251-300|fr|298 La composante laïque de la communauté Salésienne

La composante laïque de la communauté Salésienne



« LA COMPOSANTE LAIQUE DE LA COMMUNAUTE SALESIENNE » - 1. La physionomie originale de notre Société - 2. La figure du Salésien coadjuteur : Description de ses diverses charges : son trait caractéristique - 3. Délicat labeur d'identification : le Coadjuteur est un « religieux » : Il n'est pas un « séculier consacré » ; Il est pleinement salésien ; Il a choisi la « dimension laïque - 4. En quoi consiste cette «dimension laïque » ? ; « Laïcité » au niveau de la création ; « Laïcité » au niveau de la mission de l'Eglise ; « Laïcité »·comme dimension réalisable dans la vie religieuse - 5. Le vrai signe distinctif du Salésien coadjuteur : Sens de l'appartenance à la communauté : Conscience d'une « ouverture séculière » de la Congrégation - 6. Situation problématique : Quelques statistiques ; Une suggestion de prospective ; Confiance en l'action de l'Esprit Saint - 7. L'engagement plus urgent aujourd'hui - 8. La fonction stratégique de la formation : Unité de la formation ; Formation spécifique ; Formation permanente - 9. Deux appels qui font autorité.



Rome, le 24 août 1980


Chers confrères,

Il y a longtemps que je voulais m'entretenir avec vous d'un thème vital : celui du « Salésien coadjuteur ». Aujourd'hui, ce sujet nécessite une réflexion attentive et un soin particulier, dans toutes les Provinces, dans chaque maison, dans la mentalité et le cœur de chaque confrère.

Les deux derniers chapitres généraux en ont discuté avec une préoccupation particulière ; et la réalité nous interpelle à son sujet de façon urgente. Il s'agit non seulement du confrère coadjuteur, mais de chacun de nous ; de nous tous ensemble, de la communauté, d'une dimension de notre Société : non seulement « lui », mais « nous ». Nous abordons un thème capital pour la Congrégation ; il entre dans sa composition même, fait partie intégrante de son identité et constitue une composante dynamique et caractéristique de sa mission.

Nous connaissons la pensée créatrice de Don Bosco à ce sujet. De son vivant encore, ce thème fut mis à l'ordre du jour des premiers Chapitres généraux et ensuite, de presque tous les autres.

Les Recteurs majeurs l'ont traitée de diverses façons, du point de vue de la Congrégation, persuadés qu'ils étaient de présenter un trait original de nos communautés. A la fin de sa vie, le Père Albera avait préparé des notes pour une circulaire sur « Don Bosco, modèle des coadjuteurs », parallèle à la lettre mémorable de 1921 qui présentait « Don Bosco, modèle du prêtre salésien ». Le Père Rinaldi écrivit en 1927 une lettre vraiment fondamentale sur « Le coadjuteur salésien dans la pensée de Don Bosco »1 ; elle mérite encore - que dis-je, surtout aujourd'hui - d'être relue et méditée, étant donné qu'elle révèle les horizons de la pensée de Don Bosco.

Les profonds changements survenus dans la société et dans l'Eglise ont amené les deux derniers Chapitres généraux (CG) à revenir sur ce thème avec une résolution particulière. Le CG21 l'a fait d'une façon plus systématique dans le 2ème document sur « Le Salésien coadjuteur - une vocation de 'religieux laïc' au service de la mission salésienne »2 ; et dans le 3ème document sur « La formation à la vie salésienne »3. Je voudrais en commenter ici les aspects les plus propres à un renouvellement et remémorer sérieusement diverses orientations éclairantes et quelques exigences pratiques.


1. La physionomie originale de notre Société.


Le Père Rinaldi a écrit que « le Coadjuteur salésien est une invention géniale du grand cœur de Don Bosco, inspiré par l'Auxiliatrice »4.

Il a insisté sur la « géniale modernité » de cette figure de confrère et en a exposé les raisons. « Le Coadjuteur salésien, affirme-t-il clairement, n'est pas le second, ni l'aide, ni le bras droit des prêtres, ses frères en religion, mais leur égal, qui peut les précéder et les dépasser dans la perfection, comme le confirme amplement l'expérience quotidienne »5.

Si nous ne retirons pas de son contexte cette affirmation aussi nette, nous devrons tâcher de comprendre comment la « géniale invention » dont parle le Père Rinaldi a effectivement des répercussions sur la nature même de toute la Congrégation. Elle nous aidera à repenser la figure de chaque confrère à l'intérieur de la Communauté salésienne.

Après le Concile, la « Communauté » a fait l'objet d'un approfondissement spécial et cela influe profondément sur la caractéristique de ses membres. Notre Société, nous disent les Constitutions, est constituée de clercs et de laïcs6 ; et elles ajoutent que « vivre et travailler ensemble est pour nous, Salésiens, une exigence fondamentale et une voie sûre pour réaliser notre vocation »7 ; « notre mission elle-même est confiée en premier lieu à la communauté, provinciale et locale. Ses membres ont des fonctions complémentaires avec des tâches qui toutes sont importantes »8.

De ces indications provenant des Constitutions découle une constatation qui doit toucher la conscience et la mentalité de chaque confrère. Le Salésien doit sentir gravée dans son cœur de « membre de la communauté » une relation foncière avec d’autres figures de confrères, spécifiquement différents dans leur caractéristique de Salésiens et objectivement complémentaires par rapport à lui-même. Ainsi le Salésien, prêtre ou futur prêtre (et diacre permanent, ce qui nécessiterait une réflexion à part) doit se sentir spontanément en référence au Coadjuteur, et cela en vertu de la force de communion de sa dimension salésienne même ; et le Salésien coadjuteur doit éprouver le même sentiment à l'égard du confrère 'prêtre ou futur prêtre.

Notre vocation, radicalement communautaire exige une communion effective non seulement de fraternité entre les personnes, mais aussi, et d'une façon hautement significative, de référence mutuelle de ses deux composantes fondamentales : l'une, « sacerdotale » et l'autre, « laïque ». Chaque confrère, prêtre, futur prêtre ou coadjuteur, vit sa vocation sacerdotale ou laïque en étroite relation d'intégration avec l'autre, et non point seul et en soi, comme si sa vocation était une caractéristique indépendante ou, éventuellement même, indifférente.

Les deux dimensions fondamentales de choix exigent une relation mutuelle vitale entre les différentes personnes qui la vivent ; elles se développent dans une symbiose communautaire, selon une proportion harmonieuse visant à les faire s'interpénétrer de l'intérieur, dans le projet de cette « géniale modernité » et de cette mission commune qui forment « le caractère propre » de notre Congrégation religieuse9. En effet, Don Bosco a voulu que la Société de Saint François de Sales soit une « association de prêtre, d'abbés10 et de laïcs, spécialement de travailleurs manuels, qui désirent vivre en communauté tous ensemble dans l'intention de se faire du bien entre eux et aussi de faire du bien aux autres. (...) Notez aussi - continue Don Bosco - qu'entre les membres de la Congrégation il n'existe aucune distinction ; tous sont traités de la même façon, qu'ils soient travailleurs manuels, qu'ils soient abbés ou qu'ils soient prêtres ; nous nous considérons tous comme des frères »11.

Ainsi donc, en structurant la Congrégation, notre Fondateur décida qu'elle serait constituée d'« ecclésiastiques » et de « laïcs » : non pas uniquement d'« ecclésiastiques », ni non plus uniquement de « laïcs » ; mais d'« ecclésiastiques » et de « laïcs », dans une unique communion de vie et d'apostolat.

Le CG21 a clarifié l'importance et l'influence de la composante du Salésien coadjuteur dans la mise en pratique du « Système préventif » au plan pédagogique et au plan pastoral. Il a précisé et approfondi la complémentarité mutuelle du double choix « sacerdotal et laïc » ; il a mis au point une délicate proportion d'osmose entre ces deux options à l'intérieur d'une communauté religieuse « pastorale », organiquement structurée, servie et animée par un guide que valorisent les charismes de l'ordination sacerdotale12 ; mais il laisse la porte ouverte à toute une gamme d'approfondissements et de recherches à une problématique de purification de la mentalité et à un plan de travail pour repenser courageusement la question en harmonie avec la forte évolution culturelle et avec la rénovation de l'Eglise, dans lesquelles nous sommes intensément engagés.

En particulier, le Chapitre nous a appelés à faire naître un modèle de communauté qui, par sa constitution même, permette d'« évangéliser en éduquant et d'éduquer en évangélisant », aspect sur lequel il a tellement insisté. La corrélation profonde entre prêtres, abbés et coadjuteurs - nous rappelle le Chapitre - « ne signifie pas subordination ni juxtaposition ; elle ne signifie pas non plus la perte ou la fusion des caractéristiques propres. Au contraire, c'est une réalité qui caractérise les personnes et la communauté salésienne apostolique »13.

Les différences qui existent dans la figure et dans le rôle des confrères ne doivent pas être considérées comme des « limites » ou des « degrés », mais comme des sources de richesse commune ; non point comme le manque de quelque chose, mais comme la capacité d'intégrer les valeurs des autres14 ; comme un apport harmonieux à un type original de communauté religieuse et apostolique.

La perte et le déséquilibre de cette différenciation organique nuisent gravement à l'identité de la Congrégation dans sa nature communautaire et donc dans son style d'apostolat.

La crise que nous traversons actuellement porte atteinte tant à notre dimension laïque qu'à notre dimension sacerdotale, et surtout à l'équilibre harmonieux de leur interpénétration. Cependant, jouissant d'une longue tradition dans l'Eglise, la dimension sacerdotale a eu une certaine prépondérance durant notre premier siècle d'existence et elle a progressé davantage (même si aujourd'hui elle a besoin d'une profonde révision doctrinale et d'une plus grande fidélité à sa véritable nature) ; tandis que la dimension laïque, que Don Bosco souhaitait nouvelle dans son genre (« géniale invention » selon le Père Albéra et le Père Rinaldi), dépourvue d'une plus riche tradition doctrinale, a connu un développement plutôt limité malgré les indications éclairantes de Supérieurs et de spécialistes. Cette différence a compromis peu à peu l'équilibre même du caractère particulier qui distingue notre Société. Ce fait doit nous inciter à réfléchir explicitement et sérieusement sur ce thème afin d'être en mesure d'appliquer les remèdes de toutes nos forces.

Le Concile du Vatican II et les derniers Chapitres généraux apportent une nouvelle lumière pour approfondir et développer tout ce qui est déjà contenu dans le germe de la fondation.


2. La figure du Salésien Coadjuteur.


Comme le laïc dans l'Eglise, le Coadjuteur dans la Congrégation peut remplir des fonctions variées15 : cela pourrait aussi induire en erreur sur la nature de sa vocation et, par conséquent, de la composante laïque de nos communautés.


Description de ses diverses activités.


Concernant nos cent premières années d'existence, les différentes fonctions remplies par des Coadjuteurs salésiens pourraient, dans leurs grandes lignes, être caractérisées selon le schéma suivant :


1. Coadjuteurs remplissant des fonctions éducatives, sociales, pastorales et formatives, c'est-à-dire engagés dans des activités culturelles et scolaires, surtout dans des écoles techniques et professionnelles ; dans des initiatives de groupements, des cercles apostoliques, des groupes sportifs, musicaux, théâtraux ; dans des services d'animation pour les loisirs, dans les moyens de communication sociale, dans la préparation au monde du travail, dans la formation sociale, etc... ;


2. Coadjuteurs assurant des activités dites tertiaires, c'est-à-dire se consacrant à des travaux de bureau, d'économat, de comptabilité ; commissionnaires, secrétaires, représentants de secteurs, infirmiers, sacristains, responsables du personnel d'entretien, etc... ;



3. Coadjuteurs assurant des services dans la maison, c'est-à-dire collaborateurs généreux dans la maison, prêts à s'occuper de tout travail pour lequel ils se sentent suffisamment compétents ; par exemple, veiller à l'ordre et à la propreté, assurer des travaux divers aux champs, à la cuisine, à la boulangerie, dans l'entretien matériel de nos œuvres, être de garde à la conciergerie ; faire fonction souvent de précieux « intendants », etc...

