401-450|fr|417 «Da mihi animas, cætera tolle» Étrenne 2014

ÉTRENNE 2014



«Da mihi animas, cætera tolle»

Puisons dans l’expérience spirituelle de Don Bosco,

pour marcher sur le chemin de la sainteté

selon notre vocation spécifique

« La gloire de Dieu et le salut des âmes »





Bien chers Frères et Sœurs de la Famille Salésienne,



Nous sommes en passe de conclure le triennium de préparation au Bicentenaire de la naissance de Don Bosco. Nous avons consacré la première année à connaître sa figure historique, et la deuxième année à saisir en lui le visage de l’éducateur et à actualiser sa pratique éducative. Durant cette troisième et dernière année, nous avons l’intention d’aller à la source de son charisme en puisant dans sa spiritualité.


La spiritualité chrétienne est centrée sur la charité, c’est-à-dire la vie même de Dieu qui, dans sa réalité la plus profonde, est Agapè, Charité, Amour. La spiritualité salésienne n'est pas différente de la spiritualité chrétienne qui est, elle aussi, centrée sur la charité ; il s’agit ici de la «charité pastorale», à savoir la charité qui nous pousse à chercher « la gloire de Dieu et le salut des âmes » : « caritas Christi urget nos » [« l'amour du Christ nous saisit »] (2 Co 5,14).


Comme tous les grands saints fondateurs, Don Bosco a vécu la vie chrétienne avec une ardente charité et a contemplé le Seigneur Jésus dans la perspective particulière du charisme que Dieu lui a confié, à savoir la mission auprès des jeunes. La « charité salésienne » est charité pastorale parce qu’elle recherche le salut des âmes ; et elle est charité éducative parce que l'éducation nous permet d'aider les jeunes à développer toutes leurs énergies à agir pour le bien ; de cette façon, les jeunes peuvent grandir comme d'honnêtes citoyens, de bons chrétiens et de futurs habitants du ciel.


Je vous invite donc, chers frères et sœurs, membres de la Famille Salésienne, à puiser aux sources de la spiritualité de Don Bosco, c'est-à-dire à sa charité éducative et pastorale, qui a son modèle dans le Christ Bon Pasteur et trouve sa prière et son programme de vie dans la devise de Don Bosco : « Da mihi animas, cætera tolle ». Nous pourrons découvrir ainsi un « Don Bosco mystique » dont l'expérience spirituelle est le fondement de notre manière de vivre aujourd'hui la spiritualité salésienne, dans la diversité des vocations qui s’inspirent de lui. Nous pourrons ainsi nous-mêmes faire une forte expérience spirituelle salésienne.

Connaître la vie de Don Bosco et sa pédagogie ne signifie pas comprendre le secret le plus profond et la raison ultime de sa surprenante actualité. Il ne suffit pas de connaître les différents aspects de la vie de Don Bosco, ses activités ainsi que sa méthode éducative. À la base de tout cela, comme une source qui féconde son action et son actualité, il y a quelque chose qui, souvent, nous échappe même à nous, ses fils et ses filles : sa vie intérieure profonde, ce que l’on pourrait appeler sa « familiarité » avec Dieu. Et qui sait si ce n’est pas justement cela que nous ayons de meilleur chez lui, pour pouvoir l’invoquer, l’imiter, le suivre pour rencontrer le Christ et le faire rencontrer aux jeunes.


Aujourd’hui on pourrait tracer le profil spirituel de Don Bosco à partir des impressions de ses premiers collaborateurs, passer ensuite au livre écrit par le Père Eugenio Ceria, « Don Bosco avec Dieu », qui fut la première tentative de synthèse pour divulguer sa spiritualité, et comparer ensuite les différentes relectures de l’expérience spirituelle de Don Bosco faites par ses Successeurs, pour arriver enfin aux recherches qui ont marqué un tournant dans l’étude de la manière de vivre la foi et la religion par Don Bosco lui-même.


Ces études s’avèrent plus fidèles aux sources, plus enclines à considérer les différentes visions et les différentes figures spirituelles qui ont influencé Don Bosco (saint François de Sales, saint Ignace, saint Alphonse-Marie de Liguori, saint Vincent de Paul, saint Philippe Néri…) ; ces mêmes études sont également promptes à reconnaître que son expérience a été de toute manière une expérience originale et géniale. Il serait intéressant, au point où nous en sommes, d’avoir un nouveau profil spirituel de Don Bosco, à savoir une nouvelle hagiographie comme la théologie spirituelle l’entend aujourd’hui.


Le Don Bosco « homme spirituel » a intéressé Walter Nigg, pasteur luthérien et professeur d’histoire de l’Église à l’Université de Zurich, qui écrivait ceci : « Présenter sa figure en faisant l’impasse sur le fait que nous avons affaire à un saint reviendrait à présenter une demi-vérité. La catégorie du saint doit passer avant celle de l'éducateur. Tout autre classement fausserait la hiérarchie des valeurs. D'autre part, le saint est l'homme chez qui le naturel pénètre le surnaturel ; et le surnaturel est présent en Don Bosco de manière significative [...]. Pour nous, il ne fait aucun doute: le vrai saint de l'Italie moderne, c’est Don Bosco ».1


Dans les mêmes années quatre-vingts du siècle dernier, cette opinion était partagée par le théologien dominicain Dominique Chenu. À la question d’un journaliste qui lui demandait de lui indiquer le nom de quelques saints porteurs d’un message d’actualité pour les temps nouveaux, le Père répondait : « Il me plaît de rappeler, avant tout, celui qui a eu un siècle d’avance sur le Concile : Don Bosco. Il est déjà prophétiquement un modèle de sainteté pour son œuvre qui est une rupture d’avec la façon de penser et de croire de ses contemporains ».


À chaque époque et dans chaque contexte culturel, il s’agit de répondre aux questions suivantes :

  • Qu’a reçu Don Bosco du milieu où il a vécu ?

  • Dans quelle mesure est-il redevable à son contexte, à sa famille, à l’école, à l’Église, à la mentalité de son époque ?

  • Comment a-t-il réagi et qu’a-t-il apporté à son époque et à son milieu ?

  • Comment a-t-il influé sur les temps qui ont suivi ?

  • Comment ses contemporains l’ont-ils perçu : Salésiens, peuple, Église, laïcs ?

  • Comment les générations suivantes l’ont-elles compris ?

  • Quels aspects de sa sainteté nous apparaissent-ils aujourd’hui le plus intéressants ?

  • Comment traduire aujourd’hui, sans la copier, la manière dont Don Bosco a interprété à son époque l’Évangile du Christ ?


Voilà les questions auxquelles devrait répondre une nouvelle hagiographie de Don Bosco. Il ne s’agit pas d’arriver à identifier un profil unique de Don Bosco, définitif et valable partout et toujours, mais d’en souligner un qui soit adapté à notre époque. Il est évident que pour chaque saint, on souligne les aspects intéressants pour leur actualité, laissant de côté ceux que l’on ne considère pas nécessaires à l’époque où l’on vit, ou que l’on n’estime pas caractéristiques du saint.


En fait, les saints sont une réponse aux besoins spirituels d’une génération, l’illustration éminente de ce que les chrétiens d’une époque entendent par sainteté. Évidemment, l’imitation souhaitée d’un saint ne peut qu’être « proportionnelle » à la référence absolue qui est Jésus de Nazareth ; en effet, chaque chrétien, dans sa situation concrète, est appelé à incarner à sa manière l’universelle figure de Jésus, d’une manière non exhaustive, bien sûr. Les saints offrent un chemin concret et valable vers cette identification avec le Seigneur Jésus.


Dans le commentaire de l’Étrenne que je propose à la Famille Salésienne, les trois contenus fondamentaux que je développerai seront les suivants : des éléments de la spiritualité de Don Bosco ; la charité pastorale comme centre et synthèse de la spiritualité salésienne ; la spiritualité salésienne pour toutes les vocations. À la fin, j’indiquerai certains engagements concrets que je développe déjà ici par avance.



1.Éléments de la spiritualité de Don Bosco


Parvenir à une identification précise de la spiritualité de Don Bosco n’est pas chose facile ; et ce n’est sans doute pas pour rien que cet aspect de sa personnalité soit le moins approfondi. Don Bosco est un homme tout donné au travail apostolique ; il ne nous fournit pas de description de ses évolutions intérieures, ni ne nous laisse des réflexions particulières sur son expérience spirituelle. Il n’écrit pas de journaux spirituels et ne donne pas d’interprétation de ses mouvements intérieurs ; il préfère transmettre un esprit en décrivant les événements de sa vie, ou bien à travers les biographies de ces jeunes. Il ne suffit certes pas de dire que sa spiritualité est la spiritualité apostolique de celui qui exerce une pastorale active, pastorale de médiation entre une spiritualité savante et une spiritualité populaire ; il faut déterminer le noyau de son expérience spirituelle.


Mais se pose un problème sérieux : comment enquêter sur la spiritualité de Don Bosco, vu l’extrême pauvreté des sources de sa vie intérieure ? Laissons aux théologiens de la spiritualité le soin d’approfondir ce thème méthodologique et essayons de repérer quelques éléments fondamentaux et caractéristiques de son expérience spirituelle.


La spiritualité est une manière caractéristique de sentir la sainteté chrétienne et de tendre vers elle ; c’est une manière particulière d’orienter sa vie pour cheminer vers la perfection chrétienne et la participation d’un charisme spécial. En d’autres termes, c’est le vécu chrétien, une action conjointe avec Dieu qui présuppose la foi.


La spiritualité salésienne comporte différents éléments : c’est un style de vie, de prière, de travail, de rapports interpersonnels ; une forme de vie communautaire ; une mission éducative et pastorale basée sur un patrimoine pédagogique ; une méthode de formation ; un ensemble de valeurs et d’attitudes caractéristiques ; une attention particulière à l’Église et à la société à travers des secteurs spécifiques d’engagement ; un héritage historique fait de documents et de textes écrits ; un langage caractéristique ; un ensemble typique de structures et d’œuvres ; un calendrier avec des fêtes et des commémorations propres…


Dans le cadre général de référence de l’histoire de la spiritualité du XIXème siècle, nous explicitons certains éléments qui semblent particulièrement importants pour décrire l’expérience spirituelle de Don Bosco : à savoir son point de départ, son enracinement profond, les outils dont il disposait et son point d’arrivée.



