Etre témoins de l'amour de Dieu auprès d'enfants et de jeunes à risque dans les villes congolaises


Etre témoins de l'amour de Dieu auprès d'enfants et de jeunes à risque dans les villes congolaises


Dans un pays en guerre comme la République Démocratique du Congo, nous sommes tous les jours confrontés avec les plus faibles de ce monde, les premières victimes de la pauvreté et de la violence : les enfants de la rue, appelés de préférence "enfants à risque". Ces enfants passent leur vie dans la rue, ils y habitent et en ont fait un lieu de survie. Mais ils voudraient une maison, une école, un rapport avec des adultes qui leur assurent l’essentiel de leur vie et leur donnent la possibilité de se sentir chez eux. Ils ne sont pas « des enfants de la rue » (aucun enfant d’ailleurs ne l’était), mais ils le sont devenus à partir de ce que la rue et ceux qui y sont présents leur ont offert comme espace de socialisation.1


Ils se sont trouvés là pour des raisons diverses et des causes multiples et complexes : l'indigence économique, les carences éducatives et culturelles, la précarité familiale, l'exploitation ignoble de la part de tiers, l'emploi abusif comme main-d’œuvre, le manque de préparation au travail, les dépendances variées, la fermeture des horizons qui étouffe la vie, les accusations de sorcellerie, la déviance, la recherche d'une liberté et d'une solidarité dans une situation de solitude affective. Ils sont devenus un monde à part, approchés par beaucoup de gens comme un danger et une menace pour la société dans les prochaines années.


Leur sourire change vite en cri d'appel ou en acte de violence. La vue de leur misère nous devient insupportable, quand, en écoutant Jésus qui nous apparaît dans leur regard, nous le laissons nous arracher notre masque de bienfaiteur-bienfaitrice, quand nous le laissons nous interpeller : "Qu'as-tu fait de ton frère, de ta sœur?" Car la question première que nous pose l'Evangile est toujours la même: "Qu'avons-nous fait de notre frère, de notre sœur?" Désormais, tout retour en arrière nous est interdit, car il ne s'agit plus simplement de prier et de comprendre le monde des exclu(e)s, mais d'y faire éclater la justice, de faire surgir la personne nouvelle et solidaire là où il y a des opprimé(e)s.2 Celui qui, comme disciple du Christ, a sous les yeux cette réalité et la ressent dans son cœur est appelé à compatir à ces situations et à se montrer solidaire de ceux qui souffrent.3


Des ONG's sont nées pour sauver ces enfants et leur présenter une chance de quitter leur situation. Dans les milieux urbains de Lubumbashi, les différentes membres de la Famille salésienne ont pris des initiatives qui, après deux décennies, ont fini par former un ensemble de centres et de maisons bien structurées et organisées, appelé "Oeuvre Maman Marguerite". A partir de cette œuvre, nous voulons concentrer notre attention sur cette situation des enfants à risque comme le champ d’engagement que le Seigneur nous a indiqué. Nous voulons réfléchir sur quelques défis4 et le contenu d'une nouvelle évangélisation en profondeur chez ces jeunes exclus. Quelle est notre attitude comme membres de la Famille salésienne, évangélisateurs de ces jeunes à risque, vivant dans le monde multiculturel des villes congolaises en leur présentant la "Bonne Nouvelle pour les pauvres"?


L'annonce du salut aux enfants et jeunes à risque dans le contexte congolais au début de ce nouveau siècle pose ses exigences. L'enfant est victime d'une situation de famille en crise où certains membres ont fui leur responsabilité; il se trouve en contact avec des éléments de plusieurs cultures qui se présentent à lui sans explication de sens et il cherche des solutions à des problèmes concrets, spécialement à la pauvreté de chaque jour.



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1.1 Le défi de la pauvreté

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2 Etre des témoins de Jésus qui a fait un choix pour l’homme le plus faible

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Tous ceux qui sont en contact direct avec les enfants à risque sont avant tout touchés par le cri de la pauvreté de ces jeunes et ils constatent que leur horizon de vie se limite à la recherche de l'immédiat pour survivre en se rendant compte de la manière dont cette misère détruit beaucoup d’entre eux. Ils manquent le plus essentiel de la vie : la nourriture, les vêtements, les soins de santé. En observant avec les yeux de Don Bosco la situation de ces jeunes vivant dans les rues des villes africaines, nous nous sentons interpellés pour rendre plus consistante et qualifiée la présence parmi les pauvres.


L’Evangile, spécialement dans la parabole du bon Samaritain (Lc 10,31-32) appelle chaque chrétien, spécialement celui nous qui sommes engagés dans l’éducation, à s’occuper sérieusement de ces jeunes vivant dans la rue en évitant l’attitude du prêtre et du lévite. Au lieu de "passer à bonne distance" d'une humanité "à moitié morte" et laissée en bordure du monde, il s'agit ici de se souvenir de la prévenance de Dieu qui, comme le suggère le samaritain de l'Evangile (Lc 10, 34), s'est approché de tout être humain en tissant définitivement des liens d'alliance (Is 54, 15) avec lui en Jésus-Christ (Jn 1, 14). Sur ce fondement suprême, nous sommes appelés de nous solidariser avec la lutte des jeunes à risque qui aspirent à passer des situations de mort à des situations de vie. Ce qui est en cause, c'est l'utopie de Dieu en Jésus-Christ au milieu de ceux qui sont les exclus du festin de la vie. Il s'agit d'assumer le rêve qui travaille le Dieu de la révélation qui "se tient à la droite du pauvre" (Ps 109, 31). Dans cette perspective, il nous faut revendiquer la prétention de prendre l'Evangile au sérieux en investissant son potentiel libérateur dans notre expérience de la mission en terre africaine. L'enjeu de cette recherche, c'est la réponse à l'Esprit qui nous envoie pour être témoins de l'amour de Dieu auprès de ceux qui sont méprisés, précarisés et marginalisés. Chacun de ces jeunes qui nous entourent dans les centres d’accueil et de formation est ainsi un visage de Jésus-Christ qui nous interpelle. Il s'agit ici d'avoir des yeux qui lisent au fond des êtres. Pour cela, il faut apprendre à se taire, laissant Dieu agir et l'Esprit nous pénétrer afin de se laisser accueillir et écouter en sachant qu'on est pris au sérieux seulement au moment où l'homme laissé au bord du chemin découvre que ces éducateurs, laïcs et religieux(es), ce sont des signes concrets de Jésus-Christ qui a fait un choix pour l’homme le plus faible, l'exploité, à travers ses disciples et ses envoyés qui acceptent de voir les choses de ce point de vue et de descendre dans l'arène pour que la vie de ces jeunes change.5