Même s'il est très sommaire et incomplet, ce schéma met clairement en évidence qu'il s'agit d'activités et de services très disparates, qui requièrent des aptitudes et une préparation particulières ; avec des répercussions très différentes pour la programmation de la formation du Salésien coadjuteur.

Ces activités et ces services matériels, cependant, nous les voyons également réalisés, en fait, (et pas nécessairement d'une manière abusive) par des prêtres et des abbés, au moins par nécessité et comme expression de collaboration fraternelle et exigence pratique de vie commune.

Bien plus, il faut souhaiter que certains services intérieurs, quotidiens et passagers, soient toujours davantage assumés ensemble, dans la simplicité de la collaboration, par toutes les composantes de la communauté ; c'est une façon de faire qui mérite d'être encouragée.

D'autre part, en nous présentant les types varies de prestations des Coadjuteurs, le schéma indiqué ci-dessus permet de souligner leur consécration multiforme - disons « à plein temps » - à un type d'activité ou de service qui constitue un aspect de leur vie professionnelle.


Son trait caractéristique.


A présent, avant de répercuter cette diversité de services sur un pluralisme raisonnable au niveau de la pastorale des vocations et au niveau de la formation, il nous faut tenter de saisir ce qui - sous les diverses activités - constitue la valeur fondamentale commune, l'élément caractéristique et la physionomie essentielle de la figure du Coadjuteur qui la distinguent de celle du prêtre et de l'abbé.

En effet, à l'origine de la différence, il n'y a pas une négation ou un manque de qualification ecclésiale, mais bien un choix différent : le Coadjuteur a fait le choix d'un idéal chrétien positif qui n'est pas défini par le sacrement de l'Ordre, mais qui est constitué par un ensemble de valeurs formant par elles-mêmes un véritable objectif de haute qualité pour sa vocation. L'article 37 des Constitutions rénovées souligne l'identité d'un tel choix en le qualifiant de « vocation », en précisant que celle-ci est en elle-même « concrète » (avec sa physionomie propre), « complète » (sans manques), « originale » (fruit de la génialité du Fondateur), « porteuse de sens » (particulièrement actuelle)16.

Mais quel est l'objet essentiel et distinctif qui guide le Salésien coadjuteur dans le choix de sa vocation? Le CG21 nous parle de son option explicite de « laïcité » : « La dimension laïque est la forme concrète sous laquelle le Salésien coadjuteur vit et agit comme religieux salésien. C'est là sa caractéristique spécifique, une valeur importante et essentielle de son identité.

La laïcité n'est pas considérée comme un élément négatif ; elle ne se réduit pas non plus à un simple service où à une simple fonction. C'est, au contraire, l'ensemble des valeurs qui constituent le chrétien laïc qualifié par la consécration religieuse salésienne »17.


3. Un délicat labeur d'identification.


Cette réponse, à savoir le fait que le Coadjuteur a fait le choix explicite d'un type de laïcité, est clair au premier abord, mais il convient de la préciser avec sérénité et avec soin.

Malheureusement, nous avançons ici sur un terrain à peine ouvert à une recherche féconde, dans lequel la terminologie elle-même qui est utilisée n'est pas claire ; elle est pour le moins ambiguë, elle n'est pas encore précisée et stable, ni dans le domaine du langage profane, ni dans celui du langage ecclésiastique. Et pourtant, il nous est absolument nécessaire de bien saisir ce que le CG21 a voulu affirmer en assurant que « la dimension laïque est la forme concrète sous laquelle le Salésien coadjuteur vit et agit comme religieux salésien ». Si nous ne percevons pas la vérité contenue dans cette déclaration, comment pourrons-nous fonder et développer la signification de notre identité communautaire et tout un programme rénové pour la relance de cette vocation originale?

Cette déclaration comporte quelques aspects clairs18 ; mais il en est aussi d'autres qui exigent des éclaircissements. Demandons à l'Esprit du Seigneur un peu de lumière pour mieux approfondir la composante laïque de notre communauté, en centrant notre attention sur l'identité du Salésien coadjuteur. Dans cette lettre, nous nous limiterons à offrir certains éléments de réflexion sur le texte capitulaire19, qui puissent servir de présupposé indispensable au travail qu'il nous faut entreprendre en faveur des vocations et de la formation.


Le Coadjuteur est un « Religieux ».


Avant tout, il est clair que le Salésien coadjuteur est un vrai « religieux » et non pas un « laïc » dans le sens décrit par la Constitution dogmatique « Lumen Gentium »20. Cela signifie qu'il n'a pas, comme élément distinctif de sa vie dans l'Eglise, « le caractère séculier », indiqué par le Concile comme caractéristique d'existence dans le monde, impliquant la réalisation selon Dieu de choses temporelles de la famille, du travail, de la culture et de la politique.

La forme de vie religieuse lui convient proprement ; il a donc dans l'Eglise une vocation par laquelle il « témoigne de façon éclatante et singulière que le monde ne peut être transfiguré et offert à Dieu sans l'esprit des béatitudes »21 ; son engagement dans l'Eglise, comme aussi celui des autres confrères, c'est de « travailler, dans la mesure de leurs forces et selon la forme de leur vocation propre, soit par la prière, soit aussi par un zèle actif, à enraciner et à consolider dans les âmes le Royaume du Christ et à l'étendre aux extrémités du monde »22.


Il n'est pas un « séculier consacré ».


En deuxième lieu, il est également clair, pour la même raisons, que la relance du Coadjuteur ne peut s'appuyer sur la vie séculière consacrée ; celle-ci est en effet le propre des laïcs membres d'un Institut séculier23. Donc certains styles d'insertion apostolique individuelle, certaines interprétations de l'obéissance et de la pauvreté, certains engagements temporels au-delà de la mission spécifique de la Congrégation, ne correspondent pas à l'authenticité de sa profession religieuse.

Fondamentale et indispensable reste pour lui la dimension communautaire, si explicitement voulue par Don Bosco et si fortement affirmée dans les Constitutions. La « conscience d'appartenance », le sens de la « complémentarité », la participation à la mission auprès des jeunes et du peuple, la disponibilité dans l'obéissance, la « mise en commun des biens » et la dépendance vis-à-vis du supérieur pour leur usage, la chasteté comme fondement de communion fraternelle, l'adhésion quotidienne à la communauté de prière, etc... constituent son patrimoine spirituel spécifique. Un patrimoine qu'il possède en commun avec tous les confrères, à égalité de droits et de devoirs. « Les Coadjuteurs, - écrit toujours le Père Rinaldi - sont de vrais Salésiens tenus à tendre vers la même perfection et à pratiquer, chacun dans la profession, l'art ou le métier qui lui est propre, l'unique apostolat éducatif qui constitue l'essence de la Société salésiennes »24.


Il est pleinement « Salésien ».


En troisième lieu, il est particulièrement évident aussi que, étant « religieux salésien » de plein droit, le Coadjuteur est porteur de tout l'esprit et de toute la mission de la Société de Saint François de Sales. Cependant, la Congrégation qui est la nôtre, est une Congrégation de vie active, particulièrement insérée dans l'histoire et donc intéressée à des valeurs temporelles et à des secteurs profane déterminés.

Sa mission est évidemment religieuse, dans la ligne de l'évangélisation, mais elle est liée inévitablement à l'important secteur de la culture humaine, spécialement dans le domaine de l'éducation, avec des répercussions au plan social et politique, même si son activité est d'une nature bien différente. Elle implique en effet une profonde interpénétration de l'Evangile et de la culture, du sacré et du profane, de l'Eglise et du monde, de l'esprit des béatitudes et de la promotion humaine ; elle astreint à vivre une sainteté de choc, qui entraîne la jeunesse et influe sur la construction d'une nouvelle société.

Or, la collaboration au renouvellement de la Cité humaine, même si elle s'opère dans le contexte d'une mission religieuse spécifique, implique une connaissance et une mise en valeur de la densité caractéristique de tant de valeurs profanes. La nouvelle culture naissante apporte avec elle la découvert du profane avec, en son centre, une civilisation du travail où le citoyen s'applique à humaniser la nature et les forces de l'univers.

Comme conséquence d'une mission évangélisatrice tellement insérée dans l'évolution historique, il faudra dans la communauté (qui est le sujet investi de cette mission) une multiplicité de rôles et d'approches de la réalité qui impliquent non seulement des fonctions diverses et complémentaires, mais aussi des attitudes différentes et perméables les unes aux autres.

Et nous trouvons ainsi, dans la vocation unique de la Congrégation, les deux dimensions fondamentales : celle de type « sacerdotal » et celle de type « laïque ». Il ne s'agit pas simplement de tel ou tel confrère qui, pour son propre compte et d'une façon désinvolte et presque arbitraire, éprouverait une inclination personnelle vers un engagement plus ou moins ministériel ou profane ; il s'agit de la communauté salésienne dans sa vitalité organique, ou bien de la Congrégation comme telle, qui a comme composante essentielle de sa physionomie un sens particulier à la fois de la consécration de l'Ordre et de la situation laïque, qui s'interpénètrent dans une synthèse originale de vie commune.

Ainsi donc tous les membres de la Communauté salésienne doivent éprouver et vivre comme des valeurs propres tant une certaine sensibilité « laïque » qu'une sensibilité « sacerdotale » spécifique, objet de communion fraternelle et de responsabilité partagée, même si chacun réalise la synthèse à travers des attitudes et des rôles différents : en évitant d'une part les tentations de laïcisme et de sécularisme, et d'autre part, celles du cléricalisme ou d'une certaine démagogie ecclésiastique.

Il est évident que le Coadjuteur a un comportement et des fonctions qui privilégient la dimension laïque, tandis que le prêtre et l'abbé privilégient la dimension sacerdotale ; mais tous deux se sentent intimement et indissolublement interdépendants, de telle manière que cette interpénétration mutuelle et harmonieuse fait partie de la spiritualité salésienne qui leur est à la fois particulière et commune. C'est pour cette raison que je disais au début de cette lettre que chaque confrère doit sentir gravé dans son cœur de « membre » de la communauté un sentiment inné de solidarité à l'égard du Coadjuteur, s'il est Prêtre ou Abbé, et à l'égard du prêtre ou de l'Abbé, s'il est coadjuteur.

Malheureusement, par endroits, des gens qui nous regardent parlent de façon erronée de « Pères salésiens », comme si la communauté ou la province était réservée exclusivement à des prêtres ou caractérisée uniquement par eux. Et parfois, entre nous aussi, pour différents motifs, nous élaborons des projets d'engagement apostolique qui, dans leur programmation même, rendent marginal le rôle du Coadjuteur, provoquant ainsi, en fait, un dangereux déséquilibre des vocations.

Le danger que court la communauté, c'est de tomber dans deux déviations de sens opposé mais qui ont en commun une même racine « cléricaliste » (plutôt que cléricale) : la réduction du projet apostolique salésien à la seule activité culturelle et catéchétique ; ou bien une sorte de monopole de sécularisation de la part des Prêtres qui estompent leur dimension sacerdotale et envahissent le domaine propre aux Coadjuteurs et aux laïcs, évacuant dangereusement l'indispensable originalité de leur ministère.