1.1. Point de départ : la gloire de Dieu le salut des âmes


La gloire de Dieu et le salut des âmes ont été la passion de Don Bosco. Promouvoir la gloire de Dieu et le salut des âmes équivaut à conformer sa propre volonté à celle de Dieu qui, justement, veut autant la pleine manifestation du bien qui est Lui-même, ou plutôt sa gloire, que l’authentique réalisation du bien de l’homme, qui est le salut de son âme.


Dans un rare passage de son « histoire de l’âme », Don Bosco avouera (1854) son secret à propos des finalités de son action : «Quand je me suis destiné à cette partie du saint ministère, j’entendais consacrer chacune de mes fatigues à la plus grande gloire de Dieu et au bien des âmes ; j’entendais m’employer à faire des jeunes de bons citoyens sur cette terre pour qu’ils soient un jour de dignes

habitants du ciel. Dieu m’aide à pouvoir continuer jusqu’à mon dernier souffle. Ainsi soit-il.»2

Dans le même texte, quelques lignes auparavant, il avait écrit :

« Ut filios Dei, qui erant dispersi, congregaret in unum. Joan. c. 11 v. 52. [« afin de rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés. » Jn 11,52]. Les paroles du saint Évangile qui nous font connaître le Divin Sauveur venu du ciel sur la terre pour rassembler tous les enfants de Dieu, dispersés dans les différentes parties du monde, me semblent pouvoir s’appliquer littéralement à la jeunesse de notre époque. Cette portion, le plus délicate et la plus précieuse de la Société humaine, sur laquelle se fondent les espérances d’un heureux avenir, n’est pas d’elle-même pervertie […] La difficulté consiste à trouver la manière de les [ces jeunes] rassembler, de pouvoir leur parler et leur transmettre une morale. Ce fut la mission du Fils de Dieu ; la sainte religion ne peut faire que cela. » 3


À la base du choix de faire l’Oratoire [« faire le patronage »], il y a la volonté salvifique de Dieu, exprimée dans l’Incarnation de son Fils, envoyé pour rassembler dans l’unité autour de lui les hommes dispersés dans les méandres de l’erreur et sur de fausses voies de salut. L’Église est appelée à répondre dans le temps à cette mission divine de salut. L’Oratoire s’inscrit donc dans l’économie du salut ; c’est une réponse humaine à une vocation divine et non pas une œuvre fondée sur la bonne volonté d’une personne.


Pour en avoir confirmation, nous lisons dans une chronique du 16 janvier 1861 : « Interrogé sur son avis à propos du système de l’efficacité de la grâce, il [Don Bosco] répondit : j’ai beaucoup étudié ces questions ; mais mon système est celui qui abonde le plus à la plus grande gloire de Dieu. Qu’est-ce qui m’importe ? Avoir un système strict et qui envoie ensuite une âme en enfer ; ou avoir un système souple pourvu qu’il envoie les âmes en paradis ? »4


Nous avons une expression analogue, du 16 février 1876, sur sa façon de procéder dans ses initiatives : « Nous allons de l’avant en marchant toujours sur du velours; avant d’entreprendre les choses, nous nous assurons que ce soit la volonté de Dieu qu’il en soit ainsi. Nous commençons toujours nos affaires avec la certitude que c’est Dieu qui le veut. Une fois établie cette certitude, nous continuons. Rencontre-t-on mille difficultés en chemin ? Peu importe, Dieu le veut et nous faisons face avec intrépidité à toute difficulté. »5


Aux finalités de l’Oratoire, correspondent à l’identique celles de l’«Œuvre des Oratoires », c’est-à-dire de la Société Salésienne, de l’Institut des Filles de Marie Auxiliatrice, des Coopérateurs Salésiens, de l’Association des Dévots de Marie Auxiliatrice ; ils sont tous animés, motivés et soutenus par le même objectif. Quelques citations, parmi un très grand nombre que l’on pourrait rapporter, suffisent concernant les Salésiens.


Dans l’introduction à la première rédaction des Constitutions, Don Bosco affirmait que ses premiers collaborateurs ecclésiastiques s’étaient associés avec la « promesse de ne s’occuper que des affaires que leur supérieur jugerait utiles à la plus grande gloire de Dieu et au bien de leur âme. »6 Dans le chapitre suivant sur le but de la société, on répétait : les Salésiens « s’empressent à former un seul cœur et une seule âme pour aimer et servir Dieu. »7


En outre, le 11 juin 1860, dans la supplique envoyée à l’Archevêque de Turin pour l’approbation des Constitutions, on pouvait lire : « Nous soussignés, uniquement motivés par le désir d’assurer notre salut éternel, nous sommes unis pour mener la vie commune afin de pouvoir vivre plus commodément ce qui a trait à la gloire de Dieu et au salut des âmes. »8 Ensuite, le 12 janvier 1880, il écrivait au Cardinal Ferrieri que l’objectif de l’œuvre salésienne était toujours le même : « Je crois pouvoir assurer Votre Éminence que les Salésiens n’ont pas d’autres objectifs que de travailler à la plus grande gloire de Dieu, au bien de la Sainte Église, de répandre l’Évangile de Jésus-Christ parmi les Indiens de la Pampa et en Patagonie.9


Du reste, Don Bosco avait déjà déterminé la même finalité pour la jeune Société de Saint François de Sales, en écrivant aux Salésiens, dans sa circulaire du 9 juin 1867 qui précédait de deux ans l’approbation de la Congrégation : « Le premier objet de notre Société est la sanctification de ses membres […] Chacun doit entrer dans la Société avec le seul désir de servir Dieu le plus parfaitement possible et de faire du bien à soi-même ; par faire à soi-même le vrai bien, on entend le bien spirituel et éternel. »10



1.2. Une racine profonde : l’union avec Dieu


L’unum necessarium [l’unique nécessaire] est la racine profonde de sa vie intérieure, de son dialogue avec Dieu, de son intense activité d’apôtre. Il ne fait aucun doute que chez Don Bosco la sainteté resplendit dans ses œuvres ; mais il est sûrement vrai que ses œuvres ne sont qu’une expression de sa foi. Ce ne sont pas les œuvres réalisées qui font de Don Bosco un saint, comme nous le rappelle saint Paul : « J'aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel… si je n'ai pas la charité, s'il me manque l'amour, cela ne me sert à rien » (1Co 13) ; mais c’est une foi vivifiée par la charité agissante (cf. Ga 5,6b) qui fait de lui un saint : « C'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez [les vrais prophètes] » (Cf. Mt 7.16.20).


Tous les chrétiens sont invités à l’union avec Dieu, réelle et non seulement psychologique. L’union avec Dieu, c’est vivre sa vie en Dieu et en sa présence ; c’est la vie divine qui est en nous par participation ; c’est un exercice de la foi, de l’espérance et de la charité que suivent nécessairement les vertus infuses, les vertus morales, etc. Don Bosco donne de la force évangélique à son propre vécu, il fait de la transmission de la foi en Dieu sa raison de vivre, selon la logique des vertus théologales : avec une foi qui devient signe fascinant pour les jeunes, une espérance qui devient parole lumineuse pour eux, une charité qui devient geste d’amour envers les laissés-pour-compte.


Don Bosco a toujours été fidèle à sa mission de charité effective : là où un mysticisme désincarné aurait risqué de couper les ponts avec la réalité, la foi l’a obligé à rester en première ligne dans un acte d’extrême fidélité à l’homme dans le besoin ; là où pouvaient l’envahir fatigue et résignation, l’espérance l’a soutenu ; là où il semblait ne plus y avoir de remède, le chemin indiqué par Paul l’a poussé à agir : « Caritas Christi urget nos » [l'amour du Christ nous saisit] (2Co 5,14). La charité vécue par Don Bosco ne s’arrête pas devant les difficultés : « Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. » (1Co 9,22). Ce n’était pas les échecs qu’il fallait craindre dans le domaine de l’éducation mais l’inertie et le désengagement.


Vivre la foi : cela signifie s’abandonner avec joie et en toute confiance à Dieu qui s’est révélé en Jésus, de sorte que l’on puisse être capable de vivre toutes les situations en termes de salut : c’est-à-dire accueillir toutes les circonstances de l’histoire de manière à permettre à Dieu d’y manifester son action salvifique. Aucune situation ne correspond tout à fait au vouloir de Dieu, mais l’homme peut vivre chaque situation de manière à y accomplir toujours la volonté de Dieu.


Vivre l’espérance : cela signifie attendre chaque jour pour être capable d’accueillir son don prochain ; cela signifie attendre chaque jour Dieu qui vient à travers les dons de sa création : il a chaque jour un don. Il en va ainsi dans toutes les situations, même dans les situations d’échec : « rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur. » (Rm 8,39)


Vivre la charité : cela signifie faire de l’instant présent un espace de l’amour de Dieu. Pour être capable d’une attitude d’offrande de soi, il faut s’y exercer continuellement ; cela réclame un lieu qui stimule : la mission salésienne en est un sans aucun doute.


Tout cela a été vécu par Don Bosco en esprit d’authentique prière. Il n’a pas laissé de formules de piété, ni même une de ses dévotions particulières. Sa conception est réaliste et pratique. Seulement les prières du bon chrétien, faciles, simples, mais dites avec persévérance. Ce qui importait à Don Bosco, c’était que les Salésiens consacrent toute leur vie au salut des âmes et sanctifient leur travail en l’offrant à Dieu ; la prière devait intervenir comme élévation de l’âme, comme demande et aliment ; en d’autres mots, les « pratiques de piété » avaient une sorte de fonction ascétique. Les résultats de cet exercice dans la vie Don Bosco sont sous les yeux de tout le monde.