C’est dans ce sens que "le Chapitre Général 23 des Salésiens a désigné la pauvreté comme un des principaux défis pour notre mission spécifique en rapport avec l'éducation des jeunes à la foi." 6  "L'action salésienne, quel que soit le milieu où elle s'exerce, comprend toujours l'annonce du Christ, la sollicitude pour le salut éternel de la personne. Dans chaque initiative de prévention, formation ou récupération, cela constitue toujours l'intention et le but principal, même si peut-être son explicitation progressive s'effectue au fur et à mesure que les destinataires deviennent capables de l'accueillir."7 Notre approche comme évangélisateur commence avant tout avec "la rencontre, capable d'assumer la souffrance et l'espérance du jeune, de soutenir sa volonté de conversion, d'approche aux signes de Dieu et de l'Eglise. Le salut est annoncé et réalisé quand on crée une situation dans laquelle le jeune est libéré de ce qui conditionnait négativement ce qu'il y a de mieux dans sa vie; quand au contact avec les personnes qui lui témoignent un amour désintéressé, il découvre la valeur et les possibilités d'épanouissement."8 L’éducation de ces jeunes ne s’arrête pas à donner le minimum de vivre, mais doit donner un sens au travail, créer un sens de solidarité avec les autres autour de lui. Ainsi on développe en lui un sentiment de dignité humaine en prenant sa propre vie en main avec une force de vie et avec une espérance que Dieu appelle chacun parmi eux pour être un signe de son amour pour tous les hommes.



2.1 Le défi des enfants en rupture familiale

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3 Témoigner d’un Dieu qui les aime et les appelle à être l’ami de son Fils

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Le document de l’Episcopat congolais pour une nouvelle évangélisation au Congo nous montre bien que l’évangélisation des jeunes se passe avant tout dans la famille. Etant le premier milieu vital où grandit tout homme, celle-ci doit être transfigurée par la Bonne Nouvelle du Christ. La famille chrétienne voulue par Dieu est le fruit d'un lien d'amour indissoluble entre l'homme et la femme. Elle est le lieu où toute vie humaine est accueillie et respectée comme un don de Dieu à l'humanité. Mais en contact avec les enfants à risque nous nous réalisons qu'un bon nombre de familles chrétiennes ne reflètent pas toujours les attitudes conformes à leur vocation. Perturbées par la désarticulation de la société traditionnelle, la parenté et la solidarité clanique ont beaucoup perdu de ces éléments positifs. il en est résulté des comportements de parasitisme et l'esprit de profit, de paresse et d'oisiveté, d'égocentrisme et d'exploitation de parents qui ont travaillé et sont aisés, de népotisme et d'esprit de coterie, de tribalisme et d'ethnocentrisme exacerbés, d'irresponsabilité dans la gestion des biens communautaires. Tous ces éléments négatifs ont ces derniers temps contribué ici et là à l'abandon des vieillards, vus comme mauvais sorciers, à la brutalité contre des veuves et des orphelins ainsi qu'à leur dépouillement, au phénomène des enfants de la rue.9


Devant nos destinataires, parfois définis comme des enfants en rupture familiale, nous sommes confrontés à une double réalité. Celle de la famille comme espace naturel de croissance, d’éducation, d’insertion sociale, et celle de la famille comme ensemble de relations qui ont mené d’une manière ou d’une autre l’enfant à une situation de rue, ou encore comme réalité qu’on refuse, qui menace, qui fait peur.10 L’enfant est sans famille suite à des événements divers : aucun des liens de sang n'implique une relation de responsabilité. Il nous arrive de constater la dissolution de tout lien familial original ou, à un moindre degré, l’incapacité de ces liens à assumer une quelconque responsabilité éducative vis-à-vis de l’enfant.11


Parler de la famille comme premier lieu d'évangélisation pose des problèmes dans le milieu des enfants à risque. Nous devons être conscients de l'expérience personnelle et de l'image négative de la famille chez ces enfants à risque. Présenter l'Eglise comme Famille de Dieu dans la prédication ou la catéchèse peut faire surgir des difficultés de compréhension et engendrer des sentiments négatifs chez ces jeunes. Mais l'expérience d'une atmosphère de famille, un climat d'attention, d'accueil et de dialogue peut apprendre à l'enfant et au jeune dans nos centres le vrai sens chrétien d'une famille de Dieu. Cette expérience de communauté dans les centres d'accueil et de formation et la participation aux CEV’s (communautés d'Eglise Vivante) et aux mouvements doivent aider les jeunes à dépasser leur expérience négative de la famille et à adopter une attitude ouverte à un esprit de famille comme signe d'une communauté des croyants qui cherche le partage, la solidarité et la communion.


Mais nous voulons aussi attirer l'attention sur un autre modèle d'Eglise dans les discussions d’avant et d’après le Synode africain. C'est le Cardinal Bernard Gantin qui nous disait que "la réponse de l'Afrique aux appels des lointains, des pauvres et des plus petits ne peut se chercher que dans une théologie fidèlement chrétienne éclairant une vie authentiquement africaine. Une théologie qui soit ‘Sagesse du cœur’: étant théologie de la Fraternité pour animer une légitime et urgente aspiration à un complet développement humain et solidaire; théologie de la fraternité pour unir entre eux tous les fils d'un même Père, appelés avec les humains de partout à faire partie un jour d'une unique famille qui soit, en fait, la mère de tous les peuples."12 Ainsi, "Fraternité" est le nom propre de l'Eglise, c'est la communauté des chrétiens, ainsi appelée à cause d'un lien vital qui les unit au Christ-Frère. L'Eglise se présente comme le milieu de vie et le pédagogue qui va initier et guider le converti désireux de communier à Dieu. Elle lui fait découvrir la richesse de la Bonne Nouvelle, elle l'entraîne dans une expérience d'amitié avec Dieu et avec tous les enfants de Dieu. La mission de cette Eglise est précisément de construire une fraternité universelle, une communion des frères dans le Christ. Le premier acte missionnaire, c'est d'être le témoignage vivant du Dieu qui est amour. Voilà la mission d'évangélisation: révéler à tous les humains que Dieu est un Père qui les aime au point de les appeler à être les frères et les sœurs de son Fils, et leur proposer de recevoir l'Esprit Saint qui les mettra en communion de vie avec Dieu et entre eux dans la Fraternité parfaite.13


