Luis Variara


Luis Variara



JEAN-BAPTISTE BERAUD







ZATTI



L’INFIRMIER

DE LA

PATAGONIE


TEMOIGNAGE EXCEPTIONNEL

D’UN SALESIEN LAÏC (1880-1951)



























PREMIER INFIRMIER DE LA PATAGONIE

ARTEMIDE ZATTI (1880 -1951)



Artémide Zatti naît le 12 octobre 1880 à Boretto, dans la Province de Reggio Emilia, en Italie. Le Père Raùl Entraigas, sdb, son premier biographe, décrit ainsi cette petite ville en 1951 : « Boretto vit tranquillement assoupie dans sa paix campagnarde. Elle n’arrive pas à 4000 habitants. Ses vieilles maisons et la brillante coupole de son église se reflètent dans les eaux du Pô. »

A 17 ans, poussé par la misère qui grandit alors dans son Italie natale, Artémide débarque, dans le flot des immigrants, avec toute sa famille, à Buenos Aires, capitale de l’Argentine.

Il rêve d’être prêtre. La maladie va l’en empêcher. Il devient laïc religieux, coadjuteur chez les salésiens de Don Bosco. Sa maladie le pousse à soigner les autres. Il sera le Directeur estimé de l’Hôpital qui le soigne. Il meurt en 1951.

Témoignage saisissant d’un laïc chrétien, consacré à Dieu et donné à ses frères, en la toute première évangélisation des Terres du Sud !

Jean Paul II le met sur les autels en 2002.




































DEDICACE


Au moment où Zatti, en 1951, termine ses jours et nous quitte avec son éternel sourire, mon travail de nouveau prêtre, aumônier de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, dans la ville de Toulouse (France), me fait retrouver dans des sessions ou retraites de jeunes ouvriers à Marseille, Nice ou Paris, plusieurs salésiens coadjuteurs dont la vie et l’enthousiasme ont été auparavant une aide incomparable dans ma formation de stagiaire après le noviciat.


A Marseille, ces hommes qui encadraient depuis des années, les ateliers de mécanique, menuiserie, électricité, imprimerie, reliure, cordonnerie, étaient tous estimés dans la ville pour leur valeur professionnelle. Trois d’entre eux étaient reconnus, dans leur spécialité, comme « 1er ouvrier de France ».


Alors jeune séminariste, il me semble encore entendre le Directeur d’un journal important de ce grand port international, nous expliquer : « Vous allez entrer chez Don Bosco. Nous autres, c’est chez lui que nous venons, ici à « Don Bosco de Marseille », quand nous voulons embaucher des jeunes pour nos imprimeries. Ils reçoivent ici une bonne préparation à leur métier. »

Et nous qui connaissions les chefs d’atelier de ces apprentis, nous savions aussi la foi profonde qui les animait. Leur rencontre chaque matin avec Dieu animait la précision de leur travail et leur sens de l’éducation.

A ces hommes, à tous leurs frères coadjuteurs, aux jeunes africains, mes amis, qui se préparent à choisir cette voie, je dédie avec joie cette « vie » qui m’a passionné,


Yaoundé (Cameroun), 15 août 2010,

Jean Baptiste BERAUD, sdb



















































I- L’ENFANT ESPIEGLE





Le petit Artémide voit le jour au milieu de terres fertiles, et de vastes prairies. La région est riche en fourrage et en céréales. Les troupeaux de bovins sont prospères. La vigne occupe de larges espaces et la cité est appréciée pour ses produits laitiers.


Des terres calmes et fertiles, menacées par la crise économique


Située pourtant au milieu d’une zone assez agitée de mouvements politiques et sociaux, Boretto, curieusement, se maintient dans la tranquillité, avec une bonne administration. Entre ses citadins n’existent pas de luttes de partis. La plupart des habitants ont gardé une pratique religieuse assez régulière et ils estiment leurs prêtres. Au centre du bourg, la basilique St Marc, au bord du fleuve, rappelle majestueusement le célèbre temple catholique de Venise.

A la fin du 19e siècle, la petite ville souffre les conséquences de la crise économique. Elles se traduisent par des maladies dues à la mauvaise alimentation, qui détériorent la peau, la digestion, les nerfs. La contagion touche rapidement toute la vallée du Pô, et suscite des départs vers d’autres cités plus protégées. Un certain nombre de familles choisissent un éloignement plus définitif. L’émigration vers l’Amérique latine prend toute son ampleur. En Argentine, Uruguay, Chili, vont s’installer de véritables colonies italiennes, en quête de travail, de pain, et d’une vie meilleure.


Une famille chrétienne


Les parents d’Artémide, Luigi Zatti et Albina Vecchi, se sont mariés à Boretto le 20 mai 1875. Ils auront huit enfants, quatre filles et quatre garçons, Pompeo, Hildegarda, Artémide, Eliseo, Teresa, Herminio, Florinda et Delfina. Artémide recevra le baptême le jour même de sa naissance.

Les Zatti ne possèdent pas de terrains propres. Ils travaillent comme fermiers au service d’autres familles. José Reggiani, neveu d’Artémide, déclarera plus tard : « La famille était pauvre… Un détail qu’ils aimaient nous rappeler, c’est qu’ils allaient pieds nus pour partir aux champs. Ils prenaient les souliers seulement pour le retour… ». Elisa Zatti, fille de Eliseo, devenue sœur salésienne, se souvient des paroles de sa grand’mère, la maman de Artémide :

« A quatre heures du matin, ils prenaient une assiette de « polenta » et partaient tous au travail. »

Très travailleuse, la famille Zatti reste aussi fidèle à sa foi chrétienne. « On y priait matin et soir », dira Elena, fille de José Reggiani, rappelant ainsi ce qu’elle a entendu de sa maman.


Un petit garçon pieux et turbulent


Sans avoir beaucoup de renseignements sur la première formation religieuse de Artémide, on peut penser, en revoyant le parcours de son attachement constant au Seigneur, que le petit garçon a bénéficié d’un éveil spirituel très soigné, grâce à tout son entourage familial et paroissial. « Il reçut la confirmation à Boretto le 8 septembre 1887 », rappelle Augusta Borettini, veuve de Eliseo. « Sa maman l’emmenait avec elle aux processions. Ils récitaient le chapelet », raconte sœur Elisa. « Il ne manquait jamais la messe, et toute la famille faisait de même. Zatti fréquentait la paroisse, servait la messe, et travaillait aux champs. », déclare de son côté Alberto Vecchi, oncle maternel.

Le petit Artémide, comme beaucoup d’enfants de son âge, est déjà espiègle. Un épisode est resté. L’enfant peut avoir deux ans. Il voit un ouvrier qui se lève de sa chaise pour préparer des cordages, puis va revenir s’asseoir. L’enfant retire peu à peu la chaise, jusqu’au moment où le brave homme, sans se rendre compte qu’elle n’est plus à sa place, tombe à la renverse sur le sol. Tout fier de lui, Artémide rit aux éclats.


Un enfant comme les autres


Ses proches se souviennent aussi qu’il était gourmand. Artémide a 9 ans. Il est employé dans une ferme. Ses patrons préparent la fête pour un nouveau prêtre de leur famille, qui doit venir dans le village célébrer une de ses premières messes. Naturellement depuis longtemps on prévoit tous les détails. Entre autres desserts un magnifique melon est en attente, préparé avec soins. Quelques heures avant la fête, Artémide passe avec un camarade de son âge dans la salle où se trouve la précieuse pièce qui doit faire la joie des convives. La tentation est forte pour les deux gamins qui ne résistent pas. Sur le champ, ils prennent le beau melon, et vont se cacher dans l’étable pour le dévorer, tranquilles, à pleines dents. La fête arrive. Au moment du dessert, le chef de maison vient chercher la « surprise du jour ». Elle a disparu. Mais, tandis que tous se lamentent, les deux « compères », à l’écart derrière les bâtiments, rient contents de leur coup. Le Père Entraigas qui cite ce témoignage souligne : « Zatti n’était pas un être extraordinaire. Il était comme les autres. Il est devenu saint avec la grâce de Dieu et avec beaucoup de volonté. »

Au-delà de ces fredaines qui nous rassurent sur la vivacité malicieuse de ce petit, il reste la solidité d’une piété forgée patiemment et profondément par l’ambiance éducative d’une vraie famille. Alors qu’il a déjà 24 ans, il évoque, le 21 mars 1904, dans une lettre à ses parents, ses souvenirs de son « inoubliable Boretto ». Tout ce qu’il rappelle est accompagné d’une ambiance de ferveur religieuse qui ne trompe pas, et d’une invitation constante à vivre vigoureusement la vie chrétienne.

Les travaux des champs de son enfance l’ont marqué définitivement pour affronter les fatigues. Son esprit vif et son ouverture aux autres lui ont forgé un caractère serein et joyeux. Il est prêt pour entendre l’appel : « Tu seras pêcheur d’hommes ! »


Ecole élémentaire et déjà au travail des champs


De 1886 à 1889, l’enfant est à l’école. Il étudie bien. Son « certificat d’enseignement obligatoire d’instruction élémentaire », daté du 2 septembre 1889, le classe avec de très bonnes notes en italien et en arithmétique, 7,5 et 8 sur 10. Il est vif et intelligent. Naturellement, comme tous les enfants de famille nombreuse, à la campagne, suivant les saisons, il doit aller travailler la terre.

« A 4 ans, il allait déjà aider son papa dans les champs, il ramassait de l’herbe pour les animaux, il poussait des charrettes pleines, plus hautes que lui. » rappelle Augusta Borettini, sa belle-sœur, qui poursuit : « A 8 et 9 ans, il était déjà employé comme journalier sur les terres d’une riche famille propriétaire. »

Elena précise : « Il travaillait dans les champs d’une famille qui lui donnait le gîte et le couvert. » Un salésien ajoute : « Il recevait 25 lires par an et un pantalon. ». Des années plus tard, Artémide lui-même se souviendra dans une lettre à sa famille, datée du 20 décembre 1945, qu’ils étaient tous placés chez des gens : « Je travaillais chez Juan Borettini, Pompeo chez Ghito, et Hildegarda chez les Bongia. » Le rappel de cette époque fait aussi qu’il revoit avec une certaine nostalgie « comment tous les frères et sœurs, nous revenions à la maison pour les Fêtes de Noël. Nous apportions du bon vin, des tartes, des poissons, des friandises, des plats typiques ». Si leur enfance était déjà durement marquée par les fatigues du travail des champs, il reste que les événements familiaux toujours imprégnés d’une joie rayonnante leur laissaient pour toujours l’impression profonde d’une vie véritablement heureuse.











II – JEUNE TRAVAILLEUR IMMIGRE



En janvier 1897, Luigi Zatti décide de quitter l’Italie. Avec son épouse et tous les enfants, ils partent vers l’Argentine. La famille toute entière se trouve ainsi embarquée dans le vaste courant d’émigration italienne vers l’Amérique du sud, qui marquera cette époque.