Les membres d'une communauté salésienne devraient toujours être en mesure de considérer et de rechercher l'apport spécifique et essentiel du Salésien coadjuteur, même lorsque lui-même ne s'y trouve pas encore (les solutions de rechange, cependant, devraient être transitoires).

Ainsi seulement on appréciera à sa juste valeur ce qui constitue sa substance et ainsi seulement on s'y mettra sérieusement pour combler le vide qu'il laisse éventuellement et qui est néfaste.

Malheureusement, il semble parfois que ceci ne soit pas ressenti par tous dans la Congrégation. Dans une enquête récente, menée auprès des Provinces par le Dicastère pour la formation, on demandait ceci : « A la lumière de la conception salésienne de la réalité, comment le manque de Salésiens coadjuteurs est-il ressenti dans la Province ? ». Quelqu'un répondit : « Nous sommes en train de nous y faire... » ! Si en face de cette triste réalité on adopte une telle attitude de résignation, il m'est pénible de penser que l'on s'achemine vers la perte d'un trait qui caractérise la nature même de la Congrégation.


Il a choisi la « dimension laïque ».


Et il existe un quatrième aspect suffisamment clair, au moins comme affirmation de la note distinctive du Coadjuteur : le fait que la dimension laïque est, dans la Congrégation, la forme concrète selon laquelle il vit et agit comme religieux salésien.

A ce point de notre réflexion, plutôt que de décrire les multiples fonctions du Salésien coadjuteur, nous voudrions pouvoir pénétrer l'attitude intérieure qui est à la base de sa vocation caractéristique et qui fait que le cœur salésien du Coadjuteur (et donc la pastorale des vocations et la formation qui devront s'y référer) se distingue de celui du Prêtre et de l'Abbé par des valeurs positives particulières : une différence qui est une richesse pour la communion! C'est précisément eu égard à cette différence consciente qui est la sienne que le Coadjuteur devient dans la communauté un élément indispensable d'identité communautaire et qu'il apporte une « géniale modernité » à l'être et à l'agir salésiens.

Mais ici surgissent des questions qui ne sont point faciles, même si elles sont séduisantes. Le problème de fond ne se trouve pas dans la matérialité pratique des activités du Coadjuteur, mais dans le motif radical de la mentalité qui l'anime.

Pour comprendre la « dimension laïque », nous ne devons pas mettre au premier plan ce que veut ou peut « faire » le Coadjuteur, mais comment il doit « être dans l'action » ! En d'autres termes, il nous faut rechercher la note intérieure qui caractérise son « choix de vie », sa « façon d'être » dans la pensée, le témoignage, l'action et l'influence sur le style religieux de toute la communauté salésienne.

A n'en pas douter, cette condition qui est la sienne aura également comme conséquence des préférences et des différences dans ses activités et ses responsabilités concrètes ; il y aura dans la mission communautaire des choses nécessaires et utiles qui apparaîtront comme propres au Salésien coadjuteur, non pas de manière stéréotypée, selon un schéma fixe, mais selon les exigences culturelles ou conjoncturelles multiples et changeantes. Don Bosco disait avec un réalisme aigu et large : « Il y a des choses que les Prêtres et les Abbés ne peuvent faire et c'est vous qui les ferez ! »25.

La « dimension laïque » ne comporte donc pas un aspect « négatif » (le fait de ne pas être Prêtre) et une attitude « passive » (le fait d'attendre des indications pour collaborer) comme s'il était un instrument dans les mains d'autres personnes ; elle exige au contraire de la part du Coadjuteur un « dynamisme positif » qui est le propre d'un confrère actif et partageant la responsabilité également au niveau de la créativité et de la programmation apostoliques. Elle exprime en effet un aspect essentiel de la vocation salésienne elle-même.

C'est donc vraiment à propos que le dernier Chapitre a voulu préciser quelques traits concrets, distinctifs et attirants de la vie spirituelle du Salésien coadjuteur26 ; et il l'a fait parce qu'à l'intérieur de son identité, il doit exister un principe vital, c.-à-d. une spiritualité, qui le nourrisse, le développe, le dynamise et le rende porteur d'enthousiasme et de richesses évangéliques pour les autres.

Mais quels sont les contenus et les horizons de sa dimension laïque ? Nous ne pouvons plus, dorénavant, éluder une question de ce genre ; et tenter de lui donner une réponse, cela signifie, en définitive, approfondir l'identité même de notre Congrégation.

Une connaissance peu claire de la « laïcité » est sans doute à la base de l'incompréhension de l'idée de notre Père et Fondateur aussi bien à propos du Coadjuteur que du Coopérateur et de toute la « Famille salésienne ». Mais pour l'instant, restons dans la sphère de la composante laïque de la communauté religieuse des Salésiens de Don Bosco.


4. En quoi consiste cette « dimension laïque » ?


La profession religieuse salésienne assigne au Coadjuteur un idéal caractéristique, vécu avec une énergie spirituelle intense et originale, spécifiée précisément par sa « dimension laïque ». La « laïcité » - comme on l'appelle - à laquelle se réfère le choix de la vocation fait per le Coadjuteur, présente cependant une gamme très étendue de significations diverses : certaines sont précises, d'autres, vagues, d'autres encore, fourvoyées ; on pourrait se perdre à vouloir en dresser une liste et les expliquer.27 Mais il y a aussi en eux un noyau commun qui sert de fondement aux biens et aux valeurs que nous sommes en train de rechercher.

Limitons-nous à quelques précisions plus assurées dans la réflexion actuelle de la pensée chrétienne. Nous indiquerons brièvement trois grands niveaux de signification de la laïcité : ceux qui nous intéressent.


« Laïcité » au niveau de la création.


Avant tout, il existe un niveau de « laïcité » qui souligne la condition universelle des valeurs de la création : elle est antérieure et extérieure à l'Eglise, et elle atteint donc toute la réalité de la nature dans sa vérité fondamentale. Elle se réfère aux réalités créées en tant que toutes ont une bonté naturelle propre28.

Une laïcité de ce type est à la base de toute connaissance, de toute science et de la technique. Il importe de noter que les choses créées ne sont pas éternelles et ne sont pas apparues par suite d'une nécessité déterministe, mais qu'elles ont été l'objet de la liberté de Dieu qui savait à la fois « ce » qu'il voulait et « pourquoi » il le voulait ; elles constituent donc le tout premier moment d'un dialogue de Dieu avec l'homme, et cela avant toute parole humaine, avant toute interprétation et aussi avant toute religion.

Il n'est pas inutile de faire remarquer tout de suite que la conscience de ce niveau de laïcité peut être la source d'une attitude spirituelle et d'un dialogue universel, réalités si importantes aujourd'hui dans un monde passionné de science et de technique mais souffrant d'un manque grave du sens de la création et d'une incapacité de référence à l'unité de l'univers et à sa signification pour l'homme. Donc une mentalité sainement laïque veille à ce niveau à ne pas se laisser contrefaire par un endoctrinement idéologique quelconque, mais elle aime, de façon humble et sacrifiée, la vérification de l'objectivité dans la gravité complexe des choses.

La foi chrétienne, elle aussi, trouve ici une mesure impitoyable pour s'éclairer elle-même et éviter ou corriger d'éventuelles superstructures mythologiques et irrationnelles. Le processus actuel de sécularisation, en ce qu'il a de positif, peut être considéré comme une juste maturation de la raison et de la foi en référence à la vérité des créatures. Dieu et les choses ne sont pas deux univers rivaux qui répartissent entre eux le domaine du « sacré » et celui du « profane ». Entre Dieu et les choses il existe une unité, en ce sens que la nature est ce qu'elle est et qu'elle existe précisément dans la mesure où le Créateur la veut.

Une mentalité laïque considère donc le profane non seulement avec sympathie, mais aussi avec un sens spirituel, en reconnaissant sa bonté naturelle. La tentation de séparer Dieu et les choses est également pernicieuse, que ce soit dans l'attitude du « laïc » qui considère la nature comme une réalité coupée de Dieu, ou dans l'attitude du « clérical » (de n'importe quelle foi) qui manipule les valeurs temporelles en fonction de critères faussement religieux. La foi chrétienne nous assure que le Christ n'est pas une alternative de l'univers, mais qu'il en est la plénitude ; que Lui-même « maintient tout l'univers... et que par Lui (Dieu) s'est plu à réconcilier tous les êtres, aussi bien sur la terre que dans les cieux »29.

C'est une myopie matérialiste et une banale mythologie, malheureusement envahissante, celle qui enseigne que pour libérer l'homme et faire de lui le Prométhée de l'univers, il faut éliminer Dieu : ce n'est pas une mentalité laïque, c'est la dégradation d'un laïcisme athée. Au contraire, la connaissance de l'objectivité réelle des choses est un présupposé fondamental de tout type de laïcité.

Nous pourrions dire qu'à ce niveau une « mentalité laïque » s'intéresse à la réalité objective des choses ; elle se consacre à cette étude de façon constante, même si ces choses sont complexes et exigent étude, patience, science, technique et expérimentation ; elle considère attentivement et elle respecte les constatations du réel, elle cultive un sens profond de la valeur professionnelle, la conscience que chaque métier est important et souvent difficile, une approche réaliste de l'existence, une programmation sérieuse, l'instinct de collaboration et une estime peu ordinaire pour l'organisation. Oui, l'univers instruit!

Toutes ces qualités ne se rencontrent pas facilement chez celui qui croit pouvoir faire abstraction des valeurs laïques. Ni l'intuition, ni la poésie, ni la bonne volonté, ni la prière ne suffisent pour faire voler un avion.

Comme Gilson l'a joliment écrit : « On nous dit que c'est la foi qui a construit les cathédrales du moyen-âge ; assurément, mais la foi n'aurait rien construit s'il n'y avait eu aussi des architectes... Nous, les catholiques, qui reconnaissent la valeur éminente de la nature, parce qu'elle est l'œuvre de Dieu, nous devons prouver notre respect à son égard en posant, comme loi première de notre action, le fait que la dévotion ne dispense jamais de la technique ! ».30


« Laïcité » au niveau de la mission de l'Eglise.


En second lieu, il existe un autre niveau de « laïcité », celui qui est propre et spécifique à l'Eglise dans l'histoire. Il se réfère à ces disciples du Christ, appelés « laïcs » dans le langage ecclésiastique, qui « cherchent le Royaume de Dieu en faisant usage des réalités temporelles et en les ordonnant selon Dieu. Ils vivent dans le siècle, c.-à-d. qu'ils sont impliqués dans absolument toutes les charges et les affaires du monde et dans les conditions ordinaires de la vie familiale et sociale, qui forment comme la trame de leur existence »31.

Cette laïcité concerne le « monde », non pas tellement en tant que création mais en tant que réalité des hommes, en tant qu'il « est le théâtre de l'histoire du genre humain et qu'il porte la marque de son travail, de ses échecs et de ses victoires... le monde sans aucun doute soumis à l'esclavage du péché, mais libéré par le Christ »32.

Le chrétien « laïc » vit en tant que membre d'une Eglise qui est au service de l'homme et qui est Sacrement universel de salut : elle a une mission qui comporte aussi le fait « d'imprégner de l'esprit évangélique l'ordre des réalités temporelles et de le perfectionner par ce même esprit »33. Et le « laïc » a précisément conscience d'être chargé de ce rôle spécifique en vivant son baptême à travers la caractéristique du « mode de vie séculier »34. Par conséquent, il s'engage, en considérant cela comme sa vocation, dans les multiples réalités temporelles : celles de la famille, de la démographie, de la santé, de l'éducation et de la culture, du travail et des professions, des sciences, de l'industrie, de l'économie, de la justice, de la politique, des relations entre les peuples, de la paix, etc...

