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« S'ils nous connaissaient, de nombreux préjugés et idées fausses sur l'Enseignement Privé sous Contrat tomberaient. »

Le Recteur Majeur de la Congrégation Salésienne, Ángel Fernández Artime, donne son avis sur différentes questions d'actualité, dont la Loi Celaá (nouvelle Loi sur l’Éducation en Espagne - 2020) et la pandémie.

ALEJANDRO SOLANO, SÉVILLE,14 DÉCEMBRE 2020

Ángel Fernández Artime est le dixième successeur de Don Bosco, et a donc le privilège d'être le plus haut représentant de la Congrégation Salésienne. Né à Luanco (Asturies), il vit aujourd'hui en Italie d'où il exerce la mission principale confiée par saint Jean Bosco : aimer les jeunes. Le « Correo de Andalucía » a pu le contacter et découvrir de première main ce qu'il pense de certains problèmes actuels, et évoquer aussi quelques aspects plus personnels.

« Une occasion manquée de faire un grand Pacte Social d'État pour l'Éducation »

Que pensez-vous de la loi Celaá ?

Je dois admettre que ne pas être en Espagne m'empêche d'avoir une connaissance approfondie de la situation, mais de ce que j'apprends à travers la presse et les informations de mes confrères en Espagne, et tout ce que j'ai vécu dans mon pays les années passées, avec les différentes lois sur l'éducation, je pense que c'est, une fois de plus, une occasion manquée pour un grand Pacte Social d'État pour l'Éducation. L'éducation de nos enfants et de nos jeunes est quelque chose de très sensible et très délicat. Mais je regrette qu'en ces temps où l'on parle tant de dialogue, de participation, d'insertion, de non-exclusion ..., nous ne soyons pas en mesure de nous entendre pour unir nos forces en faveur des nouvelles générations.

Cette loi va-t-elle être un problème pour la Congrégation en Espagne ?

Jusqu'à présent, nous avons pu aller de l'avant dans le contexte des différentes lois. La force réside dans l'unité, non seulement la nôtre, mais avec toutes les autres institutions avec lesquelles nous partageons cette vocation d'éducation des jeunes : je pense aux Écoles Catholiques d'Espagne, aux Confédérations de Parents et à d'autres Institutions avec lesquelles nous partageons la même vision dans le domaine de l'éducation et de l'Enseignement Privé sous Contrat. Rester unis est essentiel. Et il ne s'agit pas tant de défendre notre droit d'exister, qui n'est peut-être pas ce qui est aujourd'hui en jeu, mais de quelque chose de plus profond : le droit fondamental à la liberté d'enseignement et au droit des parents de choisir le type d'éducation pour leurs enfants selon leurs convictions citoyennes, morales et religieuses.

Pour conclure sur la question de la Loi Celaá, pensez-vous que, si la figure de Don Bosco était connue, ces « restrictions » contre l'Éducation sous Contrat qui concerne nos écoles en Espagne, auraient été mises en œuvre ?

Le P. Rodolfo Fierro, Salésien de Don Bosco, l'a déjà dit en son temps, en 1910, alors qu'il parlait au nom des Salésiens dans un contexte où était débattue la « Loi du Cadenas » [qui interdisait l'implantation de nouvelles Congrégations religieuses en Espagne] : je ne viens pas me battre ; je viens parler de la Société Salésienne ... Je viens simplement pour expliquer, pour informer, pour vous inviter à vous informer personnellement en venant visiter nos maisons.

Je suis convaincu que, s'ils nous connaissaient, non seulement nous, mais aussi tant d'autres institutions religieuses et éducateurs qui donnent leur vie pour l'éducation des jeunes, de nombreux préjugés et idées fausses sur l'Enseignement Privé sous Contrat tomberaient, du moins concernant l'Enseignement Catholique, qui est celui que je connais le plus.

« Les Salésiens ont envoyé de l'aide dans 63 pays grâce à la générosité de milliers de personnes durant la campagne que nous avons lancée contre le Covid »

Comment la Congrégation Salésienne s'est-elle adaptée à cette période de pandémie ?

