301-350|fr|315 Notre fidélité au successeur de Pierre

NOTRE FIDÉLITÉ AU SUCCESSEUR DE PIERRE



Une invitation qui vient à son heure. - Don Bosco avait un « sens de l'Eglise » très concret.- Un style nouveau dans l'exercice du ministère de Pierre. - Situation de malaise. - Quelques réflexions à propos de la Constitution « Lumen Gentium ». - Notre fidélité se transforme en un « devoir » à assumer. - L'Auxiliatrice et le Pape.



Rome, Mémoire de St. Grégoire le Grand

3 septembre 1985


Chers Confrères,

Je vous écris au retour d'une tournée de visites à nos communautés du Chili, de Bolivie et du Pérou. En ces provinces, rajeunies par l'arrivée de vocations pleines de promesses, j'ai eu la joie de remettre aux confrères le nouveau texte des Constitutions et des Règlements généraux. L'événement a été salué comme un fait exceptionnel et mémorable. Les communautés ont vécu intensément à l'unisson du cœur de Don Bosco. Son « testament vivant », une nouvelle fois approuvé par le Siège Apostolique, leur a fait redécouvrir le zèle évangélique de notre Fondateur.

Je suis heureux de vous communiquer la résolution prise ce jour-là : préparer de notre mieux, pour l'année '88, les célébrations anniversaires, et multiplier, d'ici là, autour des textes de notre Règle de vie, des études de caractère général, un effort d'assimilation personnelle et communautaire, et enfin des initiatives apostoliques probantes. La Congrégation tout entière doit se sentir conviée à revivre en quelque sorte un « second noviciat » et à relancer, dans un esprit prophétique, notre ardeur apostolique sur le modèle de celle de Don Bosco. A cent ans de sa mort nous voulons que son esprit vive en ses fils !

Les nouvelles Constitutions, comme vous le savez, ont été approuvées, par le Siège Apostolique, le 25 novembre 1984, en la solennité du Christ Roi. Cet événement relie plus étroitement notre profession religieuse au ministère de Pierre. Il confère une autorité ecclésiale au projet de vie formulé dans notre profession et contresigne le caractère unique du charisme que notre Congrégation offre au Peuple de Dieu.

Dans cet ordre d'idées, j'ai jugé opportun de répondre à une requête que plusieurs confrères, de diverses provinces, m'ont adressée. Ils demandaient une explication de cette « conscience ecclésiale » qui « s'exprime dans la fidélité au successeur de Pierre et à son magistère ».1 L'attitude, théologiquement fondée, de « dévotion » au Pape, que nous avons héritée de Don Bosco, est un élément constitutif de notre esprit.

Reprenons-en une conscience plus vive.

Je vous écris cette lettre au jour où l'Église fait mémoire de St. Grégoire le Grand. Je le prie d'intercéder pour nous. Après avoir été, à Rome, un homme politique réputé, il devint moine fervent et exemplaire, pour apporter ensuite, dans l'exercice du ministère suprême de l'Église, plusieurs des vertus typiques de la Rome antique. Qu'il nous aide à mieux comprendre et à estimer à son prix, le rôle fondamental de la papauté dans l'Église. La papauté est un service éminent, in- séré par le Christ au cœur de l'histoire, pour éclairer et exhorter, orienter et diriger, stimuler et conforter le Peuple de Dieu en actualisant sans cesse le message libérateur de l'Évangile.


Don Bosco avait un « sens de l'Église » très concret.


Don Bosco, à des fins pédagogiques, concrétisait son sens de l'Église en trois comportements pratiques et fermes ; il les appelait des « dévotions », La première allait à Jésus-Christ, présent dans l'Eucharistie, centre de la vie de l'Église ; la seconde s'adressait à Marie, modèle et mère de l'Église, honorée comme le Secours du Peuple chrétien au cours de l'histoire ; la troisième vénérait le Pape, successeur de Pierre, tête du Collège épiscopal, pour le service pastoral de l'Église entière.

Ces trois « dévotions » sont inséparables ; elles s'éclairent mutuellement et convergent en la per- sonne du Christ, Seigneur de l'histoire.

Ni la dimension ministérielle de Pierre, ni la dimension mariale, ne sont des « dévotions » autonomes.

Si le sujet spécifique de cette lettre est : notre adhésion au Pape, c'est uniquement pour des raisons de méthode ; nous ne voulons aucunement séparer ce sujet de l'ensemble de la christologie. Aussi bien, chaque confrère est-il invité à replacer le sujet dans l'ensemble d'une méditation sur le mystère du Christ et de l'Église.

Le Bienheureux Luigi Orione, pénétré du même sens ecclésial que notre Fondateur, voulait pour son Institut un « quatrième vœu » : l'adhésion et l'obéissance totales au Pape. Ce qu'il ne put réaliser en raison des difficultés de l'époque, ses fils l'ont réussi lors d'un récent Chapitre général. Ils rétablissaient ainsi fidèlement l'identité de leur Institut et de son charisme.

Nous n'avons pas ce quatrième vœu de l'obéissance au Pape, mais nous vivons du même esprit. L'article 125 des Constitutions le déclare explicitement : « La Société salésienne a pour supérieur suprême le Souverain Pontife à l'autorité duquel les membres sont filialement soumis en vertu même du vœu d'obéissance, étant disponibles pour le bien de l'Église universelle. Ils accueillent son magistère avec docilité et ils aident les fidèles, en particulier les jeunes, à en accepter les enseignements ».

Un autre article des Constitutions, le treizième, nous fait mieux saisir le sens de l'article 125 ; il parle de l'« esprit », cet élément vivificateur, qui nous anime.

Il vaut la peine de souligner les mots « filial » et « filialement » utilisés dans les deux articles, ainsi que l'insistance de ces articles à parler de la « disponibilité » et de la « docilité » de notre apostolat, surtout quand il s'adresse aux jeunes. Ces attitudes demandent du courage et du dévouement : « Les fatigues, quelles qu'elles soient, nous répète Don Bosco, sont bien peu de chose quand il s'agit de l'Église et de la papauté ».2

Nous pouvons considérer les deux articles 13 et 125 comme la synthèse de toute une riche tradition salésienne. Qu'il suffise ici d'y faire allusion. Don Ricaldone a relevé les expressions les plus significatives de cette tradition dans une circulaire intitulée : « Connaître, aimer et défendre le Pape ».3

Cette circulaire, très étoffée, nous aide à découvrir dans le cœur de Don Bosco une extraordinaire et courageuse fidélité au ministère de Pierre. Notre père avait ses convictions sur ce point, et il les exprimait clairement. Il n'acceptait pas la formule : « Pie IX, oui ; mais pas le Pape » ; et il n'aurait pas aimé cette autre formule (à la mode ces derniers temps) : « La papauté, oui ; mais pas le Pape actuel ». La première était sournoisement politique ; la seconde est ambiguë et démobilise.

