Étrenne 2012

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DIRECTION GÉNÉRALE ŒUVRES DON BOSCO

Via della Pisana 1111 - 00163 Rome


Le Recteur majeur






Commentaire de l’Etrenne 2012





« Je suis le bon pasteur, le vrai berger.

Le vrai berger donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10,11)




A vous tous très chers

Confrères,

Filles de Marie Auxiliatrice,

Membres de la Famille Salésienne

Jeunes



Nous avons depuis peu commencé la période de trois années de préparation au Bicentenaire de la naissance de Don Bosco. Cette première année nous offre l’occasion de nous approcher davantage de lui pour le connaître de près et mieux. Si nous ne connaissons pas Don Bosco et ne l’étudions pas, nous ne pouvons pas comprendre son cheminement spirituel et ses choix pastoraux ; nous ne pouvons pas l’aimer, l’imiter et l’invoquer ; en particulier, il nous sera difficile d’insérer aujourd’hui son charisme dans la culture des divers contextes et des différentes situations. C’est seulement en renforçant notre identité charismatique que nous pourrons offrir à l’Eglise et à la société un service accompli pour les jeunes qui soit significatif et riche de fruits. Notre identité trouve sa référence immédiate dans la personne de Don Bosco ; en lui l’identité devient crédible et visible. C’est pourquoi le premier pas que nous sommes invités à faire pendant la période de trois années de préparation est précisément de connaître l’histoire de Don Bosco.



1.Connaissance de Don Bosco et engagement pour les jeunes


Nous sommes invités à étudier Don Bosco et, en relisant les événements de sa vie, à le connaître en tant qu’éducateur et pasteur, fondateur, guide et législateur. Il s’agit d’une connaissance qui conduit à l’amour, à l’imitation et à l’invocation.

Pour nous, membres de la Famille Salésienne, sa personne doit être ce que Saint François d’Assise a été et continue d’être pour les Franciscains ou Saint Ignace de Loyola pour les Jésuites, c’est-à-dire le fondateur, le maître pour l’esprit, le modèle pour l’éducation et l’évangélisation, surtout l’initiateur d’un Mouvement de retentissement mondial, capable de proposer à l’attention de l’Eglise et de la société, avec une formidable force d’impact, les besoins des jeunes, leur condition, leur avenir. Mais comment faire tout cela sans nous tourner vers l’histoire, qui n’est pas la gardienne d’un passé désormais perdu, mais plutôt celle d’une mémoire vivante qui est au-dedans de nous et nous interpelle dans la fonction d’actualiser le vécu passé ?

L’approche de Don Bosco, effectuée avec les méthodes propres à la recherche historique, nous porte à mieux comprendre et à mesurer sa grandeur humaine et chrétienne, son talent pour agir, ses dons pour l’éducation, sa spiritualité, son œuvre, qui ne sont compréhensibles qu’enracinés profondément dans l’histoire de la société où il vécut. Dans le même temps, également au moyen d’une connaissance plus approfondie de son contexte historique, nous restons sans cesse conscients de l’intervention providentielle de Dieu dans sa vie. Dans cette étude historique, il n’y a aucun refus, effectué a priori, des très respectables images de Don Bosco que des générations de Salésiens, de Filles de Marie Auxiliatrice, de Salésiens Coopérateurs et de membres de la Famille Salésienne ont eues, c’est-à-dire du Don Bosco que ces personnes ont connu et aimé ; mais il y a et il doit y avoir aussi la présentation et la réinterprétation d’une image de Don Bosco qui soit actuelle, qui parle au monde d’aujourd’hui, qui utilise un langage rénové.

L’image de Don Bosco et de son action doit être sérieusement reconstruite, à partir de notre horizon culturel : de la complexité de la vie d’aujourd’hui, de la mondialisation, de la culture postmoderne, des difficultés de la pastorale, de la diminution des vocations, de la “mise en question” de la vie consacrée. Les changements radicaux ou “liés à notre époque”, comme les appelait le P. Egidio Viganò, mon prédécesseur, nous obligent à revoir cette image et à la repenser sous une autre lumière, pour une fidélité qui ne soit pas la répétition de formules et le respect formel pour la tradition. L’importance historique de Don Bosco est à découvrir, non seulement dans les « œuvres » et dans quelques-uns de ses éléments pédagogiques relativement originaux, mais surtout dans sa perception, concrète et affective, de la portée universelle, théologique et sociale du problème de la jeunesse « laissée à l’abandon », et dans sa grande capacité de la communiquer à de larges groupes de collaborateurs, de bienfaiteurs et d’admirateurs.

Etre fidèles à Don Bosco signifie le connaître dans son histoire et dans l’histoire de son temps, faire nôtre ses inspirations, assumer ses motivations et ses choix. Etre fidèles à Don Bosco et à sa mission signifie cultiver en nous un amour constant et fort envers les jeunes, spécialement les plus pauvres. Cet amour nous porte à répondre à leurs besoins les plus urgents et les plus profonds. Comme Don Bosco, nous nous sentons touchés par leurs situations de difficulté : la pauvreté, le travail des enfants mineurs, l’exploitation sexuelle, le manque d’éducation et de formation professionnelle, l’insertion dans le monde du travail, le peu de confiance en eux-mêmes, la peur devant l’avenir, la perte du sens de la vie.

Avec une affection profonde et un amour désintéressé nous cherchons à être présents au milieu d’eux avec discrétion et autorité, en offrant des propositions valables pour leur cheminement, leurs choix de vie et leur bonheur présent comme futur. En tout cela nous cherchons à être pour eux des compagnons de chemin et des guides compétents. En particulier, nous cherchons à comprendre leur nouvelle manière d’être ; pour un grand nombre d’entre eux, ils sont des “natifs numériques” [nés pendant ou après l’introduction générale de la technologie numérique] qui au moyen des nouvelles technologies cherchent des expériences de mobilisation sociale, des possibilités de développement intellectuel, des ressources de progrès économique, cherchent la communication instantanée et des occasions d’être des protagonistes. Egalement dans ce domaine nous voulons partager leur vie et leurs intérêts ; animés par l’esprit créatif de Don Bosco, nous qui sommes des éducateurs, nous nous rendons proches d’eux en tant qu’ “immigrants numériques” [nés avant l’existence de la technologie numérique] en les aidant à franchir le fossé qui se trouve entre leur génération et celle de leurs parents, entre leur monde et celui des adultes.

Nous prenons soin d’eux pendant tout leur chemin de croissance et de maturation, en leur réservant notre temps et nos énergies et en restant avec eux, dans les moments qui vont de l’enfance à la jeunesse.

Nous prenons soin d’eux lorsque des situations difficiles, comme la guerre, la faim, le manque de perspectives d’avenir, les portent à abandonner leur maison et leur famille et qu’ils se trouvent seuls pour affronter la vie.

Nous prenons soin d’eux lorsque, pour travailler après les études et la qualification, ils sont anxieusement à la recherche d’un premier emploi et qu’ils s’engagent à s’insérer dans la société, parfois sans espoir ni perspectives de réussite.

Nous prenons soin d’eux lorsqu’ils sont en train de construire leur monde sentimental, leur famille, surtout en accompagnant leur chemin de fiançailles, leurs premières années de mariage, la naissance des enfants (cf. GC26, 98.99.104).

Nous tient particulièrement à cœur de combler le vide le plus profond de leur vie, en les aidant dans la recherche d’un sens pour cette vie et surtout en offrant un parcours de croissance dans la connaissance du Seigneur Jésus et dans l’amitié avec Lui, dans l’expérience d’une Eglise vivante, dans l’engagement concret pour vivre leur vie comme une vocation.

Voici, donc, le programme spirituel et pastoral pour l’année 2012 :

Connaissant et imitant Don Bosco,

faisons des jeunes la mission de notre vie

Déjà de nombreux groupes de la Famille Salésienne se trouvent en harmonie avec cet engagement, qui nous enrichira tous en nous faisant tourner ensemble notre regard vers notre cher Père Don Bosco. Avançons donc de plus en plus ensemble en tant que Famille.



2.Redécouvrir l’histoire de Don Bosco


Don Bosco continue à intéresser beaucoup de gens dans de nombreux pays, à plus d’un siècle de sa mort. On le considère comme une figure significative, même en dehors du milieu salésien. Bien qu’à présent soient nécessairement tombées les amplifications qui ont entouré sa personne pendant un bon nombre de décennies et qui ont frappé l’imaginaire collectif, Don Bosco demeure encore un personnage très remarqué pour son intelligence et largement accueilli. Ils constituent une longue série les papes et les cardinaux, les évêques et les prêtres, les auteurs catholiques et non catholiques, les politiques de diverses tendances, en Italie, en Europe et dans le monde, qui l’ont reconnu et le reconnaissent comme porteur d’un message moderne, prophétique, historiquement conditionné mais ouvert à de nombreuses projections dans l’actualité, présentant des dispositions virtuelles pour les plus vastes espaces et temps.

