301-350|fr|304 La Famille Salésienne

LA FAMILLE SALÉSIENNE



LA FAMILLE SALESIENNE. - Introduction. - Un héritage précieux qui requiert la fidélité. - La dimension ecclésiale de notre Fondateur. - Don Bosco, fondateur d'une « Famille spirituelle ». - La force unificatrice de son « charisme ». - Nouveau départ donné par le Chapitre. - « En avant », « tous ensemble » ! - Problèmes et perspectives. - Conclusion.



Rome, le 24 février 1982


Chers Confrères,

Le Carême commence aujourd'hui. Nous allons préparer à célébrer le mystère pascal. Aimer et suivre le Christ, Ami et Sauveur des jeunes, voilà notre vocation. Chaque jour, dans l'Eucharistie, le Seigneur nous pousse à renouveler notre don joyeux et à mettre toute notre ingéniosité dans notre action au service de la mission parmi les jeunes des milieux populaires.

Les contacts que j'ai eus avec vous ces dernières années dans les différentes parties du monde m'ont permis de constater de plus en plus nettement l'immense demande qu'il y a partout d'une présence plus fournie et plus efficace, plus authentique et plus généreuse, de la vocation salésienne. Combien de jeunes, sur tous les continents, ont faim et soif de vérité et d'amour et cherchent, dans leur inquiétude, des amis comme Don Bosco !

Je viens tout juste de rentrer de mon troisième voyage en Afrique ; cette fois, j'ai été en Afrique occidentale. J'ai pu parler avec nos premiers missionnaires du Sénégal et des pays voisins. Dans les missions, il y a un urgent besoin d'une présence salésienne complète : c'est à dire qu'il ne suffit pas qu'il y ait des confrères mais qu'il faut aussi des Filles de Marie Auxiliatrice, des Coopérateurs, des collaborateurs qui travaillent dans la ligne du projet de notre Fondateur pour les jeunes et les milieux populaires.

Les besoins et les urgences de tous ceux, innombrables, pour lesquels nous sommes faits, nous interpellent et nous montrent que la mission de Don Bosco requiert non seulement notre présence de consacrés mais aussi celle de toute la Famille Salésienne avec les différents groupes qui la composent.

En janvier, avant de partir pour Dakar, j'avais pu assister, ici, à la Maison généralice, à la Semaine de spiritualité qui avait pour thème : « Les Vocations dans la Famille salésienne ». A mon retour, j'ai pu participer directement à une rencontre de réflexion qui avait été préparée soigneusement et depuis longtemps par nos spécialistes, et qui avait pour sujet : « La Famille Salésienne » dans sa réalité historique et charismatique.1

Au terme du Chapitre Général des Filles de Marie Auxiliatrice, il m'a été donné le lire avec beaucoup de joie un article de leurs nouvelles Constitutions qui parle justement de ce sujet précis. Cet article se trouve au début de leurs Constitutions, dans le premier chapitre qui traite de l'identité de leur Institut. Je vous le cite : « Notre Institut est partie vivante de la Famille Salésienne, laquelle rend présents dans l'histoire, sous différentes formes, l'esprit et la mission de don Bosco et en manifeste l'incessante nouveauté. C'est le Recteur Majeur de la Société de St François de Sales qui - en tant que successeur de don Bosco en est l'animateur et en assure l'unité. A l'intérieur de la Famille Salésienne, nous participons à l'héritage spirituel de notre Fondateur et nous apportons, comme toujours depuis Mornèse, l'originalité de notre vocation ».2

En outre, après mes lettres aux Volontaires de don Bosco3 et aux Filles de Marie Auxiliatrice,4 maintenant que le Recteur Majeur est considéré par tous - en tant que successeur de don Bosco - comme celui qui assure l'unité et l'animation de notre communion réciproque et que le point a été fait sur l'activité du Conseiller pour la Famille Salésienne, au bout de la quatrième année de son institution, il m'a semblé bon de réfléchir avec vous sur ce thème de la Famille Salésienne. Tout cela, joint au désir exprimé déjà plusieurs fois par ce Conseiller, don Giovanni Rainieri, de consacrer une circulaire à rappeler aux confrères combien il est important et urgent de prendre davantage conscience de nos responsabilités en ce domaine et d'y être compétents, m'entraîne à vous inviter à méditer sur ce sujet si actuel et si riche de notre commune vocation.

Nous parlerons évidemment de la Famille Salésienne à partir de ce que dit l'article 5 de nos Constitutions et le texte qui lui correspond dans les Actes du Chapitre Général Spécial.5

Faites-en l'objet de votre méditation, de vos échanges communautaires et de votre prière.


Un héritage précieux qui requiert la fidélité.


La « Famille Salésienne » de don Bosco est un fait ecclésial.

Il s'agit d'une participation à l'esprit de don Bosco et à sa mission et des liens qui en découlent entre les différents groupes affiliés : les Salésiens, les Filles de Marie Auxiliatrice, les Coopérateurs et les autres groupes qui se sont formés par la suite.

Nous formons, tous ensemble, dans l'Eglise, comme une sorte d'« ethnie spirituelle ». Cette communion « est née à partir de tout un donné historique. Don Bosco, pour réaliser sa vocation pour le salut de la jeunesse pauvre et abandonnée a cherché à unir largement les forces apostoliques dans la structure unitaire mais variées d'une ' Famille ' ».6

Cette Famille a fait ses preuves au long d'une expérience vécue en commun depuis plus d'un siècle.

Après le Concile, le travail de réflexion et de renouveau qui avaient été demandé, en vue de mettre en lumière l'identité des différents charismes du Peuple de Dieu et de relancer leur actualité, a suscité un effort renouvelé pour promouvoir, parmi ceux qui partagent un même charisme, une prise de conscience plus nette, une union plus forte et une plus étroite collaboration.

Quand on parle de la « Famille Salésienne », on ne se livre donc à aucune innovation utopiste ; il s'agit là d'un donné bien concret, d'un fait d'ordre spirituel, qui comporte sa propre dimension historique et dont l'existence concrète nous interpelle sérieusement dans notre fidélité à don Bosco et à notre temps.

« La Famille Salésienne - nous dit le Chapitre Général Spécial - est une réalité d'Eglise ; elle est le signe et le témoignage de la vocation de ses membres à une mission particulière, dans l'esprit de don Bosco ;

la Famille Salésienne manifeste - analogiquement avec ce que l'Eglise a dit d'elle-même - la communion entre les différents ministères au service du Peuple de Dieu ; elle intègre les vocations personnelles, montrant ainsi toute la richesse du charisme de son Fondateur ;

la Famille Salésienne cultive une spiritualité originale d'ordre charismatique qui est une richesse pour tout le Corps de l'Eglise ; cette spiritualité engendre en effet un type de pédagogie chrétienne qui lui est propre ».7

Peut-être y a-t-il encore parmi nous des confrères qui ne se sont pas vraiment donné la peine d'étudier avec lucidité et objectivité le processus historique providentiel qui a fait de don Bosco un « fondateur » dans l'Eglise et qui, par conséquent, a donné à la Famille Salésienne qu'il avait fait naître toute sa dimension ecclésiale. Il nous faut percevoir davantage toute l'ampleur de la paternité de don Bosco et de la dimension apostolique de son charisme ; il faut que nous sachions l'honorer et reconnaître en lui l'un des grands Fondateurs qui ont surgi dans l'Eglise.

Notre Père s'est senti revêtu d'une grande mission pour la jeunesse, d'une mission qui lui venait d'En-haut ; il a eu une nette conscience d'avoir été appelé, dans ce but, à devenir « fondateur », pas seulement d'un Institut religieux mais de tout un mouvement spirituel et apostolique aux vastes proportions. La largeur d'horizon de son projet de fondation lui venait d'une impulsion supérieure, ainsi que de l'ampleur et de la complexité des besoins de ceux pour lesquels il avait reçu cette vocation.

Il a senti qu'il était appelé à faire naître une œuvre particulière de salut qui devait se traduire en un « projet d'action » vaste et concret qui intéresserait toutes les forces disponibles, Il disait : « Autrefois, cela pouvait suffire de s'unir ensemble dans la prière ; mais aujourd'hui, où les moyens pour pervertir sont si nombreux, surtout pour pervertir les jeunes, garçons et filles, il est nécessaire de s'unir au niveau de l'action et d'œuvrer ensemble ».8 « Nous avons en train, - disait-il à une autre occasion - toute une série de projets qui, pour le monde, pourraient sembler des contes de fées ou des histoires de fous ; mais à peine prennent-ils forme que Dieu les bénit de façon telle que tout marche à merveille. Raison de plus pour prier, pour rendre grâces, pour espérer et pour veiller ».9

Don Bosco a eu des vues très larges et a été audacieux ; il a mis au service de sa singulière vocation tous les dons d'intelligence, de créativité et de courage dont il avait été comblé ; il a été aussi poussé de l'avant par de nombreux dons et motions de l'Esprit du Seigneur.

« D'une part, il semble à certains moments convaincu d'être revêtu d'une sorte d'investiture universelle pour toute la jeunesse abandonnée, d'autre part il est bien conscient que le problème des jeunes dépasse de beaucoup le cadre de ses œuvres ; que c'est du ressort des responsabilités spécifiques de l'Eglise et de la société civile. Dans les deux cas, il adresse son appel à s'occuper des jeunes à des personnes qui ne font pas officiellement partie de ses institutions, qui œuvrent dans leurs paroisses, dans leurs villes, dans leurs villages, dans leurs familles ».10

Or si nous pensons qu'à notre époque le problème des masses de jeunes livrés à eux-mêmes « est une réalité qui atteint aujourd'hui des dimensions pour ainsi dire sans commune mesure avec celles du temps de Don Bosco », il nous apparaîtra comme encore plus urgent et nécessaire d'élargir nos façons d'interpréter et développer la Vocation salésienne.

Déjà notre Chapitre Général Spécial avait vu dans le thème de la Famille Salésienne l'une des bases de notre renouveau : « Les Salésiens - est-il dit dans le document 1, n. 151 - ne peuvent repenser leur vocation dans son ensemble dans l'Eglise sans penser à ceux qui, avec eux, sont porteurs de la volonté de leur Fondateur. C'est pourquoi nous devons rechercher une plus grande ' unité entre tous, tout en respectant les différences authentiques de chacun ' ».11

C'est là une « vérité » sur laquelle il nous faut réfléchir sérieusement : notre vocation salésienne dans sa totalité concrète nous fait partie prenante d'une « expérience de l'Esprit Saint » vécue et partagée par beaucoup d'autres ; nous devons nous faire profiter mutuellement de nos richesses12 et remplir notre rôle en prenant davantage conscience de l'ensemble que nous formons.13 Chaque confrère doit considérer que sa profession religieuse l'incorpore en même temps à la Congrégation et à la Famille Salésienne qui lui offre toute une série de provocations à la sainteté et de vastes perspectives de collaboration apostolique. Il voit s'ouvrir devant lui, à travers elle, la possibilité d'un champ d'action qui pourrait presque sembler présomptueux et d'un rôle ecclésial et civil de premier plan.

