CG26|fr|Exercises spirituels Meditation 8 Mari Mère et Maitresse

MARIE, MÈRE ET MAÎTRESSE



1. INTRODUCTION


A la fin de l’Instruction Pontificale Repartir du Christ, nous lisons : “Nous nous tournons vers Marie, Mère et Maîtresse pour chacun de nous. Elle qui est la première Consacrée, elle a vécu la plénitude de la charité. D’un esprit fervent, elle a servi le Seigneur ; joyeuse dans l’espérance, forte dans la tribulation, persévérante dans la prière, attentive aux besoins des frères (cf. Rm 12,11-13). En elle se reflètent et se rénovent tous les aspects de l’Evangile, tous les charismes de la vie consacrée” (n. 46) [c’est moi qui souligne].


Ce texte nous permet de mettre en place notre réflexion. Evidemment, nous ne cherchons pas à faire de Notre-Dame, d’une manière tout à fait anachronique, la “première religieuse” ; mais à découvrir en Elle “tous les charismes de la vie consacrée”, non d’une manière quantitative (“tous”), mais, pour ainsi dire, dans son noyau fondamental : en tant qu’Elle a vécu la plénitude de la charité, de l’amour. Nous pouvons comparer cette idée à la manière dont saint Thomas d’Aquin montre comment toutes les perfections de la Création se trouvent, d’une manière absolument simple, en Dieu (cf. S. Th., I, q. 4, a. 2, Utrum in Deo sint perfectiones omnium rerum).


De cette synthèse s’approche l’attitude de sainte Thérèse de Lisieux, quand, à propos de la diversité des vocations, elle se demande :


Je sens en moi d’autres vocations, je me sens la vocation de GUERRIER, de PRÊTRE, d’APÔTRE, de DOCTEUR, de MARTYR ; enfin, je sens le besoin, le désir d’accomplir pour toi Jésus toutes les œuvres les plus héroïques… Je sens en mon âme le courage d’un Croisé, d’un Zouave Pontifical, je voudrais mourir sur un champ de bataille pour la défense de l’Eglise [] O Jésus ! mon amour, ma vie… comment allier ces contrastes ? Comment réaliser les désirs de ma pauvre petite âme ? [] A l’oraison mes désirs me faisaient souffrir un véritable martyre, j’ouvris les épîtres de Saint Paul afin de chercher quelque réponse [] J’y lus [] que tous ne peuvent être apôtres, prophètes, docteurs, etc.… que l’Eglise est composée de différents membres et que l’œil ne saurait être en même temps la main [] La réponse était claire, mais ne comblait pas mes désirs, elle ne me donnait pas la paix [] Sans me décourager je continuai ma lecture et cette phrase me soulagea : “Recherchez avec ardeur les DONS les PLUS PARFAITS, mais je vais encore vous montrer une voix plus excellente.” [] Et l’Apôtre explique comment tous les dons les plus PARFAITS ne sont rien sans l’AMOUR [] Enfin j’avais trouvé le repos [] La charité me donna la clef de ma vocation [] Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Eglise, que si l’Amour venait à s’éteindre les Apôtres n’annonceraient plus l’Evangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang… Je compris que l’AMOUR RENFERMAIT TOUTES LES VOCATIONS, QUE L’AMOUR ETAIT TOUT, QU’IL EMBRASSAIT TOUS LES TEMPS ET TOUS LES LIEUXEN UN MOT, QU’IL EST ETERNEL ! … Alors, dans l’excès de ma joie délirante, je me suis écriée : O Jésus, mon Amour… ma vocation, enfin je l’ai trouvée, MA VOCATION, C’ EST L’AMOUR !…


Dans notre méditation finale, je voudrais vous inviter à “contempler” Marie, Immaculée Auxiliatrice, notre Mère et Maîtresse. En particulier, je voudrais que nous puissions fixer notre regard filial sur une scène sublime de notre Tradition salésienne : contemplons Don Bosco qui prie, avec Barthélemy Garelli. Nous pouvons dire, en prenant une image de la physique moderne connue de nous tous, que cet Ave Maria constitue cet atome de densité infinie qui, dans le “big-bang” du 8 décembre 1841, a donné origine à une “explosion charismatique” qui encore maintenant continue son expansion à travers le monde, en rendant présent l’Amour de Dieu pour les jeunes, surtout les plus pauvres et les plus laissés à l’abandon.