Le centenaire de sa mort, le 150ème anniversaire de la fondation de la Congrégation salésienne, à présent la préparation du Bicentenaire de sa naissance, et d’autres occasions particulières, ont favorisé une production enthousiaste de livres et de journaux. A côté d’études et de recherches de haut niveau scientifique, il s’en est présenté aussi d’autres plus modestes, qui ont prêté le flanc à des réserves sur le plan de leurs interprétations, en raison de critiques préliminaires effectuées sans fondement par certains auteurs, et d’analyses historiques insuffisantes de la part d’autres.

La personne de Don Bosco est, en effet, à considérer sous de multiples points de vue pour en faire le tour, et ne peut se réduire à être décrite par de simples formules ou par des titres journalistiques ; c’est une personnalité complexe, faite de réalités à la fois ordinaires et exceptionnelles, de projets touchant le concret, les idées et les hypothèses, d’un style quotidien de vie et d’action, et en même temps de rapports particuliers avec le surnaturel. Une telle personne ne peut pas être adéquatement comprise si ce n’est dans sa diversité et dans son caractère pluridimensionnel ; dans le cas contraire, la présentation d’un ou de quelques aspects, éventuellement confondus consciemment ou inconsciemment avec un profil complet, risque d’en fausser la physionomie.

On peut parfois rester perplexe devant des ouvrages, dans lesquels l’apologie et la description conventionnelle de Don Bosco occupent une place excessive, dans lesquels l’exaltation de sa personne l’emporte au détriment de la vérité du personnage, éventuellement circonscrit dans des stéréotypes auxquels Don Bosco ne peut presque jamais être réduit. Cela vaut particulièrement en ce moment de l’histoire, dans lequel sont en train de se multiplier les vies des saints écrites avec de nouveaux critères ; en effet, actuellement un nouveau type d’hagiographie a pris fortement place, en se basant sur des interprétations historiques fondées et sur une lecture théologique renouvelée de l’expérience spirituelle des Saints. C’est pourquoi je souhaite la préparation d’une “hagiographie” moderne de Don Bosco ; tandis qu’elle doit s’appuyer sur les récentes études historiques, elle est appelée à susciter l’amour pour lui, l’imitation de sa vie, le désir d’accomplir le même chemin spirituel que lui ; le même souhait vaut pour une nouvelle hagiographie adressée aux jeunes.



3.Motivations pour l’étude de l’histoire de Don Bosco


A coup sûr ils sont nombreux les motifs qui nous poussent à étudier Don Bosco. Nous devons le connaître en tant qu’il est notre Fondateur, parce que le demande notre fidélité à l’institution à laquelle nous appartenons. Nous devons le connaître en tant qu’il est Législateur, du fait que nous sommes tenus d’observer les Constitutions et les Règlements que lui-même directement ou ses successeurs nous ont donnés. Nous devons le connaître en tant qu’il est Educateur, afin que nous puissions vivre le Système Préventif, très précieux patrimoine que lui-même nous a laissé. Nous devons le connaître en particulier en tant qu’il est Maître de vie spirituelle, du fait qu’à sa spiritualité nous puisons, nous qui sommes ses fils et ses disciples ; en effet, il nous a offert une clé de lecture de l’Evangile ; sa vie constitue pour nous un critère pour réaliser avec des caractéristiques particulières la “sequela” du Seigneur Jésus ; à ce sujet j’ai écrit une lettre aux confrères salésiens en janvier 2004 “Contempler le Christ avec les yeux de Don Bosco” (ACG 384).

Actuellement se fait de plus en plus grande en nous la conscience du risque que nous sommes en train de courir, si nous ne renforçons pas les liens qui nous tiennent unis à Don Bosco. La connaissance historique, fondée et affective, aide à maintenir vivants ces liens ; la formation initiale et la formation permanente doivent favoriser les études salésiennes. Il s’est désormais écoulé plus d’un siècle depuis la mort de Don Bosco ; se sont éteintes toutes les générations qui directement ou indirectement ont été au contact avec lui et avec des personnes qui l’avaient connu personnellement. Comme augmente la distance qui nous sépare de lui, distance creusée par le temps qui passe, par l’éloignement géographique, par la différence de culture, viennent à manquer de plus en plus ce climat affectif et cette proximité même psychologique, qui nous rendaient spontanés et familiers Don Bosco et son esprit, même à la simple apparition de son portrait. Ce qui a été transmis peut être perdu ; le lien vivant avec Don Bosco peut être rompu. Et une fois qu’est venue à manquer la référence à notre Père commun, à son esprit, à sa pratique, aux critères qui l’inspirent, nous n’aurions plus droit de cité, en tant que Famille Salésienne, dans l’Eglise et dans la Société, privés comme nous le serions de nos racines et de notre identité.

En outre, garder vivante la mémoire de sa propre histoire donne une garantie d’avoir une culture solide ; sans racines il n’y a pas d’avenir. C’est pourquoi l’organisation de la mémoire historique et la possibilité de la mettre à profit ont une importance considérable, en tant que rappel aux racines communes qui incitent à repenser les problèmes de notre présent avec une conscience plus mûre de notre passé. C’est une garantie, toutefois avec les transformations liées à l’histoire et les inévitables changements, que notre Famille continuera à être porteuse du charisme des origines et à se faire la gardienne vigilante et créative d’une tradition féconde.

Evidemment la conscience du passé ne doit pas devenir un conditionnement. Il faut savoir discerner de façon critique la signification historique essentielle d’avec les redondances gratuites et les interprétations subjectives sans fondement ; de cette manière on évitera d’attribuer une historicité charismatique à des reconstructions qui n’ont pas grand-chose à voir avec la “véritable histoire”. Une semblable manière de faire l’histoire est utilisée parfois pour éviter le problème sérieux de la reconstruction du contexte historique. Même dans l’interprétation de l’histoire de Don Bosco un sain discernement est nécessaire. Et, pour nous aussi, sera toujours valable l’avertissement du Pape Léon XIII : [“La première loi de l’histoire est de ne pas oser mentir ; la seconde, de ne pas craindre de dire vrai” (Saepenumero considerantes - 18 août 1883 ; et donc] l’historien ne doit jamais dire quelque chose de faux, ni taire quelque chose de vrai. Si un saint a quelques points faibles, il faut les reconnaître loyalement. Les remarques effectuées sur les imperfections des Saints ont un triple avantage : 1° - respecter l’exactitude historique ; 2° - souligner l’absolu de Dieu et nous encourager, nous autres pauvres vases d’argile ; 3° - nous montrer que même dans le héros qui vivait pour le Christ le sang n’était pas de l’eau [en français, on pourrait dire : “du jus de navet dans les veines”].


La nécessité et l'urgence d’une connaissance profonde et systématique de Don Bosco ont été soulignées au cours de ces dernières décennies par des documents officiels et par des interventions, chargées d’un très grand poids, de mes deux prédécesseurs. Moi-même, dans la lettre de la fin de 2003 (ACG 383, pp. 16-17), je me suis exprimé en ces termes :


Don Bosco a su être jeune et donc en syntonie avec l’avenir à force d’être au milieu des jeunes. [] Dans l’expérience du Valdocco il est clair qu’il y a eu une maturation de sa mission et par conséquent un passage de la joie d’« être avec Don Bosco » à « être avec Don Bosco pour les jeunes », d’« être avec Don Bosco pour les jeunes de façon stable » à « être avec Don Bosco pour les jeunes de façon stable avec des vœux ». Le fait d’être avec Don Bosco n’exclut pas « a priori » l’attention à son époque, qui l’a modelé ou conditionné, mais il requiert de vivre avec le même engagement ses options, son dévouement, son esprit d’entreprise et d’avant-garde. [] Tout cela fait de Don Bosco quelqu’un de fascinant et, dans notre cas, un père à aimer, un modèle à imiter, mais aussi un saint à invoquer. [] Nous nous rendons compte que plus augmente la distance de notre Fondateur, plus réel est le risque de parler de Don Bosco sur la base de « lieux communs », d’anecdotes, sans une vraie connaissance de notre charisme. D’où l’urgence de le connaître par la lecture et l’étude ; de l’aimer de façon affective et effective comme un père et un maître pour son héritage spirituel ; de l’imiter en cherchant à lui ressembler, en faisant de la Règle de vie notre projet personnel. Tel est le sens du retour à Don Bosco, auquel j’ai invité toute la Congrégation et moi-même dès mon premier mot du soir, par l’étude et l’amour qui cherchent à comprendre, pour éclairer notre vie et les défis actuels. Avec l’Evangile, Don Bosco est notre critère de discernement et notre idéal d’identification.”

