2006|fr|04: Famille berceau de la vie: Les valeurs anciennes

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di Pascual Chávez Villanueva





FAMILLE BERCEAU DE LA VIE

LES VALEURS ANCIENNES

«Il faut constituer l’image de la famille comme communauté de personnes, où, à la lumière du message évangélique, les composants de tout âge cohabitent dans le respect des droits de tous : de la femme, de l’enfant, les gens agées. (Jean Paul II, V/1, 1982)


grand-père était très âgé. Il avait du mal à marcher, la vue avait baissé, il était un peu sourd, il avait quelque difficulté pour manger, il salissait la nappe. Le fils et belle-fille s’irritèrent, à tel point qu’ils lui préparèrent un siège à part, derrière le poêle. Un jour, pendant qu’on lui présentait la soupe, le vieux n’eut pas le temps d’attraper le bol qui tomba par terre en se brisent en mille morceaux. La belle-fille entra en fureur et elle dit que dorénavant ils lui donneraient à manger dans un bol en bois, comme pour les bêtes. Le vieux soupira et baissa la tête. Le lendemain Michel, le petit-fils, assis par terre auprès du grand-père, essayait de mettre ensemble quelques petits morceaux de bois, minces et recourbés… « Que fais-tu Michel ? » lui demanda le papa : « Je voudrais fabriquer un bol. Quand toi et maman vous serez vieux, il me servira pour vous donner à manger ». L’homme et sa femme se regardèrent et éclatèrent en sanglots.


Cette histoire, que l’on trouve depuis toujours dans les livres de lecture de l’école primaire, nous raconte une vérité « fastidieuse » mais toujours actuelle : cette société qui privilégie les individus capables d’apporter une contribution valide au bien-être commun, met de côté les vieux et leur refuse un espace adéquat aussi bien dans la famille que dans la société. Comme cela arrive toujours, les petits apprennent seulement ce qu’ils vivent et aussi comment on doit traiter les vieux. Il faut apprendre aux enfants une culture de la vieillesse. C’est indispensable et urgent. Car nous devons reconnaître que le « travail de vieillir » n’est pas aussi facile qu’il paraît ; c’est un parcours tortueux et chaotique, parsemé d’ambiguïtés : angoisse et sérénité, amertume et joie, sécurité et crainte, activité et passivité, repli sur soi-même et ouverture le caractérisent.


Les vieillards ont besoin de tout le monde mais au contraire se déclenche l’exclusion inexorable : « ils sont inutiles et coûtent cher ». A moins qu’ils ne soient pris comme babysitter gratuits. S’il est difficile de vieillir il est aussi difficile de cohabiter avec les vieillards : ils sont fragiles, ils ont besoin de patience et de tolérance, vertus presque inconnues.

Dans une culture qui exige l’efficacité la vieillesse semble une blessure, un tort, une faute. Pour beaucoup elle apparaît comme l’antichambre de la mort. Les vieillards ont besoin de la tendresse des personnes aimées. Ils perçoivent comme un tort cruel le fait d’être coupé de la vie de famille : une exclusion qui les mortifie (dans le sens étymologique du terme).

Ils sont des écrins d’expérience : chaque fois que meurt un ancien, c’est une bibliothèque qui meurt. Le premier et grand cadeau que les anciens font dans une famille est justement celui de la transmission, pas tellement des biens matériels, mais de ce qui rend la vie meilleure. Après tout ils l’ont payé cher.

Ainsi est né « l’art d’être grand-père ». La vie les a enrichis d’expérience, ils ont appris à être meilleurs, petit à petit ils ont amassé un trésor de sagesse : un ensemble de souvenirs, d’illusions, de secrets, d’habitudes, d’aspirations, d’espoirs. Les grands-parents peuvent transmettre aux petits-fils cet ensemble d’histoires et de souvenirs, appelés « roman familial », qui a pour les enfants un charme extraordinaire.

Le grand-père peut représenter pour le petit-fils la stabilité des affections familiales. Il peut parler, comme témoin, des temps quand la maman était une petite fille et le papa un écolier, quand à la place du supermarché en face il y avaient les prés, quand à la place du garage il y avait un étang où maman et papa allaient se baigner et où ils se sont connus. Ainsi l’enfant a la sensation que sa famille existe depuis toujours et elle devra continuer à exister. Il a la perception de la continuité des affections. L’enfant craint plus que tout la dissolution de son monde affectif : la présence des grands-parents est certainement source de sécurité et de réconfort.


Depuis le temps de leur enfance jusqu'à nos jours, la société, les valeurs, la foi elle-même ont changé. Beaucoup de grands-parents ont vécu cette évolution avec peine. Leur manière de se situer dans ce nouveau contexte détermine une influence sur la place qu’ils désirent occuper pour communiquer la foi aux petits-fils. Quelques-uns éprouvent peut-être une certaine frustration et sentent surgir en eux un sentiment de culpabilité vis-à-vis de leurs fils qui ne pratiquent plus et ne transmettent pas la foi à leurs enfants. « Est-ce de notre faute ? » se demandent-ils. Je me demande si cette rupture des anneaux de transmission de la foi n’a rien à voir avec l’exclusion totale des vieillards, ce qui fait que l’expérience de la foi, qui les a aidés à faire face à la vie, surtout quand la douleur frappait à la porte de la maison, est ignorée et perdue dans l’oubli. Il se peut, comme l’a écrit un théologien, que nous « soyons en présence d’un des aspects les plus marquants anti-chrétiens de notre société et de notre culture ».


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