Méditons, donc, ce que chaque jour nous disons à la Mère de Dieu et Mère de tous les hommes, dans l’Ave Maria



2. “PLEINE DE GRÂCE


La salutation de l’archange Gabriel à Marie a une extraordinaire densité ; aucune traduction ne peut épuiser la richesse des mots originaux :  … En cherchant à approfondir théologiquement cette expression, nous pouvons souligner, en premier lieu, son caractère de gratuité. “Pleine de grâce”, en ce premier sens, veut dire “gratuité” dans sa plus large expression. Ici se manifeste d’une manière insurmontable le caractère de non-dû de l’Amour de Dieu, qui devance n’importe quelle action humaine ou n’importe quelle attitude humaine, précisément par ce que celles-ci sont toujours une réponse devant l’initiative de Dieu. “Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est Lui qui nous a aimés” (1 Jn 4,10) : cela, nous pouvons l’appliquer non seulement à nous-mêmes, mais aussi, et en premier lieu, à Marie.


La tradition unanime de l’Eglise (et son interprétation guidée au long de tous les siècles par l’Esprit Saint) trouve à ce sujet son couronnement dans la déclaration dogmatique du bienheureux Pie IX en 1854, avec la proclamation de l’Immaculée Conception de Marie. Malheureusement, bien des fois on interprète mal ce dogme marial, en courant le risque d’oublier qu’en ce dogme on ne parle pas, en premier lieu, de quelque chose qu’aurait fait Marie, mais de ce que Dieu fait en elle, également en notre faveur. Nos Constitutions, elles-mêmes, peuvent être comprises d’une manière inadéquate, si nous ne soulignons pas cette initiative de l’amour de Dieu, mise en œuvre dès le premier instant de l’existence de Notre-Dame : “Marie Immaculée et Auxiliatrice nous éduque à la plénitude de la donation au Seigneur et nous remplit de courage au service de nos frères” (Const. 92). C’est vrai, mais toujours comme réponse à l’Amour de Dieu. Nous n’oublions pas que la consécration, comme telle, est l’œuvre exclusive de Dieu, non de l’être humain ; au point qu’en contemplant Marie Immaculée, nous pouvons contempler le fruit le plus parfait et le plus “réussi” du système préventif de Dieu.


En ce sens, l’insistance de la théologie, qui se manifeste également dans la liturgie, en soulignant la “pré-destination” de la Mère de Dieu, en utilisant aussi, dans un sens allégorique, des passages de l’AT comme Pr 8,22-36 ; Si 24,3-22, etc. n’est valable et acceptable que si on ne la détache pas du reste de l’humanité. En effet, nous tous, êtres humains, nous avons été pré-destinés par Dieu “dès avant la création du monde, pour que nous soyons saints et immaculés en sa présence, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ” (Ep 1,4-5) [c’est moi qui souligne]. Marie est la prédestinée par excellence, non par exclusivité (et moins encore, par exclusion).



