CG26|fr|Exercises spirituels Meditation 1 L'espérance

L’ESPÉRANCE



1.- QUE POUVONS–NOUS ATTENDRE ?


L’Exhortation Apostolique post-synodale Ecclesia in Europa, dans laquelle Jean-Paul II reprend les travaux et les conclusions du Synode des Evêques en préparation au grand Jubilé de l’an 2000, dit : “Peu à peu, au cours du Synode, est devenue évidente une forte propension à l'espérance. Tout en faisant leurs les analyses de la complexité caractéristique du continent, les Pères synodaux ont compris que la plus grande urgence peut-être qui l'envahit, à l'Est comme à l'Ouest, est un besoin accru d'espérance, capable de donner un sens à la vie et à l'histoire, et d'aider à marcher ensemble” (EiE, n. 4).


Le Magistère pontifical plus récent a pris justement l’espérance comme thème central. L’Encyclique de Benoît XVI “Spe salvi” nous offre de précieux éléments pour enrichir notre réflexion sur cette vertu théologale, et il est clair que, parmi d’autres intentions, l’une des plus importantes est celle d’offrir une réponse, du point de vue de l’identité chrétienne, à ce besoin non seulement européen, mais mondial. Citons, entre autres textes : “Ainsi, nous nous trouvons de nouveau devant la question : que pouvons-nous espérer ? Une autocritique de l’ère moderne dans un dialogue avec le christianisme et avec sa conception de l’espérance est nécessaire” (Spe salvi, n. 22) ; même s’il y est indiqué, également, qu’il “convient que, à l’autocritique de l’ère moderne, soit associée aussi une autocritique du christianisme moderne” (ibidem).


En regardant la Congrégation au niveau mondial, nous ne pouvons pas nier que ce “besoin accru d’espérance” est constaté même dans nos milieux : d’une manière, indubitablement, diversifiée. La pénurie des vocations, sauf dans quelques régions de la géographie salésienne ; la fragilité, au niveau de leur formation, des nouvelles générations ; la problématique de la jeunesse d’aujourd’hui, provoquée de plus en plus par des facteurs extérieurs comme la violence, la drogue, les anciennes et les nouvelles pauvretés ; et, encore plus en profondeur, même de nombreuses fois l’affaiblissement de la passion apostolique et l’adoption de modèles de vie religieuse qui ne sont pas toujours selon l’idéal évangélique : voilà un ensemble d’éléments qui ne nous permettent pas de voir l’avenir avec beaucoup de clarté et d’enthousiasme. Le Recteur majeur présente, en différentes parties de la Lettre de convocation du Chapitre, quelques-unes de ces réalités préoccupantes de la situation de la Congrégation (ACG 394, pp. 9-12.18-21.27-28, et passim).


Dans la préparation du CG26, on constate, un peu partout (peut-être avec certaines exceptions), une impression semblable. L’insistance même que met la Congrégation, en parlant de “repartir de Don Bosco pour réveiller le cœur de chaque salésien” [c’est moi qui souligne], sur l’identité charismatique et la passion apostolique, présuppose cette problématique et veut nous mettre sur nos gardes devant elle.


Nous savons bien que l’espérance est engendrée par la foi, et qu’elle soutient l’amour. Malgré cela, il peut aussi arriver que la foi, précisément parce qu’elle a pour base une réalité historique concrète, peut, paradoxalement, se bloquer devant l’espérance, en s’enfermant dans la douleur du retour dans le souvenir (étymologie de : nostalgie) et dans la lamentation sur le passé.


