Pape_message_CG28


Pape_message_CG28

1 Pages 1-10

▲back to top

1.1 Page 1

▲back to top
MESSAGE DE SA SAINTETÉ LE PAPE FRANÇOIS
AUX MEMBRES DU CG28
Chers frères,
Je vous salue avec affection et remercie Dieu de pouvoir, bien qu’à
distance, partager avec vous un moment du chemin que vous êtes en
train de parcourir.
Il est significatif qu’après plusieurs décennies, la Providence vous
ait amenés à célébrer le Chapitre Général au Valdocco – le lieu de la
mémoire – où le rêve fondateur s’est concrétisé et a fait les premiers
pas. Je suis sûr que le bruit et le vacarme des oratoires seront la
meilleure musique, la plus efficace pour que l’Esprit ravive le don
charismatique de votre Fondateur. Ne fermez pas les fenêtres à ce
bruit de fond... Qu’il vous accompagne et vous garde sans repos et
audacieux dans le discernement ! Et permettez à ces voix et à ces
chants d’évoquer, à leur tour, en vous, le visage de nombreux autres
jeunes qui, pour diverses raisons, se trouvent comme des brebis sans
berger (cf. Mc 6,34). Le son de ces voix et cette inquiétude qui est la
vôtre vous garderont attentifs et éveillés face à tout type d’anesthésie
auto-imposée et vous aideront à rester dans une fidélité créative à
votre identité salésienne.
Ravivez le don que vous avez reçu
Penser à la figure du Salésien pour les jeunes d’aujourd’hui implique
d’accepter que nous soyons plongés dans un temps de changements,
avec toute l’incertitude qui en découle. Personne ne peut dire avec
certitude et précision (si tant est que cela ait été jamais possible) ce
qui se passera dans un avenir proche sur le plan social, économique,
éducatif et culturel. L’inconsistance et la « fluidité » des événe-
ments, mais surtout la rapidité avec laquelle les choses se suivent et
se communiquent, font de chaque type de prévision une lecture
57

1.2 Page 2

▲back to top
condamnée à être reformulée au plus vite.1 Cette perspective est
encore plus accentuée par le fait que vos œuvres sont orientées
d’une manière particulière vers le monde de la jeunesse qui est en
soi un monde en mouvement et en transformation continue. Cela
requiert une double docilité : docilité aux jeunes et à leurs besoins,
et docilité à l’Esprit et à tout ce qu’Il veut transformer.
Assumer de manière responsable cette situation – à la fois au niveau
personnel et au niveau communautaire – implique de sortir d’une
rhétorique qui nous fait dire sans cesse que « tout change » et qui,
à force de le dire et de le répéter, finit par nous fixer dans une
inertie paralysante qui prive votre mission de la parrhésie propre
aux disciples du Seigneur. Cette inertie peut aussi se manifester
dans un regard et une attitude pessimistes face à tout ce qui nous
entoure et non seulement par rapport aux transformations qui s’opè-
rent dans la société mais aussi par rapport à sa propre Congréga-
tion, à ses frères et à la vie de l’Église. Cette attitude finit par
« boycotter » et empêcher toute réponse ou tout processus alter-
natif, ou par faire ressortir la position opposée : un optimisme
aveugle, capable de dissoudre la force et la nouveauté de l’Évan-
gile, en nous empêchant d’accepter concrètement la complexité que
les situations exigent et la prophétie que le Seigneur nous invite à
poursuivre. Ni le pessimisme ni l’optimisme ne sont des dons de
l’Esprit, car tous deux proviennent d’une vision autoréférentielle
capable seulement de se mesurer avec ses propres forces, capacités
ou aptitudes, nous empêchant de regarder ce que le Seigneur met en
œuvre et veut accomplir parmi nous.2 Ni s’adapter à la culture à la
mode, ni se réfugier dans un passé héroïque mais déjà désincarné
[ne sont des dons de l’Esprit]. En période de changements, il est
bon de s’en tenir aux paroles de saint Paul à Timothée : « Voilà
pourquoi, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu, ce don
qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas
un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force,
d’amour et de pondération. » (2Tm 1,6-7)
1 Cf. Constitution Apostolique sur les Universités et les Facultés ecclésiastiques Veritatis
Gaudium [la joie de la vérité], Rome, 27 décembre 2017, nn. 3-4.
2 Cf. Exhortation Apostolique postsynodale Christus vivit, Lorette, 25 mars 2019, n. 35.
58

