251-300|fr|297 Notre Engagement Africain

La mort de Don Giovenale DHO et sa succession - « NOTRE ENGAGEMENT AFRICAIN » - Le Recteur Majeur dans le continent noir - L'heure de l'Afrique - La rencontre du Pape avec l'âme africaine - Une réserve de valeurs humaines ; L'africanisation de l'Eglise - La nouvelle présence du charisme de Don Bosco - Notre Fondateur nous a vus en Afrique - Appel stimulant pour toute le Famille Salésienne - Conclusion



Rome, le 24 juin 1980


Chers confrères,

au soir du 17 mai dernier, à mon retour de Butare à Kigali, au Rwanda, je recevais par radio la triste nouvelle du décès survenu à l'improviste du Conseiller pour la Formation, le regretté et bien méritant DON GIOVENALE DHO, Vous pouvez imaginer ma surprise et ma douleur. Avec le Supérieur Régional, Don Vanseveren et mon compagnon de voyage, le coadjuteur Renato Romaldi, nous sommes repartis pour Rome pour arriver à peine à temps pour les funérailles solennelles à la Maison Généralice.

La mort du Conseiller pour la Formation est pour nous une perte grave : combien elle nous a donné à méditer !

Nous avons pensé au témoignage laissé par le très cher Don Dho : vocation missionnaire, consécration convaincue et joyeuse, bon cœur, sagesse de discernement spirituel, compétence dans les sciences humaines, service constant dans l'éducation chré


Manque de texte


la pastorale des vocations, prestations nombreuses et qualifiées dans divers secteurs de la vie ecclésiale, consécration avisée et généreuse à la formation des confrères selon les dernières orientations capitulaires. C est dans ce dernier champ de travail, délicat et urgent, pour l'animation au niveau mondial de la formation initiale et permanente, que la mort l'a cueilli, comme pour donner raison, de son éminent poste de service, à l'audacieuse affirmation de Don Bosco que c'est un jour mémorable pour le Congrégation que celui où un confrère tombe sacrifié dans son engagement de travail.

Nous avons pensé à l'inscrutabilité des desseins de Dieu : combien ils diffèrent de nos programmations, de nos calculs et de nos désirs! La mort, surtout si elle est subite et si elle paralyse un secteur vital de ce que nous cherchons à réaliser précisément pour l'avènement du Règne selon les plans de Dieu, nous fait méditer avec une douloureuse profondeur sur l'attitude authentique de notre foi et sur le paradoxe de la sécurité qui accompagne notre espérance.

Nous avons pensé à la maman de Don Dho, à ses parents, à ses amis, à nous ses collègues du Conseil, à ses collaborateurs du dicastère et à tous les confrères qui l'estimaient et l'aimaient.

Nous avons pensé surtout à lui, à sa rencontre avec le Christ, au mystère de l'au-delà.

Et nous avons répandu toute cette abondance de méditation dans la prière de louange, de suffrage et de demande.

Je vous invite encore, vous tous, à continuer cette prière pour notre inoubliable confrère Don Giovenale Dho, pour ceux qui lui étaient chers, pour la Congrégation.

Il nous accompagnera et nous aidera dans le Christ à continuer le travail et à résoudre les problèmes qui surgissent. Je lui rappellerai particulièrement et constamment notre projet africain, parce que le souvenir de sa mort est lié à la première présence du Recteur Majeur en Afrique. C'est donc dans son souvenir et un peu avec lui que je désire vous parler maintenant brièvement de notre «engagement africain».

En même temps je vous communique aussi la désignation1 du nouveau Conseiller pour la Formation : c'est don PAOLO NATALI, déjà membre du Conseil Supérieur comme Régional d'Italie et du Moyen Orient. A sa place, comme Conseiller Régional, a été nommé don LUIGI BOSONI. A tous deux vont nos félicitations, la collaboration et la prière de tous les confrères.


NOTRE ENGAGEMENT AFRICAIN.


Comme je vous le disais je suis allé dans le grand continent africain (plus de 33 millions de kilomètres carrés !). J'ai voulu que m'y accompagne comme collaborateur M. Renato Romaldi, Salésien coadjuteur : je désirais qu'arrivent ensemble un « prêtre » et un « coadjuteur » pour qu'ainsi soit représentée la complémentarité de la vocation salésienne dans notre Congrégation qui s'engage à faire croître son charisme dans ce Continent.

Avant de vous exposer quelques réflexions à cet égard, laissez-moi formuler une affirmation solennelle. La voici : Le Projet-Afrique est aujourd'hui pour nous, Salésiens, une grâce de Dieu.

J'en suis convaincu et je voudrais vous faire participer à ma conviction.


Le Recteur Majeur dans le Continent noir.


Dans les derniers mois (février et mai) j'ai pu réaliser deux voyages en Afrique ; j'ai été poussé à le faire par le mandat du 21e Chapitre Général : « La relance missionnaire requiert des objectifs concrets, exige l'adoption d'une stratégie orientée vers les pays où l'action missionnaire s'avère plus urgente. En conséquence, au début du second centenaire de la présence salésienne, se rappelant le désir prophétique de Don Bosco2 que les salésiens, sans exclure la possibilité de commencer et de développer leur action missionnaire en d'autres zones prometteuses ou dans le besoin, s'engagent à intensifier notablement leur présence en Afrique »3

Au sud du Continent, durant mon premier voyage, j'ai pris contact avec les confrères qui travaillent dans la République du Sud-Afrique, dans le royaume du Swaziland et du Mozambique.

Au centre du Continent, durant mon second voyage, j'ai pu m'entretenir à Libreville, avec les confrères du Gabon, du Cameroun, de la Guinée équatoriale et du Congo ; puis, à Lubumbashi et à Kigali, avec les confrères du Zaïre, du Rwanda et du Burundi. J'ai touché aussi la Zambie et le Kenya.

J'ai pu constater la valeur du travail que, depuis des années, certaines provinces généreusement missionnaires, l'Irlande, le Portugal, la France, l'Espagne y accomplissent.

Et j'ai pu imaginer et goûter en perspective la nouveauté de présence que comporte le Projet post-capitulaire pour l'Afrique, soit dans les zones déjà assumées depuis un certain temps,4 soit dans les nouvelles présences qui commencent désormais à se réaliser au moins dans huit républiques : Angola, Benin, Libéria, Sénégal, Kenya, Soudan, Tanzanie et Madagascar.