Il me semble qu’on peut voir cette situation clairement “peinte” dans le récit biblique de la vocation de Gédéon :


L’ange du Seigneur vint s’asseoir sous le térébinthe d’Ofra qui appartenait à Yoash, du clan d’Avièzer. Gédéon, son fils, était en train de battre le blé dans le pressoir pour le soustraire à Madiân. L’ange du Seigneur lui apparut et lui dit : « Le Seigneur est avec toi, vaillant guerrier ! » Gédéon lui dit : « Pardon, Monseigneur ! Si le Seigneur est avec nous, pourquoi tout cela nous est-il arrivé ? Où sont donc toutes les merveilles que nous racontaient nos pères en concluant : “N’est-il pas vrai que le Seigneur nous a fait monter d’Egypte ?” Or maintenant, le Seigneur nous a délaissés en nous livrant à Madiân. » Alors le Seigneur se tourna vers lui et dit : « Va avec cette force que tu as et sauve Israël de la main de Madiân. Oui, c’est moi qui t’envoie ! » Mais Gédéon lui dit : « Pardon, Monseigneur, comment sauverai-je Israël ? Mon clan est le plus faible en Manassé, et moi, je suis le plus jeune dans la maison de mon père ! » Le Seigneur lui répondit : « Je serai avec toi, et ainsi tu battras Madiân comme si c’était un seul homme » (Jg 6,11-16) [c’est moi qui souligne].


Il est clair que Gédéon a foi ; il est convaincu de l’intervention salvatrice de Dieu en faveur de Son peuple… dans le passé ; ce qui manque est l’espérance, est de croire que Dieu ne les a pas délaissés, mais qu’il continue à être le “Dieu-avec-nous”, et veut nous aider à voir avec confiance l’avenir. Et, comme conséquence, Gédéon est invité à collaborer avec Dieu, et pas seulement à se lamenter sur ce qui lui paraît être une “absence” ou un abandon de Sa part.


Egalement, nous pouvons nous sentir comme le Peuple d’Israël pendant l’exil, en nous rappelant les merveilles divines du passé (et sans doute en oubliant trop vite, comme fit le peuple d’Israël, notre propre responsabilité) :


Dieu, nous avons entendu de nos oreilles, nos pères nous ont raconté l’exploit que tu fis en leur temps, au temps d’autrefois. [] Pourtant, tu nous as rejetés et bafoués, tu ne sors plus avec nos armées. [] Tout cela nous est arrivé, et nous ne t’avions pas oublié, nous n’avions pas démenti ton alliance ; notre cœur ne s’était pas repris, nos pas n’avaient pas dévié de ta route (Ps 44,2.10.18-19).


2.- L’ESPÉRANCE DEVANT LA “POSTMODERNITÉ


Au niveau mondial, et surtout dans la “culture en vigueur chez les jeunes”, la situation actuelle, sans aucun doute, ne facilite pas l’espérance.


Du point de vue phénoménologique, nous pouvons souligner, entre autres, trois traits fondamentaux de l’espérance, comme attitude humaine :


* elle tend toujours vers l’avenir, en montrant ainsi le dynamisme propre à l’être humain, toujours tendu en avant : “tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir” ; sans oublier le mythe “du vase de Pandore”, nous pouvons dire, avec Aristote, que l’espérance est “le rêve de l’homme éveillé” ;


* elle est toujours vécue devant un horizon positif : dans ce qui viendra toutes les choses ne sont pas “dignes d’espérance” ; au contraire, certaines peuvent provoquer la peur ou l’angoisse ;


* elle inclut un élément de “passivité” (attendre), mais aussi une attitude de celui qui vit cette attente (espérer) 1.


Nous devons reconnaître qu’avec cette dynamique d’avenir, inhérente à la partie la plus profonde de l’être humain, il y a aussi un danger : ne pas vivre, au sens le plus positif, le moment présent. A ce propos, Pascal écrit :


Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans des temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. [] Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais” (Pensées, fragment 172) 2.


Malheureusement, dans la postmodernité, l’expérience humaine de la temporalité est devenue particulièrement problématique.


Le Recteur majeur, dans sa conférence aux Supérieurs Généraux, faisait cette analyse :


« L’être humain, tout en vivant toujours au présent (c’est une lapalissade), est un “être d’avenir”(E. Bloch, W. Pannenberg) ; par sa propre nature, il est placé devant ce qui est utopique, devant ce dont il n’est pas encore possible de dire : cela “a lieu” dans notre monde et dans l’histoire. A fortiori, on peut appliquer cette considération aux jeunes générations, en qui cette orientation vers l’avenir provient de l’identité même de leur être composé d’un esprit et d’un corps, identité inscrite jusque dans la plus “humble” cellule.