Des milliers de personnes fuient la pauvreté d’un pays où les propriétaires terriens refusent toute ouverture sociale. A Boretto, peu de gens ont quitté le pays, mais les deux familles parentes des Zatti et des Vecchi n’hésitent pas à partir, encouragées probablement par l’oncle Giovanni, déjà bien installé à Baya Blanca, en Argentine, où il est chef d’équipe des services municipaux. A 17 ans, Artémide, grand et maigre, se trouve ainsi dans un nouveau monde, totalement inconnu pour lui, mais où Dieu va l’appeler jour après jour. Curieusement, il va devoir quitter l’Italie pour rencontrer Don Bosco.


Accueillante et dépravée, la ville de Bahia Blanca


Bahia Blanca a vu ses origines en 1828, lorsqu’un fort militaire a été dressé sur une immense baie face à l’Océan Atlantique. Cet édifice constitue le dernier maillon d’une chaîne de fortifications construite par le gouvernement argentin pour défendre le territoire de la Province de Buenos Aires des incursions des Indiens. La position intéressante de la nouvelle cité, les possibilités de son port, la richesse de ses campagnes, l’ouverture vers le sud de l’Argentine, vers la Patagonie, et la Terre de Feu, véritables contrées d’aventure, attirent, rapidement et en grand nombre, des immigrants de toute nationalité. D’Espagne, d’Italie, d’Allemagne, de Pologne, ils viennent de partout, fuyant les situations sociales toujours plus difficiles de l’Europe. Vers 1895, au moment de l’arrivée des Zatti, Bahia Blanca est déjà une ville de 14 000 habitants. Les immigrés italiens y sont les plus nombreux. Mais une ombre au tableau se profile. La situation économique, après une période très prospère, commence à rencontrer des difficultés.

La famille Zatti débarque à Buenos Aires le 9 février 1897. Le 13, elle arrive en train à Bahia Blanca, famille d’expatriés au milieu de tant d’autres. A côté de valeurs très appréciées comme l’application au travail bien fait et l’amour de la famille, ce milieu de migrants présente aussi d’autres facettes. Parmi les nouveaux venus, un groupe important a ramené d’Europe une vive orientation anticléricale et une vigoureuse opposition à la Papauté et à l’Eglise. Nombre de ces gens sont pétris des idéaux révolutionnaires du « Risorgimento » italien, cette époque de bouleversements qui a vu le Saint Siège perdre ses Etats Pontificaux, et l’Italie constituer son unité. Au moins trois Loges maçonniques se sont installées et rayonnent d’une grosse influence sur la ville. Une presse fanatique se déchaîne contre l’Eglise. La prostitution s’étale partout, les bars se multiplient, les gens dépensent leur argent à boire.

Les Zatti à la paroisse


Mais déjà, les Zatti s’installent à Bahia Blanca. L’oncle Giovanni leur a réservé une maison, rue Lavalle, 200. Ils déménageront deux fois. En 1900, ils iront dans la rue Lamadrid, puis en 1902, dans la rue Sarmiento. A peine arrivés, tous travaillent, sauf les plus petits, Herminio, Florinda et Delfina. Le papa trouve un emploi à la municipalité. Il est chargé de la propreté de la Place Rivadavia. Plus tard, il sera portier à l’Ecole Nationale. La maman et la fille Thérèse s’occupent de la maison. Artémide est embauché dans un petit bar restaurant. Il y reste un jour et se retire. L’ambiance ne lui plait pas. Geste significatif de la part de ce jeune homme qui n’hésite pas à quitter un milieu où la moralité lui parait douteuse. Dieu prépare son élu. Quelque temps après, avec Pompeo et Eliseo, il entre à la fabrique de carrelage de M. Tissot.


Des communautés chrétiennes en difficultés


Dans une telle ambiance, la vie religieuse de la population se relâche rapidement. Le Père Domingo Milanesio (1843-1922), grande figure des premiers salésiens missionnaires de la région, n’hésite pas à écrire au Supérieur Général, Don Rua, le 23 juin 1890 : « Depuis de longues années, on peut dire que nos gens ont perdu la foi. ». De son côté, Mgr Juan Cagliero (1838-1926), chef de la première expédition salésienne vers l’Amérique latine en 1875, parle de la « situation désolatrice de cette cité corrompue ».

Le Père Feliciano Lopez rappellera au procès de Viedma, lors de l’ouverture de la Cause de Béatification de Zatti : « J’ai entendu les premiers salésiens venus à Bahia Blanca pour prendre la Paroisse ND de la Merci, dire que le curé précédent, prêtre diocésain, était parti, complètement découragé. »

Les salésiens ne sont pas épargnés. Le Père Miguel Borghino, curé, écrit le 6 mai 1891 à Mgr Cagliero : « De tout côté, je reçois des attaques. Les francs- maçons me calomnient, les politiques lancent contre nous des moqueries méchantes. C’est une vraie croix, une croix terrible ! ». Tel groupe de « révolutionnaires » n’hésite pas à utiliser les anniversaires marquants de certains bouleversements récents de l’Italie, pour manifester bruyamment contre la paroisse et la communauté salésienne. Les Chroniques du Collège Don Bosco de 1889 relatent :  « Le 20 septembre, les « settembrini » commencèrent à défiler devant l’église pendant que se célébrait la neuvaine de la Patronne paroissiale ND de la Merci, en faisant exécuter par la fanfare l’hymne garibaldienne et d’autres musiques hostiles à l’Eglise. » Et dans la chronique de 1893, on lit : « La nuit du 20 septembre, les « garibaldiens » ont beaucoup dérangé. Ils ont défilé devant l’église en criant : « Mort au Pape, mort au curé Borghino, à bas les prêtres ! »

En 1888, Mgr Cagliero a déjà écrit à Mgr Scalabrini, évêque de Piacenza, responsable en Italie, de l’assistance spirituelle aux émigrés :  « Il semble que nos compatriotes, même ceux qui viennent des régions les plus religieuses d’Italie, changent complètement lorsqu’ils arrivent ici. L’amour exagéré du travail et du gain, l’indifférence religieuse, les plus mauvais exemples venus d’Europe, la violence des sectes, plus audacieuses dans le nouveau monde que chez nous, apportent une incroyable transformation dans les esprits et le cœur de nos braves paysans et ouvriers. Pour quelques pièces de monnaie qu’ils gagnent, ils perdent leur foi et toute moralité. »


L’esprit apostolique des salésiens


Cependant, face à ce verdict accablant, les Zatti et quelques familles se maintiennent dans une attitude profondément chrétienne, et gardent leur amour de Dieu et de l’Eglise.

Les salésiens ne baissent pas les bras. Avec les sœurs salésiennes, ils créent une Société Catholique de Secours Mutuels pour les ouvriers. Ils se préoccupent des immigrés. Ils ouvrent des collèges et des patronages pour les garçons et pour les filles. Ils développent beaucoup la vie paroissiale.

Les salésiens sont responsables de la Paroisse Notre Dame de la Merci, sur le quartier où habitent les Zatti. Ils ont aussi ouvert déjà deux écoles : un lycée et un Centre professionnel. Beaucoup de gens se tournent vers ces prêtres de Don Bosco qui savent accueillir. Même certains de ces fameux manifestants politiques, qui attaquent l’Eglise régulièrement, retrouvent dans cette ambiance, des souvenirs significatifs de leur première éducation dans les milieux catholiques de leur fervente Italie natale. Certains reviennent. Naturellement, les Zatti sont parmi les premiers à saluer le curé de la paroisse, le Père Carlo Cavalli. Ce salésien, originaire du Piémont, comme Don Bosco, deviendra un grand ami de la famille. Artémide s’attachera plus spécialement à ce prêtre si bon, et si plein d’esprit évangélique.

Le Père Carlo sera pour le jeune homme son confesseur, et son guide spirituel. Artémide approfondit sa foi et découvre l’action apostolique et sociale. Il passe tout son temps libre à la paroisse. Auprès du Père Carlo, le désir de faire le bien grandit en lui. De nombreuses activités se présentent à lui. Il les saisit avec générosité. Il accompagne le curé dans les visites aux malades, sert la messe et se préoccupe de la sacristie. Il participe au Cercle des ouvriers catholiques, y découvre la question sociale, s’intéresse à la situation de chacun, conseille les travailleurs, étudie avec eux les paroles de l’Eglise. « Rerum Novarum », l’Encyclique prophétique de Léon XIII, la première sur la condition des ouvriers, ne date que de quelques années. Publiée en 1891, elle révèle soudain une attention insoupçonnée de l’Eglise au nouveau monde industriel et à ses retombées sur la vie des familles populaires, et des immigrés. De 1897 à 1900, Artémide mène ainsi une vie apostolique intense. Ces trois années lui apporteront une bonne formation.









































III - L’APPEL DU SEIGNEUR



Presque naturellement, Artémide ressent le désir d’entrer chez Don Bosco. Son engagement spirituel, sa volonté de servir Dieu et le prochain le portent vers lui. Le témoignage du Père Cavalli, devenu son ami, et la joie rayonnante de la communauté salésienne l’encouragent à consacrer sa vie au Seigneur. Le développement de l’œuvre de Don Bosco en Patagonie exerce sur lui une véritable fascination. Dans la bibliothèque du curé, il trouve la vie de ce prêtre de Turin, apôtre des jeunes. Elle le passionne.


Appelé à la vocation salésienne


Le Père Cavalli lui propose donc de s’engager sur le chemin du sacerdoce, dans la société de Saint François de Sales. Il rend visite à ses parents. Une de ses petites nièces, Elena Reggiani raconte : « Par ma tante Delphine, j’ai su que le Père Cavalli vint chez ma grand’mère, la maman d’Artémide. Il lui dit que Artémide avait la vocation, et qu’il voulait entrer au séminaire pour se faire prêtre. Grand’mère lui répondit : « Je serais vraiment heureuse si c’est sa vocation, mais qu’il réfléchisse bien. Je serais tellement peinée s’il devait rentrer à la maison. » Les témoins sont unanimes : « Il n’y eut aucune opposition ni de la famille, ni des salésiens. » Artémide est décidé. Il ne retarde pas son départ. Il a 20 ans. Il ne peut plus perdre de temps pour étudier.

Le Père Cavalli l’accompagne de ses meilleures recommandations : « Le soussigné déclare que durant son temps de résidence dans cette ville de Bahia Blanca, et comme fidèle de la Paroisse ND de la Merci, il a eu une conduite irréprochable. Il a été travailleur, économe, modeste, humble, obéissant, préoccupé de la gloire de Dieu. Il n’hésite pas à se déclarer catholique, aussi bien en public qu’en privé. C’est avec une vraie dévotion qu’il s’approche des sacrements …. »

Le 19 avril 1900, Artémide entre au Centre des aspirants salésiens de Bernal. Fondée à peine cinq ans auparavant, en 1895, la Maison accueille aussi novices et post-novices.


Jeune adulte, en classe avec des adolescents


A 20 ans, sans complexes, Artémide s’asseoit sur les mêmes bancs que ses nouveaux compagnons de classe, des enfants de 11 à 14 ans. Les conditions ne sont pas les meilleures. Les travaux manuels exigent de grands efforts physiques. Il faut charrier de la terre, transporter du matériel pour les constructions, soigner la propreté des salles. Tout cela nécessite beaucoup d’effort et parfois l’alimentation laisse à désirer. Le climat très humide ne favorise pas les santés.