Il y a actuellement une seule province salésienne dans tout le Continent : celle de l'Afrique Centrale (Zaïre, Rwanda et Burundi) avec deux maisons de formation pour les confrères africains des divers pays : le noviciat et post-noviciat à Butare (au Rwanda) et la communauté pour les étudiants de théologie à Kansébula (dans le Zaïre). Ceux qui ont participé au dernier Chapitre Général connaissent aussi le premier confrère africain qui est maître des novices, Don Jacques Ntamitalizo. En outre nous avons déjà deux confrères africains évêques : Mgr Sebhatleab Workù en Ethiopie, et, récemment, Mgr Basile Mvé au Gabon.


L'heure de l'Afrique.


L'Afrique est une explosion de nouveauté et d'avenir. L'époque colonialiste finalement dépassée, de nombreux états nouveaux sont apparus dans lesquels les peuples s'emploient à être de vrais protagonistes de leur propre histoire.

Paul VI, il y a onze ans, s'adressant au Parlement de l'Ouganda avait décrit l'Afrique comme « déjà émancipée de son passé et mûre pour une ère nouvelle » ; et en mai dernier Jean-Paul II a confirmé au Kenya que « cette ère nouvelle est déjà commencée » :5 « L'Afrique est sur le point d'acquérir la dimension qui lui est due dans l'ordre planétaire ».6

Cependant les multiples nations africaines, exubérantes de jeunesse, se voient assaillies par de nombreux problèmes et se sentent secouées par le dialogue difficile entre leurs caractéristiques culturelles séculaires et la « nouvelle culture » qui affleure partout sous les impulsions de la technique, des sciences et des idéologies. Le péril de plagiat et d'avertissement de la part de systèmes non ouverts à l’Evangile est, malheureusement, envahissant et « le matérialisme, d'où qu'il vienne, est un esclavage dont Il faut défendre l'Homme ».7

Il y a un besoin urgent du Christ pour que l’homme africain croisse intégralement dans sa nouvelle réalité !

Un voyage en Afrique n'est pas seulement un déplacement géographique et une découverte de coutume originales, c'est aussi une espèce de vol dans 1’histoire, aux premiers siècles du christianisme, quand les peuples ont fait leur passage, pour ainsi dire, d une sorte d'Ancien Testament à la nouvelle Alliance.

C'est vrai que du IIe siècle au IVe il y a eu une vie chrétienne intense dans les régions les plus septentrionales de 1’Afrique : « Nous viennent en mémoire les noms des grands docteurs et écrivains comme Origène, s. Athanase, s. Cyrille lumières de l'église d'Alexandrie, et à l'autre extrémité du rivage méditerranéen africain, Tertullien, s. Cyprien et surtout s. Augustin, une des lumières les plus brillantes du christianisme. Nous pouvons rappeler les grands saints du désert, Paul, Antoine, Pacôme, premiers fondateurs du monachisme qui, sur leur exemple, s'est répandu ensuite en Orient et en Occident. Et, parmi tant d'autres, nous ne voulons pas omettre le nom de s. Frumenzio, appelé Abba Salama, qui, consacré évêque par s. Athanase, fut l'apôtre de l'Ethiopie. Ces exemples lumineux comme aussi les figures des saints Paper africains Victor I, Melchiade et Gélase I, appartiennent au patrimoine commun de l'Eglise, et les écrits des auteurs chrétiens d'Afrique sont encore aujourd'hui fondamentaux pour approfondir, à la lumière de la Parole de Dieu, l'histoire du salut. Au souvenir des anciennes gloires de l'Afrique chrétienne [... il faut aussi rappeler] l'Eglise grecque du patriarcat d'Alexandrie, l'Eglise Copte d'Égypte et l'Eglise d'Ethiopie, qui ont en commun avec l'Eglise Catholique l'origine et l'héritage doctrinal et spirituel des grands Pères et Saints, non seulement de leur terre, mais de toute l'Eglise ancienne. Ils ont beaucoup fait et beaucoup souffert pour maintenir vivant le christianisme à travers les vicissitudes des temps ».8

Tout ceci c'est de l'histoire et c'est très important ; nous ne devons pas l'oublier. Mais la majeure partie des jeunes nations africaines célèbre à peine le premier centenaire de leur entrée dans le christianisme ; quand cette entrée n'est pas encore plus récente. Ainsi on peut dire que depuis quelques décennies seulement se réalise l'inculturation africaine de l'Evangile du Christ ressuscité ; mais cela se produit avec une rapidité à accélération notable.

Durant les onze années qui se sont écoulées entre le voyage de Paul VI à Kampala et celui de Jean-Paul II à Kinshasa, le nombre des catholiques africains a pratiquement doublé, passant d'environ 25 à plus de 50 millions. Une nouveauté ecclésiale croît et mûrit en Afrique, vaste et prometteuse, en harmonie avec les grandes perspectives ecclésiales et missiologiques de Vatican II. Ceci a amené à revoir toute la méthodologie missionnaire.

Des églises locales avec une hiérarchie autochtone sont désormais établies presque partout ; aujourd'hui, plus que de « planter l'Eglise » il s'agit d'incorporer des collaborateurs valables aux jeunes églises locales, avec leurs caractéristiques culturelles, pour les aider à croître, pour les raffermir dans leur fait d'assumer l'Evangile, pour les enrichir de ces charismes que l'Esprit a suscité dans l'Eglise universelle en vue d'une vitalité multiforme pour tous les peuples.


La « rencontre » du Pape avec l'âme africaine.


Le Saint-Père Jean-Paul II a visité, du 2 au 12 mai, les Eglises et les populations de six pays de l'Afrique centrale : Zaïre, Congo, Kenya, Ghana, Haute Volta et côte d'Ivoire, qui célébraient le centenaire de leur évangélisation.

Il s'agit d'un voyage historique pour l'avenir du Christianisme dans le Continent. Pour nous, salésiens, il est porteur d'une confirmation très autorisée de notre mandat capitulaire et de promesses flatteuses dans notre projet africain déjà en route.

Dans ce voyage apostolique et prophétique du Pape je voudrais souligner deux aspects qui doivent particulièrement nous faire réfléchir : la sensibilité envers tant de valeurs humaines de la culture africaine, et la volonté claire d'inculturation de l'Evangile et d'africanisation de l'Eglise.


Une « réserve » de valeurs humaines authentiques


Le Pape a souligné avec joie et avec une profonde intuition l'abondance des valeurs humaines et l'extraordinaire sensibilité religieuse des peuples du Continent noir. Aussi a-t-il défini l'Afrique comme un grand « chantier », « réservoir spirituel du monde ».