Cette image d'une Eglise-Fraternité peut certainement nous aider à mieux expliquer aux jeunes à risque le sens de l'Eglise comme lieu de communion. Au sein de l’Oeuvre Maman Marguerite, les expériences de fraternité et de solidarité des jeunes entre eux et de confiance reçue de la part de leurs éducateurs les aident à comprendre le sens profond d'être Eglise, de vivre comme frères et sœurs dans un esprit d'amour et de joie. C'est cette expérience d'être aimé qui est le fondement de notre mission éducative chez les jeunes, spécialement les plus pauvres, qui sont nos frères et nos amis. Don Juan E. Vecchi nous l'écrivait : "Chaque jeune porte personnellement les signes de l'amour de Dieu dans la volonté de vivre, dans l'intelligence et dans le cœur. La pauvreté, qui empêche les jeunes de croître comme personnes et fils de Dieu, est un appel et un défi pour leur restituer la conscience de leur propre valeur et pour faire émerger les dons dont le Seigneur les a comblés. Les jeunes pauvres ont donc été et sont encore un don aux Salésiens. Le retour vers eux nous fera récupérer la caractéristique essentielle de notre spiritualité et de notre praxis pédagogique: le rapport d'amitié qui crée la correspondance et le désir de grandir." 14 Cette attention pour des rapports d’amitié et de fraternité avec les jeunes aide à créer une atmosphère de famille où une expérience de communion, de joie et d’optimisme peut les aider à mieux comprendre le sens concret d’une Eglise Famille de Dieu. Ces relations d’amitié parmi les jeunes entre eux et avec leurs éducateurs étaient pour Don Bosco l’expression d’une relation plus profonde du jeune avec Jésus, l’ami des jeunes.



Le défi de la sorcellerie


4 Témoigner de la puissance du Ressuscité

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5 comme force de transformation dans la vie

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Un bon nombre d’enfants à risque a été victime de sorciers, a été accusé de pratiques de sorcellerie ou en a régulièrement entendu parler à travers des récits. L'approche de ce problème de la sorcellerie dans certains milieux protestants, spécialement dans des églises pentecôtistes, a accentué l'importance et le danger de la sorcellerie et de certaines pratiques de la tradition africaine dans la région. "Souvent, quand on parle de la religion traditionnelle africaine, certains pensent principalement à la vénération des ancêtres communs qui ont mené une bonne vie, ceux-là que notre liturgie appelle "ancêtres au cœur droit". pourtant, la religion traditionnelle africaine constitue un ensemble de pratiques basées sur de fermes convictions et d'incontestables croyances, notamment la croyance en la sorcellerie, en de mauvais esprits et de forces occultes, dans les fétiches, la magie et la divination, à l'action maléfique des morts sur les vivants. Toutes ces croyances ont un impact considérable sur le comportement de ceux qui y croient."15 Une approche modérée et équilibrée de la tradition est importante et les Evêques congolais, inspirés par le Synode africain nous invitent " à s'engager avec prudence et sérénité, respect et estime, dans ce dialogue et cette collaboration avec la religion traditionnelle africaine."16


Une vraie évangélisation en profondeur dans le milieu des enfants de la rue en Afrique exige une analyse critique de la croyance à la sorcellerie. L'analyse, qui est un préalable nécessaire à l'inculturation de la Parole de Dieu, doit s'efforcer de démonter les mécanismes de cette croyance qu'engendrent le subconscient collectif et les structures mentales de pensée et de vie. C'est dans cet ordre d'idées que nous signalons ici quelques champs d'évangélisation qui sont des lieux de lutte et de domination entre individus et groupes humains, des lieux d'interaction des forces hostiles à l'épanouissement de la vie.


Le langage et l'idéologie de la sorcellerie sont pleins de significations. Leur analyse révèle des zones de frustration, des foyers de tensions et de conflits latents et réels dans les relations sociales. Le poids du rêve et de l'imaginaire onirique joue un rôle important dans les croyances à la sorcellerie et à l'action des forces du mal. La vision nocturne, croit-on, est un séjour dans le monde invisible; elle provoque la peur et la suspicion. Le message onirique reçu se laisse interpréter sous forme d'avertissement. Alors, la relation entre le décès, la maladie, l'échec, la peur de l'agression et la sorcellerie se fait authentique. L'omniprésence de la mort demeure dans le subconscient. Dans ce même cadre, le rêve est aussi un langage à comprendre. Il révèle des schèmes de pensée, des structures de vie et de société. Et puisqu'il exerce un pouvoir réel sur les mentalités et les croyances, il importe de le soumettre à la critique pour mieux atteindre les structures mentales à évangéliser.17 L'homme congolais croit à l'existence de la force vitale qui vient de Dieu par l'intermédiaire des esprits et des ancêtres. Aussi tient-il la vie pour une valeur hautement sacrée qu'il faut accroître et renforcer en communiant aux forces invisibles. C'est un bien très précieux qu'il faut conserver avec des fétiches et toutes sortes de protections. Les décès, les maladies, les échecs proviennent des forces du mal incarnées dans les sorciers. C'est pourquoi la croyance à la sorcellerie et au fétichisme surgit préférentiellement en temps de détresse. Ce sont des moments qui ne doivent pas échapper à l'évangélisation en profondeur, car ils manifestent, outre les catégories mentales, le milieu culturel, l'état des forces productives et les conditions matérielles de survie qui ne permettent pas à la population congolaise de maîtriser la vie.18


En travaillant chez des enfants à risque nous devons conscients qu’ils ne sont pas venus de nulle part. Ils sont nés dans un foyer et dans un milieu social où la religiosité populaire a une grande influence. Dans la religion populaire cohabitent le fondamentalisme et le concordisme qui sont à la base d'erreurs et de fausses croyances dans les esprits des pauvres gens. Il faut analyser le langage et les expressions de cette religiosité pour y découvrir l'imaginaire social produit des structures de vie et de société. Il sera également nécessaire de dresser, dans une analyse critique, le portrait psychosocial des enfants qu'on dit initiés à la sorcellerie par des adultes et d'étudier en même temps le contexte social. Les motifs de la peur des sorciers sont dans le subconscient, dans les structures mentales et sociales qu'il faut discerner, analyser et évangéliser. Si ces structures ne changent pas, la croyance à la sorcellerie et au fétichisme ne disparaîtra jamais. L'éclairage de la science et de la foi démontre en même temps que cette croyance empêche l'homme de s'épanouir et d'accroître la vie.


