301-350|fr|306 Directeur salésien, pour quelle animation ?

DIRECTEUR SALÉSIEN, POUR QUELLE ANIMATION ?



DIRECTEUR SALESIEN, POUR QUELLE ANIMATION ? - Introduction. - La richesse d'une tradition charismatique. - Incarnation d'une consécration à temps plein. - Témoin de la transcendance du Christ-Médiateur. - Spécialiste du « sensus Ecclesiae ». - Les services caractéristiques de son ministère. - Prophète de la vérité qui sauve. - Maître et guide de sanctification. - Artisan de la communion ecclésiale. - Conclusion.



Rome, 16 juillet 1982


Chers Confrères,

Tous mes vœux pour une bonne préparation du prochain Chapitre provincial ! Vous avez reçu le numéro spécial, le 305, des Actes du Conseil Supérieur : méditez-le bien ! Faisons tout ce que nous pouvons pour que chacune de nos communautés puisse vraiment entrer, en ces mois qui viennent, dans un « état d'adoration » plus intense.

Le « Manuel du Directeur », demandé par le CG21, est enfin sorti ces jours-ci ; espérons qu'il sera rapidement suivi de celui du Provincial.1 C'est un texte très important qui devrait jeter les bases d'un juste renouveau de la fonction de Directeur de communauté. Il serait bon que tous les confrères en prennent connaissance : c'est que, pour une bonne animation de la communauté, les efforts du premier responsable ne suffisent pas ; il faut aussi la collaboration sincère et fraternelle de tous.

Parmi les éléments du renouveau apporté au rôle du Directeur, le Manuel rappelle le côté fondamental, au plan salésien, du sacerdoce ministériel.

La Congrégation est sortie avec les ailes un peu brûlées de la crise actuelle ; il est urgent de repenser ensemble notre sainteté ;2 il est indispensable de savoir infuser de l'énergie aux confrères ;3 il faut que la Famille Salésienne vive plus intensément au plan spirituel.4

Tout cela exige que nous nous reprenions sérieusement par rapport à notre ministère sacerdotal, avec ce que cela comporte d'humilité spécifique et d'esprit de service : il ne s'agit pas d'une « cléricalisation » mais d'un authentique service spirituel et pastoral. C'est là une urgence dans l'Eglise et, en particulier, pour chaque membre et chaque communauté de la Famille Salésienne.

Pour que, dans notre pensée, le primat absolu du « pasteur » soit bien clair et mieux ancré, il est urgent d'aller à la racine de la mystique du sacerdoce ministériel. Tout le monde en a besoin : les Confrères en général, le Coadjuteur, la Fille de Marie Auxiliatrice, le Coopérateur, la Volontaire de Don Bosco, l'Ancien Elève et tous ceux qui font partie du grand mouvement de spiritualité apostolique issu de Don Bosco.

En guise de commentaire à ce point de vue présenté par le nouveau Manuel du Directeur voici pour tous les confrères, quelques réflexions que j'ai proposées, ces mois-ci, aux Directeurs dans des réunions de diverses Provinces. Je m'adresse donc aux Directeurs mais ce que je dis vous intéresse tous.

Que notre cher Père nous aide à développer dans la Congrégation les sentiments qu'il entretenait lui-même chaque jour dans son cœur ! Tout ce qui n'entre pas dans sa devise-programme, « Da mihi animas, caetera tolle », risque de ne pas être authentiquement salésien. C'est surtout à ce niveau spirituel et pastoral qu'il nous faut fuir la superficialité.

* * *

Chers Directeurs, j'ai médité bien souvent sur ce sujet. Je voudrais vous présenter tout simplement, à vous qui êtes mes collègues dans le service de l'autorité salésienne, quelques réflexions que je considère comme fort importantes. Il s'agit d'un élément de base concernant le supérieur salésien et relevant d'une formule propre à notre tradition, à savoir que l'animation qui revient au Directeur dans une communauté salésienne doit être exercée par lui comme faisant partie de son ministère sacerdotal.5

La condition de prêtre interpelle un Directeur dans la fonction spécifique d'animation qui lui a été confiée pour qu'il guide sa communauté et la Famille salésienne locale dans la ligne de notre vocation.


La richesse d'une tradition charismatique.

Commençons par quelques préliminaires.


* Premier préliminaire.

Avant tout, pourquoi, dans la tradition salésienne, le Directeur est-il un prêtre ? Dans la pratique, qu'est ce que cela entraîne ?

C'est un état de fait, qui a été vécu par Don Bosco et pratiqué dans la vie de la Congrégation. Cela ne vient pas d’exigences ecclésiales ou sociales mais d'une expérience charismatique. Je ne cherche pas ici à démontrer quoi que ce soit mais plutôt à donner une lumière sur un engagement de vie.

Les réflexions de fond que je fais devant vous devraient devenir pour vous comme le climat de votre méditation habituelle, un cadre de référence pour vos révisions de vie, une conviction évidente, vécue. Ce n'est pas la peine de brandir cela en avant, comme si on voulait provoquer de nouvelles discussions.

Ce sont des considérations que je présente à tous ceux qui exercent aujourd'hui ce ministère d'animation salésienne.


* Je sais bien aussi - et c'est mon second préliminaire - que l'homme concret ne réalise jamais parfaitement une fonction donnée, qu'il n'est jamais à la hauteur de l'idéal : il l'accomplit toujours avec ses défauts et ses manques.

Cela n'empêche pas qu'un rôle important doit être présenté dans toute sa plénitude, avec ses caractéristiques et ses exigences, que sa nature doit être décrite le plus complètement possible, comme le but utopique (au sens positif) vers lequel on tend. Quand on ne regarde pas vers l'idéal lorsqu'on se prépare à agir, on manque d'élan et on n'est pas placé sur la bonne orbite pour agir.

Nous connaissons bien les difficultés de plus en plus nombreuses, nous sommes au courant de la vie des maisons et de ce que pensent les confrères : chacun répond à ce qui lui est demandé en faisant tout ce qu'il peut !

Cependant, nous somme convaincus que, dans l'exercice de notre fonction d'animation, nous ne sommes pas seuls ; avec nous, il y a le Seigneur. Ce n'est pas là une bonne parole pour nous encourager ou qui pourrait nous ôter toute énergie. C'est une constatation objective, hautement théologale, qui doit habiter la conscience personnelle du Directeur : c'est donc une vision vraie et objective qui permet de s'approcher de l'idéal, de le rendre possible. La certitude de la présence réconfortante du Seigneur nous force à reprendre sans cesse notre élan pour tendre vers le but avec une énergie renouvelée : « omnia possum in Eo qui me confortat » !