Dans son pathétique salut d'adieu le dernier jour, à Abidjan, il s'est écrié avec une affection émouvante : « Et maintenant, adieu à toi, Afrique, continent déjà aimé auparavant et que, depuis mon élection au Siège de Pierre, je désirais connaître et parcourir au plus vite. Adieu aux peuples qui m'ont accueilli, et à tous les autres à qui j'aimerais tant un jour, si la Providence le permet, porter personnellement mon affection. J'ai appris bien des choses durant mon périple. Vous ne pouvez pas vous imaginer combien il a été instructif (...). L'Afrique m'est apparue comme un vaste chantier, à deux points de vue, par ses promesses et aussi, peut-être, par ses risques (...). C'est un patrimoine original qu’il faut absolument sauvegarder et accroître harmonieusement. Ce n'est pas facile de contrôler un tel ferment et de faire de telle sorte que les forces vitales servent à un authentique progrès (...).

Vous ne devez pas imiter, chers frères et chères sœurs africains, certains modèles étrangers basés sur le mépris de l'homme ou sur l'intérêt (...). Vous, ne devez pas vous laisser tromper par les considérations de certaines idéologies qui font miroiter devant vous un bonheur complet toujours renvoyé au lendemain. Soyez vous-mêmes ».9

En présence de ce « chantier » les autres peuples aussi devront apprendre à atteindre certaines valeurs humaines importantes. Le Pape les énumère en diverses occasions : « leur cœur, leur sagesse, (...) leur sens de l'homme, leur sens de Dieu » ;10 le « sens communautaire puissant dans les différents groupes qui constituent la structure sociale », la « propension innée au dialogue », le « sens de la célébration qui s'exprime en une joie spontanée », le « respect pour la vie » ;11 une diversité variée « conservée intacte par l'inégalable unité de culture », «une conception du monde dans laquelle le sacré occupe une place centrale», « une conscience profonde du lien qui existe entre le Créateur et la nature », « spontanéité et joie de vivre exprimées dans un langage poétique, chant et danse », « une culture riche d'une dimension spirituelle qui englobe tout ». Pour cette raison « l'Afrique est appelée à faire surgir des idéaux nouveaux et de nouvelles intuitions dans un monde qui montre les signes de la fatigue et de l'égoïsme ».12

Le Pape doit cependant constater aussi, hélas!, « avec une stupeur pleine de tristesse »13 les influences qui proviennent du péché, de l'ignorance, de la superstition et de l'importation des systèmes matérialistes qui adultèrent la libération du colonialisme espérée et ruinent la véritable croissance culturelle : « le matérialisme sous toutes ses formes est toujours cause d'asservissement pour l'homme : il s'agit d'un asservissement à une recherche sans âme des biens matériels, il s'agit d'un asservissement encore pire de l'homme, corps et âme, à des idéologies athées ; en définitive, toujours asservissement de l'homme à l'homme ».14

Donc : ni capitalisme de consommation ni marxisme athée. C'est symptomatique de voir comment à Puebla aussi le Pape et l'Episcopat latino-américain annoncent au Tiers-Monde que la lumière de l'Evangile ne passe pas par ces deux voies matérialistes.

Voyez comment le Pape a su pénétrer le « cœur » africain en stimulant l'attention et la sympathie de tous les croyants du monde.


L'« africanisation » de l'Eglise.


Le Saint-Père a traité des valeurs de la culture africaine en parlant de préférence aux Présidents d'Etats, aux diplomates, aux intellectuels et aux universitaires ; par contre il a traité de 1'« africanisation » de l'Eglise particulièrement dans ses discours aux évêques et à leurs proches collaborateurs, surtout aux prêtres.

Il y a deux thèmes intimement liés entre eux qui impliquent recherche, étude, courage et fidélité.

L'africanisation du Christianisme embrasse, a dit le Pape, « des cercles vastes et profonds qui ne sont pas encore suffisamment explorés, soit qu'il s'agisse du langage pour présenter le message chrétien de façon à ce qu'il rejoigne l'esprit et le cœur, soit qu'il s'agisse de la catéchèse, de la réflexion théologique, de l'expression plus adaptée au génie ethnique dans la liturgie ou dans l'art sacré, soit des formes communautaires de vie chrétienne ».15

La mission de l'Eglise est, de toute façon, celle de faire des disciples : elle s'efforce de susciter en Afrique, à travers la puissance de l'Esprit du Seigneur, des chrétiens authentiquement africains ; elle a la force, qui lui vient d'En-haut, de faire en sorte que les africains soient d'authentiques disciples du Christ ressuscité en conservant, en purifiant, en transfigurant en promouvant toutes les richesses de leur patrimoine culturel spécifique.

Parlant de l'œuvre nécessaire et prolongée d'africanisation de l'Eglise, le Pape a souvent rappelé l'action fondamentale et méritoire des missionnaires, la mystérieuse fécondité des martyrs, l'importance des vocations autochtones et l'urgence d'un laïcat évangéliquement formé et engagé dans les problèmes du développement, l'indispensabilité de la vie consacrée et religieuse dans la pluralité de formes des charismes, en particulier le soin des vocations féminines à la consécration comme partie vivante de la promotion de la femme dans l'Eglise et dans la Société : « Les femmes africaines - a dit le Saint-Père - ont été volontiers porteuses de vie et gardiennes des valeurs de la famille. De même, la consécration des femmes dans une consécration radicale au Seigneur dans la chasteté, l'obéissance et la pauvreté constitue un moyen important pour transmettre à vos églises locales la vie du Christ et un témoignage de plus ample communauté humaine et de communion divine ».16

Jean-Paul II reconnaît avec complaisance que, dans ce processus, l'Afrique est déjà en route et à désormais rejoint une certaine maturité : « Cette maturité est une maturité de jeunesse, une maturité de joie, une maturité d'être elle-même, de se trouver dans l'Eglise comme dans sa propre église. Ce n'est pas l'Eglise importée de l'extérieur, c'est leur Eglise, l'Eglise vécue authentiquement, à la manière africaine ».17

Le thème de l'inculturation de l'Evangile est central dans le message magistral du Pape en Afrique ; mais c'est un thème délicat et difficile, qui exige continuellement une réflexion aiguë et un discernement toujours attentif. Rappelons quelques affirmations du Saint-Père.

