ACG352-vigano-relire-le-charisme-fr


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COMMENT RELIRE AUJOURD'HUI LE CHARISME DE NOTRE
FONDATEUR
Introduction. - Une expérience vécue. - Deux convictions de base. - Les
routes à suivre. - La refonte des Constitutions. - L'esprit de notre Fondateur. - De
notre « mission » à la redécouverte de notre « charisme ». - La durée et les acteurs
de cette relecture. - Points sensibles dans notre travail de discernement. - Nécessité
d'une méthode concrète. - Animation et gouvernement. - Une visite de l'Esprit du
Seigneur. - Nous avons une « carte d'identité » en règle et à jour.
Rome, le 8 février 1995,
introduction - au Valdocco - de la cause
de béatification et de canonisation
de Maman Marguerite
Chers confrères,
Aujourd'hui enfin s'est ouvert de façon solennelle à Turin, dans la basilique
Marie-Auxiliatrice, le procès officiel de béatification et de canonisation de Maman
Marguerite. Précisément au Valdocco, où elle a donné pendant dix ans le témoignage
- on peut dire héroïque - de sa collaboration généreuse avec son fils Jean pour
donner vie au providentiel charisme salésien de l'Œuvre des oratoires. Notre Père et
Fondateur sait ce qu'il en a coûté à sa maman et tout ce qu'elle a apporté à la réussite,
au style, au climat de famille, à l'esprit de bonté et de sacrifice qui caractérisent
aujourd'hui encore toute l'institution salésienne de Don Bosco. Remercions le
Seigneur et prions pour que la cause fasse de rapides progrès.
A l'occasion de cette date pleine de signification, je vous offre une réflexion
sur un sujet qui m'a été demandé pour le 20e congrès de l'Institut de théologie de la
vie religieuse « Claretianum » ici à Rome, le 16 décembre 1994. Ils m'avaient
assigné le thème délicat et important de La relecture par les salésiens de leur fondation.
Le développement n'en a pas été pensé directement pour nous, mais dans un certain
sens il peut nous être plus utile d'y réfléchir avec les autres consacrés.

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En vous présentant le contenu de ma conversation, je veux Vous inviter à
faire une réflexion attentive de synthèse historique et charismatique pour donner
une lumière salésienne au renouveau que nous sommes en train d'opérer depuis le
Concile Vatican II.
Une expérience vécue.
Le point de vue de ma relation est essentiellement de faire une chronique
repensée. Le thème comment relire aujourd'hui notre charisme se développe sous
l'angle « des faits », moins pour indiquer « comment » il faudrait faire, que pour
exposer ce que mon Institut a fait. C'est une expérience que j'ai vécue
personnellement depuis le Concile Vatican II jusqu'aujourd'hui.
L'expérience vécue n'est pas une thèse à défendre, mais une réalité de vie -
forte de plusieurs décennies d'expérimentation - qui peut aussi offrir des
suggestions (en parties confirmées) pour relire toujours mieux ses propres origines
spirituelles.
Deux convictions de base.
Nous travaillons à la relecture du charisme de notre Fondateur depuis bientôt
trente ans. Deux grands phares ont éclairé notre route : le Concile œcuménique
Vatican II et le changement d'époque de cette heure d'accélération de l'histoire.
Nous sommes partis de la conviction que le Concile était une visite historique
de l'Esprit-Saint à l'Eglise du Christ pour une nouvelle heure de sa mission dans le
monde : le plus grand événement pastoral du XXe siècle en vue d'un
renouvellement authentique. C'est là aussi qu'il fallait puiser des lumières et des
orientations pour le renouveau de la vie religieuse. Il s'agissait de se centrer sur les
points stratégiques du grand message conciliaire, de les approfondir, de les assumer
et de les appliquer à la relecture de notre charisme.
En particulier, à la lumière de la constitution dogmatique Lumen gentium,
nous avons cherché à appliquer ce que demandait le numéro 2 du décret Perfectae
caritatis : la « rénovation adaptée » avec ses deux composantes, le « retour aux
sources » et l’« adaptation aux conditions nouvelles de l'existence ».

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La complémentarité des deux critères devait écarter les menaces de fixisme,
de sclérose et de formalisme, tout autant que la rupture avec les origines.
L'application de ces deux critères, simples et clairs dans leur énoncé, s'est
cependant révélée très complexe en pratique.
Le changement d'époque, déjà décrit avec finesse et clairvoyance dans la
Constitution pastorale Gaudium et spes, s'était présenté avec force en certaines
régions, surtout en Occident, où travaille notre Institut en de nombreuses présences.
Nous étions aux prises avec une problématique croissante de nouveautés culturelles
qui influaient fortement sur la mission spécifique de notre Institut ainsi que, en
partie du moins, sur notre style de vie religieuse. On notait déjà par ailleurs des
tendances d'authenticité douteuse capables de dénaturer ou de fragiliser la santé de
notre processus de rénovation.
Il n'était pas question d'éluder ni d'ignorer la nouveauté culturelle, mais de la
confronter avec la nouveauté évangélique inhérente à tout vrai charisme. C'était
nous lancer dans un travail énorme et délicat. C'est alors qu'apparut le fameux
slogan : « Avec Don Bosco et avec les temps, et non avec les temps de Don Bosco !
»
La claire conscience de ce défi inéluctable poussa les responsables de
l'Institut à donner une importance extraordinaire au Chapitre général spécial voulu
par le Siège apostolique. Nous nous sommes mis à le préparer avec un sérieux
vraiment inédit en demandant la participation de toutes les provinces et de tous les
confrères. Des équipes de spécialistes s'organisèrent pour analyser très en détailles
thèmes vitaux à affronter et l'on prépara même aussi une ébauche de nouvelle
mouture des Constitutions. On rédigea avec soin une série de plus de vingt
opuscules à l'usage des capitulaires. Nous étions conscients de notre grave
responsabilité, presque d'une refondation » : ce que Don Bosco avait fait «
personnellement » était à repenser et à refondre, en un certain sens, « en
communauté », en rapport avec les exigences du changement d'époque et en fidélité
totale aux origines.
Ce qui, avec les études historiques, a beaucoup aidé, c'est l'analyse sérieuse,
bien que synthétique, des interpellations venant des changements culturels (la
sécularisation, la socialisation, la personnalisation, la libération, l'inculturation,
l'accélération de l'histoire, la promotion de la femme etc.).
Nous n'avions jamais fait un travail aussi ample ni aussi réaliste.

