Lettres aux missionaires

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Cinquième partie



I



DERNIÈRES LETTRES
AUX SUPÉRIEURS DES MISSIONS





Entre le 6 août et le 30 septembre 1885, Don Bosco, comme s'il eût pressenti sa mort comme très proche, envoya des lettres plus longues qu'à l'habitude aux cinq principaux supérieurs des missions d'Amérique, avec l'intention expli­cite de leur donner ses derniers conseils. Don Giovanni Ca­gliero (47 ans) était depuis une année évêque, vicaire apos­tolique de la Patagonie septentrionale et centrale. Don Gia­como Costamagna (39 ans, voir texte 175) était provincial d'Argentine et directeur du collège San Carlos de Buenos Aires. Don Giuseppe Fagnano (41 ans) était préfet apostoli­que de la Patagonie méridionale et de la Terre de Feu. Don Domenico Tomatis (38 ans, voir texte 162) était directeur du collège de San Nicolàs de los Arroyos près de Rosario en Argentine. Enfin Don Luigi Lasagna (35 ans) était directeur du Collegio Pio de Villa Colon (Montevideo) et provincial pour l'Uruguay et le Brésil. /477/

Ces lettres sont en effet les dernières que Don Bosco leur ait envoyées, du moins à notre connaissance. Nous nous trouvons donc devant le testament du saint à ses fils loin­tains (le mot revient d'ailleurs deux fois). Nous ne les cite­rons pas toutes, car les contenus se ressemblent, mais seule­ment les trois plus riches, celles où Don Bosco insiste sur l'importance et sur les traits de l'esprit salésien à sauvegar­der à tout prix.



177. A Mons. Cagliero : « Charité, pauvreté, zèle »



Nous omettons un passage qui traite de questions administrati­ves. Mons. Espinosa dont il est question vers la fin était le vicaire général de Buenos Aires. Quant à Rosina, c'était une petite-nièce du saint (soeur de l’Eulalie citée dans le texte 174), âgée de dix-sept ans et à peine arrivée en Argentine comme missionnaire (Epist. IV, 327-329).



Mon cher Monseigneur Cagliero,

Ta lettre m'a fait grand plaisir, et bien que ma vue ait beaucoup baissé, j'ai voulu la lire moi-même de la première ligne à la dernière, malgré cette calligraphie que tu dis avoir apprise de moi, mais qui a dégénéré de sa forme primitive. Pour les questions d'administration, d'autres répondront pour moi. Pour ma part je te dirai ce qui suit.

Quand tu écriras à la Propagation de la Foi, à l'Oeuvre de la Sainte Enfance, tiens compte de tout ce qu'ont fait les Salésiens en diverses périodes...

Je prépare une lettre pour Don Costamagna, et pour ta gouverne je te fais savoir que j'y traiterai en particulier de l'esprit salésien que nous voulons introduire dans les mai­sons d'Amérique. Charité, patience, douceur, jamais de reproches humiliants, jamais de châtiments, faire du bien à qui l'on peut, du mal à personne. Ceci vaut pour les /478/ Salé­siens entre eux, et dans leurs rapports avec les élèves et avec d'autres, de l'extérieur ou internes. Pour les relations avec les Soeurs, aie beaucoup de patience, mais rigueur dans l'ob­servance de leurs règles.

En général, bien que nous vivions dans la gêne, nous fe­rons tous les sacrifices pour vous venir en aide. Mais recom­mande à tous d'éviter la construction ou l'acquisition d'im­meubles qui ne soient pas strictement nécessaires à notre usage. Jamais de biens à revendre ; jamais de propriétés ou terrains ou habitations sur lesquels réaliser un bénéfice pé­cuniaire. Tâchez de nous aider en ce sens.

Faites tout votre possible pour avoir des vocations, soit pour les Soeurs, soit pour les Salésiens. Mais ne vous lancez pas dans trop de travaux. Qui trop embrasse n'étreint rien et gâte tout.

Quand tu auras l'occasion de parler avec l'archevêque, avec mons. Espinosa, ou d'autres semblables personnages, tu leur diras que je suis entièrement à leur service, spéciale­ment en ce qui regarde les affaires romaines.

Tu diras à ma nièce Rosine de prendre bien soin de sa santé, et qu'elle se garde bien d'aller toute seule au paradis. Qu'elle y aille, oui, mais accompagnée de tant d'âmes qu'elle aura sauvées.