Le Successeur de Pierre, pour Don Bosco, c'est le Pape « vivant », celui qui conduit et enseigne le Peuple de Dieu, ici et maintenant, dans l'actuelle conjoncture historique ; c'est à lui, au Pape vivant, que se rapportent les paroles du Christ dans l'Évangile ainsi que la promesse de l'indéfectible assistance de l'Esprit-Saint. Les deux formules citées plus haut n'expriment pas la vraie foi ; elles en camouflent les exigences et donnent libre cours aux interprétations subjectives.

Don Bosco, quand il témoigne pour la dimension ecclésiale de sa foi et la transmet aux jeunes, reste le pédagogue avisé et sans équivoque. Avec lui, on ne court jamais le risque de ne pas saisir le fond de sa pensée sur ce sujet-là. Même quand certaines de ses expressions sacrifient au style de l'époque, on découvre du premier coup d'œil et clairement à quel point le sens de l'Église l'anime.

Ainsi s'explique que, lors de la réélaboration consciencieuse et laborieuse des Constitutions au cours des années passées, les Salésiens n'ont jamais tergiversé avant d'affirmer sans ambages leur « fidélité filiale » au Pape4 et leur « docilité » à son magistère,5 si bien qu'il nous est permis de conclure, sans l'ombre d'un doute, que l'attachement et l'assentiment au ministère de Pierre sont des composantes irrévocables du patrimoine spirituel légué par notre Fondateur.

La lettre de Don Ricaldone, dont nous parlions plus haut, fournit une ample matière qui justifie les mots qualifiant l'amour de Don Bosco pour le Pape : « surnaturel, zélé, conquérant, filial, dévoué, obéissant, soumis, sacrifié, héroïque. Il (D. Bosco) fut de surcroît un valeureux défenseur du Pape ».6 Ces qualificatifs ne sont pas des pléonasmes ; ils soulignent les divers aspects du témoignage de toute une vie.

Songeons à tout ce que Don Bosco a écrit, par exemple, à l'histoire des Papes ; à tout ce qu'il a fait, pour que Vatican 1 proclame l'infaillibilité du Pape ; souvenons-nous de l'héroïque démarche d'obéissance à Léon XIII lors des douloureux démêlés avec Mgr Gastaldi, et, enfin, pensons à tout ce que Don Bosco a dû supporter, durant ses dernières années de mauvaise santé, pour satisfaire au désir du Pape de voir achever la basilique du Sacré-Cœur à Rome. Don Cerruti, qui a suivi Don Bosco de près dans ce dernier et pesant engagement, accepté par déférence envers le Pape, fit la déposition suivante au procès de béatification et de canonisation : « Je suis intimement convaincu que ces souffrances et ces excès de fatigue (au cours de ses longs voyages de quémandeur) abrégèrent la vie de Don Bosco déjà caduc et usé de travail ».7

Sans aucun doute possible, Don Bosco a voulu transmettre à ses fils la vivante hérédité d'une « dévotion », théologale et concrète, au Successeur de Pierre.

Dans le « Résumé » de la vie et de la nature de la Pieuse Société de Saint François de Sales qu'il présenta le 23 février 1874 au Siège Apostolique, Don Bosco s'exprime en ces termes : « Le but fondamental de la Congrégation, dès ses débuts, a été constamment de soutenir et de défendre l'autorité du Chef suprême de l'Eglise auprès des classes peu aisées de la société et particulièrement auprès des jeunes en péril ».8

Dans la première traduction italienne des Constitutions, qui venaient d'être approuvées par le Saint-Siège,9 à l'article 1 du chapitre VI, (malgré la situation politique délicate de ces années), Don Bosco écrit : « Les confrères reconnaîtront pour leur arbitre et leur supérieur absolu le Souverain Pontife auquel ils seront, en toutes choses, en tous lieux, et en tout temps, humblement et respectueusement soumis. Tous, ils en défendront l'autorité avec le plus grand empressement ; ils s'appliqueront à obtenir la soumission aux lois de l'Église catholique et aux ordres de son Chef Suprême qui est le Législateur et le Vicaire de Jésus-Christ sur la terre ».10

Il s'agit, chers confrères, d'une attitude et d'un comportement spirituels propres à la mission spécifique de la Congrégation. Un mouvement apostolique d'une portée universelle comme le nôtre, qu'une mission charismatique voue à la pastorale des jeunes, a besoin, pour être cohérent avec lui-même, de se situer dans le droit fil du dynamisme apostolique de l'Église. S'adonner à la pastorale n'est pas autre chose que s'engager dans une action évangélisatrice sous la conduite des Pasteurs en « communion hiérarchique » avec le Pape, chef du Collège épiscopal.11


Style nouveau dans l'exercice du ministère de Pierre.


De Don Bosco à nos jours, l'exercice de l'office de Pierre a connu un développement pratique dû à l'évolution des idées et des faits ; il a subi des révisions, des mises au point, bref, une constante rénovation.12

Prendre conscience de ce processus fait partie de notre adhésion et de notre obéissance au Pape. Si quelque confrère s'étonnait ou se scandalisait de cette évolution, il lui suffirait de comparer l'exercice du ministère papal de tel grand Souverain Pontife d'avant Vatican II, par exemple du Pape Pie XII, avec la façon de faire du Pape Jean-Paul II.

Du temps de Pie IX à nos années '80, l'exercice de la Primauté a dû relever des défis dus non seulement aux transformations dans le domaine socio-politique ou ecclésial, mais aussi à la maturation de la doctrine et de la pastorale. Le ministère papal apparaît aujourd'hui avec des traits nouveaux, qui ont d'ailleurs exigé de sérieuses recherches et causé des tensions.

Essayons d'esquisser brièvement quelques-uns de ces traits nouveaux plus significatifs.

- La suppression des États Pontificaux, avec les luttes confuses qui l'ont précédée et les problèmes épineux qui l'ont suivie durant des décennies, a évidemment conditionné l'exercice de la fonction papale.

- Il en est résulté une purification, une simplification, un nouvel élan pastoral. L'emprise, l'authenticité, le rôle prophétique de l'office de Pierre, par exemple dans le domaine de la doctrine sociale, en sortirent renforcés.

- La lignée des Papes contemporains a brillé par la compétence, la sainteté. L'image du service papal, sa portée universelle ont été corroborées face à la croissance du rationalisme laïque.

- L'extraordinaire événement du Concile Vatican II a profondément renouvelé l'ecclésiologie. L'aspect essentiel de l'Église-Mystère et sa nature atypique, due à la présence indéfectible de l'Esprit-Saint, ont été mis en lumière. Depuis Vatican II un renouvellement ininterrompu de l'Église se poursuit qui s'étend aussi à l'exercice des ministères et des charismes.