Les secteurs humains qu'il faut imprégner de l'esprit de l'Evangile et rendre ainsi plus parfaits sont nombreux et complexes ; ils exigent de multiples fonctions et professions, des styles différents d'engagement, sous une forme individuelle et sous une forme collective, et selon différents états de vie qui vont du mariage à l'existence séculière consacrée. Il y a aussi un pluralisme multiforme et bénéfique parmi les laïcs dans l'Eglise, mais avec une convergence commune sur leur « caractère séculier » identique.

Toutefois le laïc constate vivement et quotidiennement que le mystère du mal est activement présent dans l'histoire par les idoles indestructibles de l'éros, de la richesse et du pouvoir ; il sent le poids des limites humaines, de l'ignorance et du péché qui empêchent l'homme de percevoir et de respecter la laïcité fondamentale de la création, de s'ouvrir à la transcendance et d'ouvrir sa porte au Christ. Il comprend clairement que le mal n'est pas dans les choses, mais dans le cœur de l'homme et dans certaines structures dont il est l'auteur : c'est la liberté humaine qui utilise de façon désordonnée les valeurs temporelles.

Le laïc se sent ainsi appelé à une lutte permanente et gigantesque ; il comprend - de l'intérieur du monde - que le Christ est indispensable et l'Eglise, nécessaire ; et il se réjouit de se sentir partie complémentaire d'un corps mystique plus vaste et divinement efficace. Il considère l'Ordre sacerdotal et la Vie religieuse comme des composantes essentielles de son être chrétien et des sources indispensables d'inspiration, d'énergie et de spiritualité ; il voit dans toute la Communauté ecclésiale la matrice féconde du salut.

A ce deuxième niveau de la laïcité, plutôt que d'une mentalité laïque (déjà présupposée par le niveau précédent), il faut parler d'une « vocation laïque » ; il s'agit en effet de vivre une participation à la mission de l'Eglise. Avec une pareille vocation, le laïc charge de sens évangélique l'engagement temporel ; il se rend compte qu'il ne peut être un laïc authentique sans l'aide de la grâce ; qu'il ne peut exercer une profession ou un métier de façon honnête sans surmonter la tentation de mettre son propre profit au-dessus des valeurs objectives ; et il est convaincu par l'expérience que l'on ne peut être un homme intégral sans ce Christ qui est le Maître de l'histoire !

La vocation laïque conduit à vouloir être présent utilement dans l'histoire ; à opter courageusement pour l'homme et à se sentir solidaire de sa tragique évolution ; à considérer le monde comme l'espace théologique, et pas purement sociologique, de sa vie de foi ; à acquérir une véritable habileté dans l'une ou l'autre des activités temporelles ; à avoir conscience de l'extrême complexité de bon nombre d'entre elles ; à développer le sens du possible et du probable dans les conjonctures socio-culturelles et politiques. Par conséquent, il ne prend pas un ton dogmatique, il ne sacralise pas ce qui est discutable, il respecte le pluralisme et entre en dialogue avec tous au sujet de la laïcité fondamentale des choses et du mystère du Christ.

La vocation laïque suscite une mentalité pétrie de réalisme et de sens du concret ; elle s'appuie sur la conviction que l'action apostolique est une œuvre qui requiert sérieux, dévouement, étude, programmation, sacrifice, humilité, prière et courage.

Le laïc ne méconnaît ni ne fuit les complications liées à l'organisation, aux structures, aux institutions ; bien plus, il s'étonne de ce que, dans certains milieux ecclésiastiques et religieux, il puisse exister une conception de l'engagement chrétien abstraite et superficielle au point de le rendre pour ainsi dire désincarné et de l'enfermer dans le seul domaine d'un spiritualisme, séduisant peut-être, mais éloigné des exigences de la réalité.

En s'appuyant sur sa qualification baptismale de membre sacerdotal, prophétique et royal du Peuple de Dieu35, il s'applique à faire du Monde le vrai Temple du Seigneur, et de la multiforme activité humaine, une expression consciente et vitale de liturgie à incorporer de manière existentielle à l'Eucharistie du Christ. Ainsi, en définitive, l'univers créé deviendra, à travers l'histoire du salut, la grande Parole du dialogue d'amour entre Dieu et l'Homme et le Monde apparaîtra comme la médiation sacramentelle de leur mutuelle intercommunion.

Habité par une telle vocation, le laïc trouve dans le profane une mine d'or pour la sainteté ; il puise également à des spiritualités inaugurées par les saints Fondateurs de mouvements évangéliques particuliers. Parmi ceux-ci, nous remercions l'Esprit du Seigneur d'avoir suscité, à l'aube de la civilisation industrielle, Don Bosco, dont la spiritualité de l'action apostolique est ouverte à tous et peut être vécue aussi bien dans la vocation laïque que dans celle du ministère ordonné et que dans celle de la vie religieuse.


« Laïcité » comme dimension réalisable dans la vie religieuse.


Il existe enfin un troisième niveau de « laïcité » dans le contexte de l'Eglise ; ce terme prend ici un sens plus restreint et indique une dimension réalisable également dans la vocation religieuse : elle ne présente pas un caractère « séculier », mais elle se situe dans la typologie ecclésiale propre à la « forme de vie religieuse ». Elle ne comporte pas une insertion immédiate dans le monde avec une activité temporelle au sein de celui-ci, mais elle implique une appartenance directe et publique à une communauté de religieux qui se consacrent à témoigner de l'esprit des béatitudes ; elle est alimentée par un « souffle eschatologique » qui met en évidence les valeurs de la résurrection en tant qu'elles sont déjà présentes et opérantes dans l'histoire après la victoire de Pâques.

Les « religieux » sont des groupes de disciples du Christ ressuscité, reconnus et mandatés par l'Eglise. Ils témoignent publiquement de la primauté de la charité définitivement répandue dans le monde à la Pentecôte par l'Esprit du Seigneur ressuscité. Pour ce motif, leur caractère Spécifique est « le don total de soi à Dieu suprêmement aimé », ratifié par Lui avec « une consécration plus intime » de docilité au Saint-Esprit36.

Ce caractère spécifique apparaît clairement différent de la « vie séculière » dans la mesure où il se traduit dans une forme de vie qui implique une incorporation à une communauté déterminée par le lien des vœux publics (qui contestent les trois fameuses idoles du mal), par la profession d'un Projet évangélique sanctionné par des Constitutions propres, par un référence d'obéissance à une autorité légitime et par une participation spécifique à la mission de l'Eglise selon l'intention du Fondateur.

Il faut note que, - étant donné la structure organique de l'Eglise - en soi, la Vie religieuse n'exclut ni la condition du Prêtre ou de l'Abbé, ni celle du Laïc, « mais que, de ces deux conditions, certains disciples du Christ sont appelés par Dieu à vivre dans l'Eglise un don spécial et, chacun à sa manière, à aider la mission salvatrice de celle-ci »37. La vie religieuse n'a donc pas qu'une seule dimension et elle ne peut être interprétée de façon univoque comme s'il n'existait pas en elle des charismes nombreux et divers, suscités par l'Esprit du Christ à travers les Fondateurs.

Dans le pluralisme des Instituts de vie active, il est vraiment possible d'assumer de différentes façons même une certaine dimension laïque. Beaucoup d'Instituts de vie active sont uniquement « laïcs » et d'autres, comme notre Congrégation, ont une dimension « laïque » spécifique et originale. Cette caractéristique ne devra pas être interprétée et vécue comme une « existence séculière » ; elle conservera néanmoins, selon les différents charismes, un véritable lien et une certaine sensibilité commune, au niveau de la mentalité et de l'activité, avec les deux types de laïcité décrits précédemment. La dimension contemplative propre à toute Vie religieuse n'oblige pas une Congrégation de vie active à avoir « une âme monacale », mais bien à entretenir son « élan eschatologique » dans l'apostolat parmi les hommes.

Ce serait méconnaître les faits que de vouloir défendre une conception religieuse qui, à l'égard du monde et de sa problématique de salut, écarterait notre Congrégation du secteur de la culture populaire et de l'éducation de la jeunesse. Le Concile lui-même proclame : « Il ne faut pas penser que les religieux, du fait de leur consécration, deviennent étrangers au monde et inutiles dans la cité terrestre »38.

Et le grand Pape Paul VI, dans son exhortation apostolique « Evangelica testificatio » dit précisément aux Religieux : « Une question brûlante nous hante aujourd'hui : comment faire passer le message évangélique dans la civilisation des masses ? Comment agir aux niveaux où s'élabore une nouvelle culture, où s'instaure un nouveau type d'homme ? ... Il faut que vos yeux s'ouvrent tout grands sur les besoins des hommes, leurs problèmes, leurs recherches, en témoignant parmi eux, dans la prière et dans l'action, de la force de la Bonne Nouvelle d'amour, de justice et de paix... Cette tâche, qui est commune à tout le Peuple de Dieu, est la vôtre à un titre particulier »39.

En effet, le « caractère séculier », qui est la caractéristique des Laïcs, reflète et incarne en eux une dimension de réalisme historique qui appartient en propre à toute l'Eglise dans sa mission de Sacrement universel de salut ; à cette caractéristique peuvent donc participer aussi, selon le mode de vie qui leur est propre, les différents Charismes religieux. C'est notre cas. Nous savons bien que la Société des Salésiens de Don Bosco est née à l'aube de la civilisation industrielle pour collaborer « religieusement » à la construction de la nouvelle Société.

Dans ces Instituts de vie active qui ont une dimension laïque propre, il reviendra avant tout aux « confrères laïcs » de remplir la fonction spécifique suivante : assurer à l'Institut et réaliser en pratique la dimension particulière qui est la sienne. Ce rôle prend la forme du service considéré comme une « vocation » et non pas simplement comme un « métier » ; il implique le renforcement quotidien de trois aspects complémentaires et inséparables entre eux, qui constituent la principale source de l'identité de vie du Religieux-laïc :

- la « consécration religieuse », en tant que son option fondamentale dans la marche à la suite du Christ ;

- « l'esprit du Fondateur », en tant que son climat évangélique d'existence et d'animation s'adressant aux destinataires de son propre apostolat ;

- le « choix de la dimension laïque », en tant que son idéal positif de vocation, perçu et voulu à la lumière du Charisme global de son propre Institut.

Et dans ce troisième aspect, il est clair que l'association aux qualités laïques des deux autres niveaux décrits précédemment ne peut être précisée de façon arbitraire et à priori, mais devra faire l'objet d'une réflexion actualisée et concrète dans chacun des Instituts concernés.


5. Le vrai signe distinctif du Salésien Coadjuteur.


Pour déterminer les contenus et les horizons propres de la dimension laïque du Salésien coadjuteur, il ne suffit pas, comme nous l'avons vu, de décrire des occupations (ou ce qu'il « fait »), mais il faut approfondir ce qu'il « est dans l'action ». Nous avons vu que son attitude intérieure comporte une consécration religieuse animée par l'esprit de Don Bosco et spécifiée par le choix conscient et positif du type de rapport à l'aspect laïc qui est propre à la Société de Saint François de Sales.


Sens d'appartenance communautaire.


Nous revenons ainsi, d'une certaine manière, à notre point de départ ; mais nous y revenons enrichis au point de vue de la réflexion et de la clarification.