- Avant tout il s'agit d'un processus au long des siècles, qui a toujours accompagné et caractérisé les grandes époques de la diffusion du christianisme, depuis les origines, c'est-à-dire depuis ses premiers contacts avec la culture hébraïque, avec l'hellénistique, avec la latine et avec les suivantes.

- En outre il faut noter que la « foi » ne se réduit jamais simplement à une « culture » : « l'Evangile, certes, ne s'identifie pas aux cultures, il les transcende toutes ».18 D'où la nécessité de déterminer les valeurs transcendantes et permanentes de l'Evangile, d'assurer le primat du mystère du Christ ressuscité en face des propositions de quelque culture que ce soit : cela a où ce soit une valeur définitive aujourd'hui, hier et demain !

Certes l'identité de l'Evangile et le primat du Christ au contact avec toute culture suscitent des problèmes nouveaux qui jaillissent du contexte culturel. Ils se sont pas faciles et exigent une réflexion intense et mûrie ; en tous cas il faut les affronter et les résoudre à la lumière de la foi commune de l'Eglise universelle « identique pour tous les peuples de tous les temps et en tous lieux ».19 « En un tel processus les cultures elles-mêmes doivent être élevées, transformées et pénétrées du message chrétien de vérité divine original (...) en accord avec la pleine vérité de l'Evangile et en harmonie avec le Magistère de l'Eglise ».20

- La préservation inaltérée du contenu de la foi catholique est liée à la préoccupation de conserver l'unité de l'Eglise dans le monde, qui passe à travers un dialogue loyal avec l'Eglise de Rome et avec le Successeur de Pierre. Ceci est aussi « une conséquence importante de la doctrine de la collégialité, en vertu de quoi tout évêque participe à la responsabilité pour le reste de l'Eglise ; pour la même raison son église, dans laquelle de droit divin il exerce la juridiction ordinaire, est aussi objet d'une responsabilité épiscopale commune dans la double dimension de l'incarnation de l'Evangile dans l'église locale : 1°, préserver inaltéré le contenu de la foi catholique et conserver l'unité de l'Eglise dans le monde ; et 2°, extraire des cultures des expressions originales de vie chrétienne, de célébration et de pensée, par lesquelles l'Evangile est enraciné dans le cœur des peuples et de leurs cultures ».21

- Il faut donc se rappeler que l'inculturation est guidée par de grands critères d'authenticité qui comportent aussi des limites concrètes ; ils excluent que l'on assume sans discernement n'importe quel modalité de culture et ils ne permettent pas que l'inculturation équivaille jamais à une réduction régionaliste ou nationaliste, à savoir à un appauvrissement de l'universalité de la foi catholique et de la pleine communion de toutes les églises avec Rome et mutuellement entre elles.

- Enfin, à propos d'africanisation de l'Eglise, il est indispensable aussi de constater la situation historique concrète d'aujourd'hui, qui implique un dépassement de l'époque missionnaire de fondation (« implantatio Ecclesiae »), à l'heure des jeunes églises locales engagées dans une évangélisation pénétrante et intime de leurs cultures propres : on est passé de l'époque « de fondation » des missions, au travail délicat d'« évangélisation intime » par l'œuvre des églises locales ! S'il est vrai que la foi catholique ne s'identifie à aucune culture, il est tout aussi important et urgent de reconnaître que « le Royaume que l'Evangile annonce est vécu par des hommes profondément liés à une culture; la construction du Royaume ne peut faire à moins de partir des éléments des cultures humaines ».22 Et cela se fait précisément à travers la médiation des églises locales.

Cette dernière observation sur l'heure de l'église locale en Afrique a une incidence concrète sur les critères de présence et d'action des missionnaires aujourd'hui, et, en particulier, sur notre engagement post-capitulaire de nous rendre présents en Afrique comme charisme ecclésial pour l'évangélisation de la jeunesse.


La nouvelle présence du charisme de Don Bosco.


J'ai voulu rappeler quelques-uns des aspects les plus caractéristiques de la « rencontre » du Pape avec l'Afrique, parce qu'ils apportent un éclairage non négligeable à notre façon d'aller, de rester et de travailler dans le Continent noir; nous nous y rendons présents pour collaborer avec ces jeunes églises en y insérant, de façon vitale et stable, le charisme de Don Bosco. C'est un charisme très approprié aux besoins de ces peuples. De plus, j'ai pensé plusieurs fois durant mon voyage, que la jeunesse africaine, si nombreuse et si besogneuse, a proprement un droit urgent à la vocation de la Famille Salésienne. J'ai entendu au Rwanda, durant l'homélie d'un évêque, que l'Afrique et Don Bosco sont faits l'un pour l'autre et que la vocation salésienne devra, dans l'avenir, être inséparable de la pastorale des jeunes en Afrique.

Il y a dans le Continent une explosion démographique de jeunesse vivace, intuitive et intelligente, docile, joyeuse de vivre, riche de sentiments, inclinée à la musique et à l'art, profondément imprégnée de religiosité, anxieuse de formation, négligée par manque de structures sociales adéquates (j'ai vu avec combien de peine un petit garçon de 6 ans détenu dans une prison pour mineurs, et cela me semblait incroyable !). La jeunesse est trop facilement en butte à tant de déviations, à l'oisiveté, à l'ignorance, à la misère matérielle et morale : elle a un besoin d'aide très urgent.

Le charisme de Don Bosco est fait justement, comme je vous le disais plus haut, pour collaborer dans les églises locales, à évangéliser les jeunes en faisant d'eux « d'honnêtes citoyens et de bons chrétiens ».

Il y a cent ans la vocation salésienne prenait la route de l'Amérique Latine et elle s'y est établie de façon robuste; cinquante ans après elle s'est dirigée vers l'Asie et elle s'y est déjà enracinée avec fécondité en divers pays; maintenant elle se tourne vers le Continent noir et elle se propose de s'y insérer humblement dans la fidélité à Don Bosco pour devenir fortement et authentiquement africaine ; notre projet a été mis sous la protection spéciale et maternelle de l'Auxiliatrice.

Il faudra que les confrères qui iront en Afrique ou qui y travaillent déjà s'inspirent de la missiologie rénovée de Vatican II, des grandes orientations du Magistère et en particulier du Pape en son récent voyage pastoral et missionnaire.