3. “LE SEIGNEUR EST AVEC VOUS


Cette toute petite phrase de la salutation angélique est la synthèse la plus courte et la plus dense de l’Alliance, et elle constitue ce que le Seigneur promet, comme garantie, à tous ceux qu’il appelle à son service (rappelons-nous, parmi beaucoup d’autres, surtout le cas de Jérémie). “Pleine de Grâce” veut dire, dans son sens le plus profond : “pleine de DIEU”. La Grâce, en effet, n’est pas “quelque chose” mais “Quelqu’un” : Dieu lui-même, dans sa Vie trinitaire, Amour parfait, qui se donne gratuitement à nous, d’une manière définitive et irréversible (eschatologique) dans le Christ. Il convient de faire remarquer que dans quelques textes de l’AT, cette présence de Dieu au cœur de son peuple ou d’une personne élue provoque, avant tout, la joie. Malheureusement, on a perdu, dans presque toutes les langues, cette nuance importante du texte biblique de Luc : , Réjouis-toi ! Parmi de nombreux textes, rappelons celui de Sophonie :


Crie de joie, fille de Sion ! pousse des acclamations, Israël !

Réjouis-toi, ris de tout ton cœur, fille de Jérusalem !

Le Seigneur a levé la sentence qui pesait sur toi,

il a détourné ton ennemi.

Le roi d’Israël, le Seigneur lui-même, est au milieu de toi.

Tu n’as plus de malheur à craindre.

Ce jour-là, on dira à Jérusalem :

« N’aie pas peur, Sion ! Ne laisse pas défaillir tes mains ;

Le Seigneur ton Dieu est au milieu de toi en héros, en vainqueur !

Il exultera de joie pour toi, il te renouvellera par son amour ;

Il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête »

(So 3,14-18a) [c’est moi qui souligne].


Cette présence unique de Dieu en Elle est le principe fondamental de son état-de-consacrée, précisément parce qu’il ne se réalise pas par l’intermédiaire d’une créature ou d’une réalité créée, mais qu’il réside, fondamentalement, dans le fait que “Dieu établit sa demeure en Elle”. Ici se trouve un concept de sainteté radicalement différent de celui qui a cours en d’autres cultures ou d’autres religions, pour lesquelles le Saint consiste en une Réalité à part, intouchable, inaccessible, “taboue”. Ici, au contraire, le Dieu trois fois Saint fait participer à sa Sainteté, au moyen de sa proximité dans l’amour, qui en Marie atteint une telle plénitude, grâce à l’Incarnation, qu’elle devient même une présence physique. C’est pourquoi, nous pouvons la proclamer, même en ce sens, la “Consacrée” par antonomase ; sans oublier que cela ne l’éloigne pas de nous, mais, au contraire, nous invite à suivre son exemple.


Enfin, nous pouvons souligner encore un troisième sens dans la salutation : “Pleine de Grâce” ; c’est-à-dire l’effet que produit en Elle cette présence pleine de Dieu, ce qui la fait devenir ainsi la “Gracieuse” (en espagnol : “Agraciada”) par excellence, la Tota Pulchra [la Toute Belle], Celle qui dira, dans le cantique du Magnificat : “Oui, désormais les générations me proclameront bienheureuse, parce que le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses : saint est son Nom” (Lc 1,48b-49) [c’est moi qui souligne] 1.



4. “QU’IL ME SOIT FAIT SELON TA PAROLE


Souligner l’initiative libre et gratuite de Dieu et indiquer que la consécration est une œuvre divine ne doivent absolument pas nous faire oublier le fait qu’Il a voulu avoir besoin de la réponse humaine. Nous pouvons le voir dans les modèles bibliques de l’AT et du NT, et il ne pouvait pas être autrement dans le cas le plus excellent de la collaboration humaine avec Dieu : la Maternité divine de Marie, qui, comme dit saint Augustin, “a conçu le Fils de Dieu dans son cœur, grâce à son obéissance libre, avant de le concevoir dans son sein virginal”.