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Les routes à suivre.
La relecture de notre fondation ne pouvait s'en tenir à l'étude, plus ou moins
scientifique, des sources, mais devait constituer un discernement spirituel fait par
des disciples profondément engagés dans l'expérience de la même vocation.
Il lui fallait saisir l'âme de l'Institut, ses objectifs, ses dynamismes, sa façon de
suivre le Christ, de travailler dans l'Eglise et d'aimer les jeunes tels qu'ils sont dans
le monde. Le retour aux sources ne devait pas être une promenade archéologique
parmi des documents anciens, mais une nouvelle exploration des moments de
fondation et du cœur du Fondateur dans son expérience originale de disciple du
Seigneur. Il devait constituer une relecture organique et dynamique impliquant une
conscience personnelle de communion avec le Fondateur, grâce à l'expérience
collective de tout un Institut qui, à travers le temps, avait partagé son esprit et sa
mission. Il s'agissait d'harmoniser et de bien doser tant les moments historique,
théologal que « kairologique » [donné par Dieu en vue d'une grâce à saisir, N.D.T.].
La mise en route de cette relecture a exigé de parcourir des chemins
complémentaires et interdépendants, pour rechercher l'apport spécifique de chacun
d'eux. Les principaux ont été les suivants :
a. Le chemin de l'histoire : le charisme est une expérience vécue, non une
théorie abstraite. Nous avons donc fait une étude sérieuse des sources qui se
réfèrent à la personne de notre Fondateur et à la fondation elle-même : son
contexte culturel et social et son influence sur notre Fondateur ; sa vie et ses
œuvres ; les personnes qui influé sur lui et avec qui il a eu des contacts spéciaux ;
les écrits etc.
b. Le chemin de l'expérience : la relecture concrète de la fondation accorde de
l'importance à l'expérience vécue par la vaste communauté des disciples, aux
valeurs qu'ils ont incarnées à partir de la conscience qu'ils avaient et de la
responsabilité qu'ils prenaient de vivre la même vocation. Leur fidélité constitue
une sorte de « sensus fidelium » dans la Congrégation. L'absence d'une expérience
persévérante et fidèle des disciples du Fondateur présente deux risques :
- celui de changer sans cesse de visage pour chercher coûte que coûte à
moderniser le charisme selon la mode du temps, en confondant le caduc et
l'essentiel ;

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- celui de défigurer le Fondateur sous prétexte que ses buts et ses fins ne
sont plus actuels.
c. Le chemin des signes des temps : les chemins de l'histoire et de l'expérience
permettent une approche plus sensible et plus sereine des signes des temps.
Comme je l'ai déjà dit, les ignorer, ce serait condamner le charisme à rester
enfermé - contre nature - dans un musée. Si les signes des temps exigent des
approfondissements et des adaptations de la part de l'Institut, ils permettent aussi
une compréhension nouvelle et d'actualité authentique du don de l'Esprit. Ils aident
à saisir jusqu'où le Seigneur pousse son Eglise et ses charismes.
d. Le chemin de la spiritualité : il n'exclut aucune des voies précédentes, mais
les unifie et les incorpore à partir d'une disposition et d'une optique
fondamentales : le discernement de la volonté de Dieu, l'obéissance à ses appels
dans le déroulement de l'histoire. Seules des personnes « spirituelles », qui se
veulent particulièrement dociles à l'Esprit, peuvent effectuer ce parcours. Il permet
de dépasser le contexte socioculturel vécu par le Fondateur, pour faire apparaître
dans l'aujourd'hui ses intentions évangéliques ainsi que ses intuitions de fondateur,
de façon à pouvoir les réaliser dans le contexte actuel et dans les temps nouveaux,
et les transformer en « culture » d'actualité.
La refonte des Constitutions.
Dans la relecture de notre fondation, la nécessité de refondre entièrement le
texte des Constitutions a joué un rôle important pour guider et concrétiser les
travaux. Au début il y a eu des résistances pour divers motifs ; et par la suite aussi,
au cours du travail, plusieurs estimaient qu'il suffisait d'apporter quelques
retouches aux Constitutions antérieures. Mais la décision audacieuse de s'atteler à
repenser et à refondre le tout dans la fidélité s'est révélée très sage.
Ce travail délicat s'est évidemment organise selon les nouvelles orientations
du Concile.1 Il fallait aboutir à un « Code fondamental » décrivant de façon
authentique notre vrai visage, nos valeurs évangéliques, notre caractère propre, notre
dimension ecclésiale, nos saines traditions, ainsi que les normes juridiques
indispensables pour assurer à l'Institut son caractère, ses fins et ses moyens.
1 Cf. motu proprio Ecclesiae sanctae II, 12, 1966.

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A la différence de la réglementation antérieure, le motu proprio Ecclesiae
sanctae a voulu que les Constitutions rénovées abondent en principes évangéliques,
théologiques et ecclésiaux. Il fallait non pas un assemblage artificiel de normes
théoriques venues de l'extérieur, mais des perceptions et des explicitations émanant
du vécu même du Fondateur et du cœur de son projet de vie. Les Constitutions
devaient présenter la synthèse intégrale d'un projet original de vie consacrée et
indiquer les principes essentiels selon lesquels le Fondateur avait voulu que les siens
fussent disciples du Christ dans un sens ecclésial déterminé.
Elles avaient à réaliser une intégration harmonieuse entre l'inspiration
évangélique, le critère apostolique et le caractère concret de la structure, en faisant
apparaître, au-delà des exigences institutionnelles, l'expérience historique d'Esprit-
Saint vécue par notre Fondateur et transmise par lui à l'Institut.
Dans les Constitutions, Don Bosco, notre Fondateur, s'était efforcé au
maximum de transmettre son expérience personnelle (dans les limites de ce qui
pouvait se faire alors), pour laisser un « testament vivant » qui fût comme le miroir
reflétant les traits les plus caractéristiques de son visage spirituel et apostolique.
C'est à bon droit qu'il avait pu affirmer : « Aimer Don Bosco, c'est aimer les
Constitutions » ; et lorsqu'il en remit un exemplaire au Père Cagliero à son départ
pour la Patagonie comme chef de sa première expédition missionnaire, il s'écria avec
un accent persuasif plein d'émotion : « Voilà Don Bosco qui vous accompagne ».
Dans la refonte de nos Constitutions, nous avons précisément cherché à nous
référer le plus possible à la vie spirituelle de notre Fondateur, à ses écrits les plus
charismatiques, à son expérience éprouvée, comme au « modèle » qui donne
l'optique authentique et la clé indispensable de relecture de notre fondation.
Ce travail n'a pas été facile ; il a duré plus de dix ans, mais il constitue en fait
la synthèse la plus claire et officielle de la relecture de notre fondation. Le tout s'est
enrichi d'un commentaire autorisé, article par article, comme guide de lecture des
Constitutions [Le Projet de vie des salésiens de Don Bosco]. Ont en outre été rédigés un
Libro del governo [Manuel du gouvernement] - en deux volumes : un pour le
provincial et l'autre pour le supérieur local - en vue de la rénovation de l'exercice de
l'autorité, ainsi qu'une Ratio institutionis [La formation des Salésiens de Don Bosco] pour
la formation initiale et permanente des confrères.
L'esprit de notre Fondateur.