C'est pourquoi, chers confrères, il nous faut regarder la « Famille Salésienne » comme une réalité objective, riche de promesses ; elle a sa propre dimension, qu'il faut connaître et aimer ; ses exigences multiples nous feront progresser dans notre fidélité à don Bosco.


La dimension ecclésiale de notre fondateur.


Pour mieux comprendre la densité et la richesse de l'héritage vivant que nous avons reçu de don Bosco, et pour mieux préciser les responsabilités qui en découlent pour nous, il est bon de réfléchir un peu sur la dimension ecclésiale que revêt, par don de Dieu, un Fondateur.

Nous nous sommes peut-être habitués à voir don Bosco comme une sorte de « propriété privée » de notre Congrégation, si bien que nous ne nous apercevons même plus que nous manipulons sa figure, que nous réduisons sa fonction et sa transcendance historique. Assurément, nous avons un sens particulier pour nous approcher de lui, par une sorte de « connaissance par connaturalité » qui nous aide à le comprendre à fond de façon plus juste et plus objective, mais ce sens devrait nous inciter à le voir dans sa « dimension ecclésiale » sans opérer des restrictions qui estompent les perspectives. Un Fondateur est porteur d'un charisme précis pour tout le Peuple de Dieu ; l'Eglise prend conscience de ce charisme, elle s'en réjouit, se trouve enrichie par cet apport spirituel et apostolique, elle en bénit les valeurs, elle développe et soutient le caractère propre de ce charisme, exige que soit sauvegardée son identité et fait en sorte que soit protégée son intégrité.14

Les Fondateurs, comme nous l'a rappelé Paul VI, sont « suscités par Dieu dans l'Eglise » ; c'est pour cela que leurs disciples ont l'obligation de demeurer fidèles « à leur projet évangélique ».15

Un Fondateur est un vrai « point de référence ecclésial » qu'il ne faut pas diminuer en le voyant uniquement sous l'angle de sa famille spirituelle qui est, sans aucun doute, pleine de bonnes intentions mais peut-être aussi un peu scrupuleuse et même étroite et qui risque d'en altérer les traits et de mutiler sa mission historique objective.

Le Concile parle des Fondateurs comme d'une manifestation spécifique de la réalité vitale de l'Eglise.16 Malheureusement, la théologie n'a pas encore étudié de façon satisfaisante leur importance spécifique en tant que manifestation d'ecclésialité. La fonction historique d'un Fondateur fait partie du mystère même de l'Eglise à travers son vécu historique : c'est en Elle et pour Elle qu'il a été suscité comme une manifestation caractéristique de sa « vie et de sa sainteté ».17

Chaque Fondateur a, dans l'Eglise, une façon d'être unique, en tant qu'initiateur et modèle.

Justement, l'année dernière, dans ma lettre aux Filles de Marie Auxiliatrice, j'indiquais trois aspects de ce côté unique chez notre Père.

« - Avant tout, une originalité particulière : Don Bosco, pour réaliser sa vocation, ne trouve pas d'autre voie que celle de fondateur ; il se voit, pour ainsi dire, forcé d'ouvrir un cheminement inédit de sanctification et d'apostolat, c'est à dire qu'il se livre à une relecture de l'Evangile et du mystère du Christ à travers une grille personnelle qui lui est propre et qui est particulièrement sensible aux signes des temps. Cette originalité comporte essentiellement une « nouvelle synthèse », équilibrée, structurée et qui organise, à sa manière, les éléments habituels de la sainteté chrétienne, c'est à dire que les vertus et les moyens de sanctification y ont leur place particulière selon un dosage, une symétrie et une beauté qui leur sont propres.

- En outre, une forme extraordinaire de sainteté. Il est difficile de la mesurer, mais on ne peut la comparer à la sainteté d'un saint canonisé qui ne serait pas un fondateur (par ex. à celle d'un saint Joseph Cafasso). Cette façon de sortir de l'ordinaire, qui est aussi porteuse d'une nouveauté d'avant-garde, attire vers la personne du fondateur, en fait un point de ralliement ou de contradiction, un 'patriarche' et un ' prophète ' ; il n'est jamais un solitaire mais bien un catalyseur et un messager de l'avenir.

- Enfin, un dynamisme générateur de postérité spirituelle : Si l'expérience d'Esprit Saint n'est pas transmise, reçue et ensuite vécue, conservée, approfondie et développée par les disciples directs du fondateur et par ceux qui les suivent, il n'y a pas charisme de fondation. Cette remarque est fondamentale : don Bosco a eu des dons très personnels qui l'ont accompagné jusqu'à sa mort et qui ont fait de lui, par disposition divine, un centre fructueux d'attraction et de rayonnement, un ' géant de l'esprit ' (Pie XI) qui a laissé derrière lui en héritage un riche patrimoine spirituel bien défini ».18

Ces caractéristiques de don Bosco fondateur se sont traduites, sur le plan des faits et de la réalité effective, par l'élaboration de son plan d'action global, « unitaire dans sa substance et avec des spécificités propres auxquelles on peut rattacher toute la diversité de ses intentions et de ses activités au cours de son existence si dynamique ».19

Avec son plan d'action, notre Père a donné à l'Eglise une méthode éducative vraiment géniale qui est à l'origine d'une critériologie pédagogique et pastorale largement partagée, car elle répond aux exigences de la jeunesse et des milieux populaires ; elle a déjà porté des fruits de sainteté parmi ceux qui sont les destinataires de son « Système préventif » ou parmi ceux qui en sont les artisans.

Au plan des artisans de ce système, le projet global de don Bosco s'organise autour d'une association complexe, réunissant de nombreux collaborateurs différenciés : c'est une « Famille » qui évangélise la jeunesse par le Système préventif.

Si donc nous voulons être vraiment fidèles à Don Bosco, fondateur, il faut que nous sachions le regarder « ecclésialement » !


Don Bosco, fondateur d'une « Famille spirituelle ».


A la base de tout, il y avait, dans le cœur de don Bosco, une charité pastorale, avec une prédilection pour les jeunes. La première étincelle de la vocation salésienne, c'est l'amour : un amour intense, bien précis et apostolique, œuvrant, de par ses racines historiques, parmi la jeunesse pauvre et abandonnée.

C'est là, dans ce cœur de prêtre, que se trouve la source première et toute limpide de la Famille Salésienne toute entière.

Il s'agit d'une passion surnaturelle qui insère la personne toute entière dans le mystère du Dieu Sauveur ; une charité qui trouve se réalisation dans le fait de suivre le Christ de façon radicale, en le contemplant dans son désir de sauver la jeunesse, surtout la jeunesse des milieux plus simples et plus pauvres. Quand on regarde don Bosco fondateur, on découvre la source et le point de départ de ce qui caractérise le charisme salésien : c'est un amour de charité qui souligne, dans ses deux pôles inséparables (le Père et le prochain), la dimension de don total de soi à Dieu dans une mission au service des jeunes.

Au niveau historique, don Bosco a concrétisé les éléments dynamiques contenus dans cette étincelle première dans « l'Œuvre des patronages ». Pour lui, patronage - « l'Oratoire » - correspondait, au fond, à ce que nous appelons aujourd'hui la « pastorale des jeunes » ; une pastorale qui se fait, avec réalisme, au niveau d'une éducation évangélisatrice de la jeunesse désorientée et marginalisée par une société qui explose sous le coup des changements structurels et culturels rapides.

Au départ, il y avait donc un animateur de patronage ; un prêtre de l'Eglise locale de Turin, habité par une irrésistible passion apostolique pour les garçons pauvres et abandonnés. Une telle ardeur apostolique ne peut s'expliquer sans une initiative du Christ Sauveur et de la sollicitude maternelle de Marie, les deux Ressuscités qui conduisent l'histoire du salut. Et la réalisation concrète s'est faite selon les orientations données par le Pape Pie IX qui soutint don Bosco dans sa fondation.

L'esprit du Seigneur amène progressivement ce prêtre, largement pourvu de dons naturels, de lumières et de grâces spéciales, à saisir l'urgence et l'ampleur de la tâche qu'il lui faut mener à bien ; il lui faudra mettre tout son réalisme et son efficacité pour rassembler le plus grand nombre possible de collaborateurs, pour les former et les diriger. C'est ainsi que naquit, à Turin, 1'« Œuvre des Patronages » : des prêtres, des mères de famille, des laïcs de milieux aisés ou modestes, des jeunes et des adultes y travaillaient ; tout se faisait sous la direction et les indications de don Bosco : celui-ci cherchait des collaborateurs partout, il en voulait beaucoup, mais il désirait le voir unis.

A ce groupe permanent de collaborateurs de différents types, il donna le nom de « Congrégation de St François de Sales » ; il chercha à lui assurer une certaine stabilité ; il obtint l'approbation officielle de l'archevêque, Mgr Fransoni (1850) et fit reconnaître canoniquement cette association (1852) en précisant, en particulier, la responsabilité du Supérieur « pour conserver l'unité d'esprit, de discipline et de direction ».20

Il convient de faire quelques remarques à propos de cet embryon de « Congrégation pour la jeunesse ».

Tout d'abord, le terme de « congrégation » est employé dans son sens général et étymologique (du verbe latin « congregare »), c'est à dire au sens d'un groupe de personnes réunis pour collaborer ensemble dans un même but spirituel et apostolique ; il y avait alors, un peu partout, la Congrégation de la Doctrine chrétienne, demandée par le Concile de Trente ; il existait aussi d'autres Congrégations et Compagnies diverses pour laïcs et pour prêtres. Il est intéressant de souligner les noms par lesquels don Bosco désignait les membres de cette congrégation : les « opérateurs », les coopérateurs, les collaborateurs, les bienfaiteurs (au sens de quelqu'un qui fait du bien) ; des mots qui indiquent donc un engagement actif dans le champ apostolique. De fait, on peut se faire une idée de la qualité de ses « associés » (congregati) si l'on pense au niveau concret de 1'« Œuvre des Patronages », au style de vie chrétienne et d'activité éducative qui se vivait pratiquement au Patronage type de Valdocco.

Ensuite, l'appellation : « de St François de Sales » qui veut indiquer les caractéristiques de l'esprit dans lequel les collaborateurs vivent et travaillent parmi les jeunes : un système éducatif fait de bonté, d'indulgence et de confiance ; une façon de voir pleine de joie et d'un sain humanisme un choix apostolique de dialogue et d'amitié, une méthodologie d'éducation intégrale.21

Tout ceci n'est encore que quelque chose de « diocésain » qui devra s'épanouir peu à peu au niveau de l'Eglise universelle. Mais cela n'ira pas sans souffrances et difficultés.