Malgré cela, un doute peut surgir ici : pouvons-nous vraiment parler de la liberté de Marie, en présence de tout ce qui a été dit ? Quel sens y aurait-t-il à parler de l’Immaculée Conception, de la plénitude de Grâce, etc., si tout dépendait d’un oui humain, postérieur à tout cela ? Par ailleurs, dans le cas d’une négation de notre part du caractère libre de l’acceptation venant de la jeune fille de Nazareth, en plus de la détacher totalement du reste de l’humanité, nous arriverions à une affirmation absurde : à savoir que la collaboration humaine, dans son expression la plus pleine, n’a pas vraiment été humaine, ce qui veut dire : n’a pas été réalisée avec conscience et liberté.


Il me semble que nous pouvons trouver une réponse vraiment merveilleuse en approfondissant un élément typique de notre Charisme. Lorsque Don Bosco demandait de mettre les enfants “dans l’impossibilité morale de pécher”, il n’entendait absolument pas limiter ou, pire, enlever leur liberté (ce qui, d’autre part, aurait été impossible), mais chercher à fortifier leur motivation de foi et d’amour envers le Seigneur Jésus, en faisant appel non seulement à leur intelligence rationnelle et logique (comme le fait, également, le système répressif), mais surtout à leur cœur : car l’éducation, au niveau humain et aussi l’éducation à la foi et dans la foi, “est une affaire du cœur”.


Dit autrement : Don Bosco était convaincu (et c’est une conviction qui concerne justement la moelle de l’anthropologie et de la morale chrétienne) que, plus nous faisons l’expérience de l’Amour de Dieu comme Source la plus grande (et unique) du bonheur authentique, plus il devient difficile (“moralement impossible”) de vouloir nous éloigner de Lui, en conservant, malgré cela, intégrale notre liberté. Ce renforcement, en plus d’impliquer le contact personnel, trouvait son lieu privilégié dans l’optimisation du milieu, riche de valeurs humaines et chrétiennes, et dans l’assistance typiquement salésienne : qui n’est nullement celle d’un gendarme qui “garantit l’ordre”, mais d’une médiation visible de l’amour de Dieu. Cette “écologie formative” (comme il plaît à dire à notre Recteur majeur) est l’un des éléments fondamentaux de l’Oratoire en tant que critère salésien : “Dans l’accomplissement de notre mission aujourd’hui, l’expérience du Valdocco demeure pour nous critère permanent de discernement et de renouvellement de toutes nos activités et de toutes nos œuvres” (Const. 40) [c’est moi qui souligne].


Tout cela naît aussi de l’identité de l’amour, déjà au niveau humain : a fortiori, lorsqu’on parle de l’Amour de Dieu, le fait d’être aimés ne nous enlève nullement la liberté, mais ne la laisse pas non plus “neutre”. Au contraire, il la fortifie, pour pouvoir correspondre à cet amour reçu et perçu comme tel, avec la propre réponse libre (plus que jamais !) d’amour. C’est seulement ainsi que nous pouvons comprendre le sens profond de notre obéissance, qui “conduit à la maturité en faisant grandir la liberté des fils de Dieu” (Const. 67).


Dans cette perspective, la demande même de Marie : “Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ?” (Lc 1,34) [c’est moi qui souligne] n’exprime pas un doute, et ne pose pas de conditions : mais c’est la demande de quelqu’un qui, avec une foi inconditionnée et totale, veut collaborer de la manière la plus consciente et libre possible. Et cela apparaît encore plus clairement dans les paroles de l’ange qui suivent, ne constituant aucunement une réponse ; au fond, ce que dit Gabriel est : “Il s’agit de Dieu et de son Plan… te confies-tu à Lui ? Même la “preuve” que Marie reçoit, à savoir la grossesse d’Elisabeth, qu’à ce moment-là Marie ne peut “vérifier”, constitue plutôt une motivation pour aller chez elle et la servir, comme le texte de Luc le dit immédiatement après. Ce n’est donc pas une preuve “théorique”, qui sert à satisfaire la curiosité de Marie, ou simplement à éclairer sa connaissance, mais c’est une “preuve pratique” qui la met en mouvement, pour accompagner et servir sa parente.