1.7 Page 7

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Dans la refonte des Constitutions, nous avons donné une importance
particulière à leur structuration organique, dans une vision globale et unitaire. Un
projet de vie ne supporte pas de morcellements, car ils cachent ou faussent la
portée du projet qui est, en lui-même, essentiellement organique. Mais pour réaliser
cette structuration, il nous était nécessaire d'élucider deux concepts qui sont à la
base de tout : celui de « consécration » et celui de « mission », ainsi que leurs
rapports réciproques. On peut dire que sur ce point s'est déchaînée une véritable
bataille capitulaire ; elle ne s'est pas résolue sans mal, comme nous le verrons, mais
à la fin, dans sa solution, nous avons trouvé la clé de l'organisation.
Cependant, il fallait assurer un point fondamental et à part (du moins pour le
travail à faire) : la description des traits les plus significatifs du visage spirituel de
notre Fondateur. Au sein des grandes valeurs évangéliques communes à tous les
instituts de vie consacrée, nous avions à préciser notre style quotidien, nos
comportements personnels et communautaires, les particularités de notre vie
commune et de notre travail, en un mot le climat et l'atmosphère de maison qui
constituent notre physionomie propre. Là aussi, certes, il fallait hiérarchiser les
composantes et trouver le centre moteur, vu qu'il s'agissait d'une relecture en
profondeur qui ne devait pas devenir une théorie logique, mais rester une
description typologique.
L'importante première partie du texte rénové des Constitutions a introduit un
tout nouveau chapitre de 12 articles (10 à 21) qui condensent ce qu'il faut considérer
comme la substance de 1'« esprit de Don Bosco ».
Vatican II, nous l'avons dit, avait invité les religieux à se centrer sur la figure
de leur Fondateur, comme sur une des nombreuses variantes originales de la
sainteté et de la vie évangélique de l'Eglise. Chaque fondateur est né de l'Eglise et a
vécu pour elle.
Paul VI l'a rappelé à tous : « Le Concile insiste à bon droit sur l'obligation
des religieux et des religieuses d'être fidèles à l'esprit de leurs fondateurs, à leurs
intentions évangéliques, à l'exemple de leur sainteté, y voyant un des principes de la
rénovation en cours et un des critères les plus sûrs de ce que chaque institut peut avoir
à entreprendre. [...] Car si l'appel de Dieu se renouvelle et se diversifie selon les

1.8 Page 8

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conditions variables des lieux et des temps, il commande des orientations
constantes »2.
Nous avons utilisé le mot « esprit » plutôt que « spiritualité », par fidélité à
l'histoire et au vécu de notre Fondateur comme à un « kairòs » devenu modèle ; la «
spiritualité », elle, se réfère plutôt à des concepts plus abstraits.
Le travail réalisé constitue certainement aujourd'hui un des joyaux de la
relecture que nous avons faite de notre fondation ; nous sommes convaincus que
Don Bosco lui-même l'aurait agréé, car il disait humblement, à propos de son texte
des Constitutions rédigé selon les règles de l'époque, qu'il était à considérer comme
un « brouillon » de ce qu'il désirait, et que ses fils le transposeraient au « net ».
Centrer son attention sur l'esprit du Fondateur, c'était privilégier l'intériorité
et les dispositions du cœur, avoir les sentiments mêmes avec lesquels il avait
reproduit ceux du Christ.
Cela fait comprendre aussi le saut de qualité voulu par le Concile dans la
façon de concevoir les Constitutions : non plus un texte plutôt normatif et
juridique, mais la synthèse géniale et stimulante de l'expérience évangélique d'un «
chef d'école » de sainteté et d'apostolat.
L'esprit de notre Fondateur est certainement aussi lié à la culture de son
temps et s'exprime en elle ; mais il la transcende, si bien qu'il est possible de
constituer un ensemble de traits spirituels qui peuvent s'incarner dans d'autres
cultures. Son esprit appartient donc à la transcendance et à l'adaptabilité des
charismes. Mais il ne se transmet pas par la simple parole, mais par la tradition
continue d'une vie liée en fait à un long et délicat processus de saine inculturation.
De notre « mission » à la redécouverte de notre « charisme ».
J'ai déjà signalé le débat capitulaire sur les notions fondamentales de «
consécration » et de « mission », L'approfondissement du rapport mutuel entre ces
deux points essentiels a été au centre de notre relecture et a servi de base à la
synthèse de conclusion. Une bonne interprétation du Concile nous a conduits à une
convergence convaincue et dynamique.
Au début de ses travaux, le Chapitre général spécial avait entre autres établi
une commission chargée spécifiquement d'étudier le « charisme de notre Fondateur
2 Evangelica testificatio 11-12, 1971.

1.9 Page 9

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». Elle se heurta à de fortes difficultés et fut dissoute après un certain temps.
Pourquoi ?
Pour deux motifs fondamentaux, mais opposés. Certains ne voulaient pas de
cette étude pour ne pas prêter le flanc à des aventures arbitraires dans l'avenir ;
mais d'autres la refusaient pour éviter de sacraliser des éléments culturels et
transitoires du siècle dernier. Les deux groupes ensemble eurent la majorité ; la
mentalité n'était pas encore assez éclairée à ce sujet.
Il est utile de rappeler que les documents du Concile n'utilisent jamais
l'expression « charisme » du Fondateur, même s'ils indiquent les éléments
spécifiques du caractère propre. La première utilisation officielle de la formule «
charisme » du Fondateur se trouve dans l'exhortation apostolique Evangelica
testificatio de Paul VI datée de 19713. Une clarification officielle plus appropriée et
une description plus précise se retrouveront plus tard dans le document Mutuae
relationes de 19784.
Par ailleurs nous étions convaincus que le point le plus concerné par les
interpellations de cette heure de rapides changements était la « mission ». La
mission était ainsi, de toute évidence au cœur des préoccupations de notre
relecture.
Mais en quoi consiste la « mission » ? Il était trop facile d'oublier sa nature
théologique pour l'enfermer dans le secteur pratique des activités. C'est ainsi qu'une
mentalité de type « essentialiste » affirmait la primauté ontologique de la «
consécration », si bien qu'un bon nombre estimait qu'elle devait précéder et guider
tout le projet.
Problème ardu, entretenu chez les capitulaires par des conceptions
réductrices et impropres tant du concept de « consécration » que de celui de «
mission ».
Ce qui nous a permis de relire notre charisme dans son sens authentique,
c'est de comprendre la signification donnée par les Pères du Concile au fameux
verbe « consecratur » de la constitution Lumen gentium no 44. Il a fallu un débat long
et difficile pour arriver à un changement de mentalité à propos du concept de «
consécration » religieuse.
3 Cf. ib. 11.
4 Mutuae relationes 11, 1978.