Le Père Feliciano Lopez, son supérieur et ami, voit son application et les progrès qu’il réalise. « Parti de la pauvre petite école d’un village italien, il en arrive rapidement à écrire, à parler aisément, en très bon espagnol, sur des thèmes très divers, avec une bonne logique. En deux petites années de séminaire, avec des enfants, il arrive à une bonne intelligence du latin liturgique. Il retient facilement des pensées de l’Ecriture, et même de véritables tirades en latin. Il n’a pas de difficultés intellectuelles. Il est réellement intelligent… »

Ses lettres à sa famille à cette époque, donnent un témoignage très significatif de ses dispositions intérieures. Il reste résolument optimiste. Il garde une adhésion joyeuse à la vie de la communauté. Il manifeste un esprit profondément religieux. Le 23 avril 1900, il n’hésite pas à écrire aux siens : « Je passe une vie heureuse ». Il poursuit : «  Je suis très content. Ils m’ont mis aux études. Lorsqu’on entre dans ce genre d’école, on est tout surpris d’y trouver 200 adolescents qui travaillent avec beaucoup d’attention. Les supérieurs sont très bons et les élèves joyeux. » Artémide se formera et étudiera ainsi durant deux ans au Centre d’aspirants de Bernal.


Victime de son dévouement. Pourra-t-il encore être prêtre ?


Une circonstance imprévue va changer sa vie au début de 1902. Après de longs mois de souffrances, un jeune prêtre salésien, Ernesto Giuliani, meurt le 4 janvier 1902 à Bernal, victime de la tuberculose. Lorsque s’est déclarée la maladie, les supérieurs ont mis près de Ernesto, un aspirant pour le soigner. Celui-ci tombe malade à son tour. On demande alors à Zatti d’assister le jeune prêtre. Zatti, déjà physiquement affaibli, est bientôt, lui aussi, atteint par le mal. Les poumons sont rapidement contaminés. Bien des éléments ont pu jouer. Les travaux accomplis tout enfant, en Italie, étaient durs. Le surcroît de fatigue pour rattraper le retard des études a été intense. Le climat de Bernal est loin d’être aussi sain que celui de Bahia. Eliseo, frère d’Artémide, est mort de tuberculose. A cette époque, ce mal est pratiquement incurable. Il met la vie de Zatti en danger, et l’abandon de Bernal qui en résulte, questionne fortement sa marche vers le sacerdoce. « Il est facile d’imaginer son état d’âme, note un de ses amis. Mais nous devons constater qu’il n’exprima jamais de plainte sur ce qui lui arrivait, ni pour sa maladie, ni envers ses supérieurs, ni pour les circonstances où il se trouvait ». Le 19 janvier, il écrit à ses parents, avec une certaine discrétion: « Je ne suis pas totalement sûr encore de recevoir la soutane. ». Artémide, tout en signalant ainsi ses difficultés à sa famille, ne veut pas trop les alerter, mais il sent certainement déjà venir vers lui un obstacle de taille à sa préparation sacerdotale. Il reste serein. Cette expérience, avec sa charge d’incertitudes, va révéler la force de sa spiritualité.


Le Père Cavalli envoie Zatti se soigner à Viedma


Les Supérieurs salésiens, qui, tous, l’estiment, cherchent à bien le soigner. Son Provincial, le Père José Vespignani, très grande figure salésienne dans l’Histoire des Missions en Amérique latine, décide immédiatement de l’envoyer en montagne, où l’air sera meilleur pour lui. Zatti part à Junin de los Andes, sur les hauteurs de la Cordillère. Mais au moment de prendre le train dans la gare « Constitucion » de Buenos Aires, il a un vomissement de sang. Il voyage néanmoins vers Bahia Blanca. Il s’arrête chez ses parents. La maman le soigne bien et veut le garder, mais, lui, très décidé à être salésien, veut poursuivre vers Junin. Toute la famille s’oppose à le voir partir dans cet état. Ils vont voir le Père Cavalli. Celui-ci se rend compte très vite du danger. Junin est loin. Pourquoi ne pas envoyer Zatti à Viedma ? C’est beaucoup plus proche et y est très connu comme bon médecin le Père Evasio Garrone, salésien. « Il le soignera efficacement », pense à juste titre le Père Cavalli. M. Rissone, salésien coadjuteur, évoque les détails que Zatti lui-même lui a conté. Le voyage s’est effectué avec une grande charrette, dite « La Galera ». Montée sur de très hautes roues, elle est tirée par plusieurs attelages de chevaux. C’était le moyen de transport utilisé avant l’installation du chemin de fer en 1912. Zatti crache le sang, et ne peut rien manger. Le fleuve Colorado est haut et largement étalé. Zatti voyage sur le haut de la fameuse charrette. Il ne peut rester en bas. Un soir, comme le convoi s’est trompé de route, ils doivent tous dormir dehors  « dans un champ, à la belle étoile ! ». Ce n’est évidemment pas pour aider les santés. Zatti écrira à sa famille le 5 mars 1902 : «  Chers parents, Arrivé hier à Viedma, après un heureux voyage en « galera », je profite aujourd’hui pour vous écrire. Je vais bien, parce que la « galera » était peu chargée de voyageurs et de marchandises. Nous devions arriver le lundi soir à Patagones, mais, comme nous nous sommes trompés de chemin, nous avons dormi en plein champ, à ciel ouvert. Nous sommes arrivés le mardi matin. Avec beaucoup de joie, j’ai rencontré mes chers frères salésiens. Le Père Garrone, médecin, m’a vu pour ma santé. Il m’a promis que dans un mois, je serai bien. Avec l’aide de la très sainte Vierge et de Don Bosco, je guérirai. Priez pour moi, je prierai pour vous,

Artémide Zatti »


La famille de Zatti lit la lettre et comprend suffisamment les risques pris : « Nous avons dormi en plein champ », mais Zatti n’en a rien dit. 

Et maintenant, Zatti arrive à Viedma. Il va y rester toute sa vie.








IV - VIEDMA VERS 1900,

LA CITE ET L’ŒUVRE SALESIENNE




C’est en 1779, en pleine domination espagnole, qu’un certain Francesco Biedma fonde, à 35 km du fleuve Rio Negro, la ville de Carmen de Patagones. Sur chaque rive du fleuve, grandit un quartier de la nouvelle cité. Cent ans après, en 1879, ces bourgs se transformeront en deux villes. La première gardera son nom. La deuxième prendra le nom du fondateur. Et « Biedma » deviendra « Viedma ». En 1883, le gouvernement argentin qui vient d’organiser la conquête militaire de la Patagonie, découpe ces nouveaux territoires et Viedma est choisie comme capitale de la région du Rio Negro. La ville qui compte environ 3000 habitants va se développer considérablement. Elle ouvre la voie vers le grand sud.


Les débuts de la Mission


Les missionnaires de Don Bosco pour l’Argentine sont bien arrivés en 1875, mais le premier d’entre eux qui viendra à Viedma y pénètre seulement en 1880. Tous ont travaillé d’abord à Buenos Aires, et dans la région de cette capitale, au service des immigrés italiens. Viedma, plus au sud, au nord de cette Patagonie où Don Bosco veut entrer au plus vite, a dû attendre cinq longues années d’un lent mûrissement.

Lorsque y arrive Zatti en 1902, les salésiens y sont solidement installés. Le P. Bernardo Vacchina (1859-1935) a été nommé Directeur de la Maison St François de Sales de Viedma en 1898. Il note dans ses mémoires :

« J’ai trouvé le siège du Vicariat complètement transformé. Le Père Juan Aceto avait construit sur les indications de Mgr Cagliero un édifice monumental, le collège, avec d’amples locaux pour le personnel de la mission, pour les étudiants et apprentis, anciens élèves et externes.

J’ai admiré les nouvelles salles, les réfectoires, les écoles, les ateliers, et la magnifique salle de théâtre. La chapelle épiscopale, celle des sœurs et les pièces de l’évêque sont artistiquement décorées.

L’hôpital avec ses nouvelles constructions peut recevoir un nombre considérable de malades. La pharmacie, très bien fournie, compte avec un bon esprit salésien et fait un grand bien, distribuant gratuitement les remèdes aux plus pauvres et accordant des facilités à tous.

Le Père Evasio Garrone exerce avec une grande expérience l’art médical. Il visite sans honoraires les malades pauvres et leur fournit des remèdes. La charité et l’abnégation des fils de Don Bosco ont conquis la population et toute la région. »

En 1899, la ville est presque totalement détruite par les inondations. Le Rio Negro a débordé. Les Collèges de Marie Auxiliatrice et des salésiens ont pu être protégés et aider nombre d’habitants désemparés.

Viedma n’a pas encore d’industries, mais seulement quelques ateliers d’artisans. Le commerce s’est un peu plus développé, à cause du fleuve.


Le rayonnement de Viedma


Dans la Maison salésienne de Viedma réside, déjà depuis 1894, le Vicariat apostolique, et de Viedma, rayonne tout le mouvement missionnaire de la Patagonie jusqu’à Bariloche, à 1500 km vers le sud. C’est de Viedma aussi, que le gouvernement dirige les Provinces du sud. La ville est devenue le centre de l’action religieuse, politique et sociale de la zone.

L’œuvre salésienne a un fort rayonnement spirituel. Mgr Cagliero peut écrire à Don Rua, Recteur Majeur : «  La Maison de Viedma forme un vaste complexe avec écoles, ateliers, patronages de garçons et de filles, foyers d’accueil, hôpital, pharmacie, boulangerie, formation à la maçonnerie, et autres métiers qui suscitent l’admiration de tous. La foi chrétienne pénètre dans les familles et les quartiers. L’instruction, par la force des choses, nous est confiée. Des ennemis deviennent des amis, parce qu’ils voient que ceux qui agissent, qui travaillent, qui vont de l’avant, ce sont les salésiens. Dans l’action que les salésiens rayonnent, résident l’avenir de la Patagonie, son progrès et son salut. »

C’est dans cette ambiance que Zatti travaillera, accompagnant et favorisant l’amélioration de la vie des citoyens de Viedma, Patagones et autres localités.


Une œuvre salésienne importante


En 1902, Don Bosco à Viedma est en effet une œuvre véritablement rayonnante. Un travail considérable a été réalisé par le premier groupe de missionnaires. L’œuvre comporte le Collège de garçons St François de Sales, aux mains des salésiens, le Collège de filles ouvert par les salésiennes en 1884, l’Hôpital San José, créé par Mgr Cagliero en 1889, et la Colonie agricole San Isidro, qui date de 1891. La maison salésienne a une communauté de 9 prêtres, 13 salésiens coadjuteurs, et 3 abbés étudiants. Durant des années, elle gardera à peu près ce même nombre de religieux. Parmi les coadjuteurs, plusieurs hommes très compétents dans leur profession, en particulier Andrès Patriarca. Architecte, il construira la cathédrale de Viedma, et commencera l’église paroissiale de Patagones.

D’autres événements feront encore grandir l’enthousiasme dans cette ambiance de dynamisme salésien. En 1901, commence la construction de la cathédrale. Malgré nombre de campagnes anticléricales, elle est consacrée en 1913. En 1903, l’ouverture d’une petite imprimerie permet la parution d’une revue : « Fleurs des champs » (Flores del campo) pour lutter contre les attaques antireligieuses de la presse locale. Zatti sera propagandiste enthousiaste de cette publication.