- La proclamation simultanée, par le Concile, de la primauté papale et de la collégialité épiscopale était grosse d'importantes nouveautés. Elle n'a pas fini de sortir ses effets concernant l'office de Pierre. On a pu le constater, par exemple, dans la mise en route, par Paul VI, du Synode des Évêques.

- Vatican II voit l'Église universelle comme la communion des Églises particulières. Il exclut la caricature simpliste d'une Église « diocèse du Pape », Le pouvoir des Évêques, dit la Lumen Gentium, « n'est pas diminué par le pouvoir suprême et universel ; il est au contraire affirmé, fortifié, et défendu par lui ».13

Il ressort de là que l'exercice du ministère du Pape se présente comme un « service de la communion », confirmant et orientant le Collège des évêques et harmonisant les interventions du pouvoir primatial avec les justes exigences de la subsidiarité.

- Une ecclésiologie de la communion reconnaît et respecte les légitimes différences qui enrichissent l'Église universelle. La Papauté, fondement visible de l'unité et de la catholicité de l'Église, a pour tache de promouvoir une communion diversifiée et d'éviter les dangers sournois de l'uniformité.

- Vatican II a créé un nouveau et vaste contexte œcuménique avec, parmi ses requêtes, la confrontation et le dialogue sur le thème délicat de l'office de Pierre. C'est un encouragement à approfondir la doctrine de la primauté et à la formuler de manière compréhensible.14 Certes le Concile affirme, sans équivoque possible, la primauté comme essentielle au mystère de l'Église telle que le Christ l'a voulue dans sa structure originelle historique, mais la manière de formuler cette vérité est susceptible d'éclaircissements : « La terminologie du concile d'Éphèse - écrit von Balthasar - a été profondément modifiée, on le sait, par celle de Chalcédonie, qui exprime la même réalité en des mots prêtant encore moins à l'équivoque. Il n'est donc pas impossible de se demander, sans donner dans la contradiction, si la réalité exprimée par les deux derniers conciles, dans leur terminologie bien définie, ne pourrait pas être formulée aussi en d'autres termes plus faciles à comprendre ».15

- L'ouverture conciliaire aux religions non-chrétiennes et aux foules incroyantes est en voie d'exiger, de la fonction papale, des modalités de service inédites. L'amplification et la réforme des dicastères du Vatican, ainsi que les voyages des derniers Papes,16 en sont les prodromes de bon augure, comme d'ailleurs les courageuses initiatives pastorales et culturelles de la papauté auprès de diverses Assemblées représentant les peuples, et certaines formes de médiation pour la justice et la paix.

L'ensemble de ces « nouveautés », non dépourvues de difficultés, exerce une influence marquante sur l'exercice de l'office de Pierre, non pour le contester ou en réduire la portée, mais pour adapter ce ministère, institué par le Christ, à la constante transformation socio-ecclésiale.

L'énumération des motifs du changement de style du ministère du Pape doit nous inciter à réinterpréter, avec un grand souci de fidélité, le testament spirituel de Don Bosco. Comprendre l'actuel processus de renouveau de l'exercice du ministère papal est la condition du renouveau de notre « sens ecclésial ».

Avec Don Bosco et avec notre temps ! Notre filial attachement au Pape se sait enraciné dans une vivante tradition nourrie aux sources limpides de la foi, et en profonde harmonie avec la conscience croissante que l'Église prend d'elle-même.17


Une situation de malaise.


L'intérêt suscité par les « nouveautés » dont nous avons parlé, - l'amplification de quelques-unes des tensions qui en sont nées, - une certaine prétention pseudo-scientifique, - d'anciens et de nouveaux préjugés, voudraient accréditer, comme critère de maturité ou preuve de personnalité, le fait de « faire abstraction » ou de « prendre ses distances » vis-à-vis du rôle de guide que doit exercer le Pape en raison de son pouvoir d'enseigner. Si quelqu'un témoigne de son adhésion sincère aux directives du Pape, le voilà taxé de « rétrograde ».

Il n'est plus seulement question de « complexe antiromain » tel que Urs von Balthasar l'analysait dans son ouvrage bien connu, mais d'une montée d'animosité envers « ce Pape-ci » d'aujourd'hui.

Il semble que cela devienne une mode d'agréer des interprétations malveillantes ou faciles concernant la personne du Pape. Un tel atténue ses interventions doctrinales ; un autre marque de l'intérêt pour des doctrines que le Pape a censurées ; un troisième se montre complaisant envers des affirmations gratuites déclarant « dépassées » la culture ou la mentalité du Pape ; enfin certains exaltent à ce point la recherche herméneutique (pour importante et enrichissante qu'elle soit) qu'ils en oublient que (cf. la Constitution Dei Verbum) « la charge d'interpréter authentiquement la Parole de Dieu, écrite ou transmise, a été confiée au seul magistère vivant de l'Église, dont l'autorité s'exerce au nom de Jésus-Christ ».18

Ceux qui estiment que l'interprétation « historique » des sources de la Révélation est un progrès scientifique par rapport à l'interprétation « dogmatique » ne font pas suffisamment attention à la nature de la foi. Ils considèrent la présentation dogmatique comme une sorte d'étape préscientifique à mettre de côté, après leurs recherches, comme un mode de connaissance archaïque. Ils oublient que la Révélation est la source de la foi et que celle-ci est fondamentalement l'acte accompli par l'Église entière avec sa tradition vivante dans toute son extension et accompagnée du service du Magistère.

En effet « la foi n'est pas seulement un face à face avec Dieu et Jésus-Christ, mais aussi un contact qui nous met en communion avec ceux auxquels Dieu lui-même s'est communiqué. Ainsi la foi n'est pas seulement un ' je ' et un 'tu', mais encore un ' nous '. Dans ce 'nous' vit le mémorial qui nous a fait retrouver ce que nous avions oublié : Dieu et son Envoyé. En d'autres termes, il n'y a pas de foi sans Église. Henri de Lubac a démontré que le ' je ' de la profession de foi chrétienne, n'est pas le 'je' isolé de l'individu, mais le ' je ' collectif de l'Église ».19

Ce n'est pas se conduire en « croyant » que de faire abstraction de la présence vivante de l'Esprit-Saint et de son assistance indéfectible au ministère de Pierre. Ce n'est pas une attitude de foi de « démocratiser » à l'intérieur du Peuple de Dieu l'action de l'Esprit-Saint au point de rendre pratiquement superflu l'office de Pierre et de ses Successeurs.