J'ai déjà entamé, spécialement à Libreville, Kansébula et à Burtare, un dialogue à ce sujet avec les jeunes confrères africains et avec ceux qui travaillent maintenant depuis des années sur le Continent. Je voudrais rappeler ici brièvement quelques lignes qui s'inspirent des critères conciliaires et pontificaux et en appliquent les orientations, de façon analogiquement appropriée, au charisme de notre Famille.

- Avant tout travaillons pour un « Don Bosco africain », c'est-à-dire pour une présence vitale, stable de notre charisme dans le Continent, par quoi, d'une part Don Bosco soit authentiquement et intégralement lui-même, et de l'autre qu'il ait vraiment et constitutivement les traits et la physionomie culturelle de l'Afrique. Nous ne sommes par des « missionnaires temporaires » qui passent à travers une région pour y implanter l'Eglise et puis s'en vont. Nous avons pu nous acquitter aussi de ce devoir difficile et fondamental, là où c'était nécessaire, mais nous l'avons fait avec l'intention d'y demeurer pour toujours, incarnant dynamiquement dans l'église locale la vocation salésienne.

- En Afrique nous nous proposons de soigner avec une sollicitude spéciale le caractère propre de notre charisme.23 Un tel caractère appartient au domaine des dons qui viennent d'En-haut et qui, par conséquent, ne s'identifient dans leur essence à aucune culture mais sont prodigués par l'Esprit à l'Eglise universelle précisément pour qu'ils soient opportunément inculturés dans les peuples divers au bénéfice des églises locales.

Notre brève histoire centenaire parle de souple adaptation de notre vocation à diverses cultures assez différentes de celle dans laquelle est né et a vécu Don Bosco.

- Le « caractère propre », toutefois, n'est pas une théorie ou une abstraction, mais bien plutôt « une expérience d'Esprit-Saint », qui « comporte aussi un style particulier de sanctification et d'apostolat »24 il est vécu et transmis vitale ment par des personnes qui le réalisent quotidiennement dans la fraternité des communautés salésiennes. D'où, à la base de tout cela, nous comptons sur le témoignage de communautés qui vivent authentiquement les deux grands Projets synthétiques de Don Bosco, c'est-à-dire les « Constitutions » et le « Système Préventif », l'un et l'autre approfondis et mis à jour dans les deux derniers Chapitres Généraux (le Chapitre Général Spécial et le 21e Chapitre Général).

En Afrique, comme en Europe, en Amérique Latine, en Asie et partout, il est nécessaire d'assurer toutes les grandes valeurs de notre « caractère propre » avec son « style particulier de sanctification et d'apostolat », tandis que l'on travaille avec créativité et intelligence à l'inculturation de notre vocation.

Pour cela in faudra une confrontation fraternelle avec toutes les provinces dans les Chapitres Généraux et une communion de dialogue profonde avec le Recteur Majeur et le Conseil Supérieur, qui s'acquittent précisément du ministère de l'unité.

- Le témoignage de communautés salésiennes qui reproduisent authentiquement le charisme de Don Bosco exige : d'une part que les missionnaires soient porteurs d'air pur et aient la trempe des premiers grands exportateurs du charisme (Cagliero, Fagnano, Costamagna, Lasagna, Cimatti, Braga, Mathias etc.), surtout en ce qui se réfère à la tradition vivante de notre vocation ; d'autre part, que dans le travail délicat de formation des jeunes générations africaines l'acceptation de valeurs culturelles locales soit harmonieusement unie aux exigences qualitatives propres à qui veut suivre le Christ, exigences aussi de la consécration religieuse, de l'esprit salésien et de notre mission juvénile et populaire.

A la racine du Salésien de quelque culture que ce soit il y a la sainteté, avec ses exigences réelles, avec son audace et son humilité. Don Bosco tout africain, ou asiatique ou européen qu'il soit n'est pas lui-même s'il n'est pas un saint. Et s'il est vrai que la présentation des valeurs évangéliques de sainteté sans accrochage culturel serait une espèce de « colonialisme angélique », il est vrai aussi que la promotion des valeurs culturelles sans une imprégnation adéquate des valeurs du « caractère propre » porterait à l'adultération de la vocation et à la désagrégation de notre Famille spirituelle.

- Comme nous n'avons, jusqu'à aujourd'hui, aucune expérience vérifiée dans le champ de l'africanisation du charisme de Don Bosco, un grand travail de recherche prolongée, d'étude, de dialogue, de confrontation, de vérification sera nécessaire en attitude ininterrompue de prière confiante.

C'est pourquoi les responsables des confrères qui travaillent aujourd'hui et qui iront dans les années prochaines parmi les populations du Continent noir devront prendre des initiatives et savoir se mouvoir au-delà des indispensables structures provinciales actuelles, pour promouvoir des rencontres qualifiées interafricaines de réflexion et de communication d'expériences en union avec le Recteur Majeur et son Conseil, et aboutir ainsi ensemble à des critères homogènes et appropriés de croissance salésienne. Durant mon récent voyage j'ai pu participer, avec Don Vanseveren et M. Romaldi, à un essai de ce style de recherche que je considère comme positif et prometteur.


Notre Fondateur nous a vus en Afrique.


Rentré à Rome je me suis préoccupé de rechercher un peu ce que notre cher Père avait désiré et rêvé en ce qui concerne la présence salésienne sur ce Continent. Il nous est intéressant et stimulant d'en connaître quelques données.

En 1886, alors au terme de sa vie, Don Bosco présidait une réunion du Conseil Supérieur qui s'était tenue deux jours après la fête de Marie Auxiliatrice ; y participait aussi le procureur Don Francesco Dalmazzo, qui avait présenté une proposition de fondation salésienne au Caire. Ayant entendu l'exposé du procureur Don Bosco dit : « Je suis disposé à accepter et j'enverrai au Caire quelques salésiens dès que je pourrai (...). Je vous dis d'ailleurs clairement que cette Mission est un de mes plans, c'est un de mes rêves. Si j'étais jeune je prendrais avec moi Don Rua et je lui dirais : « Viens, allons au Cap de Bonne Espérance, en Négritie, à Khartoum, au Congo ; ou mieux à Suakin (au Soudan) comme le suggère Mgr Sogaro, parce qu'il y a là du bon air ». Pour cette raison on pourrait mettre un noviciat du côté de la Mer Rouge ».25

Mgr Sogaro, Vicaire Apostolique d'Afrique Centrale, avait été l'hôte de l'Oratoire du 14 au 15 novembre de l'année précédente, 1885,26 et il était préoccupe de trouver un moyen d'assurer une vraie permanence des missionnaires dans les pays où ils se rendaient, Don Bosco lui indiquait le moyen religieux du vœu d'obéissance et la volonté d'incarnation de son Institut sur place. De fait nous le voyions penser tout de suite, avant même d'avoir un projet de départ, à l'érection d'un noviciat local.

