351-400|fr|359 Nouvelles pauvretés, mission salésienne et signifiance

1. LE RECTEUR MAJEUR



Il fut pris de pitié pour eux (Mc 6, 34)


Nouvelles pauvretés, mission salésienne et signifiance


Le nouveau scénario de notre tâche éducative. - Une option de l’Eglise. - Notre cheminement de réflexion. - Les activités concrètes.

Les yeux vers l’avenir : Une relecture chrétienne de la réalité. - Approfondir les inspirations. - La pauvreté de l’éducateur salésien. - Faire le choix des jeunes gens pauvres. - Notre préoccupation : éduquer. - Promouvoir une nouvelle culture. - Evangéliser à partir des exclus. - Conclusion.



Rome, le 30 mars 1997

Pâque de Résurrection



Chers confrères,


Je vous écris sous l’impression de la Pâque de la Résurrection. Elle nous offre cette année une occasion unique de tourner nos regards vers le Christ selon le cheminement proposé par l’Eglise en vue du Jubilé de l’an 2000.

A la lumière qui se dégage de son visage, je me suis proposé de vous commenter un point de notre programmation : chercher une plus grande signifiance, en nous mettant avec plus de décision au service des jeunes gens pauvres.

Le chapitre IV des Constitutions s’ouvre par une citation de l’Evangile de Marc : « Jésus vit une grande foule. Il fut pris de pitié pour eux, parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses » 1.

Dans l’Evangile, elle est le prélude et la motivation de la multiplication des pains. Dans les Constitutions, elle introduit les considérations sur les destinataires de notre mission.

L’évocation biblique offre une icône éloquente : la foule affamée et perdue, l’émotion de Jésus à sa vue, le défi lancé aux apôtres de résoudre le problème, leur déclaration d'impuissance, la multiplication miraculeuse de la nourriture d’abord insuffisante.

Pour nous, elle est une clé de lecture pastorale de la situation actuelle des jeunes et de la mission à réaliser pour eux.

Rattachée à l’image de Dieu, Bon Pasteur, tirée du prophète Ezéchiel et proposée en exergue au chapitre premier des Constitutions, elle nous rappelle que « dans notre lecture de l’Evangile, nous sommes particulièrement sensibles à certains traits de la figure du Seigneur : [...] sa prédilection pour les petits et les pauvres, son ardeur à prêcher, à guérir et à sauver devant l’urgence du Royaume qui vient ; son attitude de Bon Pasteur qui conquiert par la douceur et le don de soi » 2.

Les différents traits acquièrent alors une signification extrêmement réaliste. Il y a aujourd’hui une foule d’adultes et de jeunes qui manquent des biens fondamentaux pour la vie, qui sont en désarroi et attendent un signal de solidarité. C’est à eux que s’adresse la compassion de Jésus qui va au-delà du sentiment humain. Elle est une expression du coeur miséricordieux de Dieu, et de son parti pour le bonheur et la vie de chaque être humain.

C’est pour cela qu’il confie le problème à ses disciples. C’est à eux d’y penser, de surmonter leur sentiment d’incapacité devant l’ampleur du phénomène, de chercher les ressources disponibles et de les abandonner à l’amour susceptible de les multiplier.

La narration évangélique donne des indications intéressantes sur les attitudes que doivent avoir les disciples du Christ devant les nécessités humaines, spirituelles ou matérielles, et sur les moyens d’y faire face : éclairer la conscience par la Parole et bâtir la solidarité.

Elle suit aussi une logique originale dans le calcul et l’emploi des ressources. Celles-ci se multiplient à l’infini là où les relations entre les personnes et avec les choses se reconstruisent à la lumière du geste eucharistique.



Le nouveau scénario de notre tâche éducative


Les contextes où nous travaillons se modifient à vue d’oeil. Les facteurs économiques, sociaux et culturels façonnent un nouveau visage à la société. D’où le changement, au moins partiel, des urgences de notre mission : nos destinataires préférentiels, les messages évangéliques à répandre et les programmes d’éducation à mettre en oeuvre.

Le scénario est marqué par un fait : la pauvreté. Elle n’est pas la condition de quelques uns, mais le drame de l’humanité, drame spirituel avant même d’être matériel. Au niveau mondial, ses dimensions sont tragiques et ses effets sur les individus et les peuples sont ravageurs. C’est à juste titre que les plus hautes autorités scientifiques et religieuses n’ont cessé de les dénoncer.

Les images de cette pauvreté pénètrent de temps en temps dans nos maisons par la télévision, suscitent des sentiments de compassion et des questions salutaires. Il suffit de penser à la faim, « un scandale qui a déjà trop duré » « qui compromet le présent et l’avenir d’un peuple » et « détruit la vie » selon le dernier document édité par le Conseil pontifical Cor unum 3. Ou bien à l’exode de milliers de réfugiés, victimes de luttes raciales, de discriminations religieuses et de rivalités excitées intentionnellement. Ou encore à l’urbanisation précaire qui n'offre pas les conditions minimums de travail, de logement, de services et de participation civile, et constitue ainsi le phénomène de la marginalité dans les villes.

Si nous ajoutons l’immigration et le travail des mineurs, les esclavages de tous genres, la situation des femmes dans beaucoup de contextes, l’exploitation des plus faibles, nous aurons le sombre cadre, encore bien incomplet, des souffrances humaines.

La pauvreté se présente aujourd’hui sous des formes multiples, plus nombreuses que dans le passé. C’est avec raison qu’on parle des pauvretés au pluriel, et qu’on les classe en anciennes et nouvelles. Cela souligne les conditions actuelles de la vie : elles sont donc moins connues dans leurs causes et plus exposées aux jugements moralisateurs et aux culpabilisations faciles.

La carence des moyens financiers indispensables à la vie est depuis toujours considérée comme la forme principale de l’indigence. Mais il s’ajoute aujourd’hui d’autres manifestations où ce facteur n'est ni principal ni générateur : les déficiences du milieu familial, l’échec scolaire, le sous-emploi, les dépendances diverses, la délinquance, la vie sur la rue. Il ne faut pas sous-évaluer non plus le manque de raisons de vivre, l’absence de perspectives humaines et spirituelles, qui débouche dans des phénomènes connus de compensation et d’évasion.

Dans les sociétés plus avancées et plus complexes, les pauvres sont aussi tous ceux qui restent en marge des besoins croissants de préparation culturelle et technique, ou qui se trouvent dans l’impossibilité de satisfaire des besoins très vifs : l’identité personnelle, une place normale dans la société, une communication personnelle significative, des loisirs, une formation, la participation à des projets à vaste échelle.

Cette multiplicité de formes fait de la pauvreté une réalité universelle. Même les sociétés opulentes et de technologie avancée les couvent et les développent en leur sein, non seulement à cause de l’immigration, mais aussi en raison de leur système même. Il suffit de parcourir les rues d’une ville pour en être frappé.

Il y a une relation entre certaines formes de pauvreté et notre style de vie. Le bien et le mal dans le monde sont devenus interdépendants. Notre système économique et de production compte beaucoup de valeurs, mais certainement pas celle de tout centrer sur la personne ni de penser au bien-être minimum indispensable pour tous. D'où le sous-emploi actuel, l’appauvrissement d’un grand nombre et la diminution des possibilités d’éduquer. Les politiques économiques et culturelles d’une partie du monde sont à l’origine des nouvelles tragédies qui frappent de grands groupes, de façon presque anonymes, ailleurs sur la planète. Pensons au fait de la dette extérieure de certains pays, sur laquelle l’Eglise aussi a tenu à dire son mot.

Il y a une quantité d’exemples, à portée de main, pour confirmer cette interdépendance. La prolongation de situations limites tient sans aucun doute au manque de solidarité sociale, aux lenteurs à définir et à remplir les devoirs et les droits réciproques entre les peuples dans un monde unifié, au retard mis à concevoir des plans possibles de développement avec des ressources qui existent certainement et se gaspillent.

De l’avis de tous les observateurs et selon la confirmation des statistiques, les pauvretés dans le monde ne sont pas en diminution, mais en augmentation, surtout dans les zones déshéritées. L’année 1996 était consacrée à l'éradication de la misère. Et pourtant elle s’est soldée par une amère constatation. La misère se reproduit dans la même proportion que celle où l’on cherche à la résoudre par des interventions sectorielles d’argent et d’assistance.