L’année 1905 voit l’inauguration de « l’Ecole Agricole San Isidro » sur un terrain des salésiens, proche du Collège. De l’Ecole agricole arriveront la viande et la verdure pour l’Hôpital et, en 1941, quand elle cessera de fonctionner comme école, l’Hôpital s’y installera. Il y fonctionnera dix ans.

Viedma est un lieu privilégié pour le rayonnement apostolique qui va marquer la mission de Zatti. De cette ville, la présence salésienne s’ouvre sur la vaste Patagonie déployée vers le sud. A Viedma réside le Vicaire apostolique.

Au plan sanitaire, l’endroit se révèle comme un des meilleurs choix. L’altitude, le bon air, la douceur du climat favorisent les santés. La présence d’un médecin, le P. Evasio Garrone, salésien, est inestimable.

Zatti sera à Viedma de 1902 à 1951, soit 40 ans. Son intense activité va non seulement rayonner sur la ville, qui s’accroît sans cesse, mais aussi sur toute la vaste Province du Rio Negro.


Une « première en Patagonie » : l’Hôpital San José


Dans cette zone de pionniers, face à l’établissement rapide de nouvelles populations dans divers centres au large du Rio Negro, personne n’a songé à l’assistance sanitaire. Sur des centaines de kilomètres, il n’y a pas d’hôpital, ni le moindre centre de santé. Il y a bien quelques médecins militaires qui donnent des soins dans les garnisons. Mais ils changent continuellement, dans l’impossibilité de s’adapter à ce milieu. Seul, un missionnaire protestant, médecin et pharmacien résistera quelques années. Très aimé des populations, il disparaîtra après 1900.

L’Hôpital San José a surgi comme un geste imprévu de charité « pour pouvoir attendre quelques cas urgents des plus pauvres de la ville ». Mgr Cagliero se rappelle le souvenir laissé par Don Bosco : « Ayez un soin spécial pour les malades, les personnes âgées, les pauvres, et vous gagnerez la bénédiction de Dieu et la bienveillance des hommes. » L’évêque missionnaire n’hésite pas. Un soir, ses salésiens ramènent un pauvre homme malade. On ne peut le laisser chez lui. Où le mettre ? Il y a une ancienne étable. On la nettoie. On apporte un lit. Les sœurs viennent voir le malade. Elles le soignent. Il guérira ! Face aux multiples situations de ce genre où voyageurs, commerçants, militaires, aventuriers de tout bord, sont emportés tous les jours, faute de soins, Mgr Cagliero n’hésite plus. Il construit un hôpital. C’est une « première » dans l’histoire salésienne et dans celle de la Patagonie.



Prêtre et médecin


Une chance veut qu’à ce moment soit envoyé à la Communauté salésienne de Viedma, un jeune abbé nommé Evasio Garrone. Pendant son service militaire à Suse, dans son Italie natale, après sa réussite aux examens, on lui a confié la direction d’un hôpital militaire. Devenu salésien, il est choisi pour partir comme missionnaire en Argentine. Le lendemain de son ordination sacerdotale, le 15 juin 1889, Mgr Cagliero lui donne la responsabilité de l’Hôpital San José.

Très donné à son nouveau travail, le « Père Docteur », comme l’appellent les gens, est estimé dans toute la région. Il ouvre une pharmacie qui vend ou distribue gratuitement les médicaments à Viedma et dans toute la zone. Heureux de sa vocation et plein d’humour, il écrit à Don Rua, Recteur Majeur : « Notre pharmacie fait des merveilles sur les deux rives du Rio Negro. Je n’ai pas une minute de repos. Je peux chanter comme Figaro : « Garrone par ici, Garrone par là, tous me désirent, tous me réclament dans la ville… », puis sur un ton plus professionnel : « Vous ne le croirez pas ! Cette dernière année, nous avons accueilli plus de 5000 personnes… »

Mgr Cagliero demande au St Siège et obtient pour le Père Garrone l’autorisation d’exercer sa profession de médecin. En 1895, signe de reconnaissance de la nation argentine au travail des missionnaires, c’est, cette fois, le Conseil National de l’Hygiène, qui, en l’absence de titres légaux, demande « qu’il puisse exercer en paix sa mission, si bonne et si désintéressée. »

Cette recommandation n’empêche pas les difficultés. Tel médecin arrivé sur la zone dénonce « ce confrère sans diplôme ». Les anticléricaux accusent le Père d’exercer illégalement sans autorisation. Menaces et amendes se multiplient, tandis que les gens ne cessent de le défendre vigoureusement. Le Père Evasio Garrone meurt en 1911, béni par tout Viedma. Il laisse l’hôpital et la pharmacie sous la responsabilité de deux laïcs, Hyacinthe Massimi et Artémide Zatti. Massimi, avec qui Zatti sera toujours très ami, quittera les salésiens un peu plus tard.

Après sa visite extraordinaire à Viedma, Don Paolo Albera, du Conseil Supérieur, puis Recteur Majeur, notera dans son compte-rendu à Don Rua : « La Pharmacie s’est révélée comme une vraie Providence pour cette zone. »












V- VERS LA CONSECRATION RELIGIEUSE




Le 5 mars 1902, un jour après son arrivée à Viedma, Artémide peut écrire à sa famille. « Au sujet de ma santé, le Père Garrone, médecin, m’a vu. Il m’a promis que dans peu de temps, je serai complètement guéri. »


Aspirant et malade à Viedma (1902 -1904)


Quelques mois plus tard, le 7 août 1902, malgré ses craintes de ne pouvoir être accepté comme prêtre, il manifeste à sa famille son attachement indéfectible à sa vocation.

Il leur écrit : « Je vous fais savoir que c’était non seulement mon désir, mais aussi celui de mes supérieurs, de revêtir le saint habit. » A cette époque, prendre la soutane était le premier pas pour devenir prêtre ! Il continue : «  Mais il y a un article de la sainte Règle qui dit qu’on ne peut recevoir l’habit si on a le moindre problème de santé. C’est ainsi que, si Dieu ne m’a pas trouvé digne de l’habit jusqu’à présent, j’ai confiance dans vos prières pour guérir au plus vite et ainsi réaliser mes désirs. »

Le Père Garrone son ami, se montre, lui, optimiste et l’encourage beaucoup. Il se préoccupe de sa santé. Il devient à la fois son médecin et directeur spirituel.

Artémide le décrit ainsi: « C’est un prêtre grand, fort, et très bon. Après Marie auxiliatrice, c’est à lui que je dois la vie. »

Comme il n’est pas obligé de garder la chambre, les supérieurs lui offrent tout ce dont il a besoin pour bien se rétablir : promenades, alimentation abondante et soignée avec les produits de l’Ecole agricole. Il peut aussi s’occuper à de menus travaux, par exemple, mettre de l’huile sur les charnières des portes.

Assez souvent, il sort, en compagnie du P. Angel Veneroni, curé de la cathédrale, pour une promenade à pied vers un dépôt de bois. Là il se repose sous les arbres, assis sur des troncs abattus que les bûcherons ont laissé à même le sol.


Une promesse audacieuse, lourde de foi et d’espérance


Peu à peu, la santé de Zatti s’améliore. Le Dr Garrone est à la fois son médecin et son guide spirituel. Tous deux ont un amour très fort de la Vierge, et tous deux aiment le travail bien fait. Tous deux se sentent envoyés par le Seigneur pour vivre auprès des plus pauvres. La longue maladie de Zatti a malgré les soins, laissé des traces. Le doute reste dans l’esprit des supérieurs ! Faut-il le laisser avancer vers le sacerdoce ?

« Il semble, écrira le Père Vecchi, 8e successeur de Don Bosco, et parent de Zatti, que les supérieurs durent proposer à Zatti , qui persévérait dans son intention de se consacrer à Dieu, de faire la profession de salésien coadjuteur… C’était le don total à Dieu dans la vie salésienne, à laquelle Artémide aspirait en premier lieu. La proposition des supérieurs et l’acceptation de Zatti ont dû avoir lieu entre 1904 et 1906… »

Zatti reste attaché au Dr Garrone. Il travaille à la pharmacie et se montre très proche des malades. Il est toujours joyeux et serein. Que s’est-il passé entre lui et son Docteur ? Bien plus tard, une déclaration apparaîtra, révélant une amitié profondément spirituelle entre les deux hommes. Certains confrères de la communauté étaient-ils au courant ? Zatti n’en parlera que très longtemps après. Mystérieuse rencontre entre lui, son ami Docteur et la Vierge Marie ? En tout cas, il restera un accord secret de vie profondément intérieure entre deux hommes sérieusement enracinés dans leur foi.

C’est seulement en 1915 que Zatti révélera publiquement ce qui s’est passé entre eux.

Cette année-là en effet, à l’occasion de l’inauguration d’un monument funéraire en hommage au P. Garrone, est publié un numéro spécial de la revue “Flores de Campo”, où l’on trouve le témoignage suivant du serviteur de Dieu :

« Si je suis bien, en bonne santé, et en état de pouvoir faire du bien à mon prochain malade, je le dois au P. Docteur Garrone

Voyant que ma santé se dégradait de jour en jour, puisque j’étais atteint de tuberculose avec des hémoptysies fréquentes, il me dit de façon catégorique que, si je ne voulais pas finir comme tant d’autres, je devais faire à Marie auxiliatrice la promesse de rester toujours à ses côtés, pour l’aider à soigner les malades et que lui, confiant en Marie, me guérirait. Je l’ai cru, parce que je connaissais la renommée suivant laquelle Marie auxiliatrice l’aidait de façon visible. J’ai promis, parce que j’ai toujours désiré aider mon prochain d’une manière ou d’une autre. Et Dieu ayant écouté son serviteur, je guéris ».

Suit la signature : “Artémide Zatti” .


Dans l’Histoire de la vie religieuse la « déclaration de Zatti » écrit déjà de nouvelles lignes. : «  J’ai cru, j’ai promis, j’ai guéri ». Les deux amours de Zatti er de Garrone, la Vierge Marie et les plus pauvres, jaillissent, chez eux, profondément vécus dans le charisme salésien. La simplicité courageuse de Zatti et la bonhomie contagieuse de Garrone suscitèrent cette œuvre inespérée sur ces terres abandonnées de la Patagonie ! Curieuse naissance d’un hôpital, de la part d’une congrégation qui n’imaginait pas une telle entreprise, mais dont tous les plus hauts supérieurs surent reconnaître qu’elle était « providentielle ».



Rencontre avec un autre “chercheur de Dieu”, Ceferino Namuncura


L’arrivée à Viedma de Zatti a presque coïncidé avec celle de Ceferino Namuncura. Ce jeune indien mapuche est le fils du puissant cacique Manuel Namuncura, qui tiendra tête durant des semaines, avec son peuple, face à l’envahisseur argentin qui veut, coûte que coûte, conquérir l’immense Patagonie. Voyant rapidement l’impossibilité d’une résistance face à des forces bien supérieures, le courageux chef guerrier de la Pampa aura la sagesse d’envoyer ses ambassadeurs pour dialoguer d’un accord. Les ambassadeurs d’abord refusés par le gouvernement hautain de Buenos Aires, trouveront sur leur route le célèbre missionnaire salésien Milanesio, qui interviendra comme médiateur auprès du pouvoir argentin. Don Bosco entrait en action pour sauver la vie du peuple indien de la Patagonie.