Mon souhait n’est pas trop éloigné des réflexions du P. Francesco Bodrato, premier Provincial en Argentine, qui le 5 mars 1877 écrivait dans une lettre à ses novices :

« Qui est Don Bosco ? Que je vous le dise, moi ? Oui, je vous le dis en toute vérité, comme je l’ai appris et entendu dire par d’autres personnes. D. Bosco est notre père très aimé et très aimant. Cela, nous le disons tous, nous qui sommes ses fils. D. Bosco est l’homme de la Providence ou l’homme prévu depuis longtemps. Cela, le disent les vrais savants. D. Bosco est l’homme de la philanthropie. Cela, le disent les philosophes. Et moi je dis, après avoir admis, cela s’entend, tout ce que disent les susdits, que D. Bosco est vraiment cet ami que la Sainte Ecriture qualifie de grand trésor. Eh bien, nous l’avons trouvé, nous, ce véritable ami et ce grand trésor. La Très sainte Vierge Marie nous a donné la lumière pour pouvoir le connaître et le Seigneur nous permet de le posséder. Donc, gare à celui qui le perd. Si vous saviez, mes chers frères, combien de personnes il y a qui envient notre sort […] Et si, avec moi, vous admettez de croire que D. Bosco est le véritable Ami de la Sainte Ecriture, alors vous devez faire attention à toujours le posséder et à prendre soin de le copier en vous-mêmes ». (F. BODRATO, Epistolario, présenté par B. Casali, Rome LAS 1995, pp. 131-132).

Ce n’est pas pour rien que le préambule et les articles 21, 97, 196 des Constitutions actuelles de la Congrégation Salésienne nous présentent en Don Bosco un “guide” et un “modèle”, et que les Constitutions elles-mêmes sont définies "le testament vivant". Des expressions analogues se trouvent aussi dans la règle de vie des autres groupes de la Famille Salésienne. Pour nous tous, qui trouvons en Don Bosco nos éléments de référence, il continue à être le fondateur, le maître pour l’esprit, le modèle pour l’éducation, l’initiateur d’un Mouvement de retentissement mondial capable d’offrir à l’Eglise et à la société, avec une force formidable, l’attention aux besoins des jeunes, à leur réalité, à leur avenir. Nous ne pouvons pas ne pas nous demander si aujourd’hui notre Famille constitue encore une telle force ; si nous avons encore le courage et l’imagination qui furent ceux de Don Bosco ; si à l’aube du troisième millénaire nous sommes encore capables d’assumer ses positions prophétiques pour défendre les droits de l’homme et ceux de Dieu.

Une fois indiquées la nécessité et l’urgence de la connaissance et de l’étude de Don Bosco pour la Famille Salésienne, pour chaque groupe, chaque communauté, chaque association et chaque personne, le chemin est encore à effectuer ; le chemin indiqué n’est pas encore le chemin parcouru. A chacun il incombe de déterminer les pas à accomplir, les modalités à suivre, les ressources à employer, les étapes à franchir et les occasions à saisir ou à provoquer pour que cet engagement soit réalisé au cours de cette année. Nous ne pouvons arriver à la célébration du Bicentenaire sans connaître davantage Don Bosco.



4.Fonction de l’histoire dans une actualisation


Pour atteindre ces objectifs il ne suffit pas que la grandeur de Don Bosco soit présente dans la conscience de chacun de nous. Une condition indispensable est de bien le connaître, au-delà de la très sympathique petite histoire dont est enveloppé notre cher Père et de la littérature édifiante elle-même, sur lesquelles a reposé la formation d’entières générations. Il ne s’agit pas d’aller à la recherche de recettes faciles pour affronter en tant que Famille la “crise” actuelle de l’Eglise et de la société, mais d’avoir de lui une connaissance profonde, de sorte qu’il puisse être “actualisé” à l’aube de ce troisième millénaire, dans le climat culturel en lequel nous vivons, dans les différents pays dans lesquels nous opérons. Il est nécessaire d’avoir une connaissance de Don Bosco qui puisse vivre de la tension continuelle entre notre interrogation sur le présent et la recherche de réponses qui proviennent du passé ; c’est seulement ainsi que nous pourrons insérer aujourd’hui encore dans la culture le charisme salésien.

On doit prêter attention au fait qu’au moment des “tournants de l’histoire” un Mouvement charismatique peut grandir et se développer uniquement à condition que le charisme de fondation soit “de nouveau interprété d’une manière vitale” et ne demeure pas un “fossile précieux”. Les Fondateurs ont fait l’expérience de l’Esprit Saint dans un contexte historique précis ; c’est pourquoi il est nécessaire de déterminer les éléments de contingence de leur expérience, parce que la réponse à une situation historique tout à fait déterminée a de la valeur tant que dure cette contingence. En d’autres termes, les “demandes” de la communauté ecclésiale d’aujourd’hui et celles de l’actuel contexte socioculturel ne peuvent pas être considérées comme quelque chose d’ “étranger” à notre recherche historique ; elle doit déterminer ce qui est transitoire et ce qui est permanent dans le charisme, ce qui doit être laissé et ce qui doit être assumé, ce qui est éloigné de notre contexte et ce qui est voisin de lui.

Il n’est pas possible de faire cette actualisation sans se tourner vers l’histoire, qui – comme je l’ai déjà dit – n’est pas la gardienne d’un passé, désormais perdu, mais plutôt d’une mémoire qui vit en nous, dans la fonction d’actualiser le vécu passé. Une mise à jour effectuée en ignorant les progrès de la science historique, est une opération faussement utile. Pareillement ne conduisent pas à de grands résultats, que ce soit sur le plan de l’histoire ou sur celui d’une actualisation, les recherches et les lectures effectuées à la façon d’un dilettante, sans avoir de claires hypothèses, de méthodes appropriées et de solides instruments de travail, et en dehors de la manière, vivante et actuelle, de penser et d’écrire l’histoire. L’historiographie comporte une continuelle révision critique de jugements affirmés, une révision nécessaire en tant que nous devons reconnaître que le passé ne peut pas être érigé comme une espèce de monument qui serait seulement à contempler, justement parce qu’il est fondamentalement lié à la personne de celui qui désire le connaître.

On ne doit pas sous-évaluer le fait que l’histoire de Don Bosco n’est pas seulement “la nôtre”, mais qu’elle fait partie de l’histoire de l’Eglise et de l’histoire de l’humanité. Elle ne devrait donc pas être absente de l’historiographie ecclésiale et civile de chaque pays, d’autant plus que l’histoire salésienne est une histoire faite d’interactions dynamiques, de liens de dépendance et de collaboration, et parfois de heurts, avec le monde social, politique, économique, ecclésial et religieux, éducatif et culturel. Or, on ne peut pas prétendre que “les autres” tiennent en considération notre “histoire”, notre “pédagogie”, notre “spiritualité”, si nous ne leur offrons pas les instruments modernes de connaissance. Le dialogue avec les autres ne peut se produire que si nous avons le même code linguistique, les mêmes instruments conceptuels, une identité de compétences technologiques ou professionnelles ; dans le cas contraire nous serons en marge de la société, éloignés du débat culturel, absents des lieux où sont orientées les solutions des problèmes du moment. L’exclusion du débat culturel en cours dans chaque pays serait même la cause de l’insignifiance historique des Salésiens, de leur marginalisation sociale, de l’absence de notre offre d’éducation. C’est pourquoi je souhaite un engagement renouvelé dans la préparation de personnes qualifiées pour l’étude et la recherche dans le domaine de l’histoire salésienne.

La littérature salésienne, l’édition salésienne, la prédication salésienne, les circulaires des responsables aux différents niveaux, les communications à l’intérieur de la Famille Salésienne doivent être à la hauteur de la situation. Le caractère populaire traditionnel de la littérature salésienne, la vulgarisation dans une même optique ne doivent pas signifier superficialité de contenu, désinformation, répétition d’un passé non crédible. Si quelqu’un a le don ou le devoir ou l’occasion de parler, d’écrire, de former, d’éduquer les autres, il est tenu à une constante mise à jour sur l’objet de ses discours et de ses écrits. Les instruments de travail de la communication populaire doivent être de qualité et de la plus grande crédibilité possible.