Nos deux derniers Chapitres généraux ont parlé explicitement de cet aspect comme d'un élément propre de notre caractère charismatique spécifique ; Paul VI nous a invités, dans une lettre de son Secrétaire d'Etat (au début du CG21),6 à conserver cette disposition constitutionnelle si typique de notre charisme, à savoir que le Directeur « riche des charismes de l'Ordination sacerdotale puisse guider avec sagesse ecclésiale les groupes variés et de plus en plus nombreux de tous ceux qui veulent militer sous la conduite et selon l'esprit de saint Jean Bosco ».

Nous ne prétendons pas lancer ici des affirmations doctrinales qui seraient valables pour n'importe quel Institut religieux : notre charisme à nous est né et s'est développé ainsi.


* Troisième préliminaire.

Je ressens, depuis des années, une certaine angoisse ; et malheureusement, elle se confirme ici et là, dans les contacts que je peux avoir de par le monde. Il y a, dans la Congrégation, une dangereuse « crise du sacerdoce » ; cela peut aller jusqu'à détruire l'identité de notre patrimoine charismatique, de nos critères pastoraux et du style de notre communauté salésienne.

Même s'il y a beaucoup de prêtres dans la Congrégation, la grâce du sacerdoce n'est pas assez exploitée. A la source de cette situation difficile, il y probablement un exercice défectueux de son ministère sacerdotal par le Supérieur salésien. C'est par les charismes de leur Ordination sacerdotale que le Directeur, le Provincial et les Supérieurs doivent aider leurs confrères à être plus authentiquement salésiens : les prêtres à être des spécialistes de la pastorales des jeunes ; les Coadjuteurs à être de façon plus authentique des religieux marqués par un état spécial de laïc ;7 les autres groupes de la Famille Salésienne à être plus fidèles à Don Bosco au niveau pastoral ; les Filles de Marie Auxiliatrice, les Coopérateurs, les Anciens Elèves, les Volontaires de Don Bosco, tous, à être « ensemble » porteurs et promoteurs de tout l'héritage spirituel et apostolique reçu de notre Père et fondateur.

Il faudrait méditer tout cela de façon plus organique et prendre le temps d'écrire là-dessus sérieusement et avec un regard salésien.

Pour l'instant, nous en parlons un peu à bâtons rompus, mais en essayant de vous en faire sentir l'importance et la profondeur.


L'animateur incarne une consécration à temps plein.


Don Bosco a été prêtre à l'autel, en chaire, au confessionnal, dans la cour de récréation, dans la rue, dans les événements politiques, devant des ministres, dans l'usage qu'il a fait des moyens de communication sociale, dans les domaines culturels, partout et toujours.

Le Directeur doit savoir l'imiter, même si de gros changements sont intervenus dans l'Eglise en ce qui concerne l'exercice du ministère sacerdotal.

Aujourd'hui, après Vatican II, il y a de grandes nouveautés à ce sujet ; non pas que la consécration sacerdotale ait changé mais parce que les problèmes à affronter, les priorités pastorales à décider, le style d'engagement, ont changé. En ce qui me concerne, je me suis souvent demandé : quand est-ce que le Recteur Majeur agit en tant que prêtre ?

Je me rappelle que, il y a bien des années, lorsque j'allais dans mon village et que je célébrais dans la Collégiale, je parlais avec les prêtres diocésains de la paroisse, je les voyais célébrer, confesser, faire les enterrements, visiter les malades, prêcher et faire le catéchisme, et j'avais l'impression d'être un prêtre d'un autre genre ; étais-je plus ou moins prêtre.8

Mais la réponse profonde nous est donnée dans la grâce pastorale infusée par le sacrement de l'Ordre, par cette grâce qui devrait donner au prêtre de faire sacerdotalement tout ce qu'il a à faire. Exactement comme Don Bosco : il n'était pas chargé d'une paroisse et pourtant il faisait si bien tout ce qu'il avait à faire sous l'impulsion pastorale du « da mihi animas » qu'il ne savait plus dire s'il y a avait un moment où il agissait autrement qu'en tant que prêtre !

Nous devrions donc nous demander : y aurait-il un moment où le Directeur ne serait pas prêtre ?

Mais pour comprendre cette question paradoxale, il faut approfondir ce qu'est le sacrement de l'Ordre et ce que signifie le fait d'avoir été ordonné prêtre.

Je commence tout de suite par dire ceci : un Directeur salésien doit être pleinement conscient, parfaitement convaincu, en tout premier lieu, que le service auquel il est appelé auprès de ses confrères, dans sa Communauté, et auprès de la Famille Salésienne locale, est une forme de ministère sacerdotal qui trouve son origine et sa force dans la grâce et dans les charismes pastoraux du sacrement de l'Ordre.

Cela n'est pas une affirmation doctrinale abstraite une simple disposition juridique ; c'est un fait charismatique venant de la nature salésienne du service d'animation de nos communautés.


Témoin de la transcendance du Christ médiateur.


Par la consécration sacerdotale, le prêtre est lié personnellement sous une forme sacramentelle au Christ ; il est habilité à agir « in persona Christi », surtout quand il célèbre l'Eucharistie et administre les sacrements. Il est consacré par Dieu, dans l'Eglise, pour vivre et pour agir en étant directement lié à la mission et au ministère du Christ lui-même.

Et ici, il faut rappeler que le Christ a inventé un sacerdoce absolument original et inédit, qui est un fruit exclusif de la nouvelle et éternelle Alliance. Dans le Nouveau Testament, il est appelé « celui qui préside à la charité », « presbytre », « pasteur », etc.

Le Christ a inventé un ministère qui n'existait pas avant lui. Il y avait les « prêtres » de l'Ancienne Alliance, de type plutôt cultuel, qui étaient membres d'une tribu spéciale. Ce sacerdoce a été aboli. Depuis son incarnation, le Christ est l'unique vrai prêtre de la Nouvelle Alliance. Il n'existe plus d'autre sacerdoce valide que celui du Christ. Le sacerdoce des hommes, des évêques, de nous les prêtres, est l'expression sacramentelle de son unique sacerdoce. Celui qui est prêtre ne l'est pas parce qu'il est né dans une certaine « tribu », mais uniquement parce qu'il est l'expression sacramentelle de la mission et du ministère que le Christ est venu apporter sur la terre et qu'il accomplit par sa résurrection. L'actuelle médiation du Christ, Grand-Prêtre éternel, toujours vivant pour accomplir hier, aujourd'hui et dans l'avenir sa mission, passe par la sacramentalité de notre Ordination.

Notre sacerdoce est donc quelque chose d'unique et de mystérieux, qui repose sur l'événement de la Résurrection.

Mais en quoi consiste concrètement son originalité ?

On emploie aujourd'hui un mot qui dit bien ce dont il s'agit : on parle de la dimension « pastorale ». Un prêtre de Jésus-Christ devrait pouvoir considérer tout son action dans cette lumière et être guidée en tout par ce souci « pastoral ». Il ne s'agit pas pour autant d'exclure ou de mépriser tout le reste : les professions humaines, la culture, l'économie, la politique ; absolument pas ! Mais la dimension pastorale, en soi, n’est ni la culture, ni l’économie, ni la politique, ni la science ; c'est une dimension originale. Pour la comprendre, il faut ne voir que la personne du Christ, ce qu'il a fait sur la terre et ce qu'il accomplit maintenant qu'il est ressuscité, en tant que médiateur permanent et Seigneur de l'histoire.