Que Dieu bénisse tous nos fils salésiens, nos soeurs Filles de Marie-Auxiliatrice. Qu'il donne à tous santé, sainteté et la persévérance sur le chemin du ciel.

Matin et soir nous prierons pour vous tous à l'autel de Marie. Et toi prie aussi pour ce pauvre semi-aveugle qui sera toujours en J.C.

Ton ami très affectionné

Turin, 6 août 1885.Gio. Bosco, prêtre



P.S. Une multitude innombrable demande que je les rappelle à ton souvenir et ils te présentent leurs hommages.

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178. A Don Costamagna : vivre l'esprit salésien et pratiquer la méthode salésienne



C'est la lettre annoncée dans la lettre précédente et écrite qua­tre jours plus tard. Don Costamagna, comme provincial d'Argen­tine, était en contact avec toutes les communautés. Tempérament très entier, il avait tendance à faire prévaloir un certain rigorisme (voir MB XVII, 627). Aussi Don Bosco lui envoie-t-il un schéma de conférence à tenir aux prochains exercices spirituels sur l'esprit salésien de patience et de douceur. Nous ne citons de la lettre que les passages se référant à ce thème (Epist. IV, 332-333).



Cher et toujours aimé Don Costamagna,





... J'ai pensé t'écrire cette lettre qui, à toi-même et à nos autres confrères, puisse servir de norme pour devenir de vrais Salésiens...

Je voudrais faire moi-même à tous une prédication ou mieux une conférence sur l'esprit salésien qui doit animer et guider nos actions et toutes nos interventions. Que le systè­me préventif soit proprement le nôtre ; jamais de châti­ments de caractère pénal, jamais de paroles humiliantes, pas de reproches sévères en présence d'autrui. Mais que dans les classes résonne la parole douceur, charité, patience. Jamais de paroles mordantes, jamais de gifle forte ou légère. Qu'on fasse usage des châtiments négatifs 1, et toujours de façon que ceux qui sont avertis deviennent nos amis plus qu'avant et ne s'éloignent jamais de nous découragés... /480/

Que chaque Salésien se fasse l'ami de tous, ne cherche jamais à se venger ; qu'il soit prompt à pardonner, et ne ja­mais revenir sur des choses antérieurement pardonnées... La douceur dans les paroles, dans les actes, dans les avis à don­ner permet de gagner tout et tous.

... Que Dieu te bénisse, ô cher Don Costamagna, et avec toi qu'il bénisse et garde en bonne santé tous nos confrères et nos soeurs. Et que Marie Auxiliatrice vous guide tous sur le chemin du ciel. Amen.

Priez tous pour moi.

Votre ami très affectionné en J.C. Gio. Bosco, prêtre

Turin, 10 août 1885.



179. A Don Fagnano : « L'Eglise de Dieu est ta mère »



Lettre écrite le même jour que la précédente. Ce sont « les der­nières paroles d'un ami » au pionnier des immenses régions gla­cées de la Patagonie du Sud (Epist. IV, 334-335).



Très cher Don Fagnano, -



Avant que tu partes pour ta grande entreprise de la pré­fecture de Patagonie, où Dieu t'a préparé une moisson sura­bondante, je désire moi aussi t'adresser quelques mots, et il peut se faire que ce soient les derniers de l'ami de ton âme...

Dans tes voyages ou plus brefs ou plus longs, ne regarde jamais à aucun avantage temporel, mais uniquement à la gloire de Dieu. Rappelle-toi bien que tu dois toujours orien­ter tes efforts à répondre aux besoins croissants de ta mère. Sed Mater tua est Ecclesia Dei, dit saint Jérôme. /481/

Partout où tu iras, cherche à fonder des écoles, à fonder aussi des petits séminaires en vue de cultiver ou au moins de chercher des vocations pour les Soeurs et pour les Salésiens. Dans cette entreprise difficile veille à bien t'entendre avec mons. Cagliero.

Que tes lectures quotidiennes soient : nos règles, spécia­lement le chapitre de la piété, l'introduction que j'ai faite moi-même, les décisions prises lors de nos divers chapitres...

Encore une chose. Conserve jalousement le secret de tout ce qui te sera confié par les confrères et par nos soeurs, et donne-leur pleine liberté et assurance de secret pour leurs lettres, comme le prescrivent' nos règles.