Nous étions partis de la signification globale de la vocation salésienne en considérant la Congrégation comme un tout ou une communion de types de confrères complémentaires : c'est uniquement en partant de la caractéristique spécifique de notre communauté (sujet de la vie et de la mission salésienne) que nous avons pu entreprendre correctement un approfondissement de la figure du Coadjuteur. Eh bien ! En analysant les différents niveaux de la « laïcité », pour mieux clarifier, précisément, la figure et le rôle de ce confrère, nous sommes incités à réfléchir de nouveau sur la signification globale de la Congrégation comme telle.

Il est symptomatique que l'on ne puisse expliquer la figure d'un Salésien sans partir de notre véritable communauté et sans y arriver. En effet, la fameuse « dimension laïque » que nous avons tenté d'examiner, un peu rapidement certes, nous a renvoyés, au cours de l'analyse du troisième aspect concernant la vocation, à l'idéal unitaire perçu et voulu à la lumière du Charisme global de notre propre Institut religieux.

Et ce n'est que justice. Bien plus, c'est seulement grâce à cette sorte de va-et-vient que nous trouvons les différents éléments déterminant le véritable signe distinctif du Salésien coadjuteur. En outre, cette recherche démontre encore une fois que nous n'avons pas affaire à une crise réservée à une catégorie de confrères, mais bien à celle de la typologie même de notre Communauté face au défi de la nouvelle culture.

C'est à juste titre que les derniers Chapitres généraux ont également introduit un changement significatif dans la terminologie en usage : non pas « Coadjuteur ou Abbé ou Prêtre salésien », mais «Salésien Coadjuteur ou Abbé ou Prêtre ». Et ce n'est pas simplement un jeu de mots ; c'est au contraire un fruit (capitulaire) significatif de l'approfondissement de notre identité. Le Coadjuteur en tant que tel, c.-à-d. précisément en considération du choix qu'il a fait de la dimension laïque, est un vrai Salésien qui porte (en union avec les autres confrères) la responsabilité de toute la Communauté.

Aussi comprend-on également la raison pour laquelle, après l'approfondissement de ces dernières années, le terme même de « Coadjuteur » - qui nous est désormais familier à cause de son emploi historique - fait problème, d'une certaine manière : il l'a toujours fait un peu, même à l'époque de Don Bosco, qui s'adapta à l'usage officiel qu'en faisait la Congrégation des Evêques et Réguliers,40 comme on l'appelait alors. Peut-être ce terme ne s'adapte-t-il pas clairement à la « géniale » originalité du projet du Fondateur. Dans la Congrégation, l'usage des autres termes : Salésien « prêtre » ou « abbé » ou « diacre » sert à indiquer la nature ou la caractéristique ecclésiale d'un type de confrère, tandis que celui de Salésien « coadjuteur » indique en lui-même une fonction et dérive d'une terminologie ecclésiastique Frères coadjuteurs ») qui remonte à d'autres temps. Certaines incompréhensions du véritable projet de Don Bosco pourraient être attribuées, elles aussi, à l'usage ecclésiastique de ce terme. De fait, dans le langage courant, en vigueur à l'extérieur de la Congrégation, il a toujours semblé quelque peu hermétique et peu expressif d'un idéal original ; il a même été chargé, en quelques endroits, d'une interprétation plutôt réductive et négative.

Malheureusement, il n'a pas été facile de trouver un autre terme plus adapté, qui puisse le remplacer avec clarté et précision. De toute façon, après les derniers approfondissements capitulaires et après les réflexions que nous avons faites plus haut, on comprend pourquoi la dénomination « Salésien-laïc » rallie de plus en plus de suffrages, pourvu que l'on donne toujours au nom de « Salésien » le contenu substantiel de la condition ecclésiale de « religieux », membre de la Société de Saint François de Sales fondée par Don Bosco.

Nous devons être capables de reconnaître que le langage a, lui aussi, ses exigences pour exprimer l'originalité de la « composante laïque » de notre Congrégation.

Elle est, disions-nous, un Institut caractéristique de vie active, inséré explicitement dans les préoccupations de la vie humaine, même matérielles ; c'est si vrai qu'elle est au centre de toute une vaste Famille qui comprend de très nombreux laïcs.

Elle n'a pas ce que nous pourrions appeler une « âme monastique » de fuite du monde (cette fuite étant d'ailleurs entendue dans le sens positif et caractéristique de tant d'Ordres qui méritent notre estime), mais elle entretient en elle-même une « impulsion profane » de ferment apostolique dans l'histoire (c'est si vrai qu'elle a déjà été à l'origine de quelques Instituts séculiers) qui la porte à vivre « religieusement » sa participation aux vicissitudes concrètes de la société humaine par lesquelles elle est concernée.

La dynamique de la consécration du Salésien coadjuteur (identique à celle de tous les autres confrères) se développe sous une forme indissolublement liée à des problèmes déterminés de promotion humaine.

Notre « être salésien » ne nous oblige pas à nous cataloguer dans un quelconque schéma préfabriqué. Et l'approfondissement de la figure du Coadjuteur nous offre un « test », qu'avec le Père Rinaldi nous pourrions qualifier de « génial », pour la clarification de la composante laïque de notre communauté. En effet, comme nous l'avons déjà dit, Don Bosco fonda, à l'aube de la civilisation industrielle, la Société de St François de Sales pour la jeunesse populaire, considérée comme la « portion la plus délicate et la plus précieuse de la société humaine, sur laquelle reposent les espérances d'un avenir heureux »41 ; et, dans les Constitutions primitives, lui-même affirma que « de la bonne ou mauvaise éducation de celle-ci dépend un avenir heureux ou malheureux pour la société »42.

Dans l'esprit de Don Bosco fondateur, une préoccupation « sociale » apparaît clairement. Bien plus, je crois qu'il est juste de parler d'une certaine « laïcité incisive », due soit aux circonstances historiques de la fondation, soit à l'originalité de la forme de vie souhaitée, soit à la nature même de la mission apostolique choisie. Je vais en faire mention brièvement.


Conscience d'une « ouverture séculière » de la Congrégation.


Don Bosco a eu l'intention de commencer un vaste mouvement apostolique pour la jeunesse et pour le peuple, qui s'inscrirait dans la nouvelle ère socio-culturelle naissante et qui lui serait adapté. Quand il se proposa de condenser dans une « Règle » ses projets, il rédigea également un chapitre « Sur les externes », dont le premier article exprimait fort bien cette conception nouvelle qui était la sienne : « N'importe quelle personne - écrivait-il - même en vivant dans le monde, dans sa propre maison, au sein de sa propre famille, peut faire partie de notre Société, etc... »43.

On découvre ici un profond intérêt pour la condition historique de la vie du monde et une ouverture explicite à son égard ; plus tard, le Père Rinaldi a tenté de la réaliser - au moins partiellement - dans le contexte féminin, en commençant ce groupe de zélatrices qui, aujourd'hui, est devenu l'Institut séculier des Volontaires de Don Bosco.

Ensuite, il constata qu'il paraissait indispensable, dans la poursuite d'un tel but, d'assurer un noyau central animateur ayant la stabilité et la consistance d'une véritable Congrégation religieuse ; sous l'inspiration d'en-haut et sur le conseil du Pape Pie IX également, il fonda donc notre Société. Le style de cette Congrégation devait être « neuf » et chercher la façon de s'adapter dans la forme à certaines exigences de la société civile naissante ; c'était aussi ce que lui conseillait rien moins que Ratazzi, le ministre anticlérical.

Ainsi la forme de vie, la souplesse dans les structures, le mode de propriété des biens, l'habit, la facilité d'adaptation, le style familier de vie en commun, la terminologie à employer (Maison, Inspecteur, M. le Directeur, M. l'Assistant...), les secteurs apostoliques à affronter, l'appartenance au monde du travail, etc... devaient le plus possible être en accord avec certaines exigences inévitables du processus de sécularisation vers lequel la société se dirigeait rapidement.

Enfin, la nature même de l'activité de la Congrégation, en vertu de sa constitution, est orientée vers un témoignage et un service qui débouchent sur le monde : la spiritualité de l'action inspirée de l'humanisme de St François de Sales, qui tient compte explicitement des valeurs temporelles, transforme la richesse de la dimension contemplative et des vœux de religion en énergies d'éducation afin de construire parmi les citoyens une civilisation de l'amour ; la mission auprès de la jeunesse et du peuple, condensée de façon vitale dans la pratique vécue du « Système préventif », incite le Salésien à être évangélisateur à travers des engagements de culture profane et à être un éducateur social en ouvrant les horizons de la croissance humaine au mystère indispensable du Christ.

Dans une Congrégation de ce genre, il devrait y avoir, en fait d'espace libre et de climat, tout ce qui favorise la présence et la croissance de la figure du Salésien coadjuteur. Dans sa profonde circulaire, le Père Rinaldi insiste expressément sur cet aspect (et cela vaut la peine de citer ce texte, même s'il est long).

Il dit que Don Bosco « rendit la perfection religieuse accessible aux personnes de toute condition » ; aussi souligne-t-il, en pensant aux laïcs dans le monde, que « le champ est très étendu et que la moisson blondit de toutes parts : il faut convier à moissonner ceux auxquels le Seigneur a fait entrevoir au loin, dans un éclair, une vocation supérieure. Et que l'on ne pense pas qu'il est insignifiant le nombre de ceux qui embrasseraient volontiers le genre de vie spirituelle qui à fasciné leurs esprits à certains moments de plus grande union à Dieu. Mais s'ils ne se décident pas, c'est parce qu'ils s'imaginent que ce genre de vie de perfection et d'apostolat est réservé à ceux qui son appelés au sacerdoce (...).

« Mes chers amis, il faut que tous nous nous mettions à répandre et à rendre familière par la parole, par l'écrit et par tout autre moyen qui est à notre disposition, cette vérité trop peu connue, à savoir que la vocation religieuse n'est pas réservée à ceux qui sont appelés au sacerdoce, mais qu'elle s'adresse aussi à ceux qui ressentent à l'intérieur d'eux-mêmes le désir de mener une vie plus parfaite afin de pouvoir mieux servir le Seigneur dans l'accomplissement des tâches très variées de l'apostolat. Il faut mettre en pleine lumière la beauté et la grandeur de la vocation à la simple vie religieuse, don divin de valeur inestimable (...).

« Oui, mes chers amis, faisons connaître toute la beauté et la grandeur du Coadjuteur salésien et préparons de nombreux et de bons Coadjuteurs pour toutes les professions, pour tous les métiers artisanaux et manuels. Au début, Don Bosco s'est préoccupé particulièrement des vocations sacerdotales, soit parce que sans elles il n'aurait pu donner vie à la Société, soit parce que, à cette époque, il y avait un si grand manque de vocations sacerdotales (...). Toutefois, dans ses Constitutions, il a entériné le principe de la simple vocation religieuse élevée à une égalité parfaite avec la vocation religieuse et sacerdotale, à l'exception de la dignité propre liée au caractère, pour laisser entendre que sa Société aurait compté avec le temps un grand nombre de simples religieux laïcs destinés à exercer un véritable apostolat dans le monde entier »44.

Si quelqu'un veut retrouver un souffle prophétique dans la sphère de la composante laïque de notre Congrégation, il fera bien de méditer assidûment cette précieuse circulaire du Père Rinaldi.


6. Situation problématique.


A ce point de la réflexion, même si ce que je dis présente l'aspect d'une constatation qui provoque peine et malaise, je crois utile de vous faire part de quelques chiffres sur la situation critique que nous traversons aujourd'hui à ce sujet dans la Congrégation.