Avec sa délégation, le célèbre chef Manuel rencontre les représentants de l’Argentine le 23 avril 1884. Son geste sauve ses frères « mapuches » de l’écrasement. Ceferino, un de ses nombreux fils, devient rapidement ami du Père Milanesio et des autres salésiens. En lui aussi, se fait sentir l’invitation du Christ à devenir prêtre.


Zatti et Ceferino arrivent donc tous deux de Buenos Aires, et tous deux ont la même maladie pulmonaire. Etonnante rencontre salésienne que celle-ci ! Deux jeunes laïcs vont se trouver ensemble pour s’épauler, soigner leur santé. Ils feront davantage ! Ils marcheront ensemble pour « chercher Dieu » et grandir en sainteté. Ils sont jeunes tous deux, et tous deux veulent devenir prêtres salésiens. Les chemins de Dieu vont les mettre tous deux devant des obstacles à leur sacerdoce. La maladie emportera très vite le jeune indien, et Artémide qui se voit déjà prêtre au service de ce peuple mapuche y renoncera avec joie, se consacrant au Seigneur comme salésien coadjuteur. Tous deux se sont tellement aidés que les voici maintenant parmi ceux que l’Eglise a invités sur ses autels.

Leur rencontre a lieu à Viedma en 1903. Zatti a 23 ans, et Ceferino Namuncura, né dans le village indien de Chimpay, le 26 août 1886, n’en a que 17. Ceferino vient d’étudier au collège salésien de Pie IX de Buenos Aires, où il a été très heureux. Son arrivée au Collège St François de Sales de Viedma est inscrite sur les registres le 15 janvier 1903.


Les amitiés de l’enfant de la Patagonie et du jeune immigré italien


Depuis 1902, Zatti travaille à l’Hôpital San José. Il aide dans la boutique de la pharmacie.

Ceferino, dix jours après son arrivée au Collège St François de Sales, où il va poursuivre ses études, voit la venue de Mgr Cagliero. L’évêque missionnaire est venu pour les exercices spirituels des salésiens. Ceferino s’offre pour aider les retraitants dans le service des repas. Il a ainsi l’occasion de conversations avec plusieurs d’entre eux pendant la pause. En quelques jours, il fait connaissance avec le Secrétaire de Mgr Cagliero, avec le Père Garrone, avec le P. Faveiro, musicien, et avec les nombreux coadjuteurs, dont Zatti qui le soigne à l’infirmerie, Antonio Patriarca, architecte de la cathédrale, José Caranta, sacristain de la paroisse.

Don Garrone et Zatti se préoccupent avec soin de la santé de Ceferino. Des années plus tard, Zatti appelé à témoigner pour la vie et les vertus de Ceferino, déclarera au procès de sa cause :

«  On m’avait confié l’attention de Ceferino, affaibli au plan pulmonaire. Les soins les plus efficaces à cette époque étaient de fortifier le malade avec une alimentation saine et abondante. Chaque matin, je l’attendais à l’infirmerie. Je le voyais arriver, souriant, exactement à 10h 00, durant la récréation scolaire. Je lui tenais tout prêt, un bon bifteck, un verre de vin et du pain frais. Tous deux, nous prenions, ensemble, ce remède, préparé par notre cher médecin, le Père Garrone.

Le soir, après la classe, nous nous retrouvions une autre fois, pour la deuxième série de soins de la journée. Le Père Garrone nous donnait quelques pièces de monnaie. Nous devions faire un tour, prendre l’air, et acheter quelques œufs du jour dans une des fermes voisines. Au retour, nous préparions quelques bons cocktails, pour fortifier nos organismes.

Je me souviens encore de la douceur, du sourire de Ceferino et de sa profonde reconnaissance.

Assez souvent, il me disait au retour de la promenade : «  Regarde, Zatti, la bonté de nos supérieurs. Ils nous aiment comme s’ils étaient notre père et notre mère. Nous allons prier le Rosaire à leurs intentions… » Et nous marchions en priant les mystères du Rosaire. »


Tous deux étaient bien soignés. Le Père Garrone tenait à ce qu’ils mangent bien. Les anecdotes fleurissent : « Il les envoyait tous deux, raconte le Père Mario Brizzola, de l’autre côté du ruisseau, à un endroit où ils pouvaient trouver des œufs de poules sauvages et en manger autant qu’il voulait. Une après-midi, tous deux en avalèrent dix-neuf. »

Le 28 décembre 1902, le Père Vecchina, Directeur de l’œuvre, organise pour les clercs, étudiants de philosophie et de théologie, et Zatti, une promenade sur le Rio Negro, jusqu’à Guardia Mitre, à 70 km de Viedma. Une véritable fête pour tous. Mais tout à coup, l’ancre du petit bateau à vapeur, se prend dans un réseau de lianes et reste bloquée sous l’embarcation. Zatti se jette à l’eau, et tout malade qu’il est, réussit à libérer l’amarre. Naturellement, il devient le héros de la journée, mais cette baignade forcée ne favorisera pas sa santé.

Pendant ce temps, l’œuvre salésienne de Viedma continue de se développer. En 1903, paraissent les premiers numéros de la revue « Flores del campo », « Fleurs des champs ». Artémide s’empresse de les envoyer à sa famille.

Mais voici que Namuncura et Zatti vont être séparés. En 1904, Mgr Cagliero, part en Italie, et emmène avec lui Ceferino, pensant pouvoir rencontrer en Europe ce qu’il faut pour le guérir. Le jeune indien mourra à Rome, loin de sa Patagonie natale.

Zatti écrira : « J’ai reçu de lui une image avec cette dédicace : « A mon infirmier Artémide Zatti, saluts cordiaux. »


Construire un nouvel hôpital


L’hôpital continuait de prêter tous ses services mais ses bâtiments devenaient de plus en plus difficiles à entretenir. Il était urgent de les rénover. Déjà en 1908, lors de sa visite spéciale, Don Ricaldone, Conseiller de Don Rua, avait précisé qu’il fallait améliorer cet ensemble.

Plus insistant, en 1912, le nouveau Directeur de la Maison St F. de Sales, Don Luis Costamagna, écrit au Recteur Majeur Don Albera : « L’Hôpital est dans un état déplorable. Nous pensons organiser une loterie pour le refaire entièrement. »

Le nouveau Provincial, Don Luis Pedemonte, a compris l’importance de l’hôpital et la nécessité de le rebâtir entièrement. Il ouvre une souscription, crée une commission de bienfaiteurs, et demande de l’aide au Gouvernement. Le 8 février 1912, il pose la première pierre.

Don Pedemonte fait toute confiance à Zatti pour l’organisation des travaux. Voyageant sans cesse pour visiter ses nombreuses implantations, il a cherché le financement nécessaire. Maintenant, il laisse à Zatti la tâche des nouvelles constructions. Celui-ci, très précis, suit les ouvriers, surveille les commandes, règle les factures et se fait aider pas ses confrères. Andrès Patriarca, coadjuteur comme lui, lui apporte ses compétences d’architecte et de constructeur. Viedma assiste là à un remarquable témoignage entre un Provincial zélé, et sa confiance à ses religieux, laïcs ou prêtres, heureux d’offrir à Dieu et aux hommes la richesse de leur savoir faire et leur joie de se sentir authentiquement responsables.

Zatti put montrer toutes ses compétences dans le suivi d’une telle opération. Lui et l’entreprise travaillèrent sérieusement. Don Pedemonte était heureux lors de ses passages d’encourager tout ce monde. Le 5 septembre 1915, la Province pouvait inaugurer les nouveaux bâtiments. Trois ans de longs travaux et de disponibilité de nombreux salésiens autour de Zatti avaient permis ce magnifique résultat. Ce même 5 septembre 1915, la revue « Las Misiones de la Patagonia » ( ndlr. Les Missions de la Patagonie ») publiait un numéro spécial sur cet événement, avec les noms des bienfaiteurs. Le gouvernement lui-même apportait aussi son aide, une offrande au nom de la nation, de 3528 pesos. C’était un signe de haute reconnaissance publique !



Citoyen d’Argentine et diplômé en Pharmacie


En 1914, Zatti opte pour la citoyenneté argentine. Cela lui paraît important vu sa charge professionnelle, dans la société de ce pays qui l’a reçu tout jeune comme immigré avec toute sa famille. Sur sa nouvelle carte d’identité, il est noté comme « employé de pharmacie ».

Trois ans après, en 1917, il obtiendra son diplôme de « pharmacien ». Il aura travaillé considérablement, étudiant constamment lui-même, se faisant conseiller par ses amis médecins. Il a 36 ans. Il se présente aux examens. Puis, il voyage à La Plata pour recevoir son titre. Couronnement d’un travail acharné, son diplôme lui est remis :

« Direction Générale de la Santé

et des Œuvres sanitaires de la Province de Buenos Aires.

Reçu aux examens passés devant cette Direction le 28 mai 1917,

Artémide Zatti, de nationalité italienne, âgé de 36 ans,

est reconnu comme Pharmacien.

La Plata, 30 mai 1917. »




























VI – LA VIE A L’HOPITAL



Le Père Raùl A. Entraigas, sdb, ami personnel de Artemide Zatti, nous a laissé une description d’une journée de Zatti à l’hôpital :

« Il se lève de bonne heure, à 4h 30 ou 5h 00. Il allume le feu. Puis il va à l’église. Il fait la méditation avec la communauté. Il participe à la messe. Souvent il dirige lui-même prières et chants. »

C’est seulement 41 jours avant sa mort, qu’on ne le vit plus, ni à la méditation ni à la messe.


Une journée de Zatti


« Sortant de la chapelle, il va dans les salles des malades. Il arrive souriant, et dit : « Bonjour ! Vive Jésus, Joseph et Marie » Joyeux, il demande:  « Tout le monde respire ? ». Tous remuent dans leur lit et répondent en chœur : « Tous, Don Zatti » … Gracieusement, il prononce alors : « Deo gratias ! », puis il passe de lit en lit pour voir ce dont chacun a besoin, et aussi pour vérifier si l’un ou l’autre « ne respire plus ». Cela arrive parfois sans que personne ne s’en aperçoive. Zatti alors charge le défunt sur son épaule, et tranquillement, le transporte à la « morgue »

« Il va ensuite au réfectoire prendre son petit déjeuner. Une grande tasse de café au lait avec du pain. Il a l’habitude de prendre une cuiller à soupe « pour aller plus vite ». Tout de suite après, il se retrouve au service de ses pensionnaires. Il rend visite à chacun, puis le voilà parti en bicyclette faire des piqûres, à mille et un malades sans ressources dans les quartiers environnants. Lorsque commencèrent les antibiotiques, le travail augmenta pour Zatti. Fréquemment, il devait aller faire des injections de pénicilline, parfois toutes les deux heures, dans plusieurs maisons, y compris en pleine nuit. Rarement il dormait toute la nuit… »

« A midi exactement, il est à la prière qui précède le repas…

Après le déjeuner, il joue aux boules avec les convalescents. A 14h 00, il repart en bicyclette, revient à 16h 00 prendre le goûter et parler à ses amis. A 18h 00, il est de nouveau en communauté pour diriger la lecture spirituelle. Pendant le repas du soir de ses malades, il travaille à la pharmacie. Puis il fait prier les malades, hommes et femmes, avant de leur donner « le mot du soir ».