1.3 Page 3

▲back to top
Ces paroles nous invitent à cultiver une attitude contemplative,
capable d’identifier et de discerner les points névralgiques. Cela
aidera à s’engager sur le chemin avec l’esprit et la contribution
propres aux fils de Don Bosco et, comme lui, à développer « une
révolution culturelle courageuse. »3 Cette attitude contemplative
vous permettra de dépasser et d’aller au-delà de vos propres attentes
et programmes. Nous sommes des hommes et des femmes de foi, ce
qui suppose être passionnés par Jésus-Christ ; et nous savons que
notre présent et notre avenir sont imprégnés de cette force aposto-
lique et charismatique appelée à continuer à imprégner la vie de
nombreux jeunes abandonnés et en danger, pauvres et désavantagés,
exclus et rejetés, privés de droits, de logement... Ces jeunes atten-
dent un regard d’espérance capable de contredire toute forme de
fatalisme ou de déterminisme. Ils attendent de croiser le regard de
Jésus qui leur dit « qu’il y a une issue à toutes les situations difficiles
ou douloureuses. »4 C’est là qu’habite notre joie.
Ni pessimiste ni optimiste, le Salésien du XXIème siècle est un
homme plein d’espérance car il sait que le centre [de sa vie] se
trouve dans le Seigneur capable de faire toutes choses nouvelles
(cf. Ap 21,5). Cela seul nous sauvera de vivre dans une attitude de
résignation et de survie défensive. Cela seul rendra notre vie fruc-
tueuse,5 permettant au don reçu de continuer à être vécu et exprimé
comme une bonne nouvelle pour et avec les jeunes d’aujourd’hui.
Cette attitude d’espérance est capable d’établir et d’inaugurer des
processus éducatifs alternatifs à la culture dominante qui, dans de
nombreuses situations – à la fois en raison de l’extrême pauvreté
ou de l’abondance aussi extrême dans certains cas – finissent par
asphyxier et tuer les rêves de nos jeunes en les condamnant à un
conformisme assourdissant, insidieux et souvent anesthésié. Ni tri-
omphalistes ni alarmistes, hommes et femmes joyeux et pleins
d’espérance, non des automates mais des artisans actifs, [ils seront]
capables d’« afficher d’autres rêves que ce monde n’offre pas, té-
3 Encyclique sur la sauvegarde de la Maison Commune, Laudato si’, Rome, 24 mai 2015,
n. 114.
4 Christus vivit, 104.
5 Cf. Homélie du 2 février 2017, à l’occasion de la XXIème Journée de la Vie Consacrée.
59