Une fois faites les exceptions qui s'imposent, il est possible que plusieurs de nos Communautés n'aient pas saisi à fond la « géniale invention » du projet de Don Bosco, qu'elles n'aient pas encore su ou pu expérimenter la portée de la valeur constitutive et de l'influence bénéfique de la composante laïque assurée dans la Congrégation par la présence du Salésien coadjuteur. Il y a eu aussi, à n'en pas douter, et cela durant de nombreuses années, un certain manque de formation appropriée. Pour cette raison, un regard sur les chiffres concrets peut nous faire sortir d'une torpeur dangereuse.


Quelques statistiques.


Alors qu'en 1880, du vivant de Don Bosco, le rapport numérique entre les Coadjuteurs et les Prêtres et Abbés était de 1 à 2, c.-à-d. un « laïc » pour deux « ecclésiastiques », aujourd'hui, exactement cent ans après, le rapport est de 1 à 4,62, avec une tendance à croître dans le même sens. En effet, au cours des 14 dernières années, c.-à-d. à partir de 1966, année au cours de laquelle on atteignit le nombre maximum de Coadjuteurs (4.294) - leur diminution a été de 31,02% (autrement dit, cela les a menés au nombre actuel de 2.962). Par contre, la diminution des Prêtres et des Abbés au cours des 13 dernières années, c.-à-d. à partir de l'année 1967 où ils ont atteint leur nombre maximum (17.346) - a été de 20,65% (autrement dit, cela les a menés au nombre actuel de 13.764).

La différence de diminution entre les deux groupes est de 10,37% au désavantage des Coadjuteurs.

Ensuite, si l'on observe le développement numérique des candidats pour la Congrégation, on constate que le rapport entre Coadjuteurs et Abbés au moment de l'entrée au Noviciat est - aujourd'hui - de 1 à 9,88 (c.-à-d. de 44 Coadjuteurs pour 435 Abbés).

Le nombre maximum de Coadjuteurs novices a été de 293 en 1956. De ce sommet de la courbe à aujourd'hui, les candidats Coadjuteurs ont diminué de 84,98%. Pour les Abbés-novices, le nombre maximum de 1.225 a été atteint en 1966 de ce sommet de la courbe, ils ont diminué de 64,49%. La différence de diminution numérique entre les deux groupes est de 20,49% au détriment des Coadjuteurs.

Au cours des premiers mois de cette année 1980, il y avait bien 57 Provinces qui n'avaient pas de Coadjuteurs-novices ; 9 Provinces en avaient 1 ; 7 en avaient 2 ; une en avait 6 et une (Madrid) en avait 15. Plusieurs Provinces n'en ont plus depuis un certain nombre d'années : quelques-unes, depuis plus de 10 ans ; une, depuis 14 ans, c.-à-d. depuis 1967.45


Suggestion de perspectives d'avenir.


Tout cela arrive précisément aujourd'hui, alors qu'il ne serait pas faux de penser à une nouvelle proportion plus favorable à la dimension laïque, différente de celle qui a été expérimentée jusqu'ici entre « laïcs » et « ecclésiastiques » dans la Congrégation. Cette possibilité semble suggérée et également favorisée par l'approfondissement ecclésiologique de Vatican II : dans un certain sens, en effet, on y a redécouvert et relancé la vocation du « laïc » et on a amorcé une évolution de l'Eglise et de l'apostolat qui modifie non seulement l'importance et la fonction, mais encore la proportion elle-même des Laïcs engagés et de leur mission apostolique.

Une affirmation semblable n'est certes pas arbitraire et ne devrait pas être interprétée « de façon catégorielle » en faveur d'un groupe, en faisant abstraction de l'autre, mais de façon unitaire, comme une maturation historique, comme une croissance homogène. Une croissance qui ne porte pas atteinte au caractère propre de la Congrégation, mais qui lui procure une plus grande possibilité d'efficacité apostolique en vue d'un renouvellement global de la communauté, et donc en définitive, en faveur de ses deux dimensions fondamentales - sacerdotale et laïque - selon leur perméabilité mutuelle.

Permettez-moi d'utiliser ici une réflexion du Père Rinaldi ; elle est curieuse et même elle ne manque pas d'un certain humour, mais elle est fort audacieuse : « Selon l'esprit des autres Congrégations - écrit-il (je ne parle pas des anciens Ordres monastiques dans lesquels il en allait autrement), le nombre des frères laïcs (...) devait être subordonné aux exigences des services secondaires indispensables (...) : lorsque le nombre requis était atteint, l'appel divin devait, en un certain sens, suspendre son activité parce qu'il n'y avait plus de place pour les pauvres laïcs (...) ».

« Avec sa Société - continue le Père Rinaldi - Don Bosco a ouvert la voie de la perfection religieuse non seulement à un nombre donné, mais à tous les laïcs qui se sentent appelés à se sanctifier dans la vie de la communauté, en exerçant l'apostolat de l'éducation au milieu de la jeunesse pauvre et abandonnée, ou l'apostolat missionnaire (...). De cette façon, avec sa Société, Don Bosco rendit la perfection religieuse accessible à toute catégorie de personnes, dans l'exercice même des professions les plus variées : culturelles, artistiques, mécaniques et agricoles. Dans la Société salésienne, il y a place pour les catégories les plus diverses : les moins instruits se sanctifieront dans les humbles travaux de chaque maison ; les professeurs, dans leurs chaires, de la première année de l'enseignement primaire aux années d'université ; les professeurs d'atelier, dans leurs ateliers et les agriculteurs, dans les champs »46.

Face à cette vision prophétique du Père Rinaldi, les statistiques que nous avons indiquées nous ébranlent et, d'une certaine manière, nous heurtent : elles nous contraignent à faire un sérieux examen de conscience et à sortir d'une sorte de léthargie dans laquelle nous ont peut-être fait tomber une certaine superficialité tenace et la tourmente due à l'accélération des changements.

Certes, nos statistiques doivent être insérées dans le vaste mouvement de la mutation culturelle en cours. Quelques-unes de ses composantes, par exemple, ont pesé lourdement sur certains aspects de la vie salésienne plus directement orientés vers le monde du travail.

La civilisation de la société industrielle est intimement liée au progrès scientifique et technique ; aussi a-t-elle été soumise à une accélération particulièrement violente ; de plus, en même temps que le perfectionnement continuel des moyens et que la nouveauté séduisante, elle comporte une vision de l'homme toujours plus fermée sur elle-même, avec une tentation permanente de laïcisme - aussi bien bourgeois qu'ouvrier - qui déprécie les grands idéals de l'Evangile.

C'est une civilisation riche de technique, mais pauvre de sagesse ; qui fait bon accueil à la consommation effrénée et mauvais accueil au sacrifice ; et surtout qui imprègne le monde du travail d'un fluide matérialiste très subtil et pénétrant : l'homme (l'Homo faber !) serait le « protagoniste » unique et tout-puissant.

Là où une interprétation plus intelligente est proposée, là aussi on a recours à des philosophies immanentistes qui voudraient tout réduire au laïcisme. Ainsi la figure originale du « laïc chrétien » qui réalise une vocation ecclésiale dans la gestion du monde, apparaît diminuée et dénaturée. Nous devons reconnaître qu'il existe une crise de la vocation laïque dans ses différentes expressions.

C'est un sujet capital, qui nous dépasse mais qui nous enveloppe. Nous ne surmonterons pas les difficultés de la vocation du Coadjuteur avec des nostalgies ou des restaurations, mais avec une conscience renouvelée de la réalité du Monde et de la mission de l'Eglise, dans laquelle il y aura une place claire et privilégiée pour repenser à fond la « laïcité chrétienne » dans ses formes variées et en intensifier le dynamisme indispensable. Et ce qui se passe dans l'Eglise, à ce propos, est déjà l'aurore d'une nouvelle époque plus positive et prometteuse.


Confiance dans l'action de l'Esprit Saint.


L'Esprit Saint, au cours de ces décennies, a favorisé le renouveau du Peuple de Dieu par la médiation du Concile Vatican II, en donnant une nouvelle façon d'envisager le thème de la vocation laïque : il a suscité des groupes originaux qui assument de vastes secteurs de la laïcité comme objet de consécration séculière (Instituts séculiers) ; il a poussé l'Eglise à baptiser le signe des temps qu'est la promotion de la femme (part immense et féconde de laïcité) ; et enfin, il inspire aux multiples vocations « laïques » masculines à la vie religieuse de remarquables idées originales pour s'actualiser.

Ensuite le CG21 nous a invités, nous les Salésiens, à constater que, durant un siècle d'existence, la dimension laïque de notre Congrégation a eu son efflorescence originale et que beaucoup de Coadjuteurs ont atteint de fait la perfection de la charité à un degré héroïque. « Chaque Salésien a présents à l'esprit ces confrères qui ont réalisé cette plénitude dans des lieux divers et dans des situations différentes, parfois même sans éclat et dans un esprit de sacrifice complet. Bon nombre sont entrés dans l'histoire de la Congrégation ; certains d'entre eux, martyrs pour la foi ou héros de la charité, sont candidats à la gloire des autels »47. Comment ne pas rappeler, par exemple, que sont en cours les causes de béatification de Monsieur Simon Srugi (de Palestine) et de Monsieur Artemide Zatti (de Patagonie) ?48 Toutes ces interventions d'hier et d'aujourd'hui, suscitées par l'Esprit du Seigneur, invitent notre Congrégation à se situer, animée par l'espérance, sur une ligne de reprise actualisée.

La vision chrétienne de la création, l'ecclésiologie conciliaire, les statistiques, les changements culturels, les signes des temps et tout le labeur de l'Eglise nous engagent à assumer la responsabilité de rechercher ensemble une réponse fidèle et prophétique, tandis qu'ils nous ouvrent les horizons d'un nouvel avenir. Ce qui doit nous encourager à réaliser cela, c'est le devoir de rénovation de ces années, la récente extension concrète des responsabilités aux Salésiens coadjuteurs, les résultats significatifs de quelques Provinces engagées, le travail sérieux accompli après le Chapitre pour les vocations et pour la formation. Ce sont autant de pas positifs vers une véritable relance.


7. L'engagement le plus urgent aujourd'hui.


Le CGS avait affirmé que « le travail le plus important et décisif à faire reste toutefois la sensibilisation ou, comme on dit, la mentalisation, de la Congrégation toute entière par rapport au Coadjuteur salésien » (CGS, n. 184).

Dans ce but, on a organisé, au cours des six années suivantes, des Assemblées provinciales et régionales et un Congrès mondial ; mais, nous devons le reconnaître humblement, ils n'ont pas été suffisants. Il est donc urgent de lancer d'autres initiatives, inspirées de la maturation et des orientations du CG21, capables de pénétrer plus profondément dans chacune des Provinces, dans chaque Maison et en chacun des Confrères.

Chez bon nombre de Salésiens, un véritable changement de mentalité s'impose, qui, nous l'avons vu, concerne en définitive la conception même de la Congrégation. Je crois qu'un peu tous nous devons repenser en conscience, par fidélité salésienne, cet aspect vital de notre identité.

Toutes les initiatives pratiques pourraient s'avérer dangereusement transitoires et « catégorielles », s'il n'y avait à la base une telle réflexion explicite.

Oui, alors que je la voulais « brève et pratique », Il m'a fallu, par respect pour l'importance vitale de la question abordée, changer un peu les proportions et le contenu de cette lettre. Laissez-moi vous dire que nous ne pouvons pas nous faire d'illusions : il ne s'agit pas ici de rapiécer une vieille conception ; nous devons nous soucier véritablement de confectionner un nouvel habit. Ce n'est pas tant une « catégorie » de confrères qui est en crise, je le répète, mais c'est la composante salésienne elle-même qui est interpellée et qui doit être repensée dans la fidélité à Don Bosco et à notre époque.