L’encyclique Centesimus annus le signale : Dans le monde, « malgré le progrès technique et économique, la pauvreté menace de prendre des proportions gigantesques. Dans le monde occidental, il y a la pauvreté aux multiples formes des groupes marginaux, des personnes âgées et des malades, des victimes de la civilisation de consommation et, plus encore, celle d’une multitude de réfugiés et d’émigrés ; dans les pays en voie de développement, on voit poindre à l’horizon des crises qui seront dramatiques si l’on ne prend pas en temps voulu des mesures coordonnées au niveau international » 4.

Toutes les formes de misère bloquent les réserves éducatives de la personne et peuvent même arriver à les détruire. Nous sommes en particulier frappés par celles qui compromettent chez les jeunes les possibilités de se développer, tout en reconnaissant qu’elles ne sont ni ne peuvent se traiter comme des faits isolés et autonomes.

Les pauvretés des jeunes, auxquelles nous nous heurtons chaque jour, ont comme cause l’indigence financière, les carences éducatives et culturelles, la précarité familiale, leur ignoble exploitation de la part de tiers, la discrimination raciale, leur emploi abusif comme main d’oeuvre, leur manque de préparation au travail, leurs dépendances de tout genre, la fermeture des horizons qui suffoque la vie, la déviance, la solitude affective. Nous y sommes attentifs comme au champ de travail que nous a indiqué le Seigneur.

Le plus impressionnant, c’est le malaise fondamental qui se diffuse de plus en plus chez les jeunes pour les pousser à se marginaliser et à renoncer à croître. Le risque les menace tous, au point que le CG23 a indiqué la pauvreté comme un des principaux défis lancés à notre mission par rapport précisément à l’éducation des jeunes à la foi. « La condition sociale de pauvreté interpelle et provoque tout homme de bonne volonté. L’impossibilité ou la grande difficulté pratique de se réaliser en tant que personnes, faute de pouvoir jouir d’un minimum de conditions pour s’épanouir comme il faut, posent de sérieuses questions » 5. « Celui qui, en tant que disciple du Christ, voit cette réalité de ses yeux et la ressent dans son coeur est appelé à déplorer ces situations et à se rendre solidaire de ceux qui les endurent » 6. « Si nous regardons cette condition sociale de pauvreté avec les yeux de Don Bosco et si nous constatons comment elle détruit un grand nombre de jeunes, dont l’horizon de vie se limite à la recherche de l’immédiat pour survivre ou à un idéal privé de signification, nous nous sentons provoqués à donner plus de consistance et de qualification à la présence salésienne parmi les pauvres » 6.


Une option de l’Eglise


L’amour des pauvres fait partie de sa tradition constante de l'Eglise 8. Des figures de saints et de saintes, des oeuvres et des instituts religieux le démontrent. De nombreux laïcs aussi y ont engagé leur vie en terrain privé ou public.

Dans les contextes de plus grande misère, la communauté chrétienne a vu surgir des personnes charismatiques pour affronter par des activités opportunes les plaies sociales les plus courantes. Ensemble, elles ont réussi à s’occuper de presque toutes les catégories de pauvres de leur temps : les indigents, les illettrés, les abandonnés, les gens réduits en esclavage, les prisonniers.

Un bon nombre d’entre eux ont fondé des communautés équipées aux point de vue spirituel et pratique pour répondre aux besoins des pauvres par des projets de grande portée. Ils sont passés à l’histoire comme des témoins les plus éloquents de l’Evangile.

Lorsque apparut la question sociale, une vision plus critique de la société révéla les mécanismes générateurs de misère. L’Eglise dénonça alors les modèles d’organisation économique, sociale et politique qui sous-évaluent la personne, la dépouillent de son droit aux biens indispensables à une vie pleinement humaine, et étendent la misère et la marginalité.

Le magistère social s’est fait plus constant après le Concile, non seulement par rapport aux dimensions que prenait la pauvreté et à la perception désormais indiscutée de ses causes, mais aussi à la nouvelle conscience que prenait l’Eglise de son devoir de témoigner et de sa mission.

Il y a cinq encycliques qui affrontent, en liaison avec les problèmes du travail et des relations entre les nations, les questions les plus graves du sous-développement : Populorum progressio (1967), Octogesima adveniens (1971), Laborem exercens (1981), Sollicitudo rei socialis (1987), Centesimus annus (1991). Il faut leur ajouter le Synode des évêques sur la justice (1971) et les déclarations d’assises continentales importantes.


Dans le contexte de cette sensibilisation générale, l’expression « option préférentielle » pour les pauvres a gagné de plus en plus du terrain. Elle constitue moins une recommandation de charité individuelle qu’un critère pour organiser la pastorale de l’Eglise.

Le Concile l’avait proposée avec de nombreuses indications adressées aux chrétiens, aux évêques et aux prêtres. J’en reporte un extrait qui a trouvé de nombreux échos à propos du ministère des prêtres : « Les prêtres, certes, se doivent à tous ; cependant ils considèrent que les pauvres et les petits leur sont confiés d’une manière spéciale : le Seigneur, en effet, a montré qu’il avait lui-même partie liée avec eux, et leur évangélisation est donnée comme un signe de l’oeuvre messianique » 9.

C’est la troisième Conférence latino-américaine de Puebla qui a forgé l’expression « option fondamentale », et en a explicité la signification et les applications pastorales. Après une lecture évangélique de la situation du continent et un discernement sur le rôle que cette situation demandait à l’Eglise en tant que porteuse de la bonne nouvelle, elle déclarait : « Nous affirmons qu’il est nécessaire que toute l’Eglise se convertisse à une option préférentielle pour les pauvres, en vue de leur libération intégrale » 10.

Depuis lors, l’option pour les pauvres et les paroles qui l’expriment se sont répandues dans tous les contextes. Dans la ligne des précédents, un des derniers documents de la conférence épiscopale italienne déclare : « L’amour préférentiel pour les pauvres se révèle comme une dimension nécessaire de notre spiritualité. Avec les derniers et les marginaux, nous pourrons tous récupérer un genre de vie différent » 11.

Nous la trouvons aussi dans beaucoup d’écrits de l’Eglise universelle. Je ne prends pour exemple que le numéro 42 de l’encyclique Sollicitudo rei socialis : « L’option ou l’amour préférentiel pour les pauvres est une option ou une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Eglise .[...] Aujourd’hui, étant donné la dimension mondiale qu’a prise la question sociale, cet amour préférentiel, de même que les décisions qu’il nous inspire, ne peut pas ne pas embrasser les multitudes immenses des affamés, des mendiants, des sans-abri, des personnes sans assistance médicale et, par dessus tout, sans espérance d’un avenir meilleur » 12.

Il est recommandé en particulier aux religieux. Puisqu’ils suivent le Christ sous une forme radicale, ils représentent en effet de façon plus immédiate l’amour de l’Eglise et du Christ pour les pauvres et ont sur ce point une riche tradition d’initiatives : « L’option pour les pauvres se situe dans la logique même de l’amour vécu selon le Christ. [...] Cela comprend pour chaque Institut, selon son charisme spécifique, l’adoption d’un style de vie, tant personnel que communautaire, humble et austère. Fortes de ce témoignage vécu, les personnes consacrées pourront, de manière conforme à leur choix de vie et en restant libres à l’égard des idéologies politiques, dénoncer les injustices perpétrées contre bien des fils et des filles de Dieu et s’engager pour la promotion de la justice dans le champ social où elles travaillent » 13.

Depuis le lancement de la nouvelle évangélisation, l’option pour les pauvres se redit de mille façons. On a souligné qu’elle ouvre la route à l’annonce, en concrétise le sens et en reçoit une lumière.

Le coeur de la nouvelle évangélisation est l’Evangile de la charité. Celui-ci assume les problèmes et les situations humaines qui ont besoin de la force transformante de l’amour. Il est une charité qui s’exprime dans l’immédiat, mais surtout qui s’engage dans un projet social et culturel de vaste et longue portée où la personne est toujours considérée selon sa vocation et sa dignité, à la lumière de ce qui a été révélé dans le Christ.