Au plan de la pastorale, c'est un grand mal causé aux fidèles et surtout aux jeunes par certains professeurs ou agents pastoraux qui contestent, ironisent, sous-estiment la direction pastorale de l'actuel Successeur de Pierre. Pareille façon de faire désoriente, et peu à peu éloigne psychologiquement des vérités de la foi et du droit chemin, des personnes encore bien disposées mais pauvres de doctrine. Elles vont grossir les rangs des victimes du sécularisme. Ces poussées insidieuses font subir à notre culture, hier encore imprégnée d'Évangile, un processus qui aboutit au vide absolu. Au sommet de ce vide : l'athéisme ; - suit la « réinterprétation démythifiante » du Christ ; - puis la « popularisation » de l'Église ; - et enfin le « remodelage » de la Parole de Dieu. Quant aux ministères, ils n'ont plus rien à voir avec le mystère du Christ où s'inscrit la primauté du Pape ; les ministères sont des réalités qui relèvent uniquement de la psychologie et de la sociologie.

Ce n'est pas sans raison que l'on parle de « postchristianisme », c'est-à-dire d'une mentalité rationaliste se souciant uniquement d'emboîter le pas au progrès scientifique sans qu’il ne soit jamais besoin de recourir à une Révélation historique. Ces idées ne sont pas toujours vécues avec une égale intensité de conviction et ne sont même pas nécessairement conscientes. Elles sont formulées à différents niveaux culturels, et leur influence, telle une tache d'huile, envahit les grands moyens de communication sociale pour gagner insensiblement certains milieux croyants et s'infiltrer jusque dans nos rangs.

La preuve de cette influence envahissante nous est fournie par l'attitude d'indifférence, d'ironie pleine de suffisance, ou même d'antipathie déclarée envers l'office que doit exercer le Pape, centre créateur de communion dans l'Église et premier pasteur de tout le Peuple de Dieu.

Il ne faut pas nier les défauts possibles de la pratique humaine de n'importe quel ministère. La façon dont un Pape exerce sa mission, tel ou tel de ses projets, ne bénéficient pas de l'infaillibilité, « en effet, - écrit von Balthasar - comparées à l'universalité du royaume du Christ, toutes les vues possibles demeurent limitées par les contingences terrestres et sont donc contestables, que ce soit le concept de Léon Ier ou de Grégoire Ier, d'Hildebrand ou d'Innocent III ou celui des derniers papes souverains des États pontificaux ».20

Mais tenter de porter un jugement historique sur la valeur d'un pontificat du passé (grâce au recul des ans) est une chose, et s'écarter des directives du Pape vivant, ou pis encore les ignorer, en est une autre. C'est en fait diminuer auprès des gens l'influence du charisme de direction pastorale dévolu au Pape. Nous assistons aujourd'hui aux conséquences désastreuses de cette forme de critique ou simplement de dissentiment, surtout dans le domaine de la morale, où se manifeste plus nettement le décalage entre la mentalité séculariste (la « nouvelle éthique ») et l'enseignement pontifical. L'opinion publique s'éloigne toujours davantage des fondements mêmes de la morale chrétienne au point de ne plus prendre pour critère la morale évangélique, mais les statistiques, le légal et l'illégal (selon le code civil), ou encore plus simplement les opinions en vogue. Un travail de sape se poursuit qui insidieusement ébranle les valeurs. Le ministère de Pierre et des pasteurs en devient très difficile, présenté qu'il est comme aliénant face aux conquêtes de l'intelligence et dans l'exaltante perspective de « l'histoire de la liberté » en train de s'écrire.

A l'heure où la valeur même du rôle pontifical est mise en question, ce ne serait ni une conduite pastorale indiquée, ni l'expression d'un sens ecclésial authentique, ni la preuve d'une bonne compréhension de la foi, que 'd'esquiver l'attitude de « fidélité filiale », d'adhésion convaincue et « aggiornata », et de négliger la défense courageuse de la personne et du ministère du Successeur de Pierre.

Dans la conjoncture actuelle si problématique, Don Bosco ne se trouverait certainement pas du côté des désengagés, ni dans les rangs des critiqueurs à la mode. Il proclamerait haut et clair son option pour la fidélité.


Quelques réflexions sur la Constitution dogmatique « Lumen Gentium ».


Il vaut la peine, vingt ans après Vatican II, de réfléchir à ce qu’il nous dit du ministère de Pierre ; il nous livre la pensée vivante de l'Église d'aujourd'hui.

Toutefois nous n'entrerons pas dans les problèmes soulevés à propos des ministères au sein du Peuple de Dieu. Retenons que des publications d'une herméneutique discutable ont été désapprouvées officiellement.21

Nous voulons plutôt refaire une lecture spirituelle de cette Constitution, à l'abri de tout soupçon de rationalisme, comme aussi à l'abri de ces a priori antisacramentels qui, d'office, excluent toute intervention d'en-haut. Je vous invite, chers confrères, à relire, personnellement ou en communauté, le chapitre 3 de la Constitution dogmatique « Lumen Gentium ». Il naîtra de cette lecture une réflexion utile qui aidera plus d'un d'entre vous à redécouvrir le vrai sens de Vatican II.

Comme je le signalais plus haut, le ministère de Pierre fait partie de la nature sacramentelle de l'Église. Dans ce grand sacrement de salut pour l'histoire qu'est le Corps du Christ, Jésus à placé, comme l'expression sensible de son irremplaçable rôle de Chef, le Collège apostolique, au sein duquel Pierre est constitué « principe et fondement perpétuel et visible de l'unité de la foi et de la communion ».22 Dès lors, tout croyant doit considérer le Pape à partir de ce point de vue sacramentel.

La vision de l'Église comme « mystère » (ce mot signale une présence divine dans les réalités humaines), nous permet de découvrir dans le ministère du Successeur de Pierre, toujours selon la Lumen Gentium, trois éléments complémentaires : - l'institution de la primauté par le Christ ; - la réalité d'ordre sacramentel du Collège des Évêques inséparable de la réalité du Primat ; - enfin l'assistance permanente de l'Esprit-Saint.

- Un fait d'une importance vitale intéresse au premier chef la conscience du croyant, à savoir le fait que Jésus a personnellement pensé, préparé, voulu le ministère de Pierre, comme fondement inébranlable de son Église pour les siècles.