C’est pourquoi, nous constatons dans la situation postmoderne une tragédie ; la menace d’avenir qui plane sur l’humanité place, surtout cette jeune génération, devant une contradiction existentielle : d’un côté, avec une exigence irrésistible d’un horizon d’avenir, et de l’autre, avec le manque de cet horizon. Si à cela nous ajoutons le refus du passé de la part de la culture actuelle en vigueur chez les jeunes, nous pouvons comprendre la sensation ressentie dans cette culture d’un “enfermement” dans l’espace minimal que lui permet le présent, sans autre solution que de tenter de “vivre l’instant qui fuit” (jouir du moment qui passe).


Cette menace se manifeste de deux façons ; d’un côté, dans ce que J. Moltmann a appelé “la perte de l’innocence atomique” à partir d’Hiroshima : nous savons – et les nouvelles les plus récentes nous le rappellent encore – que depuis quelques décennies, et pour la première fois dans l’histoire du monde et de l’homme en ce monde (d’après nos connaissances), existe la possibilité réelle (qui dépend, concrètement, de la décision de quelques personnes) que l’humanité tout entière disparaisse, comme conséquence d’une conflagration nucléaire. Le fait que les chefs des nations parviennent à d’éventuels accords à ce sujet n’élimine pas le danger : comme le dit le même Moltmann, nous ne recouvrerons jamais l’innocence perdue. “L’époque dans laquelle nous vivons est, même si elle devait durer à l’infini, la dernière époque de l’humanité… Nous vivons dans l’ère finale, c’est-à-dire dans cette époque où chaque jour nous pouvons en provoquer la fin”.


D’un autre côté – et pas totalement sans lien avec le point précédent – nous trouvons cette menace dans la détérioration, sur le plan écologique, universelle et irréversible : nous pensons à la pollution de l’air, à la diminution de l’eau douce, à la destruction des forêts, à l’utilisation vertigineuse des produits énergétiques non renouvelables. Comme le dit le même Moltmann, “nous sommes tous égaux… devant le trou d’ozone”.


Cette “suppression venue de l’extérieur” que subit l’horizon d’avenir est un facteur typique de notre temps, et elle est fondamentale pour comprendre l’attachement au présent qui tient de l’obsession, et le besoin de “satisfactions” immédiates qui caractérise l’ère postmoderne : car “vouloir vivre l’aujourd’hui” dans la perspective du lendemain n’est pas la même chose que devoir s’ancrer dans l’aujourd’hui, parce que peut-être le lendemain n’existera pas… Il y a quelque jour, à propos d’une recension d’un livre de l’écrivain hongrois Imre Kertész, lauréat du prix Nobel de littérature, un journal utilisait cette expression : “Est-il possible d’avoir des enfants après Auschwitz ?” (évocation de la célèbre phrase : “Est-il possible de croire en Dieu après Auschwitz ?”) C’est la question que se posent aujourd’hui tant de jeunes devant le mariage et la famille : non pas en nourrissant une illusion d’une autre époque, mais plutôt en ressentant l’angoisse devant l’avenir dans lequel il leur faudra vivre ; vaut-il donc la peine de porter au monde de nouveaux êtres ?


Il est indubitable que cette “privation d’avenir”, dans un sens très différent, frappe aussi la vie consacrée, en particulier les nouvelles générations » (Per una vita consacrata fedele. Sfide antropologiche alla formazione, USG, mai 2006, 21-23).


La “modernité”, à cet égard, peut être décrite comme l’attitude de celui qui, en refusant le passé, se projette vers l’avenir, et met toutes les attentes dans l’avenir ; la postmodernité, au contraire serait comme une réaction devant le naïf optimisme moderne : comme se situer, le plus sereinement possible, dans le présent, et vivre le “carpe diem”. Un des textes bibliques les plus “actuels”, d’après moi, est le témoignage du vieillard Eléazar, durant la guerre des Maccabées :