L’étude de Don Bosco est la condition pour pouvoir en communiquer le charisme et en proposer l’actualité. Sans connaissance il ne peut pas naître d’amour, d’imitation et d’invocation ; par ailleurs seul l’amour pousse à la connaissance. Il s’agit donc d’une connaissance qui naît de l’amour et conduit à l’amour : une connaissance affective.



5.Plus de cent ans d’historiographie “au service du charisme”


La production de l’historiographie salésienne en plus de 150 ans de vie a parcouru un chemin considérable, en passant des premiers profils biographiques modestes de Don Bosco des années soixante-dix du XIXème siècle aux biographies élogieuses qui, des années quatre-vingt de ce même siècle jusqu’à une époque avancée du XXème siècle, ont eu une grande diffusion : disons aussi qu’effectuée sous l’angle de la théologie, de l’anecdote, du prodige et du miracle, une lecture de la vie de Don Bosco et de son œuvre inspirait cette dernière catégorie de biographies. Les moments solennels de la béatification et de la canonisation de Don Bosco furent évidemment à l’origine d’une série d’écrits et de brochures à caractère spirituel et édifiant. De même, pour le secteur de la pédagogie, on pourrait parler de la riche série d’écrits et de débats sur Don Bosco éducateur, à la suite de l’introduction de la Méthode préventive de Don Bosco dans les programmes scolaires des Ecoles Normales en Italie.

Aussitôt après la seconde guerre mondiale et dans les années cinquante du siècle dernier les nouvelles générations salésiennes commencèrent à exprimer un sentiment d’inquiétude à propos de la littérature hagiographique du passé. Se levait l’exigence d’une hagiographie du Fondateur qui eût en vue non pas tant l’édification et l’apologie que la vérité de sa personnalité dans tous ses multiples aspects : c’est-à-dire une hagiographie qui se situât à l’intérieur de l’histoire et comme telle qui en assumât toutes les tâches, tous les devoirs, toutes les orientations. S’imposait en quelque sorte la nécessité de sortir d’un cercle désormais bien en place, pour inciter à effectuer une relecture de l’histoire de Don Bosco, une relecture où l’on développe une compétence philologique, un examen soigné des sources et que l’on conduit au moyen de la recherche historique selon des méthodes mises à jour. On devait procéder au-delà de la manière de voir propre aux premiers Salésiens, qui sans aucun doute était une optique axée sur la Providence, la théologie, les prodiges et les miracles, avec une tendance à ne pas mettre en valeur la réalité du milieu et les forces en action à cette époque.

De semblables perspectives d’étude et d’approfondissement de la personne de Don Bosco – on les sentait venir depuis longtemps déjà – reçurent une forte impulsion donnée par l’invitation du Concile Vatican II à revenir aux authentiques réalités humaines et spirituelles des origines et du Fondateur, en vue du renouveau nécessaire de la vie consacrée (Cf. Perfectae Caritatis, Ecclesiae Sanctae). Cela exigeait comme condition indispensable la connaissance du donné historique. Sans une solide référence aux racines, la mise à jour risquait, en effet, de devenir une invention arbitraire et incertaine. Et c’est ainsi que dans le nouveau climat culturel des années soixante-dix, au moyen de présupposés, d’orientations, de méthodes, d’instruments d’investigation de cette nouvelle époque, partagés par les historiographes attachés à une recherche des plus sérieuses, fut approfondie la connaissance du patrimoine héréditaire de Don Bosco, abondamment fourni d’événements et d’orientations, de valeurs et de possibilités. Fut déterminée la valeur historique du message, furent définies les inévitables limites personnelles, culturelles, institutionnelles, qui, presque paradoxalement, préfiguraient et préfigurent encore les conditions de viabilité dans le présent et dans l’avenir.



6.Vers une lecture herméneutique de l’histoire salésienne


Comme première exigence du renouveau le Concile Vatican II a donc demandé de revenir aux sources. La Congrégation a publié, à ce sujet, des dizaines de volumes des “Opere Edite” [Ouvrages Edités] de Don Bosco ainsi qu’un bon nombre d’ouvrages inédits ; le Centre d’Etudes [sur] Don Bosco de l’UPS et l’ISS [Institut Salésien d’Histoire] s’en sont chargés. Grâce à leur travail, des milliers de pages d’écrits de Don Bosco sont à notre disposition, dans des éditions scientifiquement soignées et révisées, de manière à permettre la nécessaire analyse philologique. En effet, comment peut-on comprendre la fameuse “lettre de Rome” que don Lemoyne rédigea au nom de Don Bosco, si l’on ne connaît pas à fond la situation disciplinaire difficile qui était vécue à Valdocco et qui en ces mêmes années fut l’occasion de la “circulaire sur les châtiments” ? La valeur d’une lettre autographe de Don Bosco, tourmentée, surchargée de corrections, d’ajouts et d’apostilles, est-elle, par hasard, la même que la valeur d’une circulaire, probablement écrite par l’un de ses collaborateurs et seulement signée par Don Bosco ? Quelle importance donner aux contrats de travail souscrits par Don Bosco, si nous les rapprochons de ceux qui auparavant ou à la même époque étaient rédigés par d’autres à Turin ?

A l’analyse philologique doit faire suite l’analyse historico-critique, qui prend en considération soit ce que les sources contiennent explicitement, soit tout ce qu’elles ne disent pas quand on les lit superficiellement, mais qu’elles sous-entendent. Aucun texte, et d’autant moins ceux de Don Bosco, personnage “incarné” dans l’histoire, ne s’explique sans le rapport avec l’époque dans laquelle il fut écrit, à l’intérieur d’un certain contexte, en relation à des personnes déterminées, avec des buts spécifiques. Comme je l’ai dit, les écrits de Don Bosco et sur Don Bosco contiennent l’interprétation de l’Evangile sous l’influence de l’époque, ses idées, des structures mentales, des perspectives, un langage, des valeurs.

Les deux opérations précédentes conduisent à la troisième, qui est plus importante : l’analyse “vitale et actualisante” [“effectuée en tenant compte de la vie présente pour actualiser], capable d’exprimer en des termes nouveaux, de repenser, de réactualiser le contenu des sources. A ce sujet, il est nécessaire d’adopter certains critères herméneutiques, sans lesquels l’interprétation des expressions de Don Bosco, de ses positions théoriques et pratiques, des manières concrètes de vivre le rapport avec Dieu et avec la société, pourrait ni plus ni moins se révéler contre-productive. La simple répétition de phrases de Don Bosco pourrait ni plus ni moins nous faire trahir l’identité salésienne. Il s’agit, en effet, de textes et de témoignages propres à une “culture” désormais passée, d’une tradition, et d’une théologie qui certes n’est plus la nôtre, et donc non immédiatement perceptibles par nous.

La Congrégation Salésienne a accompli au cours des années 70 et 80 du siècle dernier un grand effort de renouveau, et en sont un fruit mûr les Constitutions rénovées. Les Salésiens ont élaboré une réflexion historique et spirituelle, qui est déjà en elle-même une lecture herméneutique des sources salésiennes et en même temps des "signes du temps". Si nous parcourons l’index analytique [dans le texte italien] de ces Constitutions nous découvrons une belle surprise : le nom de Don Bosco apparaît directement une quarantaine de fois. Dans les dix-sept premiers articles il est présent au moins 13 fois ; mais, même si son nom n’est pas explicité, la référence à sa pensée, à sa pratique, à ses écrits est constante. Et penser qu’au XIXème siècle le Saint-Siège obligeait à ne pas faire mention dans les Constitutions du nom et des écrits du Fondateur ! Cela vaut aussi pour d’autres Constitutions, Règlements et Projets de vie d’autres groupes de la Famille Salésienne.

A plus de quarante ans du Concile on doit nécessairement prendre acte du fait que la recherche historique sur la vie humaine et spirituelle de Don Bosco a fait des pas en avant considérables, grâce à des études qui ont adopté les cadres de référence modifiés, ont de la manière voulue pris en considération de nouvelles méthodes d’investigation et de modernes catégories d’évaluation, ont eu recours à de nouvelles perspectives, à partir de l’analyse de documents inédits, ou à de nouvelles interprétations de documents déjà connus. La nouvelle hagiographie critique a obtenu au moins deux effets positifs : tout d’abord celui de nous montrer le véridique visage de Don Bosco et la vraie grandeur de notre Père ; en second lieu celui de tenir compte de Don Bosco dans l’histoire civile.