Cette vérité a été formulée avec la précision d'un principe par les deux derniers Conciles du Vatican. « Ce saint Synode, dit la Constitution Lumen Gentium, marchant sur les traces du premier Concile du Vatican, enseigne et déclare avec lui que Jésus-Christ, Pasteur éternel, a édifié la sainte Église » et a consacré les Apôtres et leurs successeurs les évêques avec à leur tête Pierre et ses successeurs. « Cette doctrine de l'institution, de la perpétuité, du sens et du caractère du Primat sacré du Pontifiée Romain, comme de son magistère infaillible, le saint Concile la fait sienne, et il la propose de .nouveau à la foi assurée de tous les fidèles ».23

Tout le troisième chapitre de la Constitution décrit en détail la structure hiérarchique voulue par le Christ et vivifiée par son Esprit. Ce qui est affirmé du Collège des évêques et du primat du Pape est particulièrement significatif.24

Aujourd'hui, dit von Balthasar, « de quelque côté que se tourne le catholique, il ne peut pas retourner en arrière en laissant de côté Vatican 1 solennellement confirmé par Vatican II (Lumen Gentium). Comme après toutes les définitions, une seule voie reste ouverte : l'intégration dans une réalité totale plus grande et englobante. Cette réalité... c'est l'indéfectibilité de toute l'Église fidèle dont l'indéfectibilité de la charge de Pierre n'est qu'un aspect particulier. On peut dire que Vatican I a verrouillé une porte avec un art tel que personne ne l'ouvrira sans faire écrouler toute la paroi, toute la structure catholique. Supposer que cette porte va s'ouvrir, comme en se jouant, est manqué de véracité ».25

- En second lieu, le réalisme sacramentel de la collégialité épiscopale en tant que réalité inséparable du primat, conduit le croyant à considérer que la vraie « sacramentalité » de l'Église s'exprime en définitive en une réalité humaine, visible, palpable, située dans le temps et dans l'espace, ici et maintenant, concrétisée dans des personnes et des rôles bien définis. Vatican II nous a aidés à concevoir la « sacramentalité » de l'Église comme la phase dernière de l'efficacité des sept sacrements. Ceux-ci, en effet, servent à construire le vrai et unique grand Sacrement qui est l'Église, « Corps du Christ », dans ce monde. Le baptême, la confirmation, l'Eucharistie, me transforment, moi, dans mon humanité concrète, en un membre vivant de ce Corps du Christ. En tant que signes et porteurs du mystère du Christ, nous sommes la dimension sacramentelle définitive !

Aussi bien, le sacrement de l'Ordre (dans sa plénitude il consacre les évêques), incorpore à un Collège de Pasteurs déterminé historiquement ; en d'autres termes, il introduit les consacrés dans une réalité préexistante qui présente un caractère particulier de « communion hiérarchisée » (un « Ordre »), où se trouve réellement, et depuis toujours, par disposition de Jésus-Christ, le primat de Pierre. « Le saint Concile enseigne que par la consécration épiscopale est conférée la plénitude du sacrement de l'Ordre, que l'usage liturgique de l'Église et la voix des saints Pères appellent le sacerdoce suprême, le sommet du sacré ministère. La consécration épiscopale, avec la charge de sanctifier, confère aussi la charge d'enseigner et de gouverner, lesquelles cependant, de par leur nature, ne peuvent s'exercer que dans la communion hiérarchique avec la tête et les membres du Collège ».26

Voilà pourquoi une authentique collégialité est inconcevable sans le Primat du Pape ; pas plus qu'une Église particulière n'est concevable détachée de l'Église universelle ; pas plus qu'une fédération d'Églises locales, différentes et autonomes, en lieu et place d'une communion d'Églises originales assemblées dans l'unité. Ajoutons que le Collège apostolique, et après lui le Collège épiscopal (avec tous ceux qui ont été consacrés pour remplir les ministères subordonnés du presbytérat et du diaconat), sont, dans le Corps du Christ qui est l'Église, les signes et les porteurs de la fonction spéciale du Christ en tant que « Pasteur éternel » et Tête vivante de ce Corps. C'est la raison pour laquelle ils sont l'expression sacramentelle de sa fonction « capitale » de Pasteur ; en effet, « le Christ Seigneur, pour paître le Peuple de Dieu et l'accroître sans cesse, a institué dans son Église les ministères ».27

Mais si le Seigneur a voulu le ministère des Pasteurs sous la forme d'un corps collégial conduit par Pierre, cela signifie que les responsabilités pastorales des évêques impliquent toujours : - la communion avec le Pape ; - une entente consciente avec lui ; - la volonté de reconnaître sa fonction de guide ; - la concordance avec son enseignement qui n'est d'ailleurs et ne veut être que l'expression des valeurs permanentes et vivantes de la tradition, et de l'indéfectible sens de la foi qui anime toute l'Église.

- En troisième lieu, l'assistance permanente du Saint-Esprit fait du ministère du Pape un inestimable don au Peuple de Dieu : c'est le « charisme de la direction », Le Christ lui-même envoie son Esprit à la personne de Pierre et de ses successeurs et il en donne la raison : « Mais moi, j'ai prié pour toi... Toi donc affermis tes frères » ;28 « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? - Prends soin de mes agneaux ; - prends soin de mes brebis ».29

Le Saint-Esprit est présent dans l'histoire parce qu'il est envoyé par le Père et le Fils ; la Pentecôte consomme le mystère du Christ. « Le jour de Pentecôte, dit la Lumen Gentium, l'Esprit-Saint fut envoyé pour sanctifier intimement l'Église... Il l'introduit dans la vérité tout entière, il l'unit dans la communion et le service, il la munit de dons divers, hiérarchiques et charismatiques, par lesquels il la dirige et l'orne de ses fruits ».30 La créativité et les initiatives du Saint-Esprit dans le Peuple de Dieu sont inépuisables et, loin d'entrer en conflit avec les organes institués par le Christ, l'Esprit-Saint au contraire les confirme. Le Seigneur a prévu et voulu les charismes et les ministères et il les fait croître harmonieusement ensemble au long de l'histoire.

« La communion organique de l'Église n'est pas exclusivement spirituelle, à savoir de toute façon née de l'Esprit-Saint, et de soi antérieure aux fonctions ecclésiales qu'elle suscite ; elle est en même temps « hiérarchique » en ce que, par impulsion vitale, elle dérive du Christ-Chef. Les dons eux-mêmes, répandus par l'Esprit, sont précisément voulus par le Christ et, par leur nature, ils sont orientés vers la construction du Corps pour en vivifier les fonctions et les activités ».31

Le rôle du Pape (comme celui des Évêques) est donc lié à une assistance réelle de l'Esprit du Seigneur dans toutes les conjonctures concrètes de l'exercice de leur ministère. « Pour assumer de si grandes charges, les Apôtres ont été enrichis par le Christ d'une effusion spéciale du Saint-Esprit descendant sur eux, et eux-mêmes ont transmis à leurs collaborateurs, par l'imposition des mains, le don de l'Esprit, qui s'est transmis jusqu'à nous dans la consécration épiscopale ».32 Ne pas tenir compte de cette présence de l'Esprit serait amputer le donné de la foi.

Au terme de ces brèves réflexions sur quelques-uns des enseignements de la Constitution Lumen Gentium, nous devons reconnaître le besoin urgent d'un renouveau théologique et spirituel de la présence du Saint-Esprit dans l'histoire. La foi des fidèles, concernant justement le ministère de Pierre, en sortirait grandement fortifiée.


Notre sentiment de fidélité se transforme en un « devoir à assumer ».