Ce « mot du soir » reste depuis Don Bosco, une pratique constante dans toutes les Maisons de la Famille salésienne. Don Bosco, jeune prêtre, avait pris l’habitude de dire une brève histoire, ou de détailler une pensée à ses jeunes, avant qu’ils aillent dormir. Ses « mots du soir » les captivaient et étaient attendus.

« Lorsque Zatti se sépare de ses malades vers 19h 00, il lui reste encore une heure. Il l’utilise pour sa correspondance, avant le repas du soir à 20h 00. »


Cinq jours de vacances… en prison…


En août 1915, un prisonnier, Patricio Cabrera, qui a besoin de soins, est interné à l’hôpital San José par le Directeur de la prison. Naturellement, dans de tels cas, la police a la charge d’assurer la surveillance du prisonnier. Que s’est-il passé ? La vigilance n’a pas fonctionné. Et, dans la nuit du 18 au 19 août,

Cabrera s’échappe de l’hôpital.

Le 20, dès qu’il s’en rend compte, Zatti se présente devant le juge pour faire la déclaration correspondante. Vu le climat anticlérical qui règne alors dans Viedma, on peut penser sans trop hésiter que certains aient imaginé immédiatement, profitant de cet événement, de frapper un coup sévère à l’œuvre salésienne en la personne du Directeur ou du Provincial. En tout cas, la déposition que fait Zatti est le prétexte pour rejeter sur lui toute la responsabilité de l’incident. Et le 20 août, vers 13h 00, escorté de deux agents, le voici conduit à la prison. Accusé de graves négligences, dans la surveillance du prisonnier, il subit un premier interrogatoire de 14h 00 à 15h 00.

Enfermé ensuite dans une cellule, il y prie tranquillement son chapelet.

Très vite, la nouvelle se répand en ville. Tous veulent se rendre à la prison, qui se trouve littéralement assiégée aux heures de visite. Débordé, le commissaire décide alors de faire venir le prisonnier à la porte de l’établissement, entre deux gendarmes. La fanfare des Scouts de Don Bosco, débouche alors au grand complet dans la rue, avec son chef, le salésien coadjuteur Geronazzo, et lance une de ses plus vibrantes marches militaires

Le 23 août, se déroule l’interrogatoire devant le juge. Zatti, alerte avec ses 35 ans, doit traverser toute la ville, encadré par les policiers pour aller jusqu’au tribunal. Il marche souriant, salue les gens venus si nombreux sur son parcours et dit ostensiblement son chapelet.

Le lendemain, 24 août, journée traditionnelle dédiée chaque mois à Marie auxiliatrice, la Famille salésienne réalise un véritable coup de théâtre, face à cette arrestation arbitraire. Le Père Gaudencio Manachino, Directeur de la Maison de Viedma, salésien missionnaire, venu d’Italie, rappelle aux autorités judiciaires qu’il est lui-même Docteur en Droit, et à ce titre, exige de prendre la défense de son confrère. Devant un auditoire de juges et d’hommes de loi stupéfaits, et face à un peuple qui applaudit, il prend la parole. Orateur de talent, il a bâti soigneusement son texte en douze points. Il laisse éclater, irréfutable, la claire innocence de Zatti. A 17h 00, Artémide rentre à son hôpital. De nouveau, la fanfare est là et toute la foule acclame son « prisonnier libéré »

Un témoin a laissé vibrer son enthousiasme : « Zatti a été reçu comme un empereur romain qui revient, vainqueur de conquêtes lointaines …Il laisse éclater sa joie, non seulement pour le ridicule de cette absurde détention, mais peut-être aussi parce qu’il se sent heureux d’être maintenant, comme Jésus-Christ devant les tribunaux. »

Le 31 août, Zatti est reconnu officiellement exempt de toute culpabilité.

Avec ses amis, il aimait rappeler « ces cinq jours de prison ». Ils avaient été pour lui les seules vacances de sa vie. Cet épisode lui apporta une grande popularité. Depuis trois ans il tenait, seul, toute la responsabilité de l’hôpital. Maintenant, il devenait un héros de la cité.

La canonisation de Don Bosco


En 1934, arrive l’événement attendu par toute la Famille salésienne. Le pape Pie XI, qui, lui-même a connu Don Bosco, dans ses débuts au Valdocco, décide de le canoniser le 1er avril 1934, jour de Pâques. Dans toutes les Provinces de la Congrégation, les préparatifs s’accélèrent. Le Provincial de la Patagonie, le Père Gaudencio Manachino annonce durant la retraite des confrères, qu’il propose comme représentant des salésiens coadjuteurs Artémide Zatti. A l’unanimité, tous approuvent ce choix : Zatti sera leur délégué à Rome.

Rapidement, il faut préparer le voyage. Un médecin lui prête un costume. Un prêtre malade lui offre une vieille valise. Et le Père Provincial lui remet une lettre de présentation pour les maisons qui vont le recevoir.

Sa joie est grande de découvrir Turin, de visiter le Valdocco, l’hôpital de Cottolengo, puis Rome, St Pierre, voir le Pape, assister à la canonisation solennelle. Autre moment de bonheur, le retour à Borretto, son pays natal, servir la messe dans l’église de son baptême, revoir des amis, redécouvrir la maison de son enfance !


Tout démolir


Zatti et ses malades étaient heureux dans leur hôpital San José. L’esprit de famille rassemblait tout le monde dans la paix et l’amitié. Des difficultés allaient bientôt surgir.

En 1934, le St Siège érige en diocèse le Vicariat apostolique de Viedma. Cet événement qui reconnaît et valorise le travail accompli par les salésiens en Patagonie, exige d’eux, par contre, deux engagements. Le premier est de séparer immédiatement les biens qui vont appartenir au nouveau diocèse. Le second est de construire au plus vite le nouvel évêché. Jusque là, le Vicariat apostolique a fonctionné sans trop de problèmes dans une partie du Collège salésien.

Le Père Nicolas Essandi, salésien, professeur tout jeune prêtre à Bernal, est devenu ensuite Directeur de cette maison, puis Provincial de Buenos Aires. En 1935, le voici nommé premier évêque de Viedma. Son désir de travailler tout de suite sur son nouveau diocèse, le pousse à des choix exigeants et rapides. Il souhaite obtenir le terrain de l’Hôpital, situé précisément à côté de la cathédrale. Il charge son Vicaire Général, Mgr Borgatti de réaliser cette opération.

Mgr Borgatti trouve les arguments pour convaincre ses interlocuteurs. Et en 1939, Don Ricaldone, Recteur Majeur, tranche, avec son Conseil, en faveur du jeune diocèse. La nouvelle, reçue avec joie à l’évêché, signifie pour Zatti la démolition de l’hôpital. Bien des gens de Viedma sont inquiets pour la suite : « Où pourront se soigner nos malades ? » Mais il y a encore du temps. Il faut trouver les entreprises de démolition et de construction. Il faut aussi trouver les sommes nécessaires. Dans les familles, on se dit qu’il faudra encore attendre avant de démolir. C’était sans compter avec l’ardeur entreprenante de Mgr Borgatti qui ne se laisse pas arrêter par un premier refus du gouvernement. C’est en effet cette autorité qui doit prendre en charge les frais de construction du nouvel évêché. Mgr Borgatti multiplie les démarches, et en octobre 1941, au moment où commencent les travaux d’adaptation de l’Ecole agricole San Isidro qui doit recevoir les malades de l’hôpital, débarquent les équipes de travailleurs de la Direction Générale d’Architecture. Ces hommes ont l’ordre de commencer immédiatement la démolition de l’hôpital.


Le calvaire silencieux de Zatti


Zatti était-il bien averti du plan qui se mettait en route ? Il ne semble pas que son Provincial ait pensé à lui préciser les dates exactes. Mais tous les témoins sont unanimes : « Artémide n’eut jamais une parole de plainte contre cette situation. » On devine qu’elle n’est pas facile. Toute la responsabilité et l’esprit d’initiative retombent sur Zatti pour venir prendre les malades, les transporter, les acheminer à l’Ecole d’Agriculture, les installer, veiller à faire manger ceux qui sont déjà arrivés et ceux qui ne sont pas encore partis. »

Lorsque le 20 octobre 1941, les ouvriers commencent la démolition de l’hôpital San José, se fait jour une douloureuse réaction des salésiens. La Chronique de la Maison St François de Sales note : « On entend les coups de pioche. La démolition de l’hôpital San José a lieu après 52 ans d’existence pour laisser place au palais épiscopal. Comme toujours, l’hôpital est plein de malades. Sa disparition est regrettée non seulement par son administrateur, M. Artémide Zatti, qui, durant quarante ans a été l’âme de l’établissement, mais aussi par tous les salésiens, par la population de Viedma, qui, toute entière, manifeste sa reconnaissance pour les bienfaits que cet hôpital a procurés. La foule remercie fidèlement, comme hier, le Père Garrone, la sœur Séverine, Don Zatti, Don Francisco Bielawski, et les religieuses de ND Auxiliatrice. »

Zatti doit faire face à de multiples campagnes. Des gens souhaitent le faire parler pour défendre « son » hôpital.

Au cours du procès de béatification, nombre de témoignages de salésiens et d’autres personnes exprimeront le combat intérieur du coadjuteur infirmier durant ces événements.

« La population est indignée que l’on supprime l’hôpital »

« Les gens considèrent bien plus important la survie de l’hôpital que la construction d’un évêché. »

Des audaces plus vigoureuses se font jour. Le salésien Hector d’Angelo, proche de Zatti, signale : «  Le journal « La nueva era » (Ndlr. « La nouvelle époque ») lança une campagne pour défendre l’hôpital. »

Zatti luttait pour vivre profondément « uni à Dieu » au milieu de tous ces problèmes. Le Père Alfredo de Mira, salésien, était à Viedma, en 1941, au cœur de cette crise. Il affirmera au procès de la cause : « Zatti n’a jamais permis que soit critiqué ni l’évêque, ni d’autres. Je veux en rendre témoignage moi- même. Au moment de cette démolition, je lui en parlais comme d’une injustice. Il me répondit exactement : « Il n’y a pas à parler de cela. Ce qu’ont décidé les supérieurs est bien. » On sentait chez lui très nettement son respect et son affection pour l’Evêque et pour son Vicaire Général. »

Mais Zatti voulut faire plus. Il refusa de laisser les gens se désoler. Les difficultés des différents transports de l’hôpital à l’Ecole San Isidro prirent peu à peu une allure de fête au lieu de laisser place à la tristesse. M. Manuel Linarès, un ami du quartier, rappelle, pour sa part : « Les dernières charrettes de mobilier et de matériel, prirent la route avec des chansons et des applaudissements. Les jeunes infirmières riaient et chantaient. Elles s’en donnaient à cœur joie. »

M. Luis de Palma se souvient : « Je faisais partie de la troupe scoute. L’après-midi, nous sommes allés avec la fanfare à l’Ecole Agricole San Isidro, pour accueillir les derniers malades ».

Le nouvel hôpital se mettait en place. Zatti venait de marquer un signe efficace de sa recherche de vie uniquement pour Dieu.