Écoutons deux témoignages. Voici ce qu’un ancien élève de 45 ans, militaire et enseignant dans l’armée, écrit depuis Florence à Don Bosco qui se trouve à Turin :

« Mon cher et bien-aimé Don Bosco, il semble que vous ayez raison de vous plaindre de moi, certes ; mais croyez aussi que je vous ai toujours aimé et que je vous aimerai toujours : en vous, je trouve tout le réconfort dont j’ai besoin et j’admire de loin votre action ; je n’ai jamais mal parlé ni permis que l’on parlât mal de vous ; j’ai toujours pris votre défense. Je vois en vous quelqu’un qui pourrait retourner mon âme dans tous les sens ; je suis resté confus, en extase, électrisé par vos raisonnements ; ils ont été forts et sincères : vous avez jeté le trouble en moi et m’avez rendu tel que je ne pouvais que rester ébloui en voyant que vous m’aimez toujours viscéralement, oui, cher Don Bosco. Je crois en la communion des Saints […]. Personne plus que vous ne sait et ne connaît mon cœur, et ne pourra me dire quelle décision prendre . Je conclus donc en vous demandant de me conseiller, de m’aimer, de me pardonner et de me recommander à Dieu, à Jésus, à la très Sainte Vierge Marie… Je vous embrasse de tout mon cœur et je vous prie de croire que je vous aime… »11


Le second témoignage est une page très émouvante du saint Don Orione à ses jeunes abbés en 1934, l’année de la canonisation de Don Bosco :

« Je vais vous dire la raison, le motif, la cause pour lesquels Don Bosco est devenu un saint. Don Bosco est devenu saint parce qu’il a nourri toute sa vie de Dieu, parce qu’il a nourri notre vie de Dieu. À son école, j’ai appris que ce saint ne nous remplissait pas la tête de sottises ou de n’importe quoi, mais il nous nourrissait de Dieu, et il se nourrissait lui-même de Dieu, de l’Esprit de Dieu. De même que la mère se nourrit elle-même pour pouvoir ensuite nourrir son enfant, ainsi Don Bosco se nourrissait lui-même de Dieu pour nous nourrir de Dieu nous aussi. C’est pour cela que ceux qui ont connu le saint, et qui ont eu la grâce insigne de grandir à ses côtés, d’entendre sa parole, de l’approcher, de vivre de quelque façon la vie du saint, ont retenu de ce contact quelque chose qui n’est pas terrestre, qui n’est pas de l’ordre de l’humain ; quelque chose qui nourrissait sa vie de saint. Il orientait tout vers le ciel, il orientait tout vers Dieu, et il tirait motif de tout pour élever nos âmes vers le ciel, pour diriger nos pas vers le ciel. »


1.3. Des outils : des valeurs invisibles traduites dans des œuvres visibles


Au centre de la spiritualité de Don Bosco, il y a seulement Dieu à connaître, aimer et servir pour son propre salut, moyennant la réalisation d’une vocation personnelle concrète : le don de soi religieux et apostolique – bénéfique, éducatif, pastoral – aux jeunes, surtout les pauvres et les abandonnés, en vue de leur salut intégral, sur le modèle du Christ Sauveur et à l’école de Marie, Mère et Maîtresse. Ce n’est pas pour rien, par exemple, que le substantif le plus fréquemment employé dans un volume de ses lettres est « Dieu », et le verbe le plus utilisé, après le verbe « faire », est le verbe « prier ».12


Chez Don Bosco, on a une spiritualité active ; il est tendu vers l’action, une activité intense, poussé par l’urgence et la conscience d’une mission reçue du ciel. Le choix de l’activité intense confère au détachement une acception particulière en vue de l’action apostolique. Si chez saint Alphonse le détachement est surtout intérieur à l’homme, chez Don Bosco il acquiert davantage de sens dans cette activité intense : le détachement aide à s’engager dans les œuvres que Dieu demande d’accomplir.


Chez Don Bosco, l’on découvre le sens de la relativité des choses et, en même temps, de leur nécessaire utilisation pour lui et pour le but qui lui tient à cœur. Il choisit donc ne pas s’attacher de façon stricte à certains schémas, préférant une lecture plus pratique, plus pastorale et plus spirituelle que théologique et spéculative. Sa spécificité originale est le salut des jeunes à atteindre par la bonté affectueuse, la douceur, la joie, l’humilité, la piété eucharistique et mariale, la charité envers Dieu et les hommes.


Le rapport entre l’amour pour Dieu et l’amour fraternel est identique aussi bien pour le chrétien en général que pour le religieux. Il s’agit de vivre une consécration à Dieu et à sa plus grande gloire dans un dévouement total à faire le bien pour le salut de son âme et de celle d’autrui, en une pure offrande de soi-même sans rien garder pour soi, une oblation faite en communion avec ses frères, dans la charité, l’obéissance et la solidarité communautaire.


Don Bosco, au titre de la sensibilité humaine et de la participation sacerdotale, a su s’insérer d’une manière réaliste dans la société, donnant un témoignage de foi, exhortant sans respect humain, intervenant directement, même là où, au regard de certains, il semblait compromettre la dignité sacerdotale. Il a vécu les valeurs fortes de sa vocation mais il a su aussi les traduire en fait sociaux, en gestes concrets, sans se replier dans le spirituel, l’ecclésial, le liturgique, au sens d’espace exempt des problèmes du monde et de la vie.


En Don Bosco l’Esprit s’est fait vie. Il n’a pas fui en avant ni n’est resté en retard.

Fort de sa vocation, il n’a pas vécu le quotidien comme s’il n’avait pas d’horizons en vue ; comme enfermé dans une coquille protectrice en refusant d’affronter ouvertement une réalité plus ample et plus diversifiée ; comme limité dans un monde étroit et de peu de besoins à satisfaire ; comme dans un lieu de répétition presque mécanique de comportements traditionnels ; comme refus des tensions, du sacrifice exigeant, du risque, du renoncement au succès immédiat, de la lutte. Rien de tout cela.


À ce propos, une citation d’il y a 120 ans peut être intéressante ; et si ce n’était pour certains termes employés, elle pourrait être actuelle. Il s’agit d’un témoignage « extérieur » à Don Bosco ; il nous offre la lecture que les autres, peut-être même inspirés par les Salésiens, faisaient de son œuvre. Il s’agit du Cardinal Vicaire de Rome, Lucido Maria Parocchi, qui écrivait en 1884 :


« Quelle est la particularité de la Société Salésienne ? Je veux parler de ce qui distingue votre Congrégation, de ce qui constitue votre caractère propre ; de même que les Franciscains se distinguent par la pauvreté, les Dominicains par la défense de la foi, les Jésuites par la culture, votre Congrégation porte en elle quelque chose qui s’apparente aux Franciscains, aux Dominicains et aux Jésuites mais qui s’en distingue par l’objet et les modalités… Qu’y a-t-il donc de spécial dans la Congrégation Salésienne ? Quel peut bien être son caractère, sa physionomie ? Si j’en ai bien compris, si j’en ai bien saisi le concept, son caractère spécifique, sa physionomie, sa note essentielle est la charité exercée selon les exigences du siècle : nos credidimus Charitati. Deus caritas est [Nous avons cru à l’Amour. Dieu est Amour]. Le monde présent ne peut être séduit et attiré vers le bien que par les œuvres de charité. Le monde ne veut et ne connaît rien d’autre aujourd’hui que les choses matérielles ; personne ne veut rien savoir des choses spirituelles. On ignore les beautés de la foi, on méconnaît les grandeurs de la religion, on refuse l’espérance de la vie à venir, on nie Dieu lui-même. Ce siècle ne comprend de la charité que le moyen et non la fin ni le principe. Il sait analyser cette vertu mais il ne sait pas en composer la synthèse. Animalis homo non percipit quae sunt spiritus Dei [L'homme qui n'a que ses forces d'homme ne peut pas saisir ce qui vient de l'Esprit de Dieu (1Co 2,14)] : ainsi parle saint Paul. Dire aux hommes de ce siècle : " Il faut sauver les âmes qui se perdent, il est nécessaire d’instruire ceux qui ignorent les principes de la religion, il faut faire l’aumône pour l’amour de ce Dieu qui, un jour, récompensera les gens généreux ", les hommes de ce siècle ne le comprennent pas. Il faut donc s’adapter au monde, un monde qui vole, qui plane. Dieu se fait connaître aux païens à travers la loi naturelle ; il se fait connaître aux Hébreux par la Bible, aux Grecs schismatiques dans les grandes traditions des Pères ; aux protestants grâce à l’Évangile : au monde actuel par la charité. Dites à ce siècle : je vous sors les jeunes des rues pour qu’ils ne se fassent pas écraser par les tramways, pour qu’ils ne tombent pas dans un puits ; je vous les place dans un pensionnat pour qu’ils n’abîment pas leur jeune âge dans le vice et la débauche ; je les rassemble dans les écoles pour les éduquer pour qu’ils ne deviennent pas un fléau pour la société, qu’ils ne finissent pas dans une prison ; je les appelle à moi et je veille sur eux pour qu’ils ne se crèvent pas les yeux les uns les autres, et alors là, les hommes de ce monde comprennent et commencent à croire ».13


À propos de nos œuvres, nous devons tenir compte du fait que si les laïcs apprécient nos services sociaux, c’est souvent pour la rapidité et le caractère incisif de notre intervention, pour l’aspect utilitaire du service, en sécularisant presque le religieux qui en est chargé, dont ils ne voient que l’aspect philanthropique et non la charité et l’inspiration évangélique. Nos œuvres sont parfois considérées comme des entreprises lucratives voire des entreprises de prestige au vu du manque de la part de l’État. Les croyants eux-mêmes doutent souvent également de la valeur religieuse de nos œuvres, même quand ils les aident et bénéficient de leurs services ; on en laisse la responsabilité aux gestionnaires et on ne s’inspire pas de l’expérience religieuse de la Congrégation. Trop de volontaires font peu confiance à la pertinence et à la souplesse de fonctionnement de nos œuvres. Il y a de quoi réfléchir. Et beaucoup !


1.4. Point d’arrivée : la sainteté


Don Bosco se situe dans le droit fil de l’humanisme dévot de saint François de Sales qui propose à toutes catégories de personnes le chemin de la sainteté. La caractéristique soulignée chez Don Bosco est cependant une sainteté commune pour tous, chacun son propre état de vie. Il ne distingue pas différents degrés de sainteté et refuse des analyses de ce type. Il utilise des schémas scolastiques puisés dans la spiritualité catholique de l’époque. Sa théologie est christocentrique et eucharistique, mariale, alimentée par l’exercice de certaines vertus, spécialement l’obéissance. La sainteté n’exclut pas la joie et la gaieté ; Don Bosco ne demande pas de pénitences mais l’engagement qui dérive d’une vie de grâce, dans l’accomplissement de ses propres devoirs.