Une évangélisation en profondeur doit tenir compte du contexte socioculturel. Nous sommes dans un contexte différent de celui du temps de Jésus et différent de celui du missionnaire du siècle passé. Aujourd'hui notre tâche s'accomplira dans la perspective d'une conversion, d'une transformation des mentalités, dans le but de toucher les critères de jugement, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie dont les enfants sont tant de fois victimes.

En outre, dans le processus d'inculturation, il faut éviter la surenchère ritualiste, soi-disant pour renforcer l'efficacité symbolique des sacrements, des sacramentaux et des exorcismes. En réalité, ce glissement ne fait que confirmer les gens dans leurs croyances et dans les structures de la peur. Une évangélisation libératrice doit, au contraire, aider notre peuple, spécialement les enfants et les membres de son milieu social, à approfondir sa foi, en lui apprenant à chasser par la conversion, la prière et la pratique de la charité les vrais démons incarnés dans son cœur, dans ses structures mentales et sociales. Libérer les gens de la croyance à la sorcellerie, c'est aussi les aider à discerner les signes des temps, à discerner ce qui plaît à Dieu, et à distinguer ce qui est conforme à l'Evangile de ce qui ne l'est pas.19


Dans cette perspective nous sommes appelés à la prédication et à une catéchèse permanente et systématique de la foi chrétienne. Une catéchèse basée sur un choix de thèmes bibliques dicté par le souci d'un dialogue avec les valeurs centrales de la culture africaine et les éléments importants de la situation actuelle du milieu urbain dans lequel vit le jeune à risque. Un des thèmes importants est l'existence d'un seul Dieu, Etre Suprême, Créateur, Tout-puissant et Source de la vie. Selon la mentalité de la tradition congolaise, le monde invisible est peuplé d'esprits bons et mauvais qui exercent leur influence sur la vie des hommes. Grâce à l'histoire du salut révélé en plénitude en Jésus-Christ, on montrera aux jeunes à risque la souveraineté du Dieu de Jésus-Christ vis-à-vis de toutes les divinités. On insistera en particulier sur la victoire qu'il assure en définitive sur toutes les puissances du mal. On les formera à adresser directement - et avec confiance - leurs prières à cet unique vrai Dieu. Les jeunes doivent être invités à abandonner les pratiques objectivement médiocres au nom du Christ. Jésus est venu pour les sauver des puissances des ténèbres. Il est le Chef de la grande famille de Dieu. Il est venu établir un monde nouveau qui intègre et dépasse en même temps le monde des ancêtres.20

Plus important encore est la présentation du Christ, ressuscité et vivant parmi nous. Sa puissance se trouve dans l'amour qui dépasse toute force du mal, tout danger, toute violence. La Bible souligne le fait que le mal ne vient pas de l'extérieur de l'homme, mais de son cœur: Jésus est catégorique à cet égard (Mt.15,11). Or nous avons constaté que les causes profondes des accusations de sorcellerie sont précisément "le cœur mauvais", le non-amour, la jalousie, l'envie, l'orgueil, la haine. L'homme est créé à l'image de Dieu: libre, responsable, chargé de gérer le monde (Gn. 1,26-29; 2,15) ; il peut dire "oui" au bien, mais il peut également dire "non" à Dieu (Gn 3, 6). Le péché des origines est un refus d'amour. Nos péchés actuels sont des refus d'amour. L'accusation de sorcellerie est un refus d'amour.21


Dès lors, quel message fondamental la Bible nous présente-t-elle à cet égard? Nous le dirons en un mot : c'est l'amour. L'amour est l'antidote qui nous permettra d'éviter les accusations de sorcellerie. Malgré notre péché, Dieu continue à nous aimer; il est un Père miséricordieux. Il est "pris aux entrailles", dit l'évangile de Luc (15,20). Son amour manifeste des connotations maternelles. En effet, les entrailles font allusion à la maman qui porte son bébé en elle. Les enfants sont les privilégiés de Jésus qui les accueille et les prend comme modèles du Royaume : "On présenta des enfants à Jésus pour qu'il leur impose les mains en priant. Mais les disciples les écartaient vivement. Jésus leur dit : "Laissez les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le Royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent." Il leur imposa les mains, puis il partit de là" (Mt 19,13-15; Mc 10, 13-1). Dans la mentalité juive, l'enfant était considéré comme un être insignifiant. C'est ainsi que les apôtres rabrouent "les gosses"! Mais Jésus n'est pas de cet avis. Pour lui un enfant, ça compte, c'est quelqu'un. Jésus donne même les enfants en exemple aux grandes personnes : ils ont l'Esprit Saint en eux et ne sont nullement sorciers. Cette parole de Jésus garde toute son actualité. C'est pourquoi l'expérience de vivre dans un milieu éducatif où l'enfant a l'expérience d'être respecté et aimé comme personne est la meilleure base d'une évangélisation en profondeur. Une telle façon de vivre parle plus fort que des mots.



Le défi de la violence


6 Annoncer un Christ souffrant sous la violence du monde,

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7 comme un ami qui a mal du mal de son ami

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Un bon nombre d'enfants à risque est régulièrement victime, témoin ou acteur d'actes violents. Des expériences de violence se trouvent à plusieurs niveaux: dans la famille proche, entre les camarades du quartier, dans les rues en contact avec d'autres enfants à risque, par les images de violence à la télévision et enfin dans des expériences de situation de guerre ou comme enfants-soldats. Il ne s'agit pas d'une simple expérience du mal corporel, mais d’une blessure de l'homme au fond du cœur. Ce mal est appelé dans un sens plus large "la violence".