Alors on pense tout de suite à ce que doit être le souci profond d'un prêtre, exactement comme Don Bosco l'a vécu et comme il l'a exprimé dans sa devise pastorale si significative : « Da mihi animas, coetera tolle ». Un Directeur précisément parce qu'il est prêtre, doit être témoin de la transcendance historique du Christ et un travailleur infatigable dans sa mission ; il doit susciter ce même sens chez les autres ; il doit, dans sa Communauté, conserver le primat de la « pastorale » au-dessus et à l'intérieur des autres activités humaines. Il doit donc être avant tout un reflet sacramentel du Christ-médiateur dans son engagement au service de ses frères (en particulier des jeunes), un reflet du « bon berger ».

Je répète que la dimension pastorale n'exclut rien ; au contraire, nous faisons de la pastorale quand nous travaillons au service de la promotion humaine, de la culture.

Cependant, justement, il faut qu'il y ait quelqu'un qui voit clair, qui réfléchisse, qui évalue, qui soupèse ce qui est en train de se faire et qui, sans cesse (dans les contacts personnels ou dans un acte communautaire, dans une réunion, dans un exercice de la bonne mort, dans une retraite trimestrielle) mette en place la vision d'ensemble et l'imprégnation pastorale de tout ce qui se fait.


Spécialiste du « sensus ecclesiae ».


Vatican II nous rappelle que le prêtre est ministre de l'Eglise, qu'il est l'homme de la communion, le constructeur et le guide de la communauté des croyants, qu'il est un cœur qui bat à l'unisson du cœur de l'Eglise - du Corps du Christ laquelle continue dans l'histoire la mission du Seigneur parmi les hommes. Par conséquent, dans l'âme du prêtre, vibre en permanence le « sensus Ecclesiae » : celui de l'Eglise universelle et de l'Eglise locale.

Dans la tradition salésienne de Don Bosco, il y a, comme une caractéristique toujours très soulignée, un grand sens de l'Eglise universelle ; cela se traduit par une vision pastorale à échelle mondiale et un souci missionnaire plein d'audace.

Mais il y a aussi un sens très vif de l'Eglise locale qui se traduit dans la façon de voir et dans une collaboration pratique. Le Directeur salésien vit dans un pays, dans un diocèse, dans une paroisse, il est en rapport avec une Conférence épiscopale, avec l'évêque du diocèse, avec le curé du lieu.

En tant que prêtre, il ne peut pas faire abstraction de la vie d'ensemble de l'Eglise locale à ses différents niveaux.

Par conséquent, son ordination sacerdotale entraîne le Directeur à cultiver en lui et à entretenir chez les autres cette sensibilité pastorale en prenant part concrètement à la vie et à l'activité de l'Eglise locale.

A ce « sensus Ecclesiae » se rattache tout un réseau de liens avec le Pape, les évêques et les prêtres. Vatican II a décrit avec raison le prêtre comme étant un « collaborateur » intelligent et inventif « de l'évêque ». Cet aspect particulier de « collaboration » pastorale est inhérent à la nature même du sacerdoce chrétien. Ce n'est pas quelque chose de facultatif que l'on se décide à faire par générosité ; loin de là ! C'est une dimension indispensable de la vocation de celui qui a été appelé et consacré pour réaliser le ministère sacerdotal véritable du Christ.

Or le fait d'être « collaborateur de l'évêque » comporte bien des exigences concrètes quand on programme et qu'on réalise un : pastorale. Je comprends qu'il puisse naître des difficultés qui ne sont pas toujours petites. Dans une assemblée plénier : de la SCRIS (Sacré Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers) sur le thème des relations entre les évêques et les religieux, j’ai entendu pas mal d'interventions en ce sens, et qui venaient des évêques eux-mêmes. D'ailleurs, la vie de Don Bosco nous en donne des exemples !

Mais pour l'instant, nous ne voulons pas entrer dans ces problèmes. Nous voulons approfondir l’intériorité de l'âme sacerdotale, écouter battre son cœur connaître ses idéaux, deviner ses projets et ses désirs. Tout cela entraîne pour le prêtre des responsabilités qui lui sont propres et qu'il lui faut respecter même lorsque les difficultés et les circonstances le font souffrir.

Parce qu'il est prêtre, le Directeur doit avoir un souci ecclésial du sens et des perspectives de son activité pastorale et de celle de sa communauté ; il doit savoir vivre et faire vivre en collaboration harmonieuse avec le Pape, les évêques et les prêtres ; il doit encourager les rapports avec eux, la sympathie, l'amitié, l'estime et la collaboration à leur égard ; et ceci non pas par diplomatie ou par simple convenance, mais parce que tout cela constitue un aspect important de son service à la Communauté salésienne.

Il s'agit donc de faire preuve d'attention de compréhension et de sensibilité pour toutes les' initiatives qui forment une pastorale organique, sous la conduite de l'évêque et dans laquelle la collaboration des prêtres a toute sa place. Nos attitudes à nous, religieux, ainsi que nos œuvres se ressentent encore malheureusement parfois de certaines façons de faire héritées du temps où chacun travaillait en cloisons étanches. Mais les choses changent ; très vite dans certains pays, un peu moins vite dans d'autres.

La voie pour la pastorale de l'avenir est pleinement ecclésiale. Le Directeur salésien doit avoir à cœur, en tant que prêtre, de collaborer ; il doit essayer de se mettre sur la bonne voie au plan ecclésial et se plier aux indications nouvelles qui nous signalent la route à prendre ; en somme il doit développer la façon de voir et l'activité de sa communauté à l'intérieur du « sensus Ecclesiae ».


Les services caractéristiques de son ministère.


Le ministère sacerdotal qui est un en tant qu'il représente sacramentellement le Christ-Tête du Corps, s'articule en trois fonctions complémentaires : le ministère de la Parole, le ministère de la sanctification et celui de l'animation de la communauté.

Ces fonctions sont indiquées dans tous les documents du Concile qui traitent de ce thème et elles le sont toujours dans ce même ordre, comme pour mettre en évidence une certaine hiérarchie entre elles.

En premier lieu, le service de la Parole : percevoir les valeurs de la Révélation de Dieu et savoir montrer leur vérité salvifique.

En second lieu, le service de la Sanctification : la liturgie, les sources de la grâce, la victoire sur le péché, la croissance dans la charité.

Enfin, le service de l'animation communautaire : la coordination pastorale, le souci de la communion, le gouvernement spirituel de la communauté.