C'est pourquoi, en suivant les orientations capitulaires, nous devrons nous préoccuper d'assurer concrètement :

- une connaissance plus soignée de l'identité du Salésien coadjuteur dans la Congrégation ;

- une sensibilisation consciencieuse, à ce sujet, auprès de tous les confrères et des communautés locales ;

- la mise en œuvre de la coresponsabilité du Salésien coadjuteur à tous les niveaux possibles49 ;

- la programmation d'une pastorale des vocations qui soit efficace, en cherchant également la façon de qualifier la présence apostolique des Salésiens coadjuteurs parmi les jeunes50 ;

- et le renouvellement de la formation de tous les Salésiens ; ce dernier point peut être considéré comme la clef de voûte décisive pour le début d'une solution concrète de la crise.

Le vrai nœud du « problème du Salésien coadjuteur », comme on l'appelle, doit être situé dans cette perspective large et profonde : Comment actualiser la dimension laïque de notre Congrégation sans tomber dans la sécularisation, déviation qui apparaît çà et là chez plusieurs de nos Prêtres (ils prennent le contre-pied du cléricalisme et passent même parfois d'une attitude erronée à une attitude ridicule) ? Comment faire en sorte que, dans la Congrégation, la relance de sa dimension laïque comporte aussi, en même temps, une dimension sacerdotale plus claire et plus vraie ? Comment inventer des présences salésiennes neuves et authentiques dans la culture qui est en train de naître, présences que pénètrent de façon vitale les dimensions sacerdotale et laïque ? Si nous abandonnons certaines institutions qui les ont incarnées durant un siècle, de quelle façon pratique en assurons-nous l'avenir ? Comment relancer la figure du Salésien coadjuteur en conservant notre forme communautaire de vie et les critères propres du Projet éducatif et pastoral de Don Bosco ? Comment mettre en place une pastorale des vocations en faveur du Salésien coadjuteur en étant à même d'exprimer en elle la « géniale modernité » de toute la Communauté ? Comment présenter aujourd'hui l'idéal religieux de l'inter-pénétration des deux dimensions, sacerdotale et laïque, de notre Congrégation ? Où rechercher, ou bien comment cultiver et avec quels moyens faire mûrir les candidats? Comment les former de façon salésienne à chacun des deux choix ?

Je vous invite à relire les « orientations pratiques » du CG21 avec une volonté d'engagement renouvelé51.

L'idéal missionnaire, le « Projet-Afrique », une relance adéquate des écoles professionnelles, la promotion de centres pour jeunes ouvriers, de mouvements de travailleurs chrétiens52, ou bien la problématique des jeunes dans le monde du travail, considéré comme un fait social et culturel53, aucune de ces réalités ne peut être absente des programmes que nous élaborons.

Réfléchissons à nouveau sur la façon dont le CG21 développe abondamment le principe de la participation pleine, active et responsable du Salésien coadjuteur à l'action apostolique de la communauté salésienne selon son mode d'être, laïque,54 qui ne se limite pas à la vision professionnelle uniquement, mais qui va jusqu'à l'éducation explicite de la foi et aussi jusqu'à l'exercice des ministères non ordonnés pour celui qui s'y sentirait appelé55.

Naturellement, ceci engage à fond la Congrégation, qui doit veiller à ce que les Salésiens coadjuteurs puissent être à la hauteur de leur mission d'« éducateurs salésiens »56, selon les capacités et le rôle propres à chacun, en assurant à chacun surtout les conditions spirituelles adéquates dont nous avons parlé.


8. La fonction stratégique de la formation.


Je veux encore insister, avant de conclure, sur l'attention à porter à la formation.

Après tout ce que nous avons dit, elle ne peut concerner uniquement les jeunes Coadjuteurs, mais elle doit s'adresser à tous les confrères, même Prêtres et Abbés, durant toute la durée de la formation aussi bien initiale que permanente. Sans une attention extraordinaire à la formation, je ne crois pas que l'on puisse obtenir des changements radicaux en peu de temps. Mais si l'on organise une formation vraiment renouvelée dans ses modalités, surtout pour les jeunes générations, l'avenir sera certainement prometteur.

Le CG21 a voulu affronter de façon unitaire, bien que nécessairement diversifiée, l'optique de la formation du Salésien prêtre et celle qui concerne le Salésien coadjuteur57, pour les motifs que nous avons déjà rappelés précédemment58. Nous devons reconnaître objectivement que, malgré les initiatives déjà en voie de réalisation, il reste encore énormément à faire dans ce domaine59.


Unité de la formation


Le CG21 insiste sur 1'« unité de la formation ».

Ils n'ont pas une vraie conscience salésienne, le Prêtre et l'Abbé qui méconnaissent les valeurs concrètes de la dimension laïque dans la Congrégation ; de même le Coadjuteur qui en méconnaît la dimension sacerdotale.

Reprenant le contenu de l'article 103 des Constitutions, le Chapitre rappelle que « Coadjuteurs et futurs Prêtres reçoivent une égale formation de base, en un curriculum de niveau identique ». Cela signifie que la période de formation jusqu'à la profession perpétuelle comporte non seulement les mêmes phases, mais aussi les mêmes contenus complets de formation salésienne, évitant un compartimentage qui pourrait mener à de fausses distances entre les catégories. Pour cette raison, il « souhaite » que, non seulement durant le noviciat, mais en plus durant le temps qui le suit immédiatement, « les Abbés et les Coadjuteurs mènent une vie commune dans la même communauté formatrice où ils pourront s'apercevoir que l'on valorise les deux formes de l'unique vocation salésienne »60.

Il rappelle en outre que « l'unité de la formation est assurée en communauté quand elle (...) constitue une équipe soudée de formateurs, prêtres et coadjuteurs ... »61. Eh bien ! Cette affirmation de la présence des Salésiens coadjuteurs dans l'équipe des formateurs est « nouvelle et importante ». En substance, cela veut dire qu'un confrère qui mûrirait sa vocation sans une connaissance explicite et vécue de la perméabilité des deux composantes courrait le risque d'être un Salésien incomplet.

Pour éviter un tel compartimentage et « par fidélité au charisme du fondateur, les formateurs - continue le Chapitre - devront chercher à connaître, à présenter et à mieux faire apprécier l'identité salésienne dans ses deux dimensions de vocation religieuse et salésienne : celle qui est vécue dans le laïcat et celle du sacerdoce »62. Et il ajoute : « Le Salésien coadjuteur doit être présent, chaque fois que ce sera possible, (- et il faut mettre tout en œuvre pour que cela devienne possible -), dans les structures de formation, non seulement avec des tâches de formation culturelle et technique, mais surtout avec des fonctions de formation à la vie religieuse et salésienne. Dans ce but (...), que l'on donne un soin spécial à la préparation de Salésiens coadjuteurs capables de remplir convenablement cette tâche de formateurs »63.

Comme on le voit, il s'agit d'un engagement précis, même s'il est difficile à respecter (pour le moment), en raison de la crise actuelle.


Formation spécifique.


A la lumière de cette unité de base, le Chapitre exige également une « formation spécifique » soignée. Afin que le Salésien coadjuteur et le Salésien prêtre puissent vraiment porter à leurs confrères (respectivement Prêtres ou Abbés ou Coadjuteurs) la richesse propre de leur différenciation, il est indispensable que chacun perfectionne et approfondisse sa formation spécifique (CG21, n. 292).

On se heurte, dans la situation actuelle, à une certaine « absence de contenus spécifiques pour la formation du Salésien prêtre et du Salésien coadjuteur »64 (plus accentuée pour ce dernier que pour le premier). Et l'on indique quelques éléments de la formation spécifique du Salésien coadjuteur, éléments dont il faudra se souvenir à tous les stades et qu'il faudra intégrer constamment au double niveau de 1'« étude-réflexion » et de la « pratique-expérience ». Ces éléments sont les suivants :

- « une formation religieuse et salésienne » qui aide le Coadjuteur à comprendre l'originalité propre de notre Société ;

- « une préparation pédagogique, humaine et salésienne adéquate » ;

- une compétence apostolique suffisante d'approfondissement « théologique et catéchétique » ;

- « une préparation technique et professionnelle », selon les capacités et les possibilités de chacun en fonction du « caractère éducatif et pastoral » de notre vocation ;

- « une éducation sociale et politique qui le prépare à l'action éducative spécifique, en particulier dans le monde du travail »65.

Certes, en tout cela, il faudra tenir compte du pluralisme caractéristique de la dimension laïque dans la Congrégation et des possibilités concrètes de chaque candidat.

L'expérience et la réflexion de tous pourront amplifier et enrichir les éléments dont le Chapitre a dressé la liste.


Formation permanente.


Enfin, on doit donner une importance particulière, aujourd'hui, à la formation permanente. Le CG21 nous a offert, en ce domaine, un document succinct mais riche en nouveautés et en perspectives66. Il faut relire et repenser ses contenus en vue d'une relance actuelle du Salésien coadjuteur. Qu'il s'agisse des documents capitulaires qui concernent le Coadjuteur, ou de ma lettre (et surtout de celle du Père Rinaldi), ou encore des sources et des études faites jusqu'ici à ce propos, tout cela devrait constituer un matériel privilégié pour les initiatives de formation permanente. Cette responsabilité concerne chaque Province, chaque Maison et chaque Confrère.

Il serait également souhaitable que l'on puisse organiser des journées d'étude et de vie communauté (comme un groupe de Provinces l'a déjà fait - et c'est chose méritoire) ayant comme objectif l'approfondissement de certains points peu assimilés jusqu'à ce jour. Cela serait fort bénéfique : non seulement à cause de l'enrichissement personnel des participants, mais aussi à cause de la contribution que des initiatives de ce genre pourraient apporter à l'élaboration de programmes pour la formation des Coadjuteurs, mission confiée aux Provinces par le Chapitre67.


9. Deux appels qui font autorité.


Pour conclure, permettez-moi de retranscrire ici les appels paternels et douloureux de deux Recteurs majeurs qui ont vécu avec Don Bosco et ont parfaitement perçu l'originalité et l'importance de notre thème.

Le premier est du Père Philippe Rinaldi, adressé en particulier aux « très chers Coadjuteurs » dans la circulaire de 1927 : « Du peu que je vous ai dit jusqu'ici, il vous aura été facile de vous faire une idée juste de la grandeur de votre vocation : eh bien! Remerciez-en le Seigneur du fond du cœur, aimez-la et gardez-la jalousement.

« N'oubliez jamais que vous êtes devenus religieux par une grâce spéciale de Dieu, qui vous a appelés à tendre constamment à la perfection (...). Pour cette raison, soyez et montrez-vous partout comme vous veut notre bon Père : soyez ses imitateurs dans la piété solide ; dans l'ardent amour pour Jésus et la très sainte Vierge auxiliatrice ; dans le contrôle constant de vous-mêmes ; dans la fuite des occasions ; dans la dignité de la conduite ; dans la belle simplicité du vêtement, qui ne connaît pas le moindre soupçon de recherche mondaine ; dans l'assiduité au travail ; dans l'amour pour la Société ; dans le zèle pour l'éducation chrétienne des jeunes confiés à vos soins, en faisant naître chez eux, davantage par la douceur de votre vie que par les paroles, le désir de pouvoir, eux aussi, devenir Salésiens pour faire du bien à tant d'autres jeunes.

« Pour réussir en tout cela, bien chers Coadjuteurs, vous devez apporter un soin particulier et employer la plus grande partie du temps dont vous pouvez disposer à bien vous instruire dans la religion et dans les choses spirituelles de l'âme. Religieux est synonyme d'homme consacré à Dieu, d'homme spirituel. De cette façon, vous persévérerez dans votre vocation qui, continuellement, est en butte à mille embûches, et vous vous rendrez aptes à catéchiser et à instruire les autres. Visez haut, visez la sainteté, pour éviter le danger de devenir trop matérialistes dans l'exercice de votre métier »68.