Je pense qu'il serait plus juste de dire que nous nous sommes adaptés comme tout le monde, c'est-à-dire, comme nous l'avons pu, et comment nous avons appris petit à petit en suivant à tout moment les directives des autorités civiles, et en même temps à rechercher de notre côté, de manière créative, ce que nous pouvions faire pour que la mission salésienne puisse se poursuivre dans le monde entier, et naturellement en Espagne. Je dois dire que je suis très surpris par la créativité éducative et pastorale que j’ai vue se développer dans mon contexte et sur les différents continents du « monde salésien ». Il y a eu une pluie d'initiatives de toutes sortes pour nous rendre présents de mille façons.

Quelles initiatives les Salésiens mènent-ils pour lutter contre les conséquences de ce virus ?

Un premier front que nous avons pris en charge et que nous voulons poursuivre est de faire en sorte que les activités, les actions éducatives et les différents services sociaux, pastoraux et d'accompagnement se poursuivent (de quelque manière et sous quelque format que ce soit). Très fréquemment nous nous sommes trouvés en notre présence de nombreux groupes de jeunes prêts à tout moment à distribuer de la nourriture, à se rapprocher des familles les plus nécessiteuses, à offrir des services de cours en ligne à ceux qui n'ont pas pu suivre le rythme des leçons à cause des circonstances sanitaires. Nous avons envoyé de l'aide dans 63 pays grâce à la générosité de milliers de personnes durant la campagne que nous avons lancée contre le Covid. J'ai fait connaître publiquement en visioconférence les destinations et les projets de cette aide envoyée.

Quel est le rôle des Missions Salésiennes dans la période actuelle ?

Concernant les Missions Salésiennes, je peux dire avec un profond sentiment de vérité qu'en tant que Salésiens de Don Bosco, nous misons massivement dans le monde pour atteindre les vraies périphéries, les endroits où, en général, on ne veut pas aller. Je sais très bien que nous ne sommes pas les seuls dans l'Église. Certainement. Mais je peux témoigner que les fils de Don Bosco veulent le faire et que nous le faisons. En ce sens, le cheminement que la Congrégation suit dans 134 pays est en totale harmonie avec ce que Don Bosco a voulu et tels qu'il nous a rêvés. Bien sûr, nous ne faisons pas tout bien, mais c'est la voie que nous suivons. À nos côtés, il y a tant de laïcs, hommes et femmes, avec qui nous partageons cette mission éducative et évangélisatrice, sociale et humanisante. C'est magnifique, avec tant de jeunes qui vivent un volontariat social ou missionnaire. Par conséquent, ce sont des moments difficiles mais pleins d'espérance.

« Don Bosco a toujours voulu rapprocher ses garçons de la rencontre avec Dieu »

Si Don Bosco vivait à notre époque, quel serait selon son rêve selon vous ?

Sans aucun doute, son grand rêve serait de voir les jeunes heureux, ici et dans l'éternité, comme il le disait toujours à ses garçons. Bien sûr, il n'aimerait pas voir un enfant, un jeune homme ou une jeune fille sans quelqu'un qui les accueille comme un ami, comme un éducateur, comme un père ou une mère. Évidemment, son rêve continue d'être celui de les préparer à la vie et de leur offrir, s'ils le désirent, le sens de la transcendance qui est Dieu, car Don Bosco a toujours voulu rapprocher ses garçons de la rencontre avec Dieu. Son rêve n'a pas changé, il est le même qu'il y a 162 ans, et il restera le même tant qu'il y aura des jeunes dans l'humanité et des jeunes abandonnés, exclus, pauvres...

Quel rêve de Don Bosco vous a le plus marqué ?

Plus qu'un rêve, parmi tous ses rêves, je préfère dire que ce qui m'a toujours le plus ému et qui continue de m'émouvoir aujourd'hui chez Don Bosco, c'est, sans aucun doute, sa passion éducative pour les jeunes, sa conviction radicale de se dire chaque jour : « Pour vous j'étudie, pour vous je travaille, pour vous je vis, pour vous je suis disposé à donner jusqu'à ma vie. » Ce sont des paroles qui, lorsque vous les faites vôtres dans votre dévouement quotidien aux jeunes, vous remplissent de force et de joie.

Qu'avez-vous ressenti le jour où vous avez été élu Recteur Majeur ?