Il nous faut approfondir un peu ces trois expressions du service sacerdotal. Rappelons qu'elles constituent trois aspects d'un unique ministère ; trois fonctions liées de façon intrinsèque entre elles, même si, par suite des circonstances et de ce que nous avons à faire, on insiste plus sur l'une que sur l'autre.

Le sacrement de l'Ordre infuse dans le cœur consacré du prêtre une énergie de grâce spéciale, caractérisée par cette charité pastorale qui l'aide à ramener harmonieusement à l'unité ses multiples activités ministérielles, qui enrichit sa sensibilité ecclésiale, le rend capable de témoigner de la transcendance historique du Christ, le soutient, le réconforte dans ses différentes activités et ses difficultés pastorales.

Chers Directeurs, ayons confiance ! La charité pastorale est un don de l'Esprit et notre consécration sacerdotale nous en assure une mesure abondante comme don lié à notre caractère sacramentel.


Prophète de la vérité qui sauve.


Le Concile nous dit que le premier service que doit savoir rendre le prêtre est de méditer, de contempler, de prier et de saisir, par une connaissance de connaturalité, la vérité de salut à transmettre. Je ne dis pas que le Directeur doit être un exégète et un théologien ; mais plus il en sait en ces matières et mieux c'est.

Certes, il doit être sans cesse en quête de la parole salvifique du Christ. Il ne lui est pas demandé de lire l'Evangile selon la méthode scientifique de l'exégète ; mais de savoir le scruter pour en saisir la vérité de salut et découvrir le message de libération qu'il offre aux personnes au milieu desquelles il se trouve. Il doit traduire la parole de Dieu pour en faire un « message » pour aujourd'hui, pour les jeunes actuels, pour ses frères, face aux événements sociaux et politiques, aux besoins culturels, au trouble idéologique actuel.

C'est là un effort de méditation qui n'est pas facile, une lecture qui ne se fait pas seulement sur des textes. Les textes sont nécessaires évidemment mais ils doivent être accompagnés d'une réflexion sur la vie, sur ce qui se passe, sur des personnes précises et même gênantes, avec leurs qualités et leurs défauts, sur nos confrères tels qu'ils sont, sur la jeunesse d'aujourd'hui. Réfléchir, lire, méditer, contempler, prier, c'est là une activité qui prend tout l'être. Le Directeur qui travaille beaucoup a raison. Mais le premier travail qu'il doit savoir faire est justement celui-ci : il ne doit pas être un activiste, ni non plus un intellectuel pur, mais un contemplatif et un orant, ayant en vue l'activité pastorale salésienne. C'est là son premier service de prêtre !

Un Directeur, un Supérieur salésien, ne peut pas être uniquement un homme qui agit ; il ne peut pas être non plus quelqu'un qui est toute la journée sur son prie-Dieu. Chez nous, cela n'irait pas. Il doit parfois se mettre à son bureau, devant ses livres, non pas pour devenir un érudit mais pour mieux saisir le contenu du message évangélique et pour pouvoir transmettre avec une pédagogie réaliste des lignes d'action bien fondées. Le message qu'il nous faut transmettre, chers Directeurs, ne nous arrive pas tout à fait.

Dans le mystère du Christ et dans son Evangile sont contenues toutes les valeurs du salut. Notre contemplation nous met en connaturalité profonde avec ces valeurs. Et ensuite il nous faut en faire l'application pour aujourd'hui.

- Nous avons deux moyens autorisés qui nous aident pour approfondir la vérité salvifique que nous devons transmettre comme un message à la communauté salésienne et à ceux que nous côtoyons. Pas seulement à la communauté salésienne, mais, par son intermédiaire, à la jeunesse ; c'est que la communauté salésienne n'existe pas pour elle-même, elle existe pour les jeunes, pour un milieu, pour un quartier précis.

Ces deux moyens autorisés sont le Magistère de l'Eglise et l'héritage spirituel du charisme de Don Bosco. Ce sont les lumières données par le Magistère et le caractère propre de notre charisme qui nous aideront à traduire l'Evangile en message.

- Commençons par le Magistère du Pape et des Évêques. Pensez au Concile Vatican II, à ses grandes orientations doctrinales et pastorales qui tracent la route pour ce siècle et pour ce temps d'avant l'an 2000 (ceux qui viennent après nous verront, eux, si cela se continuera sur plusieurs siècles !).

Il y a aussi les exhortations pastorales du Pape : ses encycliques, ses discours, ses documents variés. Regardez, par exemple, son encyclique récente « Laborem exercens » : elle est peut-être un peu difficile, mais elle est extraordinairement importante ; elle affronte un problème d'actualité à une profondeur très nouvelle.

Il y aussi les Synodes des Evêques et leurs différents sujets si actuels ; la Conférence épiscopale du pays où l'on se trouve, qui donne aide et lumière ; il y a aussi la présence de l'évêque local qui suggère et qui guide.

Le Directeur qui, en tant que prêtre, possède un sens particulier de la collaboration, devra savoir entretenir en lui sa responsabilité de prophète. Mais il devra aussi connaître les textes du Magistère, avoir ces documents, les lire et les méditer pour pouvoir les transmettre aussi aux autres. C'est bien pourquoi il a besoin de se ménager espace et temps pour exercer pleinement son sacerdoce. C'est tout autre chose que de faire des enterrements !

C'est là que se construit l'histoire ; l'histoire au jour le jour de la communauté et celle de l'Eglise locale. C'est ainsi que l'on anime sacerdotalement, au nom du Christ une communauté ; c'est ainsi que l'on est prophète de la vérité qui sauve.

Notez bien que Don Bosco est un exemple extraordinaire de cette fonction sacerdotale ; prêtre de la jeunesse et des milieux populaires, il sut unir une authentique contemplation à un sens pratique génial, un courage héroïque dans l'action à une action infatigable pour annoncer le message. C'était un homme d'action extraordinaire, mais aussi un grand lecteur, un apôtre attentif à l'événement, connaissant profondément l'Evangile, grand contemplatif du mystère du Christ, disciple docile du Pape et du Magistère, un érudit dirais-je, mais pas par passion de l'érudition mais par souci d'un meilleur exercice de son ministère sacerdotal. Quelle merveille si les Directeurs salésiens en faisaient autant au service de la vérité du salut !

- Le second moyen, c'est que la Congrégation nous transmet par rapport à l'authenticité du charisme salésien qui, en un moment de changement culturel comme le nôtre, présente toute une série d'orientations concrètes.

Nos deux derniers chapitres généraux ont adapté notre Congrégation aux exigences des grandes lignes conciliaires et aux besoins de notre époque. Nous avons, de plus, les orientations données par le Recteur Majeur en conseil, par rapport aux besoins et aux nécessités de notre vocation aujourd'hui (Actes des chapitres généraux, Ratio, Manuel du Directeur, Circulaires du Recteur Majeur, lettres spéciales, etc.). Nous avons là un matériel qui, avec le patrimoine formé par les écrits de Don Bosco et de notre tradition spirituelle salésienne, constitue une véritable richesse qui peut nous éclairer dans la conduite de nos communautés.