Au terme classique de « dévotion » pour indiquer l’état de charité qui nous fait agir promptement et avec diligence pour Dieu, Don Bosco préfère celui de sainteté, celle de qui vit en état de grâce habituelle parce qu’il a réussi, avec son engagement personnel et l’aide de l’Esprit, à éviter le péché dans les formes les plus courantes chez les jeunes : mauvais camarades, mauvaises conversations, impureté, scandale, vol, intempérance, orgueil, respect humain, manque aux devoirs religieux…


Après saint François de Sales et avant le Concile Vatican II, Don Bosco nous enseigne que la sainteté est possible pour tous, que la grâce suffisante est donnée à tous pour y parvenir et que la sainteté dépend beaucoup de la coopération de l’homme avec la grâce. Bien sûr, la sainteté est rendue difficile, mais non pas impossible, par différents obstacles : imperfections, défauts, passions, démon, péché. La sainteté n’est pas impossible, vu les nombreux moyens à notre disposition : vertus théologales, dons de l’Esprit Saint, vertus morales infuses ou acquises, effort ascétique…


Notre spiritualité court le risque de devenir inefficace parce que les temps ont changé et parce que parfois nous la vivons superficiellement. Pour l’actualiser, nous devons repartir de Don Bosco, de son expérience spirituelle et de son Système Préventif. Les jeunes abbés (jeunes Salésiens) du temps de Don Bosco voyaient ce qui n’allait pas et ne voulaient pas être des religieux, mais ils étaient enchantés par lui. Les jeunes ont besoin de « témoins », comme l’a écrit Paul VI. Il faut des « hommes spirituels », des hommes de foi, sensibles aux choses de Dieu et prêts à l’obéissance religieuse dans la recherche de ce qui est mieux. Ce n’est pas la nouveauté qui nous rend libres mais la vérité ; la vérité ne peut pas être la mode, la superficialité, l’improvisation : « veritas liberabit vos » [La vérité vous rendra libres] (Jn 8,32).



Nous avons vu auparavant quel « type » de personne spirituelle était Don Bosco : profondément homme et totalement ouvert à Dieu ; en harmonie entre ces deux dimensions, il a vécu un projet de vie assumée avec décision : le service des jeunes. Don Rua le souligne : «Pas un de ses pas, pas une de ses paroles, pas une de ses entreprises qui n’ait eu pour but le salut de la jeunesse. »14 si l’on examine son projet pour les jeunes, on voit qu’il a un « cœur », un élément qui lui donne du sens, de l’originalité : « En toute vérité il n’eut rien d’autre à cœur que les âmes. »15


Il y a donc une explication ultérieure et concrète de l’unité de sa vie : avec son dévouement aux jeunes, Don Bosco voulait leur communiquer l’expérience de Dieu. Ce n’était pas seulement générosité ou philanthropie mais charité pastorale. Celle-ci est appelée « centre et synthèse » de l’esprit salésien.16


« Centre et synthèse » est une affirmation bien choisie et engageante. Il est plus facile d’énumérer différents traits, même fondamentaux, de notre spiritualité, sans s’engager à établir entre eux un rapport ou une hiérarchie, que d’en sélectionner un comme principal. Dans ce cas, il faut entrer dans l’âme de Don Bosco ou du Salésien et découvrir l’élément qui explique son style.


Pour comprendre ce qu’inclut la charité pastorale, parcourons un itinéraire à trois points : réfléchissons d’abord sur la charité, ensuite sur la spécification du mot « pastorale » et enfin sur la caractéristique « salésienne » de la charité pastorale



2.1. Charité


Saint François de Sales écrit : «L’homme est la perfection de l’univers, l’esprit est la perfection de l’homme, l’amour est la perfection de l’esprit, et la charité est la perfection de l’amour. »17 C’est une vision universelle qui place dans une échelle ascendante quatre manières d’exister : l’être, l’être une personne, l’amour comme forme supérieure à toute autre expression, la charité comme expression maximale de l’amour.


L’amour représente le point d’arrivée maximum de la maturation de toute personne, chrétienne ou non. L’engagement éducatif se propose d’amener la personne à être capable de se donner dans un amour de bienveillance.


Les psychologues, et pas seulement Jésus-Christ, disent qu’une personnalité achevée et heureuse est capable de générosité et de désintéressement, et parvient à vivre un amour qui ne soit pas seulement de la concupiscence, c’est-à-dire la satisfaction d’être aimé. Différentes formes de névroses ou de perturbations de la personnalité dérivent du fait d’être centré sur soi-même ; et les thérapies appropriées essaient toutes d’ouvrir et décentrer vers les autres la personne atteinte.


La charité est par ailleurs le centre principal de toute spiritualité : elle n’est pas seulement le premier et principal commandement, et donc le programme principal pour le cheminement spirituel, mais encore la source de l’énergie pour progresser. Il y a sur la charité une abondante réflexion, surtout en saint Paul (2 Cor 12,13-14) et en saint Jean (1Jn 4,7-21). Prenons seulement quelques points.


La charité qui brûle en nous est un mystère et une grâce ; elle ne provient pas d’une initiative humaine, elle est participation à la vie divine et effet de la présence de l’Esprit. Nous ne pourrions pas aimer Dieu si Lui ne nous avait aimés le premier, nous faisant sentir et nous donnant le goût, le désir, l’intelligence et la volonté pour correspondre à cet amour. Nous ne pourrions pas davantage aimer notre prochain et voir en lui l’image de Dieu si nous n’avions pas l’expérience personnelle de l’amour de Dieu.


« L'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné. » (Rm 5,5). D’un côté, même l’amour humain n’a pas d’explication rationnelle et c’est pour cela que l’on dit qu’il est aveugle. Personne ne réussit à déterminer avec exactitude pourquoi une personne tombe amoureuse d’une autre.


De par sa nature d’être participation à la vie divine et communion mystérieuse avec Dieu, la charité crée en nous la capacité de découvrir et de percevoir Dieu : la religion sans la charité éloigne de Dieu. L’amour authentique, même seulement humain, conduit ceux qui sont loin à la foi et à l’ambiance religieuse. La parabole du Bon Samaritain met au point le rapport religion-charité à l’avantage de cette dernière.


Saint Jean résumera cela dans sa première lettre, en écrivant : « Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l'amour vient de Dieu. Tous ceux qui aiment sont enfants de Dieu, et ils connaissent Dieu. Celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour. » (1Jn 4,7-8) En saint Jean, le verbe « connaître » signifie « faire l’expérience » plutôt qu’avoir des notions exactes : qui aime fait expérience de Dieu.


Puisque la charité est le don qui nous permet de connaître Dieu par expérience, elle nous habilite aussi à jouir de lui dans la vision définitive : « Nous voyons actuellement une image obscure dans un miroir ; ce jour-là, nous verrons face à face. Actuellement, ma connaissance est partielle ; ce jour-là, je connaîtrai vraiment, comme Dieu m'a connu. » (1Co 13,12)


La charité n’est donc pas seulement une vertu particulière mais la forme et la substance de toutes les vertus et de ce qui constitue et construit la personne : « J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges… J'aurais beau être prophète… J'aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés… et j’aurais beau avoir toute la foi jusqu'à transporter les montagnes… s'il me manque l'amour, cela ne me sert à rien. » (1Co 13,1-3)


C’est pour cela que la charité et ses fruits sont des réalités qui perdurent et résistent au temps : « L'amour ne passera jamais. Un jour, les prophéties disparaîtront, le don des langues cessera, la connaissance que nous avons de Dieu disparaîtra. En effet, notre connaissance est partielle, nos prophéties sont partielles. Quand viendra l'achèvement, ce qui est partiel disparaîtra. » (1Co 13,8-10) cela ne s’applique pas seulement à la vie mais à notre histoire. Ce que l’on bâtit sur l’amour demeure et construit notre personne, notre communauté, notre société ; tandis que ce qui se fonde et se construit sur la haine et sur l’égoïsme se détruit.


La charité est donc le plus grand et la racine de tous les charismes à travers lequel se construit et œuvre l’Église. Juste après avoir expliqué la finalité et l’emploi des divers charismes, saint Paul introduit le discours de la charité avec ces mots : « Parmi les dons de Dieu, vous cherchez à obtenir ce qu'il y a de meilleur. Eh bien, je vais vous indiquer une voie supérieure à toutes les autres. » (1 Co 12,31)


C’est le charisme principal même quand il s’exprime dans des gestes quotidiens et n’a rien d’extraordinaire ou de voyant : « L'amour prend patience ; l'amour rend service ; l'amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d'orgueil ; il ne fait rien de malhonnête ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s'emporte pas ; il n'entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. » (1Co 13,4-7)


Pour Don Bosco et Mère Mazzarello, comme pour tous les saints, la charité est au centre de tout. Ils y insistent avant toute chose dans leur vie. Il convient de le savoir et de le dire. De temps en temps, en effet, il arrive qu’un membre de la Famille Salésienne en fasse l’expérience et découvre l’importance de la charité dans un mouvement d’Église, après avoir vécu de nombreuses années dans la spiritualité de notre charisme salésien. Et il semble qu’auparavant il n’en ait jamais entendu parler avec efficacité ni pu le vivre avec intensité.


Dans le songe de Dix diamants – qui est une parabole de l’esprit salésien – la charité se trouve placée devant et juste sur le cœur du personnage : « Trois de ces diamants se trouvaient sur la poitrine… Et sur celui placé sur le cœur était écrit : charité ».18 Dans ce rêve, ce qui est placé devant est la partie fondamentale de notre esprit.


De plus, la charité est recommandée par nos fondateurs sous de multiples formes : comme base de la vie de communauté, comme principe pédagogique, comme source de la vie de prière, comme condition pour l’équilibre et le bonheur personnels, comme pratique de vertus spécifiques, tels l’amitié et le renoncement à ses intérêts propres.