Le 23 décembre 1941, à peine installé dans les nouveaux locaux, il écrit à sa sœur Hildegarde: «  Nous sommes ici comme au paradis terrestre ! »


Donateurs de tous milieux


Durant des années, l’hôpital San José va fonctionner dans l’Ecole agricole San Isidro. Des travaux continuels permettront de rénover les bâtiments. Zatti ne cessera de quêter pour ses malades. Ses listes de donateurs sont impressionnantes. L’audace de sa foi se manifeste là aussi incontestablement.

Une lettre de la première dame de l’Argentine en reste un vigoureux témoignage :

« Maria Eva Duarte de Peron, Eva Peron (ndlr. Prénom et nom en signature personnelle) salue avec distinguée considération Monsieur l’Administrateur de l’Hôpital San José de la Province du Rio Negro, Don Artémide Zatti, et en son caractère de la Fondation qui porte son nom, elle a le plaisir de lui remettre ci-joint le chèque n° 42.975 Série B- de 5000 pesos en monnaie nationale, donation pour soutenir le Foyer des Anciens de cette Province. »

Buenos Aires, 28 mars 1949


Zatti connaissait bien déjà l’auréole de légende qui entourait l’épouse du Général Péron, Président de l’Argentine. Cette « image » ne gênait pas sa simplicité pour demander à cette dame l’aide nécessaire dont ses « anciens » avaient besoin. De son côté, la célèbre « Evita », sollicitée de toute part, n’éprouvait aucun problème à saluer par son nom ce « salésien coadjuteur ».

Comme tant d’autres petites gens qui donnaient de très modestes sommes, elle savait que Zatti n’oublierait pas de la remercier rapidement. Depuis Don Bosco, de grandes dames avaient appris à partager. Certaines d’entre elles, allèrent très loin et « donnèrent tout ».



































VII - UN GRAND RAYONNEMENT

AUPRES DU PERSONNEL HOSPITALIER FEMININ



Fondé en 1889 par Mgr Cagliero et par le Directeur de l’œuvre salésienne, Bernardo Vacchina, « pour répondre aux besoins des pauvres », l’hôpital San José fut rapidement renommé.

Lorsque Zatti y arrive en 1904, alors qu’il a besoin lui-même de soins, il se lie d’amitié avec le Dr Garrone, et commence à l’aider à la pharmacie. Au moment où il le remplace, l’établissement s’est développé. Il contient jusqu’à 60 lits. Un problème sérieux est celui de trouver des infirmières. Il n’y a pas pour l’instant d’Ecole pour elles en Argentine, et encore moins sur ces terres de la Patagonie. Zatti doit s’organiser lui-même. Il doit repérer lui-même parmi les jeunes femmes qui viennent se faire soigner celles qui pourraient ensuite l’aider. Il doit les choisir, les appeler, les former, leur procurer des moyens de travailler, trouver de quoi les aider.

Chercher des infirmières


De nombreuses jeunes arrivent quotidiennement de loin pour se faire soigner à l’hôpital de Viedma, le seul de toute la région. Elles sont généreuses, mais pauvres. Après avoir été soignées, quand leur santé s’améliore, il leur faut trouver une occupation. Zatti, avec beaucoup de simplicité, leur parle facilement dès leur arrivée. Il leur rend visite pendant leur maladie. Quand elles guérissent, il garde avec elles des liens de conversations. Elles se sentent appréciées dans leur bonté et leur disponibilité. Il leur montre alors par son exemple et sa parole, comme il est beau de servir le Seigneur dans les sœurs et frères malades. Ensuite, discrètement, il propose à telle ou telle de rester avec lui et de participer à sa mission à l’hôpital. Plusieurs de ces filles de villages, jeunes indiennes de la Terre de Feu, sont devenues à sa suite de véritables apôtres.

Une des plus connues restera Maria Danielis. Elle rencontre Zatti en 1923. Devenue infirmière, elle collabore avec lui durant 18 ans. Elle demandera ensuite à entrer chez les Filles de Marie Auxiliatrice. Une époque où l’on parlait peu de « Famille salésienne », mais où l’on en vivait continuellement ! En pleine force de l’âge, les salésiens coadjuteurs, ces « religieux en bras de chemise, de Don Bosco », rayonnaient calmement leur présence de laïcs au cœur du monde.


Cheminements évangéliques

Nombre de ces jeunes infirmières « jaillies sur le tas », grâce à cette présence de Zatti qu’elles percevaient « lourde d’affection spirituelle à leur égard », se manifesteront durant la déposition des témoignages pour l’Introduction de sa cause.

L’une d’elles, Noelia Moreno raconte : « Je suis arrivée malade ici, à Viedma. J’ai été accueillie à l’Hôpital St Joseph. Quand M. Zatti entrait dans les salles, il nous semblait que « Dieu lui-même y entrait ». Pendant tout le temps de ma maladie, je n’ai jamais manqué de rien. Il pensait à tout : alimentation, remèdes, vêtements… Guérie, j’ai commencé à collaborer avec lui, vers la fin de l’année 1944, puis en 1945 j’ai été inscrite à l’Hôpital régional de Viedma qui venait de s’ouvrir. »

Exemple type de l’accueil d’une jeune malade ! Elle est soignée le mieux possible. Invitée à collaborer dès sa guérison, elle sera sollicitée ensuite pour un emploi fixe. La formation reçue sera très vite reconnue par la société.

« Il nous faisait apprendre avec des exercices pratiques. Nous l’accompagnions pour soigner un malade. Il nous montrait comment se servir des instruments. Il nous faisait voir les gestes à faire. Quand nous avions vu deux fois les soins à donner, il nous laissait seules pour le faire nous –mêmes. J’ai appris beaucoup ainsi. »


« Comme un fondateur d’ordres… »

Au-delà de l’éducation au métier, Zatti, véritable « chercheur de Dieu », voulait aller plus loin. Authentique «pêcheur d’hommes (et de femmes)» (Lc 5, 10), il profitait des moindres moments pour transmettre les appels du Nazaréen.

Le Père Raùl A. Entraigas écrira : « Lorsque Zatti s’applique à la formation du personnel féminin, sa figure apostolique prend des airs de fondateur… »

Noelia déclare aussi d’ailleurs : « Il est certain que notre groupe de collaboratrices de l’Hôpital formait comme une petite communauté avec les deux sœurs salésiennes, Severina et Maria ». Zatti les aidait à organiser des excursions pour la journée. Felisa Botté se souvient : «Nous partions en pèlerinage à Fortin Mercedes, au sanctuaire de la Vierge. Il nous donnait non seulement l’argent pour le voyage, mais aussi pour acheter quelque souvenir. Les repas préparés étaient abondants… »

Zatti aurait-il formé avec le temps un nouveau groupe dans la Famille salésienne ? Les témoignages des salésiens de l’époque sont en tout cas

révélateurs.

Le P. Antonio Fernandez est resté impressionné: « Il traitait tout son personnel avec la gentillesse d’un « père » pour sa communauté religieuse… Il rayonnait comme un homme qui a l’étoffe de fondateur d’un ordre religieux »

Le P. Feliciano Lopez, Directeur de la Maison St François de Sales, dont dépendait l’Hôpital, est resté admiratif lui aussi: « Tout ce personnel féminin constituait une espèce d’Institut séculier auprès de lui. Le Serviteur de Dieu savait leur donner une formation spirituelle très attrayante.



VIII – LES DERNIERES SEMAINES




Le Père Carlos Perez, Provincial, explique : « Zatti commença à décliner le 19 juillet 1950. Pour réparer des canalisations d’eau courante, il grimpait sur une échelle lorsque, tout à coup, elle se renversa. Il tomba d’assez haut, et cette chute lui causa probablement une lésion intérieure. On nota immédiatement un problème sérieux. Très vite, les médecins découvrirent, et lui aussi s’en rendit compte : la chute venait de raviver un mal resté jusque là dissimulé. Sa fin allait en être précipitée. »


Une chute dont il ne se relèvera pas


Le Docteur Fernando Molinari, a suivi Zatti, qui « resta un mois au lit après cette chute. » Il déclare au procès : « Durant cette période, il manifeste des signes évidents de grande insuffisance hépatique. Peu après, on découvre qu’il a un cancer au foie. Ce mal est incurable et doit provoquer son décès dans les six mois. »

L’infirmière Maria Danielis accompagne Zatti durant cette période : « En tombant de l’échelle, il perd connaissance. Quand il revient à lui, on le transporte dans sa chambre. Dès qu’il lui est possible, il va à l’Eglise remercier le Seigneur. Il plaisante volontiers et donne des conseils spirituels. Le 23 août 1950, il va à la paroisse, Le 24, il reprend sa vie habituelle et retourne à son travail quotidien. En octobre, il s’amuse en parlant avec un groupe de jeunes filles : « Vous autres, vous vous colorez le visage ! Moi aussi, je vais me peindre, mais d’une autre couleur. Le citron, s’il ne devient pas jaune, ne sert à rien. Dans six mois, vous verrez.. ; »

Il ne se trompa que d’un mois. « Le 13 novembre, dit Maria Danielis, il commença à prendre une couleur verte, qui devint jaune peu à peu. Le cancer accélérait sa marche. »

Le 4 janvier 1951, le Directeur, le Père Feliciano Lopez, l’envoie

pour des révisons et des soins à Bahia Blanca. Zatti lui dit : « J’aimerais mourir entre mes malades. » A Bahia Blanca, il rencontre sa nièce Marie, devenue sœur salésienne. Elle lui dit : « Mon saint oncle, quand tu vas entrer au Paradis, je vais me cacher dans une de tes poches... » Il lui répond : « Tu entreras au ciel, non pas par les œuvres du voisin, mais par les tiennes ».

Datées de ce même mois de janvier, des lignes de la Chronique de la Maison continuent de révéler la foi de ce salésien coadjuteur : « Notre plus grande préoccupation en ce mois est la santé de notre cher Don Zatti. Il vient de rentrer de Bahia Blanca avec la triste nouvelle qu’il a le cancer. Tous sont préoccupés. Le plus tranquille de tous, c’est lui-même, qui continue, à la mesure de ses forces, d’accompagner ses malades. »


« Souffrir, une autre façon de servir Dieu, que je n’ai pas encore utilisée »


En février, la Chronique poursuit : « A l’hôpital, Zatti commence à garder le lit. Il est un vrai modèle de patience et de résignation. Son lit est devenue une chaire de prédication. De Viedma et de toute la Patagonie, une chaîne ininterrompue d’amis vient le visiter. »

Le Père Luis de Roia, du clergé diocésain, se souvient :

« Apprenant qu’il va mourir, Don Zatti me dit le plus naturellement du monde : « Je sais que Dieu m’a toujours tenu dans ses bras, et maintenant Il veut me tenir encore plus près. » Je le visitais entre janvier et février 1951. Il gardait alors toujours le lit. Je lui demande : « Comment vous sentez-vous maintenant au lit, vous qui avez toujours été si actif ? » Il me répond : « C’est une autre façon de servir Dieu. Je ne l’ai jamais utilisée auparavant. » Je lui demande si ses douleurs sont continuelles, et fortes. Il me répond : « … Je suis content de compléter la Passion du Christ, moi qui en ai tellement parlé aux malades !»