L'expérience de la violence peut être le point de départ d'un dialogue sur la souffrance, la douleur et le manque d'affection. "La violence naît souvent lorsqu'on a l'impression de ne pas être écouté, que la communication ne fonctionne pas, dans la famille ou dans le groupe. Lutter contre la violence, c'est apprendre à s'écouter mutuellement, à permettre à l'autre de dire ce qu'il ressent. Chaque fois que l'on développe un climat d'écoute, on fait reculer la violence. L'important, pour faire reculer la violence, c'est de savoir être à l'écoute de la souffrance de l'autre."22


Nous devons faire nôtre l'image du Christ qui accueille, regarde et écoute tous ceux qui souffrent, qui leur donne le pain et le poisson, et qui, souffrant avec eux, prenant sur lui le poids de leur croix, devient le pain vivant. Aller vers les enfants à risque qui ont l'expérience de violence dans cette attitude d'écoute et d'accueil, peut devenir ainsi un premier pas vers l'annonce du Christ solidaire avec ceux qui souffrent et qui sont victimes du monde africain dans lequel ils vivent aujourd'hui. Dans ce monde qui dans la tradition accueillait l'enfant comme un don, un signe de vie, la richesse de l'homme, la sécurité d'une vraie solidarité de famille, nous trouvons tant d'enfants victimes de violence, de jalousie, de haine. Dans leur faiblesse, ils sont victimes des accusations de tant de maux, exprimés par des actes physiques, des paroles et des signes qui ne les condamnent pas seulement en les chassant dans la rue, mais même en menaçant leur vie. Ils sont ainsi victimes de différentes formes de violence et deviennent à leur tour acteurs de violence se trouvant dans l'incapacité de s'exprimer autrement. Ils sont encore poussés dans cette direction en les confirmant comme dangereux, menaçant la sécurité des gens. Ils deviennent les boucs-émissaires d'une société en crise, sur qui certaines personnes jettent la responsabilité de tout le mal-vivre de la société africaine.


Heureusement, nous constatons aussi des signes positifs venant des chrétiens dans les Communautés de base, et dans les paroisses qui prennent la protection de ces enfants. Et si nos oeuvres de Don Bosco à Goma sont restées protégées contre le danger de la lave venant du volcan, les gens ont dit que c'est Dieu qui les avait protégées pour tout le bien qu'on y faisait pour les enfants. Y a-t-il un meilleur témoignage de la Bonne Nouvelle du Christ ressuscité? Dans ce monde de violence dans la famille et dans la société souffrant de la violence de guerre et des forces de la nature, la mission est avant tout la présence proche de ceux qui en sont victimes ou témoins. C'est un signe libérateur d'un autre monde que nous devons re-créer ensemble en le transformant par nos actes d'amour pour les jeunes qui souffrent de toute forme de violence. C'est le premier pas vers une vraie mission.


Dans ce sens nous pouvons dire avec Jean- Marc Ela que "l'Eglise ne peut se contenter d'une attente pieuse et passive du retour du Christ dans la gloire. Elle doit travailler à bâtir le Royaume en se redéfinissant elle-même comme force de renouvellement et de transformation de l'humanité. C'est ce qui se cherche là où les chrétiens participent à la mission libératrice de Jésus dans un monde marqué par la violence et les forces d'iniquité où la Croix est la présence anticipée de l'avenir de Dieu? La prise de conscience de cet avenir incite à lutter pour un monde nouveau. Dès lors, la mission s'accomplit lorsque l'Eglise partage le destin de Jésus lui-même à partir de sa solidarité avec les pauvres. Il nous faut donc revenir au pied de la Croix pour redéfinir la mission comme prophétie selon le modèle de Jésus de Nazareth (Lc. 4,18-21). Dans les sociétés africaines où beaucoup de chrétiens investissent trop d'énergie dans le "divin" et dans la religiosité qui s'expriment sous des formes variées, peut-être doit-on retrouver l'actualité de ce modèle en prenant en compte les situations dramatiques qui éveillent un sentiment évangélique d'urgence eschatologique face aux problèmes d'injustice et d'oppression. Dans ce contexte, le Nouveau Testament nous révèle que la mission, c'est d'abord le Dieu qui vient. En d'autres termes, à partir de ce qui porte atteinte à la dignité de chaque être humain, en particulier des pauvres et des opprimés, ce qui est en cause, c'est la gloire de Dieu."23


La question se pose alors de savoir "Comment pouvons-nous approcher les victimes, les témoins et les acteurs de la violence pour les conduire vers ce Christ, victime de la violence des hommes de son temps? Il ne suffit pas d'accompagner l'enfant-victime de la violence, mais il s’agit de s’occuper aussi des parents et du milieu social où il vit. Nous savons bien que la violence fait souffrir les trois groupes. Tous posent des questions comme "Qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce que j'ai fait pour que ce mal-là m'arrive?" Ce sont des questions posées par des personnes que la violence effraie, mais en même temps par celles qui l’ont produite. Il y a aussi un mélange entre peur et satisfaction, jouissance parfois. Présente partout dans le monde des hommes et certainement dans le contexte des enfants à risque, la violence n'en demeure pas moins incompréhensible pour qui pense que le vœu profond de l'humain fragile est de connaître le bonheur et la paix, durant le temps de vie qui est le sien. D'où vient, en effet, que l'homme, qui désire si intensément être heureux, s'acharne avec tant de constance à se rendre lui-même malheureux, ou à désespérer son semblable dans son attente légitime du bonheur? Cette violence est telle une force, sans mesure et sans loi, qui frappe et blesse l'âme aussi bien que le corps, et elle tue aussi bien en privant un homme de sa vie qu'en détruisant ses raisons de vivre.