Au risque de surabonder, je m'en voudrais de ne pas rappeler comment l’option pour les pauvres s'intègre dans le programme de l’Eglise pour le jubilé de l’an 2000. « Dans cette perspective, nous rappelant que Jésus est venu “ annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres ” (Mt 11, 5 ; Lc 7, 22), comment ne pas souligner plus nettement l’option préférentielle de l’Eglise pour les pauvres et les exclus ? On doit même dire que l’engagement pour la justice et pour la paix en un monde comme le nôtre, marqué par tant de conflits et d’intolérables inégalités sociales et économiques, est un aspect caractéristique de la préparation et de la célébration du Jubilé. Ainsi, dans l’esprit du Livre du Lévitique (25, 8-28), les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde » 14.

Ce long travail de réflexion a encore eu pour effet d'élucider le sens de l’option préférentielle pour les pauvres. Elle n'implique aucune exclusion, ni aucune indifférence envers qui que ce soit, mais exprime l’engagement de toute l’Eglise en ce moment historique que traverse le monde. Elle ne jouxte pas l’évangélisation, qui sera toujours la tâche première et originale de l’Eglise, mais se situe au coeur de l’annonce du Christ conforme à l’éclairage que lui a donné Paul VI dans son exhortation apostolique Evangelii nuntiandi 15.

Elle n’est pas l’apanage de quelques uns, mais est assumée par l’Eglise. Elle ne se réalise pas par les polarisations, mais dans la communion ; elle ne doit pas profiter à l’activité de personnes ou de groupes, mais s'exercer par la complémentarité des dons, des prestations et des projets.



Notre cheminement de réflexion


La Congrégation n’est pas restée indifférente aux nouvelles manifestations de la pauvreté en général ni, en particulier, au malaise des jeunes. Elle garde toujours vivante le souvenir de Don Bosco capable lui aussi, comme Jésus, de s’émouvoir profondément devant les misères des jeunes.

Elles résonnent dans sa conscience, les phrases par lesquelles Don Bosco confie ses réactions en face des adolescents de la prison : « La vue de cette foule de jeunes gens de douze à dix-huit ans, tous sains, robustes, à l’esprit éveillé, mais réduits au désoeuvrement, mangés par la vermine, privés du pain spirituel et temporel, fut pour moi quelque chose d’horrible » 16.

Cette expérience donna le jour à un nouveau profil de prêtre pour les jeunes, à un nouveau type d’oeuvre éducative, à un nouveau milieu d’éducation, à des parcours de croissance à la mesure des jeunes, au point que le nom de Don Bosco est aujourd'hui lié à certains modèles d’oeuvres et à un style d’éducation, même s’il n’est pas toujours le premier à les avoir conçus 17.

C’est ce qu’il semble affirmer lui-même lorsqu’il commente : « Je me rendis compte de ce qui faisait que plusieurs étaient ramenés là : c’est qu’ils se trouvaient de nouveau livrés à eux-mêmes. Qui sait, pensais-je, si ces jeunes avaient hors d’ici un ami qui s’intéressât à eux, les assistât, les instruisît de la religion aux jours fériés, qui sait s’ils ne se seraient pas tenus à l’écart de la ruine et si le nombre des récidivistes ne diminuerait pas ? Je fis part de ces réflexions à Don Cafasso et, sur son conseil, je me mis en devoir de chercher comment les réaliser » 18.

Elle est nette depuis lors, son option pour la prévention et, dans sa forme complète, pour l’éducation inspirée du critère préventif. Elle consiste à prendre soin de développer les énergies qui rendent capable de sortir des conditionnements que peut apporter la vie, de devancer les expériences gravement négatives susceptibles de compromettre les ressources personnelles ou du moins telles qu’il faudrait, pour en sortir, une dépense inutile et difficile d'efforts.

Le problème des jeunes, qu’il a ensuite cherché à approcher, s'est transmis dans la tradition orale et institutionnelle de la Congrégation, et a fait aussi dernièrement l'objet d'études historiques rigoureuses. Leurs conclusions convergentes peuvent aider à éclairer certaines situations humaines d’aujourd’hui et les options qu’elles requièrent.

Le vaste terrain des jeunes reste toujours pour Don Bosco l’option fondamentale. Sa préférence pour les pauvres, les abandonnés, les exclus, les nécessiteux et ceux qui sont en danger assume une signification variée au fur et à mesure qu'il doit affronter de nouveaux besoins.

Au moment de son plus grand développement, son oeuvre s’adresse à une frange de jeunesse ordinaire, pauvre au point de vue pécuniaire surtout, mais aux ressources humaines intactes, pour sa promotion humaine et chrétienne. Elle s'adresse aussi à une frange de jeunes de classe moyenne et populaire « de bonne éducation » et pieux, candidats « à la carrière ecclésiastique » ou base exemplaire pour ses institutions, et à une petite marge de disciples de toute sorte, pour lesquels semble toujours préférable l’action préventive.

Dans un milieu destiné à éduquer les jeunes et à leur proposer des valeurs, imprégné par la raison, la foi et la bonté affectueuse, il est aussi possible, dans une certaine mesure, de faire oeuvre de récupération et de rééducation. Don Bosco a refusé d’accepter des maisons de correction, telles qu’elles étaient pensées et gérées à l’époque. Mais il a toujours pensé que le travail récupération et de rééducation devait se faire à travers l’ensemble des éléments qui composent la totalité du Système préventif dans sa triple valence raison, religion et coeur 19.

Don Bosco présente son système d’éducation comme le mieux adapté à la rééducation des jeunes touchés par la délinquance ou en tout cas gravement marginaux. Cela se reflète dans ses paroles et ses écrits aux coopérateurs, aux autorités publiques, aux anciens élèves lorsqu’il les invite à collaborer à l’éducation de la jeunesse, spécialement la plus pauvre et la plus abandonnée ; pour libérer tous ces enfants de la ruine matérielle et morale, des prisons, de la corruption des moeurs et de la perte de la foi 20.

Dernièrement enfin, on a relevé la dimension et la valeur sociale très large de l’activité de Don Bosco, qu'il ne faut pas enfermer dans des milieux éducatifs trop exclusifs ou trop spécifiques. Et cela pour plusieurs raisons :

- Il visait aussi la régénération et le « bien-être de la société civile » ;

- Au travail de l’éducation et de la promotion de la jeunesse il faut intéresser les instances les plus diverses qui ont quelque chose à voir avec le social et le politique ;

- Les programmes éducatifs eux-mêmes ne se restreignent pas aux profils habituels : ils se réalisent et se renouvellent librement sur de larges terrains sociaux. Il suffit de penser à la relation avec le monde du travail, aux contrats, aux loisirs, à la promotion de l’instruction et de la culture populaire.

Don Bosco se fait promoteur de vastes projets sociaux de prévention et d’assistance, ou du moins il s’en préoccupe 21.

Les Constitutions, qui guident notre comportement individuel mais plus encore le développement de notre projet communautaire, ont reproduit ces convictions de Don Bosco au chapitre des destinataires de notre mission. Elles présentent successivement : les jeunes, spécialement les plus pauvres, les jeunes qui se préparent au travail, ceux qui présentent des germes de vocation. Des jeunes les plus pauvres elles disent qu’ils sont les premiers et principaux destinataires de notre mission et que c’est pour cela que « nous travaillons spécialement dans les lieux de plus grande pauvreté » 22.

Le texte des Constitutions désigne clairement les jeunes pauvres comme les premiers et principaux destinataires de la mission salésienne. Il ne les juxtapose donc pas simplement aux autres catégories qu'il énumère, mais les situe au centre. Si bien qu'ils irradient une signification qui éclaire les autres spécifications du terrain où nous nous sentons appelés. Tout comme, dans notre engagement, les jeunes ne se situent pas au même plan que les adultes des milieux populaires, mais en expriment la motivation.

La mission salésienne a ainsi une définition unitaire et non pas une liste indifférenciée de possibilités. Elle part d’une option qui justifie le type et l’intensité de la charité pastorale qui nous est demandée, pour l'étendre à d’autres cercles plus larges dans le même esprit.