Apprendre à aimer est la finalité de la vie consacrée, qui n’est pas autre chose qu’un chemin qui part de l’amour « et conduit à l’amour ».19 L’ensemble de pratiques et de disciplines, de normes et d’enseignements spirituels cherche à obtenir une seule chose : nous rendre capables d’accueillir les autres et de nous mettre généreusement à leur service.



2.2. Charité pastorale


La charité se manifeste de plusieurs manières : l’amour maternel, l’amour conjugal, la compassion, la miséricorde, l’amour des ennemis, le pardon. Dans l’histoire de la sainteté, ces manifestations recouvrent tous les secteurs de la vie humaine. Salésiens (SDB) et Salésiennes (FMA), comme tous les groupes de la Famille Salésienne en général, nous parlons d’une charité « pastorale ».


Cette expression apparaît de nombreuses fois dans les Constitutions ou Statuts des différents groupes, documents et discours. Le concile Vatican II explique bien ce que signifie la charité pastorale quand il se réfère à ceux qui ont le souci d’éduquer à la foi : « Ils bénéficient de la grâce sacramentelle pour exercer en perfection la charge de la charité pastorale par la prière, le sacrifice, la prédication […], acceptant sans crainte de donner leur vie pour leurs brebis et devenant un modèle pour leur troupeau, aidant enfin l’Église par leur exemple à avancer chaque jour en sainteté. »20


Le terme « pastorale » indique une forme spécifique de charité qui fait immédiatement penser à la figure de Jésus Bon Pasteur.21 Et ce, non seulement dans ses manières de faire : bonté, recherche de quiconque s’est perdu, dialogue, pardon ; mais aussi et surtout dans la substance même de son ministère : révéler Dieu à chaque homme et à chaque femme. Il y a une différence plus qu’évidente d’avec d’autres formes de charité, qui ciblent de préférence des besoins particuliers : santé, nourriture, travail.


L’élément typique de la charité pastorale est l’annonce de l’Évangile, l’éducation à la foi, la formation de la communauté chrétienne, la fermentation évangélique du milieu. Elle réclame donc une disponibilité totale et un don de soi pour le salut de l’homme, dans la perspective même de Jésus : pour tous les hommes, pour chaque homme, même pour un seul. Don Bosco, et à sa suite notre Famille Salésienne, exprime cette charité en une phrase : Da mihi animas, cetera tolle.

Les grands Instituts et les grands courants de spiritualité ont condensé le cœur de leur charisme en une phrase brève. « Pour la plus grande gloire de Dieu », disent les Jésuites ; « Paix et Bien » est la salutation des Franciscains ; « Prie et Travaille » est le programme des Bénédictins ; « Contempler et livrer aux autres le fruit de notre Contemplation » est la règle des Dominicains. Les témoins de la première heure et la réflexion qui a suivi dans notre Congrégation nous ont convaincus que l’expression qui résume la spiritualité salésienne est vraiment le « Da mihi animas, cetera tolle ».


Certes, l’expression revient souvent dans la bouche de Don Bosco et a imprimé sa marque sur sa physionomie spirituelle. C’est la maxime qui a impressionné Dominique Savio dans le bureau de Don Bosco encore jeune prêtre (34 ans) et lui a inspiré un commentaire demeuré fameux : « J’ai compris. Ici, on ne fait pas commerce d’argent, mais commerce d’âmes, j’ai compris. J’espère que mon âme entrera aussi dans ce commerce. »22 Pour ce garçon, il était donc clair que Don Bosco ne lui offrait pas simplement l’instruction et une maison mais surtout une opportunité de croissance spirituelle.


L’expression a été insérée dans la Liturgie : « Inspire le même amour qui nous fera chercher le salut de nos frères en ne servant que toi seul. »23 Il était juste qu’il en fût ainsi vu que Don Bosco avait eu à l’esprit cette intention en fondant ses deux institutions : « Le but de cette Société, du point de vue de ses membres, n’est rien d’autre qu’une invitation à s’unir, sous l’impulsion de ce mot de saint Augustin : divinorum divinissimum est in lucrum animarum operari ».24 [La plus divine des entreprises divines est de travailler au bien des âmes].



2.3. Charité pastorale salésienne


Dans l’histoire salésienne, nous lisons : « Le soir du 26 janvier 1854, nous nous sommes réunis dans la chambre de Don Bosco et il nous fut proposé de faire, avec l’aide du Seigneur et de saint François de Sales, un essai d’exercice pratique de la charité envers le prochain… À partir de ce soir-là, on donna le nom de Salésiens à ceux qui se proposèrent et se proposeraient un tel exercice ».25


Après Don Bosco, chacun des Recteurs Majeurs, en témoins autorisés, ont réaffirmé la même conviction. Il est intéressant de constater que tous se sont empressés d’y insister avec une convergence qui ne fait aucun doute.


Don Michel Rua a pu affirmer aux procès de béatification et de canonisation de Don Bosco : « Il a laissé aux autres le soin d’accumuler des biens… et de courir après les honneurs ; Don Bosco n’a eu vraiment à cœur que le souci des âmes : il a dit avec les faits et non seulement en paroles : Da mihi animas, cetera tolle. »


Don Paul Albera, qui eut avec Don Bosco une longue habitude de vie et une grande familiarité avec lui, atteste : « Le fil conducteur de toute sa vie était de travailler pour les âmes jusqu’à la totale offrande de lui-même… Sauver les âmes… fut, peut-on dire, sa seule raison de vivre. »26


D’une façon plus marquée, et parce qu’il met au point les motivations profondes de la façon d’agir de Don Bosco, Don Philippe Rinaldi voit dans la devise « Da mihi animas », le secret de son amour, la force et l’ardeur de sa charité. »


Par rapport à la prise de conscience actuelle, après le redimensionnement de la vie salésienne à la lumière du Concile, le Recteur Majeur Egidio Viganò s’exprimait ainsi : « Je reste convaincu qu’il n’y a aucune autre expression qui synthétise et qualifie mieux l’esprit salésien que celle qu’a choisie Don Bosco lui-même : Da mihi animas, cetera tolle. Elle indique une ardente union à Dieu qui nous fait pénétrer le mystère de sa vie trinitaire manifestée historiquement dans les missions du Fils et de l’Esprit comme Amour infini ad hominum salutem intentus [orienté vers le salut des hommes].27


D’où vient et quelle signification précise peut avoir aujourd’hui cette expression ou cette devise ? Je dis aujourd’hui, alors que le mot âme n’exprime et n’évoque pas la signification qu’elle pouvait avoir jadis.


Cette devise de Don Bosco se trouve dans le Livre de la Genèse 14,21. Quatre rois alliés font la guerre à cinq autres, parmi lesquels il y a le roi de Sodome. Durant le sac de la ville, Lot, neveu d’Abraham, est également fait prisonnier avec sa famille. Abraham en est averti. Il part avec sa tribu, après avoir armé ses hommes. Il défait les pillards, récupère le butin et rachète les personnes. Alors le roi de Sodome lui dit avec reconnaissance : « Donne-moi les personnes et garde le reste pour toi. » La présence de Melkisédek, , prêtre dont on ne connaît pas l’origine, donne un sens particulièrement religieux et messianique au texte, surtout pour la bénédiction qu’il prononce sur Abraham. Il s’agit donc d’une situation tout à fait autre que « spirituelle ». Dans la demande du roi, il y a cependant la nette distinction entre les « personnes » et le « reste », les choses, les biens.


Don Bosco donne à l’expression une interprétation personnelle selon la vision religieuse et culturelle de son siècle. «Âme» indique la qualité spirituelle de l’homme, centre de sa liberté et raison de sa dignité, espace de son ouverture à Dieu. L’expression de Gn 14,21 prend chez Don Bosco des caractéristiques propres, dès l’instant qu’il fait du texte biblique une lecture accommodatice, allégorique, jaculatoire, eucologique (liturgique): les animas sont les gens de son temps, les jeunes concrets à qui il a affaire ; cetera tolle signifie le détachement des choses et des créatures, un détachement qui, chez lui, ne se traduit pas dans le sens d’un anéantissement de soi-même, d’un anéantissement en Dieu, comme par exemple chez les théologiens contemplatifs ou mystiques ; chez Don Bosco, le détachement est un état d’âme nécessaire pour une liberté et une disponibilité plus absolues par rapport aux exigences de l’apostolat même.


L’imbrication des deux significations, celle de la Bible et celle donnée par Don Bosco, indique des choix très concrets eu égard à notre culture.


En premier lieu, la charité pastorale prend en considération la personne et s’adresse à toute la personne ; elle intéresse d’abord et surtout la personne pour développer ses ressources. Donner des « choses » vient après ; fournir un service, c’est en fonction du développement de la conscience et du sens de sa propre dignité.


De plus, la charité qui regarde surtout la personne est guidée par une « vision » de celle-ci. La personne ne vit pas seulement de pain ; elle a des besoins immédiats mais aussi des aspirations infinies. Elle désire des biens matériels mais aussi des valeurs spirituelles. Selon l’expression d’Augustin, « elle est faite pour Dieu, assoiffée de lui ». Le salut que la charité pastorale cherche et offre est donc le salut intégral et définitif. Tout le reste est ordonné à ce salut : la bienfaisance à l’éducation ; l’éducation à l’initiation religieuse ; l’initiation religieuse à la vie de grâce et à la communion avec Dieu.


En d’autres mots, l’on peut dire que dans notre éducation ou dans notre promotion, nous donnons la priorité à la dimension religieuse. Non par prosélytisme mais parce que nous sommes convaincus qu’elle constitue la source la plus profonde de la croissance de la personne. En ces temps de sécularisme, cette orientation n’est pas facile à réaliser.


La maxime « Da mihi animas » contient aussi une indication de méthode : dans la formation ou la régénération de la personne, il faut y mettre le paquet et raviver ses énergies spirituelles, sa conscience morale, son ouverture à Dieu, le souci de son destin éternel. La pédagogie de Don Bosco est une pédagogie de l’âme, du surnaturel. Lorsqu’on arrive à atteindre ce point, alors commence le vrai travail d’éducation. Le reste n’est qu’une préparation à cela.