A la fin de 1850 et ensuite, l'Esprit de Dieu va faire de don Bosco, lentement mais sûrement le « Fondateur » de la Famille Salésienne définitive.

Don Bosco n'a pas eu tout de suite une idée claire, bien planifiée et structurée au plan juridique, du genre de fondation qu'il était appelé à faire, de par sa propre vocation. La prise de conscience du « don » de Dieu, même chez un fondateur, est, normalement, progressive ; elle n'est pas immédiate et on n'y arrive pas tout droit. Dieu envoie des prophètes à son Eglise, mais il veut qu'ils se donnent du mal pour trouver leur chemin, que ce soit progressif. Ce dont notre Père était sûr au fond de lui-même, c'était que la Providence le menait peu à peu à être « fondateur ». Lui-même, de son côté, a eu le souci de « faire savoir que c'était Dieu qui avait lui-même conduit les choses à tout moment » ;22 c'est pourquoi il disait aux directeurs (le 2 février 1876) : « Que la Congrégation ne fasse pas un pas sans que cela ait été conseillé par un fait surnaturel ; qu'il n'y art aucun changement, perfectionnement ou agrandissement qui ne soit précédé d'un ordre du Seigneur ».23

Assez vite, au moins à partir de 1854, il vit la nécessité de constituer deux catégories de collaborateurs : « Ceux qui étaient libres de leur personne et qui en avaient la vocation, se réunirent en vie commune, habitant la maison qui a toujours été considérée comme la maison-mère et le centre de la pieuse association que le Souverain Pontife conseilla d'appeler Pieuse Société de St François de Sales, nom qu'elle porte encore aujourd'hui. Les autres, c'est à dire les externes, continuèrent de vivre dans le siècle, dans leurs familles respectives, mais ils poursuivaient leur activité dans l'Œuvre des Patronages ; ils ont conservé jusqu'à aujourd'hui le nom d'Union ou Congrégation de St François de Sales, en tant qu'animateurs ou coopérateurs ; mais ils demeuraient toujours en dépendance des membres de la Société et leur restaient unis pour travailler pour la jeunesse pauvre »24

En décembre 1859, il donna naissance et forme à ce qui allait être « l'élément central » de l'Association pour l'Œuvre des Patronages, mais « différencié du reste » ; ce serait le noyau autour duquel tout devait s'organiser, le trait d'union qui assurerait une unité sûre et stable. Dans ce but, il rédigea un Règlement ou Constitutions pour ce groupe d'« internes », mais en gardant aussi présents à l'esprit tous ses collaborateurs ; les autres devaient être des membres associés à la Pieuse Société (que ce soit au titre de « membres externes » ou en étant complètement dans le monde) et vivraient tous dans l'esprit de ce même Règlement.

Jusque là, tout ce qui existait ne regardait que la jeunesse masculine.

Mais la Province lui fit peu à peu comprendre qu'il devait faire quelque chose du même genre pour la jeunesse féminine. Sur le conseil de Pie IX, il chercha à organiser les « coopératrices » ; et, par ailleurs, la Sainte Vierge lui avait préparé magnifiquement à Mornèse, dans le diocèse d'Acqui, un groupe extraordinaire de jeunes apôtres, autour de Marie-Dominique Mazzarello et guidées par don Pestarino. C'est avec elles qu'il put fonder, en 1872, l'Institut des Filles de Marie Auxiliatrice, « associées », elle aussi, à la Pieuse Société ; leurs premières Constitutions avaient pour titre : « Règles pour les Filles de Marie Auxiliatrice, associées à la Société Salésienne ». Elles vivaient en communion d'esprit et de mission avec cette Société, sous la conduite et la direction de don Bosco et de ses fils, pour travailler parmi la jeunesse féminine comme on travaillait à Valdocco pour la jeunesse masculine.

Cette dimension « supradiocésaine » l'avait entraîné à obtenir du Saint-Siège, en 1864, le décret de louange pour sa Pieuse Société et, plus tard, le 3 avril 1874, l'approbation de ses Constitutions ; mais cela lui amena aussi de graves difficultés et l'obligea à repenser le statut de ses « membres externes ».

Il s'occupa donc de leur donner une forme juridique nouvelle, et ce fut 1'« Union des Coopérateurs Salésiens » : le 12 juillet 1876. Dans ce but, il composa pour eux un Règlement approprié dans lequel la communion par rapport à l'esprit et à la mission était soigneusement soulignée ; et il associa également les Coopérateurs à la Société Salésienne.

C'est donc bien là un donné de fait, confirmé au plan historique, que don Bosco s'est senti appelé par l'Esprit de Dieu à se consacrer sans relâche au salut de la jeunesse ; et dans ce but, il travailla à la fondation d'une importante association apostolique, véritable Famille spirituelle, composée de groupes et de catégories différents, mais intimement unie et structurée pour former un tout. Les trois groupes de base de la Famille Salésienne constitués par don Bosco lui-même sont donc les Salésiens, les Filles de Marie Auxiliatrice, les Coopérateurs et Coopératrices. Quand les anciens élèves commencèrent à se réunir autour de lui pour sa fête, il les exhorta à devenir des apôtres actifs et à se faire Coopérateurs.25

Après la mort de notre Père (1888) on se trouva dans une douloureuse impasse à propos du côté juridique de l'affiliation des Filles de Marie Auxiliatrice à la Pieuse Société. Un décret du Saint Siège, « Normae secundum quas », en 1901, exigeait la séparation juridique des Instituts féminins à vœux simples des Congrégations masculines correspondantes. La séparation fut douloureuse mais elle ne diminua en rien l'esprit de fraternité et de collaboration entre l'Institut des Filles de Marie Auxiliatrice et la Congrégation Salésienne.

Ce n'est qu'en 1917, grâce au Cardinal Cagliero, que l'on obtint une forme provisoire d'union juridique nouvelle qui trouva une formule plus stable avec le décret du 24 avril 1940 qui nommait notre Recteur Majeur « Délégué Apostolique » pour l'Institut des Filles de Marie Auxiliatrice.

Ces épisodes assez douloureux, tout d'abord à propos de l'affiliation des « membres externes », ensuite à propos de celle des Filles de Marie Auxiliatrice à la Pieuse Société, ont servi, dans la pratique, à ne pas mélanger certaines structures ecclésiastiques d'union, qui sont variables et qu'il faut adapter aux époques, avec le principal qui est le charisme en faveur des jeunes et des milieux populaires auquel tous ces différents groupes se rattachent. La communauté d'intention et la coresponsabilité, en fait, ne diminuèrent pas ; aujourd'hui, après Vatican II, elles ont repris avec une nouvelle vigueur et une plus grande lucidité.

Par la suite, l'Esprit de Dieu a enrichi la Famille Salésienne d'autres groupes ; il les a suscités à partir de la vitalité salésienne pour répondre à de nouvelles exigences et de nouvelles situations. Il s'agit toujours, évidemment, de groupes qui « participent à la mission » et non pas de ceux à qui s'adresse l'œuvre salésienne.

Ainsi, rappelons seulement quelques-uns des groupes qui ont pris naissance dans la Famille :

- l'Association des Anciens Elèves, « au titre de l'éducation reçue » ;

- les Volontaires de don Bosco, fondées par don Philippe Rinaldi à Turin, avec le concours de Salésiens, de Filles de Marie Auxiliatrice, de Coopérateurs et d'Anciennes Elèves (don Rinaldi se disait convaincu de réaliser ainsi le projet de don Bosco sur les « membres externes » : créer un canal particulièrement efficace pour faire pénétrer son esprit dans le monde) ;

- les Filles des Saints Cœurs de Jésus et de Marie, fondées par don Louis Variara en Colombie ;

- les Sœurs de la Charité de Miyazaki, fondées par Mgr Vincent Cimatti et don Antoine Cavoli au Japon ;

- les Salésiennes Oblates du Sacré-Cœur, fondées pas Mgr Joseph Cognata en Calabre, etc.26

Chacun de ces groupes, surtout les trois premiers, constitués par don Bosco lui-même comme base et centre vital de son Œuvre, ne peuvent être considérés, au plan historique, comme faisant un tout par eux-mêmes et séparés ; ils sont nés et ont vécu à travers un échange mutuel constant de leurs valeurs spirituelles et apostoliques, se faisant ainsi bénéficier mutuellement d'énormes avantages. C'est à eux tous, « ensemble », comme s'ils ne formaient qu'une seule Famille, que le précieux héritage de don Bosco est confié.


La force unificatrice de son « charisme ».


La Famille Salésienne de don Bosco est donc quelque chose de « charismatique » : c'est à dire un don fait à l'Eglise par l'Esprit Saint et destiné à grandir et à se prolonger dans le Peuple de Dieu, au-delà des circonstances changeantes de lieu et de temps, et selon une orientation précise et durable.27

Le secret profond de sa force et de sa vitalité unifiante est dans le « charisme du fondateur » qui est une manifestation surnaturelle (« ni de la chair ni du sang » !) et créée (par conséquent existentiellement humaine) de l'Esprit Saint, le Don incréé, dans l'Eglise.

L'expression « charisme du fondateur » a pris le sens très riche d'une « expérience de l'Esprit Saint »28 singulière, féconde et, d'une certaine façon, transmissible.

Dans les textes de Vatican II, on n'avait pas encore utilisé le terme de « charisme du fondateur » ; on parlait plutôt d'« esprit du fondateur » au sens global de son originalité spirituelle et apostolique ; ou encore de son « inspiration primitive », d'une « vocation particulière », de « caractère propre », de « finalité particulière ».29 De là vient l'utilisation parfois assez large de ces différents termes pour parler du patrimoine commun.

* Pour comprendre l'originalité du charisme de don Bosco fondateur, on peut le comparer aux autres charismes de fondation qui ont donné naissance, dans l'Eglise, à des familles spirituelles : la famille augustinienne, bénédictine, franciscaine, dominicaine, carmélitaine, ignacienne, etc.

La Famille spirituelle de don Bosco, tout en faisant partie du courant de l'humanisme positif de St François de Sales, a sa modalité propre et ses caractéristiques particulières.

En ce sens, don Bosco se montre un véritable « chef de file », le maître d'une expérience charismatique originale qui est un point de repère obligatoire pour tous ceux qui, sous une impulsion spéciale de l'Esprit, se sentent appelés à partager dans l'histoire d'aujourd'hui, son destin et sa mission dans les différents états de vie, chacun à sa place et à son niveau.

Ce qui unit entre eux les différents membres d'une famille charismatique, c'est un lien vivant, commun à tous, qui engendre en chacun une sorte de consanguinité, de parenté spirituelle avec les autres, qui devient comme l'âme de leur style de vie, l'optique de leur activité et la source de leur communion réciproque.