Il voulait que les Salésiens aillent en Afrique pour y rester et pour y croître africainement même s'il y avait d'autres missionnaires sur place.

Il exprimait aussi cette pensée à Don Cerruti pendant un voyage à Alassio en mars de la même année 1886. « Durant le voyage, pendant une bonne demi-heure, il n'avait pas parlé d'autre chose que de missionnaires et de missions, en précisant les endroits d'Amérique, d'Afrique et d'Asie où les siens se seraient dirigés et établis au cours des temps ». « Vous direz, faisait-il observer, qu'il y a la déjà d’autres Congrégations. C'est très vrai, mais nous allons à leur aide, pas pour prendre leur place, rappelez-vous bien cela ! En général ils s'occupent plutôt des adultes ; nous, nous devons nous occuper de façon spéciale de la jeunesse, surtout pauvre et abandonnée ».27 Son biographe nous dit que très souvent on le surprenait à regarder, sur la carte de 1’Afrique, l'Angola, le Benguela et le Congo. Il parlait souvent de l'Angola et il disait qu'il fallait accepter cette mission si on nous l'offrait.28

Et puis nous avons connaissance de différents contacts importants de notre cher Père et de son amitié avec les grands missionnaires d'Afrique au siècle dernier ; comme son célèbre concitoyen, 1’extraordinaire frère capucin, le Cardinal Guglielmo Massaia, qui, de l'Afrique orientale écrivait aux supérieurs de Turin à la mort de Don Bosco : Oh ! Si j'avais pour compagnon un tel homme dans ma mission !» ;29 comme l'infatigable Mgr Daniele Comboni, fondateur des Fils du Sacré-Cœur et des Pieuses Mères de la Négritie,30 partisan convaincu de l'heure du salut de la Négritie comme œuvre de coresponsabilité pour toute l'Eglise ; comme le courageux Card. Charles Martial Lavigerie, fondateur des Pères Blancs et autres Instituts missionnaires, apôtre de l'Afrique nord-occidentale et animateur de la lutte antiesclavagiste ;31 et d’autres.32

Désormais la renommée du cœur missionnaire de Don Bosco s'est répandue dans le monde : « Ainsi advint-il - nous dit son biographe - que même de pays lointains on regardait vers l'Oratoire comme vers une réserve de Missionnaires ».33

Nous nous réjouissons beaucoup de cette constatation de Don Ceri parce qu'il nous semble être revenus aujourd'hui dans la Maison Généralice, après le mandat capitulaire, à ce climat des origines : en effet, à travers des lettres et des visites personnelles, nous parviennent de continuelles demandes émanant de tant de pays, comme si nous avions une mine inépuisable de missionnaires.

La crise actuelle nous met devant de grosses difficultés !

Même pour Don Bosco il y avait de graves objections : la plus évidente était « qu'il fallait aussi consolider la Congrégation ».34

Nous savons que notre Fondateur ne s'arrêta pas à cela. La magnanimité de ses projets et l'audace de ses initiatives étaient aussi liées à certains songes fameux, dont les représentations, au dire de Walter Nigg en un intéressant petit chapitre à ce sujet, « étaient un message provenant de la vie intérieure de l'homme et en même temps une modalité de sa relation avec Dieu (...). Il existait (pour Don Bosco) une réalité de rêve sur laquelle il ne nourrissait aucun doute ».35 Et cette « réalité de rêve » lui infusait une harmonie de certitude avec les plans divins.

27

Nous connaissons deux songes de Don Bosco sur l'Afrique : un de juillet 1885 et l'autre d'avril 1886.

Dans le premier il s'agit d'un long et curieux voyage fait en compagnie de Louis Colle : « notre ami Louis - écrivait Don Bosco lui-même au père du jeune homme - m'a emmené faire une promenade au centre de l'Afrique ».

Il s'était trouvé « devant une très haute montagne » et durant tout le voyage « il lui semblait être enlevé à une hauteur illimitée, comme au-dessus des nuages, entouré d'un espace immense » ; à un certain moment il put préciser sa position : « Il me sembla être au centre de l'Afrique (... et voir) l'Ange de Cham qui disait : Cessabit maledictum (la malédiction cessera) et la bénédiction du Créateur descendra (...) ».36

Voilà proclamée en ce premier songe l'attitude missionnaire d'espérance et de croissance que Don Bosco nourrissait en son cœur.

L'autre songe est celui, fameux, de Barcelone.

Là, la bergère, après lui avoir rappelé le songe des neuf ans, lui fait voir le développement de la Congrégation : Valparaiso, Santiago, Pékin; puis elle lui dit : « Maintenant trace une seule ligne de l'extrémité à l'autre, de Pékin à Santiago, marques-en le centre au milieu de l'Afrique et tu auras une idée exacte de ce que doivent faire les Salésiens.

« Mais comment faire tout cela ? (...)

« Eh bien ! Ces centres que tu vois, constitueront des centres d'étude et de noviciat et donneront une multitude de missionnaires (...). Et maintenant tourne toi de cet autre côté. Là tu vois dix autres centres du milieu de l’Afrique jusqu’à Pékin (…) et plus loin Madagascar. Ces centres et d’autres encore auront des maisons, des lieux d’étude et des noviciats »37


Appel stimulant pour toute la Famille Salésienne.


Laissez-moi alors répéter ce que je disais au début : le Projet-Afrique est, pour nous, une grâce de Dieu !

Pour corroborer une telle assertion je vous offre quelques suggestions autorisées qui interpellent notre foi, notre espérance et notre charité.