Que Dieu te bénisse, ô toujours cher Don Fagnano, et avec toi qu'il bénisse toutes les autorités civiles et autres avec lesquelles tu as l'occasion de traiter, qu'il bénisse tes oeuvres. Priez tous pour moi, qui espère vous revoir tous sur cette terre s'il plaît à Dieu, mais plus sûrement vous revoir avec Jésus et Marie dans la bienheureuse éternité. Ainsi soit-il.

Votre ami très affectionné en J.C. Gio. Bosco, prêtre

Turin, 10 août 1885.





180. A Don Tomatis : « Le secret du bonheur : l'humilité et l'amour »



Lettre écrite quatre jours après la précédente. Don Bosco la présente comme « mon testament pour toi » (Epist. IV, 336-337).



Mon cher Don Tomatis,



C'est bien rarement que je reçois de tes lettres : cela me porte à penser que tu as beaucoup à faire. Je le crois, mais /482/ donner de tes nouvelles à ton cher Don Bosco mérite certai­nement de figurer parmi les choses à ne pas négliger. Quoi donc écrire, me diras-tu ? Parle-moi de ta santé et de la san­té de nos confrères, si les règles de la Congrégation sont fi­dèlement observées, si l'on fait et comment on fait l'exercice de la bonne mort. Le nombre des élèves et les espérances qu'ils donnent de bonne réussite. Fais-tu quelque chose pour cultiver les vocations, et quelle espérance as-tu à ce su­jet ? Mons. Ceccarelli est-il toujours un véritable ami des Salésiens ? J'attends avec grand plaisir les réponses à ces questions.

Comme ma vie court à grands pas vers son terme, les choses que je veux t'écrire dans cette lettre sont celles même que je te recommanderais dans mes derniers jours d'exil.

Mon testament pour toi.

Cher Don Tomatis : garde bien présent à l'esprit que tu t'es fait Salésien pour te sauver ; prêche et recommande la même vérité à tous nos confrères.

Rappelle-toi qu'il ne suffit pas de savoir les choses, il faut les pratiquer. Qu'avec l'aide de Dieu on n'ait pas à nous appliquer les paroles du Sauveur : Dicunt enim et non faciunt (Mat 23, 3). Tâche de voir avec tes propres yeux les affaires qui te concernent. Quand un confrère se laisse aller à des manquements ou à des,, négligences, avertis-le promp­tement sans attendre que les maux se soient multipliés.

Par ta manière de vivre exemplaire, par ta charité dans les paroles, dans les ordres donnés, dans le support des dé­fauts d'autrui, tu en gagneras beaucoup à la Congrégation. Ne cesse pas de recommander la pratique fréquente des sa­crements de la confession et de la communion.

Les vertus qui te rendront heureux dans le temps et dans l'éternité sont : l'humilité et la charité.

Sois toujours l'ami, le père de nos confrères ; aide-les /483/ autant que tu le peux dans les domaines spirituel et tempo­rel, mais sache les faire travailler en tout ce qui peut contri­buer à la plus grande gloire de Dieu.

Chacune des pensées exprimées sur cette feuille a besoin d'être quelque peu expliquée : tu peux le faire pour toi-même et pour les autres.

Que Dieu te bénisse, ô mon toujours cher Don Tomatis. Transmets mon salut très cordial à tous nos confrères, amis et bienfaiteurs. Dis-leur que chaque matin à la sainte messe je prie pour eux, et que je me recommande humblement à la prière de tous.

Fasse Dieu que nous puissions un jour louer les saints noms de Jésus et de Marie dans la bienheureuse éternité.

Amen.

Sous peu je t'écrirai ou je ferai écrire d'autres choses d'une certaine importance.

Que Marie nous maintienne tous fidèles et nous guide sur le chemin du ciel. Amen.

Votre très affectionné en J.C. Gio. Bosco, prêtre

Mathi, 14 août 1885.





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1 Dans son opuscule le système préventif pour l'éducation de la jeu­nesse, Turin, 1887 (en français), Don Bosco explique ainsi ces « châtiments négatifs » : « retirer sa bienveillance,... un regard glacial,... une parole de blâme ». Sur le problème des châtiments, il avait écrit une longue circulaire datée de la fête de saint François de Sales 1883 (Epist. IV, 201-209.)