En effet, jusqu’à il y a quelques décennies, l’historiographie laïque éprouvait une sorte d’allergie pour Don Bosco et ne lui accordait pas de place, peut-être en raison de certains tons doucereux, d’un sensationnalisme appuyé sur les miracles, des pieuses imprécations, qui remplissaient des biographies édifiantes et indulgentes pour le merveilleux. Aujourd’hui, au contraire, Don Bosco est pris au sérieux. Evidemment les aspects de sa personne qui sont présentés dans ces cas ne peuvent pas ne pas se ressentir des critères d’historiographie des différents auteurs, de leur mentalité, de leurs présupposés idéologiques, de leurs buts, de la disponibilité quantitative et qualitative des sources, de la méthode employée pour interroger ces dernières, des différents niveaux de leur lecture, du contexte culturel sous-jacent.

Tout cela correspond à la nouvelle sensibilité présente dans notre Famille, qui a un plus grand amour pour sa vocation et sa mission. Comme je l’ai déjà indiqué, l’étude de Don Bosco, faite avec des méthodes propres à la recherche historique, nous a conduits à mieux mesurer sa grandeur, son talent pour agir, ses dons d’éducateur, sa spiritualité, son œuvre. Nous ne refusons pas a priori tout ce que nous avons reçu de valable sur l’image de Don Bosco que nous ont transmise des générations de Salésiens et de membres de la Famille Salésienne. De nos jours nous avons besoin que soit repensée, réfléchie à nouveau, et autrement, pour nous la présenter, une image de Don Bosco qui soit actuelle, qui parle au monde d’aujourd’hui, dans un langage rénové. En effet, la validité de l’image offerte est jouée sur le degré d’acceptabilité et de partage.



7.Quelle image de Don Bosco aujourd’hui ?


Devant cette littérature salésienne nécessairement en évolution il est évident qu’aujourd’hui aussi nous avons besoin de répondre à une série de questions.

Qui a été Don Bosco ? Qu’a-t-il dit, fait, écrit ? Avec quel mode de vie et d’action a-t-il réussi à développer ses œuvres de bien ? Quelle relation existe entre sa pensée et son action ? Quels ont été l’origine de ses idées, leur développement et leur nouveauté ? Quelle a été la conscience qu’il eut de lui-même et de son message au début de son œuvre et quelle fut la perception qu’il en eut graduellement tout au long de sa vie ? Quelle perception de lui-même, de son œuvre et de son message ont eu ses premiers collaborateurs laïques et ecclésiastiques, les premiers salésiens, les FMA, les Coopérateurs, les élèves et les anciens élèves ? Quelles ont été les compréhensions et les appréciations qu’ont eues ses contemporains : pape, évêques, prêtres, religieux, autorités politiques et civiles, détenteurs du pouvoir économique et financier, croyants ou non croyants, les foules ?

Quelle a été l’image de Don Bosco construite et transmise par la “tradition historique”, par les chroniqueurs et les biographes contemporains, par les témoignages des procès, par les commémorations et les apothéoses lors des anniversaires et à des dates significatives (1915, 1929, 1934, 1988, 2009) ? Quelles ont été les interprétations de sa “mission” historique ? A-t-elle été une réponse providentielle aux besoins d’une Eglise persécutée ? Une réponse catholique aux demandes de l’époque ? Une solution du “problème des jeunes pauvres et laissés à l’abandon”, du problème social, de la coopération entre les “classes” ? Une promotion des masses populaires, dans le respect de l’ordre établi ? Une action missionnaire et civilisatrice ?

Qu’est-ce qui caractérise Don Bosco ? A-t-il été l’inventeur d’une “pédagogie” capable d’approcher les jeunes “en danger et dangereux” ? Maître de spiritualité pour les jeunes à risque, pour les classes inférieures, pour les peuples en voie de développement ? Saint de la joie, des valeurs humaines, de la rencontre avec tous sans discrimination ? Ou sans doute tout cela et autre chose encore en même temps ?

De nos jours, il faut reconstruire cette image de Don Bosco ; il est nécessaire de le voir sous un autre jour pour une fidélité qui ne soit pas répétition, respect des formules ou dissociation. Il ne suffit pas de se limiter à quelques lettres d’animation ou à quelques ouvrages rapides d’un spécialiste ; il faut approfondir la réalité salésienne tous ensemble pour parvenir à une vision commune de niveau élevé et professionnel, profonde, où soit mis en valeur le patrimoine historique, pédagogique, spirituel hérité de Don Bosco, où soit connue à fond la réalité des jeunes, où soit clairement perçu le profil du chrétien dans la société d’aujourd’hui et de demain avec les engagements corrélatifs “selon les besoins de l’époque”. Il s’agit, en d’autres termes, de revoir les institutions et les structures d’association et d’éducation, de relire le Système Préventif sous l’angle de l’actualité, de présenter au monde et à l’Eglise un style particulier d’éducateur salésien.

De nos jours, plus que de crise d’identité il s’agit sans doute de crise de crédibilité. Il semble que l’on soit sous la tyrannie du statu quo, au niveau de résistances inconscientes plus qu’intentionnelles. Bien que convaincus de la vérité des valeurs théologiques dont notre vie chrétienne et consacrée est imprégnée, nous voyons la difficulté de parvenir au cœur de nos destinataires pour lesquels nous devrions être des signes d’espérance ; nous sommes bouleversés par l'insignifiance de la foi dans la construction de leur vie ; nous constatons que nous avons une faible harmonie avec leur monde, que nous sommes éloignés, pour ne pas dire étrangers, de leurs projets humains ; nous percevons que nos signes, nos gestes, nos langages ne semblent pas avoir d’incidence sur leur vie.

Sans doute est-ce avec une faible clarté qu’apparaît le rôle à tenir dans la mission à laquelle on se dévoue ; sans doute certains ne sont-ils pas convaincus de l'utilité de notre mission ; sans doute trouvent-ils que le travail n’est pas adapté à leurs aspirations, parce que nous ne savons pas rénover ; sans doute se sentent-ils emprisonnés par les urgences qui se sont faites de plus en plus pressantes ; sans doute y a-t-il beaucoup plus de discrédit ad intra [à l’intérieur de l’institution] qu’ad extra [à l’extérieur]. L’histoire pourra nous venir en aide dans l’action d’actualisation du charisme ; je me limite à mettre en évidence quelques aspects, en m’arrêtant en particulier sur le premier. 


7.1. Evolution des œuvres et des destinataires. Pour Don Bosco l’ouverture de nouvelles œuvres est déterminée par les exigences de la situation. La pauvreté culturelle des jeunes provoque à Valdocco l’ouverture d’une école primaire du dimanche, puis des cours du soir, puis des classes pendant la journée, surtout pour ceux qui ne peuvent pas aller à l’école publique ; puis celle d’autres écoles, d’ateliers divers, et ainsi de suite vers la “maison annexe”, complexe, établie à l’Oratoire St-François de Sales. Cette première œuvre, de simple lieu de rencontre le dimanche et les jours de fête pour le catéchisme et pour les jeux, devient un lieu de formation globale ; pour un certain nombre de jeunes privés de moyens de subsistance elle devient une maison, un lieu de résidence. A la cour de récréation et à l’église, où se déroulait un programme présentant la possibilité des sacrements, d’une instruction religieuse élémentaire, de divertissement, d’activités intéressantes, de festivités religieuses et civiles, de cadeaux, se sont ajoutées d’autres structures pour offrir l’apprentissage d’un métier, ce qui permettait d’éviter d’aller dans des lieux de travail de la ville très souvent immoraux et dangereux pour des jeunes déjà accablés d’un passé difficile. Et par la suite ont été fondés d’autres maisons salésiennes, d’autres collèges et internats, d’autres petits séminaires confiés à la Société salésienne désormais née.

Vers le premier oratoire se dirigent aussi bien d’anciens délinquants que de jeunes immigrés et en général des jeunes n’ayant pas de liens très forts avec leur paroisse respective. A un échelon plus élevé, sont d’autre part accueillis, à l’oratoire et à l’internat, des étudiants et des apprentis éloignés de leur “patrie”, qui vont en ville pour apprendre un métier ou accomplir des études qui les fassent acquérir un certificat d’aptitude professionnelle en vue d’un emploi. A un certain nombre de jeunes appartenant à cette catégorie, qu’ils soient dans de particulières difficultés ou bien qu’ils aient de plus grandes ressources économiques, est ouverte la possibilité d’apprendre un métier dans des ateliers organisés ou d’effectuer leurs études dans des classes situées dans des collèges. Cette population rentre normalement dans les deux catégories sociales différentes : la "classe pauvre" et les "classes moyennes". Des exigences particulières favorisent aussi l’institution d’écoles primaires, d’écoles techniques, d’écoles pour les études classiques, d’écoles professionnelles, d’écoles agricoles, d’externats, et même de collèges s’adressant à des milieux de rang moyen ou plus que moyen dans lesquels il s’agit de faire obstacle à des initiatives analogues laïques ou protestantes ou bien d’assurer une éducation intégralement catholique selon le système préventif.