Don Bosco, véritable génie du sens pratique et organisateur patient a travaillé avec méthode, constance et réalisme pour que son « expérience de l'Esprit Saint » (son « charisme » ou son « esprit de fondateur ») se transmette et se perpétue à travers une « communion organique » et grâce à des structures assurant la stabilité et une action concertée ; pour arriver à cela, il a dû user de son intuition, de sa réflexion, faire lui-même des expériences concrètes et s'adapter aux sollicitations et aux possibilités de son époque. Aujourd'hui, pour ne pas trahir son « charisme », il faut absolument nous situer au-delà des modalités juridico-ecclésiastiques d'associations qui, comme nous le disions, sont susceptibles de bien des changements au gré des exigences sociales et des dispositions ecclésiastiques. Mais on ne peut pas ne pas considérer comme partie intégrante de son projet de fondation son souci concret d'obtenir un organisme formant un tout, au plan de la communion et au plan de 1'action. De fait, ce souci apparaît sans cesse au cours du long processus de fondation à travers lequel il s'est efforcé d'incarner son « expérience de l'Esprit Saint ».

Mais arrêtons-nous, tout d'abord, sur la nature profonde de ce « charisme du fondateur ».

* Le point de départ et le dynamisme propulseur de ce charisme est la charité qui constitue « le don premier et le plus nécessaire »30 de la vie et de la sainteté de l'Eglise dans son mystère.

Au fond du cœur d'un fondateur, il y a la charité qui mène tout en lui : ses idéaux, ses soucis, ses projets, ses efforts et la recherche des moyens ; c'est elle qui leur donne forme, qui les guide et les amène droit au but. C'est le rayonnement de sa charité qui rassemble les gens autour de lui, qui coordonne et équilibre les différentes fonctions, les dons multiples, les divers états et ministères ; qui transcende les différences pour en faire une harmonieuse richesse d'unité.

Mais cette charité étant différente et originale chez chaque fondateur, elle se diversifie selon des caractéristiques précises qui sont propres à chacun. C'est à dire que l'énergie qui donne vie au charisme d'un fondateur est, en définitive, « un certain type de charité » qui vient de son cœur pour se répandre dans un vaste milieu homogène spirituellement.

Chaque fondateur, dans sa façon de vivre la dynamique intégrale de la charité, en privilégie certains aspects ; c'est ainsi que naissent des styles et des physionomies spirituels différents. Ainsi les fondateurs font-ils apparaître dans l'Eglise des formes particulières et originales de charité qui contribuent à manifester la richesse ineffable de son essence et qui concourent « à faire apparaître l'Eglise embellie des dons variés de ses enfants, comme une jeune mariée parée pour son époux (cf. Ap 21, 2), de sorte que, grâce à elle, se manifeste la sagesse infinie en ressources de Dieu (cf. Ep 3, 10) ».31

* Ce qui nous intéresse ici, c'est de souligner la force unifiante que comporte le type précis de charité vécu par un fondateur. Elle est riche d'une vitalité capable de réalisations, d'un charme qui attire et d'une puissance de rassemblement tels qu'elle en devient féconde au point de faire naître une véritable consanguinité, une parenté mystique. Cela ne peut pas s'identifier avec les caractéristiques spirituelles propres à une fonction ministérielle (comme le sacerdoce, le diaconat, les différents ministères) ni avec celles qui sont propres à un état de vie (comme le célibat, le mariage, le veuvage).

C'est une force divine qui pénètre l'existence dans son ensemble et qui lui donne la féconde capacité d'assumer et d'unifier les différences de caractères, de fonctions et de situations.

De même que, dans l'Eglise, 1'« Esprit Saint » (qui est la Charité « incréée ») unit, vivifie et anime tous les différents organes et fonctions du Corps du Christ, de façon analogue, même si c'est à une distance infinie, le « charisme » ou charité spécifique d'un fondateur (don « créé » du même Esprit Saint) réunit, fait grandir et oriente les personnes et les différentes valeurs qui se concentrent pour constituer une même « famille spirituelle ».

Et là se fondent dans une même communion, non seulement les tempéraments et les options différents, les qualités et les dons personnels les plus variés, mais aussi les spiritualités diverses qui accompagnent toutes les formes de situations ecclésiales, ministères ou états de vie, ou les formes différentes qui se réclament de leur appartenance fondamentale à une même famille.

En effet, « charisme » et « spiritualité » ne coïncident pas : à vivre existentiellement d'un même charisme, peuvent se retrouver en plein accord diverses « spiritualités » de type ministériel ou d'états de vie différents. C'est pourquoi dans une même « famille spirituelle », on peut trouver à la fois les spiritualités sacerdotale, laïque, religieuse (dans ses diverses modalités), conjugale ou non conjugale (comme par exemple celle des veufs), la spiritualité d'oblation ou de victime, etc.32 qui s'harmonisent mutuellement selon des proportions différentes.

* C'est pourquoi il est beau et enrichissant de se savoir membre d'une « famille spirituelle » où les bigarrures des différences contribuent à la netteté de l'identité et à la beauté de l'ensemble : non pas en confondant tout ou en nivelant les individus les uns sur les autres, mais en suscitant l'émulation de chacun pour répondre à sa propre identité.

* Or le type de charité qui donne vie au charisme de don Bosco est une charité « pastorale » caractérisée par une note particulière que nous qualifions de « salésienne ». Ceci signifie que la force unifiante de notre famille doit être recherchée dans le type d'amour sacerdotal qui a caractérisé don Bosco, amour marqué par une passion irrésistible pour l'apostolat parmi les jeunes, par sa façon de sentir, de vivre, de transmettre les valeurs de l'Evangile et de les traduire dans son plan d'action. Il avait lui-même comme synthétisé ce type de charité par une sorte de devise qui est le mot d'ordre salésien » : « Da mihi animas, coetera tolle ! ».

Et ici, chers confrères, il est bon de dissiper tout de suite une équivoque qui pourrait amener des déviations spirituelles.

Dans toute vie vraiment apostolique, la « charité pastorale » pénètre toute l'existence de la personne : avant de se traduire dans le « faire », elle est une « façon d'être » ; elle est une participation à l'amour même de Dieu, une façon de s'unir à Lui, de se donner et de se perdre soi-même pour Lui appartenir totalement et se rendre pleinement disponible pour son Royaume. La « charité pastorale » ne s'identifie pas, dans une vue superficielle, avec une tâche accomplie au bénéfice d'autrui : avant cela et plus encore, elle est un changement intrinsèque de l'existence personnelle qui fait que l'on vit en profonde union avec le Dieu Sauveur et qu'on se met à son entière disposition pour son œuvre.

Ce que je viens de dire doit être médité ! Cela va loin ; cela touche la racine même de l'esprit authentiquement apostolique. Quand on pense à cela, on saisit que le célèbre principe « agere sequitur esse » - l'agir accompagne l'être - n'aurait jamais dû être compris comme un dualisme quelconque ou comme une priorité de l'être sur l'agir. « L'action - a écrit avec perspicacité Sertillanges - n'est qu'une forme de l'être. Lorsque j'agis, je ' suis ' agent..., c'est à dire que je revêts une forme d'activité qui est, par le fait même, une forme d'être. Les conditions de mon être sont donc aussi les conditions de mon action ».33

L'activité de la « charité pastorale » n'est pas séparée ou postérieure à son être, mais elle l'accompagne, le révèle, le fait resplendir, l'accomplit, en manifeste la vérité authentique. Elle ne vient pas 'après', mais elle est 'dedans', elle est constitutive de l'identité dynamique de l'être ; elle est quelque chose d'essentiellement intérieur dans la mesure où elle est participation à l'amour de Dieu.

De la sorte, dans la profondeur d'une expérience apostolique de l'Esprit Saint, ce qu'on appelle « l'extase de l'action » (dont parle St François de Sales) devient, en définitive, une forme d'intériorité !

Comme cette réflexion est éclairante pour nous !

Elle nous fait comprendre plus clairement pourquoi la charité pastorale est le vrai « cœur » du charisme et de l'esprit de don Bosco.34 C'est de là que vient l'énergie profonde et surnaturelle qui nous réunit, nous donne notre visage propre, nous nourrit et nous donne l'enthousiasme, nous unit en communion, nous invite à nous donner nous-mêmes et à devenir des saints, nous pousse, comme un instinct spirituel, à l'action, à la créativité, au sacrifice.

* C'est de ce « cœur », de cette source première, que naissent les traits spécifiquement « salésiens » de la charité pastorale de don Bosco et qui sont les composantes de son charisme. Nous en connaissons déjà les différents éléments, mais cela vaut la peine de les rappeler encore une fois, même succinctement ; ils nous font mieux percevoir la nature de la force unifiante qui nous réunit en famille spirituelle.35

Les traits de la « communion salésienne » que partagent tous les fils et les filles de don Bosco sont les suivants :

Tout d'abord, comme source vive, l'alliance spéciale avec Dieu selon le type de charité pastorale que nous venons de décrire : union profonde avec Dieu contemplé dans sa bonté de Père, attentif à réaliser un plan de salut très miséricordieux dans sa pédagogie ; et un amour pour le prochain considéré dans ses conditions de pauvreté et de détresse et avec un regard de prédilection pour les jeunes.

Ensuite, « l'esprit salésien » comme style de pensée, de conduite, de comportements, en fait de goûts, de préférences, de priorités, de modalités propres, à travers une certaine lecture de l'Evangile.

Puis, la « mission parmi les jeunes » en tant que part spécifique que nous prenons aux tâches multiples de l'Eglise pour le salut du monde.

En outre, le « Système préventif » comme pratique concrète et originale d'action pastorale, incarnant, au milieu des jeunes, aussi bien la charité que l'esprit salésien et sa mission de salut.

Enfin, un plan d'ensemble concret, par rapport au style de vie et d'activité, susceptible d'une structuration communautaire différenciée dans les différents groupes et qui doit se traduire en une sorte de « communion organique » de toute la Famille Salésienne.

Ces composantes du « charisme de don Bosco » équipent la Famille Salésienne pour une action spécialisée ; elles la rendent « prête » pour la participation et « capable » de collaboration dans la pastorale concrète de 1'« Œuvre des Patronages ».

Par la force de son charisme, don Bosco fait l'union dans l'harmonie d'une seule famille apostolique entre le prêtre, le laïc, le célibataire, l'homme marié, le veuf et le religieux, qui témoignent chacun, à leur manière, des béatitudes. Il n'enlève à personne sa spiritualité spécifique, qu'elle soit sacerdotale, laïque ou religieuse. Le « charisme de don Bosco » est une énergie supérieure et globale, d'ordre existentiel, qui assume, ordonne et spécifie, sans les diminuer ou les altérer, les spiritualités de chaque situation et fonction et réussit même à les intensifier et à les embellir, chacune dans leur note propre.