1.4 Page 4

▲back to top
moigner de la beauté de la générosité, du service, de la pureté, du
courage, du pardon, de la fidélité à sa vocation, de la prière, de la
lutte pour la justice et le bien commun, de l’amour des pauvres, de
l’amitié sociale. »6
L’« option Valdocco » pour votre CG28 est une bonne occasion pour
vous confronter avec vos sources et demander au Seigneur : « Da
mihi animas, cœtera tolle. »7 « Tolle » surtout ce qui a été peu à
peu incorporé et perpétué en cours de route, qui aurait pu être une
réponse adéquate en d’autres temps mais qui vous empêche aujour-
d’hui de configurer et de façonner la présence salésienne de manière
évangéliquement significative dans les différentes situations de la
mission. Cela nécessite, de notre part, de surmonter les peurs et
les appréhensions qui peuvent découler du fait d’avoir cru que le
charisme se réduisait ou s’identifiait avec certaines œuvres ou struc-
tures bien déterminées. Vivre fidèlement le charisme est quelque
chose de plus riche et de plus stimulant que le simple abandon, repli
ou réajustement des maisons ou des activités ; cela implique un
changement de mentalité face à la mission à accomplir.8
L’« option Valdocco » et le don des jeunes
L’Oratoire salésien et tout ce qui en a découlé, ainsi que le racontent
les Mémoires de l’Oratoire, est né comme une réponse à la vie de
jeunes ayant un visage et une histoire, qui ont fait agir ce jeune
prêtre incapable de rester neutre ou inactif devant ce qui se produi-
sait. Ce fut bien plus qu’un geste de bonne volonté ou de bonté, et
même beaucoup plus que le résultat d’un projet d’étude sur la « fai-
6 Christus vivit, 36.
7 Devise inscrite en lettres de feu dans le cœur des premiers missionnaires. Je rappelle la
lettre de Don Giacomo Costamagna à Don Bosco où, après lui avoir parlé des difficultés
du voyage et des différents échecs auxquels il a dû faire face, il conclut en disant : « Nous
demandons à l’unanimité une seule chose : pouvoir aller très vite en Patagonie pour
sauver d’innombrables âmes. » La conscience d’être envoyé à la recherche d’âmes aux
périphéries et de rester en surmontant tout échec apparent est une marque d’identité à
partir de laquelle confronter et mesurer le charisme : « Da mihi animas, cœtera tolle. »
8 Souvenons-nous de l’avertissement du Seigneur : « Vous aussi, vous laissez de côté le
commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. » (Mc 7,8)
60

1.5 Page 5

▲back to top
sabilité numérico-charismatique. » Je crois plutôt à un acte de
conversion permanente et à une réponse au Seigneur qui, « fatigué
de frapper » à nos portes, attend que nous allions le chercher et le
rencontrer... ou que nous le laissions sortir quand il frappe de l’inté-
rieur. Une conversion qui a impliqué (et compliqué) toute la vie de
Don Bosco et celle de son entourage. Don Bosco, non seulement ne
choisit pas de se séparer du monde pour rechercher la sainteté, mais
se laisse interpeller et choisit comment et dans quel monde vivre.
En choisissant et en accueillant le monde des enfants et des jeunes
abandonnés, sans travail ni formation, il leur a permis d’expéri-
menter de manière tangible la paternité de Dieu et leur a fourni des
outils pour raconter leur vie et leur histoire à la lumière d’un amour
inconditionné. Et eux, à leur tour, ont aidé l’Église à renouer avec sa
mission : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la
pierre d’angle. » (Ps 117/118,22) Loin d’être des agents passifs ou
des spectateurs de l’œuvre missionnaire, ils sont devenus, à partir de
leur condition même – dans bien des cas « illettrés religieux » et
«analphabètes sociaux » – les principaux protagonistes de tout le
processus de fondation.9 La salésianité naît précisément de cette ren-
contre capable de susciter des prophéties et des visions : accueillir,
intégrer et faire grandir les meilleures qualités comme don pour les
autres, surtout pour les marginalisés et les abandonnés de qui on
n’attend rien. C’est Paul VI qui l’a dit : « Évangélisatrice, l’Église
commence par s’évangéliser elle-même... Cela veut dire, en un mot,
qu’elle a toujours besoin d’être évangélisée, si elle veut garder
fraîcheur, élan et force pour annoncer l’Évangile. »10 Tout charisme
9 Grâce à l’aide du sage Cafasso, Don Bosco a découvert qui il était aux yeux des jeunes
détenus ; et ces jeunes détenus ont découvert un visage nouveau dans le regard de Don
Bosco. Ensemble, ils ont ainsi découvert le rêve de Dieu qui a besoin de ces rencontres
pour se manifester. Don Bosco n’a pas découvert sa mission devant un miroir, mais dans
la douleur de voir des jeunes sans avenir. Le Salésien du XXIème siècle ne découvrira pas
son identité s’il n’est pas capable de souffrir avec « la foule de jeunes gens (...) sains et
robustes, à l’esprit éveillé, mais réduits au désœuvrement, (...) privés du pain spirituel et
temporel (...). [Et qui] semblaient personnifier l’opprobre de la nation, le déshonneur des
familles » (Mémoires de l’Oratoire de Saint François de Sales, 2ème décennie) ; et nous
pourrions ajouter : de notre Église même.
10 Exhortation Apostolique Evangelii nuntiandi [l’effort pour annoncer l’Évangile],
Rome, 8 décembre 1975, n. 15.
61