Plus tard, et en vue de la situation nouvelle, les Règlements généraux ont énuméré les divers types de pauvreté auxquels nous voulons répondre par notre service d’éducation : « avant tout des jeunes qui, en raison de leur pauvreté économique, sociale et culturelle parfois extrême, n’ont pas la possibilité de réussir ; des jeunes qui sont pauvres sur le plan affectif, moral et spirituel, et exposés de ce fait à l’indifférence, à l’athéisme et à la délinquance ; des jeunes qui vivent en marge de la société et de l’Eglise » 23. Ils prennent donc acte de l’élargissement des pauvretés dans les sociétés complexes, où souvent les diverses formes s’accumulent et se conditionnent réciproquement, pour créer des situations fortement déshumanisantes.

Ils suggèrent aussi une souplesse d’approches et de structures éducatives selon les besoins de ceux à qui nous nous consacrons. Le modèle « oratorien » 24 reste la référence permanente comme milieu d’accueil, attentif à la relation personnelle, ouvert à toutes les activités et formes d’expression adaptées à la situation du jeune, organisé « selon un projet de promotion intégrale de l’homme orienté vers le Christ, homme parfait » 25.


Les activités concrètes


Ces derniers temps ont connu chez nous une lente mais constante évolution en beaucoup de sens par rapport au choix des plus pauvres. La marginalité et le malaise des jeunes sont mieux connus et suivis avec plus d’attention ; leurs manifestations sont mieux comprises et nous sommes plus attentifs à leurs causes.

A la diffusion de cette connaissance ont contribué les recommandations des Chapitres généraux, l’habitude d’établir des projets, la divulgation de recherches spécifiques et quelques activités comme l’observatoire de la condition des jeunes, les cours de pédagogie sociale, les congrès sur le thème du malaise, et les recherches diverses faites par nous à rayon immédiat ou large.

Elles ont élucidé la valence, les degrés et les formes complémentaires de la prévention ainsi que le sens salésien de la prévention. Loin d'exclure la récupération des sujets déjà atteints par les conséquences de la marginalité et du malaise, ce régime se propose même comme le meilleur pour réveiller en eux les ressources encore saines et endiguer leur détérioration définitive.

Le Recteur majeur a voulu le confirmer à la fin du CG22 : « La charité pastorale, telle que don Bosco l’a vécue, nous pousse à aller vers les jeunes les plus nécessiteux, vers ceux qui sont particulièrement en danger, aussi bien dans le tiers monde que dans les sociétés de consommation. Don Bosco nous enseigne que la force éducative du Système préventif se prouve aussi par sa capacité de récupérer les garçons abandonnés qui conservent des ressources de bonté et de prévenir les pires développements s’ils se sont déjà engagés sur le chemin de la déviance » 26.

Les Chapitres généraux n'ont cessé d'encourager un esprit d’entreprise plus grand et plus audacieux pour exprimer notre solidarité avec les diverses formes de pauvreté. Le CG20 proposa de nouvelles présences dans les milieux marginaux 27 ; le CG21 renouvela la proposition 28 ; une orientation pratique du CG22 29 demanda aux Provinces de « retourner aux jeunes, à leur monde, à leurs besoins, à leur pauvreté. Qu’ils leur donnent une vraie priorité, en la manifestant par de nouveaux modes de présence éducative, spirituelle et affective. Qu’ils cherchent à faire des choix courageux pour aller vers les plus pauvres, prêts à déplacer éventuellement nos oeuvres vers les lieux de plus grande pauvreté » 30.

L’invitation à prendre une place plus résolue parmi les plus pauvres fut reprise encore par le CG23. Après avoir présenté la pauvreté comme un des défis qui interpelle plus directement nos communautés par sa gravité, son urgence et son ampleur, il demanda à chaque Province de repérer de nouveaux fronts d’engagement urgent, en particulier parmi les jeunes en situations plus difficiles, et de mettre en place pour eux l’une ou l’autre présence comme « signe » de notre volonté d’aller vers les jeunes les plus éloignés 31.

A cette clarification des concepts de prévention et d’action préventive, à la meilleure connaissance du malaise des jeunes, à l’orientation insistante des Chapitres généraux, il faut ajouter un autre fait. Les Provinces tendent à se tourner davantage vers les plus pauvres. Elles donnent partout des réponses créatives qui font partie d’un projet de remaniement possible. Selon le contexte, elles ont cherché à rejoindre les enfants qui vivent dans la rue, à s'implanter dans des zones urbaines de misère généralisée, à résoudre le problème de l’abandon de l’école par d’autres parcours d’éducation, à assister les jeunes en prison, à travailler dans le cadre de la drogue par la prévention, l’accueil et l’accompagnement pour la récupération.

Le nombre de ces initiatives est décidément consistant. Elles ont encore augmenté au cours du dernier sexennat.

Certaines d’entre elles présentent un modèle nouveau au point de vue pédagogique et salésien, soutenu par des compétences professionnelles et mené avec ténacité. Ainsi, par ces quelques activités, nous avons nous aussi apporté notre contribution de réflexion pédagogique et sociale inspirée du Système préventif sur certaines formes de déviance.

Relevons l’influence qu'exercent ces initiatives sur d’autres milieux d’éducation de la Province et la meilleure connaissance du malaise des jeunes qu'elles y apportent, ainsi que leur incidence sur le contexte social et l’opinion publique.

Le CG24 a noté qu'elles sont de nature à inviter les laïcs à s'associer. « La réflexion commune, le projet partagé et la relation avec les laïcs constituent des expériences positives surtout dans les “ nouvelles présences ” qui se sont ouvertes pour donner une réponse souple et immédiate aux problèmes posés par le malaise des jeunes, la marginalité etc. C’est là aussi que se développent les meilleures formes de participation des laïcs et des volontaires » 32.

Il faut ajouter qu’elles donnent également dans d'autres présences éducatives des réponses partielles aux diverses formes de marginalité et de malaise. Il suffit pour s’en convaincre de visiter quelques-uns de nos patronages et de nos centres de formation professionnelle. Il s’y fait non seulement une première prévention efficace, mais des garçons et des jeunes qui sont déjà en risque de se désorienter y trouvent un accueil, des interlocuteurs et des projets.

Presque partout, une polémique opposait les divers types de présence, et un excès d'individualisme poussait à considérer certaines de ces oeuvres comme l’apanage de quelques confrères, qui avaient peut-être eu le mérite de les désirer et de les commencer. C'est à présent révolu et il faut noter que toutes les Provinces les assument avec plus de décision au profit d'une meilleure intégration des activités et des confrères qui travaillent dans le projet provincial.




Les yeux vers l’avenir


Une relecture chrétienne de la réalité


A la vue de la foule, les disciples s’approchent de Jésus et lui disent : « L’endroit est désert, et il est déjà tard. Renvoie-les, qu’ils aillent dans les fermes et les villages des environs s’acheter de quoi manger ». C’était une observation de gens ordinaires pleins de bon sens, et en même temps une manière de se tirer du problème pour ne pas s’en charger.

Jésus répond : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » 33. Il affirme ainsi que le problème les regarde. Cet ordre surprend les disciples. Ils prennent l’indication de Jésus en considération, mais concluent immédiatement qu’il leur est impossible de la remplir. La foule est trop nombreuse et les moyens inexistants. C’est souvent aussi notre sentiment et notre conclusion.

Ils ne comprennent pas l’intention de Jésus. Ils pensent à tout ce dont ils auraient besoin sans en disposer. Mais Jésus compte sur le peu qu’ils peuvent mettre à sa disposition. Pour lui, la solution ne dépend pas de la quantité de nourriture qu’il faudra pour commencer.

L’extension de la pauvreté, en effet, a des racines profondes. Il y a certainement les racines personnelles, celles de celui qui endure le malaise et l’exclusion et celles qui se relient plus étroitement à sa vie et à sa croissance.