* De même que dans la communion de l'Eglise, tous ont tout mais chacun à sa manière, ainsi dans notre Famille Salésienne tous ont tout le charisme du fondateur, mais chacun y participe et l'exprime à sa manière, selon la vocation à laquelle il est appelé et à la mesure du don reçu. La richesse de la vie d'une famille spirituelle qui naît de la force unifiante du charisme du fondateur, atteint des niveaux tels qu'il est exclu que chacun de ses membres puisse en vivre totalement tous les éléments. Bien que chacun, les réalise tous d'une manière ou d'une autre, chacun se concentre de préférence sur quelques-uns d'entre eux, pour lui-même et pour le service des autres. Unis ensemble, les membres permettent à la famille de vivre la totalité de ses valeurs au plus haut degré.

Ainsi dans la Famille Salésienne pouvons-nous partager et échanger de grandes valeurs, bien des stimulants et des témoignages qui feront que la vocation de chacun en sera mieux enracinée et plus enthousiasmante. Nous pouvons voir, en effet, par exemple, combien les groupes de consacrés soulignent la vigueur et le dynamisme de l'absolu évangélique ; que les groupes de non-consacrés manifestent la place centrale de l'histoire humaine, l'importance des valeurs temporelles et la nécessité radicale d'un rapport intime entre la vie de consécration et l'engagement pour transformer le monde.36 Chez ses membres prêtres, c'est un mode spécifique de vivre la charité pastorale dans l'exercice du ministère sacerdotal37 qui est mis en relief ; chez les autres membres, de multiples genres de vie et d'engagement de type laïc (à tous les niveaux), qui se caractérisent en particulier par une capacité de service dans la vaste et complexe mission parmi les jeunes. Dans les différents groupes, par ailleurs, sont soulignées diverses nuances spirituelles qui ne doivent manquer en aucun cœur salésien mais qui sont davantage mises en évidence ou vécues de façon plus caractéristique par l'un ou l'autre groupe, et que la Famille met à la disposition de tous.

Pensons, par exemple, sans prétendre le moins du monde être exhaustifs :

Aux Salésiens, avec leur bonté joyeuse, leur créativité pédagogique, leur inlassable effort d'animation, approfondissement du patrimoine spirituel commun et leur courage missionnaire.

Aux Filles de Marie Auxiliatrice, avec leur délicatesse et leur vision salésienne au féminin, leur souci marial de fidélité et de sacrifice, leur intuition d'épouse, de mère et de sœur, leur esprit de service et le recueillement de leur prière.

Aux Coopérateurs, avec leur réalisme par rapport au sens de la vie, leur capacité de faire rentrer le quotidien et leur profession dans l'engagement apostolique, leur présence active dans la société et dans l'histoire.

Aux Volontaires de don Bosco, avec leur approfondissement de la vie séculière, l'importance des valeurs créées, l'efficacité silencieuse de leur présence comme ferment dans la masse, leur témoignage à l'intérieur de leur milieu.

Aux Anciens Elèves, marqués fortement par l'éducation salésienne, avec la place centrale que nous donnons au secteur de la culture, notre nouveau départ pour une pédagogie actuelle et adaptée à une époque de transition, l'urgence de cultiver les valeurs spécifiques de la famille chrétienne.

A quelques autres Instituts de religieuses salésiennes, comme les Filles des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, fondée par don Variara et les Oblates du Sacré-Cœur de Mgr Cognata, avec la marque spéciale que leur donne leur spiritualité de victime et d'offrande, déjà vécue de façon éminente par don André Beltrami : elles rappellent à tous les autres membres de la Famille que l'offrande de soi-même et la patience d'une « hostie pure et acceptée de Dieu » sont indispensables pour tous dans les événements de l'existence, dans les incompréhensions, les infirmités, le repos forcé et la vieillesse.

Et également aux autres groupes, avec leurs caractéristiques spécifiques.

La force unifiante du « charisme de don Bosco » a donc fait naître une « famille spirituelle » originale, formant un tout et variée dans ses éléments ; elle constitue une sorte de « climat », d'atmosphère spirituelle où l'on respire un air d'universalité, dont personne n'est exclu, ni les différentes races et nationalités, ni le pluralisme des cultures, ni ce qui est propre à chaque continent. Chacun, avec son tempérament, avec ses dons, sa vocation de chrétien, peut s'écrier : vraiment, ici, dans cette famille spirituelle, je me sens chez moi !

On y respecte et on y encourage chaque qualité particulière, chaque spiritualité en rapport avec chaque état ecclésial et chaque ministère ; l'esprit de notre fondateur ne change rien aux différences ni ne les supprime, mais au contraire les assume et les développe pour qu'elles soient vécues avec plus de vigueur et dans le style particulier de sanctification et d'action qui forme l'unité harmonieuse d'un même type de charité.

Nous pouvons donc vraiment rendre grâces au Seigneur et à la Vierge Marie parce que, en suscitant le charisme de don Bosco, ils ont fait à l'Eglise un bien beau cadeau dont nous nous sentons, tous ensemble, qui faisons partie des différents groupes de la Famille Salésienne, les héritiers et les porteurs.


Nouveau départ donné par le chapitre.


Le Concile Vatican Il a apporté une bouffée d'air frais dans l'Eglise, laquelle a pu repenser en profondeur son mystère : elle a donné un nouveau départ à sa mission, en l'adaptant à notre époque ; elle a donné une nouvelle jeunesse à l'ensemble de la doctrine des charismes ; elle a invité les familles spirituelles à réactiver leur don propre en faisant une relecture de l'histoire de leurs origines, pour y puiser l'eau pure de leur vocation à la rénover pour qu'elle puisse répondre aux appels de notre temps.

Les chapitres généraux et les Assemblées des différents groupes de notre Famille se sont mis, depuis plusieurs années maintenant, à cette tâche délicate, en s'y préparant avec sérieux ; ils ont fait un dur travail, très bien mené. De par notre vocation et nos responsabilités de premiers-nés,38 il nous revenait à nous, les Salésiens, en premier lieu, de faire une relecture de don Bosco et d'étudier à fond le vécu commun de notre premier siècle d'existence.

Comme je l'ai déjà rappelé, deux de nos Chapitres généraux, le Chapitre spécial qui fut le 20e et le 21e, ont étudié carrément notre vocation dans le cadre de la Famille Salésienne. Le Chapitre général Spécial, au chapitre 639 de son premier document40 nous a fourni les lignes directrices et l'enseignement fondamental pour pouvoir orienter notre renouveau.

Le 21e Chapitre général a institué, dans notre Société de St François de Sales, une structure nouvelle, au service de notre Famille, le « Conseiller pour la Famille Salésienne », en ajoutant dans nos Constitutions l'article suivant : « Le Conseiller pour la Famille Salésienne a pour rôle de sensibiliser et d'animer la Congrégation par rapport à la fonction qui lui est dévolue au sein de la Famille Salésienne selon l'article 5 ».41

Par l'institution de ce Conseiller spécial, la Congrégation a rendu une nouvelle vigueur - qui doit se développer encore - au désir si typique de don Bosco de faire pénétrer le plus largement possible dans le monde l'esprit salésien, Il le réalisa par des moyens bien concrets, comme les communications sociales et, surtout, par l'union de tous ceux qui étaient engagés dans sa mission parmi les jeunes et les milieux populaires, et des sympathisants, c'est à dire justement de tous ceux qui composent la Famille Salésienne.

Il serait bon, chers confrères, de reprendre individuellement et communautairement ce 6e chapitre mentionné ci-dessus du chapitre général spécial ; il demeure toujours le texte de base pour orienter un nouveau départ dans notre Famille Salésienne.

Une méditation de ce document capitulaire permettra de saisir les deux mouvements complémentaires auxquels il faut veiller dans notre reprise : prendre une plus nette conscience, progressivement, de l'identité de chaque groupe et développer le processus de fusion et de communion grâce à une base institutionnelle quelconque d'unité.

Le premier temps suppose en chacun des groupes la capacité de préciser davantage ce qui le caractérise et qui lui est proprement original à l'intérieur de la matrice commune d'une Famille qui ne nous rend pas tous pareils mais qui fait de nous tous un ensemble harmonieux et équilibré dans un unique « esprit ». Cela permettra de mettre au point aussi bien le sentiment d'une juste autonomie42 que la nécessité d'un cadre de référence commun.43

Le second temps, lui, comporte l'urgence d'une plus grande communication et d'une plus intense collaboration ;44 il demande la reconnaissance de la part de tous, la défense et le renouvellement d'une structure de base commune, appuyé sur un statut institutionnel concret, même s'il est réduit à l'essentiel, pour assurer, servir et développer comme il convient l'unité de la communion dans un même charisme.

Dans un monde où, chaque jour, se multiplient les relations entre les hommes et où augmente, à tous les niveaux, le besoin de communication et de l'union des forces, il me semble plus urgent que jamais de lancer un appel à tous les fils et les filles de don Bosco pour que, ensemble, nous donnions un nouveau départ à la Famille Salésienne, pour que « les richesses de chaque groupe puissent devenir les richesses de tous » et, surtout, pour que notre mission commune parmi les jeunes soit plus présente partout et plus efficace : « nous serons tous plus au fait de la vérité actuelle et de l'authenticité du don qui a été fait à don Bosco, ainsi que des dons que, dans la ligne de celui-ci, l'Esprit nous donne à nous aussi ; nous saisirons mieux la vigueur et la fécondité apostolique de notre mission et nous saurons mieux quelle méthode adopter ; nous en arriverons ainsi à faire l'expérience évangélique du fait que la communication entre nous et la collaboration ' nous ' enrichissent mutuellement. Une fidélité dynamique à don Bosco dans la communion mutuelle et la collaboration élargiront le cadre de son intuition pastorale et de sa paternité ; celle-ci n'en rayonnera que davantage, car tout accroissement de fraternité, d'union et d'engagement entre ceux qui se reconnaissent pour ses " fils " en exaltera la dimension.45

Quand on regarde le chemin parcouru depuis presque vingt ans, au cours desquels on a vu se développer ce que l'on pourrait appeler « le Projet de renouveau de la Famille Salésienne », depuis la préparation du Chapitre Général Spécial jusqu'aux développements actuels, on est frappé de constater combien, de toute évidence, le Seigneur nous a assistés. En effet, ce « projet » a pris corps à partir du moment où les Salésiens se sont mis au travail pour réaliser le renouveau et l'aggiornamento demandés par le Concile Vatican II, à partir d'une étude approfondie de la volonté de notre fondateur. Dans ce contexte remonte à la mémoire, plus vivant et actuel que jamais, le souvenir des efforts de don Bosco pour unir les forces des bonnes volontés pour le bien de l'Eglise et de la société. Et il apparaît aussi que si le changement de culture et l'évolution historique ont modifié la façon de faire et changé certaines structures qui lui avaient permis de réaliser l'union entre les Salésiens, les Filles de Marie Auxiliatrice et les Coopérateurs, aujourd'hui, une ecclésiologie qui privilégie la communion, les besoins de l'évangélisation, les situations nouvelles dans lesquelles se trouvent les jeunes et les milieux populaires, ont rendu encore plus actuelle la nécessité de réaliser cette union dont les valeurs profondes sont demeurées les mêmes. C'est ainsi qu'à travers les deux sessions des chapitres provinciaux spéciaux est parvenue aux Commissions Pré-capitulaires cette proposition, suggérée par la base, c'est à dire par les confrères et par les communautés, de renouveau de la Famille Salésienne, proposition qui est devenue l'un des projets du chapitre.