Don Bosco l’affirme avec clarté dans la biographie de Michel Magon. Celui-ci passe de la rue à l’Oratoire. Il est content et, humainement parlant, c’est un brave garçon : il est spontané et sincère ; il joue, étudie, noue des amitiés. Une seule chose lui manque : comprendre la vie de la grâce, le rapport avec Dieu et l’entreprendre. Il est religieusement ignorant ou distrait. Il éclate en sanglots quand il se compare à ses camarades sur ce point et qu’il voit bien que cela lui manque. Don Bosco parle alors avec lui. Dès lors commence le cheminement éducatif décrit dans la biographie : à partir de la prise de conscience et de l’acceptation de sa dimension religieuse et chrétienne.


Il y a donc une ascèse pour qui est animé par la charité pastorale : « cetera tolle », « Laisse tout le reste ». Il faut renoncer à beaucoup de choses pour sauver le principal ; on peut confier à d’autres et même laisser tomber de nombreuses activités afin d’avoir le temps et la disponibilité pour ouvrir les jeunes à Dieu. Et cela, non seulement dans leur vie personnelle mais également dans les programmes et dans les œuvres apostoliques.


« Celui qui parcourt la vie de Don Bosco en suivant ses schémas mentaux, en explorant les traces de sa pensée, trouve une matrice : le salut dans l’Église catholique, unique dépositaire des moyens de salut. Il ressent comment le défi de la jeunesse abandonnée, pauvre, désœuvrée éveille en lui l’urgence éducative pour l’insertion de ces jeunes dans le monde, dans l’Église, moyennant la douceur et la charité comme méthode ; mais ce, dans une tension qui puise son origine dans son désir du salut éternel du jeune. »28



2.4. Synthèse du parcours effectué


En guise de synthèse, reprenons les idées fondamentales de notre réflexion.

Notre spiritualité est une spiritualité apostolique : elle s’exprime et se développe dans le travail pastoral.

L’apostolat devient une authentique expérience spirituelle, et non pas une consommation d’énergies, de stress et d’usure, s’il est animé par la charité ; celle-ci procure des facilités, de la confiance et de la joie dans le travail pastoral.

La charité réalise l’unité dans notre vie personnelle ; elle équilibre et règle les tensions qui surgissent entre l’action et la prière, entre la vie communautaire et l’engagement apostolique, entre l’éducation et l’évangélisation, entre le professionnalisme et l’apostolat.

Tout l’engagement de notre vie spirituelle consiste à raviver la charité pastorale, à la purifier, à l’intensifier : « Ama et fac quod vis » [Aime et fais ce que tu veux].



3. Spiritualité salésienne pour toutes les vocations


S’il est vrai que la spiritualité chrétienne possède des éléments communs et valables pour toutes les vocations, il est tout aussi vrai qu’elle est vécue avec des différences particulières et des spécificités selon les états de vie : le ministère presbytéral, la vie consacrée, les fidèles laïcs, la famille, les jeunes, les anciens … ont leur manière typique de vivre l’expérience spirituelle. Il en va de même pour la spiritualité salésienne.


3.1. Spiritualité commune pour tous les groupes de la Famille Salésienne


Il y a des éléments communs pour tous les groupes de la Famille Salésienne ; ils s’inspirent tous de Don Bosco qui est le fondateur des Salésiens, des Filles de Marie Auxiliatrice avec Mère Mazzarello, des Salésiens Coopérateurs et de l’Association de Marie Auxiliatrice. Les autres groupes, quant à eux, font référence à leurs fondateurs respectifs. Ces éléments sont explicités dans la « Charte de l’Identité Charismatique de la Famille Salésienne » qu’il faut connaître et approfondir car elle constitue la référence pour notre spiritualité de communion et pour notre formation à la communion.


Les traits caractéristiques et reconnus par tous ses groupes se trouvent surtout dans la troisième partie de la « Charte de l’Identité Charismatique ». Ils concernent notre vie de relation trinitaire, la référence à Don Bosco, la communion dans la mission, la spiritualité du quotidien, la contemplation dans l’action à l’exemple de Don Bosco, la charité apostolique dynamique, la grâce d’unité, la prédilection pour les jeunes et les couches populaires, la bonté affectueuse, l’optimisme et la joie, le travail et la tempérance, l’initiative et la souplesse, l’esprit de prière, la dévotion confiante à Notre Dame Auxiliatrice.


N’oublions pas que le Système Préventif est une expression et une traduction concrète de cette spiritualité commune. Il nous rattache à l’âme, aux attitudes et aux choix évangéliques de Don Bosco. Le « génie » de son esprit est lié à l’actualisation du Système Préventif. C’est un Système réussi qui sert de modèle et d’inspiration à tous ceux qui aujourd’hui œuvrent pour l’éducation dans les différents continents, dans des contextes multiculturels et pluri religieux. C’est un modèle qui demande à tous une réflexion continuelle pour favoriser toujours plus la place centrale des jeunes comme destinataires et protagonistes de la mission salésienne.




3.2. Spiritualité propre de chaque groupe de la Famille Salésienne


Par ailleurs, chaque groupe de la Famille Salésienne possède des éléments spirituels qui lui appartiennent en propre. Légitimement, de par leur origine et leur développement, les différents groupes ont une histoire caractéristique et des aspects de la spiritualité commune qu’ils ont soulignés d’une manière particulière, ou d’autres éléments qui leur sont originaux. Ces éléments font la différence spécifique de chaque groupe ; il faut les connaître car ils constituent une richesse pour l’ensemble de la Famille elle-même.


La variété est un don de l’Esprit qui n’aime ni l’uniformité ni l’homologation. Les différences spécifiques ne doivent cependant pas devenir un prétexte pour se diviser ou s’opposer : au contraire, elles doivent enrichir tout le monde et converger vers l’unité, la communion à accueillir vraiment comme don et à réaliser comme engagement. Ces éléments propres sont présents et spécifiés surtout dans les Règles de vie, mais aussi dans les traditions, des différents groupes


3.3. Spiritualité salésienne des jeunes


Avec le temps s’est aussi développée une spiritualité salésienne des jeunes. Au-delà des trois biographies des jeunes Michel Magon, Dominique Savio et François Besucco, écrites par Don Bosco, pensons aux pages qu’il adresse aux jeunes eux-mêmes à travers son manuel de piété « La Jeunesse Instruite », aux « Compagnies » voulues par Don Bosco pour faire participer directement les jeunes à la vie spirituelle et apostolique… Il serait intéressant de connaître les développements de la spiritualité salésienne des jeunes dans notre histoire et dans notre tradition jusqu’à aujourd’hui, jusqu’au moment où a même été défini de façon autorisée, et répandu, le contenu de cette spiritualité, par le biais du Mouvement Salésien des Jeunes (MSJ). La spiritualité se trouve à la base du MSJ, qui se développe avec l’engagement des jeunes eux-mêmes, et qui demande l’apport d’une animation de la part des différents groupes de la Famille Salésienne. Le MSJ est, en effet, une opportunité, un don et un engagement pour tous les groupes de notre Famille


La spiritualité salésienne des jeunes est une spiritualité adaptée à eux ; elle est vécue avec et par les jeunes, pensée et réalisée à l’intérieur de leur propre expérience. Elle tente de générer une image de jeunes chrétiens que l’on peut proposer aujourd’hui à ceux qui, à notre époque, vivent la condition juvénile actuelle. Elle s’adresse à tous les jeunes parce qu’elle est conçue à l’aune des « plus pauvres » mais, en même temps, elle est capable d’indiquer des objectifs à ceux qui désirent progresser davantage. Elle veut aussi permettre au jeune de faire lui-même des propositions à ceux de son âge, dans le milieu où il vit.


Une spiritualité de la vie quotidienne comme lieu de la rencontre avec Dieu


La spiritualité salésienne des jeunes considère la vie quotidienne comme lieu de la rencontre avec Dieu. À la base de cette évaluation positive du quotidien et de la vie, il y a la foi et une manière de comprendre l’Incarnation. Cette spiritualité se laisse guider par le mystère de Dieu qui, avec son Incarnation, sa Mort et sa Résurrection, affirme sa présence, dans toute la réalité humaine, comme une présence qui sauve.


Le quotidien du jeune est fait de devoir, de socialité, de jeu, de tensions rencontrées au cours de sa croissance, de vie de famille, de développement de ses propres capacités, de perspectives d’avenir, de demandes d’aide, d’aspirations. C’est cette réalité qui doit être assumée, approfondie et vécue à la lumière de Dieu. Selon Don Bosco, pour devenir saint, il suffit de bien faire ce que l’on doit faire. Il considère la fidélité à ses devoirs quotidiens comme critère de vérification de la vertu et comme signe de maturité spirituelle.


Pour que la vie quotidienne puisse être vécue comme spiritualité, la grâce d’unité est nécessaire pour aider à harmoniser les différentes dimensions de la vie autour d’un cœur habité par l’Esprit Saint. La grâce rend possible la conversion et la purification ; par la force du sacrement de la Réconciliation, la grâce permet au jeune de garder un cœur libre, ouvert à Dieu et dévoué à ses frères.


Parmi les attitudes et expériences du quotidien à vivre en profondeur dans l’Esprit, on peut considérer : sa vie en famille, l’amour de son travail ou de ses études, la croissance culturelle et l’expérience scolaire, la nécessité de conjuguer les « expériences fortes » avec les « choses ordinaires de la vie », la vision positive et réfléchie de son temps, l’accueil responsable de sa vie et de son cheminement spirituel progressif dans l’effort de chaque jour, la capacité d’orienter sa vie selon un projet vocationnel.


Une spiritualité pascale de la joie et de l’optimisme


La vérité décisive de la foi chrétienne est que le Seigneur est vraiment ressuscité ! La vie définitive avec Dieu est donc notre but ultime et c’est déjà notre but dès maintenant car il est devenu réalité dans le corps de Jésus-Christ. La spiritualité salésienne des jeunes et une spiritualité pascale et se laisse pénétrer par cette signification eschatologique.


La tendance la plus enracinée dans le cœur du jeune est le désir et la recherche du bonheur. La joie est l’expression la plus noble du bonheur et, avec la fête et l’espérance, elle est caractéristique de la spiritualité salésienne. La foi chrétienne est une annonce de bonheur radical, promesse et don de « vie éternelle ». Ces réalités ne sont cependant pas une conquête de notre part mais plutôt un don qui nous manifeste que Dieu est la source de la vraie joie et de l’espérance. Sans exclure sa valeur pédagogique, la joie a avant toute une valeur théologique : Don Bosco y voit une manifestation indispensable de la vie de grâce.