Nous avons voulu rappeler l'importance pour notre vie salésienne de la « fidélité filiale au Successeur de Pierre » en l'éclairant de quelques réflexions conciliaires. Nous avons souligné la nouveauté de style dans l'exercice du ministère pontifical et nous avons pris conscience de malaises concrets qui se font jour dans notre monde sécularisé. Tout cela fait problème et nous met en état d'alerte.

Les deux articles de la Règle que nous avons relus,33 expriment la dimension ecclésiale de notre « esprit » et de notre « charisme », L'article 13 parle de l'adhésion au Pape comme d'un élément vital de 1'« esprit salésien », c'est-à-dire de notre « style original de vie et d'action ».34 Si l'esprit de Don Bosco inspire et anime concrètement nos travaux, cela signifie, pour nous, que la fidélité au Pape ne se ramène pas à une attitude intérieure, mais qu'elle doit devenir une tâche apostolique. Avec raison l'art. 13 s'achève par la déclaration : « Nous éduquons les jeunes chrétiens à un sens authentique de l'Église et travaillons avec assiduité à sa croissance ».

L'article 125, parlant de la « Société salésienne », considère son activité apostolique comme participant de la mission de l'Église. L'article affirme que notre vœu d'obéissance nous lie formellement à l'autorité suprême du Pape et que, par conséquent, « nous accueillons avec docilité » son magistère. Cette fois encore, en vertu même de la nature de la vocation salésienne, l'obéissance et la docilité ne se limitent pas au cercle restreint de la communauté, mais s'étendent à nos tâches apostoliques. En effet, l'article se termine lui aussi en affirmant que les confrères « aident les fidèles, en particulier les jeunes, à accepter les enseignements du Pape ».

Ainsi donc, notre « dévotion » devient ce « devoir » apostolique précis : promouvoir la docilité au Pape.

Comment ?

Si nous prenons Don Bosco pour modèle, nous serons orientés et aidés dans l'accomplissement de ce devoir. Réaliste comme toujours, Don Bosco a rempli ce devoir en pasteur et en éducateur, par ses écrits, par le témoignage de sa vie, par les moyens de communication sociale, par toute son activité éducative, par de multiples initiatives apostoliques et par des interventions qui dépassaient de loin les intérêts immédiats de sa Congrégation.

Permettez-moi de faire ici, aux communautés locales et provinciales, quelques suggestions pratiques concernant la fidélité au Pape.

Pour mettre en évidence ces suggestions, je commence par rappeler l'urgent besoin de penser et de formuler une spiritualité adaptée aux jeunes, une spiritualité concrète et enthousiaste. Ce serait un projet évangélique jeune qui aurait du mordant et serait capable de donner une âme à nos « présences » apostoliques et même, pourquoi pas, de susciter un « mouvement salésien » inspiré des grandes idées pastorales et pédagogiques de Don Bosco.

Il s'agit de proposer et de faire aimer les valeurs qui expriment, aujourd'hui, la vitalité du message évangélique. C'est un ensemble d'idéaux réels, de conduites exigeantes, d'objectifs pratiques, dans le style de la lettre de Jean-Paul II aux jeunes, afin de conjurer le péril grandissant de « l'homme sans vocation ».

Ne manquerait-il pas dans plusieurs de nos « présences » apostoliques, ce souffle mystique qui rassemble les jeunes et leur offre un message de vie ? Si j'use du mot « mystique », ce n'est pas par goût des initiatives intimistes ou excentriques, mais pour vous amener à la ferme conviction de la puissance de l'Évangile, quand il est vécu et confirmé par le témoignage contagieux d'une vie nourrie de contemplation, de persévérance, d'enthousiasme et d'esprit de sacrifice.

Notre vocation de « missionnaires des jeunes » devrait intensifier en nos cœurs une énergie vitale, la vigueur communicative de la foi, un franc-parler capable de contester intelligemment l'embourgeoisement, la permissivité, le sécularisme.

Un confrère, une communauté, dépourvus de cette « mystique », ne seront jamais en mesure de donner vie à un vrai « mouvement » ayant prise sur le réel.

Par bonheur, dans ce domaine, l'expérience associative est en train de donner de bons résultats. Remercions-en le Seigneur. - (Voir la brochure éditée par le dicastère de la pastorale des jeunes : « La proposta associativa salesiana - Sintesi di un'esperienza in cammino » Doc. n. 9).

Or, parmi les éléments d'une spiritualité salésienne destinée aux jeunes, il faut précisément un « sens ecclésial » exigeant, qui comporte des conduites à inventer, à développer et à inscrire dans la vie quotidienne. L'engagement de fidélité au Pape occupe indiscutablement une place de choix dans le projet éducatif de Don Bosco et dans sa mise en œuvre aujourd'hui. Il suppose la connaissance, l'amour, et l'accueil du ministère du Successeur de Pierre.

Cette composante éducative salésienne, soigneusement entretenue, contribuera à donner à la spiritualité des jeunes : - l'expérience de la vie de l'Église, - des directives claires pour la vie, - un sens très vif de l'actualité, - et de puissantes raisons d'agir.

Mais transmettre un projet spirituel à des jeunes sera toujours le fruit d'une intense vie personnelle et communautaire dans l'Esprit-Saint.

D'où la nécessité de continuer à nous enrichir en rajeunissant et en développant ce caractéristique « sens ecclésial » de notre Fondateur. Il y a là, pour chacun de nous, un travail fondamental à entreprendre et à poursuivre.

A cette fin je vous propose quelques options que je considère comme stratégiques et qui, çà et là, sont malheureusement quelque peu négligées.

- La première de toutes est la notion d'Eglise comme Mystère telle que Vatican II nous l'a présentée.

« La société douée d'organes hiérarchiques et le Corps mystique du Christ, - l'assemblée visible et la communauté spirituelle, - l'Église de la terre et l'Église riche de biens célestes, ne doivent pas être considérées comme deux réalités, mais forment une seule réalité complexe, constituée d'un élément humain et d'un élément divin. Aussi n'est-ce pas vaine analogie que de la comparer au mystère du Verbe Incarné ».35

Une ecclésiologie conciliaire, qui met en évidence la nature sacramentelle de l'Église, assure le vrai fondement d'une sincère adhésion au Pape. Nous savons tous que des idées fausses circulent à propos de la nature de l'Église. Ces idées, dans l'hypothèse la meilleure, favorisent déjà une interprétation minimaliste du ministère de Pierre.

Pour être aujourd'hui en accord avec le Concile, il est indispensable d'entretenir très vive la conscience de la présence réelle de l'Esprit-Saint dans l'Église, dans sa vie, dans ses structures, ses ministres, ses charismes.

- Sur fond d'une authentique théologie de l'Église-Mystère, il nous faut mettre au point l'idée que nous nous faisons du Pape en tant que premier et suprême Pasteur.