Le Concile a proclamé que « la grâce du renouveau ne peut croître dans les communautés, si chacune d'elles n'élargit pas les espaces de sa charité jusqu'aux confins de la terre, en montrant pour ceux qui sont loin le même sollicitude que pour ceux qui sont ses propres membres ».38

Paul VI, dans le message pour la journée missionnaire de 1972 lancé le jour de la Pentecôte, l'a confirmé en disant : « L'asphyxie spirituelle, dans laquelle tant d'individus et d'institutions se débattent aujourd'hui tristement au sein de l'Eglise, n'aurait-elle pas peut-être son origine dans l'absence prolongée d'un authentique esprit missionnaire ?».39

Et notre Chapitre Général Spécial, dans la même ligne, nous assure que « la relance missionnaire sera donc un thermomètre de la vitalité pastorale de la Congrégation et un moyen efficace contre le danger d'embourgeoisement. Il importe de réveiller la conscience missionnaire de tous les salésiens, de repenser la méthodologie actuelle, d'engager à fond la Congrégation afin qu'elle suive l'exemple de Don Bosco et voie se multiplier le nombre des messagers de l'Evangile ».40 Et, précisément pour rejoindre cet objectif, «le Chapitre Général spécial lance un appel à toutes les provinces, les plus pauvres en personnel y comprises, pour que, répondant à l'invitation du Concile41 et suivant l'exemple audacieux de notre Fondateur, elles contribuent, sous forme provisoire ou définitive, par l'apport d'un personnel qualifié, à l'annonce du Royaume de Dieu ».42

L'audace missionnaire de notre Père et Fondateur est bien synthétisée dans les lignes suivantes du Chapitre : « Don Bosco voulut que la Société salésienne fût fortement missionnaire. En 1875, il choisit lui-même dans le groupe des premiers salésiens les dix à envoyer en Amérique. Avant sa mort, il avait déjà lancé dix expéditions missionnaires. Parallèlement partaient aussi pour les missions les Filles de Marie-Auxiliatrice, qui, depuis, ont toujours été aux côtés des missionnaires salésiens. A sa mort, en 1888, les salésiens au-delà des mers étaient au nombre de 153, c'est-à-dire environ 20% des membres à cette époque ».43

Eh bien, chers confrères, nous devons constater et nous convaincre que l'Esprit-Saint a préparé et donne aujourd'hui en Afrique l'impulsion à un vaste mouvement d'évangélisation de ces populations. C'est pourquoi nous avons accueilli avec joie et espérance le mandat capitulaire pour le Continent africain. Malgré les grandes difficultés de la crise que nous traversons, nous y voyons le présage de l'aurore d'un renouveau concret de notre dynamique vocationnelle.

Que ferait aujourd'hui Don Bosco en un moment aussi propice ?

Certainement il stimulerait et enthousiasmerait toute notre Famille : les Salésiens, les Filles de Marie-Auxiliatrice, les Volontaires de Don Bosco, les Coopérateurs, les Anciens-Elèves et tous les différents groupes qui cherchent en lui leur inspiration, à entendre l'appel africain et à y participer de quelque façon. Il intéresserait en particulier, comme il le faisait par le Bulletin et autres initiatives, les Coopérateurs, les Anciens-Elèves et les amis de l'Œuvre salésienne à soutenir et à réaliser un projet aussi important et à contribuer en temps utile à l'africanisation de son charisme.

Vous tous, chers confrères, mais spécialement les provinciaux et les délégués provinciaux, vous devrez savoir animer avec intelligence et constance les différents groupes de la Famille Salésienne en ce nouvel élan missionnaire.

Le courageux Projet-Afrique n'a pas été formulé par suite d'un calcul d'organisation ou d'une naïveté sentimentale, mais c'est le legs de la visite de l'Esprit du Seigneur au Chapitre Général, ou plutôt il est le fruit de cette jeunesse éternelle et de cette audace magnanime que Dieu communique de temps à autre à son Eglise à travers l'ardeur de son amour créatif.

Soyons donc audacieux dans l'Esprit du Christ.

Et permettez-moi de vous faire entendre encore une fois la parole de notre Saint-Père Jean-Paul II, adressée maintenant aux missionnaires hommes et femmes. Au cimetière de Makiso, à Kisangani au Zaïre sur la tombe des missionnaires défunts, le Pape a formulé une prière émouvante : « Bénis sois-tu, Seigneur, pour le témoignage de tes missionnaires ! C'est toi qui a inspiré à leurs cœurs d'apôtres de quitter pour toujours leur terre, leur famille, leur patrie, pour rejoindre ce pays, jusqu'alors inconnu d'eux, et de présenter l'Evangile à ceux que déjà ils considéraient comme leurs frères. Bénis sois- tu, Seigneur, (...) de leur avoir donné résistance et patience dans leurs fatigues, dans les difficultés, dans les peines et les souffrances de toutes sortes ».44

Plus tard, lors de sa visite à la mission Saint Gabriel, toujours à Kisangani au Zaïre, le Pape adresse un mot d'admiration et d'encouragement à tous les missionnaires d'Afrique : « A mes yeux les postes de mission évoquent tout de suite la modestie des commencements : très souvent modestie des effectifs missionnaires, modestie des communautés chrétiennes, modestie des moyens pédagogique et matériels. (...) Oui, chers amis, la foi et la charité qui habitent vos personnes, voilà ce qui fait par-dessus toute votre originalité, votre richesse et votre dynamisme. (...) Vous ne vous contentez pas de passer : vous restez au milieu de ceux dont vous avez adopté la vie. Vous restez patiemment, même si vous devez semer longuement l'Evangile sans même assister à la germination et à la floraison. La lampe de votre foi et de votre charité semble alors brûler en pure perte. Mais rien n'est perdu de ce qui est ainsi donné. Une mystérieuse solidarité lie tous les apôtres. Vous préparez le terrain où d'autres moissonneront. Demeurez des serviteurs fidèles ! (...) L'Eglise se retrouve près de vous, missionnaires, (...) parce qu'elle doit être tout entière et à tout moment « missionnaire ». Ainsi s'étend en amplitude et en profondeur l'action du " sel " et du "levain" dont parle l'Evangile ».45

Ce sont ces paroles du Pape que j'ai voulu rapporter pour que les lisent et les méditent surtout ces hommes généreux qui ont entendu et entendront l'invitation missionnaire du Seigneur.


Et je conclus.


Chers confrères, si outre le Projet-Afrique nous pensons aussi aux autres nombreuses missions que nous avons en Amérique Latine, en Asie et maintenant (grâce aux provinces des Philippines, de l'Inde et de l'Australie) même en Océanie, et si nous considérons la pénurie de personnel dont souffrent beaucoup d'entre elles et même beaucoup de provinces jadis floriscentes, l'angoisse qui en découle et la demande d'hommes et de moyens que font les provinciaux et les prélats responsables, nous devons en conclure que de lourdes difficultés se dressent devant notre engagement africain.