Enfin, la foi de Marie se traduit en une obéissance inconditionnée : Elle accepte, en le disant paradoxalement, avec une pleine liberté, à devenir l’esclave du Seigneur : “Qu’il me soit fait selon ta Parole”.



5. “VOUS ÊTES BÉNIE ENTRE TOUTES LES FEMMES


Cette plénitude de consécration de Marie conduit à une mission : avant tout, d’une part, être la Mère du Fils de Dieu fait Homme ; mais, aussi d’autre part, inséparablement, de le donner pour le salut du monde, en imitant sur un mode humain, pour ainsi dire, l’action du Père : “Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… (Jn 3,16) : et tout cela, “par l’Esprit Saint”. Ce porter Dieu vers ceux à qui Dieu lui-même nous envoie est la concrétisation de notre consécration, à l’image de Marie : Elle “ nous éduque à la plénitude de la donation au Seigneur et nous remplit de courage au service de nos frères” (Const. 92).


C’est pourquoi on ne peur séparer de l’Annonciation la visite de Marie : “Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée” (Lc 1,39). La présence de Marie, qui porte avec elle le Sauveur, est source d’une joie débordante : cette même joie avec laquelle l’Ange la salue ; qui se manifeste jusque dans le petit bébé Jean, encore dans le sein de sa mère ! Elisabeth réitère à Marie cette promesse de bonheur, dont elle souligne, en outre, la racine : la foi. “Bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur” (Lc 1,45).


Il est très intéressant de découvrir qu’ici nous sommes devant la première “béatitude” évangélique ; et la dernière béatitude, qui forme avec cette première une merveilleuse inclusion, a le même contenu : la foi. “Bienheureux ceux qui croiront sans avoir vu” (Jn 20,29). Sans la perspective de la foi, nous ne pouvons ni comprendre ni accepter les autres “béatitudes” que Jésus présente (Mt 5,3-12 ; Lc 6,20-23). Mais nous pouvons encore dire un mot à ce sujet : Marie, devant l’annonce de la Résurrection de Jésus, son Fils, se trouve parmi ceux qui “ont cru sans avoir vu” ; il n’existe aucun texte du Nouveau Testament qui nous raconte une apparition de Jésus ressuscité à Notre-Dame ; et je considère qu’au lieu d’inventer des apparitions, ou d’aller chercher des textes apocryphes du passé (ou du présent, car il y en a aussi), il est beaucoup plus enrichissant de constater cette absence consolante, qui place Marie avec nous, en nous invitant à être, nous aussi, “heureux parce que nous avons cru”.


Dernier point, Elisabeth “poussa un grand cri et dit : « Tu es bénie entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ! »” (Lc 1,42) [c’est moi qui souligne]. Comment comprendre cette double bénédiction, sinon seulement à partir de la foi ? Egalement parce que nous devons reconnaître qu’humainement parlant, l’élection-vocation-mission de Marie n’a pas rendu plus faciles sa vie, ou la réalisation des ses projets personnels : c’est tout le contraire… Accepter la Volonté du Seigneur dans notre vie ne signifie pas que, d’une manière automatique, elle sera plus facile ou plus supportable. Le Seigneur nous garantit, comme nous le voyons dans la vie d’Abraham, de Moïse, de Jérémie et aussi de Marie, une seule chose : “Je serai avec toi”. “Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur” (Rm 8,39).


Cette merveilleuse scène culmine avec le Magnificat : Marie loue Dieu pour ce qu’il a fait dans sa vie, “parce qu’il a porté son regard sur son humble servante” (Lc 1,48), et situe cette élection de Dieu dans la perspective de la fidélité divine et, en conséquence, comme accomplissement de ses promesses (cf. Lc 1,54-55) : il est un Dieu Saint, qui accueille et élève les humbles, les pauvres et les affamés, et ne peut rien faire devant l’autosuffisance des riches, des puissants et des orgueilleux ! Au fond, nous pouvons trouver ici, dans une merveilleuse synthèse, ce qui constitue la moelle des conseils évangéliques : la primauté absolue de Dieu, et le désir de l’union à Lui atteinte en accomplissant pleinement sa Volonté (obéissance), comme expression de l’amour (chasteté), dans le dépouillement total d’elle-même (pauvreté). Elle est, vraiment, la première des personnes consacrées !