« “A notre âge, il est indigne de feindre ; autrement beaucoup de jeunes gens, croyant qu’Eléazar a embrassé à quatre-vingt-dix ans le genre de vie des étrangers, s’égareraient eux aussi à cause d’une dissimulation qui ne me ferait gagner, bien mal à propos, qu’un petit reste de vie. Je ne ferais qu’attirer sur ma vieillesse souillure et déshonneur. [] En quittant donc maintenant la vie avec courage, je me montrerai digne de ma vieillesse, ayant laissé aux jeunes le noble exemple d’une belle mort, volontaire et généreuse, pour les vénérables et saintes lois.” Ayant prononcé ces paroles, il alla tout droit au supplice []. C’est ainsi que cette homme quitta la vie, laissant par sa mort, non seulement aux jeunes, mais à la grande majorité de la nation, un exemple de noble courage et un mémorial de vertu » (2 M 6,24-25.27-28.31).


3.- L’ESPÉRANCE DANS LA RÉVÉLATION BIBLIQUE


Contrairement à d’autres conceptions de la vie et de l’histoire, l’expérience d’Israël décrite dans la Bible, présente Dieu comme un “Dieu d’exodes”, qui fait sans cesse sortir de la sécurité du présent vers un avenir, prometteur, certainement (au sens le plus plein du mot : en tant qu’objet de la promesse), mais toujours dénué de sécurité : s’il n’y a pas la foi, ce dynamisme d’avenir et d’exode n’a même pas de sens. “S’ils avaient pensé à celle {la patrie} d’où ils étaient sortis, ils auraient eu le temps d’y retourner. Or, en fait, ils aspirent à une patrie meilleure, c’est-à-dire céleste. C’est pourquoi Dieu n’a pas honte de s’appeler leur Dieu ; il leur a préparé, en effet, une ville” (He 11, 15-16) [c’est moi qui souligne].


Toute l’histoire d’Israël peut être vue, sous l’angle de la foi en Dieu, comme une tension constante vers l’avenir, avec une configuration claire : confiance dans l’accomplissement des promesses du Dieu fidèle (fides [foi] – fidelitas [fidélité] – fiducia [confiance] – spes) [espérance]), qui a son centre dans l’Alliance.


Le manque de foi se traduit, symétriquement, dans la désespérance et dans le désespoir, les deux faces opposées de la même pièce de monnaie et, en conséquence, dans la volonté de revenir vers le passé : “Que ne sommes-nous morts de la main du Seigneur au pays d’Egypte, quand nous étions assis près du chaudron de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour laisser mourir de faim toute cette multitude !” (Ex 16, 3 et passim).


L’histoire tout entière du Peuple d’Israël est vue comme “traversée” par la promesse de Dieu. Malgré l’infidélité et l’ingratitude des Israélites, les prophètes pré-exiliques, surtout Jérémie, qui menacent du châtiment de Dieu et de la destruction de l’Alliance à cause de cette infidélité (cf. Jr 13 ; 19), annoncent toujours une Nouvelle Alliance (Jr 31,31ss. ; Ez 36, 24ss. ; Deutéro-Isaïe…).


Dans l’extraordinaire vision d’Ez 37, les ossements desséchés sont le symbole le plus expressif : “Fils d’homme, ces ossements, c’est toute la maison d’Israël. Les voilà qui disent : « Nos ossements sont desséchés, notre espérance a disparu, nous sommes en pièces. » C’est pourquoi, prophétise. Tu leur diras : Ainsi parle le Seigneur Dieu. Voici que j’ouvre vos tombeaux, et je vais vous faire remonter de vos tombeaux, ô mon peuple, et je vous reconduirai sur le sol d’Israël” (Ez 37,11-12) [c’est moi qui souligne].


Dans le Nouveau Testament, sans chercher quelques citations pertinentes, nous pouvons dire que l’événement “Christ” est, en lui-même, l’accomplissement définitif (“eschatologique”) de la promesse de Dieu. Malheureusement, la mort de Jésus nous montre, dramatiquement, que les pensées de Dieu ne sont pas les pensées humaines (cf. Is 55,8ss.).