Don Bosco a compris et fait comprendre à ses jeunes que l’engagement et la joie vont de pair, que la sainteté et la gaieté sont un binôme inséparable. Don Bosco est le saint de la joie de vivre. Ses jeunes ont si bien appris cette leçon de vie qu’ils n’hésitent pas à affirmer, dans un langage typiquement « oratorien », que « la sainteté consiste à vivre toujours très joyeux ». La spiritualité salésienne des jeunes propose un chemin de sainteté simple, joyeuse et sereine.


La valorisation de la joie comme fait spirituel, source d’engagement et sa conséquence, demande de favoriser chez les jeunes certaines attitudes et expériences : un intense climat de participation, des relations sincèrement amicales et fraternelles, avec une expérience de joyeuse affection envers les personnes, les fêtes de jeunes où ils peuvent s’exprimer librement et les rencontres entre groupes, l’admiration et le goût pour les joies que le Créateur a mises sur notre route : la nature, le silence, les activités réalisées ensemble, la joie exigeante du sacrifice et de la solidarité, la grâce de pouvoir vivre la souffrance sous le signe de la consolation et de la Croix du Christ.



Une spiritualité de l’amitié et de la relation personnelle avec le Seigneur Jésus


La spiritualité salésienne des jeunes veut mener le jeune à la rencontre avec Jésus-Christ et rendre possible une relation d’amitié et de confiance avec Lui, en créant un lien vital et d’adhésion fidèle. De nombreux jeunes nourrissent un désir sincère de connaître Jésus et essaient de répondre aux questions sur le sens de leur vie, questions auxquelles Dieu seul cependant est capable de donner une vraie réponse.


Ami, Maître et Sauveur sont les expressions qui décrivent la centralité de la personne de Jésus dans la vie spirituelle des jeunes. Il est intéressant de rappeler que Jésus est présenté par Don Bosco comme l’ami des jeunes : « Les jeunes sont les préférés de Jésus », disait-il. Jésus comme maître de vie et de sagesse, comme modèle pour tout chrétien, comme rédempteur qui donne toute sa vie dans l’amour jusqu’à mourir pour le salut des hommes, un Jésus présent dans les petits et les pauvres.


Pour un chemin de conformité menant au Christ, il faut développer certaines attitudes et expériences : la participation de foi dans la communauté qui vit de la mémoire de la présence du Seigneur et le célèbre dans les sacrements de l’initiation chrétienne, la pédagogie de la sainteté que Don Bosco a indiquée dans la réconciliation avec Dieu et avec les frères à travers le sacrement de Pénitence, l’apprentissage de la prière personnelle et communautaire, des moments privilégiés pour grandir dans l’amour et dans la relation personnelle avec Jésus-Christ, l’approfondissement systématique de la foi éclairée par la lecture et la méditation de la Parole de Dieu.



Une spiritualité de communion ecclésiale


L’expérience et l’intelligence juste de l’Église est un des points de discernement de la spiritualité chrétienne. L’Église est communion spirituelle et communauté qui se rend visible à travers des gestes et des convergences également opérationnelles. C’est un service des hommes dont elle ne se détache pas comme une « secte » qui considère bonnes seulement les œuvres qui portent le signe de son appartenance. C’est le lieu choisi et offert par le Christ pour pouvoir le rencontrer. Il a remis à son Église sa Parole, le Baptême, son Corps et son Sang, la grâce du pardon des péchés, les autres sacrements, l’expérience de communion et la force de l’Esprit qui pousse à la charité envers les frères. La Famille de Don Bosco possède dans ses trésors de famille une riche tradition de fidélité filiale au Successeur de Pierre, de communion et de collaboration avec les Églises locales.


Précisément parce qu’ecclésiale, la spiritualité salésienne des jeunes est une spiritualité mariale. Marie fut appelée par Dieu le Père à être, par la grâce de l’Esprit, la Mère du Verbe, pour le donner au monde. L’Église considère Marie comme un exemple de foi ; Don Bosco l’a vécu ainsi et nous sommes appelés à le faire nous aussi en communion avec l’Église. Marie est vue comme Mère de Dieu et notre Mère, comme l’Immaculée, pleine de grâce, totalement disponible à Dieu, modèle de sainteté et de vie chrétienne, en toute cohérence et totalement. Elle est aussi invoquée comme l’Auxiliatrice, le Secours des chrétiens dans le grand combat de la foi et de la construction du Royaume de Dieu. Elle est Celle qui protège et guide l’Église. Don Bosco la considère donc comme la Madone des temps difficiles, soutien et support de la foi et de l’Église. En Marie Auxiliatrice, nous avons un modèle et un guide pour notre action éducative et apostolique.


Les attitudes et les expériences à créer sont donc : l’ambiance concrète de la maison salésienne commune où l’on expérimente l’image d’une Église pleine de fraîcheur, sympathique, active, capable de répondre aux attentes des jeunes. Ne pas oublier les groupes, surtout la communauté éducative qui unit jeunes et éducateurs, dans une ambiance familiale, autour d’un projet d’éducation intégrale. Avoir aussi le souci de la participation à l’Église locale où converge toute la vie de foi des chrétiens dans une communion visible et dans un service perceptible sur un territoire concret. Prouver son estime et sa confiance envers l’Église universelle, perçue et vécue dans un sentiment d’amour envers le Pape. Mettre en bonne place l’amour et l’admiration envers Marie, Immaculée et Auxiliatrice, le culte qui lui est réservé et l’imitation de ses vertus. Soigner la connaissance à avoir des Saints et des personnalités significatives de la pensée et des réalisations chrétiennes dans les différents secteurs.



Une spiritualité du service responsable


La vie assumée comme une rencontre avec Dieu, le chemin d’identification avec le Christ, l’Église perçue comme communion et service, où chacun a sa place et où les capacités de tous sont nécessaires, font émerger et mûrir la conviction que la vie doit se vivre comme une vocation à servir. Don Bosco demandait à ses jeunes de devenir de « bons chrétiens et d’honnêtes citoyens ».


Don Bosco, jeune et apôtre, a perçu et vécu son existence comme une vocation, à partir du rêve des neuf ans. Il répond d’un cœur généreux à une invitation : aller vers les jeunes pour les sauver. Don Bosco invitait ses jeunes à un « exercice pratique de la charité envers le prochain ». La spiritualité salésienne des jeunes est une spiritualité apostolique parce qu’elle part de la conviction que nous sommes appelés à collaborer avec Dieu dans sa mission, en y répondant avec dévouement, fidélité, confiance et disponibilité totale. Les vocations apostoliques et les vocations à une consécration spécifique sont donc proposées aux jeunes.


Le service responsable comporte certaines attitudes et expériences à favoriser : ouvrir à la réalité et au contact humain ; promouvoir la dignité de la personne et ses droits, dans tous les contextes ; vivre avec générosité dans sa famille et se préparer à en fonder une sur des bases du don de soi réciproque ; favoriser la solidarité, spécialement envers les plus pauvres ; accomplir son travail avec honnêteté et compétence professionnelle ; promouvoir la justice, la paix et le bien commun en politique ; respecter la création ; favoriser la culture ; déterminer le projet de Dieu dans sa vie ; mûrir petit à petit les choix progressifs et cohérents, comme le service de l’Église et des hommes ; témoigner de sa foi et la concrétiser dans un secteur, comme l’animation éducative, pastorale et culturelle, le volontariat et l’engagement missionnaire ; connaître les vocations à une consécration spécifique et y être ouvert.



3.4. Spiritualité laïque et Familiale Salésienne


Les groupes de la Famille Salésienne impliquent de nombreux laïcs dans leur mission. Mais il faut bien avoir conscience qu’on ne peut s’impliquer totalement sans partager le même esprit également. Communiquer la spiritualité salésienne aux laïcs, coresponsables avec nous de l’action éducative et pastorale, devient un engagement fondamental. Les Salésiens, comme aussi d’autres groupes de la Famille Salésienne, ont formulé explicitement les éléments d’une spiritualité salésienne laïque au Chapitre Général 24.29 Les groupes laïcs de la Famille Salésienne, surtout les Salésiens Coopérateurs, les Anciens et Anciennes élèves, constituent certainement une source d’inspiration pour cette spiritualité.


En général bien conscients qu’il ne peut y avoir de pastorale des jeunes sans pastorale familiale, nous nous interrogeons pour savoir quel type de spiritualité familiale salésienne élaborer et proposer. Il y a des expériences de familles qui s’inspirent de Don Bosco. On n’en est qu’au début mais c’est une piste qui nous aide à développer notre mission en faveur des couches populaires, en plus des jeunes. Il faut promouvoir la pastorale familiale et donc partager des expériences spirituelles avec les familles, les couples, les jeunes en les préparant à fonder une famille.



4.Engagements pour la Famille Salésienne



4.1. Engageons-nous à approfondir l’expérience spirituelle de Don Bosco, son profil spirituel, pour découvrir le « Don Bosco mystique » ; nous pourrons ainsi l’imiter, en vivant une expérience spirituelle charismatique. Sans nous approprier l’expérience spirituelle vécue par Don Bosco, nous ne pourrons pas avoir conscience de notre identité spirituelle salésienne ; c’est seulement à ce prix que nous serons disciples et apôtres du Seigneur Jésus, avec Don Bosco comme modèle et maître de vie spirituelle. La spiritualité salésienne, réinterprétée et enrichie par l’expérience spirituelle de l’Église de l’après-Concile et la réflexion de la théologie spirituelle actuelle, nous propose un chemin spirituel de sainteté. Nous reconnaissons que la spiritualité salésienne est une spiritualité vraie et complète : elle a puisé dans l’histoire de la spiritualité chrétienne, surtout celle de saint François de Sales ; ayant sa source dans la particularité et l’originalité de l’expérience de Don Bosco, elle s’est enrichie de l’expérience ecclésiale et elle est parvenue à la relecture et à la synthèse mûrie d’aujourd’hui


4.2. Vivons le centre et la synthèse de la spiritualité salésienne qu’est la charité pastorale. Elle a été vécue par Don Bosco comme une recherche de « la gloire de Dieu et du salut des âmes » ; elle est devenue pour lui prière et programme de vie à travers le « Da mihi animas, cætera tolle ». C’est une charité qui a besoin de s’alimenter dans la prière et de se fonder sur elle, tournée vers le Cœur du Christ, imitant le Bon Pasteur, méditant la Sainte Écriture, vivant de l’Eucharistie, donnant sa place à la prière personnelle, faisant sien l’esprit de service pour les jeunes. C’est une charité qui se traduit et se rend visible dans des gestes concrets de proximité, d’affection, de travail, de dévouement. Faisons nôtre le Système Préventif comme expérience spirituelle et pas seulement comme proposition d’évangélisation et méthode pédagogique ; le Système Préventif trouve sa source « dans la charité de Dieu qui précède toute créature par sa Providence, l’accompagne par sa présence et la sauve en donnant sa vie »30 ; il nous dispose à accueillir Dieu en la personne des jeunes et nous appelle à le servir en eux, reconnaissant leur dignité, renouvelant notre confiance en leur capacité de faire le bien et en les éduquant à la plénitude de la vie.