Il y a aussi les orientations données par le Provincial et son conseil sur des problèmes encore plus concrets.

Le Directeur doit garder bien présent à l'esprit tout cela. Il doit y attacher de l'importance, non pas seulement pour une raison un peu passive d'observance (non pas que l'observance n'ait pas son importance !), mais activement ; ainsi ce ne sera pas le simple souci d'avoir fait ce qui lui est demandé qui dominera, mais bien plutôt un désir sacerdotal d'une authenticité de vie qui rendra efficace le caractère prophétique de sa vocation sacerdotale. Le Directeur doit savoir mettre en relief dans sa communauté les lumières puisées à ces sources salésiennes, afin que ses confrères et les groupes de la Famille salésienne en retirent un sens plus exact de notre temps et plus d'authenticité pour leur présence pastorale.

Déjà, en ce qui concerne ce premier aspect du ministère sacerdotal, la figure du Directeur-prêtre est une aide pour la communauté, pour mieux voir tout ce qu'il y a à faire au plan de la dimension pastorale. Par conséquent, être un animateur qui se veut prophète de la vérité salvifique, comporte bien des exigences au niveau de la formation et du dévouement. On peut faire là-dessus des recommandations de façon superficielle, matérielle presque, comme si on faisait la liste de devoirs qui, en fin de compte, ne changeront rien à rien. Mais si l'on considère ces devoirs en partant d'une vision sérieuse du sacerdoce, alors ils ont de l'effet.

Quand on entretient en soi la conviction que c'est là une manière de vivre son ministère sacerdotal, alors les choses changent ou peuvent changer. On met plus d'intérêt à ce qu'on fait, on y trouve plus de satisfaction, parce qu'on sent palpiter en soi la grâce de sa propre consécration par le sacrement de l'Ordre et qu'on sait qu'on participe au mystère du Christ. Et même, le directeur a alors conscience de faire entrer ses confrères et toutes leurs activités dans ce mystère, de les y faire vivre, encourageant ainsi et fortifiant la vocation spécifique de chacun.

Voulez-vous que je vous dise un peu ce que je pense ?

Parfois, quand je voyage à travers la Congrégation, j'ai l'impression que les soucis culturels et d'organisation deviennent le souci numéro un des' directeurs et des supérieurs et qu'ainsi, sans même s'en rendre compte, ils deviennent, pour ce qui touche au domaine sacerdotal, passifs, dépassés, démodés en fait de spiritualité et de pastorale, même s'ils possèdent une grande culture humaine ou technique. C'est vraiment triste qu'un prêtre ne se mette pas au courant au plan spirituel et apostolique pour son ministère !

Et la Congrégation a un besoin urgent de directeurs spirituels, de pasteurs compétents, de bons confesseurs, d'évangélisateurs infatigables. Quand je parle d'une certaine « crise du sacerdoce » dans la Congrégation, c'est à ces manques que je pense surtout. Rappelez-vous que, dans le ministère sacerdotal, le ministère de la Parole salvatrice jouit d'une forte priorité, dont le Concile a souligné l'importance pour notre époque.

Dans bien des sociétés d'aujourd'hui, il y a un affrontement très délicat et très difficile à soutenir avec les idéologies diverses issues de la culture matérialiste. Comme me disait le Cardinal Garrone : quand on regarde la télévision, quand on écoute la radio et que l'on suit les moyens de communication sociale, on ne sait plus où est notre place de prêtre. Alors notre fonction sacerdotale s'identifie avec un secteur quelconque de la promotion humaine ou bien elle apparaît comme un vestige d'une époque dépassée, un objet de musée.

Or au contraire, le prêtre a reçu en héritage une mission pastorale parfaitement actuelle, même si son originalité n'est perceptible que pour ceux qui croient dans le « mystère » du Christ et de l'Eglise.

Le prêtre exerce le « métier » de sauveur. Or aujourd'hui, y a-t-il des gens qui n'éprouvent pas le besoin d'être sauvés ?

Mais la manière de penser, les convictions, le vent de l'opinion publique n'attachent guère d'importance à cette fonction. Il nous faut savoir aller à contre-courant, ne pas nous laisser prendre par les idées superficielles d'un monde sécularisé ; sinon, nous ferons insensiblement mourir le prêtre en nous !

Aller à contre-courant ne veut pas dire être polémiques, mais avoir des convictions bien claires dans notre esprit et les faire passer dans notre vie. S'il y a un moment de l'histoire où il est urgent de revaloriser le sacerdoce, c'est bien le nôtre, surtout si l'on pense que tant de régions sont menacées de perdre toute une richesse de traditions chrétiennes.

Qu'est-il donc arrivé ces dernières années ? J'appliquerais volontiers à la douloureuse situation de bien des pays chrétiens la célèbre image du paysan qui se fait citadin ! Le petit paysan à la ville, qui est ébloui la première fois qu'il voit les vitrines, les rues, les lumières artificielles et la technique ; il pense que toutes les choses de la campagne sont d'un autre âge ; il se trouve dans une sorte de complexe d'infériorité ; il se met à douter des grandes valeurs qui avaient éclairé et soutenu sa vie, et, petit à petit, il va les perdre. Les lampes au néon lui cachent les étoiles ! Il ne reste plus que l'espoir qu’il s’aperçoit bien vite de son erreur.

Dans de nombreux pays, on est passé d'une culture paysanne à notre actuelle civilisation technique et pluraliste de la société de consommation. Toute l'opinion publique est devenue un peu ce « paysan en ville ». Les grandes valeurs de l'Evangile, qui ont été vécues pendant des siècles, son rejetées.

Il nous faut donc avoir une claire conscience de l'urgence d'une évangélisation nouvelle et nous sentir appelés, justement en tant que prêtres, à mettre en route une vaste action pastorale pour les jeunes qui les oriente vers la construction d'une société nouvelle.

Il est urgent de nous livrer à une contestation prophétique à travers nos convictions, notre souci d'approfondir, de jauger, de développer chez les jeunes leur capacité de critique devant ce qu'ils voient, ce qu'ils entendent, et surtout par notre souci de leur faire connaître objectivement l'histoire et le mystère du Christ.

Voyez-vous maintenant combien on a besoin du sacerdoce à l'heure actuelle ?

Considérons nos œuvres et, plutôt que de perdre notre temps à analyser la crise du sacerdoce qui peut y sévir, prenons les mesures qui s'imposent et mettons-y toute notre énergie. Dans son premier discours après son élection, le Pape a proclamé depuis la place Saint-Pierre qu'il fallait ouvrir les portes au Christ : « N'ayez pas peur, vous, hommes du monde de la culture, de la politique, de l'économie ! ». Le Christ ne prend la place de personne, mais sans lui, rien de bon ne se fera.