Le Chapitre général spécial a discuté longuement de ce projet sous ses différents aspect ; il en est arrivé finalement, comme je le disais, à la formulation que vous connaissez tous.

Entre le Chapitre général et le 21e Chapitre général, il y a eu le phénomène de l'affiliation spontanée de plusieurs Instituts à la Famille Salésienne ; ceci était le signe que, loin de voir dans ce projet une éventuelle intrusion dans leur vie, et, dans le rôle que ce projet reconnaissait à la Congrégation, une diminution de leur autonomie, ils considéraient l'un et l'autre comme une grâce qui leur était donnée pour une plus grande fidélité à don Bosco. Et cela ne resta pas seulement platonique car leur affiliation prit officiellement corps dans leurs Constitutions et leurs Règlements tandis que se multipliaient les demandes pour être reconnus comme faisant partie de la Famille Salésienne. En même temps se multipliaient les réunions et les rencontres à tous les niveaux et naissaient des organes de liaison et de communication. Et il Y eut, un peu partout, de l'enthousiasme et une ferveur spirituelle indubitable. Il y eut bien quelques ombres qui venaient plutôt du manque de structures et de la nouveauté de la chose, mais cela fut vraiment très faible et sans comparaison avec les côtés positifs.

C'est dans ce contexte que se prépara le 21e Chapitre général dont le programme officiel ne prévoyait aucune mention de la Famille Salésienne. Ce sujet s'imposa de lui-même, tout d'abord lors- que l'on fit le point sur ce qui s'était fait dans la ligne des orientations données par le Chapitre général spécial, et ensuite en raison de la demande précise de traiter de cette question, faite par une quinzaine de Chapitres provinciaux. Il y eut un fait nouveau : les interventions de plusieurs groupes dont le Chapitre général avait reconnu l'affiliation, et qui firent entendre leurs voix ; leurs requêtes avaient un dénominateur commun : tout d'abord, ils demandaient à la Congrégation de faire en sorte de pouvoir remplir à leur égard son rôle d'animation et sa fonction pastorale et, par conséquent, de créer les instruments nécessaires pour cela. Il y eut enfin la présence et la collaboration de leurs représentants dans quelques commissions et à l'assemblée capitulaire.

Le 21e Chapitre général a donc pris certaines décisions d'une extrême importance pour la Famille Salésienne, telles que : l'institution d'un Conseiller pour animer, à échelle mondiale, la Congrégation par rapport à son rôle et pour faire l'union entre les différents groupes ; la confirmation du bien-fondé du projet du Chapitre général spécial ; Je lancement d'une pastorale des vocations pour la Famille Salésienne ; l'insertion, dans les programmes de formation, de la dimension de la « Famille Salésienne » ; une nouvelle affirmation d'un choix préférentiel pour des collaborateurs laïcs bien formés ; l'engagement pris devant tous les groupes de former de bons animateurs, engagement qui fut répété au discours de clôture du Chapitre,46 comme étant la tâche prioritaire des Provinciaux.

Au cours de ces quatre dernières années, à travers des rencontres ou des visites d'ensemble du Recteur Majeur dans les provinces des différents secteurs culturels, le sujet de la Famille Salésienne fut toujours traité comme l'une des questions essentielles de l'animation salésienne.

Nous avons la preuve que, dans la Congrégation, il n'y a plus de problèmes pour accepter la Famille Salésienne et que nous sommes tous bien convaincus de sa nécessité ; de grands pas ont également été faits dans le domaine de la réalisation. Il y a eu des initiatives communes d'étude, d'animation et de collaboration qui ont été communiquées aux autres groupes. Les grands moments de la « Famille Salésienne » se sont faits plus nombreux ; il y a eu le Centenaire des Missions Salésiennes, le Centenaire de l'Institut des Filles de Marie Auxiliatrice, le Centenaire de la mort de Sainte Marie Mazzarello, les célébrations d'anniversaires et de fêtes autour du Recteur Majeur dont la direction spirituelle est de plus en plus admise et demandée. Les efforts de collaboration se sont multipliés, au niveau de l'étude et de l'approfondissement de la vocation salésienne, de la recherche de tâches entreprises en commun, comme le « Projet-Afrique ». Tout ceci montre que les espérances les plus prometteuses pour l'avenir ne manquent pas à la Famille Salésienne, riche déjà d'un grand passé.

Nous sommes donc appelés à mettre tout notre élan et notre créativité au service d'un vrai re-départ, dans l'Eglise, de la Famille Salésienne, surtout nous, chers confrères.

En effet, « les Salésiens étant, de par la volonté et le désir de don Bosco, comme le lien, l'élément stable et en même temps propulseur de la Famille », il faut travailler sérieusement à « promouvoir des échanges fraternels en esprit de service... et à étudier ensemble, dans une prise en charge coresponsable de la pastorale de l'Eglise locale, les conditions concrètes d'une évangélisation et d'une catéchèse efficaces... ».47

Ce service devra être assumé et conduit surtout au niveau de responsables mondiaux, des conférences provinciales et, en particulier, au niveau des provinciaux et de leurs conseils ; ces derniers ont, en effet, plus que les autres, « la possibilité de mettre en évidence l'unité de la mission et de l'esprit salésien à travers la pluralité des formes et des expressions, ainsi que la créativité et l'imagination de chaque groupe au bénéfice de tous les autres ». Ce sont là des éléments indispensables qui « nous rendront plus crédibles dans l'Eglise, communion de salut, plus efficaces dans notre travail apostolique concret, plus riches dans nos réalisations personnelles ».48

Mais pour assurer une croissance progressive et dans la bonne ligne de ce re-départ, il nous faudra continuer à étudier sans relâche, avec objectivité historique et l'intuition que nous donne notre parenté spirituelle, l'historique des origines de notre vocation.


« En avant », « tous ensemble » !


J'ai choisi ces deux expressions dynamiques pour exprimer notre action pour un nouvel élan de la Famille Salésienne. La communion et la mission nous interpellent.

« En avant » nous oriente plus particulièrement vers la mission ; « tous ensemble » nous invite à la communion.

Je dirais même, « en avant et tous ensemble », les deux à la fois, dans la communion pour une plus grande efficacité dans la mission.

Notre mission parmi la jeunesse pauvre des milieux populaires doit s'étendre grâce à des initiatives nouvelles, de nouvelles présences, de la créativité apostolique.

La communion, dans notre Famille, doit croître en authenticité et en vie d'ensemble. Certes, chaque groupe a son identité et la juste autonomie correspondante. Mais, pour nous aujourd'hui, l'accent doit être mis sur la communion : il s'agit de cultiver la mémoire de notre histoire pour approfondir, en la renouvelant, l'union que don Bosco avait voulue.

Les contacts que j'ai eus avec les différents groupes dans les divers continents me poussent à vous proposer quatre objectifs concrets à atteindre « ensemble » et à réaliser en allant « de l'avant ».


PREMIER OBJECTIF : approfondir notre connaissance de don Bosco et, par conséquent, notre charité pastorale.


C'est là un objectif de vérité et de sainteté, parce qu'il s'agit de promouvoir, ensemble avec toute la Famille Salésienne, une plus juste vision du charisme commun et d'intensifier davantage dans chaque individu et dans chaque groupe ce type de charité qui a été pratiquée au plus haut degré par don Bosco et qui caractérise et définit 1'« esprit de Valdocco ».

Or il est bon de se rappeler que la charité n'a rien de démodé ni d'arbitraire ; c'est une réalité vivante et ecclésiale.

« Vivante », parce qu'elle est un don actuel de l'Esprit du Seigneur pour le présent et pour l'avenir. Elle est, en soi, créative, comme l'Esprit Saint qui la donne ; elle aime et sert les gens d'aujourd'hui, les personnes éternelles du Dieu trine, penchées avec amour sur cette fin de siècle que nous vivons et elle aime et sert les jeunes d'aujourd'hui tournés vers l'an 2000.

« Ecclésiale », car elle est participation et expression de la vie et de la sainteté de l'Eglise, Corps du Christ formant un tout, sous l'influx vital de l'Esprit Saint qui l'habite pour la faire grandir harmonieusement comme un organisme vivant.

C'est donc une charité qui n'est pas seulement « actuelle » mais aussi « orientée » par l'Eglise, à travers le ministère de sa hiérarchie, et dans la ligne de la façon que don Bosco avait de vivre l'Eglise : une charité reliée vitalement à deux points de référence, nos pasteurs et notre fondateur !

Revigorer notre charité pastorale, ce n'est pas simplement répéter ce qui a été fait et s'en souvenir, mais c'est nous livrer à une recherche aimante sous la conduite du Pape, des évêques et des successeurs de don Bosco, afin de savoir créer pour répondre aux appels des hommes et de notre époque, exactement comme la fait notre Père au siècle dernier. Mais cela n'est possible qu’à la condition de cultiver intensément notre sainteté en privilégiant, comme je vous l'écrivais dans ma dernière circulaire,49 la rencontre avec le Christ et l'effort ascétique chaque jour et en profondeur.

Mes chers confrères, rappelons-nous que si nous voulons rendre une nouvelle vigueur en nous au charisme de don Bosco, il n'y a pas d'autre moyen que celui de « retrouver ensemble la sainteté salésienne » : « Ou des salésiens qui soient des saints disait un jour don Bosco - ou pas de salésiens du tout ».50

Voilà le premier objectif pour faire grandir la Famille Salésienne : « en avant » et « ensemble » pour intensifier ce type de charité qui nous fera éprouver avec don Bosco la passion irrésistible du « da mihi animas, coetera tolle » !


DEUXIÈME OBJECTIF : l'évangélisation de la Jeunesse par l'éducation !


La charité salésienne comporte une sensibilité apostolique particulière aux besoins des jeunes. Ses choix pour son action doivent naître, aujourd'hui comme hier à Valdocco, d'une lecture passionnée, concrète et pédagogique des nécessités de l'heure. Si la « charité de Valdocco » est une réponse existentielle à certaines provocations que nous lance la jeunesse, il faut tout de même savoir que jamais, une famille apostolique consacrée à l'évangélisation de la jeunesse, ne pourra s'installer définitivement dans ce qu'elle fait actuellement. Il faut que notre capacité d'action ressemble toujours à la terre au printemps : il faut qu'il en germe des bourgeons tout neufs.

Nous avons donc devant nous un énorme travail pour toute notre Famille :

- Repenser ensemble comment présenter l'Evangile pour qu'il apparaisse comme le « message » le plus vrai et le plus indispensable à la jeunesse d'aujourd'hui.