1.6 Page 6

▲back to top
doit être renouvelé et évangélisé, et, dans votre cas, surtout par les
jeunes les plus pauvres.
Les interlocuteurs de Don Bosco hier et du Salésien aujourd’hui ne
sont pas de simples destinataires d’une stratégie planifiée à l’avance,
mais des protagonistes vivants de l’Oratoire à réaliser.11 Par eux et
avec eux, le Seigneur nous montre sa volonté et ses rêves.12 Nous
pourrions les appeler co-fondateurs de vos maisons, où le Salésien
sera un expert pour convoquer et engendrer ce type de dynamiques
sans s’en croire le maître. Cette union nous rappelle que nous
sommes « Église en sortie » et nous mobilise pour cela : une Église
capable d’abandonner des positions confortables, sûres et parfois
privilégiées, afin de trouver chez les derniers la fécondité typique du
Royaume de Dieu. Il ne s’agit pas d’un choix stratégique mais cha-
rismatique, d’une fécondité durable basée sur la croix du Christ, qui
est toujours une scandaleuse injustice pour ceux qui ont bloqué leur
sensibilité devant la souffrance ou qui ont accepté des compromis
avec l’injustice envers l’innocent. « Ne soyons pas une Église insen-
sible à ces drames de ses enfants jeunes. Ne nous y habituons jamais,
car qui ne sait pas pleurer n’est pas mère. Nous voulons pleurer pour
que la société aussi soit davantage mère. »13
L’« option Valdocco » et le charisme de la présence
Il est important de faire valoir que nous ne sommes pas formés pour la
mission, mais que nous sommes formés dans la mission, autour de
laquelle tourne toute notre vie, avec ses choix et ses priorités. La
formation initiale et la formation permanente ne peuvent pas être une
instance préalable, parallèle ou séparée de l’identité et de la sensibilité
du disciple. La mission inter gentes est notre meilleure école : à partir
11 Aujourd’hui, nous voyons comment, dans de nombreuses régions, les jeunes sont les
premiers à s’élever, à s’organiser et à promouvoir des causes justes. Loin d’empêcher ce
réveil, vos maisons salésiennes sont appelées à devenir des espaces susceptibles de
stimuler cette prise de conscience de chrétiens et de citoyens. Rappelons-nous le titre de
l’Étrenne 2020 du Recteur Majeur : « Bons chrétiens et honnêtes citoyens. »
12 Je vous invite à toujours garder à l’esprit tous ceux qui ne participent pas à ces instances
mais que nous ne pouvons ignorer si nous ne voulons pas devenir un groupe fermé.
13 Christus vivit, 75.
62

1.7 Page 7

▲back to top
d’elle, nous prions, nous réfléchissons, nous étudions, nous nous
reposons. Lorsque nous nous isolons ou nous nous éloignons des
gens que nous sommes appelés à servir, notre identité de personnes
consacrées commence à se défigurer et à devenir une caricature.
En ce sens, l’un des obstacles que nous pouvons identifier n’a pas
grand-chose à voir avec une situation extérieure à nos communautés,
mais c’est plutôt celui qui nous affecte directement à travers une
expérience déformée du ministère..., et qui nous fait tant de mal : le
cléricalisme. C’est la recherche personnelle de vouloir occuper,
concentrer et déterminer les espaces en minimisant et en annulant
l’onction du Peuple de Dieu. Le cléricalisme, en vivant l’appel de
manière élitiste, confond élection et privilège, service et servilité,
unité et uniformité, divergence et opposition, formation et endoctri-
nement. Le cléricalisme est une perversion qui favorise les liens
fonctionnels, paternalistes, possessifs et même manipulateurs avec le
reste des vocations dans l’Église.
Un autre obstacle que nous rencontrons – répandu, et même justifié,
surtout en cette période de précarité et de fragilité – est la tendance
au rigorisme. En confondant l’autorité avec l’autoritarisme, celui-ci
prétend gouverner et contrôler les processus humains avec une atti-
tude scrupuleuse, sévère et même mesquine, face à ses propres li-
mites et ses propres faiblesses ou celles des autres (surtout celles des
autres). Le rigoriste oublie que le grain et l’ivraie poussent ensemble
(cf. Mt 13,24-30) et « que tous ne peuvent pas tout, et qu’en cette vie
les fragilités humaines ne sont pas complètement et définitivement
guéries par la grâce. De toute manière, comme l’enseignait saint
Augustin, Dieu t’invite à faire ce que tu peux et à demander ce que
tu ne peux pas. »14 Saint Thomas d’Aquin, avec une grande finesse
et une grande subtilité spirituelle, nous rappelle que « le diable en
trompe beaucoup. Certains, en les poussant à commettre des péchés ;
d’autres, en revanche, vers une rigidité excessive envers celui qui
pèche, de sorte que s’il ne peut pas les avoir avec un comportement
vicieux, il conduit à la perdition ceux qu’il possède déjà, en utilisant
la rigueur des prélats, qui, en ne les corrigeant pas avec miséricorde,
14 Exhortation Apostolique Gaudete et exsultate, 49.
63