Or justement, à notre petit niveau, le Directeur doit savoir être le premier et le plus attentif à se vouloir prophète du message salvifique de Jésus Christ.


Maître et guide de sanctification.


Le ministère sacerdotal a un second aspect : celui de faire de nous des administrateurs de l'énergie vitale de la grâce et des pédagogues pour la sanctification.

C'est avant tout au Directeur qu'il appartient de dispenser chaque jour la grâce du Christ à sa communauté et aux jeunes. C'est à lui que revient la responsabilité première de la formation permanente, vue comme une croissance incessante de chacun dans sa vocation à la sainteté. Il doit, en particulier, savoir percer la carapace du quotidien pour exploiter les mines d'or que représente la grâce du Christ.

Les sources de l'énergie de la Résurrection qui enrichissent la vie et lui donne son dynamisme sont essentiellement au nombre de deux : l'Eucharistie et la Pénitence.

Chers Directeurs, dans vos maisons, il faut que ces deux sources de grâce fonctionnent bien ! Et je le répète, non pas pour exécuter une loi (il ne s'agit pas ici d'un souci de conduite extérieure !) mais par conviction profonde, à cause de la vie spirituelle. Aucun d'entre nous ne peut grandir dans la vie chrétienne et dans sa vocation salésienne sans la grâce du Christ. Quand on parle de « grâce », il s'agit de cette sève vitale qui ne vient pas de nous ni d'aucune valeur humaine, aussi grande et noble soit-elle, mais qui procède uniquement de Lui ; cette grâce qui jaillit de Lui en particulier à travers les deux intermédiaires sacramentaux que sont l'Eucharistie et la Pénitence. Dans la vie de tous les jours, après l'effusion de grâce du Baptême et de la Confirmation (et, pour les prêtres, de sacrement de l'Ordre), ce sont ces deux sacrements qui constituent l'objet principal du ministère sacerdotal.

C'est également là que se trouve la base du Système Préventif : l'Eucharistie et la Pénitence, renouvelées dans leur célébration selon l'ecclésiologie de Vatican II, doivent redevenir l'âme et le moteur de la vie communautaire et pastorale de nos maisons.

- En premier lieu, le Directeur doit faire une place toute spéciale au sacrement de l'Eucharistie.

Que signifie donc la célébration de ce sacrement ?

L'Eucharistie rassemble tout ce qu'il y a d'amour et de grâce en chacun de nous et en fait une participation personnelle de la vie et de l'activité de chacun à la Pâque du Christ. C'est l'exercice du sacerdoce baptismal de tous les membres de la communauté ; c’est l’offrande de la propre existence concrète (mon corps et mon sang !) comme « hostie pure et agréable », en solidarité avec le Christ victime.

L'Eucharistie ne saurait donc être réduite et limitée au moment de sa célébration sacramentelle. C'est toute notre vie qui est centrée sur l'Eucharistie, convaincus que nous sommes qu'en elle, tout ce que nous sommes et ce que nous faisons est rassemblé et offert à Dieu : notre sensibilité, nos peines, notre travail, nos difficultés, nos succès et nos échecs.

On voit tout de suite que le directeur a devant lui tout un travail de réflexion à faire pour que le ministère liturgique de son sacerdoce produise tous ses fruits chaque jour. J'ai malheureusement vu, parfois, que l'Eucharistie n'était plus le cœur de la vie de la maison et que, par conséquent, elle ne représentait plus, au niveau pédagogique, le sommet et la source de la vie quo tienne de la communauté.

Le Pape a dit aux membres de la SCRIS qu'il ne pouvait concevoir une communauté religieuse dont toute la vie ne serait pas organisée autour du tabernacle !

Vous voyez, un Directeur qui a vraiment le souci de mettre l'Eucharistie au centre de toute sa maison, qui y mettra tous ses soins et insistera là-dessus avec intelligence, verra le niveau spirituel de sa communauté s'élever en peu de temps et son activité apostolique répondre mieux aux besoins.

Essayez d'avoir dans vos maisons une belle chapelle pour la communauté ! Elle devrait être vraiment le cœur de la maison : il faudrait que tout converge là et qu'ainsi la communion entre les confrères forme une petite mais véritable « église domestique ».

Recyclez-vous au plan de vos connaissances liturgiques et faites en sorte que, dans vos célébrations, on sente le sacré. Nous qui sommes aussi des pédagogues, il nous faut savoir apprécier, respecter, donner toute leur valeur aux différents éléments symboliques, depuis le vêtement jusqu'aux gestes, à la proclamation de la parole de Dieu, à une créativité sobre et intelligente, au temps.

Au cours de l'assemblée plénière de la SCRIS dont je vous ai parlé plus haut, quatre supérieures générales furent invitées à prendre la parole. L'une d'elles s'est plainte du désastre provoqué dans certaines communautés de religieuses par des prêtres qui, en fait de liturgie, font ce qui leur chante, même les choses les plus extravagantes. Elle demandait avec insistance que l'on intervienne efficacement pour faire disparaître ce genre d'abus qui font tant de mal.

Quand on cède à ce courant, bien peu pédagogique, qui tend à aplatir nos célébrations, on perd le sens précieux du sacré, la perception de la profondeur du mystère s'émousse et on peut en arriver à des choses incroyables. Ce n'est pas nécessaire que je vous donne des exemples.

Par conséquent, essayer, dans chaque maison, de faire en sorte que l'Eucharistie soit l'expression de notre vie, qu'elle soit l'offrande de nous-mêmes à Dieu pour toute la journée, c'est faire un service sacerdotal de sanctification et cela exige une générosité attentive et constante.

- Le Directeur doit aussi savoir donner toute sa valeur à la Pénitence. Les psychologues et les sociologues nous apprennent aujourd'hui à comprendre plus profondément et plus objectivement la personne humaine et les structures d'une vie commune. Il est intéressant de voir le développement de la capacité de critique ; c'est un progrès en maturité, une croissance vers l'objectivité, même si cette critique n'est pas toujours impartiale ni exacte. Or la célébration du sacrement de Pénitence est un moment indispensable de prise de conscience au niveau si profond et délicat de la personnalité humaine qui est ce qu'il y a de plus fondamental. Avant l'échelon psychologique et sociologique, comme premier creuset où se forgent le bien et le mal, il y a le sanctuaire de la liberté de chacun. Non pas parce qu'il n'y aurait pas de structures injustes à changer. Bien sûr qu'il y en a, et pas qu'une. Mais parce qu'en tant que chrétiens, nous sommes convaincus que c'est dans le cœur de l'homme que se tient la racine dernière de tout mal, le péché.

Il est donc indispensable d'exercer dans chaque communauté une sainte autocritique pour découvrir les vraies carences et la cause des déviations. Notre ministère de sanctification doit aider nos confrères (et les jeunes) à comprendre que le péché existe, que c'est le péché qui a causé la mort du Christ, que c'est le péché qui ruine la vraie vie, et qu'il faut savoir le combattre.