- Etudier ensemble comment replacer la foi au centre de cette culture que nous essayons de construire ensemble avec les jeunes pour qu'ils retrouvent le vrai sens de l'existence.

- Nous aider mutuellement à recréer notre capacité de communication au moyen d'un langage approprié et accessible.

- Rechercher ensemble, avec courage et persévérance, comment renouveler nos structures d'action qui, comme nous le savons bien, ont subi une crise avec la période de transition culturelle actuelle.

Cet objectif complexe et si vaste nous a déjà entraînés à moderniser notre Système préventif ; nous avons cherché, avec intelligence et patience, une nouvelle formule de « Projet éducatif et pastoral » ; cela nous a aussi entraînés à reformuler et à proposer un schéma pour notre temps de « Spiritualité pour les jeunes ». Organisons des échanges à ce sujet entre les différents groupes de notre Famille ; ainsi irons-nous plus loin et deviendrons nous ensemble de meilleurs spécialistes de l'évangélisation des jeunes.

Notons, à ce sujet, que, comme la Famille Salésienne est une réalité d'Eglise, sa pastorale des jeunes devra être pensée et programmée de l'intérieur de l'Eglise locale (nationale, régionale et diocésaine). Le fait de s'occuper d'une portion du troupeau et d'agir avec cette portion jeune avec un style propre ne signifie pas s'abstraire ou ignorer le plan d'ensemble et les buts apostoliques élaborés par les pasteurs du troupeau tout entier. Malheureusement chez nous, ici ou là, en ce domaine, subsistent encore des difficultés qui viennent d'un certain passé mais il faut les dépasser avec courage.


TROISIÈME OBJECTIF : privilégier la formation spécifique de chaque groupe et faire en sorte que les laïcs soient partie prenante.


Il est essentiel pour toute notre Famille que chaque groupe cultive sa propre identité, sa formation spécifique et prenne ses propres initiatives pour entrer en relation avec les autres groupes. C'est là quelque chose de décisif pour que notre communion se porte bien et s'intensifie : il faut avoir une conscience nette de sa propre identité pour pouvoir la faire entrer dans la communion d'ensemble et lui faire porter ses fruits.

Dans le « charisme de don Bosco », l'unité, comme nous l'avons vu, ne supprime pas les différences mais les assume, le renforce et les met en relation les unes avec les autres pour qu'elles deviennent fécondes au plan apostolique.

Outre l'identité de chaque groupe, il y a aujourd'hui un but qu'il est particulièrement urgent d'atteindre avec le concours de tous, et c'est celui de faire connaître et partager les valeurs salésiennes au plus grand nombre possible de « laïcs ». Je parle ici du laïcat au sens précis où en parle le Concile.

Dans la Famille Salésienne, il y a une large place pour les laïcs, que ce soit parmi les Coopérateurs, les Anciens Elèves, ou (dans un cadre plus large) parmi ceux qui prêtent leur concours à nos œuvres et parmi tous les sympathisants variés qui se considèrent volontiers comme « Amis de don Bosco ».

Il est important de ne pas sous-estimer l'intérêt que peut avoir un « grand mouvement d'Amis de don Bosco » qui formerait comme une sorte d'onde concentrique, une Famille Salésienne au sens large ; une telle initiative pourrait naître de la rencontre de bien des occasions : centres d'intérêt, sympathies, collaboration et mouvements.

De plus, au niveau des associations de Coopérateurs et d'Anciens Elèves, il y a des possibilités de créer des sous-groupes qui permettraient de donner plus de dynamisme et de profondeur à leur appartenance à la Famille salésienne. Il existe déjà quelques sous-groupes de ce genre ; mais on pourrait les multiplier ; il y a par exemple : les « Jeunes Coopérateurs » (un peu partout), les « Foyers de don Bosco » (groupes de foyers en Espagne), des groupes d'Anciens Elèves plus spécialement intéressés par les questions de la culture et de l'école, différentes associations mariales, etc. De plus, dans le cadre des sympathisants et des Amis de don Bosco, s'offrent d'intéressantes possibilités pour des initiatives urgentes, comme par exemple une présence au niveau des communications sociales.

En ce domaine, il faut, avant tout, favoriser tout ce qui peut fournir une sérieuse formation aux laïcs en tant que tels, à la lumière de nombreux enseignements de Vatican II et des documents du magistère qui les ont suivis, en marquant cette formation de la nuance propre au charisme de don Bosco ; rappelons-nous que notre Père insistait pour que nous sachions orienter pratiquement les laïcs vers des initiatives pour le bien du prochain : il répétait souvent, à ce sujet, qu'il fallait que l'engagement dans les « œuvres de charité » soit bien concret !

Ce travail pour intéresser les laïcs élargit les horizons des activités respectives de chaque groupe de notre Famille ; cela nous entraîne aussi à nous laisser convaincre de l'urgence qu'il y a à mieux coordonner le travail d'ensemble. Nous sommes une famille d'apôtres, ce qui nous interdit de nous enfermer exclusivement dans les besoins immédiats d'une œuvre ou d'un groupe !


QUATRIÈME OBJECTIF : une pastorale unitaire des vocations !


Rappelons enfin que la vocation salésienne se caractérise par ce type de charité qui est à l'origine de tout le patrimoine spirituel de don Bosco. Cette charité-là est fondamentalement commune à tous les membres de la Famille ; mais elle se réalise selon des modalités diverses dans chaque groupe, catégorie et personne. Cette communion différenciée offre de gros avantages pour la collaboration pratique, surtout au niveau des initiatives pour une pastorale des vocations.

Si nous pensons que don Bosco a été « un éveilleur exceptionnellement fécond de vocations dans l'Eglise », nous en tirerons facilement la conclusion que sa Famille doit se caractériser par un souci spécial des vocations dans notre pastorale des jeunes. N'oublions pas que le devoir d'éduquer les jeunes et de les aider à discerner leur vocation « part du droit de la jeunesse à être orientée, avant de naître d'une situation particulière des vocations dans l'Eglise. Une telle action se fonde sur les éléments essentiels de la vocation : c'est une initiative divine sollicitant l'adhésion de l'homme ; c'est un appel qui demande une réponse se rattachant à des dynamismes psychologiques et religieux qui requièrent une action pédagogique et pastorale appropriée ».51

Mais il est aussi urgent d'intensifier, dans la Famille Salésienne, le sourcil réciproque des vocations spécifiques de chaque groupe. En ce domaine, nous pourrions faire beaucoup plus en travaillant ensemble : rencontres de prière, d'études, d'animation, de programmation, d'information, communications des expériences, centres d'orientation communs, mouvements de jeunes, etc.

En particulier, l'attention aux sous-groupes de jeunes coopérateurs et de jeunes Anciens-Elèves mérite de notre part une attention spéciale ; il est prouvé qu'une bonne animation de ces sous-groupes, sans compter qu'elle est la condition nécessaire pour le développement de ces deux organisations, est bénéfique pour les vocations, et même pour les vocations pour les autres groupes. Ces dernières année par exemple, depuis sept ans, 70 jeunes coopérateurs sont entrés dans des noviciats salésiens, 52 chez les Filles de Marie Auxiliatrice, 18 dans des séminaires diocésains et 30 dans d'autres congrégations.

Je vous invite à regarder avec grande attention les « Conclusions » auxquelles on est arrivé à ce sujet à la dernière - la 9e - « Semaine de spiritualité » de la Famille Salésienne en janvier dernier. Ces « conclusions » sont reportées dans ce même numéro, dans la partie des documents.


Problèmes et perspectives.


Evidemment, l'existence de la Famille Salésienne comporte aussi des problèmes, dont certains ne sont ni petits ni faciles à régler. Don Bosco en a affronté plusieurs avec patience, dans l'espérance et avec une incroyable persévérance, soutenu qu'il était sans cesse par son grand amour du Christ, Sauveur de la jeunesse et mis au défi par les besoins nouveaux et croissants des jeunes.

Au Conseil Supérieur, nous avons consacré plusieurs réunions d'étude et d'échanges, à plusieurs reprises et lors de sessions différentes, pour voir ce que l'on pouvait faire et pour trouver des solutions à propos de bien des aspects d'un processus évolutif encore en plein développement et qui dépend beaucoup des perspectives actuelles. Ce sont des problèmes ressentis par nos frères et nos sœurs un peu partout et qui nous arrivent surtout par le Conseiller pour la Famille Salésienne.

Cependant, avant d'énumérer quelques vrais problèmes, je voudrais noter que bien des difficultés dont on parle parfois ne sont telles que parce qu'on n'a pas assez approfondi le sens authentique de l'expression « Famille Salésienne » ; et c'est peut-être justement cela le premier problème qu'il nous faut résoudre, et cela grâce à un changement de mentalité à tous les niveaux de la Congrégation. Il faut compléter ce qu'ont dit nos 20e et 21e Chapitres généreux à ce sujet par la lecture de ce qu'ont exprimé les autres groupes à propos de la Famille Salésienne et de la façon dont ils ont conscience d'en faire partie.

Mais, de toutes façons, cela peut être utile de mentionner rapidement ici quelques-uns des problèmes les plus significatifs ; ils se posent dans la vie concrète et peuvent stimuler notre réflexion et révéler des perspectives de développement.


Le premier problème est le suivant : comment faire grandir mieux et davantage dans la congrégation, la conscience et l'actualisation du rôle qui lui revient dans la Famille Salésienne.


De fait, « dans la Famille Salésienne, nous avons des responsabilités particulières : maintenir l'unité dans un même esprit et encourager des échanges fraternels pour nous enrichir réciproquement et obtenir une plus grande fécondité apostolique ».52

Ce rôle implique la tâche - qui est loin d'être facile - de savoir stimuler comme il convient les différents groupes, dans la ligne de leur identité spécifique et de leur autonomie et, surtout, dans celle de la communion d'ensemble dans un même esprit et une même mission.

Des pas en avant, en ce domaine, ont été faits ; mais il reste encore une longue route à faire.

Heureusement, on a entrepris une étude plus approfondie des données historiques à propos de la Famille Salésienne et de la pensée authentique de don Bosco à ce sujet. Le symposium qui a eu lieu ces jours derniers à la Maison Généralice en est un exemple valable et positif.

Les groupes principaux de la Famille Salésienne ont derrière eux un siècle de relations, de réalisations, d'interventions du Saint-Siège, de directives données par les responsables des différents groupes, d'événements affrontés ensemble. Tout ce patrimoine d'expériences doit être étudié, de façon à constituer une « mémoire collective » qui éclairera la conscience des confrères et fera de notre rôle d'animation quelque chose de plus précis et de plus entreprenant.

C'est pour cela que l'on a voulu donner une place importante au sujet de la Famille Salésienne dans la formation des confrères, comme vous avez pu le constater dans la Ratio.53


Un autre problème est celui d'établir le degré de responsabilité et le genre de rapports que la congrégation a ou doit avoir avec chacun des groupes.