1.10 Page 10

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Auparavant, elle s'identifiait aux aspects les plus typiques de l'intériorité
(prière, vœux) et l'on considérait que son seul sujet actif était le religieux (« je me
consacre »), Cela portait à négliger le vrai concept de charisme et à mettre au
second plan la « mission » avec ses exigences, comme si elle ne consistait qu'en
action et en œuvres et n'était pas inhérente à la consécration même. Tout cela
influait évidemment sur la structure à donner aux Constitutions. Il y eut un débat
très houleux pour dépasser ce dualisme entre « consécration » et « mission » qui
entamait à sa racine la nature de notre vocation apostolique.
L'affirmation du numéro 8 du décret conciliaire Perfectae caritatis fut très
utile et, surtout, la considération que Dieu était l'agent actif tant de la consécration
que de la mission. C'est dans ce sens que fut repensée la signification de la
profession et qu'en fut rédigée la nouvelle formule.
L'approfondissement en particulier du lien théologique indissociable entre la
« consécration » et la « mission » a donné une signification nouvelle à tout le projet
de notre caractère propre, et permis de repenser la structure de nos Constitutions.
Cette vision de notre « consécration apostolique » a été synthétisée dans un article
des Constitutions qui dit : « Notre vie de disciples du Seigneur est une grâce du
Père qui nous consacre par le don de son Esprit et nous envoie pour être apôtres des
jeunes. Par la profession religieuse, nous nous offrons nous-mêmes à Dieu pour
marcher à la suite du Christ et travailler avec Lui à la construction du Royaume. La
mission apostolique, la communauté fraternelle et la pratique des conseils évangéliques sont
les éléments inséparables de notre vie consacrée, vécus dans un unique mouvement de
charité envers Dieu et envers nos frères. La mission donne à toute notre existence
son allure concrète ; elle spécifie notre rôle dans l'Eglise et détermine notre place
dans les familles religieuses »5.
Il s'agit donc de vivre une existence chrétienne à la fois consacrée et
apostolique, mieux : apostolique parce que consacrée. Le don de l'Esprit apporte au
profès une « grâce d'unité » qui le rend capable de faire la synthèse entre la
plénitude de sa consécration et l'authenticité de son activité apostolique. « Ce genre
de vie, affirme le Chapitre général spécial, n'est pas une réalité figée ni
préfabriquée, mais un " projet " en construction permanente. Son unité n'est pas
5 Const. 3.

2 Pages 11-20

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2.1 Page 11

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statique. C'est une unité en tension, réclamant un continuel effort d'équilibre, de
révision, de conversion, d'adaptation »6.
Et cette grâce d'unité, fruit de la charité pastorale, a été récemment aussi
décrite par le Saint-Père dans l'exhortation apostolique Pastores dabo vobis7. Et dans
une allocution faite aux capitulaires de notre CG23, le 1er mai 1990, le Pape Jean-
Paul II a encore dit : « J'aime souligner avant tout comme fondamentale, la force de
synthèse et d'unification qui émane de la charité pastorale. Elle est le fruit de la
puissance de l'Esprit-Saint qui garantit l'unité essentielle et vitale entre l'union à Dieu
et la consécration au prochain, entre l'intériorité évangélique et l'action apostolique,
entre le cœur qui prie et les mains qui travaillent. Les deux grands saints, François
de Sales et Jean Bosco, ont attesté et fait fructifier dans l'Eglise cette merveilleuse "
grâce d'unité ". Briser cette unité, c'est ouvrir dangereusement la porte à l'activité
pour elle-même ou à l'intimisme qui constituent une tentation sournoise pour les
instituts de vie apostolique »8.
C'est dans cette vision de synthèse vitale que nous avons trouvé la première
étincelle de notre vrai visage, celle qui jaillit à l'heure zéro où commence le tout, où
explose l'amitié et se ratifie l'alliance, où palpite la grâce d'unité. C'est la rencontre
de deux amours, de deux libertés qui se fondent : le « Père qui nous consacre » et «
nous envoie », et nous qui nous « offrons totalement à Lui » dans l'acceptation de
1'« envoi », Dans cette fusion réciproque d'amitié, l'initiative et la possibilité même
de l'alliance apostolique viennent de Dieu, mais sont confirmées par nos réponses
libres : c'est Lui qui nous a appelés, envoyés et aidés à répondre, mais c'est nous qui
nous donnons et sommes « missionnaires ».
Pour nous le terme « consécration » soulignait surtout l'initiative de Dieu :
c'est Lui qui consacre ! Mais nous savions aussi que le terme même de
« consécration » n'a pas un contenu univoque en soi, car il se différencie selon divers
niveaux de vie ecclésiale. Nous ne sommes pas entrés d'emblée dans la considération
de ces différences, pour laisser à la rédaction des Constitutions ce que le terme
devait signifier concrètement pour nous.
Il nous importait de souligner d'abord le saut de qualité à propos de l'initiative
de Dieu : « est consacré par Dieu » !
C'est ce saut de qualité qui nous a ouvert les yeux.
6 Actes du CGS 127.
7 Cf. Pastores dabo vobis 23 et 24, 1992.
8 Osservatore Romano 2.5.90. Reporté dans l'annexe 5 des ACG 333 (CG23) au no 332.