6. MARIE IMMACULÉE AUXILIATRICE DANS LE CHARISME SALÉSIEN


C’est, incontestablement, un thème central dans notre Charisme, mais, en même temps, impossible à cerner dans toutes ses dimensions. Je me limiterai à souligner les textes de nos Constitutions où elle est explicitement mentionnée.


Nous savons qu’il y a deux articles entièrement réservés à Elle : l’article 8 (nouveau dans la rédaction définitive de 1984) et le 92. Ils se trouvent dans des contextes très différents : le premier, au sein de la description de notre identité charismatique, et cela revêt son contenu d’une plus grande importance ; et le second, dans la section sur notre vie de prière, qui est caractérisée comme étant menée “en dialogue avec le Seigneur”.


Dans l’article 8, se trouve soulignée l’action de Marie dans la vie de notre Père et Fondateur au moyen de trois verbes : “a indiqué – guidé – soutenu, spécialement dans la fondation de notre Société” [c’est moi qui souligne]. Tout cela, évidemment, est placé dans le Plan de Dieu, comme le dit l’article premier de notre Règle de Vie : “L’Esprit Saint suscita, avec l’intervention maternelle de Marie, saint Jean Bosco” (Const. 1) [c’est moi qui souligne].


De même, nous aussi, “nous croyons que Marie est présente parmi nous et qu’elle continue sa « mission de Mère de l’Eglise et d’Auxiliatrice des chrétiens »”. Dans notre pleine conviction à ce sujet, la question que nous devons poser devant nos yeux et devant notre cœur est peut-être : nous aussi, consentons-nous à ce que Marie, notre très Sainte Mère, nous indique notre champ d’action, nous guide et nous soutienne ?


Dans le contexte de la Mission salésienne, Marie nous éduque au moyen de la triple attitude théologale : avec une référence au Magnificat, “nous nous confions à elle, humble servante en qui le Seigneur a fait de grandes choses, pour devenir, parmi les jeunes, témoins de l’amour inépuisable de son Fils” (Const. 8) ; “nous la faisons connaître et aimer comme Celle qui a cru, qui vient en aide et qui infuse l’espérance” (Const. 34).


L’article 92, au contraire, dans le contexte de la prière, nous présente Marie avant tout comme un Modèle à contempler et à imiter ; en particulier dans le don de soi, unique et inconditionnel, à Dieu et aux jeunes : “Marie Immaculée et Auxiliatrice nous éduque à la plénitude de la donation au Seigneur et nous remplit de courage au service de nos frères”.


Enfin, dans le contexte de la vie du salésien entendue comme “expérience permanente” de formation, et en conséquence comme un processus qui ne finit jamais, nous trouvons un titre simple, mais d’une densité extraordinaire : Marie, Mère et Maîtresse (cf. Const. 98). Au niveau le plus profond de cet article, nous sommes invités à nous sentir “fils dans le Fils”, à admettre qu’à chacun de nous aussi Marie donne un corps et un cœur comme celui du Christ, en particulier pour que, comme nous le disions plus haut, Elle nous enseigne à aimer, comme Elle a enseigné à Don Bosco (cf. Const. 84) ; ou plutôt comme Elle a enseigné à Jésus et l’a éduqué.


Je voudrais terminer en concrétisant encore davantage la présence de Notre-Dame dans notre Charisme, en partant d’une constatation qui est implicite dans ce que nous avons dit.