Même dans les contextes d’aisance, les conditions favorables de développement ne servent pas lorsque manquent les dispositions personnelles. Inversement, lorsque celles-ci sont renforcées, elles finissent par se frayer un passage dans les milieux fortement conditionnants et à y produire des transformations significatives dans l’ordre des relations, de la socialité et du partage. Miser sur les personnes et sur leur motivation est donc toujours valable.

Mais il est vrai que le développement personnel est favorisé, ou bien rendu difficile et presque impossible en fait, par des causes culturelles, c’est-à-dire liées à la mentalité qui domine dans le milieu et détermine les comportements, les évaluations, les modalités de vie et de relations.

On a donc insisté ces derniers temps sur la nécessité de travailler pour une culture qui reconnaisse la dignité de chacun, renforce la solidarité dans tous les domaines et sous toutes ses formes, assure le bien et le droit de l’éducation pour tous, ne cède pas mentalement à des préjugés ou à des évaluations sommaires de complaisance, ni ne tombe dans le piège de l’individualisme et de la consommation. Ce n’est qu’ainsi qu’il est possible de refaire le tissu social et de le rendre plus humain.

La même insistance traverse l’enseignement éthique et social de l’Eglise. Pour nous il est très stimulant, parce qu’il relie le travail de promotion humaine, que nous accomplissons par l’éducation-évangélisation, à un domaine plus large qui permet d’autres activités. Il s’accorde aussi avec ce que nous avons hérité de Don Bosco et que nous suggèrent les Constitutions, là où elles se réfèrent à nos présences dans les milieux populaires et à notre action par la communication sociale.

Mais aux causes qui proviennent de chacun et de la mentalité commune il faut ajouter, et peut-être mettre en première place vu leur poids, celles qui tiennent aux structures.

Elles agissent à la fois sur un grand nombre de gens, en des domaines très vastes et avec beaucoup de force. Elles ont donc la capacité sans pareille d’imposer une situation, des façons de penser et des styles de vie, qui régénèrent ou prolongent la marginalité qui en découle. Des phénomènes comme la faim, la misère, les conflits prolongés, l’exploitation de la main d’oeuvre, de la dévastation des ressources naturelles suffisent à en donner une idée.

La réflexion ne doit pas tant servir à dénoncer une fois de plus cette façon d’agir, qu’à organiser correctement, même sur une petite échelle, notre travail d’éducation et d’évangélisation. Impossible d’éduquer, en effet, sans faire prendre conscience du monde où nous vivons.

Depuis plusieurs années, on répète que nous nous trouvons devant un phénomène d’appauvrissement plutôt que de simple pauvreté. Il ne s'agit pas là d'une étape transitoire ni d’un incident de parcours résultant du passé, mais d'une conséquence des structures économiques, sociales et politiques. Mais il faut reconnaître que d’autres facteurs agissent aussi pour étendre la pauvreté 34.

Ce scénario s’est encore détérioré par la prévalence d’un modèle économique unique et universel. La logique qu’il impose de plus en plus est que la production des biens est guidée par le profit et non par les besoins d’un juste développement social incluant tout le monde.

Parmi ses effets les plus graves il y a le ralentissement et même la désagrégation de la solidarité sociale, la réduction de la personne à l' individu capable de posséder, de produire et d’acquérir.

Le modèle d’homme se centre plus sur l’avoir que sur l’être. D’où la mentalité de consommation : travailler pour avoir, avoir pour acquérir, acquérir pour consommer.



Approfondir les inspirations


L’enchevêtrement décrit ici indique que n'importe quelle solution est précaire et insuffisante si elle ne vise pas le coeur de l’homme : notre coeur de disciples appelés à assumer la compassion et la logique de Jésus ; le coeur des jeunes que nous voulons approcher ; le coeur de ceux qui se réfèrent au Christ pour le suivre et l’admirer ; le coeur de ceux qui ont des biens matériels, d’intelligence ou de compétence ; le coeur de ceux qui doivent prendre des décisions sociales et politiques.

C’est ce que suggère le geste de Jésus. La quantité viendra et dépassera le besoin s’il y a des gens pour mettre à la disposition du Seigneur leurs pains et leurs poissons.

Le même message nous parvient des lieux et des traits de notre charisme.

Notre charisme est né aux Becchi avec la vocation de Don Bosco. La petite maison d’enfance reproduit l’icône da la multiplication lorsqu'elle prend pour fond le planisphère des oeuvres salésiennes réparties aujourd'hui dans le monde. Là, dans un milieu de pauvreté réelle mais digne, Jean Bosco a mis à la disposition du Seigneur ce dont il disposait : sa vie.

Il a connu l’angoisse économique pour réaliser ses études et ses songes. Il s’est soumis à l’épreuve du travail sous un patron. En même temps, il a senti la solidarité de la communauté humaine et chrétienne et surtout le soutien des prêtres. Par leur encouragement et leur modeste apport financier, ils ont conduit à Jésus le garçon des pains et des poissons qui parviennent aujourd’hui à une foule.

Notre oeuvre est le fruit de la grâce et du génie, mais aussi de la solidarité humble et presque anonyme.

Le lieu spirituel de la mission est l’oratoire, qui a commencé sans demeure fixe, s’est abrité sous un hangar, et a pris le développement du Valdocco d'aujourd'hui. A ce propos Don Bosco a écrit : « Le patronage se composait en général de tailleurs de pierre, maçons, sculpteurs, paveurs, plâtriers-encadreurs et d’autres, venus de villages éloignés. Ces jeunes gens, du fait qu’ils ne mettaient pas les pieds à l’Eglise et n’avaient pas d’amis, étaient exposés au péril de perversion, surtout les jours de congé » 35. Cette origine qui fut la nôtre et cette préférence de notre Père nous revient sans cesse à l’esprit lorsque nous nous interrogeons sur le malaise actuel des jeunes.

C’est de la rencontre avec les jeunes gens pauvres qu’est née notre pédagogie, avec ses caractéristiques de contenu et de méthode, avec un profil d’éducateur qui dépasse sa fonction institutionnelle pour se faire l’ami et le père des jeunes. Le Père Caviglia la définit comme une pédagogie pour l’enfant pauvre.

La situation des jeunes gens pauvres a suggéré les initiatives et les programmes qui traversent notre histoire : le patronage, les écoles professionnelles, le pensionnat familial. Don Bosco le répète quand il présente l’histoire de la Congrégation, dans ses Souvenirs biographiques, dans son Testament. Il semble naturel d'en repartir pour se rénover.

La source d’inspiration est toujours la charité pastorale répandue par l’Esprit au baptême et dans l’appel à la vie salésienne : mais la recherche et la rencontre des jeunes gens pauvres pour partager notre vie avec eux constituent la « circonstance providentielle », la médiation indispensable pour susciter et concrétiser peu à peu notre mission ; ils procurent l’expérience de l’amour gratuit qui répond, du salut vécu et du retour à la vie.

Dans son contact avec les jeunes gens pauvres, Don Bosco a découvert leurs richesses intérieures, leurs potentialités, leur dignité innée, sentie et désirée. Chaque jeune porte en lui les signes de l’amour de Dieu dans son désir de vivre, dans son intelligence et dans son coeur. La pauvreté, qui les empêche de croître en tant que personnes et fils de Dieu, est un appel et un défi à leur rendre la conscience de leur valeur personnelle et à dévoiler les dons que le Seigneur leur a prodigués.

Don Bosco alors a conçu son service de prêtre comme un travail d’éducation pour faire apparaître les ressources cachées et les traits qui semblent effacés, afin de porter les jeunes à un niveau satisfaisant de vie humaine et chrétienne, et même à la sainteté. Il leur révèle le visage du Dieu de Jésus, du Dieu qui prend soin des oiseaux et des fleurs ; qui ne veut pas que se perde un seul de ces petits ; qui n’attend pas que rentre la brebis perdue, mais part à sa recherche ; qui se prend de profonde compassion devant chaque situation humaine de souffrance pour réveiller l’espérance.

Cela constitue pour lui une authentique expérience de Dieu, découverte avec admiration et racontée avec joie dans sa providence paternelle. C’est l’expérience même de Jésus, qui reste surpris parce que le Père a caché les choses du Royaume aux sages et aux savants et a voulu les révéler aux tout-petits 36. Elle permet de comprendre et d’affirmer la valeur de chaque enfant au-delà des apparences, parce que leurs anges sont sans cesse en présence du Père.