2.2 Page 12

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Cette vision de la consécration apostolique nous a conduits à contempler aussi
notre Fondateur : Dieu l'a choisi et guidé, pour faire de son existence en mission une
« expérience d'Esprit-Saint » à poursuivre et à développer dans le temps de l'Eglise.
Et nous voici alors dans une vision théologale du « charisme des fondateurs
» : « une " expérience de l'Esprit ", transmise à leurs disciples, pour être vécue par
ceux-ci, gardée, approfondie, développée constamment en harmonie avec le Corps
du Christ en croissance perpétuelle. [...] Leur " caractère propre " comporte également
un style particulier de sanctification et d'apostolat »9.
L'élément dynamique qui a fait mûrir cette catégorie théologique de
« charisme » a été précisément la reconnaissance de l'initiative divine dans la
« consécration » comme action spécifique de Dieu. De fait, ce fut cette authentique
volte-face conciliaire, qui nous a obligés à repenser la signification de notre
profession et l'œuvre spécifique de notre Fondateur. Il a servi aussi à donner le nom
de « vie consacrée » aux instituts désignés auparavant comme « états de perfection ».
« Consécration apostolique » et « charisme » sont devenus pour nous deux
catégories théologiques qui se superposent et sont interchangeables. Car il s'agit de
la part de Dieu d'une initiative exclusive qui a des traits précis. Elle consiste en une
intervention particulière qui détermine une mission propre et un projet évangélique
de vie pour donner à l'Institut sa physionomie concrète, son « style de sanctification
et d'apostolat ».
On peut dire que la notion conciliaire de la « consécration » inclut l'initiative
de l'Esprit-Saint. Appliquée au travail historique de la fondation, elle manifeste
l'essence même de notre « charisme » donné tant à notre Fondateur qu'à l'Institut. Et
celui-ci a comme source permanente de sa continuité la profession religieuse de
chaque confrère.
Ainsi, nous avons commencé la relecture de notre fondation en écartant
temporairement la catégorie de « charisme ». Mais nous l'avons retrouvée dans toute
sa force grâce à l'approfondissement providentiel de l'événement de la «
consécration » dans l'optique du Concile.
La durée et les acteurs de cette relecture.
9 Mutuae relationes 11.

2.3 Page 13

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Nous pouvons considérer en gros quatre étapes dans notre relecture : le
Chapitre général spécial et les trois Chapitres généraux qui ont suivi ; il s'agit en
pratique d'une vingtaine d'années de travail intense : depuis 1970 jusqu'à 1990 et
au-delà.
- Le CG20 (du 10 juin 1971 au 5 janvier 1972 : près de 7 mois !) a été le
Chapitre « spécial » voulu par le motu proprio Ecclesiae sanctae et a constitué
l'étape la plus longue et la plus difficile de notre révision et du remodelage des
traits de notre vrai visage ; il demeure le Chapitre fondamental de tout le travail
accompli.
- Le CG21 (du 31 octobre 1977 au 12 février 1978) fut un second temps de
révision et de consolidation. Il compléta notre visage de quelques traits particuliers
(comme le Système préventif, le rôle du directeur, le profil du salésien coadjuteur)
en accord avec la doctrine et les orientations de Vatican II et prolongea pour un
autre sexennat la période d'essai des Constitutions rénovées.
- Le CG22 (du 14 janvier au 12 mai 1984) constitue le dernier apport, ainsi
que l'étape qui a mis fin à la période d'essai de deux sexennats et consigné à la
Congrégation les Constitutions et les Règlements dans leur forme rénovée et
organique.
- Le CG23 (du 4 mars au 5 mai 1990) se distingue des trois Chapitres
antérieurs par son caractère « ordinaire ». Les trois précédents appartiennent en
quelque sorte à la catégorie du Chapitre général « spécial », parce qu'ils se réfèrent
globalement à la nature de notre charisme avec différents points à discerner. Le
CG23, lui, ne traite que d'un sujet concret, choisi pour intensifier la marche de
notre renouveau. Alors que les trois Chapitres « spéciaux» aboutissent à un
nouveau croquis de notre vrai visage dans les Constitutions, le CG23 imprime à
notre charisme une évolution accélérée pour une « orthopraxie » de la mission. Il
nous rappelle que, loin de la fermer, la relecture de notre identité ouvre la porte à la
recherche plus courageuse des tâches à inventer dans la nouvelle évangélisation.
Bref, une relecture pour une meilleure recherche au profit de notre mission.
Il est intéressant d'observer que ces quatre étapes constituent, pour ainsi dire,
un unique cheminement continu et complémentaire. Cela signifie que le nouveau texte
transcende non seulement le travail des groupes restreints de confrères déterminés,
mais aussi chacun des quatre Chapitres généraux. En chacun d'eux, à six ans de
distance chaque fois, une bonne partie des participants avait changé, et chaque

2.4 Page 14

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nouveau Chapitre apportait une nouvelle expérience vécue et réfléchie. Il y avait
chaque fois la possibilité d'atténuer l'influence éventuelle d'éléments antérieurs
pouvant résulter de l'une ou l'autre considération due aux circonstances ; la
prolongation et l'approfondissement de la réflexion a servi à corriger des
imprécisions ou des ambiguïtés éventuelles ; le temps a permis d'approfondir des
points délicats, tandis que l'accélération des changements a aidé à distinguer avec
plus de clarté les valeurs permanentes et les valeurs caduques, les valeurs
essentielles pour nous et celles d'origine simplement culturelle ; il a en outre
développé chez nous la conscience de la dimension ecclésiale et mondiale du projet
évangélique de Don Bosco.
Points sensibles dans notre travail de discernement.
Dans l'optique du Concile, le motu proprio Ecclesiae sanctae demandait que les
Constitutions soient la présentation officielle d'un projet de vie évangélique ; nous
devions y indiquer les principes fondamentaux de notre manière de suivre le Christ,
sa dimension ecclésiale, son originalité charismatique, nos saines traditions et nos
structures adaptées de service.
Elles présentent ainsi une intégration harmonieuse de l'inspiration évangélique
et du caractère concret de nos structures. Elles constituent le document fondamental
du droit particulier de la Congrégation. Au lieu de fixer en détail des normes
prioritaires à suivre, elles décrivent surtout la façon spirituelle et apostolique dont il
nous faut témoigner selon l'esprit des béatitudes. Elles nous aident à relire le mystère
du Christ dans l'optique de notre Fondateur, l'optique salésienne de Don Bosco. Leur
structure générale a été repensée selon une ordonnance et un style qui invitent à les
lire en priant et poussent à engager sa vie. Si celui qui les médite le fait « dans la foi
», avec des yeux « neufs », il y puise lumière et force.
Les critères d'orientation suivis et partagés - ma foi après de houleuses
discussions -, sont à considérer comme des points sensibles sur le chemin parcouru.
Outre le sens vivant de notre Fondateur, dont j'ai déjà parlé, j'énumère les points
suivants :
1. La portée de la profession religieuse.