C'est vrai. Mais avant de diminuer l'engagement il faut augmenter la générosité. L'avenir de la Congrégation ne consiste pas dans la stagnation de certains aspects vocationnels de fond, comme l'est notre dimension courageusement missionnaire, mais dans l'accroissement d'une « mystique » à leur égard ; « mystique » qui est liée à des projets concrets.

J'ai déjà fait allusion aux objections que l'on faisait à Don Bosco en vue d'une indispensable consolidation de la Congrégation qui semblait menacée par le grand élan missionnaire qui lui était donné. Eh bien! En décembre 1875 Don Bosco lui-même, dans une réunion du Conseil Supérieur, manifesta ainsi son idée : « En ce qui concerne la Congrégation, bien que l'on répète qu'il est nécessaire que nous nous consolidions, je vois que, si on travaille beaucoup, les choses vont mieux : la consolidation peut être plus lente, mais elle sera aussi plus durable. Et nous le voyons même les yeux fermés : tant qu'il y a ce grand mouvement, ce grand travail, on avance toutes voiles gonflées et parmi les membres de la Congrégation il y a vraiment une grande volonté de travailler ».

D'où, parfois, entendant des propositions importantes et de réalisation difficile, il répondait en s'exclamant :

« Mais !... Il y manque une seule chose.

« Laquelle ?

« Le temps ! La vie est trop courte. Il faut faire au plus vite le peu de bien qu'on peut avant que la mort ne nous surprenne ».

Voilà pourquoi, malgré la pénurie de personnel, il rêvait toujours de nouvelles entreprises apostoliques et sur une grande échelle.

Don Berto l'apercevait l'œil attentivement fixé sur des cartes géographiques en train d'y étudier des terres à conquérir à l'Evangile. On l'entendit s'écrier :

« Quel beau jour ce sera quand les missionnaires salésiens, montant par le Congo de place en place se rencontreront avec leurs confrères qui seront venus par le Nil et se serreront la main en louant le Seigneur ! ».46

Voilà comment Don Bosco lui-même répondait à certaines difficultés ! Demandons au Seigneur d'être les dignes continuateurs de l'ardeur missionnaire de notre Père et Fondateur; mettons en pratique ses « conseils à nos premiers missionnaires »47 et, comme pour lui être fidèles dans la magnanimité de nos initiatives nous avons besoin de « miracles » appuyons-nous toujours aux deux grandes colonnes qu'il a indiquées pour notre croissance : Jésus et Marie. Il nous faut attribuer avec plus d'élan et de sérieux, dans notre vie, une place centrale à l'Eucharistie et à la dévotion à la Vierge, Mère de l'Eglise et Auxiliatrice des chrétiens : alors, nous aussi, nous verrons des miracles !

Je salue avec une affection spéciale et je remercie avec une profonde reconnaissance les confrères missionnaires d'hier, d'aujourd'hui et de demain ; je dis aux provinciaux que ceux qui partent pour les missions ne sont pas une perte de personnel pour leur communauté provinciale d'origine mais une véritable semence de vocations plus nombreuses ; et je rappelle à tous que la dimension missionnaire est une partie vivante, et à laquelle on ne peut renoncer, de ce «cœur oratoriano» qui palpite en tout salésien.

Je recommande encore une fois le très cher Don Dho à vos suffrages fraternels ; nous prierons pour lui en nous souvenant que nous pouvons aussi le prier ensemble et lui demander son intercession efficace pour notre engagement africain.

La moisson est abondante : que l'Esprit-Saint suscite de nombreux ouvriers dans toute notre Famille !

Cordialement,

Don EGIDIO VIGANÒ

1 Constitutions 147.

2 Memorie biografiche 16, 254.

3 Actes du Chap. Gén. 21, 147a.

4 Cf. Bollettino salesiano 1er mars 1980, pp. 20-23.

5 6 mai 1980, rencontre avec le corps diplomatique accrédité à Nairobi.

6 10 mai 1980, au Président de la Côte d'Ivoire.

7 Jean Paul II.

8 Paul VI, Africae terrarum 3-4.

9 12 mai 1980, départ de l'Afrique, en Côte d'Ivoire.

10 2 mai 1980, discours au Présidant du Zaïre.

11 6 mai 1980, rencontre avec les diplomates à Nairobi.

12 8 mai 1980, au Président du Ghana.

13 4 mai 1980, aux diplomates à Kinshasa.

14 4 mai 1980, aux universitaires et aux intellectuels à Kinshasa.

15 3 mai 1980, rencontre avec les évêques du Zaïre.

16 9 mai 1980, allocution aux évêques du Ghana à Kumasi.

17 14 mai 1980, interview du S. Père à l'Osservatore Romano.

18 3 mai 1980, aux évêques du Zaïre.

19 Cf. p. ex. les problèmes concernant le mariage chrétien et le ministère sacerdotal dans les discours du 3 mai sur la famille et du 4 mai aux prêtres à Kinshasa.

20 9 mai 1980, aux évêques du Ghana à Kumasi.

21 9 mai 1980, aux évêques du Ghana à Kumasi.

22 3 mai 1980, aux évêques du Zaïre à Kinshasa.

23 Cf. Mutuae relationes 11.

24 Cf. Mutuae relationes 11.

25 Memorie biografiche 17, 508.

26 Memorie biografiche 11, 508.

27 Memorie biografiche 18, 49.

28 Lemoyne-Amadel « Vita di S. G. Bosco » vol. 2, pp. 612-613 ; Turin SEI 1953.

29 Memorie biografiche 18, 820.

30 Memorie biografiche 7, 825 ; 9,711.

31 Memorie biografiche 9, 471.710.940 ; 16.252 ; 17, 472.

32 Cf. p. ex. Memorie biografiche 3, 568.

33 Memorie biografiche 11, 408.

34 Memorie biografiche 11, 409.

35 Walter Nigg : « Don Bosco un santo per il nostro tempo » LDC 1980, p. 78-79.

36 Memorie biografiche 17, 643-645.

37 Memorie biografiche 18, 71 sqs.

38 Ad Gentes 37.

39 Acta Apostollcae Sedia LXIV. 1972. p. 449.

40 Actes du Chap. Gén. Spécial 463.

41 Ad Gentes 40.

42 Actes du Chap. Gén. Spécial 477.

43 Actes du Chap. Gén. Spécial 471.

44 6 mai 1980.

45 6 mai 1980, aux missionnaires de s. Gabriel à Kisangani.

46 Memorie biografiche 11, 409.

47 Memorie biografiche 11, 389-390.