Toute la Bible parle de cette violence dans la vie de chacun, dans l'histoire du peuple de Dieu.24 L'Evangile indique une autre voie, celle du Christ: conversion vers la bonne violence, celle de la douceur, par la douleur. Non plus la violence de la perversion, de la négation de l'autre comme autre et pourtant mon proche, mais celle qui ouvre à la douceur persévérante, active, de la bonté. Car Dieu, en Christ, est un Dieu bouleversé, touché, un Dieu aux entrailles maternelles. Le Christ prend sur lui la douleur et la peine. Douleur provoquée par la violence, douleur provoquée par les méchants, douleur provoquée par les mémoires de l'absurde en nos vies. C'est aussi la douleur de Jésus devant ses disciples, ses amis pourtant, qui ne comprennent rien et vont s'enfuir quand il aurait fallu demeurer une heure avec lui.25 Devant les enfants et les jeunes qui sont confrontés avec la souffrance et la douleur de la violence, le Christ sur la croix peut devenir l'homme qui leur fait comprendre et sentir que l'inespéré de l'amour est plus réel que la violence. La croix est une critique de la fascination de l'absolu de l'amour tout-puissant, triomphant de tout. Ce deuil de l'amour absolu est salutaire. Il rappelle que l'absolu n'est pas de ce monde, ni sous la forme de la morale, ni sous la forme du messianisme, ni davantage sous celle du politique. La croix joue comme un dévoilement de l'amour vrai et non telle la résolution de l'énigme de la violence. Que Dieu soit maltraité, que Jésus soit l'innocent assassiné, demeure aussi énigmatique que la violence subie par la victime, qui est ici l'enfant innocent que nous trouvons dans les rues de nos villes africaines d'aujourd'hui. Ce qui est exemplaire dans la passion de Jésus, ce n'est pas la souffrance en tant que telle, mais la passion de l'amour de Jésus pour ceux qui souffrent : il a donné sa vie pour nous parce qu'il nous aime tous. La mort sur la croix n'est pas, d'abord, un lieu sanglant, mais un lieu aimant, le sommet d'une vie. Douleur d'avoir aimé jusque-là, de ne rien en regretter, joie imprenable car, d'après le temps de la douleur provoquée par la puissance de l'amour offert, librement.26


Il y a aussi un deuxième aspect dans cette mort du Christ qui peut donner une vie nouvelle et un monde transformé à ceux qui connaissent la souffrance. C'est la descente aux enfers. Les enfers sont, pour les contemporains de Jésus, et pour nous pareillement, le lieu du néant, de la désolation, qui n'en finit pas de finir et où il n'y a plus rien à attendre. Non pas tant la fournaise que l'extrême abandon esseulé. Descendre dans la mort, jusqu'en son fond, vient alors évoquer le mal de la violence, de ces désespoirs et chagrins. La douceur de l'amour de Dieu en son Fils descend jusqu'en ce lieu où il est enseveli. "Des profondeurs, j'ai crié vers toi Seigneur", prie le psaume 129. Comme s'il avait fallu que le Christ lui-même appelât, depuis ces abîmes, pour tous ceux, celles, qui, enfouis sous la peine, ne peuvent plus ni prier ni crier. Face au fardeau qui cherche toujours à entraîner vers la ruine, la descente aux enfers du Fils de l'homme affirme que, là non plus, il n'y a pas de fatalité. Dieu s'est mis là, s'est installé jusque-là. Devant les puissances de violence qui insinuent la mort dans la vie, qui cherchent à la placer, il extirpe chacun de son infernale fatalité. En face de la souffrance et la mort par la violence, Dieu pose la force de la douceur. Le Christ l'a exprimée en ne nous appelant plus serviteurs, mais amis. Bouleversante nouvelle, un Dieu ami des hommes, de tout homme, car c'est lui, pour confirmer cette extrême amitié, qui s'est dépouillé, ne nous demandant aucune sorte de salaire. Comme l'ami qui a mal du mal de son ami peut consentir à, désirer d'un grand désir, perdre sa vie, mais aussi la trouver, afin que son ami vive.27


La question se pose :"Comment mettre en pratique de manière ajustée, respectueuse et responsable cet excès que Dieu nous a confié?" Nous savons seulement qu'il faut le mettre en pratique, maintenant. Le choix entre la mauvaise violence de la mort insinuée dans la vie et la douceur de Dieu doit être fait dans nos manières précaires mais réelles, fragiles mais présentes, d'aimer, de croire, d'espérer, comme Lui. Comme éducateurs, à l'exemple de Don Bosco, nous sommes appelés à être témoins de cette douceur de Dieu en opposition avec la violence du monde dans lequel se trouvent les jeunes. Notre mission se trouve là où Dieu fait place aux hommes en nous donnant son esprit, un esprit d'amour. Don Bosco avait bien compris qu'être envoyé aux jeunes pauvres voulait dire remplir son cœur de bonté et de douceur pour que le jeune puisse vivre, aimer, espérer.



Le défi de la réconciliation


8 Proclamer la réconciliation que Dieu nous offre dans le Christ

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Parler de la mission dans le milieu des jeunes à risque congolais n'est pas seulement leur annoncer la Bonne Nouvelle à eux, mais c’est le faire aussi à leur famille d'origine. Dans le travail avec les jeunes de l’œuvre Maman Marguerite, nous sommes confrontés avec le problème de la réconciliation avec les parents et les membres de famille qui les ont rejetés, qui les ont poussés vers une vie dans la rue, qui les ont parfois accusés d'être enfants-sorciers. Au-delà de l'aspect juridique et social, la réconciliation de Dieu va bien au-delà de tout forme de réparation, de satisfaction ou de correction de ceux qui ont fait le mal. Elle seule peut guérir les vies blessées et restaurer la dignité du blessé. Ayant reçu l'amour infini et incommensurable de Dieu, le chrétien peut se rendre compte que la grâce est plus grande que la loi des hommes. Annoncer la Bonne Nouvelle dans le monde des jeunes à risque est ainsi aider les jeunes et les responsables (parents, famille, éducateurs) à comprendre que le Dieu de la Bible est un Dieu de miséricorde. Ce message est une "Bonne Nouvelle" pour les pauvres, un message qui leur donne de la force pour affronter l'avenir. Dieu leur donne la possibilité de commencer une vie nouvelle.