Le deuxième appel émane du Père Paul Albéra, dans sa circulaire sur les Vocations ; il y invite toute la Congrégation à travailler intelligemment et inlassablement à une pastorale des vocations en faveur du Salésien coadjuteur.

Il écrit ceci : « Si l'on présente aux jeunes la mission du Coadjuteur salésien dans toute son importance sociale, dans toute sa beauté et toute sa diversité attrayantes (...), ils seront facilement incités à l'adopter. Ces vocations, mes chers confrères, sont l'un des plus impérieux besoins pour notre Société, qui sans elles ne pourraient atteindre les autres buts sociaux qui lui sont imposés par l'époque actuelle ; et, d'autre part, l'institution des Coadjuteurs forme une des plus géniales créations de la charité, toujours désireuse de rendre plus faciles à tous les voies de la perfection.

Cultivons donc avec un zèle particulier de bonnes vocations de Coadjuteurs. Lorsque nous parlons de vocation salésienne, faisons clairement comprendre que l'on peut aussi la vivre entièrement et complètement sans le sacerdoce, et que les Coadjuteurs de notre pieuse Société sont tout à fait égaux aux prêtres, aussi bien pour les droits sociaux que pour les avantages spirituels (...).

« Souvenons-nous, mes bien chers confrères, que les efforts les plus assidus pour avoir de bonnes vocations de Coadjuteurs ne seraient d'aucune utilité si les élèves ne voyaient pas pratiquement dans notre vie salésienne cette égalité et cette fraternité entre les Prêtres et les Coadjuteurs, que nous exaltons en paroles »69.

Prêtons attention, chers confrères, au zèle et à la préoccupation contenus dans ces appels autorisés, réveillons en nous la conscience et l'amour de l'originalité intégrale de notre Congrégation, mettons en œuvre notre esprit d'initiative, notre capacité d'adaptation à la conjoncture présente et notre aptitude à la prière et à l'organisation pour relancer la figure du Salésien coadjuteur, qui assure la composante laïque de nos Communautés.

A l'exemple de Don Bosco, ayons confiance en la protection spéciale de la Vierge Marie, la Madone de nos origines ; elle nous aidera à redonner enthousiasme et vitalité à cette belle vocation salésienne, suscitée et guidée par elle en des moments difficiles.

En union de prière et dans la responsabilité fraternellement partagée à l'égard de cet engagement urgent, nous nous souhaitons mutuellement une belle réussite.

Avec affection et espérance.

1 ACS, n. 40, 527-580.

2 CG21, n. 166-211.

3 CG21, n. 299-306.

4 ACS, n. 40, 574.

5 ACS, n. 40, 574.

6 Constitutions, article 3.

7 Const., art. 50.

8 Const., art. 34.

9 cf. CG21, n. 194.

10 Abbé traduit le mot italien chierico, séminariste ou jeune confrère destiné au sacerdoce. Ce mot étant encore d'usage courant dans les milieux salésiens, nous avons cru bon de le conserver dans notre texte en caractères italiques. N.d.T.

11 MB 12, 151 et 152.

12 CG21, n. 196, n. 235 ; et toute la façon d'envisager ce délicat problème : n. 212-239.

13 CG21, n. 194.

14 Cf. CG21, n. 179.

15 Cf. CG21, n. 166.

16 Cf. CG21, n. 173.

17 CG21, n. 178.

18 Cf. CG21, n. 172-180.

19 CG21.

20 Cf. LG, n. 31.

21 LG, n. 31.

22 LG, n. 44.

23 Cf. ma lettre aux Volontaires de Don Bosco dans les Actes du Conseil Supérieur, n. 295.

24 ACS, n. 40, 574.

25 MB 16, 313.

26 Cf. GC 21, n. 186-191.

27 Cf. « Laicità » - Problemi e prospettive, Actes du 47ème Cours de recyclage culturel de l'Université catholique de Milan, 1977, en collaboration, Editions « Vita e Pensiero ».

Cfr « Il problema della Società industriale » - Projets de développement et de croissance de l'Homme, Actes du 48ème Cours de recyclage culturel de l'Université catholique de Milan, 1978, en collaboration, Editions « Vita e Pensiero ».

28 Cf. Genèse, 1, 25-31 et aussi AA, n.7.

29 Col 1, 17-20.

30 Cité par Congar, dans « Jalons pour une théologie du laïcat » Editions du Cerf, Paris, 1953, 548.

31 LG, n. 31.

32 GS, n. 2.

33 AA, n. 5.

34 LG, n. 31.

35 LG, n. 34-36.

36 LG, n. 44.

37 LG, n. 43.

38 LG, n. 46.

39 ET, n. 52.

40 Cf. « Verbali del terzo Capitole Generale - Settembre 1883 », Parmi les thèmes des matières traitées, deux concernent les Coadjuteurs:

IV : Culture des Confrères Coadjuteurs.

V : Orientation à donner au secteur ouvrier dans les Maisons salésiennes et moyens pour développer la vocation des jeunes artisans.

« Don Rua ouvre la conférence par les prières habituelles. Le Rapporteur Don Belmonte lit les études réalisées sur le thème IV qui concerne la culture des confrères coadjuteurs.

« Don Bosco entre et on lit le thème V (...).

« On demande si oui ou non il convient de laisser le nom de Coadjuteurs aux confrères séculiers ou de le changer en celui de Confrères (...).

« A propos de cette question, le Confrère Barale fait allusion à une certaine négligence que l'on remarque parmi les nouveaux, les anciens, et les nouveaux venus.

« Avec beaucoup d'à - propos, Don Bosco relit à ce sujet: Tous les Confrères se considéreront comme des frères, etc... - Chap. 2, art. 1.

« Don Bonetti proposa donc un article ainsi conçu: Que tous les confrères aussi bien prêtres que laïcs se comportent...

« Don Bosco fait observer qu'il convient de conserver complètement les noms maintenus par la Congrégation des Evêques et Réguliers: Frère Coadjuteurs ».

41 MB 2, 45.

42 MB 5, 931.

43 MB 10, 889 et 1308.

44 ACS, n. 4, 575-577.

45 Cf. « Statistiques » dans les « Documents et nouvelles », plus loin.

46 ACS, n. 40, 574-575.

47 CG21, n. 191.

48 Voir les biographies de :

SRUGI SIMONE: Un buon samaritano concittadino di Gesù, de Forti Ernesto, Leumann - Turin, LOC, 1967, 195.

ZATTI ARTEMIDE: El patiente de todos los pobres - Artemide Zatti de Entraigas Raùl A., Buenos Aires, Ed. Don Bosco, 1953, 218.

- Artemide Zatti, parenti di tutti i poueri, de Bianco Enzo, Leumann-Turin LDC 1978, 40.

Et en outre:

BUZZETTI GIUSEPPE: Un prediletto Coadiutore di Don Bosco de Pilla Eugenio Turin-SEI, 1960, 101.

CONCI CARLO: Conci - Boceto biogràfico de un hombre y de una época, de Belza Juan E., Buenos Aires, Collège Pie IX, 1967, 399.

CORSO JOSÉ FERMIN: El maestro Corso, rasgos biogràficos de un Coadjutor salesiano de Fierro Torres Rodolfo, Ecole salésienne de typographie, Caracas, 1935.

DALMAU JOAQUIN: Don Joaquin Dalmau, modelo de Coadjutores salesianos de Romero Juan, Séville (?), 1947, 171.

FERRARIS PIETRO: Brother Peter Ferrari S.D.B., de Manni Alvin, Publications Don Bosco, New Rochelle, New York, 1976, 143.

ORTIZ ALZUELA JAIME: 4026 Jaime Ortiz Alzuela, Coadjutor salesiano y màrtir de Cristo, de Burdeus Amadeo, Librairie salésienne, Barcelone, 1952, 112.

ROSSI MARCELLO: La sentinella dell'Oratorio, de Uguccioni Rufillo, Turin-SEI, 1954, 143.

UGGETTI GIANBATTISTA: Il fornaio di Betlemme, de L'Arco Adolfo, Leumann-Turin, 1978, 81.

- Profili di 33 Coadiutori salesiani, de Ceria Eugenio, Colle Don Bosco, Asti, LDC, 1952, 294.

- Soldati senza divisa, de Uguccioni Rufillo, Leumann-Turin, LDC, 1959, 83.

- Triptico modelo, rasgos biogràficos de tre Coadjutores salesianos, de Del Real Luis J. Bogota, 1942, 110.

- Una respuesta original, de Brambilla Dante, Editions Don Bosco, Buenos Aires, 1976, 94.

Voir:

AUBRY JOSEPH-SCHOENEBERG PIERRE: Don Bosco li volle cosi, Turin-LOC, 1961, 89.

BRAIDO PIETRO: Religiosi nuovi per il mondo del lavoro. Documenti per un profilo del Coadiutore salesiano, Rome-PAS, 1961, 290.

BROCARDO PIETRO - CERISIO NICOLA - ROMALDI RENATO (a cura di): Atti Con vegno Mondiale Salesiano Coadiutore - Roma 75, Rome, Ecole salésienne d'imprimerie, 1975, 699.

Traduction en anglais :

- Acts World Congress The Salesian Brother, Rome 31 Août - 7 Sept. 1975, Imprimés par la SIGA, Madras, 1976.

CERIA EUGENIO: I Coadiutori, Chap, LXV du 1er volume des Annales de la Société salésienne, SEI-Turin, 1941, p. 702-711.

- Conférence Provinciaux d'Italie, Il Salesiano coadiutore, Colle Don Bosco, Asti. 1967, 84.

Traductions en langues française et espagnole :

- Le Coadjuteur salésien, Rome 31 janvier 1969, stencil.

- El Coadiutor salesiano. Document de la Conférence des Provinciaux salésiens d'Italie, Editions Don Bosco, Quito, s.d.

- Dei Adiutores, Actes du week-end d'étude sur la collaboration entre Prêtres et Coadjuteurs dans l'apostolat salésien, PAS-Rome, 1963, 84.

Traduction en langue espagnole :

- Jornadas de estudio sobre la colaboración entre los Coadiutores y Sacerdotes, Buenos Aires, 1964.

- Il Salesiano coadiutore, una oocazione di « religioso laico » a seroizio della missione salesiana, in Documenti Capitolari: CG21 della Società Salesiana, Doc. 2, Rome, Imprimerie «S.G.S.», 1978.

MIDALI MARIO - BRUNO GAETANO - AUBRY GIUSEPPE: Contributo di studio allo schema III del CG 21. Ed. S.D.B . Rome, 1977.

- The Salesian Brother. Extrait du Bulletin Salésien, mai 1980, New Rochelle.

49 CG21, n. 192-93 et 210-211.

50 CG21, n. 209.

51 N. 206-211.

52 Cf. CG21, n. 185.

53 CG21, n. 183.

54 CG21, n. 181.

55 CG21, n. 182.

56 CG21, n. 184.

57 CG21, n. 240.

58 Cf. CG21, n. 244.

59 Cf. CG21, n. 299-300.

60 CG21, n. 303.

61 CG21, n. 245.

62 CG21, n. 305.

63 CG21, n. 305.

64 CG21, n. 247.

65 Cf. CG21, n. 302.

66 Cf. CG21, n. 307-342.

67 CG21, n. 301 et 306.

68 ACS, n. 40, 579.

69 ACS, n. 41 - mai 1921, 206-207.