1.8 Page 8

▲back to top
les poussent au désespoir, et c’est ainsi qu’ils se perdent et tombent
dans les filets du diable. Et c’est ce qui nous arrive si nous ne par-
donnons pas aux pécheurs. »15
Ceux qui accompagnent les autres dans leur croissance doivent être
des gens à larges vues, capables de réunir limites et espérance, en
aidant ainsi à toujours regarder en perspective, dans une perspective
salvifique. Un éducateur « qui n’a pas peur de fixer des limites et, en
même temps, s’abandonne à la dynamique de l’espérance exprimée
dans sa confiance en l’action du Seigneur, est l’image d’un homme
fort, qui guide ce qui ne lui appartient pas, mais qui appartient à son
Seigneur. »16 Nous n’avons pas le droit d’étouffer et d’empêcher la
force et la grâce du possible, dont la réalisation cache toujours une
graine de Vie nouvelle et bonne. Apprenons à travailler et à faire
confiance aux temps de Dieu, qui sont toujours plus grands et plus
sages que nos mesures à courte vue. Il ne veut détruire personne,
mais sauver tout le monde.
Il est donc urgent de trouver un style de formation capable d’as-
sumer de manière structurelle le fait que l’évangélisation implique la
pleine participation, et avec une pleine citoyenneté, de chaque bap-
tisé – avec toutes ses potentialités et ses limites – et pas seulement
des soi-disant « acteurs qualifiés » ;17 une participation où le service,
et le service des plus pauvres, est la pierre angulaire qui aide à mani-
fester et à mieux témoigner de notre Seigneur qui « n’est pas venu
pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la
multitude» (Mt 20,28). Je vous encourage à poursuivre vos efforts
pour faire de vos maisons un « laboratoire d’Église » capable de
reconnaître, d’apprécier, de stimuler et d’encourager les différents
appels et missions dans l’Église.18
15 Super II Cor., cap. 2, lect. 2 (in fine). Le passage commenté par saint Thomas est
2 Co 2,6-7 où, à l’égard de celui qui l’a attristé, saint Paul écrit : « vous devez, au contraire,
plutôt lui faire grâce et le réconforter, pour éviter qu’il ne sombre dans une tristesse
excessive. »
16 J. M. BERGOGLIO, Exercices spirituels pour religieux, Parole et Silence, mars 2016,
n. 105.
17 Cf. Evangelii gaudium, 120.
18 Avant d’être un acte qui différencie ou rend complémentaire, une vocation ecclésiale est
une invitation à offrir un don particulier en fonction de la croissance des autres.
64