Par contre, pour celui qui croit dans le “Dieu de Jésus Christ”, “l’espérance ne trompe pas, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. En effet, alors que nous étions sans force, le Christ, au temps fixé, est mort pour des impies. [] Dieu prouve son amour envers nous par ceci : alors que nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous” (Rm 5,5-8) [c’est moi qui souligne]. C’est pourquoi, “Béni soit Dieu le Père de notre Seigneur Jésus Christ ; dans sa grande miséricorde Il nous a régénérés, par la Résurrection de Jésus Christ d’entre les morts, pour une vivante espérance, pour un héritage qui est exempt de corruption, de souillure, de flétrissure et qui vous est réservé dans les cieux, à vous que la puissance de Dieu garde par la foi pour le salut prêt à se révéler au moment de la fin” (1 P 1,3-5) [c’est moi qui souligne].


Nous trouvons, et c’est très significatif, les trois temps : le passé de la foi, le futur de l’espérance, et le présent de la fidélité de Dieu, et de notre engagement chrétien dans l’amour (cf. les versets suivants, 1 P 1,6-9).


Par contre, dit Benoît XVI, “Paul rappelle aux Ephésiens que, avant leur rencontre avec le Christ, ils étaient « sans espérance et sans Dieu dans le monde »(cf. Ep 2,12)” (Spe salvi, n. 2). C’est, peut-être, le texte biblique le plus cité dans l’Encyclique : il se trouve également, au moins, dans les numéros 3, 23, 27 et 44 – évidemment dans des contextes divers –.


Un des livres du NT qui développe le plus clairement le rapport entre les trois vertus théologales est l’Epître aux Romains ; sur l’espérance, concrètement, nous avons quelques textes fondamentaux :


* En premier lieu, elle nous présente le personnage d’Abraham sous cette perspective : “Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi père d’une multitude de peuples” (Rm 4,18) [ce qui est en italique, l’est d’origine ; c’est moi qui souligne par des caractères gras].


* Dans le deuxième texte, elle présente un enchaînement, dans un certain sens “à l’envers”, de différentes vertus typiques du chrétien : “La détresse produit la persévérance, la persévérance la fidélité éprouvée, la fidélité éprouvée l’espérance. Et l’espérance ne trompe pas, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné” (Rm 5,3-5).


* Dans le chapitre 8, elle nous rappelle que l’espérance regarde vers l’avenir : “Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance. Or, voir ce qu’on espère n’est plus espérer : ce que l’on voit, comment l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec persévérance” (Rm 8,24-25).


* Vers la fin, il y a deux textes dans le chapitre 15 qui sont très beaux à cet égard : “Tout ce qui a été écrit dans le passé l’a été pour notre instruction, afin que, par la persévérance et la consolation apportées par les Ecritures, nous possédions l’espérance” (Rm 15,4). Et finalement : “Que le Dieu de l’espérance vous donne en plénitude dans votre acte de foi la joie et la paix, afin que vous débordiez d’espérance par la puissance de l’Esprit Saint” (Rm 15,13) [c’est moi qui souligne].


Un autre livre du Nouveau Testament, très riche au regard de l’espérance, est l’Epître aux Hébreux. Ici également le Pape approfondit le thème de l’Encyclique, surtout à partir de deux textes : 10,34 et 11,1 (accordant à ce dernier une ample – et polémique – exégèse) (Spe salvi, nn. 7-9).


Je voudrais terminer cette très petite réflexion biblique avec une expression très belle de saint Paul : “L’amour prend patience, [] il espère tout” (1 Co 13,4.7) [c’est moi qui souligne]. Au fond, elle nous rappelle que l’amour va plus loin que l’espérance, justement parce qu’il… est l’unique attitude qui peut espérer tout et toujours. En ce sens, nous pouvons dire, en paraphrasant Hans Urs von Balthazar, que “seulement l’amour est digne d’espérance”.


4.- DON BOSCO, HOMME D’ESPÉRANCE


Il est très significatif de constater que, dans notre Règle de Vie, nous trouvons une inclusion linguistique à ce sujet, qui embrasse nos Constitutions dans leur ensemble. L’article 1er nous indique comme certitude de foi que notre Mission n’est pas seulement œuvre humaine, mais avant tout Volonté de Dieu, et constitue “le soutien de notre espérance” (Const. 1). Et le dernier article ne parle pas de l’initiative de Dieu, mais de notre collaboration avec Lui, dans la réalisation de la Mission qui nous est confiée : notre fidélité devient un “gage d’ESPÉRANCE pour les petits et les pauvres” (Const. 196) [c’est moi qui souligne].