Dans le Nouveau Testament, les termes que l'on traduit par "réconciliation" ou par "réconcilier" proviennent du grec populaire de l'époque et veulent indiquer la transformation d'une relation perturbée par un renouvellement de la communication et de la rencontre. L'usage du terme sous-entend donc que la réconciliation est un processus de transformation qui engage une interaction réciproque entre les deux partenaires. Elle demande une véritable rencontre. Dans le Sermon sur la montagne (Mt 5,24) le terme est utilisé pour le règlement des querelles entre membres de la communauté avant d'aller devant l'autel. Si la réconciliation des relations humaines est une démarche qui engage deux partenaires en conflit, toute réflexion sur une compréhension chrétienne de ce thème doit partir de la reconnaissance que la réconciliation est offerte unilatéralement par Dieu. La relation entre Dieu et l'humanité, déformée et brisée par le péché, a été restaurée à travers le Christ. Nous sommes appelés et invités à accepter la réconciliation que Dieu nous offre dans le Christ et à la proclamer au monde. A travers lui, de nouvelles relations s'établissent avec ceux qui acceptent son offre: les étrangers et les hôtes deviennent des concitoyens et des membres de la maison de Dieu (Ep. 2,19). Ce n'est pas par de simples négociations ou médiations que des divisions de famille, des conflits entre les parents et les enfants, de fausses accusations, etc. seront résolus. C'est quand tous les membres de la communauté, de la famille de l'enfant maltraité, accusé, renvoyé se tourneront ensemble vers Jésus-Christ que les relations à l'intérieur de la famille et du groupe pourront être restaurées. C'est l'amour de Dieu qui guide le chrétien vers le repentir et prépare la voie de la réconciliation. "C'est seulement quand nous sommes prêts à nommer nos fautes et nos omissions, seulement quand nous sommes capables d'admettre la souffrance causée par les injustices, que nous pouvons espérer nous libérer les uns les autres de ces fardeaux et trouver des chemins nouveaux pour l'avenir. La réconciliation qui vient de Dieu nous conduit dans la large vallée de la vie réconciliée après être passés par la porte étroite du repentir."28


Annoncer la Bonne Nouvelle de la réconciliation et du pardon à des jeunes qui vivent dans un monde dont ils sont victimes, un monde ou les autres sont expérimentés comme concurrents, comme ennemis, comme exploiteurs n'est pas facile, mais c'est un pas nécessaire pour faire comprendre que Dieu se trouve toujours à côté de ceux qui souffrent, qu’il invite toujours le faible à recommencer quand il est tombé.


La réconciliation se réalise aussi sur un niveau plus large de la société et du globe. Les enfants sont aussi des victimes d'une mondialisation qui a brisé la société africaine. Les déplacés de guerre des cinq dernières années au Congo se trouvent dans les camps et dans les rues des grandes villes et des centres urbains. Le travail missionnaire parmi eux est un travail de réconciliation: il s'agit, en effet, de restaurer la dignité humaine et de guérir une société brisée. Il s'agit de dire la vérité, de rechercher la justice et de créer une nouvelle vision morale. Vraiment, il nous semble que la réconciliation pourrait être une métaphore, un mot d'ordre pour la mission en ce début du vingt-et-unième siècle. Dans un monde caractérisé à la fois par une interconnexion de plus en plus serrée par les moyens de communication comme l'Internet, et par une plus grande fragmentation à cause des conflits dans la région des Grands Lacs, nous avons les moyens de "briser le mur de la haine qui nous sépare" (Ephésiens 2,14).29



8.1 Conclusions

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9 Une communauté éducative et missionnaire

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10 et une éducation à la foi adaptée au milieu de nos jeunes à risque.

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Les jeunes à risque viennent frapper à nos portes pour être accueillis, pour être écoutés, pour obtenir une action de bienfaisance, de charité gratuite ou d’assistance humanitaire. Mais même dans ce cas, notre charité est ordonnée. Il ne s’agit pas d’une relation personnelle avec un « boss » qui peut le secourir, mais avec une présence éducative et évangélisatrice. Il ne s’agit pas d’une action personnelle, mais d’une action qui s’intègre dans le projet éducatif et pastoral d'une communauté.30 Une œuvre salésienne ne peut être un vrai signe de l’amour de Dieu pour les jeunes pauvres quand cela se concrétise dans une attitude d’accueil de l’enfant rejeté, d’écoute aux récits de l’enfant profondément blessé, de dialogue dans un esprit de foi et d’espérance. Le travail commun des salésiens de don Bosco, des sœurs de Marie Auxiliatrice, des membres d’autres branches de la Famille salésienne et des laïcs engagés est le premier signe concret d’une Eglise Famille de Dieu pour une enfant qui fréquente nos Œuvres pour les enfants à risque.


Le respect pour la richesse des valeurs africaines et l'ouverture pour les possibilités d'une communion avec tous ceux qui, dans le monde entier, s'engagent pour les enfants à risque nous aideront à devenir un symbole de la fraternité africaine et de la catholicité de la Famille salésienne. Cette fraternité et cette catholicité sont le support d'un échange de dons et le moyen de nous entraider à grandir en nous encourageant mutuellement. Une communion de communautés missionnaires pour les enfants et les jeunes à risque peut passer par un réseau qui est actif par la communication et l'information concernant les projets des uns et des autres, par une action prophétique s'attaquant aux problèmes universels de l'enfant à risque et, chaque fois qu'un événement local le requiert, par une attention d'ensemble. Puisque la mission est universelle ou globale, nous devons faciliter l'émergence de communautés vibrantes de vie, et prophétiques, dans toutes les cultures et tous les peuples.31 D'un point de vue missionnaire, la présence et la qualité ont plus d'importance que le nombre. Cherchons toujours à être des éducateurs et des apôtres des jeunes, les plus pauvres, sans oublier un des deux piliers de l'expression "Evangéliser en éduquant et éduquer en évangélisant". Don Bosco nous l'a montré dans la réalisation de son rêve "universel" et "mondial".

Concernant l’éducation à la foi des jeunes à risque nous croyons que l’écoute à l’histoire de chaque enfant est essentielle. Cette écoute doit être suivie par une référence à un autre récit qui aide l’enfant à ré-interpréter son propre histoire de vie et ainsi à le dépasser pour grandir et changer. C’est une méthode proche de la culture africaine où le récit, dans la forme de conte traditionnelle, était et reste jusqu’aujourd’hui très important. C’est aussi une méthode très fort développée dans la Bible et la tradition de l’Eglise.