La préférence pour les plus pauvres est considérée par Don Bosco comme compatible avec la destination massive d’écoles et de collèges à la “classe moyenne”. Il ne refuse ses services à personne, mais il préfère s’occuper des classes moyennes et de la classe pauvre, car elles ont beaucoup plus besoin de secours et d’assistance. De toute façon, le mécanisme des “pensions” à payer ne permit pas de grandes ouvertures vers les vrais pauvres ou les demi-pauvres, si ce n’est pour des groupes limités de garçons vivant du soutien de la bienfaisance publique ou privée. Par ailleurs, une catégorie à part est constituée par ces jeunes, parmi les plus pauvres et le plus en danger, qui se trouvent dans les lieux de mission, manquant de la lumière de la foi. Naturellement l’action missionnaire ne s’arrête pas aux jeunes, mais elle essaie d’entraîner tout le monde qui les entoure ; et elle ne se limite pas à l’action strictement pastorale, mais s’intéresse à tous les aspects de la vie civile, culturelle, sociale, selon ce que Don Bosco dit lui-même dans l’une de ses lettres du 1er novembre 1886 : apporter "la religion et la civilisation parmi ces peuples et ces nations qui ignorent encore l’une et l’autre”. Sont également privilégiés sans distinction de classes les jeunes qui manifestent un penchant pour l’état ecclésiastique ou religieux ; c’est le don le plus précieux qui peut être fait à l’Eglise et à la société civile elle-même.

Enfin on doit constater les larges zones de marginalisation de "jeunes pauvres et laissés à l’abandon" dans des situations particulièrement graves, parfois tragiques, qui demeurent étrangères à l’activité de Don Bosco : la catégorie qui apparaît avec une grande importance des jeunes de plus en plus engagés dans l’industrie naissante et qu’il faut assister, protéger, former sur le plan social et syndical ; le monde de la délinquance des jeunes qui existe véritablement à Turin ; les œuvres pour sortir de leur situation les enfants mineurs délinquants ou proches de la délinquance, avec certaines desquelles toutefois il est entré en pourparlers plus ou moins clairs ; l'étendue, grande comme un continent, de la pauvreté et de la misère non seulement dans les villes, mais aussi, et souvent encore plus, dans les campagnes ; l’étendue, vaste comme la planète, de l’analphabétisme et de l’élévation du niveau de qualification artisanale ou professionnelle ; le monde du chômage et de l’émigration ; et encore le monde du handicap, mental comme physique.

De nos jours, cette page d’histoire nous oblige à réfléchir dans une perspective qui nous amène à actualiser. Qui sont aujourd’hui nos destinataires privilégiés ? Quelles sont les œuvres appropriées à leurs besoins ? La disparition dans les Constitutions salésiennes rénovées de la liste des œuvres salésiennes typiques, qui voyaient à la première place les oratoires (patronages ayant pour but de faire connaître, aimer et prier Dieu par les jeunes, en y joignant détente et distraction], n’a-t-elle pas par hasard contribué à la réduction du nombre de nos classiques “patros”, et amené éventuellement leur remplacement par les écoles supérieures et universitaires ?


7.2. Jeunesse laissée à l’abandon. Comme je l’ai dit au début, l’importance historique de Don Bosco est à retrouver, non seulement dans les œuvres et dans certains éléments méthodologiques relativement originaux, mais aussi dans la perception intellectuelle et émotionnelle de la portée universelle, théologique et sociale, du problème de la « jeunesse laissée à l’abandon », et dans la grande capacité de communiquer cette perception à de larges groupes de collaborateurs, de bienfaiteurs et d’admirateurs.

Demandons-nous alors : sommes-nous aujourd’hui ses fidèles disciples ? Vivons-nous encore la tension que Don Bosco a éprouvée entre projet et réalisation, entre intuition et concrétisation dans le tissu social dans lequel il se trouvait pour opérer ?


7.3. Réponse aux nécessités des jeunes. Une fois considéré que les initiatives prises par Don Bosco au niveau de l’assistance et de l’éducation en faveur des jeunes se succèdent sur le plan pratique au rythme de certaines "circonstances occasionnelles", il faut également dire que ses "réponses" aux problèmes ne sont pas données sur la base d’un "programme" organique et mises en œuvre sur la base d’une vision préalable et globale du cadre social et religieux du 19ème siècle. Lorsqu’il rencontre des problèmes particuliers, il apporte des réponses tout aussi immédiates et liées au temps et au lieu, jusqu’au jour où graduellement les différentes situations des jeunes vont l’amener à se mettre en face “du problème des jeunes” pris dans son ensemble à l’échelle du monde tout entier. Dans la vie héroïque de Don Bosco il n’apparaît pas de plans préventifs ni de stratégies d’action à longue échéance, préparés dans une réflexion théorique depuis son bureau – autant de choses qu’aujourd’hui nous considérons à juste titre indispensables – mais il se présente clairement des solutions efficaces pour des problèmes immédiats, parfois imprévus.

Que signifie tout cela aujourd’hui pour nous qui vivons dans un “village mondial”, où tout est connu en temps réel, où est à notre disposition un ensemble bien fourni de sciences spécialisées ? Comment passer d’une politique d’urgence à une politique de programmation ? Sur la base de quels critères précis pouvons-nous conduire les choix opérationnels dans les plis et les replis de l’histoire, à condition de ne pas rester en dehors d’elle ? Comment éviter le double risque de perdre son unité et son identité, qui se présente si l’on cherche à tout faire, à abandonner des œuvres stables pour passer à des activités passagères pas bien pensées, à disperser en peu de temps des ressources ; éviter le risque de considérer comme absolus et de rendre hautement durables des points de vue contingents qu’avait le Fondateur, en finissant par se contenter de ce qu’on avait jadis possédé, de ce qu’on avait jadis connu, d’une tradition fossilisée, défendue de bonne foi par fidélité au passé ?


7.4. Souplesse dans la réponse aux besoins. L’analyse historique fait apparaître clairement la géniale capacité de Don Bosco de coordonner, autour de sa vocation de “sauver” les jeunes, des œuvres éducatives destinées aux jeunes des milieux populaires urbains, jointes à d’ultérieures activités variées qui visaient d’autres buts. Autour du petit Oratoire de Valdocco Don Bosco a réussi à polariser des milliers de jeunes, à conquérir l’accord et le soutien du monde ecclésiastique sur un rayon de plus en plus grand, virtuellement universel. Et la fermeture d’œuvres telles que l’oratoire de l’Ange Gardien à Turin, de maisons salésiennes isolées comme Cherasco, Trinità, n’était pas l’indice d’un repli, mais d’une réorganisation et d’un nouvel élan. En sont la preuve l’élargissement de sa mission par des œuvres qui visaient à la formation des jeunes : la fondation des FMA, les missions, les Coopérateurs, le Bulletin salésien. Ces diverses initiatives mettent en évidence le continuel mouvement de coordination, d’élan nouveau, d’ultérieur développement.

De nos jours, comment ne pas observer que, dans notre action, ce qui doit être considéré comme important, c’est non seulement, quoique pas tellement, l’image, mais la réalité que l’on relance et que l’on développe avec une sage coordination ? Est-ce sans doute que la fermeture obligée de nombreuses œuvres ne risque pas souvent d’apparaître comme un simple repli, plutôt que comme un choix à propos d’un ultérieur développement ?


7.5. Pauvreté de vie et travail inlassable. Dans les notes que la tradition a appelées “Testament spirituel”, Don Bosco a laissé par écrit : “A partir du moment où commencera [à] apparaître la recherche d’une vie aisée pour les personnes, dans les chambres ou dans les maisons, c’est à ce même moment que commence la décadence de notre congrégation [] Quand commenceront parmi nous les commodités ou les aises, notre Société aura fini son temps” (P. BRAIDO (éd.). “Don Bosco educatore : scritti e testimonianze”, Rome LAS, 1992, pp. 409, 437).