Même si elle n’est pas explicitement mentionnée, l’espérance est très présente dans la section qui expose à grands traits l’identité salésienne et l’esprit salésien, surtout dans les articles 17-19. Dans la section relative aux conseils évangéliques, leur présentation globale se termine par un paragraphe qui renferme, en même temps, la vision de foi et l’engagement présent : le salésien est « un éducateur qui annonce aux jeunes “des cieux et une terre nouvelle” » [… en stimulant] « en eux les engagements et la joie de l’espérance » (Const. 63).


Dans tout cela se manifeste notre “filiation” par rapport à notre Père Don Bosco, un homme d’une extraordinaire “capacité d’espérance” ; ou mieux, un homme qui a su intégrer à la perfection les trois dimensions de l’attitude théologale du chrétien : foi-espérance-charité.


Pour ne pas rester dans des affirmations génériques, nous soulignerons, d’une manière très brève et presque schématique, trois aspects de la façon dont notre Père vécut l’espérance : “tempéramentale” – éducativethéologale.


- En cherchant, comme toujours, l’union entre la nature et la grâce (cf. Const. 21), sans oublier que toutes deux sont des dons de Dieu, nous pouvons relever chez lui une tendance tempéramentale [liée à son tempérament] vers l’espérance : lui qui fait preuve d’une capacité extraordinaire pour transformer les difficultés en défis qui le stimulent et le poussent à aller de l’avant ; lui en qui se trouvent, jusqu'au dernier moment de sa vie, l’enthousiasme et l’illusion qui dérivent de son amour passionné et apostolique envers les jeunes. Elle n’a pas été une époque facile, celle où il a vécu (en aucune manière) ; malgré cela, jamais il ne s’est plaint d’elle, ni a rappelé avec nostalgie le temps passé (cf. Const. 17).


- En Don Bosco l’espérance est une vertu éducative : celui qui travaille avec des enfants et des jeunes a besoin, sans doute plus que tous, de l’espérance, même en ayant, nous aussi, l’expérience mentionnée dans le psaume 126 :


On s’en va, on s’en va en pleurant, on porte la semence ;

On s’en vient, on s’en vient en chantant, on rapporte les gerbes (v. 6).


Si ce n’est qu’en éducation le moment de “s’en venir” arrive seulement non pas après quelques jours, ou quelques mois, mais, dans le meilleur des cas, après bien des années… C’est pourquoi, dans le travail éducatif, sont indispensables l’attente et l’espérance.


En ce domaine, nous trouvons de nouveau le rapport entre l’espérance et l’amour : seul celui qui aime peut espérer (dans son sens le plus profond) dans la personne aimée : retentit l’écho de la phrase paulinienne : “L’amour [] espère tout” (1 Co 13,4.7). Il me plairait d’approfondir ce rapport, au moins seulement par une phrase, qui n’est pas un simple jeu de mots, mais qui exprime une merveilleuse réalité : seul celui qui nous aime peut nous croire meilleurs que ce que nous sommes, et est capable d’“espérer” en nous ; mais nous ne pouvons être meilleurs que ce que nous sommes, seulement si quelqu’un nous aime… Et de cela Don Bosco fit une réalité d’une manière extraordinaire.


- Finalement, et il ne pouvait pas en être autrement chez un saint comme lui, nous trouvons au plus profond de son être une attitude d’espérance qui ne se limite pas à ce monde et à cette vie. Cette espérance, malgré tout, ne l’empêchait pas de vivre intensément le présent : le regard fixé vers le ciel, mais les pieds bien posés sur la terre. Ce qu’écrit le Serviteur de Dieu Jean-Paul II dans l’Exhortation Apostolique Vita Consecrata semble avoir été inspiré par l’exemple de notre Père : “Il faut faire confiance à Dieu comme si tout dépendait de lui et, en même temps, s’engager avec générosité comme si tout dépendait de nous” (VC, n. 73).