A l'aube de notre Famille religieuse, nous entendons un garçon, un saint, affirmé : « Mourir plutôt que le péché ! ».

Un Directeur doit savoir développer tout ce qui aide à devenir capable d'une autocritique évangélique : dans les entretiens personnels, les réunions communautaires, les moments de révision de vie en ambiance fraternelle et familiale à la lumière de l'Evangile ; surtout à l'occasion des Exercices de la bonne mort, des retraites trimestrielles, des retraites annuelles. C'est une vraie grâce que d'avoir chaque mois, tous les trois mois, chaque année, un échange sincère de ce genre, fait dans l'humilité, où l'on voit les manquements extérieurs de chacun et les défauts communautaires par rapport à la vie de consécration salésienne et au travail d'évangélisation de la jeunesse.

Peut-être ignorons-nous les exigences actuelles, peut-être manquons-nous de lucidité doctrinale sur ce plan ? Il y a en ce moment beaucoup à approfondir sur le sacrement de Réconciliation ; il est urgent de développer des initiatives dans les provinces et dans nos maisons, avec l'aide de personnes compétentes, équilibrées et au courant de ce qui peut se faire aujourd'hui, pour venir à bout d'un retard qui a pour conséquence la superficialité et l'ignorance.

Plusieurs documents du Magistère ont été publiés sur ce sujet : peut-être certains confrères ne les connaissent-ils même pas. Le directeur doit les avoir à sa disposition, les méditer et créer un climat qui favorise l'épanouissement de la grâce si indispensable du sacrement de Pénitence. La préparation du prochain Synode des Evêques qui affronte justement cet élément de la vie ecclésiale pourra être fort utile dans ce but.

Nous ne pouvons réaliser notre vocation qu'à travers une circulation constante de la grâce du Christ en nous. Le Directeur, tel que le concevait Don Bosco, était aussi un « confesseur ». C'est quand il administre le sacrement de la Réconciliation que le prêtre perçoit et développe sa « paternité » spirituelle. Aujourd'hui, le Directeur salésien ne confesse plus ses confrères. Mais s'il ne confesse plus jamais personne, il perdra le secret de sa paternité ! Il devrait essayer de confesser au moins quelques heures par semaine s'il ne peut le faire tous les jours. Et il doit confesser surtout les jeunes. Ce sera pour lui une grâce de Dieu qui l'aidera à grandir dans cette bonté de père qui est la caractéristique de sa fonction.

Voyez-vous, c'est bien différent de parler avec un confrère, de lui faire une remontrance pour un manquement qui s'est vu extérieurement, en s'engageant même peut-être sur la voie d'une correction juridique, ou de le faire après avoir entendu cette faute de sa bouche (si cela se faisait encore), dans le repentir du sacrement de pénitence. Dans ce cas, que ressentirait le directeur ? Aurait-il envie de le renvoyer ? Jamais de la vie ! Il ressentirait une affection spéciale, un souci « paternel ». Il s'orienterait plutôt vers un cheminement d'amitié, il l'aiderait à dépasser ses difficultés. Voilà la vraie paternité ! Malheureusement, si nous ne confessons jamais personne, comment notre cœur s'entraînera-t-il à la compréhension paternelle ?

Si le Directeur, comme nous venons de le dire, néglige de se consacrer de façon habituelle à l'administration du sacrement de réconciliation, il perdra, sans s'en apercevoir, sa qualité de père pour devenir plutôt un « supérieur », un « proviseur » ou un « homme d'affaires ». Et ce serait un des coups les plus graves que l'on pourrait infliger à la Congrégation. Peut-être est-ce là une des raisons profondes de la crise du sacerdoce dont Je vous parlais plus haut.

Chers Directeurs, si vous avez à côté de chez vous une église, une paroisse, le dimanche, le samedi soir et tous les jours que vous pourrez, assurez quelques heures de confessionnal. Ce n'est pas du temps perdu ; ce n'est pas abandonner la communauté. Les confrères qui vous auront peut-être critiqué parce que vous n'étiez pas dans votre bureau quand ils vous cherchaient, seront les premiers à vous en remercier. Car, peu à peu, ils se rendront compte que quelque chose change chez leur Directeur, qu'il devient davantage prêtre, davantage salésien ; ils retrouveront l'auréole de la « paternité ».

Le souci sacerdotal de mettre l'Eucharistie au centre de tout et de célébrer fréquemment la Pénitence poussera forcément un Directeur à enrichir sa communauté d'une formation permanente adaptée. Il se sentira spontanément appelé à aider ses confrères dans la voie de la perfection, à développer la Famille Salésienne, à promouvoir les vocations. Il comprendra facilement pourquoi sa maison doit devenir une « communauté formatrice » et s'évertuera à chercher et trouver les moyens indispensables pour cela.

Et il s'apercevra que sa fonction de Directeur entraîne, en elle-même, un gros travail, bien délicat et pas toujours visible à l'œil critique de l'inévitable empêcheur de danser en rond, mais bien réel et nécessaire ; et ainsi, au lieu d'être tenté de toucher à tout, il se consacrera à temps plein à remplir son rôle de prêtre au profit de la croissance salésienne de sa communauté.


Artisan de la communion ecclésiale.


La troisième dimension du ministère sacerdotal du Directeur est le souci de la communion et de la collaboration pastorale. Ici, il y aurait beaucoup de choses à voir. Je ne voudrais insister que sur deux objectifs : l'insertion dans l'Eglise locale et l'animation de la Famille Salésienne.

- Le premier point consiste dans l'incorporation de la Communauté et de son travail dans la pastorale d'ensemble de l'Eglise locale ; il s'agit donc de s'occuper des relations avec l'évêque, avec les prêtres, avec leurs autres religieux, avec les laïcs engagés.

Autrefois on disait que le meilleur Directeur était celui qui ne sortait jamais ; aujourd'hui, le meilleur Directeur n'est certainement pas celui qui n'est jamais chez lui mais ce n'est pas non plus celui qui ne sort jamais. Un Directeur doit savoir sortir pour entretenir ces relations ecclésiales de coordination pastorale. Et puis il est important d'être présent au niveau civil, social, culturel, étant donné le genre de travail qui nous est propre.