Aujourd’hui, en nous inspirant de Don Bosco, ne devrions-nous pas avoir le courage de dire : quand une communauté religieuse s’enferme devant la Télé et les journaux pendant des heures, c’est signe qu’au moins en cet endroit nous sommes en fin de course ? Que dire lorsqu’une œuvre salésienne se réduit à quatre petits garçons avec un ballon et une Télé, et qu’elle ne trouve pas le temps de convoquer des jeunes gens pour les mobiliser dans les initiatives qui lui sont propres, mais le trouve au contraire pour accomplir des promenades culturelles ? Cette œuvre pourrait peut-être avoir terminé sa course, étant donné que le nombre de jeunes dans une œuvre salésienne locale n’est pas tout, mais demeure le thermomètre de la raison d’être d’une maison en cet endroit particulier.



8.Suggestions pour la réalisation concrète de l’Etrenne


A partir de la connaissance de l’histoire de Don Bosco, les grands points de repère et les mises en application de l’Etrenne de 2012 pourraient être les suivants. Chaque groupe de la Famille Salésienne pourra ultérieurement les réaliser concrètement.


8.1. La charité pastorale caractérise toute l’histoire de Don Bosco et elle est l’âme de ses multiples œuvres. Nous pourrions dire qu’elle est la ‘perspective historique synthétique’ sous l’angle de laquelle on peut lire toute son existence dans une synthèse de son histoire. Le Bon Pasteur connaît ses brebis et les appelle par leur nom ; il les désaltère à des eaux cristallines et les fait paître dans des prés verdoyants ; il devient la porte à travers laquelle les brebis entrent dans la bergerie ; il donne sa propre vie afin que les brebis aient la vie en abondance (cf. Jn 10,11 ss.). La force la plus grande du charisme de Don Bosco consiste dans l’amour que l’on puise directement dans le Seigneur Jésus, en L’imitant et en demeurant en Lui. Cet amour consiste à “tout donner”. De là émane son vœu apostolique : “J’ai promis à Dieu que ma vie, jusqu’à son dernier souffle, serait pour mes pauvres garçons” (MB XVIII, 258 ; cf. Const. SDB 1). C’est notre marque et notre crédibilité auprès des jeunes !


8.2. Dans l’histoire de Don Bosco nous connaissons le grand nombre de ses peines dans le travail, de ses renoncements, de ses privations, de ses souffrances, les nombreux sacrifices qu’il a faits. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Par le truchement des besoins et des demandes des jeunes, Dieu est en train de solliciter chaque membre de la Famille Salésienne pour qu’il fasse le sacrifice de lui-même pour eux. Vivre la mission n’est donc pas se laisser aller à un activisme vain, mais plutôt conformer notre cœur au cœur du Bon Pasteur, qui ne veut pas qu’une de ses brebis soit perdue. C’est une mission profondément humaine et profondément spirituelle. C’est un chemin d’ascèse ; il n’y a pas de présence animatrice au milieu des jeunes sans ascèse et sacrifice. Perdre quelque chose ou, mieux, perdre tout pour enrichir la vie des jeunes est le soutien du don de nous-mêmes et de notre engagement.


8.3. Dans le procès-verbal de la fondation de la Congrégation Salésienne et surtout dans le développement historique de l’œuvre aux multiples faces de Don Bosco, nous pouvons connaître les buts de la Famille Salésienne, qui peu à peu se précisaient. Nous sommes, nous, appelés à être apôtres des jeunes, des milieux populaires, des zones de plus grande pauvreté et de mission. Aujourd’hui plus que jamais nous nous appliquons à comprendre et à assumer avec discernement la culture médiatique et nous nous servons des moyens de communication sociale, en particulier des nouvelles technologies, en tant que moyens capables de multiplier notre action de proximité et d’accompagnement des jeunes. Tandis que nous sommes au milieu d’eux comme éducateurs, ainsi que l’a fait notre Père Don Bosco, nous les mobilisons en tant que nos premiers collaborateurs, nous leur donnons des responsabilités, nous les aidons à prendre l’initiative, nous leur apportons une formation pour qu’ils soient les apôtres de ceux qui ont leur âge. C’est de cette façon que, nous, nous pouvons de plus en plus élargir et remplir de joie le grand cœur de Don Bosco, qui aurait voulu atteindre et servir les jeunes dans le monde tout entier.


8.4. Les bonnes résolutions ne peuvent pas rester des déclarations vides. La connaissance de Don Bosco doit se traduire en engagement avec et pour les jeunes. Comme pour Don Bosco, aujourd’hui Dieu nous attend dans les jeunes ! Nous devons donc les rencontrer et rester avec eux dans les lieux, dans les situations et sur les fronts d’action où, eux, ils nous attendent ; c’est pourquoi il faut aller à leur rencontre, faire toujours le premier pas, cheminer avec eux. Il est consolant de voir comment dans le monde tout entier la Famille Salésienne est en train de se prodiguer pour les jeunes les plus pauvres : enfants de la rue, enfants marginaux, enfants au travail, enfants-soldats, jeunes en apprentissage, orphelins laissés à l’abandon, tout-petits enfants exploités ; mais un cœur qui aime est toujours un cœur qui s’interroge. Il n’est pas suffisant d’organiser des actions, des initiatives, des institutions pour les jeunes ; il faut assurer la présence, le contact, la relation avec eux : il s’agit de reprendre la pratique de l’assistance et de redécouvrir la présence sur la cour de récréation.


8.5. Même aujourd’hui Don Bosco se pose des questions. Par le truchement de la connaissance de son histoire, nous devons écouter les interrogations de Don Bosco qu’il nous adresse. Que pouvons-nous faire en plus pour les jeunes pauvres ? Quels sont les nouveaux fronts d’action dans la région où nous travaillons, dans le pays où nous vivons ? Avons-nous des oreilles pour écouter le cri des jeunes d’aujourd’hui ? En plus des pauvretés citées dans le passé, combien d’autres alourdissent le chemin des jeunes d’aujourd’hui ? Quels sont les nouveaux fronts d’action sur lesquels nous devons aujourd’hui nous engager ? Nous pensons à la réalité de la famille, à l’urgence éducative, à la désorientation dans l’éducation affective et sexuelle, au manque d’engagement social et politique, au fait de se réfugier dans le privé de la vie personnelle, à la faiblesse de la vie spirituelle, au manque de bonheur de tant de jeunes. Ecoutons le cri des jeunes et offrons des réponses à leurs besoins les plus urgents et les plus profonds, aux besoins matériels et spirituels.


8.6. A nous autres les événements de sa vie personnelle donnent la possibilité de connaître les réponses de Don Bosco devant les besoins des jeunes. De cette façon nous pouvons mieux prendre en considération les réponses que nous avons déjà mises en œuvre et examiner quelles autres réponses donner. Certes les difficultés ne manquent pas. On devra aussi “affronter les loups” qui veulent dévorer le troupeau : l’indifférentisme, le relativisme moral, l’utilisation immodérée des biens de consommation qui détruit dans leur valeur les choses et les expériences, les fausses idéologies. Dieu est en train de nous appeler et Don Bosco nous encourage à être de Bons Pasteurs, à l’image du Bon Pasteur, pour que les jeunes puissent encore trouver des Pères, des Mères, des Amis, puissent surtout trouver la Vie, la Vraie Vie, la vie en abondance offerte par Jésus !


8.7. Les Memorie dell’Oratorio di San Francesco di Sales [Mémoires de l’Oratoire Saint-François de Sales] que Don Bosco écrivit à la demande explicite du Pape Pie IX, sont un point de référence dont il faut absolument tenir compte pour connaître le chemin spirituel et pastoral de Don Bosco. Leur rédaction a été effectuée pour nous permettre, à nous autres, de connaître les débuts prodigieux de la vocation et de l’œuvre de Don Bosco, mais surtout pour qu’en assumant les motivations et les choix de Don Bosco, que ce soit nous chacun personnellement ou chaque groupe de la Famille Salésienne, nous puissions faire le même chemin spirituel et apostolique. Une définition leur a été appliquée en les disant “memorie di futuro” [Souvenirs autobiographiques d’avenir]. En conséquence, pendant cette année, appliquons-nous à connaître ce texte, à en communiquer les contenus, à le diffuser, surtout à le mettre entre les mains des jeunes : il deviendra un livre porteur d’inspiration même pour leurs choix de vocation.