J'ai senti que cela me dépassait. J'ai senti que ce ne devait pas être forcément moi, et je sentais que beaucoup d'autres Salésiens présents au 27ème Chapitre Général auraient pu accomplir ce service avec une bien plus grande capacité. Je n'avais jamais imaginé que cela pouvait m'arriver, et je ne m'y attendais pas du tout. Et pourtant, une fois qu'il devenait plus qu'évident que le choix de mes confrères Salésiens se portait, ce fameux 25 mars 2014, dans un moment de prière simple, vraiment dans la foi et la confiance, je me suis « abandonné » à tout ce qu'il pouvait m'arriver. Et je peux vous assurer que j'ai été inondé d'une grande Paix qui m'accompagne encore à ce jour. Je dois vous avouer qu'aujourd'hui encore je continue à demander au Seigneur dans ma prière personnelle pourquoi, par la médiation de mes confrères Salésiens au Chapitre, son « regard » s'est posé sur moi. Et je reste là, dans le silence, confiant.

« L'avenir de l'Église est en Dieu, dans la vie authentique de l'Évangile de Jésus-Christ »

Où pensez-vous que se trouve l'avenir de l'Église ?

À mon humble avis, je dois dire que l'avenir de l'Église se trouve en Dieu, dans la vie authentique de l'Évangile de Jésus-Christ. C'est dans une Église des pauvres et pour les pauvres. L'avenir de l'Église est loin de toutes les tentations du pouvoir. L'avenir de l'Église passe par l'anonymat de tant de laïcs, de consacrés et de prêtres qui continuent à donner leur vie dans la simplicité du quotidien. Sans aucun doute, l’avenir de l’Église est de continuer à respecter le plus possible la dignité de la femme. En définitive, c'est ce que nous savons déjà, même si parfois, et même souvent, c'est inconfortable pour tant d'oreilles qui l'écoutent. Je ne peux m'empêcher de dire et de reconnaître que le Pape François ne fait rien de plus que de nous inviter à vivre l'Évangile avec la cohérence propre aux croyants touchés par la conversion à Jésus-Christ. Et combien de fois n'est-il pas inconfortable d'être simplement un Pasteur selon les vues de Dieu !

Quel doit être le rôle des jeunes dans l'évangélisation ?

Je le dirai en faisant appel à Don Bosco, lui qui a fondé une Congrégation à partir des garçons mêmes qu'il aidait à mûrir. Le moment venu, il leur proposa de faire tous ensemble un même apostolat pour « leur propre salut et le bien de leurs camarades ». En fait, il leur a proposait d'être d'authentiques évangélisateurs et apôtres d'autres jeunes. Personnellement, je crois beaucoup à la force des jeunes pour tout. Et j'aimerais que nous ayons plus confiance en ce qu'ils peuvent faire au nom de Jésus.

Que pensez-vous du rôle de l'évangélisation à travers les Fraternités et les Groupes salésiens ?

C'est une réalité précieuse, particulièrement dans le sud de l'Espagne salésienne, mais aussi ailleurs. D'après ce que je sais, ils contribuent beaucoup, à partir du charisme salésien, à l'évangélisation dans le domaine de la religiosité populaire, qui a été un véritable antidote à la sécularisation croissante. Ils se trouvent devant des engagements à prendre dans l'Église où les laïcs ont un grand rôle à jouer. J'apprécie énormément le chemin que font les jeunes groupes dans la formation avec une grande vitalité, et aussi dans la prise en charge des plus pauvres. J'encourage mes confrères Salésiens à continuer d'accompagner avec un zèle pastoral la formation et la spiritualité de ces Fraternités et Groupes et à continuer d'approfondir leur identité salésienne

« La vie de la Congrégation ne se mesure pas au nombre mais à la fidélité des Salésiens de Don Bosco »

Pensez-vous que la Congrégation soit en danger à cause de la perte de la vocation sacerdotale que nous sommes en train de vivre ?