1.9 Page 9

▲back to top
En ce sens, je pense concrètement à deux présences de votre commu-
nauté salésienne, qui peuvent aider, comme éléments de comparaison,
à comprendre la place occupée par les différentes vocations chez
vous ; deux présences qui constituent un « antidote » contre toute
tendance cléricaliste et rigoriste : le Frère Coadjuteur et les femmes.
Les Frères Coadjuteurs sont une expression vivante de la gratuité que
le charisme nous invite à sauvegarder. Votre consécration est, avant
tout, le signe d’un amour gratuit du Seigneur et pour le Seigneur
parmi ses jeunes, qui ne se définit pas principalement comme un mi-
nistère, une fonction ou un service particulier, mais à travers une pré-
sence. Avant même des choses à faire, le Salésien est le rappel vivant
d’une présence où disponibilité, écoute, joie et dévouement sont les
éléments essentiels pour susciter des processus. La gratuité de la pré-
sence sauve la Congrégation de toute obsession activiste et de tout
réductionnisme technico-fonctionnel. Le premier appel est celui
d’être une présence joyeuse et gratuite parmi les jeunes.
Qu’en serait-il du Valdocco sans la présence de Maman Marguerite ?
Vos maisons auraient-elles été possibles sans cette femme de foi ?
Dans certaines régions et certains endroits « il y a des communautés
qui se sont longtemps maintenues et ont transmis la foi sans qu’un
prêtre ne passe les voir ; durant même des décennies. Cela s’est fait
grâce à la présence de femmes fortes et généreuses. Les femmes
baptisent, sont catéchistes, prient, elles sont missionnaires, certaine-
ment appelées et animées par l’Esprit Saint. Pendant des siècles,
elles ont maintenu l’Église debout dans ces régions avec un dévoue-
ment admirable et une foi ardente. »19 Sans une présence réelle, ef-
fective et affective des femmes, vos œuvres n’auraient pas le cou-
rage et la capacité de décliner la présence comme hospitalité,
comme maison. Face à la rigueur qui exclut, nous devons apprendre
à engendrer la vie nouvelle de l’Évangile. Je vous invite à pour-
suivre une dynamique dans laquelle la voix de la femme, son regard
et son action – appréciés dans leur singularité – trouvent un écho
dans la prise de décisions, en tant qu’acteur non auxiliaire mais
constitutif de vos présences.
19 Exhortation Apostolique postsynodale Querida Amazonia [l’Amazonie bien-aimée], 99.
65

1.10 Page 10

▲back to top
L’« option Valdocco » dans la pluralité des langues
Comme autrefois, le mythe de Babel tente de s’imposer au nom de
la mondialisation. Des systèmes entiers créent un réseau de commu-
nication mondial et numérique capable d’interconnecter les diffé-
rents coins de la planète, avec le grave danger d’uniformisation
monolithique des cultures, en les privant de leurs caractéristiques et
de leurs ressources essentielles. La présence universelle de votre
Famille Salésienne est un stimulant et une invitation à conserver et à
préserver la richesse de nombreuses cultures dans lesquelles vous
êtes plongés sans chercher à les « homologuer. » D’un autre côté,
vous vous efforcez de faire en sorte que le christianisme puisse as-
sumer la langue et la culture des populations locales. Il est triste de
voir que, dans de nombreuses régions, la présence chrétienne est
toujours vécue comme une présence étrangère (en particulier euro-
péenne) ; une situation que l’on retrouve également dans les itiné-
raires de formation et les modes de vie (cf. ibid., 90).20 Au contraire,
nous agirons comme nous l’inspire cette anecdote de Don Bosco
qui, interrogé sur la langue qu’il aimerait parler, a répondu : « Celle
que ma mère m’a apprise : c’est celle avec laquelle je peux commu-
niquer plus facilement. » Selon cette certitude, le Salésien est appelé
à parler dans la langue maternelle de chacune des cultures dans les-
quelles il se trouve. L’unité et la communion de votre Famille sont
capables d’assumer et d’accueillir toutes ces différences qui peuvent
enrichir tout le corps en une synergie de communication et d’interac-
tion où chacun puisse offrir le meilleur de lui-même pour le bien du
corps entier. De cette façon, la salésianité, loin de se perdre dans
l’uniformité des tonalités, acquerra une expression plus belle et plus
attrayante... et pourra s’exprimer « en dialecte. » (cf. 2M 7,26-27)
Dans le même temps, l’irruption de la réalité virtuelle comme lan-
gage dominant dans de nombreux pays où vous accomplissez votre
mission nécessite, en premier lieu, de reconnaître toutes les possibi-
20 Cf. Evangelii gaudium, 116 : « ... comme nous pouvons le voir dans l’histoire de
l’Église, le christianisme n’a pas un modèle culturel unique, mais tout en restant pleine-
ment lui-même, dans l’absolue fidélité à l’annonce évangélique et à la tradition ecclésiale,
il revêtira aussi le visage des innombrables cultures et des innombrables peuples où il est
accueilli et enraciné. »
66