Il est hors de doute que la Mère de Dieu a, dans notre Charisme, une importance singulière ; il suffit de rappeler la phrase de Don Bosco : “C’est Elle qui a tout fait”. Cette importance, et même, j’oserais dire, ce fait d’occuper la place centrale, appartiennent-ils seulement à l’expérience personnelle de Don Bosco, liée à sa situation et à son époque, ou sont-ils une partie intégrante de notre identité salésienne ?


Je crois que nous sommes tous convaincus qu’il ne s’agit pas seulement d’un élément aléatoire, simple vestige de la dévotion personnelle de notre Père. Parmi les autres éléments possibles de réponse et d’enrichissement, je voudrais en souligner seulement un, qui jaillit précisément de la source même de notre Charisme. Nous pensons surtout aux bénéficiaires prioritaires de notre Mission : les enfants et les jeunes qui sont le plus dans la pauvreté, à l’abandon et dans le danger. En d’autres mots : des personnes qui, humainement parlant, “valent” peu, ou rien ; mais qui, justement pour cela, sont les préférés de Dieu, parce que l’Amour divin – nous y avons réfléchi ces jours-ci – est inconditionnel, et a toujours l’initiative : ce n’est pas parce que nous sommes aimables qu’Il nous aime, mais nous sommes aimables, c’est-à-dire dignes d’être aimés, parce que, Lui, Il nous aime. “Quia amasti me, Domine, fecisti me amabilem” [Parce que tu m’as aimé, Seigneur, tu m’as fait aimable], dit d’une manière géniale saint Augustin.


Eh bien : l’inconditionnalité n’est-elle pas un élément typiquement féminin et maternel de l’amour, tout comme l’exigence (bien comprise) est le correspondant masculin et paternel ? Il ne comprendrait rien, et ne pourrait pas partager la situation des destinataires prioritaires de notre Mission celui qui, même en les aimant vraiment, ne commencerait pas par les aimer inconditionnellement ; et plus encore : maternellement. Ne pas prendre cela au sérieux, est-ce que par hasard ce n’est pas un signe d’un oubli dangereux de notre prédilection charismatique ? C’est vrai, il y a des jeunes avec lesquels il n’est pas nécessaire de commencer par l’attitude maternelle de l’inconditionnalité, dans notre amour et dans notre travail éducatif et pastoral ; mais justement en raison de cela, sont-ils nos destinataires prioritaires ? C’est avec ces “derniers”, surtout, que nous devons être, inéluctablement, des “pères maternels”.


Je pense qu’ici nous pouvons situer, en la mettant en relief, la signification théologique de Marie, Immaculée Auxiliatrice, dans notre Charisme : comme “le visage maternel de l’Amour de Dieu”.


Le Recteur majeur, à la fin de sa Lettre : “Tu es mon Dieu ! Je n’ai pas d’autre bonheur que toi”, nous adresse cette invitation à propos de Marie : “Demandons-lui qu’elle nous enseigne à nous ouvrir à l’action transformante et sanctificatrice de l’Esprit. Confions-lui notre vocation salésienne pour qu’Elle nous rende « signes et porteurs de l’amour de Dieu pour les jeunes »” (ACG 382, p. 31).


En ce moment sublime vécu par la Congrégation, nous Lui confions notre Chapitre Général, pour qu’à nous tous, et à tous nos frères dans la Congrégation répandue dans le monde entier, Elle obtienne de Dieu notre Père la grâce d’un profond renouveau dans notre identité charismatique et dans notre passion apostolique, en vue du salut de nos chers jeunes !

1 Ces deux sens : le deuxième et le troisième, qu’ici nous donnons à la salutation angélique correspondent, plus ou moins, à ce que la théologie classique, avec une grande richesse mais avec des expressions trop inadéquates, appelle “Grâce Incréée” et “Grâce Créée” (sans vouloir faire une exégèse du texte de Luc, ou de la théologie angélique).

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