2.5 Page 15

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La relecture de notre charisme a réveillé surtout notre conscience de vivre une
heure germinale pour la vie consacrée et de travailler à un recommencement global
pour relancer vraiment le projet de notre Fondateur. Ce sentiment de relance nous a
aidés à récupérer la signification vitale de la profession religieuse.
Nous avons compris que la profession ne peut se réduire à la seule émission
des trois vœux, comme s'ils étaient identiques dans tous les instituts de vie
consacrée. Il ne s'agissait pas d'écrire dans les Constitutions une sorte de petit traité
général de la vie consacrée, mais d'offrir une description typologique de ce que le
Concile appelle le « caractère propre » du projet évangélique professé. Il fallait
décrire les traits spirituels et les attitudes existentielles qui doivent nous distinguer et
nous caractériser dans le Peuple de Dieu. Il est clair que ces points supposent et
exigent les éléments constitutifs de toute vie chrétienne et consacrée, que nous
partageons nécessairement avec les autres fidèles et religieux.
Le caractère propre est constitué d'aspects et de colorations existentiels,
décrits et précisés dans le texte des Constitutions et assumés explicitement dans la
profession comme façon concrète de suivre le Christ. Ce n'est ni insignifiant ni
négligeable pour les profès. Notre manière d'être disciples et de vivre notre Baptême
est de pratiquer notre « Règle de vie ». Pour devenir de vrais chrétiens, nous devons
vivre en bons salésiens. « Il n'y a pas deux étages en cette vocation : l'étage supérieur
de la vie religieuse et l'étage inférieur de la vie chrétienne. Pour qui est religieux,
témoigner de l'esprit des béatitudes par la profession des vœux est son unique
manière de vivre le baptême et d'être disciple du Seigneur » [CGS n° 106].
Dans la profession religieuse nous découvrons, en définitive, la signification
vivante et globale de notre alliance spéciale avec Dieu.
2. Le critère « oratorien ».
Il se réfère aussi au problème de nos destinataires : point crucial au Chapitre
général spécial. Don Bosco a eu à cœur, comme priorité, l'œuvre des oratoires avec
ses destinataires préférentiels. Dans la relecture de notre charisme, nous avons
assumé le premier Oratoire du Valdocco comme modèle de référence pour notre
apostolat. Ce modèle ne s'identifie pas à une structure ou institution déterminée,
mais comporte une optique pastorale spécifique pour jauger les présences existant
es ou à créer.

2.6 Page 16

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Au centre de ce « cœur oratorien » il y a la prédilection pour les jeunes,
surtout les plus nécessiteux et ceux des milieux populaires ; avant et par delà les «
œuvres » il y a les « jeunes » ; le disciple de Don Bosco doit se sentir un «
missionnaire des jeunes ».
L'inspiration de ce critère éclaire les tâches ecclésiales voulues par Don
Bosco pour la Congrégation :
- L'évangélisation des jeunes, surtout des pauvres et de ceux du monde du
travail ;
- Le soin des vocations ;
- L'activité apostolique dans les milieux populaires, en particulier par la
communication sociale ;
- Les missions.
Pour comprendre fidèlement la portée de ce critère, il ne faut pas oublier
certains impératifs des Constitutions à trois niveaux complémentaires :
- Le choix préférentiel de nos destinataires, les jeunes pauvres et, en même
temps, ceux qui ont des germes de vocation ;
- L'expérience spirituelle et éducative du Système préventif ;
- La capacité d'appeler au partage de nos responsabilités beaucoup de gens
choisis surtout parmi les laïcs et les jeunes eux-mêmes.
Il s'agit donc d'un critère complexe mais concret qui nous invite à
transcender l'aspect matériel de nos œuvres pour entrer dans le cœur de Don Bosco
afin de juger et de programmer tout selon le point de vue spécifique de sa charité
pastorale.
En fait, ce critère a abouti, entre autres, au courageux « projet africain » qui,
au bout de 15 ans, voit plus de 800 missionnaires salésiens dans 39 pays du
continent.
3. La dimension communautaire.
Un autre point sensible de notre relecture a été la dimension communautaire.
Elle est intrinsèque à la vie religieuse, mais revêt chez nous un style particulier.
Il ne s'agissait cependant pas seulement de rendre plus authentique 1'« esprit
de famille » chez les confrères - bien souligné depuis les origines -, mais d'insister
surtout sur leur communion dans la responsabilité vis-à-vis de la mission : celle-ci
est confiée au premier chef à la communauté, qui en est le sujet responsable.

2.7 Page 17

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De là découlent bien des points : notre façon particulière d'exercer l'autorité,
le caractère communautaire de notre projet éducatif et pastoral, la nécessité de le
formuler, de le réaliser et de l'évaluer ensemble, l'encouragement à la participation
personnelle en dehors de tout individualisme et de toute indépendance arbitraire.
La communauté est appelée à un discernement pastoral constant pour travailler
dans l'unité et la fidélité à la réalisation apostolique de notre charisme.
Ce point sensible a eu un grand poids dans notre long cheminement de
renouveau.
4. La « forme » de l'Institut.
La « forme » de l'Institut (être « clérical », « laïque », « mixte », «
indifférent » ...) comporte des traits constitutifs qui expriment et assurent, en droit
aussi, le caractère propre et caractéristique du charisme. Elle a, en fait, une
importance théologale et spirituelle dans la vitalité et la croissance du charisme : «
Selon notre tradition, les communautés ont pour guide un confrère prêtre qui, par la
grâce du ministère presbytéral et l'expérience pastorale, soutient et oriente l'esprit
et l'action de ses frères »10.
La mission, qui donne à toute la vie de l'Institut son allure concrète, est de
nature pastorale et tout l'esprit de notre Fondateur émane de la charité pastorale de
son cœur de prêtre.
Notre Institut n'est ni strictement « sacerdotal », ni simplement « laïque », ni
non plus proprement « indifférent ». Les confrères sont des « clercs » et des « laïcs
» qui vivent « la même vocation dans la complémentarité fraternelle » ; chacun a
conscience d'être un membre coresponsable de 1'« ensemble », avant de se
considérer comme clerc ou laïc. « La composante sacerdotale et la composante
laïque (de la Société) ne sont pas l'addition extrinsèque de deux dimensions
confiées chacune à des catégories de confrères en soi différents qui cheminent
parallèlement et constituent des forces séparées, mais une communauté qui est,
nous l'avons vu, le véritable sujet de l'unique mission salésienne (Const. 44). Cela
exige pour chaque confrère une formation originale de la personnalité ; ainsi le cœur du
salésien clerc se sent intimement attiré et entraîné dans la mission laïque de la
communauté et le cœur du salésien laïc se sent, de son côté, intimement attiré et
10 Const. 121.