Dans son Testament Spirituel, nous trouvons des mots émouvants : “Je vous laisse sur cette terre, mais seulement pour un peu de temps. J’espère que la miséricorde infinie de Dieu nous permettra de nous retrouver tous un jour dans la bienheureuse éternité. C’est là que je vous attends. [] Adieu, ô mes chers fils, adieu ! Je vous attends au ciel (Constitutions, Appendice, pp. 255-256). Ici également nous trouvons la dimension communautaire de la vie éternelle, sur laquelle insiste tant le Saint-Père : “Notre espérance est toujours essentiellement aussi espérance pour les autres ; c’est seulement ainsi qu’elle est vraiment espérance pour moi” (Spe salvi, n. 48).


5.- CONCLUSION


J’ai trouvé un récit très simple, mais sympathique et significatif. Une dame âgée se trouvait désormais devant la mort, en gardant toute sa lucidité. Sa plus grande amie, sans cesse à côté d’elle, lui a demandé : “Veux-tu quelque chose de spécial, à conserver avec toi après la mort ?” Elle répondit : “Je voudrais qu’on m’enterre avec une fourchette entre les mains”. “Une fourchette ?”, demanda l’amie avec un étonnement profond. “Oui, une fourchette. Quand je suis allée une fois ou l’autre à une fête, pendant le banquet je conservais toujours, après les premiers plats, ma fourchette, car je le savais : il manque encore le meilleur… Ainsi, à tous ceux qui viendront prier près de mon corps et me voir morte, s’ils demandent comme toi : pourquoi la fourchette ?, tu pourras répondre, en mon nom : Parce qu’elle savait que le meilleur… était encore sur le point d’arriver !”.


Au fond, c’est aussi la motivation ultime, et la plus profonde, de notre vie et de notre travail (ce que Don Bosco appelait, avec une charmante simplicité, le “coin de paradis” dans le jardin salésien) : “Pour le salésien, la mort est illuminée par l’espérance d’entrer dans la joie de son Seigneur” (Const. 54) [c’est moi qui souligne].


L’hymne espagnol de l’Office des Lectures, dans la Commémoration des salésiens défunts, exprime cela d’une manière émouvante, simple et, en même temps, profonde :


¡Piensa lo que será!Pense à ce que cela sera !


Saltar a tierra, ¡y ver que es Quitter la terre, et voir que désormais

cielo ya! c’est le ciel !


Pasar de la borrasca de la vidaPasser de la tempête de la vie

¡a la paz sin medida...! à la paix sans limites !


De un brazo asirte y ver, al irle en pos,T’agripper à un bras et voir,

¡que es el brazo de Dios! en le suivant, que c’est le bras de Dieu !


Beber a pulmón pleno un aire fino…Aspirer à pleins poumons l’air frais…

¡y es el aire divino! et c’est de l’air divin !


Ebrios de dicha, oír a un querubín:Ivre de joie, entendre un chérubin

¡”Es la dicha sin fin!” dire : “C’est le bonheur sans fin !”


Abrir los ojos, inquirir Ouvrir les yeux, demander

qué pasa, ce qui arrive,


Y oír decir a Dios: “¡Ya estás Et entendre Dieu dire : “Tu es

en casa!” désormais à la maison !”


¡Oh, el inmenso placerOh ! l’immense plaisir de s’enfoncer

de abismarse en tu mar! dans l’abîme de ta mer !


Cerrar los ojos, y empezarFermer les yeux, et commencer

a ver; à voir ;


Pararse el corazón, ¡y echarse Préparer son cœur, et se mettre

a amar! à aimer !



1 Pratiquement toutes les langues occidentales conservent cette dualité de l’attente-espérance : attesa-speranza, wait-hope, espera-esperanza, warten-hoffen…

2 La citation italienne est tirée de : JÜRGEN MOLTMANN, Teologia della Speranza, Brescia, Queriniana, 1977, p. 20. Le texte présenté ici en français est extrait de l’édition du Centre International Blaise Pascal de Clermont-Ferrand.

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