Honnêtement NON. Il est vrai que je ne parle et que je ne dois parler que de la réalité que je connais ; sur les 14 500 Salésiens de Don Bosco présents dans 134 pays et appartenant à 90 Provinces religieuses. Notre Congrégation Salésienne est bénie chaque année avec environ 450 novices dans le monde. C'est un don magnifique. En même temps, je dois dire que la réalité vocationnelle en Europe est également très pauvre pour nous. Mais la vie de la Congrégation ne se mesure pas au nombre mais à la fidélité des Salésiens de Don Bosco au charisme reçu de notre Fondateur, saint Jean Bosco. Tant que la Congrégation sera fidèle à ce charisme avec une prédilection pour les enfants et les jeunes les plus pauvres et les plus nécessiteux, les plus petits, les plus humbles, et cela réalisé au nom de Jésus, la Congrégation ne court aucun danger. Vous pouvez changer l'organisation, la couleur de la peau, les zones géographiques, mais le charisme sera assuré. En d'autres termes, l'avenir de la Congrégation et la fidélité au charisme vont de pair.

Quel doit être le Salésien d'aujourd'hui ?

Je dois vous dire que c'était le thème du Chapitre Général 28 qui s'est tenu à Turin-Valdocco entre février et mars 2020. Et la réponse est : un Salésien qui soit homme de foi, heureux de sa vie et de sa vocation, capable d'écouter, de dialoguer et d'aller à la rencontre des jeunes d'aujourd'hui. Un Salésien qui construise des ponts, qui soit capable d'accompagner les processus de croissance des enfants et des jeunes. Un éducateur dans la foi qui libère ce qui nous remplit de sens. En définitive, des personnes qui veuillent offrir et partager ce que nous sommes et ce qui nous constitue comme personnes consacrées et croyantes.

En tant que Recteur Majeur, qu'attendez-vous de la Congrégation dans les années à venir ?

J'espère que nous sommes tout ce que je viens de dire et que, à la fin des six prochaines années, si Dieu me donne la santé, je pourrais dire quelque chose comme ça à Don Bosco : « Cher Don Bosco, voilà la Congrégation que je te présente après douze ans. Nous avons fait de notre mieux, au nom de JÉSUS ​​et pour les jeunes. J'espère que tu te reconnaîtras en elle. Si tel est le cas, cela en aura valu la peine. »

Pour conclure, quel message aimeriez-vous envoyer à la Famille Salésienne d'Espagne ?

Je donnerais volontiers un double message. Un message à toutes les personnes qui me liront et qui n'ont rien à voir avec la Famille Salésienne ni avec l'Espagne ou l'Andalousie, mais qui regardent la figure de Don Bosco avec sympathie, ou du moins avec curiosité. Je leur dis de continuer à croire qu'il y a de braves gens dans le monde, beaucoup de braves gens comme eux, sans aucun doute, et comment les Salésiens de Don Bosco essaient de l'être malgré toutes leurs limites. Et je leurs dis de rejoindre les nombreuses personnes qui transmettent de l'espérance et non la négativité. Que le monde est plus vivable avec des gens comme ça.

Et à la Famille Salésienne d'Espagne et d'Andalousie je dis que je suis très fier de cette Famille religieuse qui est la nôtre : des gens simples, pleins de fraîcheur, amis du peuple et qui cherchent à faire du bien. Une famille de Don Bosco qui croit aux jeunes, et je leur demande de continuer à croire en ces mêmes jeunes, des jeunes en chair et en os qu'ils voient tous les jours. Je leur dis de transmettre aux gens qu'il y a des raisons d'espérer et qu'ensemble, en nous unissant, nous pouvons continuer à faire quelque chose de bien. Je vous dis que Don Bosco a rêvé de nous et nous a fondés non pas pour nous concentrer sur nous-mêmes mais pour être une famille aux portes ouvertes pour que les gens puissent dire que là où sont « ceux de Don Bosco », il y a de braves gens qui, s'ils ne peuvent pas vous aider à chaque instant et pour tout, au moins ils vous accueillent et vous écoutent et vous accompagnent.

Et je leur dirais que notre force est d'être une Famille, d'être pour les autres et d'être ce que nous sommes au nom du Seigneur. Et j'ajoute autre chose : puissions-nous continuer à croire comme Don Bosco que « c'est Marie, notre Mère, qui a tout fait » et continue de le faire.

Meilleurs vœux à tous vos lecteurs de Joyeux et Saint Noël.