2.8 Page 18

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engagé dans la dimension sacerdotale »11. C'est une caractéristique unitaire liée à la
« dimension séculière » spécifique de notre Institut. C'est pourquoi il est vraiment
important chez nous de promouvoir la conscience et l'épanouissement harmonieux
tant des confrères « clercs » que des confrères « laïcs » dans l'esprit de la tradition
salésienne.
Le service de l'autorité dans la Congrégation est lié à cette originalité de la
« forme », Il exerce la délicate fonction d'assurer l'authenticité de notre esprit et
l'unité de notre action apostolique. Son rôle spécifique est de promouvoir et
d'orienter la « charité pastorale » qui est le cœur et la synthèse de l'esprit salésien et
l'âme de toute notre activité. La grâce de l'ordination sacerdotale (qui est « le
sacrement de la charité pastorale ») enrichit et valorise sa capacité de service et fait
qu'un critère « pastoral » réel guide toute notre participation à la mission
évangélisatrice de l'Eglise, qui comprend aussi la promotion humaine et l'impact
sur la culture.
Il s'agit d'un apport utile à tous les confrères parce qu'il se rattache
intimement au « critère oratorien ».
5. La décentralisation.
Nous étions convaincus de la nécessité d'incarner, avec souplesse et méthode,
notre visage commun dans les cultures locales différentes. Tâche ardue, qui exige que
la formation apporte une idée claire de ce que nous sommes vraiment, et que nous
percevions et comprenions avec discernement les différences culturelles.
Nous nous sommes sentis en plein accord avec le Père Voillaume : Il « se
manifeste une tendance à remettre en cause l'unité d'une congrégation sous prétexte de
développer la personnalité régionale ou nationale des fondations [...]. Une telle
tendance est ambiguë. Légitime en ce qu'elle est une réaction contre l'emprise
uniforme d'une expression unique de la vie religieuse, trop dépendante d'une seule
mentalité, elle risque néanmoins de remettre en cause une des caractéristiques du
Royaume de Dieu qui est de se situer au-delà de toute culture, dans l'unité fraternelle
du Peuple de Dieu qui ne devrait connaître ni frontières ni races »12.
Un charisme fermé avec raideur aux valeurs des cultures se sclérose et s'exclut
de l'avenir. Mais une culture qui ne s'ouvre ni au défi des signes des temps, ni à
11 CG22 no 80.
12 R. VOILLAUME, Retraite à Béni-Abbès. Entretiens sur la vie religieuse, 2o édition, Cerf, Paris 1973, p. 79.

2.9 Page 19

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l'échange avec les autres cultures ni à la transcendance du mystère du Christ et de son
Esprit, risque de n'être plus qu'un musée du passé ou une interprétation réductrice de
l'universalité. Ce qui laisse deviner combien il est délicat et important aujourd'hui dans
l'Institut de travailler à la formation.
On saisit du même coup comme il est capital de décentraliser de façon adéquate
l'exercice de l'autorité pour assurer dans les provinces et les groupes de provinces
homogènes la possibilité concrète de s'inculturer.
6. La Famille salésienne.
Nous sommes convaincus que notre Fondateur a lancé son esprit et sa mission
par delà notre Institut, et qu'il lui a laissé en héritage des responsabilités particulières
dans l'animation et la coordination de toutes ces forces apostoliques. Aussi avons-nous
estimé que le soin de ce qui s'est appelé la « Famille salésienne » était une des grandes
voies de notre renouveau.
Cette Famille comporte divers groupes institués (de vie consacrée,
d'associations laïques ou de mouvements) qui partagent - sous des formes
différenciées - l'esprit et la mission de Don Bosco. Elle constitue un terrain vaste et
fécond qui voit aujourd'hui des possibilités spéciales dans le cadre du laïcat engagé.
Nous nous sommes déjà mis en route avec décision, sur les pas de notre Fondateur, et
nous voulons renforcer et perfectionner cette option dans le prochain Chapitre général
(le 24e, en 1996) : « Salésiens et laïcs : communion et partage dans l'esprit et la
mission de Don Bosco ».
Nécessité d'une méthode concrète.
La relecture de notre fondation a été, en soi, une recherche intense et pas facile
de la nature de notre charisme. Nous sommes restés satisfaits de ce qui s'est fait et
nous en remercions Dieu.
Mais il nous faut ajouter qu'une relecture aussi longue n'a pas clos le temps de la
recherche : non, elle lui a même donné plus d'élan et de vigueur. C'est comme si la
relecture de notre fondation avait déchaîné toutes les énergies disponibles en vue
d'améliorer la signifiance et la créativité de notre apostolat.
La relecture n'est donc ni terminée ni close. Elle est comme une prophétie
qui relance notre renouveau sur une double voie de nouveauté :

2.10 Page 20

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- son assimilation par tous les confrères pour le renouvellement spirituel des
personnes et des communautés,
- et la mobilisation pour l'action en vue d'affronter les défis de la nouvelle
évangélisation.
Sachant avec plus de clarté et de sécurité « qui » nous sommes aujourd'hui
dans l'Eglise (= relecture de la fondation), nous nous sentons interpellés en tant que
porteurs d'un « charisme d'actualité », Et cela requiert la capacité méthodologique
spéciale de faire des projets et d'agir. Le chemin qui va de la nature de notre
charisme à l'actualisation de notre mission aujourd'hui (de l'orthodoxie à
l'orthopraxie) est très complexe. Il concentre tout le grand problème pastoral de
l'Eglise, « la nouvelle ardeur, la nouvelle méthode, les nouvelles formules », la
capacité de faire des projets et le sérieux de la révision.
Plus clair est le profil particulier des consacrés, plus exigeante est la
recherche d'une dynamique à jour de leur charisme.
C'est pourquoi notre premier Chapitre général « ordinaire » de 1990 (CG23),
après les Chapitres « spéciaux » qui devaient redessiner notre visage, a eu comme
préoccupation de faire revivre la mission de Don Bosco aujourd'hui pour « éduquer
les jeunes à la foi ».
Nous remarquons que la route est longue et comporte de nombreuses
inconnues ; mais la meilleure confirmation de l'authenticité de notre relecture de
notre fondation sera de suivre sans cesse cette route pastorale.
Nous sentons la nécessité de promouvoir tout un secteur de réflexion
théologique qui aille au-delà des disciplines fondamentales et classiques de la foi.
Il s'agit d'un type de « théologie pastorale » qui se penche sur la vie réelle pour
entrer aussi en dialogue avec les sciences humaines (histoire, anthropologie,
philosophie, sociologie, pédagogie, politique etc.), et tienne fermement compte des
orientations officielles du magistère qui accompagnent la pratique ecclésiale
animée par l'Esprit du Seigneur : en soi, cette pratique précède même la réflexion
scientifique. Une mentalité pastorale a besoin de nombreux apports : avec la
réflexion théologique de caractère biblique, historique, dogmatique et liturgique,
elle doit savoir développer une méthodologie appropriée d'intervention. Celle-ci
résultera d'une réflexion pédagogique et méthodologique comportant une stratégie
d'action, une étude et une programmation des temps, des façons d'agir, des