Dans la communion d'ensemble, chaque groupe jouit d'une juste autonomie et d'un lien de type particulier avec la Congrégation. Notre rôle d'animation devra s'adapter à la spécificité de chacun, même si un large champ d'animation commune demeure ouvert pour tout ce qui est plus spécifique de la Famille en tant que telle.

Pour pouvoir insister sur la communion, il faudra connaître et savoir respecter l'autonomie de chaque groupe et sa situation juridique ; il faudra connaître les différents besoins et les demandes diverses auxquels peut répondre l'animation de la Congrégation, afin de proposer un service approprié et qui soit plus concrètement en accord avec nos possibilités.

C'est pourquoi il est urgent de faire naître, au niveau des provinces, des structures de formation, d'animation, de communication, etc. pour la Famille Salésienne.


Un problème particulièrement délicat est celui des critères d'appartenance à la Famille Salésienne.


Selon l'article 5 de nos Constitutions, sont historiquement inclus dans la Famille Salésienne, de par leur fondation, les Salésiens, les Filles de Marie Auxiliatrice et les Coopérateurs ; et, en plus, les Anciens Elèves, « au titre de l'éducation reçue ».

Nous savons que les Volontaires de don Bosco54 en font aussi partie officiellement. Ces groupes ont confirmé leur appartenance à notre Famille par des déclarations officielles, par leurs chapitres généraux, leurs assemblées, leurs statuts, leurs règlements, et leurs constitutions et enfin par leur attitude concrète.

D'autres groupes, nés par la suite, et qui, de par leur fondation, ont un lien avec les Salésiens et les Filles de Marie Auxiliatrice, se considèrent pratiquement comme faisant partie de la Famille Salésienne ; ils ont modifié leurs Constitutions et leurs documents officiels en déclarant vouloir entrer, selon leur mode spécifique, dans la communion créée autour du charisme de don Bosco.55

Il était donc nécessaire d'établir des critères de salésianité et de convenir d'une « procédure » de façon à ce que le Recteur Majeur avec son Conseil puisse, avec l'assentiment des responsables des autres groupes, déclarer officiellement leur appartenance à notre Famille.

Le Conseiller pour la Famille Salésienne a rassemblé, avec la collaboration des responsables des principaux groupes et de quelques-uns de nos experts, un ensemble de notes et de critères qui ont été ensuite étudiés et approuvés « ad experimentum » par le Conseil Supérieur, et qui seront utilisés pour cette procédure. Plus loin, dans la partie des documents, vous trouverez justement les « Lignes d'orientation adoptées par le Conseil Supérieur pour la reconnaissance d'appartenance à la Famille Salésienne ».


Un autre problème, déjà souvent discuté, est celui de la « nature » de l'appartenance des Anciens Elèves.


Le Chapitre général spécial a orienté la question en affirmant qu'ils « y appartiennent au titre de l'éducation reçue, ce qui peut s'exprimer dans des engagements apostoliques divers ». Il semble donc qu'il faille se tourner, pour en comprendre la nature et pour élucider les difficultés qui apparaissent, soit vers les engagements apostoliques dans le domaine de la culture, surtout dans le secteur de l'éducation (qui est comme la patrie de la mission salésienne), soit vers les valeurs du Système préventif qui est l'une des composantes du « charisme de don Bosco ».

En attendant, dans de nombreuses régions, l'association des Anciens Elèves est florissante et dynamique ; elle mérite que nous nous consacrions généreusement à son animation.

Enfin, si nous regardons la profonde évolution sociale et culturelle qui s'est faite à notre époque, les apports ecclésiologiques de Vatican II, le renouveau de la vie religieuse, la remise en valeur du laïcat dans le Peuple de Dieu, la promotion de la femme dans la société et dans l'Eglise, la réalité si changeante de la jeunesse, le progrès qui s'est fait dans la conscience et dans le dynamisme des peuples, la situation difficile de certains continents et de leurs masses de jeunes, le pluralisme idéologique et les choix politiques de tant d'Etats, nous voyons bien d'autres éléments qui nous provoquent et nous interpellent aussi à propos de l'identité, du fonctionnement, du développement et de l'efficacité apostolique de la Famille Salésienne.

J'ai voulu vous citer quelques problèmes pour mieux vous montrer que nous avons encore devant nous un assez gros travail pour étudier et vérifier un processus dont l'évolution est à peine commencée.

Il y a en tout cas quelque chose qui reste vrai : c'est que la Famille Salésienne prend de plus en plus d'importance avec le temps !


C'est là, chers confrères, un sujet d'une importance vitale pour notre avenir.


Le projet embryonnaire que don Bosco reçut d'En-Haut dans les années 40 à 50 du siècle dernier a grandi et a évolué de façon homogène pendant la vie de notre fondateur. Tout commença par 1'« Œuvre des Patronages » que don Bosco, alors encore simple prêtre diocésain de l'Eglise locale de Turin mit en route en réunissant beaucoup de bonnes volontés pour venir en aide à la jeunesse pauvre et abandonnée ; cet embryon s'est développé et s'est élaboré peu à peu, et toujours avec l'aide de la Province, pour devenir une structure plus diversifiée et plus stable, véritable « Famille spirituelle » dans l'Eglise universelle. Don Bosco lui-même a eu une conscience progressive et de plus en plus nette de sa vocation personnelle de fondateur dans l'Eglise (1859 : les Salésiens ; 1872 : les Filles de Marie Auxiliatrice ; 1876 : les Coopérateurs), vocation qui faisait de lui l'initiateur d'un nouveau charisme dans le Peuple de Dieu, le chef de file d'un style particulier de sanctification et d'apostolat.

Déjà, en 1899, le Bulletin Salésien, dans son éditorial du mois de février, parlait de la postérité de don Bosco dans les termes suivants : « Nous sommes heureux de saisir toutes les occasions pour montrer à nos Coopérateurs et Coopératrices qu'avec les Sœurs de don Bosco, ils forment une unique grande famille, animée d'un même esprit et unie par les liens très doux de la fraternité chrétienne ».56

Cette Famille, déjà nettement structurée dans ses groupes de base, s'est ensuite développée « en harmonie avec le Corps du Christ en perpétuelle croissance ».57

Après Vatican II, elle a repris une conscience plus claire de sa nature charismatique.

Aujourd'hui, ce sont tous les fils et les filles de don Bosco qui, « ensemble », doivent en assurer l'identité et la vitalité. Et dans cette coresponsabilité partagée par tous, il nous revient, chers confrères, un rôle qui nous vient de notre vocation historique, rôle de service spécifique et d'animation qui comporte des « responsabilités particulières ».

Par conséquent, si nous voulons aimer vraiment don Bosco, tâchons de mieux connaître la Famille Salésienne et de nous consacrer, au prix de généreux sacrifices et avec un courage intelligent, à en développer et à en rajeunir la communion et la mission.

Souvenons-nous de ses origines historiques pour mieux la faire grandir en fidélité et en fécondité.

Que Marie Auxiliatrice, qui a guidé don Bosco en tout, nous éclaire aussi et nous aide !

Je vous envoie à tous mon salut fraternel dans l'attente de la joie pascale.

1 Symposium sur la Famille Salésienne, 19-22 février 1982.

2 Constitutions des Filles de Marie Auxiliatrice, article 3.

3 Actes du Conseil Supérieur n. 295.

4 Actes du Conseil Supérieur n. 301.

5 Chapitre Général Spécial n. 151-177.

6 Ibid., n. 152.

7 Ibid., n. 159.

8 Conférence aux Coopérateurs à Borgo S. Martino, 1er juillet 1980.

9 Lettre à Giovanni Cagliero, 27 avril 1876.

10 Pietro BRAIDO, Il progetto operativo di don Bosco e lutopia della società cristiana.

11 Chapitre General Spécial, Présentation de D. Luigi Ricceri, pp. XVIII, XIX.

12 Chapitre General Spécial, n. 159.

13 Ibid., n. 160.

14 Cf. Mutuae relationes 11.

15 Evangelica testificatio 11, 12.

16 Cf. Lumen gentium 45, 46 : Perfectae caritatis 2b : Ad gentes 40.

17 Lumen gentium 44.

18 Egidio VIGANÒ, A la redécouverte de l'esprit de Mornèse, 14 mai 1981, pp. 27-28.

19 Pietro BRAIDO, op. cit., p. 4.

20 Cf. Memorie Biografiche 11, 85; 4, 93.

21 Cf. Memorie Biografiche 2, 252-254.

22 Giovanni BOSCO, Memorie dell'Oratorio di S. Francesco di Sales, Ed. SDB Roma, 16.

23 Memorie Biografiche 12, 69.

24 Ibid. 11, 85-86.

25 Ibid. 18, 160-161.

26 Pour une liste des différents groupes. cf. Bollettino Salesiano 1er septembre 1981, p. 11.

27 Cf. Evangelica testificatio 11, 12.

28 Mutuae relationes 11.

29 Cf. Lumen gentium; Perfectae caritatis 2, 20, 22; Christus Dominus 33, 35.1; 35.2.

30 Lumen gentium 42.

31 Perfectae caritatis 1.

32 Cf. Lumen gentium 41.

33 A.G. SERTILLANGES, Le christianisme et la philosophie.

34 Cf. Constitutions 40.

35 Egidio VIGANÒ, Non secondo la carne ma nello Spirito. 1978. pp. 90-99.

36 Cf. Lumen gentium 31.

37 Cf. Presbyterorum ordinis 8.

38 Cf. Constitutions 5.

39 Chapitre Général Spécial, « Les perspectives de la ' Famille ' Salésienne aujourd'hui », n. 151-177.

40 Chapitre Général Spécial, « Les Salésiens de don Bosco dans l'Eglise, identité et vocation actuelle de la Société Salésienne ».

41 21e Chapitre Général, n. 402-403.

42 Cf. « Les différences », Chapitre Général Spécial, n. 166-170.

43 Cf. « Eléments communs », ibid., n. 161-165.

44 Cf. « Raisons, contenus et modes », ibid., n. 174-176.

45 Chapitre Général Spécial, n. 174.

46 21e Chapitre Général, n. 588.

47 Chapitre Général Spécial, n. 189.

48 Ibid., n. 177.

49 Actes du Conseil Supérieur, 303.

50 Memorie Biografiche 10, 1078.

51 Cf. dans ce numéro, Documents. 5.2, II.

52 Constitutions 5; cf. Chapitre Général Spécial, n. 189; 21e Chapitre Général, n. 75, 402, 403.

53 N. 54, 57; 175, 182, 234; 272; 368, 375; 399.

54 Cf. Chapitre Général, n. 156-168.

55 Les Filles des Sacrés-Cœurs de don Variara ont fait la demande d'appartenance officielle et, comme on peut le voir ci-dessous dans la partie des documents, leur demande a été approuvée.

56 Bollettino Salesiano, février 1899, p. 29.

57 Mutuae relationes 11.