4.3. Proposons la spiritualité salésienne selon la diversité des vocations, particulièrement aux jeunes, aux laïcs impliqués dans la mission de Don Bosco, aux familles. La spiritualité salésienne a besoin d’être vécue selon la vocation que chacun a reçue de Dieu. Reconnaissons les traits spirituels communs des différents groupes de la Famille Salésienne, mentionnés dans la « Charte d’Identité » ; faisons connaître les témoins de la sainteté salésienne ; invoquons l’intercession de nos Bienheureux, Vénérables et Serviteurs de Dieu, et demandons la grâce de leur canonisation. Offrons aux jeunes que nous accompagnons la spiritualité salésienne des jeunes. Proposons la spiritualité salésienne aux laïcs engagés qui partagent la mission de Don Bosco. En portant attention à la pastorale familiale, indiquons aux familles une spiritualité adaptée à leur condition. Enfin, invitons à faire l’expérience spirituelle même les jeunes, les laïcs et les familles de nos communautés éducatives et pastorales ou de nos groupes et associations appartenant à d’autres religions, ou se trouvant en situation d’indifférence par rapport à Dieu ; pour eux également l’expérience spirituelle est possible comme espace d’intériorité, de silence, de dialogue avec leur propre conscience, d’ouverture au transcendant.


4.4. Lisons quelques textes de Don Bosco que nous pouvons considérer comme des sources de la spiritualité salésienne. Je vous invite avant tout à relire et à actualiser le « Songe des dix diamants » : il nous présente le visage spirituel de chacun de nous qui nous inspirons de Don Bosco. Je vous propose ensuite un recueil d’écrits spirituels de Don Bosco, où il apparaît comme un véritable maître de vie spirituelle31. Nous pourrons ainsi puiser à des pages moins connues mais qui nous parlent avec spontanéité du vécu spirituel salésien.



5. Conclusion


Cette fois-ci, je conclus mon commentaire de l’Étrenne non pas avec une fable mais avec le témoignage et le message que nous a laissés le P. Pasquale Liberatore qui fut pendant plusieurs années Postulateur pour la Cause des Saints de la Famille Salésienne, et saint lui-même, dans son poème intitulé « Les Saints ».


Il s’agit d’un petit « credo » personnel qui résume tout ce qu’est la spiritualité salésienne, concrétisée d’une manière authentique et valide dans les très nombreux fruits de sainteté, riches et variés, dans la Famille Salésienne, à commencer par notre bien-aimé Fondateur et Père Don Bosco. Nous avons trouvé ce poème dans son bureau, le jour de sa Pâque. Il y fait l’éloge des saints et utilise une variété d’images dont nous découvrons avec plaisir la beauté. En lisant ce petit poème, nous pouvons toucher du doigt la brillante et fine sensibilité humaine et spirituelle de nos Saints, et sentir leur souffle plein de vie, d’amour et de bonheur en Dieu. Notons leur force intérieure et leur expérience spirituelle que nous-mêmes sommes appelés à vivre et à proposer d’une manière passionnée et convaincante aux autres, spécialement aux jeunes.


J’ai commencé ma charge de Recteur Majeur avec une lettre intitulée : « Salésiens, soyez des saints ! », une lettre que je considérais comme un programme pour mon Rectorat. Et je suis heureux que mon dernier texte, en tant que successeur de Don Bosco, soit une invitation cordiale à nous abreuver à sa spiritualité. Il y a ici tout ce que je voudrais vivre et proposer à vous tous, bien chers membres de la Famille Salésienne et bien chers jeunes.



LES SAINTS

« Ils seront comme des étoiles dans le ciel : ils brilleront comme le firmament. »



Visibles par milliers

comme les étoiles à l’œil nu,

mais incomparablement plus nombreux

au télescope qui rejoint aussi ceux qui n’ont pas d’auréole.

Volcans incandescents

comme des fissures

sur le mystère du Feu Trinitaire.


Captivants romans

écrits par l’Esprit Saint

où la surprise est la règle.

Existences aux genres littéraires les plus variés

mais toujours fascinants :

du drame pathétique à la fable savoureuse.


Classiques de la syntaxe des Béatitudes,

toujours convaincants

grâce à leur joyeuse existence.

Cosmonautes de l’espace

à qui l’on doit les découvertes les plus hardies,

possibles seulement à ceux qui se distancient de la terre.


Géants si différents de nous

comme l’est toujours le génie

et pourtant tissés de la même étoffe que la nôtre.

Sujets aux erreurs et aux insuccès

mais hommes d’exception toujours :

on ne doit pas les banaliser sous prétexte de les sentir compagnons de voyage.


Signes de l’absolue gratuité de Dieu

qui enrichit et élève

selon les mystérieux critères de Sa libéralité.

Une paix inaltérable les habite

au-dessus de tout conflit humain,

toujours insatisfaits pourtant car ils ne cessent de viser plus haut.


En orbite autour de l’essentiel

eux, les prophètes de l’absolu.

Grands artistes

dans le règne du Beau

devant lequel tombe en extase le cœur humain.


Hommes et femmes réussis,

témoins de la secrète harmonie

entre nature et grâce.

Fous de Dieu,

amoureux au point

d’éditer un vocabulaire déconcertant.


Les plus éloignés, par instinct, de toute sorte de faute

et les plus proches, toujours,

de toute catégorie de coupables.

Scènes où le divin se donne à voir

et humbles spectateurs eux-mêmes,

sans aucune indulgence pour leur propre nullité.


Engagés dans un continuel enfouissement

et pourtant inévitablement lumineux

comme des villes situées sur la montagne.

Porteurs de messages éternels

au-delà du temps,

du progrès, des cultures, des races.


Paroles de feu

que le Seigneur prononce pour secouer notre indolence,

coups de baguette du Divin Maître sur le pupitre,

pour nous réveiller, élèves distraits.

Miracles vivants

devant lesquels point n’est besoin d’experts

pour accepter le caractère extraordinaire de l’Évangile vécu à la lettre.


Héroïquement détachés de l’humain

eux, spécialistes au superlatif

des façons d’être humaines.

Véritables maîtres en psychologie

qui empruntent les chemins de l’amour

pour atteindre les replis les plus secrets du cœur humain.


Capables de faire vibrer nos meilleures racines,

et, pinçant les cordes de sonorités anciennes,

infusent la nostalgie du futur.

Comme les étoiles du ciel:

si différentes les unes des autres

mais, au fond, allumées par un même feu.





Père Pascual Chávez V., SDB

Recteur Majeur


1 W. NIGG, Don Bosco. Un saint pour notre temps, Turin, LDC, 1980, 75.103.

2 Cf. J. Bosco, Plan de règlement pour l'Oratoire de garçons saint François de Sales à Turin dans le quartier du Valdocco. Introduction in P. Braido (ed.), Don Bosco Educatore. Scritti e Testimonianze. Roma, LAS 1997, 111.

3 Ibidem, 108-109.

4 D. Ruffino, Cronache dell’Oratorio di S. Francesco di Sales, n. 2, 1861, 8-9.42.

5 G. Barberis, Cronichetta, quad 4, 52.

6 Bosco Giovanni, Costituzioni della società di S. Francesco di Sales [1858] – 1875. Testi critici, a cura di Francesco Motto, Roma LAS 1982, 70-71.


7 Ibidem, 82.

8 Epistolario, ed. Motto, vol. I, 406.

9 Epistolario, ed. Ceria, vol. III, 544.

10 Epistolario, ed. Motto, vol. II, 386

11 F. Motto, Ricordi e riflessi di una educazione ricevuta in Ricerche Storiche Salesiane 11 (1987), 365.

12 F. Motto, Verso una storia di Don Bosco più documentata e più sicura, in Ricerche Storiche Salesiane 41 (2002), 250-251.

13 BS 8 (1884) n. 6, 89-90.


14 Constitutions SDB 21

15 Ibidem

16 Cf. Constitutions SDB 10; Constitutions FMA 80

17 Cf. SaInT FranÇOIS dE Sales, Traité de l’Amour de Dieu, Vol II, libro X, c. 1

18 MB XV, 183 (Le fameux “songe” en totalité)

19 Cf. Constitutions SDB 196

20 LG 41

21 Cfr. Jn 10

22 Édition française : SAINT JEAN Bosco, Vie de Saint Dominique Savio, introduction, traduction

et notes de Francis DESRAMAUT, Éd. Paulines, 1978, chap.8, pp.53-54

23 Cf. Oraison pour la solennité liturgique de saint Jean Bosco

24 MB VII, 622.

25 MB V, 9.

26 P. Brocardo, Don Bosco profondamente uomo - profondamente santo, LAS, Roma 1985, 84.

27 Ibidem, 85.

28 P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica, vol. II, Zurigo, PAS Verlag, Zurigo, 13.

29 CG24, Salésiens et laïcs : communion et partage dans l'esprit et la mission de Don Bosco, Rome 1996, n° 89-100.

30 Constitutions SDB 20

31 San Giovanni Bosco. Insegnamenti di vita spirituale. Anthologie publiée sous la responsabilité de A. GIRAUDO, LAS, Rome 2013.

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