Le 27 février 1951, sur sa demande, il reçoit l’onction des malades et la communion. Maria Danielis le note « rayonnant, transformé, joyeux, transfiguré… »


Avec la joie rieuse d’un enfant


Dans ses derniers jours, arrivent son frère Herminio et son neveu Nino Vecchi.

Très serein, Zatti prépare une semaine avant de mourir, la liste des remèdes qu’il lui faut jusqu’au 14 mars. Devenu authentique pharmacien, le jeune immigré des débuts sait choisir ce qui lui convient. Les infirmières, émues, lisent ses recettes et le servent.

Quelques jours plus tard, elles vont être encore plus étonnées, en découvrant qu’il vient de remplir lui-même, pour « éviter du travail aux médecins » son avis de décès : «  Le Docteur Antonio G. Sussini certifie que Artémide Zatti, âgé de 70 ans, domicilié à Viedma, rue Gallardo s/n, est mort d’insuffisance hépatique le… à … heures, à l’hôpital San José. En témoigne quelqu’un qui l’a assisté. »

Le 15 mars 1951, à 6h 30, il part vers son Dieu, dans la paix. Le chroniqueur de la Maison St François de Sales écrit : « Le 15 au matin, la cloche annonce son envol vers le ciel. Nous avons un frère de moins dans la Maison, un saint de plus dans le ciel. »


Zatti avait rêvé d’être prêtre. La maladie l’en avait empêché. Elle n’avait pas arrêté son désir d’être à Dieu. Sa vie faisait découvrir maintenant à tous, ce qu’il avait affirmé tant de fois : « Chez Don Bosco, tu peux servir Dieu aussi bien comme coadjuteur que comme prêtre. Ce qui compte, c’est de vivre ta situation avec beaucoup d’amour. »

L’Eglise en ce 15 mars 1951 s’émerveillait d’un tel amour. Zatti venait de lui donner son premier salésien coadjuteur à accueillir sur ses autels.











































TABLE DES MATIERES



I – L’ENFANT ESPIEGLE

Des terres calmes et fertiles, menacées par la crise économique

Une famille chrétienne

Un petit garçon pieux et turbulent

Un enfant comme les autres

Ecole élémentaire et déjà au travail des champs


II - JEUNE TRAVAILLEUR IMMIGRE

Accueillante et dépravée, la ville de Bahia Blanca

Les Zatti à la paroisse

Des communautés chrétiennes en difficultés

L’esprit apostolique des salésiens


III - L’APPEL DU SEIGNEUR

Appelé à la vocation salésienne

Jeune adulte, en classe avec des adolescents

Victime de son dévouement. Pourra-t-il encore être prêtre ?

Le Père Cavalli envoie Zatti se soigner à Viedma


IV - VIEDMA VERS 1900,

LA CITE ET L’ŒUVRE SALESIENNE

Les débuts de la Mission

Le rayonnement de Viedma

Une œuvre salésienne importante

Une « première en Patagonie » : l’Hôpital San José

Prêtre et médecin


V- VERS LA CONSECRATION RELIGIEUSE

Aspirant et malade à Viedma (1902 -1904)

Une promesse audacieuse, lourde de foi et d’espérance

Rencontre avec un autre « chercheur de Dieu », Ceferino Namuncura

Les amitiés de l’enfant de la Patagonie et du jeune immigré italien

Construire un nouvel hôpital

Citoyen d’Argentine et diplômé en Pharmacie

VI – LA VIE A L’HOPITAL

Une journée de Zatti

Cinq jours de vacances… en prison

La canonisation de Don Bosco

Tout démolir

Le calvaire silencieux de Zatti

Donateur de tous milieux


VII – UN GRAND RAYONNEMENT

AUPRES DU PERSONNEL HOSPITALIER FEMININ


Chercher des infirmières

Cheminements évangéliques

« Comme un fondateur d’ordre… »


VIIi – LES DERNIERES SEMAINES


La chute dont il ne se relèvera pas

« Souffrir, une autre façon de servir Dieu, que je n’ai pas encore utilisée… »

Avec la joie rieuse d’un enfant
























REPERES




1880 – 12 octobre – Naissance de Artémide Zatti à Borretto, (Italie). Il est le 3e enfant de Louis Zatti et de Albine Vecchi, qui en eurent huit, quatre filles et quatre garçons. Artémide est baptisé ce même jour.


1897- 9 février (17 ans) – Artémide débarque à Buenos Aires (Argentine), immigré avec toute sa famille. Le 13 février, ils arrivent à Bahia Blanca, où ils vont fréquenter la paroisse salésienne.


1900 – (20 ans) – Il décide de devenir religieux, et part étudier dans la Maison salésienne de Bernal.


1902 – (22 ans)- Soignant un tuberculeux, il tombe malade lui-même et part à Viedma pour se soigner.


1904 – (24 ans) - Sa santé s’améliore. Il se rend utile en travaillant dans le petit hôpital, et dans la pharmacie.


1908 – (28 ans)- Il prononce ses vœux religieux et devient salésien coadjuteur


1911- ( 31 ans) – Il devient directeur de l’hôpital et de la pharmacie


1913 – (33 ans) – Il construit un nouvel hôpital


1914- (34 ans) – Il obtient la citoyenneté argentine.


1915 – (35 ans) – Il est diplômé en pharmacie. Il passe cinq jours en prison (« Mes vacances »)


1934 – (54 ans) - Il retourne en Italie pour la canonisation de Don Bosco. Il visite son pays natal et le célèbre hôpital Cottolengo.


1942 – (62 ans) - Il lui faut déménager l’hôpital de Viedma.


1950 – (70 ans) – Le 19 juillet, il est victime d’une chute en échelle. Il ne s’en remettra pas.


1951- (71 ans) - Le 15 mars il meurt après avoir rempli lui-même son acte de décès


2002 - Le 14 avril, Jean Paul II le déclare bienheureux.




BIBLIOGRAPHIE


Artemides Zatti, de Nestor Alfredo Noriega,

Ed. Argentinas « Didascalia ». Rosario 1997


Zatti, parente dei poveri, de Enzo Bianco, Ed Italia Elledici. Torino 2002


Profilo del Beato Artemide Zatti, salesiano

(Tracciato da don Juan VECCHI, Ottavo successore di Don Bosco)

Ed.Istituto salesiano Pio XI marzo 2002


Artemide Zatti, Coadjuteur salésien, de D. Juan E. Vecchi

( Actes 376 2001)EDB ATE

























L’AUTEUR



Jean Baptiste BERAUD est né en 1922 à Lorette, petite ville située à une trentaine de kilomètres de Lyon ( France ) A cette époque, la localité qui compte cinq mille habitants, possède d’importantes mines de charbon, et des usines métallurgiques se sont installées.


Le 14 septembre 1939, il prononce ses premiers vœux chez les salésiens, à La Navarre, près de Toulon. Le 29 juin 1949, il est ordonné prêtre à Lyon.

Jusqu’en 1963, vicaire à Toulouse sur la paroisse St Aubin, il est aumônier de la JOC

( Jeunesse Ouvrière Chrétienne ) pour la Fédération Toulouse –Est.

En 1954, au moment de la guerre d’Algérie, tous les jeunes jocistes sont « appelés » pour défendre « l’Algérie Française ». Avec eux, Jean-Baptiste lance la revue ronéotée « Vents du Quartier ». Les jeunes écrivent, refusent de torturer les « fellagas » faits prisonniers. Une campagne nationale enverra ainsi des kilos de correspondance de tous les jeunes chrétiens aux responsables des mouvements. Ils pèseront sur l’opinion publique française pour obtenir l’indépendance de l’Algérie.

En 1963, il est nommé curé à Lyon, et délégué national des religieux à la Mission Ouvrière.

En octobre 1968, il part pour un an de recyclage à l’EMACAS, Ecole Missionnaire d’Action Catholique et d’Action Sociale à Lille. A la demande des Editions Fleurus, il rédige pour la collection « Expériences pastorales » une étude sur les efforts de l’Eglise en monde ouvrier. Il publie alors « Mission en secteurs ouvriers » qui sortira au 3e trimestre de 1970. Le Père Michel Menant, aumônier national de la Mission ouvrière, assurera la préface.

Pendant ce temps, sur une demande de la Congrégation, fin 1969, le Père part au Chili. Envoyé en paroisse dans le sud parmi les mineurs de charbon, il voit l’arrivée du Président Allende, puis le coup d’état du général Pinochet. Il devient en 1980 le correspondant du quotidien La Croix de Paris. En 1988, il est appelé avec une équipe de salésiens latino-américains en Guinée Conakry. Au bout de deux ans, il doit quitter pour raison de santé. Rentré en France, il dirige de 1990 à 1994, le Bulletin salésien français « Don Bosco aujourd’hui ».

En 1993, le Père Martinelli, sdb, Conseiller mondial à la Communication, l’invite à Rome pour le lancement de l’Agence salésienne ANS. Il en devient l’un des dix-huit premiers correspondants.

En 1999, il publie au Cerf « Des chrétiens face à la Dictature – Chili, 1970-1988 » Noël Copin, rédacteur en chef de la Croix, rédige la préface.

Le 2 avril 2000, il arrive à Yaoundé, invité par le Père Provincial Miguel Olaverri, pour les « Communications Sociales ». Il y assure la publication de « ate.media », revue mensuelle de la Province salésienne de l’ATE, qui regroupe Cameroun, Centrafrique, Congo Brazza, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad. Il assure des sessions de formation de jeunes à la communication, et suscite des rencontres de journalistes, autour de St François de Sales. Le 1er janvier 2002, paraît à Yaoundé la nouvelle édition semestrielle du « Bulletin salésien » des deux Provinces fma et sdb de l’Afrique Centrale et Equatoriale. Il en est le Rédacteur en chef.

Le 27 juin 2010, remplacé comme Délégué Provincial à la Communication, il devient Formateur des jeunes salésiens étudiants de théologie, à Yaoundé.





DU MEME AUTEUR



Mission en secteurs ouvriers

Préface de Michel Menant, de la Mission ouvrière

Editions Fleurus, Paris 1970

Collection « Expériences pastorales » 150 pages ( épuisé )


Des Chrétiens face à la Dictature (Chili 1970-1988)

Préface de Noël COPIN

Editions du Cerf, Paris 1999 - 470 pages


Appelés à Communiquer - Vocation Journaliste

Editions Don Bosco Yaoundé Cameroun 2005

Collection « Educateurs – Animateurs » - Plaquette 40 pages


François de Sales ( 1567-1622) - Simples Regards

Editions Don Bosco Yaoundé Cameroun 2005

Collection “Biographies salésiennes” - Plaquette 32 pages


A la rencontre des jeunes, une maman - Maman Marguerite ( 1788- 1856 )

Editions Don Bosco Yaoundé Cameroun 2006

Collection «  Esprit de vie » - Plaquette 24 pages


Journée Mondiale de la Paix 1er janvier 2007

Message de Benoît XVI

Editions Don Bosco Yaoundé Cameroun 2007

Collection «  Doctrine Sociale » - Plaquette 32 pages 


Fondateur des Filles des Sacres Cœurs de Jésus et de Marie

1 Regards sur sa vie, sur sa correspondance,

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2 Présentation de trois lettres

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3 « Le travail dans la Doctrine sociale de l’Eglise 

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