Les jeunes gens pauvres ont donc été et sont encore un don pour les salésiens. Revenir à eux nous fera retrouver le trait central de notre spiritualité et de notre pratique pédagogique : la relation d’amitié qui crée la correspondance et le désir de croître.

Aujourd’hui, il faut revenir au-delà des structures établies, au-delà des choses à donner ; il faut sortir, faire un exode mental et pédagogique vers la relation, la présence, le partage.

Telle est l'attitude fondamentale par laquelle le Système préventif permet, en termes d'éducation, de marcher à la suite du Christ qui a planté sa tente parmi nous, est venu chercher et sauver ce qui était perdu, s'est mêlé aux publicains et s'est assis à la table des pécheurs, s'est approché des pauvres et des malades et a fait de ces gestes les signes de sa mission de salut.

Le Royaume de Dieu se manifeste, se développe et se réalise parmi les pauvres parce qu'il consiste entièrement en une relation gratuite que Jésus établit et renouvelle avec ceux qui ne croient avoir de mérites ni devant la société ni devant Dieu.

Parfois, nous sommes trop préoccupés de ce que nous pouvons pas donner ou de ce qui nous manque pour agir. Ce souci nous rend incapables de découvrir les richesses qui se trouvent chez les jeunes, qu'ils peuvent mettre à profit et qui nous enrichissent nous-mêmes. Le Système préventif nous oblige à nous vider de nous-mêmes et à accueillir les dons que nous offre le Seigneur, en particulier en la personne des plus nécessiteux et de ceux qui semblent les moins dignes.



La pauvreté de l'éducateur salésien


Le commentaire qui précède nous porte à réfléchir sur la pauvreté de l'éducateur salésien. Avant de réglementer l'usage de l'argent et des choses, elle se réfère aux biens dans lesquels nous mettons notre espérance et notre bonheur. Heureux les pauvres !

Elle est un don de l'Esprit qui nous rend capables de communion. Elle consiste en un besoin profond de Dieu et de nos frères. Elle jaillit de l'expérience de l'amour de Dieu et de la réponse que nous lui donnons par notre ouverture ouvrant aux autres. A sa lumière, les biens matériels deviennent fonctionnels et secondaires. Celui qui a trouvé dans l'amour le sens de la vie n'a pas besoin de s'attacher aux choses pour être heureux, bien qu'il s'en serve en toute liberté.

Se suffisant à son propre bonheur, le Dieu de Jésus se fait pauvre pour nous enrichir. Il est un Dieu qui choisit ceux qui sentent leur propre insuffisance et qui les comble de biens parce que sa nature est de donner. Il est le Dieu qui, avant nous et plus fortement que nous, veut que les pauvres aient la vie et vient à notre rencontre en la personne des jeunes les plus pauvres pour nous faire don de sa présence et de la participation à son amour.

Conscients de ce que tout ce que nous sommes est un don et de ce que les autres, même les pauvres, ont à nous enrichir, nous les regardons et les approchons avec gratitude et espoir, nous les aidons à s'exprimer, nous leur ouvrons les portes à la participation, si limitée et imparfaite qu'elle soit, nous ne nous considérons pas libres des misères humaines, nous collaborons avec humilité à la croissance de leur vie, nous sommes heureux de voir apparaître des énergies et des objectifs qui rejoignent surtout les plus petits et les exclus. Nous savons que ce que nous recevons d'eux et de Dieu dépasse ce que nous donnons.

Notre prière reçoit de cette vision ses caractéristiques : elle devient simple, confiante et concrète 37 ; elle se centre sur l'action de grâce pour ce que Dieu nous a donné gratuitement et pour la vie des jeunes ; elle nous dispose à partager : à leur donner et à recevoir d'eux 38 ; elle exprime et développe en nous le besoin de Dieu sans qui nous ne pouvons rien faire 39 et elle nous porte à remarquer que le Royaume se développe parmi ceux qui accueillent Dieu, qu'ils aient ou non des biens en abondance.

Dans la conviction que ce que nous leur faisons, c'est au Christ que nous le faisons, nous cherchons à travailler avec compétence professionnelle, et nous utilisons en toute liberté les ressources de la science et de la technique. Nous nous imposons une formation continue pour donner des réponses adéquates aux nouvelles situations de pauvreté, nous mettons en oeuvre avec courage de nouvelles formes d'agrégation et de recherche de ressources pour servir les pauvres et nous cherchons à organiser leur gestion avec plus de soin.

En même temps, nous maintenons un style de vie simple, voire austère, sans céder au désir illimité de posséder des choses ou des facilités. C'était ce que Don Bosco conseillait aux premiers missionnaires : « Faites que le monde sache que vous êtes pauvres dans vos habits, votre nourriture, vos habitations ; et vous serez riches devant Dieu et vous conquerrez le coeur des hommes ». Dans l'action également mettons notre confiance dans les moyens pauvres de l'amitié et de la relation plutôt que de nous protéger derrière l'organisation.

Cette spiritualité nous aidera à vivre une autre caractéristique de notre Père : la confiance en la Providence. La pauvreté de Don Bosco fut sereine, attentive au Royaume de Dieu et à sa justice, mais industrieuse aussi, au service des jeunes. Il savait commencer avec peu, motiver la collaboration et orienter directement l'usage de l'argent à des fins éducatives. Il demandait et attendait, mais ne restait pas empêtré dans la recherche des moyens.

Dans une culture caractérisée par la préoccupation excessive de la sécurité personnelle, surtout matérielle, nous devons être des signes de liberté évangélique : nous préoccuper d'abord des personnes et de l'Evangile, sûrs que le Seigneur nous aidera à trouver les ressources dont nous avons besoin. C'est ainsi qu'ont débuté toutes nos présences et les grandes entreprises de la Congrégation.



Faire le choix des jeunes gens pauvres


Les nouvelles pauvretés devront éveiller la sensibilité des salésiens pour qu'ils puissent comprendre leur poids négatif sur les jeunes, et se montrent prêts à intervenir comme le fut Don Bosco avec la pauvreté de son temps.

La réponse positive est effective en beaucoup d'endroits, mais la demande du Christ relance pour tous de façon simple et directe le « défi charismatique ». Combien de pains et de poissons pouvez-vous et voulez-vous mettre à ma disposition ?

Le CG23 reconnaissait que les présences orientées directement vers les jeunes en difficulté ont un impact multiplicateur considérable : elles sont des points de référence et de promotion pour la solidarité, elles rencontrent l'approbation générale, regroupent des collaborations de toutes sortes, créent une mentalité de solidarité chez les gens et trouvent l'appui de la société 40.

Comment étendre encore ces terrains de solidarité ?

Tablons d'abord sur les confrères et les communautés. Il faut les informer, affiner leurs sensibilités, leur donner confiance et courage pour réveiller notre originalité charismatique.

Il est essentiel que, dans une Province ou une communauté locale, tous puissent saisir la portée, la profondeur et les manifestations actuelles du malaise des adolescents et des jeunes dans leur contexte. Ce risque les menace tous, mais il explose dans certaines catégories plus faibles et plus exposées.

Il est important qu'ils puissent surmonter les culpabilisations et la flétrissure des écarts de la jeunesse, et rénover leur confiance dans les ressources du jeune et en son désir de se refaire. Le coeur, la raison et la religion ont encore leur mot à dire lorsque nous arrivons à en être des médiateurs efficaces.

Le salésien peut revivre ainsi le style de Don Bosco : abattre les barrières de la défiance, aider à vaincre les préjugés et permettre la rencontre féconde. Cela conduira à trouver une place spirituelle et physique dans le monde réel des jeunes.

Je ne m'arrête pas à expliciter les dispositions requises pour ce rapprochement ni les transformations qu'il opère : la rencontre quotidienne de ces jeunes et de leur situation de malaise donnera aux communautés un nouveau ressort pour vivre la foi comme une réalité qui sauve et qui transforme l'histoire. Elle les poussera à exercer avec plus de simplicité et de créativité le service de l'éducation.