2 Pages 11-20

▲back to top

2.1 Page 11

▲back to top
lités et les choses bonnes qu’elle produit, sans sous-estimer ou
ignorer l’impact qu’elle possède dans la création de liens, en particu-
lier sur le plan affectif. Même nous, adultes consacrés, ne sommes
pas à l’abri de cela. La « pastorale de l’écran », si répandue (et né-
cessaire), nous demande d’habiter le réseau de manière intelligente,
en le reconnaissant comme un espace de mission,21 ce qui nécessite,
à son tour, d’installer toutes les médiations nécessaires afin de ne
pas rester prisonniers de sa circularité et de sa logique particulière
(et dichotomique). Ce piège – même au nom de la mission – peut
nous renfermer sur nous-mêmes et nous isoler dans une virtualité
confortable, superflue et peu ou pas du tout engagée dans la vie des
jeunes, des frères de la communauté ou dans les tâches apostoliques.
Le réseau n’est pas neutre et le pouvoir qu’il a de créer une culture
est très élevé. Sous l’avatar de la proximité virtuelle, nous pouvons
nous retrouver aveugles ou éloignés de la vie concrète des gens, en
nivelant et en appauvrissant la vigueur missionnaire. Le repli indivi-
dualiste, si répandu et socialement proposé dans cette culture large-
ment numérisée, requiert une attention particulière non seulement en
ce qui concerne nos modèles pédagogiques mais aussi en ce qui
concerne l’utilisation personnelle et communautaire du temps, de
nos activités et de nos biens.
L’« option Valdocco » et la capacité de rêver
L’un des « genres littéraires » de Don Bosco étaient les rêves. À tra-
vers eux, le Seigneur a tracé sa route dans la vie de Don Bosco et
dans la vie de toute votre Congrégation, en élargissant l’imagination
du possible. Les rêves, loin de le garder endormi, l’ont aidé, comme
cela est arrivé à saint Joseph, à prendre une autre profondeur et une
autre mesure de la vie, celles qui naissent des entrailles de la com-
passion de Dieu. Il était possible de vivre l’Évangile concrètement...
Don Bosco l’a rêvé et lui a donné forme dans l’Oratoire.
21 Aujourd’hui, en fait, « une évangélisation qui éclaire les nouvelles manières de se
mettre en relation avec Dieu, avec les autres et avec l’environnement, et qui suscite les
valeurs fondamentales devient nécessaire. Il est indispensable d’arriver là où se forment
les nouveaux récits et paradigmes. » (Evangelii Gaudium 74)
67

2.2 Page 12

▲back to top
Je souhaite vous offrir ces paroles comme les « mots du soir » dans
toute bonne maison salésienne au terme de la journée, en vous invi-
tant à rêver et à rêver grand. Sachez que le reste vous sera donné par
surcroît. Rêvez de maisons ouvertes, fécondes et évangélisatrices,
capables de permettre au Seigneur de montrer à de nombreux jeunes
son amour inconditionné et de vous permettre, à vous, de profiter de
la beauté à laquelle vous avez été appelés. Rêvez... Et non seule-
ment pour vous et pour le bien de votre Congrégation mais encore
pour tous les jeunes privés de la force, de la lumière et du réconfort
de l’amitié avec Jésus-Christ, privés d’une communauté de foi qui les
accueille, d’un horizon de sens et de vie (cf. Evangelii Gaudium, 49).
Rêvez... Et faites rêver !
Rome, Saint Jean de Latran, 4 mars 2020
68