Vous voyez bien que ce n'est plus maintenant une seule œuvre ni même toute une congrégation, qui peuvent venir à bout des grands problèmes actuels ; mais c'est l'Eglise dans son ensemble qui, grâce à une collaboration harmonieuse entre tous, les affronte et essaie de les résoudre. Le Cardinal Poletti, à cette assemblée plénière de la SCRIS dont j'ai déjà parlé plusieurs fois, regrettait la fermeture, à Rome, d'œuvres catholiques qui étaient prises en charge par des organismes aux idéologies non chrétiennes. Si de telles œuvres mises en difficulté par des lois ou des arrêtés, ou par des initiatives régionales ou municipales, avaient été vues comme appartenant non pas à un petit Institut isolé mais à toute l'Eglise locale, prête à agir de façon solidaire et à se montrer comme un tout compact, on aurait hésité avant de prendre des mesures contre elles, et ceci non pas tant pour des raisons religieuses que par prudence politique. Imaginez un peu combien pourrait changer le problème de l'éducation si, dans tous les pays, il était considéré au plan global par tous les catholiques uni ensemble solidairement !

D'une part le souci de développer cette solidarité ecclésiale qui, avant, n'existait guère, mais qui grandit beaucoup (on peut dire que depuis Vatican II on n'en est encore qu'aux premiers pas d'un long cheminement) ; de l'autre le défi lancé par le processus de socialisation (la communion et la participation de tous à la vie de la société civile dans ses différentes institutions, pour nous en particulier dans le secteur de la culture) et la provocation des grands changements qui se vivent dans la société, exigent un vaste réseau de contacts et un souci constant d'échanges et de concertation. Par conséquent « gouverner » aujourd'hui une communauté salésienne demande d'agir en solidarité conscience à l'intérieur d'une conception nouvelle de l'Eglise et de la société.

- Le second objectif vise à cultiver la communion fraternelle et l'harmonie des vouloirs à l'intérieur de la communauté afin que celle-ci devienne le centre dynamique et animateur de toute la Famille salésienne qui est autour d'elle.

Chers Directeurs, donnez une grande importance à la Famille salésienne autour de vous. Vous vous rendrez compte que chaque groupe de la Famille a un besoin particulier de votre ministère sacerdotal. La présence salésienne n'est pas seulement réalisée par le Directeur, les confrères et les jeunes qui fréquent la maison ; il y a aussi les Filles de Marie Auxiliatrice, les Coopérateurs, les Anciens-Elèves, les Volontaires de Don Bosco, etc., qui y sont partie prenante, ainsi que toute la jeunesse et les milieux populaires auxquels s'adresse le mouvement apostolique lancé par Don Bosco.

Cet horizon élargi doit faire partie des plans de coordination du Directeur, même s'il peut charger quelqu'un d'autre des différents rôles de service et d'animation. Dans sa conscience de « pasteur salésien » d'une région précise, il doit avoir à cœur de prendre sur lui le soin d'organiser la collaboration harmonieuse de la présence salésienne, ce qui offre de plus larges possibilités pour l'évangélisation.

Don Bosco a toujours étendu le rayon de son action par la collaboration ; il ne s'est pas limité aux seuls salésiens, mais il a toujours développé la communion et la participation de tous ; c'est ainsi qu'il a donné naissance, comme découlant de son « Œuvre des patronages », à toute une Famille.

Là aussi, le souci fondamental de l'animateur ne vise pas d'abord l'organisation ; on n'est pas quitte avec un quelconque plan triennal ; mais il faut se concentrer sur une présence efficace de tout le charisme salésien qu'il s'agit d'approfondir, de promouvoir et de rajeunir au niveau de l'Eglise locale.

Pour arriver à cela, il faut un cœur et un esprit ouverts et magnanimes autant que l'étaient le cœur et l'esprit de ce prêtre que fut Don Bosco ; et cela dans un engagement concret dans l'Eglise locale : non pas nous seuls, mais nous avec tous les fils et les filles de Don Bosco.

Vous voyez donc que la Famille salésienne aussi vous interpelle, et sérieusement, au plan des initiatives et des devoirs qui font partie de votre service sacerdotal de directeurs tels que les a voulus notre Père et Fondateur.


Et je conclus.


On pourrait continuer longtemps ainsi à énumérer et étudier tous les éléments de votre service sacerdotal. J'ai essayé de réunir ici pour vous, chers Directeurs, quelques réflexions sur un sujet qui touche la conscience personnelle de chacun dans sa vie intérieure marquée par l'ordination sacerdotale. Vous les retrouverez plus développées, unies à d'autres aspects, dans le manuel : « Le Directeur salésien, un ministère d'animation et de gouvernement de la communauté locale » qui est maintenant publié et peut-être déjà entre vos mains. Les charismes du sacrement de l'Ordre dotent le service de l'autorité salésienne de rôles qui sont une richesse pour toute la communauté et pour chaque catégorie de ceux qui font partie de notre Famille.

Dans l'histoire du salut, le « ministère » sacerdotal tend à utiliser pour sa mission toutes les ressources de la personne qui a été choisie pour l'accomplir. Ce n'est pas une activité de « fonctionnaire » qui serait limitée à quelques heures de travail par jour : c'est une « consécration » à temps plein et pour toute l'existence, qui assume et transforme toute la psychologie et toutes les énergies vitales ; plus qu'une « fonction », c'est une « manière d'être ». On n'est pas prêtre seulement vingt heures par semaine. Non, car la consécration atteint les dynamismes les plus secrets de la personne.

Don Bosco demande au Directeur salésien de faire rayonner au profit de tous sa consécration au service de l'Eglise. Je pense que si cette sensibilité et cet approfondissement du ministère sacerdotal se développent dans notre Congrégation, tout le monde y gagnera : les communautés, les confrères, toute la Famille salésienne et, surtout, les nombreux bénéficiaires de notre mission.

Que ces réflexions nous aident, sur l'exemple de Don Bosco, à grandir dans l'amour du Christ, Grand-Prêtre éternel, qui vit pour toujours et intercède en faveur de la jeunesse. Nos chers confrères Coadjuteurs, en particulier, nous en seront reconnaissants, eux qui veulent voir en toute clarté dans le sacerdoce ministériel un « service » pastoral, complément indispensable de leur état de laïcs pleinement consacrés dans le charisme salésien, consécration qu'ils vivent comme une expression de leur sacerdoce de baptisés.

Nos jeunes confrères en formation, qui aspirent à une vie salésienne plus nettement évangélique et plus efficace au plan apostolique, nous en seront eux aussi reconnaissants.

Et toute notre Famille spirituelle qui demande plus d'intériorité, comme elle nous en saura gré !

Que Marie Auxiliatrice obtienne à notre Congrégation et à toute la Famille salésienne, pour un nouveau départ vers la sainteté dans tous leurs membres, le cadeau privilégié d'un ministère sacerdotal plus authentique, accompli sans relâche et dans l'humilité !

Cordialement à vous dans le Seigneur.

1 Cf. Actes Chapitre général 21, n. 61d.

2 Cf. Actes du Conseil Supérieur n. 303.

3 Cf. ibid. n. 295.

4 Cf. ibid. n. 304.

5 Constitutions 35.

6 Cf. Actes Chapitre général 21, n. 448-450.

7 Cf. Actes du Conseil Supérieur n. 298.

8 Cf. Presbyterorum ordinis 8.