Sans ce mouvement spirituel et physique d'approche de la pauvreté, il est difficile d'apporter une réponse un peu consistante au défi de la marginalité des jeunes. La connaissance et la proximité tendent au partage de ce que nous avons par grâce, de ce que subissent les jeunes, de ce qu'ils voudraient atteindre, du chemin qu'ils pensent pouvoir faire. Tout le dépouillement personnel et les sentiments semblables à ceux de Jésus, Bon Pasteur requis par cette démarche, seuls peuvent le dire ceux qui en ont l'expérience.

Un autre pas à faire encore, exigeant et complémentaire, c'est de mettre sur pied pour les jeunes marginaux un projet provincial qui mobilise les communautés. Le fait du malaise des jeunes et le risque de la marginalité sont à prendre au sérieux dans toutes les présences.

Ils devraient pousser à étudier les contenus et les modalités de l'éducation dans la ligne d'une prévention plus attentive et à la page ; à animer le territoire en vue de coresponsabiliser d'autres institutions et les familles, pour améliorer les relations et la vie.

Ils pourraient amener aussi à privilégier, dans les différentes oeuvres, un accueil plus nombreux d'adolescents et de jeunes « à risque », pour qu'ils puissent se maintenir à l'écart de la délinquance par des programmes appropriés et l'appui d'un milieu éducatif.

Ils exerceront en tout cas l'oeil des éducateurs à déceler les symptômes annonciateurs ou encore latents d'un malaise, ainsi que les premières manifestations de glissement vers la marginalité.

Outre cette attention générale, il faut créer des activités et détacher des groupes pour travailler dans le milieu même de la marginalité parmi ceux qu'elle a déjà atteints.

L'opposition ou le sentiment d'étrangeté une fois surmontés, ces présences aideront toutes les communautés à connaître et à traiter le malaise et à maintenir dans sa vigueur le style du Système préventif.



Notre préoccupation : éduquer


La pauvreté et la marginalité ne constituent pas un fait purement économique, mais un fait qui touche la conscience de chacun et défie la mentalité de la société. Pour les prévenir les dépasser, l'éducation est donc fondamentale ainsi que l'apport le plus spécifique et original que nous pouvons y donner comme salésiens.

Eduquer, c'est accueillir, rendre la parole et comprendre. C'est aider les individus à se retrouver eux-mêmes ; les accompagner avec patience dans un cheminement de récupération des valeurs et de confiance en soi. Cela implique la reconstruction des raisons de vivre.

L'enseignement systématique est une voie importante pour prévenir et vaincre la pauvreté et le malaise, mais à condition qu'il nous conduise à rencontrer toute la personne ; l'anonymat institutionnel ou le seul apport de connaissances ne réalise pas les fins de l'éducation.

Aujourd'hui, l'éducation nous demande de renouveler notre capacité de dialoguer, mais aussi de proposer. Il faut rejoindre les personnes et ce qui interroge ou défie leur vie ; il faut les impliquer dans des expériences qui aident à saisir le sens de l'effort quotidien, s'appuyer sur une proposition riche d'intérêts et solidement ancrée à ce qui est fondamental et qui, tout en offrant les moyens essentiels de gagner sa vie, rend capable d'agir de façon responsable en toute circonstance.

L'éducation laisse apparaître quelques urgences. Le CG23 a indiqué la constellation vie - amour - conscience - solidarité comme un défi lancé à notre travail, y compris celui d'évangéliser 41.

Il la présentait comme un des points à soigner dans tout notre programme d'éducation et en indiquait aussi les objectifs principaux : enraciner par des relations, des convictions et des expériences, la valeur de la personne et de son inviolabilité, au-dessus des biens matériels et de toute structure ou organisation, pour rendre capable de faire des choix autonomes en face des lourds mécanismes de manipulation, et d'évaluer comme il se doit les situations inhumaines ; orienter les jeunes à bien connaître la complexité de la réalité culturelle et socio-politique, en commençant par celle que nous côtoyons chaque jour pour arriver aux institutions et aux modèles socio-économiques qui ont une influence déterminante sur le bien commun ; associer les jeunes, ceux des milieux de pauvreté et ceux des contextes plus aisés, dans des activités qui exigent la solidarité, pour qu'ils apprennent à prendre en charge les souffrances d'autrui et à collaborer pour y remédier.

Le programme énoncé constitue une prévention efficace contre les dépendances et les incitations négatives ; il présente des indications pour un cheminement de récupération et demande aussi d'impliquer les jeunes qui ont pu se garder libres ou surmonter les risques des différentes pauvretés. Il nous revient de le traduire dans le quotidien.




Promouvoir une nouvelle culture


Les pauvretés naissent et s'étendent dans un monde où tout est en intercommunication et en interdépendance. L'évaluation qui s'en fait, les espoirs d'amélioration qui peuvent se réveiller, les formes concrètes d'engagement se relient aux façons de penser et de réagir des personnes, des groupes et de la société tout entière.

Cela se voit quand on raisonne sur l'utilisation des biens, sur les relations entre les individus et les peuples, sur les sentiments envers ceux qui sont différents, sur la façon d'affronter les écarts et les transgressions.

La lutte contre la marginalité est d'autant plus efficace qu'elle pénètre et transforme l'ensemble des perceptions et des sentiments qui modèlent la pensée et la conduite d'une société ou des groupes qui l'influencent. Il ne suffit donc pas de travailler à aider et à assister des individus, même si c'est de façon importante.

Il faut un travail d'animation sociale, pour susciter des changements de critères et de points de vue par des gestes et des actions. Ceux-ci créent de nouvelles formes de relations et des modèles de conduite qui incarnent des valeurs différentes de celles qui régissent en grande partie nos moeurs, comme l'individualisme possessif, la satisfaction des intérêts personnels, la condamnation de ceux qui subissent des dépendances, l'abandon des plus faibles.

Il s'agit de promouvoir une culture de l'altruisme, de la sobriété dans le style de vie et de consommation, de la disponibilité à partager gratuitement, de la justice entendue comme l'attention au droit de tous à la dignité de la vie et, plus directement, il s'agit d'associer des personnes et des institutions dans une oeuvre de large prévention, d'accueil et de support pour qui en a besoin.

Nos milieux éducatifs peuvent être des centres d'élaboration de cette culture et la faire rayonner vers les familles, les groupes, le quartier, les cercles et les institutions reliés à nous et, par la communication sociale, vers la société en général.

Certains mouvements et activités, même minoritaires, ont une forte incidence parce qu'ils expriment de nouvelles relations et anticipent de nouveaux critères de solidarité : l'association privée pour un commerce équitable et solidaire, le mouvement des familles qui s'engagent à se contenter du nécessaire et à éviter les dépenses superflues, le volontariat.

Ce sont quelques modèles de vie promus par des cercles chrétiens, dans le contexte de la nouvelle culture sociale, qui engagent à vivre selon l'Evangile et non selon la tendance à la consommation. Des initiatives diverses et des agrégations de ce genre peuvent se créer dans ce sens.

Elles finissent par agir en réseau et arrivent à se proposer comme interlocuteurs, matériellement faibles, mais moralement forts, en face d'organismes et d'institutions politiques et financières. Mieux, elles réussissent à multiplier les projets d'aide et les présences de partage et de solidarité.

C'est un terrain sur lequel nous les salésiens, organisation internationale, avec toutes nos ressources et notre riche patrimoine spirituel, nous avons de grandes possibilités ainsi qu'une importante responsabilité. Nous devons faire un effort de pédagogie collective pour offrir des voies et des projets concrets. Beaucoup de gens sont disposés à s'y associer et à assumer un style de vie solidaire et généreuse dans l'humble esprit de l'Evangile.



Evangéliser à partir des exclus


En quelque milieu qu'elle se déroule, l'action salésienne comprend toujours l'annonce du Christ dans le souci du salut éternel de la personne. Dans toute activité de prévention, de formation et de récupération, la Bonne Nouvelle constitue toujours l'intention et le désir principal, même si elle ne doit s'expliciter qu'au fur et à mesure que les sujets s'en rendent capables. Nous désirons qu'ils entendent Dieu le Père, qu'ils connaissent Jésus Christ et nous croyons aussi que la foi en lui que nous proposons comprend des énergies insoupçonnées pour la construction de la personnalité et pour le développement intégral.

