ne peut manquer de penser ici au songe des neuf ans de Don Bosco lui-même). Et il l'a choisie en particulier comme patronne de ses études, « Siège de la Sagesse ». Marie est devenue ainsi une présence vivante dans toute la trame de sa vie. Don Bosco précise plus loin que Michel voulait se rappeler « la protection de Marie dans ses occupations » et finalement « se donner tout entier à Marie ». Il s'agit bien d'une dévotion « vitale ».

9 Ce mois de mai 1858 marque certainement une étape dans la vie spi­rituelle de Michel. Il correspond à ce que fut, dans la vie de Dominique Sa­vio, la neuvaine de l'Immaculée de décembre 1854. La même idée d'une consécration à Marie, mais jusqu'à la forme d'un vceu, se présente à lui. Pour aider sa ferveur, il avait entre les mains le fascicule 62 des Lectures catholiques écrit par Don Bosco et paru en avril : Il mese di maggio consa­crato a Maria Immacolata. Il pouvait y lire au 26° jour l'exemple de saint Louis de Gonzague qui, très jeune, s'était offert « par vaeu à la Reine des Vierges ». Mais Don Bosco invita Magone à ne pas l'imiter sur ce point, et lui conseilla seulement de s'engager à discipliner ses sens, sereinement, en vue d'acquérir la liberté spirituelle. L'importance de ce point aux yeux de Don Bosco le pousse à offrir à ses lecteurs un nouveau chapitre entièrement didactique : le chapitre IX en effet présente un programme de moyens à la portée des jeunes pour leur éducation personnelle à la pureté.

10 Notons la place de ce chapitre. On remarque en effet que, dans leurs grandes lignes, les vies de Savio et de Magone, deux figures pourtant si diverses, se présentent selon le même schéma (non point schéma abstrait, mais historique, respectant la suite des faits) : la remise de soi au prêtre en totale confiance (l'obéissance « première » vertu de l'adolescent) et la re­mise de soi à Marie pour la pureté (deuxième vertu, mais « la plus belle ») conduisent à l'amour d'autrui et à l'apostolat, preuves concrètes de l'amour de Dieu. Obéissance et pureté sont conçues comme libératrices, ouvrant à l'amour vrai. Et le tout se nourrit de prière et de vie sacramen­telle.


11 Les « petites occasions » de charité se présentaient surtout sur la cour de récréation. « La cour, c'est Don Bosco au milieu de ses garçons... Et c'est aussi le terrain de l'apostolat de ses jeunes saints »,(A. Caviglia, Studio, p. 174). Un peu plus haut, Don Bosco concluait le chapitre sur la pureté en proclamant :« Tenons-nous aux choses faciles, mais avec persé­vérance. C'est ce chemin qui conduisit Michel à un degré merveilleux de perfection ». Bien faites et avec amour, les choses simples conduisent lente­ment mais sûrement à la sainteté.

12 Ce passage révèle le bon coeur et la sensibilité délicate de Michel. Si Don Bosco a rapporté ces faits, c'est aussi parce qu'il a toujours grande­ment apprécié et recommandé la gratitude : elle était pour lui un signe de capacité spirituelle.


13 Les quatre chapitres XIII-XVI constituent la dernière partie de la biographie de Michel. Ils racontent les événements extérieurs et spirituels des trois derniers mois : ferveur très particulière des neuvaines de l'Imma­culée et de Noël 1858, pressentiment net de la mort, maladie foudroyante (congestion pulmonaire, semble-t-il) qui en trois jours le conduit à la mort, mais à une mort extraordinairement paisible, que Don Bosco prend visible­ment le soin de raconter en détail. Il ouvre cette ultime période en traçant un bref portrait de ce qu'était devenu Michel au bout d'une année de fidéli­té à la grâce, dans l'ambiance de l'Oratoire :« Sa piété, son application à l'étude et son affabilité le faisaient aimer et vénérer de tous, cependant que, par son entrain et son agrément il était l'idole de la récréation ».

14 Don Bosco appelait exercice de la bonne mort la demi-journée de récollection qu'il proposait chaque mois à ses garçons. Ils étaient invités à se confesser comme s'ils devaient bientôt paraître devant le Seigneur. En ces jours de la maladie de Michel, sa mère se trouvait à Turin, et elle était accourue au chevet de son fils.

15 Cette réflexion permet de mesurer la qualité de l'amour pour Dieu à laquelle était parvenu Michel. La petite Thérèse de Lisieux sur son lit de mort, le 27 mai 1897, dira de même : « Je ne désire pas plus mourir que vivre, c'est-à-dire que, si j'avais à choisir, j'aimerais mieux mourir ; mais puisque c'est le Bon Dieu qui choisit pour moi, j'aime mieux ce qu'il veut. C'est ce qu'il fait que j'aime »(Derniers entretiens, pp. 214-215).

16 Le dimanche 16 janvier s'était tenue la réunion de la Compagnie du Saint Sacrement, dont Michel était membre. Selon la coutume, chaque compagnon avait tiré au sort un billet sur lequel était inscrite une maxime à méditer ou une pratique à accomplir durant la semaine suivante. Sur celui de Michel était écrite la phrase citée ici, et il y avait lu un avertissement du Seigneur. II la complète maintenant d'exquise façon.


17 Il n'est pas difficile de croire avec Don Bosco que Michel reçut en ces instants « une grâce spéciale de notre Seigneur ». Quant au suprême dialogue rapporté ensuite, Don Caviglia le caractérise ainsi :« C'est un dialogue de Fioretti de saint François : sûrement il n'est pas fréquent de rencontrer tant de simplicité dans les grandes choses, tant de familiarité avec les choses divines, tant de certitude d'être sur le seuil du Paradis. La fi­gure spirituelle de ce garçon qui n'a pas encore quatorze ans s'élève à des hauteurs imprévues... Don Bosco, étonné, ne trouve pas d'autre mot pour définir ce trépas que :« un joyeux sommeil » (Studio, p. 189).