Vatican II ne présente pas la dimension hiérarchique de l'Église dans une perspective sociologique, qu'elle soit « monarchique » ou « démocratique », mais bien dans une perspective « sacramentelle », c'est-à-dire comme une réalité, au service du Peuple de Dieu, vivifiée par la présence du Saint-Esprit et donc à regarder avec les yeux de la foi. L'autorité dont la personne du Pape est investie n'est pas despotique. Elle est dédiée au service de la vérité et de la charité, par la grâce d'une participation à l'autorité rédemptrice du Christ ressuscité, vivant et présent dans l'Église dont il est le vrai Chef et le « Pasteur éternel ».

Le Pape n'est pas seul ; l'Église universelle n'est pas un diocèse ; le Collège des Évêques, comme nous l'avons vu, n'est pas une société anonyme, car, par nature, ce Collège inclut le Primat de Pierre.

Nous savons qu'actuellement la façon d'exercer le ministère primatial passe par d'intéressants changements. Ces innovations doivent attirer notre attention et notre réflexion de manière à ce que nous restions au courant de cette évolution et que nous puissions en parler en connaissance de cause. C'est une exigence vitale de fidélité à notre esprit. Ils sont déjà trop nombreux ceux qui, autour de nous, prennent cette évolution pour un simple phénomène socioculturel et, pratiquement, gomment la réalité sacramentelle d'un ministère institué par le Christ. Il y a là un nouveau motif d'approfondir nos connaissances culturelles et ecclésiologiques et de poursuivre notre réflexion dans la foi.

- Un autre point auquel il faut veiller regarde l'inclusion des enseignements du magistère pontifical dans nos démarches évangélisatrices. Ces enseignements nous arrivent sous diverses formes. Nous devons les recevoir dans l'esprit où ils ont été conçus. Nous pouvons discerner cet esprit d'après la matière traitée, le vocabulaire utilisé, ou le type de document choisi. Les normes d'interprétation des documents du Magistère existent.

Il faut accorder de l'importance aux Encycliques, aux Exhortations apostoliques, aux directives plus significatives, aux Notes et aux Instructions doctrinales (surtout quand elles nous viennent de la Congrégation pour la doctrine de la foi), aux discours et aux interventions de grande portée. Suivre avec attention les actes du magistère pontifical : - c'est la meilleure façon de rester à jour sur les problèmes touchant l'Église, et sur ses directives, - c'est vivre sa foi en dialogue avec les défis de l'histoire, - c'est repenser l'Évangile comme le message actuel du salut, plutôt que comme un donné culturel du passé religieux.

Tel est le domaine où il faut, sans délai, engager nos énergies. Nous vivons une époque de mutations ; de nouvelles théories, des modes déviantes, des problèmes complexes naissent sans arrêt. Chaque communauté doit trouver le moyen d'être et de se maintenir bien informée.

Le salésien qui ne consentirait pas un effort persévérant pour penser avec l'Église ne pourrait pas prétendre refléter l'esprit de Don Bosco.

- Enfin je crois qu'en raison du caractère pastoral et pédagogique de la vocation salésienne, il nous faut accueillir, avec un soin particulier, entre autres enseignements du Pape, ses « directives morales » et sa « doctrine sociale », Ce sont deux secteurs où existe un besoin pressant d'éducation : le besoin de directives morales est très présent dans les sociétés de bien-être où la permissivité est envahissante ; tandis que le besoin de doctrine sociale est ressenti surtout dans le tiers-monde assoiffé de libération.

Éducateurs-pasteurs, nous devons être au fait des critères chrétiens de la conduite morale. Partout on s'interroge sur le « drame de la morale », sur les bouleversements dus aux sciences humaines, sur les « valeurs nouvelles » nées de la culture postchrétienne, sur la fin de l'éthique traditionnelle.

Posséder la solution de tous les problèmes, soulevés par la culture en vogue, n'est pas une tâche aisée. Suivre le Pape, quand il nous enseigne les conduites à tenir, nous apportera la lumière et orientera nos efforts pastoraux.

La maturation du processus de socialisation, parce qu'il suppose chez les citoyennes compétences et engagement dans la promotion du bien commun, met au premier plan les problèmes de la justice et de la paix, ainsi que les aspects politiques de la vie des individus et des nations. Des doctrines sont nées qui ont voulu monopoliser un type de culture et l'imposer. On voit aussitôt l'intérêt que présente l'enseignement social de l'Église et l'accueil qu'il mérite, surtout quand il nous vient du Pape.

Si nous voulons exercer une influence évangélique sur l'évolution des structures, préparer les jeunes pour le monde du travail, infuser un esprit chrétien à la politique en éduquant à la solidarité et à la paix entre les peuples, nous avons besoin d'une connaissance approfondie de la doctrine sociale de l'Église, et, tout autant, d'une bonne capacité de la communiquer.

J'ai pourtant l'impression que, dans ce domaine, certains d'entre nous marchent d'un pas mal assuré. Il nous faut, d'urgence, prendre des mesures pour parer à ces carences ; d'ailleurs les Constitutions nous y engagent : « Volontairement indépendants de toute idéologie et de toute politique de parti, nous rejetons tout ce qui favorise la misère, l'injustice et la violence, et coopérons avec tous ceux qui bâtissent une société plus digne de l'homme ».36

Vous constatez, chers confrères, que si nous envisageons notre « dévotion » au Pape comme une « tâche » apostolique actuelle, nous sommes aussitôt invités à nous engager davantage, sur le terrain, en tant que chrétiens, éducateurs, pasteurs. Je demande, aux Provinciaux et aux Directeurs, de veiller à ce que toutes les communautés revoient consciencieusement la doctrine concernant le magistère de l'Église.


L'Auxiliatrice et le Pape.


Mon exposé, sur un sujet aussi expressif de l'esprit de Don Bosco, serait incomplet s'il y manquait le rappel du rapport étroit qui existe entre la figure du Successeur de Pierre et la figure de la Vierge. Je disais, au début de ma lettre, que les trois dévotions salésiennes : l'Eucharistie, Marie Auxiliatrice, le Pape, étaient l'expression pratique de la conscience ecclésiale de notre fondateur et constituaient trois comportements indissociables et complémentaires d'une foi courageusement engagée.

Le « songe », dit « des deux colonnes », que Don Bosco raconta en mai 1862,37 présente, sous un aspect prophétique et avec les allures d'un fait historique, l'Église telle un navire sur une mer démontée. Le Pape en est le timonier. Mais le navire se trouve en sûreté entre les deux ressuscités : Jésus-Christ et Marie, présents dans l'histoire. L'Hostie et l'Immaculée sont représentées en haut de deux puissantes colonnes armées d'ancres et d'amarres.