Lorsqu'il présente les caractéristiques de l'itinéraire de foi que nous, salésiens, faisons avec les jeunes, le CG23 affirme qu'il faut privilégier les exclus et repartir toujours d'eux comme condition pour arriver à tous. « Se mettre du côté des plus petits et des plus pauvres, dit-il, ne caractérisera pas seulement le début de la marche, mais chaque étape qui suivra, jusqu'à la dernière », parce le plus avancé est invité à « soutenir la démarche des débutants par son action et son témoignage personnels » 42.

C'est, de nouveau, une indication officielle sur la place significative que nous devons prendre : parmi les derniers selon les critères humains.

L'annonce du salut aux pauvres est le signe par excellence du Royaume et, par conséquent, la dimension la plus profonde de notre mission éducative. La connaissance de Jésus et la relation personnelle avec lui n'est pas un privilège des jeunes plus engagés et mieux protégés, mais un don à offrir à tous dès leurs premiers pas. Si le Christ veut se donner aux plus pauvres et aux plus nécessiteux, et il l'a manifesté durant son existence terrestre, nous ne pouvons pas retarder la découverte de son don.

L'évangélisation commence certainement par la rencontre, qui permet d'assumer la souffrance et l'espérance du jeune, de soutenir sa volonté de se reprendre, de s'approcher des signes de Dieu et de l'Eglise. Le salut s'annonce et se réalise quand se crée une situation où le jeune est libéré de ce qui conditionnait de façon négative le meilleur de sa vie ; quand, au contact de personnes qui lui montrent un amour désintéressé, il découvre la valeur et les possibilités de la vie.

Le contact quotidien avec des adultes capables de créer un climat de famille ; une relation d'amitié qui fusionne l'intérêt pour les jeunes et la responsabilité qu'ils leur laisse, la bonté et la fermeté, l'exigence et la compréhension, voilà qui devient un témoignage capable de susciter l'étonnement et de réveiller le meilleur qu'ils portent en eux. C'est ainsi qu'apparaissent les questions qui donnent la possibilité d'une annonce à la mesure de la compréhension de chaque jeune.

La première étincelle du cheminement de foi est à soigner et à développer avec patience et persévérance : tabler sur les points positifs qui se trouvent en tout jeune et sur la force intérieure de la conscience ; profiter de l'expérience du groupe et du milieu ; croire en la force de reprise qui vient de la prière et des sacrements. A ce sujet il faut relire et mettre en pratique la conviction de Don Bosco sur la valeur de la foi et de la conscience dans le parcours de récupération des jeunes.

Dans l'Eglise, on parle de nouvelle évangélisation. Les explicitations soulignent que la « nouveauté » est dans le témoignage de la charité, dans l'annonce du Christ au coeur de la vie et de la culture d'aujourd'hui et dans le mouvement vers ceux qui sont loin.

Notre contribution peut précisément consister à essayer et à proposer des processus d'évangélisation dans des situations particulièrement difficiles de jeunes.



Conclusion


« Jésus leur demande : " Combien avez-vous de pains ? Allez voir. " S'étant informés, ils lui disent : " Cinq, et deux poissons. " Il leur ordonna de les faire tous asseoir par groupes sur l'herbe verte. Ils s'assirent en rond par groupes de cent et de cinquante. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction, rompit les pains, et il les donnait aux disciples pour qu'ils les distribuent. Il partagea aussi les deux poissons entre eux tous. Tous mangèrent à leur faim. Et l'on ramassa douze paniers pleins de morceaux de pain et de poisson » 43.

La présence du Seigneur devient un miracle de solidarité pour que les gens aient du pain en abondance. Il met en mouvement ses disciples pour qu'ils cherchent les ressources disponibles. Il crée une vraie fraternité, qui pousse à participer et débouche dans la communion. Ainsi, le dynamisme, qui est né d'un sentiment de compassion, se transforme en actions qui comblent de vie les nécessiteux avec la Parole qui éclaire et avec le Pain qui soutient. La petite quantité suffit pour tous : il y a même des restes.

Telle est notre tâche et notre espérance : poser des signes et les multiplier. C'est pourquoi, dans la programmation de ces six années, nous avons centré l'attention sur la signifiance 44. Elle jaillit des lieux, de l'esprit et du style dans lesquels nous réalisons notre mission et offrons notre témoignage. Nous l'avons donc prise comme critère principal de référence, pour resituer et redistribuer nos ressources.

Les points d'où se dégage la signifiance sont les suivants : la manifestation inconditionnelle de la charité évangélique, la capacité de « sauver » ceux que les hommes abandonnent à leur propre sort, le désir de donner la vie et l'espérance, une proposition efficace de la foi, la force qui pousse les personnes de bonne volonté à s'unir pour le bien, la capacité de faire mûrir des mentalités et des relations dans la ligne du Royaume.

Beaucoup d'activités sont « bonnes », mais toutes ne parlent pas avec la même éloquence, le même réalisme ni la même vérité. Beaucoup d'oeuvres peuvent avoir leur utilité, mais toutes n'expriment pas l'Evangile ni l'amour de Dieu semé dans le coeur des croyants, avec la même immédiateté ni la même profondeur. Beaucoup d'activités se révèlent acceptables et fonctionnelles pour la société où nous vivons ; quelques-unes ont un bon impact évangélisateur et prophétique.

La présence parmi les jeunes les plus nécessiteux en est une. Nous connaissons ce que font les Provinces pour leur part et ce qu'elles voudraient faire si le personnel disponible le permettait. La contemplation et le rappel de la multiplication des pains pourra servir d'inspiration et de critère pour aller avec décision vers les jeunes les plus pauvres, même lorsque les ressources seront précaires.

Que la Très sainte Vierge Marie qui, le jour de l'Annonciation, s'est mise à la disposition du Seigneur, nous aide à être prêts, nous aussi, pour l'oeuvre de salut qui naît dans le coeur miséricordieux de Dieu.







NOTE


1 Mc 6, 34

2..Const., 11

3..Cf. La faim dans le monde, un défi pour tous, le développement solidaire, 1996

4 Centesimus annus, 57

5 CG23, 78

6 Ib., 79

7 Ib., 80

8 Cf. Centesimus annus, 57

9 Presbyterorum ordinis, 6

10 Puebla, n° 1134 ; cf. nn. 1134-1165

11 Con il dono della carità entro la storia. La Chiesa in Italia dopo il Convegno di Palermo [Avec le don de la charité au sein de l'histoire. L'Eglise en Italie après le congrès de Palerme]. Note de la Conférence épiscopale italienne (CEI), nn. 34-35.

12 Sollicitudo rei socialis, 42

13 Vita consecrata, 82

14 Tertio millennio adveniente, 51

15 Cf. Evangelii nuntiandi, 32

16 Don Bosco, Souvenirs autobiographiques, trad. du P. Barucq et présentation du P. Desramaut, Apostolat des Editions, Paris 1978, pp. 129-130

17 Cf. Stella P., Don Bosco nella storia ..., vol. I, pp. 106-112

18 Don Bosco, op. cit., p. 130

19 Cf. Braido P., Poveri e abbandonati, pericolanti e pericolosi : pedagogia, assistenza, socialità ed esperienza preventiva di Don Bosco, in Annali di Storia dell' educazione, 1996, vol. 3, p. 185

20 Cf. Braido P., ib., p. 190

21 Cf. Braido P., ib., pp. 183-236

22 Const., 26

23 Règl., 1

24 Cf. Const., 41

25 Const., 31

26 CG22, 72

27 Cf. CGS, 39-44, 181, 515, 619.

28 Cf. CG21, 158-159

29 Cf. CG22, 6

30 Ib., 6

31 Cf. CG23, 230

32 CG24, 20

33 Mc 6, 37

34 Puebla, n° 30

35 Don Bosco, op. cit., p. 136

36 Lc 10, 21

37 Const., 86

38 Ib., 95

39 Ib., 12

40 Cf. CG23, 290

42 Cf. ib., 105

43 Mc 6, 38. 43

44 Cf. ACG 358, pp. 49-50


18