9.Conclusion


Comme d’habitude, je désire conclure la présentation de l’Etrenne avec une anecdote marquée de sagesse. Avant cela, cependant, je voudrais rappeler ici le “rêve des neuf ans”. Il me semble, en effet, que cette page autobiographique offre une présentation simple, mais en même temps prophétique de l’esprit et de la mission de Don Bosco. S’y trouve défini le champ d’action qui lui est confié : les jeunes ; s’y trouve indiqué l’objectif de son action apostolique : les faire grandir en tant que personnes au moyen de l’éducation ; s’y trouve proposée la méthode éducative qui s’avérera efficace : le Système Préventif ; s’y trouve présenté l’horizon vers lequel s’orientent toute son action et toute la nôtre : le projet merveilleux de Dieu, qui, avant tous et plus que tout autre, aime les jeunes. C’est Lui qui les enrichit de tant de dons et les rend responsables dans leur croissance, en vue d’une insertion positive dans la société. Dans le projet de Dieu leur est garantie non seulement une bonne réussite en cette vie, mais aussi le bonheur éternel. Mettons-nous donc à l’écoute de Don Bosco et écoutons le ‘rêve de sa vie’.


« Le garçon du rêve »


A cet âge je fis un rêve qui me laissa pour toute la vie une profonde impression. Pendant mon sommeil, il me sembla que je me trouvais près de chez moi, dans une cour très spacieuse. Une multitude d’enfants, rassemblés là, s’y amusaient. Les uns riaient, d’autres jouaient, beaucoup blasphémaient. Lorsque j’entendis ces blasphèmes, je m’élançai au milieu d’eux et, des poings et de la voix, je tentai de les faire taire. A ce moment apparut un homme d’aspect vénérable, dans la force de l’âge et magnifiquement vêtu. Un manteau blanc l’enveloppait tout entier. Son visage étincelait au point que je ne pouvais le regarder. Il m’appela par mon nom et m’ordonna de me mettre à la tête de ces enfants. Puis il ajouta : « Ce n’est pas avec des coups mais par la douceur et la charité que tu devras gagner leur amitié. Commence donc immédiatement à leur faire une instruction sur la laideur du péché et l’excellence de la vertu. »

Confus et effrayé je lui fis remarquer que je n’étais qu’un pauvre gosse ignorant, incapable de parler de religion à ces garçons. Alors les gamins, cessant de se disputer, de crier et de blasphémer vinrent se grouper autour de l’homme qui parlait.

Sans bien réaliser ce qu’il m’avait dit, j’ajoutai : « Qui êtes-vous donc pour m’ordonner une chose impossible ? »

C’est précisément parce que ces choses te paraissent impossibles que tu dois les rendre possibles par l’obéissance et l’acquisition de la science.

Où, par quels moyens pourrai-je acquérir la science ?

Je te donnerai la maîtresse sous la conduite de qui tu pourras devenir un sage et sans qui toute sagesse devient sottise.

Mais, vous, qui êtes-vous pour me parler de la sorte ?

Je suis le fils de celle que ta mère t’a appris à saluer trois fois le jour.

Ma mère me dit de ne pas fréquenter sans sa permission des gens que je ne connais pas : dites-moi donc votre nom.

Mon nom, demande-le à ma mère.

A ce moment-là je vis près de lui une dame d’aspect majestueux, vêtue d’un manteau qui resplendissait de toutes parts comme si chaque point eût été une étoile éclatante. S’avisant que je m’embrouillais de plus en plus dans mes questions et mes réponses, elle me fit signe d’approcher et me prit avec bonté par la main. « Regarde », me dit-elle. Je regardai et m’aperçus que tous les enfants s’étaient enfuis. A leur place, je vis une multitude de chevreaux, de chiens, de chats, d’ours et de toutes sortes d’animaux. « Voilà ton champ d’action, (me dit-elle), voilà où tu dois travailler. Rends-toi humble, fort et robuste et tout ce que tu vois arriver en ce moment à ces animaux, tu devras le faire pour mes fils. »

Je tournai alors les yeux et voici qu’à la place de bêtes féroces, apparurent tout autant de doux agneaux. Tous, gambadant de tous côtés et bêlant, semblaient vouloir faire fête à cet homme et à cette femme.

A ce moment-là, toujours sommeillant, je me suis mis à pleurer et demandai qu’on voulût bien me parler de façon compréhensible car je ne voyais pas ce que cela pouvait bien signifier. Alors elle me mit la main sur la tête et me dit : « Tu comprendras tout en son temps. »

A ces mots un bruit me réveilla et tout disparut.

Je demeurai éberlué. Il me semblait que les mains me faisaient mal à cause des coups de poings donnés et que ma figure était endolorie des gifles reçues. Et puis, ce personnage, cette dame, ce que j’avais dit et entendu, tout cela m’obsédait à tel point que, cette nuit-là, je ne pus me rendormir. (Le texte d’origine se trouve dans les “Memorie dell’Oratorio di San Francesco di Sales” : la traduction en français reportée ici est celle qui est présentée enDon Bosco, Souvenirs autobiographiques”, Apostolat des Editions, 1977, pp. 31-34).

Don Bosco écrit dans les “Memorie dell’Oratorio” que ce rêve lui “laissa pour toute la vie une profonde impression”, de sorte que, nous aujourd’hui, nous pouvons dire qu’il vécut pour transformer ce rêve en réalité.

Eh bien, ce que notre cher Père prit comme programme de vie en faisant des jeunes la raison de son existence et en dépensant pour eux toutes ses énergies jusqu’à son dernier souffle, voilà ce que nous sommes tous appelés à faire.

L’anecdote, que cette fois je tire de l’histoire, illustre éloquemment le désir de Don Bosco d’être pour les jeunes le signe d’un amour qui ne se démentira jamais. Je l’ai entendu raconter la première fois par un confrère de la Province d’Australie, le P. Lawrie Moate, dans un discours de souhaits prononcé à l’occasion d’une célébration de jubilés de vie salésienne, à Lysterfield le 9 juillet 2011 :


Et notre musique continue


« Imaginez la cour de la prison d’une colonie européenne du 18ème siècle. L’aube est là transparente et, tandis que, vers l’est, le soleil commence à remplir le ciel de couleurs dorées, un prisonnier est conduit dehors, dans la cour, pour l’exécution. Il s’agit d’un prêtre condamné à mort pour s’être opposé à la cruauté avec laquelle étaient traités les indigènes de la colonie. A présent, il est debout contre le mur et il observe les membres du peloton d’exécution, ses compatriotes. Avant de lui bander les yeux, l’officier qui commande lui pose la question traditionnelle à propos d’un dernier désir à exaucer. La réponse arrive comme une surprise pour tous : l’homme demande à jouer pour la dernière fois un morceau avec sa flûte. Les soldats sont mis en position de repos, tandis qu’ils attendent que le prisonnier joue. Quand les notes commencent à remplir l’air matinal rempli de silence, toute la prison est comme inondée d’une musique qui se répand avec douceur et enchantement en remplissant de paix ce lieu marqué chaque jour par la violence et la tristesse. L’officier est préoccupé parce que, plus la musique se prolonge, plus paraît absurde la tâche qu’il a à accomplir. Il ordonne donc aux soldats d’ouvrir le feu. Le prêtre meurt aussitôt mais, à la stupeur de tous les présents, la musique continue sa danse de vie. Au mépris de la mort ».


D’où provient cette douce musique de la vie ?

Dans une société qui met tout son soin à étouffer le message du Christ, je pense que notre vocation est de nous trouver parmi ceux qui continuent à faire écouter la musique de la vie. Dans un monde qui est en train de faire tout son possible pour que les jeunes n’écoutent pas l’invitation pressante du Christ “à venir et à voir”, c’est pour nous un privilège d’avoir été attirés par Don Bosco et encouragés à jouer la musique du cœur, à donner un témoignage de la transcendance, à exercer la paternité spirituelle, à stimuler les jeunes dans une direction qui correspond à leur dignité et à leurs désirs les plus authentiques.

C’est la danse de l’Esprit ! C’est la musique de Dieu !


Très chers, frères, sœurs, tous membres de la Famille Salésienne, amis de Don Bosco, jeunes, à vous tous, je présente mes souhaits pour une année nouvelle 2012 riche des bénédictions de Dieu et pour un engagement renouvelé à ne pas cesser de faire entendre la musique, notre musique, celle qui remplit de sens la vie des jeunes et leur fait trouver la source de la joie.


A tous j’adresse mes sincères salutations en assurant chacun et chacune de mon meilleur souvenir auprès du Seigneur.


Rome, 31 décembre 2011.


Père Pascual Chávez Villanueva

Recteur majeur