Nous savons que Don Bosco, précisément au cours des années '60, avec l'intuition de ce qui se passait dans la société et un sens ecclésial très averti, intensifia sa dévotion à Marie, sous le titre d'« Auxiliatrice ». « C'est l'Église catholique elle-même qui est assaillie, écrivait-il. Elle est assaillie dans son ministère, dans ses institutions, dans son chef, dans sa doctrine, dans sa discipline ; elle est assaillie comme Église catholique, comme centre de la Vérité, comme guide de tous les fidèles ».38

Don Bosco considère la Madone comme une mère particulièrement soucieuse de secourir l'Église et de protéger l'indispensable ministère du Pape et des Évêques.

L'Histoire nous rapporte les innombrables interventions de la Vierge en faveur de l'Église.

Insérons ici quelques réflexions qui illustrent les relations de Marie et de Pierre dans l'Église et son mystère.39

« Le caractère marial comme le caractère pétrinien sont coextensifs à l'Église », l'Église tout entière est « mariale » et « pétrinienne » encore que dans des sens analogues mais complémentaires.

Marie et Pierre, en des façons différentes, sont entièrement au service du Peuple de Dieu, dans le don total d'eux-mêmes. Tous deux unissent à la haute conscience de leur mission, l'humble immolation de leur vie.

Marie est mère de toute l'Église ; Pierre est fondement de toute l'Église.

Marie « immaculée » est le modèle prophétique de la vie et de la sainteté de l'Église ; Pierre « infaillible » est le pasteur prophétique de la foi et de la conduite morale dans l'Église.

Marie reste, dans le monde de la résurrection, l'inlassable « auxiliatrice » de toute l'Église ; Pierre reste, du fait de la succession apostolique, le « guide et l'animateur » de toute l'Église.

Marie, épouse du Saint-Esprit, est féconde de charismes pour toute l'Église ; Pierre, assisté de l'Esprit-Saint, juge de l'authenticité et ordonne l'exercice des charismes dans toute l'Église.

Marie participe de la plénitude du mystère pascal et poursuit en sa qualité de « reine » l'édification de l'Église pour les siècles ; Pierre, en vertu de son pouvoir sacré de « ministre » (vicaire, serviteur des serviteurs de Dieu), poursuit l'édification de l'Église tout au long de l'histoire.

Marie est tout entière tendue vers le Christ et œuvre pour que l'Église en devienne le Corps mystique ; Pierre, signe et porteur de la qualité de « chef » du Christ-Pasteur, œuvre pour que l'Église en devienne le grand sacrement de salut.

Marie et Pierre, l'Auxiliatrice et le Pape, sont donc ordonnés à l'Église selon des points de vue différents et dans des fonctions complémentaires, afin qu'en elle le mystère du Christ acquière sa plénitude.

Si Marie (« Mater Ecclesiae ») secourt et aide le Pape, le Successeur de Pierre se voue à Marie (« totus tuus ») et en proclame la maternité royale.

Chers confrères, nous avons voulu prendre la Vierge chez nous pour assurer, par sa présence, le renouveau de la Congrégation.40 Nous nous sommes consacrés à elle lors du dernier Chapitre général.41 N'oublions jamais que la dévotion salésienne à Marie, la Mère et l'Auxiliatrice de l'Église, appelle, de notre part, en raison d'un lien théologique et en raison du charisme salésien, une « fidélité filiale au Successeur de Pierre et à son magistère » (C 13), pour faire naître et grandir un « sens ecclésial », authentique et concret, parmi les classes peu aisées de la société et notamment parmi la jeunesse pauvre et abandonnée.

Que Don Bosco nous inspire et nous soutienne.

Une « dévotion » sincère et « tenue à jour » au Successeur de Pierre renouvellera l'enthousiasme de notre consécration, nous suggérera des projets apostoliques rapides et adaptés aux circonstances, ainsi qu'une plus grande fécondité de vocations.

Je vous salue dans le Seigneur. Je voudrais que chacun d'entre vous - (en vue de l'année '88) - progresse dans l'étude et l'assimilation des Constitutions et des Règlements généraux renouvelés, et leur rende le témoignage de la vie.

Votre très affectionné en Don Bosco.

1 C 13.

2 C 13.

3 Ricaldone, P. : Connaître, aimer, défendre le PapeACS, 24 mai 1951, n. 164.

4 C 13.

5 C 12.

6 Ricaldone o.c. passim.

7 Ricaldone o.c. (page 69 de l'original).

8 Opere Edite, Ristampa anastatica, vol. XXV, p. 380 No XV, Riassunto della Pia socletà di S. Francesco di Sales nel 23 febbraio 1874, p. 44.

9 Turin 1875.

10 « Costituzioni della Socletà di S. Francesco di Sales » 1858, 1875 - Edition critique (Fr. Motto). p. 113.

11 Lumen Gentium 22.

12 Cf. par exemple. J.M.R. Tillard, « L'Evêque de Rome » Cerf, Paris, 1984.

13 Lumen Gentium 27.

14 Cf. par exemple: Divers Auteurs, « Papato e istanze ecumeniche », EDB, Bologne, 1984.

15 Urs von Balthasar, H.: Le complexe antiromain, Paris 1976, p. 231.

16 Pour un exemple de réflexion après le voyage de Jean-Paul II à Turin, cf. ACS, 1980, n. 297, pp. 44-67 (édition française).

17 Dei Verbum 8.

18 Dei Verbum 10.

19 J. Ratzinger, « Trasmissione della fede e fonti della fede », Collana, « Euntes docete », Plemme, Bologne, 1985, p. 20. L'ouvrage n'est pas traduit en français.

20 Urs von Balthasar, H. o.c., p. 58.

21 Cf. par exemple : E. Schillebeeckx, « Le ministère dans l'Église. Service de présidence de la communauté de Jésus-Christ » Paris, Cerf 1981, 211 p.

22 Lumen Gentium 18.

23 Lumen Gentium 18.

24 Cf. spécialement Lumen Gentium 22, 25, 27.

25 Urs von Balthazar, H.: o.c., p. 132.

26 Lumen Gentium 21.

27 Lumen Gentium 18.

28 Lc 22, 32.

29 Jn 21, 15-17.

30 Lumen Gentium 4.

31 Mutuae Relationes 5.

32 Lumen Gentium 21.

33 C 13 et 125.

34 C 10.

35 Lumen Gentium 8.

36 C 33.

37 M.B. VII, 169-171.

38 Viganó E. : Marie renouvelle la Famille salésienne, dans ACS, 1978, n. 289, édition française p. 23.

39 Voir sur le sujet les pénétrantes considérations de H. Urs von Balthasar, o.c., p. 213-235.

40 Viganó E. : Marie renouvelle la Famille salésienne, ACS, 1978, no 289.

41 Cf. ACS, 310, édition française, p. 48 - Formule de l'acte de confiance (affidamento).