3 Pages 21-30

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3.1 Page 21

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itinéraires et des moyens. Autrement dit, elle doit savoir mettre sur pied des projets
pour passer d'une situation de défis à la recherche effective d'une solution positive.
Celui qui vit en mission apostolique éprouve la nécessité de qualifier
toujours mieux sa mentalité pastorale ; il veille à créer des centres de sérieuse «
théologie pastorale » : une théologie « particulière », qui ne prétend pas s'ériger en
unique interprétation possible de tout, mais qui éclaire la pratique. Elle « a une
place vitale et importante dans le vaste domaine de la théologie, mais n'en constitue
pas le tout ni l'unique critère valable de tout. La " pastorale " ne cherche pas à
changer la forme de la théologie ; elle ne doit surtout pas le faire quand elle porte
son attention sur quelque chose de concret, d'essentiel et de vital. S'il est
indispensable d'avoir une réflexion proprement théologique, c'est-à-dire polarisée
par la révélation et la lumière du mystère du Christ sous la conduite du magistère,
ce serait une grave erreur que de la priver (comme il arrive malheureusement
parfois) de cette polarisation essentielle pour la remplacer par une vision
exclusivement horizontale qui prétendrait manipuler à son gré l'interprétation du
christianisme »13.
Ainsi la relecture que nous avons faite de notre fondation nous a portés à
revoir et à rénover aussi les structures académiques de notre Université pontificale
afin de leur donner une optique plus pastorale. Car il faut toujours garantir une
sérieuse réflexion théologique, puisque c'est justement lorsqu'on se laisse prendre
par un enthousiasme soi-disant « pastoral » qu'on court le risque de se fourvoyer
sur des routes qui finissent par s'écarter de l'authenticité du charisme.
Animation et gouvernement.
La recherche de méthodes concrètes pour donner plus d'actualité et d'impact
à notre action apostolique a mis au premier plan la nécessité absolue d'un travail de
formation permanente pour tous les confrères : assumer avec clarté la relecture de
notre fondation et pousser chaque communauté à mettre sur pied des projets
concrets pour la nouvelle évangélisation.
Cet énorme travail a changé le style de l'exercice de l'autorité dans le
gouvernement : le secret de cet exercice est la compétence dans l'animation. Que
d'initiatives à ce sujet en ont résulté ! Ce travail n'est ni simple ni à court terme,
13 Cf. E. VIGANÒ, Per una teologia della vita consacrata, LDC, Turin 1986, p. 21-22.

3.2 Page 22

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mais absolument indispensable ; sans lui, la relecture de notre fondation finit à la
bibliothèque.
Nous avons ainsi constaté qu'en cette heure de profonds changements, le
concept de « formation » a une signification fondamentale et prioritaire (« princeps
analogatum ») dans la formation permanente, que chaque maison religieuse
authentique devient un centre de formation et que la formation initiale doit
s'orienter vers la formation permanente pour préparer les jeunes confrères à être
des sujets capables et engagés pour affronter les divers défis pressants de l'avenir
culturel et ecclésial.
Le changement d'époque appelle tous les religieux à se sentir en quelque
sorte inscrits à un « second noviciat » pour rénover leur profession religieuse
personnelle selon la relecture postconciliaire.
Avec la fidélité dans l'esprit, il faut stimuler la créativité dans la mission
ainsi que l'attention à la variété des situations, mais aussi pousser l'autorité à se
structurer et à se mouvoir en vue d'un « pluralisme dans l'unité » et de 1'« unité
dans le pluralisme ».
Une visite de l'Esprit du Seigneur.
Nous étions et nous sommes convaincus, je l'ai déjà dit, que le Concile
Vatican II fut une visite de l'Esprit du Seigneur à son Eglise ; il est venu provoquer
un saut de qualité dans toute la pastorale, à partir de la nature du mystère de
l'Eglise, de ses relations avec le monde et de son rôle de ferment dans l'histoire.
Nous avons entrepris la relecture de notre fondation dans ce climat de
Pentecôte. Nous avons certes eu des lenteurs, des scories pré conciliaires, des
myopies et des craintes qui ont fortement fait traîner cette relecture. Il est peut-être
encore resté çà et là des coins obscurs à éclairer en harmonie avec l'ensemble.
Mais nous considérons, avec la simplicité de la foi, que tout le travail effectué ne
pourrait pas s'expliquer sans la lumière, la créativité et l'intuition de l'avenir qui
dénotent une présence spéciale de l'Esprit du Seigneur. Un regard en arrière, la
relecture de nos nouvelles Constitutions, le développement de la vie de l'Institut,
ses transformations et sa vitalité sur tous les continents nous permettent de croire
que l'Esprit-Saint, avec l'intervention maternelle de Marie, nous a donné des

3.3 Page 23

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lunettes adéquates et limpides pour bien relire nos origines et nous relancer en
avant.
Nous nous sentons ainsi dans le Peuple de Dieu appelés par l'Esprit à
collaborer, par notre mission spécifique, à la marche difficile de l'Eglise vers le
troisième millénaire.
Nous avons une « carte d'identité » en règle et à jour.
Chers confrères, rendons grâce avec joie. L'Esprit du Seigneur nous a
éclairés et accompagnés. Il nous a tracé la voie royale. Il nous a enrichis d'un
trésor de vie. Il nous a tirés de nos difficultés, de nos insécurités et de nos
déviations, et il a cautionné notre vrai visage dans le Peuple de Dieu. Mais c'est
précisément pour cette raison qu'il nous a ouvert un champ immense de travail sur
lequel il nous faudra chercher, transpirer, créer, prophétiser l'esprit d'initiative et
d'originalité qui ont caractérisé les origines apostoliques de notre mission.
Que Marie nous guide, à travers cette relecture de notre fondation, pour
relancer le charisme de Don Bosco vers les immenses possibilités et les espérances
du troisième millénaire.
Comme Maman Marguerite regardons l'avenir avec son intuition et sa
fécondité maternelles.
Bon travail.
Cordialement.