Mais le récit doit répondre aux besoins de la situation dans laquelle se trouvent les jeunes. Dans leur milieu socio-politique et économique d’après-guerre et en contact avec des aspects plutôt négatifs de la culture traditionnelle et où des traits culturels positifs comme la solidarité, l'accueil, la fraternité et la famille sont plutôt peu présents, nous sommes invités avant tout à comprendre la mission comme un appel à la libération et à la défense des plus pauvres en ouvrant des chemins d'espérance. Nous sommes appelés à présenter un Jésus qui nous libère de la violence, qu'elle soit nocturne comme la sorcellerie et autres machinations (Jn 3,19) ou qu'elle soit diurne comme les guerres, les pillages, les querelles, les procès d'intention, les calomnies, etc. Cette libération entend établir, d'une part, le Royaume de Dieu dans ses droits et, d'autre part, l'homme dans ses droits et ses obligations de citoyen du Royaume de Dieu, d'enfant de Dieu (Jn 1,12). La caractéristique essentielle de Dieu lui-même et du Royaume de Dieu que nous annonçons, c'est la non-violence qui se manifeste par l'Amour absolu, la douceur, la miséricorde et le pardon sans limites, la fidélité aux engagements, l'amour des ennemis et la prière pour les ennemis, c'est-à-dire pour la réconciliation et la paix.


Un bon chrétien et un honnête citoyen est toujours à la recherche du Royaume de Dieu et de la justice (Mt 6,33), de la paix, de la communion des croyants par le pardon qu'il faut appliquer soixante-dix sept fois sept fois. Par conséquent, nous, éducateurs et témoins de la foi, nous devons rappeler aux jeunes que le salut offert par le Christ nous libère de toutes les terreurs du monde visible et invisible. Certes dans ce monde nous avons peur, comme Jésus l'affirme (Jn 16,33), mais il ajoute tout de suite : "Mais ayez courage, car j'ai vaincu le monde". Et rien ne séparera ou n'arrachera un vrai croyant de l'Amour protecteur du Christ sur la croix.


Nous sommes des témoins du Christ ressuscité en nous mettant à partager avec les jeunes à risque leur souffrance de la violence subie, la peur et la haine senties dans les paroles et les actes de ceux qui leur étaient proches. Nous sommes ainsi des évangélisateurs, des membres de l'Eglise, du Peuple de Dieu qui se construit là où nous découvrons qu'en Jésus-Christ, Dieu s'est mis du côté des crucifiés de l'histoire. Tel est le centre de gravité de notre expérience de la foi. Nous sommes invités à chercher la communion avec ces jeunes. Avec eux nous faisons mémoire de Jésus-Christ qui ressuscite là où un bras se lève pour défendre les pauvres de la rue et ouvrir des chemins de réconciliation avec la famille et d'espérance à une vie nouvelle, en leur présentant l’expérience de l'amour d'un ami des jeunes, don Bosco.


L'attitude d'ouverture pour l'Esprit d'un Dieu miséricordieux et plein d'amour est très présente dans la prière du Magnificat de Marie. Le Dieu dont Marie célèbre la miséricorde est celui qui aime les humbles, les faibles, les persécutés, les malheureux, les veuves, les orphelins. Le Dieu du Magnificat est celui qui se range toujours et inconditionnellement, avec passion, du côté des pauvres. Le regard de Marie découvre en Jésus l'unique roi qui puisse "libérer le pauvre qui n'a personne pour l'aider" (Ps 72,12).32 La prière profonde du Magnificat peut nous aider à continuer la réflexion sur notre rôle missionnaire parmi les pauvres, spécialement les jeunes, que nous trouvons dans les rues d'Afrique.



10.1 Frank Ginneberge

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1 Cf. Xec Marquès, Le projet éducatif des Oeuvres Maman Marguerite. Situation et perspectives, p. 14

2 Luis Pérez Aguirre, Mondialisation, nouveaux enjeux éthiques et Evangile, dans http: /www.culture-et-foi.com/texteliberateur/aguire/issues.htm.

3 CG 23, §79.

4 Nous ne parlons pas ici du défi de la SIDA en référant à la présentation dans ce même séminaire du projet de l’ATE-AFO d’une éducation aux valeurs face au sida.

5 Cf. Jean-Marc Ela, Repenser la Théologie Africaine, pp. 239-240.

6 CG 23, § 80.

7 Juan E. Vecchi, Nouvelles pauvretés, mission salésienne et signifiance, dans JMS 2003, p. 11.

8 Ibid.

9 Conférence Episcopale Nationale du Congo, NEC (Nouvelle évangélisation et catéchèse dans la perspective de l'Eglise Famille de Dieu en Afrique), 2002, n° 135-136.

10 Xec Marquès, op. cit., p. 14.

11 Cf. Xec Marquès, op. cit., p. 5.

12 Osservatore romano, éd. Française, 12 avril 1988, p.4-5, cité par Christianisme et humanisme en Afrique, Paris, Karthala, 2003, pp. 223-224.

13 cf. Michel Dujarier, Vers une mission de fraternité, dans Christianisme et humanisme en Afrique, p. 233.

14 Juan E. Vecchi, op.cit., p.11.

15 NEC, n° 165.

16 cf. EIA, n° 67, cité dans NEC, n° 166.

17 Cf. Partage Pastoral/Spécial, Sorcellerie et Fétichisme. Rapport général et recommandations finales. Centre Pastoral Diocésain, Boma, 67, 13°année, décembre 1998-mars 1999, p.55.

18 Ibid.

19 Ibid. p. 57.

20 Ibid et NEC n° 166-167.

21 cf. Frank Ginneberge, Les enfants accusés de sorcellerie dans les villes du Congo, Lubumbashi, 2003, pp. 21-23.

22 Jean-Marie Petitclerc, La violence et les jeunes, dans Semaines sociales de France, La Violence. Comment vivre ensemble, Paris, Bayard, 2003, pp. 80-81.

23 Jean-Marc Ela, Repenser la Théologie Africaine, Paris, Karthala, 2003, p. 211-212.

24 Cf. Véronique Margron, La violence et le message chrétien, dans Semaines sociales de France, La Violence. Comment vivre ensemble, pp. 124-132.

25 Ibid., p. 136.

26 Cf. Ibid, pp.137-138.

27 Cf. Ibid., pp. 140-141.

28 Konrad Raiser, Une culture de la vie, Paris, Cerf, 2003, p. 148.

29 Cf. Robert Schreiter, Défis actuels à la mission "ad gentes", dans Missions étrangères de Paris, n° 358, avril 2001.

30 Cf. Xec Marqués, Op. cit., p. 16.

31 Cf. Michaël Amaladoss, Les nouveaux visages de la mission, dans DC 2112 (1995) pp. 293-295.

32 Cf. Jean-Marc Ela, Op. cit., pp. 224-229.



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